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LA ROUE À LIVRES

Collection dirigée
par

Michel Casevitz

Professeur émérite de grec


à l’Université de Paris Nanterre

Aude Cohen-Skalli

Chargée de recherche au CNRS


(Aix Marseille Université, TDMAM)
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous les pays.

© 2021, Société d’édition Les Belles Lettres,


95, boulevard Raspail, 75006 Paris.
www.lesbelleslettres.com

ISBN : 978-2-251-91492-3

ISSN : 1150-4129

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Et si je ne passe pas aux aveux, vous ne pourrez pas m’aider ?
demanda-t-il à tout hasard.
Franz Kafka, Le Procès (1925)
Introduction
Les sources du droit pénal romain : des leges
regiae au code de justinien

Lors d’une conférence intitulée « La signification du droit romain »


prononcée le 8 mai 1852 à Zurich (car ses idées libérales l’avaient alors
contraint de quitter son enseignement à Leipzig), Theodor Mommsen
(1817-1903) prenait à témoin son auditoire : « Les Romains ont eu tout à
la fois d’heureuses idées et de grands juristes, comme les Allemands et
les Anglais. Mais leur droit est décidément peu digne d’une vénération
absolue ! Chacun s’en rend compte lorsqu’il a pris connaissance du droit
criminel romain, mauvais dans son ensemble, et franchement ignoble
dans certaines de ses parties » 1…
Après l’emportement de la conférence de Zurich et le rejet exprimé à
l’égard du droit criminel romain, un demi-siècle est passé. Mommsen
publie en 1898 son Römisches Strafrecht ou Droit pénal romain. Cet ouvrage
majeur qui clôt une œuvre immense, est traduit peu après en français.
Aujourd’hui encore, il constitue le fondement de toute étude
des institutions des Romains relatives à un système de pénalité construit
au fil d’un millénaire et plus. Aussi est-ce à très juste titre que son
traducteur Jean Duquesne affirmait en 1907 : « Le Droit Pénal Romain de
Mommsen est par excellence l’œuvre à traduire. Il se présente comme
un monument scientifique durable, faisant époque dans la littérature
juridique ». Assurément, sa lecture est encore incontournable, en dépit
peut-être du désintérêt exprimé ouvertement par l’auteur pour « les
détails de la dernière période » à savoir les deux derniers siècles de
l’Empire (perçus comme ceux de la « décadence ») ! Mais comment
comprendre alors la déclaration de Mommsen lui-même dans un chapitre
introductif, en forme d’avertissement à son lecteur : « le droit pénal
romain n’ayant jamais formé un tout, il ne peut être question d’en
retracer l’histoire » ?
On ne saurait en effet rassembler a posteriori ce « tout » couvrant plus
d’un millénaire, sans considérer, presque nécessairement, qu’il fait
« histoire » et non « système ». Et c’est de là que provient le constat amer
de Mommsen. À l’instar de ce qu’il réalise dans son monumental Droit
public, notre auteur aurait voulu pouvoir recréer un ensemble organique
en procédant à cet « isolement du droit », indépendamment des phases
historiques, presque des contingences, qu’il traverse. Telle est bien
pourtant l’essence de toute forme de répression des crimes : celle-ci est
liée à leur définition selon les époques, car l’intéressement de l’État n’est
pas le même de l’une à l’autre et la manière de les poursuivre varie. Ainsi,
en dépit de l’unité d’une construction sociale et politique qui se proclame
« Rome », encore au milieu du VIe siècle ap. J.-C., treize siècles après
la fondation de l’Vrbs et alors que la capitale de l’Empire est désormais
Constantinople, l’économie du châtiment s’est nécessairement
transformée. Contrairement au droit public qui peut faire l’objet d’un
système unitaire, presque abstrait, à la différence du droit civil, dont
l’étagement demeure pérenne au fil des siècles, la punition des crimes est
par essence liée au politique et aux formes du pouvoir. Dès lors, on
comprend mieux l’énoncé de Mommsen et pourquoi aux yeux de ce
dernier, comme le souligne à son tour Y. Thomas, « le terrain de la peine »
peut être considéré « comme l’un des paramètres essentiels du pouvoir
politique ». La punition des crimes est également liée au développement
de l’État et à l’intérêt que celui-ci trouve dans la répression de tel ou tel
acte. Considérons alors que si le droit pénal romain n’a jamais constitué
un « tout », c’est précisément pour cela qu’il s’offre comme un révélateur,
comme un prisme dont les moindres variations de lumière sont le reflet
privilégié de l’histoire sociale et politique. Tel est l’objectif premier du
présent ouvrage : replacer les documents qui éclairent l’histoire du droit
pénal romain dans son développement au fil des siècles.

Distinction originelle et fusion inachevée


entre « délits privés » et « crimes
(ou délits) publics »
Le premier obstacle identifié par Mommsen et qui, selon lui,
empêcherait de retracer l’histoire du droit pénal romain tient d’abord à
la « très vieille distinction des délits privés et des délits publics ». Cette
dichotomie est essentielle et il faut y insister d’emblée, car si un processus
de fusion entre les uns et les autres a été accompli au fil des siècles que
nous allons parcourir, il n’a jamais été entièrement achevé. Comprenons,
en dépit des nuances qui ont peu à peu conduit à une instabilité du
lexique, que l’on doit distinguer d’une part les « délits » (delicta) qui
relèvent du droit pénal privé et qui appellent une poursuite « privée »
sous la forme des « actions pénales » (actiones poenales) visant à
une réparation de la victime, et les « crimes » (crimina) pour la répression
desquels la communauté dans son entier est saisie. Peu à peu, les deux
termes sont devenus interchangeables et les textes ont pu opposer de
manière tautologique les « délits privés » (delicta priuata) aux « délits
publics » (delicta publica). La dichotomie originelle demeurait pourtant :
réparation de la victime d’une part, répression au nom de la communauté
d’autre part. Une attention au lexique permet de nouveau de saisir
l’essence de cette distinction. Le mot poena en latin (comme le grec poine)
signifie à l’origine une « rançon » : d’où les expressions telles que
« donner » (dare), « évaluer ou payer » (pendere), « s’acquitter de » ou
« payer » (soluere), « demander » ou « solliciter » (petere), « exiger,
réclamer » (exigere), « prendre » (sumere), « obtenir, recevoir » (capere)
une peine. Or, très significativement, des siècles plus tard, certaines de ces
expressions ont reçu une acception nouvelle : « subir un supplice »
(pendere supplicium) ou « expier des crimes » (pendere crimina), « subir
des châtiments » (poenas soluere), « tirer vengeance de quelqu’un »,
« demander en justice », « poursuivre » (poenas ab aliquo), « tirer de
quelqu’un un châtiment », « soumettre quelqu’un à un supplice » (de aliquo
supplicium sumere), et plus simplement « punir » (poenam sumere). D’un
registre lexical à l’autre, de la revendication de la peine comme « rançon »
versée au plaignant à l’exigence d’un « châtiment » accompli par
les pouvoirs publics à l’encontre de l’auteur du crime – quelle que soit
la définition de son contenu, car elle a varié aussi selon les époques –, on
tient ici le fil d’une évolution pluriséculaire au travers de laquelle s’est
affirmé le monopole de la violence judiciaire par l’État. Il n’en demeure
pas moins que jusqu’au cœur de l’époque impériale, la recherche d’une
réparation est demeurée une possibilité offerte à la victime de certains
crimes. En témoigne le fragment d’un ouvrage de jurisprudence
particulièrement présent dans les pages qui vont suivre. Il s’agit du traité
Sur la fonction de proconsul d’Ulpien publié autour de l’année 213 ap. J.-C. et
qui expose les règles de conduite devant présider à l’action du bon
gouverneur, soucieux de faire respecter l’ordre et la justice dans sa
province (R37) :

Si quelqu’un veut poursuivre une action qui naisse de méfaits


(maleficia) qui ont été commis, du moins s’il veut agir pour
l’obtention d’une réparation pécuniaire (pecuniariter), il devra s’en
remettre au droit ordinaire (ius ordinarium) et il ne sera pas forcé
de souscrire à l’accusation (in crimen subscribere). Inversement, en
effet, s’il veut poursuivre la peine relative à cette affaire en dehors
de l’ordre (extra ordinem), il faudra qu’il souscrive à l’accusation.
(Ulpien, Sur la fonction du proconsul, extrait du livre 2 = Digeste, 47, 1,
3)

Ce fragment est emblématique de la concurrence entre deux types de


poursuites : l’action pénale originelle qui visait la réparation, et
le concours apparu plus tard des pouvoirs publics en faveur de la personne
lésée, dans la mesure où l’atteinte à la victime était considérée également
comme un trouble à l’ordre social. Au commencement du IIIe siècle de
l’Empire, il était encore possible de demander réparation d’un « méfait »
(maleficium) en cherchant à obtenir une compensation. Cependant,
la possibilité était également accordée de provoquer la punition du
criminel en proportion de l’acte qu’il avait perpétré. Cela signifiait alors,
en raison du risque encouru par l’accusé, que l’accusateur devait « inscrire
son nom » pour engager sa responsabilité, c’est-à-dire s’exposer soi-même
en cas d’échec de l’accusation à la punition infligée à un calomniateur.
L’impossibilité d’écrire une histoire du droit pénal romain, selon
Mommsen, tiendrait donc d’abord à la dichotomie qui vient d’être exposée
où le cheminement séparé de deux histoires concurrentes serait à l’œuvre.
Elle relève aussi essentiellement de l’histoire des institutions et
des bouleversements d’une cité, Rome, isolée dans le Latium au VIIIe siècle
er
av. J.-C. et devenue, au I siècle de notre ère, la capitale d’un empire
étendu à toutes les rives de la Méditerranée et bien au-delà : des rivages
atlantiques de la péninsule ibérique aux confins de l’Euphrate, des limites
de l’Écosse aux sables du Sahara.
Au milieu du Ve siècle av. J.-C., alors que Rome commençait seulement
à se défaire de la menace de ses voisins, Étrusques et Italiques, la rédaction
de la loi des XII Tables par dix magistrats, les décemvirs, a constitué
une étape essentielle que résume l’historien Tite-Live en désignant cette
œuvre législative comme « la source de tout le droit privé et public ».
Un cadre procédural a alors été défini et rendu public. N’hésitons pas à
employer le mot de « codification » en dépit des réticences qu’il suscite
souvent pour désigner cette œuvre bien antérieure aux entreprises
e
du XIX siècle qui seules mériteraient ce nom. Au regard du « droit
pénal » ou du « droit criminel » (dans la plupart des langues modernes, on
l’a dit, ces deux désignations sont employées l’une pour l’autre), deux
rubriques de cet ouvrage illustrent tout particulièrement le principe de
composition qui prévalait en matière pénale au moment de la rédaction
des XII Tables, à savoir la répression du vol (R26), le furtum, ainsi que de
« l’atteinte à la personne » ou « au droit », selon les deux acceptions du
terme iniuria (R21). Cependant, déjà dans ce texte archaïque, certains
crimes sont punis de mort et ne consistent plus en la simple réparation
d’un dommage par l’obligation du versement d’un montant (damnum) ou
par la livraison du coupable à la personne lésée (ce que l’on appelle
l’action noxale). En effet, l’envoûtement criminel relevant de pratiques
magiques et conduisant à la mort est puni d’une peine capitale (R20), de
même que la destruction de récolte (Commentaires à R1 et R39a), ou
encore l’incendie volontaire ayant entraîné la mort (R20 ; R30) ; l’auteur
d’un faux témoignage est également précipité du haut de la roche
Tarpéienne (R34d), une disposition que l’on retrouvera plus tard dans
la loi syllanienne sur le faux (Commentaire à R27). La lecture difficile de
certains versets de la Loi des XII tables laisse penser que les décemvirs ont
également légiféré en matière de droit criminel public, c’est-à-dire pour
définir la procédure conduite par le peuple et qui aurait été encadrée
seulement par les comices centuriates, entendons le « peuple en armes »
réuni sur le Champ de Mars en comitiatus maximus. Par ailleurs, aucune loi
ne devait viser un citoyen en particulier – ce qui aurait été une disposition
particulière, un priuilegium contrevenant à l’universalité de la loi. Trop peu
de mots dans nos sources permettent de définir assurément l’innovation
introduite dans ce domaine. Surtout, le monopole des centuries est
invérifiable au fil des siècles qui ont suivi, tandis que s’épanouissait
la procédure tribunicienne apparue dès la sécession de la plèbe de
494 av. J.-C. (R5). Les questeurs étaient-ils les seuls magistrats instructeurs
devant l’assemblée populaire ? Et pourquoi eux ? Pouvons-nous imaginer
par ailleurs qu’à chaque crime perpétré sur le territoire de la cité en
expansion constante le corps civique des hommes en armes se réunissait
au complet pour voter une sentence à l’encontre d’un citoyen ? C’est ainsi
que l’hypothèse d’une procédure privée en matière d’homicide s’est
imposée (W. Kunkel). Les sources sont trop rares pour affirmer l’origine
légale de la poursuite du « crime de haute trahison » (perduellio) : on
discute encore pour savoir si celle-ci a été définie dès l’œuvre
des décemvirs. Les indices manquent (R6). Avant la rédaction de la Loi
des XII Tables par ces derniers, entre 451 et 449 av. J.-C., quelles furent
les normes en matière pénale ? Et sur quel fondement de droit public
auraient-elles été émises ? Ici s’ouvre le difficile dossier des « lois
royales », un corpus de normes attribuées aux premiers rois (à
des personnages légendaires, donc, pour les tout premiers d’origine latine
et sabine…) et qui, au Ve siècle encore, encadrait des conduites qui ne
relevaient pas de la procédure offerte par les XII Tables. Elles proféraient,
pour certaines, l’injonction « qu’il soit sacré » (sacer esto) (très
partiellement reprise dans la législation décemvirale), toujours
énigmatique, en raison des quelques lignes seulement qui permettent d’en
comprendre le sens, et plus encore en raison des « flots d’encre » qui ont
noyé, depuis un siècle, le sens de cette expression primitive d’une
exclusion radicale de la cité apparentée à certaines formes du
bannissement médiéval (R1). Les leges regiae dans leur ensemble
continuent de susciter de nombreux débats. Ceux-ci portent sur la genèse
formelle et sur la chronologie de ce corpus, connu sous le nom de « droit
civil de Papirius » (ius ciuile papirianum). Sans doute apocryphe ‒ il
pourrait remonter au milieu de l’époque républicaine ‒, il a probablement
suivi une double voie de transmission . Par ailleurs, alors que les « lois
2

royales » ont fait depuis longtemps, et encore récemment , l’objet d’un


3

effort systématique de classement comme s’il s’agissait d’un tout


organique, certains savants ont exprimé leurs réserves à l’égard d’une
telle cohérence en constatant l’éclectisme irréductible des normes
désignées comme telles : « Ce que l’on appelle les leges regiae dans nos
manuels constituent une ménagerie composée d’animaux de très
différentes sortes » .
4

Bref, comme l’a résumé avec un peu d’ironie Yan Thomas, au sujet de
l’excès des modèles interprétatifs presque dénués de sources pour
les époques les plus anciennes mais nourris de fantasmes : « On peut tout
dire, on peut tout imaginer, dès lors que l’on prend plaisir à écrire, ce qui
est souvent le cas en droit romain archaïque, une histoire purement
spéculative ». Cependant, ce que nous pouvons appeler le « droit pénal »
était alors en partie assuré par l’exercice de la « puissance paternelle »
(patria potestas), c’est-à-dire par la reconnaissance de la « puissance de vie
et de mort » (uitae necisque potestas) qui revenait au paterfamilias (R2) : ce
n’est que tardivement à l’époque impériale que celle-ci a certainement
cédé du terrain comme l’atteste la législation encadrant « la correction
des proches » (R39).

L’émergence d’un droit pénal public


relève de l’histoire politique d’une cité
divisée
Répression domestique exercée par le père de famille, procédure
des « actions pénales » pour l’obtention d’une réparation, définition
progressive d’une procédure publique. L’émergence du « droit pénal
romain » est indissociablement liée à la naissance du politique. Cette
dimension ne peut être écartée en considérant que tout au long des siècles
de Rome le dispositif pénal des Romains aurait suivi « une tradition de
châtiments », plus « qu’il n’aurait appliqué un code » et qu’il serait
demeuré « largement arbitraire ». C’est ce qu’avance Paul Veyne, non sans
forcer délibérément le trait pour permettre à son lecteur de s’extraire
d’un système clos, tournant sur lui-même. Dans un petit traité à caractère
historique, l’Enchiridion, où il tente de reconstituer la genèse
des institutions et du droit romain dans leur ensemble – aucune tentative
comparable ne subsiste dans la documentation parvenue jusqu’à nous –
e
le juriste Pomponius écrivait, au II siècle, que sous la royauté le pouvoir
s’exerçait de manière discrétionnaire :

C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire d’exposer l’origine du


droit lui-même et sa progression. Et c’est ainsi qu’à l’origine de
notre cité le peuple commença à agir, sans loi déterminée (sine lege
certa), sans droit déterminé (sine iure certo), et toutes les affaires
étaient gouvernées par les rois par la force (manu). (Digeste, 1, 2, 2,
2)

Ce n’est qu’après la chute des rois que la loi s’est imposée, que
des institutions ont été élaborées. Pour les Romains, l’an un de
la République est donc marqué par ce passage. C’est en 509 av. J.-C.
qu’auraient été votées deux lois, à l’initiative du consul P. Valerius
Publicola : la première menaçait de poursuite capitale quiconque aurait
rétabli le retour à la « royauté » c’est-à-dire à la « tyrannie » ; le sens de
ces deux termes se recoupe dans le mot latin regnum. Cette préoccupation
essentielle des Romains est indissociable de trois épisodes au cours
desquels des « prétendants à la tyrannie » (adfectatores regni) –
des personnages en partie légendaires, mais dont l’action est hautement
significative dans le récit des premiers siècles de la République romaine
tel que les Romains l’envisageait – ont tenté de prendre le pouvoir.
L’élimination de chacun d’entre eux met en branle des mécanismes
procéduraux, impliquant concurremment (car les traditions divergent)
l’exercice de la puissance paternelle, la justice du peuple, et, le cas
échéant, la désignation d’un dictateur forgée de toute pièce par
l’annalistique. Cette tradition issue des guerres civiles, selon laquelle cette
magistrature militaire aurait eu également une vocation répressive
des troubles intérieurs, a été fabriquée rétrospectivement à l’issue
des épisodes syllanien et césarien (R4). Jusqu’au dernier siècle de
la République, ces exemples du passé seront invoqués au service
des conflits politiques.
Cependant, une autre loi, apocryphe elle aussi, remonterait à
l’année 509 av. J.-C. Celle-ci serait fondatrice de « l’appel au peuple »
(prouocatio), c’est-à-dire de la possibilité offerte au citoyen, par
le truchement d’abord du « secours » (auxilium) tribunicien, puis
directement, sans autre intermédiaire que l’invocation au peuple elle-
même, de brider la puissance coercitive du magistrat en la soumettant à
une procédure comitiale (R3). Les Romains considéraient la prouocatio
comme indissociable de la Libertas, c’est-à-dire de la République.
La revendication initiale de cet « appel au peuple » – il s’agit bien d’un
mécanisme procédural, plutôt que d’un « ameutement » informel – est
e
le premier pas d’une lutte qui s’est poursuivie jusqu’au II siècle av. J.-
C. pour garantir l’intégrité physique du prévenu devant les tribunaux
lorsqu’il était citoyen. Cette garantie est devenue à nouveau un enjeu
essentiel lors des guerres civiles ouvertes par l’assassinat des Gracques
(133-121 av. J.-C.). Chacun de ces progrès a été accompli par une loi votée
par le peuple. Telle était alors la source principale du droit pénal (en
marge des actions privées, comme nous l’avons indiqué plus haut).
Certaines décisions du sénat, à partir des Gracques précisément, ont été
désignées par l’historiographie moderne, sur le fondement d’une seule
paraphrase de César devenue un « syntagme », comme des « sénatus-
consultes ultimes ». Ces paradigmes supposés de l’état d’exception
auraient alors consisté en une suspension de la justice « ordinaire » (R9).
Bien des zones d’ombre demeurent, reconnaissons-le, sur l’exercice
concret de la justice à l’époque républicaine, surtout lorsque l’on cherche
à répondre à quelques questions de bon sens. Par exemple, comment trois
magistrats préposés au maintien de l’ordre parvenaient-ils à remplir leur
tâche ? Les triumvirs capitaux apparus au milieu du IIIe siècle devaient y
pourvoir avec sans doute une cohorte d’appariteurs. Ces magistrats
inférieurs étaient-ils seulement chargés du maintien de l’ordre, de
la surveillance des délinquants des couches sociales les plus basses, ou
disposaient-ils également d’un pouvoir d’instruction et d’une authentique
juridiction ? On en discute (R7).
Au milieu du siècle suivant, en 149 av. J.-C. précisément, l’initiative de
confier à un tribunal de jurés la répression du crime de concussion (puis
d’autres crimes ensuite) a conduit à un bouleversement des institutions
judiciaires – mais sans doute ces tribunaux d’enquête existaient-ils déjà
auparavant, comme le suggèrent la répression de l’épisode
des bacchanales en 186 av. J.-C. (R8) et la présence d’autres indices qui
confirment la compétence reconnue aux préteurs « d’enquêter » (quaerere)
en matière criminelle. Désormais, à partir du milieu du IIe siècle donc, pour
chaque crime, serait constitué un tribunal public (iudicium publicum)
autrement désigné comme tribunal « d’enquête » (quaestio). Ce
changement constitue une étape essentielle des institutions de « droit
pénal » romain, à commencer par la « procédure » elle-même. C’est dans
le cadre de ces tribunaux, en effet, que s’est développé le système
accusatoire : en l’absence de ministère public, quiconque était assez doué
de talent oratoire et de prestige social pouvait alors se porter accusateur
(tel fut le cas si fameux, en 70 av. J.-C., du procès de Cicéron contre Verrès,
le préteur de Sicile qui s’était rendu coupable d’extorsions et de
violences), tandis que la défense elle-même était accusée par une ou
plusieurs personnes privées. Naturellement, l’enquête n’était ouverte qu’à
condition que le juge qui avait été désigné ait donné son accord pour
le lancement de la poursuite dont il devait apprécier le fondement et
l’équité. La poursuite elle-même se déroulait ensuite en présence des jurés
qui seraient amenés eux-mêmes à exprimer leur sentence par un vote à
la fin du procès, après avoir écouté les plaidoiries et les dépositions
des témoins. On n’insistera pas ici sur un enjeu essentiel de la composition
de ces jurés au regard de l’histoire sociale, institutionnelle et politique.
Elle a en effet constitué l’objet d’une lutte récurrente tout au long
des guerres civiles en opposant, disons-le à grands traits, d’une part,
les partisans de la tradition et de la prééminence du sénat, les optimates,
favorables à ce que les jurés ne soient recrutés que dans l’ordre sénatorial,
de l’autre, les partisans du peuple ou populares, visant à ce que les rangs
des jurys s’ouvrent à l’ordre équestre, exclusivement ou en partie. Tenons-
nous en ici d’abord au plan procédural. L’émergence et la multiplication
des quaestiones au dernier siècle de la République ont largement contribué,
répétons-le, à l’élaboration des règles encadrant le déroulement de
la procédure accusatoire et en ont défini progressivement les règles.
Celles-ci visaient à éviter la praeuaricatio (l’entente entre les parties pour
s’accorder entre elles sur l’issue du procès), la tergiuersatio (le lancement
d’une accusation à la légère, suivie de la rétractation de l’accusateur) et
la calomnia, à savoir l’accusation infondée. L’ensemble de ce dispositif
normatif a fait l’objet du sénatus-consulte Turpilien de 61 ap. J.-C., dont
le contenu nous est essentiellement connu par les commentaires qui en
e
ont été donnés par les juristes Paul et Marcien au début du III siècle (R15).
Ce n’est pas un mince paradoxe, et c’est une clé essentielle de lecture de
l’histoire de la procédure pénale romaine, que d’observer que le système
accusatoire forgé au dernier siècle de la République constituait toujours
au milieu de l’époque impériale un dispositif normatif de référence et
le terrain privilégié du commentaire jurisprudentiel, alors même, comme
nous allons le voir, que de nouveaux leviers d’action, à commencer par
le pouvoir d’enquête du juge, faisaient émerger les principes de
la procédure inquisitoriale.
Le développement des tribunaux de jurys au dernier siècle de
la République eut également une importance décisive et pérenne pour
la constitution d’un dispositif législatif permettant de définir le droit
pénal lui-même. Sans les énumérer toutes, comprenons que la création de
chaque tribunal reposait sur le vote d’une loi, et que chacune de ces lois
s’efforçait de qualifier le crime poursuivi. Ainsi chaque loi formant
le tribunal constituait aussi une étape nouvelle dans la production de
droit, que ses mesures aient été inédites ou qu’elles aient intégré
des dispositions de loi antérieure ‒ on parle alors de lois « tralatices ».
Mises bout à bout, ces lois de la fin de la République ont constitué dans
leur ensemble un véritable travail de consolidation du droit. Ce sont
les lois syllaniennes (ou leges Corneliae) sur l’homicide (R20), sur l’atteinte
au « droit » ou à la « personne » (iniuria) (R21), ou encore sur le faux
témoignage (R27)… Ce sont les lois de Pompée, parfois décidées pour faire
face à l’urgence d’une situation exceptionnelle dans le contexte sans cesse
plus violent de la vie politique à Rome, à l’instar de celles qui furent votées
au lendemain de la grande affaire criminelle de l’assassinat de P. Clodius
Pulcher par Milon (T. Annius Milo) en 52 av. J.-C. (R10). Ce sont les lois
juliennes, de César ou d’Auguste, la loi Iulia sur la violence (Commentaire
à R50), ou encore la loi Iulia sur les adultères (R23), celle sur la majesté,
une singulière incrimination, née sous la République pour toute action
lésant « le peuple », rapidement invasive et entièrement généralisée à
l’époque impériale, pour toute atteinte lésant désormais « le prince »,
jusqu’à contredire les règles d’individuation de la peine reconnues par
le droit pénal romain depuis les origines (R48). Ainsi, sans qu’elle fasse
l’objet d’un développement isolé, à l’exception des trois procès
emblématiques réunis dans l’étude de la procédure sénatoriale (R11),
la lèse-majesté sera nécessairement présente dans chaque rubrique, ou à
peu près, relative à l’exercice de la justice pénale sous l’Empire.

Des « jugements publics », définis


par l’« ordre » des lois,
à l’épanouissement de la justice extra
ordinem
À cette étape, parmi les clés de lecture rassemblées, un point lexical
doit retenir l’attention. Il est décisif pour la compréhension
des documents cités et commentés au fil de cet ouvrage. Les tribunaux de
jurés dont on vient d’évoquer la naissance et dont on a souligné
l’importance sont en effet tantôt désignés en latin comme quaestiones,
tantôt comme iudicia publica. Le premier terme se rapporte à l’activité de
« mener une investigation », « d’enquêter » (quaerere) – et il désignera
également plus tard la torture, comme l’atteste également en français
l’emploi de ce mot de sinistre mémoire, « la question » (R16). La seconde
expression, iudicia publica, désigne la répression des crimes « publics » qui
lèsent la communauté dans son ensemble et elle s’oppose, cela s’entend,
aux iudicia priuata ou aux « actions pénales », conformément à
la distinction essentielle du droit pénal romain évoquée plus haut. Elle
vise également à distinguer les poursuites engagées dans le cadre
des tribunaux de celles plus anciennes et tombées en désuétude au
dernier siècle de la République à savoir « les jugements du peuple »
(iudicia populi). L’ensemble du corpus normatif constitué par ces iudicia
publica a été désigné par le mot ordo et l’on parle en conséquence de l’ordo
iudiciorum publicorum. Les crimina publica définis dans ce contexte ont
continué à être opposés tout au long de l’époque impériale aux crimina qui
ont été définis plus tardivement hors de cet ordo, et qui, cela s’entend, ont
été désignés par conséquent comme crimina extra ordinem, c’est-à-dire
« hors de l’ordre des lois qui avaient défini les crimes ». Cette distinction a
constitué un obstacle à la compréhension du droit pénal romain au
e
moment de sa redécouverte au XII siècle, et elle pourrait induire encore en
erreur si l’on considère qu’il existait des « crimes extraordinaires » qui
méritaient également une punition « extraordinaire » ou aggravée en
quelque sorte. Une constitution des empereurs Septime Sévère et
Caracalla datée de l’année 196 fait comprendre le fondement d’une
distinction toujours employée dans les textes et devenue désuète en
raison de l’évolution de la pratique procédurale :
Les Empereurs Sévère et Antonin <Caracalla> Augustes à Laurina :

Il est assez notoire que les enquêtes (quaestiones) relatives aux


crimes (crimina) que l’on réprime (coercere), soit en vertu des lois
(leges), soit en dehors de l’ordre <des lois> (extra ordinem) doivent
être menées à leur terme là où ils ont été commis ou engagés, ou à
l’endroit où ont été découverts ceux qui, à ce qu’on rapporte, sont
accusés (rei) du crime. (Code de Justinien, 3, 15, 1)

Les « lois » dont il est question sont bien celles qui sont à l’origine
des tribunaux de jurys de la fin de la République, alors même que
l’existence de ces derniers n’est plus attestée. Elles ne constituent plus
qu’un contexte normatif de référence, la désignation partagée d’une
source du droit. Mais l’on comprend également comment
les transformations du droit pénal à l’époque impériale sont venues
modifier, non pas la qualification du crime défini par ces lois, mais
l’application de la peine elle-même. Alors que celle-ci était « fixe » à
l’origine, c’est-à-dire inscrite dans la loi – il s’agissait bien souvent d’une
peine pécuniaire ou de la formule du bannissement, « l’interdiction de
l’eau et du feu » (R41) qui s’était substituée à la peine de mort –, désormais
elle était infligée à la discrétion du juge en fonction de multiples critères.
Deux fragments du juriste Ulpien, contemporain des deux empereurs
précédents, suffisent à nous convaincre de cette évolution essentielle et
qui caractérise dans la longue durée l’histoire du droit pénal impérial dans
son ensemble :

Aujourd’hui, il est permis à celui qui mène une enquête (cognoscere)


au sujet d’un crime (crimen) en dehors de l’ordre <des lois> (extra
ordinem) de porter la sentence qu’il veut, lourde ou légère, de telle
manière cependant à ne pas dépasser la mesure dans chacun
des deux cas. (Ulpien, Au sujet des appels, extrait du livre 1 = Digeste,
48, 19, 13)
En général, on admet que les préfets ou les gouverneurs qui, dans
le cadre des lois relatives aux jugements publics (iudicia publica) ou
aux crimes privés (priuata crimina) conduisent une enquête en
dehors de l’ordre <des lois>, appliquent à ceux qui esquivent
une répression (coercitio) pécuniaire en raison de leur pauvreté
une répression en dehors de l’ordre <des lois> (extra ordinem).
(Ulpien, Des discussions, extrait du livre 8 = Digeste, 48, 19, 1, 3)

Tandis que les lois qui les avaient fondés demeuraient une référence
incontournable – elles ont constitué des catégories du droit criminel
jusqu’à l’époque des compilations de Justinien qui les réutilisent –,
les tribunaux de jurés qui avaient fini par encadrer généralement
l’exercice de la procédure pénale au dernier siècle de la République et qui
étaient alors devenus un enjeu majeur de la lutte politique – et de
l’éloquence judiciaire – ont progressivement disparu sous l’Empire. Nous
ne saurons jamais comment ni à quel rythme un tel processus a été
accompli, tant nos sources sont rares. Cependant, un fait doit être
souligné : les principales attestations de l’existence sous l’Empire de ces
tribunaux sont occasionnées presque exclusivement par la présence du
prince qui s’y impose, et qui prend place au côté du juge cloué sur son
« siège curule » ; le mobilier c’est-à-dire l’apparat officiel, est respecté, en
dépit de l’intrusion tout à fait incongrue d’un autre juge ici présent,
l’empereur lui-même. Qu’il se trouve dans l’assistance, au premier rang,
ou plus résolument, selon les convenances d’une fausse discrétion, un peu
à l’écart, tel Tibère (14-37 ap. J.-C.) posté en observateur juste « dans
l’angle de l’estrade du tribunal » (in cornu tribunalis)… Les innovations du
Principat en matière de justice pénale ont été nombreuses et presque
immédiates, qu’il s’agisse de l’apparition de la procédure sénatoriale ou
cognitio senatus (R11), de la création de nouveaux juges dans la capitale, tel
le préfet de la Ville (R12), de l’affirmation de la saisie d’office par
le gouverneur dans les provinces (R13-R18). L’appel au prince (prouocatio
er
ou appellatio ad principem), identifiable dès le milieu du I siècle, et dont
les développements seront systématisés à partir de l’époque sévérienne
pour s’épanouir dans la législation à l’échelle de l’Empire, s’articule quant
à lui à la naissance d’un tribunal impérial faisant de l’empereur le premier
juge du monde romain (R50). Et c’est cette fonction de juge éminent qui
explique également l’apparition précoce du droit de grâce, de « cette
indulgence du prince » dont les champs d’application sont variés mais qui
dans le domaine de la justice pénale permettait à l’empereur de
réhabiliter certains condamnés, les exilés notamment qui encouraient
désormais la peine de « déportation » (R43).
« Ce qui a plu au prince » :
les constitutions impériales
et la répression des crimes
Il serait long d’exposer ici le développement d’une chancellerie
centrale, à partir de la première moitié du IIe siècle, tout particulièrement
sous le règne d’Hadrien (117-138), et d’une bureaucratie judiciaire dont
le découpage, les agents et les mécanismes d’action furent redéfinis à
la fin du siècle suivant, à l’occasion des réformes initiées par
l’empereur Dioclétien (284-305) et par son successeur Constantin Ier (306-
337). L’exercice de la justice pénale s’inscrit naturellement dans ce
dispositif plus vaste d’une administration renouvelée et spécialisée. C’est
dans le temps de cette évolution de longue durée que prend place
l’épanouissement d’une science juridique, la jurisprudence, qui visait tout
à la fois à inventorier et rationnaliser l’évolution qui avait été accomplie
depuis l’époque républicaine dans le domaine du droit privé
principalement mais également dans le domaine du droit pénal.
Le raisonnement des prudents s’appuyait sur toutes les sources
traditionnelles du droit qui s’étaient développées depuis la Loi des XII
Tables, sur l’édit du préteur (ce monument fut « fixé » par Hadrien en
131), mais aussi sur le texte des lois votées par le peuple, depuis le Ier siècle
de la République jusqu’au commencement de l’époque impériale, de
même que sur certains décrets sénatoriaux. Enfin, plus récemment et de
manière décisive en raison de leur autorité, sur les « lois » des empereurs,
c’est-à-dire sur les « constitutions impériales » qui depuis le IIe siècle
s’identifiaient de plus en plus à « la loi » elle-même et qui furent
complètement assimilées à elle au siècle suivant, comme le reflète
le fameux adage formulé par Ulpien (Digeste, 1, 4, 1, pr.) : « ce qui a plu au
prince a force de loi ».
Le terme générique de « constitutions impériales » servait plus
précisément à désigner quatre catégories d’actes que nous distinguerons
d’emblée dans la mesure où ils occupent une place de premier plan dans
la liste des documents commentés dans cet ouvrage. Les « édits » forment
le premier type de constitutions impériales : ils étaient de portée générale
et applicables à tout l’Empire. L’« édit de Caracalla » (ou Constitutio
antoniniana) qui octroya en 212 ap. J.-C. la citoyenneté romaine à
l’ensemble des habitants de l’Empire est sans doute le plus célèbre d’entre
eux. Cependant, soulignons aussitôt que cet élargissement de la ciuitas
romana se produisit à une époque où ce statut de citoyen ne constituait
assurément plus, d’un point de vue procédural, « un habeas corpus avant
la lettre », pour reprendre l’expression fameuse de Claude Nicolet en
ouverture de son Métier de citoyen dans la Rome républicaine
(1976) (Commentaire à R50). Sous l’Empire des Sévères elle n’était plus en
rien une garantie face à la coercition du magistrat, comme cela avait pu
être le cas au dernier siècle de la République (R3 ; R4 ; R9). Quant à
la distribution des peines, celle-ci obéissait désormais à un critère social
selon que le prévenu appartenait à la catégorie des « honorables »
(honestiores) ou des « humbles » (humiliores), les premiers étant épargnés
des supplices les plus lourds et les plus infamants (Commentaires à R14 et
à R20). Ce sont des « édits » également qui furent à l’origine de poursuites
e
contre les chrétiens depuis le milieu du III siècle jusqu’aux premières
e
années du IV siècle, alors que ces persécutions avaient été jusque-là
localisées à l’échelle d’une cité ou d’une province. Cette littérature
martyrologique constitue bien souvent une source de première main pour
la connaissance du fonctionnement de la procédure d’enquête, dans
les provinces comme à Rome (R12 ; R13 ; R18).
Outre les « édits », il existe trois autres types de constitutions
impériales. Les « décrets » (decreta), tout d’abord, étaient des décisions de
justice rendues par l’empereur en son conseil. Les « instructions »
(mandata), ensuite, étaient adressées aux gouverneurs dans les provinces.
Elles devaient régler leur conduite, notamment dans le domaine judiciaire.
Dès le Principat, le Livre des mandats (Liber mandatorum), qui rassemblait
ces directives et qui était toujours susceptible d’être enrichi, constituait
une sorte de document d’investiture et de guide de bonne administration
remis au gouverneur avant que ce dernier ne rejoigne sa province (R13).
Les « rescrits » (rescripta), enfin, formaient la dernière catégorie de
constitutions impériales. Comme leur nom l’indique, ils étaient envoyés
par les empereurs à ces mêmes gouverneurs, ou à d’autres membres de
l’administration, mais également à des personnes privées, en « réponse » à
une « sollicitation » (petitio). Dès l’époque antonine, une grande partie
des traités de jurisprudence se sont nourris du contenu de ces « rescrits »
érigés en règles générales, en raison de l’autorité qui les fondait. Tantôt
le contenu de ces textes est rapporté « en substance » par les juristes qui
fondent alors leur avis sur cette réponse de l’empereur (R12c1), tantôt ils
sont cités en toutes lettres par ces mêmes juristes (R12c2). Un cas
exemplaire, en matière d’homicide, est constitué par le rescriptum adressé
par l’empereur Hadrien (117-138 ap. J.-C.) en réponse à la petitio d’un
gouverneur de Bétique (une province dont le territoire couvrait largement
l’actuelle Andalousie). Ici en effet, comme dans quelques autres cas, il est
possible de confronter les termes de cet échange initialement inséré par
le juriste Ulpien dans son traité Sur la fonction du proconsul, tels qu’ils ont
été conservés dans la Collatio legum, au résumé et au découpage du même
document auxquels ont procédé les auteurs du Digeste (R20).
S’il s’agit dans les cas précités d’échanges entre l’empereur et
un fonctionnaire, un particulier qui était engagé dans un procès pouvait
également s’adresser au prince qui lui répondait par un rescrit, lequel
pouvait consister en une simple « souscription » (en grec apokrima) au bas
de la sollicitation qui lui avait été adressée, aussi bien dans le domaine de
la justice criminelle que dans celui de la justice civile. Ainsi se développa
au IIIe siècle la procédure dite « par rescrit », attestée non seulement par
l’insertion de ces réponses dans la jurisprudence, mais également, comme
nous le préciserons, par la conservation de ces textes dans le Code de
Justinien. Le petit corpus des 25 rescrits relatifs au droit pénal adressés par
un empereur à des femmes (R19t1-R25), au fil d’un siècle (de 197 à
294 ap. J.-C.), en fournit l’illustration : voici une mère, Marcellina, qui
implore en 222 de pouvoir défendre elle-même son fils dans une affaire de
faux (R19t1) ; voici une jeune fiancée, Théodora, qui réclame vengeance en
258, car elle a été abusée par un homme déjà marié dans une autre
province, ou encore voici la maîtresse Philippa, en 293, qui voudrait faire
torturer un esclave qu’elle possède en copropriété… Certes, les empereurs
ne sont intervenus le plus souvent auprès de ces femmes destinataires de
leurs rescrits que pour leur rappeler inflexiblement l’incapacité juridique
qui était la leur et mettre un frein à leur sollicitation. Elles ne pouvaient
en effet engager une poursuite criminelle de leur propre chef, à moins
d’agir en tant que victimes, et si aucun homme de leur entourage n’était
en mesure de les représenter. En même temps on comprend en quoi cette
courte liste d’échanges relatifs à des recours ou à des mécanismes
procéduraux constitue une source essentielle de l’histoire sociale. Mais
la liste des rescrits ainsi conservée est bien mince. Elle ne réunit que
les quelques cartes éparses d’un jeu ample de questions-réponses dont
l’ensemble a été presque entièrement perdu.

Les traités de jurisprudence (Des peines,


Des jugements publics, Des enquêtes,
Sur la fonction du proconsul…) :
une catégorisation inachevée
L’ensemble de cet immense matériau constituait donc l’objet d’étude
des juristes qui s’attelaient à le nourrir de leur commentaire et à
l’ordonner en raison des contradictions ou des simples dérogations aux
principes généraux qu’il contenait. À l’intérieur de ce corpus, le droit
pénal avait-il maintenant trouvé une place particulière, une identité ou
une unité théorique ? En réalité ce qui relève de ce domaine n’a jamais fait
l’objet d’un exposé organique et systématique, à l’exception sans doute de
l’œuvre singulière de Modestin qui dans son ouvrage Sur les peines (De
poenis) composé autour de 217 ap. J.-C. avait tenté de rassembler pour
la première fois ce qui avait fait l’objet auparavant d’exposés partiels ou
ponctuels. L’ouvrage rassemblait en effet en quatre livres les peines
édictales et extraordinaires (livre 1), les peines pécuniaires (livre 2),
les peines capitales (livre 3) (R41), et les peines des militaires
(livre 4) (R38). Au cours des décennies, comme en témoigne
l’hétérogénéité des fragments traduits et commentés au fil du présent
livre, les dispositions de droit pénal pouvaient se rencontrer aussi bien
dans de grands commentaires (à commencer par le Commentaire à l’Édit
d’Ulpien) que dans des traités relatifs au droit testamentaire : la question
des biens des condamnés et des incidences de leur réhabilitation
éventuelle (par la grâce du prince) sur leur patrimoine, les obligations qui
le liaient, le partage intervenu entretemps, le devenir de la dot de
l’épouse etc. livrent bien des informations sur ce que nous appelons
le droit pénal. Cependant, est-il possible de dresser une typologie de
traités qui s’y rapporteraient plus directement ?

♦ Des traités Sur les jugements publics au traité


Sur les enquêtes

Un premier type d’ouvrages relatifs au droit pénal s’appuie sur


le corpus des jugements publics (iudicia publica) évoqué plus haut à propos
des lois (de Sylla, de Pompée, de César et d’Auguste) de la fin de
la République et du commencement de l’Empire. Le plus ancien est
le De iudiciis publicis en quatorze livres de L. Volusius Maecianus (Mécien)
dont il ne reste presque rien. Il date de la fin du règne d’Hadrien (117-138)
ou du commencement de celui d’Antonin le Pieux (138-161), et peut-être
est-ce en raison de cette ancienneté (il ne pouvait intégrer les rescrits de
e
la deuxième moitié du II siècle qui ont enrichi et actualisé le droit pénal,
sous Antonin le Pieux, Marc Aurèle et Commode) qu’il a été négligé. Seules
subsistent de courtes dispositions sur la violence publique et sur
la répression des esclaves en cas de meurtre du maître. Son ouvrage a sans
doute servi de modèle au plus bref De iudiciis en trois livres de Q. Venuleius
Saturninus, de peu postérieur, et dont il ne reste également que quelques
allusions aux témoins, aux aveux et à l’accusation. Plus tard, le grand
juriste Paul consacrera un livre unique De iudiciis publicis à une époque où
le thème pouvait apparaître désormais obsolète en raison du
développement de la procédure extra ordinem (évoquée plus haut)
des préfets à Rome (R12). Et c’est de la même façon que l’on pourrait alors
justifier la publication par le même auteur d’un livre unique sur les crimes
extraordinaires et qui traite quant à lui de certains crimes qui n’avaient
pas été autrefois définis par des lois tels que, par exemple, le vol de bétail
(R29), le vol dans les établissements de bain ou par effraction (une série
que l’on retrouve dans le titre du Digeste, 47, 11, intitulé « des crimes
extraordinaires »). Enfin, Aelius Marcianus (Marcien) et Aemilius Macer
conservèrent eux aussi un titre inscrit dans cette lointaine tradition alors
qu’il n’était plus désormais question que de la procédure extraordinaire en
vigueur nourrie du contenu des rescrits des derniers Antonins, de Septime
Sévère (193-211) et de Caracalla (198-217).
En composant à peu près à la même époque un traité Sur les enquêtes
(De cognitionibus), Callistrate prenait acte de la désuétude des normes
procédurales issues des lois républicaines fondatrices des jugements
publics (iudicia publica) et du changement de la procédure pénale au cours
des deux siècles écoulés. Mais, précisément, il ne disposait pas de modèle
écrit auquel se référer sinon peut-être les traités centrés sur la fonction
des gouverneurs de province et des préfets de la Ville de Rome, aussi
expose-t-il à son lecteur la difficulté de méthode qui s’est présentée à lui
pour la composition de son ouvrage :

Dans la mesure où le nombre des enquêtes (cognitiones) tire son


origine de causes variées, on ne peut pas facilement le diviser en
« catégories » (genera), à moins d’établir une division sommaire ».
(Digeste, 50, 13, 5, pr.) (R44d)

♦ Sur la loi Iulia réprimant les adultères : une loi


privilégiée par la jurisprudence

L’adultère est le seul crime qui ait fait l’objet de monographies à


différentes époques de la part de Sextus Caecilius Africanus, Aemilius
Papinianus (Papinien), Iulius Paulus (Paul), Domitius Ulpianus (Ulpien).
Pourquoi un tel intérêt pour ce crime, en particulier apparu depuis la Loi
Iulia réprimant les adultères (entre 18 et 16 av. J.-C.) sous Auguste ? Le droit
reconnu de mise à mort des coupables dans certaines circonstances de
flagrant délit et la complexité de règles procédurales hiérarchisées
pouvaient assurément offrir aux juristes une technicité de leur approche
et matière à une réflexion casuistique particulièrement poussée (R23).

♦ Quelques monographies consacrées à des sénatus-


consultes

Cependant, certaines monographies ont été consacrées à des sénatus-


consultes qui relevaient de la procédure pénale. Que l’on songe au
commentaire proposé par Paul au sénatus-consulte Silanien de 10 ap. J.-C.,
emblématique de la violence d’une société servile où était à peine
réglementée la cruauté du maître (R22) et qui ordonnait en cas du meurtre
de ce dernier que tous les esclaves présents « sous le toit » au moment
des faits soient torturés et crucifiés, à l’exception sans doute du garçon
impubère ou de la fille non encore nubile qui bénéficiaient de l’excuse de
l’âge en dépit de leur statut servile (R39f1). Paul, de nouveau, ainsi que
Marcien après lui, ont également consacré l’un et l’autre
une monographie au sénatus-consulte Turpilien décrété en 61 ap. J.-C. à
l’instigation de P. Petronius Turpilianus et qui permettait de poursuivre
quiconque abandonnait une accusation sans raison (dans le système
accusatoire, on l’a vu, un tel revirement était désigné comme un acte de
tergiuersatio). L’ouvrage de Marcien était sans doute le plus approfondi, il
est aussi le mieux conservé (R15).

♦ De la fonction du proconsul : apparition d’un genre


à succès

C’est probablement dans les années 160 que parut le premier ouvrage
De la fonction du proconsul rédigé par Q. Venuleius Saturninus. Un demi-
siècle plus tard, Paul consacrait un traité sur la même question à peu près
au moment où Ulpien engageait la rédaction de son fameux De officio
proconsulis, une très large enquête, dont le succès ne se démentira pas tout
au long de l’Antiquité tardive. De nombreux fragments de ce texte
conservés au Digeste ou dans la Collatio legum figurent donc, dans les pages
qui vont suivre, notamment le premier titre « Sur les peines » cité dans
son intégralité (R37). Centré sur la charge exercée par le gouverneur dans
les provinces (qu’il s’agisse du « proconsul » à proprement parler, c’est-à-
dire du gouverneur des provinces du peuple, ou du « légat » à la tête
des provinces impériales, l’un et l’autre étant finalement presque
systématiquement désignés plus tard sous le nom de « gouverneur »,
praeses), ce manuel de bon gouvernement s’apparente essentiellement à
un ensemble de considérations relatives à la fois au maintien de l’ordre et
à l’exercice de la justice pénale dans l’Empire. D’autres fonctions, telles
que le préfet de la Ville (R12) et le préfet des vigiles, ont fait l’objet de
l’attention de Paul et d’Ulpien également.

♦ Sur les peines des militaires : la discipline aux armées


et le droit applicable aux soldats

Depuis ses origines, le classement censitaire du corps civique romain


recoupait essentiellement des préoccupations d’organisation militaire.
Chaque année l’armée civique entrait en campagne, de plus en plus loin de
Rome, au fur et à mesure des progrès de la conquête. Au même moment,
la garantie offerte par l’appartenance civique au regard de la procédure
pénale augmentait à raison du perfectionnement de la loi dans ce
domaine. Que devenaient alors les garanties des citoyens lorsqu’ils
n’étaient plus sur le territoire de la cité, mais lorsqu’ils se trouvaient en
campagne avec les règles d’obéissance au chef qui s’imposaient à
la guerre ? Assurément, la discipline militaire l’a emporté sur toute autre
considération, en dépit de ce que l’on a parfois supposé de l’extension du
« droit d’appel » (prouocatio), qui aurait été efficace y compris en situation
de guerre. L’arbitraire a assurément été réprouvé, mais la discipline
toujours l’a emporté (R3). Sous le Principat, l’armée disposée aux
frontières était constituée de citoyens servant dans les légions et de
pérégrins engagés dans les troupes auxiliaires. Ils obéissaient aux ordres
de leurs chefs et étaient soumis aux sanctions que ceux-ci décidaient de
leur infliger. Peu à peu, cependant, s’était constitué un droit pénal où
interféraient les questions de discipline proprement dite (désertion,
manquement aux ordres, etc.) et la répression des crimes qui pouvaient
être commis dans un autre contexte que celui de l’armée (meurtre,
e
vol, etc.). C’est ainsi que pour la première fois au milieu du II siècle fut
composé un traité relatif à ce domaine par P. Tarutenus Paternus,
un proche de Marc Aurèle (161-180) et qui exerça notamment sous son
règne la préfecture du prétoire. En quatre livres il publia un traité De
la chose militaire (De re militari) traitant du statut juridique du soldat et du
droit pénal militaire. Un peu plus tard, entre 198 et 210, Arrius Menander
publia sur le modèle de son prédécesseur un traité intitulé de la même
façon et relatif à l’admission dans l’armée, au statut juridique des soldats
(et des vétérans), à la discipline et au droit pénal. Il fallut attendre le livre
de Paul Sur les peines des militaires, pour que le droit pénal trouve ici
un exposé isolé du reste des questions relatives au service dans l’armée ou
à la vie privée des militaires. Ce traité a pu servir de modèle à Modestin
pour rédiger le quatrième livre de son traité Sur les peines (R38) qui
constitue, on l’a vu, l’aboutissement d’un effort des juristes pour
construire un exposé de droit pénal unifié, tous domaines confondus.

♦ Sur les peines des non militaires : un effort


de catégorisation au service des juges

Tandis que se dessinait peu à peu une construction organique du droit


pénal, le registre des peines appliquées aux non militaires constituait
un autre volet. C’est en tout cas sous ce titre que fut publié le traité de
Claudius Saturninus Sur les peines des non militaires (De poenis paganorum).
Le personnage est mal connu, parfois confondu avec son homonyme
Venuleius Saturninus évoqué plus haut, et son traité taxé par les
modernes de maladresses… Et pourtant, le long fragment qui subsiste de
son ouvrage publié autour de 200 ap. J.-C. mérite assurément que l’on y
porte une attention particulière puisqu’il s’efforce de définir l’ensemble
des critères qui permettent à un juge d’apprécier la culpabilité et de
décider de la peine (R36).
De la fin de la jurisprudence classique
(autour de 235) aux premiers « codes »
de lois (années 290)
L’œuvre de Modestin évoquée plus haut et qui peut être considérée
comme la première tentative de présentation systématique d’un « droit
pénal » divisé en quatre volets précède également de peu, alors que son
auteur donnait encore des consultations sous le règne de Gordien III (238-
244), un reflux de la jurisprudence après l’intense production de l’époque
des Antonins (98-192) et des Sévères (193-235). Ce n’est pas le lieu d’en
examiner ici les raisons, mais assurément cette effervescence elle-même,
par le perfectionnement auquel elle a mené et l’autorité acquise par
l’œuvre accomplie, est sans doute à l’origine de l’épuisement qui a suivi.
Cette extinction de la « jurisprudence classique » correspond également à
la série de graves crises traversées par un empire menacé sur toutes ses
frontières, aux prises avec les usurpations et les sécessions, dans
les décennies suivantes (tout particulièrement de 268 à 284). Le nom d’un
juriste émerge encore pourtant dans la deuxième moitié du IIIe siècle, celui
d’Arcadius Charisius qui exerça certainement une charge à la cour
des premiers tétrarques, Maximien et Dioclétien, dès le milieu
des années 290. Son ouvrage Sur la fonction du préfet du prétoire est perdu.
Ce traité s’inscrivait dans la tradition des monographies liées à
une « fonction » (préfet, gouverneur, magistrat) dans le domaine
particulier de l’exercice de la justice criminelle. Son autre traité Sur
les témoignages, en un livre, reflète bien le changement qui s’est opéré – ou
qui a été entériné – depuis l’époque de Callistrate qui avait étudié ce
domaine. Alors que celui-ci distinguait encore les aspects procéduraux
relatifs au « témoignage » proprement dit et ceux qui relèvent de
la « torture » (quaestio), les deux domaines sont désormais confondus dans
le livre d’Arcadius Charisius (R16). De la même période date également
l’ouvrage des Sentences dites de Paul (le Pseudo-Paul). L’auteur, un inconnu
qui a sans doute écrit en Afrique dans les années 290, a usurpé le nom du
célèbre juriste de l’époque sévérienne pour donner plus d’autorité à son
petit ouvrage. Pour en garantir l’authenticité il prétend, sous le nom de
Paul, adresser son enseignement à son fils. L’auteur puise chez Paul,
certes, mais aussi chez d’autres juristes tels Ulpien, Papinien, dans
une moindre mesure chez Marcien et Modestin, et surtout dans
e
les constitutions impériales du III siècle. Plutôt que d’un commentaire
véritable, il s’agit de l’addition de brèves remarques. Dans le domaine
pénal, il établit un inventaire de crimes et expose de nombreuses
dispositions relatives à l’application des châtiments, en généralisant
systématiquement la discrimination entre les peines qui s’appliquent aux
humbles (humiliores) et celles qu’encourent les personnes honorables
(honestiores). Un bon nombre d’extraits de cet ouvrage sont conservés sous
les titres de la Collatio legum (R20-33) évoquée plus bas. Si la succession
des titres du livre 5 essentiellement consacré à la répression des crimes
n’est pas très rigoureuse, on voit se succéder quelques dispositions
relatives à l’engagement de la procédure – dénonciateurs, torture,
témoins, torture des esclaves, arrêt de la poursuite (abolitio) –, suivies d’un
effort d’assemblage des différents crimes. Ils sont alors tantôt désignés par
leur qualification propre issue du développement de la justice pénale extra
ordinem sous l’Empire – voleurs de bétail, sacrilèges, incendiaires,
prophètes et astrologues, auteurs de séditions –, tantôt en référence à
l’ordo des lois de la fin de la République : loi Cornelia sur les assassins et
les empoisonneurs, loi Pompeia sur les parricides, loi Cornelia
testamentaire, loi Iulia sur la violence publique et privée, etc. Dans
un souci de complétude un titre Sur les peines des militaires clôt cette liste.
Cette succession s’achève par un petit dossier de six titres relatifs à
« l’appel » d’un jugement. On voit ici se dessiner, d’une manière, ni
rigoureuse, ni complète, une succession qui caractérisera la mise en ordre
des dispositions de droit pénal dans les codes comme dans le Digeste, à
savoir une tripartition presque temporelle entre les aspects procéduraux
d’ouverture de l’enquête (reflets de leur époque, ils sont ici centrés sur
le recours à la torture), l’inventaire des crimes imputés (divisés entre ceux
qui sont relatifs aux lois de la fin de la République et ceux qui ont été
qualifiés postérieurement sous l’Empire sans substrat légal), l’issue
possible par une voie de recours contre la sentence. Les peines ne sont pas
énumérées par regroupement car leur désignation est omniprésente sous
chacun des titres.
Cependant, la production de constitutions impériales faisait également
e
émerger dans le courant du III siècle la nécessité d’y mettre de l’ordre en
les compilant. Ainsi naissait l’idée de compiler ces lois, de les rassembler
en un recueil. Le support adopté pour ce recueil reflète une évolution
matérielle de l’écrit qui s’était accomplie au cours des premiers siècles de
l’empire. Ce support n’était plus en effet constitué d’un rouleau de
papyrus, un uolumen, mais il avait la forme d’un livre en parchemin à
pages reliées, un codex : c’est ce terme de codex, « code » en français, qui a
ensuite désigné une forme particulière de compilation de textes
juridiques, la « codification ». Le premier effort de compilation porte
le nom de Code Grégorien. Son auteur Gregorius pourrait avoir été
un fonctionnaire impérial en fonction du milieu des années 280 au milieu
des années 290. Si l’ouvrage lui-même ne s’est pas conservé jusqu’à nous,
une bonne partie des constitutions impériales qu’il rassemblait (celles
antérieures à l’année 292) ont été intégrées au Code de Justinien. Ces lois
impériales étaient dépouillées de leur préambule et de leur conclusion,
seules étaient conservées les dispositions positives qu’elles contenaient.
Elles étaient classées en une cinquantaine de titres, et à l’intérieur de
chaque titre elles étaient exposées dans l’ordre chronologique. Dans
la mesure où ce principe de découpe, de mise en ordre et de classement
des textes sera suivi par les compilations successives, le Code Grégorien
constitue un jalon essentiel, même s’il ne s’agissait encore sans doute que
d’une initiative à caractère privé, c’est-à-dire dont la mise en circulation
et l’utilisation n’avaient pas été prescrites en se fondant sur l’autorité de
l’empereur. Il sera suivi presque immédiatement du Code hermogénien,
une entreprise plus modeste qui contenait les rescrits préparés par son
auteur à l’époque où celui-ci exerçait une fonction à la chancellerie
impériale dans les années 293-294, ainsi que quelques autres constitutions.
Plus d’un siècle s’écoulera avant que l’empereur Théodose II ne
programme en 429 une nouvelle entreprise de compilation qui
débouchera sur la publication du Code théodosien en 438. Dans l’intervalle
avait été composé un petit ouvrage singulier et isolé, d’une tout autre
nature que les codes, mais essentiel pour la connaissance du droit pénal
romain, à savoir, selon sa désignation la plus courante, la Confrontation
des lois mosaïques et romaines (Collatio legum mosaïcarum et romanarum) ou
encore, selon le titre qui figure sur les trois manuscrits qui en ont été
conservés, Loi de Dieu que le Seigneur (ou Dieu) a enseignée à Moïse (Lex dei
quam praecepit dominus (ou deus) ad Moysen).

Un singulier essai de droit pénal


comparé : la Confrontation des lois
mosaïques et romaines ou Collatio legum
« La Collatio legum constitue un recueil comparatif de droit mosaïque et
de droit romain, composé (…) par un auteur inconnu et dans un but
incertain, dont un long fragment nous a été transmis par trois manuscrits
indépendants venant d’un archétype commun » 5. En supprimant de cette
description laconique la date de composition (car elle est elle-même très
débattue), sans doute peut-on dire que cet énoncé constitue la base
commune de toutes les discussions relatives à ce texte. L’interprétation de
l’ouvrage connu sous le nom de Collatio legum mosaïcarum et romanarum
(mais les trois manuscrits en question portent le titre de Lex dei quam
praecepit dominus (ou deus) ad Moysen) a fait en effet l’objet de nombreuses
et vives controverses. Sur les seize titres conservés de l’ouvrage nous
n’avons traduit ici que les quinze premiers qui traitent du droit pénal en
énonçant les règles mosaïques selon l’ordre du Décalogue, et nous avons
seulement écarté le titre relatif au droit testamentaire (hors-sujet). De
quelle Bible les extraits du Pentateuque sont-ils tirés ? D’une traduction
latine des Septante, elle-même antérieure à la Vulgate de saint Jérôme et
très voisine de celle conservée à Lyon 6. L’ouvrage cite les œuvres de Paul,
Ulpien, Modestin, Papinien et Gaius, mais aussi le Pseudo-Paul et
le Pseudo-Ulpien. Il cite également des constitutions qui ont été
conservées dans les Codes Grégorien et Hermogénien. Et puis, de façon tout à
fait isolée, une constitution datée de l’année 390 et dont une version
différente figure aussi dans le Code théodosien. Cette « intrusion » a été
diversement interprétée : peut-elle servir de marqueur chronologique à
l’ouvrage ? Doit-elle être considérée comme un ajout postérieur (R24) ? On
ne tranchera pas non plus la question de la religion de l’auteur de
la Collatio legum. Était-il chrétien ? Était-il juif ? Quelle voix faut-il
reconnaître dans cette apostrophe étonnante : « Sachez, ô juristes, que
Moïse a établi cela antérieurement… » (Coll., 7, 1, 1) (R26). La question de
l’appartenance religieuse de l’auteur est peut-être impossible à résoudre
et l’intérêt des interrogations qu’elle suscite tient essentiellement à
e
la description de milieux intellectuels et religieux au tournant des IV et
e
V siècles. L’attribution de la composition de la Collatio legum à un juif ou à
un chrétien est devenue un argument de rhétorique et de doctrine. Ce
débat vaut pour tout ce qu’il mobilise de connaissances autour de ce
traité, plutôt qu’il n’en éclaire véritablement le contenu. Pour ce qui
concerne une histoire du droit pénal romain, soulignons principalement
le très grand intérêt de ce recueil qui non seulement conserve des textes
qui auraient autrement disparu, mais qui de surcroît permet de
comprendre, par comparaison, le travail qui a été celui des compilateurs
byzantins. Ces derniers, comme on a déjà eu l’occasion de le souligner, ont
bien souvent largement amendé les textes conformément aux
recommandations qui leur avaient été adressées par l’empereur Justinien.

Du Code théodosien (438) au Corpus iuris


ciuilis (528-534) de Justinien
♦ Publication et composition du Code théodosien

L’un des critères de datation de la Collatio legum repose donc sur


la présence assez surprenante, au sein d’un ouvrage dont
e
la documentation n’est pas antérieure aux dernières années du III siècle,
d’une constitution de l’année 390. Celle-ci est conservée en des termes
différents dans le Code théodosien : autre énigme ! Dans la forme, ce dernier
constitue assurément l’aboutissement des codes d’époque tétrarchique
(Grégorien et Hermogénien), il répond également aux attentes de
clarification qui se faisaient jour au moins depuis le règne de Constantin,
mais il innove dans la mesure où il s’agit de la première promulgation
officielle d’un code constituant un outil de référence exclusif pour
la pratique des tribunaux : les lois qui n’y auraient pas été incluses ne
pouvaient être invoquées par les juges ou les parties. Rappelons en
quelques mots la genèse d’un ouvrage majeur pour la connaissance de
la législation impériale depuis le règne de Constantin (306-337) jusqu’à
celui de Théodose II (408-450), et concentrons-nous brièvement sur
les dispositions relatives au droit pénal essentiellement rassemblées dans
le neuvième de ses douze livres. En 429, l’empereur Théodose II avait déjà
envisagé de codifier non seulement « les lois » mais aussi « le droit » (Code
théodosien, 1, 1, 5), c’est-à-dire notamment l’œuvre de la jurisprudence,
sans mettre aussitôt ce plan à exécution. Ce n’est que neuf ans plus tard,
en 438, qu’une partie du projet initial fut exécuté, à savoir
une compilation des constitutions impériales (essentiellement des lois
générales) depuis le règne de Constantin jusqu’au sien propre. Le code fut
promulgué dans les deux parties d’un empire désormais divisé entre
Orient et Occident. Pour parvenir à ce résultat, les textes originaux
recueillis dans les archives avaient été amputés de parties inutiles et
avaient été découpés de façon à figurer de manière fragmentaire, en
fonction du thème développé, sous différents titres de l’ouvrage. Ces
fragments avaient été ensuite disposés dans l’ordre chronologique sous
chacun des titres. La prise en compte de cette fragmentation est
évidemment un élément indispensable à la compréhension
des dispositions que nous lisons aujourd’hui. Les fragments de lois
compilés sous le règne de Théodose II (408-450) ont été lus et commentés
dès l’époque wisigothique, lorsque le roi Alaric II (484-507) publia son
Bréviaire, en 506, puisant dans la législation des empereurs romains. C’est
e
de ce commencement du VI siècle ap. J.-C., donc, que datent
les « interprétations » (interpretationes) qui suivent certains fragments
des lois et qui ont été conservées dans les éditions modernes du Code
théodosien . Sur le contenu de chaque loi, qu’apporte ce premier effort
7

d’exégèse, mené moins de trois quarts de siècle après la publication du


Code de l’empereur romain, à la demande du roi des Wisigoths ? Peu de
choses, en apparence, comme on le vérifie aisément en se reportant aux
quelques exemples qui figurent dans les prochaines pages (R18f-R18g ;
R39p ; R45a ; R45j ; R45r ; R48c ; 50k1-50k2). Ces brefs commentaires
frappent par l’effort de concision et de clarté, bien éloigné de
la rhétorique débordante de la chancellerie impériale qui avait présidé à
la rédaction du texte d’origine, objet de l’interpretatio. Toutefois, dans leur
simplicité et dans leur effort de synthèse, en raison du travail même
« d’interprétation » du droit – cet exercice très romain ! – dont elles
témoignent, ces « interprétations » sont des indicateurs importants de
la pérennité des lois romaines et de leur mise en vigueur dans un royaume
« barbare », quatre décennies seulement après la déposition en 476 du
jeune Romulus Augustule, le dernier empereur romain d’Occident ayant
encore sa résidence à Rome (Iulius Nepos son prédécesseur en fuite fut
assassiné en 480 en Dalmatie).
Les fragments de loi du Code théodosien, isolés de leur contexte initial,
peuvent prendre un autre sens, comme on s’en rend compte quand, par
chance, on dispose de l’intégralité du texte, et qu’il est alors possible de
prendre connaissance de ses différentes articulations. Tel est le cas, sans
doute unique, du fameux « édit sur les accusations » dont on pense parfois
aujourd’hui qu’il est imputable à Licinius plutôt qu’à Constantin.
La préservation d’inscriptions offrant une version presque complète du
texte permet de resituer dans la cohérence générale de la loi les fragments
qui en ont été conservés dans les codes (R17).

♦ L’ordre du livre 9 (exclusivement consacré


à la répression des crimes) du Code théodosien

Quel ordre la commission de questeurs du palais réunis à l’initiative de


Théodose a-t-elle suivi dans son classement des fragments de
constitutions relatifs au droit pénal dans le livre 9 spécifiquement
consacré à ce domaine ? La question mérite d’être posée afin d’identifier
l’émergence éventuelle d’une perception systémique du droit pénal dans
le monde romain, en ce premier tiers du Ve siècle, alors qu’un siècle
auparavant les traités des juristes (Modestin en particulier) en avaient
esquissé seulement une conception unitaire. En raison même du principe
de fragmentation évoqué plus haut, la réponse devrait s’accompagner
également d’un inventaire exhaustif des fragments répartis dans d’autres
livres et dans d’autres titres, et qui relèvent pourtant de la répression
des crimes. Rappelons brièvement les quelques acquis d’une recherche
antérieure dans ce domaine. Le parcours débute par trois titres relatifs à
l’introduction de l’instance, à savoir les modalités d’enregistrement de
l’accusation, l’arrestation et la comparution des prévenus, et la garde dont
ils font alors l’objet. Suit une trentaine de titres qui constituent
un inventaire des crimes. Ces titres sont par un système de
« constellations » rassemblés en douze formes de crimes dans l’ordre
suivant : lèse-majesté ; délits sexuels ; violence et meurtre ; magie et
violation de sépulture ; plagium (c’est-à-dire le détournement de l’esclave
d’autrui ou l’asservissement de personnes libres) ; faux ; atteinte à
la propriété par l’usage de la violence ; falsifications relatives au cours de
la monnaie ; rapt ; corruption ; criminalité rurale ; séditions urbaines.
Après l’énumération des crimes sont rassemblés six titres qui relèvent du
déroulement de la procédure, si celle-ci vient à être perturbée par
un facteur positif ou négatif (libelles diffamatoires, torture, limite
temporelle et suspension de la poursuite, grâce, calomnie). Enfin, la liste
des sentences rassemble quatre titres où prédomine la question des biens
de l’accusé. La saisie des patrimoines des condamnés a constitué en effet
durant toute la période impériale une préoccupation majeure du
législateur comme on le constatera en se reportant à la fin de cet ouvrage
(R46 ; R47 ; R48) ou encore au titre Sur les peines du Code théodosien
(R45). La citation intégrale de ce titre révèle cette même préoccupation
patrimoniale (à l’occasion de la répression d’usurpations ou de la disgrâce
de hauts personnages de la cour impériale). Ce titre Sur les peines reflète
une autre évolution essentielle dans cet Empire devenu chrétien, à savoir
l’intervention des évêques ou des moines dans l’exercice de la justice
criminelle. Le dernier groupe, relatif au droit d’asile, mentionne enfin, au
côté des statues des empereurs qui revêtaient cette fonction depuis
le Principat, l’asile offert en principe par les églises. Autre changement
d’époque ! Autre continuité également, de l’une à l’autre !
Du projet de Théodose II (408-450) à
l’achèvement du Corpus Iuris Ciuilis
de Justinien (527-565)
On se souvient que le projet de Théodose II formulé en 429 envisageait
également, outre l’arrangement dans un code des lois impériales,
un travail de compilation de la jurisprudence (Code théodosien, 1, 1, 5).
L’empereur y renonça en se contentant d’inclure dans son code la loi dite
des « citations » de 426 selon laquelle (Code théodosien, 1, 4, 3) seuls les avis
de cinq juristes considérés comme détenteurs de la plus haute autorité
(Gaius, Papinien, Paul, Ulpien et Papinien) seraient désormais pris en
considération. En cas de contradiction l’avis de la majorité l’emporterait,
en cas de solution inextricable Papinien serait le vainqueur. Quant aux
avis d’autres juristes, il fallait que ces cinq-là les aient validés en les citant
eux-mêmes pour qu’ils soient recevables. On le comprend, c’était donner
un aboutissement simple au projet colossal de compilation de
la jurisprudence, tout particulièrement dans le domaine du droit civil qui
est la science par excellence du droit romain. Dans le domaine du droit
pénal les conflits éventuels entre deux avis contradictoires étaient de
nature à être aisément résolus, puisqu’ils constituaient un choix, plutôt
qu’une solution de droit fondée sur un raisonnement casuistique. Tout
juste si en matière de relégation, par exemple, on a pu assister à
des divergences sur le temps de réintégration des exilés dont
la considération sociale avait été atteinte par la peine (R44). Toujours est-il
que la solution trouvée pour pallier les méandres de la jurisprudence par
la loi des citations ne constituait en rien un travail raisonné à la mesure de
la tâche à accomplir. Elle devait l’être sous le règne de Justinien (527-
565) avec la fabrication du Digeste, tandis que le Code théodosien avait été
réactualisé et complété, peu de temps auparavant, par la prise en compte,
en aval, de lois impériales édictées depuis, et de celles, en amont,
remontant au-delà de Constantin (306-337) jusqu’au règne d’Hadrien (117-
138). Cette première version du Code de Justinien fut réactualisée quelques
années plus tard, et c’est cette deuxième version (promulguée en
avril 529) qui est parvenue jusqu’à nous. En matière de droit pénal,
les principes d’organisation et de classement qui avaient émergé depuis
le troisième siècle n’avaient pas subi de modification notable. Plus
profondément encore, la distinction originelle entre les délits privés et
les crimes publics subsistait comme le proclame la constitution tanta, où
sous la plume du juriste Tribonien s’élève la voix de Justinien pour
désigner les deux livres relatifs à la répression pénale :

8a. Et après ceux-ci ont été insérés deux livres effrayants (duo
terribiles libri) relatifs aux délits (delicta) privés et extraordinaires,
ainsi qu’aux crimes (crimina) publics qui contiennent toute
la sévérité et l’horreur des peines. Y ont été mêlées les dispositions
qui ont été prises au sujet des hommes remplis d’audace qui
tentent de se cacher et qui refusent de comparaître (contumaces), et
celles qui concernent les peines qui sont infligées aux condamnés
ou qui leur sont épargnées. 8b. A également été composé un livre
unique relatif aux appels (appellationes) qui nous sont adressés
contre les sentences aussi bien civiles que criminelles par
lesquelles des causes ont été achevées. (Code de Justinien, 1, 17, 2,
8a-b)

L’ordre ici proclamé n’obéit pas pourtant à la plus grande rigueur. En


principe le livre 47 du Digeste rassemble les « délits privés », et
le livre 48 les « crimes publics » selon la dichotomie soulignée au
commencement de cette introduction. Et pourtant, c’est au milieu de
la première catégorie que surgissent tout à coup (Digeste, 47,
17) les « crimes extraordinaires » les plus divers. Ils paraissent avoir été ici
rassemblés à défaut d’un autre endroit pour les insérer, tant la matière qui
s’offrait aux compilateurs était ample et diverse. Dans son éclectisme,
l’énumération de ces crimes est significative : tentative pour briser
un mariage, « atteinte aux bonnes mœurs », détournement et viol
d’un enfant, réunions illicites, stellionat (désignation singulière de l’abus
de confiance et de l’escroquerie forgée sur le nom d’un lézard moucheté et
venimeux, le stellio), spoliation d’hérédité, avortement, diffamation du
maître par l’esclave abusant du droit d’asile, manipulations diverses
portant atteinte au cours des vivres et à la régularité des échanges
commerciaux, fausses mesures, différents types de vols, usages
particuliers à certaines provinces tels que le scopelismon répandu en Arabie
(pratique consistant à disposer des pierres maléfiques, afin d’empêcher
l’exploitation d’un champ sous menace de mort), détérioration des digues
en Égypte, « dommages » provoqués par les circulatores ou charmeurs de
serpent ! La variété des crimes ici réunis appartient à un inventaire bien
plus vaste qui est le reflet des pratiques sociales et de la morale d’époques
diverses, à l’échelle des multiples régions d’un Empire pluriséculaire.
Aucune statistique n’est possible, bien sûr, mais les Romains eux-mêmes
avaient conscience d’une disparité régionale ou provinciale de
la criminalité, selon les milieux ou les cultures. En attestent par exemple
les observations de Claudius Saturninus sur la sévérité accrue des peines
dans les régions où certains crimes sont plus fréquents (incendies de
récoltes en Afrique, de vignes en Mysie, fausse monnaie dans les régions
minières) (R36). Le vol de bétail faisait la réputation des habitants de
l’Espagne (Commentaire à R29). La répression de l’inceste témoigne
encore de la singularité de l’Égypte (R25). La pratique interdite de
la circoncision des esclaves était beaucoup plus répandue en Orient
(Commentaire à R22). Le rejet du sacrifice humain, en dépit de toutes
les incertitudes offertes par ce dossier, s’est manifesté particulièrement en
Afrique (sacrifices d’enfants à Saturne) ou en Gaule (pratiques supposées
des druides). L’inventaire serait long de conduites sans doute différenciées
selon les peuples conquis, sans oublier qu’elles ne sont jamais dissociables
naturellement de l’amplification donnée par nos sources à des exemples
isolés ou à des stéréotypes qui ont été forgés par la conquête elle-même.
Enfin, il faudrait prendre également en compte l’inégale distribution à
l’échelle de l’Empire de religions qui, selon les époques, sont apparues
comme des atteintes à l’ordre : le judaïsme à Alexandrie (sous Caligula, en
38 ap. J.-C.), puis, après la destruction du temple de Jérusalem (70 ap. J.-C.),
lors des grandes révoltes des règnes de Trajan (98-117) et Hadrien (117-
138), le christianisme lors des persécutions (R12 ; R13 ; R18), ou encore
le manichéisme dès la fin du IIIe siècle (R33), et, dans les décennies
suivantes, les hérésies telles que le donatisme en Afrique (du début du
e e
IV siècle au milieu du VI siècle).

L’histoire du droit pénal romain, dans la mesure où il est possible de


la restituer jusque dans ses particularités régionales, est aussi, à partir de
l’époque de la domination impériale, le révélateur d’un processus de
« romanisation » des peuples soumis dans les contrées les plus diverses.
Sous l’angle de la procédure pénale, c’est-à-dire du point de vue
des modalités d’exercice de la justice, il est tentant de rappeler de
nouveau le constat lapidaire de Marc Bloch dans La société féodale (1939-
1940) : « Comment les hommes étaient-ils jugés ? Pour un système social,
point de meilleure pierre de touche que celle-là » . Sous l’angle du droit
8

pénal, c’est-à-dire au regard de l’inventaire des crimes et des châtiments


qui leur sont associés, en suivant leurs variations selon les lieux et
les époques, l’histoire sociale est également soumise à un crible fin.

Principes d’organisation de l’ouvrage


L’histoire du droit pénal romain proposée dans cet ouvrage ne prétend
évidemment pas à l’exhaustivité d’un exposé systématique. Un doute
pourrait naître de son titre et de l’étendue de la période qu’il recouvre.
Romulus, le fondateur de Rome, est un personnage légendaire et toute
interprétation du droit le plus ancien, celui qui remonte à la période
royale s’avère particulièrement délicate en raison de l’état de
la documentation. Cependant, comme le montre le dossier des « lois
royales », les Romains faisaient précisément remonter à cette période
l’existence de normes qu’ils ont rappelées tout au long de leur histoire.
Lorsqu’il entreprit de clarifier le droit, grâce à l’énergie et au soutien
décisif du juriste Tribonien (500-547), l’empereur Justinien déclara avoir
« découvert que tout le chemin des lois, qui remonte à la fondation de
la Ville et à l’époque de Romulus, était dans un état de confusion tel qu’il
s’étendait à l’infini et ne pouvait être contenu par la faculté d’aucune
nature humaine » 9. En dépit des lacunes considérables de l’époque
des origines, une histoire du droit pénal romain ne pouvait donc écarter
de son propos la perception romaine elle-même et la mémoire de
la fondation. Pour le reste, l’essentiel des pages qui vont suivre
concernent des institutions, presque toutes nécessairement postérieures à
la publication de la Loi des XII Tables dont les versets sont connus par
les auteurs qui les citent, des siècles plus tard parfois. L’essentiel
des sources ici rassemblées couvre les trois derniers siècles de
la République et surtout la jurisprudence impériale, ainsi que les lois
des empereurs.
En raison du profond renouvellement de la recherche depuis
une quarantaine d’années dans le domaine ici abordé ‒ un regain d’intérêt
qui s’inscrit naturellement dans la continuité des ouvrages majeurs
publiés depuis le milieu du XIXe siècle ‒, le temps est peut-être venu de
la publication d’une entreprise collective qui viserait à établir un état
des lieux par un recensement encyclopédique et comparatiste, en
confrontant le monde romain à d’autres régimes de pénalité de
l’Antiquité. Dans le présent volume il s’est agi seulement d’offrir à
la réflexion, en une cinquantaine de rubriques (sigle R) articulées entre
elles par leur ordonnancement thématique ou chronologique et
la récurrence de renvois signalant les rapprochements de l’une à l’autre,
un panorama de certains chapitres incontournables à partir d’une
documentation essentiellement normative et descriptive. À l’intérieur de
chaque rubrique, partout où cela est possible, le titre qui précède
le document cité indique la date de l’événement rapporté et la date de
la source en question. Il faudrait naturellement ajouter à cet ensemble
le vaste corpus papyrologique, pour ce qui concerne la pratique
des tribunaux de l’Égypte romaine – tout à fait mis à l’écart de ce travail ‒,
et procéder à l’inventaire systématique des sources épigraphiques, alors
que l’on trouvera seulement dans les pages qui suivent quelques
inscriptions exceptionnelles : la tablette en bronze de Tiriolo relative à
la répression des bacchanales en 186 av. J.-C. (R8), un extrait du sénatus-
consulte relatif à la confiscation des biens de Pison le Père en 20 ap. J.-C. et
à leur redistribution à ses fils (R47a), un autre concernant le sort de ses
deux complices (R42e), ou encore, conservé cette fois dans la pierre, l’édit
de Constantin (306-337) (ou de Licinius ?) Sur les accusations (R17).
Les documents ici rassemblés ont nécessairement fait l’objet d’une
sélection lorsqu’il s’agit des époques les plus récentes où
la documentation abonde – l’histoire du droit d’appel à l’époque impériale
(R50), récemment renouvelé, mériterait encore un élargissement de
l’enquête. Pour les époques les plus reculées, inversement, le dossier
des sources ne tient parfois qu’en quelques lignes, dont la minceur
contraste naturellement avec l’étendue des commentaires qu’elles ont
suscités chez les modernes. Cette quête des origines est d’autant plus
vertigineuse que, dans le domaine considéré, la production de normes
pour réprimer le crime et la violence touche à la nature même de
l’homme, ainsi qu’à la naissance de l’organisation sociale et de son
« perfectionnement ».
Les cinquante rubriques qui composent l’ouvrage sont réparties selon
un ordre traditionnel où se succèdent des règles de procédure, les crimes
et les peines. S’agit-il d’un mode de pensée moderne qui s’imposerait à
nous ? Pas exactement, si l’on repense aux tentatives de classement
e
des compilations tardives de la première moitié du VI siècle telles que
le Digeste, qui s’ouvrent précisément par les règles d’inculpation de
détention et de poursuite, énoncent ensuite la série des crimes, puis
la liste des peines, avant d’envisager les recours et de s’achever par l’appel
de la sentence.
La tripartition répandue chez les modernes constitue aussi
un classement commode, à condition de ne pas la tenir pour une division
de domaines séparés. Au fil du parcours et en faisant étape ici ou là,
le lecteur réalisera vite combien chaque rubrique, quelle que soit la place
qui lui a été destinée dans l’économie globale de l’ouvrage, contient
des dispositions relatives tout à la fois à la procédure, à la définition
des crimes et à la peine qui leur est associée. Comme le soulignait encore
Theodor Mommsen dans la préface de son Droit pénal romain en recourant
à une image particulièrement appropriée à ce champ d’étude, « il est
certain que le droit pénal sans la procédure pénale est comme un manche
de couteau sans lame et la procédure pénale sans le droit pénal comme
une lame de couteau sans manche ».

*
* *

Parmi les collègues et amis qui ont accepté de relire certains chapitres
de ce livre en me faisant part de leurs suggestions et de leurs corrections,
je tiens à remercier en premier lieu Philippe Moreau. Merci également à
Jean Andreau, Robinson Baudry, Yann Berthelet, Pierangelo Buongiorno,
Luca Gabbiani, Marie Goupy, Frédéric Hurlet, Soazick Kerneis, Jens Uwe
Krause, Thibaud Lanfranchi, Christel Müller, Fabrizio Oppedisano,
Pierfrancesco Porena, Sarah Rey, Umberto Roberto, Pierre Vesperini,
Stéphanie Wyler. Merci aux étudiantes et aux étudiants qui, par nos
échanges du lundi au cours de mon séminaire à l’EHESS, ont nourri ce
travail. Les trois séjours accomplis à la Kommission für alte Geschichte und
Epigraphik du DAI de Munich, à l’invitation de Rudolf Haensch et de
Christof Schuler, en 2018, 2019 et 2020, ont permis des avancées décisives
dans la réalisation de l’ouvrage. Qu’ils soient remerciés pour l’accueil et
les échanges suscités lors de ces résidences si stimulantes à
Amalienstrasse. Enfin, j’adresse ma profonde reconnaissance à Jean-Louis
Ferrary pour son amicale bienveillance, pour son éclairage sans cesse
renouvelé sur les mondes anciens et le temps présent, pour son
enseignement à la recherche, bien antérieurs à l’ébauche de ce livre et
sans lesquels celui-ci n’aurait pas pu voir le jour.
Sept ans ont passé depuis que Michel Casevitz avait accepté
d’accueillir le projet initial d’une anthologie commentée dans la collection
La Roue à Livres. Notre premier échange eut lieu, grâce aux
encouragements et à l’entremise de François Hartog et de John Scheid, en
2013. Tandis que je voulais le convaincre de mon expérience accumulée
dans la fréquentation des sources du droit pénal romain, en arguant d’une
vingtaine d’années de lectures dans ce domaine, il m’avait justement
averti avec humour : « Vous ne mettrez pas vingt ans de plus pour écrire
ce livre, n’est-ce pas ? ». Engagement tenu !

Y. R.
Brest, le 7 avril 2020

1. MOMMSEN 1907b, p. 595 (traduction personnelle). On ne s’étonnera pas de voir ici passée
sous silence, quarante ans à peine après la seconde offensive des troupes françaises en
Allemagne, l’entreprise de codification napoléonienne, inspirée pourtant de l’œuvre de
l’empereur Justinien, à laquelle est essentiellement redevable notre connaissance du droit
romain dans son ensemble. Le Code de Justinien, précisément, avait été traduit en français en
1807 par le jurisconsulte P.A. Tissot, fervent admirateur de « ce monument de la sagesse
humaine », afin de poursuivre, un demi-siècle après, la traduction du Digeste et des Institutes
par H. Hulot. L’ensemble de ce Corps de droit civil romain en Latin et en Français sera réimprimé en
1979… à Aalen, en Bade-Wurtemberg.
2. MANTOVANI 2002 ; LAURENDI 2013.
3. FRANCIOSI 2003.
4. CRAWFORD 1996, II, p. 561.
5. GIRARD-SENN 1977, p. 545.
6. FRAKES 2011, p. 84-97.
7. LIEBS 2002, p. 148-152.
8. BLOCH 1994, p. 495.
9. RIVIÈRE 2013b et RIVIÈRE 2017c.
PREMIÈRE PARTIE

LA PROCÉDURE
1

« Qu’il soit sacré ! ». La consécration


à une divinité ou le meurtre impuni

a. Étiologie tardive de la formule


« homme sacré » (Macrobe, Saturnales,
3, 7, 5-8 ; 420-430 ap. J.-C.)
5. Parvenu à ce point, il ne semble pas étranger à notre propos de
rendre compte de la condition de ceux que les lois ordonnent d’être
consacrés (sacros) à certains dieux, car je n’ignore pas qu’il semble
étonnant à certaines personnes qu’il existe un droit (ius) de tuer (occidere)
un homme sacré (homo sacer), alors même qu’il n’est pas conforme au droit
religieux (nefas) de porter atteinte (uiolari) à toutes les autres choses
sacrées. 6. La raison de ce fait est la suivante : les anciens ne souffraient
pas qu’un animal sacré soit sur leurs terres (fines), ils le repoussaient alors
vers les terres des dieux auxquels il était consacré et ils estimaient même
que les âmes des hommes consacrés (sacrati) que les Grecs appellent Zanes
étaient dues aux dieux. 7. De même qu’ils n’hésitaient pas à éloigner d’eux
cet animal sacré qui ne pouvait pas être envoyé aux dieux eux-mêmes, de
même ils ont voulu que les âmes dont ils estimaient, une fois qu’elles
avaient été sacrées, qu’elles pouvaient être envoyées au ciel, s’y rendent
au plus tôt dépouillées du corps. 8. Trebatius discute encore de cette
coutume au livre 9 de ses croyances religieuses dont j’ai délibérément
omis la citation pour ne pas être trop long. Pour qui voudrait le lire, il
suffira que l’auteur et la numérotation du volume aient été indiqués ici.

b. Les quelques « lois royales »


qui contiennent l’injonction « qu’il soit
sacré » ou la clause de consécration
à une divinité

B1. LES COUPS DE L’ENFANT ET DE LA BRU CONTRE LE PÈRE (PARENS) :


LES LOIS DE ROMULUS ET DE SERVIUS TULLIUS (VERRIUS FLACCUS,
DE LA SIGNIFICATION DES MOTS, FIN DE L’ÉPOQUE AUGUSTÉENNE ; D’APRÈS
e e
L’ABRÉGÉ DE FESTUS, P. 260 LINDSAY, 2 MOITIÉ DU II SIÈCLE AP. J.-C.)

Crier (plorare) signifie maintenant « verser des larmes », <appeler


quelqu’un en criant (inclamare)> et avec le préfixe « invoquer avec
des larmes » (implorare), c’est-à-dire appeler au secours (inuocare) : tandis
que chez les anciens cela voulait dire précisément appeler quelqu’un en
criant (inclamare). Dans les lois du roi Romulus et de Tatius, on lit : « si
la bru (nurus) […], qu’elle soit rendue sacrée (sacra estod) aux mânes (diuae)
des ancêtres (parentes) ». Dans celles de Servius Tullius : « si un enfant bat
de verges (uerberare) un père (parens) et que d’autre part le père crie, que
l’enfant soit rendu sacré (sacer estod) aux mânes du père ». Cela veut dire
qu’il a appelé en criant, qu’il a déclaré un jour <de comparution> (dic[ere
diem]).

B2. PROTECTION DES RAPPORTS DE CLIENTÈLE (RÈGNE DE ROMULUS)


♦ Une loi sanctionnant la « trahison » réciproque
des liens de clientèle (Denys d’Halicarnasse, Antiquités
Romaines, 2, 10, 3, trad. d’après V. Fromentin
et J. Schnäbele ; 7 av. J.-C.)

La piété et la justice interdisaient aux uns et aux autres de se traîner


mutuellement en justice, de porter un témoignage ou de voter les uns
contre les autres, de se ranger chacun du parti des ennemis de l’autre.
Tout homme convaincu d’avoir enfreint l’une de ces règles tombait sous
le coup de la loi que Romulus avait établie contre la trahison (prodosia).
Le premier venu était en droit de le mettre à mort (kteinein osion), comme
une victime (thuma) à Zeus Katachtonios : car les Romains avaient
coutume de consacrer (katonomazein) à quelque dieu – et en particulier
aux divinités infernales – la personne de ceux dont ils voulaient qu’ils
soient tués impunément (nepoini). C’est précisément l’usage que Romulus
sanctionna en cette occasion.

♦ Interdiction du témoignage à charge entre patrons


et clients (Plutarque, Romulus, 13, 8 ; après 96 ap. J.-C.)

Aucune loi, aucun magistrat ne pouvait contraindre un patron à


témoigner contre un client, ou un client contre un patron.

B3. « ALIUTA » : VESTIGE FORMEL ET LEXICAL DES « LOIS » DE NUMA


POMPILIUS (VERRIUS FLACCUS, DE LA SIGNIFICATION DES MOTS,
FIN DE L’ÉPOQUE AUGUSTÉENNE ; D’APRÈS L’ABRÉGÉ DE FESTUS,
e e
P. 5 LINDSAY, 2 MOITIÉ DU II AP. J.-C.)

« Pour signifier ‘autrement’, les anciens employaient le mot aliuta au


lieu du mot aliter, en l’empruntant au grec alloiôs. Tel est le cas dans les lois
de Numa Pompilius : si quelqu’un a agi autrement (aliuta), qu’il soit lui-
même rendu sacré (sacer esto) à Jupiter ».
B4. LE DÉPLACEMENT DES BORNES LIMITROPHES EST UN SACRILÈGE (RÈGNE
DE NUMA POMPILIUS)

♦ Des sacrifices à Terminus, selon la loi de Numa


Pompilius (Verrius Flaccus, De la signification des mots,
fin de l’époque augustéenne ; d’après l’abrégé
de Festus, p. 505 Lindsay, 2e moitié du IIe siècle ap. J.-C. ;
lui-même conservé par Paul Diacre, VIIIe siècle).

Des sacrifices à Terminus étaient accomplis, parce qu’ils pensaient que


les limites (fines) des champs étaient sous sa tutelle. C’est pourquoi Numa
Pompilius a établi que celui qui aura déterré une borne (terminus), que lui-
même et que ses boeufs soient sacrés (sacros esse).

♦ Des pierres consacrées à Zeus Horios (Denys


d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 2, 74, 2-
4, trad. V. Fromentin et J. Schnäbele ; 7 av. J.-C.).

2. Afin que chacun se contentât de son propre bien et ne convoitât pas


celui d’autrui, il établit un ensemble de lois concernant le bornage
des propriétés. Ayant enjoint à chacun de tracer les contours de sa
propriété personnelle et de placer des pierres à ses limites, il consacra ces
pierres à Zeus Horios [= protecteur des bornes]. Il décida que chaque
année, en un jour fixé, tous se rassembleraient à cet endroit pour procéder
à des sacrifices et il fit de cette cérémonie consacrée aux dieux des bornes
une fête vénérée entre toutes. 3. Les Romains l’appellent Terminalia, du
mot « termes », et pour désigner les bornes elles-mêmes, ils ont repris à
notre langue le mot termones et, par modification d’une lettre, disent
termines. Si quelqu’un supprimait ou déplaçait les bornes, la loi prévoyait
que le coupable serait dévoué (ieros) au dieu ; ainsi chacun pouvait, en
toute impunité (asphaleia) et sans encourir la moindre souillure (miasma),
le mettre à mort comme sacrilège (ierosulos). 4. Numa décida que cette
règle de droit s’appliquerait, non seulement aux propriétés privées, mais
également aux biens publics. Il fit donc délimiter ces derniers eux aussi,
afin que les dieux des bornes pussent distinguer le territoire de Rome de
celui des cités limitrophes, et le domaine public des propriétés privées.

c. Les « lois sacrées » (leges sacratae)

C1. DÉFINITIONS : LOIS SACRÉES, MONT SACRÉ, HOMME SACRÉ (VERRIUS


FLACCUS, DE LA SIGNIFICATION DES MOTS, FIN DE L’ÉPOQUE AUGUSTÉENNE ;
e
D’APRÈS L’ABRÉGÉ DE FESTUS, P. 422-424 LINDSAY, 2 MOITIÉ
e
DU II SIÈCLE AP. J.-C.)

On appelle inviolable (sacrosanctus) ce qui a été établi par


l’intervention d’un serment (iusiurandum) de sorte que si quelqu’un venait
à le transgresser (uiolare), il expierait son acte par la mort (poenas pendere).
Les tribuns de la plèbe et les édiles du même ordre entrent dans cette
catégorie. C’est pourquoi M. Caton affirme dans ses écrits que les édiles de
la plèbe sont inviolables.
Les lois sacrées (sacratae leges) sont celles par lesquelles il a été prescrit
que quiconque agirait à leur encontre sera consacré (sacer) à l’un
des dieux, de même que sa domesticité (familia) et sa fortune (pecunia).
Certains disent que l’on appelle sacrées les lois que la plèbe liée par
un serment (plebes iurata) aura arrêtées.
(…)
On appelle Mont sacré (Sacer Mons), le mont qui se trouve au-delà de
l’Anio, un peu au-delà de la troisième borne milliaire. En effet, lorsque
la plèbe se sépara des pères et que furent créés les tribuns de la plèbe qui
lui donnaient secours (auxilium), en se retirant ainsi, ils [les plébéiens]
le consacrèrent (consecrare) à Jupiter. Quant à l’homme sacré (homo sacer),
c’est celui que le peuple a jugé (iudicare) en raison d’un crime (maleficium) ;
et il n’est pas conforme aux lois divines (fas) de le sacrifier (immolari), mais
celui qui le tue (occidere) n’est pas condamné pour parricide (parricidium).
Car la première loi tribunicienne dispose que « si quelqu’un tue celui qui
est sacré en vertu de ce plébiscite, qu’il ne soit pas parricide (parricida) ».
C’est pour cette raison que d’ordinaire on appelle sacré tout homme
mauvais et malhonnête. Selon Gallus Aelius, est sacré (sacer) ce qui a été
consacré (consecratus), d’une façon quelconque et selon l’usage de la cité,
qu’il s’agisse d’un temple, d’un autel, d’une statue, d’un endroit, d’un bien
en argent (pecunia) ou de n’importe quelle autre chose qui a été dédiée
(dedicare) ou consacrée (consecrare) aux dieux.

C2. LA PREMIÈRE LOI SACRÉE DE 494 AV. J.-C. : SÉCESSION DE LA PLÈBE


EN ARMES, SERMENT DES PLÉBÉIENS SUR LE MONT SACRÉ, ET CRÉATION
DES PREMIERS TRIBUNS DE LA PLÈBE

♦ Les tribuns sont « inviolables » et peuvent porter


« secours » (auxilium), même contre les consuls (Tite-
Live, 2, 33, 1-3 ; époque augustéenne)

1. On entreprit ensuite de procéder au rétablissement de la concorde,


et on parvint à un accord aux conditions suivantes : les magistrats dont
disposerait la plèbe seraient inviolables (sacrosancti) ; ils disposeraient,
contre les consuls, du droit de porter secours (auxilium) ; il ne serait pas
permis que l’un des pères revête cette magistrature. 2. C’est ainsi que
furent créés deux tribuns de la plèbe, C. Licinius et L. Albinius. Ces
derniers procédèrent à la création de trois collègues, parmi lesquels il est
établi que figurait Sicinius, l’auteur de la sédition (seditio). Au sujet de
l’identité des deux autres, l’unanimité se fait moins. 3. Il y en a pour
affirmer que deux tribuns seulement furent créés sur le Mont sacré et que
c’est à cet endroit que fut portée la loi sacrée (sacrata lex). Durant
la sécession de la plèbe, Spurius Cassius et Postumus Cominius revêtirent
le consulat.

♦ La « volonté » même du tribun ne peut être


contredite, sous peine de consécration. A fortiori, donc,
le meurtre ou la flagellation de ce représentant
de la plèbe entraînent une telle malédiction (Denys
d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 6, 89, 3, trad. J.-
H. Sautel ; 7 av. J.-C.)

Que personne n’oblige un tribun du peuple à faire quoi que ce soit


contre sa volonté, comme si c’était un citoyen parmi d’autres ; que l’on ne
le fouette pas, ou commande à un autre de le fouetter ; que l’on ne le tue
ni ne donne à un autre l’ordre de le tuer. Si quelqu’un transgresse l’un de
ces interdits, qu’il soit maudit, ses biens consacrés à Déméter, et que celui
qui aura tué l’un des contrevenants soit absous du meurtre commis.

C3.LA LOI ICILIA DE 492 AV. J.-C., OU « SECONDE LOI SACRÉE » (DENYS
D’HALICARNASSE, ANTIQUITÉS ROMAINES, 7, 17, 5-6 ; 7 AV. J.-C.)

La loi était la suivante : lorsqu’un tribun présenterait son avis au


peuple, personne ne devrait exprimer un avis contraire, ni interrompre
son discours. Quiconque contreviendrait à cette disposition, s’engagerait
par caution devant les tribuns à fournir l’amende requise qu’ils auraient
imposée. Celui qui ne fournirait pas la caution, serait puni de mort, et ses
propriétés seraient consacrées. Les procès de ceux qui contesteraient de
telles amendes se dérouleraient devant le peuple.

C4. LA LOI VALERIA HORATIA DE 449 AV. J. C. (CF. R3F)


d. Le verset des XII Tables (8, 10) relatif
à la protection du client contre le tort
causé par le patron

D1. LA PROTECTION DU CLIENT (AULU-GELLE, 20, 1, 39-40 ;


PUBLICATION POSTHUME APRÈS 180 AP. J.-C.)

39. (…) Mais de toutes les choses, c’est surtout et principalement


la confiance que le peuple romain a cultivée et il l’a tenue pour sainte
(sanctus), tant pour les affaires privées, que pour les affaires publiques.
40. De la même façon qu’il livra aux ennemis des consuls, des hommes très
distingués, pour honorer la confiance requise publiquement, de la même
façon, il trouva bon d’avoir plus à cœur encore la confiance reçue par
le client, que de devoir protéger les proches contre les cognats, et c’est
ainsi qu’il considéra qu’il n’y avait pas de pire crime (facinus) que s’il était
prouvé que quelqu’un avait abandonné un client.

♦ Que le patron soit sacré en cas de tort commis


à l’encontre du client (Servius, Commentaire de l’Énéide
de Virgile, 6, 609 ; fin du IVe siècle ap. J.-C.)

Si un patron a causé un tort (fraus) à l’encontre de son client, qu’il soit


sacré (sacer esto)

*
* *

Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui


sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne
sont point, et dont nous trouvons la raison.
(Fontenelle)

Le corpus documentaire relatif à « l’homme sacré » (homo sacer) est


entièrement réuni ci-dessus, si l’on s’en tient à un seul critère
incontestable et préalable à toute interprétation, à tout rapprochement,
ou à toute discussion, à savoir les quelques occurrences de l’expression
elle-même dans la littérature latine et les textes grecs qui indubitablement
s’y rapportent. L’association des deux mots homo sacer est attestée chez
Festus (R1c1) et Macrobe (R1a) dans deux tentatives de définition. Certes,
il s’agit dans l’un et l’autre cas de deux enquêtes érudites, mais
e
la première (II siècle) reproduit une source augustéenne (du tournant de
notre ère), tandis que la seconde est bien plus tardive encore, puisqu’elle
remonte au premier tiers du Ve siècle. Quant à la formule injonctive plus
ancienne « qu’il soit sacré » ou « qu’il soit rendu sacré » (sacer esto), elle
apparaît dans le seul contexte des « lois royales » (leges regiae), chez Festus
(R1b1 ; R1b3 ; R1b4) ou chez Servius (R1d). Il faut bien sûr ajouter à ce
mince corpus l’inscription de la « Pierre Noire » (Lapis Niger) du Forum
romain, découverte à l’endroit de l’ancien Comitium et portant les deux
mots sakros esed (c’est-à-dire la forme archaïque de sacer esto). Cependant,
ce texte incontournable, ne serait-ce que d’un point de vue chronologique,
puisqu’il est à peu près certain qu’il remonte à l’époque royale, est trop
lacunaire, et sa lecture trop aléatoire et discutée, pour figurer entièrement
parmi nos documents. Toute restitution de ces lignes repose sur un choix
d’interprétation, voire sur une conviction ou un pari. Quant au substantif
« sacerté » (formé sur le pseudo-latin sacertas), abondamment employé
par les modernes et élevé par eux au rang de concept, on s’abstiendra d’y
recourir, car il est totalement absent des sources. Cette tournure, souvent
acceptée par simple convention, pour son hypothétique commodité, ou
encore, pour la force suggestive qu’elle contient, constitue en réalité
un présupposé qui oriente nécessairement l’analyse du phénomène
observé et tout raisonnement.
Si la délimitation du corpus documentaire établi sur ce seul critère
lexical des occurrences constitue une étape indispensable, on ne saurait
prétendre en revanche résumer ici l’ensemble des débats historiques,
linguistiques, doctrinaux, voire philosophiques, à laquelle la figure de
« l’homme sacré » s’est offerte, tant ils sont nombreux : « de nos jours, en
gros depuis l’avènement des sciences humaines, le problème a taraudé
les esprits, fait couler des flots d’encre » [JACOB 2006, p. 526]. Faire le tour de
la notion de sacer elle-même, constitue un parcours presque infini, quant
bien même on en limiterait le champ d’application au domaine coercitif.
Toute approche généalogique des premières expressions de la répression
pénale permettant de remonter à un état supposément antérieur au droit
criminel est périlleuse. Une telle démarche puise en effet souvent dans
un effort de reconstruction systématique au bout duquel on pourrait être
pris de vertige en se rendant compte qu’à partir d’une certaine hauteur
tout point d’appui fait défaut : ou bien les documents ont disparu de
l’horizon, ou bien ils étaient inexistants au départ ; ce que l’on tient pour
acquis à une étape du raisonnement relève d’une proposition
interprétative, plutôt que d’une donnée documentaire ou factuelle. En
bref, « on peut toujours rêver », mais cela revient parfois à « écrire
une histoire sans sources » pour reprendre la formule employée par
un grand juriste au sujet des reconstructions hypothétiques (et
idéologiques) de l’ordre familial romain « primordial » antérieur à la Loi
des XII Tables et qui aurait précédé la formation de la cité [THOMAS 2017,
p. 145].
Pour ce qui concerne la figure de l’homo sacer, en raison de
la fascination qu’elle exerce sur les modernes – cette attraction est
inversement proportionnelle au nombre de textes qui s’y rapportent – on
a pu parler à juste titre de « son effet tache d’huile », puisqu’elle a été
appliquée à des domaines pourtant étrangers au lexique même de
la sacratio, tel que la mise à mort du voleur surpris la nuit (fur nocturnus)
(R26), le soldat déserteur, le parjure (dans le contexte du serment ou du
vœu), et d’autres cas de figure encore. Or « en s’accumulant », comme cela
a été très justement souligné, « ces sacertés hypothétiques aboutissent
même à compromettre les tentatives d’explication, car elles dilatent
les contours de l’objet à expliquer et en modifient d’une manière ou d’une
autre la substance » [JACOB 2006, p. 531 et 539].

La « Pierre Noire » (Lapis Niger) du forum romain

L’inscription archaïque figurant sur un cippe mis au jour en 1899 sur


le Forum romain à l’emplacement de l’ancien Comitium constitue le plus
ancien texte épigraphique découvert à Rome. Ce cippe est indissociable de
son contexte archéologique, puisqu’il prend place dans un ensemble
identifié comme le Volcanal, le sanctuaire du Comitium [COARELLI 1983,
p. 161-199 ; COARELLI art. « Volcanal » dans STEINBY 1999, V, p. 209-211]. C’est à
cet endroit que Romulus aurait été tué et son corps déchiqueté par
les sénateurs, selon l’une des deux versions de sa mort – la seconde
le faisant disparaître au moment où il tenait une assemblée du peuple en
armes sur le Champ de Mars au lieu dit « Marais de la Chèvre » (Palus
Caprae). Le corps déchiqueté du roi n’aurait donc pas reçu de sépulture, et
ce que certaines sources désignent parfois comme le Sepulcrum Romuli, est
aussi considéré par d’autres traditions comme la tombe de Faustulus (le
berger qui avait recueilli et élevé Rémus et Romulus) ou celle d’Hostus
Hostilius (l’aïeul du roi Tullus Hostilius) [COARELLI art. « Sepulcrum Romuli »,
dans STEINBY 1999, IV, p. 295-296] :

La Pierre Noire (Lapis Niger) désigne un lieu funeste dans


le Comitium, destiné selon certains à la mort de Romulus, mais qui
n’a pas été utilisé pour le sacrifice offert à ses mânes (inferiae)…
Faustulus, celui qui l’avait élevé, selon d’autres Hostus Hostilius,
l’aieul de Tullus Hostilius, le roi des Romains dont la famille, de
Medullia vint à Rome après la destruction de celle-ci. (Festus,
p. 184 Lindsay)

Toujours est-il que le cippe découvert à cet endroit est sans doute
la plus ancienne inscription de Rome : il a donc été placé en ouverture
des imposants volumes du Corpus des Inscriptions Latines (CIL, I2, 1). Si
la datation de ce cippe a beaucoup été discutée depuis sa découverte, on
admet généralement aujourd’hui que cette pierre gravée remonte à
l’époque royale, et non au premier siècle de la République : la première lex
sacrata de 494 av. J.-C. (R1c2) évoquée plus bas aurait donc repris
une sanction déjà répandue dans le droit criminel d’époque royale
[CARANDINI 2011, p. 355]. Ce texte, déjà difficile à établir à la lecture
des lettres qui subsistent, est également lacunaire. Toute tentative
avancée pour en restituer un contenu d’ensemble reste hypothétique et
aléatoire, en dépit des efforts qui ont été tentés en ce sens [COARELLI 1983,
p. 178-188 ; BEEK 2012]. La lecture de certains groupes de lettres et
l’identification de mots font à peu près l’unanimité. Le texte mentionne
un rex, mais s’agit-il du « roi » lui-même (de la dynastie étrusque
des Tarquins) ou du prêtre, « le roi des rites sacrés » (rex sacrorum) qui lui a
succédé à l’époque républicaine ? Cette seconde hypothèse semble
la moins probable, ne serait-ce que pour les critères chronologiques
évoqués précédemment. La mention d’un « héraut », le calator, est
également assurée et pourrait alors désigner l’un des appariteurs du roi.
L’association lacunaire des deux mots […]iod iouestod devrait être ainsi
restituée [iousdik]iod iouestod, ou iudicio iusto, de sorte qu’elle signifierait
« par un jugement conforme au droit » [COARELLI 1983, p. 180] ? Les lettres
suivantes loiuquiod signifieraient-elles licium, donc inlicium (la convocation
du peuple), et renverraient-elles à la convocation dans un templum ? Ne
s’agirait-il pas plutôt du mot liquido qui signifie « avec pureté », et qui
pourrait rendre l’idée d’un auspice favorable (l’expression liquidum
auspicium est attestée chez Plaute) ? Plus conjectural et débattu est le sens
qu’il faut donner au terme iouxmenta : désigne-t-il un animal et donc
l’attelage du roi, ou bien la charpente des « poutres jointes » (tigna iuncta)
destinée à définir l’espace du templum des comices [COARELLI 1983, p. 184] ?
Cette seconde hypothèse est sans doute la moins probable, comme cela a
été justement démontré dans une mise au point récente [BERTHELET 2015,
p. 242-244]. On l’aura compris, la lecture et l’interprétation de cette
inscription offrent plus que des incertitudes, en dépit du faisceau de
significations fourni, comme on va le voir, par sa découverte dans
un contexte archéologique déterminé. Quoi qu’il en soit, sans hésitation
cette fois, les interprétations sont unanimes, l’expression composée
des lettres sacros esed exprime dans un latin archaïque la formule sacer esto.
Seuls ces deux mots peuvent donc retenir ici notre attention. Signifient-ils
pour autant la désignation comme sacer de quiconque déplacerait le cippe
lui-même alors qu’il indiquait la limite d’un espace « sacré » ? L’hypothèse,
parmi d’autres, a été avancée en raison précisément de sources littéraires
qui associent le déplacement des « bornes » termini au statut de sacer
(R1b4).

Quelques éléments textuels pour une définition


de l’homo sacer

Partant du texte de Festus (R1c1) qui propose une définition de ce qui


est sacer, trois premiers points semblent pouvoir être établis au sujet de
l’homo sacer, quitte à exposer par la suite les discussions dont ils ont fait
l’objet. L’homme sacré est d’abord, selon Festus, « celui que le peuple
(populus) a jugé (iudicare) en raison d’un crime (maleficium) ». Cela
signifierait donc que la déclaration de l’état de sacer déterminée par
la perpétration d’un crime dépendrait d’un procès devant l’assemblée du
peuple, c’est-à-dire devant les comices. Le second point évoqué par Festus
distingue la désignation de l’homo sacer de l’accomplissement d’un
sacrifice : « il n’est pas conforme aux lois divines (fas) de le sacrifier
(immolari) », tandis que le troisième point écarte la qualification de
l’auteur du meurtre comme parricidium – le terme désigne ici sans doute
l’homicide en général et non le meurtre d’un parent (Commentaires à R6
et R35). À l’évidence, le texte de Festus constitue une « stratigraphie
normative » où le dispositif originel relatif à l’homo sacer a été complété
par la loi relative à la compétence du peuple en matière de condamnation
capitale. Cette disposition inscrite dans le verset de la Loi des XII Tables (9,
2a) relatif au monopole du comitiatus maximus (entendons les comices
centuriates) en matière capitale (R3d), constitue sans doute
une actualisation de la norme. En bref, il se pourrait que la désignation de
l’homo sacer accomplie initialement automatiquement, dès la perpétration
de l’acte, n’ait été soumise que bien plus tard à un jugement du peuple.
Le texte de Festus résulterait d’une évolution des institutions, ou encore
d’une intégration au droit procédural, au cours de sa genèse, de normes
qui l’avaient précédé [CARANDINI 2011, p. 355-356]. La désignation de l’homo
sacer aurait été en quelque sorte disciplinée ou encadrée par la loi, quant il
s’agissait d’exposer un coupable à un meurtre accompli par le premier
venu, sans que ce dernier soit alors considéré comme un homicide. Plus
discutée encore est la question de savoir si dans la phase antérieure à
la Loi des XII Tables et remontant à l’époque royale, déjà, la désignation de
l’homo sacer aurait fait l’objet, disons, d’une ébauche de procédure. Tout
dépend de la portée sémantique et institutionnelle que l’on accorde à
l’acte qui consiste à plorare « crier », tel que le définit Festus dans un autre
lemme (R1b1). Les deux derniers mots lacunaires pourraient signifier
une équivalence entre la manifestation par des cris ou par des larmes et
l’engagement officiel d’une procédure par convocation du prévenu : « cela
veut dire qu’il a appelé en criant, qu’il a fixé un jour <de comparution>
(dic[ere diem]) ». Si l’on admet que cette équivalence est originelle, alors
cela signifierait que la désignation de l’homo sacer n’a jamais été depuis
le départ dissociée d’un cadre procédural [SANTALUCIA 1998, p. 12]. Mais
une telle interprétation a suscité bien des réserves, notamment parce que
la ploratio, le fait d’ameuter le voisinage par des cris, ne signifierait pas
autre chose qu’un appel à réunir des témoins sur les lieux, avant de
perpétrer l’acte de manière sommaire et sans procès [FIORI 1996, p. 479-
485 ; GAROFALO 1990, p. 223-255 ; HUMBERT 2005, p. 42-43 et n. 89]. Il faut
insister enfin, à propos du texte de Festus, sur la distinction établie entre
la mise à mort de l’homo sacer et l’accomplissement du sacrifice
(immolatio). Ce point essentiel a été souligné à peu près par tous
les auteurs qui se sont intéressés à la question. Il mérite néanmoins d’être
encore rappelé à la lecture de notre corpus, en raison de la confusion que
pourrait provoquer la lecture du texte de Denys d’Halicarnasse
(R1c4) relatif à la sanction de la trahison (prodosia). L’historien grec parle
d’immolation à Zeus Katachtonios, un Jupiter des enfers que la tradition
identifie à Vediovis. Le geste et la signification de l’immolatio diffèrent
pourtant de la désignation de l’homo sacer sur plusieurs points, à
commencer par le fait que l’immolatio était accomplie par la mise à mort
du coupable livré à la divinité selon un modèle peut-être comparable à
celui de la suspension à Cérès dont on épargne l’impubère dans le verset
de la Loi des XII Tables relatif à la destruction de récoltes (XII Tab., 8,
9) (R39a). À l’inverse d’un tel supplice qui pourrait s’apparenter à
un sacrifice destiné à apaiser la divinité, la mort de l’homo sacer était
rendue possible mais pas inévitable. C’est ici que prend place
l’interprétation selon laquelle le statut de l’homo sacer est identique à celui
de la fugiens uictima, l’animal qui a refusé par un signe le sacrifice dont il
allait être l’objet [JACOB 2006, p. 569-576 ; BERTHELET 2018].
L’homo sacer était-il consacré à une divinité en particulier ou une telle
désignation était-elle sans destinataire, correspondant à ce que Mommsen
appelle une « sacratio abstraite » [MOMMSEN 1907, III, p. 233, n. 1] ? Ce point
est lui aussi discuté. Évoquons-le brièvement. L’hypothèse selon laquelle
l’homo sacer était consacré à une divinité particulière repose d’abord sur
l’observation des occurrences. Dans deux cas seulement (auquel on peut
ajouter l’inscription lacunaire du cippe du forum, en dépit
des incertitudes du texte qui ont parfois permis de supposer l’existence
d’un nom de divinité) le nom de la divinité est absent [CARANDINI 2011,
p. 357] : à propos de la fraus commise par le patron à l’encontre de son
client (R1b2) ; dans la loi de Numa Pompilius sur le déplacement
des bornes, telle qu’elle est citée par Festus (R1b4). Mais dans cinq autres
cas (si on veut bien inclure le texte de Denys d’Halicarnasse sur la prodosia,
en dépit de sa confusion avec le sacrifice) une divinité destinataire est
désignée soit par une généralisation du type « à certains dieux », soit par
le nom de la divinité en question (R1a-R1b4). À la lumière de ces quelques
cas réunis qui ne peuvent prétendre constituer une statistique, il paraît
assez abrupt d’affirmer que « dans les normes, l’absence de toute
référence aux divinités est presque la règle », et plus hasardeux encore,
nous semble-t-il, de distinguer une « consécration des biens » (consecratio
bonorum) pour laquelle la divinité serait toujours invoquée, et
une « consécration de la tête » (consecratio capitis) sans destinataire,
comme cela a été encore récemment proposé [FIORI 2018, p. 177-178].

Les lois royales et la formule « qu’il soit sacré »

Examinons enfin le contenu de ces lois royales où la formule sacer esto


apparaît. La première (R1b2) vise les rapports de clientèle : à la réciprocité
initiale protégeant aussi bien le client que le patron, n’aurait été retenue
dans la Loi des XII Tables que la protection du client contre son patron
(R1d) [CARANDINI 2011, p. 359]. La seconde (R1b1) est relative aux agressions
à l’encontre du père de famille, par la « belle-fille » (nurus) ou « l’enfant »
(puer). La troisième (R1b4) vise le déplacement des bornes (termini). Mais
de quelles bornes s’agit-il ? Peut-on le préciser ? À la lecture de Festus on
pourrait penser aux délimitations entre propriétés privées, mais ce serait
un anachronisme pour l’époque royale où la terre n’aurait pas encore été
divisée en propriétés privées. On a évoqué également les limites du
territoire de la cité (ager publicus), mais pourquoi mentionner alors
la consécration des bœufs ? Cette dernière indication témoigne de
l’ancienneté de la norme (nécessairement antérieure à la Loi des XII
Tables) et la situe dans le contexte agraire du passage de la charrue. Peut-
être s’agissait-il alors des bornes limitrophes des terres relevant de
sanctuaires [CARANDINI 2011, p. 360] ? La quatrième norme reste
énigmatique, puisque Festus qui la rapporte ne s’intéresse qu’à un aspect
lexical qu’elle contient sans dire un mot de son objet (R1b3). Cela n’a pas
empêché de rapprocher ces quelques mots d’un extrait de la jurisprudence
mentionnant une loi de Numa Pompilius relative à l’extraction de
l’embryon en cas de mort d’une femme enceinte ! Un tel rapprochement
est très hasardeux. Citons cependant ce texte dans la mesure où il recoupe
également certaines dispositions de droit criminel interdisant de mettre à
mort une femme enceinte (R42q), celles qui tiennent compte du statut de
l’enfant lorsqu’il est dans le ventre maternel (R47d), ou encore
les conséquences juridiques du moment supposé de la conception qui
l’emporte sur le moment de la naissance (R42j) :

Une loi royale interdit d’inhumer une femme qui est morte alors
qu’elle était enceinte avant de lui avoir extrait auparavant le fruit
de la conception (partus). Quiconque agit à l’encontre de cette
disposition, est considéré comme ayant détruit, en même temps
que la femme enceinte, l’espoir d’un être vivant (spes animantis).
(Marcellus, Des Digestes, extrait du livre 28 = Digeste, 11, 8, 2)
Pour ce qui concerne la loi de Numa Pompilius, la solution la plus
raisonnable consiste à voir plutôt dans ce texte comportant le mot Aliuta
une règle de procédure applicable à une multiplicité de délits non
déterminés [LAURENDI 2012].
Ces quelques dispositions relatives à la formule sacer esto contenues
dans les leges regiae sont-elles articulées ? Reflètent-t-elles une cohérence
entre elles et par rapport à la Loi des XII Tables dont certains versets ont
exceptionnellement repris telle ou telle de ces dispositions ? Si l’on a pu
avancer que « ces informations sont inutilisables » [JACOB 2006, p. 547], leur
cohérence a au contraire été parfois soulignée dans une tentative
d’approche systématique, articulée à une lecture de la Loi des XII Tables
[HUMBERT 2005, p. 42-46].
Pour comprendre le contenu des lois royales sanctionnées par
la formule sacer esto, il faudrait partir de l’institution centrale que
constitue la patria potestas (R2). C’est au père que revenait la punition
des délits commis par ceux qu’il avait sous sa puissance. En revanche,
lorsque l’on sortait de la domus, cette puissance ne pouvait s’exercer, et
l’on aurait alors recouru à la sacratio. Il faudrait faire une différence entre
le filius et la filia d’un côté, et de l’autre l’enfant (puer) ou la bru (nurus) qui
agissaient contre un « parent » (parens), à la puissance duquel ils n’étaient
pas soumis [FIORI 1996, p. 187-190]. Dans le premier cas on se trouvait à
l’intérieur de la domus et l’organe répressif était le paterfamilias, dans
l’autre cas c’était la cité qui devait intervenir. Selon un tel schéma, il
faudrait joindre également la punition du mari-pater qui abuserait du droit
de répudiation de son épouse (Plutarque, Romulus, 22) et que la cité
sanctionnait d’une confiscation des biens (une partie pour sa femme,
une partie pour Cérès), le cas du père qui abuserait de son pouvoir à
l’encontre du fils (Denys d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 2, 27) ou du
père qui abuserait du droit de tuer un nouveau-né (Denys d’Halicarnasse,
Antiquités Romaines, 2, 15) [HUMBERT 2005, p. 43-44]. Cette approche
systématique visant à donner une cohérence à l’ensemble des leges regiae
proférant une sacratio du coupable reste fragile sur deux points : d’un
point de vue lexical il n’est pas du tout certain que puer s’oppose à filius,
puisque le premier des deux termes désigne aussi le fils, de la même façon
que parens désigne le père. Surtout il est délicat de supposer l’application,
par déduction, d’une sacratio implicite, lorsque les textes passent sous
silence la sanction, ou de considérer que la consécration des biens
constitue nécessairement le vestige d’une sacratio antérieure. Enfin, en
l’absence de toute illustration de l’application de ces normes disparates
par un seul exemple qui aurait survécu dans nos sources, il est bien délicat
d’affirmer la cohérence de ce corpus.

Les leges sacratae et la naissance de la plèbe : des limites


du comparatisme avec certains rites italiques

Les leges sacratae constituent le deuxième domaine, en dehors des leges


regiae réunies précédemment, où la désignation d’un homo sacer est
assurée. L’articulation du texte de Festus, place même la loi sacrée de
494 av. J.-C. au cœur de la définition et la désigne comme source
principale. Après avoir rappelé la consécration à Jupiter du Sacer Mons,
Festus insère, comme par juxtaposition, sa définition générale désignant
l’homme sacré comme l’auteur d’un crime qu’il est possible de tuer mais
non de sacrifier, sans encourir l’accusation de parricide. À l’issue de
l’énoncé de ce principe, Festus en indique la source : « car la première loi
tribunicienne dispose que « si quelqu’un tue celui qui est sacré en vertu de
ce plébiscite, qu’il ne soit pas parricide (parricida) ». C’est donc la loi sacrée
qui est à l’origine de la définition de l’homo sacer et de la clause suivant
laquelle celui qui le tue n’encourt pas l’accusation de parricide. Puis
le grammairien généralise de nouveau, toujours à partir du texte de la lex
sacrata : « C’est pour cette raison que d’ordinaire on appelle sacré tout
homme mauvais (malus) et malhonnête (improbus) ». Or, comme l’atteste
le lemme de Festus, dès l’Antiquité, la définition de lex sacrata a fait l’objet
d’opinions divergentes. Pour certains, selon le grammairien, la loi sacrée
est celle qui menace le contrevenant lui-même d’être déclaré sacer « à l’un
des dieux » (alicui deorum), tandis que sa « famille » (familia) et sa fortune
(pecunia) (les deux termes se chevauchent, puisque le premier a également
une signification patrimoniale, cf. Commentaire à R2) seraient elles-
mêmes consacrées. Pour d’autres, « on appelle sacrées les lois que la plèbe
liée par un serment (plebes iurata) aura arrêtées (sciscere) ». Peut-on
trancher ? Alors même que la validité de la première définition semble
plus certaine à Festus qui amène la seconde selon une formule fréquente
chez les auteurs anciens lorsqu’ils souhaitent ne pas négliger
une tradition répandue quand bien même elle leur semble moins fondée
(« certains disent que l’on appelle sacrées »), c’est bien celle-ci que l’on
pourrait être amené à choisir. Festus désigne en effet comme « lois
sacrées » celles qui sont issues d’un serment prononcé par la plèbe. Aucun
auteur ne désigne comme telles, en effet, les lois royales qui contiennent
pourtant la formule sacer esto. Une seconde loi sacrée fut adoptée en
492 av. J.-C. (R1c3), mais il est peu probable que le plébiscite de division de
l’Aventin (Lex Icilia de Auentino publicando), de 456 av. J.-C., entre dans cette
catégorie (elle requiert un contexte insurrectionnel de la plèbe,
une sacratio, un serment), en dépit de la formule très discutée de Tite-Live
(3, 32, 7) : « la loi Icilia au sujet de l’Aventin et les autres lois sacrées
(aliaeque sacratae leges) » [LANFRANCHI 2015, p. 438-440]. Quant à la loi de
342 av. J.-C., Tite-Live la désigne bien explicitement comme une lex sacrata
[ELSTER 2003, p. 34-37] élaborée par une assemblée de participants associés
par un serment (coniurati), mais si l’on retient les quelques mots de
l’historien quant à son contenu (ils recoupent l’indication fournie par
Zonaras, 7, 25), on voit mal en quoi une telle disposition peut être
rapprochée du recrutement de la légion de lin chez les Samnites (un
recrutement contraint par serment sous peine de mise à mort immédiate),
dont il sera bientôt question et à aucun moment il n’est question de
sacratio :

Une loi sacrée militaire fut également proposée, selon laquelle


le nom d’aucun soldat inscrit ne serait rayé hors de sa propre
volonté ; on ajouta à la loi que quiconque avait été tribun militaire,
ne pourrait être par la suite conducteur des rangs <centurion>.
(Tite-Live, 7, 41, 4)

Faut-il verser au dossier des leges sacratae la loi de P. Valerius Publicola


de 509 av. J.-C. (R3b), très certainement apocryphe [FLACH 1994, p. 62-63] ?
Elle n’est pas désignée comme « sacrée », justement, alors que selon Tite-
Live (2, 8, 2) elle prévoyait « de consacrer la tête en même temps que
les biens de celui qui engagerait des projets pour prendre possession de
la royauté », et que selon Denys d’Halicarnasse (Antiquités Romaines, 5, 19,
3-5), « il [Publicola] poursuivit de la peine de mort quiconque agirait
contre cette loi, tandis que celui qui tuerait quiconque agirait ainsi
demeurerait impuni (athôos) ».
Même la loi Valeria Horatia (R3f) qui confirme pourtant ce qui avait
été décidé près d’un demi-siècle plus tôt au sujet des tribuns en stipulant
que « si quelqu’un maltraitait (nocere) les tribuns de la plèbe, les édiles,
les juges-décemvirs, sa tête (caput) serait consacrée à Jupiter, et tout ce qui
lui appartenait (familia) serait vendu au temple de Cerès, Liber et Libera »
ne reçoit pas le nom de loi sacrée. Par conséquent, l’appellation de leges
sacratae s’appliquerait exclusivement « à certaines normes protectrices de
la plèbe », à commencer par la plus ancienne et la plus prestigieuse », de
494/493 av. J.-C., qui assurait l’inviolabilité des tribuns, mais aussi la loi
Icilia de l’année 492 av. J.-C. C’est donc le serment qui est déterminant
dans la désignation de la loi sacrée : « l’autorité tribunicienne est dite
sacrosainte car elle sanctionnée, garantie (sancta) par la sacratio de tout
contempteur. Encore convient-il d’ajouter que cette sacratio capitis doit
résulter d’un serment » [LOVISI 1999, p. 28-30]. De l’articulation du serment
et de son objet, la consécration des biens et de la tête, la loi fondatrice de
la plèbe pourrait donc être dite à la foi « sacrée » et « sacrante » [JACOB 2006,
p. 541], à moins d’admettre avec Cicéron que c’est la sanction uniquement
qui rend sacrée la loi [HUMBERT 1988, p. 500, n. 191]. Avant d’envisager
la reconnaissance et la portée de ce serment, et les comparaisons
auxquelles il a pu s’offrir à partir d’analogies, rappelons le caractère
essentiel de cette séquence d’émergence de la plèbe pour
le développement du droit criminel romain des siècles de la République et
jusqu’à la définition même du Principat. C’est à partir de cette désignation
de l’inviolabilité tribunicienne (cf. également Zonaras, 4, 15) qu’est
apparue, quelques années plus tard sans doute, la procédure tribunicienne
(R5). C’est en application à la lettre de ce serment que certains tribuns ont
procédé à la consécration immédiate des biens de celui qui paraissait
les avoir offensés, alors-même qu’aucune sentence n’avait encore été
prononcée par le peuple : en témoigne par exemple le procès contre
les censeurs en 169 av. J.-C. (R5e). C’est en application de ce serment que
des tribuns ont conduit sur la roche Tarpéienne, sans aucune comparution
préalable, certains de leurs adversaires (R34) ; c’est également la puissance
tribunicienne qui a parfois été évoquée parmi les pouvoirs conférés au
premier empereur Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.) comme fondement de
la juridiction ou de l’appel au prince (Commentaire à R50).
Le lien entre les lois sacrées et la constitution de la plèbe dans
les premières années de la République a été souligné depuis longtemps.
L’hypothèse d’un serment voisin dans son principe du traité sous prétexte
que certains textes laissent entendre que les patriciens lui auraient donné
leur approbation a été évoquée encore récemment, en considérant que
« cette irruption du droit des traités créerait dans le droit intérieur
un espace d’exception » [JACOB 2006, p. 541]. Mais il a été montré depuis
longtemps, par de nombreux travaux dont ne sont ici mentionnés que
quelques étapes récentes, que le serment des plébéiens revêtait
un caractère unilatéral, et qu’il engageait les iniurati, c’est-à-dire ceux-là
mêmes, les patriciens, qui ne l’avaient pas prêté [RICHARD 1978, p. 551 ; LOVISI
1999, p. 28-36 ; LANFRANCHI 2015, p. 257-281]. La prononciation de ce
serment a conduit également à rapprocher cette sécession de la plèbe
(c’est-à-dire d’une partie de l’armée romaine) du serment militaire
prononcé par certains peuples italiques [RICHARD 1978, p. 551-552]. En effet,
Tite-Live appelle « loi sacrée » la mobilisation accomplie sous serment lors
de la guerre engagée contre Rome par les Èques et les Volsques en 432-
431 :

Par une loi sacrée (Lex sacrata) qui constituait chez eux
la contrainte (uis) la plus grande pour rassembler l’armée, la levée
(dilectus) eut lieu. (Tite-Live, 4, 26, 3)

On ne sait rien ici des formes précises de la levée accomplie en vertu


de la « loi sacrée » des ennemis de Rome. Une « loi sacrée » présidant à
la levée militaire est également attestée plus tard chez les Étrusques (Tite-
Live, 9, 39, 5). Ces deux indications laconiques ont pu être rapprochées du
récit beaucoup plus détaillé par Tite-Live du recrutement de « la légion de
lin » (legio linteata) accompli chez les Samnites en 293 av. J.-C.,
conformément à une « loi nouvelle » (lex noua) réintroduisant « un certain
rite antique du serment (sacramentum) » et faisant des soldats
des « initiés » (initiati), ou encore de la tradition également attestée en
Italie jusqu’à l’époque de la seconde guerre punique (en 217 av. J.-C., à
Rome) de la consécration d’une classe d’âge selon le rite du « printemps
sacré ». Il faut ici en dire brièvement un mot, en suivant les termes d’une
analyse qui permet d’exclure définitivement tout rapprochement entre
les rites de la « légion de lin » ou du « printemps sacré » et celui du
sacrifice humain [CAZANOVE 2000b]. Quant à celui-ci, il se distingue à son
tour, comme on l’a vu, de la désignation de l’homo sacer (en dépit de
l’interprétation erronée qu’en donne Denys d’Halicarnasse).
En 293 av. J.-C., donc, pour se préparer de nouveau à la guerre contre
Rome, les Samnites procédèrent à une levée, en contraignant les hommes
en âge de se battre à se réunir pour former l’armée, sous peine, en cas de
manquement à l’appel, de faire l’objet d’une sacratio :

Une levée eut lieu dans tout le Samnium en vertu d’une loi
nouvelle, selon laquelle quiconque parmi les jeunes hommes
formés à servir dans l’armée (iuniores) ne participerait pas au
rassemblement conformément à l’édit des généraux, quiconque
s’éloignerait contrairement à l’ordre donné, sa tête serait rendue
sacrée (caput sacrare) à Jupiter. (Tite-Live, 10, 38, 2-3)

Au lieu du rassemblement, un enclos de deux cents pieds (60 m) de


côté avait été aménagé, recouvert de toiles de lin. La surface couverte
abritait des autels où un prêtre sacrifiait. Chaque soldat était alors amené
dans l’enclos « plutôt comme une victime que comme un protagoniste du
sacrifice », et ceux qui refusaient le serment étaient mis à mort :

Ensuite ils le forçaient à prêter serment (iurare) selon une certaine


formule affreuse d’enchantement (dirum carmen), arrangée en
exécration (exsecratio) contre sa tête (caput), sa famille (familia) sa
lignée (stirps), s’il n’était pas monté au combat où ses généraux
commanderaient, si lui-même avait fui hors du rang ou s’il avait vu
quelqu’un en train de fuir et ne l’avait pas tué sur-le-
champ. Certains d’abord refusèrent de prononcer un tel serment,
ils furent égorgés (obtruncare) autour des autels ; ensuite, comme
ils gisaient parmi la jonchée des victimes <animales du sacrifice>,
ils servirent de leçon aux autres pour ne plus refuser. (Tite-Live,
10, 38, 10-11)

Ainsi les soldats qui avaient accepté la sacratio constituèrent la légion


de lin :

Cette légion fut appelée légion de lin en raison du voile qui


recouvrait l’enclos dans lequel la noblesse avait été rendue sacrée
(sacrare). (Tite-Live, 10, 38, 12)

La compréhension de ce rite est indissociable du regard réprobateur


de Tite-Live qui le rapporte en tendant volontairement, pour en signifier
l’horreur, à le comparer au sacrifice humain. On sait qu’à ce sujet
les Romains expriment toujours leur rejet (Tite-Live, 22, 57 : minime
romano sacro), quand bien même certains rites qu’ils ont pratiqués dans de
grands moments de peur, tel l’ensevelissement rituel sur le Forum
boarium en 216 av. J.-C., ne peuvent être interprétés autrement (à moins
de vouloir toujours jouer sur les mots et refuser toute qualification
universelle d’un rite en dehors de son espace social propre et de
la civilisation considérée, en rappelant que les Romains ne sont pas
les Aztèques et inversement). C’est donc pour stigmatiser le rite accompli
par les Samnites que Tite-Live en force l’interprétation pour le présenter
comme un sacrifice humain : « le sacrifice humain, c’est toujours
les autres » [CAZANOVE 2000b, p. 254]. Cependant, la consécration des jeunes
guerriers ne s’apparente guère à un rite de sacrifice sanglant, puisque,
précisément, « c’est au contraire le refus de se laisser consacrer qui peut
entraîner, très concrètement et réellement, la mort » [CAZANOVE 2000b,
p. 264]. On comprend aussi en quoi le déroulement de ce serment militaire
nous éloigne de l’homo sacer, c’est-à-dire de l’idée d’une consécration
entraînant la mise à mort possible de l’auteur d’une faute. Quant au
« printemps sacré » qui entraîne la consécration d’une classe d’âge et sa
migration forcée au-delà du territoire d’une cité – on appelle sacrani ces
exclus –, ce rite ne constitue pas plus « un Ersatz de sacrifice sanglant »
[CAZANOVE 2000b, p. 257]. Doit-il pourtant être versé au dossier de l’homo
sacer ? Certes, le schéma de la migration forcée n’est pas ici sans analogie
avec « la mise à l’écart radicale » qui vise aussi ce dernier, puisque dans
le cas de la migration « le rite d’expulsion est irréversible » et que « l’on
doit bien supposer que c’est sous peine de mort » [CAZANOVE 2000b, p. 257].
Si l’on en revient à la comparaison suggérée notamment par
Th. Mommsen entre les leges sacratae constitutives de la plèbe à l’occasion
d’une sécession militaire et le rite du serment samnite, on en mesure
mieux l’écart à l’issue de l’examen. Il tient à un fait très simple : si
les Samnites qui renonceraient au serment sont menacés de mort, jamais
ce ne fut le cas des plébéiens. Un second fait doit être souligné :
l’accomplissement même du recrutement, sous la menace des centurions
rassemblés le glaive à la main sous les toiles de lin, nous éloigne très
sensiblement de l’injonction « sacer esto » qui rend possible, mais pas
inévitable, l’accomplissement de l’homicide pour quelque faute commise,
dans le cas des leges regiae, pour atteinte à la personne d’un tribun dans
le cas des leges sacratae.
Faut-il joindre aux leges sacratae la loi de P. Valerius Publicola
menaçant de « la consécration des biens et de la tête » quiconque tenterait
de rétablir la royauté (ou qui usurperait une magistrature sans l’avis du
peuple : Denys d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 5, 19, 4 ; Plutarque,
Publicola, 11, 3) et qui est mentionnée au côté de l’introduction de « l’appel
au peuple » en 509 av. J.-C. (R3b) ? Il y a tout lieu de penser, comme cela a
été maintes fois souligné, que l’ensemble de cette législation est
apocryphe. En outre, même s’il s’agit d’une interprétation tardive, il faut
être attentif à l’explication pragmatique de cette mesure qui aurait été
proposée par Publicola, selon Plutarque. C’est parce que tout se joue
rapidement, lorsqu’une conspiration menace, que le « droit de tuer » se
serait imposé comme un remède dans l’urgence afin d’éviter que, le crime
une fois perpétré, il soit devenu impossible de le poursuivre :

1. (…) Il fit en effet une loi qui permettait de tuer sans jugement
(aneu kriseôs kteinein) tout homme qui aspirait à la tyrannie ; elle
déclarait innocent l’auteur du meurtre, pourvu qu’il fournît
les preuves du crime. 2. Comme il n’est pas possible que celui qui
tente une si grande entreprise le cache à tout le monde, mais qu’il
n’est pas impossible qu’ayant été découvert il prévienne
le jugement en s’emparant du pouvoir, il autorisa celui qui pouvait
tuer le coupable à agir sans attendre le jugement que supprime
la consommation du crime. (Plutarque, Publicola, 12, 1-2,
trad. R. Flacelière)

Qu’elle le soit ou non, cette loi ne peut en aucune façon rendre compte
de la répression des trois tentatives (leur déroulement au moins est
largement légendaire) de rétablissement de la royauté ou d’instauration
d’une tyrannie par les trois adfectatores regni, Spurius Cassius en 485 av. J.-
C. (R6b), Spurius Maelius en 439 av. J.-C. (R4), et Manlius Capitolinus en
384 av. J.-C. (R9b2), en dépit de ce qui a parfois été avancé [FIORI 1996].

Homo sacer, « wargus », « outlaw » : une analogie


incontournable

L’homo sacer a souvent été rapproché des formes médiévales de


la « proscription », telles que le « wargus » de la loi salique, « l’outlaw »
des lois anglo-saxones ou encore le « Verachtet » du Moyen Âge allemand
qui se traduisent à la fois par une expulsion territoriale et une expulsion
de l’ordre juridique [JACOB 2006, p. 523-524]. Cependant nous ne sommes en
rien renseignés, pour ce qui concerne la Rome antique, sur les modalités
d’exclusion de l’homo sacer. Et ce n’est qu’en supposant que le banni
encourant « l’interdiction de l’eau et du feu » attestée historiquement
e
depuis le III siècle av. J.-C. (R41) constituerait une forme « laïcisée » de
la figure archaïque de l’homo sacer, que l’on reporte sur ce dernier ce que
l’on sait des conditions d’exclusion du premier [FIORI 1996, p. 285-286]. Mais
il y a là un défaut d’interprétation historique et une aporie qui ont déjà été
soulignés et analysés ailleurs [RIVIÈRE 2016a].
Enfin, on a parfois rapproché également le dossier de l’homme sacré
de celui des traités ou de la sponsio internationale. Même l’étude récente
la plus rigoureuse et la plus prudente sur les élargissements de la notion
d’homo sacer [JACOB 2006] ne résiste pas à la tentation du rapprochement
avec cette question, tout en reconnaissant l’absence, dans le registre de la
sponsio, du champ lexical sacer, sacratio, sacrare, pourtant désigné au
commencement de la démonstration comme un fil d’Ariane dans
le labyrinthe de « la sacerté ». Cette question de la sponsio internationale
interfère avec le droit criminel dans le sens où la destitution de
la citoyenneté de celui qui est livré à l’ennemi pour avoir malmené
un ambassadeur ou avoir engagé la cité sur la voie d’un traité déshonorant
a été comparé à la situation de celui qui perd sa citoyenneté à l’issue d’un
bannissement (R41j). Cependant, nous n’aborderons pas ici une question
déjà traitée ailleurs [RIVIÈRE 2016a]. Ce dossier, pas plus que celui
des « sacertés hypothétiques », n’a sa place dans la présente rubrique.
2

La « puissance » du paterfamilias
et son « droit de vie et de mort »

a. La puissance du père dans


la « constitution de Romulus »

A1. LA LOI DE ROMULUS ET SA POSTÉRITÉ (DENYS D’HALICARNASSE,


ANTIQUITÉS ROMAINES, 2, 26, 4 ET 6, TRAD. V. FROMENTIN
ET J. SCHNÄBELE ; 7 AV. J.-C.)

4. Le législateur de Rome donna donc, pour ainsi dire, tout pouvoir au


père sur son fils, et cela durant toute sa vie. Il était absolument libre, selon
le cas, de le faire emprisonner, de le flageller, de l’enchaîner et de le faire
travailler de force aux champs, et même de lui ôter la vie. Et peu importait
que le fils fût déjà engagé dans la vie politique, qu’il figurât au nombre
des plus hauts magistrats, ou que son zèle envers l’État lui eût valu
la gloire (…) 6. Je renonce à mentionner tant d’hommes de mérite mis à
mort par leur propre père, parce que leur valeur et leur courage
les avaient portés à quelque noble action que le père n’avait pas ordonnée.
C’est ce que l’on raconte par exemple de Manlius Torquatus et d’une foule
d’autres.
A2. LA « LOI ROYALE » DISCUTÉE PAR PAPINIEN (COLL., 4, 8 : CF. R23)

Puisqu’une loi royale (lex regia) a donné au père la puissance de vie et


de mort (uitae necisque potestas) sur son fils, quel avantage y eut-il d’inclure
dans la loi que la puissance de tuer (potestas occidendi) s’applique
également à la fille ?

b. Droit de vie et de mort et conformité


au droit, selon la Loi des XII Tables,
4, 2a (fragment du Pseudo-Gaius d’Autun,
4, 85-86 ; IVe siècle ap. J.-C.)
85. … puisque la puissance du père est telle qu’il dispose de
la puissance de vie et de mort (uitae ac necis pot[estas]). 86. Il est cruel de
traiter cette <question> au sujet du fils, mais… il n’est pas… [pe]r[mis] (?)…
de tuer (occidere) sans une juste cause (sine iusta causa), comme la Loi
des XII Tables l’a établi.

c. La formule de l’adoption par adrogatio

C1. UN DROIT DE VIE ET DE MORT « COMME SUR UN FILS » (CICÉRON,


SUR SA MAISON, 77 ; 57 AV. J.-C.)
Je crois en effet, quoique dans cette adoption rien de conforme aux
lois n’ait été accompli, que l’on t’a tout de même demandé si tu
t’engageais à ce que P. Fonteius ait sur toi le droit de vie et de mort,
comme <un père> sur un fils.
C2. DU « DROIT DE VIE ET DE MORT », « COMME UN PÈRE SUR SON FILS »
(AULU-GELLE, 5, 19, 9 ; PUBLICATION POSTHUME EN 180 OU APRÈS CETTE
DATE)

Les termes de cette proposition sont les suivants : « Veuillez et


ordonnez que L. Valerius soit pour L. Titius un fils selon le droit et selon
la loi, comme s’il était né de ce père et de sa mère de famille, et qu’il
[Titius] dispose du pouvoir de vie et de mort (uitae necisque potestas) envers
lui [Valerius], comme un père l’a sur son fils. C’est dans les termes que je
viens de dire que je vous fais cette proposition, Quirites ».

d. Le chevalier Tricho tue son fils


et échappe au lynchage de la foule, grâce
à Auguste (Sénèque, De la clémence,
1, 15, 1 ; 55/56 ap. J.-C.)
Nous avons encore en mémoire ce Tricho, chevalier romain que
le peuple cribla de coups de stylets en plein forum, parce qu’il avait tué
(occidere) son fils avec des verges (flagellae) ; c’est à peine si l’autorité de
César Auguste put le faire échapper aux mains dirigées contre lui.

e. Le « droit du père », contre le « droit


du brigand » (Rescrit d’Hadrien, 117-
138 ap. J.-C., mentionné par Marcien,
Des institutions, extrait du livre 14,
fr. 175 Lenel = Digeste, 48, 9, 5 ; postérieur
à 217 ap. J.-C.)
On rapporte que l’empereur Hadrien, avait fait déporter dans une île
un homme qui lors d’une chasse avait tué son fils qui entretenait
une relation adultère avec sa belle-mère (nouerca), parce qu’il l’avait tué
<en vertu du droit> d’un brigand (latro), plutôt qu’en vertu du droit d’un
père (patris ius), car la puissance paternelle (patria potestas) se définit par
une pieuse affection (pietas), plutôt que par la cruauté (atrocitas).

f. L’esclave et le fils : puissance


de vie et de mort comparée (Gaius,
Institutes, 1, 52 et 55 ; 161 ap. J.-C. env.)
52. C’est pourquoi les esclaves sont soumis à puissance des maîtres.
Quant à cette puissance, elle relève du droit des gens, car nous pouvons
observer que chez tous les peuples, exactement de la même façon,
les maîtres disposent envers les esclaves de la puissance de vie et de mort,
et que tout ce qui est acquis par l’esclave est acquis par le maître.
(…)
55. De la même façon les enfants que nous avons engendrés en de
justes noces sont en notre puissance ; car c’est un droit propre aux
citoyens Romains ; en effet, d’ordinaire, il n’est aucun des autres hommes
qui dispose d’une puissance envers leurs fils égale à celle dont nous
disposons.

g. Les « héritiers siens », l’exhérédation


et le droit de tuer (Paul, À Masurius
Sabinus, extrait du livre 2, fr. 1631 Lenel =
Digeste, 28, 2, 11 ; avant 206 ap. J.-C.)
Pour ce qui concerne les héritiers siens (sui heredes), il apparaît plus
clairement que la continuité de la propriété amène les choses au point
qu’il semble qu’il n’y a eu aucune succession (hereditas), comme si ceux-ci
étaient propriétaires de longue date, d’autant plus que du vivant du père
ils sont en quelque sorte considérés comme <déjà> propriétaires. Et c’est
pour cette raison que l’on emploie l’expression « fils de famille » (filius
familias), à l’instar de « père de famille » (paterfamilias), en y ajoutant cette
seule observation, selon laquelle on distingue celui qui engendre de celui
qui a été engendré. C’est pourquoi, après la mort du père, on ne considère
pas qu’ils reçoivent la succession, mais plutôt qu’ils accèdent à la libre
gestion des biens. C’est pour cette raison qu’il est permis qu’ils ne soient
pas institués héritiers et qu’ils soient <automatiquement> propriétaires :
aucun obstacle à ce principe ne procède du fait qu’il est permis de
les exhéréder (exheredare), et qu’il était permis de les tuer (occidere).

h. Puissance du père et inaliénabilité


de la liberté du fils (Constantin Auguste
à Maximus, préfet de la Ville, Code
théodosien, 4, 8, 6, pr. = Code de Justinien,
8, 46, 10 ; 18 mai 323)
Les ancêtres ont accordé un tel prix à la liberté qu’il n’était pas permis
aux pères, auxquels le droit de vie et la puissance de mort envers
les enfants ont été remis [Code de Justinien : avaient autrefois été remis],
d’ôter la liberté.
Donnée le 15 des calendes de juin à Thessalonique, sous le consulat de
Sévérus et de Rufinus.
*
* *

Le mot familia en latin ne correspond pas tout à fait à ce que nous


entendons par « famille » dans les langues qui recourent à cette
étymologie, car la réalité antique qu’il désigne est plus large, même si « la
familia, au sens personnel, représente le noyau élémentaire de la parenté »
[HUMBERT 2018, p. 202]. Dans le monde romain, ce terme s’applique à
la descendance patrilinéaire, à l’épouse sur laquelle le mari peut exercer
une autorité distincte (on l’appelle la manus, la « mainmise »), mais aussi
(et parfois uniquement) à l’ensemble des biens parmi lesquels figurent
des êtres humains, les esclaves. La familia est donc également une réalité
patrimoniale, et on pourrait, en suivant le raisonnement casuistique
des juristes romains, imaginer un paterfamilias qui n’aurait pas d’enfants,
mais qui aurait à sa disposition un patrimoine dont il est le seul maître.
Cette continuité patrimoniale est très clairement rendue par le fragment
de Paul (R2g) au sujet des « héritiers siens » (heres sui) qui ne paraissent
pas « accéder à la succession (hereditas) » lorsque le père meurt, mais
plutôt à la libre gestion des biens (libera bonorum administratio) dont ils
avaient déjà, en principe ou potentiellement la propriété (dominium). Et
ceci, précisent les derniers termes de ce fragment, en dépit de
la possibilité reconnue au paterfamilias d’exclure le filius familias de
la succession (exheredare), voire, et c’est le point qui nous retient, de
le mettre à mort (occidere). La familia est donc une construction juridique
qui définit un lien entre des individus sous l’angle d’une obéissance et
d’une dépendance de ceux qui la composent à un seul, à savoir le pater,
unique détenteur de la patria potestas et qui exerce en vertu de ce pouvoir
une autorité sur le patrimoine : « Ce groupe restreint se caractérise par
la puissance de son chef, par son pouvoir de disposition et d’autorité sur
les personnes et sur les biens. Au pouvoir de choisir son heres parmi ses
sui, de lui donner un tuteur, de choisir un heres extraneus en dehors de
la familia ou de sa parenté plus vaste, font écho la uitae necisque potestas et
le pouvoir d’exclure un suus de la familia. Bref, familia, sui et patria potestas
se recouvrent » [HUMBERT 2018, p. 202].
Tout mâle adulte ayant des enfants issus d’un mariage légitime n’est
pas nécessairement un paterfamilias, si lui-même est encore « sous
la puissance » (in potestate) de son propre père (biologique ou adoptif).
Cette distinction est essentielle. Il faut avoir toujours à l’esprit cette
articulation famille/cité, non seulement lorsque l’on cherche à écrire
l’histoire de la famille dans la Rome antique, mais également pour saisir
les différentes articulations de la juridiction pénale, son application,
la responsabilité qu’elle engage, ou, plus largement encore, lorsque l’on
veut comprendre les mécanismes de la vie politique et de la cité dans son
ensemble. À la différence de la polis grecque qui place sur le même plan
tous les citoyens mâles adultes, à Rome les deux registres sont imbriqués,
car le corps civique est composé de personnes de droit propre (ce que l’on
désigne en latin avec le génitif sui iuris) et les personnes qui dépendent
juridiquement d’un autre (les alieni iuris). Bref, « on appelait paterfamilias,
exclusivement, le citoyen qui n’était plus sous puissance de père » [THOMAS
2017, p. 44] et Rome peut être désignée comme une « cité des pères »
[THOMAS 1986a]. C’est donc en ayant à l’esprit cet environnement de
représentations qui sont plus qu’une toile de fond, que l’on peut mesurer
l’étendue des pouvoirs du paterfamilias dans ses principes juridiques, et à
travers ses illustrations littéraires (historiques et légendaires). Ces
différents domaines qui confinent au droit et à la religion relèvent d’une
histoire de la famille et du pouvoir à Rome.
La puissance du père se manifestait dès la naissance de l’enfant, avec
la possibilité de tuer le nouveau-né malformé (infanticide) ou de
l’abandonner (exposition). Mais le père pouvait également appliquer au
fils des mesures coercitives qui pourraient aujourd’hui susciter
l’étonnement. L’institution du nexum (XII Tab., 6, 1) – abolie en 326 ou
313 av. J.-C. par une Lex Poetilia – visait à satisfaire un créancier du père, en
lui livrant le fils pour qu’il dispose de sa force de travail. Le père pouvait
aussi vendre son fils « au-delà du Tibre » – c’est-à-dire hors de la cité. Si
la vente était définitive, le fils perdait alors la citoyenneté. Mais très vite
la vente est devenue une location temporaire sous contrainte. Et la Loi
des XII Tables (4, 2) indique cette fois qu’au bout de la troisième vente
le fils était libéré. La loi aurait évité ici les abus. La vente s’opérait par
une procédure solennelle, le mancipium : échange de paroles entre le père
et le vendeur devant cinq personnes présentes. Cependant, en amont de
ces procédures mal connues, un principe paraît commander la puissance
du père, à savoir « le droit de vie et de mort ».

Un principe originel : Le « droit de vie et de mort »


du paterfamilias

Cette manifestation extrême de la patria potestas suscitait l’étonnement


d’un auteur comme Denys d’Halicarnasse. Dans ses Antiquités Romaines, cet
historien qui a vécu à Rome au tournant de notre ère, sous le règne
d’Auguste (le premier livre de son ouvrage est paru en 7 av. J.-C.), observe
la singularité des mœurs des Romains en ce domaine (R2a1).
Le contenu de ces lignes invite évidemment à la prudence. Il ne faut pas
prendre pour argent comptant tout ce que Denys d’Halicarnasse rapporte
au sujet des premiers temps de Rome, à commencer par la succession
légendaire des premiers rois. Cependant, le doute sur l’authenticité
des faits situés dans la Rome royale porte généralement sur
les développements narratifs où cet historien se complaît, plutôt que sur
l’observation des mœurs archaïques pour la connaissance desquelles il a
réuni une large documentation. Denys d’Halicarnasse puise notamment
chez les auteurs latins de l’annalistique dont il confronte parfois
les différentes versions. De toute façon, l’information qu’il donne ici au
sujet de la puissance des pères romains est largement confirmée par
d’autres sources, et des sources juridiques, à commencer par la très
ancienne « loi royale » encore invoquée sous l’Empire et qui « a donné au
père la puissance de vie et de mort (uitae necisque potestas) sur son fils »
(Coll., 4, 8, 1) (R23). Cette « loi royale » elle-même est brièvement
mentionnée par l’un des plus grands juristes de l’époque sévérienne,
Papinien, dans son traité De adulteriis, essentiellement consacré à
un commentaire de cette loi d’Auguste des années 18-16 av. J.-C. qui fit de
l’adultère un crime public poursuivi sur dénonciation devant
les tribunaux, et non plus seulement un acte réprimé dans le cadre d’une
procédure domestique. La puissance de vie et de mort du paterfamilias, que
l’on se réfère à Denys d’Halicarnasse ou à la lex Regia mentionnée par
Papinien, constitue à l’évidence une norme très ancienne, nécessairement
antérieure à la Loi des XII Tables.
Cette antériorité est à peu près certaine, dans la mesure où la Loi
des XII Tables aurait introduit une clause restrictive à cette disposition
coutumière, demeurée pourtant extérieure au domaine de la loi elle-
même [HUMBERT 2018, p. 149-150]. En témoigne le fragment du Pseudo-
e
Gaius d’Autun (R2b), découvert à la toute fin du XIX siècle. Il s’agit d’un
texte très fragmentaire, sans doute du milieu du IVe siècle ou plus tardif,
qui cite plus ou moins fidèlement les Institutes de Gaius [GIRARD-SENN 1967,
I, p. 219 ; LIEBS 1993, p. 80] : l’expression iusta causa, par exemple, est
certainement apocryphe alors que le verset comportait plutôt à l’origine
l’expression iure, c’est-à-dire « conforme au droit » (par opposition au
terme iniuria (R21) [HUMBERT 2018, p. 150-151]. Ce verset signifie que
l’assassinat pur et simple n’a évidemment pas été toléré (Orose, Histoires
contre les païens, 5, 1, 8). Comment la limite inscrite par la iusta causa, était-
elle sanctionnée ? Sans doute par la nota censoria ou par une poursuite
tribunicienne, à une époque certainement postérieure à la Loi des XII
Tables elle-même [HUMBERT 2018, p. 153]. Une dernière question, très
débattue, demeure : quelle était la forme de l’exercice de la puissance
paternelle ? Devait-elle obéir aux normes procédurales d’un « tribunal
domestique » ou s’appliquait-elle en tant que « puissance » sans autre
forme procédurale ? Comme l’a démontré E. Volterra, notamment,
la seconde hypothèse paraît bien plus conforme à l’expression d’une
« puissance » (potestas), qui ne relève pas de l’exercice d’un « droit » (ius),
et dont le formalisme était nécessairement restreint [HUMBERT 2018, p. 153-
154].
Cette « puissance de vie et de mort », ne doit pas être confondue avec
la juridiction domestique – assortie d’un « droit de tuer » (ius occidendi) –
exercée par le pater sur l’ensemble de ceux qui lui sont subordonnés. Elle
ne doit pas être confondue naturellement avec l’infanticide ou le droit
d’exposer les enfants, ni même avec la punition des femmes pour
consommation de vin ou adultère – le premier motif est ancien et s’est
estompé, le second a été encadré par la loi d’Auguste qui autorisait
le meurtre de la femme adultère et de son complice dans certains
circonstances (R23). À la différence des dispositions pénales qui
s’énoncent au conditionnel, la vie du fils est « une grâce permanente du
père » [THOMAS 2017, p. 165], même si, comme on vient de le voir, la Loi
des XII Tables (4, 2a) paraît avoir tenté d’encadrer l’exercice de cette
puissance en la dissociant de l’accomplissement du meurtre arbitraire du
fils par le père, bref en s’opposant aux abus qui pouvaient découler de
cette puissance absolue et coutumière. En dehors de la loi royale et de sa
limitation par la Loi des XII Tables, l’existence d’une puissance de vie et de
mort issue de la patria potestas est indubitablement attestée par la formule
technique de la procédure d’adoption (adrogatio), mentionnée rapidement
par Cicéron dans le discours Sur sa maison (c’est la seule allusion dans tout
le corpus cicéronien à cette potestas) (R2c1), et citée mot pour mot par
e
un auteur du II siècle, Aulu-Gelle, soucieux de transmettre avec précision
les documents qu’il connaît (R2c2). Le juriste Gaius qui vivait lui aussi au IIe
siècle (à l’époque des Antonins) pouvait donc affirmer par
une considération universelle sur le droit et les coutumes des différents
peuples : « il n’y a en effet presque pas d’autres hommes qui aient à l’égard
de leurs fils une puissance telle que celle que nous avons » (R2f). Le même
juriste souligne également que si le droit de vie et de mort sur les esclaves
relève bien du ius gentium (c’est-à-dire le « droit des peuples », qui
recouvre l’ensemble des règles communes à toutes les sociétés), la potestas
sur les fils appartient quant à elle au droit civil romain. [THOMAS 1984b,
p. 503-504 = THOMAS 2017, p. 170-171]. Certains commentateurs ont profité
de ce que Gaius mentionne la uitae necisque potestas uniquement comme
une puissance s’appliquant aux esclaves (dans le cadre du ius gentium)
alors qu’il la passe sous silence au sujet de la puissance du père (reconnue
par le droit civil romain) pour affirmer qu’une telle formule, citée nulle
part ailleurs par le même Gaius, ne pouvait s’appliquer au pouvoir
paternel [SHAW 2001]. Et pourtant une telle objection avait déjà été réfutée
par Yan Thomas. Certes, souligne ce dernier, Gaius ne cite la formule qu’à
propos des esclaves. Gaius dit en effet que les relations maîtres/esclaves
chez tous les peuples (gentes) sont commandées par le même principe :
« car nous pouvons observer que chez toutes les peuples, exactement de
la même façon, les maîtres disposent envers les esclaves de la puissance de
vie et de mort ». Et lorsqu’il en vient plus bas à la puissance paternelle,
certes il ne répète pas la formule uitae necisque potestas, mais il souligne
qu’aucun peuple ne partage cette puissance paroxystique accordée au
paterfamilias par le droit civil romain : « aucun des autres hommes ne
dispose d’une puissance envers son fils égale à celle dont nous
disposons ». La formule uitae necisque potestas n’est certes pas mentionnée
de nouveau, mais elle s’impose, à l’évidence, comme l’expression ultime
de la patria potestas chez les Romains : « L’expression, par conséquent,
devance son contexte propre. Elle sert à introduire talem potestatem de I,
55, qui concerne les fils : c’est là qu’est son vrai lieu juridique » [THOMAS
1984b, p. 504].
Un principe irréfragable, mais inquantifiable au regard
de la sociologie historique

Au-delà des observations formulées par des historiens comme Denys


d’Halicarnasse (mais aussi Polybe, Dion de Pruse, Dion Cassius), au-delà de
la formule de l’adrogatio ou des principes énoncés par des juristes comme
Gaius ou Papinien, cette puissance de vie et de mort est-elle attestée
historiquement ? En réalité, une sociologie de la mise en pratique de
« la puissance de mort » des pères ou encore une quantification de tels
actes est impossible pour une époque aussi reculée – en dépit des signes
d’une évolution de la violence domestique au fil des siècles de l’histoire de
Rome, car cette potestas s’est trouvée limitée par la loi (R39). Si on peut
dire d’emblée que cette vérification est impossible, doit-elle même être
tentée ? Il n’est pas certain que cette essence de la patria potestas se reflète
autrement que dans des situations exemplaires appartenant au plus
lointain passé de Rome. Mais l’intérêt de ces exempla, quand bien même on
peut douter de leur authenticité, est qu’ils illustrent cet élément
constitutif de la cité romaine, à savoir l’imbrication de la sphère
domestique et de la sphère publique.
Partons, à l’époque royale (sous le règne de Tullus Hostilius), du
célèbre épisode d’Horace (R3a). En rentrant à Rome après avoir tué
les Curiaces et voyant sa sœur pleurer l’un d’entre eux qui était son
amant, Horatius la tue de son épée en lui assénant : « disparais avec ton
amour pré-nubile » (cum immaturo amore) ». Horace aurait ensuite été jugé
pour crime de haute trahison (perduellio) devant le peuple, selon
une procédure qui constitue la première attestation-rétroprojection de
l’appel (prouocatio) dont la genèse couvre en fait les deux premiers siècles
de la République (R3). Retenons ici seulement, que son père est intervenu
pour le défendre : « le meurtre de sa fille [c’est-à-dire le sororicide commis
par Horace] était juste, selon lui ; sans quoi il aurait usé de son droit
paternel (ius patrium) pour châtier son fils » (Tite-Live, 1, 26, 9). Bien plus
tard, en 509 av. J.-C., l’an un de la République, après le renversement
des Tarquins, le consul L. Iunius Brutus aurait fait exécuter ses propres fils
soupçonnés de comploter pour le retour des rois, cumulant ses deux titres
de magistrat détenteur du commandement (imperium) et de père. Ce n’est
pas tant alors la scène du supplice qui est rapportée par Tite-Live, que
le reflet du supplice sur les traits du visage impassible du père [THOMAS
2017, p. 180-181]. À Rome, comme en Grèce, les récits légendaires mettent
souvent en scène l’opposition entre le lien du sang et l’appartenance
civique, mais ce qu’il y a de frappant dans le cas romain, « c’est que
le dilemme y est si souvent et si régulièrement tranché à l’avantage du
droit public par les pères, de sorte qu’une fonction politique paraît leur
être attachée » [THOMAS 2017, p. 179]. Un épisode plus tardif était connu
des Romains autant que les deux qui précèdent, à savoir l’exécution, sur
l’ordre du consul M. Manlius Torquatus en 340 av. J.-C., de son fils qui pour
s’illustrer au combat et remporter une victoire sur l’ennemi avait osé
quitter les rangs (Tite-Live, 8, 7). Cicéron a recours à cet exemple pour
contredire les principes de l’épicurisme. Epicure, et plus encore ses
disciples, ramènent tout ce que nous rechercherions ou éviterions à
la volupté et à la douleur. « Rien ne paraît plus indigne d’un homme
qu’une pareille opinion », s’insurge l’orateur qui avance alors un exemplum
contraire :

Et quand <Torquatus> fit trancher la tête de son fils, ne se priva-t-il


pas d’un plaisir bien doux et bien sensible, puisque par là il préféra
aux sentiments de la nature les plus vifs ce qu’il croyait devoir à
la majesté de l’autorité consulaire ? (Cicéron, Des termes extrêmes
des biens et des maux, 1, 7, 23)

Or ce sont précisément les modèles de Brutus ou de Torquatus que


Virgile place dans la bouche d’Anchise lorsque ce dernier annonce à son
fils Énée la postérité qui sera la sienne.

Veux-tu voir encore les rois Tarquins ? L’âme superbe


de Brutus le vengeur (ultor), et les faisceaux qu’il a recouvrés ?
Le commandement du consul (consulis imperium), les haches sans
pitié (saeuae secures), le premier il les recevra ; ses fils qui
soulevaient des guerres sans précédent,
Il les appellera au châtiment (poena), lui leur père, et cela pour
la belle liberté.
Le malheureux ! Quelle que soit la façon dont les descendants
rapportent ces faits,
Son amour de la patrie l’emporte et son désir immense de mériter
les louanges
Mais plus loin regarde les Decii, les Drusii, Torquatus avec sa hache
impitoyable, et Camille rapportant les enseignes. (Virgile, Énéide, 6,
817-825)

Si, dans les cas qui viennent d’être mentionnés, la puissance paternelle
se confond avec le pouvoir de commandement du magistrat, un dernier
exemplum peut être évoqué, celui de Spurius Cassius qui en 486 av. J.-
C. aurait tenté, par une série de mesures démagogiques auprès du peuple
(approvisionnement en blé, redistribution des terres) d’accaparer
le pouvoir à son profit en rétablissant le regnum, c’est-à-dire « la royauté »,
ou encore « la tyrannie ». Tantôt les auteurs le font précipiter de la roche
Tarpéienne (R34f) à l’issue d’un procès devant le peuple, tantôt l’apprenti
tyran est exécuté par son père lui-même, comme le souligne en particulier
Denys d’Halicarnasse, non sans ignorer l’autre version (R6b). D’autres
exemples présentent des pères qui, sans mettre à mort leur fils coupable
d’une faute, cette fois, les mettent à l’épreuve, alors même que ces
derniers exercent les plus hautes magistratures, comme si l’exercice du
pouvoir dans la cité était encore soumis à une initiation voulue par
le père. La séquence la plus fameuse se trouve chez Plutarque dans
la biographie qu’il consacre à Q. Fabius Maximus Verrucosus, dit « le
temporisateur » (Cunctator) qui par sa stratégie prudente au lendemain
des graves défaites essuyées par les Romains lors de la percée d’Hannibal
en Italie avait permis de sauver Rome. En 213 av. J.-C., alors que la guerre
contre les Carthaginois se poursuit sur le sol italien, le fils de ce Fabius
Maximus devient consul à son tour. Le voici qui parcourt le camp (la scène
se passe hors de Rome) précédé de ses licteurs, lorsque sur son chemin son
père s’avance à cheval. Face à un consul, n’importe qui doit se tenir à pied.
Le fils envoie donc un appariteur demander à son père de descendre de sa
monture. Si cet ordre déplaît à la foule des témoins, elle ravit le père :

J’ai voulu connaître par expérience (experiri), mon fils, dit-il, si tu


savais assez que tu es consul. (Tite-Live, 24, 44, 10)

On ne saurait ici considérer seulement que l’ordre de la cité l’emporte


sur l’ordre domestique. L’intervention du père qui s’est avancé auprès de
son fils pour le mettre à l’épreuve signifie plus. Le père est alors lui-même
l’incarnation de la loi de la cité [THOMAS 2017, p. 179-180].
De tels exempla appartiennent au plus lointain passé de Rome. Ils sont
légendaires dans la mesure où les auteurs qui les rapportent fabriquent
des récits à valeur édifiante. Mais leur authenticité ne doit pas être
entièrement récusée dans la mesure où ils s’appuient sur des structures
juridiques, sociales et mentales, héritées de la Rome républicaine. Ils
recoupent par ailleurs des principes énoncés comme des normes du droit
ou de la vie civique. Il n’en demeure pas moins que l’exercice de
la puissance paternelle est presque invérifiable en dehors de ceux-ci, et
que lorsque des pères ont sévi contre leurs fils, comme par exemple, à
l’occasion de la répression de la conjuration de Catilina, rien ne prouve
que c’est en vertu de la patria potestas qu’un tel geste a été accompli [SHAW
2001]. B. D. Shaw est pourtant allé beaucoup trop loin dans son effort de
révision de ce qu’il appelle avec ironie, comme pour en décrédibiliser
le fondement « cet aspect létal de la paternité romaine » [SHAW 2001,
p. 56]. Comme il le proclame, sa démarche est sociologique et quantitative,
alors même, comme nous en a averti Yan Thomas, qu’aucune
quantification, précisément, n’est possible, qu’aucun « dossier » ne peut
être constitué en l’état de notre documentation. La démarche de Brent
D. Shaw est donc statistique et hypercritique. Les leges regiae seraient
une complète invention, la citation du verset de la Loi des XII Tables ne
serait pas crédible puisqu’elle remonte à une citation tardive du Pseudo-
Gaius, la formule de l’adrogatio aurait été inventée par le juriste Mucius
Scaevola, etc. Sans entrer dans le détail d’une récusation point par point
qui s’impose, soulignons brièvement, à la lumière des textes ici
rassemblés, deux erreurs de lecture de la jurisprudence. Prenons le rescrit
d’Hadrien (117-138) cité par Marcien (R2e). Il faut, avouons-le,
une certaine dose d’ingénuité ou de complaisance à l’égard de
la rhétorique impériale pour ne s’en tenir qu’aux derniers termes de ce
texte qui évalue la patria potestas à l’aune de la pietas et de la crudelitas.
Le rescrit dit précisément qu’un père qui aurait tué son fils par jalousie et
parce qu’il disposait d’un mobile – la relation adultère et incestueuse du
fils avec sa belle-mère – aurait agi en vertu d’un supposé « droit du
brigand », plutôt qu’en vertu du « droit du père ». Ce qui revient
évidemment à reconnaître l’existence du « droit du père » en question.
Quant au texte de la Collatio legum (Coll., 4, 8, 1) (R23), il n’est tout
simplement pas compris par Brent D. Shaw. Ce fragment ne permet en
effet aucunement de disqualifier le principe originel de la uitae necisque
potestas à l’égard du fils, puisqu’il insiste précisément sur ce qui distingue
cette norme, ancienne et inconditionnelle, des circonstances où le père,
en vertu de la législation augustéenne sur l’adultère (entre 18 et 16 av. J.-
C.), devait appliquer le « droit de tuer » (ius occidendi) à l’encontre de sa
propre fille et ne pas s’arrêter à l’exécution de l’amant de cette dernière.
Dressons le bilan des observations qui précèdent. Il est vrai qu’en dépit
de son fondement en droit, l’exercice de la patria potestas est à peine
attesté. Il paraît néanmoins très artificiel de s’attaquer à chacune de ses
attestations normatives, pour briser le lien qui les unit entre elles en
procédant à chaque fois à un effort isolé de déconstruction et en
mobilisant dans chaque cas les arguments de vraisemblance les plus
disparates. Il n’en demeure pas moins naturellement que l’on est en droit
de s’interroger sur les formes de la répression exercée au nom de la patria
potestas dans la longue durée. Ce qui conduit à une autre enquête, celle de
la répression des adolescents et des mineurs (R39). Or comme on l’a
compris c’est la partition sui iuris/alieni iuris – c’est-à-dire entre ceux qui
disposent d’une autonomie juridique et ceux qui dépendent d’un père,
quel que soit leur âge – qui surdétermine l’exercice de la puissance
domestique, plutôt que la distinction des tranches d’âge. Mais, ne serait-ce
que pour une raison démographique et biologique, liant les ascendants
aux descendants, la question de l’âge recoupe quand même celle du statut.
e
On se contentera ici de remarquer qu’au début du IV siècle Constantin se
e
réfère à cette potestas des pères (R2h) et qu’à la fin du IV siècle on
s’interroge encore sur les limites de l’emendatio des mineurs (R39p). Dans
les deux cas, indéniablement, il apparaît qu’une norme archaïque a été
dépassée et refoulée par le développement des institutions publiques et de
la justice criminelle, par l’affirmation du monopole de l’État, au détriment
de la juridiction domestique. Au IVe siècle de l’Empire, le législateur s’en
remet donc toujours, même pour la contredire ou la tempérer, à
une définition archaïque de la puissance du paterfamilias. Dans la mesure
où la puissance paternelle était viagère, dans la mesure donc où le fils
devait attendre la mort du père pour accéder à l’autonomie juridique
(pour lui-même et vis-à-vis de sa propre descendance) pour disposer en
propre d’un patrimoine, comme le fils était également soumis aux
réprimandes, aux vexations, voire aux sévices d’un père doté d’un pouvoir
de vie et de mort, on comprend que la question du parricide se soit posée
aux Romains avec une particulière acuité au point de constituer une peur
« obsessionnelle » et « endémique » (R35).
3

Procès capital, citoyenneté et droit d’appel


e er
au peuple (V -I siècles av. J.-C.)

a. Le procès d’Horace : le roi,


les duumvirs et l’appel au peuple (règne
de Tullus Hostilius)

A1. LE ROI DÉFÈRE LA POURSUITE AUX DUUMVIRS CHARGÉS DE LA « HAUTE


TRAHISON », PUIS IL SUSCITE L’APPEL AU PEUPLE (TITE LIVE, 1, 26, 2-
14 ; OUVRAGE COMPOSÉ ET PUBLIÉ ENTRE 27 AV. ET 17 AP. J.-C.)

2. Horace marchait en tête portant devant lui les dépouilles des trois
frères jumeaux. Sa soeur, encore jeune fille et qui avait été fiancée à l’un
des Curiaces, se présenta à lui devant la porte Capène. Ayant reconnu sur
les épaules de son frère l’habit militaire de son fiancé qu’elle avait
confectionné elle-même, elle dénoue sa chevelure, et, en pleurant, appelle
par son nom son fiancé défunt. 3. La lamentation de sa sœur, alors qu’il
célébrait sa victoire au milieu d’une telle joie publique ébranle l’âme du
fougueux jeune homme. C’est pourquoi, ayant tiré son épée, il transperce
la jeune fille en l’invectivant par ces mots : 4. « Va, emportée par ton
amour non nubile, rejoins dès maintenant ton fiancé, dit-il, toi qui oublies,
et tes frères morts et celui qui vit, toi qui oublies ta patrie. 5. Et que
disparaisse ainsi toute Romaine qui portera le deuil (lugere) de l’ennemi ».
Aux pères [les sénateurs] aussi bien qu’à la plèbe, un tel crime (facinus)
parut atroce, mais le mérite acquis récemment faisait écran au fait.
Cependant, on l’emmène (rapere) comparaître devant le roi (ad regem)
conformément au droit (in ius). Le roi, cependant, pour ne pas être lui-
même l’auteur d’un jugement du peuple (iudicium) sinistre et mal venu, et
a fortiori du supplice consécutif au jugement après avoir réuni le conseil du
peuple (consilium populi), déclara : « je désigne, conformément à la loi,
des duumvirs pour qu’ils intentent à Horace un jugement pour crime de
haute trahison (perduellio). 6. La loi contenait une formule effrayante :
« Que les duumvirs jugent le crime de haute trahison ; s’il est fait appel
<du jugement> (prouocare) des duumvirs, que l’appel (prouocatio) soit
discuté ; s’ils l’emportent, que sa tête soit voilée ; qu’après avoir été
suspendu par une corde à un arbre funeste (arbor infelix), il soit battu de
verges, soit à l’intérieur du pomerium soit à l’extérieur du pomerium.
7. Les duumvirs créés par cette loi ne croyaient pas pouvoir absoudre en
vertu de cette loi, quand bien même ils auraient condamné un innocent.
Alors l’un d’eux déclara : « Publius Horatius, je te juge coupable de crime
de haute trahison. Licteur (lictor), attache-lui les mains ». 8. Le licteur
s’était approché et attachait le lacet (laqueus). Alors, à l’instigation de
Tullus, interprète clément de la loi, Horace dit « je fais appel » (prouocare).
9. Ainsi la discussion sur l’appel est renvoyée devant le peuple.
Les hommes qui participaient à ce procès furent très grandement émus
lorsque P. Horatius, le père, proclama qu’il jugeait que sa fille avait été
tuée conformément au droit et que si cela n’avait pas été le cas il aurait
procédé à l’exécution (animaduertere) de son fils en vertu du droit paternel
(patrium ius). Il priait ensuite que ceux qui l’avaient vu peu de temps
auparavant entouré d’une famille remarquable ne fassent pas de lui
un homme sans enfants. 10. Dans ces circonstances, le vieillard
embrassant le jeune homme, et montrant les dépouilles des Curiaces
enfoncées en ce lieu que l’on appelle maintenant le pilier horacien (pila
Horatia), déclarait : « Est-ce que, Quirites, celui que vous avez vu s’avancer
orné et triomphant à l’issue de sa victoire, vous pouvez le voir attaché
(uinctus) sous la fourche (furca) entre les verges (uerbera) et le supplice
(cruciatus) ? Les yeux des Albains pourraient à peine supporter
un spectacle aussi honteux. 11. Allez licteur, attache les mains qui,
lorsqu’elles étaient armées il y a peu, donnèrent le pouvoir (imperium) au
peuple romain. Allez, voile (obnubere) la tête du libérateur de cette ville,
suspends-le à l’arbre funeste (arbor infelix), frappe-le des verges, soit à
l’intérieur du pomerium, pourvu que ce soit entre ces lances et
les dépouilles des ennemis, soit à l’extérieur du pomerium, pourvu que ce
soit entre les tombeaux des Curiaces. Dans quel autre lieu, en effet, peux-
tu conduire ce jeune homme ? Dans quel autre lieu ses ornements ne
le vengeront pas d’une telle horreur du supplice ? » 12. Le peuple ne
supporta ni les larmes du père ni l’âme égale du fils lui-même au milieu du
danger, et ils prononcèrent l’absolution (absoluere), plus par admiration de
son courage qu’en raison du droit défendu dans sa cause. C’est pourquoi,
pour qu’un crime flagrant (caedes manifesta) soit effacé (luere) par
une peine expiatoire (piaculum), on ordonna au père qu’il rachète (expiare)
le fils par une amende publique (pecunia publica). 13. Celui-ci, après avoir
accompli certains sacrifices expiatoires (sacrificia piaculares) qui se sont
transmis par la suite au sein de la gens Horatia, installa une poutre (tigillum)
<en hauteur> au travers d’une rue et y envoya le jeune homme, la tête
couverte (caput adopertum), comme s’il passait sous le joug (iugum). Cette
<poutre> existe encore aujourd’hui, toujours restaurée aux frais de l’État ;
on l’appelle la poutre de la sœur (sororium tigillum). 14. Le tombeau
d’Horace a été construit en blocs de pierre de taille à l’endroit où, après
avoir été frappée, <sa sœur> s’était effondrée.
A2. LA « POUTRE DE LA SŒUR » : HORACE ACCUSÉ DE « PARRICIDE »
DEVANT LE TRIBUNAL DES DUUMVIRS ? (VERRIUS FLACCUS,
DE LA SIGNIFICATION DES MOTS, FIN DE L’ÉPOQUE AUGUSTÉENNE ; D’APRÈS
e e
L’ABRÉGÉ DE FESTUS, P. 380 LINDSAY, 2 MOITIÉ DU II SIÈCLE AP. J.-C.)

La « poutre de la sœur » (sororium tigillum) est ainsi appelée pour


la raison suivante : en vertu d’un accord entre le roi Tullus Hostilius et
le chef des Albains Fufitius, des triplés, les Horaces et les Curiaces,
s’étaient livrés à un combat à l’issue duquel le pouvoir (imperium) devait
revenir aux vainqueurs. C’est notre Horace qui l’avait emporté et alors
qu’en vainqueur il rentrait dans son pays, sa sœur se présenta sur son
chemin. Comme elle avait appris la mort de son fiancé tué de la main de
son frère, elle se détourna du baiser que ce dernier s’apprêtait à lui
donner. Pour cette raison Horace la tua, et quoique son père l’eut absous
(absoluere) du crime (scelus), il fut tout de même accusé de parricide
(parricidium) devant les duumvirs : condamné (damnatus), il fit appel
(prouocare) au peuple. Vainqueur à l’issue de ce jugement, il passa, comme
s’il avait été envoyé sous le joug, entre deux poutres surmontées d’une
troisième que son père avait élevées, puis les autels de Junon sœur et de
Ianus Curiatus ayant été consacrés à cet endroit, il fut libéré de toute faute
(noxia) de crime (scelus), avec l’approbation des augures. Et c’est pourquoi
cette poutre fut appelée « poutre de la sœur ».

b. Naissance « d’un peuple libre » :


la première loi sur la prouocatio,
une fondation rétrospective attribuée
à Valerius Publicola et datée
de l’année 509 av. J.-C.
B1. DE LA LOI DE P. VALERIUS PUBLICOLA DE 509 AV. J.-C. AUX LOIS
e
PORCIAE DU DÉBUT DU II SIÈCLE (CICÉRON, DE LA RÉPUBLIQUE,
2, 54 ; 53 AV. J.-C.)
Le même personnage proposa ensuite au peuple une loi – en raison de
laquelle il mérita principalement d’être appelé « Publicola » <« qui prend
soin du peuple » (qui colit populum)>, qui fut la première à être proposée
aux comices centuriates et selon laquelle aucun magistrat ne mettrait à
mort (necare) ou ne battrait de verges (uerberare) contre l’appel
(prouocatio). Les livres des pontifes montrent que même à partir des rois
l’appel a existé, les livres auguraux le montrent également, et de la même
façon les XII Tables indiquent dans de nombreuses lois qu’il était permis
qu’il soit fait appel (prouocari) de tout jugement et de toute peine, tandis
que s’offre à la mémoire le fait que les décemvirs qui ont rédigé les lois ont
été créés sans être exposés à l’appel (sine prouocatione), ce qui montre assez
que les magistrats qui leur succéderaient, quant à eux, ne seraient pas
sans être exposés à l’appel. Une loi consulaire de Lucius Valerius Potitus et
M. Horatius Barbatus, des hommes accédant aux attentes du peuple avec
sagesse au service de la concorde, a rendu irrévocable qu’aucun magistrat
ne soit créé sans être soumis à l’appel. Quant aux lois Porciae, qui
reviennent comme tu le sais aux trois des membres de la famille Porcia,
elles n’ont rien apporté de nouveau sinon la sanction (sanctio). C’est
pourquoi Publicola, aussitôt que la loi sur l’appel eut été présentée,
ordonna d’ôter la hache (securis) des faisceaux (fasces), et le lendemain il se
fit adjoindre comme collègue Sp. Lucretius, et il ordonna que les licteurs
passent à celui-ci parce qu’il était plus âgé. C’est lui qui établit le premier
que les licteurs précèdent chaque mois alternativement l’un et l’autre
consuls, de sorte que les insignes du commandement (insignia imperii) ne
soient pas plus nombreux parmi un peuple libre qu’ils ne l’avaient été sous
la royauté. Ce dernier n’était en rien un homme ordinaire, ainsi que je
l’entends, lui qui, tout en octroyant au peuple une liberté mesurée, fonda
l’autorité des hommes de premier rang.

B2. « PUBLICOLA » : LE SURNOM D’UN PARTISAN DU PEUPLE CONTRE


LE RETOUR DE LA ROYAUTÉ (TITE-LIVE, 2, 8, 1-2 ; ÉPOQUE AUGUSTÉENNE)

1. Des lois furent ensuite présentées, qui non seulement écartaient


le consul de tout soupçon de royauté (regnum), mais qui, mieux encore,
inversaient au contraire les choses en allant jusqu’à faire de lui un homme
partisan du peuple (popularis) : d’où le surnom de Publicola qui lui fut
attribué. 2. Avant toutes les autres, les lois qui entrèrent dans les bonnes
grâces de la foule furent celle concernant l’appel (prouocatio) au peuple
contre un magistrat et celle prescrivant de consacrer la tête en même
temps que les biens de celui qui engagerait des projets pour prendre
possession de la royauté (lex de sacrando cum bonis capite eius, qui regni
occupandi consilia inisset).

B3.DEUX LOIS FAITES POUR « SOIGNER LES INTÉRÊTS DU PEUPLE » (DENYS


D’HALICARNASSE, ANTIQUITÉS ROMAINES, 5, 19, 3-5 ; 7 AV. J.-C.)

3. Et comme il voulait donner aux plébéiens une confiance ferme en


la liberté, il enleva les haches des verges en faisant de cette mesure
une habitude pour les consuls qui lui succéderaient, ce qui s’est prolongé
jusqu’à mon époque, de telle sorte que, lorsqu’ils sortaient de la ville ils
utilisaient les haches, tandis qu’à l’intérieur ils disposaient seulement
des verges. 4. Il a également introduit des lois très humaines qui venaient
en aide aux plébéiens. Dans l’une d’entre elles il interdit expressément que
quelqu’un exerce une magistrature parmi les Romains, s’il n’avait pas reçu
du peuple cette magistrature ; il poursuivit de la peine de mort quiconque
agirait contre cette loi tandis que celui qui tuerait quiconque agirait ainsi
demeurerait impuni (athôos). Il fut décidé dans une seconde loi que « si
un magistrat voulait mettre à mort, ou flageller, ou léser dans ses biens
un citoyen romain, il serait permis à ce particulier d’inviter le magistrat à
ce qu’il se présente devant un jugement du peuple, et que dans l’intervalle
il n’éprouverait aucun préjudice de la part de ce magistrat, jusqu’à ce que
le peuple ait prononcé un vote à son sujet ». 5. Ces dispositions lui
valurent l’estime des plébéiens qui lui donnèrent le surnom de Publicola,
ce qui veut dire dans la langue grecque dèmokèdès c’est-à-dire « qui soigne
les intérêts du peuple ».

c. La première décennie républicaine :


consuls, droit d’appel, dictateurs (509-
502 av. J.-C.)

C1. DE LA « PUISSANCE ROYALE » À LA « PUISSANCE DICTATORIALE »


(SEXTUS POMPONIUS, ENCHIRIDION OU « PETIT MANUEL », FR. 178 LENEL
= DIGESTE, 1, 2, 2, 16-18 ; POSTÉRIEUR À 130 AP. J.-C.)
16. Ensuite, les rois ayant été chassés, il fut décidé, par
une proposition de loi (lex rogata), de remettre entre les mains de deux
consuls (consules) le droit le plus élevé (summum ius). Ils furent ainsi
appelés du fait qu’ils veillaient (consulere) beaucoup à la chose publique
(res publica). Toutefois, pour éviter que dans tous les domaines ils
n’attirent à eux la puissance royale (regia potestas), on fit en sorte, par
le vote d’une loi (lex lata), qu’il y eût appel (prouocatio) de leurs <décisions>
et qu’ils ne puissent sévir (animaduertere) contre l’existence d’un citoyen
romain (in caput ciuis romani), sans un ordre du peuple (iniussu populi) : il
leur est seulement resté le pouvoir de contraindre (coercere), de donner
l’ordre de mener dans les fers publics (in uincula publica ducere). 17. Plus
tard, ensuite, puisque les délais pour accomplir le recensement avaient été
dépassés, et que les consuls <à eux seuls> ne suffisaient pas pour exercer
cette charge, des censeurs furent établis. 18. Ensuite, avec l’augmentation
du peuple, alors que les guerres devenaient fréquentes et que certaines
étaient portées avec une violence accrue par des <peuples> voisins,
parfois, si les circonstances l’exigeaient, il a paru bon d’établir
un magistrat doté de la puissance la plus élevée (summa potestas). C’est
pourquoi des dictateurs ont été proclamés, de <la juridiction> desquels il
n’y a pas eu le droit de faire appel (prouocandi ius) et auxquels, de surcroît,
le châtiment de l’exécution capitale (capitis animaduersio) a été octroyé. Il
n’était pas conforme au droit <religieux> (fas) de maintenir plus de six
mois ce magistrat, parce qu’il avait la puissance la plus élevée (summa
potestas).

C2. FACE AUX MULTIPLES MENACES EXTÉRIEURES… UNE MAGISTRATURE


NON SOUMISE À L’APPEL : LA DICTATURE (TITE-LIVE, 2, 18, 3-4 ;
2, 18, 8-9 ; ÉPOQUE AUGUSTÉENNE)
L’année suivante eut pour consuls Postumus Cominius et T. Larcius.
2. Cette année-là, à Rome, alors que durant les jeux des courtisanes
étaient enlevées par des représentants de la jeunesse (iuuentus) sabine
enclins au libertinage (lasciuia), et qu’en raison de l’attroupement
des hommes il y eut une rixe (rixa) et pratiquement un combat (proelium),
quoiqu’il fut parti d’un incident aussi futile, l’affaire semblait tendre à
une reprise des hostilités (rebellio) <avec les Sabins>. 3. À la crainte d’une
guerre contre les Latins, il s’ajoutait également avec évidence que trente
peuples déjà s’étaient liés par un serment (coniurare), pour répondre à
l’invitation au soulèvement (concitare) lancée par Octavius Mamilius.
4. Alors que la cité était troublée par l’attente provoquée par de tels faits,
proposition fut faite pour la première fois de créer un dictateur. (…)
8. Un dictateur ayant été créé pour la première fois à Rome, après avoir vu
les haches portées devant lui, la plèbe éprouva une grande peur, et ils
furent plus scrupuleusement attentifs à obéir à ce qu’il disait. On ne
pouvait plus, en effet, comme avec les consuls, qui étaient d’une puissance
égale, avoir recours à l’aide (auxilium) de l’un ou de l’autre, ou bien faire
appel (prouocatio), et on ne pouvait compter sur aucune aide nulle part, si
ce n’est dans l’attention à obéir. 9. Chez les Sabins, le dictateur que l’on
venait de créer à Rome suscita d’autant plus de peur qu’ils croyaient qu’il
avait été créé à cause d’eux.

C3.LA « MEILLEURE FORME LÉGALE » ET LA « CRÉATION » DES MAGISTRATS


(VERRIUS FLACCUS, DE LA SIGNIFICATION DES MOTS, FIN DE L’ÉPOQUE
AUGUSTÉENNE ; D’APRÈS L’ABRÉGÉ DE FESTUS, P. 204 ET P. 216 LINDSAY,
e e
2 MOITIÉ DU II SIÈCLE AP. J.-C.)

On ajoute d’habitude <la formule> « comme ceux qui auront été selon
la meilleure forme légale (optima lex) », lorsque sont créés certains
magistrats ».

La meilleure loi <ou la meilleure forme légale> […], lorsque l’on fait
un maître du peuple (magister populi), que l’on appelle communément
un dictateur (dictator), signifiait celle en vertu de laquelle il pouvait
disposer d’un droit tout à fait entier, comme ce fut le cas de Manius
Valerius de la gens Volusina, qui fut le premier maître (magister) à être créé
par le peuple [ou : « qui fut le premier maître du peuple à être créé »,
selon MOMMSEN 1984, II, p. 149, n. 5]. Cependant, après que l’appel <d’une
décision> de celui-ci (prouocatio ab eo) eut été accordé, alors qu’elle
n’existait pas auparavant, on a cessé d’ajouter « selon la meilleure forme
légale » (ut optima lege), parce que le droit des premiers maîtres avait été
affaibli (imminutus).

d. Un verset de la Loi des XII Tables (9,1-


2a et b) invoqué par Cicéron à son retour
d’exil : le monopole du « très grand
comice » (comitiatus maximus) en matière
capitale, et le refus du « privilège »
qui offense la vocation universelle
de la loi

D1. LE « PRIVILÈGE » EST UNE VÉRITABLE « PROSCRIPTION » (CICÉRON,


SUR SA MAISON, 43-44 ; 29 SEPTEMBRE 57 AV. J.-C.)
43. Selon quel droit (ius), selon quelle coutume (mos), en vertu de quel
précédent (exemplum), tu as présenté une loi, frappant nommément
(nominatim) de la peine capitale (caput) un citoyen non condamné. Faire
une proposition de loi (irrogare) contre des hommes en particulier, les lois
sacrées (leges sacrates) le défendent, les XII Tables le défendent : c’est en
effet un privilège (priuilegium). Jamais personne n’a fait une telle
proposition : rien de plus cruel, rien de plus pernicieux, rien de moins
conforme à ce que cette cité pourrait présenter <comme loi>. Ce mot tout
à fait déplorable de proscription (proscriptio) et toute la dureté de l’époque
de Sylla, en quoi se distinguent-ils de la manière la plus marquante
lorsqu’on se souvient de sa cruauté ? C’est selon moi par l’établissement
d’une peine dirigée nommément contre des citoyens romains sans
jugement. 44. Donnerez-vous, pontifes, à un tribun de la plèbe, par votre
jugement et votre autorité, cette puissance pour qu’il puisse proscrire
(proscribere) ceux qu’il veut ? Je pose en effet la question : de quoi s’agit-il
sinon de proscrire ? « Daignez vouloir et ordonner que M. Tullius <Cicero>
ne soit plus dans la cité (ciuitas) et que ses biens (bona) deviennent
les miens » : car voilà, en réalité, ce qu’il a proposé, quoiqu’en d’autres
termes.

D2. POURSUITE CAPITALE ET COMICES CENTURIATES (CICÉRON, POUR


SESTIUS, 65 ; MARS 56 AV. J.-C.)
Pourquoi, alors qu’une proscription était présentée au sujet de la tête
(caput) d’un citoyen (et je n’insiste pas sur l’identité du citoyen en
question) et de ses biens (bona), alors que par les lois sacrées et par les XII
Tables, il avait été rendu irrévocable qu’il ne soit pas permis (licere) de
porter contre (inrogari) n’importe qui un privilège (priuilegium) ou de
présenter une loi au sujet de la tête <d’un citoyen>, si ce n’est devant
les comices centuriates (comitia centuriata), pourquoi n’a-t-on aucunement
entendu la voix des consuls à ce sujet. Pourquoi la même année il a été
établi, autant qu’il eût été possible entre ces deux fléaux détenteurs de ce
commandement (imperium), conformément au droit, qu’un citoyen ait pu,
par des manœuvres ourdies et à l’instigation d’un tribun de la plèbe, être
nommément (nominatim) chassé de la cité (exturbare) ?

D3. LA PRÉVOYANCE DES ANCÊTRES SELON CICÉRON (DES LOIS, 3, 11 ET


3, 44 ; 52 AV. J.-C.)
11. Que l’on ne propose pas devant le peuple des lois visant (inrogare)
un individu en particulier (priuilegia). Lorsqu’il en va de la tête (caput) d’un
citoyen (ciuis), que l’on ne se prononce pas si ce n’est par l’assemblée
la plus nombreuse (maximus comitiatus) et ceux que les censeurs ont placés
dans les unités qui constituent le peuple.
(…)
44. Enfin deux lois remarquables sont issues des Douze Tables : l’une
supprime les lois visant un individu en particulier (priuilegia), l’autre
défend (uetare) de faire une proposition de loi (rogari) au sujet de la tête
(caput) d’un citoyen (ciuis), à moins que ce ne soit en très grande
assemblée (maximus comitiatus). Et alors que les tribuns de la plèbe
séditieux (seditosi) ne s’étaient pas encore manifestés et que l’on ne
pouvait certainement pas en prévoir l’existence, on ne peut qu’admirer
que les ancêtres aient ainsi pourvu aux situations qui se produiraient à
l’avenir. Ils n’ont pas voulu que des lois soient portées contre des hommes
à titre privé (priuati homines), ce en quoi consiste précisément une loi
visant un individu en particulier (priuilegium) : qu’y a-t-il en effet de plus
injuste (iniustius) que de viser un individu, quand l’essence même de la loi
est qu’il soit décidé (sciscere) et ordonné (iubere) pour tous. Ils n’ont pas
voulu que l’on se prononce sur les individus, à moins que ce ne soit dans
les comices centuriates (centuriata comitia). En effet, lorsque le peuple est
distribué selon le cens, les ordres, les âges il apporte plus de réflexion au
vote que lorsqu’il est convoqué en se répandant en tribus.

e. Après la découverte d’un cadavre,


le geste du « bon décemvir » Caius Iulius
en 451 av. J.-C.

E1. CAIUS IULIUS RÉCLAME SEULEMENT LE VERSEMENT DE CAUTIONS


À COMPARAÎTRE, EN DÉPIT DE CIRCONSTANCES ACCABLANTES (CICÉRON,
DE LA RÉPUBLIQUE, 2, 36, 61 ; 54-51 AV. J.-C.)
Mais quelques années auparavant, alors que l’autorité du sénat était
la plus haute, tandis que le peuple se soumettait et obéissait, un nouveau
système fut introduit selon lequel les consuls et les tribuns de la plèbe
abdiqueraient, tandis que seraient créés des décemvirs dotés de
la puissance la plus grande (maxima potestas), sans être soumis à l’appel
(prouocatio) : ils disposeraient du commandement le plus élevé (summum
imperium) et rédigeraient des lois. Ceux qui avaient rédigé dix tables de
lois avec une équité et une prudence très élevées furent remplacés l’année
suivante par d’autres décemvirs que l’on ne peut pas louer d’un même
sens de la confiance et de la justice. Cependant, au sein de ce collège
C. Iulius fut digne d’une louange exceptionnelle : il disait qu’en sa
présence, dans la chambre d’un noble, L. Sestius, on avait déterré
un homme mort, et alors que lui-même disposait de la puissance la plus
élevée, puisqu’il comptait parmi les décemvirs qui n’étaient pas soumis à
l’appel, il réclama seulement des cautions (uades), car il refusait de ne pas
tenir compte de cette loi remarquable qui ne permettait pas de statuer au
sujet de la tête d’un citoyen romain, si ce n’est en ayant recours aux
comices centuriates.

E2. EN 451 AV. J.-C., CAIUS IULIUS RENONCE À SON DROIT, AU PROFIT
DE « LA LIBERTÉ DU PEUPLE » (TITE-LIVE, 3, 33 9-10 ; ÉPOQUE
AUGUSTÉENNE)

Il sera suffisant d’établir la preuve de leur modération par l’exemple


d’une seule affaire. Alors qu’ils avaient été créés sans être soumis à l’appel
(prouocatio), un cadavre ayant été déterré à l’intérieur d’une maison chez
P. Sestius, un homme de famille patricienne, ce dernier avait été découvert
et conduit devant l’assemblée (contio). L’affaire avait beau être aussi
flagrante qu’horrible, le décemvir C. Iulius assigna un jour de comparution
(diem dicere) à Sestius. Il se présenta en accusateur devant le peuple. Alors
même que conformément à la loi lui seul était le juge légitime pour
une telle affaire, il renonça à son droit, afin que cette amputation de
la force (uis) du magistrat ajoute à la liberté du peuple.

f. La loi Valeria-Horatia sur l’appel


de 449 av. J.-C. : une disposition
(re)fondatrice, articulée à la sacro-
sainteté tribunicienne ? (Tite-Live,
3, 55, 4-7 ; époque augustéenne)
4. Puis vint une autre loi consulaire au sujet de l’appel (prouocatio),
protection sans pareil de la liberté (libertas), renversée par la puissance
décemvirale, qu’ils ne rétablissent (restituere) pas seulement, mais qu’ils
renforcent pour l’avenir en rendant irrévocable (sancire) une nouvelle loi,
visant à ce 5. « que personne ne crée une magistrature non soumise à
l’appel ; quiconque en créerait une, il serait conforme au droit (ius) et au
droit religieux (fas) de le tuer (occidere), sans que ce meurtre (caedes) soit
tenu pour une faute capitale (noxa capitalis) ». 6. Et, alors qu’ils avaient
affermi la plèbe, d’un côté par l’appel, de l’autre par l’assistance (auxilium)
tribunicienne, ils renouvelèrent en faveur des tribuns eux-mêmes, afin
qu’ils apparaissent sacrosaints (sacrosancti) – cette chose ayant quasiment
été effacée de la mémoire –, certaines cérémonies qui avaient été
reportées durant une longue période, 7. et alors qu’ils les avaient rendus
inviolables (inuiolati) par la religion (religio), ils le firent également par
une loi stipulant que « si quelqu’un maltraitait (nocere) les tribuns de
la plèbe, les édiles, les juges-décemvirs, sa tête (caput) serait consacrée à
Jupiter, et tout ce qui lui appartenait (familia) serait vendu au temple de
Cerès, Liber et Libera ».
g. La loi Valeria sur l’appel de 300 av. J.-
C. : attestation isolée d’une disposition
certainement authentique (Tite-Live,
10, 9, 4 ; époque augustéenne)
La même année le consul M. Valerius présenta une loi sur l’appel
(prouocatio) rendue plus scrupuleusement irrévocable (sancta). Celle-ci est
la troisième à avoir été présentée après que les rois eurent été expulsés, et
toujours par la même famille. La raison pour laquelle elle fut si souvent
remise en état ne tient à rien d’autre, à mon avis, qu’au fait que
les moyens d’un petit nombre d’hommes l’emportaient en puissance sur
la liberté de la plèbe. Cependant, seule la loi Porcia semble avoir été
présentée pour protéger le dos (tergum) des citoyens, parce qu’elle
sanctionna (sancire) par une lourde peine (grauis poena), quiconque
flagellerait (uerbare) ou mettrait à mort (necare) un citoyen romain. La loi
Valeria, alors qu’elle interdisait que soit frappé (caedere) des verges
(uirgae) et mis à mort (necare) par la hache (securis) celui qui avait fait
appel, si quelqu’un avait agi contre ces dispositions, n’ajoutait rien d’autre
que « c’est une mauvaise action » (improbe factum). Le sentiment de
l’honneur était tel alors chez les hommes, que cela sembla un lien imposé
par la loi avec assez de force : tout juste si de nos jours on se sentirait ainsi
menacé.

h. La législation Porcia du début IIe siècle


av. J.-C. : un progrès incontestable,
mal documenté, occasionnellement
revendiqué mais bafoué, de la protection
du citoyen face au magistrat
H1.« JE FAIS APPEL » (PROUOCO) : LE DENIER DU TRIUMVIR MONÉTAIRE
M. PORCIUS LAECA, DONT LE REVERS ILLUSTRE LA COUVERTURE DU PRÉSENT
OUVRAGE (RRC, 301/1, I, P. 313-314 ; II, PLANCHE XL ; 110-
109 AV. J.-C.)

H2. DISCOURS DE CATON, CITÉ PAR VERRIUS FLACCUS (DE LA SIGNIFICATION


DES MOTS, FIN DE L’ÉPOQUE AUGUSTÉENNE ; D’APRÈS L’ABRÉGÉ DE FESTUS,
e e
P. 266 LINDSAY, 2 MOITIÉ DU II SIÈCLE AP. J.-C.)

Pour les épaules (scapulae), selon la formule de Caton, signifie pour


dommage (iniuria) subi par des coups de verges (uerbera). Car de
nombreuses lois dont la sanction (sancire) était la peine des verges (poena
uerberum) avaient été proposées contre des citoyens. Dans ce discours
dirigé contre M. Caelius, il fait comprendre que par celles-ci beaucoup de
ses concitoyens ont été empêchés : « si je l’ai frappé (percutere), souvent je
m’en suis allé indemne ; en outre, pour les épaules, et pour le trésor
(aerarium), il a été très utile à l’État ».

H3. « Ô DOUX NOM DE LIBERTÉ » ! GAEVIUS DE COMPSA EST MIS EN CROIX


PAR VERRÈS, GOUVERNEUR DE SICILE DE 73 À 71 AV. J.-C., ALORS QU’IL
CRIE « JE SUIS CITOYEN ROMAIN », (CICÉRON, VERRINES, 2, 5, 160-163 ;
70 AV. J.-C.)

160. Ce Gaevius de Compsa dont je parle, alors que parmi nombre de


citoyens romains il avait été jeté dans les fers (uincula) par cet individu
<Verrès> et qu’il était parvenu à s’échapper en secret des Latomies
(Lautumiae), je ne sais comment, s’était rendu à Messine. Il était déjà si
près de l’Italie et alors qu’il apercevait les murailles des habitants de
Rhégium, des citoyens romains, à peine revenu de la crainte de la mort et
des ténèbres, il revivait comme ressuscité à la lumière de la liberté et à
la bonne odeur des lois, et il se mit à parler dans Messine, et à se plaindre
(queri) que lui, un citoyen romain, avait été jeté dans les fers, qu’il était sur
le point de se rendre à Rome par le plus court chemin : lorsque Verrès s’y
rendrait, il se tiendrait prêt. Il ne comprenait pas, le malheureux, qu’il n’y
avait aucune différence entre tenir de tels propos dans Messine ou devant
Verrès lui-même dans son prétoire (praetorium). Car, comme je vous en ai
informé auparavant, il avait désigné cette ville pour en faire l’assistante de
ses crimes (scelera), la recéleuse de ses vols (furta), la complice de toutes
ses infamies (flagitia). C’est pourquoi Gaevius a été conduit sur-le-champ
devant le magistrat de Messine, et le même jour, par un malheureux
hasard, Verrès se rend à Messine. L’affaire est portée devant lui (deferre) :
un citoyen romain se plaint d’avoir séjourné dans les Latomies de
Syracuse. Alors que ce dernier était déjà monté sur un navire et qu’il ne
cessait de proférer les menaces les plus horribles contre Verrès, il avait été
repris et maintenu en détention (adseruare) par ses soins, afin que lui-
même prenne une décision, comme il lui semblerait. 161. Verrès remercie
les hommes, et leur adresse des louanges pour leur bienveillance et leur
attention à son égard. Lui-même se rend au forum enflammé par le crime
(scelus) et pris de folie (furor). Ses yeux étaient en feu, de tout son visage
perçait la cruauté. Tous attendaient de voir jusqu’où il irait et ce qu’il
allait faire, lorsqu’il ordonne subitement de traîner l’homme devant lui,
qu’il soit dépouillé de ses vêtements (nudari) sur le forum, ligoté (deligari),
et que l’on dégage les verges des faisceaux (uirgas expediri). Le malheureux
criait (clamare) qu’il était citoyen romain, du municipe de Compsa, qu’il
avait servi sous les ordres de L. Raecius, très brillant chevalier romain, qui
était dans les affaires à Palerme, et qui pourrait instruire Verrès sur
les faits. Alors ce dernier prétendit avoir découvert qu’il [Gaevius] avait
été envoyé en Sicile par les chefs des esclaves fugitifs (fugitiui) pour
espionner. Il n’y avait pourtant ni dénonciateur (index), ni indice
(uestigium), ni même aucun soupçon (suspicium) d’un tel fait. Il ordonne
ensuite de frapper (uerberare) l’homme à toute volée, et de la façon la plus
violente. 162. Un citoyen romain était frappé des verges en plein forum de
Messine, juges, alors que l’on entendait le malheureux ne pousser aucune
plainte, aucune autre parole au milieu de la douleur et du claquement
des coups, que ces trois mots : « je suis citoyen romain ». Il pensait qu’en
rappelant sa citoyenneté il repousserait tous les coups et qu’il
détournerait de son corps le crucifiement. Il ne parvint pas de cette façon
à détourner la violence des verges, mais alors qu’il implorait sans cesse et
revendiquait le titre du droit de cité (nomen ciuitatis), une croix, une croix,
dis-je, était préparée pour ce malheureux, accablé de peines, qui jamais
n’avait vu un tel fléau.
163. Ô doux nom de liberté ! Ô droit sans égal de notre cité ! Ô loi
Porcia et lois Semproniennes ! Ô puissance tribunicienne, profondément
regrettée, et rendue enfin à la plèbe romaine ! Tous ces acquis auraient-ils
conduit à ce qu’un citoyen romain, dans une province du peuple romain,
dans une place forte de nos alliés, soit ligoté sur le forum et battu de
verges par celui qui disposait, par le bienfait du peuple romain,
des faisceaux (fasces) et des haches (secures). Eh quoi ! Alors que les feux,
les lames rouges (laminae) incandescentes, et les autres instruments de
torture (cruciatus) étaient employés, si l’âpre imploration (imploratio) de
celui-ci et sa voix malheureuse ne te retenaient pas, n’étais-tu pas
bouleversé par les pleurs et les gémissements grandissants des citoyens
romains qui étaient alors présents ? Tu as donc osé mettre en croix
quelqu’un, alors qu’il disait qu’il était citoyen romain !

H4. NE PAS FLAGELLER, NE PAS TUER UN CITOYEN (CICÉRON, DISCOURS


DEVANT LES CITOYENS, POUR LA DÉFENSE DE C. RABIRIUS ACCUSÉ DE HAUTE
TRAHISON, 3, 8 ; 63 AV. J.-C.)
Quant aux esclaves qu’il aurait retenus contre la loi Fabia, quant aux
citoyens qu’il aurait frappés des verges (uerberare) ou qu’il aurait tués
(necare), contre la loi Porcia, est-il bien nécessaire d’en dire davantage,
alors que le voilà paré du zèle de l’Apulie tout entière et de
la détermination extraordinaire de la Campanie, puisque ce ne sont pas
seulement les individus, mais les régions elles-mêmes, pour ainsi dire, qui
se sont rassemblés pour écarter de lui le danger, un afflux bien plus large,
disons-le, que la réputation du nom ou la proximité des bornes de
voisinage ne le demandaient.

H5. L’EXÉCUTION D’UN CITOYEN : « UN CRIME ABOMINABLE ! » (CICÉRON,


DISCOURS DEVANT LES CITOYENS, POUR LA DÉFENSE DE C. RABIRIUS ACCUSÉ
DE HAUTE TRAHISON, 4, 11-13 ; 63 AV. J.-C.)

11. En fin de compte, lequel de nous deux, Labienus, est un partisan du


peuple (popularis), est-ce toi qui penses que des citoyens romains doivent
être livrés au bourreau (carnifex) dans l’assemblée (contio), qu’ils doivent
être chargés de chaînes (uincula), toi qui ordonnes que l’on plante et que
l’on dresse une croix sur le Champ de Mars, dans les comices centuriates,
dans un lieu consacré par les auspices ? Ou bien est-ce moi qui refuse de
souiller par un meurtre (funestare) l’assemblée au contact du bourreau,
moi qui affirme qu’il faut purifier (expiare) le forum du peuple romain
des traces d’un crime (scelus) abominable (nefarium), moi qui soutiens qu’il
faut veiller à défendre cette assemblée pure (casta), ce champ saint
(sanctus), le corps inviolé (inuiolatus) de tous les citoyens romains, et
maintenir intact (integrum) le droit qui fonde la liberté (ius libertatis) ?
12. Voilà vraiment un tribun de la plèbe gardien et défenseur du droit et
de la liberté ! La loi Porcia a écarté les verges (uirgae) du corps de tous
les citoyens romains (ciues Romani), ce misérable a rétabli les fouets
(flagella) ; la loi Porcia a soustrait au licteur (lictor) la liberté des citoyens,
Labienus, cet homme partisan du peuple, la livre au bourreau ; C. Gracchus
a présenté une loi stipulant qu’il n’est pas possible de prononcer
un jugement (iudicare) au sujet de la tête (caput) des citoyens romains sans
votre ordre (iniussu), ce partisan du peuple a voulu de force faire en sorte
que, par les duumvirs, ce ne soit pas un jugement qui soit porté sans votre
ordre au sujet d’un citoyen romain, mais que, l’accusation ayant été
proclamée (indicta causa), un citoyen romain soit condamné (condemnare) à
la peine capitale. 13. Et tu viens encore me parler de la loi Porcia, de
C. Gracchus, de ces amis de la liberté, et pour finir de cet homme partisan
du peuple, toi qui a entrepris, non seulement par des supplices
exceptionnels, mais également par la cruauté inouïe des mots, de violer
la liberté de ce peuple, d’assaillir sa bienveillance, de changer entièrement
l’ordre de ses institutions (disciplina) ? Car ces mots dont tu te délectes, toi
l’homme clément et partisan du peuple, « Allez, licteur, attache-lui
les mains ! », ils sont étrangers non seulement à la liberté et à
la bienveillance, mais également à Romulus ou à Numa Pompilius ; ces
formules (carmina) cruelles que tu rappelles de très bon cœur, elles
reviennent à Tarquin, le roi le plus superbe et le plus cruel : « voile
(obnubere) sa tête, suspends-le à l’arbre funeste (arbor infelix) », ces mots,
citoyens, ont été dissimulés déjà depuis longtemps, non seulement par
les ténèbres de l’ancien temps, mais également par la lumière de la liberté.

H6. ARGUMENTATION DE CÉSAR CONTRE LE PROJET D’EXÉCUTION


DES CATILINIENS EN 63 AV. J.-C. (SALLUSTE, LA CONJURATION DE CATILINA,
51, 20-24 ET 37-41 ; 42 AV. J.-C. ENV.)
20. Pour ce qui concerne la peine, je peux, quant à moi, dire ce qu’il en
est : dans le deuil (luctus) et les malheurs, la mort est un repos face aux
tourments, elle n’est pas une torture (cruciatus) ; elle efface tous les maux
des mortels ; au-delà, il n’y a plus de place ni pour le souci ni pour la joie.
21. Mais, par les dieux immortels, pour quelle raison n’as-tu point ajouté
qu’ils soient châtiés (animaduertere) auparavant à coups de verges
(uerbera) ? Serait-ce parce que la loi Porcia l’interdit ? 22. Eh bien, d’autres
lois ordonnent de ne pas arracher leur souffle aux citoyens condamnés
(condemnati), mais de leur permettre de partir en exil. 23. Serait-ce parce
qu’il est plus dur d’être frappé de verges (uerberare) que d’être mis à mort
(necare) ? Mais, qu’est ce qu’il y aurait de trop pénible ou de trop dur pour
des hommes convaincus (conuicti) d’un tel crime (facinus) ? 24. Si tu as
négligé cela, serait-ce parce que <les verges> sont une peine plus légère
<que la mort>, faut-il suivre la loi sur la question la moins importante, et
n’en pas tenir compte sur la question la plus grave, <la condamnation à
mort d’un citoyen, sans jugement> ?
(…)
37. Nos ancêtres, pères conscrits, n’ont jamais manqué de réflexion, ni
d’audace. Et pourtant l’orgueil ne les a jamais empêchés d’imiter
les habitudes étrangères si elles étaient bonnes. 38. L’équipement militaire
et les armes de jet des Samnites, les insignes des magistratures
des Étrusques, ils se les ont appropriés en nombre ; en définitive, tout ce
qui leur paraissait convenir, chez les alliés comme chez les ennemis, avec
l’application la plus haute, ils l’appliquaient chez eux : ils préféraient
imiter plutôt que d’envier ce qui était bon. 39. Mais à la même époque, par
imitation de la coutume répandue en Grèce, ils châtiaient (animaduertere)
par des coups de verges (uerbera) et ils infligeaient le supplice le plus élevé
(summum supplicium) aux condamnés (condemnati). 40. Après que l’État eut
grandi, les factions se renforcèrent en raison du nombre de citoyens,
des innocents furent opprimés, d’autres méfaits de ce genre
commencèrent à être perpétrés, alors la loi Porcia et d’autres lois furent
élaborées, et par ces lois, l’exil fut permis aux condamnés. 41. Et c’est pour
cette raison, pères conscrits, – elle est très importante selon moi –, que
nous ne devons prendre aucune nouvelle résolution. 42. Il n’y a pas à en
douter, leur courage et leur sagesse étaient plus grands que les nôtres, eux
qui, à partir de si peu de choses, ont réalisé un tel empire, tandis que nous
maintenons avec peine ce qu’ils ont aussi bien réalisé. 43. Faudrait-il donc
décider de renvoyer ces hommes et d’accroître l’armée de Catilina ?
Aucunement. Mais voici mon avis : que leurs richesses (pecuniae) soient
confisquées (publicare), et qu’eux-mêmes soient mis aux fers (uincula) dans
les municipes qui disposent des défenses les plus sûres et que personne
par la suite n’en réfère au sénat ni n’agisse avec le peuple à leur sujet. Et
que quiconque se conduirait autrement, soit considéré par le sénat comme
ayant mené une action contre l’État (contra Rem publicam) et contre le salut
de tous.

H6. CF. R3B1

H7. CF. R3G

H8. L. CORNELIUS BALBUS DE GADÈS ÉCHAPPE AU « DROIT DES VERGES »


EN 56 AV. J.-C. (PLINE L’ANCIEN, 7, 136 ; 77 AV. J.-C.)

Balbus Cornelius l’aîné fut consul [40 av. J.-C.], mais il avait été accusé
(accusatus), et la question de savoir s’il était passible du droit des verges
(ius uirgarum) ayant été soumise à une délibération (consilium) par le juge
(iudex), il fut le premier des étrangers (extranei), et même de ceux qui sont
nés au bord de l’Océan, à bénéficier d’un tel honneur, alors que nos
ancêtres l’avaient même refusé au Latium.
i. Discipline militaire et citoyenneté
à l’époque républicaine : flagellation,
exécution, vente en esclavage

I1. À L’ARMÉE, LA DÉCAPITATION DU CITOYEN EST CONFORME


À LA « COUTUME DES ANCÊTRES » ET À LA « SÉVÉRITÉ
DU COMMANDEMENT » LORSQU’ELLE S’IMPOSE (CICÉRON, VERRINES,
2, 5, 13 ; 70 AV. J.-C.)
Qu’il me soit encore permis de couper court à ce que tu insinues, à
savoir que je transformerais en accusation (crimen) et en haine le fait que
tu aies eu recours à un supplice conforme à la coutume des ancêtres (mos
maiorum) et que tu aies frappé (percutere) de la hache (securis). L’accusation
(crimen) que je porte n’est pas tournée vers le supplice en lui-même ; ce
n’est pas moi qui nierais qu’il faille parfois infliger la hache (securis) à
quelqu’un, ce n’est pas moi qui dirais qu’il convient d’écarter des affaires
militaires, la crainte, la sévérité du commandement (imperium), la peine
qui revient à la conduite infamante (flagitium). Je reconnais que, non
seulement contre les alliés (socii) mais aussi contre nos concitoyens (ciues)
et nos soldats (milites), il a très souvent été tiré vengeance (uindicare), avec
sévérité et avec violence. Qu’il te soit permis de laisser aussi de côté de
telles considérations.

I2. AU LENDEMAIN DE LA REDDITION DE CARTHAGE EN 201 AV. J.-C.


SCIPION L’AFRICAIN SE VENGE DES TRANSFUGES QUI LUI ONT ÉTÉ REMIS
PAR LES VAINCUS : PARMI EUX, LES CITOYENS ROMAINS SONT CRUCIFIÉS,
TANDIS QUE LES LATINS SONT DÉCAPITÉS (TITE-LIVE, 30, 43, 11 ET 13)
11. Les Carthaginois livrèrent leurs vaisseaux longs, les éléphants,
les transfuges (perfugae), les déserteurs (fugitiui), et quatre mille
prisonniers parmi lesquels se trouvait le sénateur Q. Terentius Culleo. (…)
13. On prit à l’égard des transfuges (perfugae) une décision plus grave qu’à
l’égard des déserteurs (fugitiui). Ceux qui étaient de nom latin furent
frappés de la hache (securi percutere), les <citoyens> Romains furent portés
en croix (in crucem subferre).

I3. LE CITOYEN-SOLDAT CAIUS MATIENUS EST ACCUSÉ DE DÉSERTION


PAR LES TRIBUNS, FLAGELLÉ « SOUS LA FOURCHE », ET VENDU COMME
ESCLAVE EN 138 AV. J.-C. (TITE-LIVE, ABRÉGÉS, 55 ; COMPOSÉS
e e
AU III OU AU IV SIÈCLE AP. J.-C., D’APRÈS L’OUVRAGE DE TITE-LIVE,
D’ÉPOQUE AUGUSTÉENNE)

Tandis que Publius Cornelius Nasica, auquel le tribun de la plèbe


donna par dérision le surnom de Serapio <en raison de sa ressemblance
avec un victimaire du même nom d’origine servile>, et Decimus Iunius
Brutus procédaient à la levée militaire (dilectus), en présence des jeunes
recrues eut lieu un épisode constituant l’exemple le plus salutaire.
C. Matienus fut en effet accusé (accusare) devant les tribuns de la plèbe,
parce qu’il avait déserté (deserere) l’armée en quittant l’Espagne, et il fut
condamné : sous la fourche (sub furcam), il fut longuement frappé (caedere)
avec des verges (uirgae), avant d’être vendu pour un sesterce.

I4. GÉNÉRALISATION PROBABLE DE FRONTIN À PARTIR DU CAS PRÉCÉDENT


er e
(STRATAGÈMES, 4, 1, 20 ; FIN DU I -DÉBUT DU II AP. J.-C.)
Sous le consulat de P. Cornelius Nasica et de Decimus Iunius, ceux qui
avaient déserté l’armée, après avoir été condamnés (damnare) et frappés
(caedere) de verges (uirgae), furent mis en vente (uenire).
I5. EN 134 AV. J.-C., UN AN AVANT LA CHUTE DE NUMANCE, SCIPION
ÉMILIEN « DIT LE SECOND AFRICAIN OU LE NUMANTIN » RÉTABLIT
LA DISCIPLINE MILITAIRE (TITE-LIVE, ABRÉGÉS, 57, 1 ET 57, 4 ; COMPOSÉS
e e
AU III OU AU IV SIÈCLE AP. J.-C., D’APRÈS L’OUVRAGE DE TITE-LIVE,
D’ÉPOQUE AUGUSTÉENNE)

1. Scipion l’Africain assiégea Numance et ramena une armée


corrompue par le relâchement et la débauche à la discipline (disciplina)
la plus sévère du service militaire (militia). (…) 4. S’il surprenait un soldat
hors du rang, il le faisait frapper (caedere) des ceps (uites), s’il s’agissait
d’un <citoyen> Romain, et des verges (uirgae) si c’était un étranger
(extraneus).

I6. LA PRISE DE LA FORTERESSE NUMIDE DE VAGA, L’ACTUELLE BÉJA


(TUNISIE) : TRIBUNAL MILITAIRE ET MISE À MORT DU PRÉFET DE CAMP
T. TURPILIUS SILANUS EN 109-108 AV. J.-C.

♦ Un préfet du camp, d’origine latine… ? (Salluste,


La guerre de Jugurtha, 69, 4 ; 40 av. J.-C. env.)

Comme nous l’avons montré plus haut, Turpilius, le préfet de


la forteresse avait été le seul parmi tous à avoir pris la fuite (profugere). Il
reçut l’ordre de la part de Métellus de présenter sa défense (causam
dicere) ; et, après n’être pas parvenu suffisamment à se disculper
(expurgare), il fut condamné et, ayant été battu de verges (uerberatus), il
subit la peine capitale (capite poenas), car c’était un citoyen originaire du
Latium (ciuis ex Latio).

♦ … et/ou citoyen romain ? (Appien, Livre Numidique,


fr. 3 Goukowsky ; 160 ap. J.-C. env.)
Métellus mit à mort tout le sénat de Vaga, au motif que la cité avait
livré la garnison à Jugurtha, et l’exécution du chef de la garnison,
le Romain Turpilius, s’ajouta à celle du sénat : ce n’était pas sans éveiller
les soupçons qu’il s’était lui-même livré aux ennemis.

♦ Fausse accusation de trahison devant un tribunal


militaire (Plutarque, Marius, 8, 3-5, trad. R. Flacelière
et E. Chambry ; postérieur à 96 ap. J.-C.)

3. Mais ils [les Numides] ne touchèrent pas à Turpilius, demandèrent


grâce pour lui et le laissèrent aller sain et sauf. 4. Aussi fut-il accusé de
trahison (prodosia). Marius prit part au procès comme assesseur
(symboulos), se montra personnellement très sévère pour lui et excita à tel
point la majorité des juges que Métellus, à son corps défendant, dut
prononcer la peine de mort. 5. Peu de temps après, l’accusation ayant été
reconnue fausse, tout le monde s’associa aux regrets de Métellus vivement
affligé, sauf Marius : celui-ci s’en réjouit et, revendiquant la condamnation
comme son propre ouvrage, ne rougit pas d’aller dire partout qu’il avait
attaché à Métellus, meurtrier de son hôte, un démon vengeur.

j. Le tournant gracchien
et la consolidation de l’appel au peuple,
de 133 à 121 av. J.-C.

J1. INVOCATION PAR CICÉRON DES « LOIS SEMPRONIENNES » : CF. R3H3


J2.LA LOI SEMPRONIA CONCERNANT L’APPEL VOTÉE EN 133 AV. J.-C.
SUR PROPOSITION DE TIBERIUS GRACCHUS (PLUTARQUE, TIBERIUS GRACCHUS,
16, 1 ; POSTÉRIEUR À 96 AP. J.-C.)
Dès lors il chercha de nouveau à se concilier la foule par d’autres lois,
qui abrégeaient la durée du service militaire, octroyaient qu’il soit fait
appel au peuple (epikaleisthai) des décisions des juges, adjoignaient à ceux
[les jurés] qui rendaient des jugements (krinein) et qui étaient
des membres du sénat, des chevaliers en nombre égal. Ces lois
amoindrissaient de toute manière la puissance du sénat.

k. La loi Sempronia concernant la tête


d’un citoyen romain votée en 123 av. J.-
C., sur proposition de Caius Gracchus

K1. CF. R3H5 (LA LOI DE CAIUS GRACCHUS « CONCERNANT LA TÊTE D’UN
CITOYEN » (DE CAPITE CIUIS) Y EST INVOQUÉE PAR CICÉRON AU CÔTÉ
DE LA LOI PORCIA)

K2. NE PAS « ENQUÊTER » « SANS UN ORDRE DU PEUPLE », C’EST-À-DIRE


SANS DOUTE « CONFORMÉMENT À LA LÉGISLATION COMITIALE ANTÉRIEURE »,
PLUTÔT QUE « À L’ISSUE D’UN JUGEMENT DES COMICES RÉUNIS POUR
L’OCCASION » (COMMENTAIRE DES CATILINAIRES, 3, 10, SCHOLIA
GRONOVIANA, P. 289 STANGL)
En vertu de la loi Sempronia, il n’était pas permis, sans un ordre du
peuple (iniussu populi) de mener une enquête (quaeri) au sujet de la tête
d’un citoyen romain.
K3. LA LOI SEMPRONIA DE CAIUS GRACCHUS S’OPPOSE À UNE SENTENCE
CAPITALE CONTRE UN CITOYEN (COMMENTAIRE DES CATILINAIRES,
4, 10, SCHOLIA AMBROSIANA, P. 271 STANGL)
La loi Sempronia est la loi que Caius Gracchus avait présentée pour que
personne ne prononce une sentence capitale (capitalis sententia) contre
un citoyen romain.

l. Tentative de procès comitial pour


« crime de haute trahison » (perduellio)
contre C. Rabirius en 63 av. J.-C.

L1. PARTIALITÉ DU JUGE, MODÉRATION DU PEUPLE (SUÉTONE, CÉSAR,


12 ; 120 AP. J.-C. ENV.)
Il suborna même quelqu’un afin de faire comparaître (diem dicere) pour
haute trahison (perduellio) Caius Rabirius, parce qu’il avait été quelques
années auparavant le principal initiateur, devant le sénat, de la répression
du tribunat séditieux (seditiosus) de Lucius <Appuleius> Saturninus. Alors
que le sort l’avait désigné juge, il condamna le prévenu avec tant de
passion que devant le peuple rien ne fut plus utile à celui qui faisait appel
(prouocare) que la dureté du juge.

L2. DÉLIBÉRATION INTERROMPUE DU PEUPLE EN 63 AV. J.-C. (DION


er e
CASSIUS, 37, 27, TRAD. E. GROS ; 1 TIERS DU III SIÈCLE AP. J.-C.)
Cette affaire donna naissance, dans les deux partis, à des mouvements
séditieux et à de violentes querelles. Les uns ne voulaient pas qu’elle fût
déférée à un tribunal ; les autres demandaient qu’un tribunal en fût saisi.
Ces derniers l’ayant emporté par l’influence de César et de quelques autres
citoyens, il fallut s’entendre au sujet de l’action elle-même. Les juges
étaient Caius et Lucius César ; car il ne s’agissait pas d’une simple
accusation de meurtre, mais du crime de perduellio. Ils rendirent un arrêt
de condamnation, quoiqu’ils n’eussent pas été désignés par le peuple,
comme les lois l’exigeaient, mais par le préteur qui n’avait pas le droit de
les choisir. Rabirius appela de ce jugement ; mais il aurait été également
condamné par le peuple, si Métellus <Celer>, qui était alors augure et
préteur, ne s’y fût opposé. Voyant que la multitude ne l’écoutait pas et ne
considérait pas même que ce jugement était contraire aux lois, il courut
au Janicule, avant qu’elle votât, et enleva l’étendard militaire. Dès ce
moment, le peuple n’eut plus le droit de délibérer <sur cette cause>.

m. La loi Clodia (de P. Clodius Pulcher)


de 58 av. J.-C. « au sujet de la tête d’un
citoyen romain » (Velleius Paterculus,
2, 45 ; 29-30 ap. J.-C.)
Et étant passé des patriciens à la plèbe, il porta une loi durant son
tribunat, selon laquelle quiconque aurait porté un coup mortel (interimere)
à un citoyen romain sans qu’une condamnation ait été prononcée
(indemnatus), on lui interdirait l’eau et le feu (aqua et igni interdicere) :
même si Cicéron n’était pas nommé dans les termes de la loi, c’était lui
seul cependant qui était visé.
n. L’organisation politique
et institutionnelle selon les traités
de Cicéron

N1. CICÉRON, DE LA RÉPUBLIQUE, 1, 40, 62-63 (53 AV. J-C.)

62. Scipion : Alors, ne vois-tu pas que c’est par la cruauté et le superbe
<orgueil> du seul Tarquin que le nom de roi est devenu pour ce peuple
un tel objet de haine ?
Laelius : En effet, dit-il, je le vois.
Scipion : Tu vois donc également ceci (j’aurais plusieurs fois, au fur et
à mesure de ce discours, l’occasion d’y revenir) : Tarquin ayant été chassé,
le peuple exulta avec cette merveilleuse insolence propre à la liberté.
Alors des innocents furent chassés en exil, les biens d’un grand
nombre de personnes furent pillés (bona directa), alors chaque année il y
eut des consuls, alors les faisceaux furent inclinés devant le peuple, alors
pour toutes les affaires surgirent des appels (prouocationes), alors eurent
lieu les sécessions de la plèbe, alors il advint en un mot que la plus grande
partie des actes relevèrent du peuple.
Laelius : C’est ainsi qu’il advint ce que tu dis.
Scipion : C’est du moins ce qu’il advint en temps de paix et de
tranquillité. (…) 63. Enfin, en cas de guerres particulièrement menaçantes,
les nôtres ont voulu que le commandement dans son entier (omne
imperium) fût toujours remis individuellement entre les mains de
<magistrats> sans collègue dont le nom même indique la force de leur
puissance. En effet, si on appelle ce magistrat « dictateur », parce qu’il est
désigné (quia dicitur), tu peux, en revanche Lélius, voir qu’on l’appelle,
dans nos livres, « maître du peuple » (magister populi).
N2. LECTURE PHILOLOGIQUE DU TRAITÉ DE LA RÉPUBLIQUE DE CICÉRON
(SÉNÈQUE, LETTRES, 108, 31 ; 62-64 AP. J.-C.)
Lorsqu’un philologue, un grammairien, ou quelqu’un qui s’adonne à
la philosophie a entre ses mains le livre de Cicéron, De la République,
chacun oriente différemment son attention. <Le philologue> observe que
celui que nous appelons dictateur et dont nous lisons dans nos histoires
qu’il est ainsi nommé, était appelé maître du peuple (magister populi) chez
les anciens. En font foi encore aujourd’hui les livres auguraux et cela est
attesté par le fait que celui qui est nommé par lui est le « maître de
cavalerie » (magister equitum). Il note également que Romulus est mort lors
d’une éclipse du soleil ; qu’il y eut un appel au peuple même à partir
des rois. Que l’appel au peuple (prouocatio ad populum) ait existé même dès
l’époque des rois, voilà qui est attesté dans les livres des pontifes et
d’autres <auteurs>, parmi lesquels Fenestella.

N3. LES MOYENS DE L’OBÉISSANCE AU MAGISTRAT (CICÉRON, TRAITÉ


SUR LES LOIS, 3, 6 ; POSTÉRIEUR À 52 AV. J.-C.)

Que les commandements (imperia) soient conformes au droit (iusta) et


que les citoyens obéissent sagement et sans protestation. Que le magistrat
contienne (cohercere) le citoyen qui ne se soumet pas et qui n’est pas
innocent, par l’amende (multa), les fers (uincula) ou les verges (uerbera), à
moins que ne l’en empêche (prohibere) une puissance égale ou plus grande,
ou le peuple, auprès desquels existe l’appel (prouocatio).
o. « Je suis né citoyen romain » ! Le cri
de l’ancien soldat pompéien Fadius
à demi enterré dans l’école
de gladiateurs de Gadès et brulé
vif en 43 av. J.-C. sur l’ordre du questeur
L. Cornelius Balbus le Jeune (Lettre
adressée par C. Asinius Pollion à Cicéron,
Aux familiers, 10, 32, 3 ; 8 juin 43 av. J.-C.)
Parmi les gladiateurs se trouvait un certain Fadius, soldat pompéien,
abaissé (depressus) à l’école de la gladiature (ludus). Il avait remporté à
deux reprises un combat à mort et cela gratuitement. Il refusait donc de
s’engager comme gladiateur (auctorari) de nouveau et avait fui pour
trouver refuge auprès du peuple. Balbus envoya d’abord les cavaliers
gaulois contre le peuple et des pierres furent alors jetées contre lui, tandis
qu’on se saisissait de Fadius. Puis, une fois qu’il l’eut soustrait <à la foule>,
il le fit ensevelir (defodere) dans l’école de gladiateurs et brûler (comburere)
vif. Tandis qu’après avoir déjeuné, il se promenait les pieds nus, la tunique
relâchée, les mains jointes derrière le dos, il répondait au malheureux qui
invoquait les citoyens (quiritare) en criant « je suis né citoyen romain »
(ciuis Romanus natus sum) : « Va maintenant et implore l’assistance du
peuple (populi fidem implorare) ».

*
* *

« Pratiquement tout ce qui peut être en rapport avec la prouocatio ad


populum a été discuté par les savants modernes » [OAKLEY 2005, p. 120]. Cette
récente observation du grand philologue anglais, exégète du texte de Tite-
Live, serait toujours pertinente, si quinze ans plus tard, elle n’avait été
démentie par de nouvelles publications proposant, encore et toujours, de
nouvelles perspectives (ou parfois, par un inévitable mouvement de
balancier doctrinal, un retour aux plus anciennes). C’est bien cette
institution centrale du droit pénal républicain, « le droit d’appel au
e
peuple », qui, à la fin du XIX siècle, a servi de socle à l’œuvre fondatrice de
Theodor Mommsen évoquée dans les premières lignes de l’introduction du
présent ouvrage. Le droit pénal romain serait né, à l’intérieur de la Ville
(domi) et non en territoire militaire (militiae), de la limitation de
l’arbitraire du magistrat, notamment par le truchement de l’appel (c’est-à-
dire « la confirmation des comices », selon la citation ci-dessous).
Le magistrat n’aurait conservé de la plénitude originelle de sa
compétence, qu’un pouvoir répressif limité à l’exercice d’une contrainte
par corps (coercitio), tandis que sa juridiction (iurisdictio) proprement dite
était encadrée et soumise à l’approbation des comices.

D’après la science romaine du droit, le droit positif et en


particulier le droit pénal sont issus de la plénitude des pouvoirs
qui appartenaient originairement au magistrat et se sont
développés par la limitation de ces pouvoirs. Cette limitation s’est
accomplie d’une double manière : d’une part en retirant en
principe au droit pénal les fautes religieuses ; d’autre part, en
distinguant pour les autres délits le domaine de la paix et celui de
la guerre et en maintenant pour ce dernier les règles anciennes,
tandis que dans le premier on enlevait au magistrat certains
moyens de répression. Ce que le magistrat a gardé à ce dernier
égard des anciens pouvoirs arbitraires et les peines qu’il est
autorisé à appliquer dans la ville, sans être lié à la confirmation
des comices et à la sentence des jurés, constiuent ce que nous
appelons la coercition par opposition à la juridiction. (MOMMSEN
1907, I, p. 38).
En supposant, on va le voir, que le droit d’appel au peuple aurait été
introduit, peu de temps après l’expulsion des rois, en l’an I de
la République (R3b-c) – c’est-à-dire lors de l’instauration d’un
gouvernement de la cité que les Romains désignaient d’un seul mot,
la « liberté » –, des auteurs tels que Cicéron ou Tite-Live (R3e) posaient
une équivalence de principe entre les deux termes : la « liberté » est « la
chose publique ». Cette équivalence reflétait, selon eux, un lien organique
entre le recours offert au citoyen par « le droit d’appel » (ius prouocationis),
face au commandement (imperium) du magistrat, et le risque de non-
conformité au droit qui découlerait de son exercice arbitraire, émanation
de l’ancien pouvoir royal. Il s’agissait de distinguer la forme d’un
gouvernement de la cité défini comme « la liberté » (libertas), par
opposition à l’arbitraire tyrannique de ce pouvoir « royal » ou
« tyrannique » (le regnum) qui avait précédé.

La prouocatio : des discours politiques apocryphes ;


quelle histoire institutionnelle ?

L’analyse historique d’une institution aussi fondamentale est d’abord


rendue particulièrement difficile en raison du très petit nombre de textes
anciens faisant allusion à la législation dans ce domaine. À l’instar de
la désignation de « l’homme sacré » (R1), l’extrême minceur d’un corpus
de sources allusives est inversement proportionnelle à l’étendue
des débats doctrinaux et des efforts de reconstructions systématiques,
souvent exclusifs les uns des autres. En outre, les exemples précis où
seraient décrits les mécanismes de mise en œuvre de la prouocatio et de
l’accomplissement du procès ouvert par l’appel manquent décidément.
Certes, les récits de Tite-Live ou de Denys d’Halicarnasse abondent en
séquences où les protagonistes – les magistrats, le sénat, le peuple,
des prévenus – invoquent le « droit d’appel » (prouocatio), soit comme
un recours contre l’arbitraire ou la force, soit comme un obstacle au bon
ordre des institutions et à l’obéissance. Cependant, si les enjeux de
la prouocatio constituent le fil de ces récits ou, le plus souvent, des joutes
oratoires qu’ils occasionnent – de tels discours sont des morceaux de
bravoure composés par les auteurs qui les rapportent, dans un souci
d’ornementation et d’édification –, les « cas pratiques » font
paradoxalement défaut [LOVISI 1999, p. 184-187].
Une troisième difficulté se pose enfin lorsque l’on cherche à retracer
l’histoire du droit d’appel depuis ses origines : contrairement à
la désignation de « l’homme sacré » qui se cantonne finalement au droit
archaïque – à moins de vouloir par analogie rapporter à cette ancienne
institution très singulière toute forme de mise à mort encouragée ou
impunie, jusqu’aux assassinats politiques commandités lors
des proscriptions de 82 av. J.-C. et de 43 av. J.-C., comme cela a parfois été
suggéré [HINARD 1985 ; FIORI 1996] –, la prouocatio a constitué, durant
un siècle, un enjeu primordial des guerres civiles ouvertes par la crise
gracquienne, en 133 av. J.-C.

La prouocatio à la lumière de la crise gracchienne


et des guerres civiles

La mise à mort de Tiberius Gracchus et de ses partisans, en dehors de


toute légalité – et alors même que l’intéressé avait proposé la même année
une loi dont on a pu penser qu’elle soumettait à l’appel les jugements
rendus en dehors de l’assemblée comitiale, dans les tribunaux de jurys –, a
réactivé la question du recours à la prouocatio en cas de poursuite capitale.
Dix ans plus tard, en 123 av. J.-C., une loi Sempronia « concernant la tête
d’un citoyen romain » était votée, réactivant le principe qu’aucune mise à
mort ne pouvait être infligée « sans un ordre du peuple » (iniussu populi).
Mais que signifie une telle formule ? Elle a souvent été interprétée comme
la nécessité d’un appel consécutif à l’acte du magistrat et conduisant
automatiquement à un jugement du peuple. Cependant, comme cela a été
démontré de manière particulièrement convaincante en raison de
la rigueur des critères lexicaux invoqués, la formule iniussu populi désigne
ce qui est en dehors du champ défini par la loi. Le iussum c’est-à-dire
« l’ordre » du peuple (iussum est formé sur iubere, « ordonner ») est
synonyme de « la loi », la lex, votée par celui-ci. Ce mot ne doit pas être
confondu avec le jugement (iudicium), un substantif formé sur le verbe
« juger » (iudicare) – iniussu populi signifie donc « en dehors de toute
législation comitiale antérieure », c’est-à-dire, « en dehors du cadre légal »
[MANTOVANI 1991, p. 616-620]. La prouocatio débouchant sur un jugement du
peuple n’interviendrait alors qu’assez exceptionnellement pour s’opposer
au magistrat détenteur de l’imperium, lorsque celui-ci osait entreprendre
une poursuite en dehors du cadre défini antérieurement par la loi et
notamment en cas de crime de haute trahison ou perduellio [MANTOVANI 1990,
p. 30-31]. Il est vrai que tous les cas attestés d’une juridiction criminelle
exercée par le préteur ou par les consuls devant une quaestio ne
concernent que des poursuites fondées sur des lois précises et
qu’inversement la réunion des comices n’est jamais attestée dans de tels
cas (ils n’interviennent que pour le crime de haute trahison). Une réserve
a pourtant été émise à l’égard de cette reconstitution jugée par ailleurs
inattaquable, aussi bien sur le plan lexical qu’à la lumière des exemples
connus. La formule employée dans le verset de la Loi des XII Tables (9, 2)
relatif au monopole des centuries (R3d) ne peut désigner qu’une activité
juridictionnelle, c’est-à-dire le moment où le magistrat convoque
le peuple pour une poursuite capitale, et non la référence à un « ordre du
peuple » (iussum populi) antérieur. Par ailleurs, ajoute-t-on, « la célèbre
expression de Polybe qui affirme que le peuple est le seul à juger
des affaires capitales, se réfère uniquement à la juridiction du peuple et ne
peut signifier que le peuple est maître de toute peine de mort, parce qu’il
serait l’auteur des lois pénales » [HUMBERT 2018, p. 680]. Certes, mais il est
toujours délicat d’invoquer cette « célèbre expression » de Polybe pour
étayer l’affirmation et la pérennité du monopole des centuries, alors
même que l’historien grec fait ici précisément allusion au peuple réuni en
« tribus » (phulai) et non en « centuries » (lochoi) (R5b1), sauf à invoquer
une réforme de l’organisation des comices, mal connue dans le détail (elle
serait postérieure à 241 av. J.-C.). Cette réforme supposerait une certaine
articulation entre les deux formes d’unités de vote et une confusion
possible entre les deux assemblées de la part de l’historien grec [WALBANK
1957, I, p. 683 ; NICOLET 1961] !
Au milieu des violences incessantes et des assassinats perpétrés contre
des adversaires politiques, alors que le sénat justifiait de manière
récurrente la légitimité d’un recours à des moyens de guerre ou à
des exécutions expéditives contre des citoyens séditieux (R9), le droit
d’appel au peuple est devenu un point d’affrontement entre les partisans
de l’ordre qui se désignaient comme « les meilleurs » (optimates), et « les
partisans du peuple » (populares) soucieux de brandir l’étendard de ce
droit primordial que pouvait revendiquer tout citoyen face à la justice
capitale. La répression de la conjuration de Catilina par Cicéron l’année de
son consulat en 63 av. J.-C. (R9g), son départ en exil, cinq ans plus tard, en
58 av. J.-C., par crainte des conséquences de l’adoption de la loi Clodia « au
sujet de la tête d’un citoyen » qui le visait implicitement (R3m-R41c)
(avant même le vote d’un second plébiscite qui le désignait nommément),
signifient que l’une de nos sources principales relatives au droit d’appel
s’est trouvée elle-même au cœur de la polémique. L’épreuve que Cicéron a
alors endurée se reflète évidemment dans ses discours postérieurs (R3d),
lorsqu’il invoque, par exemple, un verset des XII Tables qui aurait été
bafoué à cette occasion, ou le souvenir de certaines procédures
tribuniciennes du passé qui se seraient déroulées devant les centuries
(R5) [RIVIÈRE 2013a ; RIVIÈRE 2013c]. Il ne s’agit naturellement pas de prendre
le contrepied de Cicéron ou de contredire ce qu’il avance, car la recherche
de persuasion de ses destinataires passe évidemment par la connaissance
de données partagées entre lui et eux – le verset des XII Tables relatif au
monopole des centuries (R3d), par exemple, est très certainement
authentique, sans quoi il ne l’invoquerait pas [HUMBERT 1996, p. 151-168 ;
HUMBERT 2018, p. 665-680]. Cependant, il est aussi évident que la rhétorique
déployée au service d’un client peut induire en erreur, que certaines
invocations des institutions sont biaisées, et que le droit est parfois
désigné explicitement par l’intéressé comme secondaire par rapport au
prestige social de son client – dans un cas fameux, le procès de Milon en
52 av. J.-C., Cicéron justifie tout simplement le meurtre au service de
la cité (R10).
Enfin, la difficulté d’approche du droit d’appel tient au fait que
les annalistes eux-mêmes projettent à l’évidence sur les deux premiers
siècles de l’histoire de Rome dominés par la lutte entre patriciens et
plébéiens, non seulement des scènes des guerres civiles de leur époque,
mais également des procédures et des institutions du dernier siècle de
la République. Ce n’est pas faire preuve d’un sens excessivement
hypercritique, ou d’un esprit déconstructionniste, que de considérer que
le discours des origines et du développement de la prouocatio est
surdéterminé par le tournant gracquien et les guerres civiles qui ont suivi
– tant d’études historiques, juridiques, philologiques, tant
d’approfondissements de la « Quellenforschung », c’est-à-dire « la
recherche des sources de nos sources », l’ont souligné avec minutie. Pour
ce qui concerne la couleur donnée au récit, l’anachronisme de l’épisode de
la confrontation entre Quinctius Caeso et Volscius Fictor, par exemple, est
manifeste (R6c). Pour ce qui concerne la procédure et les institutions,
la désignation d’un dictateur contre un aspirant à la tyrannie (R4),
le développement des tout premiers procès tribuniciens (R5) ou encore
e
l’hypothèse d’un « sénatus-consulte ultime » (R9) au V siècle sont
des rétroprojections. Admettre à chaque fois (par une prudence qui
s’impose à tous) l’inauthenticité de ces épisodes, et leur reconnaître
cependant un caractère paradigmatique, ne permet pas toujours de
préciser chronologiquement, au regard de l’histoire des institutions
judiciaires, l’époque de ce paradigme ! Il en va de même pour bien
des conflits relatifs au droit d’appel.

La prouocatio : quelques pièces documentaires


incontournables

L’ensemble du dossier est constitué de cinq pièces principales :


le procès duumviral contre Horace (il se serait déroulé sous le règne de
Tullus Hostilius) et qui trouve un écho dans le procès duumviral contre
C. Rabirius en 63 av. J.-C. ; la série des leges Valeriae de prouocatione
rapportées par la tradition (509, 449, 300 av. J.-C.) ; deux versets des XII
e
Tables (451 av. J.-C.) ; les leges Porciae du commencement du II siècle av. J.-
C. ; les lois Semproniennes (votées successivement à l’initiative de
Tiberius, puis de Caius Sempronius Gracchus) ; la loi de Clodius de capite
ciuis en 58 av. J.-C. L’ensemble de ces dispositions interfère à partir
des Gracques, précisément, avec l’injonction adressée aux magistrats, à
plusieurs reprises à partir de 121 av. J.-C., de veiller à la sauvegarde de
l’État en cas de menace (R9).
Le procès d’Horace, en premier lieu, qui se serait déroulé sous le règne
de Tullus Hostilius, constitue l’archétype d’un procès d’appel remontant à
l’époque royale (R3a), introduisant un mécanisme procédural, détourné
plus tard par les tribuns à leur profit [HUMBERT 1995, p. 160-169]. Certes
l’épisode est légendaire, mais les archives des pontifes que connaissaient
Cicéron et les auteurs qu’il a lus font remonter à cette période la prouocatio
(R3b) ; par ailleurs, si l’existence même des magistrats qui le conduisent,
les duumvirs, a été remise en cause et considérée comme « une farce
juridique » [MAGDELAIN 1990, p. 543], sans doute y a-t-il un certain excès à
le prétendre. En effet, ces mêmes duumvirs sont encore invoqués en
marge du procès tribunicien contre Manlius Capitolinus en 385 av. J.-C. –
certains auteurs que Tite-Live a lus affirment que ce sont les duumvirs,
plutôt que les tribuns, qui sont intervenus contre le troisième
des « aspirants à la tyrannie » (R34). Surtout parce que ce sont ces
magistrats, sortis de presque nulle part, il est vrai, qui instruisent en
63 av. J.-C. le procès pour « haute trahison » (perduellio) contre Rabirius
dont Cicéron est le défenseur (R3f). Peut-être leur compétence ne se
limitait-elle pas à la répression de la haute trahison [BAUMAN 1969].
Toujours est-il que c’est ce discours en faveur de Rabirius qui occasionne
alors un rappel de l’ancienneté du droit d’appel et de l’évitement de
la peine de mort à l’encontre d’un citoyen. Si le procès d’Horace, quel que
soit le crédit que l’on accorde à ce récit, constitue aux yeux de la plupart
des modernes l’archétype du procès en appel, cette idée a aussi été mise
en doute [SANTALUCIA 2009, p. 122-126 et 367-379] : c’est en effet
uniquement l’intervention du roi qui permet à Horace de faire appel au
peuple. Admettons cependant, que cette initiative de l’autorité royale,
entre la sentence rendue en première instance et le procès devant
le peuple, ne remet pas en cause le schéma global de l’appel, c’est-à-dire
l’articulation entre la défense d’un prévenu, quel qu’en soit le levier
procédural (l’autorité d’un roi ou un droit acquis), et la comparution
devant le peuple. Nous n’avons pas retenu, parmi les textes cités au côté
de la page de Tite-Live et du lemme de Festus, le long récit que Denys
d’Halicarnasse donne de cet épisode. En effet, l’historien grec ne
mentionne ni les duumvirs, ni le chef d’accusation (perduellio ou
parricide), plus généralement « il ne s’intéresse pas à proprement parler à
la valeur juridique du procès…, mais plutôt à son aspect religieux visible à
travers les notions d’impureté et de colère des dieux » [SAUTEL 1999, p. 136,
n. 1]. Soulignons néanmoins que dans ce récit Horace aurait été conduit
devant le roi par les premiers de la cité, « en raison du meurtre de sa
sœur », et que ceux-ci produisirent « les lois qui ne permettent de tuer
personne sans jugement » (Denys d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 3, 22,
3). Une telle formulation fait écho tout à la fois à la désignation de l’homo
sacer, puisque ce dernier est explicitement affranchi d’un tel interdit (R1),
ainsi qu’à la légitimation du meurtre politique à l’époque des guerres
civiles de la fin de la République. Par ailleurs, dans le même récit, le père
d’Horace défend l’acte de son fils en indiquant qu’il s’agit d’une
« châtiment », et non d’un « meurtre ». La formule qu’il emploie n’est pas
sans rappeler l’exercice de la patria potestas (R2), très lisible dans le récit de
Denys d’Halicarnasse : « il estimait qu’il était juge de ses propres
malheurs, puisqu’il était le père de l’un et l’autre ». Enfin, le mécanisme
procédural de « l’appel » (prouocatio) est souligné à l’occasion de
l’arbitrage rendu par le roi Tullus Hostilius :

Ne sachant comment régler l’affaire, il décida finalement que


le mieux était de confier au peuple la décision. Devenu alors pour
la première fois maître d’une sentence capitale, le peuple romain
se range à l’avis du père et absout l’homme du meurtre (Denys
d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 3, 22, 4 ; trad. J.-H. Sautel).

Ce scénario d’une obéissance du peuple à l’avis d’un père se retrouve,


cette fois en faveur de la condamnation, dans l’une des versions du procès
contre Spurius Cassius (R6b). Il est pourtant très peu juridique [THOMAS
2018, p. 185-187].
Cependant, et c’est la seconde pièce du dossier, ce droit d’appel aurait
été introduit et confirmé successivement par trois lois Valeriae.
La première en 509 av. J.-C., à laquelle il a déjà été fait allusion, aurait été
introduite par Valerius Publicola lui-même (R3b). La seconde en 449 av. J.-
C. (R1c4), aurait assuré après l’épisode des décemvirs, magistrats qui
avaient été créés « sans être soumis à l’appel » (sine prouocatione),
un rétablissement et une confirmation de la première loi Valeria.
Une troisième enfin, en 300 av. J.-C., est attestée seulement par Tite-Live
(R3g), mais son contenu figurerait également chez les auteurs qui
le rapportent à la loi de 509 av. J.-C. [HUMBERT 1988, p. 445]. Cette première
loi, à laquelle Th. Mommsen accordait crédit, et sur laquelle il avait bâti,
comme on l’a vu, son exposé d’une prouocatio universelle dès le début de
la République, face à la coercition du magistrat, est aujourd’hui rejetée
presque unanimement comme apocryphe [KUNKEL-WITTMANN 1995 ;
HUMBERT 1988 ; HUMBERT 2018 ; LOVISI 1999 ; OACKLEY 2005, IV].
Peut-on sauver de l’examen critique des sources la seconde loi Valeria,
celle qui aurait été votée en 449 av. J.-C., au lendemain de l’épisode
décemviral ? L’ensemble du dispositif législatif connu sous le nom de lois
Valeriae-Horatiae (votées par le peuple sous le consulat de L. Valerius
Potitus et M. Horatius Barbatus), présente assurément une grande
cohérence [HUMBERT 1988, p. 472-484], et si son authenticité a été rejetée,
elle aussi, par de nombreux philologues, ce scepticisme ne se fonde pas
cette fois sur une argumentation décisive [OAKLEY 2005, p. 127-128] : en
premier lieu, les plébiscites, s’ils sont reconnus par le sénat, ont
une valeur normative (il faudra attendre la loi Hortensia de 287 av. J.-
C. pour qu’ils reçoivent une application universelle équivalente aux autres
lois comitiales) ; en second lieu, le principe de l’inviolabilité tribunicienne
sanctionnée par la mise à mort de tout infracteur est rappelé ; en
troisième lieu, l’appel au peuple est reconnu. Or à cette date ces deux
dispositions sont indissociables : l’aide du tribun, la protection qu’il
accorde à l’inculpé, en réponse à un « appel à l’aide » (appellatio) que celui-
ci adresse au représentant de la plèbe, est encore en effet le levier par
lequel l’appel au peuple peut aboutir. Le magistrat détenteur du pouvoir
de commandement (imperium) ne saurait en effet passer outre
l’inattaquable pouvoir d’aide (auxilium) tribunicien. Tel aurait été l’état du
droit d’appel au milieu du Ve siècle, en 449 av. J.-C. [HUMBERT 1988].
Or ce progrès s’inscrit également dans une évolution essentielle de
la juridiction du peuple décidée deux ans auparavant par les décemvirs
(R3d). En vertu de deux versets de la Loi des XII Tables, sans doute
articulés l’un à l’autre, auraient été prescrits, d’une part, le monopole
des comices centuriates – désignés également par l’expression de
comitiatus maximus, c’est-à-dire l’assemblée « la plus nombreuse » [GABBA
1987], plutôt que « l’assemblée souveraine » [MAGDELAIN 1990, p. 334-
339] dans le domaine de la juridiction capitale, d’autre part,
la condamnation de toute loi qui sous couvert d’universalité, viserait en
réalité un priuatus, c’est-à-dire, un individu en particulier [HUMBERT 1996 ;
HUMBERT 2018, p. 670-671]. Si l’interprétation de ce second verset reste
largement enclavée dans la polémique menée par Cicéron au lendemain
de son bannissement, le premier verset a une portée plus large dans
l’histoire de la procédure, « il constitue la pierre angulaire
des reconstitutions modernes du droit criminel républicain » [HUMBERT
2018, p. 674]. Ce monopole du peuple introduit par les XII Tables pourrait
trouver sa première illustration dans l’attitude du « bon décemvir »
C. Iulius (R3e), l’un des rédacteurs de cette législation. Au lieu de conduire
de bout en bout une poursuite capitale à l’issue de la découverte
d’un cadavre dans la chambre du noble Lucius (ou Publius)Sestius, ce
décemvir aurait délibérément remis au peuple le jugement. Une saynète
sans doute fabriquée de toutes pièces par l’annalistique, mais que l’on
pourrait considérer comme éminemment significative de l’évolution de
la procédure comitiale qui s’imposait désormais au magistrat.
Les décemvirs étaient des magistrats qui avaient été créés « sans être
soumis à l’appel » (sine prouocatione) et rien ne contraignait juridiquement
C. Iulius à remettre au peuple le jugement : le « bon décemvir » aurait
pourtant considéré, de sa propre volonté, qu’il fallait mettre en
application le nouveau principe législatif [HUMBERT 2018, p. 676].
Il n’y a pas lieu de remettre en cause l’authenticité des deux versets en
question, en raison tout particulièrement du principe selon lequel Cicéron
ne pouvait en l’évoquant abuser les destinataires de ses discours, car ils
étaient tout autant informés que lui du contenu de la Loi des XII Tables. En
revanche, il y a bien lieu de s’interroger sur la durée ou l’efficacité de ce
monopole des centuries lorsqu’était en jeu le caput, c’est-à-dire, au sens
premier, « la tête », mais aussi « l’appartenance civique » du citoyen. En
effet, plusieurs poursuites capitales instruites par les tribuns devant
les comices tributes sont attestées jusqu’à l’époque de Cicéron – deux
seulement de ces poursuites se sont déroulées devant les centuries (R5a-
b). En bref, il est bien possible d’admettre l’authenticité de quelques mots
d’un verset des XII Tables et de leur accorder une validité en raison du
contexte où ils sont énoncés – par Cicéron, en l’occurrence, dans
les discours postérieurs à son exil. Mais on ne saurait oublier pour autant
que cette attestation isolée – son impact est totalement ignoré de
la tradition annalistique telle qu’elle nous est transmise par Tite-Live et
Denys d’Halicarnasse – est postérieure de quatre siècles au dispositif
législatif auquel elle se réfère. En l’occurrence l’invocation du monopole
des centuries – y compris en convoquant de faux précédents [RIVIÈRE
2013c] – vise d’abord à invalider toute disposition prise par les tribus, à
l’initiative d’un tribun de la plèbe, puisque Cicéron lui-même en a été
la victime. Quoiqu’il en conteste la validité, cette procédure, à l’évidence, a
bien été engagée à son encontre. Elle a abouti à une loi de bannissement
entérinant son départ en exil, conformément au traditionnel évitement de
la peine de mort à Rome. Et c’est en raison d’un même principe, contre
toute évidence, à l’encontre même des mots dictés par la sincérité de
l’affliction et qu’il a rédigés dans sa Correspondance d’exil, que l’orateur,
après coup, conteste la perte du droit de cité qu’a entraînée
« l’interdiction de l’eau et du feu » (R41) prononcée contre lui [RIVIÈRE
2018b]. En bref, la référence de Cicéron aux XII Tables est peut-être
authentique, mais elle ne saurait en aucun cas constituer une clé de
lecture rétrospective de quatre siècles d’évolution des institutions du droit
criminel romain consécutifs à la législation décemvirale – que l’on songe,
par exemple, à titre de comparaison, à la désuétude complète des versets
des XII Tables relatifs à la réflexivité de la peine (Commentaire à R30).
Mais revenons à la prouocatio ad populum au « droit d’appel au peuple ».
La Loi des XII Tables évoque un monopole du populus en matière capitale,
l’une des leges Valeriae-Horatiae permet à l’appel d’aboutir par
le truchement de l’auxilium tribunicien. Soit ! Mais ce n’est très
probablement qu’à partir de 300 av. J.-C. (vote de la troisième loi Valeria),
que le droit d’appel (prouocatio) a reçu une automaticité, en s’imposant au
magistrat, sans même que le citoyen poursuivi soit contraint de recourir
au truchement de l’auxilium tribunicien. Comme on suppose que ce droit
reconnu par la loi n’est pas apparu soudainement, l’inscription dans la loi
résulterait alors d’une pratique coutumière antérieure [LOVISI 1999, p. 192-
196].
Que faire – une fois que l’on a reconnu le caractère apocryphe de la loi
de 509 av. J.-C. – de la figure du dictateur ? Le premier aurait été créé en
502 av. J.-C., selon Tite-Live (2, 18, 4) et il n’était pas soumis à la prouocatio,
selon Pomponius (R3c1). Sans aborder ici dans son ensemble l’histoire de
cette magistrature exceptionnelle – elle relève en réalité presque
exclusivement de l’histoire militaire, et non du contournement, en cas de
danger intérieur, des garanties offertes au citoyen par la procédure
criminelle [RIVIÈRE 2019a] –, comprenons en quoi elle est révélatrice
des incertitudes et des incohérences de la documentation touchant à
l’existence du « droit d’appel » aux deux premiers siècles de Rome.
Contrairement au principe formulé à la fin de la République et au
commencement de l’Empire, le dictateur n’a pas été désigné par le passé,
tantôt « en cas de troubles graves », tantôt « en cas de guerres extérieures
particulièrement difficiles », contrairement par exemple à
la généralisation de la Table claudienne. C’est, en réalité, ce deuxième
scénario (la guerre extérieure) qui l’emporte presque exclusivement, sauf
dans le récit entièrement reconstruit de la désignation du dictateur
L. Quinctius Cincinnatus contre « l’aspirant à la tyrannie » Spurius Maelius
(R4). Il existe également quelques cas d’intervention d’un dictateur
nommé pour négocier avec les chefs plébéiens lors d’une « sécession de
la plèbe ». Mais précisément on sait que ces sécessions s’accomplissent
dans un contexte initial de « séditions » militaires. Pour un tel cas de
figure, la nomenclature spécifique de la dictature de P. Manlius
Capitolinus (en 368 av. J.-C.) destinée à « pacifier une sédition et à exécuter
une entreprise de guerre » (seditionis sedandae et r(ei) g(erundae) causa)
constitue un hapax, une occurrence unique dans toute la documentation
(DEGRASSI 1947, p. 32-33), en dépit des généralisations des modernes. Quant à
la désignation de C. Maenius en 314 av. J.-C., pour présider des « tribunaux
d’enquêtes » (quaestiones), d’abord à Capoue, puis à Rome (où il doit
renoncer à sa charge, face à l’opposition qu’il suscite), elle ne doit pas
conduire à faire de ce magistrat une sorte de « grand inquisiteur » qui
serait affranchi encore à cette époque du droit d’appel [contra STRACHAN-
DAVIDSON 1912, I, p. 227], d’autant moins que ce sont dans d’autres cas
des consuls ou des préteurs qui ont été chargés de quaestiones en Italie, par
exemple pour la répression des bacchanales en 186 av. J.-C. (R8). L’épisode
de C. Maenius ne constitue d’ailleurs qu’une digression bien suspecte de
Tite-Live (9, 26, 5-8), à partir d’un épisode purement militaire (Diodore de
Sicile, 19, 76, 3-5) à l’occasion duquel le dictateur en question avait été
nommé pour conduire la guerre [OACKLEY 2005, III, p. 304-306 ; RIVIÈRE 2019,
p. 108]. Cependant, à l’instar du récit de la nomination du premier
dictateur selon Tite-Live (R3c2), alors que les seules raisons d’une telle
désignation relèvent du registre de la menace extérieure, la vue
des licteurs porteurs de haches dans leurs faisceaux aurait rappelé à
chacun que le dictateur n’était soumis, ni à la provocation, ni à
l’intercession d’un collègue. Mais alors, si l’introduction de la prouocatio ne
remonte qu’à l’année 300 av. J.-C., comment comprendre une telle
observation et les quelques autres récits de Tite-Live ou de Denys
d’Halicarnasse où un dictateur aurait été antérieurement désigné dans
l’intention supposée de lever l’obstacle de l’appel ? Si l’appel au peuple
n’avait pas encore été introduit par la loi, un tel principe apparaît peu
cohérent : pourquoi chercher à surmonter un obstacle inexistant ? Et si
le pouvoir consulaire n’a pas été entravé à l’intérieur du pomerium avant
300 av. J.-C (conformément à ce que l’on admet de l’histoire de
la prouocatio) pourquoi aurait-on recouru alors à une magistrature
« d’exception » ? C’est pourtant ce que dit explicitement Tite-Live à
propos de l’épisode de Spurius Maelius (R4c). Il y a tout lieu de penser que
nous sommes encore en présence de l’une de ces rétroprojections ou de
ces reconstructions tardives, consécutives aux dictatures syllanienne et
césarienne, qui, dans un contexte de guerre civile avaient redéfini
l’essence même de cette magistrature, en dépit, au moins pour ce qui
concerne Sylla [HURLET 1993], du respect des formes traditionnelles de
désignation. Reste le texte de Festus (R3c3) : le dictateur à partir d’une
certaine date (300 av. J.-C. ou 287 av. J.-C.) aurait-il été lui aussi soumis à
la prouocatio ? Tout en acceptant la correction de Mommsen – elle est
signalée dans le texte entre crochets –, comment admettre qu’une loi, fût-
elle « la meilleure » ait pu qualifier la compétence du dictateur ? Il est bien
peu probable que certains dictateurs aient été investis d’un droit
« diminué » ou « affaibli », comme cela a déjà été observé [NICOSIA 1987].
Faut-il alors faire remonter à la dictature de Sylla une telle disposition ?
Dans ce cas, la loi aurait doté le dictateur du pouvoir traditionnel dans
toute son étendue, alors qu’il avait été soumis à la prouocatio depuis
300 av. J.-C. [JEHNE 1989] ? Pour éclairer ce texte, sans doute faudrait-il
d’abord étudier l’ensemble des occurrences et des contextes dans lesquels
apparaissent les formules optima lege ou optimo iure. Plusieurs pistes
essentielles ayant déjà été réunies dans ce sens [VAN HAEPEREN 2012],
résumons-les. En premier lieu, le débat entre le tribun de la plèbe et
Cicéron, en 63 av. J.-C., autour de l’élection de décemvirs chargés de
l’application de la loi agraire, permet de préciser le sens de la formule
optima lege : elle s’applique d’abord à la loi curiate, ou à l’effet équivalent
qu’elle produit en droit sur l’investiture d’un magistrat (Cicéron, Sur la loi
agraire, 2, 29) [VAN HAEPEREN 2012, p. 83]. En second lieu, « la loi curiate ne
portait pas sur le contenu des pouvoirs des magistrats mais sur
le caractère iustus de leur magistrature » (iustus signifie ici conforme au
droit). Troisièmement, le dictateur faisait partie des magistrats dont
l’investiture nécessitait une loi curiate présentée par lui-même (Tite-Live,
9, 38, 15 et 39, 1) [VAN HAEPEREN 2012, p. 88-89]. Ajoutons une dernière
observation. On a toujours supposé que « l’appel » (prouocatio) mentionné
dans ce texte lacunaire de Festus renvoyait à la procédure criminelle.
Cependant, le même verbe prouocare peut très bien désigner
la présentation au peuple d’une question de droit public ou pontifical,
sans compter son acception première de « provocation en justice » dans
le contexte d’une procédure civile, comme cela a été démontré au prix
d’un affranchissement doctrinal et d’une rigueur philologique
exemplaires [CLOUD 1998]. En bref, on ne saurait construire une théorie de
droit public sur un texte lacunaire de Festus, alors même que nous ne
disposons d’aucun exemple où un dictateur aurait été soumis à l’appel
après 300 av. J.-C. (la désuétude puis la disparition de cette magistrature
militaire à la fin de la seconde guerre punique, en 202 av. J.-C. est
une toute autre affaire qui relève plutôt de la conduite des opérations
militaires désormais éloignées de Rome), et que le recours au dictateur
pour contourner « le droit d’appel » – évoqué quelquefois comme
une menace, en cas d’insurrection, dans le récit des origines – appartient à
une époque où il est admis que ce « droit d’appel » n’existait pas !
Admettons, donc, que la loi Valeria de 300 av. J.-C. ait généralisé
le recours à la prouocatio ad populum, qui avait été rendu possible depuis
449 av. J.-C. à condition de recourir à l’aide (auxilium) des tribuns
consécutive à l’appel (appellatio) qui leur était adressé. On ne peut
malheureusement pas trouver d’application de ce mécanisme procédural
au cours des trois siècles suivants [OAKLEY 2005, p. 121] ! Seules se
rencontrent dans la documentation (en dehors de l’énonciation générale
d’un principe de liberté et d’intégrité physique du prévenu face au
magistrat) trois occurrences singulières de « l’appel » : elles impliquent
alors le pontifex maximus et « en appeler au peuple » (prouocare ad populum)
revêt ici un tout autre sens, étranger au droit criminel, puisqu’il s’agit de
porter devant l’assemblée une question relevant à la fois du droit public et
du droit religieux (Tite-Live, 37, 51, 5, en 189 av. J.-C. ; 40, 42, 9, en
180 av. J.-C. ; Festus, p. 462-464 Lindsay). Ajoutons-y l’exception notable et
si énigmatique du procès intenté contre Rabirius en 63 av. J.-C. (R3h4).
Le prévenu avait participé trente-sept ans plus tôt à la répression
ordonnée par le sénat contre le tribun de la plèbe L. Appuleius Saturninus
et le préteur C. Servilius Glaucia (R9f). Il était maintenant poursuivi à
l’instigation de Jules César, par le truchement du tribun de la plèbe
Labienus, avant que la poursuite n’ouvre sur une procédure conduite par
les duumuiri perdullionis. Or l’existence antérieure de ces magistrats, on l’a
vu plus haut, n’est attestée que par le procès légendaire d’Horace (R3a) et
par l’hypothèse, très douteuse, de leur intervention contre M. Manlius
Capitolinus la première année de son procès en 385 av. J.-C. (R34j).
Le déroulement de ce procès pose donc plus de problèmes, qu’il n’éclaire
véritablement les mécanismes procéduraux auxquels il se rapporte. En
bref [STRACHAN-DAVIDSON 1912, p. 188-204 ; BUTLER-CARY 1927, p. 55], il paraît
acquis qu’un procès devant les duumvirs a été décidé par une loi, que
la culpabilité de Rabirius a alors été établie, et que son cas a fait l’objet
d’une nouvelle poursuite. Cet enchaînement pose cependant trois
difficultés : les duumvirs ont-ils instruit en première instance un procès
devant un tribunal de jurés ? La deuxième phase de la poursuite est-elle
l’aboutissement d’un appel ou résulte-t-elle de l’ouverture d’un nouveau
procès ? Dans cette seconde hypothèse, de quelle façon la sentence portée
par les duumvirs a-t-elle été cassée ? Quant à l’issue du procès, elle varie
selon nos sources : d’après Dion Cassius (R3l2), Rabirius a échappé à
une condamnation par le subterfuge du préteur qui a conduit à dissoudre
l’assemblée ; d’après Suétone (R3l1), Rabirius a été acquitté.

Les leges Porciae : des bribes textuelles et un revers


de monnaie

La loi Valeria de 300 av. J.-C. interdisait-elle de mettre à mort


un citoyen romain à l’issue d’une flagellation préalable – la flagellation par
les verges constituant ici une « peine accessoire » –, ou bien interdisait-
elle aussi la flagellation en tant que moyen coercitif autonome à côté de
l’exécution capitale ? La formule employée par Tite-Live (R3g) semble bien
associer les deux actes : « frapper des verges et mettre à mort par
la hache » (uirgis caedi securique necari). C’est également le scénario que
laisse entendre Cicéron dans le discours Pour Rabirius. Et pourtant d’autres
textes (Cicéron, De la République, 2, 53 ; Valère Maxime, 4, 1, 1 ; Denys
d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 5, 19, 4) semblent dissocier la
flagellation et l’exécution [KUNKEL-WITTMANN 1995, p. 166-167, n. 249]. Et il
faut bien admettre que la flagellation apparaît comme un moyen
disciplinaire, non seulement en contexte militaire, mais également dans
l’énumération théorique des moyens de coercition dont dispose
le magistrat, ou encore à l’occasion de la punition à laquelle a échappé
L. Cornelius Balbus (R3h8).
L’histoire du droit d’appel ne s’arrête évidemment pas en 300 av. J.-C.,
ne serait-ce qu’en raison de l’insistance avec laquelle il est évoqué dans
les conflits politiques de la fin de la République et en dépit du manque de
cas concrets qui l’illustreraient. À cette date, il est permis de penser que ce
droit ne pouvait s’exercer qu’à l’intérieur du pomerium, c’est-à-dire en
territoire domi, alors qu’il n’existait pas encore en dehors de Rome, en
territoire militiae. Le pas aurait-il été franchi un bon siècle plus tard avec
les nouvelles normes introduites par les leges Porciae, au commencement
e
du II siècle av. J.-C. ? Cette législation Porcia est présentée par Tite-Live
comme un complément à la législation Valeria, tandis que César ou
Cicéron invoquent ces deux séries, autant que la législation « Sempronia »,
c’est-à-dire « gracquienne », en référence à la protection du citoyen face à
l’exécution capitale et/ou à la flagellation. On dispose également de
quelques lignes, mal établies et énigmatiques à bien des égards, extraites
d’un discours prononcé par Caton l’Ancien à une date indéterminée (sans
doute l’année de son consulat) contre le tribun de la plèbe M. Caelius.
Les autres fragments conservés de ce discours ne permettent pas d’en
restituer, ni le contenu, ni les circonstances. Ce fragment, tout incertain
qu’il soit et en dépit de sa traduction délicate, doit néanmoins être versé
au dossier des leges Porciae et de la flagellation du citoyen (R3h2).
Le dossier en question tient ici en quelques lignes dispersées de notre
documentation littéraire et… au revers singulier d’une pièce de monnaie
figurant en couverture de cet ouvrage ! Examinons-le.
Lorsqu’il donne à lire le contenu essentiel de la loi Valeria de 300 av. J.-
C., Tite-Live (R3g) éprouve le besoin d’en noter la limite, et évoque par
anticipation la loi Porcia postérieure venue parfaire cette disposition. En
effet, alors que la première aurait seulement désigné la violence exercée
par le magistrat sur un citoyen comme une « mauvaise action » (improbe
factum) – il s’agirait alors, en dépit des réticences parfois exprimées à ce
sujet [HUMBERT 2018, p. 627], d’une lex imperfecta, c’est-à-dire d’une loi dont
l’application n’était pas sanctionnée par une peine –, la seconde aurait
véritablement « sanctionné » (sancire) d’une « lourde peine » (grauis poena)
les mêmes faits [MAROTTA 2009, p. 22]. Sans doute cette confrontation
débouche-t-elle chez Tite-Live sur un discours moral, selon lequel
une seule admonestation suffisait à régler la conduite des anciens, alors
qu’il devint nécessaire par la suite de recourir à une véritable punition
pour veiller à l’application de la loi. Mais la différenciation entre les deux
lois et la raison pour laquelle elles se complètent paraissent très claires, et
il y a d’autant moins lieu d’en douter que Cicéron (R3b1) confirme très
explicitement cette donnée, selon laquelle les leges Porciae dont l’initiative
serait revenue à trois membres de la famille Porcia « n’ont rien apporté de
nouveau sinon la sanction (sanctio) ». Et pourtant, en dépit de cette
clarification, ce passage ouvre sur une autre difficulté : alors que partout
ailleurs – chez Cicéron lui-même, qui considère cette loi comme
le « fondement de la liberté la plus juste » (Discours pour Cornelius au sujet
de la majesté, fragment conservé par Q. Asconius Pedianus, p. 61 Stangl) –,
il est question d’une seule loi, ce même texte semble faire allusion aux
initiatives distinctes de trois membres de la même famille. Comment
identifier ces trois personnages ? S’agirait-il de Caton l’Ancien (dit « le
Censeur »), comme pourrait le faire penser le texte de Festus (R3h2) mal
établi, et reconnaissons-le en effet, « obscur et difficile à traduire » [OAKLEY
2005, p. 131-132] ? Ou bien, de l’un de ses contemporains, tel que le tribun
de la plèbe de 199 av. J.-C., à savoir P. Porcius Laeca, ou encore, d’un autre,
le préteur de 193 av. J.-C., L. Porcius Licinius ? Que l’un des membres de
cette famille ait été à l’origine de dispositions légales relatives à l’appel »
semble confirmé, indubitablement, par la célèbre légende monétaire – elle
est écrite en toutes lettres, prouoco ou « j’en appelle » – qu’illustre la scène
représentée sur le denier (évoqué plus haut). Ce denier a été frappé à
l’initiative d’un triumvir monétaire, c’est-à-dire un membre du collège
des « trois hommes veillant à la préparation et à la frappe des pièces de
bronze d’argent et d’or », nommé P. Porcius Laeca, en 110 ou 109 av. J.-C.
Cette législation Porcia visait-elle exclusivement à protéger le citoyen
contre la flagellation par les verges infligée sur l’ordre du magistrat, ou
écartait-elle également l’exécution capitale accomplie sans appel ?
Le texte de Tite-Live (R3g) semble indiquer que l’une « ou » l’autre,
la flagellation ou l’exécution, étaient concernées. Les textes de Cicéron,
qu’il s’agisse du Discours pour Rabirius (R3h4-R3 h5) ou du traité, De
la République (R3b1), iraient dans le même sens. Cependant tous les autres
témoignages – à commencer peut-être par la scène représentée sur
le denarius (R3h1), où le licteur porte seulement les verges, et non
la hache – semblent lier la législation Porcia à la flagellation elle-même,
sans considération de l’exécution capitale. Festus évoque seulement
la protection des scapulae (des « épaules », donc (R3h2), et pas de la tête),
la cruauté de Verrès conduit certes quant à elle au crucifiement de
Gaevius de Compsa, mais la loi Porcia n’est invoquée qu’au moment de
la flagellation de la victime sur le forum (R3h3). César, lors du discours
contre la mise à mort des Catiliniens, juxtapose la loi Porcia sur
la flagellation à d’autres lois concernant la peine de mort. Son
argumentation joue sur cette opposition, tout en faisant allusion à
d’autres lois (non identifiées) relatives à l’exil – il ne s’agit plus ici de
la législation Porcia [KUNKEL-WITTMANN 1995] –, et qui pourraient alors être
e
mises en rapport avec ce que l’on observe au II siècle av. J.-C. du
déroulement de la procédure tribunicienne devant le peuple (R5), ou avec
les principes du bannissement à la même époque (R41). Il était toujours
temps pour le prévenu, jusqu’au prononcé de la sentence, de partir en exil
dans une autre cité, alors que le peuple romain entérinerait après ce
départ son banissement.

« L’appel » à l’intérieur de la Ville (domi)


et en territoire militaire (militiae)

Une dernière question se pose, elle est fondamentale pour


reconstituer l’évolution du droit criminel romain, du Ve au Ier siècle av. J.-
C., c’est-à-dire au cours d’une période de près d’un demi-millénaire durant
laquelle Rome, qui n’était au départ qu’une cité soumise à l’offensive de
ses voisins les plus proches, Italiques, Latins et Etrusques, est devenue
la capitale d’un empire enveloppant toutes les rives de la Méditerranée.
Les conséquences introduites par un tel changement dans le domaine qui
nous occupe ont été multiples. Pour ce qui concerne « l’appel »
uniquement, sa dimension territoriale doit d’emblée être soulignée : alors
que l’action des tribuns était limitée au pomerium et au rayon des mille pas
à l’extérieur (la première indication à ce sujet est fournie par Tite-Live, 3,
20, 6-7) et alors que le même pomerium qui servait à distinguer l’espace
domi et l’espace militiae est longtemps demeuré la limite à l’intérieur de
laquelle s’exerçait la prouocatio, ces données se sont partiellement
modifiées avec la diffusion (mesurée) de la citoyenneté, et avec
le déplacement des citoyens romains dans l’espace conquis. L’exercice de
l’appel s’est alors modifié et il y a toutes les raisons de penser que ce
recours contre le pouvoir de coercition du magistrat, et la menace d’une
mise à mort, s’est alors étendu. L’affaire de Gaevius de Compsa témoigne
sans doute de cet aboutissement (R3h3) : la victime de Verrès, après avoir
été l’objet d’une détention pour laquelle elle allait se plaindre à Rome, a
été flagellée sur le forum de Messine. Gaevius s’est alors écrié qu’il était
citoyen romain. Notons au passage que pour donner une preuve de ce
statut il invoque le témoignage oral du chevalier L. Raecius. L’attestation
de citoyenneté romaine ne reposait-elle sur aucun document écrit ? C’est
une même « proclamation » qui arrêtera le geste des autorités qui avaient
emprisonné ou s’apprêtaient à flageller Paul de Tarse (R50c). Toujours est-
il que cette revendication de citoyenneté, quel qu’en soit le moyen de
preuve, est un argument puissant à l’occasion du procès contre Verrès,
puisque l’accusateur Cicéron l’a réservé contre la partie adverse en fin de
son réquisitoire. À n’en pas douter, à cette époque, un citoyen qui se
déplaçait dans les provinces pouvait en principe revendiquer ce droit, si
bien que l’on peut alors parler de « déterritorialisation » d’un droit
autrefois restreint à la limite du pomerium – la limite religieusement
définie de l’Vrbs [BERTHELET 2015, p. 191-195]. Quant à la forme du supplice
infligé à Gaevius, à savoir le crucifiement normalement réservé aux
esclaves, il se pourrait que l’obstacle à son usage à l’encontre des citoyens
ne relève que de « la coutume des ancêtres », plutôt que d’une loi en
particulier [COOK 2015, p. 358-368].
Aux cris de Gaevius font écho, près de trente ans plus tard, ceux de
Fadius, ce soldat pompéien, qui, pour avoir refusé de participer de
nouveau à un combat de gladiateurs, fut poursuivi par le césarien
L. Cornelius Balbus, un homme décrit comme violent et dépravé (R3o).
Une émeute éclata pour protéger la victime. Balbus fit intervenir
la cavalerie gauloise contre les émeutiers qui se défendirent avec
des pierres. Le soldat fut tout de même saisi et livré à l’atroce supplice
décrit dans la lettre adressée par C. Asinius Pollio à Cicéron : à demi
enterré dans l’école de gladiateur qu’il avait voulu fuir, Fadius fut brûlé vif.
Tant qu’il le put il s’écria qu’il « était né » citoyen romain, et son
tortionnaire de rétorquer qu’il n’avait qu’à solliciter « l’assistance » (fides)
du peuple. Le verbe quiritare qui a fini par revêtir une acception large
« appeler au secours », signifie aussi étymologiquement et précisément
faire appel aux quirites, c’est-à-dire aux « citoyens Romains », comme
le rappelle Varron :

Quiritare se dit de celui qui implore (implorare) l’assistance (fides)


des Quirites en criant (clamare). (Varron, La langue latine, 6, 68)

La forme du supplice infligé à Fadius pourrait être attestée ailleurs,


puisque Metellus Numidicus y aurait recouru après la prise de Vaga (R3i6),
certes non pas contre des citoyens romains, mais contre des transfuges
ligures et thraces « enterrés jusqu’à l’estomac » pour servir de cibles à
des archers et des lanceurs de javelots, avant d’être achevés par le feu
(Appien, Livre Numidique, fr. 3 Goukowsky). Un tel raffinement de cruauté
pourrait aussi avoir été inventé pour illustrer la brutalité légendaire de
Metellus Numidicus. Mais il est également attesté par Sénèque dans
une énumération des supplices abominables instruments de la « rage »
(rabies) qui s’empare des humains lorsqu’ils ne savent ni contenir ni
proportionner leur colère (ira) et des juges, en particulier, lorsqu’ils ne
savent pas demeurer impassibles, même dans l’application des châtiments
les plus durs admis par la coutume ou par la loi (R34n) :

Qu’on rende à la rage les instruments qui sont les siens,


les chevalets de torture (eculei) et leurs cordes (fidiculei),
les ergastules (ergastula) et les croix (cruces), les feux qui entourent
les corps enfouis (defodere), et le crochet (uncus) servant à traîner
les cadavres, les liens (uincula) en tout genre, les peines (poenae) en
tout genre, les déchirements (lacerationes) des membres,
les inscriptions sur le front (inscriptiones frontis) et les cages
des bêtes monstrueuses. (Sénèque, De la colère, 3, 3, 6)

Il se pourrait enfin que l’origine d’un tel supplice (pratiqué


précisément par les Romains, selon les exemples qui précèdent, en Afrique
et dans le Sud de l’Espagne), soit d’origine carthaginoise :

De même, au sujet des Carthaginois, M. Caton écrit ceci : ils


ensevelirent (defodere) en terre les hommes, jusqu’à la moitié du
corps (dimidiati), ils mirent le feu autour, et les tuèrent ainsi. (Aulu-
Gelle, 3, 14, 19)

Quoi qu’il en soit, si l’on veut bien mettre de côté la brutalité sadique
d’un tel supplice, parmi tant d’autres, deux faits méritent d’être soulignés
d’un point de vue procédural. D’une part, sur un mode sarcastique,
horrible en la circonstance, le recours au peuple de celui qui revendique sa
citoyenneté apparaît comme la conséquence logique du traitement qui lui
est réservé. D’autre part, on pourrait s’interroger sur la légère différence
entre le cri de Gaevius à Messine, trente ans plus tôt – « je suis citoyen
romain » –, et celui de Fadius à Gadès – « je suis né citoyen romain ». Ce
dernier voulait-il mettre l’accent sur l’ancienneté de sa citoyenneté qui lui
avait été transmise par ses parents, une distinction par rapport à
la citoyenneté obtenue en cours d’existence, voire achetée, comme on
le lit dans les Actes des Apôtres (22, 27-28) lorsque le tribun qui a obtenu ce
statut moyennant une dépense, s’étonne que Paul de Tarse en dispose
depuis la naissance (R50c2). Cherchait-il à rappeler sa condition
antérieure à l’infamie qui l’entachait désormais, depuis qu’il s’était
« abaissé » à la condition de gladiateur en acceptant de se louer pour
les combats de l’amphithéâtre (auctorare) [STRACHAN-DAVIDSON 1912, I,
p. 121] ? On ne saurait répondre, mais au-delà de ce cas individuel, ces
deux hypothèses, invérifiables en elles-mêmes, méritent d’être posées, car
elles reflètent plus largement la condition du citoyen romain, d’un côté,
le prestige assurément que l’on retire de l’avoir obtenue à la naissance, de
l’autre, la dévalorisation de ce statut qu’entraîne la tache de « l’infamie »
[BUR 2018].
Peut-être ce droit remontait-il précisément à la législation Porcia.
Arrêtons-nous encore pour observer les figures au revers du denier frappé
par P. Porcius Laeca, dont la légende « prouoco » est très lisible. On
reconnaît sur la droite un licteur porteur de verges. Au centre,
un détenteur du commandement (magistrat ou pro-magistrat), en habit
militaire, élève le bras droit, peut-être en l’appliquant sur la tête du
troisième personnage, un civil dont les bras croisés sur le torse semblent
signifier un geste de défense ou d’acceptation. Cette lecture s’impose
[KUNKEL-WITTMANN 1995], plutôt que celle qui voudrait soumettre
l’observation de la saynète à l’hypothèse d’une extension aux armées du
droit d’appel, en considérant que l’auteur de l’appel est le personnage
central en habit militaire, exposé « en territoire militaire » (militiae) au
licteur qui est dans son dos, et s’adresse par son bras levé à un magistrat
(non figuré sur la représentation monétaire !), tandis que le personnage
en toge de plus petite taille serait alors l’allégorie du peuple romain dans
son ensemble réuni en assemblée à l’intéreur de la Ville (dans l’espace
domi) [STRACHAN-DAVIDSON 1912, I, p. 118]. Tout est possible, et on n’en finira
jamais sans doute d’interpréter l’une des rares images romaines relatives à
l’exercice de la justice criminelle ! Mais il paraît périlleux, en l’occurrence,
d’attribuer à une représentation monétaire, légendée, explicite et
circonscrite, une signification dont l’élément principal se situerait « hors
champ » ! Admettons pour finir qu’il y a quelque candeur à considérer que
même lorsqu’ils servaient dans l’armée, les citoyens pouvaient faire appel
de la décision du détenteur de l’imperium, du commandant en chef, donc,
comme cela a souvent été affirmé depuis Theodor Mommsen. Certes,
certains textes laissent entendre que la flagellation ne s’appliquait pas de
la même façon aux soldats citoyens et aux « étrangers ». Toutefois, si
une telle différence de traitement ne saurait être négligée, il ne faudrait
pas au même moment passer sous silence les textes qui attestent
la pratique disciplinaire aux armées : elle se traduit, sans conteste, par
des exécutions, par des lynchages collectifs orchestrés par des officiers, ou
par la fameuse « décimation » [HENAUT 2016]. De ce point de vue, il n’est
pas certain que dans le contexte de l’armée les citoyens aient bénéficié
d’une protection particulière en cas de faute grave, pas plus sous
la République que plus tard à l’époque impériale (R38).
En 109-108 av. J.-C., alors que la cité de Vaga avait été livrée par
traîtrise par ses habitants aux troupes de Jugurtha, et que la garnison
romaine, aussi bien que les citoyens romains présents dans la ville avaient
été massacrés, seul le préfet qui commandait la forteresse fut épargné à
la demande de ces mêmes habitants, en raison de la bonne conduite qu’il
avait eue envers eux. Ce préfet comparut plus tard devant un tribunal
militaire et son exécution fut ordonnée pour « traîtrise » (R3i6). Était-il
un citoyen « de droit latin », et aurait-il alors enduré la peine capitale, qui
lui aurait autrement été épargnée s’il avait été citoyen romain ? On l’a
soutenu en se fondant sur le témoignage de Salluste qui paraît justifier
l’exécution par le statut même du prévenu. À moins de considérer,
précisément, qu’il eut droit à un procès en raison de ce même statut,
seulement suggéré. La situation est compliquée par le fait que deux
témoignages plus tardifs parlent de lui comme d’un citoyen romain. Cette
question a été retournée dans tous les sens. Résumons : cet officier a
comparu devant une cour martiale, l’un des juges (C. Marius) voulait sa
mort, simplement par rivalité avec le commandant en chef Métellus, qui
était le protecteur du prévenu. Un peu plus tard l’accusation s’avéra
fausse. Aucun des membres de cette cour martiale n’aurait pourtant été
inquiété, alors même que cet « excès de discipline » avait conduit à
la mort un officier.
L’histoire de l’appel, « rempart de la liberté » à l’époque républicaine,
a-t-elle été prolongée par l’appel au prince (appellatio) sous l’Empire,
comme on l’a parfois supposé ? C’est très peu probable, en dépit du
fameux « appel » de Paul de Tarse mentionné dans les Actes apostoliques
(R50). Pour ce qui concerne le domaine militaire, il apparaît
manifestement que cette garantie devant les tribunaux accordée aux civils
n’a jamais été un frein à l’exercice d’une brutale discipline dans
les légions, comme l’atteste, par exemple, au commencement de l’Empire,
la répression des séditions de 14 ap. J.-C. [RIVIÈRE 2016, p. 155-188].
4

« Majesté dictatoriale » contre « aspirant


à la tyrannie » : la mise à mort de spurius
maelius (438 av. J.-C.)

a. La version de l’annalistique ancienne


(conservée par Denys d’Halicarnasse,
Antiquités Romaines,
12, 4, 2, trad. M. Chassignet ; milieu
du IIe siècle av. J.-C.)
Selon eux <L. Cincius Alimentus et L. Calpurnius Piso Frugi>, Quintus
<Cincinnatus> n’a pas été nommé dictateur par le Sénat et Servilius
<Ahala> n’a pas été fait maître de cavalerie par Quintus ; ils prétendent
que, lorsque Minucius révéla l’affaire, ceux qui se trouvaient au Sénat
crurent ses affirmations vraies, et quand un des sénateurs les plus âgés
proposa de mettre Maelius à mort immédiatement, sans jugement
(akriton), ils suivirent son avis et confièrent la tâche à Servilius, un homme
jeune au caractère noble et brave.
b. Les deux versions cicéroniennes
du geste de Servilius Ahala

♦ L’initiative de Servilius Ahala (Cicéron, Catilinaires,


1, 3 ; 63 av. J.-C.)

Les faits remontent à une si haute antiquité que je mentionne à peine


que Servilius Ahala, tua de sa propre main Spurius Maelius, tandis que ce
dernier méditait une révolution (res nouae).

♦ L’ordre de Cincinnatus (Cicéron, De la vieillesse,


56 ; 44 av. J.-C.)

À cette époque les sénateurs, des vieillards donc, se livraient aux


travaux des champs, si vraiment, comme on le raconte, Cincinnatus était à
sa charrue quand on lui annonça qu’il avait été fait dictateur ; c’est sur
l’ordre (iussus) de ce dictateur que le maître de cavalerie Servilius Ahala
tua Spurius Maelius qui s’employait à convoiter la royauté (regnum).

c. La justification de L. Quinctius
Cincinnatus, selon Tite-Live (4, 13, 10-14 ;
14, 1-7 ; 15, 1-4 et 8 ; époque
augustéenne)
13, 10. Après que ces révélations eurent été entendues, alors que de
tous côtés les premiers des pères blâmaient les consuls de l’année
précédente, d’une part, pour avoir permis ces distributions et
des réunions (coetus) de la plèbe dans la maison d’un particulier (priuata
domus), et les nouveaux consuls, d’autre part, parce qu’ils avaient fini par
attendre que ce soit un préfet de l’annone, <L. Minucius>, qui dénonce
(deferre) au sénat une affaire d’une telle importance, alors que l’on
attendait d’un consul qu’il fût non seulement l’initiateur des mesures à
accomplir (auctor), mais encore le vengeur (uindex) <des atteintes contre
l’État>. 11. Alors, T. Quinctius <Capitolinus> répondit « que les consuls ne
méritaient pas un tel blâme, eux dont l’action était entravée par les lois
sur l’appel (prouocatio), portées pour détruire le commandement
(imperium) et qu’ils ne disposaient aucunement des forces à la mesure de
l’intention qu’ils avaient d’exercer une vengeance (uindicare)
proportionnelle à l’horreur d’une telle affaire. Il ne s’agissait pas
seulement d’avoir une âme forte, mais d’être délivré et affranchi des liens
<imposés par> les lois. 12. C’est pourquoi il fallait que L. Quinctius
<Cincinnatus> soit proclamé dictateur : chez lui l’élan était à la hauteur
d’un tel pouvoir (potestas). Alors que tous approuvaient <à l’unanimité>,
Quinctus refusa d’abord et demanda : « que voulez-vous à celui que vous
jetez dans un tel combat, à l’âge qui est le sien ». 13. Ensuite, comme tous
s’écriaient de tous côtés « qu’il y avait dans cette âme de vieillard non
seulement plus de détermination, mais encore plus de courage que chez
personne d’autre », comme tous lui adressaient des louanges bien
méritées, et que le consul ne renonçait en rien, 14. à la fin, Cincinnatus
pria les dieux immortels « que sa vieillesse dans des circonstances aussi
troublantes ne soit pas un dommage ou une honte pour l’État », et il est
nommé dictateur par le consul. Lui-même nomme ensuite C. Servilius
Ahala maître de cavalerie (magister equitum).
14, 1. Le lendemain, alors que des postes de garde (praesidia) avaient
été distribués et qu’il descendait vers le forum, la plèbe entière tournait
vers lui ses regards en raison de la nouveauté et de l’étrangeté du fait,
les partisans de Maelius et leur chef lui-même comprenant que la force
d’un tel commandement (imperium) était dirigée contre eux, 2. et ceux-là
même qui étaient étrangers aux manoeuvres (consilia) de rétablissement
de la royauté (regnum) demandaient : « quel trouble (tumultus), quelle
guerre soudaine nécessitent la majesté dictatoriale (dictatoria maiestas), ou
nécessitent que l’on désigne Cincinnatus, à plus de quatre-vingts ans,
pilote de l’État (rector rei publicae). 3. Envoyé vers Maelius par le dictateur,
Servilius, le maître de cavalerie lui dit « le dictateur te convoque ». Alors
que ce dernier demandait plein d’effroi ce qu’il lui voulait, Servilius
exposa qu’il devait défendre sa cause et se purger de l’accusation (crimen)
qui avait été déférée au sénat par Minucius. 4. Et Maelius de trouver
refuge au milieu de la troupe des siens, et regardant tout autour de lui,
d’hésiter sur le parti à prendre. Après quoi, alors que sur l’ordre du maître
de cavalerie, l’appariteur (apparitor) l’emmenait (ducere), il est enlevé de
force par ceux qui l’entourent, et prenant la fuite, le voilà qui implore
l’assistance de la plèbe romaine, 5. et de dire qu’il succombait à
une conspiration ourdie par les pères, en raison du bien qu’il avait fait à
la plèbe, et d’appeler par ses prières que ceux qui étaient là lui portent
assistance dans ce danger extrême, sans quoi ils le laisseraient se faire
tuer (trucidari) sous leurs yeux. 6. Tandis qu’il continuait de crier ainsi,
Ahala Servilius le rattrape et l’égorge. Couvert de sang et entouré d’une
troupe de jeunes patriciens, ce dernier rapporte au dictateur que Maelius,
appelé <à comparaître> devant lui, a repoussé l’appariteur, qu’il a
rassemblé la multitude, et qu’il a reçu la peine qu’il méritait. 7. « Gloire à
toi, Gaius Servilius, dit le dictateur, tu as libéré l’État. »
15, 1. Ensuite, comme la foule s’agitait (tumultuare) indécise dans
l’appréciation du fait, il ordonna de la convoquer en assemblée (contio).
« Maelius a été tué conformément au droit (iure caesum), déclara-t-il,
même s’il n’était pas coupable du crime (crimen) de tyrannie (regnum), lui
qui, convoqué (uocatus) à se présenter devant le dictateur par le maître de
cavalerie, ne s’est pas présenté. 2. Lui-même siégeait pour enquêter
(cognoscere) sur la cause, une fois l’enquête achevée, le sort de l’affaire de
Maelius aurait été identique. Il avait eu recours à la force (uis) pour éviter
de comparaître en jugement (iudicium), il avait été réprimé (coercere) par
la force. 3. Et il n’avait pas été possible d’agir envers lui comme on agirait
envers un citoyen, lui qui, alors qu’il était né dans un peuple libre parmi
des règles de droit (iura) et des lois (leges), sachant bien que les rois avaient
été expulsés de cette ville. (…) 4. (…) Dans cette ville Sp. Maelius avait
conçu l’espoir de la tyrannie (regnum) (…) 15, 8. et ce n’était pas assez qu’il
expie par son sang, si les toits et les murs à l’intérieur desquels une telle
démence (amentia) avait été conçue n’étaient pas anéantis, si des biens
(bona) souillés par l’argent destiné à marchander la tyrannie (regnum)
n’étaient pas confisqués (publicare). C’est pourquoi il ordonnait aux
questeurs de vendre ces biens et d’en faire entrer le montant au trésor
public (in publicum redigere). »

*
* *

Parmi les soubresauts politiques qui ont marqué la haute époque de


la République, dominée par le conflit entre les ordres patricien et
plébéien, trois épisodes édifiants illustrent dans l’annalistique la mise en
échec de toute tentative de rétablir la « royauté » ou la « tyrannie » –
le mot regnum revêt ces deux acceptions pour les Romains. Spurius
Cassius en 485 av. J.-C., Spurius Maelius en 439 av. J.-C., Manlius
Capitolinus en 385 av. J.-C. sont ces trois « aspirants à la royauté »
(adfectatores regni) qui, deux millénaires plus tard dans le contexte
des luttes politiques de la Renaissance italienne, ont nourri l’imaginaire
des peintres – que l’on songe aux fresques de Domenico Beccafumi (1486-
1551) qui ornent le plafond du Palazzo Pubblico de Sienne pour
l’édification des gouvernants de la cité toscane.

Les trois adfectatores regni : archéologie des faits


et variations procédurales
Les noms de ces trois démagogues associés à d’anciennes familles ne
sont pas une pure invention. La mémoire de ces personnages subsistait
d’ailleurs en dehors de la tradition littéraire, notamment dans le paysage
urbain au travers de toponymes ou de monuments [CAZANOVE 1989]. Ils
appartenaient donc à la mémoire de l’Vrbs. Cependant le déroulement de
chacun de ces trois épisodes est assurément légendaire : les versions
divergent pour chacun d’entre eux sur la procédure incertaine qui aurait
conduit à la mise à mort des coupables. Contrairement à ce qui a été
parfois avancé [HUMBERT 2018, p. 250], aucune de ces exécutions ne s’inscrit
explicitement dans le cadre d’une mise à mort consécutive à une sacratio,
sans même tenir compte des obstacles qui s’offrent à la définition positive
de ce droit de tuer sans encourir de poursuite pour homicide (R1).
Spurius Cassius Vecellinus, a-t-il été exécuté en 485 av. J.-C. par son
propre père dans le cadre de la juridiction domestique du paterfamilias, ou
bien à l’issue d’un procès questorien devant le peuple ? La première
version revêt assurément une valeur institutionnelle archétypale en dépit
de l’inauthenticité des faits [THOMAS 2017, p. 185-187], tandis que la seconde
reflèterait un effort de l’annalistique pour écarter le tribunat de la plèbe
de toute compétence criminelle en matière politique à l’aube de
la République [MAGDELAIN 1990, p. 544], alors que les tribuns furent chargés
plus tard de la répression du crime de haute trahison ou perduellio (R5).
M. Manlius Capitolinus, en 384 av. J.-C., a-t-il été poursuivi cette fois
par des duumvirs chargés de la répression de la perduellio ou par
des tribuns de la plèbe (R34j) ? Le dossier de ce procès « patchwork » où se
mêlent des éléments de procédure disparates est complexe et discuté
[RIVIÈRE 2013c ; LANFRANCHI 2015, p. 477-482]. L’enseignement principal,
le motif qui guide chaque étape de la procédure, est son issue tragique.
Le prévenu, un vaillant chef militaire, qui s’était illustré lors de la défense
du Capitole contre les Gaulois quelques années auparavant était
maintenant menacé, en raison de ses menées démagogiques, d’une
précipitation du Capitole, depuis la roche Tarpéienne qui dominait l’une
des pentes de la colline (R34).

Le meurtre de Spurius Maelius ne s’apparente


pas à l’exécution de l’homo sacer (R1)

Entre ces deux dates, l’assassinat par Servilius Ahala en 439 av. J.-C. de
Spurius Maelius, le troisième des adfectatores regni, est aussi l’objet de
traditions divergentes, relatives en particulier à l’agent de sa mise à mort,
et au droit d’agir qui a été reconnu à ce dernier par le sénat.
Contrairement aux deux autres épisodes qui l’encadrent
chronologiquement, il est ici possible d’identifier, au moins partiellement,
la genèse de la tradition, le contexte historique où elle s’est formée au
siècle des guerres civiles de la fin de la République, et les enjeux de
procédure qu’elle revêt. Chez Tite-Live, selon un thème récurrent
des discours prêtés à ses personnages dans la première décade de son
œuvre, à savoir la paralysie des consuls en raison de l’entrave que
constituait l’appel au peuple (prouocatio) à leur commandement
(imperium), le sénat fit le choix de désigner un dictateur, puisque ce
dernier n’était pas soumis à l’appel. Et c’est ainsi que dans sa vieillesse
Cincinnatus fut enlevé à sa charrue pour répondre aux attentes de Rome,
alors qu’il s’était retiré de la vie civique et ne s’adonnait plus qu’aux
travaux des champs. À peine désigné dictateur et conformément à
la tradition, ce dernier nomma C. Servilius Ahala comme maître de
cavalerie pour l’assister. Alors que Servilius <Ahala> avait voulu citer
Spurius Maelius à comparaître, ce dernier résista, blessa un appariteur, et
tenta de fuir en même temps qu’il essayait de soulever la foule. <Servilius>
Ahala le tua. Un peu plus tard, le dictateur justifia le geste de son
subordonné devant une assemblée du peuple qu’il avait réunie en
indiquant qu’un tel acte de désobéissance à l’autorité publique – quelle
que fût la gravité de l’inculpation initiale – appelait une telle répression. Il
n’est pas nécessaire d’insister beaucoup sur les indices qui font de cette
histoire un récit forgé de toutes pièces. Quel sens donner par ailleurs à
la nomination d’un dictateur en raison de l’aptitude exclusive qui serait
la sienne pour conduire une répression dont les consuls auraient été
incapables en raison des entraves imposées par le droit d’appel ? On sait
en effet que la loi Valeria de 509 av. J.-C. est apocryphe, qu’il s’agit d’une
rétroprojection destinée à fixer en l’an I de la République une législation
postérieure (R3b) ! L’habillage institutionnel de l’affaire est par ailleurs
manifeste, puisque la plus ancienne tradition, même si Denys
d’Halicarnasse fait le choix de la rejeter (sans autre raison que sa propre
conviction), faisait de C. Servilius Ahala un simple particulier chargé par
le sénat de procéder à un assassinat. Les modernes ont échafaudé à ce
sujet une interprétation saisissante, selon laquelle l’essence de la dictature
romaine, figure de « l’état d’exception », tiendrait dans la libre possibilité
de mise à mort d’un citoyen devenu « sacré » (sacer) et livré à
un insaisissable état « d’anomie » [LOWRIE 2010, d’après AGAMBEN 2003]. Or on
le comprend également au travers du récit de Tite-Live, un homme a été
désigné par le sénat pour accomplir un meurtre politique, ce qui ne peut
être en rien assimilé à un « droit de tuer », accordé à chacun
indistinctement en raison de la nature du crime commis et dont
l’application ne revêt pas le caractère automatique d’une mission
commanditée. L’homo sacer n’est pas l’exécuteur d’un ordre, ni le défenseur
de l’obéissance au magistrat. Il est bien certain en revanche que
la transformation d’un meurtre ordonné par le sénat, en
l’accomplissement d’un usage coercitif de la violence par des pouvoirs
publics régulièrement désignés, selon l’évolution de l’historiographie du
dernier siècle de la République, n’est pas sans rapport avec l’exécution
arbitraire des Gracques au commencement des guerres civiles ni avec
la recherche de légitimité qui a suivi dans l’usage de la violence par l’État
au nom de sa « sauvegarde » (R9).
5

La procédure tribunicienne devant le peuple


e e
et le crime de haute trahison (V -II siècles
av. J.-C.)

a. Entre archétype et légende, l’ouverture


du premier procès capital instruit
par les tribuns devant les tribus :
la poursuite de Coriolan en 491 av. J.-C.

A1. « TRIBUNAL POPULAIRE » CONTRE « TRIBUNAL OLIGARCHIQUE »


(DENYS D’HALICARNASSE, ANTIQUITÉS ROMAINES, 7, 59, 1-2 ET
65, 1 ; 7 AV. J.-C.)

59, 1. Le troisième jour de marché étant arrivé, la plèbe venue


des campagnes qui s’était rassemblée dans la ville, en nombre si grand que
l’on ne l’avait encore jamais vu par le passé, occupa au point du jour
le forum. Les tribuns rassemblèrent alors la plèbe dans l’assemblée par
tribus (phuletin ekklèsian), ayant délimité les espaces de la place dans
lesquels les tribus (phulai) étaient sur le point d’être réparties par unités.
2. Et c’était la première fois que les Romains se réunissaient en assemblée
par tribus (ekklèsia phuletikè) pour voter contre un homme, tandis que
les patriciens en nombre s’y opposaient, afin qu’un tel fait ne se produise
pas et en réclamant de réunir l’assemblée des centuries (lochitin ekklèsian),
comme c’était le cas chez les ancêtres. En effet, dans les temps qui avaient
précédé, lorsque le peuple était amené à porter un vote sur tout sujet que
le sénat lui aurait confié, les consuls convoquaient l’assemblée centuriate
(tèn lochitin ekklèsian), ayant accompli auparavant les sacrifices requis
d’eux par la coutume, et dont certains d’entre eux sont encore accomplis
jusqu’à notre époque. (…) 65, 1. Ce fut la première citation à comparaître
d’un patricien devant le peuple pour y être jugé. Et à partir de cette
époque, la coutume s’imposa à ceux qui reçurent par la suite la défense du
peuple de citer en justice devant le peuple tous ceux des citoyens qu’ils
jugeaient devoir encourir un châtiment.

A2. LE PEUPLE, « MAÎTRE DE LA VIE ET DE LA MORT » (TITE-LIVE,


2, 35, 2-3 ET 35, 6 ; ÉPOQUE AUGUSTÉENNE)
2. Et une charge eût été menée contre lui alors qu’il sortait de la curie,
si très opportunément les tribuns ne lui avaient assigné un jour à
comparaître (diem dicere). Il semblait que chacun avait été fait juge (iudex)
de l’adversaire (inimicus), maître de sa vie et de sa mort. 3. C’est avec
mépris, dans un premier temps, que Marcius écoutait les menaces
proférées par les tribuns, <en répliquant> : « le droit de venir en aide (ius
auxilii) et non celui d’infliger une peine avait été accordé à leur puissance
(potestas), ils étaient les tribuns de la plèbe, précisément, et non
des pères. (…) 6. Alors que lui-même ne s’était pas présenté (adesse) au
jour fixé pour la comparution (die dicta), la colère à son encontre ne
faiblissait pas. Condamné, alors qu’il était absent, il partit en exilé
(exsulatus) chez les Volsques, menaçant sa patrie et nourrissant déjà
les intentions d’un ennemi.
b. La défaite de Drépane (249 av. J.-C.),
les auspices, et le procès contre Appius
Claudius Pulcher (248 av. J.-C.)

B1. UNE FORTE AMENDE (POLYBE, 1, 52, 2-3, TRAD. D’APRÈS P. PÉDECH ;
e
MILIEU DU II SIÈCLE AV. J.-C.)

Après une telle bataille navale, Adherbal acquit la popularité à


Carthage pour avoir réussi grâce à son talent, à sa clairvoyance et à sa
décision, 2 tandis que P. Claudius s’attirait fortement le mépris et le blâme
des Romains pour avoir conduit les opérations à la légère et sans réflexion
et infligé par sa faute de lourdes pertes à Rome ; 3 aussi, traduit en
jugement après cette affaire, il encourut une forte amende et de
dangeureuses mises en jugement.

B2. UNE « CONDAMNATION PAR LE PEUPLE » (CICÉRON, DE LA NATURE


DES DIEUX, 2, 7 ; 44 AV. J.-C.)

La témérité de P. Claudius lors de la première guerre punique ne nous


émouvra-t-elle en rien, lui qui, par jeu de surcroît, avait irrité les dieux ?
Alors que les poulets étaient libérés de leur cage et refusaient de se
nourrir, il ordonna de les jeter à l’eau pour qu’ils boivent, puisqu’ils ne
voulaient pas se nourrir. Celui dont la plaisanterie coûta à lui-même bien
des larmes, lorsque sa flotte fut vaincue, occasionna au peuple romain
un grand désastre. Et que dire de son collègue L. Iunius <Pullus> ? Ne
perdit-il pas sa flotte dans une tempête au cours de la même guerre, parce
qu’il n’avait pas obéi aux auspices ? C’est pourquoi Claudius a été
condamné (condemnare) par le peuple, tandis que Iunius s’est lui-même
donné la mort.
B3. CRIME DE HAUTE TRAHISON, POURSUITE CAPITALE ET AMENDE (SCHOLIA
BOBIENSA, COMMENTAIRE À CICÉRON, DISCOURS CONTRE CLODIUS ET CURION,
P. 90 STANGL)

Dans les temps anciens, le premier de la gens <Claudia> à être appelé


Pulcher fut Publius Claudius, le fils d’Appius Caecus. Contre les auspices ce
consul affronta la flotte punique à Drépane. Lors de ce combat les Romains
perdirent 120 navires. En raison de cette action, un jour à comparaître
(dies dicta) pour crime de haute trahison (perduellio) lui fut assigné par
les tribuns de la plèbe Pullius et Fundanius. Alors que les comices l’avaient
inculpé et que les centuries étaient amenées <à voter>, une tempête
affreuse éclata : un vice (uitium) s’opposa <à la poursuite du vote>. Après
cela, les tribuns de la plèbe s’opposèrent (intercedere) à ce que les mêmes
hommes accusent à deux reprises de crime de haute trahison le même
homme durant leur même charge. C’est pourquoi, l’action ayant été
modifiée, tandis que les mêmes personnes intentaient l’accusation, par
l’amende (multa) qui lui fut infligée, le peuple le condamna à cent vingt
mille livres pesant de cuivre.

B4. L’ARRÊT DE L’ENQUÊTE (VALÈRE MAXIME 8, 1, ABS. 4 ; PEU APRÈS


31 AP. J.-C.)
Je ne connais pas d’atteinte (iniuria) plus grande à la religion et à
la patrie, que celle d’Appius Claudius qui, à l’encontre de la première,
négligea une coutume très ancienne et à l’encontre de la seconde perdit
une très belle flotte. Exposé devant le peuple qui lui était hostile, alors que
l’on croyait qu’il ne pourrait en aucune façon échapper à la peine qu’il
avait méritée, il fut protégé de la condamnation par le bienfait d’une pluie
qui s’était soudain abattue : en effet, alors que l’enquête (quaestio) était
cassée, il ne parut pas bon d’en engager une autre, depuis
le commencement (de integro), comme si c’étaient les dieux qui avaient
décidé de l’interrompre.

c. Corruption et violence des publicains :


le procès contre Postumus Pyrgensis
et ses complices en 212 av. J.-C. (Tite-
Live, 25, 3, 12-4, 11 ; époque
augustéenne)
3, 12. Cette fraude avait été dénoncée (indicata) au préteur M. Aemilius
l’année précédente. Ce dernier l’avait dénoncée au sénat, sans toutefois
qu’aucun sénatus-consulte la réprouve, car les pères ne voulaient pas dans
une telle conjoncture offenser l’ordre des publicains. 13. Le peuple
entendait tirer vengeance de la fraude avec une plus grande rigueur : deux
tribuns de la plèbe, Spurius et Lucius Carvilius, poussés enfin à agir et
comprenant que l’affaire constituait une honte et une infamie, fixèrent à
deux cent mille as l’amende à infliger à M. Postumius. 14. Lorsque vint
le jour de débattre <du taux de l’amende>, le conseil de la plèbe se réunit
en foule, à tel point que la place du Capitole pouvait à peine contenir cette
multitude. 15. La cause ayant été exposée, un seul espoir paraissait s’offrir
à Postumius, à savoir que le tribun de la plèbe C. Servilius Casca, qui était
un proche et un parent, oppose son veto (intercessio) avant que les tribus
ne soient convoquées pour le vote. 16. Les témoins ayant été produits,
les tribuns firent écarter le peuple et l’urne fut apportée pour qu’ils tirent
au sort où <dans quelle tribu> les Latins voteraient. 17. Pendant ce temps,
les publicains demandent à Casca avec insistance d’enlever le jour de
séance de vote au conseil (concilium). Protestations du peuple ; Casca
siégeait par coïncidence à la première place au bout de la rangée et tantôt
la crainte tantôt la honte assiégeaient son âme. 18. Comme il ne
constituait pas une défense suffisante, les publicains, décidés à susciter
des troubles (turbare), firent irruption : regroupés en formation de combat
en angle (cuneus), ils faisaient le vide devant eux sur la place et
cherchaient à en découdre aussi bien avec le peuple qu’avec les tribuns. Et
la bataille (dimicatio) était sur le point de débuter, lorsque le consul Fulvius
s’adressa aux tribuns : « Ne voyez-vous pas, dit-il, que l’on vous traite
comme de simples particuliers et que l’affaire tourne à la sédition, si vous
ne dispersez pas avec diligence le conseil de la plèbe ».
4, 1. La plèbe ayant été dispersée, on convoque le sénat et les consuls
font un rapport au sujet du conseil de la plèbe qui a été troublé par
la violence (uis) et par l’audace des publicains. 2. M. Furius Camillus, dont
l’exil aura été suivi par la ruine de la ville, a enduré d’être condamné par
des citoyens ingrats. 3. Les décemvirs avant lui par les lois desquels ils
vivent encore aujourd’hui, et plus tard un grand nombre des premiers
personnages de la cité ont enduré un jugement du peuple (iudicium populi)
à leur encontre. 4. Postumius Pyrgensis, quant à lui, a arraché au peuple
romain le droit de suffrage, reporté un conseil de la plèbe, traité
les tribuns comme de simples particuliers, rangé une armée contre
le peuple romain, occupé la place pour que les tribuns soient tenus à
distance de la plèbe et empêché que les tribus soient appelées au suffrage.
5. Rien d’autre que la patience des magistrats n’a retenu les hommes de se
livrer à un massacre et à une bataille, car ils ont cédé parce qu’ils étaient
confrontés à la fureur et à l’audace d’un petit nombre et parce qu’ils ont
enduré qu’eux-mêmes et le peuple romain soient vaincus ; 6. Eux-mêmes
ils ont, de leur propre volonté, reporté les comices (comitia) que le prévenu
était sur le point d’empêcher par la violence et par les armes. 7. Comme,
en raison de l’atrocité de l’affaire, ces paroles étaient bien accueillies par
la meilleure partie <des sénateurs>, le sénat décréta que violence avait été
faite contre l’État (contra rem publicam) et que l’exemple était dangereux.
8. Aussitôt les Carvilii, tribuns de la plèbe, renonçant au débat sur
l’amende (multae certatio) assignèrent (diem dicere) Postumius pour affaire
capitale et ordonnèrent que s’il ne fournissait pas de cautions (uades) il
soit arrêté par un appariteur (uiator) et conduit au cachot. 9. Après avoir
fourni des cautions, Postumius ne se présenta pas <à l’audience>.
Les tribuns de la plèbe firent alors une proposition de loi et la plèbe
sanctionna <par plébiscite> que si M. Postumius ne s’était pas présenté
(prodire) avant les calendes de mai, et que s’il ne répondait pas (respondere)
ce jour là, sans fournir d’excuse (excusatus) alors qu’il était cité <à
comparaître> (citatus), il serait considéré comme étant en exil, et qu’il
convenait que ses biens soient vendus (bona uenire) et qu’il soit interdit de
l’eau et du feu (aqua et igni interdici). 10. Ensuite, <les tribuns>
commencèrent à assigner un à un les instigateurs (concitatores) du
désordre (turba) et du tumulte (tumultus) et à leur réclamer des cautions
(uades). 11. Ils jetaient ensemble au cachot, d’abord ceux qui n’en
fournissaient pas, puis ceux-là même qui pouvaient en fournir ; pour
échapper au danger d’une telle poursuite, un grand nombre d’entre eux
partirent en exil.

d. La défaite d’Herdonia (Apulie)


et le procès contre Cn. Fulvius Flaccus
en 211 av. J.-C. (Tite-Live,
26, 2, 7 ; 26, 3, 1 ; 26, 3, 5-12 ; époque
augustéenne)
2, 7. Sempronius Blaesus, après avoir assigné à Cn. Fulvius un jour à
comparaître (die dicta), l’attaquait dans des réunions du peuple (contiones)
pour avoir abandonné son armée en Apulie.
[Suit le discours d’accusation.]
3, 1. le prévenu (reus) déplaçait la faute (culpa) de lui-même sur
les soldats.
[Suit le discours de la défense.]
3, 5. À deux reprises il fut accusé (accusare), pour que fût requise
une poursuite (anquirere) en amende (pecunia). La troisième fois, alors que
des témoins avaient été produits, et qu’il était accablé de toutes
les opprobres, nombre d’entre eux affirmaient sous serment que
le déclenchement de la fuite et de la peur avait été initié par le préteur,
6. et que, puisque les soldats avaient été abandonnés par lui, ils avaient
pensé que la crainte de leur chef n’était aucunement infondée et c’est
pourquoi ils avaient offert leurs dos à l’ennemi, une telle colère monta
dans l’assemblée, qu’elle répondit par des clameurs qu’il fallait lancer
une poursuite capitale (capite anquirere). 7. De là surgit aussi un nouveau
conflit. Car alors qu’il [Sempronius Blaesus] avait lancé à deux reprises
une poursuite en amende, la troisième fois il déclara qu’il lancerait
une poursuite capitale (capitis anquirere). 8. Les tribuns de la plèbe qui
avaient été sollicités en appel (appellati) déclarèrent à leur collègue qu’il
n’était aucunement empêché, parce que cela lui était permis par
la coutume des ancêtres (mos maiorum), d’engager une poursuite, aussi
bien en vertu des lois (leges), qu’en vertu des mœurs (mores), qu’il opte à
la fin en jugeant ce prévenu (priuatus) ou pour une poursuite capitale ou
pour une poursuite en amende. 9. Alors Sempronius déclara qu’il jugerait
Cn. Fulvius pour crime de haute trahison (perduellio) et il demanda qu’un
jour <de convocation> aux comices fût fixé par le préteur urbain
C. Calpurnius. 10. De là l’autre espoir envisagé par le prévenu : que son
frère Q. Fulvius puisse se rendre présent au jugement, tant il brillait alors,
et par la renommée de ses hauts faits, et par l’espoir proche de se rendre
maître de Capoue. 11. Alors que (Q.) Fulvius avait exprimé cette sollicitude
dans une lettre qu’il avait rédigée pour susciter la compassion afin de
sauver la tête (caput) de son frère, les pères avaient répondu par
la négative : au nom de l’État (res publica) il ne pouvait s’éloigner de
Capoue. 12. Comme le jour des comices était arrivé, Cn. Fulvius s’exila à
Tarquinia. Par le vote d’un plébiscite il fut décidé que son exil était
conforme au droit (exsilium iustum).

e. Le procès contre les censeurs


en 169 av. J.-C. (Tite-Live, 43, 16, 9-15 ;
époque augustéenne)
9. Ceci ayant été fait, le tribun se plaignit que l’on avait détourné
(auocare) de lui l’assemblée (contio) et qu’on l’avait traité comme un simple
particulier, il quitta le Capitole où se tenait le conseil (concilium).
10. Le lendemain il provoqua un immense tumulte. D’abord, il consacra
les biens de Tiberius Gracchus parce qu’en infligeant une amende (multa)
et des cautions (pignores) à celui qui avait fait appel (appellare) à un tribun,
en ne se soumettant pas à l’intercession (intercessio), il l’avait traité comme
un simple particulier. 11. Il fixa à C. Claudius un jour à comparaître (diem
dicere) parce qu’il avait détourné de lui l’assemblée (contio). Il déclara
ensuite qu’il jugerait les deux censeurs pour crime de haute trahison
(perduellio) et il demanda au préteur C. Sulpicius un jour pour les comices.
12. Alors que les censeurs ne s’opposaient pas à ce que le peuple mène au
plus vite une action judiciaire (iudicium) à leur sujet, on fixa leur jour <de
comparution> (diem dicere) devant les comices, pour crime de haute
trahison (perduellio) au huitième et septième jour avant les calendes
d’octobre. 13. Aussitôt, les censeurs montèrent à l’Atrium Libertatis et là,
les registres publics ayant été scellés, le dépôt d’archives (Tabularium)
fermé, les esclaves publics renvoyés, ils déclarèrent qu’ils ne se
chargeraient d’aucune affaire publique avant que l’action judiciaire du
peuple (iudicium populi) à leur sujet n’eût été menée à son terme.
14. Claudius plaida sa cause le premier. Et comme sur les douze centuries
de chevaliers huit avaient condamné le censeur, ainsi que beaucoup
d’autres de la première classe, aussitôt, sous le regard du peuple,
les premiers personnages de la cité, après avoir déposé leurs anneaux d’or,
changèrent de vêtement pour se rendre en suppliants autour de la plèbe.
15. Cependant, on dit que c’est principalement Ti. Gracchus qui retourna
l’opinion. En effet, alors que la plèbe clamait de toutes parts que Gracchus,
lui, n’était pas en danger il fit le serment selon la formule solennelle que si
son collègue était condamné, sans attendre le jugement le concernant, il
serait son compagnon d’exil (comes exilii). Cependant le prévenu (reus) en
vint au bord du désespoir, car il ne manqua que huit centuries pour
<aboutir au vote de> la condamnation (damnatio).

f. Le jugement capital des « tribus »


et l’évitement de la peine de mort
par l’exil volontaire du prévenu :
un « usage louable » des Romains
(Polybe, 6, 14, 6-8, trad. d’après
D. Roussel ; milieu du IIe siècle av. J.-C.)
C’est au peuple aussi que, souvent, il appartient de juger sur appel,
lorsque l’amende encourue est considérable, dans le cas notamment
des citoyens qui ont exercé de hautes charges. Lui seul doit connaître
des causes capitales. À ce propos, il existe chez eux un usage (ethos)
louable qui mérite d’être mentionné, usage selon lequel les accusés dont
la tête est en jeu peuvent, au moment d’être condamnés (katadikazein),
quitter Rome au vu de tous, même s’il ne reste qu’une seule tribu (phulè),
parmi celles appelées à voter la sentence, qui ne se soit pas encore
prononcée. Il se condamne ainsi lui-même à un exil volontaire (ekousios
phugadeia) et peut alors résider, sans être inquiété, à Neapolis, à Praeneste,
à Tibur ou dans quelque autre cité ayant conclu une convention (orkia) à
cet effet avec Rome.

*
* *

Contextes historiques des différents procès


sélectionnés, de 491 à 169 av. J.-C.

Des cinq textes ici rassemblés pour illustrer le déroulement de


la procédure tribunicienne, le premier, à savoir la séquence introductive
du procès de Coriolan, en 491 av. J.-C. (R5a), doit être considéré à part,
puisqu’il appartient à la série la plus ancienne de ces poursuites, à celle
qui remonte aux deux premiers siècles de la République [LANFRANCHI 2015,
p. 449-548, en part. p. 523-548]. Le déroulement initial de ce célèbre
épisode légendaire doit être d’abord brièvement résumé. Alors que la ville
de Rome était aux prises avec une grave disette et que le ravitaillement en
blé se heurtait à de nombreux obstacles, le patricien Caius Marcius
Coriolanus (Coriolan), farouche adversaire de la plèbe et de ses tribuns,
proposa au sénat de revenir sur les acquis obtenus lors de la sécession de
la plèbe trois ans plus tôt, en 494 av. J.-C. Sa proposition revêtait la forme
d’un chantage : conditionner la baisse du prix du blé à la suppression du
tribunat et des droits acquis. Le bruit s’en répandit parmi les plébéiens qui
envisagèrent aussitôt de prendre les armes. Cependant, l’intervention
des tribuns permit d’éviter la guerre civile en offrant aux revendications
un exutoire judiciaire. Le tribun assigna donc Coriolan à comparaître
devant le conseil de la plèbe. Ce récit, complexe dans le détail, appartient
à une tradition pluri-séculaire, formée par strates successives, ou par
ajouts de motifs narratifs, jusqu’à l’époque augustéenne [DAVID 2001]. Par
conséquent, comme cela a été observé depuis longtemps, « quiconque
chercherait ici un prétendu noyau historique ne trouvera sans doute
qu’une coquille vide » [MOMMSEN 1879a, p. 152]. En revanche, le très long
développement que consacre Denys d’Halicarnasse à cette page multiplie
les allusions précises aux étapes de la procédure, en indiquant que tel était
encore le déroulement du procès capital comitial (devant les tribus, donc)
à l’époque où il rédigeait ses Antiquités Romaines. Ce récit légendaire est
donc incontournable, autant que celui du procès d’Horace, par exemple,
qui, conduit sous la houlette des duumuiri perduellionis à l’époque royale,
peut être considéré comme le paradigme de la procédure engagée plus
tard par les tribuns de la plèbe (R3a). Ces derniers en auraient détourné
le principe à leur profit [HUMBERT 1995, p. 160-169]. Quant aux quatre autres
textes ici rassemblés, leur historicité ne fait aucun doute. C’est à partir
d’archives, chez Tite-Live assurément (R5c-R5e), et de la confrontation de
documents, chez le scholiaste de Cicéron (R5b3), d’une tradition littéraire
bien établie chez Cicéron lui-même (R5b2) ou chez Valère Maxime
(R5b4) que le déroulement de la procédure est retranscrit.
Alors que la première guerre contre Carthage (264-246 av. J.-C.) se
poursuivait depuis une quinzaine d’années, sur le sol et au large des côtes
de la Sicile, l’un des deux consuls de l’année 249 av. J.-C., Appius Claudius
Pulcher, décida d’engager sa flotte entière contre le port de Drepanum
(l’actuelle Trapani) que défendait l’amiral carthaginois Adherbal.
La supériorité technique, tactique et manœuvrière des Carthaginois qui
parvinrent à sortir du port et à se battre, le dos au large, conduisit
les Romains, acculés à la côte, à une grave défaite. Le consul s’enfuit alors
avec une trentaine de navires, laissant l’essentiel de sa flotte aux mains de
l’ennemi. La légèreté avec laquelle le combat avait été engagé et la fuite du
consul lui-même n’étaient pas seules en cause. Ce dernier avait en effet
négligé les auspices qui s’étaient révélés défavorables avant l’engagement
de la bataille. Alors que les poulets sacrés sortis de leur cage refusaient de
manger la nourriture qu’on leur donnait – un signe néfaste qui aurait dû
conduire à reporter le combat –, il les avait, « par mépris de la religion »
fait jeter par dessus-bord, « comme pour les faire boire, puisqu’ils ne
voulaient pas manger ». Par la suite, alors que le sénat lui avait enjoint de
désigner un dictateur pour le remplacer, il avait, par dérision, nommé
un homme de basse condition, peut-être son messager (uiator) lui-même
(Suétone, Tibère, 2, 6 ; cf. aussi Tite-Live, Abrégés, 19).
L’épisode de 212 av. J.-C. (R5c) peut quant à lui être considéré comme
le récit le plus circonstancié, dans toute la documentation, d’un procès
comitial [MOMMSEN 1907, p. 188]. La seconde guerre punique (218-202 av. J.-
C.) durait déjà depuis six ans. Après avoir remporté plusieurs victoires
écrasantes, Hannibal se trouvait toujours sur le sol italien où il parvint
encore, malgré le redressement romain, à massacrer une armée entière
(R5d). Mais on se battait aussi en Sicile et en Espagne, face à d’autres
armées carthaginoises. L’éloignement de ces fronts, tout particulièrement
l’Espagne où commandaient les Scipions, posait de gros problèmes de
ravitaillement aux troupes romaines. L’État était aux abois. Un expédient
fut trouvé dès 215 av. J.-C., grâce à la mise en adjudication des livraisons
aux armées. Trois sociétés de fermiers, les publicains, répondirent à
l’appel, en posant deux conditions : qu’ils soient eux-mêmes exemptés du
service dans l’armée en raison de leur activité au profit de celle-ci ; que
l’État garantisse, contre les risques de tempêtes ou d’attaques ennemies,
les marchandises qu’ils chargeraient sur les navires de transport. Deux ans
plus tard, une énorme fraude fut découverte dont ces « profiteurs de
guerre » étaient les auteurs. Pour bénéficier de remboursements
immédiats, ils déclaraient des naufrages imaginaires, ou, mieux encore,
coulaient eux-mêmes au large des navires (en ayant eu le soin, tout de
même, d’en recueillir les équipages sur des canots). Malgré les réticences
du sénat qui comptait toujours sur l’aide des fermiers et préférait pour
cette raison ignorer leurs abus, la fraude fut enfin dénoncée au préteur,
sans doute en raison de la compétence qui était la sienne dans
l’attribution des marchés [BRENNAN 2000, p. 104 et p. 288, n. 58].
Une poursuite fut engagée. Les violences commises par les prévenus et
leurs associés contre l’assemblée conduisirent finalement à l’ouverture
d’une poursuite capitale. Les détails procéduraux de cette affaire
commandent toutes les séquences du récit, en dépit des incertitudes qui
demeurent sur son issue. Tite-Live interrompt en effet sa narration sans
indiquer si les prévenus incarcérés furent exécutés, punis d’une autre
façon, ou libérés. Encore une fois l’accomplissement de l’exécution
capitale constitue un point aveugle de notre documentation.
L’année suivante (R5d), en 211 ap. J.-C., Cn. Fulvius Flaccus, le frère du
consul désigné, avait lui même obtenu la préture. Par tirage au sort,
le commandement de l’armée d’Apulie (les Pouilles actuelles) lui était
revenu. Après quelques premiers succès remportés contre des cités qui
avaient fait défection contre Hannibal et après la réalisation d’un
important butin, ses soldats plongèrent dans la débauche. Hannibal décida
alors d’abandonner la Campanie où il se trouvait, de traverser la péninsule
et, sûr de l’emporter, de provoquer la bataille contre une armée
indisciplinée commandée par un chef incompétent. L’affrontement eut
lieu à Herdonia (à une vingtaine de kilomètres au sud de l’actuelle Foggia).
Dès le premier choc, les rangs romains furent enfoncés, et le général prit
la fuite. Enveloppée de toute part, l’armée romaine fut massacrée,
les ennemis s’emparèrent du camp : sur 18 000 soldats au départ,
2 000 seulement auraient survécu. L’année suivante, Cn. Fulvius Flaccus fut
donc poursuivi devant le peuple par le tribun Sempronius Blaesus en
raison de cette défaite.
Les censeurs de l’année 169 av. J.-C. (R5e) exercent avec sévérité leur
magistrature, notamment à l’encontre de certains chevaliers qu’ils privent
du « cheval public », marque de leur précellence. Leur impopularité
augmente encore lorsqu’ils interdisent aux souscripteurs
des adjudications pour la ferme des impôts et d’autres marchés qui avaient
été contractés lors de la précédente censure, cinq ans auparavant
(174 av. J.-C.), de répondre aux nouveaux appels d’offres. Sans doute
cherchaient-ils à éviter que ne se constituent des sociétés « inamovibles »
et souhaitaient-ils renouveler les marchés. L’épisode témoigne en tout cas
de leur méfiance à l’égard des publicains – les membres de l’ordre
équestre en constituaient « les états-majors », selon la formule de Claude
Nicolet ; on comprend, à la lumière des événements de 212 av. J.-C. (R5c), à
quel point cette méfiance était fondée. Une affaire « privée » s’ajoute au
contentieux. Les censeurs contraignent également un affranchi à détruire
des bâtiments édifiés sur l’espace public, sur la Voie Sacrée, de surcroît.
Cet affranchi étant le client de l’un des membres du collège tribunicien,
P. Rutilius, l’affaire prend une tournure politique et s’envenime. Le tribun
veut, en effet, annuler les adjudications des censeurs et affiche
une proposition de loi en ce sens. Le jour du débat (Tite-Live, 43, 16, 8),
l’un des censeurs présents demande l’intervention du héraut (praeco) pour
faire cesser l’agitation de la foule. Il n’en faut pas plus pour que le tribun
offensé estime que le censeur l’a dépossédé de son droit de s’adresser à
l’assemblée du peuple qu’il avait convoquée et que ce dernier a donc porté
atteinte à sa « sacro-sainteté » (R5e). Les biens du censeur font alors
l’objet d’une consecratio automatique. En outre, une accusation est lancée
contre le collège censorial.

Aux origines : la procédure tribunicienne


antérieurement à la Loi des XII Tables

Le procès de Coriolan aurait donc constitué selon Denys d’Halicarnasse


(Antiquités Romaines, 7, 65, 1) la première poursuite capitale conduite par
un tribun devant l’assemblée des tribus. Outre le texte cité ci-dessus, il
faut se reporter au long commentaire que Denys d’Halicarnasse en donne,
en épilogue de son récit, pour se convaincre que l’institution du procès
capital conduit devant les comices tributes était bien vivante de son
temps. Les débats qui ont toujours divisé l’opinion romaine au sujet du
pouvoir tribunicien, selon Denys d’Halicarnasse, éclairent l’inlassable
polémique cicéronienne qui conduit l’orateur, au fil des discours
consécutifs à son exil, à contester la légitimité de l’assemblée des tribus.
Cette assemblée a voté en 58 av. J.-C., après son départ de Rome, les deux
plébiscites, le premier visant implicitement la mise à mort des Catiliniens
en condamnant l’exécution de citoyens « sans l’ordre du peuple » (iniussu
populi), le second entérinant son bannissement, tandis que Cicéron sera
rappelé par un vote des comices centuriates. Cette polémique a conduit
l’orateur à réinterpréter certains précédents, à la suite desquels il veut
inscrire son propre sort : le procès de Quinctius Caeso (461 av. J.-C.), celui
de C. Servilius Ahala (439 av. J.-C.) (R4), ou encore celui de M. Furius
Camillus (391 av. J.-C.) (Cicéron, Sur sa maison, 86). « L’illustre exilé »
[MOMMSEN 1879, p. 212, n. 127] se targue de ces précédents, au point de
contredire les données procédurales dont on dispose par ailleurs sur ces
poursuites archétypales.
Pour ce qui concerne Coriolan, les patriciens avaient réclamé, bien sûr,
que le procès se déroule, « conformément à ce qui se faisait chez
les ancêtres », devant les comices centuriates – entendons devant
l’assemblée du peuple en armes, réuni sur le Champ de Mars (c’est-à-dire à
l’extérieur de la limite sacrée du pomerium) réparti en unités de vote selon
un principe censitaire. Ce dispositif permettait aux citoyens des classes
dirigeantes, c’est-à-dire les plus fortunés, de l’emporter. Le critère
territorial présidant à la répartition des unités de vote dans l’assemblée
des tribus constituait à l’inverse une répartition des votants donnant plus
de chance au suffrage « populaire ». Le débat mis en scène par Denys
d’Halicarnasse (Antiquités Romaines, 7, 59, 10) et qui se serait déroulé au
sénat pour savoir devant quelle assemblée comparaîtrait Coriolan aurait
été tranché en faveur des tribus, sur le fondement de l’argumentation
suivante : il fallait que « le tribunal du peuple » fût véritablement
« populaire » et non « oligarchique », « et que la connaissance des fautes
commises contre la communauté fût commune à tous ». Tite-Live (2, 35, 2-
3), qui rapporte beaucoup plus brièvement l’épisode, décrit alors
l’exultation du peuple et résume l’argumentation de Coriolan. Ce dernier
conteste aux tribuns la possibilité même de s’arroger un pouvoir de
juridiction conduisant à une peine sur tout prévenu, y compris un
patricien, alors qu’ils ne sont que les représentants de la plèbe et qu’ils ont
précisément pour vocation de venir en aide (auxilium) aux plébéiens.
À la suite du procès contre Coriolan et antérieurement aux XII Tables,
quatre autres poursuites tribuniciennes sont connues : en 476 av. J.-C.,
Ménénius Agrippa, responsable de la défaite de Crémère, face aux Véiens,
l’année précédente, est d’abord poursuivi pour crime capital, avant de
recevoir une amende (Tite-Live, 2, 52, 5 ; Denys d’Halicarnasse, Antiquités
Romaines, 9, 27, 2-3) – l’accusé meurt pourtant, sans doute en raison de
l’épreuve qu’il a traversée. En 475 av. J.-C., Spurius Servilius est poursuivi
pour une autre défaite contre les Étrusques, mais il est finalement absous,
« aucune tribu n’ayant décidé de le condamner » (Denys d’Halicarnasse,
Antiquités Romaines, 9, 23, 3). En 473 av. J.-C., deux consuls sortis de charge,
Lucius Furius et Gaius Manlius, sont poursuivis (autour de la question
agraire) par un tribun qui meurt soudainement chez lui (Tite-Live, 2, 54, 8 ;
9, 38, 1). En 470 av. J.-C., enfin, c’est cette fois l’accusé (toujours autour de
la question agraire) qui meurt en cours d’instance (Tite-Live, 2, 61, 2-3 ;
Denys d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 9, 54, 1). Jamais, selon les
sources conservées, une mise à mort n’a donc été prononcée. La réticence
de l’annalistique paraît grande à faire aboutir une poursuite capitale,
jusqu’à la mise en scène de l’exécution – même lorsque Tite-Live rapporte
un procès historique et non légendaire, celui des publicains en 212 av. J.-
C. (R5c), il interrompt son récit, pourtant très circonstancié, précisément
au moment où on s’attendrait à connaître le sort de ceux qui ont été
incarcérés à l’occasion de cette poursuite capitale. Cet évitement de
la mise à mort est, quant au fond, un trait essentiel du droit criminel
romain sous la République. C’est aussi naturellement, au regard de
la forme de ces récits, un ressort de l’intrigue permettant de maintenir
la tension tout au long de ces années où les protagonistes du conflit
patricio-plébéien frôlent une exécution jamais accomplie – sauf,
significativement, dans le cas des aspirants à la tyrannie (Commentaire à
R4) et de l’un des décemvirs du second collège qui, en 450 av. J.-C. s’était
manifesté par son comportement tyrannique – et qui n’était pas parvenu à
prendre le chemin de l’exil. Alors qu’ils étaient poursuivis les uns après
les autres, Appius Claudius fut enfermé dans le cachot sans pouvoir
fournir de cautions. Condamné, il mourut dans le même lieu de détention,
soit sur l’ordre des tribuns, soit en se suicidant. Le cas du second décemvir
à comparaître « devant le peuple » (eis ton dèmon), Spurius Oppius, est plus
clair encore : poursuivi par le tribun Publius Numitorius et ayant reçu
le droit de se défendre, il fut condamné à l’unanimité, conduit en prison et
exécuté. Leurs biens et ceux des autres décemvirs qui étaient partis en
exil, furent confisqués par les questeurs (Denys d’Halicarnasse, Antiquités
Romaines, 11, 46, 3-4). La confiscation était toujours prononcée en cas de
sentence capitale, que celle-ci ait été suivie d’une exécution, ou qu’elle ait
été entérinée par le bannissement.

Après la Loi des XII Tables (451-449 av. J.-C.) :


la question du « prêt d’auspices » ; la citation
à comparaître

Au lendemain de la Loi des XII Tables et du verset réservant au


comitiatus maximus (c’est-à-dire aux centuries) le monopole de
la juridiction capitale devant le peuple (R3d), les poursuites tribuniciennes
se seraient-elles déplacées du conseil de la plèbe ou de l’assemblée
des tribus – c’est un autre point délicat que de distinguer ces deux
instances qui se confondent parfois dans les sources – vers les comices
centuriates ? Ce déplacement aurait-il été accompli au prix d’un artifice
institutionnel consistant en « un prêt d’auspices », selon cette désignation
moderne, tout à fait absente des sources anciennes ? Cette « compétence
exclusive des centuries dans les causes capitales » a souvent été défendue,
depuis Mommsen jusqu’à nos jours. Sans rouvrir un dossier entièrement
forgé par la doctrine et dont les apories ont été mises ailleurs en relief
[RIVIÈRE 2013], rappelons en effet que l’hypothèse même d’une convocation
des centuries par les tribuns de la plèbe semble impossible, puisque
l’assemblée centuriate (regroupant originellement les citoyens en armes
sur le Champ de Mars, le Campus Martius) ne peut être forcément
convoquée que par les détenteurs du commandement (imperium). Ainsi a
été forgée l’hypothèse commode du « prêt d’auspices » – elle est née, par
analogie, de l’interprétation très incertaine d’une expression mal établie,
extraite du Commentarium anquisitionis et relative à la procédure
questorienne (R6e) ! – qui aurait été nécessaire aux tribuns pour
convoquer les centuries sur le Champ de Mars, alors qu’ils ne disposaient
ni du commandement (imperium), ni des auspices publics (auspicia publica)
[MOMMSEN 1984, III, p. 325-323]. Ainsi, selon une interprétation plus fine et
empirique, soucieuse de rendre compte de la succession des actes
nécessaires au déroulement de la procédure comitiale et de la coopération
des magistrats à cette fin, on pourrait parler plutôt « d’assistance
auspiciale » : pas plus que le tribun de la plèbe, le questeur ne recevait
un « prêt d’auspices », mais l’un et l’autre pouvaient requérir
l’intervention des magistrats supérieurs détenteurs des auspices
nécessaires à la réunion des comices [BERTHELET 2015, p. 82, n. 32 et p. 252,
n. 316].
Cette éventualité d’une poursuite capitale menée par les tribuns
devant les centuries peut être envisagée exclusivement à trois reprises
dans toute la documentation : lors du procès de M. Manlius Capitolinus
dont le récit mêle plusieurs éléments procéduraux contradictoires ou
incertains (R34) ; lors de la poursuite, assurément historique, intentée
contre P. Claudius Pulcher en 248 av. J.-C. (R5b) ; lors du procès contre
les censeurs en 169 av. J.-C. (R5e). Or si les représentants de la plèbe
disposent bien en ces trois occasions de l’initiative de la poursuite, il n’est
pas du tout certain, en revanche, que ce sont eux qui ont réuni le peuple,
et qui ont procédé à l’introductio des comices. Il leur a fallu pour cela
solliciter une date ou « demander un jour » (diem petere) (R5e) au préteur,
garant du calendrier comitial (Macrobe, Saturnales, 1, 16, 4), ce qui ne
signifie en rien, à la lumière de cette formule, qu’une telle démarche ait
consisté en ce fameux « prêt d’auspices » inventé par la doctrine moderne
[contra MOMMSEN 1984, I, p. 223 ; BLEICKEN 1955, p. 112-113].

Amendes, consécration des biens et poursuites


capitales

Les mécanismes observés au cours de ces procès se recoupent :


une poursuite en amende peut se transformer en une poursuite capitale
ou inversement. C’est le cas, une première fois, à l’occasion de la poursuite
contre Appius Claudius Pulcher (R5b). Alors qu’un procès capital avait été
engagé par les tribuns à l’encontre de l’ancien consul coupable de
la défaite de Drépane, le surgissement d’une tempête, lors de la réunion
des comices, avait créé un « uitium », c’est-à-dire, selon les règles
divinatoires des Romains, une manifestation divine qui devait
interrompre l’action en cours. Évidemment, ces « vices » relevant d’une
interdiction religieuse ont fait l’objet de manipulations, notamment à
l’âge des guerres civiles : il était aisé d’invoquer une intervention divine
pour interrompre un processus en cours. Dans le cas présent, il faut
observer que la signification de la manifestation divine lors du procès est
rendue plus manifeste encore, en raison de la faute initiale de l’inculpé qui
avait bafoué des rites divinatoires à la veille de la bataille qu’il avait
perdue. L’interaction entre le monde des mortels et le monde divin agit
aussi bien au moment de la faute que lors de la tentative de réparation par
la justice des hommes. Plus tard, après la mort d’Appius Claudius Pulcher,
lorsque sa sœur Claudia prononcera des paroles appelant à un nouveau
désastre de la flotte, de tels mots seront également suivis par un procès
pour atteinte à la maiestas du peuple romain. Cette fois encore, le procès
devant le peuple n’est pas tout à fait dissociable de l’intention manifeste
de conjurer l’effet d’un tel vœu en forme de malédiction (R19c).
Dans deux autres cas, la procédure engagée était en amende, avant de
devenir une procédure capitale. Les deux cas diffèrent sensiblement l’un
de l’autre : en 212 av. J.-C., les publicains ont été d’abord poursuivis pour
fraude, et ce n’est qu’en raison des violences commises à l’encontre de
l’assemblée réunie par les tribuns qu’ils ont ensuite été accusés de crime
capital, pour avoir agi « contre l’État » (contra rem publicam),
une expression qui désigne très probablement le crime de « haute
trahison » ou perduellio. L’année suivante, en 211 av. J.-C., ce sont
les informations reçues lors de la phase d’instruction – les témoignages
sur l’attitude du préteur lors de la bataille – qui ont conduit à aggraver
l’inculpation, en transformant le procès en amende contre Cn. Fulvius
Flaccus en crime capital.
Enfin, le procès contre les censeurs, en 169 av. J.-C., a consisté dès
le départ en une poursuite capitale. Un point mérite néanmoins d’être
précisé relativement à la peine encourue par l’un des prévenus. Le tribun,
considérant qu’il a été malmené, inflige à l’accusé, avant même
le déroulement du procès qui ne porte plus dès lors que sur son
« existence civique », son caput, une « consécration » de ses biens,
conformément aux « lois sacrées ». Cette consécration pouvait en effet
intervenir sans engagement d’une procédure, du seul fait que
l’inviolabilité tribunicienne avait été bafouée (R1c).
Quelle était la sanction encourue par les accusés à l’occasion d’un
procès capital tribunicien ? La mort, cela s’entend. Et pourtant la notion
de caput, « la tête », désigne également « l’existence civique ». Si l’accusé
demeure entre les mains de la justice (en détention), ou s’il demeure
simplement sur le territoire de la cité où il peut être arrêté, alors
l’exécution capitale est la seule issue possible. Mais si on lui laisse
les moyens de partir, alors il n’est atteint que dans son existence civique, il
ne compte simplement plus parmi les citoyens, comme s’il était mort.
Pour éviter l’incarcération, le système des cautions avait été établi.
Le procès contre Quinctius Caeso, en 461 av. J.-C., évoqué dans
le commentaire de la procédure questorienne (R6), en fournit un premier
exemple. Le recours aux cautions est considéré rétrospectivement par
Tite-Live comme une innovation : alors que le tribun avait l’intention et
les moyens d’incarcérer le prévenu, son père, Cincinnatus, versa
des cautions. Son fils n’ayant pas comparu au procès, le père tomba dans
la pauvreté en s’acquittant de ce qu’il devait verser aux autorités à titre de
cautions. Ce récit « légendaire » dans son ensemble met en place tous
les mécanismes « authentiques » que l’on retrouve dans le procès contre
les publicains en 212 av. J.-C. (R5c). L’exil du principal protagoniste semble
constituer un épilogue suffisant aux yeux de Tite-Live pour achever cette
séquence. De manière très caractéristique, l’historien passe sous silence
le récit des exécutions, si elles ont eu lieu, de ceux qui avaient été arrêtés
et incarcérés. De telles exécutions de prévenus incarcérés sont
simplement indiquées rapidement, lorsqu’elles s’appliquent
collectivement à des individus dont l’identité n’apparaît pas, comme lors
de la répression des bacchanales, en 186 av. J.-C. (R7). Mais on ne comptait
pas alors, semble-t-il, parmi les adeptes de Bacchus poursuivis, des
membres de l’ordre équestre !
L’incarcération de prévenus est finalement assez peu attestée. Dès lors,
la question du versement de cautions destinées à leur permettre
d’échapper à la détention préventive – la seule forme de détention
attestée à l’époque républicaine, avec celle qui précède l’exécution (R18) –
ne s’est pas toujours posée. Lorsqu’un prévenu était poursuivi pour crime
capital devant l’assemblée – c’est une constante tout au long de l’histoire
de la Rome républicaine –, il lui était possible de quitter la cité, avant la fin
du vote de la sentence par le peuple. L’assemblée, en l’absence du prévenu,
constatait son départ et entérinait son exil par un vote de bannissement
(R41), prononcé par un plébiscite, comme dans le cas de l’exil de
Postumius Pyrgensis (R5c) ou de celui de Cn. Fulvius Flaccus (R5d) : « La
plèbe décida <par le vote d’un plébiscite> que son exil était conforme au
droit (exsilium iustum) ». Une telle procédure suscite l’admiration d’un grec
e
comme Polybe qui résidait à Rome au milieu du II siècle et qui ne se
trompe sans doute pas, en dépit de ce que l’on a parfois prétendu, lorsqu’il
désigne l’assemblée des « tribus » au lieu des « centuries » attendues par
la doctrine. Certes, l’observation de Polybe déroge au principe énoncé
trois siècles plus tôt dans le verset de la Loi des XII Tables relatif au « très
grand comice » ou comitiatus maximus (R3d), puisqu’il indique que
les unités de vote amenées à se prononcer sont les « tribus » (phulai) et
non les centuries (R5f). Mais le principe énoncé par la Loi des XII Tables
est-il demeuré pérenne ? Il est permis d’en douter. Et il semble bien
préférable de s’en tenir au témoignage de Polybe, notamment, plutôt qu’à
l’effort de systématisation des modernes dans le sillage de l’autorité de
Mommsen, en reconnaissant par ailleurs toutes les incertitudes qui
demeurent au sujet de l’exercice de la justice comitiale. Il se pourrait
d’ailleurs que celle-ci ait été réservée seulement au cas de poursuites
capitales non définies antérieurement par un ordre du peuple (iussum
populi), tandis que pour tous les crimes légaux le préteur était compétent.
6

L’enquête questorienne : instruction


e e
du meurtre… et d’autres crimes (V -III
siècles av. J.-C.)

a. Questeurs et quaestores parricidii :


de l’époque des rois à la Loi des XII
Tables

A1. VARRON, LA LANGUE LATINE, 5, 81 (45 AV. J.-C.)

Le <substantif> « questeurs » (quaestores) vient du <verbe> rechercher


(quaerere), et il désigne ceux qui cherchaient à rassembler de tous côtés
(conquirere) les revenus du trésor public (publicae pecuniae) et les crimes
(maleficia), que les triumvirs capitaux recherchent désormais ; et c’est à
partir de la désignation de leur fonction que l’on a nommé ceux qui
exercent les jugements (iudicia) des tribunaux d’enquête (quaestiones) et
que l’on appelle « enquêteurs » (quaesitores).
A2. LES « QUESTEURS DU PARRICIDE » (VERRIUS FLACCUS,
DE LA SIGNIFICATION DES MOTS, FIN DE L’ÉPOQUE AUGUSTÉENNE ; D’APRÈS
e e
L’ABRÉGÉ DE FESTUS, P. 247 LINDSAY, 2 MOITIÉ DU II SIÈCLE AP. J.-C.)

Étaient appelés « questeurs du parricide » ceux qu’ils avaient


l’habitude de créer pour enquêter (quaerere) dans les affaires capitales (res
capitales).

A3. « QUAESTORES » (VERRIUS FLACCUS, DE LA SIGNIFICATION DES MOTS,


FIN DE L’ÉPOQUE AUGUSTÉENNE ; D’APRÈS L’ABRÉGÉ DE FESTUS,
e e
P. 310 LINDSAY, 2 MOITIÉ DU II SIÈCLE AP. J.-C.)

On employait le mot « questeurs » (quaestores), pour désigner ceux qui


enquêtaient (quaerere) sur les affaires capitales (res capitales). D’où <le fait
que dans les XII Tables (9, 4)> ces derniers sont également appelés
« questeurs du parricide » (quaestores parricidii).

A4. TACITE, ANNALES, 11, 22, 4-6 (110-120 ENV.)

4. Mais des questeurs furent encore institués à l’époque où


commandaient les rois, ce que montre la loi curiate reprise par L. Brutus.
Le pouvoir de les désigner fut conservé par les consuls, jusqu’à ce que
le peuple donne mandat (mandare) pour cet honneur à l’instar des autres.
Les premiers qui ont été créés furent Valerius Potitus et Aemilius
Mamercus, soixante-trois ans après que les Tarquins eurent été expulsés,
pour qu’ils accompagnent la conduite de la chose militaire (res militaris).
5. Ensuite, comme les affaires augmentaient, deux autres furent ajoutés
pour remplir leur office à Rome. Bientôt leur nombre fut doublé, lorsqu’au
tribut auquel était soumise l’Italie, s’ajoutèrent les impôts des provinces.
6. Après une loi de Sylla, une vingtaine furent créés pour veiller au
recrutement du sénat auquel les tribunaux (iudicia) avaient été remis. Plus
tard les chevaliers reprirent le contrôle des tribunaux (iudicia).

A5. SEXTUS POMPONIUS, ENCHIRIDION OU « PETIT MANUEL »


(FR. 178 LENEL = DIGESTE, 1, 2, 2, 22-23 ; 130 AV. J.-C. ENV.)
22. Ensuite, comme le trésor du peuple commençait à augmenter, au
point qu’il fallut des responsables pour le présider, furent créés
les questeurs, qui présidaient à la gestion de l’argent, ainsi désignés pour
cette raison qu’ils avaient été créés pour rechercher (inquirere) et
conserver l’argent. 23. Et dans la mesure où, comme nous l’avons dit, il
n’était pas permis aux consuls en vertu de la loi d’émettre une sentence
(ius dicere) au sujet de la tête (caput) d’un citoyen romain, sans l’ordre du
peuple (iniussu populi), pour cette raison des questeurs furent institués par
le peuple, lesquels présidaient aux affaires capitales : ceux-ci étaient
appelés « questeurs du parricide » (quaestores parricidii), dont même la Loi
des XII Tables fait mention.

A6. ULPIEN, SUR LA FONCTION DU QUESTEUR, EXTRAIT DU LIVRE UNIQUE,


FR. 2252 LENEL = DIGESTE, 1, 13, 1, PR. (ÉPOQUE DE CARACALLA)

L’époque d’origine de la création des questeurs est très ancienne,


puisqu’elle précède presque toutes les autres magistratures. Gracchanus
Junius, pour le dire en un mot, au livre sept sur les pouvoirs (potestates)
rapporte même que Romulus et Numa Pompilius ont eu deux questeurs
qui ne furent pas créés par eux-mêmes, de leur propre initiative, mais par
le suffrage du peuple. Mais s’il est douteux qu’il y ait eu un questeur dès
les règnes de Romulus et de Numa, il est certain en revanche qu’il y eut
des questeurs sous le roi Tullus Hostilius. Et l’opinion la plus répandue
assurément chez les anciens est que Tullus Hostilius a introduit pour
la première fois les questeurs.

A7. MÉSINTERPRÉTATION TARDIVE D’UN VERSET DES XII TABLES (JEAN


LE LYDIEN, DES MAGISTRATURES DE L’ÉTAT ROMAIN, 1, 26, 2-
4, TRAD. M. DUBUISSON ET J. SCHAMP ; VERS 550 AP. J.-C.)
2. Le jurisconsulte Gaius, dans l’ouvrage qu’il a intitulé Ad legem XII
tabularum, c’est-à-dire « sur la loi des Douze Tables », déclare
textuellement (je traduis) : quand le trésor public en vint à s’accroître, on
désigna pour s’en occuper des questeurs ainsi nommés, d’après
la conservation et la garde de l’argent. 3. Comme, d’autre part, il n’est pas
permis aux magistrats de prendre une décision au sujet d’un citoyen
romain dans une affaire entraînant la peine capitale, on créa des quaestores
parricidii, c’est-à-dire des arbitres et des juges de ceux qui auraient tué
un citoyen. 4. Les Romains appellent de la même façon, parricidae,
les meurtriers de leurs concitoyens ; parents et citoyens sont qualifiés
les uns et les autres de parentes.

A8. CRÉATION DES QUESTEURS, ENQUÊTEURS ET TRÉSORIERS (DION


e
CASSIUS, 7, 13, DÉBUT DU III SIÈCLE AP. J.-C. ; RÉSUMÉ PAR ZONARAS,
e
XII SIÈCLE)

Alors, pour la première fois, des trésoriers (tamiai) commencèrent à


être institués. <Les Romains> appelèrent ceux-ci des questeurs. Ils eurent
à juger (dikazô) en premier lieu les jugements capitaux (thanasimous dikas),
d’où cette dénomination, parce qu’ils conduisaient des enquêtes
(anakriseis) et parce qu’ils cherchaient à connaître la vérité à partir de
leurs enquêtes. Mais par la suite ils acquirent également la gestion
des richesses publiques et furent appelés alors également
des « trésoriers ».

b. L’exécution de Spurius Cassius :


à l’issue d’une sentence du peuple (initiée
par les questeurs), ou en vertu du « droit
de vie et de mort » du père ? (485 av. J.-
C.)

B1. UN ASPIRANT À LA ROYAUTÉ EXÉCUTÉ PAR SON PÈRE ? (PLINE


L’ANCIEN, 34, 15 ET 34, 30 ; 77 AP. J.-C.)

15. Je trouve qu’à Rome c’est pour Cérès que fut fabriquée la première
statue en bronze, à partir du pécule de Spurius Cassius que son propre
père avait tué parce qu’il aspirait à régner (regnum adfectare). (…).
30. L. (Calpurnius) Pison a rapporté que sous le consulat de M. Aemilius et
le second consulat de C. Popilius [en 158 av. J.-C.], les censeurs P. Cornelius
Scipion et M. Popilius enlevèrent les statues (entourant le forum) de ceux
qui avaient exercé une magistrature, toutes à l’exception de celles qui
avaient été érigées par une décision du peuple ou du sénat ; quant à celle
que Spurius Cassius, qui avait aspiré à la tyrannie (regnum adfectare), avait
fait ériger pour lui-même devant le temple de Tellus, elle fut même fondue
par les censeurs. Ces hommes veillaient à n’en pas douter à contenir toute
ambition dans ce domaine.

B2. UNE POURSUITE QUESTORIENNE SOUTENUE PAR LE TÉMOIGNAGE


DU PÈRE ? (CICÉRON, DE LA RÉPUBLIQUE, 2, 60)
Alors que l’État se trouvait dans cette situation, un questeur accusa
Spurius Cassius, qui jouissait alors de la faveur la plus haute auprès du
peuple, d’ourdir un complot pour s’emparer de la royauté (regnum) et,
comme tu l’as entendu dire, alors que son père avait déclaré avoir
découvert qu’il avait bien commis cette faute (culpa), tandis que le peuple
approuvait (cedere), il le punit de mort (morte mulctare).

B3. UN PROCÈS QUESTORIEN DEVANT LE PEUPLE, PLUTÔT QU’UNE ENQUÊTE


DOMESTIQUE. LA MAISON DU COUPABLE EST RASÉE (TITE-LIVE, 2, 41, 10-
11 ; ÉPOQUE AUGUSTÉENNE)
10. Il est établi qu’à peine eut-il quitté sa magistrature, il fut
condamné et mis à mort (necatus). Certains rapportent que son père a été
l’auteur (auctor) de son supplice. Après avoir instruit sa cause à l’intérieur
de la maison (cognita domi causa), il le fit frapper de verges (uerberare) et
mettre à mort, avant de consacrer le pécule du fils à Cérès ; une statue fut
élevée à cet endroit, portant cette inscription « donné à partir des biens
de la famille (familia) Cassia ». 11. Je découvre chez d’autres auteurs, et
cela me paraît plus digne de foi, qu’après avoir été assigné à comparaître
(diem dicere) pour crime de haute trahison (perduellio) par les questeurs
Fabius Caeso et Lucius Valerius, il fut condamné dans un jugement du
peuple (populi iudicium) et que sa maison fut détruite sur ordre
des pouvoirs publics. C’est l’espace que l’on voit devant le temple de Tellus
(Telluris aedes).

B4. UN PROCÈS QUESTORIEN DE PRÉFÉRENCE, EN DÉPIT DE LA DURETÉ


DES PÈRES À CETTE ÉPOQUE ? (DENYS D’HALICARNASSE, ANTIQUITÉS
ROMAINES, 8, 77, 1-2 ; 8, 78, 3-5 ; 8, 79, 1-4 ; 8, 80, 1 ; 7 AV. J.-
C.)
77, 1. Caeso Fabius, le frère du consul de l’année, et L. Valerius
Publicola, le frère de celui qui avait renversé les rois, alors qu’ils
exerçaient en même temps la charge de questeur et ayant de ce fait
l’autorité pour réunir l’assemblée (ekklèsian sunagein), dénoncèrent devant
le peuple Spurius Cassius, le consul de l’année précédente, celui qui avait
osé proposer des lois relatives à la distribution des terres, en l’accusant
d’avoir aspiré à la tyrannie. Et après avoir fixé un jour de comparution, ils
lui ordonnèrent de comparaître devant le peuple pour se défendre de
l’inculpation. 2. Au jour dit, alors qu’une foule nombreuse s’était réunie,
les questeurs la convoquèrent en assemblée, puis en énumérant toutes
les actions qu’il avait ouvertement accomplies, ils montrèrent qu’elles ne
visaient aucune utilité.
[Éumération des griefs.]
78, 3. Après avoir passé en revue ces accusations et avoir pris tous
les citoyens à témoin de leur fondement, ils produisirent des preuves
secrètes de son aspiration à la tyrannie (…) ils fournirent à ce sujet
les témoignages de nombreuses personnes, aussi bien des citoyens que
des alliés, qui n’étaient ni de rang inférieur ni sans considération.
4. Le peuple leur fit confiance et sans se laisser émouvoir par les discours
soigneusement construits que Cassius prononça, ni par la compassion
pour ses trois fils, qui contribuèrent largement à l’effort pour susciter
la pitié, ni par les plaintes de tant d’autres parmi ses proches et ses amis,
sans tenir même aucun compte, pour finir, des exploits militaires qui
l’avaient élevé à la magistrature suprême, il le condamna. 5. Le peuple
était à ce point hostile au nom de la tyrannie qu’il ne modéra même pas sa
colère en choisissant la punition, mais il le condamna à mort. La peur
s’était en effet répandue selon laquelle cet homme qui était le général
le plus talentueux de son époque, une fois banni de la patrie, aurait eu
la même attitude que Marcus <Coriolan> : en se retournant contre
les amis, et en s’alliant aux ennemis, il aurait mené une guerre implacable
contre la patrie. Telle fut l’issue du procès. Les questeurs emmenèrent
Cassius vers le précipice qui domine le forum et le précipitèrent du haut
de la roche, en présence de tous. C’était là le supplice qui était alors
réservé à Rome pour les condamnés à mort.
79, 1. Tel est le récit le plus probable parmi ceux qui ont été transmis
au sujet de cet homme. Mais je ne dois pas passer sous silence la version
la moins probable, puisque celle-ci aussi a été acceptée par beaucoup et
qu’elle est rapportée dans des écrits dignes de foi. Certains rapportent en
effet que, tandis que le projet de Cassius d’exercer la tyrannie était encore
ignoré de tous, le premier à avoir des soupçons à ce sujet fut le père de
Cassius, et qu’après s’être assuré du fait par l’enquête la plus scrupuleuse,
il se rendit au sénat. Ensuite, après avoir ordonné à son fils de
comparaître, il devint à la fois son dénonciateur (mènutès) et son
accusateur (katègoros). Après que le sénat l’eut condamné (katagignôskô), il
l’emmena dans la maison et le mit à mort (apokteinô). La dureté et
l’inflexibilité de la colère des pères envers leurs fils ayant offensé
la justice, en particulier chez les Romains de cette époque, ne nous
permettent pas a fortiori de rejeter ce récit.
[L’auteur développe alors deux autres exemples de sévérité des pères : celui de
Brutus en 509, et celui de Manlius Capitolinus en 384.]
3. De nombreux autres pères, certains pour de graves raisons, d’autres
pour de plus légères, n’eurent pas de pitié ni de compassion à l’égard de
leurs fils. À cet égard, comme je l’ai dit, je ne crois donc pas devoir
repousser ce récit comme invraisemblable. Mais ce qui m’incite à adopter
l’autre version, ce sont plusieurs éléments dont la valeur probatoire n’est
pas mince et qui offrent une caution de vérité, à savoir précisément le fait
qu’après la mort de Cassius, sa maison fut rasée jusqu’au sol (oikian
kataskaptô) (cet espace est demeuré jusqu’à aujourd’hui libre de
constructions, à l’exception d’une partie qui donne sur la route qui mène
aux Carines et où la cité édifia plus tard le temple de Tellus) et que l’État
confisca ses biens. De ce revenu, il offrit des prémices à divers temples et
dans celui de Tellus des statues de bronze portant une inscription qui
expliquait avec quels revenus ces dons avaient été faits. 4. Si c’était son
père qui avait dénoncé, accusé et puni Cassius, sa maison n’aurait pas été
rasée au sol, et le patrimoine n’aurait pas été confisqué. En effet,
les Romains ne disposent pas d’un patrimoine personnel tant que leurs
pères sont vivants, mais les pères peuvent disposer à leur guise des biens
et de la personne de leurs fils. Par conséquent, la cité n’aurait pas décrété
la saisie et la confiscation du patrimoine du père – il avait été l’auteur de
la dénonciation de cette tentative d’instauration de la tyrannie –, comme
punition des délits du fils. C’est pourquoi le premier récit me paraît plus
recevable. Toutefois j’ai rapporté les deux, pour qu’il soit possible aux
lecteurs de choisir celui qu’ils préfèrent.
80, 1. Lorsque certains firent la proposition de mettre à mort
également les fils (paides) de Cassius, le sénat considéra qu’il s’agissait là
d’une pratique terrible et nuisible. Après s’être réunis, ils décidèrent par
un vote que ces adolescents (meirakia) seraient déchargés du châtiment
(timôria), qu’ils pourraient vivre en toute sécurité et qu’ils ne seraient
punis (zèmioô) ni de l’exil (phugè), ni de la déchéance de citoyenneté
(atimia), ni d’aucun malheur (sumphora). Et depuis cette époque,
la coutume s’est établie à Rome – et a été observée jusqu’à nos jours –
d’exempter les enfants de toutes les peines encourues par leur père pour
un crime, qu’ils fussent les fils de tyrans (turannoi), de parricides
(patroktonoi) ou de traîtres (prodotoi), la trahison étant chez eux le plus
grand crime (adikèma).

B5. LE PÈRE, ENTOURÉ D’UN CONSEIL D’AMIS ET DE PROCHES, CONDAMNE


LE FILS ? (VALÈRE MAXIME, 5, 8, 2 ; PEU APRÈS 31 AP. J.-C.)
L’exemple de <L. Brutus> suscita l’émulation de Cassius : son fils avait
été le premier tribun à proposer une loi agraire et, par de nombreuses
autres mesures visant à gagner la faveur populaire, il tenait l’âme
des hommes par l’affection qu’ils lui portaient. Après que le fils eut déposé
cette puissance (potestas), le père, après avoir réuni un conseil d’amis et de
proches (propinquorum et amicorum consilium), le condamna dans sa maison
(domi damnare), en invoquant le crime (crimen) d’avoir aspiré à la tyrannie
(adfectare regnum). Après que le fils eut été affaibli par les verges (uerbera),
le père donna l’ordre de le mettre à mort (uerbera) et il consacra son
pécule à Cerès.

c. Le procès contre Volscius Fictor


en 459-458 av. J.-C. : une poursuite
assurément « fictive », mais
paradigmatique, peut-être… (Tite-Live,
3, 24, 3-7 ; 3, 25, 1-3 ; 3, 29, 6 ; époque
augustéenne)
24, 3. Et une nouvelle cause de trouble (motus) avait surgi.
Les questeurs A. Cornelius et Q. Servilius avaient assigné à M. Volscius
un jour de comparution (diem dicere), parce qu’il ne faisait aucun doute
qu’il s’était présenté en faux-témoin (falsus testis) contre Caeso.
4. Des nombreuses preuves (indicia) qui avaient été rassemblées, il
découlait en effet que le frère de Volscius, à partir du moment où il avait
été souffrant, non seulement n’avait jamais été vu en public, mais encore
qu’il ne s’était même pas relevé de sa maladie, et qu’il était mort au terme
d’un dépérissement de plusieurs mois. 5. Et qu’à l’époque à laquelle
le témoin supposait que le crime avait été commis, Caeso n’avait pas été
vu à Rome, tandis que ceux qui accomplissaient leur service en même
temps que lui affirmaient qu’il était demeuré constamment avec eux sous
les enseignes sans avoir reçu aucun congé (commeatus). Si vraiment il n’en
était pas ainsi, beaucoup proposaient en privé à Volscius de s’en remettre
à un juge. 6. Comme il n’osait pas se présenter à un jugement, toutes ces
données convergeaient vers une seule : la condamnation de Volscius était
aussi certaine que celle de Caeso lorsque Volscius avait été témoin contre
lui. 7. Les tribuns provoquèrent délibérément un retard, en affirmant
qu’ils ne permettraient pas que les questeurs tiennent les comices (comitia
habere) au sujet du prévenu (reus), à moins que d’abord <les comices> ne se
tiennent au sujet de la loi. C’est ainsi que les deux affaires traînèrent
jusqu’à l’entrée en ville (aduentus) des consuls.
(…)
25, 1. Ensuite, les consuls L. Minucius et C. Nautius étant entrés en
charge, il leur incomba de régler les deux affaires de l’année précédente
demeurées en suspens. 2. De la même façon que les consuls empêchaient
le vote de la loi, de la même façon les tribuns empêchaient le jugement
concernant Volscius. Mais chez les nouveaux questeurs il y avait plus
d’élan dans l’action et plus d’autorité. 3. Au côté de M. Valerius, fils de
Manius et petit-fils de Volesus, était questeur T. Quinctius Capitolinus, qui
avait été trois fois consul. Ce dernier, parce qu’il ne pouvait, ni rendre
Caeso à la famille Quinctia, ni à l’État le plus grand des jeunes gens,
poursuivait par une guerre juste et pieuse le faux témoin qui avait enlevé
à un innocent (innoxius) le pouvoir de présenter sa défense (causam dicere).
[Entretemps la guerre contre les Èques conduit à la désignation d’un dictateur.
Après avoir remporté la victoire, ce dernier rentre à Rome…]
29, 6. À l’instant le dictateur aurait abdiqué sa magistrature si
les comices réunis pour le procès de M. Volscius, le faux témoin, n’étaient
encore en cours. Les tribuns ne les empêchaient pas, la crainte du
dictateur s’y opposait. Volscius ayant été condamné, il partit en exil à
Lavinium.

d. Le procès contre M. Furius Camillus


en 391 av. J.-C. (Pline l’Ancien,
34, 7, 13 ; 77 ap. J.-C.)
Le questeur Spurius Carvilius reprocha (obiicere) à Camille, parmi
d’autres griefs (crimina), d’avoir des portes de bronze dans sa maison.

e. Le Commentaire sur l’enquête, postérieur


à 242 av. J.-C. (Varron, La langue latine,
6, 90-92 ; avant 46 av. J.-C.)
90. L’ancien Commentaire sur l’enquête (anquisitio) du questeur
M. Sergius, fils de Sergius, qui a accusé Trogus dans une poursuite capitale
(capitis accusare), montre comment le héraut, qui était envoyé d’ordinaire
le long des remparts, incitait (inlicere) le peuple à se rendre en ce lieu d’où
il pourrait le convoquer à l’assemblée (contio), non seulement auprès
des consuls et des censeurs, mais encore auprès des questeurs. Voici ce
que l’on trouve dans ce document :
91. « Occupe-toi de l’auspice et prends-le dans le temple (templum),
puis envoie demander l’auspice au préteur ou au consul. Que le héraut
(praeco) convoque les préteurs à se rendre auprès de toi à la session
comitiale (comitiatus), et qu’il convoque le prévenu (reus) du haut
des murs. Il faut donner ce commandement (imperare). Envoie un sonneur
de cor à la porte de l’individu (priuatus) et sur la citadelle du Capitole
(Arx) : qu’il y fasse retentir son instrument. Demande à ton collègue qu’il
proclame les comices (comitia) depuis les rostres et que les banquiers
ferment leurs comptoirs. Informe les pères qu’ils ont à se prononcer et
ordonne-leur d’être présents ; informe les magistrats qu’ils ont à se
prononcer : les consuls, les préteurs et les tribuns de la plèbe et tes
collègues, ordonne-leur à tous d’être présents dans le temple ; et tandis
que tu envoies des messagers, convoque l’assemblée (contio).
92. Dans ce même Commentaire sur l’enquête, au chapitre de l’édit rédigé
à la fin, voici ce que l’on trouve :
« De même, en ce qui concerne ceux auxquels les censeurs ont accordé
à ferme la sonnerie de la trompette devant les comices centuriates (comitia
centuriata), qu’ils aient soin en ce jour qui est le jour où auront lieu
les comices que le joueur de trompette fasse retentir son instrument sur
l’Arx, puis le long des murs et devant la porte de cet individu criminel
(scelerosus), T. Quinctius Trogus, pour qu’il se présente sur le Champ de
Mars à la première lueur ».
Entre le moment où le joueur de trompette est envoyé le long
des murs et celui où l’assemblée (contio) est convoquée, il apparaît, d’après
ce qui a été écrit, que des choses qui se produisent dans l’intervalle et
qu’un délai a lieu, pour que l’invitation (illicium) soit accomplie. Mais
le peuple est convoqué en session comitiale parce que ce magistrat ne
peut pas convoquer l’armée de la ville pour une autre raison. Le censeur,
le consul, le dictateur, l’interroi le peuvent : le censeur, parce qu’il
organise l’armée par centuries pour une durée de cinq ans, lorsqu’il doit
la purifier et la conduire dans l’Vrbs jusqu’à l’étendard ; le dictateur et
le consul, parce que celui-ci, pour chaque année, peut commander à
l’armée l’endroit où se rendre ; ils ont l’habitude de commander cela en
raison des comices centuriates.

*
* *
Des compétences du questeur
Au dernier siècle de la République, les questeurs disposaient de
compétences liées à l’administration du Trésor Public (l’Aerarium installé
dans l’Aedes Saturni) et aux archives de l’État. Ils pouvaient également
veiller à l’accueil des hôtes étrangers et aux serments prêtés par
les sénateurs et les magistrats. À partir de cette époque (disons depuis
le milieu du IIe siècle où la description de Polybe, otage à Rome entre
167 et 150 av. J.-C., constitue un tableau sans égal du fonctionnement
des institutions), où la documentation devient beaucoup plus abondante,
et où l’activité des magistrats est également décrite par des observateurs
contemporains, jamais l’intervention des questeurs dans la procédure
criminelle n’est attestée. Et pourtant, lorsqu’ils s’efforcent de retracer
la genèse de cette magistrature – elle remonterait à l’époque royale
(R6a4) ou au commencement de la République (R6a6) – et de fournir
une étymologie – le « questeur » (quaestor) est celui qui « enquête »
(quaerere) –, nos auteurs lui attribuent une double vocation initiale : il
s’agissait bien de trésoriers, conformément à la seule compétence attestée
de ces magistrats plus tardivement, mais ils avaient également été à
l’origine préposés à la poursuite des meurtres (R6a1), d’où leur
désignation originelle de « questeurs du parricide ». Cette désignation
complète apparaît comme un archaïsme à l’époque augustéenne dans
l’œuvre de Festus (R6a3), et le déchiffrement d’une courte inscription
pompéienne récemment redécouverte est bien trop incertaine pour que
l’on puisse considérer [CASCIONE 2012] ce document comme l’attestation du
prolongement de leur existence au commencement de l’époque impériale.
La juridiction criminelle des questeurs n’est plus attestée après
le Commentarium anquisitionis nécessairement postérieur à
l’année 242 av. J.-C. En effet, ce document (R6e) mentionne au pluriel « les
préteurs », alors qu’il n’y en avait qu’un seul, jusqu’à la création du
préteur pérégrin cette année-là. Quant à ce document lui-même, il faut
l’aborder avec prudence car s’il est bien question d’un questeur
nommément désigné, on ne saurait précisément généraliser à partir de ce
cas spécifique. Un tel document se distingue de ceux qui énoncent
des principes généraux relatifs à la compétence d’une magistrature sans
considération d’une situation particulière [MANTOVANI 1991].

Du « parricide » : débats sémantiques autour d’une


étymologie

L’acception juridique précise du terme « parricide », à l’origine et au


e
cours de son évolution, a été très débattue depuis le XIX siècle. Cela tient
aux incertitudes de l’étymologie : si les Latins, en effet, ont généralement
rapproché le premier élément de « père » (pater) ou « parent » (parens), il
est difficile d’expliquer phonétiquement la chute de la lettre « t » et
le passage de patricida, que l’on suppose alors au départ, à par(r)icida ; en
outre, certaines gloses l’ont rattaché à l’adjectif « pareil » ou « apparié »
(par, paris) [ERNOUT-MEILLET 2001, p. 483]. La formule « qu’il soit parricide »
(parricidas esto), employée à la forme négative, comme on l’a vu, au sujet
de l’homo sacer (R1) a conduit à supposer qu’elle revêtait un sens passif
« qu’il soit tué par équivalent ». D’autres interprètes lui ont accordé au
contraire une valeur active, selon laquelle on serait passé de l’idée de
« meurtrier d’un proche » qui était la qualification originelle du crime à
celle de « vengeur du meurtre », ou de « meurtrier par équivalence »
[LOVISI 1999]. Mais on voit mal comment ces hypothèses s’accorderaient
avec la désignation de la magistrature qui nous retient ici. Il paraît donc
plus probable que le terme se soit appliqué à l’origine à « l’homicide »,
avant de désigner plus tardivement le meurtre d’un proche [HUMBERT 2018,
p. 690-693], même si de très bons arguments ont été avancés pour soutenir
une évolution inverse : le terme parricide aurait d’abord revêtu
une acception étroite de meurtre du père [THOMAS 2017], par la suite élargie
à d’autres formes d’homicide (R35). Quoi qu’il en soit, lorsqu’il s’agit de
la magistrature ici envisagée, seule l’acception « d’homicide » – alors que
les questeurs ont pu, on va le voir, être saisis d’autres crimes – semble
acceptable. Une dernière question lexicale a pu être posée : ces
« questeurs du parricide » dont l’origine serait si lointaine, étaient-ils bien
identiques aux « questeurs » qui furent affectés au Trésor (aerarium) à
e
partir du milieu du V siècle av. J.-C. avec le développement d’une
économie monétaire [LATTE 1960, p. 359-366] ? Et lorsqu’une poursuite
criminelle instruite par un questeur est attestée, s’agit-il nécessairement
d’une affaire de meurtre ? Par prudence, des réserves ont été exprimées à
ce sujet, et elles paraissent d’autant plus légitimes que les attestations de
cette compétence questorienne sont très rares [KUNKEL 1995, p. 523-524 ;
MANTOVANI 1991]. En effet, une fois que l’on a écarté les mentions générales
où sont expressément désignés des quaestores parricidi, l’annalistique n’a
conservé que trois cas de poursuites criminelles intentées par
des questeurs : la poursuite en 485 av. J.-C. de l’aspirant à la tyrannie
Spurius Cassius (mais une autre tradition, la plus ancienne assurément,
rapporte qu’il a été mis à mort sur l’ordre de son père dans le huis-clos de
la juridiction domestique) (R6b) ; la poursuite en 459/8 av. J.-C. du faux-
témoin Volscius Fictor (mais la fin de la procédure est prise en charge par
un dictateur, et non pas par les questeurs qui l’avaient initiée !) (R6c) ;
la poursuite en 391 av. J.-C. de Furius Camillus (R6d) pour avoir détourné
le butin pris à l’ennemi (mais la plupart des auteurs évoquent ici plutôt
une poursuite tribunicienne, tandis que les noms mêmes
des protagonistes, dans un cas comme dans l’autre, contredisent les règles
de l’onomastique pour une époque aussi reculée [KUNKEL 1995, p. 523,
n. 49]).
Reste le document exceptionnel déjà mentionné, une archive, à
proprement parler, à savoir un extrait du Commentaire sur l’enquête, que
Varron avait sous les yeux lorsqu’il rédigeait son traité La langue latine
(R6e). Laissant de côté la trop brève indication relative à l’épisode de
Furius Camillus, examinons avec autant d’attention que possible les deux
autres cas légendaires, d’une part, et le document de première main,
d’autre part. Les questionnements qu’ils suscitent sur le droit criminel
romain républicain dans son ensemble dépassent la seule interrogation
soulevée par l’existence mal établie de la juridiction des questeurs. En
effet, tandis que la condamnation de Spurius Cassius invite à examiner
également l’hypothèse de l’exercice de « la puissance paternelle » et
la question de la consécration des biens, l’affaire Volscius Fictor est
étroitement liée au procès contre Quinctius Caeso qui la précède. Il
s’agirait alors du seul exemple de procès pour meurtre remontant à
l’époque archaïque et, comme on le devine, nombre d’interprétations
divergentes en ont été données. Enfin, les mécanismes décrits dans
le Commentarium anquisitionis éclairent, sous différents angles,
le fonctionnement de la procédure devant le peuple, quel que soit
le magistrat qui le réunit.

Le procès contre Spurius Cassius en 385 av. J.-C.,


le pécule du fils de famille et la destruction
de la maison du coupable (R6b)

Lorsque les sources anciennes offrent deux interprétations


procédurales d’un même épisode, laquelle choisir ? Comme nous l’avons
vu, la question s’est déjà posée au sujet de l’exécution d’un autre aspirant
à la tyrannie, Spurius Maelius (R4), et le choix a paru s’imposer de s’en
remettre au substrat, à la tradition la plus ancienne du récit, plutôt qu’à
l’enveloppe institutionnelle contemporaine de l’auteur de ce récit. En
application de ce principe, c’est ici l’interprétation de Pline l’Ancien, et
l’hypothèse de l’exercice de la patria potestas, plutôt que le déroulement
d’un procès questorien, qui l’emporte, puisque la source de l’Histoire
naturelle à cet endroit remonte à L. Calpurnius Piso Frugi (censeur en 120
av. J.-C.), l’un des premiers historiens romains de langue latine. Ce pas
serait trop facilement accompli dans la progression exégétique, s’il ne
fallait pas admettre au même moment que Pline l’Ancien, tout en puisant
à bonne source, introduit un anachronisme en évoquant le pécule
(peculium) du fils Spurius Cassius. Qu’est-ce qu’un « pécule » ? Pour
comprendre le fonctionnement de cette institution familiale et
patrimoniale qui intéresse directement le déroulement de la procédure
pénale, rappelons en deux mots la condition des citoyens dans le monde
romain. Seul le paterfamilias dispose d’une autonomie juridique, il
« s’appartient en droit », (en latin il est sui iuris) ; quant au fils, quel que
soit son âge, et quand bien même il a engendré lui-même des enfants, tant
que son propre père est en vie, et à moins que ce dernier ne renonce
volontairement à sa puissance, il demeure dans un statut « d’hétéronomie
juridique », il dépend juridiquement d’un autre (en latin il est alieni iuris)
[THOMAS 2017].
Le pécule est donc une part de biens demeurant dans la propriété du
père, mais concédée au fils afin d’assurer son propre train de vie et de
s’acquitter de devoirs familiaux. Un maître pouvait également accorder
un pécule à son esclave – l’esclave pouvait alors devenir « entrepreneur »,
même si les sommes engagées dans ses affaires dépendaient toujours du
maître, et racheter sa liberté à ce dernier en accédant au statut d’affranchi
[ANDREAU dans GIARDINA 1992, p. 219-245]. Mais alors que cette institution
servile, toujours identifiable sous l’Empire, remontait à un passé lointain,
le pécule du fils ne paraît avoir fait son apparition que sous le règne
d’Auguste. Or c’est bien cette question du pécule qui a embarrassé
l’interprétation juridique de « l’affaire Spurius Cassius », dès l’Antiquité :
comment l’État aurait-il pu s’emparer des biens d’un fils de famille, d’un
alieni iuris, sans porter atteinte au sui iuris, c’est-à-dire au père dont il
dépendait ? En termes de droit privé, un tel cas de figure est
inconcevable : les pouvoirs publics ne peuvent pas saisir le pécule du fils
coupable, puisque le pécule mis à disposition du fils reste la propriété du
père. Au regard du droit pénal, cela aurait tout simplement conduit à léser
le père pour la faute du fils, en portant atteinte à un principe
d’individualité de la peine qui est demeuré une constante chez
les Romains, jusqu’à une époque tardive où le crime de lèse-majesté a
introduit une large brèche (R48). En bref, c’est cette difficulté posée par
la confiscation du pécule qui avait conduit à ne retenir comme
authentique que la version de Cicéron, alors même que ce dernier ignore
la question patrimoniale. L’hypothèse de l’exercice de la juridiction
domestique, serait une « protestation » de l’annalistique contre
l’impossibilité du grief incriminé dans le premier cas, à savoir la haute
trahison ou perduellio [MOMMSEN 1907, p. 178, n. 2]. En réalité, si on est
amené à considérer comme plus authentique la version la plus ancienne,
la question du choix se pose moins que celle de la cohérence des deux
traditions, l’une indépendamment de l’autre, comme cela a été plus
récemment exposé de manière lumineuse : « lorsqu’il est question de
haute trahison, la maison de Spurius Cassius est détruite, mais aucune
mention n’est faite de son père ; lorsqu’il est au contraire fait état d’une
exécution domestique, la cité ne s’empare d’aucun bien : c’est le père de
Cassius qui se charge d’en consacrer à Cérès » [THOMAS 2018, p. 185-187].
La question de la destruction de la maison de certains condamnés dans
le contexte romain appellerait encore aujourd’hui, en dépit de la rareté
des cas, une étude plus approfondie. Cette destruction se présente à
propos des deux autres « aspirants à la tyrannie », Spurius Maelius, en
438 av. J.-C. (R4), et Manlius Capitolinus (R34j), en 385 av. J.-C., mais aussi
dans d’autres situations, telles que l’affaire des auteurs de « brigandage »
(latrocinium), Numerius Equitius Cuppes et Manius Macellus, en 179 av. J.-
C., dont les maisons arasées auraient laissé place, au Macellum et au Forum
Cupedinis, tandis que la vente de leurs biens aurait permis de financer
la construction des escaliers conduisant au temple des Pénates [FERRARY
2001b]. D’autres destructions encore ont eu lieu jusqu’au cas fameux de
la maison de Cicéron, en 58 av. J.-C. et de la consécration d’un autel à
la liberté à son emplacement [BERTHELET 2016]. Après cela aucun cas n’est
attesté. En 20 ap. J.-C., à l’issue du procès de lèse-majesté de
Cn. Calpurnius Pison, la destruction des extensions de sa maison au dessus
de la Porta Fontinalis qui avaient été édifiées au détriment de l’espace
public relèvent d’une autre logique (R47a). Sous le règne de Tibère (14-37
ap. J.-C.), précisément, Valère Maxime inventorie les cas connus et
les rapporte à un passé lointain :

Les anciens avaient en eux une haine si forte à l’encontre


des ennemis (hostes) de la liberté (libertas), qu’ils en conservaient
le témoignage (testari) par les ruines des murs et des toits qui
avaient abrité leur exitence. (Valère Maxime, 6, 3, 1a-c)

e
L’historien Dion Cassius (7, 26, 1), au commencement du III siècle
ap. J.-C., en faisant le récit de la condamnation de Manlius Capitolinus,
estime que cette pratique de destruction a disparu de son temps, même à
l’encontre des traîtres à l’État, c’est-à-dire, dans le langage de son époque,
à l’encontre des coupables de lèse-majesté envers le prince. Alors que dans
certaines occasions de destructions de maisons, l’espace ainsi dégagé à
l’intérieur du tissu urbain conserve, par le vide, le souvenir du
propriétaire de l’édifice, dans d’autres, le nom de ce dernier disparaît, afin
de laisser place à un temple, comme dans le cas, signalé à l’instant, du
Temple de Junon Moneta (Aedes Iunonis Monetae) élevé à l’emplacement de
la maison de Manlius Capitolinus.

Le procès contre Volscius Fictor (459-458 av. J.-C.) (R6c)

Poussés par une volonté de savoir et un effort de reconstruction


systématique, les exégètes de la procédure archaïque ont parfois atteint,
voire dépassé, la limite de ce qu’il est permis de subodorer à partir de
la documenttaion disponible. Au vrai, le déroulement concret de
la procédure criminelle de la haute époque républicaine n’est illustré dans
les vestiges de l’annalistique que par un cas unique et édifiant ! Il s’agit de
la déposition d’un témoin, Volscius Fictor – celui « qui feint », donc –, au
beau milieu d’un procès tribunicien intenté contre un patricien fougueux
– une autre figure archétypale –, Quinctus Caeso, en 461 av. J.-C. Ce
dernier, alors qu’il était déjà l’objet d’une poursuite capitale devant
le conseil de la plèbe en raison des violences commises contre
des plébéiens et leurs représentants, se vit alors accusé de l’assassinat du
frère du témoin trois ans auparavant ! On retrouve Volscius Fictor un peu
plus tard, poursuivi d’abord par les questeurs du parricide pour faux
témoignage et condamné ensuite. C’est un dictateur nommé initialement
pour les opérations militaires qui met un terme à cette poursuite devant
le peuple (réuni cette fois selon la formation civique et l’ordre militaire
des centuries). Conformément à l’issue récurrente de tous les procès
capitaux rapportés par notre tradition – à l’exception de celui du
décemvir Appius Claudius –, le prévenu n’est pas exécuté : soit il part de
lui-même en exil, soit il y est autorisé (R5-R41). L’application de la peine
de mort, sans alternative, n’est attestée qu’en cas de troubles collectifs,
comme à l’occasion de la répression des bacchanales en 186 av. J.-C. (R8).
Puisqu’il n’existe pas de récits semblables ou comparables, le cas du
faux-témoignage porté par Volscius Fictor – une démarche articulée à
l’inculpation pour meurtre de Quinctius Caeso –, est devenu un véritable
abcès de fixation pour une doctrine moderne, soucieuse de
systématisation, mais dépourvue d’autre exemple comparable. Pour
les uns, donc, il s’agirait « d’un témoignage direct » et « sans équivoque »
de « l’existence d’un procès privé pour meurtre dans l’ancien droit
romain » [KUNKEL 1974, p. 111-116], pour les autres, l’intrusion de Volscius
Fictor constitue plutôt une étape dans l’évolution du droit public et de
la procédure instruite par les magistrats devant le peuple, selon laquelle
l’imperium des consuls, à l’origine de leur pouvoir juridictionnel, s’est
trouvé limité et contrecarré par l’appel au peuple. Dix ans plus tard,
la publication des XII Tables – avec le verset relatif au monopole
des comices centuriates dans les poursuites capitales (R3) – aurait
constitué l’aboutissement des aspirations manifestées à l’occasion du
procès contre Quinctius Caeso [HUMBERT 2013, p. 249-250 ; HUMBERT 2018,
p. 676]. L’intérêt que l’on s’y arrête, quelle que soit l’interprétation
retenue, est que ce récit, ne constitue pas une « fable absolument anti-
juridique », à la différence par exemple de l’épisode de Coriolan advenu
trente ans plus tôt (491 av. J.-C.) (R5a ; R34e), et il peut être considéré
comme « juridiquement correct » [MOMMSEN 1984 III, p. 344, n. 2].
Quinctius Caeso est donc dépeint par nos auteurs, Tite-Live et Denys
d’Halicarnasse, comme le héros de la jeunesse patricienne, aussi brave et
intrépide sur le champ de bataille, contre les ennemis de Rome,
qu’implacable et arrogant envers ses adversaires politiques dans la cité.
Son ascendance renforce son prestige, car il est le fils du célèbre
L. Quinctus Cincinnatus, que l’on verra dans son grand âge enlevé de
nouveau aux travaux des champs et à sa charrue pour revêtir
une dictature contre l’aspirant à la tyrannie Spurius Maelius, en 438 av. J.-
C. (R4).
Le crime pour lequel Quinctius Caeso a été poursuivi n’est pas qualifié
par Tite-Live, sinon par la description de la brutalité et de l’arrogance du
personnage : deux traits de caractère commandés, semble-t-il, par
l’exaltation de sa noblesse, et qui le mènent à des actes de violence.
Surtout, Quinctius Caeso s’acharnait à empêcher le vote d’une loi
favorable aux plébéiens. Il dispersait l’assemblée plébéienne à chaque fois
qu’elle tentait de se réunir : « Souvent, à l’initiative de ce chef, les tribuns
furent expulsés du forum, la plèbe dispersée et mise en fuite » (Tite-Live,
3, 11, 8). Pour en finir, l’un des tribuns A. Verginius, à la surprise de tous
les autres, « assigne Caeso pour crime capital » (Caesoni capitis diem dicit)
(Tite-Live, 3, 11, 9). Soulignons ces mots, car à aucun moment Tite-Live
n’évoque précisément une inculpation pour « haute trahison » (perduellio).
Le récit de Denys d’Halicarnasse (Antiquités Romaines, 10, 5, 2) pourrait, en
revanche, par sa formulation, se rapprocher d’une telle incrimination
[BRECHT 1938, p. 284]. Il diffère aussi en ceci que le collège des tribuns dans
son entier – comme si tous les tribuns avaient été lésés par la conduite du
prévenu – semble à l’initiative de la poursuite : « étant parvenus à cette
décision, après avoir préparé leurs discours et réuni un grand nombre de
témoins (marturas), ils l’assignèrent (eisagein) à comparaître dans
une poursuite pour offense publique (upo dikèn adikèmatos dèmosiou), en
précisant qu’il s’agissait d’un jugement capital (thanatou dikè) ». Laissons
de côté le débat concernant l’incarcération préventive qui aurait été
infligée au prévenu – elle apparaît comme une violence inadmissible –, et
l’issue qui fut trouvée par le versement de cautions (uades) [RIVIÈRE 2004c,
p. 98, 144 et p. 347, n. 15], pour la première fois dans un jugement public
(Tite-Live, 3, 13, 8), sur le modèle de l’engagement par promesse (sponsio)
de la procédure privée (Festus, p. 519 Lindsay : « une caution (uas) veut
dire une promesse (sponsio) donnée dans une affaire capitale (res
capitalis) ». Chez Tite-Live, un exemple historique du versement de
cautions est fourni par le procès tribunicien contre Postumius Pyrgensis
et les publicains (R5c). Laissons également de côté la non-comparution de
l’accusé – elle cause la ruine de son père, Cincinnatus, chargé de verser sur
ses biens le montant des cautions –, en résumant l’essentiel : selon Tite-
Live (3, 13, 8-9), ce départ est entériné « en prenant acte de l’exil » (exilii
causa). Puisqu’il a fait le choix de quitter la cité, le prévenu est alors
« excusé » (excusatus), l’assemblée est levée, la poursuite est arrêtée contre
la volonté d’A. Verginius, grâce à l’intercession des autres tribuns ; selon
Denys d’Halicarnasse (Antiquités Romaines, 10, 8, 3), non seulement
les cautions ont été exigées, mais un vote (psephos) a condamné
le prévenu. Il faut comprendre ici que le peuple, ayant constaté son départ
en exil pour l’Étrurie (une destination courante pour les exilés de cette
époque), a prononcé contre lui la formule de bannissement, à savoir
« l’interdiction de l’eau et du feu » (R41).
Cette précipitation à quitter la ville, de nuit, sans plus chercher à se
défendre, et alors même qu’il avait échappé de peu à une incarcération,
aurait été motivée par un incident intervenu en cours de procédure. Alors
que l’on s’acheminait vers un acquittement, un ancien tribun, Volscius
Fictor, dont le nom même – « le Volsque fabriquant de mensonges » –, indique
au lecteur que sa déposition constituait un faux-témoignage, avait
prétendu que deux ans auparavant, en 463 av. J.-C., Quinctius Caeso avait
tué son frère. Dans quelles circonstances précises un tel assassinat s’était-
il produit ? On pourrait se passer des détails de « la scène du meurtre »,
s’ils ne constituaient au même moment, à l’évidence, l’expression de
la criminalité et des violences de la Rome de la fin de la République et
des guerres civiles. Ce sont en effet ces épisodes récents qui venaient à
l’esprit de Tite-Live et de Denys d’Halicarnasse – et des auteurs de
l’annalistique récente qu’ils avaient consultés –, lorsqu’ils rédigeaient leur
œuvre. L’âge même des protagonistes – des bandes de jeunes gens prêtes à
s’affronter au cœur de Rome – est un écho des guerres civiles [LINTOTT
1968]. C’est donc à l’occasion d’une rixe, dans le quartier mal famé de
Subura, que le frère de Volscius Fictor aurait été frappé à mort, et serait
décédé quelques mois plus tard ; selon Denys d’Halicarnasse, c’est plutôt
sur le forum que la victime aurait été tuée sur le coup, tandis que
le témoin lui-même – ce détail importe, on va le voir, pour la qualification
du crime – aurait été laissé pour mort sur le sol, avant d’être reconduit
plus tard chez lui. Peu importe, ce (faux-) témoignage aurait inversé
le cours du procès de Quinctius Caeso, tant il aurait paru accablant. Mais
pourquoi le témoin aurait-il attendu deux ans avant de faire entendre sa
voix ? Tite-Live (3, 13, 3) résume l’explication en une phrase – elle est
décisive pour l’interprétation procédurale de l’épisode, mais celle-ci varie
selon les traducteurs. Cette phrase pourrait être traduite de deux façons :
« et il ne lui avait pas été permis (ne… licuisse) par les consuls des années
précédentes (per consules superiorum annorum) de poursuivre (exsequi)
une affaire aussi horrible », ou bien, « et il ne lui avait pas été permis (ou
rendu possible) qu’une affaire aussi horrible fût poursuivie par les consuls
des années précédentes ». Dans le premier cas, considéré comme la seule
interprétation fondée philologiquement [KUNKEL 1974, p. 112], nous
aurions affaire à une poursuite privée où l’initiative revient à la partie
lésée, empêchée en l’occurrence par l’autorité judiciaire d’engager son
action (denegatio actionis). Dans le second, si le complément d’agent « par
les consuls » se rapporte au verbe « poursuivre », il s’agirait d’une
procédure criminelle publique, normalement initiée d’office par ces
magistrats (« qu’une affaire aussi horrible fût poursuivie par
les consuls »), mais qu’ils auraient décidé de ne pas engager pour
une raison non précisée. Une autre difficulté d’interprétation de la phrase,
liée à la précédente, tient au sens à donner au verbe licere que l’on peut
traduire par « permettre » (ce qui sous-entend une autorisation), ou par
« être possible », ou « rendre possible ». Le premier choix conforte alors
l’hypothèse selon laquelle il pourrait s’agir d’un empêchement d’engager
la procédure, bref de l’accomplissement d’un déni de justice :
le « dysfonctionnement » de la justice consulaire, « l’arbitraire de
l’imperium » seraient ici dénoncés, et la « nécessité d’une réforme » (la Loi
des XII Tables publiée dix ans plus tard) annoncée [HUMBERT 2013, p. 249-
250]. Pourtant, on peine à se convaincre de l’existence d’un déni de justice,
lorsqu’à la lecture du récit de Denys d’Halicarnasse (Antiquités Romaines,
10, 7, 5-6), on comprend que ce serait malgré eux, par un enchaînement
tout à fait contingent – une épidémie d’abord, des troubles civils, et
des guerres ensuite –, que les consuls retenus par ces situations d’urgence
n’auraient pu entendre le plaignant. Enfin, précise Denys d’Halicarnasse,
lorsque cela aurait été possible, après le retour des consuls d’une
campagne militaire, Caeso Quinctius, à force de coups et d’intimidation, se
serait physiquement opposé au dépôt de la plainte. Autrement dit, en
termes de droit romain – Denys d’Halicarnasse puise dans l’annalistique
romaine, et non dans des modèles de procédure grecque [KUNKEL 1974,
p. 114, n. 10] –, alors que son adversaire aurait tenté une contrainte par
corps (manus iniectio), pour conduire le prévenu devant le tribunal
(l’expression technique latine, ducere in ius, étant rendue par le grec agein
upo dikèn), il se serait heurté à plus fort que lui [KUNKEL 1974, p. 113-114].
Certes, Denys d’Halicarnasse fait dire aussi à Volscius Fictor que sa basse
extraction sociale l’aurait empêché d’être entendu. Mais alors on retombe
précisément dans le scénario d’une poursuite privée dont l’engagement
n’a pas été possible en raison de la faiblesse de la partie plaignante :

J’aurais préféré, citoyens, recevoir contre celui-ci une poursuite


privée (dikèn idian), comme la loi m’y autorise en raison des torts
abominables, et plus qu’abominables, que j’ai subis. Mais ayant été
empêché en raison de ma misère et de ma faiblesse, et de mon
appartenance aux gens du commun, alors maintenant, si c’est
possible, je prendrai la place de témoin (martus), puisque je ne
peux pas prendre celle d’accusateur (katègoros). (Denys
d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 10, 7, 2)

Ce passage, on le comprend, est l’argument décisif invoqué par


Wolfgang Kunkel pour couronner sa démonstration : l’action est qualifiée
de « privée », plutôt que « particulière », selon la seconde acception de
l’adjectif idios, la position « d’accusateur », dans une action privée à
caractère accusatoire, opposée à celle de « témoin » convoqué dans
une procès public. En dépit de la rigueur de la démonstration, bien
des incertitudes demeurent. Et d’abord, peut-on déduire de ce procès
reconstruit que tel était le déroulement de la procédure au milieu du
e
V siècle ? Évidemment non. L’approche séquentielle, même la plus fine,
des mécanismes procéduraux, telle que Wolfgang Kunkel la propose, se
heurte forcément à la chronologie : comment situer historiquement dans
l’évolution des institutions romaines un épisode sans doute
« paradigmatique », « significatif » ou « archétypal », mais un épisode que
chacun définit par ailleurs comme « légendaire », « reconstruit » ou
« inventé », sinon en déclarant, précisément, que la question de
l’historicité importe peu ? Mais alors sur quels fondements, forcément
inductifs, au regard de l’histoire des institutions, lui donner crédit pour
affirmer que l’épisode de Volscius Fictor reflète un état ancien de
la procédure pour meurtre ? Une telle observation s’applique à d’autres
épisodes de l’époque archaïque et a fortiori à la période royale où certaines
initiatives attribuées à Romulus sont tout simplement le reflet
des institutions du dernier siècle de la République (R41).
Toujours est-il, pour en finir avec ce récit, que Volscius Fictor a été
rattrapé lui-même par ses mensonges, et que les questeurs l’ont alors
poursuivi. Sous quelle inculpation ? Une dernière difficulté se présente.
Pourquoi des magistrats spécialisés dans la répression de l’homicide
(parricidium) seraient-ils intervenus dans une affaire de faux témoignage ?
Sans doute parce que le faux témoignage (R27) dans une procédure
capitale, en raison du risque encouru par le prévenu, peut être assimilé à
un « meurtre judiciaire ». Sans doute, mais il est peu probable que Volscius
Fictor ait simplement intenté au départ une action pour atteinte au
« droit », ou « à la personne », selon l’acception large ou restreinte que
l’on accorde au terme iniuria (R21), en dépit de ce qui a parfois été avancé
[MOMMSEN 1984, I, p. 215, n. 2]. Imaginer, à la lumière des circonstances
décrites par Denys d’Halicarnasse, que Voslcius Fictor aurait cherché à
obtenir seulement réparation des coups et blessures qu’il avait subis (une
iniuria, selon l’acception restreinte du terme), en écartant de sa plainte
le meurtre de son frère, serait négliger un aspect important de
la mentalité romaine [KUNKEL 1974, p. 115-116]. La nécessité de venger
le meurtre d’un proche était un devoir qui s’imposait aux membres de
la famille [THOMAS 1984a], y compris aux femmes dans la limite des moyens
procéduraux qui leur étaient réservés (R19).

Le Commentaire sur l’enquête (R6e)

Les deux extraits du Commentaire sur l’enquête cité par Varron


constituent une pièce d’archive appartenant à la série des « registres »
(Commentarii) des magistrats. Elle est presque unique, dans la mesure où
elle concerne l’activité judiciaire des questeurs, connue dans son principe
par des exposés de droit public, mais attestée uniquement par les deux cas
légendaires qui viennent d’être examinés. Dans la mesure où les questeurs
sont désignés comme les assistants des consuls dans l’exercice
des poursuites publiques, et comme ce texte énonce un ensemble de
directives à l’impératif, son auteur pourrait être un consul. Ni
le destinataire, M. Sergius, ni le prévenu, T. Quinctius Trogus, ne sont
connus par ailleurs. Il pourrait s’agir, au moins dans le second cas d’un
nom fictif, visant simplement à illustrer ce formulaire, comme on dirait
aujourd’hui « procureur Untel ». À moins que la désignation du questeur
par son nom ne signifie ici que notre document avait une portée plus
restreinte et que le traité visait à répondre à une situation particulière qui
limiterait toute généralisation sur la compétence criminelle des questeurs
[MANTOVANI 1991].
Quoi qu’il en soit, chacune des indications topographiques ou
temporelles contenues dans ce document suggère d’abord la lourdeur d’un
tel mécanisme procédural, au même titre que le déroulement de
la procédure tribunicienne (R5). Si chaque crime était poursuivi selon ces
règles dans la Rome médio-républicaine, combien de poursuites annuelles
devant le peuple pouvaient-elles avoir lieu ? Une dizaine ou une quinzaine
tout au plus ! Les crimes étaient-ils donc si rares dans la Rome antique ? Et
si vraiment toutes les poursuites lui incombaient, le peuple se serait alors
trouvé dans « un état de mobilisation permanente » [MANTOVANI 1990,
p. 28-29]. La convocation décrite dans ce document s’inscrit donc dans
le long processus de « l’enquête contradictoire » comitiale ou anquisitio
[MOMMSEN 1907, I, p. 189-191 ; LOVISI 1999] : la prise d’auspices et la citation
de l’accusé étaient suivies de trois assemblées préparatoires (les contiones),
d’une quatrième le cas échéant. Ces réunions précédaient la tenue de
l’assemblée proprement dite qui devait voter la sentence : il s’agit ici
des comices centuriates (comitia centuriata ou comitiatus) selon
une équivalence lexicale déjà rencontrée dans le verset de la Loi des XII
Tables relatif au jugement devant le peuple (R3d).
Un élément divinatoire relatif à l’engagement de la procédure et à
la réunion des comices, « la prise d’auspices », est essentiel. Il tient dans
les quelques mots qui ouvrent la citation du texte : « Occupe-toi de
l’auspice et prends-le dans le temple (templum), puis envoie demander
l’auspice au préteur ou au consul ». Comment, selon les principes connus
du droit public et du rituel religieux, un questeur aurait-il pu, en effet,
initier une réunion des comices centuriates sur le Champ de Mars (Campus
Martius), c’est-à-dire originellement d’une assemblée du peuple en armes,
alors qu’il ne détient pas lui-même le pouvoir de « commandement »
(imperium) de cette armée ? Pour résoudre cette impasse, les modernes ont
eu recours à l’invention du mécanisme du « prêt d’auspices », condition
nécessaire à la tenue de la procédure questorienne, ou encore, a fortiori, au
déroulement d’une poursuite capitale tribunicienne (R5). Cette
construction moderne, jamais attestée dans nos sources, sinon par
une extrapolation moderne de ce texte, ne tient pas un instant [RIVIÈRE
2013c], et la formule descriptive « d’assistance auspiciale » –
des détenteurs de l’imperium auprès des questeurs – est beaucoup plus
pertinente pour rendre compte de cette hiérarchie des opérations
introductives de l’instance devant le peuple [BERTHELET 2015, p. 82, n. 32].
En bref, les questeurs avaient bien le pouvoir, matériellement, de réunir
les comices centuriates sur le Champ de Mars – le Commentarium l’indique,
la formule employée par Denys d’Halicarnasse au sujet de l’autorité
des questeurs de convoquer l’assemblée (R6b4) va elle aussi dans ce sens –,
mais l’accomplissement de cette action était rendu nécessaire par
une prise d’auspices. Celle-ci, pourtant, ne pouvait être accomplie que par
les consuls ou les préteurs, seuls détenteurs du « commandement »
(imperium).
Par ailleurs, rien dans ce document ne permet de préciser que
l’individu (priuatus) criminel (scelerosus) est accusé de meurtre, comme
pourrait le laisser penser la vocation des questeurs du parricide
(entendons alors de « l’homicide »). Cette hypothèse a donc été mise en
doute [KUNKEL 1995]. Le plus important, pour finir ici, est de souligner de
nouveau la lourde mécanique et la pesante solennité de la machine
procédurale en matière capitale. Le son de la trompette (chacun à Rome
est alerté et pas seulement le prévenu), l’attente de l’aube, le retrait
devant la porte, en principe infranchissable, du prévenu, la prise
d’auspices, les déplacements orchestrés dans la ville, signifient beaucoup
dans ce domaine. Un discours de Caius Gracchus – il est conservé grâce à
Plutarque (Caius Gracchus, 3, 7) –, postérieur d’un siècle ou un siècle et
demi, au plus, à ce document, rappelle, par contraste, les exécutions
judiciaires sommaires qui ont atteint les partisans de son frère en
133 av. J.-C. : « Et pourtant, c’est chez nous un usage ancestral que,
lorsqu’un homme accusé d’un crime capital ne comparaît pas,
un trompette se rende à sa porte dès l’aube et l’appelle au son de son
instrument, les juges ne pouvant prononcer auparavant leur sentence.
Tant nos pères étaient prudents et circonspects dans les jugements »
(trad. R. Flacelière et E. Chambry). Ainsi à Rome, parmi d’autres charges
civiques, les musiciens, contribuaient à « solenniser la justice » [VINCENT
2016, p. 129-130].
7

Les triumvirs capitaux : incarcération,


e
coercition et… juridiction (?) (III av.-
e
III siècles ap. J.-C.)

a. Création de triumvirs capitaux pour


la garde du cachot et pour
l’accomplissement des exécutions
(Sex. Pomponius, Enchiridion ou « Petit
manuel », fr. 178 Lenel = Digeste,
1, 2, 2, 28-30 ; 130 env.)
Ensuite, après quelques années, comme cet unique préteur ne suffisait
plus en raison de la foule nombreuse d’étrangers (peregrini) qui venaient
dans la cité, un autre préteur fut créé qui fut appelé « préteur pérégrin »
parce qu’il disait le droit ordinairement entre les étrangers. À la même
époque furent institués les quattuoruiri qui veillaient à l’entretien
des routes, ainsi que les triumuiri monetales chargés de fondre le bronze,
l’argent et l’or, et les triumuiri capitales qui avaient la garde du cachot
(carceris custodia), de sorte que, lorsqu’il fallait procéder à une exécution
(animaduerteri), on fît appel à leur service.

b. La loi Papiria, postérieure à 242 av. J.-


C., et les triumvirs capitaux (Verrius
Flaccus, De la signification des mots,
fin de l’époque augustéenne ; d’après
l’abrégé de Festus, p. 468 Lindsay,
2e moitié du IIe siècle ap. J.-C.).
Le mot sacramentum désigne la somme (aes) qui est payée au nom de
l’amende (poena), ou bien par celui que l’on interroge (interrogare), ou bien
par celui avec lequel s’élève une contestation (contendere). Dans certaines
affaires, cette somme s’élève à cinquante as, dans d’autres affaires à cinq
cents as, entre ceux qui s’opposent dans une contestation à l’occasion d’un
jugement. Une telle disposition a été sanctionnée en ces termes par la loi
du tribun de la plèbe L. Papirius : « Quiconque, à l’avenir, sera fait préteur
qui dit le droit entre les citoyens doit proposer au peuple <l’élection> de
triumvirs capitaux (tres uiri capitales). Et ceux qui à l’avenir seront fait tres
uiri capitales, quels qu’ils soient, doivent recouvrer (exigere) et adjuger
(iudicare) les enjeux du serment (sacramenta) et qu’ils soient dotés du
même droit qu’il convient de l’être en vertu des lois et des plébiscites pour
recouvrir et adjuger et être (?) <…>. On a commencé à désigner cette
somme du nom de sacramentum, car elle était dépensée pour les choses
divines en raison du manque de réserves du Trésor public (aerarium) et du
grand nombre de cérémonies sacrées publiques (sacra publica) ».
c. Maintien de l’ordre et répression
des croyances déviantes en 213 av. J.-
C. (Tite-Live, 25, 1, 6-12 ; époque
augustéenne)
6. Tandis que la guerre traînait en longueur et que le sort des hommes
autant que leurs dispositions d’esprit variaient selon les succès et
les revers, une croyance impie (religio), d’une ampleur considérable et
venue en grande partie de l’étranger s’empara de la cité, de telle sorte que,
soudain, les hommes, aussi bien que les dieux, semblèrent être devenus
autres. 7. Les rites romains étaient déjà abolis, non seulement de manière
secrète et derrière les murs <des maisons>, mais également en public : sur
le forum et sur le Capitole, il y avait une foule de femmes dont
les sacrifices et les prières étaient adressés aux dieux non conformément à
la coutume de nos pères (mos patrius). 8. Des prêtres subalternes chargés
des sacrifices (sacrificuli) et des devins (uates) s’étaient emparés des esprits
des hommes. Leur nombre s’accrut encore par <l’afflux de> la plèbe rurale
que l’indigence et la crainte poussaient vers la Ville depuis ses champs
non cultivés et exposés à l’insécurité. L’erreur d’autrui était une proie
facile qui leur permettait d’exercer cette activité rémunératrice (quaestus),
comme s’il s’agissait de la pratique d’une profession (ars) autorisée
(concessa). 9. D’abord les gens de bien faisaient entendre secrètement leurs
mouvements d’indignation ; ensuite l’affaire parvint aussi aux sénateurs
et se transforma en plainte (querimonia) publique. 10. Les édiles et
les triumvirs capitaux (triumuiri capitales) furent accusés gravement par
le sénat parce qu’ils n’avaient rien empêché (prohibere), alors qu’ils avaient
entrepris de chasser (emouere) du forum cette multitude et de disperser
les préparatifs de cérémonies religieuses (sacra). Il s’en fallut de peu qu’on
ne leur fît violence (uiolari). 11. Lorsqu’il apparut que le mal était déjà trop
fort pour être apaisé par des magistrats inférieurs, le sénat remit l’affaire
au préteur <urbain> M. Aemilius pour qu’il libère le peuple de ces craintes
impies (religiones). 12. Celui-ci fit lecture du sénatus-consulte devant
une réunion du peuple (contio) et il rendit un édit selon lequel quiconque
avait en sa possession des livres de prophéties (libros uaticinatos),
des formules de prières (precationes), ou un traité sur la manière de
sacrifier (ars sacrificandi conscripta) devait lui remettre (deferre) avant
les calendes d’avril ces livres (libri) et ces écrits (litterae), et selon lequel
personne ne devait sacrifier dans un lieu public ou sacré, selon un rite qui
serait sans précédent (ritus nouus) ou venu de l’étranger (externus).

d. L’incarcération du dramaturge Naevius


en 205 av. J.-C., pour propos outrageux
prononcés contre les premiers de la cité
(Aulu-Gelle, 3, 3, 15 ; publication
posthume en 180 ou après cette date)
De la même façon, nous avons appris aussi au sujet de Naevius qu’il
avait écrit deux pièces dans le cachot, Le Devin et Leonte, alors qu’il avait
été jeté dans les fers (uincula) à Rome par les triumvirs en raison de
la médisance (maledicentia) continuelle et des injures (probra) qu’il
proférait à l’encontre des premiers de la cité selon la coutume des poètes
grecs. Il en a été délivré (eximere) ensuite par les tribuns de la plèbe
lorsque, dans les pièces que j’ai mentionnées ci-dessus, il eut effacé ses
fautes (delicta) et les attaques (petulantiae) des passages par lesquels il avait
offensé (laedere) de nombreuses personnes.
e. Le préteur, les triumvirs capitaux
et les dénonciations des quadruplateurs
(du théâtre de Plaute aux scholies
cicéroniennes)

E1. BIENS D’AUTRUIS, INTÉRÊT DE L’ÉTAT, ET PROFIT PERSONNEL (PLAUTE,


PERSA, 62-76)
Je ne veux pas m’adonner au trafic du quadruple (quadrupulari). Il n’est
pas convenable en effet d’aller sans péril pour moi-même arracher
les biens d’autrui, et ceux qui le font ne me plaisent pas. Est-ce que je
parle clairement ? Car quiconque fait cela dans l’intérêt de l’État (publicae
rei causa) plutôt que pour son profit (quaestus), je peux me résoudre à
le considérer comme un citoyen loyal et bon. Mais si quelqu’un condamne
un briseur de lois (legirupa), qu’il remette aux pouvoirs publics la moitié de
son bénéfice. Et que l’on inscrive en outre dans cette loi la disposition
suivante : « Lorsque qu’un quadruplator a appliqué la main (manum iniicere)
sur quelqu’un, que pour le même prix celui-ci en retour applique la main à
celui-là, de sorte qu’ils se présentent à égalité aux triumvirs (ad trisuiros
prodere). Si on procédait ainsi, je réponds que n’apparaîtraient plus nulle
part ces individus qui attaquent ici les biens des autres en usant de
l’album du préteur comme on a recours à des rets.

E2. DÉNONCIATION D’UN CUISINIER AU COUTEAU (PLAUTE, AULULARIA,


3, 2, 414-423)
Euclion. – Reviens. Où t’enfuis-tu ? Arrêtez-le, arrêtez-le !
Congrion. – Pourquoi, imbécile, cries-tu ainsi ?
Euclion. – Parce que je vais à l’instant porter ton nom (deferre nomen)
aux triumvirs.
Congrion. – En raison de quelle affaire ?
Euclion. – Parce que tu as un couteau (culter).
Congrion. – Comme il convient à un cuisinier.
Euclion. – Pourquoi m’as-tu menacé (comminari) ?
Congrion. – Il y a une chose, je pense, que j’ai mal faite, c’est de ne pas
t’avoir percé le flanc.
Euclion. – Aucun homme qui vit aujourd’hui n’est plus criminel
(scelestus) que toi, aucun non plus que j’aurais de bon cœur pris soin de
maltraiter avec une plus grande application.
Congrion. – Par Pollux, quand bien même tu le tairais, c’est un fait qui
éclate au grand jour ; la chose en témoigne d’elle-même. Tes coups de
bâton (fustes) m’ont rendu plus amolli que n’importe quel mignon.
Mais comment oses-tu nous toucher, espèce de mendiant ?

E3.SUPPOSITION D’ENFANTS ET MAINMISE AU QUADRUPLE (PLAUTE,


TRUCULENTUS, 759-762)
Dianiarque (s’adressant à Phronésie) : par Hercule, je vais te jouer
des tours par un cri (clamor) dans la rue, toi la charmeuse qui as reçu
contre la loi de l’argent de plusieurs. Par Hercule, pour commencer j’aurai
pris soin que ton nom soit porté devant tous les nouveaux magistrats.
Après cela je t’imposerai une mainmise (manum iniicere) au quadruple, toi
l’empoisonneuse (uenefica), toi qui substitues les enfants (suppostrix
puerum).
E4. L’ACTION AU QUADRUPLE ET LES QUADRUPLATEURS (VERRIUS FLACCUS,
DE LA SIGNIFICATION DES MOTS, FIN DE L’ÉPOQUE AUGUSTÉENNE ; D’APRÈS
e e
L’ABRÉGÉ DE FESTUS, P. 309 LINDSAY, 2 MOITIÉ DU II SIÈCLE AP. J.-C. ;
e
LUI-MÊME CONSERVÉ PAR PAUL DIACRE, VIII SIÈCLE)

On appelait quadruplateurs (quadruplatores), ceux qui défendaient


leurs intérêts par cette activité lucrative (quaestus) consistant à poursuivre
(persequi) ces affaires dans lesquelles, en vertu des lois, l’action était du
quadruple (quadrupli actio).

E5. LE QUADRUPLE DU MONTANT EN CAUSE, PLUTÔT QUE LE QUART


DES BIENS DE CELUI QUI EST MIS EN CAUSE (PSEUDO-ASCONIUS, DANS
LA DIUINATIO CONTRE Q. CAECILIUS, 7, 24, P. 194 STANGL)

Les quadruplateurs étaient les délateurs de crimes publics : par cette


activité ils touchaient le quart des biens des proscrits qu’ils avaient
dénoncés. D’autres disent que les quadruplateurs sont les accusateurs de
ces prévenus que l’on avait l’habitude de condamner au quadruple <des
sommes reçues>, lorsqu’ils étaient convaincus, soit d’avoir joué, soit
d’avoir prêté de l’argent à un taux d’usure plus élevé que ne le permet
la coutume des ancêtres, soit <d’avoir commis> d’autres crimes de ce
genre.

f. Le poste des triumvirs : la Columnia


Maenia

F1. CICÉRON, DISCOURS CONTRE Q. CAECILIUS, DIT DIUINATIO,


50 (70 AV. J.-C.)
Trouvez-vous que je sois dans une telle pénurie d’amis qu’il me faille
ajouter un accusateur en second (subscriptor), <en le recherchant> non
parmi ceux que j’ai amenés avec moi mais dans le peuple (populus). Quant
à vous, votre pénurie de prévenus (reus) est telle que vous entreprenez de
m’enlever une cause, plutôt que de vous procurer auprès de la colonne
Maenia quelques prévenus de votre rang.

F2. PSEUDO-ASCONIUS, DANS LA DIUINATIO CONTRE Q. CAECILIUS,


50, P. 201 STANGL
« Procurer des prévenus de votre rang » signifie : tout à fait dignes de
votre niveau de défense (defensio), qu’il s’agisse de voleurs (fures) ou
d’esclaves (serui) sans aucune valeur, que l’on punissait (puniri) d’ordinaire
devant les triumvirs capitaux (triumuiri capitales) auprès de la colonne
Maenia.

g. Meurtre dans les carrières de sable


de la porte Esquiline (Cicéron, Pour
Cluentius, 37-39 ; 66 av. J.-C.)
37. (…) Quant à Asuvius, peu de temps après, on le conduit, sous
prétexte de se rendre dans un petit parc, dans les carrières de sable situées
au-delà de la porte Esquiline (Esquilina Porta) et on le tue. 38. Un jour
passe, puis deux, comme on ne le voyait pas venir, et que l’on ne
le trouvait pas dans les lieux où il avait ses habitudes et où il était
recherché, comme Oppianicus répétait sur le forum des Larinates que lui-
même et ses amis avaient récemment contrescellé son testament,
les affranchis d’Avilius et plusieurs de ses amis, parce qu’il était bien établi
que le jour où Asuvius avait été vu pour la dernière fois Avilius se trouvait
avec lui et avait été vu par de nombreuses personnes, se jettent sur lui et
le mettent aux pieds (in pedes constituere) de Quintus Manilius qui était
alors triumvir. Et aussitôt, sans être confronté à aucun témoin (testis) ni à
aucun dénonciateur (index), glacé d’épouvante par la conscience coupable
(conscientia) d’un crime (maleficium) récemment commis, il expose tous
les faits tels que je les ai rapportés un peu plus haut et il avoue (fateri)
qu’Asuvius a été tué par lui à l’instigation (consilium) d’Oppianicus.
39. Oppianicus est tiré hors de la maison (extrahere) où il se cachait
(latitans) par Manilius. D’un autre côté il est maintenu (tenere)
publiquement en tant que dénonciateur (index). Mais à ce point de l’affaire
vous interrogez-vous encore sur la suite ? Beaucoup d’entre vous ont
connu Manilius. Depuis l’enfance cet individu n’avait jamais eu d’attention
pour l’honneur, ni pour l’attachement à la vertu, ni pour le fruit d’une
bonne considération, mais à la faveur des discordes civiles, de bouffon
effronté et malhonnête qu’il était, il était parvenu par les suffrages du
peuple jusqu’à cette colonne <Maenia> vers laquelle il avait été conduit
(perducere) souvent par les cris injurieux (conuicia) de nombreuses
personnes. C’est pourquoi il conclut l’affaire (transigere) avec Oppianicus, il
en reçoit de l’argent, il abandonne (relinquere) une cause déjà engagée et
tellement flagrante (manifesta). Et alors que dans la cause d’Oppianicus
le crime (crimen) perpétré contre Asuvius était prouvé (comprobare) par de
nombreux témoins et même par la dénonciation (indicium) d’Avilius ; alors
qu’il était reconnu que parmi les personnes missionnées (adlegati) le nom
d’Oppianicus figurait en premier, c’est bien le même homme dont vous
dites sans cesse qu’il s’agit bien d’un malheureux, d’un innocent (innocens)
qui est tombé dans les rets d’une poursuite sans fondement (falsum
iudicium).
h. L’exécution des Catiliniens dans
le Tullianum en décembre 63 av. J.-
C. (Salluste, La conjuration de Catilina,
55 ; 42 av. J.-C. env.)
Après que le sénat se fut rangé, comme je l’ai dit, à l’avis de Caton,
le consul, ayant pensé qu’il était préférable de devancer la nuit qui était
sur le point de tomber, afin d’éviter que ce délai ne soit mis à profit par
quelque nouvelle initiative révolutionnaire, ordonne aux triumvirs de
préparer ce qui était requis pour le supplice. Lui-même, après avoir
disposé des postes militaires (praesidia), conduit Lentulus au cachot. Il y a
dans le cachot un lieu que l’on appelle le Tullianum, un peu sur la gauche
en montant, qui s’enfonce à environ douze pieds sous terre. Il est entouré
entièrement de murs et surmonté d’une voûte formée par un assemblage
de cintres de pierres. Son aspect est hideux et terrifiant en raison de
la saleté, des ténèbres, et de l’odeur. Après que Lentulus eut été descendu
dans ce lieu, les vengeurs des affaires capitales (uindices rerum capitalium)
auxquels l’instruction (praeceptum) avait été donnée, lui brisèrent le cou
avec un lacet (laqueus)… Cethegus, Statilius, Gabinius, Caeparius subirent
le supplice de la même façon.

i. Le préteur, les triumvirs, et la mise


à mort au cachot de femmes de basse
condition (cf. R19i)
j. Répression des atteintes à la morale
publique (Valère Maxime,
6, 1, 10 ; peu après 31 ap. J.-C.)
Ceius Pescennius, alors qu’il était triumuir capitalis, infligea les fers
publics (publica uincula) à C. Cornelius, parce qu’il avait entretenu avec
un adolescent de naissance libre (ingenuus adulescens) une relation
provocant une souillure (commercium stupri), alors qu’il avait accompli son
service militaire avec une très grande bravoure, et qui avait reçu
des généraux (imperatores) à quatre reprises au nom de son courage le rang
de primipile. Le prévenu lança un appel (appellare) aux tribuns de la plèbe
et alors qu’il disait qu’il ne s’agissait en rien d’une souillure (stuprum) et
qu’il se disait prêt à en faire la promesse solennelle (sponsio), ajoutant que
cet adolescent faisait aux yeux de tous et ouvertement commerce
(quaestus) de son corps, ils refusèrent d’interposer leur veto (intercessio).
C’est ainsi que C. Cornelius fut forcé de mourir dans le cachot. En effet
les tribuns ont pensé qu’il ne convenait pas que notre État s’accommode
d’un arrangement avec des hommes braves, de telle sorte qu’ils rachètent
les voluptés (deliciae) domestiques par les dangers qu’ils couraient à
l’extérieur.

k. Rondes de nuit et surveillance


des incendies par les triumvirs
« nocturnes »

K1. CONDAMNATION D’UN TRIUMVIR NÉGLIGENT (VALÈRE MAXIME,


8, 1, DAM. 5-6 ; PEU APRÈS 31 AP. J.-C.)
5. Les triumvirs M. Mulvius, Cn. Lollius, L. Sextilius, sous prétexte
qu’ils étaient intervenus trop lentement pour éteindre un incendie qui
s’était déclaré sur la Voie Sacrée, furent condamnés à l’initiative
des tribuns de la plèbe après avoir été appelés à comparaître (die dicta)
devant le peuple (apud populum). 6. De même, le triumvir nocturne
(triumuir nocturnus) P. Villius, après avoir été accusé par le tribun de
la plèbe P. Aquilius, fut abattu par un jugement du peuple (populi iudicium),
parce qu’il avait accompli avec trop de négligence les rondes de nuit
(uigiliae).

K2. LES TRIUMVIRS NOCTURNES, ANCÊTRES DES VIGILES (PAUL,


DE LA FONCTION DU PRÉFET DES VIGILES, FR. 1054 LENEL = DIGESTE,
1, 15, 1 ; ÉPOQUE DE CARACALLA)
À l’époque de nos ancêtres, la lutte contre la propagation
des incendies était commandée par des triumvirs qui furent appelés
nocturnes (triumuiri nocturni) en raison des gardes (excubiae) qu’ils
accomplissaient. Parfois les édiles et les tribuns de la plèbe intervenaient
également. Il y avait également la famille servile au service de l’État
(familia publica) disposée à l’entrée et le long de l’enceinte de la Ville, à
laquelle on faisait appel si le besoin s’en faisait sentir. Il y avait eu
également des familles serviles privées qui éteignaient les incendies, soit
contre rémunération, soit à titre gratuit. Par la suite le divin Auguste
préféra veiller lui-même à cette tâche.

l. Triumvirs et autodafés sous Domitien


(81-96) (Tacite, Vie d’Agricola,
2, 1 ; 98 ap. J.-C. env.)
Nous avons lu que ce fut une faute capitale (capitale) pour Arulenus
Rusticus et Herennius Senecio d’avoir loué respectivement Paetus Thrasea
et Priscus Helvidius et que la cruauté s’est abattue non seulement sur
les auteurs eux-mêmes, mais également sur leurs livres (libri), lorsque
la mission fut confiée aux triumvirs de brûler sur le forum et dans
le Comitium les écrits (monumenta) des talents les plus brillants.

*
* *

De la coercition à la juridiction : la compétence


des triumvirs
Le rôle des triumvirs capitaux revêt une place particulière dans
l’histoire de la procédure criminelle romaine, au moins depuis le milieu du
e
III siècle av. J.-C. (R7a-R7b). En premier lieu, la vocation de ces trois

magistrats dans le domaine du maintien de l’ordre soulève la question de


savoir comment, à eux seuls, ils pouvaient veiller à la sécurité d’une ville
soumise à une forte pression migratoire et à un accroissement
démographique, au moins à partir de la seconde guerre punique (218-
201 av. J.-C.) et jusqu’à l’époque augustéenne où la population de l’Vrbs
s’élevait sans doute à plus de 800 000 habitants. De quels effectifs
d’appariteurs ou d’esclaves publics disposaient-ils [DAVID 2019] ? Lorsque
les auteurs anciens écrivent que les triumvirs veillaient à la sécurité
des rues de la capitale dans le domaine de la délinquance (R7c ; R7g) ou de
la lutte contre les incendies (R7k), et qu’ils pouvaient être sanctionnés
pour toute négligence dans ce domaine, comment peut-on se représenter
concrètement l’exercice de ce contrôle et les moyens qu’ils avaient à leur
disposition ? Un épisode de l’année 198 av. J.-C., au cours duquel
les prisonniers carthaginois qui se trouvaient dans la Ville de Rome
apparurent comme une menace, montre que ces magistrats étaient
intégrés à un dispositif plus général impliquant des troupes et d’autres
magistrats inférieurs – à l’instar de ce qui se produisit lors de l’épisode
des bacchanales douze ans plus tard (R8). Cependant leur vocation
première (comme l’indique la désignation spécifique qui leur est ici
attribuée) demeurait la surveillance des lieux de détention, notamment
des carrières adjaçentes au cachot lui-même, les Lautumiae (Commentaire
à R18) :

C’est ainsi qu’à Rome des postes de garde (uigiliae) furent établis à
travers les quartiers, que les magistrats inférieurs (minores
magistratus) reçurent l’ordre de les inspecter et que les triumvirs
du cachot (triumuiri carceris) reçurent l’ordre d’exercer une garde
(custodia) particulièrement attentive sur les Latomies (Lautumiae).
(Tite-Live, 32, 26, 17)

Peut-on dire que les triumvirs romains ont exercé un rôle de « police
de la capitale » ? Dans le sillage des réflexions des Lumières sur le bon
gouvernement de la cité et à l’époque de la révolution industrielle où, en
Europe, se développait précisément le contrôle de l’État sur la société,
e
les historiens du XIX siècle se sont empressés de reconnaître dans
les triumvirs capitaux « le service de police » de la Rome antique.
Pourtant, sans céder à une lecture « primitiviste » du développement
des pouvoirs publics à la fin de l’époque républicaine, des travaux plus
récents ont souligné à juste titre l’écart qui sépare la cité antique
des sociétés modernes. L’existence de ces trois magistrats chargés de
la surveillance de Rome ne peut évidemment pas être comparée à
la recherche d’encadrement et à l’effort de contrôle d’une police [NIPPEL
1984 ; NIPPEL 1995].

Les tresuiri capitales ont par ailleurs soulevé un autre débat dans
la doctrine moderne : ces magistrats de rang inférieur disposaient-ils
d’une capacité juridictionnelle ? La documentation est rare et ne permet
de rassembler que des indices pour tenter de répondre à la question. Sans
trancher ici ce débat, il faut en exposer les termes, car le questionnement
qu’il soulève invite à un effort de représentation de l’exercice quotidien de
la justice criminelle romaine.
Si, à l’époque républicaine, les crimes d’État (trahison, mauvaise
administration, fautes dans le commandement militaire) étaient
poursuivis devant l’une des assemblées du peuple, par les tribuns (R5) ou,
le cas échéant, par les questeurs (R6), comme nos sources l’attestent à de
nombreuses reprises, peut-on imaginer un instant que la poursuite de
tous les crimes de droit commun ait nécessité le déclenchement de
l’énorme machine comitiale (l’ensemble du peuple réuni sur le Champ de
Mars, le Campus Martius, à quatre reprises, durant un mois !),
antérieurement à la création des tribunaux de jurés (quaestiones) ? Tel était
autrefois le point de vue de Theodor Mommsen selon lequel
la compétence du peuple en matière criminelle à l’issue d’un appel aurait
été universelle, c’est-à-dire qu’elle se serait appliquée à tous les criminels,
toutes catégories sociales confondues et quel que fût le délit commis.
Une telle interprétation – elle obéit exclusivement à un raisonnement
doctrinal, normatif et idéologique –, est commandée par l’évolution
décrite par les auteurs anciens qui relatent l’acquisition progressive par
les citoyens du droit de comparaître devant le peuple pour toute cause
capitale (la Lex Valeria de 300 av. J.-C. en constitue une étape essentielle) et
de ne plus être exposés simplement à la coercition du magistrat (R3). Dès
lors, au nom de quel principe dérogatoire ou discriminatoire, certains
détenteurs de la citoyenneté romaine de basse extraction auraient-ils pu
être exclus des droits garantis par leur statut ? Tel est, dans toute sa
rigueur, le fondement d’une approche juridique soucieuse de décrire de
manière systématique les institutions de la cité antique et le principe
« politique » sur lequel elles reposent.
Et pourtant une objection à caractère pragmatique peut aussitôt être
invoquée : antérieurement à l’apparition des tribunaux constitués de jurés
(quaestiones), au milieu du IIe siècle av. J.-C., la lourde machine des comices
centuriates – c’est-à-dire l’ensemble du corps civique – aurait-elle été
mise en branle à chaque fois qu’un crime devait être poursuivi et si seuls
les pouvoirs devaient en assurer la charge ? Les délinquants de toute
extraction auraient-ils été soumis à un jugement devant le peuple dans
un système politique et institutionnel fondé sur une organisation
censitaire et alors même que les plus pauvres étaient exclus du vote et du
service militaire ? Ces considérations pragmatiques et sociologiques ont
suscité le doute et ont conduit à supposer que durant des siècles les crimes
de droit commun avaient été réprimés, dans le sillage de l’ancien système
de la vengeance, selon les règles d’une poursuite criminelle privée
permettant à la partie lésée de déposer une plainte contre celui qui avait
commis l’offense [KUNKEL-WITTMANN 1995, p. 534-536] (Commentaire à R6).
Parallèlement pourtant, les pouvoirs publics ne seraient pas restés inactifs
et cantonnés dans l’attente de la seule initiative des personnes privées.
Une compétence large aurait alors été attribuée aux triumuiri capitales. Ces
derniers auraient exercé non seulement une action coercitive, mais
également une véritable juridiction, sur les esclaves, mais aussi, à
l’intérieur du corps civique, sur les membres des couches sociales les plus
basses.

La création des triumvirs capitaux

À quelle date les triumvirs capitaux ont-ils été créés ? Si on s’en tient
aux Abrégés (ou Periochae) de l’oeuvre de Tite-Live – la deuxième décade de
l’Ab urbe condita est en effet perdue et seuls subsistent sous forme
sténographique les titres du récit –, ce nouveau collège de magistrats
subalternes aurait été créé dès l’année 290 av. J.-C. (Tite-Live, Abrégés, 11 :
« des triumvirs capitaux ont alors été créés pour la première fois »), afin
d’aider le préteur dans ses tâches, plutôt qu’en 242 av. J.-C., comme
pourrait le laisser entendre la coïncidence suggérée par Pomponius (R7a)
entre la création des tresuiri capitales et celle du préteur pérégrin [CASCIONE
1999, p. 1-83]. Une solution réconciliant ces deux dates pourrait pourtant
provenir de l’indication fournie par Festus (R7b), selon lequel la lex Papiria
– ce plébiscite est forcément postérieur à l’année 242 av. J.-C., puisqu’il
suppose précisément l’élection d’un préteur pérégrin introduite cette
année-là – aurait rendu éligibles par le peuple les triumvirs qui étaient
autrefois nommés par le préteur. Au plus tard en 122 av. J.-C. (lex
repetundarum), les triumvirs comptent déjà parmi les magistrats élus.
Toutefois, l’interprétation de la brève citation de Festus est si délicate que
l’on pourrait se demander si telle est l’innovation principale contenue
dans ce plébiscite : il pourrait très bien avoir introduit plutôt
l’intervention des triumvirs dans la procédure civile « par serment » (per
sacramentum) [cf. CLOUD dans CRAWFORD 1996, II, p. 733-735] ! En bref, c’est au
moins dans les premières années du IIIe siècle av. J.-C., alors que s’achevait
la conquête de l’Italie, alors qu’allait être engagé le premier conflit contre
Carthage (264-241 av. J.-C.), que les Romains ont créé parmi les magistrats
inférieurs éligibles, des responsables de la sécurité urbaine.
La fonction de triumvir appartenait au tout premier échelon du
« parcours des honneurs » (cursus honorum), cette fameuse hiérarchie
des charges liée à l’exercice des magistratures et qui constituait à Rome
l’indicateur essentiel du rang dans le cercle très restreint des élites de
la cité. Ce premier échelon était constitué de vingt-six charges (le
uigintisexuirat) réservées à de jeunes sénateurs débutant dans leur
carrière. Outre les tresuiri capitales eux-mêmes, ce premier échelon
comprenait également les triumvirs responsables du contrôle des frappes
monétaires (triumuiri monetales), un collège de dix juges chargés des litiges
mineurs (decemuiri stilitibus iudicandi), un collège de quatre magistrats
veillant à l’entretien des rues (quattuoruiri uiis in urbe purgandis) – ils
exerçaient également un rôle de surveillance de la ville dans
des circonstances exceptionnelles telles que la conjuration
des bacchanales (R8) –, deux magistrats auxquels incombait l’entretien
des routes autour de Rome (duouiri uiis extra urbem purgandis), quatre
préfets responsables de la justice en Campanie (praefecti Capuam Cumas).

Triumvirs capitaux et triumvirs nocturnes : sont-ils


les mêmes ?

Les tresuiri capitales doivent-ils être confondus avec cet autre collège de
trois magistrats appelés dans quelques textes tresuiri nocturni ? C’est ce qui
est généralement admis en raison des nombreuses analogies entre
les deux fonctions, quoique la vocation des veilleurs nocturnes ait été
principalement de maîtriser les incendies. Mais précisément,
la surveillance de nuit exercée par les triumvirs capitaux durant
la conjuration des bacchanales, en 186 av. J.-C. (R8), recoupe l’indication
du rôle assigné aux triumvirs nocturnes, selon le juriste Paul (R7k2),
même si on pourrait penser que dans l’urgence de l’année 186 av. J.-C.,
tous les magistrats ont été réquisitionnés pour accomplir des tâches
spécifiques, quelle que soit leur vocation « régulière » [KUNKEL 1995, p. 533,
n. 3].
Toujours est-il que la lutte contre l’incendie était une affaire cruciale
dans la Rome antique, et toute négligence des magitrats préoposés à cette
vigilance était sévèrement punie, comme ce fut le cas notamment lors du
grand incendie de 241 av. J.-C., à l’issue duquel des triumvirs durent
comparaître devant le peuple (R7k1). Ils ont alors été soumis aux règles de
la procédure tribunicienne dont les rouages à l’époque médio-
républicaine sont bien documentés par ailleurs (R5). La lutte contre le feu
était naturellement liée à la question du maintien de l’ordre pour deux
raisons : le départ de feu pouvait être d’origine criminelle et la législation
contre les incendiaires, en milieu rural ou urbain, s’était très tôt
développée (R30) ; par ailleurs, la terreur causée par l’incendie était
un facteur d’émotion populaire, de conduite de panique, ou de trouble
violent – ce que le juriste Ulpien (Digeste, 47, 9, 1, 2) appelle « le tumulte
causé par l’incendie » (tumultus incendii) – et d’émeutes, lesquelles étaient
à leur tour parfois à l’origine de la destruction entière de quartiers par
le feu [RIVIÈRE 2004a]. C’est pourquoi certains membres des classes
dirigeantes ont tenté de tirer prestige des moyens qu’ils mettaient, à titre
privé, à la disposition des habitants de Rome pour lutter contre le feu.
La création des vigiles par Auguste en 6 av. J.-C. a répondu à cette double
préoccupation, peu de temps après la « conjuration » d’Egnatius Rufus
[SABLAYROLLES 1996, p. 24-37].
Les triumvirs stationnaient généralement sur le forum à proximité de
la « colonne de Maenius » (Columnia maenia) (R7f), c’est-à-dire non loin de
la Tabula Valeria où se tenaient également les tribuns, dans le voisinage
immédiat du Comitium où se réunissait le peuple, ainsi qu’à proximité du
cachot [DAVID 1984, p. 132]. Ce lieu de détention était placé sous leur
surveillance (R7a ; R7d) et c’est à cet endroit, comme l’illustre l’épisode
célèbre des Catiliniens (R7h), qu’ils veillaient aux mises à mort – leur nom
viendrait alors de cette vocation première d’exécuter la peine capitale –,
soit en procédant eux-mêmes à l’exécution, soit en supervisant son
accomplissement par un bourreau [MOMMSEN 1907, III, p. 267-269 ; KUNKEL
1995, p. 533, n. 5]. La forme du supplice la plus courante accomplie dans ce
lieu clos était la strangulation, régulièrement pratiquée au moins encore à
l’époque julio-claudienne, jusqu’à ce que sous les Sévères l’emploi du lacet
(laqueus) soit interdit, à l’instar d’autres formes de mise à mort d’origine
ancienne – telle la précipitation de la roche Tarpéienne (R34) –, au
bénéfice de la seule exécution par l’épée (Ulpien, Digeste, 48, 19, 8, 1). On
rencontre encore ce supplice chez l’auteur de l’Histoire Auguste (Les trente
e
tyrans, 22, 8), à la fin du IV siècle, au sujet du sort peu crédible d’un
usurpateur au siècle précédent : « il fut étranglé dans la prison selon
la coutume qui s’appliquait autrefois aux prisonniers de guerre (captiui) ».
Mais on sait que dans l’Histoire Auguste, l’application du droit pénal fait
l’objet d’une approche souvent sensationnelle et peu fiable [LIEBS 2007].

Les triumvirs détenteurs d’une juridiction criminelle ?

Reste la question très discutée de savoir si les tresuiri capitales, en


dehors de leur pouvoir de contrainte, de surveillance et d’exécution, ont
été dotés d’une « Strafjustiz », d’une compétence pénale, qui leur
permettait également d’instruire et de trancher des poursuites en
présence des parties. On a vu plus haut les raisons qui ont conduit
W. Kunkel à supposer l’existence d’une procédure criminelle privée qui
aurait subsisté durant l’époque républicaine, à côté de la justice exercée
par le peuple, pour la répression des crimes de droit commun. Pour étayer
ce principe de bon sens, les sources manquent pourtant. Il faudrait
admettre, insiste W. Kunkel, que le fragment de Festus relatif au
versement de « dépôts sacrés » (sacramenta) (R7b) se soit appliqué au
domaine criminel, chacune des deux parties déposant une somme qui
serait définitivement prélevée au détriment du perdant à l’issue de
la procédure. La compétence civile des tresuiri n’est pas attestée ailleurs,
selon le même auteur [contra MOMMSEN 1984, IV, p. 306] et dans la mesure
où il ne pourrait être ici question de la seconde phase du procès (in
iudicio), consécutive à l’acceptation de la cause par le préteur lors d’une
première phase (in iure). Selon cette interprétation, le verbe exigere ne
signifierait pas le fait de « recouvrer » la somme perdue par l’une
des parties, mais son « prélèvement » par les tresuiri capitales
antérieurement au jugement ; le verbe « juger » (iudicare), quant à lui,
désignerait nécessairement le prononcé d’une sentence incombant aux
tresuiri. C’est donc une tout autre interprétation qui a généralement été
suivie, celle qui considère que le texte de Festus s’applique à la procédure
civile de « l’action de la loi par dépôt sacré » (legis actio per sacramentum).
Ces « actions de la loi » désignaient la procédure civile ancienne. Elles
avaient précédé la procédure formulaire essentiellement fondée sur
l’écrit. Notre texte s’appliquerait donc à deux opérations accomplies par
les tresuiri capitales à l’issue d’un jugement conduit par le préteur : il leur
revenait de « recouvrer » les dépôts et de les « adjuger ». Selon cette
interprétation, les tresuiri capitales n’auraient donc pas été, à proprement
parler, compétents en matière civile.

Les tresuiri et les quadruplatores : un dossier technique


et énigmatique

Pour compliquer la connaissance de cette question procédurale


s’ajoute la mention dans le théâtre de Plaute (au commencement du
e
II s. av. J.-C.) de personnages mal identifiés, les « quadruplateurs »

(quadruplatores), qui déposeraient des plaintes auprès des tresuiri capitales


pour la poursuite de délits qui relèvent bien de la sphère qui incombera
plus tard à une poursuite publique mais qui, à cette époque ancienne,
étaient encore poursuivis selon des formes privées. L’avortement ou
la supposition de part en constitueraient deux exemples. La difficulté tient
au fait que le terme quadruplator est le plus souvent employé dans
la littérature latine, de Plaute à Apulée, péjorativement pour désigner « un
délateur » poussé par le lucre. Il aurait été choisi par Plaute pour traduire
le mot grec « sycophante », que ce dramaturge trouvait dans le répertoire
comique athénien dont il s’inspirait. Selon cette interprétation, il n’y
aurait donc rien à tirer pour éclairer le droit romain des pièces de Plaute,
entièrement inspirées par le droit athénien [CLOUD 1992]. Toutefois, il est
difficile d’écarter l’acception technique de ce terme que l’on trouve chez
Festus (R7e4). En dépit des nombreuses incertitudes qui subsistent, on
pourrait alors penser que les quadruplatores agissaient pour la répression
d’un certain nombre de délits et que leur sollicitation par les pouvoirs
publics serait à l’origine de l’action populaire rémunérée [RIVIÈRE 1997].
C’est pourquoi le scholiaste tardif de Cicéron, le Pseudo-Asconius
(R7e5), aurait hésité entre deux sens, en proposant d’une part
une assimilation des quadruplatores aux délateurs de l’Empire, puisque ces
derniers s’enrichissaient en recevant souvent « le quart » des biens de
l’accusé – mais une telle évolution lexicale est impossible d’un point de
vue morphologique –, et en évoquant d’autre part l’acception technique
originelle.
8

Les enquêtes (quaestiones) des consuls


(et des préteurs) : la répression
des bacchanales (186 av. J.-C.)

a. L’inscription de Tiriolo (CIL, I2, 581 ;


186 av. J.-C.)
Les consuls Quintus Marcius, le fils de Lucius, et Spurius Postumius,
ont consulté le sénat aux nones d’octobre, au temple de Bellone. Pour
la rédaction du texte ont été présents Marcus Claudius, fils de Marcus,
Lucius Valerius, fils de Publius, et Quintus Minucius, fils de Gaius. Au sujet
des bacchanales, envers ceux qui sont liés par un traité (foederati), il a été
décrété (censere) de déclarer par édit (edicere) les dispositions suivantes :
Qu’aucun d’entre eux ne prétende avoir un bacchanal. S’il s’en trouve
qui disent qu’il leur est indispensable d’avoir un bacchanal, qu’ils viennent
à Rome <et se présentent> devant le préteur urbain et, lorsque leurs
paroles auront été entendues, que notre sénat tranche (decernere) au sujet
de telles affaires, à condition toutefois qu’il n’y ait pas moins de cent
sénateurs présents lorsque cette affaire sera mise en délibération
(consulere). Qu’aucun homme, qu’il s’agisse d’un citoyen romain (ciuis
romanus), ou <d’un ressortissant> des peuples portant le nom latin (nomen
latinum) ou des alliés (socii), ne prétende être initié aux bacchant(e)s
(bacchae), à moins qu’il ne se soit présenté au préteur urbain et que ce
dernier, d’après l’avis du sénat, à condition toutefois qu’il n’y ait pas moins
de cent sénateurs présents lorsque cette affaire sera mise en délibération,
ne l’ait ordonné.
Les sénateurs ont décrété :
Qu’aucun homme ne soit prêtre (sacerdos) ; qu’aucun homme, ni
qu’aucune femme ne soit maître (magister). Qu’aucun d’entre eux ne
prétende avoir <la responsabilité de> l’argent mis en commun (pecunia
communis). Qu’aucun ne prétende exercer une magistrature ou
une promagistrature, qu’il soit homme ou femme. Qu’aucun dorénavant
ne prétende prêter serment ensemble (coniurare), faire les mêmes vœux
(conuouere), ni s’engager mutuellement (conspondere), ni s’en remettre
mutuellement à l’arbitrage d’un tiers (compromittere), qu’aucun n’engage
une parole donnée (fidem dare), l’un envers l’autre ; qu’aucun ne prétende
accomplir dans l’ombre (in occulto) des rites sacrés (sacra), qu’aucun ne
prétende accomplir des rites sacrés, ni en public, ni en privé, ni en dehors
de la ville, à moins qu’il ne se soit rendu auprès du préteur urbain, lequel,
d’après l’avis du sénat, à condition toutefois qu’il n’y ait pas moins de cent
sénateurs présents lorsque cette affaire sera mise en délibération, ne l’ait
ordonné.
Les sénateurs ont décrété :
Qu’aucun n’accomplisse de sacrifices en se réunissant à plus de cinq
individus en tout, hommes ou femmes, et qu’ils ne prétendent pas s’y
rendre à raison de plus de deux hommes ou de plus de trois femmes, à
moins que le préteur urbain et le sénat n’aient donné leur avis, comme
cela a été écrit plus haut. Ces dispositions, proclamez-les par édit devant
le peuple réuni (contio) sous un délai de trois marchés (nundinae), afin que
vous soyez instruits de l’avis du sénat, l’avis de ceux-ci <les sénateurs>
étant le suivant : « S’il se trouve des personnes qui agissent contrairement
aux <dispositions> rédigées ci-dessus, <les sénateurs> ont décrété qu’une
action capitale (res capitalis) leur sera intentée. Le sénat a décrété
également qu’il était juste que vous graviez ce <texte> sur une plaque de
bronze et que vous ordonniez qu’elle soit fixée à l’endroit où chacun
pourra le plus aisément en prendre connaissance. Quant aux bacchanales
(bacchanalia) s’il s’en déroule en dehors de ce qui est réservé au sacré
(comme cela a été précisé plus haut par écrit), faites en sorte, sous les dix
jours où ces tables vous auront été remises, qu’ils soient écartés
(dimouere).
Sur le territoire teuranien (ager Teuranus).

b. La renommée des femmes et la sévérité


des ancêtres (Cicéron, Des lois,
2, 15, 37 ; après 52 av. J.-C.)
J’en reviens donc à nos propres dispositions. Assurément il nous faut
veiller avec la plus grande diligence à ce qu’une lumière éclatante
préserve sous les yeux du plus grand nombre la renommée des femmes, et
qu’elles soient initiées à Cérès conformément au rite par lequel elles sont
traditionnellement initiées à Rome. Or dans ce domaine l’ancienne
autorité manifestée par le sénat au sujet des bacchanales exprime
clairement la sévérité de nos ancêtres, autant que l’enquête (quaestio) et
le châtiment (animaduersio) accomplis par l’armée qui avait été mise à
la disposition des consuls.
c. Récit circonstancié de la conjuration
(Tite-Live, 39, 8, 1-8 ; 39, 9, 1 ; 39, 14, 3-
10 ; 39, 15, 1 ; 39, 16, 12-13 ; 39, 17, 1-7 ;
39, 18, 1-9 ; 39, 19, 1-3 ; 39, 19, 7 ; époque
augustéenne)
39, 8, 1. l’année suivante détourna les consuls Sp. Postumius Albinus
et Q. Marcius Philippus de l’armée et du soin à accorder aux guerres et aux
provinces pour se consacrer à la vengeance (uindicta) d’une association
scellée par serment (coniuratio) intérieure (intestina).
[Distribution des provinces entre les préteurs.]
3. L’enquête (quaestio) concernant les associations scellées par serment
(coniurationes) et en cachette (clandestinae) fut assignée par décret du sénat
(decernere) aux deux consuls. Au commencement, un Grec de basse
extraction (ignobilis) vint en Étrurie. Il ne disposait d’aucun de ces arts que
ce peuple le plus érudit d’entre tous nous a apportés en grand nombre
pour la formation des âmes et des corps, c’était un petit prêtre chargé
des sacrifices (sacrifriculus), un devin (uates), 4. non pas un de ceux qui par
une religion ouverte, en déclarant publiquement leur activité (quaestus) et
leur discipline (disciplina) induisent en erreur les esprits, mais un prêtre
(antistes) pratiquant des rites sacrés (sacra) dans l’ombre (occulta) et de
nuit (nocturna).
[Diffusion de pratiques orgiaques et de débauches nocturnes.]
7. Et ces souillures (stupra), mêlant indistinctement des hommes libres
(ingenui) et des femmes, n’étaient pas le seul genre de torts (noxa), mais
des faux témoins (falsi testes), et de faux cachets (signa), de faux testaments
(testamenta) ou de fausses preuves (indicia), sortaient de la même officine,
8. du même lieu des poisons (uenena) et des meurtres (caedes) accomplis à
l’intérieur, si bien que parfois il ne restait plus de corps à livrer à
la sépulture. On osait commettre de nombreux crimes par ruse (dolo),
la plupart en recourant à la violence (uis). Comme le vacarme
des tambourins et des cymbales et les hurlements dissimulaient
la violence, jamais la voix de ceux qui appelaient à l’aide (quiritare) au
milieu des souillures (stupra) et des crimes ne pouvait être entendue.
39, 9, 1. La souillure (labes) de ce mal (malum) pénétra Rome depuis
l’Etrurie comme la contagion provoquée par une épidémie. Tout d’abord,
l’étendue de la ville, mieux à même de contenir et de supporter ces maux
les dissimula. Finalement, une dénonciation (indicium) parvint au consul
Postumius à peu près de la manière suivante :
[À partir de la dénonciation de Publius Aebutius, un jeune homme chassé de
sa maison par sa propre mère (elle voulait l’initier aux cultes de Bacchus) et par
son beau-père (il souhaitait détourner ses biens) et à partir de la dénonciation de
l’affranchie Hispala Faecenia, une courtisane, amante du jeune homme, le consul
Postumius rassemble des informations. Il assure la protection des deux
dénonciateurs en abritant Hispala chez la tante du consul (Sulpicia), et Aebutius
chez un client de ce magistrat.]
39, 14, 3. (…) Comme les deux dénonciateurs (indices) étaient ainsi en
son pouvoir, Postumius rapporte l’affaire (rem deferre) au sénat, en
exposant dans l’ordre tous les faits qui lui ont d’abord été rapportés, et
ceux qui ont ensuite été découverts (inquirere) par ses soins. 4. Une peur
immense s’empara des sénateurs au nom <de l’intérêt> public, de crainte
que ces associations scellées par serment (coniurationes) et ces réunions
(coetus) nocturnes ne provoquent quelque chose qui relève du crime
occulte (fraus occulta) ou d’un danger (periculum), mais aussi à titre privé,
de crainte que quelqu’un des leurs ne soit compromis dans ce tort (noxa).
5. Mais le sénat décida qu’il fallait rendre grâce au consul parce qu’il avait
mené ses recherches (inuestigare) avec un soin particulier et sans
<susciter> aucun trouble (tumultus). 6. Ensuite ils chargent (mandare)
les consuls de l’enquête extraordinaire relative aux bacchanales et aux
sacrifices nocturnes (quaestio extraordinaria de bacchanalibus et sacris
nocturnis). Ils ordonnent de veiller à ce que cette affaire ne cause aucun
dommage (fraus) aux dénonciateurs (indices) Aebutius et Faecenia, et de
susciter d’autres dénonciateurs par des récompenses (praemia).
7. Les prêtres de ces sacrifices, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, sont
recherchés (conquiri) non seulement à Rome, mais également dans tous
les chefs-lieux de marché (fora) et d’assemblée (conciliabula), pour qu’ils
soient remis au pouvoir des consuls. En outre, on fait proclamer par édit
dans la ville de Rome et on envoie des édits dans toute l’Italie stipulant
8. que personne ayant été initié aux bacchant(e)s ne prétende se réunir
(coire) ou se rassembler (conuenire) pour des sacrifices ou pour accomplir
quelque chose de semblable, relatif à une affaire divine ; qu’avant tout,
une enquête (quaestio) soit menée contre ceux qui se sont réunis ou
rassemblés pour commettre un acte de débauche (stuprum) ou une action
déshonorante (flagitium). 9. Le sénat décréta ces dispositions. Les consuls
commandèrent (imperare) aux édiles curules de rechercher (conquirere)
tous les prêtres de ce culte et de les mettre à disposition de l’enquête
(quaestio) en les enfermant (comprehendere) dans une pièce où chacun
resterait libre de ses mouvements (liberum conclaue). Les édiles de la plèbe
veilleraient à ce qu’aucun sacrifice ne soit accompli en cachette (in operto).
10. Les triumvirs capitaux (triumuiri capitales) furent chargés (mandare) de
répartir à travers la ville des gardes de nuit (uigiliae), d’être attentifs à ce
que des réunions nocturnes n’aient pas lieu et à se tenir en garde contre
les incendies (incendia). Comme assistants (adiutores) des triumvirs,
les quinquévirs de l’une et de l’autre rive du Tibre commanderaient
(praeesse) chacun aux édifices de son propre arrondissement (regio).
39, 15, 1. Les magistrats ayant été répartis pour remplir ces
<différentes> fonctions (officia), les consuls montèrent sur les rostres et
après avoir convoqué une assemblée (contio), lorsque le consul
<Postumius> eut achevé la formule solennelle de prière que les magistrats
prononcent habituellement avant de parler au peuple, il débuta ainsi :
« nous-mêmes exécuterons avec diligence ce qui nous incombe.
[Discours au peuple du consul Postumius dénonçant l’ampleur croissante de
la coniuratio et le danger qu’elle représente pour la cité tout entière.]
39, 16, 12. (…) Le sénat nous a chargés (mandare), moi et mon collègue,
d’une enquête extraordinaire (quaestio extra ordinem) au sujet de cette
affaire. Nous-mêmes exécuterons sans relâche l’action qui nous revient.
Nous avons chargé les magistrats inférieurs de la direction des gardes
nocturnes (uigiliae nocturnae) à travers la ville. 13. Il est juste également
que vous vous signaliez par votre diligence à obéir aux commandements
que vous recevrez pour les tâches qui sont les vôtres, où que vous vous
trouviez, et que vous vous employiez à faire en sorte qu’aucun danger
(periculum) ni aucun trouble (tumultus) ne naisse de la fourberie (fraus) de
ces criminels (noxii) ».
39, 17, 1. Ils ordonnèrent ensuite de lire les sénatus-consultes et ils
annoncèrent la récompense (praemium) devant être versée au
dénonciateur (index) si quelqu’un conduisait (deducere) devant eux
quelque coupable, ou révélait le nom (deferre nomen) d’un absent (absens).
2. Quiconque dont le nom aurait été révélé (nominatus) et qui aurait fui
(profugere), se verrait signifier un délai de comparution (dies) précis au
terme duquel s’il ne répondait pas (respondere), alors qu’il avait été cité à
comparaître (citatus), il serait condamné en son absence. Celui qui aurait
été nommé alors qu’il comptait parmi ceux qui se trouveraient alors hors
de la terre d’Italie, bénéficierait d’un délai moins strict, au cas où il
souhaiterait venir défendre sa cause (causam dicere). 3. Ils proclamèrent
ensuite par édit que personne ne prétende vendre ou acheter quoi que ce
soit pour préparer sa fuite (fuga) ; que personne n’abrite (recipere) ou ne
cache (celare), ou ne porte assistance (iuuare), d’une manière quelconque à
ceux qui fuient (fugientes). 4. Une fois l’assemblée (contio) dispersée, ce fut
une grande terreur (terror) dans toute la ville et elle se répandit non
seulement jusqu’aux murailles (moenia) de la Ville ou aux limites du
territoire romain (fines romanae), mais elle se déploya également dans
toute l’Italie, et lorsque l’on reçut les lettres des hôtes (hospites) relatives
au sénatus-consulte, à l’assemblée et à l’édit des consuls, on commença à
trembler. 5. La nuit même qui suivit le jour où l’affaire fut révélée devant
l’assemblée, alors que des postes de garde (custodiae) avaient été disposés
autour des portes, de nombreuses personnes qui fuyaient furent arrêtées
(comprehendere) et ramenées (reducere) par les triumvirs ; les noms de
nombreuses personnes furent révélés (nomina delata) ; beaucoup d’entre
eux, hommes ou femmes, se donnèrent la mort (mortem sibi conscire). 6. On
disait que plus de sept mille personnes, hommes et femmes, s’étaient
associés par serment (coniurare). Il était établi que les chefs de l’association
scellée par serment (coniuratio) étaient Marcus et Caius Atinius, issus de
la plèbe romaine, le Falisque Lucius Opicernius et le Campanien Minius
Cerrinius. 7. C’est d’eux qu’étaient issus tous les crimes (facinora) et tous
les scandales (flagitia), c’est eux qui étaient les plus grands prêtres
(sacerdotes) et les fondateurs de ce culte (conditores sacri). On veilla à ce
qu’ils soient arrêtés en premier lieu. Amenés (adducere) devant les consuls,
ils avouèrent (fateor) ce qui les concernait, et passèrent à la dénonciation
(indicium).
39, 18, 1. Mais la fuite des autres hors de la Ville avait été telle que,
dans la mesure où les actions et les affaires en cours s’éteignaient,
les préteurs T. Maenius et M. Licinius furent contraints de les faire
reporter par le sénat au trentième jour, jusqu’à ce que les enquêtes
(quaestiones) soient achevées par les consuls. 2. Cette absence
des prévenus (solitudo), puisqu’à Rome ceux dont les noms avaient été
livrés ne répondaient pas (respondere) et qu’ils n’étaient pas découverts
(inuenire), contraignit les consuls à parcourir les chefs-lieux (fora) pour y
enquêter (quaerere) et y conduire les procès (iudicia). 3. Ceux qui avaient
seulement été initiés et qui, tandis que le prêtre leur dictait les mots,
avaient prononcé les prières extraites du chant sacré (carmen sacer) dans
lesquelles était contenue l’abominable association par serment (coniuratio)
ouverte à tout crime (facinus) et dérèglement des sens (libido), et qui
n’avaient commis ni contre eux-mêmes, ni contre les autres aucune de ces
choses pour lesquelles ils s’étaient engagés par serment (iure iurando),
ceux-là étaient laissés dans les fers (uincula). 4. Ceux qui s’étaient
contaminés (uiolare) par des souillures (stupra) et des meurtres (caedes), ou
qui s’étaient corrompus (contaminare) par de faux témoignages (falsa
testimonia), par des altérations de cachets falsifiés (signa adulterina), par
la supposition de testaments (subiectio testamentorum), ceux-là étaient
châtiés (adficere) de la peine capitale (poena capitalis). 5. Ceux que l’on mit
à mort (necare) furent plus nombreux que ceux que l’on jeta dans les fers
(uincula). Il y eut une grande quantité d’hommes et de femmes dans
les deux cas. 6. Ils livraient les femmes condamnées à leurs parents
consanguins (cognati) ou à ceux sous le pouvoir (in manu) desquels elles
étaient, pour que ceux-ci les exécutent (animaduertere) en privé (in
priuato). S’il ne se trouvait personne remplissant les conditions pour
devenir exécuteur (exactor) du supplice, on procédait à l’exécution en
public. 7. On donna ensuite aux consuls la charge de détruire tous
les bacchanales, en premier lieu à Rome, ensuite dans toute l’Italie, sauf
s’il s’y trouvait un autel ancien (uetusta ara) ou une statue consacrée
(signum consecratum). 8. Ensuite, par sénatus-consulte, on s’assura qu’à
l’avenir il n’y ait plus de bacchanales ni à Rome, ni en Italie. Si quelqu’un
regardait un tel culte comme traditionnel et inévitable au point qu’il ne
puisse s’en abstenir sans conscience d’être en faute à l’égard de la religion
(religio) ou sans mériter une expiation (piaculum), il devait le déclarer
devant le préteur urbain, le préteur consulterait le sénat. 9. Si cela lui
était permis, alors que le sénat ne compterait pas moins de cent de ses
membres, il pourrait pratiquer ce culte, à condition qu’il n’y ait pas plus
de cinq participants présents au sacrifice (sacrificium), qu’il n’y ait pas
d’argent en commun (pecunia communis), et que personne ne soit maître
des sacrifices (magister sacrorum) ou prêtre (sacerdos).
39, 19, 1. Sur le rapport du consul Q. Marcius, on élabora ensuite
un autre sénatus-consulte uni à celui-ci, selon lequel l’affaire entière
relative à ceux que les consuls avaient eu comme dénonciateurs (indices)
ferait l’objet d’un rapport au sénat lorsque Sp. Postumius serait rentré à
Rome, une fois les enquêtes (quaestiones) achevées. 2. Ils [les sénateurs]
décrétèrent (censere) que le Campanien Minius Cerrinius devait être
envoyé dans les fers (uincula) à Ardée et que l’on devait signifier aux
magistrats des Ardéates de le soumettre à la surveillance (custodia) la plus
serrée, non seulement pour éviter qu’il ne s’échappe (effugere), mais pour
qu’il ne trouve pas là l’occasion de se donner la mort (mortem consciscere).
3. Spurius Postumius revint à Rome assez longtemps après. Sur le rapport
qu’il présenta au sujet de la récompense (praemium) à attribuer à
P. Aebutius et à Hispala Faecenia, parce que c’était grâce à leur action que
les adeptes de Bacchus avaient été dénoncés (indicare), un sénatus-
consulte fut élaboré.
[Détail des récompenses attribuées à P. Aebutius et à Hispala Faecenia.]
39, 19, 7. Toutes ces mesures furent présentées à la plèbe et furent
accomplies selon <les termes du> sénatus-consulte. Au sujet de l’impunité
(impunitas) et des récompenses (praemia) à attribuer aux autres
dénonciateurs (indices), on s’en remit (permittere) aux consuls.

*
* *

L’épisode de la répression des bacchanales, déclenchée en 186 av. J.-C.,


et qui s’est poursuivie au cours des années suivantes dans le Sud de
la péninsule italienne, constitue d’abord une page particulièrement
marquante de l’histoire des rites et des pratiques religieuses dans
le monde gréco-romain. La diffusion du culte elle-même, perçue comme
une véritable « contagion », une maladie rampante (Tite-Live, 39, 9, 1), qui
provoque l’aliénation des esprits, et contre laquelle on ne peut lutter
qu’en recourant aux remèdes les plus forts, souligne une caractéristique
récurrente de ce Bacchus-Dionysos, « dieu épidémique », selon
l’expression de Marcel Detienne. Par ailleurs, cette diffusion a pris place
dans le contexte particulièrement troublé des années qui ont suivi
l’achèvement de la guerre d’Hannibal (218-202 av. J.-C.),
les transformations qui l’ont accompagnée dans le domaine religieux, et
une série de prodiges alarmants (tremblements de terre, incendie,
épidémie) [PAILLER 1988].
Dans l’histoire de la procédure pénale et de l’exercice de la justice
criminelle à Rome, « l’affaire des bacchanales » constitue également
un moment essentiel, ne serait-ce qu’en raison de la richesse
des informations et de la possibilité de confronter un document
épigraphique officiel à une source littéraire. Certes, le récit très
circonstancié qu’en donne Tite-Live n’est pas exempt de traits
romanesques et on pourrait douter de l’authenticité de certains détails
relatifs au commencement de la dénonciation elle-même, aux affaires de
famille, et à l’histoire d’amour qui s’y mêlent. Pour le reste, chacune
des étapes de la répression est relatée avec assez de précision et témoigne
d’un travail d’archives. La confrontation avec un autre document,
la tablette de bronze de Tiriolo (27/28 cm) découverte en 1640 parmi
d’autres vestiges antiques, lors de travaux et de fouilles réalisés dans
la province de Catanzaro (Calabre) le confirme – ce document rare est
aujourd’hui conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne.
La désignation officielle de ce texte destiné à être placardé (les quatre
angles de la tablette ont été perforés pour qu’elle soit fixée), afin que ses
dispositions soient connues des habitants du « territoire de Teura » (ager
Teuranus), a été largement débattue depuis plus d’un siècle [PAILLER 1988,
p. 61-122]. Les lignes de l’inscription consacrées à la limitation
des attroupements se retrouvent pratiquement mot pour mot dans
une partie du récit livien détaillant un décret du sénat. Cependant le texte
de l’inscription ne constitue pas seulement un sénatus-consulte. Ce
document est composite, puisqu’il contient les extraits d’une lettre
envoyée par les consuls aux magistrats locaux contenant le procès-verbal
d’une résolution du sénat (7 octobre 186), mais aussi les dispositions
relatives à la publication du texte et les mesures répressives. Le récit livien
et l’inscription de Tiriolo constituent les pièces principales du dossier
auxquelles s’ajoutent quelques lignes éparses dans la littérature antique,
de Cicéron (106-43 av. J.-C.) à saint Augustin (354-430). Le passage du traité
Des lois de Cicéron (R8b) revêt ici un intérêt particulier, dans la mesure où
il souligne le caractère militaire d’une « enquête » (quaestio) menée par
les consuls sous l’autorité du sénat. Des éléments que l’on retrouve dans
l’énoncé sans doute originel du décret du sénat (Tite-Live, 39, 8, 3) visant à
réprimer des « conjurations clandestines ». Le mot coniuratio (reproduit
plus d’une dizaine de fois dans le récit livien, il est au centre du document
officiel) mérite une attention particulière pour la compréhension du
déroulement de l’affaire. Ce terme revêt trois connotations principales :
engagement par serment ; groupe, association ; action dirigée par serment
contre l’État romain. Mais l’essentiel n’est pas là. Le mot coniurare qui
signifie « prêter serment ensemble » a d’abord et avant tout
une signification militaire [NICOLET 1979, p. 442-443]. Plus précisément
encore, la coniuratio, est la forme de serment militaire prononcée dans
la plus grande urgence, lorsque l’ennemi menace aux portes, et que
les formes habituelles de la levée militaire (dilectus) par serment
individuel ne peuvent être accomplies. Dans ce cas, « ceux qui s’étaient
réunis prêtaient serment ensemble (simul iurabant) : c’est pourquoi on
appelait coniuratio cette forme de service » (Servius, Commentaire à l’Énéide,
8, 547) (R9a). Par conséquent, ce terme désigne techniquement deux
mouvements qui pourraient sembler contradictoires : une mobilisation
initiée par les pouvoirs publics ; une insurrection. Ils constituent un même
phénomène, soit que le serment collectif ait été prêté par les soldats de
l’armée civique régulière, soit, au contraire, qu’il ait été accompli par
des dissidents qui menacent la cité. Or précisément, aux yeux
des autorités romaines, les adeptes de Bacchus ont constitué une menace
équivalente à la levée d’une armée clandestine dirigée contre l’État. Et
c’est au prisme de la coniuratio qu’il faut comprendre le déroulement
procédural, l’étendue territoriale, et les formes répressives d’une affaire
qui est souvent apparue comme dérogeant aux règles judiciaires
échafaudées au cours des trois siècles précédents. La répression de
la conjuration des bacchanales aurait initié un nouveau cycle de la justice
criminelle romaine.
Considérons en premier lieu l’extension territoriale d’une répression
qui s’est appliquée dit Tite-Live (39, 14, 7) « à toute l’Italie ». Au lendemain
de la guerre d’Hannibal (218-202 av. J.-C.) et un siècle avant l’octroi de
la citoyenneté romaine à l’ensemble des Italiens, « l’Italie » était
constituée d’une mosaïque de cités et de peuples. Statutairement,
les Italiens se répartissaient alors en trois catégories. On comptait tout
d’abord des citoyens romains (ciues romani). Parmi eux, certains étaient de
« plein droit » (optimo iure), tandis que d’autres étaient « sans droit de
vote » (sine suffragio). Venaient ensuite « des peuples qui portent le nom
latin » (nomen latinum) : ceux-là disposaient d’une série de droits, en
contrepartie du service militaire. Enfin, des alliés (socii) dont la condition
pouvait varier en fonction des modalités qui avaient conduit à leur
soumission à Rome, soit par la diplomatie, soit à l’issue d’une capitulation
[NICOLET 1979]. Ces trois catégories figurent précisément sur l’inscription de
Tiriolo. Mais pour comprendre le sens de ce document, il faut encore
insister sur le lieu de sa découverte, à peu près au milieu de l’isthme qui
sépare la Calabre, d’ouest en est, entre les golfes de San Eufemia et
Squillace – une voie de circulation empruntée depuis la plus haute
Antiquité. Ces régions intérieures ont certainement appartenu à
l’ensemble des territoires du Bruttium (l’actuelle Calabre) qui avaient été
confisqués au lendemain de la guerre contre Hannibal, à l’instar
des territoires d’autres peuples, tous situés (à l’exception des Gaulois
Cisalpins), au sud de la péninsule et qui avaient fait défection pour le camp
carthaginois : Campaniens (de Capoue en particulier) (Tite-Live, 23, 1-5),
Samnites, Lucaniens, Apuliens, et cités grecques de la côte (Tarente,
Métaponte, Crotone, Locres) (Tite-Live, 22, 61, 11). Pour les punir de leur
trahison, ces peuples avaient été notés d’infamie et privés de leur statut
d’alliés (Aulu-Gelle, 10, 3, 19), constituant alors de simples « citoyens-
résidents (incolae) devenus étrangers sur leur propre sol » [THOMAS 1996,
p. 28-29], sur le domaine public (ager publicus) romain. Si tel était bien
le cas des habitants de l’Ager Teuranus, pourquoi l’inscription qui
mentionne par ailleurs les trois statuts évoqués précédemment (citoyen,
latin, allié) serait-elle adressée à des peuples rattachés à Rome par
un « traité » (foedus), à savoir des foederati ? La question a été débattue
depuis plus d’un siècle, lorsque l’hypothèse a été proposée selon laquelle
le terme foederati désignerait plutôt les membres des associations
dionysiaques, liés entre eux également par un « accord » [MOMMSEN 1907,
III, p. 207 ; COSTABILE 2007, p. 383-385]. Mais il s’agirait alors d’une
occurrence tout à fait isolée, car partout ailleurs dans l’ensemble de
la documentation le mot foederati désigne bien les peuples liés par
un foedus [PAILLER 1986, p. 290]. Admettons donc que l’Ager Teuranus était
un territoire situé dans la colonie latine de Vibo Valentia, fondée
récemment, précisément pour contrôler le territoire des Bruttiens, à
l’instar de dix autres colonies latines créées dans le sud de la péninsule au
lendemain de la deuxième guerre punique. Comme l’appartenance à
une colonie latine c’est-à-dire au nomen latinum entrait précisément dans
la catégorie des foederati (Cicéron, Pour Balbus, 24, 54) tout obstacle lexical
serait alors levé pour l’interprétation historique et juridique de ce
document [CAZANOVE 2000a, p. 59-63].
En bref, il est possible que l’appartenance au domaine public de ces
territoires confisqués au sud de l’Italie explique que l’intervention de
Rome s’y soit déroulée – et jusqu’en 181 av. J.-C., des préteurs ont été
ponctuellement chargés d’enquêtes contre des adeptes de Bacchus –
principalement, plutôt qu’en raison d’une adhésion particulière
des habitants de ces contrées au culte dionysiaque [CAZANOVE 2000a, p. 64-
68]. Les colonies latines servaient de relais à la répression dans la même
région. Un texte de Polybe (rédigé seulement quelques décennies plus
tard) est souvent invoqué, car l’étendue des pouvoirs d’intervention du
sénat en matière criminelle qu’il énumère recouvre précisément
une situation identique à l’épisode des bacchanales, à savoir
une coniuratio :

De la même façon, pour tous les crimes (adikèmata) commis en


Italie qui appellent une enquête officielle (episkepsis dèmosia) – par
exemple les cas de trahison (prodosia = proditio), de conjuration
(sunômosia = coniuratio), d’empoisonnement (pharmakeia
= ueneficium), d’assassinat <par trahison> (dolophonia) –, c’est
le sénat qui a juridiction. (Polybe, 6, 13, 4)

Le constat de Polybe a-t-il été dicté précisément par les épisodes


des décennies précédentes, plutôt que par l’origine plus ancienne de ce
même principe répressif qui trouverait dans nos sources son illustration
seulement à cette époque ? Il est certain que la nouveauté révélée par
l’affaire des bacchanales, en 186 av. J.-C. et à plusieurs reprises dans
les années suivantes, est la mise en place d’enquêtes (quaestiones)
conduites par des magistrats, des consuls, en 186 av. J.-C., puis par
des préteurs. Qu’en est-il alors en ce commencement du IIe siècle du
monopole du peuple en matière de juridiction capitale ? La question se
pose avec d’autant plus d’acuité que parmi les adeptes de Bacchus
des citoyens romains ont assurément été mis à mort sans qu’à aucun
moment un seul « appel » (prouocatio) au peuple ne soit mentionné, sans
qu’à aucun moment la distinction domi/militiae apparaisse (R3). Soit
la répression des bacchanales peut être considérée comme une « justice
d’exception », bafouant le droit de prouocatio, soit précisément, cette
enquête elle-même et celles qui ont suivi dans son sillage révèlent bien
que le peuple réuni en comices n’était amené à juger que des affaires
politiques, sans que lui incombe toute forme de répression criminelle.
9

Le « sénatus-consulte ultime » (121-40 av. J.-


C.) : une justice d’exception ?

a. Tumulte, serment militaire,


et « sauvegarde de l’État » (Servius,
Commentaire à l’Énéide, 8, 547)
Chez nos ancêtres il existait trois sortes de service militaire (militia)
lorsqu’il fallait faire la guerre : en effet soit on recourait au service
militaire régulier (militia legitima) soit à l’appel sous serment (coniuratio),
soit à l’appel en masse (euocatio). Le service était régulier lorsque ceux qui
étaient mobilisés prêtaient un à un serment de se mettre au service de
l’État (Res publica) et ils ne se séparaient pas avant le versement des soldes,
c’est-à-dire pas avant l’accomplissement des délais du service. Et on
invoquait le serment (…). Ou bien assurément, s’il se produisait un tumulte
(tumultus), c’est-à-dire une guerre (bellum) italique ou gauloise, à
l’occasion desquelles en raison de la proximité du danger (periculum)
la peur (timor) était grande, parce que le temps n’était pas donné de
questionner un à un les mobilisés ; celui qui avait reçu le commandement
de l’armée se rendait sur le Capitole et, depuis ce lieu, faisait avancer deux
drapeaux, l’un rouge qui était le rappel des fantassins, l’autre bleu qui
était le rappel des cavaliers – car le bleu est la couleur de la mer et qu’il est
admis que c’est le dieu de la mer qui a inventé le cheval – il proclamait
« qui veut que l’État soit sauf (Res publica salua) me suive », et ceux qui
s’étaient réunis prêtaient serment (iurare) ensemble : c’est pourquoi on
appelait « association par serment » (coniuratio) cette forme de service.

b. Deux rétroprojections
du SCU au commencement
de la République

B1. DÉFENSE DE ROME CONTRE LES ÈQUES EN 464 AV. J.-C. (TITE-LIVE,
3, 4, 9 ; 3, 5, 3-4 ET 3, 5, 14 ; ÉPOQUE AUGUSTÉENNE)
3, 4, 9. Les Herniques annoncèrent à la fois l’issue malheureuse de
la bataille et le siège auquel le consul et son armée étaient soumis.
La terreur (terror) s’empara des pères au point que, selon la formule de
sénatus-consulte à laquelle on recourt toujours en cas de dernière
nécessité (ultima necessitas), ils attribuèrent la charge à Postumius,
le second consul, « de veiller à ce que l’État (Res publica) ne subisse aucun
dommage (detrimentum) ». Il s’agissait de maintenir le consul à Rome pour
y faire la mobilisation générale de tous les hommes en état de porter
les armes sembla le meilleur parti et d’envoyer en qualité de proconsul
Titus Quinctius au secours du camp avec une armée d’alliés, enfin, pour
former cette armée, de donner aux Latins, aux Herniques et à la colonie
d’Antium l’ordre de fournir à Quinctius des « subitaires ». C’est le nom que
l’on donnait alors à ces troupes alliées levées à la hâte. 3, 5, 3. Lucius
Valerius resta pour défendre la ville ; le consul Postumius marcha contre
les pillards. 4. On n’épargna sur aucun point, ni le soin, ni la peine : on
plaça des patrouilles (uigiliae) en ville, des cantonnements (stationes)
devant les portes, des postes de garde (praesidia) sur les murs ; en outre, ce
qui était nécessaire dans un tel trouble (tumultus), on observa
une suspension de l’activité judiciaire (iustitium) pendant quelques jours.
(…) 3, 5, 14. Après que l’on fut rentré à Rome et que l’on eut mis fin à
la suspension de l’activité judiciaire (iustitium), on vit brûler dans le ciel
une quantité de feux…

B2. LES COMMENCEMENTS DE L’AFFAIRE M. MANLIUS CAPITOLINUS


EN 385 AV. J.-C. (TITE-LIVE, 6, 19, 1-7 ; ÉPOQUE AUGUSTÉENNE)

1. Et de l’autre côté, le sénat discute de cette sécession de la plèbe dans


une maison privée (secessio in domum priuatam plebis), installée de surcroît,
par hasard, sur la citadelle du Capitole (Arx), menaçant de sa masse
la liberté. 2. Une grande partie d’entre eux s’écriaient qu’« il fallait
un Servilius Ahala qui ne provoquerait pas un ennemi public (hostis
publicus) en ordonnant de le conduire dans les fers (uincula), mais qui par
l’action d’un seul citoyen mettrait fin à une guerre intérieure ». 3. On en
vient à un avis plus modéré dans ses termes, mais ayant une même force,
« que les magistrats veillent à ce que l’État (Res publica) ne subisse aucun
dommage (detrimentum) en raison des dangereux projets (consilia) de
M. Manlius ». 4. Alors les tribuns à pouvoir consulaire et les tribuns de
la plèbe – car eux-mêmes comprenaient que leur propre puissance
prendrait fin en même temps que la liberté de tous –, se laissèrent guider
par l’autorité du sénat et, tous ensemble délibèrent sur l’action qu’il fallait
mener. 5. En dehors de l’usage de la force (uis) et du meurtre (caedes), rien
ne se présentait à eux et il apparaissait que cela occasionnerait
une immense lutte, lorsque M. Menenius et Q. Publilius tribuns de la plèbe
déclarèrent : 6. « Pourquoi faisons-nous un conflit entre les pères et
la plèbe, de ce qui doit être un conflit de la cité contre un seul citoyen
porteur de ruine ? Pourquoi attaquons-nous, en lui associant la plèbe,
celui qu’il est plus prudent de faire attaquer par la plèbe elle-même, de
sorte que lui-même s’écroule accablé sous ses propres forces ? 7. Il est
dans notre intention de lui assigner un jour à comparaître (diem dicere).
Rien n’est moins susceptible de popularité (populare) que la royauté
(regnum). Dès que cette foule verra que l’on ne veut pas s’affronter à elle et
que d’avocats (aduocati) il seront devenus juges, et lorsqu’ils porteront leur
regard sur des accusateurs issus de la plèbe, un prévenu (reus) patricien, et
le grief de royauté au milieu, ils ne favoriseront rien d’autre que leur
liberté.

c. L’appel de Scipion Nasica


et la répression (sans sénatus-consulte),
de Tiberius Gracchus et de ses partisans
en 133 av. J.-C.

C1. PROTÉGER L’ÉTAT PAR LES ARMES (VALÈRE MAXIME,


3, 2, 17 ; PEU APRÈS 31 AP. J.-C.)
Les sénateurs réunis par le consul Mucius Scaevola dans le temple de
Fides publica délibéraient sur ce qu’il fallait faire dans une telle tempête, et
tandis que tous prononçaient l’avis que le consul devait protéger l’État
(rem publicam tueri) par les armes, Scaevola dit qu’il n’agirait jamais en
recourant à la violence (uis). C’est alors que Scipion Nasica intervint :
« Puisque le consul, dit-il, en respectant l’ordre du droit (ius), agit de telle
sorte qu’avec toutes les lois (leges) l’empire de Rome s’effondre, moi-
même, en tant que personne privée, je me présente comme chef (dux) à
votre volonté. Et ensuite, enveloppant sa main gauche d’une partie de sa
toge et levant la main droite il proclama : « Que ceux qui veulent que l’État
soit sauf (res publica salua) me suivent ! ». Cet appel ayant écarté tout
atermoiement chez les bons citoyens, il contraignit Gracchus et sa faction
criminelle (factio scelarata) à subir la peine (poenae) qu’ils méritaient.

C2. « SAUVER L’ÉTAT » (VELLEIUS PATERCULUS, 2, 3, 1 ; 29-30 AP. J.-


C.)
P. Scipion Nasica enroula le pan de sa toge autour de son bras gauche,
puis se postant à l’endroit le plus élevé du Capitole, tout en haut
des marches, il exhorta ceux qui voulaient que l’État soit sauvé (saluare rem
publicam) à le suivre.

C3. « SAUVER LES LOIS »… EN AGISSANT CONTRE LA LÉGALITÉ


(PLUTARQUE, TIBERIUS GRACCHUS, 19, 3-5, TRAD. R. FLACELIÈRE
ET É. CHAMBRY ; APRÈS 96 AP. J.-C.)

3. Ce fut au Sénat un tumulte général. 4. Nasica somma le consul de


sauver la République et d’anéantir le tyran. Le consul répondit avec
douceur qu’il ne prendrait pas l’initiative de la violence et qu’il ne ferait
périr aucun citoyen sans jugement, que toutefois, si le peuple, persuadé ou
contraint par Tiberius, votait une mesure illégale, il ne la ratifierait point.
5. Alors Nasica bondit et s’écria : « Puisque le premier magistrat trahit
la ville, vous qui voulez sauvegarder les lois, suivez-moi ! ». En disant cela,
il se couvrit la tête d’un pan de toge et marcha vers le Capitole.

d. Le sénatus-consulte contre Caius


Gracchus et ses partisans (121 av. J.-C.)
D1.LE MEURTRE DE TIBERIUS ET LA DÉFENSE DE L’ÉTAT CONTRE CAIUS
GRACCHUS (CICÉRON, PHILIPPIQUES, 8, 4, 13-14 ; 44-43 AV. J.-C.)
13. Quant à ton père, cet homme grave et avisé, lui, l’homme âgé
(senex) et qui me servait de modèle à moi, l’adolescent (adulescens), il avait
l’habitude d’accorder à P. Nasica, qui tua (interficere) Ti. Gracchus,
le premier rang parmi tous les citoyens. Il considérait que par son
courage, par sa détermination et par sa grandeur d’âme, P. Nasica avait
libéré l’État (Rem publicam liberare). 14. Alors qu’en est-il ? Devrions-nous
recevoir de nos pères, une autre leçon ? Ainsi donc, ce citoyen, si tu avais
vécu à cette époque, ne lui aurais-tu pas accordé ton approbation, sous
prétexte qu’il n’eût pas voulu le salut de tous ? Puisque le consul
L. Opimius a rédigé en ces termes un rapport au sujet de l’État, ils ont émis
un avis (censuere) au sujet de cette affaire, permettant au consul de
défendre l’État (Rem publicam defendere). Le sénat recourut à ces termes,
le consul aux armes.

D2. « SAUVER LA CITÉ PAR TOUS LES MOYENS… » (PLUTARQUE, CAIUS


GRACCHUS, 35, 3-4, TRAD. A.-M. OZANAM ; APRÈS 96 AP. J.-C.)
3. Les sénateurs regagnèrent alors la Curie et prirent le sénatus-
consulte enjoignant au consul Opimius de sauver la cité par tous
les moyens possibles et d’abattre les tyrans. 4. Opimius ordonna aux
sénateurs de prendre les armes et fit notifier aux chevaliers qu’ils devaient
se présenter, dès l’aube, chacun avec deux esclaves armés.

e. Répression armée, exécutions


arbitraires, et tribunaux d’enquête
à la suite des deux épisodes gracchiens
E1. BLOSSIUS DE CUMES COMPARAÎT DEVANT LE TRIBUNAL DES CONSULS
(CICÉRON, DE L’AMITIÉ OU LAELIUS, 37 ; 44 AV. J.-C.)
Nous avons vu Tiberius Gracchus, qui attaquait l’État (Rem publicam
uexare), abandonné par Quintus Tubéron et ses amis du même âge.
Caius Blossius, de Cumes, l’hôte (hospes) de votre famille, Scaevola, vint
me trouver, parce que je siégeais au conseil (consilium) auprès des consuls
Laenas et Rupilius, pour solliciter sa grâce (deprecare) et il alléguait, pour
que je lui pardonne (ignoscere), qu’il avait une telle estime pour Tiberius
Gracchus, qu’il pensait devoir faire tout ce que celui-ci voulait qu’il fît. Je
l’interrompis alors : « et s’il avait voulu que tu mettes le feu au
Capitole ? ». « Jamais il n’aurait voulu une telle chose, mais s’il l’avait
voulue, j’aurais obéi », répondit-il. Voyez un peu quelle parole impie
(nefaria uox) ! Et, par Hercule, il a agi en conséquence, et au-delà même de
ce qu’il avait déclaré. En effet, il n’a pas seulement obéi à la témérité de
Tiberius Gracchus, mais il l’a précédée, il n’a pas été seulement
le compagnon (comes) de sa folie (furor), mais il en a été la cause. C’est
pourquoi, en raison de cet égarement (amentia), effrayé par le tribunal
d’enquête sans précédent (quaestio noua), il s’enfuit en Asie, passa aux
ennemis, et expia par un châtiment (persoluere) sévère et juste l’atteinte
qu’il avait portée à l’État.

E2. BLOSSIUS DE CUMES ET « L’EXCUSE DE L’AMITIÉ » (VALÈRE MAXIME,


4, 7, 1 ; PEU APRÈS 31 AP. J.-C.)
Tib. Gracchus a été considéré comme un adversaire de la patrie (patriae
inimicus), non sans l’avoir mérité, parce qu’il avait mis en avant sa propre
puissance dans l’intérêt de son propre salut. Cependant il vaut la peine de
connaître jusqu’à quel point dans une entreprise aussi criminelle il eut
un ami d’une confiance inébranlable en la personne de Blossius de Cumes.
Alors que Tiberius Gracchus avait été déclaré ennemi (hostis iudicatus),
livré au dernier supplice (ultimum supplicium), dépouillé de l’honneur
d’une sépulture (sepulturae honore spoliatus), jamais la bienveillance de ce
dernier ne se déroba. Car, alors que le sénat avait chargé (mandare)
les consuls Rupilius et Laenas de châtier par la mort (animaduertere),
conformément à la coutume des ancêtres, ceux qui avaient conspiré
(consentire) avec Gracchus, Blossius se rendit auprès de Laelius, car
les consuls recouraient principalement au conseil de celui-ci, pour
implorer sa grâce (deprecare) en recourant à l’excuse de l’amitié intime qui
les unissait (familiaritatis excusatio).

f. La confiscation des biens de Caius


et la dot de son épouse Licinnia

F1.DES CORPS JETÉS DANS LE FLEUVE ET LA CONFISCATION DES BIENS


(PLUTARQUE, CAIUS GRACCHUS, 38, 6, TRAD. A.-M. OZANAM ; APRÈS
96 AP. J.-C.)
Les corps de Caius, de Fulvius et de leurs compagnons furent jetés dans
le fleuve : il y eut trois mille morts. Quant à leurs biens, ils furent versés au
trésor public. On défendit à leurs veuves de porter le deuil (penthein) et on
confisca même la dot de Licinnia, la veuve de Caius.

F2. DISPARITION DES BIEN DOTAUX LORS DE LA SÉDITION (IAVOLENUS


PRISCUS, DES ÉCRITS POSTHUMES DE LABÉON, EXTRAIT DU LIVRE 6,
er
FR. 227 LENEL = DIGESTE, 24, 3, 66, PR. ; FIN DU I SIÈCLE AP. J.-C.)

Pour ce qui concerne les choses que le mari détient au titre de la dot, à
l’exception de l’argent comptant, Servius <Sulpicius Rufus> affirme que
celui-ci doit répondre de sa faute (culpa) ou de sa mauvaise intention
(dolum malum). C’est également l’avis de Publius Mucius <Scaevola> : celui-
ci en a décidé ainsi au sujet de Licinnia, la femme de Gracchus, parce que
les biens dotaux (res dotales) avaient disparu à l’occasion de la sédition
(seditio) au cours de laquelle Gracchus avait été tué. Selon lui, puisque
cette sédition avait été déclenchée par la faute de Gracchus, c’est lui qui
devait répondre pour Licinia.

g. Privation de sépulture des Gracques,


poursuites et exécutions des complices

LES AMIS DES GRACQUES PRÉCIPITÉS DU « CHÊNE » (ROBUR) (VALÈRE


G1.
MAXIME, 6, 3, 1D ; PEU APRÈS 31 AP. J.-C.)
La noblesse la plus haute et le plus magnifique espoir ont fleuri dans
notre cité en la personne de Tiberius et Caius Gracchus. Mais comme ils
avaient entrepris d’ébranler le gouvernement de la cité, leurs cadavres
(cadauera) gisèrent sans sépulture (insepulta), et le dernier honneur
réservé à la condition humaine manqua au fils de Gracchus et au petit-fils
de l’Africain. Et pour empêcher que quelqu’un veuille être l’ami (amicus)
des adversaires (inimici) de l’État (Res publica), leurs intimes (familiares) ont
été jetés du haut (praecipitare) du « chêne » (robur).

G2. SUICIDE D’HERENNIUS SICULUS CONTRE UN LINTEAU, À L’ENTRÉE


DU CACHOT (VALÈRE MAXIME, 9, 12, 6 ; PEU APRÈS 31 AP. J.-C.)

Herennius Siculus eut une fin d’existence témoignant de sa


détermination et de son courage. Il avait été l’haruspice et l’ami de Caius
Gracchus. Alors qu’à ce titre on le menait au cachot, il alla se frapper
la tête contre le jambage de la porte et rendit l’âme avant même de
franchir le seuil du déshonneur (ignominia), un pas en-deçà du supplice
public (publicum supplicium) et de la main du bourreau (carnifex).

G3. DES TRIBUNAUX « CONTRAIRES AU DROIT » ET DES EXÉCUTIONS DANS


LE CACHOT (SALLUSTE, LA GUERRE DE JUGURTHA, 31, 7 ; 40 AV. J.-
C. ENV.)
Après que Tibérius Gracchus eut été tué, alors qu’ils prétendaient qu’il
se préparait à régner, furent mis en place des tribunaux d’enquête
(quaestiones) contre la plèbe. De même, après le massacre de C. Gracchus et
de C. Fulvius, de nombreux êtres humains appartenant à votre ordre
furent mis à mort (necare) dans le cachot : et ce n’est pas la loi (lex), mais
leur désir qui mit un terme à l’une et l’autre catastrophe (clades).
(…)
Pour certains d’entre eux, tuer (occidere) des tribuns de la plèbe, pour
d’autres mener des tribunaux d’enquête contraires au droit (quaestiones
iniustae), pour presque tous le massacre (caedes) des vôtres, ont été
les moyens de trouver une protection.

G4. DE « CRUELLES ENQUÊTES » CONTRE LES AMIS ET CLIENTS


DES GRACQUES (VELLEIUS PATERCULUS, HISTOIRE ROMAINE, 2, 7, 4 ; 29-
30 AP. J.-C.)
Puis on commença de cruelles enquêtes (crudeles quaestiones) contre
les amis et les clients des Gracques. Opimius, homme par ailleurs vertueux
et digne, fut plus tard condamné dans un procès public (iudicium publicum)
et comme on se souvenait de sa rigueur, il ne trouva aucune pitié
(misericordia) chez ses concitoyens. La même haine (inuidia), au service
des tribunaux publics (iudicia publica) accabla ensuite Rupilius et Popilius
qui avaient sévi avec la plus grande rigueur, alors qu’ils étaient consuls,
contre les amis de Tiberius Gracchus.

G5. ABSENCE DE SÉPULTURE, BANNISSEMENTS SANS JUGEMENT,


ARRESTATIONS ET EXÉCUTIONS (PLUTARQUE, TIBERIUS GRACCHUS, 20, 4-
5, TRAD. A.-M. OZANAM ; APRÈS 96 AP. J.-C.)
4. Ils ne permirent pas à son frère, malgré ses prières, de le relever et
de l’ensevelir de nuit ; ils le jetèrent au Tibre avec les autres morts. On ne
s’en tint pas là ; certains de ses amis furent bannis sans jugement, d’autres
arrêtés et mis à mort : de ce nombre fut notamment le rhéteur Diophanès.
5. Ils enfermèrent un certain Caius Villius dans une jarre avec des vipères
et d’autres serpents et le firent mourir ainsi. Quant à Blossius de Cumes, il
fut traduit devant les consuls. Interrogé sur les événements il reconnut
avoir obéi en tout aux ordres de Tiberius.

f. Répression armée contre le tribun


L. Appuleius Saturninus et le préteur
C. Servilius Glaucia, en 100 av. J.-
C. (Cicéron, Pour Rabirius, accusé de crime
de haute trahison, 7, 20 ; 63 av. J.-C.)
Un sénatus-consulte ordonne que les consuls C. Marius et L. Valérius
convoquent les tribuns et les préteurs de leur choix et qu’ils veillent au
commandement (imperium) et à la majesté (maiestas) du peuple romain. Ils
convoquent tous les tribuns du peuple, excepté Saturninus ; tous
les préteurs, excepté Glaucia : ils donnent l’ordre que ceux qui veulent
la sauvegarde de l’État prennent les armes et les suivent. Tous obéissent :
du temple de Sancus (sacellum Sanci) et des arsenaux publics (armentaria
publica), on livre des armes que le consul C. Marius distribue au peuple
romain.

g. La « plus grande puissance »


est accordée aux consuls par le sénat
contre Catilina en 63 av. J.-C. et
ses partisans (Salluste, La conjuration
de Catilina, 1, 29 ; 42 av. J.-C. env.)
C’est pourquoi, comme on a l’habitude de le faire dans une affaire
affreuse (negotium atrox), le sénat décréta que les consuls fassent en
sortent que l’État ne subisse aucune sorte de préjudice (ne quid res publica
detrimenti caperet). Cette puissance, conformément à la coutume (mos)
romaine, est la plus grande puissance (maxima potestas) accordée par
le sénat à un magistrat, afin de conduire la guerre, de contenir (coercere)
de toutes les façons les alliés (socii) et les citoyens (ciues), à l’intérieur de
la ville (domi) et en territoire militaire (militiae) et de disposer de
la juridiction la plus haute (iudicium summum). Autrement, sans un ordre
du peuple (sine populi iussu), aucune de ces choses n’appartient en droit
(ius) au consul.
h. À l’issue des violences provoquées
sur le forum par le tribun Metellus Nepos
en 62 av. J.-C. (Dion Cassius,
37, 43, 3, trad. M. Coudry ; 1er tiers
du IIIe siècle ap. J.-C.)
S’ensuivit une rixe entre eux, à laquelle participèrent des partisans
des deux camps venus à la rescousse, à coups de bâton, jets de pierres, et
même coups d’épées ; les sénateurs se réunirent alors le même jour à
la Curie, changèrent de vêtements et confièrent aux consuls la protection
de la cité afin que nul dommage ne l’atteignît.

i. Le sénatus-consulte de 52 av. J.-


C. consécutif à l’assassinat de Clodius,
et aux violences commises
par ses partisans (cf. R10)

j. Le sénatus-consulte contre César


et le franchissement du Rubicon (janvier
49 av. J.-C.)

J1. LE SÉNATUS-CONSULTE DU 7 JANVIER 49 AV. J.-C. DIRIGÉ CONTRE


CÉSAR (DION CASSIUS, 41, 1, 3-4, TRAD. F. HINARD ET P. CORDIER ;
er e
1 TIERS DU III SIÈCLE AP. J.-C.)
3. Puis on remit, comme il était d’usage, aux consuls et aux autres
magistrats la garde de la cité (phulakè tès poleôs) ; après quoi, les sénateurs
sortirent du pomerium pour se rendre auprès de Pompée lui-même et ils
décidèrent qu’il y avait tumulte (tarakhè). 4. Ils donnèrent à Pompée
les moyens financiers et des troupes et votèrent que César devait remettre
son pouvoir à ses successeurs et licencier son armée dans un délai
déterminé sous peine d’être déclaré ennemi (polemios) parce qu’agissant
contre la patrie.

J2. APRÈS AVOIR RAPPELÉ LES ATTEINTES PORTÉES AU DROIT TRIBUNICIEN,


CÉSAR DÉNONCE LE SÉNATUS-CONSULTE QUI LE VISE INJUSTEMENT (CÉSAR,
LA GUERRE CIVILE, 1, 5 ; 47 AV. J.-C.)
On aboutit à ce sénatus-consulte extrême et de dernier recours (illud
extremum atque ultimum senatus consultum), auquel on ne s’était jamais
résolu auparavant, sauf au milieu de l’incendie même de la ville, pour ainsi
dire, par désespoir du salut de tous, et par audace des promoteurs d’une
telle proposition : « que les consuls, les préteurs, les tribuns de la plèbe et
ceux qui se tiennent devant la ville en tant que proconsuls, veillent à ce
« que l’État ne subisse aucun dommage » (ne quid res publica detrimenti
capiat). Ces dispositions furent rédigées en toutes lettres en vertu d’un
sénatus-consulte au septième jour des ides de janvier.

J3. CÉSAR S’ADRESSE À SES TROUPES AVANT DE FRANCHIR LE RUBICON


LE 11 JANVIER 49 AV. J.-C. (CÉSAR, LA GUERRE CIVILE, 1, 7, 5-7 ;
47 AV. J.-C.)
5. Il ajoute que toutes les fois qu’il a été décrété que les magistrats
s’emploient « à ce que l’État ne subisse aucun dommage » (ne quid res
publica detrimenti caperet) (c’est par cette expression et ce sénatus-consulte
que le peuple romain a été appelé aux armes), on l’a fait contre des lois
pernicieuses, contre la violence tribunicienne, contre la sécession du
peuple, contre l’occupation des temples et des lieux plus en hauteur. 6. Il
attire l’attention sur le fait que ces excès d’une époque antérieure ont été
expiés par la mort de Saturninus et des Gracques ; que, pour le moment, il
n’a été rien fait, rien envisagé de semblable ; aucune loi n’a été
promulguée, rien n’a été engagé pour agir avec le peuple, aucune
sécession accomplie. 7. Il les exhorte, eux qui sous la conduite de leur
général ont, pendant neuf ans, servi l’État de la manière la plus heureuse,
eux qui ont conduit un si grand nombre de combats à l’issue si favorable,
eux qui ont pacifié la Gaule et la Germanie, à défendre l’honneur et
la dignité de celui-ci contre ses ennemis.

k. La mort de Salvidienus Rufus (un arrêt


du sénat ?) en 40 av. J.-C. et les mesures
de sécurité qui ont suivi

K1. UN SUICIDE CONSÉCUTIF À UNE CONDAMNATION (TITE-LIVE, ABRÉGÉS,


e e
127 ; ABRÉGÉ COMPOSÉ AU III OU IV SIÈCLE D’APRÈS L’ŒUVRE DE TITE-
LIVE ; ÉPOQUE AUGUSTÉENNE) ?

Marc Antoine révéla par sa dénonciation (indicium) que Salvidienus


Rufus avait échafaudé des plans criminels (crimina nefaria) contre César <le
Jeune> ; après avoir été condamné, Salvidienus Rufus se donna la mort
(mortem consciscere).

K2.UNE CONDAMNATION SÉNATORIALE INITIÉE PAR OCTAVIEN (SUÉTONE,


AUGUSTE, 66, 2-3 ; AUTOUR DE 120 AP. J.-C.) ?
2. Et en effet il serait difficile de trouver dans le nombre de tous ceux
qui lui étaient liés d’amitié, certains qui furent frappés, à l’exception de
Salvidienus Rufus, qu’il avait élevé jusqu’au consulat, et Cornelius Gallus,
jusqu’à la préfecture d’Égypte en extrayant l’un et l’autre de la plus basse
fortune. 3. Il livra (tradere) le premier des deux au sénat, afin qu’il y soit
condamné pour avoir tramé une révolution (res nouas moliri), tandis qu’il
interdit à l’autre sa maison et ses provinces (domo et prouinciis suis
interdicere) en raison de son ingratitude et de sa malveillance.

K3. UN ASSASSINAT SUR L’ORDRE D’OCTAVIEN (APPIEN, LES GUERRE CIVILES


À ROME, 5, 66, 278-279, TRAD. M. ÉTIENNE-DUPLESSIS ; 160 AP. J.-
C. ENV.) ?
278. Antoine (…) révéla à César <Octavien> que Salvidienus, qui
commandait pour le compte de César l’armée stationnée dans la région du
Rhône, avait médité personnellement une désertion et lui avait envoyé
un émissaire à ce sujet, pendant le siège de Brindes. 279. Et si Antoine fit
cette dénonciation, qui ne reçoit pas l’approbation générale, ce fut
évidemment en raison de sa bonté naturelle et de sa promptitude à
la bienveillance. César, lui, convoqua aussitôt Salvidienus en hâte, en
prétendant qu’il avait besoin de le voir seul pour quelque affaire urgente
et qu’il le renverrait aussitôt à son armée, et à son arrivée, il le fit tuer,
après l’avoir confondu, et considérant l’armée qu’il avait sous ses ordres
comme suspecte, il la mit à la disposition d’Antoine.

K4. UNE POURSUITE DEVANT LE SÉNAT PAR OCTAVIEN, SUIVIE D’UNE


EXÉCUTION ET DE MESURES DE SÛRETÉ DANS ROME (DION CASSIUS,
48, 33, 1 ET 33, 3, TRAD. M.-L. FREYBURGER ET J.-M. RODDAZ ;
er e
1 TIERS DU III SIÈCLE AP. J.-C.)
1. Il fit mettre aussi à mort Salvidienus Rufus, en prétendant qu’il
complotait contre lui. (…) 3. Mais il n’y a rien de solide dans les choses
humaines et il fut accusé en plein sénat par César lui-même et égorgé
comme son ennemi et celui du peuple tout entier. Des supplications
d’action de grâces eurent lieu à cette occasion et, de plus, la garde de l’État
fut confiée aux triumvirs avec l’injonction supplémentaire habituelle qu’il
« ne subît aucun tort ».

*
* *

Depuis l’interprétation avancée par Machiavel, au moins, l’injonction


faite aux consuls par un décret du sénat de veiller à la sauvegarde de la Res
publica, en cas de menace immédiate à l’ordre des institutions ou en cas de
guerre civile, a été considérée par les modernes comme une solution de
remplacement ou une substitution (au moins à partir de l’époque
gracquienne) à la dictature tombée en désuétude trois quarts de siècle
auparavant (un dictateur avait été nommé pour la dernière fois, en
202 av. J.-C.) : « Quoique par la suite, dans les derniers temps <de
la République>, les Romains prirent l’habitude, au lieu du dictateur,
d’octroyer une autorité semblable au consul, par ces mots : « que le consul
veille, à ce que l’État ne subisse aucun dommage (Videat Consul, ne
Respublica quid detrimenti capiat) » (Machiavel, Discours sur la première décade
de Tite-Live, XIV, Florence, 1531). Assez paradoxalement, c’est la continuité
supposée d’une institution à l’autre, de la dictature à l’injonction donnée
e
aux consuls par le sénat, qui a servi au XIX siècle à définir
rétrospectivement la dictature !

Le « sénatus-consulte ultime » : genèse d’un


« syntagme » moderne
La véritable nature de cette magistrature supposée de « dernier
recours », la dictature, serait apparue, non pas au travers des situations
historiques où elle a été instaurée et où elle est observable (de 502 à
202 av. J.-C.), mais plutôt, on va y revenir, lors des répressions consécutives
à l’épisode gracquien (133-121 av. J.-C.) : « la portée politique de
la dictature se manifeste peut-être plus clairement que partout ailleurs
dans le fait que les actes illégaux commis par le consul pendant et après
la chute des Gracques sont représentés comme rentrant légalement dans
les pouvoirs du dictateur » [MOMMSEN 1984, III, p. 187, n. 1 ; cf. également
WILLEMS 1885, II, p. 248]. Les fondements méthodologiques d’une telle
analyse pourraient surprendre. Ils consistent en effet à interpréter
la vocation d’une magistrature, une fois que l’on a constaté sa désuétude
et sa disparition, à la lumière de ce qu’on considère être un mécanisme
procédural de substitution, trois quarts de siècle après la dernière
attestation de la magistrature en question. Or une telle interprétation est
moins déterminée par l’observation des institutions que par
l’interprétation qu’en ont donnée des auteurs grecs d’époque impériale.
Plutarque et Appien ont eu recours en effet à ce même détour, à ce même
biais. Le désordre institutionnel, les formes tyranniques de l’exercice du
pouvoir, les violences multiples du siècle des guerres civiles, et le sens
revêtu dans ce contexte par les dictatures syllanienne et césarienne,
les ont engagés sur cette voie d’analyse. Ainsi lorsqu’il commente
l’épisode de Tiberius Gracchus, Appien (Les guerres civiles à Rome, 1, 67) ne
cache pas sa perplexité : « Ce qui me frappe d’étonnement », écrit-il,
« c’est que des gens qui souvent, dans des moments de panique comme
celui-là, avaient été tirés d’affaire grâce au pouvoir dictatorial, ne
songèrent même pas alors à désigner un dictateur ». À son tour Plutarque
(Caius Gracchus, 18, 1) commente ainsi la mort de Caius Gracchus : « Cet
<Opimius> fut le premier à exercer, étant consul, le pouvoir d’un dictateur.
Il fit mourir trois mille citoyens sans jugement et, avec eux, Caius
Gracchus et Fulvius Flaccus ». Or jamais, précisément, en dehors
des discours édifiants qui proclament la puissance dictatoriale, ignorant
le droit d’appel et le jugement du peuple (R4), un dictateur n’a agi pour
réprimer violemment une émeute. Jamais un dictateur n’a été désigné
pour libérer la justice criminelle « ordinaire » de ses entraves légales
[RIVIÈRE 2018].
e
C’est également au XIX siècle, à l’âge de la diffusion des régimes
constitutionnels en Europe et de la définition de « l’état d’urgence » qui va
de pair – ces constitutions européennes sont en effet dotées d’articles
dérogatoires autorisant la suspension des principes légaux qu’elles
ordonnent – que la dictature romaine est apparue comme un paradigme
de l’état d’exception, et que l’injonction donnée aux consuls à l’issue d’un
vote sénatorial de « sauvegarder la Res publica », s’est figée dans
une formule : le senatus consultum ultimum, ou « sénatus-consulte de
dernier recours ». Au prisme d’une vision constitutionnaliste du dispositif
institutionnel romain – très contestable puisque la République romaine
n’a jamais connu de « constitution » fondatrice, précisément [GUARINO
1970, p. 281] –, le martellement de ces trois mots en une formule figée et
stéréotypée, fait écho aux articles dérogatoires des constitutions
modernes. Or une telle formule, commençons par ce premier constat
lexical, est absente des sources anciennes. Deux textes ont servi à la forger
en invoquant une authenticité latine. D’une part, le discours de César –
retranscrit par ses soins – adressé à ses soldats en janvier 49 av. J.-C., alors
qu’il s’apprête à franchir le Rubicon : « On aboutit à ce sénatus-consulte
extrême et de dernier recours » (R9j2). D’autre part, l’interprétation par
Tite-Live de la mesure prise au sénat lors d’une offensive menée par
les Èques contre Rome : « selon la formule de sénatus-consulte à laquelle
on recourt toujours en cas de dernière nécessité » (R9b1). Ces deux
constructions de phrase, isolées dans l’ensemble de la documentation, ne
permettent pourtant aucunement d’attribuer à la formule une portée
technique et institutionnelle. Si on peut désigner ces trois mots comme
un « syntagme », entendons ce terme au sens grammatical le plus large,
purement descriptif, – il s’agit d’une « suite de mots » tronquée et
reconstruite en bricolant les formulations de César et de Tite-Live –, et
non au sens juridique d’un « état de nécessité » (Notstandsrecht) revêtant
une « valeur technique » [contra AGAMBEN 2003, p. 79-80]
Comme cela a été démontré depuis longtemps [MOMMSEN 1879b, II,
p. 179 ; PLAUMANN 1911, p. 374-377], le second récit est anachronique, ainsi
que celui de la mesure décidée à l’encontre de Manlius Capitolinus (R34j).
Les épisodes de 464 av. J.-C. et de 385 av. J.-C. sont tout de même cités ici
car ils sont exemplaires, précisément, de ces rétroprojections
d’événements et de mécanismes institutionnels postérieurs à l’époque
gracquienne, que l’on rencontre encore chez Tite-Live à propos de
la répression des « aspirants à la tyrannie » (R4), ou de l’histoire de
« l’appel au peuple » au cours des deux premiers siècles (R3).
Particulièrement significative des conflits du dernier siècle de
la République est la confrontation dans l’épisode de Manlius Capitolinus
entre la proposition d’une action des consuls inspirée par l’autorité
sénatoriale et la solution proposée par les tribuns d’une poursuite devant
le peuple : deux leviers procéduraux constituant deux parades face à
l’accaparement du pouvoir par un seul.
Donc, plutôt que de partir d’une désignation moderne, mieux vaut
suivre les termes (variables) de l’injonction donnée au consul, récurrente
dans les sources : « que le consul veille à ce que la Res publica ne subisse
aucun dommage » ou « qu’elle soit sauve ». Il s’agit précisément d’une
injonction, d’un appel, et non pas de l’instauration d’une
« quasidiktatur », comme cela a été souvent répété depuis une étude
fondatrice instaurant ce terme [PLAUMANN 1911], ni de la délégation
des « pleins pouvoirs », tels ceux qui ont conduit à des violences contre
la légalité en Italie par exemple à la fin du XIXe siècle [BARBAGALLO 1900]. Il a
été démontré de manière particulièrement convaincante et trop souvent
négligée que l’invitation à défendre la Res publica, ne signifiait rien d’autre
en substance qu’un appel à toutes les énergies (et à l’appui de moyens
militaires) : « Déclaration d’état d’urgence, quasi-dictature, attribution de
pouvoir exceptionnels aux magistratus, affranchissement de ces derniers
aux liens appliqués ordinairement à leur activité ? Rien de tout cela. Sur
le plan juridique et constitutionnel, le consultum doit être défini seulement
comme un rappel adressé aux magistrats pour l’accomplissement de leurs
devoirs… » [GUARINO 1970, p. 285-286], un message qui ne serait finalement
pas si éloigné de celui de l’amiral Nelson adressé à sa flotte à Trafalgar,
enjoignant à chaque homme de faire son devoir au service de
l’Angleterre : « England expects that every man will do his duty » ! Et cette
injonction est devenue par ailleurs au cours des guerres civiles l’un
des enjeux de l’opposition entre les populares et les optimates et du discours
politique et institutionnel tenu ici et là [BONNEFOND-COUDRY 1989].

Le sénatus-consulte « pour la défense de l’État »


est une chose, la « suspension de l’activité judiciaire »
(iustitium) est une autre chose

Une fois reconnue, sous l’angle lexical et du point de vue juridique,


la portée du sénatus-consulte dit « ultime », et avant même d’envisager
la quinzaine d’exemples connus de ce décret enjoignant aux magistrats
d’employer les moyens nécessaires à la sauvegarde de la République,
un bref détour (nous y reviendrons ailleurs plus en détail) doit être
accompli par l’analyse du iustitium ou « arrêt de l’activité
juridictionnelle ». Le récit des mesures de défense prises en 464 av. J.-C. à
l’approche de l’ennemi (les Èques) (R9b1), s’inscrit dans une série
séquentielle récurrente chez Tite-Live, lorsque se présente une menace
identique : la « terreur » (terror), la « peur » (timor), « l’effroi » (pauor), ou
l’épouvante (conterrere) s’emparent de la ville à l’approche de l’ennemi ; on
décrète alors l’état de « trouble » (tumultus) ; des mesures de protection
militaire sont prises : surveillance des portes et des remparts, patrouilles
dans les rues, de jour comme de nuit ; proclamation enfin du iustitium.
À une exception près, et seulement à titre de comparaison (Tite-Live, 26,
26, 9 : prope iustitium, c’est-à-dire « comme s’il s’agissait d’un iustitium »),
en 210 av. J.-C., lors de la seconde guerre punique, alors que la menace
carthaginoise pèse encore sur le sol italien, toutes les occurrences du
terme apparaissent exclusivement dans la première décade de l’œuvre
livienne. Elles correspondent à la période durant laquelle Rome est aux
prises avec ses voisins immédiats, depuis les premières attaques des Èques
en 465 av. J.-C., jusqu’aux menaces gauloise, étrusque et samnite de
l’année 296 av. J.-C. Outre le texte cité ci-dessus (R9b1) indiquant
un iustitium de « quelques jours » en 464, le iustitium avait été décrété
une fois auparavant par un consul, « en vertu de l’autorité du sénat » en
465 (Tite-Live, 3, 3, 6), lors d’une campagne précédente contre les Èques. Il
n’avait duré que quatre jours (Tite-Live, 3, 3, 8). On le rencontre de
nouveau dans les occasions suivantes : en 458 av. J.-C. (Tite-Live, 3, 27, 2),
lors de la campagne du dictateur L. Quinctius Cincinnatus contre
les Èques ; en 431 av. J.-C. (Tite-Live, 4, 26, 11-12) avant la bataille de
l’Algide remportée par un dictateur contre les Èques et les Volsques ; en
427-426 av. J.-C. (Tite-Live, 4, 32, 1) ; en 389 av. J.-C., à l’occasion de
la guerre menée par Camille contre les Volsques, les Èques et les Étrusques
(Tite-Live, 6, 2, 9) ; en 386 av. J.-C. (Tite-Live, 6, 7, 1), jusqu’à la victoire de
Camille sur les Antiates ; en 366 av. J.-C. (Tite-Live, 7, 6, 12) lors
des préparatifs de guerre contre Herniques ; en 361 av. J.-C. (Tite-Live, 7, 9,
6), lors des préparatifs de guerre contre les Gaulois ; en 345 av. J.-C. à
l’occasion de la guerre contre les Aurunques (Tite-Live, 7, 28, 3) ; en
320 av. J.-C. (Tite-Live, 9, 7, 7-9) à l’annonce de la capitulation dite
des « Fourches Caudines » (lorsque l’armée romaine dut se rendre aux
Samnites à Caudium pour éviter d’être entièrement massacrée), « on
engagea spontanément (sua sponte) un iustitium sur le forum, avant même
qu’il eut été ordonné » ; en 302 av. J.-C. (Tite-Live, 10, 4, 1-2), au lendemain
d’un désastre (clades) subi face aux Étrusques ; en 296 av. J.-C., enfin (Tite-
Live, 10, 21, 3 ; 10, 21, 6), à l’occasion d’une guerre contre les Gaulois,
les Étrusques et les Samnites, un iustitium s’est prolongé durant dix-huit
jours, soit la durée la plus longue attestée. L’hypothèse a donc été avancée
selon laquelle cette coïncidence lexicale pourrait refléter
la documentation officielle à laquelle Tite-Live avait recouru pour
la rédaction des dix premiers livres de son œuvre, peut-être des sources
sacerdotales [KUNKEL-WITTMANN 1995, p. 225-229] – Denys d’Halicarnasse ne
fait quant à lui jamais allusion à cette mesure. Durant la même période, et
en dehors de ces proclamations officielles, toutes issues d’un contexte de
guerre, Tite-Live emploie le mot en une seule occasion, et seulement à
titre comparatif à propos des troubles intérieurs à la cité provoqués par
la rivalité entre patriciens et plébéiens : en 366 av. J.-C. (Tite-Live, 7, 1, 4),
l’inaction (otium) visant à paralyser toute initiative du consul plébéien
paraît « semblable à un iustitium » (iustitio simile).
Que signifie ce terme ? Son étymologie, d’abord, nous met sur la voie :
de la même façon que le solstitium signifie le moment où le soleil semble
s’arrêter (sol stat), de la même façon le iustitium signifie un arrêt du droit.
Faut-il pour autant accorder à cet « arrêt du droit » une signification
presque cosmique, elle aussi, comme cela avait été suggéré dès la fin du
e
XIX siècle dans une étude où étaient confondues les mesures relevant du

senatus consultum ultimum et le iustitium proprement dit [NISSEN 1877] ?


Cette interprétation isolée a servi plus récemment à forger le concept
« d’anomie » et à nourrir la théorie de « l’état d’exception », en accordant
à l’histoire des institutions de Rome une valeur paradigmatique, voire
fondatrice [AGAMBEN 2003]. Cette théorie paroxystique ne résiste pas à
l’analyse historique et philologique des sources antiques, invoquées dans
un recours argumentatif de légitimation théorique. En 111 av. J.-C., alors
que la guerre était déclarée au roi de Numidie, Jugurtha, le consul
P. Cornelius Scipio Nasica, avait décrété un iustitium : il s’était traduit à
la fois par l’arrêt des « ventes aux enchères » (auctiones) et des « audiences
des ambassadeurs » (legationes) (Cicéron, Pour Plancius, 14, 33). Lorsqu’il
définit le sens de ce mot rencontré chez Cicéron, le scholiaste (Scholia
Bobiensia, p. 158 Stangl) précise qu’il s’agit d’un arrêt des « procès civils »
(ciuilia negotia). Surtout, pour comprendre le sens du terme iustitium, il est
indispensable de citer, sans la tronquer, une référence à un verset de la Loi
des XII Tables (3, 1) :

Pour la dette d’argent reconnue par un jugement, trente jours sont


donnés pour rassembler la somme à payer et ces jours,
les décemvirs les ont appelés iustos <légaux>, comme s’il s’agissait
d’un iustitium, c’est-à-dire une sorte d’interruption (interstitio) et
d’arrêt (cessatio), pour ainsi dire, du droit, jours pendant lesquels
aucune poursuite ne pouvait être engagée contre eux légalement.
Puis ensuite, s’ils ne s’étaient pas acquittés, ils étaient convoqués
devant le préteur et assignés par lui à ceux à qui ils avaient été
adjugés (addicere) ; ils étaient aussi liés ou par une entrave (neruus)
ou par des chaînes (compedes). (Aulu-Gelle, 20, 1, 42-44)

Ce n’est qu’en isolant les quelques mots de la comparaison « comme


une sorte de iustitium, c’est-à-dire une sorte d’interruption et d’arrêt, pour
ainsi dire, du droit » – ce rapprochement est éclairant, mais il est
dépourvu de signification juridique [HUMBERT 2018, p. 133] –, que l’on peut
affirmer que le iustitium consisterait en une sorte de suspension du droit
dans son ensemble. En revanche, si on lit ce fragment dans son entier, on
comprend bien qu’il ne s’agit que d’une « trêve » accordant un délai au
débiteur pour s’acquitter de sa dette [GAROFALO 2009]. Rien de plus.
Fermeture des tribunaux civils, arrêt des activités marchandes ou
bancaires sur le forum, le iustitium consiste en une mesure pragmatique
des pouvoirs publics romains (en vertu de l’autorité sénatoriale, il est
proclamé par un consul ou un dictateur), pour se consacrer entièrement à
l’effort de guerre.
Jamais, il faut y insister, aucune proclamation du iustitium n’est
intervenue dans un contexte de guerre civile ou de désordres intérieurs
durant les premiers siècles de Rome, à une exception près. En effet, si Tite-
live (29, 18, 1) ne recourt pas explicitement à ce terme, il y a tout lieu
d’identifier comme un iustitium la décision du sénat de « reporter »
(differe) – pour une durée de trente jours conformément, comme on l’a vu
plus haut, au délai connu par la Loi des XII Tables – les actions judiciaires
privées intervenue en 186 av. J.-C., lors de la répression des bacchanales
(R8). En 90 av. J.-C., c’est de nouveau, un contexte de guerre – la « guerre
sociale » qui était menée en Italie contre les « alliés » (socii) insurgés pour
l’obtention de la citoyenneté romaine – qui conduisit à la proclamation
d’une suspension de l’activité des tribunaux, non seulement cette fois
des tribunaux civils, mais également des tribunaux de jurys criminels
(iudicia publica), à l’exception d’un seul. En effet, dans la mesure où
certains hommes politiques romains (parmi les populares) étaient
favorables à la cause des insurgés, une Lex Varia de maiestate avait été
votée, en vertu de laquelle étaient poursuivis tous ceux qui « par leur
action ou leur conseil » (ope et consilio) auraient trahi. Il allait donc de soi
que dans ce contexte de guerre (forcément mêlée aux troubles civils à
cette date) ce tribunal créé pour cette cause ait poursuivi son activité,
tandis que celle des autres tribunaux demeurait suspendue en raison du
contexte militaire. Le jeune Cicéron (il avait alors seize ans) ne put donc
poursuivre son apprentissage de l’éloquence à l’écoute des orateurs qu’en
se rendant devant ce seul tribunal :
On ne présidait qu’un tribunal (iudicium), uniquement celui qui
avait été créé en vertu de la loi Varia, tous les autres étant
suspendus (intermettere) à cause de la guerre. J’y assistais souvent,
même si les orateurs y prenaient la parole pour leur propre
défense et ne comptaient pas parmi les premiers du barreau, mais
c’était des orateurs tout de même, tels que L. Memmius et
Q. Pompeius, tandis que l’on pouvait entendre occasionnellement
un témoin habile dans l’art de la parole tel que Philipus dont
l’éloquence animée jusque dans le témoignage avait la force et
l’abondance de celle d’un accusateur. (Cicéron, Brutus, 89, 304)

Si, par précaution et en l’absence de l’emploi du terme, un doute


pourrait s’élever sur la proclamation d’un iustitium en la circonstance, y
compris donc (à une exception près, le tribunal de la loi Varia sur
la majesté) dans le domaine de la justice criminelle, toute hésitation
disparaît à la lecture du scholiaste de Cicéron. Il s’agit d’Asconius qui
rédigeait son commentaire d’un plaidoyer de l’orateur quelques décennies
plus tard sous le règne de Néron (ce plaidoyer, Pour la défense de Cornelius,
n’est pas conservé par ailleurs) :

Alors qu’un grand nombre de prévenus étaient injustement


condamnés, comme si cette guerre avait éclaté parce qu’ils en
étaient les auteurs et tandis que parvenaient les nouvelles
incessantes des défections des Italiques, trouvant là l’occasion d’un
iustitium, le sénat décréta que tant que l’agitation italienne
(tumultus Italicus) durerait, les tribunaux ne seraient pas présidés
(ne iudicia… exercerentur). Un décret qui avait souvent été demandé
dans les assemblées du peuple (in contionibus populi). (Asconius, En
défense de Cornelius pour majesté, p. 58 Stangl)
Que l’exercice de la justice criminelle ait été également suspendu par
l’effet d’un iustitium est encore confirmé quelques années plus tard, en
56 av. J.-C., par une proposition de Clodius que dénonce Cicéron :

Car <les dieux> nous avertissent encore d’éviter « que des projets
secrets ne nuisent à la République ». Y en a-t-il de plus secrets que
ceux d’un homme qui a osé dire lors d’une réunion du peuple
(contio) qu’il fallait que soit proclamée une suspension de l’exercice
de la justice (iustitium edici), interrompre la juridiction <du
préteur> (iuris dictionem intermitti), fermer le trésor (claudi
aerarium), supprimer l’activité des tribunaux (iudicia tolli). (Cicéron,
Sur les réponses des haruspices, 55)

Cette proposition de Clodius signifie pour la première fois chez


un auteur latin qu’en dehors d’un contexte de guerre, il était possible de
solliciter la suspension de l’exercice de la justice. C’est assurément ce qui
c’était produit plus de trente ans auparavant, en 88 av. J.-C. lorsque
le consul Sylla et son collègue avaient tenté d’empêcher la réunion
des comices (tributes) par le biais d’une telle proclamation. Sylla
souhaitait notamment empêcher le vote de la proposition de loi du tribun
Publius Sulpicius visant à lui enlever le commandement de la guerre
contre Mithridate – il l’avait obtenu précédemment par tirage au sort – au
profit de Marius. Selon Appien (Les guerres civiles à Rome, 1, 244-
245), les consuls firent alors annoncer « une longue période de cessation
des activités (argia), comme il est d’usage à l’occasion des fêtes
religieuses ». Si le terme argia désigne généralement « le repos,
l’oisiveté », Plutarque emploie quant à lui, le synonyme, apraxia
(« l’inertie », le repos ») pour décrire le même épisode (Plutarque, Sylla, 8,
6). Une telle proclamation conduisit le tribun Sulpicius à recourir aux
armes et à ses hommes de main pour forcer les consuls à revenir sur leur
proclamation. Poursuivi jusque chez son adversaire Marius où il trouva
un moment refuge, Sylla fut contraint par la force de se rendre sur
le forum « où, comme les factieux l’exigeaient, il annula la suspension
des affaires (apraxia) » (Plutarque, Marius, 35, 4). Mais bientôt il rejoignit
son armée en Campanie, pénétra dans la Ville avec ses soldats – en dépit
de l’espace démilitarisé (inermis) que dessinait la limite religieuse du
pomerium, une première dans l’histoire de Rome – et partit mener
la guerre en Orient. Comme on le comprend au travers de ce résumé,
le déroulement d’une telle séquence ne s’apparente en rien au sénatus-
consulte ultime ainsi qu’on l’a parfois supposé. En deux endroits
seulement le iustitium est articulé au sénatus-consulte ultime : dans son
évocation poétique de la terreur et du deuil qui s’emparent de Rome après
le franchissement par César du Rubicon – une action consécutive au
décret du sénat –, Lucain évoque une « funèbre suspension à travers
la ville » (ferale per urbem iustitium) (Pharsale, 2, 17-18). Cependant, le décret
du sénat et le iustitium ne constituent pas nécessairement un dispositif
organique. De même, lorsqu’en 43 av. J.-C., pour inviter le sénat à déclarer
la guerre contre Antoine, Cicéron (Philippiques, 5, 12, 31), propose « de
décider qu’il y avait tumulte, de proclamer la suspension de l’exercice de
la justice, de revêtir l’habit militaire » (tumultum decerni iustitium edici, saga
sumi), cet enchaînement de mesures traditionnelles en cas de menace
directe de la Ville, est disjoint du sénatus-consulte visant le même
personnage.
Cependant, depuis quelques décennies déjà, au moins depuis
les « funérailles royales » de Sylla sur le Champ de Mars (Campus Martius)
en 78 av. J.-C., le terme de iustitium avait désormais une application
différente de celle des origines, puisque la suspension des activités ainsi
désignée était désormais liée au contexte de deuil de l’imperator :
C’est pourquoi il y eut une suspension (iustitium) et les matrones
portèrent le deuil (lugere) une année entière ». (Granius Licinianus,
36, 25-30)

Plus tard, il sera lié également au deuil d’un membre de la famille


impériale ou du prince lui-même. Un tel glissement invite bien sûr à
la réflexion, quelle que soit l’interprétation qu’on lui donne. Celle-ci nous
éloignerait cependant du contexte du droit pénal et du « sénatus-consulte
ultime » qui, en certaines circonstances où il n’est pas seulement question
d’affrontement armé, mais également de la répression d’une conjuration
ou d’une insurrection, semble dévier l’exercice de la justice criminelle du
cadre légal.

L’épisode gracchien (133-121 av. J.-C.) et l’ouverture


d’un siècle de guerres civiles

Avant de surgir de la bouche du grand Pontife Scipion Nasica en


133 av. J.-C. pour appeler au meurtre de Tiberius Gracchus et de ses
partisans, la formule appelant à la « sauvegarde de l’État » est issue
originellement du vocabulaire militaire employé pour désigner une levée
dans l’urgence, lorsque les règles habituelles du recrutement (dilectus), du
serment individuel et de l’exemption ne peuvent être appliquées, et qu’un
serment collectif (coniuratio) s’impose (R9a). Cette acception militaire
originelle du mot coniuratio déjà observée lors de l’affaire des bacchanales
de 186 av. J.-C. (Commentaire à R8) permet de prendre la mesure de
la gravité des insurrections ainsi désignées. Elles s’apparentent alors à
une véritable mobilisation, à l’intérieur de la cité, contre des citoyens eux-
mêmes.
En 133 av. J.-C., alors qu’il cherchait à obtenir le vote par le peuple de
sa loi agraire, le tribun de la plèbe Tiberius Gracchus se heurta à
l’obstruction d’un autre tribun, Octavius, lequel obéissait aux intérêts
des éléments les plus conservateurs du sénat. Grâce au mécanisme de
l’intercessio (un droit de veto permettant notamment d’empêcher l’action
d’un autre membre du collège tribunicien), Octavius bloquait la procédure
électorale. À deux reprises Tiberius tenta de le convaincre. En vain. Il
obtint alors la destitution d’Octavius par le peuple, un fait sans précédent.
Sa loi fut votée. Tiberius envisagea ensuite de se présenter de nouveau aux
élections tribuniciennes pour l’année suivante. À l’issue d’un débat au
sénat au cours duquel le consul en charge, Scaevola, s’était fait, contre
la perpétration de tout acte violent, le défenseur de la légalité et du
respect des formes procédurales, le Grand Pontife, Scipion Nasica,
accomplit un geste dont le sens a été beaucoup discuté et qui pourrait
relever d’un rituel guerrier en exhortant « ceux qui voulaient le suivre » à
recourir à la force, afin de sauver l’État – une formule qui est la réplique
exacte de la mobilisation dans l’urgence en cas de guerre aux portes de
la Ville (R9a). La mort de Tiberius Gracchus et la répression immédiate de
ses partisans, furent suivies de poursuites judiciaires devant des tribunaux
réunis pour la circonstance (R9e-g).
Entre le moment de la répression et des assassinats délibérément
accomplis, et celui, l’année suivante, des poursuites capitales menées par
les nouveaux consuls (Popilius Laenas et P. Rupilius), des exécutions
sommaires de citoyens partisans de Tiberius ont été ordonnées. Il n’est
pas indifférent d’observer que ces exécutions ont été accomplies dans
le cachot, un lieu réservé depuis la plus haute époque aux mises à mort de
certains criminels, ou encore des chefs ennemis à l’occasion du triomphe
[RIVIÈRE 2004c]. Et plus précisément encore, à l’intérieur du cachot, selon
une désignation métonymique et topographique, dans le robur ou robus,
c’est-à-dire dans « le chêne » (R9g1). Toutes les hypothèses ont été
envisagées à partir de l’indication laconique fournie par un grammairien
d’époque augustéenne soucieux d’expliciter le lexique le plus ancien :
On appelle aussi le chêne (robus) un endroit dans le cachot où on
jetait (praecipitare) un genre de criminels (maleficus) que l’on
enfermait auparavant dans des coffres de chêne (arcae robusteae).
(Festus, p. 352 Lindsay)

Sans doute doit-on considérer, à la lecture de ce texte, qu’il s’agit d’un


lieu associé au Tullianum, la partie inférieure du cachot du Capitole [DAVID
1984, p. 145, n. 66], comme le laisse également supposer l’apostrophe de
P. Scipion Nasica, en défense de Lucius Scipion, lors du procès de ce
dernier en 187 av. J.-C. :

(…) pour que cet homme illustre soit enfermé dans le cachot parmi
les voleurs nocturnes (fures nocturni) et les brigands (latrones) et
qu’il expire dans le chêne (robur) et les ténèbres, pour être ensuite
jeté nu devant le cachot. (Tite-Live, 38, 59, 10)

Encore au début de l’époque impériale (Tacite, Annales, 4, 29, 2),


la foule menace un fils qui accuse son père devant la cour sénatoriale du
« chêne (robur), de la roche Tarpéienne (saxum) (R34), et de la peine
réservée au parricides (parricidarum poenas) (R35), trois formes de mise à
mort devenues proverbiales, et sans doute trois représentations
archétypales du châtiment le plus effroyable.
Si une partie des proches de Tiberius Gracchus ont été ainsi exécutés,
dans la foulée sans doute de la répression, et selon des formes qui
pourraient évoquer un exercice réglé de la justice, d’autres l’année
suivante ont également été poursuivis devant des tribunaux par les deux
nouveaux consuls, Popilius Laenas et Publius Rupilius. Les renseignements
fournis par les sources sont peu précis, mais l’épisode de Blossius de
Cumes, notamment (R9e), et quelques autres mentions brèves indiquent
qu’il s’agissait de poursuites menées devant des « tribunaux d’enquêtes »
réunis par les consuls [UNGERN-STERNBERG 1970]. Un demi-siècle auparavant,
on s’en souvient, ce sont également des quaestiones conduites par
les consuls qui avaient procédé à la répression des adeptes de Bacchus
(R8). L’épisode de 133 av. J.-C. marque un tournant, dans l’histoire de
la République romaine en général – il ouvre le siècle des guerres civiles –,
mais également dans l’histoire de la procédure. Une première question se
pose. L’invitation de Scipion Nasica à recourir à la violence essuya un refus
de la part de Scaevola, mais cette demande constituait-elle
une innovation ? Ce n’est pas assuré. Une seconde question concerne
les poursuites capitales intentées dans le cadre de tribunaux et sous
la conduite des consuls de l’année suivante : sur quel fondement juridique
ont-elles été instituées ? Dans la mesure où les deux consuls de 132 av. J.-
C. ont été poursuivis dix ans plus tard pour avoir conduit des procès
capitaux sans recourir au peuple – contrairement à la législation sur
le « droit d’appel » et à celle sur le monopole du peuple en matière de
poursuite capitale intentée contre un citoyen (R3) – on pourrait
considérer comme illégale leur action. Il se pourrait cependant que
la réponse soit plutôt politique en raison des protagonistes impliqués.
Un scénario très comparable s’est reproduit en 121 av. J.-C. contre
Caius Gracchus et ses partisans, sous couvert cette fois d’une procédure
relevant de l’autorité sénatoriale. Caius Gracchus avait notamment fait
voter deux lois : la première visait M. Octavius en empêchant tout
magistrat ayant été déposé par le peuple de briguer une autre charge ;
la seconde, essentielle au regard du droit criminel et de la vie politique
(elle devint un enjeu entre les populares et les optimates durant un siècle)
rappelait l’interdiction légale de mettre à mort un citoyen sans jugement
du peuple réuni en comices. Cependant Caius Gracchus ne parvint pas à
être réélu tribun de la plèbe. La mort d’un appariteur déclencha l’émeute.
Les deux camps prirent les armes. Le consul Opimius se mit lui-même à
la tête du mouvement en agissant conformément à l’injonction formulée
par le sénat – selon l’appellation moderne, cet épisode est donc
la première attestation du « sénatus-consulte ultime » (R9d). Comme
douze ans auparavant, des tribunaux furent mis en place à la suite de
l’émeute pour poursuivre les partisans du tribun séditieux.

Parcours chronologique des décrets du sénat


postérieurs aux Gracques et visant à la « sauvegarde
de l’État » (100-40 av. J.-C.)

Une vingtaine d’années après la mort de Caius Gracchus, les violences


commises par le préteur C. Servilius Glaucia et par le tribun de la plèbe
L. Appuleius Saturninus, dont la législation avait heurté les intérêts du
sénat, conduisirent le 9 décembre en 100 av. J.-C., à la même injonction et
à une répression sanglante conduite par le consul Marius. Rappelons
brièvement les faits : Saturninus s’était associé au préteur Glaucia pour
promouvoir – avec le soutien de C. Marius, et en assurant en retour à ce
dernier une aide à ses ambitions – une législation favorable aux intérêts
du peuple (popularis), dans le sillage du mouvement initié par les Gracques.
Une loi frumentaire (limitation du prix du blé public), puis une loi agraire
(attribution de lotissements aux vétérans de Marius) en sont l’expression.
Lorsque l’adversaire de C. Marius, Q. Caecilius Metellus Numidicus,
n’avait pas voulu prêter serment à la loi agraire, il avait été contraint à
l’exil et avait alors encouru un plébiscite de bannissement,
une « interdiction de l’eau et du feu » (R41h). Une Lex Appuleia de maiestate
de l’année 100 av. J.-C. avait également instauré un tribunal pour
la poursuite des atteintes à « la majesté du peuple Romain ». Cette notion
d’atteinte à la majesté du peuple existait au moins depuis le milieu du
e
III siècle avant J.-C. où elle est attestée pour la première fois. Claudia, par

exemple, la sœur de P. Claudius Pulcher aurait été poursuivie devant


le peuple sous ce grief en 246 av. J.-C. (R19c). La Lex Appuleia de maiestate de
100 av. J.-C. introduisait pourtant deux nouveautés : elle définissait
désormais la maiestas populi Romani, non plus seulement comme « un grief
aggravant dans le cadre d’autres poursuites », mais comme « un crime
dont il fallait établir s’il avait été établi ou non » et qui était poursuivi par
un tribunal de jurés chargé de le réprimer [FERRARY 1983, p. 256-258]. Alors
que Saturninus était candidat, de nouveau, pour la réitération de son
tribunat (pour l’année 99 av. J.-C.), alors que Glaucia lui-même visait
le consulat, la brigue et les violences qu’ils commirent pour parvenir à
leurs fins conduisirent le sénat à agir contre eux, tandis que Marius non
seulement les abandonnait à leur sort, mais conduisait lui-même
la répression.
Cet épisode est très emblématique des conflits politiques qui opposent
les partisans du peuple (populares) aux partisans de l’ordre sénatorial
(optimates), car il est connu, en partie précisément en raison du procès
intenté trente-sept ans plus tard, à l’instigation de César, contre l’un
des protagonistes, Rabirius, qui avait pris part au massacre et qui fut
défendu par Cicéron : l’intérêt de ce cas n’est pas seulement de faire
ressurgir la procédure d’appel devant le peuple et le procès
duumviral (R3), il permet en raison des griefs reprochés à l’accusé dans
le cadre d’un procès comitial de mettre en confrontation l’attachement au
principe du respect des droits du citoyen devant la justice, et
la justification du recours à la violence en cas d’émeute ou de menace
des institutions.
L’augmentation de la violence des guerres civiles conduisit au retour
plus fréquent de l’injonction adressée aux consuls de défendre
les institutions. Peut-être y a-t-on eu recours en 88 av. J.-C., assurément en
83 av. J. C. contre Sylla, ou en 77 av. J.-C. contre Lépide. Mais l’exemple
le plus fameux, car il est aussi le mieux documenté, est celui de
la conjuration de Catilina en 63 av. J.-C. Autant que le procès de Rabirius,
ce cas est exemplaire puisque c’est à cette occasion que la législation
des siècles antérieurs sur la prouocatio a été invoquée, notamment par
César qui préconisait de placer en détention les prévenus dans des cités
voisines de Rome et de confisquer leur patrimoine, plutôt que de
les mettre à mort, comme l’ont voulu Caton (il ne s’agit pas selon lui de
décider d’un jugement mais de préparer la guerre contre des ennemis) et
le consul Cicéron qui fit mettre à mort une partie des complices.
Les débats qui eurent lieu alors parmi les sénateurs avaient bien pour
objet un châtiment et le recours à la violence. Ils ne signifient pas qu’en
cette occasion le sénat s’est transformé en cour de justice qui préfigurerait
l’enquête sénatoriale (R11) apparue au commencement de l’Empire, et qui
est une autre chose [FLACH 1996, p. 359-360]. Cicéron sera contraint à l’exil
cinq ans plus tard, en 58 av. J.-C., pour cette raison, à l’initiative du tribun
Clodius qui fit d’abord voter une Lex Clodia de capite ciuis Romani
le poussant à partir (R3m), avant que son départ ne soit entériné par
un plébiscite de bannissement dit Lex Clodia de exilio Ciceronis (R41i)
[MOREAU 1987].
Mais, dès le commencement de l’année 62 av. J.-C., quelques semaines
seulement après l’exécution des chefs catiliniens arrêtés à Rome, le tribun
Metellus Nepos avait déjà tenté de le poursuivre pour la même raison :
« on alléguait en effet que les sénateurs n’avaient pas le droit de voter
la mort d’un citoyen sans le consentement du peuple » (Dion Cassius, 37,
42, 2). Si la tentative échoua alors – un sénatus-consulte, annulé cinq ans
plus tard par la loi de Clodius [MOREAU 2013, p. 40-41] proclama
« l’impunité » (adeia) de ceux qui avaient joué un rôle dans cette affaire –,
les menées de ce tribun au sénat doivent être ici rapportées car elles
témoignent de la banalisation de l’injonction adressée aux consuls de
sauver l’État. Metellus Nepos souhaitait, pour des raisons politiques,
le rappel à Rome de Pompée, alors que ce dernier commandait toujours en
Orient. Le tribun justifiait la nécessité de ce retour « pour garder et sauver
la Ville mise en péril par Catilina » (Plutarque, Caton le Jeune, 26, 2), en
raison de la menace qu’auraient fait peser les dernières troupes
catiliniennes. Or tandis que le scribe lisait sa proposition devant le peuple
sur le forum, deux de ses adversaires, Caton et Quinctius Mucius,
empêchèrent cette lecture. Le tribun prit le texte entre les mains pour en
faire lui-même la lecture, une rixe éclata : « les sénateurs se réunirent
alors le même jour à la curie, changèrent de vêtement et confièrent aux
consuls la protection de la cité « afin que nul dommage ne l’atteigne »
(Dion Cassius, 37, 43, 1). À l’issue de quoi Metellus partit rejoindre Pompée
en Orient.
Dix ans plus tard, en 52 av. J.-C., le meurtre de Milon et les violences
consécutives qui conduisirent à la destruction de la Curie, engagèrent de
nouveau à confier à plusieurs magistrats la sauvegarde de l’État (R10).
Trois ans après, en 49 av. J.-C., c’est un tel décret du sénat qui précipita
la guerre civile entre César et Pompée (R9j). Dans les tout premiers jours
de janvier 49 av. J.-C., alors que Pompée se trouvait avec son armée dans
les faubourgs de Rome, César était à Ravenne. Il n’avait pas encore quitté
la Gaule Cisalpine dont le gouvernement (avec celui de l’Illyrie et de
la province de Transalpine) lui avait été remis près de dix ans auparavant,
en 58 av. J.-C. Ce proconsulat prorogé lui avait permis entretemps
d’achever la conquête de la Gaule chevelue, jusqu’aux rivages de
l’Atlantique et de la Manche, mais cette prorogation venait maintenant à
son terme. Le proconsul refusait pourtant d’abandonner
le commandement de ses troupes – fidèles et aguerries –, si, au même
moment, son adversaire Pompée n’agissait pas de même. Le 1er janvier
49 av. J.-C., alors que les nouveaux consuls entraient en charge, une lettre
de César parvint au sénat, dans laquelle il exposait ses exigences : elles
furent repoussées par un vote en faveur de Pompée. Les sénateurs
décrétèrent ensuite le port de l’habit de guerre (le sagum), malgré
la tentative d’intercession de deux tribuns césariens, Marc Antoine et
Q. Cassius Longinus, qui aussitôt quittèrent Rome pour rejoindre leur chef.
Le 7 janvier, successivement, était voté un sénatus-consulte en réaction
aux agissements des tribuns, proclamées la levée dans l’urgence (le
tumultus) et la déclaration d’ennemi public visant César, assortie d’un délai
pour le licenciement de son armée [ALLELY 2012, p. 82-84]. Le 12 janvier 49
e
ap. J.-C., à la tête de la XIII légion César franchit le Rubicon, le petit fleuve
qui constituait, au Sud d’Ariminum (Rimini), la limite entre la province de
Cisalpine et l’Italie proprement dite. La guerre civile contre Pompée était
engagée.
Plusieurs décrets identiques furent adoptés consécutivement dans
les années suivantes : en 48 av. J.-C., alors que César poursuit la guerre
civile contre les Pompéiens, à Rome, le préteur Caelius, l’un de ses
partisans, s’estime mal récompensé de son aide. Sa proposition de
supprimer le versement des loyers et d’annuler les dettes lui attire
des soutiens dans la plèbe. Les sénateurs confièrent alors « la garde de
la ville » au consul Publius Servilius Vatia Isauricus, « une procédure dont
j’ai souvent parlé auparavant », précise Dion Cassius (42, 23, 2). De fait,
l’historien grec est l’auteur qui rapporte le plus systématiquement, à
chaque fois qu’elle est occasionnée, l’injonction de sauvegarde de la cité.
Le consul profite du passage de troupes à Rome pour agir contre le préteur
rebelle soutenu par la foule. Caelius s’enfuit rejoindre dans le Sud de
l’Italie l’insurrection conduite par Milon qui, quatre ans après son exil à
Marseille (R10), avait tenté de conduire un soulèvement contre César. Ils
meurent l’un après l’autre au cours des combats. L’année suivante, en
47 av. J.-C., Marc Antoine, alors maître de cavalerie du dictateur César
toujours absent d’Italie, reçoit le soutien formel du sénat pour légitimer
son action militaire dans la Ville (Dion Cassius, 49, 29, 3). À trois reprises
au cours de l’année 43 av. J.-C. le sénat prononce le même décret : lors de
la déclaration de guerre contre Marc Antoine et Cassius Longinus (Dion
Cassius, 46, 31, 2 : « avec insertion dans le décret de la formule ordinaire
« “de veiller à ce que la République n’éprouvât aucun dommage” ») ; pour
protéger la Ville contre l’avancée d’Octavien (Dion Cassius, 46, 44, 4) ; pour
permettre à Octavien « de pouvoir faire légalement tout ce qu’il voudrait »
(Dion Cassius, 46, 47, 4). Alors que ces derniers cas semblent relever d’une
pure logique militaire de guerre civile – sans rapport direct avec
les entraves à l’appel au peuple ou à la puissance tribunicienne –,
la dernière occurrence de la formule en 40 av. J.-C. mérite d’être soulignée
au regard de l’histoire de la procédure criminelle. Un partisan d’Octavien,
Salvidienus Rufus, s’apprêtait à rejoindre le camp d’Antoine, lorsqu’eut
lieu la réconciliation des triumvirs par les accords de Brindes. À cette
occasion, Marc Antoine aurait révélé à Octavien la trahison de son ami. Ce
dernier fit venir Salvidienus Rufus à Rome. La succession des séquences
décrites par Dion Cassius (48, 33, 3) est la suivante : Salvidienus est accusé
au sénat, il est exécuté « comme ennemi de César et du peuple entier »,
des supplications ont lieu, la garde de la ville est soumise aux triumvirs
« avec l’injonction habituelle de veiller à ce qu’elle n’éprouvât aucun
dommage ». Les versions de la mort de Salvidienus, parfois imprécises
(Velleius Paterculus, 2, 76), varient : suicide (Tite-Live, Abrégés, 127) ou
exécution (Appien, Les guerres civiles à Rome, 5, 66) ? Peu importe,
l’implication du sénat dans sa condamnation attestée par Dion Cassius
avait déjà été soulignée par Suétone :

Il le livra au sénat (tradere) pour qu’il soit condamné en raison de


la révolution (res nouae) qu’il tramait. (Suétone, Auguste, 66, 3)

Si on a parfois considéré qu’une telle mise en scène ne relevait


aucunement du droit criminel [KUNKEL 1995b, p. 276-277], elle n’est pas sans
préfigurer ce que seront les poursuites sénatoriales qui se dérouleront
sous l’Empire à l’occasion des procès de lèse-majesté (R11). À moins que
l’épisode, précisément, ne soit réinterprété par Suétone et Dion Cassius, à
la lumière de ce qu’ils connaissaient eux-mêmes et pouvaient observer de
la procédure sénatoriale à leur époque.
10

Jurys d’enquête extraordinaires et crime


de « violence » : le procès contre Milon
en 52 av. J.-C.
Commentaire au plaidoyer Pour Milon
de Cicéron
(argument de Pedianus Asconius, p. 30-37 ;
45-46 Stangl ; 54-57 ap. J.-C.)

a. À l’initiative du tribun de la plèbe


M. Caelius Rufus, Milon et Cicéron
s’adressent au peuple (réuni en contio) :
l’embuscade aurait été tendue
par Clodius ; autour du 27 janvier
9. L’incendie de la curie avait soulevé une indignation de la cité
relativement plus grande que le meurtre de Clodius. C’est pourquoi, alors
qu’on s’imaginait déjà qu’il était parti en exil volontaire (exilium
uoluntarium), Milon était revenu à Rome la nuit même où la curie avait été
incendiée, réconforté par la haine suscitée par ses adversaires, et il
briguait le consulat comme si rien de particulièrement grave ne s’était
produit. Il avait donné ouvertement à chaque citoyen mille as par tribu.
Quelques jours plus tard, le tribun de la plèbe M. Caelius lui offrit
la possibilité de s’exprimer devant une assemblée (contio), et Cicéron lui-
même y défendit également sa cause devant le peuple (ad populum). Ils
prétendaient l’un et l’autre que l’embuscade (insidiae) avait été tendue par
Clodius contre Milon.

b. « Que l’État ne subisse aucun


dommage », sénatus-consulte adopté
entre le 3 et le 10 février. – Levée
militaire. – Les deux neveux de Clodius
engagent la poursuite auprès de Pompée
au sujet des esclaves de Milon. –
Démarche symétrique de la défense ;
durant le mois intercalaire
10. Pendant ce temps, des interrois étaient désignés les uns après
les autres, parce que les comices consulaires ne pouvaient avoir lieu, en
raison des troubles (tumultus) <suscités par> les candidats eux-mêmes et
des attaques à main armée (manus armatae). C’est pourquoi, en premier
lieu, on adopta un sénatus-consulte qui chargeait l’interroi, les tribuns de
la plèbe et Cn. Pompée – en tant que proconsul il se trouvait aux abords de
la ville (ad urbem) – de veiller « à ce que l’État (Res publica) ne subisse
aucun dommage (detrimentum) et qui chargeait également Pompée de
procéder à une levée militaire (dilectus) à travers toute l’Italie. Tandis qu’il
recrutait un détachement (praesidium) avec la plus grande promptitude,
deux très jeunes gens (adulescentuli) déposèrent la demande (postulare)
auprès de lui que la famille <servile> (familia) de Milon et celle de sa
femme Fausta soient présentées (exhibere). Ils s’appelaient l’un et l’autre
Appius Claudius, ils étaient les fils de C. Claudius qui avait été frère de
Clodius et c’est pourquoi, en raison de la mort de leur oncle, ils menaient
une poursuite (persequor) à l’instigation du frère <de ce dernier> (auctore
fratre). Une demande identique relative aux familles <serviles> de Milon et
de Fausta fut déposée par les deux Valerii, (Valerius) Nepos et (Valerius)
Leo ; et aussi par L. Herennius Balbus au sujet de la famille <servile> et
des membres de l’escorte (comites) de P. Clodius. Dans le même intervalle,
Caelius déposa une demande au sujet de la famille <servile> d’Hypsaeus et
de celle de Q. Pompée.
11. Q. Hortensius, M. Cicéron, M. Marcellus, M. Calidius, M. Caton,
Faustus Sylla se présentèrent pour assister (adesse) Milon. Dans un bref
discours, Q. Hortensius déclara que ceux qu’on demandait (postulare) <de
produire> comme esclaves (serui) étaient des personnes libres (liberi) ; en
effet, après le meurtre qui s’était récemment produit, Milon les avait
affranchis sous ce prétexte de l’avoir vengé (ulciscor) en sauvant sa tête
(caput). Ces actions se déroulaient durant le mois intercalaire.

c. Au sénat, après la justification


du meurtre de Clodius tentée
par M. Caton, Q. Metellus Scipion expose
une version des faits accablante pour
Milon
12. Treize jours environ après que Clodius eut été tué, Q. Metellus
Scipion se plaignit au sénat de M. Caton au sujet du meurtre de P. Clodius.
Il dit que la façon dont Milon avait construit sa défense reposait sur de
fausses allégations […] et qu’en réalité Clodius avait quitté <la Ville> avec
vingt-six esclaves pour aller prononcer un discours devant les décurions
d’Aricie, tandis que Milon, à peine la séance du sénat avait-elle été levée, à
la quatrième heure, s’était porté sans plus attendre à sa rencontre avec
plus de trois cents esclaves en armes et qu’après avoir dépassé Bovillae, il
l’avait attaqué par surprise en chemin. <Q. Metellus Scipion ajoutait>
qu’après avoir reçu trois blessures, P. Clodius avait été transporté à
Bovillae, que l’auberge où il avait trouvé refuge avait été prise d’assaut
(expugnare) par Milon, que Clodius en avait été sorti à demi-mort et qu’il
avait été tué sur la via Appia, où son anneau lui avait été enlevé alors qu’il
expirait. Qu’ensuite Milon, sachant qu’un fils de Clodius encore en bas âge
était élevé à Albe, s’était rendu à la villa en question et que, ne trouvant
pas l’enfant qui avait été évacué à temps, ils avaient <lui et les siens>
soumis l’esclave Halicor à la torture (quaestio) au point de lui découper
les articulations, qu’ils avaient ensuite égorgé (iugulare) l’intendant <du
domaine> et deux esclaves, que parmi les esclaves de Clodius qui avaient
défendu leur maître, onze avaient été tués, tandis que deux seulement
parmi ceux-ci avaient été blessés. Que le lendemain Milon avait affranchi
pour cette raison ceux <de ses esclaves> qui avaient fourni le plus grand
effort et qu’il avait distribué au peuple, par tribu, à chacun mille as pour
qu’ils le défendent des rumeurs qui circulaient déjà sur son compte. (…)

d. Plutôt que la dictature, Pompée revêt,


pour la première fois dans l’histoire
de Rome, le consulat unique ; le 24 du
mois intercalaire
14. Sur ces entrefaites, tandis que, la rumeur allait croissant selon
laquelle Cn. Pompée devait être créé dictateur, sans quoi jamais les maux
de la cité ne pourraient s’apaiser, il apparut aux « partisans des meilleurs »
(optimates) qu’il était plus sûr de le créer consul sans collègue. Sur
la proposition de M. Bibulus, à l’issue d’un débat au sénat et en vertu d’un
sénatus-consulte, Pompée fut créé consul par l’interroi Servius Sulpicius
le cinquième jour avant les calendes de mars, dans le mois intercalaire, et
il revêtit aussitôt le consulat.

e. Pompée propose deux lois, contre


la violence et contre la brigue électorale ;
le 26 du mois intercalaire. Elles seront
votées le 26 mars
15. Ensuite, passé le troisième jour, il mit à l’ordre du jour de la séance
la soumission de nouvelles lois <au peuple>. Il publia deux lois sous forme
de projet (promulgare) en vertu d’un sénatus-consulte : l’une <réprimant>
la violence (uis) englobait expressément (nominatim) le meurtre (caedes) de
la via Appia, l’incendie de la curie, l’assaut lancé contre la maison (domus
oppugnata) de l’interroi M. Lepidus ; l’autre <réprimait> la corruption
électorale (ambitus). Elles prévoyaient une peine plus lourde (grauior
poena) et un déroulement plus rapide des jugements. L’une et l’autre
ordonnaient de produire d’abord les témoins, et de rassembler ensuite en
une seule journée les discours de l’accusateur et du prévenu (reus), en
accordant deux heures à l’accusateur et trois au prévenu.
f. Tentative d’obstruction du tribun
de la plèbe M. Caelius Rufus. – Menace
de Pompée de recourir aux armes ;
1er mars
16. Le tribun de la plèbe M. Caelius, particulièrement empressé auprès
de Milon, entreprit de faire obstacle (obsistere) à ces lois. Il ne s’agissait,
disait-il, que d’abattre Milon par un privilège (priuilegium) et de précipiter
le déroulement des procès (iudicia). Or tandis que Caelius blâmait ces lois
avec une insistance sans limite, cette <conduite> irrita Pompée à ce point
qu’il déclara que s’il y était contraint, c’est par les armes qu’il défendrait
l’État (Rem Publicam defendere). Or Pompée craignait Milon ou feignait de
le craindre. Le plus souvent il demeurait non pas dans sa maison (domus),
mais dans ses jardins (horti) et même là, seulement dans les parties les plus
élevées, sur lesquelles veillait une garde imposante de soldats. (…)

g. Des tribuns de la plèbe multiplient


les réunions du peuple pour aggraver
les charges contre Milon. – Dénonciation
de séquestration de témoins, en présence
de l’un d’entre eux. – Dénonciation
du meurtre commis par l’un des esclaves
de Milon, en présence du triumvir
capitalis, responsable de son arrestation
18. Ensuite le tribun de la plèbe T. Munatius Plancus avait présenté
devant le peuple rassemblé (contio) M. Aemilius Philemon, un homme
connu, affranchi de M. Lepidus. Il disait que lui-même et quatre hommes
libres qui faisaient route avec lui s’étaient trouvés là précisément au
moment où Clodius avait été tué et que, comme ils avaient poussé de
grands cris, ils avaient été enlevés et séquestrés pendant deux mois dans
la villa de Milon. Que l’affaire ait été vraie ou fausse, elle suscita
une profonde hostilité à l’encontre de Milon.
19. Le même Munatius, ainsi que Pompeius, tous deux tribuns de
la plèbe, avaient produit sur les rostres un triumuir capitalis et lui avaient
demandé s’il <était vrai qu’il> avait arrêté (deprehendere) Galata, l’esclave
de Milon, alors qu’il était en train de commettre un meurtre (caedes). Ce
triumvir avait répondu que Galata avait été arrêté en tant qu’esclave
fugitif (fugitiuus), alors qu’il dormait dans une auberge, et qu’on le lui avait
amené (perducere). Cependant, ils notifièrent (denuntiare) au triumvir de ne
pas remettre (remittere) l’esclave <à son maître>. Mais le lendemain
le tribun (M.) Caelius (Rufus) et son collègue Q. Manilius Cumanus avaient
remis à Milon l’esclave qu’ils avaient arraché à la maison (e domo eripere)
du triumvir. Quoique Cicéron ne fasse pas mention de ces crimes (crimina),
j’ai pensé qu’il fallait néanmoins les faire connaître parce que j’ai
découvert que les faits s’étaient déroulés ainsi.

h. Les mêmes tribuns excitent l’hostilité


du peuple à l’encontre de Cicéron,
le défenseur, et menacent de l’assigner
à comparaître. Ils affirment tout haut
que Milon constitue un danger pour
l’existence même de Pompée
20. Les tribuns de la plèbe Q. Pompeius, C. Sallustius et T. Munatius
Plancus étaient parmi les premiers à être montés en ligne. Ils
provoquaient des réunions du peuple (contiones) qui rassemblaient
les adversaires les plus acharnés de Milon, et ils manifestaient une très
grande hostilité envers Cicéron en raison de la détermination avec
laquelle il défendait Milon. La plus grande partie de la multitude était
donc animée contre Milon, mais également contre Cicéron. L’assistance en
justice (patrocinium) qu’il lui donnait suscitait la haine. 21. Par la suite
Pompeius et Sallustius ont été soupçonnés de s’être réconciliés avec Milon
et Cicéron. Plancus persista dans ses dispositions très hostiles et souleva
de nouveau la multitude contre Cicéron. Il cherchait également à rendre
Milon suspect à Pompée en proclamant avec force qu’il tramait sa perte.
C’est pour cela que Pompée se plaignait souvent, et cela en plein public,
qu’on cherchait à le faire tomber dans une embuscade, tout en renforçant
sans cesse sa protection armée. 22. Plancus avait annoncé ensuite
ouvertement qu’il convoquerait Cicéron <devant le peuple> (diem dicere),
comme Q. Pompeius en avait eu lui-même l’intention auparavant. Et
pourtant, en dépit de cela, Cicéron conserva tant de constance et de
loyauté que, ni la désaffection du peuple envers lui, ni les soupçons de
Pompée, ni la menace d’être prochainement convoqué à comparaître
devant le peuple, ni les armes qui étaient ouvertement dirigées contre
Milon ne purent le détourner d’assurer sa défense (defensio), alors même
qu’il aurait pu éviter tout danger et le risque que représentait l’hostilité de
la multitude contre lui, s’affranchir également des mauvaises dispositions
de Pompée, s’il avait renoncé, ne serait-ce qu’un peu, à l’intensité de sa
défense.
i. Une nouvelle loi de Pompée :
désignation du magistrat chargé
de l’enquête ; établissement de la liste
des jurés pour le tirage au sort
23. Ensuite fut passée une loi Pompeia dont l’une des dispositions
stipulait que le président <du tribunal> (quaesitor) serait désigné par
un vote du peuple parmi ceux qui avaient été consuls : tandis que
les comices avaient été réunis sur-le-champ, L. Domitius Ahenobarbus
avait été désigné président <du tribunal>. De même la liste des juges
(album iudicum) qui auraient à juger cette affaire, conformément à
la proposition que Pompée (proponere) en avait faite, était telle qu’on
s’accordait à reconnaître que jamais une même proposition n’avait réuni
<par le passé> des hommes plus distingués, ni plus intègres.

j. Milon est assigné à comparaître devant


trois tribunaux : pour « violence », pour
« brigue électorale », et pour associations
<illégales>. L’assignation étant fixée
au même jour, il comparaît en personne
devant le tribunal pour violence,
où la production des esclaves
est de nouveau demandée, sans pouvoir
se présenter devant le tribunal pour
brigue
24. Après quoi, sur-le-champ, en vertu de la nouvelle loi, Milon fit
l’objet d’une demande d’assignation (postulare) par les deux jeunes Appius
Claudius, ceux-là mêmes par lesquels auparavant sa famille servile avait
été assignée, il fit l’objet d’une demande d’assignation pour brigue
(ambitus) par les mêmes, outre cela, d’une demande d’assignation pour
violence (uis) par C. Cethegus et L. Cornificius et d’une demande
d’assignation pour associations (sodalicia) par P. Fulvius Neratus. Il avait
été assigné pour associations et pour brigue, car on espérait qu’il
comparaîtrait d’abord au procès pour violence à l’issue duquel on était sûr
qu’il serait condamné, et qu’il ne serait pas en mesure de répondre à
la citation en justice (respondere) <pour les deux autres poursuites>.
25. Pour ce qui concerne la brigue, la joute devant départager
les accusateurs (diuinatio accusatorum) se déroula sous la présidence
d’A. Torquatus, et les deux présidents, Torquatus et Domitius ordonnèrent
à l’accusé de se présenter la veille des nones d’avril. Ce jour là Milon se
présenta au tribunal de Domitius et envoya des amis devant celui de
Torquatus. Là, tandis que M. Marcellus en présentait la demande
(postulare) à sa place, il obtint de ne pas avoir à assurer sa défense (causam
dicere) pour brigue avant que le procès pour violence ne soit achevé. Par
ailleurs, devant le président Domitius, Appius l’aîné demanda que Milon
produise (exhibere) cinquante-quatre de ses esclaves, et tandis que ce
dernier niait que ceux dont on donnait les noms aient été encore en sa
puissance, Domitius décida (pronuntiare), conformément à l’avis des juges,
que l’accusateur produise (edere) autant d’esclaves qu’il le voudrait parmi
les siens.
k. Citation des témoins à trois jours
d’audience, conformément aux règles
d’une procédure qui prévoit le tirage
au sort des jurés au quatrième jour
seulement pour l’audition des parties
26. Les témoins ont été ensuite cités conformément à la loi qui,
comme nous l’avons indiqué plus haut, ordonnait qu’avant que la cause ne
soit engagée, les témoins soient entendus, que les juges scellent
(consignare) leurs dépositions (dicta), que le quatrième jour on ordonne à
tous de se présenter et qu’en présence de l’accusateur et de l’accusé on
rassemble <dans l’urne> le nombre requis de boules sur lesquelles avaient
été inscrits les noms des juges, qu’ensuite, de nouveau, le jour suivant, on
procède au tirage au sort (sortitio) des quatre-vingt un juges et que ceux
auxquels il aura été échu par le sort de faire partie du nombre des jurés, se
rendent immédiatement pour siéger. Alors l’accusateur disposerait de
deux heures pour plaider, l’accusé de trois, et que l’affaire étant jugée
le même jour, avant même que les suffrages (sententiae) ne soient
recueillis, que l’accusateur récuse (reiicere) cinq jurés à l’intérieur de
chacun des ordres, et l’accusé un même nombre, de telle sorte que
le nombre de juges restants, aptes à pouvoir exprimer chacun leur
suffrage, s’élève à cinquante-et-un.
l. Premier jour d’audition des témoins
dans un climat de violence. Un témoin
échappe au lynchage, la défense sollicite
une garde militaire pour le lendemain ;
4 avril
27. Le premier jour, avait été produit contre Milon le témoin (testis)
C. Causinius Schola qui disait s’être trouvé auprès de P. Clodius lorsque
celui-ci avait été tué, et il grossit autant qu’il le put l’atrocité des faits.
Comme M. Marcellus avait commencé à l’interroger (interrogare) plus
rudement, il fut tellement épouvanté par l’agitation (tumultus) de la foule
des partisans de Clodius (clodiana multitudo) rassemblée autour de lui, que,
craignant de subir la dernière violence (uis ultima), il fut accueilli par
Domitius sur la tribune <où siégeait ce dernier> (tribunal). C’est pour cette
raison que Marcellus et Milon lui-même implorèrent Domitius <de leur
fournir la protection d’> un détachement militaire (praesidium). Au même
moment, Cn. Pompée qui siégeait à l’aerarium avait été lui-même troublé
par cette huée. C’est pourquoi il promit à Domitius de descendre au forum
le lendemain avec un détachement militaire et c’est ce qu’il fit.

m. Deuxième et troisième jours


d’audition des témoins ; 5 et 6 avril
28. Effrayés par ce dispositif, les partisans de Clodius souffrirent en
silence durant deux jours qu’on écoute les dépositions des témoins.
M. Cicéron, M. Marcellus et Milon lui-même les interrogèrent. Un grand
nombre d’entre eux qui habitaient Bovillae firent une déposition
(testimonium) au sujet des faits qui s’étaient déroulés à cet endroit :
un cabaretier tué, une auberge prise d’assaut, le corps de Clodius qui en
avait été extrait <et exposé> en public. Les prêtresses albaines déclarèrent
qu’elles avaient reçu la visite d’une femme inconnue qui, sur instruction
de Milon, s’était acquittée d’un vœu parce que Clodius avait été tué.
Les dernières qui firent une déposition, à savoir Sempronia, fille de
Tuditanus, bru de Clodius, et Fulvia, son épouse, bouleversèrent par leurs
gémissements ceux qui étaient dans l’assistance. L’audience ayant été
levée à la dixième heure environ, T. Munatius exhorta le peuble réuni en
assemblée (contio) pour qu’il se présente en grand nombre le jour suivant
et qu’il ne souffre pas que Milon s’en sorte, et qu’il témoigne ouvertement
de son jugement <sur cette affaire> et de sa douleur à ceux qui iraient
porter leur suffrage.

n. Quatrième jour : tirage au sort


des jurés au matin. – Discours
des accusateurs (deux heures). – Discours
de la défense (trois heures). – Récusation
de certains jurés par les parties le 7
ou le 8 avril). – Vote de la sentence. –
Milon est condamné le 8 ou 9 avril
29. Le lendemain qui fut le paroxysme de ce procès, le sixième jour
avant les ides d’avril, les boutiques furent fermées dans toute la ville,
Pompée disposa des détachements militaires sur le forum et sur son
pourtour à chacun des accès au forum, tandis que lui-même s’installa
comme la veille devant l’Aerarium, entouré d’une troupe de soldats triée
sur le volet. Ensuite, au début de la journée, on procéda au tirage au sort
des juges ; ensuite le silence s’établit dans tout le forum autant qu’il peut
s’établir dans un forum quel qu’il soit. Ensuite, avant la fin de la deuxième
heure, les accusateurs, Appius l’Aîné, M. Antonius et P. Valerius Nepos,
engagèrent leurs discours. Ils employèrent les deux heures dont ils
disposaient en vertu de la loi. 30. M. Cicéron fut le seul à leur répondre. Et
alors que certains avaient été d’avis de défendre le crime, en disant que
Clodius avait été tué pour la défense de l’État (pro republica) – une tactique
(forma) que suivit M. Brutus dans le discours qu’il composa pour Milon et
qu’il publia comme s’il l’avait prononcé –, Cicéron ne fut pas de cet avis :
selon lui, quiconque pouvait être condamné pour le bien public, pouvait
même être tué sans avoir été condamné (indemnatus). C’est pourquoi, alors
que les accusateurs exposèrent que Milon avait tendu une embuscade
(insidiae) à Clodius, ce qui était faux – car cette rixe (rixa) s’était produite
par hasard –, Cicéron contre-attaqua en soutenant que Clodius avait tendu
une embuscade à Milon et conduisit son discours entièrement vers cet
objectif. Mais, comme nous l’avons dit, il est établi que les choses se
passèrent ainsi : on se battit (pugnare) ce jour-là sans aucune
préméditation (consilium), ni d’un côté, ni de l’autre ; l’affrontement fut
le produit du hasard et on en vint au meurtre (caedes) ce jour-là à l’issue
d’une rixe entre esclaves. Pourtant, il était de notoriété publique que
chacune des deux <parties> avait souvent adressé à l’autre des menaces
(minari) de mort et que, si, <par le nombre d’hommes réunis> la famille
servile faisait peser de plus grands soupçons sur Milon en comparaison de
celle de Clodius, inversement, celle des Clodiani était plus disposée et plus
entraînée au combat. 31. Lorsque Cicéron entama son discours, il fut
accueilli par la huée des partisans de Clodius qui ne purent se contenir, en
dépit même de la crainte (metus) suscitée par les soldats qui
les entouraient. C’est pourquoi il ne parvint pas à s’exprimer avec cette
fermeté qui lui est coutumière. Subsiste <encore aujourd’hui dans
les archives> le discours qui a été recueilli par le greffier. Toutefois il
rédigea ensuite avec une telle perfection la version donnée à lire qu’on
peut la considérer à juste titre comme la première.
[Suit le commentaire linéaire (ennaratio) du Contre Milon publié par
Cicéron après le procès, tel qu’il figure jusqu’à nos jours parmi les œuvres de
Cicéron, et non la version du greffier.]
Après avoir défendu l’un et l’autre leur cause jusqu’au bout,
l’accusateur et le prévenu (reus) récusèrent chacun cinq sénateurs,
le même nombre de chevaliers et de tribuns du trésor, si bien que
cinquante-et-un suffrages (sententiae) furent exprimés. Douze sénateurs se
prononcèrent pour la condamnation, six pour l’acquittement (absoluere),
treize chevaliers pour la condamnation, quatre pour l’acquittement, treize
tribuns du trésor pour la condamnation, trois pour l’acquittement.
Les juges semblent ne pas avoir ignoré qu’au départ Clodius avait été
blessé par Milon sans préméditation (inscius) de la part de celui-ci, mais ils
tinrent pour assuré qu’une fois blessé il avait été tué sur l’ordre (iussus) de
Milon. Il y en eut qui crurent que le suffrage de Caton avait été de
l’acquitter : il n’avait pas caché en effet qu’en mettant à mort Clodius on
avait œuvré pour le bien de l’État ; il s’était employé à soutenir Milon lors
de sa campagne électorale pour le consulat ; il l’avait assisté lorsque ce
dernier fut inculpé (reus). En outre, <durant l’audience> Cicéron l’avait cité
en sa présence et l’avait pris à témoin (testari) d’avoir entendu dire à
M. Favonius, trois jours avant la perpétration du meurtre, que Clodius
avait déclaré que sous trois jours Milon périrait. […] mais il lui avait paru
utile que l’audace de Milon, elle était de notoriété publique, soit écartée de
l’État. Et pourtant, personne ne put jamais savoir lequel des deux suffrages
il avait porté. On proclama par un arrêt (pronuntiare) que Milon avait été
condamné grâce au concours principal d’Appius Claudius <l’Aîné>.
o. Au cinquième jour du procès, Milon
est poursuivi pour brigue
en son absence ; 9 avril
Dès le lendemain, Milon fut poursuivi pour brigue (ambitus), en vertu
de la nouvelle loi, devant <le tribunal de> Manlius Torquatus, et condamné
alors qu’il était absent (absens). Sous l’invocation de cette loi également,
Appius Claudius fut son accusateur, et alors qu’on octroyait à celui-ci
une récompense (praemium) conformément à la loi, il refusa d’en faire
usage. P. Valerius Leo et Cn. Domitius fils de Cnaeus souscrivirent
(subscribere) à son <accusation>.

p. Quelques jours plus tard, Milon


est condamné, en son absence, pour
associations <illicites>, puis, en vertu
cette fois de la loi Plautia, votée
en 70 av. J.-C. ou en 54 av. J.-C.,
de nouveau pour violence ; 11 ou 12 avril
Quelques jours plus tard, Milon fut également condamné pour
associations illicites (sodaliciae) devant le président <du tribunal>
(quaesitor) M. Favonius, sous l’accusation de P. Fulvius Neratus auquel
une récompense fut octroyée en vertu de la loi. Ensuite c’est devant
le président <du tribunal> L. Fabius qu’il fut de nouveau condamné pour
violence alors qu’il était absent. L. Cornificius et Q. Patulcius l’accusaient.
q. Milon part en exil, ses biens sont
mis à l’encan ; autour du 13 avril
Ce n’est qu’un tout petit nombre de jours plus tard que Milon partit en
exil à Marseille. Ses biens furent vendus pour une très faible partie, en
raison de l’énormité de ses dettes.

r. Première accusation pour violence


(en vertu de la loi Pompeia) contre
M. Saufeius qui a conduit l’assaut
de l’auberge. Ce dernier est acquitté ;
12 ou 13 avril
Après Milon, le premier à avoir été accusé en vertu de la lex Pompeia fut
M. Saufeius, fils de Marcus, qui avait été le chef (dux) lorsque l’auberge
avait été prise d’assaut et lorsque Clodius avait été tué. L. Cassius,
L. Fulcinius, fils de Caius, et C. Valerius l’accusèrent. M. Cicero et
M. Caelius le défendirent et obtinrent à une voix près qu’il fût acquitté.
Dix sénateurs le condamnèrent, huit l’acquittèrent ; neuf chevaliers
romains le condamnèrent, huit l’acquittèrent ; mais parmi les tribuns du
trésor, dix l’acquittèrent, six le condamnèrent. C’est que la haine évidente
envers Clodius valut à Saufeius d’être sauvé, alors même que sa cause était
pire que celle de Milon puisqu’il avait été ouvertement le chef de l’assaut
contre l’auberge.
s. Deuxième accusation de violence,
en vertu de la loi Plautia, contre
M. Saufeius, pour port d’armes
et participation aux bandes de Milon ;
autour du 18 avril
Ensuite, quelques jours plus tard, il fut attaqué en justice (repetitus)
devant le président du tribunal C. Considius en vertu de la loi Plautia sur
la violence. L’accusation était qu’il avait occupé des lieux élevés et qu’il
était avec une arme (cum telo esse) ; car il avait été le chef des bandes de
Milon. C. Fidius, Cn. Apponius, fils de Cnaeus, M. Seius, fils de Sextus,
l’accusèrent ; M. Cicéron, M. Terentius Varro Gibba le défendirent. Il fut
acquitté par un plus grand nombre de suffrages que précédemment. Il eut
en effet dix-huit suffrages à charge et deux pour l’acquittement, mais
<selon une distribution> contraire à ce qui s’était produit lors du
précédent jugement. En effet, les chevaliers et les sénateurs l’acquittèrent,
les tribuns du trésor le condamnèrent.

t. Condamnation pour violence, sans


doute en vertu de la lex Pompeia,
de Sextus Clodius en raison de l’incendie
de la curie. Condamnation à la quasi
unanimité ; après le 22 avril
Quant à Sextus Clodius, à l’instigation duquel le corps de Clodius avait
été porté dans la curie, alors que C. Caesennius Philo et M. Alfidius
l’accusaient et que T. Flacconius le défendait, il fut condamné à
l’unanimité, ou presque, par quarante-six suffrages : il y eut cinq suffrages
pour l’acquittement, deux de sénateurs, trois de chevaliers. Après cela
un grand nombre <d’accusés>, soit qu’ils aient été présents (praesentes),
soit qu’ayant été convoqués (citati), ils ne répondirent pas (respondere),
furent condamnés. Il s’agissait pour la plus grande partie d’entre eux de
partisans de Clodius.

*
* *

Le tribun Metellus Nepos avait tenté dès les premiers jours de janvier
62 av. J.-C. de poursuivre Cicéron et les sénateurs impliqués dans la mise à
mort des Catiliniens, quelques semaines auparavant. Un sénatus-consulte
avait alors décrété l’impunité de ces derniers (R9). Pourtant, cinq ans plus
tard, en 58 av. J.-C., un autre tribun Publius Clodius Pulcher, adversaire
acharné de Cicéron depuis l’année 62 av. J.-C., faisait voter une loi (la lex
Clodia de capite ciuis) qui revenait sur l’impunité en question, et
permettrait d’infliger « l’interdiction de l’eau et du feu » (R41c) à
quiconque aurait, par le passé ou à l’avenir, ordonné la mise à mort de
citoyens, sans que ceux-ci aient été jugés devant le peuple – la loi était
évidemment dirigée contre Cicéron. L’orateur prit bientôt le chemin de
l’exil, tandis que son départ était enteriné par un second plébiscite (connu
sous le nom de Lex Clodia de exilio Ciceronis), une loi qui le visait cette fois
nommément [MOREAU 1987 ; MOREAU 2012]. L’année suivante, en 57 av. J.-C.,
le tribun T. Annaeus Milo oeuvra, parmi d’autres amis de Cicéron, pour
le rappel de ce dernier, une restitutio finalement rendue possible par
une loi votée par les comices centuriates.

Le contexte du meurtre de la via Appia : les années


de rivalité entre Clodius et Milon
À partir de l’année 57 av. J.-C., qui vit le retour d’exil de Cicéron (lex
Cornelia Caecilia de reuocando Cicerone), Rome fut le théâtre de violences
sans précédent, dominées par les affrontements entre bandes rivales,
celles de Clodius et celles de Milon. La haine entre les deux hommes était
telle que Cicéron confiait à son ami Atticus le 23 novembre 57 av. J.-C. :

Je pense que Clodius, à moins qu’il ne soit tué d’ici là, sera accusé
par Milon ; il me paraît vraisemblable que s’il se présente à lui dès
maintenant dans une mêlée, il sera tué par le même Milon. (Lettre à
Atticus, 4, 3, 5)

Dans les jours qui avaient précédé cette lettre, les bandes de Clodius
avaient attaqué Cicéron lui-même sur la Voie sacrée et avaient tenté de
détruire la maison de Milon. Ce dernier lança alors contre son agresseur
une poursuite pour violence – car le combat judiciaire relayait la force
armée pour abattre l’adversaire. L’année suivante, en 56 av. J.-C., Clodius
osa répliquer en portant la même inculpation devant un tribunal, non
sans donner l’ordre par la suite à ses troupes d’incendier la maison que
Cicéron faisait reconstruire sur le Palatin. Milon, et Cicéron lui-même,
répliquèrent en investissant le Capitole et en faisant détruire les tables de
bronze où avaient été inscrites les lois votées par le peuple à l’initiative de
Clodius. La même année Cicéron eut publiquement, au sénat, ce cri du
cœur (Sur les réponses des haruspices, 6) : « T. Annius (Milon) semble être né
et avoir été offert à la patrie, comme par un présent divin, pour réprimer
ce fléau, l’étouffer, et le détruire de fond en comble » – en bref, Milon
tuerait un jour Clodius, et ce serait un service rendu à la patrie.
La même année encore, le sénat avait tenté d’interdire les « collèges »
et les bandes armées à leur service, mais les désordres avaient repris dès
le printemps. Le paroxysme des violences fut atteint en 53 av. J.-C, alors
que Milon était candidat au consulat, tandis que Pompée soutenait
maintenant deux concurrents de ce dernier, Q. Metellus Scipio et
P. Plautius Hypsaeus. Clodius était candidat à la préture, alors qu’il savait
bien qu’il lui serait difficile d’exercer sa charge avec toute liberté de
manoeuvre, si Milon était élu en même temps au consulat (Cicéron, Pour
Milon, 25). Il tenta donc par tous les moyens d’empêcher ce dernier de
candidater. Les désordres furent tels que les magistrats de l’année 53 av. J.-
C. n’entrèrent en charge qu’en juillet, six mois après la date officiellement
établie. Aucun candidat n’ayant été élu pour l’année suivante, celle-ci
débuta sans consuls, ni préteurs…
C’est dans ce contexte de vide institutionnel et de tension extrême que
César, à l’affût de tout bruit venu de Rome, passait l’hiver dans sa province
de Gaule cisalpine. Il ne pouvait en franchir la limite, sans en perdre
le commandement, à moins d’entrer en guerre civile comme il le fera lors
du passage du Rubicon en janvier 49 av. J.-C. (R9j). Pendant ce temps,
Pompée attendait aux portes de Rome de pouvoir jouer un rôle de premier
plan – en raison de son titre de proconsul, et en dépit de l’éloignement de
sa province, il ne pouvait quant à lui franchir le pomerium et entrer dans
l’Vrbs. C’est dans ce contexte que le 18 janvier 52 av. J.-C. une rencontre
fortuite se produisit sur la via Appia. Elle conduisit au crime. Milon venait
de quitter Rome en fin de matinée et il se rendait à Lavinium, sa ville
natale, où il exerçait la charge locale de dictator et où il devait procéder à
la nomination d’un prêtre. Il était accompagné de sa femme, Cornelia
Fausta (la fille de Sylla), l’un et l’autre étaient suivis d’une très nombreuse
escorte d’esclaves, mais aussi d’hommes de main, parmi lesquels se
trouvaient notamment deux célèbres gladiateurs, Eudamus et Birria. Près
de Bovillae, à une trentaine de kilomètres au sud de Rome, non loin du
sanctuaire de Bona Dea, vers deux heures de l’après-midi, le cortège croisa
celui de Clodius qui s’en revenait d’Aricie, une autre ville latine, où ce
dernier venait de prononcer un discours. Monté sur son cheval, il était
accompagné de trois autres citoyens de marque, et suivi d’une troupe
d’une trentaine d’esclaves armés. Lorsque les deux cortèges se croisèrent,
une bagarre fut engagée entre les deux gladiateurs de Milon et les esclaves
de Clodius. Ce dernier entra lui ausssi dans la lutte et fut grièvement
blessé à l’épaule. Il fut alors transporté dans une auberge par les siens
pour y recevoir des soins. Son adversaire Milon décida d’en finir. L’auberge
fut prise d’assaut par ses hommes, sous la conduite d’un certain
M. Saufeius. Clodius, grièvement blessé, fut achevé. Son corps jonchait
encore la via Appia, lorsqu’un sénateur arrivé fortuitement, peu après, sur
les lieux le fit transporter à Rome. Le cadavre fut pleuré et exposé toute
la nuit dans l’atrium de sa maison. Transporté le lendemain sur la tribune
aux harangues (les Rostrae), le cadavre fut ensuite installé par la foule sur
un bûcher improvisé à l’intérieur même de l’édifice de réunion du sénat,
la Curia Hostilia. Le bûcher mit le feu à l’édifice tout entier (reconstruit par
César en association avec le Forum Iulium, il deviendra la Curia Iulia), ainsi
qu’à la vaste Basilica Porcia toute voisine, le premier édifice de ce type
édifié sur le Forum Romanum à l’initiative de Caton l’Ancien au
commencement du IIe s av. J.-C. La gravité des faits accomplis par
les partisans de Clodius, on les appelait les Clodiani, était telle que Milon
estima qu’elle couvrait son propre crime et qu’il pouvait donc,
opportunément, rentrer dans Rome après l’avoir commis.

Le commentaire de Q. Pedianus Asconius au discours


Pour Milon de Cicéron

Les Commentaires (ou Scholies) aux discours de Cicéron composés par


Q. Pedianus Asconius et rédigés au commencement du règne de Néron,
entre 54 et 57 ap. J.-C., constituent un document remarquable –
le manuscrit en a été découvert et recopié à Saint-Gall au début du
e
XV siècle par l’humaniste Poggio Bracciolini. Le texte en a été établi dans

une édition remarquable également [STANGL 1964]. L’étude de ce document


a été particulièrement approfondie par les modernes qui ont, d’une
certaine façon, emboîté le pas au travail philologique, historique et
juridique qu’Asconius lui-même avait engagé dans son exégèse
des discours de Cicéron, en proposant une mise en contexte, un regard
critique et une analyse linéaire de l’oeuvre [CLARK 1895 ; MARSHALL 1985 ;
LEWIS 2006]. Qui était Asconius ? On sait peu de choses de ce sénateur,
originaire de Padoue, qui enseigna l’éloquence à Rome – il fut le maître de
Quintilien (35-100 ap. J.-C.) – et qui prudemment consacra sa vie à l’étude,
sans forcer les étapes, parfois périlleuses, d’une « carrière des honneurs »
sous les Julio-Claudiens. C’est dans la capitale de l’Empire qu’il put
consulter les lois et les actes officiels où étaient recueillis les principaux
événements de la vie publique (acta diurna). Ces archives constituent
une source d’information essentielle de son commentaire, mais il a
également consulté des historiens, tels que Tite-Live (dont le récit pour
cette période ne nous est parvenu que sous la forme elliptique des Abrégés,
e e
rédigés sans doute au III ou au IV siècle), Fenestella (52 av-19 ap. J.-C.), ou
encore Asinius Pollion (76 av. J.-C.- 4 ap. J.-C.), dont seuls quelques
fragments ont survécu.
Les commentaires des cinq discours du manuscrit de Saint-Gall dont
l’ordre chronologique a peut-être été perturbé par la hâte du copiste –
Contre Pison (début août 55 av. J.-C.) ; Pour Scaurus (septembre 54 av. J.-C.) ;
Pour Milon (avril 52 av. J.-C.) ; Pour Cornelius (65 av. J.-C.) ; In toga candida
(64 av. J.-C.) –, ne représentent qu’une partie d’une œuvre qu’Asconius
avait destinée à l’éducation de ses fils – on en mesure l’ampleur, en effet,
en croisant les indications fournies par Asconius lui-même et
des renseignements externes sur ces 27 discours cicéroniens commentés
par ses soins [LEWIS 2006].
Dans le cas particulier du procès contre Milon, l’éclairage d’Asconius
est essentiel, car il a eu sous les yeux le discours réellement prononcé par
Cicéron le 7 (ou 8) avril 52 av. J.-C., dans le contexte des violences qui
environnaient le tribunal. Le grand orateur n’est probablement pas resté
muet ou bredouillant, transi de peur, en raison de la présence des soldats
disposés par Pompée autour du tribunal (ils étaient là également pour sa
protection), comme une tradition hostile à Cicéron l’a prétendu (Dion
Cassius, 40, 54, 2 et 46, 7, 2-3 ; Plutarque, Cicéron, 35, 2-4). Toujours est-il
que ce discours, que Cicéron considérait comme inabouti, avait fait l’objet
d’une prise de notes sténographique par le greffier, et qu’il avait été
archivé. Il n’y a aucunement lieu de penser [CRAWFORD 1984, p. 210-211 ;
MARSHALL 1985, p. 74 et 190-191] que le texte qu’Asconius avait sous
les yeux était un faux fabriqué par un partisan de Clodius [SETTLE 1963,
p. 272-274], sous prétexte que les faits y apparaissent moins déformés. On
connaît enfin le célèbre trait d’ironie qu’aurait prononcé Milon, après
avoir reçu par courrier la version définitive du discours – il constitue
un chef-d’œuvre de rhétorique, plutôt qu’une véritable argumentation
juridique [SCHULLER 1997, p. 118-123] –, alors même que ce remarquable
plaidoyer ne lui était plus d’aucune utilité dans son exil à Marseille :

Quand il eut lu le discours qui lui avait été envoyé par Cicéron,
Milon (qui était alors en exil) répondit en disant que c’était
une chance pour lui que ces phrases n’aient pas été prononcées
sous cette forme au tribunal : il ne serait pas en train de déguster
de si bons rougets à Marseille (où il passait son exil), s’il avait été
défendu de la sorte. (Dion Cassius, 40, 54, 3)

Il ne faudrait pourtant pas tomber dans la caricature, en se fondant


uniquement sur l’interprétation sarcastique de Dion Cassius (volontiers
railleur à l’égard du grand orateur). Ce n’est pas par orgueil, seulement, ni
pour démontrer qu’il aurait été capable d’une meilleure prestation, que
Cicéron, préoccupé uniquement de la postérité de son œuvre, aurait repris
des éléments de son premier discours, pour publier le second après coup.
Cette publication visait une efficacité, en continuant de manifester
politiquement le soutien indéfectible de l’orateur, du défenseur
des « meilleurs » (optimates) – les partisans des intérêts conservateurs du
sénat –, du consul qui avait réprimé la conjuration de Catilina, de
l’adversaire acharné de Clodius, à la cause défendue par Milon, dans
les semaines et dans les mois qui ont suivi son exil [CRAWFORD 1984, p. 210-
212].

Le déroulement du procès contre Milon

La chronologie des faits qui conduisent de l’assassinat de Clodius,


le 18 février, jusqu’à l’ouverture du procès contre Milon, le 4 avril,
comporte des incertitudes, tandis que l’introduction d’un mois
intercalaire (un rattrapage indispensable selon le comput luni-solaire
alors en vigueur, six ans avant l’adoption du calendrier solaire, en 46 av. J.-
C., à l’initiative de Jules César), un mois durant lequel Pompée revêt
le consulat unique, complique les datations précises. Cette chronologie
ayant fait l’objet d’une recherche très approfondie [RUEBEL 1979], nous
nous y tenons ici. Quant au procès lui-même, certaines imprécisions
temporelles contenues dans le récit d’Asconius ont conduit les modernes à
débattre du nombre de jours durant lesquels il s’est déroulé : si la tradition
manuscrite précise qu’il s’est ouvert le 4 avril et qu’il s’est achevé
le 8 avril, il pourrait s’agir d’une datation fautive, car les articulations
temporelles du récit du scholiaste conduisent à un décompte de quatre
jours, plutôt que de cinq. À moins d’admettre, en écartant l’hypothèse
d’une erreur de copiste, qu’Asconius a reproduit fidèlement les dates
fournies par les acta, en les négligeant ensuite, et en compressant le récit
de deux journées en une seule, avec l’omission de l’indication du
« lendemain » (postero die) [CLARK 1895, p. 127-129 ; RUEBEL 1979, p. 245-247 ;
MARSHALL 1985, p. 159-160 ; ALEXANDER 1990, p. 149-155]. Dans un souci
d’exactitude de reconstitution de la procédure, il y a lieu de s’interroger,
notamment, sur le jour du vote de la condamnation : a-t-elle été
prononcée dans la foulée de la défense de Cicéron, ou le jour d’après ?
L’inculpation de violence
Longtemps, le droit romain ne s’est pas préoccupé de réprimer
« la violence » en tant que telle. Il punissait seulement certains effets de
cette violence, tels que des lésions corporelles, sans tenir compte
des moyens employés et sans les qualifier. La notion de uis, c’est-à-dire
« d’activité violente » ou « d’exercice illégal de la force », est née d’une
première formulation de l’interdit prétorien « j’interdis que violence soit
faite » (uim fieri ueto). Cependant, le mot revêt encore ici une acception
restreinte : il ne désigne pas le recours à l’usage de la force physique, mais
il s’applique plus spécifiquement à l’activité du défenseur à venir,
consistant à empêcher le plaignant de déposer sa plainte.
er
Il a fallu attendre la première moitié du I siècle av. J.-C. pour que « la
violence » (uis) fasse l’objet d’une production normative dans le domaine
de la législation criminelle, et qu’elle occupe la réflexion politique et
jurisprudentielle [LABRUNA 1971, p. 10-14 ; BRYEN 2018, p. 22-27]. Cette
émergence est naturellement étroitement liée aux conditions nouvelles de
la vie politique dans un contexte de guerre civile, puisque c’est à
l’occasion des « lois passées par la violence » (per uim latae) attestées au
moins à partir de 88 av. J.-C. qu’il en est question [LINTOTT 1968, p. 132-148].
Sylla pourrait avoir proposé dès 81 av. J.-C. une première loi « sur
la violence », tandis que Cicéron fait allusion dans les Verrines (2, 3, 152) à
une formula octauiana de 78 (ou 79) av. J.-C. (c’est-à-dire à une action en
justice donnée à la victime d’une forme illégale de contrainte visant
l’intimidation) : « action donnée contre ce qui a été fait par peur » (Actio
quod metus causa), par exemple pour accepter une obligation, réaliser
une transaction, ou effectuer un paiement. Ce n’est alors qu’un délit privé
(delictum) offrant à l’offensé la possibilité d’une poursuite. Il ne s’agit pas
encore d’un crime (crimen) poursuivi publiquement.
C’est en 78 av. J.-C. (ou en 77 av. J.-C.), assurément dans les quinze ans
qui ont suivi la dictature syllanienne, qu’une première loi « sur
la violence », la lex Plautia, fut votée, réprimant pour la première fois l’acte
de violence en tant que tel. Cette loi fut peut-être suivie d’une « loi Lutatia
sur la violence » – cette dernière est mal attestée et la chronologie
demeure incertaine, car les dates de ces deux lois pourraient être
inversées. La loi suivante (elle serait donc la troisième) est précisément
celle qui est mentionnée par Asconius et qui fut votée sur l’initiative du
consul Pompée. Elle constituait, en raison des faits précis qu’elle désignait,
et des personnes incriminées un « privilège », une loi visant un ou
plusieurs individus en particulier. Elle offensait donc le principe
d’universalité défini par le verset de la Loi des XII tables (9, 1-2b) qui est
invoqué à plusieurs reprises par Cicéron afin de combattre la loi qui l’avait
contraint lui-même à l’exil en 58 av. J.-C. (R3d1) [LABRUNA 1971, p. 15-23 et
n. 47]. Deux autres lois Sur la violence furent votées par la suite :
une première Lex Iulia de ui attribuable à César (Cicéron, Philippiques, 1, 9,
23) [YAVETZ 2004, p. 89-90] et une seconde, la Lex Iulia de ui publica et priuata,
dont certains fragments sont conservés dans le Digeste, probablement
votée à l’initiative d’Auguste [CLOUD 1988 ; CLOUD 1989].

L’interrogatoire des esclaves, sous la torture

L’interrogatoire des esclaves joue un rôle central dans ce procès pour


une double raison. Ce sont des esclaves des deux escortes qui ont participé
à l’affrontement, et, pour ceux de Milon, à l’assaut de l’auberge où se
trouvait Clodius. Il s’agissait donc d’obtenir les aveux de ces serviteurs sur
les violences qu’ils avaient commises et dont leur maître aurait à rendre
compte. Par ailleurs, dans un procès criminel de la fin de la République,
c’était un mécanisme normal de la procédure, que de soumettre
les esclaves à la torture, à la demande de l’une des parties contre l’autre –
un interrogatoire destiné à la démonstration de la preuve (lecture était
donnée en audience du rapport de torture), mais qui, en raison du statut
de l’esclave, ne pouvait en aucun cas être assimilé à la parole du
« témoignage » libre : « jamais un esclave n’est appelé témoin (testis) »
[GUÉRIN 2015, p. 125]. Cette dernière disposition est essentielle, car
la torture de l’esclave pour obtenir de lui des aveux contre son maître était
en principe interdite à cette époque – un verrou procédural qui sautera
dès les premières années du Principat et le règne d’Auguste, comme tant
d’autres garanties du prévenu (Commentaire à R16).
L’interrogatoire visant à établir la vérité ne pouvait avoir lieu sans
le consentement du maître. Sans doute pouvait-il y être contraint par trop
d’éléments de preuve, car pourquoi sinon Milon aurait-il affranchi ses
esclaves au lendemain de l’épisode de la via Appia ? Mais il est également
possible de penser que le refus de les produire alors qu’ils étaient encore
sous sa puissance aurait constitué un aveu. Toujours est-il que Milon les a
affranchis aussitôt, en remerciement disait-il de l’aide qu’ils lui avaient
fournie en lui sauvant la vie – c’était là une pratique courante.
La première manifestation des futurs accusateurs, les neveux de
Clodius, avant même le vote des lois de Pompée, et alors que celui-ci était
proconsul aux portes de Rome, investi (au même titre que d’autres
magistrats, les interrois et les tribuns) de veiller au salut de la République
– ce qu’on désigne par l’expression moderne de « senatus-consulte
ultime » (R9) – fut de demander la production des esclaves. Aucune
procédure n’ayant encore été enclenchée, comment comprendre cette
postulatio ? L’hypothèse a été avancée selon laquelle, dans cette première
phase, il se serait agi d’une procédure privée (actio ad exhibendum)
consistant à « produire » (exhibere) les esclaves, intentée contre un maître
pour les dommages causés par un serviteur, en préliminaire d’une action
noxale [LINTOTT 1968, p. 71, n. 109].
Un second épisode relatif à un serviteur de Milon dans cette phase
antérieure à l’ouverture du procès demeure mystérieux. Asconius dit
explicitement qu’il ne doit pas le taire, même si Cicéron, précisément, ne
dit rien de cette circonstance aggravante. Cet esclave aurait été arrêté par
un triumuir capitalis – la répression de la délinquance servile fait en effet
partie de l’activité de ces magistrats (R7). Ce triumuir appelé à témoigner
devant le peuple semble manipulé : il déclare, en effet, que l’esclave a été
arrêté seulement parce qu’il était en fuite. Les partisans de Clodius lui
demandent de surveiller ce « fugitif ». Le triumuir le garde chez lui, mais
le lendemain on apprend que deux tribuns favorables à Milon ont
soustrait l’esclave à la garde de ce magistrat.
Enfin au cours d’une troisième phase, postérieure cette fois à
l’ouverture de l’enquête en vertu de la loi de Pompée, demande est faite à
Milon de produire ses esclaves. Et c’est là qu’il tire son alibi de
l’affranchissement qu’il leur a accordé en remerciement de lui avoir sauvé
la vie. L’accusation quant à elle est tout à fait favorable à l’interrogatoire
des esclaves de Clodius – il sont passés sous la puissance de ses neveux :
leur aveu ne pourra qu’aider la défense, tant il est évident que Clodius a
été assassiné dans l’auberge attaquée par l’escorte de Milon. Dans son
discours publié, Cicéron s’est naturellement servi de cette disposition
pour dire que la déposition de ces esclaves a été corrompue. Le passage est
d’autant plus riche d’informations qu’au-delà du cas présent, il examine
les principes et les conditions matérielles qui président généralement à
l’interrogatoire des serviteurs :

59. Mais les interrogatoires sous la torture (quaestiones) qui


viennent d’avoir lieu dans l’Atrium libertatis accablent Milon. Au
fait, à quels esclaves ont-ils été appliqués ? Tu t’interroges ? À ceux
de Clodius. Et qui en a fait la demande (postulare) ? Appius. Qui les a
produits (producere) ? Appius. D’où venaient-ils ? De chez Appius.
Grands dieux ! Peut-on agir de manière plus rigoureuse. Au sujet
des esclaves, il ne peut y avoir, en vertu d’aucune loi, de torture
contre le maître, sauf en matière d’inceste (incestus), comme ce fut
le cas contre Clodius. Le voilà parvenu plus près des dieux encore,
que lorsqu’il avait pénétré chez eux, puisqu’on interroge sous
la torture (quaerere) au sujet de sa mort, comme on l’a fait au sujet
de cérémonies profanées (uiolatae). Cependant, si nos ancêtres ont
refusé que l’esclave soit interrogé sous la torture contre le maître,
ce n’est pas parce qu’on ne peut pas découvrir le vrai de cette
façon, mais parce que cela semblait indigne et plus triste que
la mort du maître elle-même. Et maintenant si c’est l’esclave de
l’accusateur qui est interrogé sous la torture, est-il possible de
découvrir le vrai ? 60. Eh bien quelle était la question <soumise à
la torture> et de quelle façon l’a-t-on posée ? « Holà ! toi Rufius »,
disons que c’est son nom, « attention à toi si tu mens : Clodius a-t-
il tendu une embûche (insidiae) à Milon ? ». « Oui, il l’a fait ». Alors
<tu mérites> la croix. Non, il ne l’a pas fait ! Alors voici la liberté
espérée. Qu’y a-t-il de plus fiable, n’est-ce pas, qu’un tel
interrogatoire ? Cependant, à peine ont-ils été enlevés
généralement, qu’on les sépare les uns des autres en les jetant dans
des cellules (arcae), de manière à ce qu’ils ne puissent échanger
entre eux : eh bien, ceux-ci après avoir passé cent jours entre
les mains de l’accusateur, ont été produits par l’accusateur lui-
même. Qui pourrait prétendre que cet interrogatoire ne fut pas
le plus neutre, ni le plus honnête ? (Cicéron, Pour Milon, 59-60)

Autour du témoignage

Les lois de Pompée ont souvent été qualifiées de « lois d’exception »


dans la mesure où elles instauraient des tribunaux ad hoc visant
des personnes et des faits particuliers – ce qui correspond, comme on l’a
dit, au priuilegium interdit dès l’époque de la Loi XII tables, au milieu du
e
V siècle av. J.-C. (R3d1). Ce « privilège » contrevient à l’évidence au

principe même de l’universalité de la loi. La qualification moderne de


« lois d’exception » repose également sur les dérogations au déroulement
habituel des poursuites instaurées et sur la volonté d’en accélérer
le rythme. Certes les règles de la procédure accusatoire sont respectées,
mais non seulement les temps de parole de la défense et de l’accusation
ont été limités, afin d’accélérer la procédure, mais surtout l’ordre
traditionnel d’une production des témoins consécutive aux plaidoyers
des parties a été inversé. Alors que, dans tous les autres cas de discours
prononcés par Cicéron devant une quaestio, il discute d’abord des charges
et des allégations des accusateurs (oratio continua), avant d’affronter
les témoins à charge (interrogatio), ici la loi de Pompée a inversé ces deux
phases, contraignant l’orateur à débattre à partir des faits relevés au cours
des dépositions. En outre, cette audition des témoins n’a pas eu lieu
devant l’ensemble du tribunal mais seulement en présence du quaesitor
(sans doute entouré d’un consilium restreint), puisque la désignation
des jurés à partir de la liste établie n’a eu lieu que le quatrième jour
[GUÉRIN 2015, p. 100-104].

L’exil et la confiscation des biens de Milon

L’exil de Milon est évoqué une première fois comme une possibilité au
lendemain du meurtre. L’auteur de l’assassinat n’est pas recherché, et
chacun, selon Cicéron, pense qu’il est parti dans un exil volontaire. Ainsi
aurait-il agi, en effet, dit l’orateur (Pour Milon, 62-63) s’il avait voulu
seulement assouvir sa haine, puis échapper à la justice mais ce n’est pas
le cas : il est revenu pour se soumettre aux lois. De fait, après l’incendie de
la curie, non seulement Milon est revenu, mais il pensait encore
poursuivre sa candidature au consulat, il a fait des distributions au peuple
dans ce but et s’est présenté devant des assemblées. Aucune arrestation
n’est envisagée. Trois mois plus tard, c’est quelques jours après sa
condamnation que Milon est parti en exil à Marseille. Qui l’en aurait
empêché ? Ce n’est pas un détail. La possibilité donnée au prévenu de
partir en exil est une constante dans l’histoire de la procédure criminelle
romaine sous la République, aussi bien devant les comices (R5), que devant
les tribunaux de jurés. Alors qu’il s’agissait d’une poursuite capitale,
l’accomplissement d’une exécution n’a pas été envisagée, et il est très
probable que la condamnation, à l’instar de la législation syllanienne, en
matière criminelle, ait été le bannissement, c’est-à-dire « l’interdiction de
l’eau et du feu » (R41), assortie de la confiscation des biens.
Une sentence portée par une quaestio à l’occasion d’une poursuite
criminelle pouvait en effet contenir, outre l’exil, la confiscation des biens.
Il ne fait aucun doute que la liquidation des biens de Milon après son
départ en exil ne saurait avoir consisté en une « vente des biens »
(bonorum uenditio) destinée à satisfaire ses créanciers, mais certainement
en une vente à l’encan (bonorum sectio) consécutive à une confiscation
(publicatio bonorum) [RIVIÈRE 2016b, p. 15-16].

Les récompenses des accusateurs

La question se pose de savoir quelle est la nature de ces récompenses


au dernier siècle de la République. Il existait en effet depuis longtemps
des praemia honorifiques répondant à une logique de promotion sociale.
Ces récompenses étaient fondées sur le principe d’une acquisition par
l’accusateur du rang de l’accusé. Dès l’époque républicaine les accusatores
auraient-ils bénéficié également de praemia consistant en une quote-part
sur la vente des biens de l’accusé à l’issue de leur saisie par le Trésor
public (publicatio bonorum) ? Cette hypothèse a été soutenue [DAVID 1992,
p. 508-525]. Pourtant, les sources dans leur ensemble laissent plutôt
supposer que la rétribution matérielle des accusateurs naît avec l’Empire,
ou plutôt au commencement de l’époque triumvirale dès la lex Pedia de
l’année 43 av. J.-C. dirigée contre les assassins de César [RIVIÈRE 2002, p. 479-
494]. Cette page d’Asconius ne permet pas de trancher la question. Appius
Claudius a refusé de se servir de son praemium – le verbe utor est donc
traduit ici dans son sens littéral de « faire usage de », « se servir de »,
plutôt que dans son sens moins courant restreignant son acception à l’idée
d’un « profit » –, à la différence de P. Fulvius Neratus, auquel il a été
« accordé » et qui semble implicitement l’avoir accepté – le verbe dare
signifie bien « donner », « octroyer », mais il n’implique rien de
nécessairement matériel. C’est que le premier vengeait son oncle et
obéissait aux devoirs de la pietas familiale – l’honneur lui interdisait d’être
récompensé pour un devoir –, à la différence du second qui visait
le prestige et les bénéfices d’une victoire à l’issue d’un combat judiciaire.
Mais rien ne permet de dire qu’il s’agissait nécessairement d’une
récompense matérielle, encore moins d’une quote-part sur le patrimoine
de l’accusé dont on apprend plus bas qu’il était grevé de dettes – en raison
notamment des dépenses somptueuses effectuées pour sa campagne au
consulat.
11

L’« enquête sénatoriale » et la poursuite


er e
du crime de lèse-majesté (I -IV siècles
ap. J.-C.)

a. Le procès contre Pison en 20 ap. J.-C.


(Tacite, Annales, 3, 10-19 ; 110-120 ap. J.-
C.)
10, 1. Le lendemain Fulcinius Trio engagea une poursuite (postulare)
contre Pison devant les consuls. En face, Vitellius, Veranius et les autres
compagnons (comites) de Germanicus, démontraient sans relâche que Trio
n’avait aucune part <dans l’accusation> (partes). Qu’eux-mêmes venaient
moins en accusateurs, qu’en dénonciateurs (indices) des faits et témoins
(testes), munis des instructions (mandata) de Germanicus. Celui-là <Trio>,
après avoir renoncé à une dénonciation (delatio) dans cette première
cause, obtint de pouvoir porter une accusation (accusare) sur la vie passée
<de Pison>. Il fut demandé (petere) au prince de recevoir l’enquête
(cognitio), 2. Le prévenu (reus) assurément ne refusait pas cette option,
craignant les sentiments manifestés par le peuple et par les pères, et
considérant qu’en face Tibère était à la fois assez fort pour mépriser
les rumeurs et qu’il était lié par la complicité (conscientia) de sa mère. Il
était plus aisé à un seul juge de discerner les choses vraies auxquelles se
fier, de celles prononcées en mal, tandis que la haine et l’envie avaient
plus de force devant un grand nombre. 3. Le poids de l’enquête (cognitio)
n’échappait aucunement à Tibère, car celle-ci le tiraillait, mettant en jeu
sa propre renommée. Par conséquent, après avoir fait venir un petit
nombre de proches (familiares), il écouta les menaces de ceux qui
accusaient et les prières de celui-là <Pison>, puis il renvoya l’ensemble de
la poursuite au sénat. 11, 1. Et entretemps Drusus étant rentré d’Illyrie,
quoique les pères eussent décidé qu’il pouvait accomplir la cérémonie de
l’ovation pour avoir reçu la reddition de Marobaud, et en raison des hauts
faits accomplis l’été précédent, il entra dans la Ville après avoir différé cet
honneur. 2. Après quoi, alors que l’accusé avait sollicité (petere)
L. Arruntius, P. Vinicius, Asinius Gallus, Aeserninus Marcellus,
Sextus Pompeius pour qu’ils soient ses défenseurs (patroni), ces derniers
trouvèrent différents prétextes pour s’excuser (excusare). M. Lepidus,
L. Piso et Livineius Regulus acceptèrent d’être présents (adesse) pour
le défendre. Toute la cité était dans l’attente de savoir quelle serait
la fidélité (fides) des amis de Germanicus, quelle serait l’assurance (fiducia)
du prévenu. Tibère parviendrait-il à contenir et réprimer ses sentiments ?
Jamais le peuple ne se permit contre le prince autant de paroles
prononcées à voix basse ou de silence où pèse le soupçon.
12, 1. Le jour de séance du sénat, César fit un discours d’une mesure
calculée : Pison avait été le légat et l’ami de son père <Auguste>, il avait été
donné par lui, avec l’autorité du sénat, comme adjoint à Germanicus pour
administrer les affaires en Orient. Cet homme avait-il exaspéré le jeune
homme (iuuenis) par sa fierté et par ses provocations ? Lui avait-il ôté
la vie par un crime (scelus) ? Voilà ce qu’il incombait à des esprits
impartiaux de discerner. 2. « Car si un légat a dépassé les limites de sa
charge et du respect (obsequium) envers le détenteur du commandement
(imperator), si vraiment il s’est réjoui de sa mort et de mon deuil (luctus), je
le haïrai, je l’exclurai de ma maison (a domo seponere) et je vengerai
(ulciscor) mes inimitiés privées, sans recourir à la puissance (uis) d’un
prince. Mais si un acte criminel (facinus) ayant entraîné le meurtre (nex)
d’un mortel, quel qu’il soit, est découvert, tirez-en vengeance (uindicare),
et offrez vous-mêmes de justes consolations (solacia) aux enfants de
Germanicus et à nous autres ses parents…
6. Si la proximité du sang ou le lien de fidélité (fides) fournit
des défenseurs (patroni), assistez celui qui est exposé au danger autant
qu’il est possible par l’éloquence et la sollicitude. J’exhorte les accusateurs
au même travail, à la même constance. 7. Nous n’aurons accordé à
Germanicus que ceci seulement au-dessus des lois (super leges) : qu’on
enquête (anquirere) au sujet de sa mort, dans la curie plutôt que sur
le forum, devant le sénat plutôt que devant les juges. Que toutes les autres
choses soient traitées avec une égale mesure. Que personne ne regarde
les larmes de Drusus, que personne ne regarde mon affliction, ni si
des machinations ont été forgées contre nous. 13, 1. Après cela, on décida
que durant deux jours les griefs seraient exposés (crimina obiicere), et
qu’après un intervalle de six jours, le prévenu (reus) se défendrait durant
trois jours. Alors Fulcinius débuta par <des griefs>, aussi anciens que
stupides, d’avoir gouverné l’Espagne par ambition et pour s’enrichir. Ce
qui ne pouvait constituer un tort (noxa) pour le prévenu, au cas où il en
serait convaincu (conuictus) et s’il se disculpait (purgare) des griefs récents,
ni, s’il les repoussait (defendere), constituer un acquittement (absolutio), s’il
était tenu par de plus grands crimes (flagitia). 2. Après quoi Servaeus,
Veranius et Vitellius avec une égale application – Vitellius même avec
beaucoup d’éloquence –, exposèrent que par haine de Germanicus et dans
l’intention d’une révolution (res nouae), Pison avait corrompu la foule
des soldats par la licence et par des offenses envers les alliés allant jusqu’à
se faire appeler le père des légions par les pires éléments, tout en exerçant
parallèlement sa cruauté envers le meilleur de l’armée et plus encore à
l’encontre des compagnons et des amis de Germanicus. Enfin, par
des enchantements (deuotiones) et par le poison (uenenum), il le fit périr.
Des rites sacrés et des immolations abominables furent accomplis par lui-
même et par Plancine, l’État mis à l’épreuve des armes, jusqu’à ce qu’il soit
vaincu sur le champ de bataille pour qu’il puisse comparaitre en prévenu
(reus). 14, 1. La défense (defensio) chancela sur tous les points, sauf un :
certes, il ne pouvait nier son ambition auprès des soldats, ni avoir soumis
la province au pire gouvernement, ni même les offenses (contumeliae) à
l’encontre de l’imperator, mais, il parut avoir ruiné l’accusation (crimen)
d’empoisonnement (uenenum), parce que les accusateurs ne parvenaient
pas assez à appuyer ce qu’ils argumentaient : au cours d’un banquet donné
par Germanicus, alors que Pison était allongé à table au-dessus de lui, ce
dernier aurait infecté les mets de ses mains. 2. Il paraissait absurde qu’au
milieu d’esclaves d’autrui, et à la vue de tant de convives, sous l’œil même
de Germanicus, il ait pu oser cela. Le prévenu offrait d’ailleurs sa famille
servile et demandait avec instance que ses domestiques (ministri) soient
soumis aux tortures (tormenta). 3. Mais les juges, pour différentes raisons,
demeuraient implacables, César parce qu’une guerre avait été portée dans
une province, le Sénat parce qu’il ne parvenait pas à croire que
Germanicus ait péri sans qu’un crime (fraus) <ait été commis>… auraient
écrit, réclamant <…> ce que Tibère rejeta autant que Pison. 4. Au même
moment se faisaient entendre devant la curie les cris du peuple : ils ne
baisseraient pas les bras, si jamais les pères esquivaient leurs sentences.
Déjà les statues de Pison étaient traînées au Gémonies (Gemoniae) et ils
étaient sur le point de les mettre en pièces, si elles n’avaient été, sur
l’ordre du prince, protégées et remises à leur place. À la suite de quoi,
<Pison> fut porté dans sa litière et, comme il était escorté par le tribun
d’une cohorte prétorienne, la rumeur, contradictoire, interrogeait : est-ce
un garde qui le suit pour sa sécurité, ou l’exécuteur de sa mort ? 15,
1. La haine était la même à l’égard de Plancine, mais sa faveur était plus
grande. C’est pourquoi il demeurait incertain de savoir jusqu’à quel point
César pouvait agir contre elle. Tandis qu’elle-même, tant que Pison
conserva un certain espoir, prétendait qu’elle resterait son alliée (socia)
quel que soit le sort que la fortune lui réservait et elle promettait, si telle
était la situation, d’être la compagne (comes) de son trépas. Cependant,
lorsqu’elle obtint son pardon (uenia) grâce aux prières secrètes de
l’Auguste <Livie>, elle commença peu à peu à s’éloigner de son mari et à
dissocier sa défense (defensio) de la sienne. 2. À la suite de quoi, le prévenu
(reus) comprit ce qu’il y avait là de funeste pour lui, alors qu’il hésitait se
demandant encore jusqu’à quel point continuer la lutte, comme ses fils l’y
exhortaient : il affermit son courage, et entra de nouveau au sénat. Il
endura l’accusation répétée, les voix hostiles des pères, toutes
les invectives et les cruautés, mais rien ne l’effraya plus que de voir Tibère
sans l’expression, ni d’une pitié, ni d’une colère, déterminé et ferme,
impénétrable à la moindre émotion. 3. De retour dans sa maison (domus),
comme s’il réfléchissait à la défense qu’il mènerait le lendemain, il écrivit
quelques lignes et les remit sous sceau à un affranchi ; alors, après avoir
donné à son corps les soins habituels, bien après la tombée de la nuit, et
tandis que sa femme était sortie de la chambre, il ordonna de fermer
la porte. Il fut retrouvé au lever du jour, la gorge tranchée, son épée gisant
au sol.
[16. Tacite se souvient d’avoir entendu le récit de vieillards rapportant que
Pison avait souvent été vu avec un mémoire (libellus) en main. Il s’agissait du
dossier des lettres (litterae) et des instructions (mandata) contre Germanicus que
Tibère lui avait adressées. Tibère lit au sénat le message que Pison avait laissé
après sa mort pour la protection de ses fils : Cnaeus, le fils aîné, qui se trouvait à
Rome au moment des faits qui s’étaient déroulés en Orient et Marcus, le cadet, qui
avait nécessairement obéi à son père et qui lui aurait même déconseillé de
reprendre la province de Syrie.]
17, 1. Après quoi Tibère disculpa le jeune homme (adulescens) du grief
(crimen) de guerre civile (bellum ciuile) : un fils ne pouvait se dérober aux
ordres d’un père (patris iussa) (…)
18, 1. Il effaça l’ignominie (ignominia) qui avait été décidée contre
Marcus Piso, et il lui laissa les biens de son père (paterna bona), démontrant
toujours un respect scrupuleux, comme je l’ai souvent rappelé, en matière
d’argent, et rendu d’autant plus facile à apaiser en la circonstance,
puisque Plancine avait été acquittée (absoluere). 19, 1. Peu de jours après, à
l’instigation de César au sénat, des prêtrises furent attribués à Vitellius,
Veranius et Servaeus. Il s’engagea auprès de Fulcinius <Trio> à soutenir
par son vote son accès aux magistratures tout en l’avertissant de ne pas
gâcher son éloquence par sa violence (uiolentia). 2. Ainsi fut mis un terme
à l’action engagée pour venger (ulciscor) la mort de Germanicus…

b. Le procès in absentia de Popilius Pedo


Apronianus en 205 ap. J.-C. et l’exécution
immédiate de Baebius Marcellinus…
« le sénateur chauve » (Dion Cassius,
77, 8, 1-7 et 9, 1-3 ; 1er tiers du IIIe sièce
ap. J.-C.)
8, 1. Après cela l’affaire relative à Apronianus fut menée à son terme,
une affaire particulièrement étrange, rien qu’à en écouter le récit. Il fut en
effet en butte à une accusation parce que, disait-on, sa nourrice avait vu
en songe qu’il règnerait et parce qu’on prétendait qu’il avait eu recours à
la magie (mageia) à cette fin ; et alors qu’il était absent, puisqu’il
gouvernait l’Asie, il fut condamné (katapsèphizein). 2. Donc, lorsqu’on nous
fit la lecture des faits le concernant recueillis sous la torture, il y apparut
que l’un de ceux qui avaient conduit l’enquête (exetasis) avait été informé
de l’identité de celui qui avait fait le récit du rêve, de celui qui l’avait
écouté, et que quelqu’un avait déclaré parmi d’autres dépositions : « J’ai
vu un sénateur chauve qui se baissait pour regarder ». 3. En entendant
cela, nous nous trouvâmes dans une effroyable expectative : en effet,
quoique l’auteur de cette déposition n’eût prononcé aucun nom, et que
Sévère n’en eût transmis aucun par écrit, sous l’effet de la consternation,
même ceux qui n’avaient encore jamais fréquenté <la maison>
d’Apronianus, non seulement les chauves, mais encore ceux qui
commençaient juste à avoir le front dégarni, furent terrifiés. 4. Chacun
perdait son courage, sauf ceux qui étaient tout à fait chevelus, tous nous
considérions du regard ceux qui nous entouraient en murmurant « c’est
un tel », « non, c’est plutôt un tel ». Je ne cacherai pas ce qui m’arriva en
de telles circonstances, en dépit du ridicule. Mon embarras fut tel que je
m’assurais de ma chevelure en parcourant ma tête de la main. 5. Beaucoup
d’autres se livrèrent au même ridicule. Et nous fixions notre regard sur
ceux qui étaient assez chauves, comme pour repousser sur eux notre
propre danger, jusqu’à ce qu’on apprenne que ce chauve portait la toge à
bande de pourpre <la toge prétexte portée par les magistrats>. Ce nouvel
élément étant porté à notre connaissance, nos regards se tournèrent vers
Baebius Marcellinus : il avait été édile et il était très chauve. Il se leva
aussitôt, s’avança vers l’assistance et dit : « au moins, il me reconnaîtra s’il
m’a vu ». 7. Après que nous eûmes approuvé, le dénonciateur (mènutès)
entra, et il demeura silencieux un temps infini auprès de lui <Baebius
Marcellinus>, cherchant des yeux celui qu’il reconnaîtrait, mais à la fin, en
suivant la direction d’un signe secret qu’on lui adressa, il dit que c’était
bien cet homme. 9, 1. C’est ainsi que Marcellinus fut convaincu (aliskomai)
d’être le chauve qui s’était penché pour regarder, et qu’il fut conduit en
pleurs hors du sénat. Après avoir été mené à travers le forum, il refusa
d’aller plus loin, et, à l’endroit où il se trouvait, il accueillit avec
empressement ses enfants – ils étaient au nombre de quatre –, et leur
adressa un discours particulièrement poignant en disant : « une chose
seulement me chagrine, mes enfants, c’est que je vous laisse encore en vie
derrière moi ». 2. Il eut la tête tranchée sur-le-champ, avant même que
Sévère n’apprenne qu’il avait été condamné par un vote. Toutefois,
une juste vengeance fut tirée de Pollenius Sebbenus qui avait été l’artisan
de la cause de sa mort. Il fut en effet livré par Sabinus aux Noriciens qu’il
avait traités de manière très peu honnête alors qu’il était gouverneur, et il
endura un traitement très infamant. 3. Nous l’avons vu, affalé au sol, se
présenter en suppliant, lamentablement. Et s’il n’avait pas obtenu quelque
ménagement grâce à l’intervention de son oncle maternel Auspex, il
aurait péri aussi lamentablement. Cet Auspex était le plus extraordinaire
des hommes, en termes de moquerie et de spiritualité : méprisant envers
tous les hommes, généreux pour ses amis, il était prompt à repousser ses
ennemis.

c. Le procès d’Arvandus en 469 ap. J.-


C. (Sidoine Apollinaire, Lettres,
1, 7 ; envoyée depuis Lyon ; premiers
mois de 469 ap. J.-C.)
7, 3. Mais tu exiges de connaître le déroulement de sa condamnation.
Tout en respectant l’exactitude qui est due à un ami, même jeté à terre, je
t’exposerai brièvement l’affaire. Il conduisit sa première préfecture avec
un grand effort pour plaire au peuple, la suivante avec un très grand effort
de prédation. Accablé aussi bien par le fardeau de sa dette que par
la crainte de ses créanciers, il jalousait les hommes du meilleur rang qui
devaient lui succéder dans sa charge. Au cours de leurs entretiens il riait
d’eux tous, il recevait leurs conseils avec étonnement, leurs services avec
mépris. Il était rongé par la méfiance lorsque leurs visites se faisaient trop
rares, d’ennui lorsqu’elles étaient trop fréquentes, jusqu’à ce qu’il soit
assiégé par la machinerie de la haine publique (odium publicum), et
ceinturé d’une garde (custodia), avant même d’être dépouillé de son
pouvoir. Capturé et assujetti, il parvint à Rome, en s’enorgueillissant
aussitôt d’avoir accompli une traversée heureuse au large de la côte
orageuse de l’Étrurie : il avait la conscience tranquille, comme si
les éléments étaient en quelque sorte à son service. 4. Il était gardé
(custodire) au Capitole par son hôte (hospes) Flavius Asellus, comte
des largesses sacrées, qui vénérait encore en lui ce qu’il restait de
la dignité de la préfecture qu’on venait de lui arracher. Entretemps,
les ambassadeurs de la province de Gaule, l’ancien préfet du prétoire
Tonantius Ferreolus, petit-fils du consul Afranius Syagrius, par la fille <de
ce dernier>, ainsi que Thaumastus et Petronius, dotés de la science la plus
élevée des affaires judiciaires et de la parole, et qu’on doit compter parmi
les premiers ornements de notre patrie, arrivèrent sur les pas d’Arvandus,
ayant été investis par décret pour porter une accusation au nom de
l’intérêt public (publico nomine accusare). 5. Parmi les faits à charge pour
lesquels les provinciaux leur avaient donné mandat (mandare) d’agir, ils
portaient à la connaissance de la justice (deferre) une lettre (litterae) qui
avait été interceptée : le scribe d’Arvandus, dont on s’était saisi, déclarait
(profiteri) que son maître l’avait dictée. Il semblait que cet écrit (charta)
avait été envoyé au roi des Goths <Euric> : il dissuadait ce dernier de faire
la paix avec l’empereur grec <Anthémius>, lui démontrait qu’il fallait
attaquer les Bretons installés au delà de la Loire, lui confirmait qu’il devait
partager les Gaules avec les Burgondes au nom du droit des gens (ius
gentium), et bien d’autres propos extravagants rédigés à peu près de
la même façon, susceptibles d’inspirer de la colère à un roi violent, et
un sentiment de honte à un roi épris de douceur. Les jurisconsultes
interprétaient cette lettre (epistola) comme l’expression éclatante du
crime de lèse-majesté (laesae maiestatis crimen).
(…)
8. Cependant, notre prévenu (reus) parcourait l’esplanade capitoline
(area Capitolina) vêtu de blanc. Tantôt il goûtait des salutations
artificieuses, tantôt il écoutait les tintements de cloche des flatteries en
les acceptant de bon gré, tantôt il fouillait les soieries, les pierreries,
les coffrets des changeurs et, comme s’il allait les acheter, il les examinait,
les prenait dans la main, les dépréciait, les rejetait, et tout en agissant
ainsi se répandait en plaintes au sujet des lois, de l’époque, du sénat, du
prince, parce qu’ils tiraient vengeance de lui (ulciscor) avant même d’avoir
examiné (discutere) son cas. 9. Quelques jours plus tard, un sénat
nombreux se réunit dans la salle d’audience (tractatorium) – c’est ce que
j’ai appris par la suite, car entretemps j’avais quitté Rome. Notre homme
se rendit à la curie, peu de temps après s’être coupé les cheveux et s’être
rasé, tandis que les accusateurs en demi-deuil (semipullati) et regroupés
entre eux attendaient d’être appelés par les décemvirs (decemuiri) : par
la négligence bien étudiée de leur tenue, ils enlevaient par avance au
prévenu la compassion (miseratio) qui lui était due, en raison de la haine
(inuidia) que provoque la vue des gens en vêtement de deuil (sordidati)
contre ceux qui en seraient la cause. Les personnes citées sont introduites.
Les parties, comme c’est la coutume, se placent en vis-à-vis. On offre aux
anciens préfets, avant l’ouverture de l’exposé de la controverse, le droit de
s’asseoir. Arvandus aussitôt, avec une malheureuse impudence, d’un pas
rapide, va pratiquement se mêler aux robes de ses juges. Ferreolus s’assit
parmi ses collègues à l’extrémité des bancs avec retenue et modestie, de
manière à se rappeler qu’il n’était pas moins ambassadeur que sénateur, si
bien qu’il en reçut par la suite d’autant plus de louange que d’honneur.
10. Pendant ce temps, ceux des nobles qu’on attendait encore se
présentèrent. Les parties se levèrent et les ambassadeurs exposèrent
la controverse. Après le mandat de la province, la lettre dont il a été fait
mention plus haut est produite. Or à ce moment, tandis qu’on en faisait
lentement la lecture, Arvandus déclare, sans même avoir été interrogé,
que c’est lui qui l’a dictée. Et les ambassadeurs de répondre, avec
l’intention évidente de lui porter un coup fatal, qu’il était donc établi qu’il
l’avait dictée lui-même. Et lorsque ce dernier, plein de fureur, s’égosille
sans se rendre compte à quel point il précipite sa chute, en répétant,
une fois, puis deux, son aveu (confessio), les accusateurs s’exclament, et
les juges clament eux aussi, que le prévenu, puisqu’il l’avoue lui-même, est
convaincu de lèse-majesté. Outre cet aveu, il était pris à la gorge par mille
autres règlements de droit sanctionnant ce crime. 11. Alors seulement,
éprouvant péniblement le lent remords de sa loquacité, il se mit à pâlir,
raconte-t-on, en apprenant trop tard qu’on pouvait déclarer prévenu de
majesté (reum maiestatis pronuntiari), celui-là même qui n’avait pas aspiré à
la tenue des porteurs de pourpre. Sur l’heure, il fut destitué des privilèges
de la double préfecture qu’il avait exercée durant cinq années par
reconduction de pouvoirs, puis, rendu plutôt qu’amené à une condition
plébéienne, il fut soumis au cachot public (carcer publicus). Assurément
la chose la plus accablante, comme l’ont rapporté ce qui l’ont vue, tenait
au fait qu’il s’était présenté aux juges, sous <le regard> des accusateurs
vêtus de deuil (atrati), en tenue d’apparat et soigné, et que peu de temps
après, alors qu’on le menait comme condamné (addictus), il apparaissait
misérable sans susciter pour autant de commisération. Qui en effet se
laisserait émouvoir (inflectere) outre mesure par quelqu’un qu’il verrait
jeté aux Latomies (Lautumiae) ou à l’ergastule (ergastulum), soigné et
parfumé ? 12. Cependant, après que le jugement eut été ajourné, voici
deux semaines à peine, il a été condamné à la peine capitale (capite
multatus) et jeté dans l’île du serpent d’Épidaure où, flétri au point de
susciter la douleur de ses adversaires et rejeté des affaires humaines
comme par un vomissement de la fortune prise de nausée, il passe
maintenant les trente derniers jours <qui lui sont accordés> après
la sentence en vertu d’un ancien sénatus-consulte <du règne> de Tibère,
tremblant d’effroi, heure après heure, en songeant au croc (uncus), aux
Gémonies (Gemoniae) et au lacet (laqueus) du terrible bourreau (carnifex).
13. Quant à nous, dans la mesure où nous le pouvons, absents ou présents
<de Rome>, nous formons des voeux, et nous redoublons prières et
supplications, pour que l’auguste piété (pietas) accorde au moins <à cet
homme> à demi-mort la confiscation des biens (publicata bona) ou l’exil, en
tenant suspendu le coup de l’épée (mucro) déjà sortie du fourreau.
Cependant il n’est rien de plus infortuné que lui, qu’il soit dans l’attente
de sa dernière heure ou qu’il l’endure déjà, si après l’empreinte de tant de
marques d’infamie (notae) et d’outrages (contumeliae), il ne craint
maintenant plus rien que de vivre.
Adieu.

*
* *

L’histoire de l’enquête sénatoriale (cognitio senatus) au cours des cinq


siècles de l’Empire (le sénat, en effet, n’était pas une cour de justice sous
la République) se heurte à l’inégale distribution de la documentation tout
au long de cette période. Alors que l’œuvre de Tacite offre le récit détaillé
de grands procès de l’époque julio-claudienne et tout particulièrement du
règne de Tibère (14-37 ap. J.-C.), avec en premier lieu le procès contre
Pison (R11a), la documentation s’étiole un demi-siècle plus tard. Si
la Correspondance de Pline le Jeune sous Trajan (98-117) fournit de nouveau
des renseignements précis sur les poursuites pour concussion qui se sont
déroulées dans la curie, toute information précise disparaît ensuite sous
le règne des autres Antonins (118-192). L’histoire romaine de Dion Cassius
est fragmentaire pour les deux premiers siècles de l’Empire, et son auteur
se contente parfois de formules lapidaires pour résumer en quelques mots
ce qui relève à ses yeux d’un meurtre judiciaire, voire d’une mise à mort
« sans jugement », alors même que l’on sait par d’autres sources qu’une
poursuite s’est déroulée devant les sénateurs. Le procès auquel il a assisté
lui-même en 205, alors qu’il siégeait dans la curie constitue une exception
remarquable (R11b) : si ce récit passe sous silence bien des rouages de
la procédure et les circonstances qui ont précédé la poursuite, il a été
composé par un témoin oculaire de la scène et de l’exécution d’un
« complice ». On ne sait à peu près rien du déroulement des enquêtes
sénatoriales au cours des deux siècles suivants, jusqu’à la lettre de Sidoine
Apollinaire (R11c) qui atteste l’existence de procès sénatoriaux qui
conservent bien des traits des origines de cette procédure. Ces trois
épisodes constituent trois points d’appui pour retracer l’évolution de
« l’enquête sénatoriale ». Tout en conservant les caractères, de plus en
plus estompés, d’une poursuite accusatoire, elle s’affirme désormais
comme une procédure inquisitoriale, dont le déroulement est commandé
par la présence de l’empereur dans la curie ou par la production de pièces
écrites fournies sur son ordre (elles étaient archivées au Palatin) et qui
laissent peu d’hésitation sur l’issue du procès [RIVIÈRE 2002, p. 169-255]. En
ce sens l’opposition entre l’enquête sénatoriale, d’une part, et la poursuite
devant le prince, lorsqu’elle se déroule à Rome, d’autre part, relève à bien
des égards d’un schéma doctrinal forgé par les modernes [RIVIÈRE 2019b].
D’un strict point de vue matériel et topographique même, la circulation
des personnes et des pièces écrites, entre la résidence impériale sur
le Palatin et le lieu habituel de réunion des sénateurs, la curie, ne laisse
guère de place au doute. A fortiori, lorsque les sénateurs étaient convoqués
précisément non pas dans l’ancienne curie du forum (la Curia Hostilia,
incendiée en 52 av. J.-C., reconstruite et réorientée par César, devenue
Curia Iulia en articulation avec le Forum Iulium) ou dans un temple, selon
la tradition républicaine, mais dans un édifice, la curie du temple
d’Apollon sur le Palatin (Aedes Apollinis in Palatio) intégré au complexe de
la résidence impériale elle-même. On a voulu trop souvent opposer
rigoureusement, l’enquête sénatoriale, d’un côté, et le tribunal du prince
de l’autre. En réalité, le déroulement des poursuites à l’intérieur de
la résidence impériale, dans la « chambre » du prince (cubiculum), n’est pas
seulement apparu sous le règne de Claude (41-54) comme on le prétend
généralement en considérant le récit du procès de Valerius Asiaticus, en
47 ap. J.-C., à l’instigation de l’impératrice Messaline (Tacite, Annales, 11, 1-
4) comme une rupture dans l’histoire de la procédure. Certes, dans ce cas
précis, l’instruction ne fut pas engagée au sénat (Tacite, Annales, 11, 2, 1 :
neque data senatus copia), mais la poursuite fut conduite par le délateur
P. Suillius Rufus à l’intérieur même de la résidence impériale. On
comprend pourtant qu’après le suicide de l’accusé le délateur a continué
son réquisitoire au sénat en élargissant l’inculpation, conformément au
principe « extensif » de la lèse-majesté, à d’autres prévenus (Tacite,
Annales, 11, 4, 1 : Vocantur post haec patres, pergitque Suillius…). Ici
seulement, à l’inverse d’autres récits, le déroulement de la première phase
a été mis en exergue par l’auteur des Annales. Même sous le règne de
Domitien (81-98) où l’aula du vaste « palais » (la Domus Flauia) désormais
élevé sur le Palatin est devenu le lieu clos où l’empereur pouvait rendre
la justice, la circulation du déroulement des procès entre ce lieu et la curie
n’a pas cessé pour autant [RIVIÈRE 2019b].

Le procès contre Cn. Calpurnius Pison (20 ap. J.-C.)

Pour ce qui concerne le procès de l’empoisonneur supposé de


Germanicus, qui, finalement disculpé de ce grief, sera conduit au suicide
pour une accusation de lèse-majesté (il avait tenté de récupérer par
les armes la province de Syrie dont il était le légat), les formes
d’engagement de la poursuite témoignent de l’héritage de la procédure
accusatoire telle qu’elle avait été définie dans le cadre des quaestiones de
la fin de la République [RIVIÈRE 2016, p. 375-402]. Que les amis de la victime
supposée, Germanicus, aient souhaité tenir le rôle principal, en reléguant
au second plan l’accusateur professionnel, le délateur Fulcinius Trio, n’est
en rien un trait psychologique qui se glisserait dans ce drame judiciaire. Il
s’agit là d’une norme essentielle au principe accusatoire selon lequel
le devoir de vengeance incombe aux plus proches [THOMAS 1984 ; RIVIÈRE 2006,
p. 10-27]. La distribution réglementée du temps de parole à l’accusation et
à la défense s’inscrit elle aussi dans cette tradition, même si la présence du
prince a été décisive dans l’issue de cette affaire d’État, par ailleurs
exceptionnellement documentée grâce à la découverte des exemplaires
épigraphiques du Senatus consultum de Cn. Pisone patre [ECK-CABALLOS-
FERNANDEZ 1996].

Le procès contre Apronianus Pedo (205 ap. J.-C.)

Partir d’un point pour le relier à un autre par une courbe est
un exercice aléatoire en l’absence d’autres points intermédiaires pour
guider le trait. On se gardera donc d’affirmer que l’évolution de
la procédure sénatoriale aux deux premiers siècles de l’Empire a conduit,
selon une trajectoire linéaire, du déroulement d’une instance qui
cherchait encore à se conformer aux principes de la procédure accusatoire
républicaine (comme en témoigne de manière emblématique, on l’a vu,
le procès contre Pison, en 20 ap. J.-C.) à une pure et simple inquisition
menée sur le seul fondement de rapports de torture et qui conduisait à
l’exécution immédiate d’un prévenu sur le simple geste d’un
dénonciateur, lui-même obéissant à l’ordre d’un juge (comme en témoigne
le procès contre Apronianus Pedo en 205). Cependant, il est aussi évident
qu’au cours de ces deux siècles, de nombreuses transformations de
la procédure criminelle se sont produites dans différents domaines et à
différentes échelles avec l’emploi beaucoup plus systématique de
la torture (R16), avec le développement des « archives » (commentarii) du
Palatin et la constitution de dossiers préalables à l’ouverture officielle de
l’enquête, avec la diffusion de la procédure d’office, aussi bien devant
le prince ou ses préfets (R12) que devant les gouverneurs (R13), avec
la perte d’autonomie, puis la disparition des tribunaux de jurys qui
constituaient le conservatoire de l’accusatio et de ses règles, avec
l’extension de la majesté et de ses dérogations… Il n’est donc pas exclu
qu’en dépit de sa singularité, soulignée par le témoin oculaire de la scène,
Dion Cassius, et de son isolement dans la documentation, le procès in
absentia de Popilius Pedo Apronianus, reflète un changement profond de
l’exercice de la justice [RIVIÈRE 2002, p. 233-235]. Cette séquence implique
certains des plus hauts personnages de l’État, à commencer par
le principal accusé, Popilius Pedo Apronianus (PIR2 P 842) : ce dernier avait
été consul en 191 et il exerçait, l’année même de la poursuite intentée
contre lui au sénat de Rome, le prestigieux gouvernement de la province
d’Asie où il fut, dès son exécution, remplacé par le procurateur Aelius
Aglaus – selon une procédure de remplacement attestée en Afrique
proconsulaire à peu près à la même époque comme en témoignent
les Actes de Perpétue et Félicité (R18b) –, tandis que son nom disparaissait
des inscriptions conformément au principe de la « condamnation de
la mémoire » (damnatio memoriae) qui avait également touché Pison près
de deux siècles auparavant. Son complice supposé, Baebius Marcellinus,
exerçait la charge d’édile l’année du procès. Quant à l’instigateur de
la dénonciation qui visait ce dernier, Pollenius Sebennus (PIR2 P 540), il fut
dénoncé à son tour par un certain Sabinus. Il s’agit sans doute de P. Catius
Sabinus (PIR C 571) qui exerça deux fois le consulat avant d’être exécuté
sous le règne d’Elagabal (218-222). Sebennus aurait sans doute été
condamné à mort, en raison des exactions commises lors de son
gouvernement de la province du Norique, si son oncle, le consulaire
Pollenius Auspex (PIR2 P 537), qui avait accompli une brillante carrière
depuis le règne de Marc Aurèle, n’était intervenu pour le sauver. La cour
sénatoriale continuait naturellement à cette époque d’être le théâtre de
toutes les intrigues qui parcouraient le cercle des élites et l’entourage de
l’empereur. Les procès de lèse-majesté étaient le plus souvent associés à
la répression de la divination et des astrologues, puisque ces derniers
étaient toujours susceptibles de connaître la date de la mort d’un
empereur et de nourrir les espoirs d’un successeur. Il est probable que cet
épisode compte parmi les exemples contenus dans la généralisation de
l’Histoire Auguste en dépit du tassement de l’énumération et même si
l’instigateur des poursuites désigné initialement, le préfet du prétoire
Plautianus, a été exécuté au commencement précisément de l’année de ce
procès :

4. Parmi ces occupations [les préparatifs de la guerre contre


les Parthes] il [Sévère] poursuivait les débris du parti de
Pescennius à l’instigation de Plautianus, de telle sorte qu’il
s’attaqua même à un nombre peu négligeable de ses amis comme si
ces derniers cherchaient à attenter à sa vie. 5. Il fit mettre à mort
de même de très nombreuses personnes pour avoir consulté
des Chaldéens ou des devins (uates) au sujet de sa santé, en
tournant ses soupçons tout particulièrement contre quiconque lui
paraissait apte à exercer le commandement de l’empire : lui-même,
en effet, avait des fils encore tout jeunes et il croyait ou se laissait
convaincre que telle était la pensée de ceux auxquels on prédisait
pour eux-mêmes le commandement de l’empire. 6. Ce n’est que
lorsque certains, en nombre peu négligeable, avaient été tués que
Sévère s’excusait et niait, après la mort de ces derniers, avoir
donné l’ordre que cela fût accompli. (Histoire Auguste, Vie de Septime
Sévère, 15, 5)

Le procès contre Arvandus (469 ap. J.-C.)


Plus de deux siècles et demi plus tard, le procès du préfet du prétoire
des Gaules, Arvandus, en 469, s’inscrit dans la tradition la plus ancienne
des poursuites pour concussion (repetundae), intentées par
des provinciaux contre un détenteur du pouvoir romain dans
les provinces. Mais alors qu’à l’époque de la République et de la conquête,
ces détenteurs de l’autorité étaient seulement des magistrats ou
des promagistrats, dans l’Antiquité tardive, en raison des réformes de
la bureaucratie impériale initiées par Dioclétien (284-305), pouvaient
également être poursuivis de très hauts fonctionnaires dont l’autorité
s’étendait sur plusieurs provinces et s’élevait au-dessus de celle
des gouverneurs. Les règles de la procédure accusatoire où l’inculpé était
confronté aux représentants de la partie lésée étaient donc apparues au
e
milieu du II siècle av. J.-C. avec la création des tribunaux de jurys.
Cependant, dès le commencement de l’Empire, la compétence de ces
tribunaux avait été supplantée par la cognitio senatus. Or bien souvent
une poursuite pour concussion pouvait déboucher sur une inculpation de
lèse-majesté, puisque la corruption ou les exactions à l’encontre
des provinciaux étaient aisément assimilées à une insubordination ou à
une offense à l’empereur. Cependant, dans le cas présent, l’inculpation de
majesté est plutôt née d’une entente avec l’ennemi, Euric, le roi des Goths
(466-484), fondée sur une pièce à conviction, une lettre dictée par
le prévenu à son secrétaire et interceptée par ses adversaires. Étrange
scénario car l’inculpé ne paraît aucunement s’inquiéter de la production
de cette pièce à conviction dont il revendique la dictée, sans même avoir
été poussé aux aveux.
Ce procès mérite que l’on y consacre ici une attention plus détaillée
qu’aux deux précédents, en raison de l’importance que cet exemple
unique de l’exercice de la justice sénatoriale au Ve siècle revêt pour
la connaissance de la procédure de l’Empire tardif. L’attraction exercée
chez les modernes par un effort de recoupement systématique entre
la norme et son illustration pratique a notamment conduit à forcer
l’interprétation du procès d’Arvandus. On a supposé que la lettre de
Sidoine Apollinaire (430-486) illustrait le déroulement d’une procédure
introduite dans le courant du IVe siècle, à savoir l’instauration d’un
« tribunal de cinq hommes » (iudicium quinqueuirale) attesté dans deux
constitutions conservées dans le Code théodosien et relatives aux poursuites
capitales intentées contre des sénateurs [COSTER 1933]. La première (Code
théodosien, 9, 1, 13), datée du 11 février 376 et adressée au sénat, souligne
l’incompétence des gouverneurs dans les procès capitaux intentés contre
un sénateur et les somme de déférer la poursuite à l’empereur lui-même,
ou à ses préfets (du prétoire et de la Ville). La loi précise alors que le préfet
de la Ville devra s’entourer d’une commission de cinq sénateurs, non pas
« choisis de son propre chef » (sponte delecti), mais « tirés au sort » (sorte
ducti), parmi ceux qui ont déjà exercé de hautes charges. Il s’agissait de
remédier à l’arbitraire de la justice du préfet, tel qu’il s’était révélé lorsque
Maximin – l’auteur de la première condamnation du jeune Lollianus entre
368 et 371 (R50l) – avait occupé cette charge, obtenant de l’empereur
notamment de recourir à la torture des sénateurs [RIVIÈRE 2002, p. 347]. Et
cette loi pourrait faire partie d’un train de mesures destinées à apaiser
les membres du sénat de Rome [FLACH 1996, p. 370]. La seconde loi datée du
6 août 423 (Code théodosien, 2, 1, 12) fait référence au iudicium quinqueuirale
instauré par la précédente. Elle réaffirme le principe du tirage au sort,
devenu obligatoire : « afin que des hommes désignés en vertu d’un choix
délibéré (iudicio electi) ne décident pas par un jugement de l’existence
(caput) et de l’innocence d’un autre ». On constatera ici en premier lieu
que le préfet de la Ville auquel se rapporte l’instauration d’une
commission de cinq sénateurs selon la première loi n’est aucunement
intervenu dans la poursuite contre Arvandus. N’allons donc pas envisager,
contrairement à ce qui a été parfois proposé [TEITLER 1992], que, par calcul,
Sidoine Apollinaire, qui occupait cette charge dans les mois précédents et
qui l’aurait encore détenue au moment du procès, se serait esquivé pour
ne pas se compromettre par le jugement d’un ami dans l’entreprise duquel
il aurait pu être impliqué. Non seulement la date de sortie de charge de
celui qui deviendra évêque de Clermont une année plus tard (fin 470-
début 471) est incertaine, mais encore comment imaginer un tel
« absentéisme » ou un tel « désistement », en toute impunité, de l’un
des plus hauts personnages de l’État romain qui aurait manqué à sa
mission de juge, en raison de ses scrupules envers un ami ? En second lieu,
l’hypothèse d’une poursuite par une commission de cinq hommes ne peut
se fonder sur cette lettre qu’en admettant une erreur (toujours possible)
de manuscrit : les decemvirs (Xuiri) dont il est question auraient été
des quinquevirs (Vuiri) [STEIN 1949, II, p. 70-71 et n. 2]. Mais, quelle que soit
l’incertitude qui subsiste quant à la transmission manuscrite des chiffres
romains, elle ne résiste pas à l’information précise selon laquelle le procès
dans la curie se serait déroulé en présence d’une « assemblée sénatoriale
au grand complet » (senatus frequens). La description très précise de
Sidoine Apollinaire, selon lequel Arvandus est allé spontanément s’asseoir
dans les rangs des anciens préfets, constitue un indice très probable de
la réunion du sénat « dans son entier » (en dépit de l’absence opportune
ou imprévue de certains de ses membres), tandis que rien n’atteste la mise
en place de la procédure du iudicium quinqueuirale exclusivement liée à
la compétence du préfet de la Ville. Que dix sénateurs, que distinguaient
leurs rangs, aient dirigé les débats ou aient examiné la plainte avant de
la soumettre à l’assemblée plénière, paraît donc une hypothèse bien plus
probable [FLACH 1996, p. 371-372]. La pérénnité de la procédure du iudicium
quinqueuirale autour du préfet de la Ville est par ailleurs attestée jusqu’à
l’époque du royaume ostrogothique (R12g).
Soulignons enfin, pour ce qui concerne le déroulé de la comparution,
la succession qui s’opère entre les prises de parole en vis-à-vis,
conformément aux règles de l’accusation, et le basculement que produit
brutalement l’aveu (confessio) articulé à la production d’une pièce écrite,
tout à fait propre à la procédure inquisitoriale. L’incarcération de l’accusé
dans l’île tibérienne (l’Insula Tiberina est désignée dans la lettre comme
« l’île du Serpent d’Épidaure » ou Insula serpentis Epidaurii) laisse supposer
l’existence très probable d’autres lieux de détention dans la capitale que
le fameux cachot du Capitole évoqué par toutes les sources depuis
la République et encore visible aujourd’hui (R18). Quant au délai entre
le prononcé légal de la sentence et l’exécution elle-même, une imprécision
significative mérite d’être relevée. L’invocation par Sidoine Apollinaire
d’un ancien « sénatus-consulte de Tibère » (Senatus consultum Tiberianum)
qui limiterait à trente jours ce délai rappelle certes que l’auteur était
un lecteur de Tacite, comme l’attestent également l’énumération du
cachot, des Gémonies (Gemoniae), du recours au « croc » (uncus) pour
traîner les cadavres, etc. Mais de telles allusions relèvent de
l’ornementation de sa lettre, plutôt que de la réalité de son époque. Quant
au délai lui-même, il était de dix jours sous Tibère, tandis qu’au Ve siècle il
était en effet de trente jours (R45), alors qu’une telle durée était déjà
e
évoquée depuis le II siècle [RIVIÈRE 2004c, p. 136-143 ; VOLTERRA 2018, p. 505-
506] :

Celui qui a accusé de meurtre un prévenu sans parvenir à le faire


condamner doit être lui-même puni. Les supplices des condamnés
doivent être remis (differe) au trentième jour. <Supposons qu’>
une personne en a accusé une autre et obtenu sa condamnation.
L’exécution de la sentence est reportée au trentième jour. Surgit
<alors> celui dont on disait qu’il avait été tué. Le prévenu demande
qu’on applique le châtiment réservé à l’accusateur (poena
accusatoris). (Pseudo-Quintilien, Déclamations Majeures, 313)
Si la lettre de Sidoine Apollinaire se termine par une évocation de
la mort prochaine de l’accusé, on sait par d’autres sources que la peine
d’Arvandus fut commuée en exil (certainement assorti d’une déchéance
civique) et d’une confiscation des biens, c’est-à-dire d’une deportatio (R43).
Il est en effet admis unanimement qu’Arvandus est bien le même
personnage que celui qui est mentionné par Cassiodore et Paul Diacre,
relatant l’un et l’autre un épisode de l’année 469, en dépit de
l’approximation et de l’altération du nom du condamné en question (PLRE,
II, p. 158).

Arabundus, ayant tenté d’accéder à l’empire, est déporté en exil


(exilio deportare) sur l’ordre d’Anthemius. (Cassiodore, Variae, 1, 42)
L’année suivante, Servandus, préfet des Gaules, ayant tenté de
s’emparer de l’empire, fut poussé à l’exil (in exilium trudere) sur
l’ordre du prince Anthemius. (Paul Diacre, Histoire romaine, 15, 2)
12

Le préfet de la Ville : maintien de l’ordre


et juridiction dans la capitale de l’Empire
er e
(I -VI siècles)

a. Martyre des saints Justin, Chariton,


Charites, Evelpistos, Hiérax, Paion,
Liberianus et de leurs compagnons
(165 ap. J.-C.) (LANATA 1973, p. 117-121 :
Parisinus gr. 1470, a. 890)
1. À l’époque des commandements illégaux de l’idolâtrie, les saints
dont la mémoire est ici rappelée ayant été conduits à comparaître
(eisagein) devant le préfet de Rome, Rusticus.
2, 1. Après qu’ils eurent été conduits à comparaître, le préfet dit à
Justin : « Quel genre de vie vis-tu ? ».
2. Justin dit « une vie irréprochable et inattaquable selon tous
les hommes ».
3. Le préfet Rusticus dit : « À quel principe de conduite t’adonnes-
tu ? ». Justin dit : « J’ai cherché à apprendre tous les principes de conduite,
mais je me suis trouvé en accord avec les principes vrais des chrétiens,
même s’ils ne plaisent pas à ceux qui se font des opinions fausses ».
4. Le préfet Rusticus dit : « ainsi ces principes te plaisent ? ».
Justin dit : « Oui, puisque j’en suis l’injonction ».
Le préfet dit : « Et quelle en est l’injonction ? ».
5. Justin dit : « La suivante. Nous vénérons le Dieu des chrétiens que
nous considérons comme l’unique auteur, depuis l’origine, de la création
de tout le cosmos, et le fils de Dieu, Jésus Christ, dont il a été également
annoncé par les prophètes qu’il serait apparu aux hommes comme
le héraut du salut et le maître des connaissances parfaites.
6. Je pense dire des choses infimes sur sa divinité lorsque j’évoque
cette puissance prophétique qui a prédit pour ce qui concerne celui dont
je disais maintenant qu’il est fils de Dieu. Sache en effet que dans
les temps anciens les prophètes ont prédit son apparition parmi
les hommes et qu’elle est advenue ».
3, 1. Le préfet Rusticus dit : « Où vous réunissez-vous ? ».
Justin dit « Où chacun veut et peut le faire. Crois-tu donc qu’il soit
possible que nous nous réunissions tous en un même lieu ? ».
2. Le préfet dit : « Dis-moi où vous vous vous réunissez ou en quel
endroit ».
3. Justin dit : « Moi j’ai toujours habité au dessus de l’établissement
thermal […], depuis que, pour la deuxième fois, je séjourne dans la ville de
Rome. Et je ne connais pas d’autres communautés que celle-là. Et si
quelqu’un voulait venir me voir, je l’initierais volontiers aux discours de
la vérité ».
4. Le préfet dit : « Donc tu es chrétien ».
Justin répondit : « Oui je suis chrétien ».
4, 1. Le préfet Rusticus dit à Chariton : « Chariton, toi aussi tu es
chrétien ? ».
Chariton dit : « Je suis chrétien par la volonté de Dieu ».
2. Le préfet dit à Charites : « Et toi Charites, que dis-tu ? ».
Charites dit : « Je suis chrétienne par la grâce de Dieu ».
3. Le préfet Rusticus dit à Evelpistos : « Et toi, qui es-tu ? ».
Evelpistos dit : « Moi aussi, je suis chrétien, et je partage la même
espérance ».
4. Le préfet Rusticus dit à Hiérax : « Es-tu chrétien ? ».
Hiérax dit : « Oui, je suis chrétien, et j’adore le même Dieu ».
5. Le préfet Rusticus dit : « C’est Justin qui vous a fait chrétiens ? ».
Hierax dit : « J’étais chrétien depuis longtemps ».
6. Paion se leva et dit : « Moi aussi je suis chrétien ».
Rusticus dit : « Qui t’a instruit ? ».
Paion dit : « J’ai reçu cet enseignement de mes parents ».
7. Evelpistos dit : « Quant à moi j’écoutais avec joie les paroles de
Justin, mais j’ai appris à devenir chrétien par mes parents ».
Rusticus dit : « Où sont tes parents ? ».
Evelpistus dit : « En Cappadoce ».
8. Le préfet Rusticus dit à Hierax : « Et toi, où sont tes parents ? ».
Hierax dit : « Ils sont morts, et j’ai été arraché depuis longtemps à
la Phrygie ».
9. Le préfet Rusticus dit à Liberianus : « Sans doute es-tu chrétien toi
aussi ? ».
Liberianus dit : « Moi aussi je suis un pieux chrétien ».
5, 1. Le préfet dit à Justin : « Si tu es fouetté et décapité, es-tu persuadé
que tu monteras au ciel ? ».
2. Justin dit : « Je l’espère en comptant sur ma capacité de résistance,
si je résiste. Et je sais également que la récompense divine est réservée à
ceux qui ont vécu dans le droit chemin jusqu’à la destruction du monde
par le feu ».
3. Le préfet Rusticus dit : « Tu supposes donc que tu monteras au
ciel ».
Justin dit : « Je ne le suppose pas, mais j’en suis parfaitement
convaincu ».
4. Le préfet Rusticus dit : « Si vous n’obéissez pas, vous serez punis ».
5. Justin dit : « Comme nous l’espérons, nous serons sauvés, après
avoir été punis ».
6. Le préfet Rusticus rendit la sentence : « Que ceux qui n’ont pas
voulu brûler de l’encens pour les dieux soient fouettés et conduits au
supplice, conformément aux lois ».
6, 1. Les saints martyrs qui glorifièrent Dieu, une fois parvenus au lieu
habituel <des exécutions>, accomplirent le martyre dans la confession de
notre Sauveur, dont la gloire et la puissance, avec le Père et le Saint Esprit,
sont aujourd’hui et dans les siècles des siècles. Amen.

b. Calliste est conduit au travail


de la mine de Sardaigne, en 188 ap. J.-C.,
puis il est grâcié (Hippolyte, Refutatio,
9, 12, 7-12 ; 230 ap. J.-C. env.)
Ils furent perturbés par la sédition qu’il avait semée, en le couvrant
d’insultes et en lui portant des coups, ils le traînèrent de force devant
Fuscianus, qui était préfet de la Ville. À la question <qu’il leur posa>, ils
répondirent par ces mots : « Les Romains nous ont permis de lire
publiquement les lois de nos pères, mais cet homme, lorsqu’il a surgi, nous
en a empêchés en provoquant une sédition et en déclarant qu’il était
chrétien. Fuscianus qui se trouvait précisément sur son tribunal s’irrita
contre Calliste en raison des déclarations des juifs. Les faits furent révélés
à Carpophoros. Il se hâta vers le tribunal du préfet et s’écria : « Je t’en prie,
Seigneur Fuscianus, ne te fie pas à lui. Car il n’est pas chrétien, mais il
cherche un moyen <pour hâter> sa mort, il a dilapidé beaucoup de biens
qui m’appartenaient comme je le montrerai. Mais comme les juifs
croyaient qu’il s’agissait là d’un subterfuge auquel recourait Carpophoros
pour le libérer sous ce prétexte, avec beaucoup de haine, ils étourdirent
le préfet de supplications bruyantes. Ébranlé par eux, il le fit flageller et
conduire à la mine de Sardaigne. Quelque temps plus tard, comme il y
avait à cet endroit d’autres témoins de Dieu, Marcia, qui était la pieuse
concubine de Commode, voulut accomplir une bonne action et fit venir
le pieux Victor qui était à cette époque évêque de l’Église, et lui demanda
qui étaient les témoins de Dieu qui se trouvaient alors en Sardaigne. Il
énuméra les noms de tous mais ne donna pas celui de Calliste, étant
informé des actes audacieux qu’il avait commis. Marcia obtint donc de
Commode ce qu’elle avait demandé, elle donna la lettre de mise en liberté
(apolusimos epistola) à un certain Hyacinthe, un eunuque prêtre. Celui-ci
l’emporta et aborda en Sardaigne et l’ayant remise officiellement à celui
qui gouvernait à cette époque ce territoire, il fit libérer les témoins de
Dieu, à l’exception de Calliste. Ce dernier tombant à genoux et versant
des larmes, demanda en suppliant que lui-même soit libéré. Hyacinthe en
fut troublé et demanda au gouverneur <de le libérer lui aussi>, en disant
qu’il avait élevé Marcia et en lui certifiant toute absence de danger. Ce
dernier se laissa persuader et libéra également Calliste.

c. Définition des pouvoirs du préfet


à l’époque sévérienne

C1. ÉNUMÉRATION DES COMPÉTENCES DU PRÉFET DE LA VILLE À PARTIR


D’UNE LETTRE ENVOYÉE PAR SEPTIME SÉVÈRE AU PRÉFET FABIUS CILO
(ULPIEN, SUR LA FONCTION DU PRÉFET DE LA VILLE, EXTRAIT DU LIVRE
UNIQUE, FR. 2079 LENEL = DIGESTE, 1, 12, 1 ; 211-217 AP. J.-C.)
Pr. La préfecture de la Ville tirera vengeance (uindicare) de tous
les crimes (crimina) absolument, et pas seulement de ceux qui sont
commis à l’intérieur de la ville, mais également de ceux <qui sont commis>
hors de la ville en Italie, comme le déclare la lettre envoyée par le divin
Sévère à Fabius Cilo, préfet de la Ville. 1. Il accorde audience aux esclaves
qui ont fui auprès des statues (statuas confugere) ou qui, ayant payé avec
leur argent pour être affranchis (manumittere), déposent une plainte
(queror) au sujet de leurs maîtres. 2. Mais il accorde également audience
aux anciens maîtres (patroni) dans le besoin, qui déposent une plainte,
surtout s’ils disent qu’ils sont malades et qu’ils désirent être nourris par
leurs affranchis (liberti). 3. Il dispose du pouvoir de reléguer et de déporter
dans une île que l’empereur aura assignée (adsignare). 4. Le début de
la même lettre est rédigé dans ces termes : « comme nous t’avons confié
notre Ville par fidéicommis », ce qui veut dire que tout ce qui est commis
à l’intérieur de la ville est considéré comme incombant au préfet de
la Ville. Mais, de plus, ce qui est commis en deçà du centième milliaire,
incombe au préfet de la Ville : <ce qui est commis> au-delà de cette même
pierre sort de la compétence (notio) du préfet de la Ville. 5. Celui qui dit
que son esclave a commis un adultère avec sa femme sera reçu à
l’audience du préfet de la Ville. 6. Il peut aussi accorder une audience en
vertu des interdits quod ui aut clam ou de l’interdit unde ui. 7. On remet
habituellement à la préfecture de la Ville les tuteurs ou les curateurs qui,
parce qu’ils ont exercé malhonnêtement leur tutelle ou leur curatelle, ont
besoin d’une punition (animaduersio) plus grave que ce que l’infamie
(infamia) des suspects (suspecti) suffit <à sanctionner>, à savoir ceux dont il
sera possible de prouver qu’ils ont exercé la tutelle en ayant versé de
l’argent <pour l’obtenir>, ceux qui se sont appliqués, contre récompense, à
désigner comme tuteur une personne non appropriée, ceux qui, ayant été
consultés pour faire connaître le patrimoine en ont sous-évalué l’étendue,
ou ceux qui ont aliéné les biens du pupille en <commettant> une fraude
manifeste. 8. Lorsqu’il a été dit <ci-dessus> que le préfet reçoit en
audience les esclaves qui déposent une plainte au sujet de leurs maîtres,
nous n’entendons pas par là qu’ils présentent une accusation (accusare)
contre leurs maîtres – une telle démarche en effet ne doit pas être
accordée à l’esclave, si ce n’est dans les causes admises (causae receptae) –,
mais s’ils adressent ces réclamations (expostulare) avec respect (uerecunde),
en cas de cruauté (saeuitia), de mauvais traitement (duritia), de privation
de nourriture (fames), qui les opprimeraient, en cas de soumission sexuelle
(obscenitas) à laquelle ils auraient été ou seraient réduits, qu’ils l’exposent
devant le préfet de la Ville. Cette charge a également été octroyée au
préfet de la Ville par le divin Sévère : de protéger les individus acquis en
toute propriété (mancipia) de sorte qu’ils ne soient pas soumis à
la prostitution. 9. En outre, le préfet de la Ville devra prendre soin que
les banquiers (nummularii) agissent avec honnêteté pour toute <opération
relative à> leur activité et qu’ils recourent avec modération (temperare) à
celles qui ont été interdites (prohibere). 10. Lorsqu’un patron dit qu’il a été
méprisé (contemnere) par son affranchi ou qu’il se plaint d’un affranchi
dont la conduite est outrageuse (contumeliosum) à son égard ou qu’il lui
reproche (obiicere) d’avoir commis une injure (conuicium) envers lui-même,
ses enfants ou sa femme, ou toute autre chose de semblable, le préfet de
la Ville d’ordinaire s’adresse à lui [l’affranchi] et lui inflige une correction
(corrigere) proportionnelle à la plainte (querella). D’ordinaire, soit il profère
une menace (comminari), soit il le châtie (castigare) par des coups de bâton
(fustes), soit il recourt à d’autres moyens pour ce qui concerne sa peine.
Car, souvent, les affranchis doivent être punis. Il ne fait aucun doute que si
<le patron> démontre (docere) qu’il a été <victime> d’une délation (delatus)
de l’affranchi ou que ce dernier a conspiré (conspirare) contre lui avec
l’aide de ses ennemis (inimici), il doit même trancher (statuere) son cas <en
recourant> à la peine de la mine (metalli poena). 11. L’administration (cura)
de toute la viande, pour qu’elle soit fournie à un prix équitable, incombe à
l’administration de la préfecture et c’est pourquoi le marché aux porcs
(Forum suarium) est placé sous son administration elle-même. Mais <les
marchés> de menu bétail (pecus) ou de gros bétail (armentum), qui relèvent
de ce type de fourniture, incombent également à son administration elle-
même. 12. La tranquillité (quies) des rangs plébéiens de l’amphithéâtre et
le maintien de l’ordre (disciplina) des gradins de spectacles (spectacula)
semblent incomber à l’administration du préfet de la Ville : en
conséquence, il doit même recourir absolument à un dispositif de soldats
(milites) affectés à des postes de garde (stationarii) pour protéger
la tranquillité des rangs plébéiens de l’amphithéâtre et pour qu’il soit
informé sur rapport (referre) de ce qui se passe et à quel endroit cela se
passe. 13. Et le préfet de la Ville peut interdire de séjourner dans la Ville
et dans tous les autres endroits parmi les territoires (regiones) où il exerce
habituellement sa juridiction, de même qu’il peut interdire un commerce
(negotium), un métier (professio), les plaidoiries (aduocationes), la place
publique (forum), soit pour une période déterminée, soit définitivement. Il
pourra de même interdire les spectacles ; et s’il relègue quelqu’un hors
d’Italie, il le tient en plus éloigné (summouere) de sa province. Le divin
Sévère a répondu dans un rescrit que même ceux dont on dit qu’ils ont
formé un collège illégal (illicitum collegium) doivent être accusés devant
le préfet de la Ville.

C2. PARTAGE DES COMPÉTENCES ENTRE LE PRÉFET DES VIGILES ET LE PRÉFET


DE LA VILLE (ULPIEN, SUR LA FONCTION DU PRÉFET DE LA VILLE, EXTRAIT
DU LIVRE UNIQUE, FR. 2080 LENEL = DIGESTE, 1, 15, 5 ; 211-
217 AP. J.-C.)
Les empereurs Sévère et Antonin ont répondu par rescrit à Iunius
Rufinus préfet des vigiles en ces termes : les habitants d’immeubles
(insularii) et <tous> ceux qui auront conservé du feu avec négligence
(negligenter) chez eux, tu peux ordonner qu’ils soient frappés (caedere) à
coups de bâton (fustes) ou de fouet (flagella). Ceux qui ont été convaincus
d’avoir provoqué un incendie avec fraude (dolo), renvoie-les (remittere) à
Fabius Cilo, notre ami, le préfet de la Ville. Tu dois rechercher (conquirere)
les esclaves fugitifs (fugitiui) et les rendre à leurs maîtres.

d. Deux fragments complémentaires


de la même lettre adressée par Septime
Sévère à Fabius Cilo dans deux autres
traités d’Ulpien

D1. ULPIEN, DE LA FONCTION DU PROCONSUL, EXTRAIT DU LIVRE 9,


FR. 2242 LENEL = DIGESTE, 48, 22, 6, 1 ; ENTRE 212 ET 217 AP. J.-C.

Le droit de déporter dans une île n’est pas octroyé aux gouverneurs de
province, quoiqu’il soit octroyé au préfet de la Ville : ceci en effet est
explicitement dit dans la lettre du divin Sévère adressée au préfet de
la Ville Fabius Cilo.

D2. ULPIEN, DES FIDÉICOMMIS, EXTRAIT DU LIVRE 1, FR. 1847 LENEL


= DIGESTE, 32, 1, 4 ; 214 AP. J.-C.
Ceux qui ont été déportés par le préfet du prétoire, ou par celui qui
instruit à la place du préfet en vertu des mandats du prince, ou encore par
le préfet de la Ville (puisque le droit de déporter lui a également été
octroyé par une lettre du divin Sévère et de notre empereur), perdent
la citoyenneté sur-le-champ. Par conséquent, c’est un fait établi qu’ils ne
disposent ni du droit de faire un testament, ni de léguer par fidéicommis.
e. L’empereur Constantin Auguste
à <Septimius> Bassus, <préfet de la Ville>
(Code théodosien, 9, 12, 1 = Code
de Justinien, 9, 14, 1 ; 11 mai 319)
Si un maître a frappé un esclave au moyen de verges (uirgae) ou de
fouets (lores) ou qu’il l’a jeté dans les fers (uincula) pour assurer sa garde
(custodia), tout décompte des jours ou n’importe quelle autre
interprétation de tels faits ayant été écartée, qu’il n’endure absolument
pas la crainte d’avoir commis un crime (crimen) en cas de mort de
l’esclave, à condition seulement qu’il n’ait pas fait usage de son droit de
manière immodérée. Cependant, qu’il soit considéré comme coupable
(reus) d’homicide (homicidium), s’il a tué volontairement (uoluntate)
l’esclave par un coup de bâton ou de pierre ou, a fortiori, si au moyen d’une
arme, il lui a infligé une blessure mortelle, ou s’il a prescrit de
le suspendre à un lacet (laqueus) ou si, par un odieux commandement, il a
ordonné de le jeter d’une hauteur (praecipitare), s’il lui a fait absorber
le venin contenu dans un poison (ueneni uirus), s’il lui a déchiré le corps
par des châtiments publics (poenae publicae), en lui découpant les flancs
par les empreintes des fauves (ferarum uestigia) ou en lui brûlant
les membres par l’application des feux, ou si, les articulations fondues
dégoulinant d’un sang noir mélangé de sanie, il l’a forcé, pour ainsi dire au
milieu des tortures (cruciatus) elles-mêmes, à laisser sa vie avec
une cruauté (saeuitia) digne de barbares féroces.
Donnée le cinq des ides de mai à Rome, l’année du 5e consulat de
Constantin Auguste et du consulat de Licinius César.
f. La punition du chef d’émeute, Petrus
Valvomeres en 355 ap. J.-C. (Ammien
Marcellin, 15, 7, 1-5 ; autour de 395 ap. J.-
C.)
1. Dans le gouvernement de la Ville éternelle, Leontius donnait à voir
de nombreux exemples de ses qualités de juge éprouvé, particulièrement
rapide dans la conduite des audiences, très équitable dans ses jugements,
bienveillant par nature, même si, aux yeux de certains, il se montrait
violent en cherchant à préserver son autorité. 2. C’est ainsi que la cause
première de la sédition (seditio) suscitée contre lui fut très banale et de peu
d’importance. En effet, alors qu’il avait donné l’ordre de se saisir du
conducteur de char Philoromus, toute la plèbe se mit à suivre celui qu’on
emmenait comme pour défendre sa propre mise ; dans un terrible élan,
elle s’avançait contre le préfet comme si ce dernier allait céder à
la crainte, mais lui, inébranlable et la tête haute, envoya ses appariteurs
(apparitores). Quelques individus ayant été saisis (correpti) et soumis aux
tourments (tormenta), sans que personne proteste ni s’y oppose, il
les punit (mulctare) de la peine d’exil dans une île (poena insularis). 3. Peu
de jours après, de la même manière, en raison cette fois de la pénurie de
vin, la plèbe se réunit avec son ardeur coutumière au Septizodium, un lieu
très fréquenté, où l’empereur Marc éleva un nymphée, d’ambitieuses
proportions. Le préfet se rendit volontairement sur les lieux, se dégageant
avec effort de ses clients et appariteurs qui lui demandaient de ne pas se
lancer au milieu d’une foule arrogante, menaçante, et en fureur à l’issue
de l’agitation précédente. Sans être gagné par la peur, il marcha en avant,
au point qu’une partie de ceux qui formaient sa suite l’abandonnèrent,
alors même qu’il se hâtait vers l’abîme de ce danger. 4. C’est pourquoi,
assis dans son véhicule, il observait avec une confiance affichée et
des yeux pénétrants le visage des émeutiers (tumultuantes) dont les bandes
(cunei) l’entouraient de toutes parts comme des serpents. Après avoir
enduré de nombreuses insultes, il s’adressa à l’un d’entre eux qu’il
reconnaissait et qui se distinguait des autres par son corps démesuré et
une chevelure d’un roux ardent. Il lui demanda si lui-même était Petrus
Valuomeres comme il avait entendu qu’on le nommait. Lorsque ce dernier
répondit d’une voix pleine de reproches que c’était bien lui, certain
désormais qu’il s’agissait bien du chef (antesignanus) des factieux (seditiosi)
connu de lui depuis longtemps, il ordonna de le suspendre (suspendere)
les mains liées derrière le dos, en dépit des nombreuses protestations de
la foule. 5. Quand on le vit ainsi en l’air, implorant en vain l’aide
des membres de sa bande (tribules), toute la foule, qui s’entassait peu
auparavant, se dispersa à travers les différentes parties de la ville et
disparut. C’est ainsi que l’agitateur (concitor) de foules le plus acharné,
après avoir eu les flancs déchirés comme dans la pièce secrète du tribunal
(iudicale secretum), fut expulsé (eiicere) dans le Picenum où, par la suite,
ayant osé arracher la pudeur d’une jeune fille de bonne naissance, il fut
soumis au supplice capital (capitale supplicium) par la sentence du
consulaire Patruinus.
g. Une enquête pour crime de magie
contre deux sénateurs, menée
par un préfet de la Ville entouré
du traditionnel « tribunal des cinq »,
sous la surveillance d’un général goth,
lui-même au service de la cour
de Ravenne (Lettre du roi Théodoric
à Argolicus, homme illustre, Préfet
de la Ville, Cassiodore, Variae, 4, 22, 1-4 ;
1er septembre 510-31 août 511)
1. C’est une dérive intolérable que celle qui porte atteinte (iniuria) à
la majesté (maiestas) d’en haut et qui, oublieuse de la piété, suit les voies
inhumaines de l’erreur. Quelle forme de pardon peut-il espérer, celui qui a
méprisé le créateur, alors qu’il faut le révérer ? Le rite profane s’est retiré
de la vie commune, le murmure des âmes qui endure la peine éternelle se
tait : il n’est pas permis, en cette époque chrétienne, de s’adonner aux
pratiques de la magie (magicae artes). 2. Ainsi donc, nous avons été
informés par une lettre (relatio) de ta Grandeur que Basilius et
Praetextatus, souillés (polluere) depuis longtemps déjà par la contagion
d’une théorie funeste, ont été livrés à l’accusation (accusatio) de ton
instruction (examen), grâce à l’initiative (intentio) de plusieurs personnes.
Au sujet de cette affaire, tu affirmes être dans l’attente de recevoir notre
avis (sententia), pour que soit accompli avec la plus grande fermeté ce que
commande l’autorité de notre piété. 3. Mais nous, qui ne savons pas être
en désaccord avec les lois, et qui avons à cœur en toute chose d’observer
une justice limitée par des règles, nous décidons par l’autorité de
la présente lettre que tu apprécies cette cause par un examen conforme
aux lois, avec cinq sénateurs, à savoir avec les hommes de rang magnifique
et patriciens, Symmaque, Dèce, Volusianus, Caelianus, sans compter,
Maximianus, homme illustre. Et en conservant en toute chose l’ordre du
droit, si l’accusation (crimen) qui a été intentée (intendere) vient à être
confirmée (comprobare), qu’un châtiment soit infligé (plectere), également
conformément à la rigueur des lois elles-mêmes, de telle sorte que
les coupables (rei) qui s’abritent derrière la dissimulation et le secret, et
qu’on ne peut livrer aux lois en raison de la connaissance incertaine de
leurs agissements, soient dissuadés (arcere) par ce genre de vengeance
(uindicta) de commettre de telles fautes (culpae). 4. Au sujet de cette
affaire, nous avons adressé des recommandations au comte Arigern,
homme illustre : après avoir repoussé la violence (uiolentia) de tous ceux
qui chercheraient à se défendre, s’ils se cachent, qu’il conduise au tribunal
(iudicium) les accusés (impetiti) et que, siégeant avec vous dans cette cause,
il fasse en sorte que des innocents ne soient pas accablés, et
qu’inversement les criminels (criminosi) ne puissent échapper aux lois.

*
* *

Les préfets de la Ville, une création d’Auguste (devenue pérenne sous


le règne de son successeur Tibère, en 27 ap. J.-C.), ont vu progressivement
s’affirmer leurs pouvoirs juridictionnels en matière criminelle selon
un processus de « judiciarisation » qui s’est affirmé tout au long des deux
premiers siècles de l’Empire [CORIAT 2012, p. 171-178]. Dès l’époque julio-
claudienne les pouvoirs d’enquête du Praefectus urbi se sont affirmés au
détriment de la procédure accusatoire, moins autoritaire, des tribunaux
de jurés (les quaestiones) qui étaient apparus au dernier siècle de
la République. Un épisode de l’année 61 ap. J.-C. en témoigne. Alors qu’il
était toujours possible pour un accusateur de se livrer à la prévarication
(R15) dans le contexte de la procédure accusatoire devant les jurés, en
recevant un bienfait de l’accusé, en contrepartie d’un retrait de la plainte
ou, plus tard, d’une atténuation des chefs d’accusation, de telles
manœuvres n’étaient plus possibles dans le cadre de la saisie d’office du
préfet :

Valerius Ponticus se vit infliger la même ignominie (ignominia)


<une relégation> parce qu’il avait dénoncé au préteur (ad praetorem
deferre) des prévenus pour qu’ils ne soient pas inculpés devant
le préfet de la Ville (apud praefectum Vrbis arguere), sous prétexte
dans un premier temps de se conformer aux lois, puis en obtenant
de leur éviter la peine (ultio) en prévariquant (praeuaricare). (Tacite,
Annales, 14, 41)

Le terme d’une évolution : La lettre de Septime Sévère


à L. Fabius Cilo

Au terme de cette évolution, sous le règne de Septime Sévère (193-


211), seule la quaestio sur l’adultère pourrait avoir été encore active,
comme on l’admet souvent. Une telle hypothèse demeure pourtant bien
incertaine. Elle repose sur le témoignage de l’historien Dion Cassius (76,
16, 4) qui dit avoir découvert l’année de son consulat (en 211) que
3 000 poursuites pour adultère étaient en suspens. Mais ce texte ne précise
aucunement s’il s’agissait de poursuites devant les tribunaux de jurés.
Une lettre de Septime Sévère adressée au préfet de la Ville L. Fabius Cilo
énumère les compétences désormais reconnues à cette charge. Doit-on
considérer ce document comme la « charte constitutive » [VIGNEAU 1896,
p. 72, n. 3] de la préfecture de la Ville ? L’emploi du futur dans la première
phrase, en accordant à l’ensemble de ces dispositions un caractère
programmatique, irait en effet dans le sens d’une réforme structurelle
[MANTOVANI 1988]. Et pourtant, cette lettre paraît clarifier ou entériner
une situation de fait, plutôt qu’elle ne constitue véritablement
une innovation. En tout cas, c’est ce document émanant de la chancellerie
impériale qui sert de principal fil directeur à Ulpien dans sa monographie
Sur la charge du préfet de la Ville, tandis que deux autres fragments de
la même lettre sont cités dans deux autres traités du même auteur (R12d).
Les différentes dispositions contenues dans cette lettre peuvent être
rapidement regroupées en quelques rubriques. Elles permettent de
préciser les quelques domaines d’intervention privilégiés du préfet auquel
est reconnu par ailleurs une compétence universelle en matière de justice
criminelle et de sécurité de la capitale de l’Empire. Premièrement,
le préfet intervient dans les rapports serviles, pour protéger la personne
du maître (ou la personne du patron vis-à-vis de l’affranchi), pour punir
l’adultère de l’esclave avec la femme du maître, mais aussi pour défendre
l’esclave contre la cruauté excessive du maître réprimée par la loi (R22) ou
lutter contre la prostitution servile. Au commencement du IIIe siècle,
comme en témoigne crûment une constitution de Constantin (R12e),
le législateur s’efforce encore de distinguer ce qui, dans le châtiment
infligé par le maître, relève de l’homicide et ce qui doit être considéré
comme une mort fortuite de l’esclave à l’issue des coups qu’il a reçus.
Deuxièmement, le préfet accorde sa protection aux mineurs en
intervenant dans les affaires de tutelle ou de curatelle lorsque la gravité
du crime l’impose. Une troisième série d’interventions s’applique au
maintien de l’ordre et au contrôle de la capitale qu’il s’agisse de
la protection des propriétés contre les actes de violence, de la surveillance
des transactions commerciales et bancaires, du droit d’association ou, face
à l’émeute ou au « hooliganisme », de la surveillance des spectacles
[RIVIÈRE 2004a]. La lutte contre le feu constituait une préoccupation
constante dans une ville qui comptait peut-être huit cent mille voire
un million d’habitants au commencement de l’Empire. Elle incombait en
principe au préfet des vigiles qui, à la tête de ses cohortes recrutées à
l’origine parmi les affranchis (elles furent ouvertes ensuite aux pérégrins,
puis aux citoyens eux-mêmes), surveillait les différents quartiers.
La punition des actes de négligence lui revenait, mais, dans la mesure où
l’incendie volontaire constituait une faute capitale (R30), sa répression
incombait alors au préfet de la Ville.

Définition territoriale de la juridiction du préfet


de la Ville

Reste un point relatif à l’étendue territoriale de la compétence du


préfet. Dans la mesure où la préfecture de la Ville apparaît comme
l’héritière des pouvoirs exceptionnels confiés par César le Jeune (Octavien,
le futur Auguste), dans les dernières années des guerres civiles, à Mécène
et à Agrippa sur toute l’Italie, on admet traditionnellement qu’à l’origine
et durant deux siècles la compétence du préfet s’est étendue à toute
la péninsule. Sous le règne de Septime Sévère, la lettre à Cilo aurait donc
« limité » les pouvoirs du préfet de la Ville à l’Vrbs elle-même et à
un rayon de cent milles autour – c’est-à-dire cent cinquante km environ
[MOMMSEN 1984, V, p. 380] –, tandis que le préfet du prétoire aurait
conservé ses pouvoirs de juridiction criminelle au-delà. Il y a pourtant
bien lieu de croire, en raison notamment des opérations de maintien de
l’ordre assurées par les prétoriens depuis le commencement du Principat
dans toute la péninsule, que la limite des cent milles aurait plutôt
constitué un élargissement de la compétence du préfet, d’abord limitée à
la Ville elle-même [MANTOVANI 1988]. Cette limite « d’exclusion » des cent
milles était apparue dans les toutes premières années du Principat dans
d’autres domaines relatifs à la dégradation civique, à la résidence, et à
l’exercice de la justice criminelle, comme l’atteste par exemple
la législation sur le plagiat (R32) [RIVIÈRE 2009, p. 235-250].

Un philosophe chrétien, Justin, comparaît devant


un autre philosophe : le préfet de la Ville
Q. Iunius Rusticus
Selon la liste dressée par Ulpien dans sa monographie, les peines
prononcées par le préfet vont de la déportation ou de la condamnation
aux mines – deux peines capitales appliquées en fonction de la condition
sociale du prévenu (R43) –, jusqu’à la simple coercition en passant par
la relégation (R44) ou encore l’exclusion d’un territoire ou d’une
profession. Si la peine de mort est ici passée sous silence, elle était bien
sûr appliquée par le préfet comme l’attestent les Actes de Justin sous
le règne d’Antonin le Pieux (138-161) (R12a). Justin était né à Flavia
Neapolis (l’actuelle Naplouse) en Syrie-Palestine, au commencement du
e
II siècle. Il avait grandi dans un milieu païen, avait étudié la philosophie,

et effectuait son deuxième séjour à Rome lorsqu’il fut arrêté et exécuté en


165 environ.
Dans sa sécheresse, ce procès verbal initialement rédigé en latin (la
e
langue unique des archives judiciaires jusqu’à la fin du III siècle), mais
traduit en grec pour sa diffusion, constitue la tradition la plus authentique
de l’interrogatoire du philosophe et de ses compagnons. Sans doute
des passages ont-ils été omis (la déclinaison de l’identité des prévenus, par
exemple, ou le prononcé de la sentence), tandis que le traducteur a
procédé à des ajouts : la désignation dès la première phrase de l’époque où
des « commandements illégaux » étaient en vigueur, signifie que cette
époque est révolue et que la version conservée du procès verbal a été
rédigée soit durant « la Petite Paix de l’Église » dans la deuxième moitié du
e
III siècle, soit dans les décennies qui ont suivi le processus de conversion

de Constantin au lendemain de la bataille du Pont Milvius (28 octobre


312). Les chefs d’inculpation ne sont pas explicitement énoncés, mais il se
pourrait, compte tenu des renseignements que cherche à obtenir le préfet
(lieux de réunion, actes de prosélytisme, étendue de la communauté), que
la poursuite des chrétiens à cette époque à Rome ait recoupé la lutte
menée par le préfet Q. Iunius Rusticus (PIR2 I 814] contre les associations
non reconnues par la loi [LANATA 1973, p. 121-124). Ce personnage, stoïcien
d’un talent reconnu, est célèbre et enseigna la philosophie au futur
empereur Marc Aurèle qui lui témoigna tout au long de sa vie
une respectueuse amitié et continua de l’honorer après sa mort. Au cours
de cette joute au tribunal, ce sont donc deux philosophes qui se font face,
car Justin lui-même avait étudié la philosophie et aimait y recourir encore
face à ses contradicteurs païens en se référant à Platon. Son effort
d’explication relève dans certaines répliques d’une digression presque
métaphysique, au-delà du cadre de l’interrogatoire. C’est peut-être son
altercation publique avec le cynique Crescens, quelque temps auparavant,
alors qu’il résidait pour la deuxième fois dans la capitale de l’Empire, qui
l’avait conduit, sur dénonciation de celui-ci, devant le préfet de la Ville
(Eusèbe, Histoire ecclésiastique, 4, 16, 7). Dans une œuvre majeure de
la littérature chrétienne du IIe siècle, L’Apologie (1, 12, 1), Justin tente
précisément de défendre les chrétiens contre toute accusation de
subversion des lois romaines : « Nous sommes pour vous, plus que tous
les hommes, des alliés en vue de promouvoir la paix… ». Il invoque dans
cet ouvrage, comme il a pu le faire devant le tribunal, le recours que peut
constituer précisément la morale chrétienne au secours de la justice :

Les malfaiteurs qui, à cause des lois et des peines que vous avez
établies, cherchent à se cacher, font le mal, en sachant qu’il est
possible de vous échapper, car vous n’êtes que des hommes, mais
s’ils avaient appris et s’ils étaient convaincus qu’il est impossible
de rien cacher à Dieu, ni action, ni intention, ils se conduiraient
honnêtement de toute manière, ne fût-ce qu’à cause
des châtiments qui menacent, vous en conviendrez vous-mêmes.
Cependant vous paraissez craindre que tout le monde ne pratique
la justice et que vous ne trouviez plus personne à punir ; pareille
attitude conviendrait à des bourreaux, mais nullement à
des princes pleins de bonté. (Justin, Apologie, 1, 12, 3-4 ;
trad. Ch. Munier)

Calliste : banquier en faillite, esclave fugitif, condamné


aux mines et futur pape
Le préfet P. (?) Seius Fuscianus (PIR2 S 317) qui jugea entre 186 et
189 le futur pape Calliste Ier (217-222 env.) était lui aussi, comme Q. Iunius
Rusticus, un ami de Marc Aurèle avec lequel il avait suivi l’école
des déclamateurs. On connaît de lui un autre jugement relatif à un fils de
famille abandonné par sa nourrice, vendu en esclavage, oublié, racheté
puis violé par son propre père :

Le préfet Fuscianus adjuge tous les biens de ses parents à ce fils


infortuné survivant, non pas à titre d’héritier, mais comme salaire
du déshonneur et de l’inceste. (Tertullien, Aux Nations, 1, 19)

Quant au futur pape Calliste, il était alors esclave. Son histoire,


particulièrement rocambolesque, a été rédigée après sa mort, au
lendemain de son pontificat donc, par un de ses ennemis, Hippolyte, et il
serait certainement naïf de ne pas tenir compte des déformations de ce
récit pamphlétaire, puisqu’elles sont issues de cette inimitié. Et pourtant,
à chacune de ses étapes, la trame narrative est élaborée à partir de
données topographiques, de faits sociaux, de mécanismes de procédure
judiciaire dont l’authenticité, confrontée à d’autres sources, ne fait aucun
doute.
Calliste était donc l’esclave de Carpophoros, affranchi impérial. Ce
dernier avait donné une somme d’argent à son serviteur qui ouvrit
une boutique bancaire. Cette somme consistait-elle en un « pécule »
(peculium) appartenant en propre à cet esclave « entrepreneur » qui aurait
alors agi pour son propre compte (le maître n’étant alors tenu de
rembourser les défauts de paiement de son esclave qu’à hauteur de ce
montant) ? Avait-elle été simplement confiée par le maître à ce préposé
(institutor) servile dont le rôle était alors très voisin de celui d’un
intendant des domaines ruraux (uilicus) et qui était tenu de rendre compte
(le maître entrepreneur lui-même était directement exposé à toute
réclamation en cas de défaut de paiement) ? On penche plutôt pour
la première hypothèse [ANDREAU 1987, p. 613-614, p. 631-632 et n. 108].
Toujours est-il que l’esclave – soit par gaspillage, soit par imprudence – fit
faillite et que son maître fut confronté aux réclamations des dépositaires.
Après avoir tenté de s’enfuir une première fois en s’embarquant à Ostie,
Calliste fut rattrapé et soumis au travail forcé du moulin (pistrinum),
réservé le plus souvent aux fugitifs. Libéré, il chercha la mort cette fois en
suscitant une sédition dans une synagogue : cet acte pouvait en effet
le conduire à être lynché, ou l’exposer à la peine de mort devant
un tribunal. Les juifs, en effet, s’emparèrent de lui et le firent comparaître
devant le préfet de la Ville. Comme on le lit dans le texte d’Ulpien,
les manieurs d’argent (nummularii) étaient soumis à la juridiction du
préfet de la Ville, mais comme la logique du récit incite à le penser, c’est
plutôt en raison du trouble causé à l’ordre public, mais aussi peut-être en
raison de sa condition servile, que Calliste comparaît devant le préfet
[ANDREAU 1987, p. 639].
Le maître a-t-il cherché à sauver son esclave ou bien à récupérer sa
propriété devant le juge ? Il semble que la gravité des faits commis
permettait à ce dernier de négliger le droit de propriété du maître et à
substituer à cette autorité privée une contrainte exercée par la puissance
publique. Calliste est donc condamné à la mine de Sardaigne. Quant à sa
libération d’écrou par Marcia, la concubine chrétienne de l’empereur
Commode, elle relève d’un acte d’indulgentia principis (R49) auquel
un gouverneur de province était évidemment tenu de se soumettre.
Le préfet de la Ville face à l’émeute dans l’Antiquité
tardive
Dans l’Antiquité tardive, la préfecture de la Ville demeure le sommet
de la carrière sénatoriale, alors que la responsabilité du préfet s’est
accrue. Tandis qu’il conserve un rôle de juge en première instance à Rome
et dans les cent milles, il est aussi juge d’appel pour toute l’Italie
suburbicaire (le Centre et le Nord de la péninsule) : « Dans l’Italie
provincialisée, les privilèges administratifs de l’aire comprise à l’intérieur
des cent milles, désormais elle-même partagée entre plusieurs provinces,
furent réduits. Cependant, la position particulière du territoire
“communalˮ de Rome et d’Ostie fut sauvegardée, ainsi que la très haute
position d’un préfet de la cité qui pouvait juger uice sacra, à la place de
l’empereur » [GIARDINA 1993, p. 68 ; cf. aussi PEACHIN 1996]. En cas d’appellatio,
c’est-à-dire d’un appel au tribunal de l’empereur lui-même, c’est le préfet
qui traitait éventuellement le dossier, à l’instar d’autres dignitaires
(Commentaire à R50). Depuis 331, le préfet des vigiles et le préfet de
l’annone ont été placés sous ses ordres. Plus aucun domaine de la vie
urbaine ne lui échappe, à commencer par l’approvisionnement, si bien
qu’il devient la cible du mécontentement populaire, alors même qu’il ne
dispose plus d’effectifs militaires sous ses ordres depuis la suppression
des cohortes urbaines dans la première moitié du IVe siècle. C’est avec ses
apparitores, des amis et des clients qu’il doit assurer l’ordre, comme en
témoigne l’épisode de 355 (R12f). Ce récit est sans doute commandé par
le « maniérisme » d’Ammien Marcellin, selon la formule employée par
E. Auerbach en commentaire de ce texte. Et le même auteur d’ajouter :
« Dans la scène d’Ammien, on chercherait en vain une relation objective et
rationnelle entre l’autorité et les insurgés… elle est purement physique,
magique et violente » [AUERBACH 1968, p. 63]. Cependant, les données
les plus concrètes relatives à la vie de l’Vrbs dans l’Antiquité tardive sont
aussi très nombreuses chez cet auteur qui avait servi comme officier de
renseignement (protector) dans l’armée romaine et dont la composition
littéraire est aussi placée au service d’une relation attentive aux faits qu’il
a observés lui-même ou sur lesquels il a recueilli des informations.
Un siècle et demi après la lettre de Sévère à Cilo (R12c ; R12d) qui insistait
beaucoup sur ce point, on comprend que les spectacles constituent
une préoccupation majeure des préfets. L’émeute débute en raison de
l’arrestation d’un conducteur de char et se poursuit précisément dans
le secteur du Septizonium, un monument élevé par Septime Sévère (et
non Marc Aurèle, en dépit de l’attribution erronée d’Ammien Marcellin),
dans le voisinage immédiat du Circus Maximus [PISANI SARTORIO art.
« Septizonium, Septizodium, Septisolium », dans STEINBY 1999, IV, p. 269-
272]. Le supplice infligé publiquement au meneur – en recourant à ciel
ouvert aux instruments de torture normalement réservés à l’enceinte du
tribunal – vise à terroriser la foule. Petrus Valvomeres a ensuite été chassé
de Rome dans le Picenum (l’actuelle région des Marches), situé
précisément hors du cercle des cent milles. Le viol qu’il y commettra
entraînera alors son exécution par le gouverneur responsable de cette
province [RIVIÈRE 2009a, p. 250-256]. Si notre préfet de la Ville ne s’est pas
laissé ici intimider par la foule, l’un de ses successeurs, C. Ceonius Rufius
Volusianus (PLRE, I, Volusianus 5), auquel Ammien donne le surnom de
Lampadius, devra fuir, quant à lui, quelques années plus tard, en 365, afin
d’échapper aux émeutiers. Ces derniers le poursuivaient, après avoir tenté
de mettre le feu à sa demeure, défendue par des voisins (Ammien
Marcellin, 27, 3, 8-9).

Le préfet de la Ville confronté à la magie en des temps


chrétiens

La préfecture de la Ville s’est maintenue dans les années qui ont suivi
la déposition et la relégation, en 476, du jeune Romulus Augustule,
le dernier empereur d’Occident présent à Rome. Sous le règne du roi
ostrogothique Théodoric (493-526), dont la cour était installée à Ravenne,
l’ancienne charge créée au commencement de l’Empire a continué d’être
exercée par des personnages du plus haut rang. Il est certain néanmoins
que ces derniers étaient placés sous l’étroite surveillance de la cour de
Ravenne. De fait, en 511, c’était le comte Arigern, « un des généraux
les plus éminents de Théodoric » qui « se trouvait être le vrai chef de
l’administration municipale à Rome », aux côtés du préfet [STEIN 1949,
p. 124]. Alors que par le passé, le préfet de la Ville était soumis à
la surveillance d’un officier de renseignement, un agens in rebus, qui
occupait le poste de « chef du bureau » (princeps officii), selon un principe
de contrôle de l’appareil judiciaire qui s’était répandu à tous les degrés de
la bureaucratie impériale depuis l’époque tétrarchique [RIVIÈRE 2007],
désormais c’était ouvertement un homme fort de la cour de Ravenne,
un officier de haut rang, qui était préposé à la surveillance de la Ville et de
son préfet en titre. Ce dispositif de contrôle explique en partie certains
aspects de la procédure exposés dans la lettre officielle adressée au préfet
de la Ville Argolicus, rédigée par Cassiodore pour Théodoric, et conservée
dans les Variae (R12g). Deux sénateurs de haut rang, Basilius et
Praetextatus, l’un et l’autre (un doute subsiste quant au second) membres
de la grande famille des Decii, furent accusés de pratiques magiques et
divinatoires. Ces pratiques étaient très répandues dans ces milieux depuis
le IVe siècle, en dépit d’une législation particulièrement sévère (R33) et de
cycles de répression féroce – le jeune Lollianus en fut victime, par
exemple, en 368-371 (R50l). Le préfet de la Ville devait sans doute se
racheter une conduite aux yeux du roi en raison de malversations
accomplies auparavant et c’est bien ce qui pourrait expliquer ici son zèle
répressif et la soumission de ce cas à Théodoric [GIARDINA 2014, p. 344]. Mais
la démarche du préfet, au-delà de toute considération relative à sa
conduite antérieure, s’imposait d’abord pour une raison procédurale. En
er
effet, une telle démarche fait écho à la constitution de Valentinien I de
371 (Code théodosien, 9, 16, 10), permettant au praefectus urbi de renvoyer
la cause devant l’empereur en cas de poursuite capitale contre un prévenu
de rang sénatorial. Le préfet avait engagé son enquête à partir
des dénonciations qu’il avait reçues : celles-ci sont désignées dans cette
lettre comme des accusationes, c’est-à-dire comme des dépositions
régulières faites par un accusateur devant un juge sous « le lien de
l’inscription », alors même qu’il s’agit de pures dénonciations (leurs
auteurs demeurent inconnus) qui ont déclenché la saisie d’office du juge
et amorcé son enquête (examen). Et l’on peut rapprocher l’emploi du terme
d’« accusations » dans ce texte pour désigner ce qui relève à proprement
parler de dénonciations (peut-être anonymes) de la « dispense » de tout
protocole accusatoire accordée par une loi de Constantin (Code théodosien,
9, 16, 1 = Code de Justinien, 9, 18, 3) aux dénonciateurs qui contribueraient à
la répression de l’haruspicine [RIVIÈRE 2002a, p. 125 ; GIARDINA 2014, p. 345] :
« Aussi estimons-nous que l’accusateur (accusator) de ce crime n’est pas
un délateur (delator), mais qu’il mérite plutôt une récompense ».
Le recours au lexique de l’ancienne accusatio pour désigner
les mécanismes de la procédure inquisitoriale est l’une
des caractéristiques de la législation tardive (R17), dont les traces sont
déjà bien tangibles dans les lois et la jurisprudence du Principat [RIVIÈRE
2002a, p. 263-381]. Sur le plan de la procédure encore, le roi Théodoric,
invite le préfet à poursuivre son enquête tout en l’encadrant puisqu’il
l’incite à mettre en place le dispositif du « tribunal des cinq » (iudicium
quinqueuirale) (Commentaire à R11). Cette commission de cinq juges qui
avait été instaurée par Gratien en 376 (Code théodosien, 9, 1, 13) visait à
entourer le préfet d’un consilium, afin de pallier le risque d’une décision
arbitraire. En principe ces cinq juges étaient tirés au sort, mais dans le cas
présent c’est le roi lui-même qui les désigne en choisissant cinq
personnages de très haut rang dont l’un appartient à la même famille,
les Decii, que les deux principaux inculpés. Outre cette désignation
des cinq membres constituant le tribunal autour du préfet, Théodoric
exige également que le jugement mené par la commission soit épaulé par
son général Arigern. Ce dernier mène jusque dans le tribunal son rôle de
surveillance, afin d’éviter, en la circonstance, toute collusion entre
les membres de cette aristocratie romaine à laquelle appartenaient
les prévenus et dont certains membres siégeaient également parmi
les juges [GIARDINA 2014, p. 346-347]. Le crime de magie imputé aux accusés
qui pourraient s’être livrés à des pratiques de nécromancie, avait
nécessairement des ramifications et s’étendait à des complices. L’enquête
devait le révéler. Comme ces pratiques étaient répandues dans
l’aristocratie romaine, y compris parmi les chrétiens (la réflexion du roi
selon laquelle elles ne devraient plus avoir cours « en cette époque
chrétienne » s’applique aux chrétiens eux-mêmes), l’enquête confiée au
préfet de la Ville entouré de son conseil de cinq juges, sous la surveillance
d’Arigern et grâce aux moyens militaires que ce dernier pouvait mettre à
disposition pour mener les arrestations et vaincre les résistances
éventuelles, devait revêtir un caractère d’exemplarité ou de dissuasion.
Cette vocation de la peine, reconnue depuis des siècles par le droit pénal
romain, trouvait ici une application renforcée dans la mesure où
les auteurs de pratiques occultes, à moins d’être dénoncés, restaient
souvent insaissables. Telle était déjà la hantise du pouvoir impérial au
e
IV siècle, comme en témoigne de manière emblématique l’œuvre

d’Ammien Marcellin, telle était encore, un siècle et demi plus tard,


la préoccupation du roi Théodoric le Grand qui, depuis Ravenne, veillait au
maintien de l’ordre et au respect des lois dans l’ancienne capitale de
l’Empire. Théodoric cherchait à dissuader par l’affirmation d’une rigueur
exemplaire les auteurs insaissables de telles fautes.
13

La justice du gouverneur de province,


ses agents et les poursuites contre
e e
les chrétiens (II -III siècles)

a. La lettre de Pline le Jeune


sur les chrétiens (Composée à Amastris
ou Amisos, la 2e année du gouvernement
de la Bithynie, entre le 18 septembre
et le 3 janvier 111-112 ap. J.-C.)

A1.PLINE À TRAJAN (PLINE LE JEUNE, LETTRES, 10, 96, 1-10 ;


114 ENV., PUBLICATION POSTHUME)
1. Maître, il est dans mon habitude de m’en remettre (referre) à toi au
sujet de toutes les questions à propos desquelles j’éprouve un doute. Qui,
en effet, mieux que toi, peut régler ma conduite hésitante ou instruire
mon ignorance ? Je n’ai jamais participé à des instructions (cognitiones)
concernant les chrétiens. C’est pourquoi, je ne sais pour quelles raisons, ni
jusqu’à quel point, on a l’habitude de punir (punire) et d’approfondir
l’enquête (quaerere). 2. Et je n’ai pas peu hésité, pour savoir dans quelle
mesure il fallait faire des écarts entre les âges (aetates) un critère de
distinction, si les plus faibles (teneri) ne devaient être en rien différenciés
des plus vigoureux (robustiores) ; s’il fallait accorder le pardon (uenia) au
repentir (paenitentia) à celui qui, ayant été tout à fait chrétien ne trouve
pas d’utilité à cesser de l’être, si c’est le nom (nomen) lui-même, alors que
les crimes (flagitia) font défaut, ou les crimes en association avec le nom,
que l’on punit. En attendant, à l’égard de ceux qui m’avaient été dénoncés
comme chrétiens, voici la ligne de conduite que j’ai suivie. 3. Je les ai eux-
mêmes soumis à un interrogatoire (interrogare) pour savoir s’ils étaient
chrétiens. Ceux qui avouaient (confitentes), je les ai interrogés
une deuxième et une troisième fois, en les menaçant du supplice ; j’ai
ordonné que ceux qui persistaient y soient menés. Et je ne doutais pas en
effet que, quel que fût le contenu de ce qu’ils avaient reconnu (fateri), leur
opiniâtreté (pertinacia) assurément et leur inflexible obstination devaient
être punies. 4. D’autres ont été pris d’un même égarement (amentia), ceux-
ci, parce qu’ils étaient citoyens romains (ciues romani), je les ai inscrits sur
des listes (adnotare) pour qu’ils soient renvoyés (remittere) à Rome. Bientôt,
par l’effet même de la délibération (tractatus), comme cela se produit
d’habitude, alors que l’accusation (crimen) se répandait, plusieurs cas
d’espèce se sont présentés. 5. Un libelle (libellus) dépourvu d’auteur
contenant les noms de nombreuses personnes a été affiché (propositus).
Ceux qui affirmaient ne pas (negare) être chrétiens ou ne pas l’avoir été,
tandis qu’ils invoquaient (appellare) les dieux sous ma dictée et qu’ils
adressaient des prières avec de l’encens et du vin à ton image (imago) que
j’avais ordonné de disposer devant ce tribunal avec des statues
des divinités, après qu’ils eurent insulté (maledicere) le Christ, ce à quoi,
dit-on, on ne peut aucunement contraindre ceux qui sont réellement
chrétiens, j’ai pensé qu’ils devaient être renvoyés (dimittere). 6. D’autres
encore, dont les noms ont été livrés (nominare) par un dénonciateur
(index), ont déclaré qu’ils étaient chrétiens et ont bientôt affirmé
le contraire (negare), en disant pour certains qu’ils l’avaient été, mais qu’ils
avaient cessé de l’être, parfois depuis plus de trois ans, pour d’autres
depuis de nombreuses années, il y en eut même pour dire qu’ils ne
l’étaient plus depuis vingt ans. Tous ceux-ci ont alors adressé des prières
(uenerari) à ton image et aux statues des dieux, et ils ont insulté le Christ.
7. Ils affirmaient d’ailleurs qu’en tout et pour tout leur faute (culpa) ou
leur erreur (error) avait consisté à avoir pris l’habitude de se réunir
(conuenire) à jour fixe avant le lever du soleil, d’entonner entre eux et à
chacun son tour un chant au Christ comme à un dieu, de se lier par
serment (sacramentum) non pas à perpétrer un crime quelconque, mais
plutôt à ne pas commettre de vols (furta), de brigandages (latrocinia),
d’adultères (adulteria), à ne pas manquer à la parole donnée (fides), et à ne
pas renoncer à rendre un dépôt en cas de mise en demeure. Une fois ces
choses accomplies, ils avaient pour coutume de se disperser et de se réunir
de nouveau pour prendre une nourriture, par ailleurs tout à fait courante
et innoffensive (innoxius). Cela même, ils avaient renoncé à le faire depuis
mon édit (edictum), par lequel j’avais interdit (uetare) conformément à tes
instructions (mandata) qu’il y eût des associations (hetaeriae). 8. J’ai cru
d’autant plus nécessaire de soumettre à une enquête (quaerere), sous
la torture (per tormenta) de surcroît, deux esclaves (ancillae), dont on disait
qu’elles étaient des assistantes de l’office (ministrae), pour savoir ce qui
était vrai. Je n’ai rien découvert (inuenire) d’autre qu’une croyance
(superstitio) mauvaise et démesurée. 9. C’est pourquoi, après avoir différé
l’instruction (cognitio), je me suis précipité pour te consulter (consulere). Il
m’a semblé en effet que l’affaire était digne d’une consultation
(consultatio), principalement en raison du nombre de ceux qui s’exposaient
au risque de perdre leur procès. Ils étaient nombreux de tout âge (aetas),
de tout ordre (ordo), et même des deux sexes, à être amenés au devant du
danger et qui seront amenés à l’être. Et ce ne sont pas seulement les cités
que l’influence pernicieuse (contagio) de cette croyance a envahies, mais
également les bourgs et les campagnes ; il me semble qu’il est possible de
l’arrêter et de la réformer (corrigere). 10. Il est tout à fait clair que
les temples qui déjà commençaient à être pratiquement désertés ont
recommencé à être fréquentés, les sacrifices solennels longtemps
interrompus ont repris et la viande des victimes est partout en vente alors
que jusqu’à présent l’acheteur se faisait extrêmement rare. À partir de là il
est facile de se rendre compte comme il est possible de redresser
(emendare) cette foule d’hommes, si on laisse place au repentir
(paenitentia).

A2. RÉPONSE DE TRAJAN À PLINE (PLINE LE JEUNE, LETTRES, 10, 97)

1. Tu as suivi la conduite que tu devais, mon cher Secundus, en


examinant au cas par cas les causes de ceux qui t’avaient été dénoncés
(deferre). Il n’est pas possible en effet d’établir en général un principe qui
ait en quelque sorte un contour déterminé. Ils ne doivent pas être
recherchés (conquirere) ; s’ils sont dénoncés (deferre) et inculpés avec
preuve (arguere), ils doivent être punis (punire), de telle sorte cependant
que celui qui aura affirmé qu’il n’est pas chrétien (negare), et qui l’aura
rendu flagrant (manifestum) par sa conduite elle-même, c’est-à-dire en
adressant des prières (supplicare) à nos dieux, même s’il a été soupçonné
(suspectus) de l’être par le passé, qu’il obtienne le pardon (uenia) par son
repentir (paenitentia). 2. Cependant, les libelles (libelli) sans auteur qui ont
été affichés (proponere) ne doivent prendre place dans aucune accusation
(crimen). Car c’est là le plus mauvais exemple et il n’est pas de notre règne.
b. Les irénarques : des magistrats
des cités pour le maintien de l’ordre,
mis au service du gouverneur en Asie
mineure et dans d’autres provinces
orientales (Marcien, Sur les jugements
publics, extrait du livre 2, fr. 204 Lenel
= Digeste, 48, 3, 6 ; 218 ap. J.-C. env.)
Pr. Le divin Hadrien a ainsi répondu dans un rescrit adressé à Iulius
Secundus et il existe ailleurs d’autres rescrits semblables, qu’il ne faut
accorder absolument aucun crédit aux lettres (epistulae) de ceux qui ont
remis (remittere) au gouverneur des prévenus, comme si ces derniers
avaient presque été déjà condamnés. Il est stipulé de même au sujet
des irénarques, parce qu’on a découvert que leurs rapports (elogia) ne sont
pas toujours rédigés de bonne foi. 1. Cependant, il existe un chapitre
des mandats (caput mandatorum) que le divin Antonin le Pieux a publié
sous son édit, lorsqu’il dirigeait la province d’Asie : que les irénarques,
lorsqu’ils arrêtent (adprehendere) des bandits (latrones) les interrogent
(interrogare) au sujet de leurs complices (socii) et de ceux qui leur donnent
un abri (receptatores), une fois les interrogatoires (interrogationes) insérés
dans des lettres (litterae) et scellés, qu’ils les envoient au magistrat qui
conduira l’enquête (cognitio). Alors, ceux qui sont envoyés avec le rapport
(elogium) les concernant doivent être entendus sans prévention (ex
integro), bien qu’ils aient été envoyés sur le fondement des lettres (litterae),
ou même qu’ils aient été conduits (perducere) par les irénarques. À ce sujet,
Antonin le Pieux et d’autres princes ont spécifié dans leurs rescrits que,
même dans le cas de ceux qui ont été enregistrés sur des listes (adnotati)
de personnes recherchées (requirere), il ne faut pas mener l’enquête
(quaerere) comme s’ils avaient déjà été condamnés, mais comme si l’affaire
débutait dans son état premier (res integra), si quelqu’un se présente pour
accuser (arguere) l’un d’entre eux. Et, pour cette raison, lorsqu’un juge
conduit une instruction (anakrisis), il faut qu’il ordonne à l’irénarque de
venir, et d’aller jusqu’au bout de ce qu’il a avancé par écrit. S’il l’a fait avec
conscience et fermeté, qu’il soit comblé de louanges. S’il l’a fait avec trop
peu de compétences, les preuves (argumenta) n’ayant pas été recherchées,
qu’on note (denotare) simplement que l’irénarque a fait un rapport
insuffisant. Mais, si on apprend que l’interrogatoire a été conduit avec
malveillance (maligne), ou que des propos ont été rapportés alors qu’ils
n’ont pas été tenus, que l’irénarque soit puni pour l’exemple (uindicare in
exemplum), afin que rien de pareil ne soit entrepris par la suite.

c. Les deux procès de Cyprien, évêque


de Carthage, relégué en 257, puis
décapité en 258 ap. J.-C. (Acta Cypriani ;
en circulation dès le lendemain des deux
verdicts)
1, 1. Les empereurs Valérien et Gallien étant consuls respectivement
pour la quatrième et la troisième fois, le trois des calendes de septembre, à
Carthage, dans le tribunal à huis clos (secretarium), le proconsul Paternus
dit à l’évêque Cyprien : les très sacrés empereurs Valérien et Gallien ont
daigné m’adresser une lettre dans laquelle ils ordonnent que ceux qui ne
pratiquent pas la religion romaine soient tenus de réapprendre
les cérémonies romaines. J’ai obtenu des informations (exquirere) au sujet
de ton titre (nomen). Qu’as-tu à me répondre ?
2. L’évêque Cyprien dit : « Je suis chrétien et évêque ; je ne connais pas
d’autres dieux que le Dieu unique et vrai, celui qui a fait le ciel, la terre,
la mer et tous les êtres qui s’y trouvent. C’est ce Dieu que nous servons,
c’est à lui que nous adressons nos prières, nuit et jour, pour nous, pour
tous les hommes, et pour le salut des empereurs eux-mêmes ».
3. Le proconsul Paternus dit : « Tu persistes donc dans cette
volonté ? ».
L’évêque Cyprien dit : « Une volonté bonne qui connaît Dieu ne peut
changer. »
4. Le proconsul Paternus dit : « Seras-tu donc capable, suivant l’ordre
de Valérien et Gallien, de partir en exilé (exul) vers la ville de Curubis ? ».
L’évêque Cyprien dit : « Je pars ».
5. Le proconsul Paternus dit : « Ils ont daigné m’écrire non seulement
au sujet des évêques, mais aussi des prêtres. Je veux donc savoir de toi qui
sont les prêtres qui séjournent dans cette cité ».
L’évêque Cyprien dit : « Vous avez sagement et utilement décidé par
vos lois qu’il ne saurait y avoir de délateurs (delatores). C’est pourquoi, <les
prêtres> ne peuvent pas être dénoncés (deferri) par moi. On les découvrira
(inuenire) dans leurs cités. Et comme l’ordre <des choses> (disciplina)
empêche que quelqu’un se produise (offere) de son propre mouvement
<devant le tribunal> et que cela déplaît également à ta rigueur (censura), ils
ne peuvent d’eux-mêmes se produire <devant toi>. Une fois
les informations obtenues par toi à leur sujet (exquisiti), on
les découvrira ».
6. Le proconsul Paternus dit : « Eh bien, dès aujourd’hui, je
m’informerai (exquirere) au sujet de cette troupe (coetus) ».
L’évêque Cyprien dit : « Eux-mêmes, lorsqu’ils seront sommés <de
comparaître> (requisiti), seront découverts ».
7. Le proconsul Paternus dit : « Ils seront découverts par mes soins. Et
il ajouta : <les empereurs> ont aussi ordonné qu’ils ne forment pas de
réunions (conciliabula) en quelque lieu que ce soit, et qu’ils n’entrent pas
dans les cimetières. C’est pourquoi, si d’aventure quelqu’un ne respectait
pas cet ordre si salutaire, qu’on lui inflige la peine capitale (capite
plectere) ».
L’évêque Cyprien dit : « Tu as ordonné ».
2, 1. Cyprien, le saint martyr élu de Dieu était rentré de la cité de
Curubis dans laquelle il avait été livré à l’exil sur l’ordre d’Aspasius
Paternus, alors proconsul, homme clarissime. Il avait été relâché
(remissus), spécialement et à titre personnel en vertu d’un rescrit sacré.
Aussi demeurait-il dans ses jardins où il espérait chaque jour et à toute
heure qu’on allait venir, comme cela lui était apparu. 2. Alors qu’il
demeurait en cet endroit, soudain, aux ides de septembre, sous le consulat
de Tuscus et Bassus, deux centurions (principes) se présentèrent à lui,
le premier geôlier (strator) du bureau (officium) du proconsul Galerius
Maximus, homme clarissime, qui avait succédé à Aspasius Paternus,
l’autre, geôlier également, qui était préposé à la garde des détenus (a
custodiis) du bureau du même homme clarissime. 3. Ils le placèrent dans
un char où ils l’escortèrent pour l’emmener au domaine de Sextus où
le même Galerius Maximus, proconsul, s’était retiré pour retrouver
une bonne santé. 4. Le même Galerius Maximus proconsul, homme
clarissime, ordonna de le produire (offeri) devant lui un autre jour, c’est-à-
dire le lendemain. C’est ainsi que le même Cyprien se retira avec l’officier
et geôlier du bureau de <Galerius> Maximus proconsul, homme clarissime,
et demeura avec lui dans son logement (hospitium) situé dans le quartier
de Saturne entre <les rues> de Vénus et du Salut. 5. En cet endroit, devant
la porte, demeura dans son ensemble tout le peuple des frères. Et lorsque
Cyprien apprit cela, il ordonna de réprimander (castigari) les jeunes filles
(puellae) qui se trouvaient là, parce que tous <les fidèles> s’étaient
regroupés dans le quartier devant la porte du logement de l’officier.
3, 1. C’est ainsi que le lendemain, le 18 des calendes d’octobre
[4 septembre 258], dès le matin, il fut amené à comparaître (offere) au
domaine de Sextus selon l’ordre du proconsul Galerius Maximus, homme
clarissime, alors que celui-ci siégeait dans l’atrium couvert et souffrant.
2. L’accusé ayant été présenté pour la comparution (obferre), le proconsul
Galerius Maximus, homme clarissime, dit :
« Tu es bien Thascius Cyprianus ? ».
Cyprianus dit : « C’est moi ».
3. Le proconsul Galerius Maximus, homme clarissime, dit à Cyprien :
« C’est toi qui t’es révélé un père pour ces hommes animés d’un esprit
sacrilège (sacrilega mens) ? ».
Cyprien dit : « C’est moi ».
4, 1. Le proconsul Galerius Maximus, homme clarissime, après avoir
délibéré avec son conseil (concilium), prononça la sentence, avec peine et à
regret, en ces termes : « Longtemps tu as vécu dans un esprit sacrilège, tu
as rassemblé un très grand nombre d’hommes appartenant à cette
conspiration criminelle (nefaria conspiratio) et tu t’es érigé en adversaire
des dieux romains et des pratiques sacrées de la religion. Nos princes
pieux et très sacrés Valérien et Gallien Augustes et le très noble César
Valerianus n’ont pas pu te rappeler durant une aussi longue période de ta
fureur persévérante, vers les principes de leur très heureux règne, vers
la pratique des cérémonies du peuple romain, et vers le recouvrement
d’un esprit sage. Ainsi, puisque tu a été pris sur le fait (deprehensus) en tant
que porte-enseigne et instigateur (auctor) d’un crime (crimen) vil entre
tous, à ceux que tu as instruits par ton crime, ton sort sera une leçon
(documentum), parce que tu as mis tout ton effort pour endurcir ton
obstination (contumacia) sacrilège, en conséquence, le rétablissement de
l’ordre (disciplina) sera consacré (sancire) par ton sang. 3. Et il lut à haute
voix la tablette (tabella) portant la sentence (decretum) : « il convient
d’administrer la mort par l’épée (gladio animaduertere) à Thascius
Cyprianus ».
d. Exécution le 30 octobre 298 ap. J.-C. du
centurion chrétien Marcellus qui s’était
défait de son baudrier et avait rejeté
son épée et son cep (Acta Marcellini)
1. Sous le consulat de Faustus et Gallus, le cinquième jour des calendes
d’août [28 juillet], alors que Marcellus, l’un des centurions de la première
compagnie des hastats, avait été introduit à l’audience (introductus)
le gouverneur Fortunatus dit : « Pourquoi t’a-t-il semblé bon, contre
la discipline militaire (disciplina militaris), de te défaire de ton baudrier, et
d’abandonner ton épée et ton cep (uitis) ? ».
2. Marcellus répondit : « Déjà le douzième jour des calendes d’août
[21 juillet], devant les enseignes de cette légion, tandis que vous célébriez
le jour de fête de votre empereur, moi j’ai répondu publiquement d’une
voix éclatante que j’étais chrétien et que je ne pouvais me soumettre à ce
serment militaire (sacramentum militare), mais seulement à Jésus-Christ,
fils de Dieu tout puissant.
3. Le gouverneur (praeses) Fortunatus dit : « Je ne peux pas passer sous
silence ton irréflexion (temeritas), et c’est pourquoi je porterai celle-ci
jusqu’aux oreilles de nos Seigneurs, les Augustes et les Césars. Toi-même
assurément tu seras remis (transmittere) au tribunal (auditorium) de mon
Seigneur Aurelius Agricolanus qui exerce la fonction de vice-préfet du
prétoire (agens uice praefecti praetorio). Tu seras escorté par Caecilius,
officier de l’armée provinciale.
3a. Manilius Fortunatus à son cher Agricolanus, salut. Au jour de très
bon augure et bienheureux sur toute la terre, le double anniversaire de
nos Seigneurs, les Augustes et les Césars, alors que nous accomplissions
les célébrations annuelles, ô Seigneur Aurelius Agricolanus, le centurion
ordinaire, Marcellus, saisi de je ne sais quel égarement (amentia), s’est, de
sa propre initiative, défait de son baudrier et a décidé d’abandonner l’épée
et le cep (uitis) qu’il portait, précisément devant les quartiers-généraux
(principia) de nos seigneurs. J’ai estimé nécessaire de faire connaître un tel
fait à ta puissance, et que son auteur lui-même te soit remis (transmittere).
4. Sous le consulat de Faustus et Gallus, le troisième jour des calendes
de novembre [30 octobre], à Tanger, Marcellus, l’un des centurions de
la première compagnie des hastats, ayant été introduit à l’audience, il fut
dit depuis le bureau (ex officio) : le gouverneur Fortunatus a remis
Marcellus à ta puissance. Une lettre (epistula) relative à son nom (de nomine
eius) est à la disposition de ta grandeur. Je la lis si tu l’ordonnes.
5. Agricolanus dit : qu’elle soit lue.
[6. Répétition du texte de la lettre cité plus haut au paragraphe 3a.]
7. Ceci ayant été lu, Agricolanus dit : « Tu as prononcé ces paroles qui
viennent d’être lues et qui sont dans les actes du gouverneur (apud acta
praesidis) ? ».
8. Marcellus dit : « J’ai prononcé ces paroles ».
9. Agricolanus dit : « Tu servais au grade de centurion ordinaire ? ».
10. Marcellus dit : « Je servais à ce grade ».
11. Agricolanus dit : « Quelle fureur (furor) s’est emparée de toi pour
que tu abandonnes le serment et que tu prononces de telles paroles ? ».
12. Marcellus dit : « Il n’y a aucune fureur chez celui qui craint Dieu. »
13. Agricolanus dit : « Tu as prononcé mot pour mot les paroles
contenues dans les actes du gouverneur ? ».
14. Marcellus dit : « Je les ai prononcées ».
15. Agricolanus dit : « Tu as abandonné les armes ? ».
16. Marcellus dit : « Je les ai abandonnées. Il ne convient pas en effet
qu’un homme chrétien serve dans les armées du siècle, lui qui craint
le Seigneur Christ ».
17. Agricolanus dit : « Les faits qui ont été perpétrés par Marcellus
sont tels qu’ils doivent être vengés (uindicari) conformément à
la discipline (disciplina). Et il s’exprima ainsi : « Attendu que Marcellus a
souillé (polluere) le grade de centurion sous lequel il servait en rejetant
publiquement son serment, qu’il a, de surcroît, fait une déposition
(deponere) dans les actes du gouverneur, en employant des mots pleins de
fureur (furor), décision est prise de le punir (animaduertere) par l’épée
(gladius) ».

e. Extorsions et détentions arbitraires


des stationaires d’Afrique en 315 ap. J.-C.
L’empereur Constantin Auguste,
par son édit aux Africains (Code
théodosien 8, 4, 2 = Code de Justinien,
12, 57, 1)
À l’adresse des stationaires (stationarii) des primipilaires, dont
les postes sont connus de tous, il existe un mandat qui a été rendu public,
suivant lequel, s’ils ont obtenu quoi que ce soit par la force (extorquere) au-
delà de ce qui est convenu, qu’ils sachent qu’ils seront soumis à la peine
capitale : en outre, qu’ils n’aient pas de cachot (carcer) à leur disposition,
ni qu’aucun ne retienne chez lui en détention (in custodia) un individu en
raison d’un crime flagrant (manifestum crimen), ni qu’aucun ne dispose
pour l’accompagner de plus de deux palefreniers (agasones) de la province,
ni qu’il fasse entrer à son service ceux en provenance de Numidie ni qu’il
dispose d’un palefrenier originaire d’autres provinces, et pas un qui ait été
jusqu’à présent aux ordres de tel ou tel stationaire.
Affichée le six des ides de mai à Carthage sous le 4e consulat de
e
Constantin Auguste et le 4 consulat de Licinius [10 mai 315].

*
* *

L’administration de la justice criminelle à l’échelle de l’Empire relevait


dans chaque province de l’autorité d’un gouverneur doté du « droit de
glaive » (ius gladii), c’est-à-dire de la juridiction capitale, et ce dès le règne
d’Auguste, qu’il s’agisse des provinces impériales gouvernées par
des légats, commandants d’armées, ou des provinces du peuple et du
sénat, dépourvues (à l’exception de l’Afrique) de légions [FOURNIER 2010].
Mais de quels relais disposait le gouverneur sur le territoire de sa province
pour assurer les tâches de maintien de l’ordre qui lui incombaient
principalement, comme en témoigne le traité d’Ulpien Sur la fonction du
proconsul (R37) ? L’autorité romaine trouvait dans les élites locales,
les dirigeants des cités (dépourvus eux-mêmes de toute juridiction
capitale), un premier appui, comme l’atteste en Asie mineure l’institution
des irénarques responsables de l’arrestation et d’un premier
interrogatoire des suspects remis ensuite au tribunal du gouverneur
(R13b). Le gouverneur avait par ailleurs à sa disposition des militaires
membres de son bureau (officium) et d’autres encore qui par petites unités
réparties en postes (stationes) procédaient aux contrôles et aux
arrestations : ce sont les stationarii dont les abus, dans l’exercice de leur
mission, ont parfois été sanctionnés (R13e). Ces deux catégories d’acteurs
sont indissociables du développement de la procédure d’enquête
qu’illustrent notamment, dès le règne de Trajan, la lettre relative aux
poursuites des chrétiens de Pline le Jeune (R13a1), ou aux deux siècles qui
ont suivi, les Actes des Martyrs de Cyprien et de Marcellus (R13c-d). Comme
on l’a vu au sujet de l’activité du préfet de la Ville (R12), et comme on aura
de nouveau l’occasion de le souligner au sujet de la détention
des prévenus (R18), la littérature martyrologique se nourrit de
mécanismes procéduraux qui reflètent, en dépit du contexte spécifique
des « persécutions » et de l’intensité de la répression au cours de certaines
périodes et dans certaines provinces, le cours normal de la procédure
d’office du gouverneur romain. C’est devant le tribunal de ce gouverneur
que comparaissaient pour crimes les sujets de l’empire, quels que soient
les actes qualifiés comme tels.

La participation des magistrats municipaux


au maintien de l’ordre : l’exemple des irénarques

La cité antique a ignoré tout organe de service spécialisé dans


la répression des crimes, qui serait comparable à la police moderne [NIPPEL
1983 ; NIPPEL 1995], en dépit des abus de langage apparus dans les sciences
e
de l’Antiquité au XIX siècle, et malgré le recours nécessaire, par simple
commodité parfois, à ce terme anachronique pour évoquer le monde
gréco-romain : « une police ». Équivalent romain des « édiles » (aediles),
les cités grecques disposaient d’« agoranomes » qui devaient garantir
la surveillance des marchés et veiller au « bon ordre » (eukosmia).
Des esclaves publics étaient à leur service pour l’accomplissement
des tâches de contrôle et de coercition. À l’époque impériale, dans l’Orient
hellénisé tandis que des stratèges ou des archontes pourvoyaient au
maintien de l’ordre, dans les colonies romaines, des duumvirs, comme en
Occident, y veillaient également. L’arrestation de Paul et Silas dans
la colonie de Philippes en fournit un exemple (R50c1). Des liménarques
étaient parfois chargés de la surveillance des ports où ils procédaient
notamment, auprès des officiers de l’armée romaine détachés en postes
(les stationarii), à l’identification et à l’arrestation des esclaves fugitifs
[RIVIÈRE 2004, p. 362, n. 16] :
Conformément aux règles, les liménarques et les stationaires,
retiennent les esclaves fugitifs qui ont été attrapés. Conformément
aux règles, les magistrats municipaux transmettent au service du
gouverneur de la province ou au proconsul les esclaves fugitifs qui
ont été attrapés. (Paul, Des Sentences, extrait du livre 1 = Digeste, 11,
4, 4)

Les « irénarques » constituaient quant à eux en Asie mineure (sans


doute en Grèce également), la magistrature municipale la plus répandue
dans les cités pérégrines (elle est également attestée dans quelques
colonies romaines). Leur nom même formé en grec sur le substantif eirènè,
la « paix », et le verbe arkhô, « commander », traduisent bien une vocation
e
définie sans ambiguïté par Arcadius Charisius à la fin du III siècle dans
un extrait de son traité Sur les charges civiles (De muneribus ciuilibus)
conservé au Digeste (50, 4, 18, 7) : « les irénarques sont chargés de faire
respecter “l’ordre public” (disciplina publica) et de redresser les mœurs ».
Dans ce traité, le juriste romain inscrit l’irénarchat parmi les « charges
personnelles », celles qui nécessitent une « prévoyance de l’esprit »
(prouisio animi) ou « l’application d’un travail du corps » (corporalis laboris
intentio), sans « préjudice » (detrimentum), comprenons sans dépense
financière, contrairement aux charges qui pesaient sur les élites des cités
et dont le poids s’est accru depuis l’époque antonine, jusque dans
l’Antiquité tardive. En bref, les irénarques sont des magistrats, mais leur
mission de surveillance s’apparente à une liturgie au profit de leur cité,
sans contribution financière [BRÉLAZ 2005, p. 90-97]. Si le gouverneur romain
conservait dans sa province un droit de regard sur la désignation
des irénarques – les pouvoirs de justice capitale du premier s’articulaient
aux pouvoirs de « police » subordonnés des seconds –, cette institution
municipale (attestée depuis le début du IIe siècle) n’était pas une création
de l’autorité romaine, une intrusion du pouvoir central dans la vie
des cités [BRÉLAZ 2018a]. Comme on l’observe en effet, en Asie mineure et
dans d’autres provinces, « lorsque Rome prend des mesures de maintien
de l’ordre, elle le fait par l’intermédiaire de son armée ou des services de
l’officium du gouverneur » [BRÉLAZ 2005, p. 117], plutôt qu’en « noyautant »
les institutions civiques traditionnelles ou en s’immisçant autoritairement
dans les choix des élites des cités. L’institution municipale des irénarques
a disparu dans l’Antiquité tardive, et ce n’est que dans le courant du
e
V siècle (comme l’attestent les constitutions tardives du Code théodosien)

que le terme « irénarque » a servi à désigner un employé de l’officium du


gouverneur [BRÉLAZ 2005, p. 120-121].
On ne reprendra pas ici dans le détail les termes d’une analyse
procédurale qui a été conduite ailleurs au sujet de ce texte sur
les irénarques [RIVIÈRE 2002a, p. 276-282]. Rappelons seulement
la préoccupation principale affichée par le « législateur » : lutter contre
les abus d’une justice trop expéditive, faire en sorte que la phase
d’enquête conduite par des « agents de police » (recourons
anachroniquement à cette expression moderne) ne conduise pas
le gouverneur à entériner leur rapport (elogium) comme s’il s’agissait déjà
« presque » (quasi) d’une condamnation, astreindre ce dernier à reprendre
l’instruction « depuis le départ » (ex integro) ou « comme si rien n’avait été
décidé » (quasi re integra). Il n’est pas difficile de saisir les contradictions de
telles exigences de cette procédure d’enquête, qui suggère tout à la fois au
juge de vérifier le contenu des informations qui lui ont été remises par
écrit (il s’agit d’un début d’instruction), et de reprendre l’enquête depuis
le départ (ex integro), comme si aucun élément de preuve n’avait déjà été
enregistré, ou comme s’il s’agissait d’un appel (R50). Mais que recouvre
le terme de « législateur » ? La source principale du droit ici désignée par
le juriste Aelius Marcianus repose principalement sur les « rescrits »
des empereurs (Hadrien, Antonin le Pieux, et « d’autres princes »). Mais
l’intérêt principal de ce texte est qu’il met en lumière un autre mécanisme
de l’autorité impériale constituant une source du droit. Marcien précise en
effet que le futur empereur Antonin le Pieux, alors qu’il exerçait
le proconsulat d’Asie, en 135/136, à la fin du règne d’Hadrien (117-138),
avait publié « sous son édit » (sub edicto) un « chapitre des mandats »
(caput mandatorum). Comprenons que ce proconsul d’Asie, appelé à
devenir empereur trois ans plus tard, avait affiché, dans le texte officiel
indiquant les orientations de son gouvernement (l’edictum), l’une
des instructions ou directives impériales réunies dans un recueil qui lui
avait été remis avant l’exercice de sa charge. Il ne fait plus de doute en
effet que dès la plus haute époque du Principat et sans attendre celle de
Justinien, où une telle pratique administrative est bien attestée, que
les instructions (mandata) des princes avaient fait l’objet de la part du
pouvoir central d’une récolte et d’une publication à destination
des gouverneurs [MAROTTA 1991]. On retrouve la mention de ces
« instructions » (mandata) des princes dans la lettre de Pline le Jeune
relative aux poursuites contre les chrétiens de Bithynie (R13a1).

Des militaires répartis en « postes » (stationes)


sur le territoire : les stationarii

À la tête de sa province un gouverneur était entouré d’un « bureau »


(officium), dont les membres (officiales) étaient chargés de l’assister dans
différentes tâches, relatives à l’activité essentielle du gouvernement
des provinces, à savoir l’exercice de la justice. Un centurion occupant
le « premier rang du quartier général » (princeps praetorii) dirigeait
généralement le bureau, avec sous ses ordres différents officiers
spécialisés (principales), parmi lesquels on comptait les beneficiarii – ce sont
eux qui interviennent le plus fréquemment dans les opérations de
maintien de l’ordre – [NELIS-CLÉMENT 2000], ou encore les stratores – ce sont
ces derniers, par exemple, qui procèdent à la seconde arrestation de
Cyprien en 258 (R13c). Les stationarii désignent des soldats affectés à
des « postes » (stationes) destinés à la surveillance du territoire et au
maintien de l’ordre. Ils ne constituent donc pas une catégorie spécifique à
l’intérieur de l’armée mais ils sont détachés des unités principales
auxquelles ils continuent d’appartenir (ils sont fréquemment issus de
la garnison de Rome, cohortes urbaines, prétoriennes ou equites singulares)
en dépit de la mission spécifique qu’ils remplissent dans telle ou telle
province. La création d’un tel dispositif remonte au commencement de
l’époque julio-claudienne (Suétone, Auguste, 32, 1 ; Tibère, 37, 1). Il s’est
étendu ensuite à l’ensemble des provinces « pour rechercher
les brigands » (latronibus inuestigandis) comme l’atteste Tertullien,
Apologétique, 2, 8 : les stationes pouvaient être installées dans
les campagnes dans des zones névralgiques (à proximité des frontières ou
dans des secteurs soumis au banditisme), le long des voies de
communication, ou dans des cités importantes (grandes villes portuaires,
ou chefs lieux régionaux). Ces postes étaient le plus souvent placés sous
la responsabilité d’un beneficiarius détaché du bureau du gouverneur, ou
d’un centurion spécialement affecté [PETRACCIA 2001 ; BRÉLAZ 2005, p. 254-267 ;
FRANCE-NELIS-CLÉMENT 2014]. De nouveau, la question de la fuite des esclaves,
en raison de la mobilité qu’elle suppose, non seulement d’une cité à
l’autre, sur le seul territoire d’une province, mais également à l’échelle de
l’empire dans son entier, en raison de l’interaction qu’elle implique entre
les pouvoirs publics dédiés au maintien de l’ordre et les maîtres, soucieux
du respect et de la restitution de leur propriété, en raison également
des complicités qu’elle suppose pour nourrir le trafic de ces êtres humains
devenus marchandises, est révélatrice. Un rescrit de Marc Aurèle et
Commode en témoigne, en réunissant tous les acteurs, publics et privés de
cette chasse à l’homme :

Il existe également une lettre de portée générale (epistula generalis)


des divins Marc <Aurèle> et Commode, en vertu de laquelle il est
proclamé que les gouverneurs (praesides), les magistrats
(magistratus), les soldats répartis dans des postes (milites stationarii)
doivent aider le maître à rechercher (inquirere) les esclaves fugitifs
(fugitiui), pour qu’ils ramènent (reddere) <les fugitifs> qui ont été
découverts (inuenire) et pour que ceux chez lesquels ils se tenaient
cachés (delitescere) soient punis (punire), s’ils sont en rapport avec
le crime (crimine contingere). (Ulpien, Commentaire à l’édit, extrait du
livre 1 = Digeste, 11, 4, 1, 2 ; époque de Caracalla)

Une lettre de Pline le Jeune (Lettres, 10, 74) fait également état d’un
rapport qu’il a reçu de la part d’un soldat d’une statio de Nicomédie : ce
stationarius a mené une enquête préparatoire et il a servi d’intermédiaire
entre les autorités de la cité de Nicomédie et le gouverneur. La litttérature
martyrologique atteste, tout particulièrement en Afrique où la répression
e
de l’hérésie donatiste s’inscrit au IV siècle dans la continuité de l’épisode
des persécutions [GUÉDON dans FRANCE-NELLIS-CLÉMENT 2014, p. 298-
301], le rôle des stationarii dans l’arrestation de chrétiens et des enquêtes
préliminaires qu’ils mènent contre eux avant de les déférer au tribunal du
gouverneur [PETRACCIA LUCERNONI 2001, p. 31-32 ; BRÉLAZ 2005, p. 261], selon
les mécanismes de plus en plus répandus aux premiers siècles de l’Empire,
d’une justice saisie d’office [RIVIÈRE 2002, p. 273-305]. Pour éviter
les lenteurs d’une pré-enquête, ou les abus inhérents à la transmission
incertaine d’un premier interrogatoire (le leitmotiv de la législation
e
depuis les Antonins), à la fin du III siècle les empereurs Dioclétien et
Maximien ont invité certains plaignants à s’adresser directement au
gouverneur, plutôt que de recourir d’abord aux soldats détachés,
les stationarii :

Si quelqu’un prétend avoir subi une atteinte (iniuria) de la part


d’un autre et qu’il veut déférer (deferre) une plainte (querella), qu’il
ne se précipite pas devant les soldats en poste (stationarii), mais
qu’il se présente devant la puissance du gouverneur (praesidalis
potestas). (Dioclétien et Maximien, copie d’une lettre sacrée, Code de
Justinien, 9, 2, 8 ; sans destinataire et non daté)

L’image de ces soldats était donc contrastée : certains y voyaient des


protecteurs de l’ordre, tandis que d’autres percevaient plutôt les abus
commis par ces potentats locaux, d’autant plus libres de leurs agissements
dans les zones les plus reculées des provinces (Code théodosien, 8, 4, 2 ; 8, 5,
1).

La lettre adressée par Pline le Jeune à Trajan au sujet


des chrétiens
L’authenticité de ce document extrait de la Correspondance de Pline
le Jeune ne fait plus aucun doute, tant pour des raisons stylistiques,
institutionnelles et intrinsèques au corpus des lettres dans leur ensemble.
Une remarque de Tertullien (Apologétique, 2, 6) qui en résume le contenu
quelques décennies plus tard [SHERWIN-WHITE 1966, p. 691-712] atteste à
l’évidence qu’il ne s’agit pas d’un faux médiéval.
Qu’il s’agisse des mécanismes de dénonciation, de comparution,
d’exécution, ou de la distinction des prévenus selon leur statut – avec
l’hypothèse du transfert à Rome de ceux qui disposent de la citoyenneté
romaine, sans même qu’ils aient fait appel (R50) –, de la préoccupation liée
à leur âge, font de la lecture de ce document une étape incontournable
pour l’étude du droit pénal à l’époque impériale [RIVIÈRE 2004c, p. 175-176].
Notons ici seulement, au regard de l’administration impériale et de
l’exercice de l’autorité de l’empereur sur la conduite des gouverneurs,
le parallélisme entre la lettre de Pline de Jeune et le texte de Marcien
relatif aux irénarques et que séparent deux décennies. D’un côté,
une interdiction des « confréries » ou « associations », les hetaeriae – ce
terme ouvre un pan de l’histoire sociale et des religions [MAROTTA 1991,
p. 156-161], qu’on ne peut prétendre aborder ici – « après un édit »,
conforme aux instructions (mandata) impériales ; de l’autre, l’indication
fournie par Marcien de l’édit du proconsul d’Asie au sujet des irénarques
(R13b). Une nouvelle fois est soulignée l’importance du recueil
des instructions impériales (le Liber mandatorum) qui commandait l’édit
des gouverneurs dans la province [MAROTTA 1991, p. 18-19].

La passion de Cyprien

L’édit de l’empereur Dèce de l’automne 249 – l’année même où Cyprien


était devenu évêque de Carthage – est souvent considéré comme
la première persécution « universelle » contre les chrétiens, c’est-à-dire à
l’échelle de l’empire dans son entier, sur l’ordre d’un empereur.
Auparavant, les poursuites contre les adeptes de la foi s’étaient déroulées
sporadiquement à l’initiative d’un gouverneur ou des autorités d’une cité,
ou encore de la part des sujets païens, à l’origine de violences ou de
dénonciations – à l’instar de ce qui s’était produit en Bithynie lors du
gouvernement de Pline le Jeune (R13a), à Lyon et Vienne en 170, ou à
Carthage lors du martyre de Perpétue et Félicité (R18b), et en bien
d’autres lieux, depuis le règne de Néron (54-68), jusqu’à l’époque
sévérienne (193-235). En réalité, l’édit de Dèce n’avait pas directement et
délibérément ordonné la poursuite des chrétiens. Dans un contexte de
graves menaces aux frontières, le texte s’adressait à tous les habitants
de l’empire pour solliciter de leur part l’accomplissement de gestes
religieux sous contrôle de l’autorité judiciaire. Le refus des chrétiens
d’obéir à la sollicitation de l’édit en ont pourtant fait les premières
victimes. Ils ne pouvaient en effet, sans abjurer leur foi, accomplir
les sacrifices traditionnels, c’est-à-dire païens, afin de célébrer l’unité
impériale et de veiller au salut de l’empereur sous l’égide de la paix « avec
les dieux ». Beaucoup furent alors conduits au supplice. À Carthage, où
certains croyants périrent et où un grand nombre d’entre eux (les lapsi)
abjurèrent, l’évêque Cyprien avait alors décidé de s’éloigner de Carthage
pour maintenir en sécurité et à distance le gouvernement des siens. Ce
choix de « fuir la persécution » lui valut bientôt beaucoup de critiques de
la part de ses adversaires. Dans les années qui suivirent, l’évêque fut
confronté à d’autres difficultés : la lutte contre des « hérétiques »
(associée à une querelle avec l’église de Rome), ainsi que la question
immédiate de la réintégration de ceux qui avaient failli, les lapsi – contre
tout rigorisme, et sans être laxiste, Cyprien exigeait d’eux une pénitence
pour être accueillis de nouveau dans l’Église par le baptême. En dehors de
ces querelles qui avaient surgi au cœur du monde chrétien en Occident,
la disparition de l’empereur Dèce en 251 sur le champ de bataille conduisit
à un arrêt dans l’application de l’édit qu’il avait proclamé. Cependant, six
ans plus tard, vers le milieu de l’année 257, l’empereur Valérien proclama,
à proprement parler, un premier « édit de persécution » [MECELLA 2014]. En
effet, la mesure visait cette fois directement les chrétiens : interdiction de
réunions, fermeture des cimetières et des églises, obligation d’accomplir
les cérémonies païennes, et exil des membres du clergé. C’est à l’issue de
cet édit que prennent place la première comparution de Cyprien devant
le proconsul Aspasius Paternus (30 août 257) et sa condamnation à
la relégation à Curubis (l’actuelle Korba, sur la côte orientale du cap Bon, à
80 kilomètres de Carthage). Un an plus tard, une nouvelle décision de
l’empereur Valérien aggrava la persécution des chrétiens dans l’empire.
Depuis Antioche, où il résidait alors, en raison des graves menaces sur
le front perse qui conduisirent bientôt à sa capture sur le champ de
bataille et à son exécution, l’empereur adressa au sénat une lettre assortie
de celles qui devaient être ensuite envoyées aux gouverneurs. Il s’agissait
sans doute d’entériner l’aggravation des mesures anti-chrétiennes par
un sénatus-consulte, mais une telle procédure conduisait de fait
également à l’exclusion des chrétiens dans les rangs du sénat.
Les membres des ordres, sénatorial et équestre, étaient spécifiquement
visés (sous menace de la perte de leur rang et de la confiscation de leurs
biens). Quant aux membres du clergé qui avaient été relégués à l’issue du
premier édit, ils étaient désormais passibles d’une peine capitale. C’est à
l’issue de ce second édit qu’intervient la seconde comparution
(14 septembre 258) de Cyprien. Revenu de Curubis, il résidait dans une de
ses villas, lorsqu’il fut emmené par deux officiers de l’entourage du
gouverneur Galerius Maximus, le successeur de Patermus. Il fut cette fois
condamné à mort puis exécuté.
Peu de documents de la littérature martyriale, comme la Passio Sancti
Cypriani, font l’unanimité de la critique pour en reconnaître l’authenticité
[LANATA 1973, p. 188 et 242-247]. Les procès-verbaux des deux audiences de
l’évêque devant chacun des deux proconsuls qui se sont succédés à
Carthage ont été mis en circulation presque immédiatement après leur
déroulement – pour le premier, une lettre de Cyprien lui-même
(Correspondance, 77, 2, 1) atteste de cette circulation. Toutefois, comme on
s’accorde également à le reconnaître, cette passio est constituée de parties
hétérogènes qui ont sans doute été compilées (et ponctuellement
e
remaniées) au IV siècle, à des fins liturgiques. La passio contient tout
d’abord le procès verbal de la comparution de l’année 257 (la confession
de foi de l’évêque a certainement circulé dès l’hiver 257/258 en Afrique).
L’authenticité de ce document est la plus certaine. S’ensuit le récit qui
sépare le retour de l’évêque depuis sa relégation à Curubis de son
installation dans sa « villa », dans ses jardins (Horti) donc, dans
les environs de Carthage. Figure enfin le second procès verbal qui a pu
être plus remanié que le premier, et qui relate la seconde comparution
(14 septembre 258) avant la mise à mort de l’évêque. Un quatrième
élément, le récit de l’exécution et de la sépulture de Cyprien, a été forgé
postérieurement dans une perspective hagiographique. Ce texte
apocryphe n’a donc pas été reproduit ci-dessus.
La première comparution de Cyprien s’est déroulée à Carthage dans
la partie retirée du tribunal (le secretarium), à l’issue de l’envoi de la lettre
(litterae) impériale qui a été à l’origine de la première persécution de
Valérien. L’ouverture des Acta qui signale ce document (1, 1) en résume
certainement le contenu. Il est encore évoqué plus bas (1, 5) où il est
question de mesures plus précises contre « les évêques », mais également
« les prêtres ». C’est donc le clergé chrétien que visait ce premier édit.
Le document reflète par bien des aspects le discours officiel (il reproduit
également le protocole du tribunal, tout en procédant à des abréviations
du contenu des échanges entre le juge et l’inculpé), même si, par exemple,
la désignation de Cyprien comme « évêque » (episcopus) résulte d’un ajout
des fidèles qui ont diffusé ce document, plutôt que de la reconnaissance
officielle de ce titre par l’autorité judiciaire elle-même. Quelques points de
la comparution ont une portée procédurale de caractère général au regard
du droit pénal romain et sans considération même du contexte de
la persécution. Le traitement de l’évêque, en premier lieu, à savoir
un simple exil – il s’agit d’une « relégation » (R44) dans un lieu peu
éloigné, sans confiscation de ses biens, et sans autre mesure coercitive –,
reflète l’origine sociale de Cyprien. L’évêque appartenait au milieu
des classes dirigeantes, susceptibles de bénéficier de ce traitement de
faveur, cette distribution des peines issue de la discrimination entre
humiliores et honestiores, attestée notamment dans les fragments
des Sentences de Paul conservés dans plusieurs titres de la Collatio legum
(Commentaire à R20). Une lettre de Cyprien (Correspondance, 76) est
adressée à des coreligionnaires qui ont été soumis quant à eux, après avoir
été frappés de coups de bâtons (fustes), à la très dure condamnation « aux
mines » (metalla) ou « aux fers » (uincula), c’est-à-dire aux travaux forcés
où ils sont enchaînés, tandis que d’autres sont « encore » (adhuc) retenus
« sous les verrous de cachots » (in carcerum claustris) – l’indication
temporelle revêt ici une signification procédurale, car ces prévenus sont
maintenus en détention à l’issue de leur arrestation, et attendent d’être
livrés à une peine proprement dite, alors que l’incarcération n’est qu’un
moyen de contrainte (R18). La lettre de l’évêque décrit très concrètement
l’écart entre sa propre situation de « relégation » dans un lieu de
villégiature littorale, et celle des croyants de rang inférieur, qui ont été
condamnés à la mine où, précise la lettre, ils n’ont pas de lit pour dormir,
où ils ne peuvent se rendre au bain pour se laver, où manque le pain, où
le peu de vêtement qu’ils portent ne leur permet pas de lutter contre
le froid, et où leurs têtes à demi tondues laissent repousser une chevelure
hirsute…
La question posée à Cyprien par son juge, le proconsul, pour obtenir de
lui les noms des prêtres qui vivent à Carthage et afin de procéder à leur
arrestation, ouvre sur une autre question procédurale. L’interrogatoire du
juge conduit à une réponse de l’inculpé plus précise qu’on ne le dit parfois
car elle témoigne de la connaissance du droit qui avait accompagné
la formation rhétorique de Cyprien. En déclarant que « les lois » de Rome
prescrivent « qu’il n’y ait pas de délateurs » (delatores non esse), l’évêque
fait certainement allusion à la condamnation de la délation fiscale, aussi
bien dans les lois des empereurs que chez les juristes sévériens [RIVIÈRE
2000 ; RIVIÈRE 2002a, p. 101-120]. Cette réprobation est demeurée ancrée
dans la législation tardive – qu’on pense à l’édit de accusationibus de
Constantin (R17) –, en dépit de l’évolution d’une procédure pénale
inquisitoriale qui acceptait de fait les dénonciateurs (à l’exclusion en
principe de l’anonymat de la déposition ou des libelles diffamatoires) sous
le nom d’accusateurs. L’invitation de Cyprien, à l’adresse du gouverneur,
de procéder lui-même aux recherches de ces prêtres en ajoutant qu’ils ne
se présenteront pas d’eux-mêmes a une portée religieuse autant que
« policière » ou judiciaire. On retrouve ici, comme dans sa Correspondance,
la réticence exprimée par l’évêque à l’égard du martyre volontaire,
identique à celle que l’on observe par exemple dans les Actes de Perpétue et
Félicité (R18) [LANATA 1973, p. 189-190].
La suite de la Passio se poursuit par le récit du retour de l’évêque dans
ses « jardins » (une villa) et de son arrestation par deux principes, deux
officiers, donc, du bureau du gouverneur dont le titre et le grade exacts
demeurent difficiles à établir en raison de l’instabilité du texte – le terme
strator peut désigner un « écuyer » ou un « geôlier ». Il est très probable
que la détention à laquelle a été soumis alors l’évêque ait consisté, en
raison de son rang, non pas en une incarcération à proprement parler,
mais en une mise en résidence surveillée dans le logement de l’officier –
le mot hospitium désignerait alors une résidence dépendante des services
du gouverneur. À l’issue de cette seconde comparution la sentence de
mort fut sans doute prononcée par un héraut qui a lu le verdict rédigé sur
une tablette, plutôt que par le gouverneur lui-même en dépit de
la concision du texte [LANATA 1973, p. 191]. La forme de mise à mort, par
décapitation, est, de nouveau, le signe de la condition élevée du prévenu.

La passion de Marcellus

Deux ans après le second édit de Valérien et l’exécution de Cyprien,


l’empereur Gallien proclama en 260 un édit pacificateur qui initia
la période dite de « Petite Paix de l’Église ». Celle-ci se poursuivit jusqu’au
déclenchement de « la Grande persécution » initiée par les édits
des tétrarques en 303. Durant plus de quarante ans, donc, aucun édit
impérial n’est venu relancer les poursuites contre les chrétiens, même si,
en raison de leur profession de foi isolée, en particulier dans le milieu de
l’armée, certains fidèles, à l’instar de Marcellus, ont pu connaître
e
le martyre fidèle les dernières années du III siècle.
À l’issue de la même période de quarante ans, encore marquée par de
profonds signes de « crise » et de graves menaces aux frontières (au moins
jusqu’en 274), mais aussi par les étapes tangibles d’un redressement et
d’un rétablissement de la sécurité intérieure, les structures
administratives et militaires de l’empire sortent bouleversées. Proclamé
empereur par l’armée avec le titre d’« Auguste » en 284, Dioclétien (284-
305) s’adjoint l’année suivante, en 285, un autre officier, Maximien, avec
le titre de César. L’année suivante encore, en 286, alors que ce dernier avait
été chargé de défendre les provinces occidentales (tandis que Dioclétien
gouvernait et combattait en Orient), il reçut également le titre d’Auguste.
Sept ans plus tard, en 293, les deux Augustes s’adjoignaient à leur tour
deux Césars, en l’occurrence Galère (en Orient) et Constance Chlore (en
Ocident). Ainsi était né le système « tétrarchique », un pouvoir sur
l’empire, partagé territorialement en quatre parties (selon la hiérarchie de
deux « Augustes » au sommet, et de deux « Césars » à leurs côtés). Ce
système était largement déterminé par la nécessité de répartir
le commandement militaire sur différents fronts entre quatre princes, de
manière à pallier en même temps le risque d’usurpation. Contournant
tout principe « dynastique » de transmission du pouvoir impérial –
un principe jamais accepté comme tel depuis le règne d’Auguste (27 av. J.-
C.-14 ap. J.-C.) –, Dioclétien prit alors l’initiative de fonder un système
nouveau sous le patronage de deux divinités et un ancrage fort dans
une « religion orientale », le mithriacisme. Tandis que lui-même se
déclarait « descendant de Jupiter » (Iouius), Maximien de son côté, était
désigné « descendant d’Hercule (Herculius). Hercule étant le fils de Jupiter,
un lien de subordination était donc établi entre eux. Chacun des deux
Césars qu’ils s’adjoignirent entrèrent alors sous le même patronage divin :
Galère devint Iouius, Constance Chlore Herculius. La transmission du
pouvoir devait désormais s’effectuer, suivant ces deux lignées, par
le retrait des deux Augustes et la promotion à ce titre des deux Césars en
exercice, eux-mêmes appelant à leur côté deux autres Césars. Dès
l’abdication volontaire de Dioclétien à l’issue de vingt ans de règne,
le système commença de dysfonctionner. Et vingt ans encore plus tard, en
324, Constantin (306-337), le fils de Constance Chlore (César, 293-305 ;
Auguste, 305-306), reconstituait à son profit un pouvoir monarchique et
dynastique.
Cependant l’instauration du système tétrarchique s’était aussi
accompagné de réformes administratives et structurelles qui demeurèrent
pérennes dans leurs grandes lignes. Pour un meilleur contrôle du
territoire (prélèvement de l’impôt, surveillance et exercice de la justice),
les provinces furent l’objet d’un découpage qui en réduisit la taille et, en
conséquence, en augmenta le nombre (de 48 à 104). Tandis que
les compétences des gouverneurs tendaient à disparaître au profit de
« chefs » militaires (duces) – mais en 298, en Tingitane où se déroule
l’épisode du centurion Marcellus, le gouverneur est encore
un commandant militaire –, les provinces qu’ils avaient sous leur autorité
étaient regroupées en diocèses dirigés par un « vicaire ». À leur tour, ces
diocèses étaient regroupés en trois ou quatre « préfectures » (Italie,
Gaules, Orient et Illyrie). La préfecture des Gaules constituait un bloc
ouvert sur l’Atlantique, avec, du Nord au Sud, la Bretagne, la Gaule,
les sept provinces (de l’Aquitaine aux Alpes), l’Hispanie et la Maurétanie
Tingitane (avec pour capitale Tanger).
C’est donc dans un environnement bien différent de celui dans lequel
s’est déroulé le martyre de Cyprien, en 258, qu’advient quarante ans plus
tard celui du centurion Marcellus, en 298 (selon toute probabilité), cinq
ans avant le déclenchement de la « Grande persécution », qui suivra de
peu l’édit contre les manichéens (R33). Alors que la Maurétanie Tingitane
était soumise à des attaques nécessitant un effort de guerre
particulier, le 21 juillet de l’année 298 (selon toute probabilité),
un centurion, Marcellus, décida de rejeter les insignes de son « serment
militaire » – son baudrier, son épée, le cep de vigne (uitis) instrument de
son grade – devant les quartiers de commandement (principia) du camp
africain où il était cantonné. Le jour choisi par ce centurion pour rejeter
son serment militaire ne tient pas du hasard. C’est le jour précisément où,
selon les principes du système tétrarchique exposés plus haut,
les Augustes Dioclétien et Maximien, puis avec eux les Césars Constance et
Galère ont pris les titres de descendants de Jupiter (Iouii) et de
descendants d’Hercule (Herculii). Cette « épiphanie des Augustes et
des Césars », plus que toute autre fête impériale, apparaît comme païenne
[SESTON 1980, p. 240]. Après avoir subi un premier interrogatoire informel
dans ce camp africain de localisation indéterminée, immédiatement après
avoir accompli son geste, le centurion comparut en audience une semaine
plus tard (le 28 juillet) à Tanger (plutôt qu’à Léon comme le voudrait
la tradition hispanique médiévale) devant le gouverneur Astasius
Fortunatus, avant d’être renvoyé par ce dernier devant le vice-préfet du
prétoire d’Hispanie, Aurelius Agricolanus. Sans doute ce dernier se
trouvait-il également en Maurétanie Tingitane, en raison des opérations
militaires, plutôt qu’en Espagne. Ce second interrogatoire (fondé sur
la lecture du compte-rendu de la première instance) eut lieu trois mois
plus tard, le 30 octobre 298. Le centurion fut exécuté le jour même.
En dépit d’une tradition complexe, cette passio, à l’instar des Actes de
Cyprien (R13c), repose sur des pièces authentiques du procès. Elle est
constituée du premier interrogatoire devant le gouverneur, du second
interrogatoire devant le vice-préfet, de la lettre de compte-rendu rédigée
par le premier juge à destination du second. Les principaux éléments de
la procédure recoupent aussi bien d’autres textes de la littérature
martyrologique que des extraits de jurisprudence [LANATA 1973, p. 201-208].
La poursuite – elle précède de cinq ans le premier édit de la Grande
persécution ouverte en 303 – est conduite contre un manquement à
la « discipline militaire » et non en raison de la confession de foi du
prévenu. Ce dernier est d’abord conduit (introductus) devant le tribunal du
gouverneur – ce terme technique désigne la comparution de Cyprien (3, 1 :
ductus). Le premier juge, le gouverneur, décide, à l’issue de l’interrogatoire
de le « renvoyer » devant une juridiction plus élevée. Non pas le tribunal
impérial, en dépit de la formulation employée par le gouverneur (« c’est
pourquoi je porterai celle-ci [ta temeritas] jusqu’aux oreilles de nos
seigneurs, les Augustes et les Césars »), mais devant un juge disposant du
droit de juger « à la place de l’empereur » (uice Caesaris), en cas de
transfert de prévenu (comme c’est ici le cas) ou en réponse à un appel
(R50). Il s’agit en l’occurrence d’un personnage qui porte le titre de « vice-
préfet du prétoire » (agens uicem praefectorum praetorio) : ce n’est sans
doute pas un vicaire (fonction permanente à la tête d’un diocèse), mais
un personnage « ayant les pouvoirs d’un préfet, sans avoir de pouvoir
propre », en particulier, comme ce pourrait être le cas ici dans une région
éloignée du siège de la préfecture (alors situé à Trèves) [CUQ 1912]. Ce
personnage se trouvait à Tanger en raison des opérations militaires qui se
déroulaient en Tingitane – un contexte de menace guerrière, par ailleurs
commun aux quelques cas de martyrs « militaires » de la fin du IIIe siècle
[SESTON 1980, p. 246].
La procédure ici suivie peut donc être rapprochée de
la recommandation inscrite par Modestin dans son traité Sur les peines
relatif au traitement des déserteurs, selon lequel, « après l’avoir
auditionné (audire), <le gouverneur> doit renvoyer le déserteur (desertor) à
son chef, avec un procès verbal (elogium) » (Digeste, 49, 16, 3) (R38).
Un mécanisme mérite en particulier d’être souligné [LANATA 1973, p. 208]. En
effet, l’audience devant le second juge, le représentant du préfet du
prétoire, fait constamment référence (jusqu’au prononcé de la sentence)
au premier interrogatoire devant le gouverneur. Un tel principe semble
s’éloigner de la recommandation contenue dans l’édit d’Antonin le Pieux
(138-161), selon lequel « ceux qui sont envoyés avec le rapport <qui
les concerne> (elogium), doivent être entendus sans prévention (ex
integro) » (R13b). Quant au prononcé de la sentence il pourrait avoir été lu
par voix de héraut (praeco) – plutôt que par le juge lui-même, comme
le laisse entendre le texte –, à l’instar de ce qui est décrit à la fin de
La Passion de Cyprien (R13c).
14

Déposition et interrogatoire des témoins


e e
(II -III siècles)

a. Callistrate, Sur les enquêtes, extrait


du livre 4, fr. 28 Lenel = Digeste,
22, 5, 3, pr.-6 ; époque de Septime Sévère,
194-211 ap. J.-C.
Pr. Il faut examiner avec attention la confiance (fides) <qu’on peut
accorder> aux témoins. Ils devront être soumis à un examen (explorare)
relatif en premier lieu à leur condition (conditio) : s’il s’agit d’un décurion
(decurio) ou d’un plébéien (plebeius) ; <on examinera ensuite> s’il mène
une vie digne de considération (honesta) et irréprochable (inculpata) ; s’il
s’agit au contraire de quelqu’un marqué d’infamie (notatus) et <dont
la conduite est> répréhensible. S’il est riche (locuples), ou s’il est dans
le besoin (egens), de telle sorte qu’il en vienne à admettre facilement
une chose par appât du gain (lucrum) ; s’il s’agit de l’ennemi personnel
(inimicus) de celui contre lequel il porte témoignage (testimonium), ou bien
s’il est l’ami de celui en faveur duquel il donne témoignage. Car si aucun
soupçon (suspicio) ne s’élève au sujet du témoignage, ni en raison de
la personne (persona) par laquelle il est présenté, parce qu’elle est digne de
considération (honesta), ni en raison de la cause, parce qu’elle est
étrangère à l’appât du gain, à la faveur (gratia), ou à l’inimitié (inimicitia),
alors il doit être admis.
1. C’est pourquoi le divin Hadrien a répondu dans un rescrit adressé à
Vibius Varus, légat de la province de Cilicie, que celui qui juge est le mieux
à même de savoir dans quelle mesure il faut avoir confiance (fides) dans
les témoins. Les termes de la lettre sont les suivants : « le mieux pour que
tu sois à même de savoir dans quelle mesure il faut avoir confiance dans
les témoins, est de considérer quel est leur rang (dignitas) et quelle est leur
valeur (aestimatio), s’ils paraissent s’exprimer séparément les uns
des autres, s’ils ont produit un même discours préparé à l’avance, ou s’ils
ont fourni des réponses vraisemblables, lorsque tu les interrogeais à
divers moments ». 2. Il existe aussi un rescrit de ce prince adressé à
Valerius Verus sur la façon dont il faut observer avec attention (excutere)
la confiance que méritent les témoins. Il est rédigé en ces termes : « on ne
peut définir d’aucune manière suffisamment certaine, jusqu’à quel point
telles preuves (argumenta) sont suffisantes dans chaque affaire pour établir
les faits (probare). De même que ce n’est pas toujours le cas, pareillement
la vérité d’une affaire ne se découvre pas souvent sans le recours aux
pièces officielles (publica monumenta). Tantôt le nombre des témoins,
tantôt leur rang (dignitas) et leur autorité, tantôt une renommée (fama)
pour ainsi dire unanime vient confirmer la réalité (fides) d’une affaire sur
laquelle on enquête (quaerere). Je peux donc seulement te répondre dans
ce rescrit, à grands traits, que l’instruction (cognitio) ne doit pas être à
toute force aussitôt liée à un seul aspect de démonstration des faits
(probatio), mais qu’il convient que tu apprécies (aestimare) en fonction de
l’avis (sententia) que tu t’es forgé en ton âme (animus), de ce que tu crois,
ou de ce que tu juges trop peu prouvé. 3. Le même divin Hadrien a
répondu dans un rescrit adressé à Iunius Rusticus, proconsul de
Macédoine, qu’il faut croire la <parole> des témoins (testes) plutôt que
les témoignages <écrits> (testimonia). Les mots de la lettre relatifs à ce
point sont les suivants : « et à ce propos Alexandre a reproché (obiicere)
des griefs (crimina) à Aper devant moi : et dans la mesure où il ne faisait
pas la démonstration de la preuve (probare), et qu’il ne produisait pas de
témoins, mais qu’il voulait recourir à des témoignages <écrits> (testimonia),
lesquels n’ont pas leur place devant moi, car j’ai l’habitude de
les interroger (interrogare) eux-mêmes, je l’ai renvoyé (remittere) au
gouverneur de la province, afin que celui-ci enquête (quaerere) ; et à moins
qu’il n’ait rempli <par des preuves> (implere) ce qu’il prétendait (intendere),
qu’il soit relégué ». 4. Le même prince a répondu également dans
un rescrit adressé à Gabinius Maximus dans ces termes : « l’autorité
(auctoritas) des témoins présents est une chose, c’en est une autre que
celle des témoignages <écrits> qui sont lus (recitari) d’ordinaire. Délibère
donc en toi-même, car si tu veux les maintenir à disposition (retinere), tu
dois leur verser des frais <de dédommagement> (impendia) ». 5. La loi Iulia
sur la violence (lex Iulia de ui) veille à ce que, conformément à cette loi, il
ne soit pas permis de prononcer un témoignage contre le prévenu (reus) à
la personne qui a été affranchie (liberare) par ce <prévenu> ou par son
père, ni à ceux qui sont impubères (impuberes), ni à celui qui a été
condamné dans un jugement public (iudicium publicum) et qui ne compte
pas parmi les bénéficiaires d’un rétablissement dans leurs droits (in
integrum restitutus), ni à celui qui a été condamné aux bêtes pour
combattre, ni à celui qui s’est loué <comme gladiateur> (se locare), à celle
qui fait ouvertement commerce <de son corps> (quaestum facere) ou qui l’a
fait <par le passé>, à celui qui a été jugé ou convaincu d’avoir prononcé
un témoignage ou de s’en être abstenu pour recevoir de l’argent. Car
certains, en raison de la déférence <qu’ils doivent> (reuerentia) à
des personnes, certains en raison du caractère chancelant (lubricum) de
leur résolution (consilium), d’autres encore en raison de la flétrissure (nota)
ou de l’infamie (infamia) qui caractérise leur vie, ne doivent pas être admis
à la confiance (fides) <indissociable> du témoignage. 6. Les témoins ne
doivent pas être convoqués (euocare) sans de sérieuses raisons s’ils ont
un long chemin à parcourir. Les soldats doivent encore moins être
éloignés des enseignes ou de leurs obligations de service en raison d’un
témoignage à fournir : le divin Hadrien l’a répondu dans un rescrit. Mais
les divins frères <Lucius Verius et Marc Aurèle> ont ainsi répondu dans
un rescrit : « Pour ce qui concerne la convocation des témoins, celui qui
juge doit observer avec attention quel est l’usage <suivi> dans la province
où il exerce la justice, car s’il est prouvé que l’on convoque souvent de
nombreuses personnes dans une autre cité pour s’acquitter d’un
témoignage, il n’y a pas lieu de douter que celui qui juge doit se saisir
(deprehendere) de ceux qui doivent être convoqués s’ils sont indispensables
<par leur présence> à l’enquête (cognitio) elle-même ».

b. Arcadius Charisius, Sur les témoins,


extrait du livre unique, fr. 3-6 Lenel
= Digeste,
22, 5, 1 ; 22, 5, 21 ; 22, 5, 25 ; 48, 18, 10 ; d
ébut IVe siècle ap. J.-C.

22, 5, 1 (FR. 3 LENEL)


Le recours aux témoignages est courant et nécessaire et doit être avant
tout exigé de ceux dont la fiabilité (fides) est inébranlable. Et des témoins
peuvent être produits (adhiberi), non seulement dans les causes
criminelles (criminales causae), mais également dans les procès pécuniaires
(pecuniariae lites), sur chaque point où l’affaire demande <d’y recourir>, s’il
s’agit de personnes auxquelles le témoignage n’est pas interdit ou qui
allèguent une dispense (excusare) en vertu de quelque loi. Quoiqu’un très
large nombre de témoins soit fixé par quelques lois, cependant un tel
excès est restreint par les constitutions des princes à un nombre adéquat,
de telle sorte que les juges imposent une limite et souffrent qu’on ne fasse
venir (euocari) que le nombre de témoins qu’ils auront estimé
indispensable, de telle sorte que par un pouvoir sans frein on ne fasse pas
sortir une foule de témoins, <tout cela> pour maltraiter (uexare)
des hommes.

22, 5, 21 (FR. 4 LENEL)


Quiconque a été condamné pour <avoir composé un> poème
diffamatoire (carmen famosum) est rendu inapte à témoigner (intestabilis).
1. Il n’y a aucunement lieu d’hésiter sur le fait que, si l’affaire l’exige,
les personnes privées, aussi bien que les magistrats, s’ils sont présents,
doivent donner un témoignage. De la même façon, le sénat a décidé que
le préteur doit donner un témoignage dans un jugement pour cause
d’adultère. 2. Si la situation de l’affaire est telle qu’on est contraint
d’admettre comme témoin un combattant de l’arène (harenarius) ou
une personne semblable, on ne doit pas croire son témoignage sans
<recourir aux> instruments de torture (tormenta). 3. Si les témoins sont
tous <des personnes> de rang honnête (honestas) et de considération
(existimatio), que la qualité de l’affaire autant que l’inclination du juge
(iudicis motus) s’accordent avec eux, tous leurs témoignages doivent être
suivis. Cependant si certains d’entre eux, quoiqu’en plus petit nombre,
disent autre chose, il faut croire ce qui s’accorde avec la nature de l’affaire
et qui paraît s’élever au-dessus de tout soupçon d’inimitié (inimicitia).
Le juge confirmera alors l’inclination de son âme (motus animi) à partir de
preuves (argumenta) et de témoignages qui lui apparaîtront comme mieux
s’articuler à l’affaire et mieux s’en rapprocher. En effet, il ne faut pas
prendre en considération la multitude, mais la foi sincère
des témoignages, <à savoir> les témoignages les plus propres à fixer
la lumière de la vérité (lux ueritatis).

22, 5, 25 (FR. 5 LENEL)


En vertu des instructions (mandata) des princes, les gouverneurs
doivent veiller à ce que les défenseurs <en justice> (patroni) ne portent pas
témoignage dans une affaire pour laquelle ils assurent une défense
(patrocinium). La même disposition s’applique aux magistrats qui
instruisent des affaires litigieuses (negotia).

48, 18, 10 (FR. 6 LENEL)


Il ne faut pas appliquer la torture (quaestio) à un mineur (minor) de
moins de quatorze ans, comme le divin <Antonin> le Pieux a répondu dans
un rescrit à Caecilius Iuventianus. 1. Cependant, lorsqu’il s’agit d’un crime
de lèse-majesté qui touche à la personne du prince, la torture est
appliquée (torqueri) à tous ceux qui sont appelés au témoignage, puisque
l’affaire l’exige. 2. On peut se demander dans quelle mesure il est possible
de mettre à la torture contre l’existence (caput) du père les esclaves que
le fils possède dans son pécule militaire. Il est en effet établi <par
les constitutions impériales> que <ceux> du père ne doivent pas être
torturés contre le fils. Je pense qu’il est donc juste de dire que les esclaves
du fils ne doivent pas être interrogés contre l’existence du père (in caput
patris). 3. Les instruments de torture (tormenta) doivent être appliqués,
non pas autant que l’accusateur le demande (postulare), mais si
les paramètres d’un raisonnement inspiré par la modération le réclament.
4. Et l’accusateur ne doit pas s’emparer dans la maison du prévenu (domus
rei) du commencement des preuves (probationes), lorsqu’il invoque
le témoignage ou bien des affranchis (liberti), ou bien des esclaves (serui)
de celui qu’il accuse. 5. En outre, pour faire sortir la vérité (in excutendia
ueritate), ce qui apporte le plus <d’éléments>, c’est la voix elle-même et
la vigilance d’une minutieuse enquête (subtilis cognitio). En effet,
la manière de s’exprimer, la fermeté ou l’agitation de celui qui avance
quelque chose, ou encore la considération (existimatio) qui est la sienne
dans sa cité, sont autant de choses qui apparaissent pour mettre la vérité
en pleine lumière (illuminare ueritatem). 6. En outre, dans les affaires où
la question <du statut> d’homme libre est en jeu, il ne faut pas rechercher
à établir la vérité en soumettant aux instruments de torture ceux dont
le statut (status) est discuté.

*
* *

En dépit du corpus cicéronien, les sources manquent pour bien


connaître les modalités de dépositions des témoins à l’époque
républicaine. À la différence de ce que l’on observe pour l’époque
impériale, l’accès au témoignage judiciaire aurait été très peu contrôlé en
comparaison des critères définis pour accéder à la défense ou à
l’accusation devant les tribunaux [DAVID 1992]. Sans doute cette absence de
définition légale laissant place à des règles coutumières était-elle
délibérée [VINCENTI 1989, p. 55-57]. Il est difficile en effet de savoir si l’on
peut appliquer aux siècles antérieurs les contours énumérés par
Callistrate (R14) et qui constituent une véritable liste d’exclusion du
témoignage [GUÉRIN 2015, p. 93-94]. Selon toute probabilité les intestabiles,
c’est-à-dire les personnes qui ne pouvaient pas se porter témoins
instrumentaires, étaient également exclus de la capacité de témoigner
dans les tribunaux privés, où seul le témoignage des mâles adultes libres
était recevable. Encore faut-il préciser que l’intestabilitas, telle qu’elle
figure dans un verset de la Loi des XII tables (8, 22 : « celui qui s’est engagé
à témoigner et qui ne porte pas témoignage est rendu intestabilis »)
contient en elle l’idée de réciprocité : elle s’entend non seulement
activement d’une incapacité à témoigner, mais également, en sens inverse
et passivement, d’une interdiction de bénéficier d’un témoignage. On peut
ainsi la qualifier de véritable « mort civique », puisqu’aucune action ni
aucun acte concernant l’intestabilis ne peuvent être alors authentifiés
grâce au « secours » de témoins [HUMBERT 2018, p. 626-627]. La Loi
des XII tables contient par ailleurs des dispositions relatives au faux
témoignage assimilé à un meurtre judiciaire (R27). Enfin, il y a tout lieu de
croire que les dispositions d’époque augustéenne contenues dans la lex
Iulia de ui commentée par le même Callistrate reflètent des normes
antérieures, autant que la loi de réorganisation des poursuites devant
les tribunaux de jurys (la lex Iulia iudiciorum publicorum) de 17 av. J.-C., dont
le contenu recoupe d’autres textes (notamment un titre entier de
la Collatio legum, R28) relatifs à l’interdiction des dépositions « contre leur
gré » des membres d’une même famille entre eux.
S’il faut être particulièrement prudent en considérant les lois
augustéennes comme le reflet de normes antérieures, il est probable que
le témoignage républicain a été plus encadré qu’on ne le dit parfois, ne
serait-ce que parce qu’on ne comprendrait pas pourquoi les normes
sociales qui entourent l’exercice de la justice feraient ici défaut.
Cependant, dans le domaine des poursuites criminelles devant
les tribunaux de jurys (les iudicia publica ou quaestiones), la capacité de
déposer aurait été détachée de la capacité instrumentaire, si bien que
des catégories de témoins exclus de la procédure privée, comme on l’a vu
plus haut, auraient pu être interrogés à l’occasion de procès criminels, à
commencer par des femmes (R19) [GUÉRIN 2015, p. 95-96]. Il existait alors
trois formes de déposition : le témoignage écrit produit par un individu ou
une communauté ; le rapport de torture exercé sur l’esclave (les hommes
libres n’y seront exposés qu’à l’époque impériale) ; le témoignage oral
prononcé par un individu. Seule cette troisième forme constituait « la
modalité pleine du testimonium », les autres formes étant « affaiblies » ou
« périphériques » [GUÉRIN 2015, p. 95-96], comme l’atteste une page du
Dialogue des orateurs de Tacite. Ce texte évoque l’épanouissement de
l’éloquence à l’époque de la Libertas, c’est-à-dire sous la République et
dans le contexte particulier des guerres civiles du dernier siècle, à la veille
de l’instauration de l’autocratie impériale :

Mieux encore, eux-mêmes [les aïeux de l’époque républicaine]


étaient persuadés que personne ne pouvait, sans éloquence,
atteindre dans la cité un rang remarquable et éminent, ou s’y
maintenir. Et ce n’était pas étonnant, à une époque où l’on pouvait,
même contre son gré (inuitus), être conduit <à comparaître> devant
le peuple <réuni en comices> (ad populum producere), à une époque
où ce n’était pas assez de donner de manière brève son opinion
(censere) au sénat, car il fallait alors défendre son avis (sententia)
avec talent et avec éloquence, à une époque où lorsque l’on était
convoqué (uocare) à répondre de sa propre voix à une haine
(inuidia) ou une accusation (crimen) quelconques, à une époque où,
dans les jugements {publics} (iudicia publica), les témoignages
(testimonia) aussi devaient être fournis, non par des <témoins>
absents, ni par <écrit sur> tablette (per tabellam), mais où l’on était
forcé (cogere) de les porter de vive voix et en étant présent. (Tacite,
Dialogue des orateurs, 36, 7)

Les témoins étaient de deux sortes [VINCENTI 1989], comme l’atteste


l’Institution oratoire de Quintilien, une autre source d’époque impériale
relative aux jugements publics apparus sous la République : ceux qui
étaient cités à déposer sous la contrainte d’une notification (en faveur soit
de la défense, soit de l’accusation) – à l’exception de quelques catégories
d’individus, les vieillards par exemple, que l’on ne pouvait contraindre –,
ceux qui se présentaient volontairement (en faveur exclusivement de
l’accusation) :

Et puisqu’il existe deux sortes de témoins, ou bien ceux qui se


présentent de leur propre volonté (uoluntarii), ou bien ceux que
l’on a l’habitude de notifier (denuntiare) en vertu de la loi dans
les jugements publics (iudicia publica), les premiers auxquels l’une
et l’autre parties ont recours, les seconds qui n’ont été accordés
qu’aux accusateurs, nous devons séparer le devoir de ceux
auxquels les témoins sont fournis (dare), et de ceux qui doivent
les réfuter (refellere). (Quintilien, Institution oratoire, 5, 7, 9)

Cette déposition orale occupait une place définie dans la procédure.


L’interrogatio des témoins (en premier lieu ceux de l’accusation) suivait en
effet toujours les discours prononcés par l’accusation et la défense. Elle
venait donc confirmer ou infirmer l’argumentation antérieure contenue
dans les plaidoyers. Ce n’est qu’à l’issue de deux lois de Pompée
consécutives au meurtre de Clodius en 52 av. J.-C., l’une contre la violence
(lex Pompeia de ui), l’autre contre la brigue (lex Pompeia de ambitu), que cet
ordre s’est trouvé « renversé » [GUÉRIN 2015, p. 104-105], car les témoins
ont alors exceptionnellement été produits avant les avocats des parties
(R10).
Le texte de Tacite cité plus haut pourrait laisser entendre qu’au cours
du premier siècle de l’Empire, le témoignage écrit aurait fini par acquérir
une place prépondérante en même temps que reculait l’éloquence
judiciaire qui s’était épanouie dans les tribunaux républicains. En réalité,
les rescrits d’Hadrien (117-138) cités par Callistrate (R14) semblent au
contraire montrer la persistance de la reconnaissance d’une plus grande
fiabilité au témoignage oral. Callistrate évoque (Digeste, 22, 5, 3, pr.)
les deux critères qui permettent d’évaluer la fiabilité d’un témoin, à savoir,
tout d’abord, la condition sociale (la persona), ensuite, ses motivations et
les liens éventuels avec l’inculpé (s’il s’agit par exemple de son adversaire)
susceptibles d’altérer la valeur du témoignage (la causa). Soulignons que
le critère social oppose les décurions (représentants des classes
dirigeantes siégeant dans la curie de la cité) et les plébéiens (tous les libres
qui n’appartiennent pas au premier groupe). La dichotomie
humiliores/honestiores n’est pas employée ici car elle ne constitue pas
un critère social absolu, comme les modernes l’emploient trop souvent
par commodité. Elle ne s’applique dans le droit romain qu’à la distribution
des peines, et, sans en négliger l’impact dans ce domaine, il faut insister
sur le fait qu’elle « ne présuppose en aucune façon une subdivision rigide
de la société impériale en deux castes distinctes » [MAROTTA 2009, p. 41].
La distinction entre fortuné et pauvre revêt quant à elle un sens
spécifique : le mot locuples n’est pas seulement un indicateur de fortune, il
désigne aussi précisément « sûr », « garant », « qui peut répondre » et
signifie donc que le témoin a moins de chance, en principe, dans cette
situation, de ne pas rechercher le gain ou de se laisser corrompre.
Le premier rescrit d’Hadrien est adressé au légat de Cilicie, Vibius Varus
(Digeste, 22, 5, 3, 1). Il évoque les deux critères précédemment énoncés (la
persona et la causa) en y ajoutant le risque de collusion entre les témoins
qu’il faut donc interroger séparément. Dans le second rescrit (Digeste, 22,
5, 3, 2) l’empereur invite son destinataire à tenir compte de toutes
les formes de preuves, mais surtout à se fier à son intuition (animus) selon
le principe « d’intime conviction » tel que les modernes l’ont désigné
depuis l’époque des Lumières. Le troisième rescrit (Digeste, 22, 5, 3, 3) est
adressé au proconsul de Macédoine Iunius Rusticus, le futur préfet de la
Ville, juge de Justin et de ses compagnons, rencontré plus haut (R12a). Au
regard de la doctrine il constitue un texte canonique puisque l’empereur
proclame le principe selon lequel la valeur du témoignage oral l’emporte
sur l’écrit. Ce principe est demeuré une constante en droit criminel, même
e
si en droit civil à partir de la fin du III siècle et jusqu’à l’époque de
Justinien, la supériorité de l’écrit a été affirmée [VINCENTI 1989 ; PIACENTE
2012, p. 105-107]. Ce même principe est également implicitement réaffirmé

dans le quatrième rescrit (Digeste, 22, 5, 3, 4) invitant le gouverneur à


prendre en charge les dépenses des témoins (plutôt que, sous-entendu, de
se cantonner aux pièces écrites à disposition du juge). Après la liste
des rescrits d’Hadrien, Callistrate s’emploie au commentaire de la loi sur
la violence d’époque augustéenne (entre 19 et 16 av. J.-C.) qui constitue
une liste d’exclusion de témoignages en fonction de différents critères
(appartenance familiale, âge, infamie, corruption) : la citation de ce texte
par Ulpien dans un fragment conservé dans la Collatio legum est
commentée à cet endroit (R27). Le texte de Callistrate, pour finir (Digeste,
22, 5, 3, 6), s’appuie de nouveau sur un rescrit d’Hadrien relatif au
déplacement des témoins, et sur un autre de Marc Aurèle au sujet de leur
nombre et de la contrainte qui peut être exercée sur eux par le juge.
Si l’une des lignes directrices de ce commentaire jurisprudentiel est
bien de souligner la fiabilité du témoignage oral dont la supériorité sur
les pièces écrites est réaffirmée, comme c’était déjà le cas à l’époque
républicaine, il ne faudrait pas négliger les transformations qui se sont
produites entre temps, notamment à l’occasion des poursuites de lèse-
majesté telles que les révèlent les procès sénatoriaux dès le règne de
Tibère (R11). Ces poursuites se caractérisent en effet par une prolifération
de pièces écrites qui constituent autant de preuves irréfutables et par
la constitution de dossiers en amont de l’ouverture de la procédure elle-
même – à commencer par les archives (commentarii) entreposées dans
la résidence impériale du Palatin [RIVIÈRE 2002a, p. 236-252 ; RIVIÈRE 2019b].
Ces archives reçurent bientôt au Palatium un lieu dédié à leur dépôt,
le secretarium. Au même moment, a été introduit dès le commencement du
Principat l’usage de la torture, exercée sur des hommes libres ou encore
sur des esclaves contre leur maître (R16). Il est tout à fait caractéristique
que plusieurs fragments qui subsistent du traité d’Arcadius Charisius
intitulé Au sujet des témoins – un traité unique en son genre [PIACENTE 2012,
p. 105-136] –, soient relatifs à l’emploi de la torture. Ce traité a été rédigé à
la fin du IIIe siècle, mais l’époque tétrarchique ne constitue pas
nécessairement une rupture dans ce domaine, car le recours à la quaestio
des hommes libres s’était généralisé au cours des trois siècles qui avaient
e
précédé et faisait déjà l’objet d’une production normative au II siècle,
comme en témoigne l’allusion à un rescrit d’Antonin le Pieux (138-
161) relatif à l’exemption des mineurs de moins de quatorze ans dont
la déposition obtenue par ce moyen ne paraît pas fiable. Le contenu du
rescrit est résumé ailleurs par Callistrate (R39m). L’idée selon laquelle en
dernier ressort compte « l’intime conviction du juge », déjà présente,
comme on l’a vu, dans un rescrit d’Hadrien, apparaît également ici au
travers des expressions « l’inclination de l’âme » (motus animi) ou
« l’inclination du juge » (motus iudicis). La préoccupation d’accès à
la « lumière de la vérité » (lux ueritatis) est récurrente : « faire sortir
la vérité » (excutere ueritatem) ; « éclairer la vérité » (illuminare ueritatem) ;
« établir la vérité » (ueritatem requiri). Chacune de ces expressions ne
désigne rien d’autre qu’un recours systématique à la torture, devenue la
garantie essentielle du témoignage.
15

Évolution de la procédure accusatoire,


er e
de la République à l’Empire (I siècle av.-III
siècle ap. J.-C.)

Marcien, Sur le sénatus-consulte Turpilien,


extrait du livre unique fr. 287 Lenel
= Digeste, 48, 16, 1, pr.-14 ; après
212 ap. J.-C.
Pr. La témérité des accusateurs se découvre de trois façons et elle est
soumise à trois peines : en effet, soit ils calomnient (calumniari), soit ils
prévariquent (praeuaricari), soit ils tergiversent (tergiuersari).
1. « Calomnier », c’est intenter de faux griefs (falsa crimina).
« Prévariquer », c’est cacher de véritables griefs (uera crimina).
« Tergiverser », c’est se désister d’une accusation dans son ensemble.
2. Aux calomniateurs est infligée la peine prévue par la loi Remnia. 3. Mais
celui qui ne prouve pas le grief (probare) qu’il a intenté ne doit pas être
considéré nécessairement et sur-le-champ comme ayant calomnié. En
effet, la recherche (inquisitio) d’une telle manoeuvre doit être remise à
l’arbitrage (arbitrium) de celui qui enquête (cognoscere) et qui, une fois que
le prévenu est absous (absolutus), commence à demander (quaerere) à
l’accusateur quelle a été son intention (consilium), et dans quelle
disposition d’esprit (mens) il a été conduit à s’engager dans l’accusation. Et
s’il découvre (reperire) que son erreur est légitime, il l’absout. Si toutefois il
le prend en flagrant délit (deprehendere) de calomnie manifeste, il lui
inflige la peine conforme à la loi. 4. Le choix de l’alternative est rendu
explicite par les mots eux-mêmes du prononcé de la sentence
(pronuntiatio). S’il a prononcé en effet les mots, « tu n’as pas prouvé », il l’a
épargné (parcere). Si en revanche il a prononcé, « tu as calomnié », il l’a
condamné. Et quoique le juge n’ait rien ajouté au sujet de la peine,
cependant la puissance de la loi doit être exercée automatiquement contre
le calomniateur. En effet, comme l’a répondu Papinien, la recherche du fait
(facti quaestio) relève de l’arbitrage de celui qui juge, tandis que
la poursuite de la peine (poenae persecutio) n’est pas remise à sa volonté,
mais elle est réservée à l’autorité de la loi. 5. On a pu se demander, si
le juge ayant porté une sentence interlocutoire en ces termes, « Lucius
Titius paraît avoir accusé à la légère », on devait considérer en vertu du
prononcé d’un tel arrêt qu’il s’agissait d’un calomniateur (calumniator) ?
Selon Papinius, la témérité donne accès au pardon (uenia) que suscite
la faiblesse, dans la mesure où une impétuosité inconsidérée ne relève pas
du vice que constitue la calomnie. 6. Le prévaricateur (praeuaricator),
comme nous l’avons montré, est celui qui s’entend frauduleusement
(colludere) avec le prévenu (reus) et qui accomplit avec une négligence
délibérée la charge d’accuser (munus accusandi) parce qu’il dissimule
les preuves (probationes) dont il dispose, tout en admettant les fausses
justifications (falsae excusationes) du prévenu. 7. Si quelqu’un renonce à
l’accusation (ab accusatione desistere) avant d’avoir obtenu l’arrêt de
la poursuite (abolitio), il est puni. 8. L’arrêt de la poursuite est sollicité
(postulare) à titre privé et s’obtient auprès des gouverneurs : devant
le tribunal et pas en dehors. Et si ce <requérant> n’est pas présent, il ne
peut pas confier à une autre personne cette enquête (cognitio). 9. Si
plusieurs griefs ont été portés, l’accusateur doit demander (petere)
un arrêt de la poursuite pour chacun d’entre eux séparément, sans quoi,
selon chaque charge qu’il aura abandonnée (amittere), qu’il endure, au titre
qui est le sien, la peine prévue par le sénatus-consulte. 10. Si quelqu’un
intente une accusation, alors qu’il pouvait en être dispensé par
une prescription, par exemple une accusation d’adultère intentée contre
un homme, après les cinq années consécutives qui ont suivi le jour où a
été commis l’adultère, ou contre une femme, dans les six mois utiles qui
ont suivi le jour du divorce, s’il s’est désisté, doit-il être puni (plectere) ?
Voilà un joli cas ouvert au doute. D’un côté, on serait enclin à penser que
l’accusation devient presque inexistante lorsqu’elle est écartée, quelles
que soient les circonstances, en raison de la durée qui s’est écoulée ou du
vice qui n’affecte plus la personne, et qui assure au prévenu toute sécurité
contre la crainte et le danger. De l’autre, on est enclin à penser que, quelle
que soit l’accusation qui a été portée, ce n’est que par l’autorité de celui
qui enquête (cognoscere), et non par la volonté de celui qui accuse
(accusare) qu’elle doit être abolie et que l’on peut considérer comme digne
d’une haine plus grande, celui qui a engagé à la légère une accusation
aussi mauvaise. Par conséquent, il est plus vrai de considérer que celui
dont nous parlons doit tomber sous le coup du sénatus-consulte. Et
pourtant, Papinien a répondu que la femme qui n’était pas admise pour
une accusation (accusatio) de faux (falsum), parce qu’elle ne poursuivait
(persequor) pas une atteinte (iniuria) envers elle-même ou envers les siens,
si elle se désistait, n’était pas punie en vertu du sénatus-consulte
Turpilianum. Aurait-il répondu de la même façon dans d’autres cas
semblables ? Entre la faiblesse du sexe (sexus infirmitas), l’infériorité du
statut, ou l’échéance du délai, quelle différence fait-on pour que quelqu’un
ne soit pas admis à une accusation, quelle qu’elle soit ? Il faut d’autant
plus écarter la peine prévue par le sénatus-consulte dans les cas qui
précèdent que l’accusation intentée par la femme, en réparation de sa
propre affliction (dolor), a pu avoir un effet, tandis qu’il est vrai que
l’accusation intentée par les autres n’a pas d’autre impact que le son de
la voix. Et pourtant, le même Papinien a écrit ailleurs qu’il n’était pas
possible d’accuser d’adultère en même temps, l’homme et la femme. Mais
que si le même accusateur a dénoncé en même temps l’un et l’autre, il doit
demander un arrêt de la poursuite (abolitio) envers l’un et l’autre, sans
quoi il tombe sous le coup de ce sénatus-consulte. Cependant, si l’on veut
aller plus loin, en quoi cela importe que l’accusation ne soit pas déclarée
valide en raison des causes précitées, ou qu’elle ne puisse être maintenue
en raison du nombre des personnes accusées ? Quelle distinction peut-on
faire entre quelqu’un qui aurait la pleine capacité d’accuser (facultas
accusandi), et qui serait pourtant tenu écarté de l’accusation en raison de
l’union des personnes, et quelqu’un auquel ne saurait appartenir
la capacité d’accuser en stricte logique ? C’est pourquoi on doit dire avec
raison que tous <les accusateurs>, à l’exception de la femme et du mineur,
sauf s’ils ont demandé un arrêt de la poursuite, tombent sous le coup de ce
sénatus-consulte. 11. L’accusation d’un tuteur suspect ne peut être
examinée que devant le tribunal. Et au sujet d’une enquête (quaestio) de ce
genre, nul autre que le gouverneur ne peut prononcer un arrêt
(pronunciare). Et cependant, celui qui abandonne une telle <poursuite>
n’est pas tenu par le sénatus-consulte. 12. De même, s’il est dit (dicere) que
quelqu’un est tombé sous le coup du <sénatus-consulte> Turpilien,
une telle affaire relève de la compétence (notio) du gouverneur. Et
cependant, la contrainte (coercitio) du sénatus-consulte n’intervient pas
contre celui qui abandonne (desertor) <une telle poursuite>. Quant à celui
qui dit que quelqu’un est tombé sous le coup de ce sénatus-consulte, ce
n’est pas un accusateur. 13. Tombe sous le coup de ce sénatus-consulte
celui qui dépêche (summittere) un accusateur, ou qui le pousse <à agir>
(instigare), ou qui charge quelqu’un par mandat (mandatum) d’intenter
une accusation capitale (accusatio capitalis), en lui fournissant les preuves
(probationes) et en produisant (allegare) les accusations. Et c’est à juste
titre : car en refusant d’assumer l’accusation (crimen) qu’il a mise en branle
et en éloignant de soi le danger de la calomnie (calumnia) ou de l’abandon
(desertio), il doit à juste titre être soumis <lui aussi> à la peine à laquelle
s’exposent celui qui calomnie ou celui qui abandonne, à moins que
l’accusateur suborné (subornatus) ne prouve l’accusation (crimen) qu’il s’est
chargé de soutenir. Et il importe peu qu’il ait mandaté (mandare)
l’accusation de lui-même ou par <le mandant> un tiers. Il est vrai que celui
qui s’est employé par son service (ministerium) à mandater une accusation
est puni non pas en vertu des termes eux-mêmes, mais de l’esprit
(sententia) du sénatus-consulte, comme l’a répondu Papinien. En effet,
l’accusateur qui a été dépêché doit être puni (plectitur) également par
le même sénatus-consulte, c’est-à-dire, qu’il est puni (punitur) en raison du
seul fait qu’il a accepté le service (ministerium) de la peur (timor) d’un
autre. 14. Un prévenu condamné a fait appel (prouocare). Ensuite
l’accusateur s’est desisté : est-ce qu’il tombe sous le coup de ce sénatus-
consulte ? Il paraît à peu près y être tombé : parce que par le remède de
l’appel (prouocatio), le prononcé (pronunciatio) de la condamnation est
éteint (exstinguere).

*
* *

Avec le développement des « tribunaux d’enquête » (quaestiones)


constitués de jurés – ils sont également appelés « jugements publics »
(iudicia publica) – au dernier siècle de la République et avec
l’épanouissement d’une procédure accusatoire – devant ces tribunaux,
le juge responsable de la conduite de l’instance veillait seulement au
fondement de la plainte déposée par l’accusateur, lequel menait ensuite
lui-même la poursuite – était apparue la nécessité d’encadrer l’activité
des accusateurs et de les soumettre à une punition au cas où ils auraient
engagé une accusation « de mauvaise foi ». Une telle garantie pour le bon
déroulement de la procédure s’imposait d’autant plus que l’existence de
« récompenses » (praemia) accordées à l’issue d’une action victorieuse
contre un accusé – honorifiques à l’époque républicaine, elles devinrent
systématiquement patrimoniales sous l’Empire [RIVIÈRE 2002, p. 425-494] –
pouvait stimuler de fausses accusations et d’autres formes de trafic, telle
la collusion avec la défense pour faire échouer la procédure en échange
d’un bénéfice.

La calomnie : l’esprit de chicane ou l’accusation


infondée

Le crime de calomnie (calumnia), en premier lieu, est déjà


explicitement mentionné dans la loi sur la concussion (lex repetundarum)
de 123 av. J.-C. [CRAWFORD 1996, I, p. 67, l. 19]. L’accusateur devait
notamment « s’engager par serment » (deiurare) à ne pas intenter
une action (postulare) fondée sur un faux grief (calumniae causa), pour que
le juge puisse enregistrer ensuite l’accusation. Ce risque de faux grief était
aussi celui qui avait été identifié le plus anciennement dans le cadre de
la procédure privée, comme paraît en témoigner son étymologie même.
Le substantif calumnia est en effet formé sur le participe calumnus (tombé
en désuétude) du verbe rare et archaïque, caluor, seulement conservé dans
la langue du droit, et qui signifie « chicaner », « tromper » [ERNOUT-MEILLET
2001, p. 88]. Cette étymologie, admise par les modernes, avait déjà été

proposée par le juriste Gaius [HUMBERT 2018, p. 80] :

Pr. Si l’on chicane (caluor), si l’on retarde (morari), et si l’on trompe


(frustrari). C’est de là que les calomniateurs (calumniatores) tirent
leur nom, parce qu’ils attaquent (uexare) les autres dans des procès
(lites) par fraude (fraus) et par tromperie (frustratio). C’est de là
également que vient le mot chicane (cauillatio). (Gaius, Commentaire
à la Loi des Douze tables, extrait du livre unique = Digeste, 50, 16, 233,
pr.)

Et c’est sous la plume du même juriste (Institutiones, 4, 178) qu’apparaît


l’élément constitutif de la calomnie, à savoir « l’intention » de nuire, qui
perdurera jusqu’à l’époque sévérienne, et qui remonte sans doute à
la procédure privée la plus ancienne dont s’est inspirée ensuite
la procédure accusatoire dans le domaine criminel : « la calomnie, comme
l’accusation de vol (furti crimen), réside en effet dans l’intention
(adfectus) ». Au dernier siècle de la République, peut-être en 92 av. J.-C.,
la calomnie avait fait l’objet d’une loi (elle est encore mentionnée par
Marcien) proposée par le tribun Remnius (il s’agit de la lex Remnia de
calumniatoribus), qui infligeait l’infamie au calomniateur. Du point de vue
procédural, il faut supposer qu’une fois l’absolution de l’accusé prononcée
par le tribunal, ce dernier engageait alors contre l’accusateur
une poursuite pour calomnie en cas de soupçon [DAVID 1992, p. 101-105].

La praeuaricatio ou la collusion entre les parties

Quant à la praeuaricatio, elle réside essentiellement dans


la « collusion » entre l’accusateur et l’accusé. À la différence de « l’esprit
de chicane » manifesté par la calumnia, ce grief n’était pas apparu dans
le cadre de l’action privée, mais avec le développement des tribunaux de
jurés chargés de poursuites criminelles (quaestiones ou iudicia publica).
La loi sur la concussion (lex repetundarum) est également le premier
document à mentionner ce crime procédural (CRAWFORD 1996, I, p. 70-71,
l. 55-56). Lorsqu’elle était établie, la collusion entre l’accusé et l’accusateur
annulait l’acquittement, et la poursuite pouvait alors être rouverte. Mais
les règles de la procédure permettaient d’agir en amont du procès au
moment de la diuinatio, c’est-à-dire au moment où les accusateurs
rivalisaient entre eux devant le juge et le consilium qui constituaient
la quaestio pour établir lequel était le plus apte à mener la poursuite, ou
celui qui était le moins proche de l’accusé pour écarter le risque de
collusion. Un célèbre discours de Cicéron, la Diuinatio in Caecilium (70 av. J.-
C.), expose l’argumentation qui a conduit l’orateur à remporter le droit
d’accuser Verrès, face à Q. Caecilius Niger qui avait été questeur de ce
dernier lors de sa préture en Sicile. Cet homme de paille faisait alors figure
de « faux accusateur » (falsus accusator) (Cicéron, In Caecicilium, 29). À
la différence de la calumnia réprimée par la loi Remnia mentionnée ci-
dessus, la praeuariatio ne fit pas l’objet d’une mesure légale spécifique
définissant précisément une peine [DAVID 1992, p. 106-110]. Néanmoins, on
sait que dans les deux cas, le calumniator et le praeuaricator risquaient
l’infamie, comme l’illustre la table d’Héraclée (45 av. J.-C.) qui exclut de
l’exercice des magistratures parmi d’autres motifs de déchéance,
quiconque se serait rendu coupable de l’une de ces fautes devant
un tribunal :

Dans tous les municipes, colonies, préfectures, forum,


conciliabulum de citoyens romains, défense est faite de faire partie
du sénat, des décurions ou conscripti… à celui que l’on a ou que l’on
aura jugé coupable d’avoir accusé quelqu’un ou agi de quelque
manière par esprit de chicane ou d’avoir colludé avec l’accusé
(k(alumniae) praeuaricationis caussa). (Table d’Héraclée, LEGRAS 1907,
p. 27-28, l. 110-120 (trad.) et p. 107-141 = CRAWFORD 1996, I, p. 367,
l. 120)

La tergiuersatio ou l’abandon injustifié de l’accusation


La troisième faute de l’accusateur, selon le commentaire de Marcien,
consiste en l’abandon de l’accusation (tergiuersatio). Elle a été qualifiée
postérieurement aux deux précédentes, avec lesquelles elle se confondait
encore à la fin de la République. Il faudra attendre le Senatus consultum
Turpilianum de 61 ap. J.-C. pour que le crime de tergiuersatio soit constitué
[DAVID 1992, p. 112-114] : l’accusateur était sanctionné pour tout
désistement assimilé à un abandon (desertio) trahissant sa légèreté ou sa
mauvaise fois initiale, à moins évidemment que le juge n’ait accordé
un arrêt officiel (abolitio) de la procédure.
En 61 ap. J.-C., donc, à l’initiative du consul P. Petronius Turpilianus
(PIR2 P 315), le sénat décréta qu’il fallait condamner l’accusateur qui aurait
abandonné une accusation sans raison. L’existence même et le contenu de
ce Senatus consultum Turpilianum sont connus grâce aux deux ouvrages de
commentaires qu’en firent les juristes Paul et Marcien à l’époque
sévérienne. C’est l’œuvre de ce dernier qui prédomine dans le titre du
Digeste qui lui est consacré. Elle reflète l’état des règles visant à encadrer
la procédure accusatoire à l’âge classique, telles qu’elles ont prévalu
depuis la fin de la République, et alors même que se dessinent
les évolutions qui conduiront à une nouvelle conception de la répression
de la calumnia, de la praeuaricatio et de la tergiuersatio dans l’Antiquité
tardive [MER 1953]. Chez Marcien prédomine en effet la conception
ancienne de la calumnia qui suppose non seulement que l’accusation a été
lancée, non seulement sans fondement, mais également avec mauvaise foi.
L’élément intentionnel est donc fondamental : l’échec de l’accusation ne
suffit pas à établir le crime de calumnia, il faut que l’on puisse identifier
chez l’accusateur une intention dolosive [LAURIA 1934, p. 110]. Et pourtant,
le fait même que Marcien repousse l’idée de désigner comme
calomniateur celui qui simplement ne parviendrait pas à établir
l’accusation signifie bien que ce juriste n’ignore pas cette conception
« objective » d’appréciation de la faute, affranchie de toute évaluation de
l’intention de nuire ou de la mauvaise foi de l’accusateur. Sans doute se
répandait-elle déjà dans la pratique des tribunaux à son époque [MER 1953,
p. 415 et n. 2 et p. 418-419]. Une telle conception était d’ailleurs apparue
chez les rhéteurs un siècle plus tôt : « Celui qui a accusé de meurtre
(caedes) un prévenu (reus) et ne l’a pas fait condamner, doit être puni »
(Quintilien, Déclamations mineures, 313) [LANFRANCHI 1938, p. 560-566]. Mais
ce n’est qu’à partir de Constantin, comme on le verra plus bas, que
la condamnation de l’accusateur découlera automatiquement de son
échec à prouver l’accusation [MER 1953, p. 423] (R17).
16

Torture et recherche de la vérité sous


e e
l’Empire (II -IV siècles)

Ulpien, Sur la fonction du proconsul,


extrait du livre 8, fr. 2209 Lenel = Digeste,
48, 18, 1, pr.-27 ; entre 212 et 217 ap. J.-C.
Pr. Pour découvrir les crimes (crimina eruere) on emploie
généralement la question (quaestio). Mais à partir de quel moment et
jusqu’à quel instant on doit le faire, examinons-le. Le divin Auguste a
établi qu’il ne faut pas recourir d’emblée aux instruments de tortures
(tormenta) et qu’il ne faut d’ailleurs pas toujours accorder foi à la question,
ce qui est également contenu dans une lettre du divin Hadrien adressée à
Sennius Sabinus. 1. Les termes de ce rescrit sont les suivants : « Il faut en
venir aux tortures des esclaves, seulement lorsque l’accusé (reus) devient
suspect et que l’on approche à ce point de la démonstration (probatio) par
d’autres preuves (argumenta), si bien que seul l’aveu (confessio) des esclaves
semble faire défaut ». 2. Le divin Hadrien a répondu de la même façon par
un rescrit à Claudius Quartinus et dans ce rescrit il fait entendre ceci : il
faut commencer par interroger la personne la plus suspecte et par
laquelle le juge aura estimé qu’il est le plus aisé de pouvoir connaître
le vrai (uerum scire). 3. Ne doivent pas être conduites à la question
les personnes que l’accusateur a fournies en provenance de sa maison (de
domo sua) et il ne faut pas croire facilement celle qui y est soumise et que
les deux parents sont supposés avoir eue pour fille aimée, comme
le proclame un rescrit émis par les divins frères à l’adresse de Lucius
Tiberianus. 4. Ils ont répondu de la même façon par un rescrit adressé à
Cornelius Proculus qu’il ne faut pas accorder foi de toute force à ce qui est
établi par la question d’un seul esclave, mais qu’il faut examiner l’affaire
par des preuves (argumenta). 5. Le divin Antonin et le divin Hadrien ont
répondu par un rescrit à Sennius Sabinus, alors même que des esclaves
paraissaient avoir exporté de l’or et de l’argent <hors de l’Empire>,
ensemble avec leur maître, qu’ils ne devaient pas être soumis à
un interrogatoire (interrogare) au sujet du maître, ni même si, de leur
propre chef, ils déclarent quelque chose susceptible de porter préjudice à
ce maître. 6. Les divins frères ont répondu dans un rescrit à Lelianus
Longinus que pour ce qui concerne l’esclave appartenant aux héritiers, il
ne devait pas être soumis à la question au sujet des choses héréditaires,
quand bien même l’on soupçonne que l’héritier a cherché à fonder son
droit de propriété (dominium) concernant cet esclave sur une vente
imaginaire. 7. Comme l’attestent de très nombreux rescrits, l’esclave au
service des municipes peut être mis à la torture (torqueri) dans
une poursuite capitale contre des citoyens (in caput ciuium), puisqu’il s’agit
d’un esclave appartenant non à ces derniers, mais à l’État (Res publica). Il
en va de même de tous les autres esclaves au service des collectivités : on
ne considère pas en effet un tel esclave comme appartenant à chacun
des membres individuellement, mais à la collectivité dans son ensemble.
8. Si un esclave se place de bonne foi à mon service, même si je n’ai pas sur
lui de droit de propriété, on peut considérer qu’il ne doit pas être torturé
en cas de poursuite capitale qui serait intentée contre moi (in caput meum).
Il en va de même au sujet d’un homme libre qui exerce un service de
bonne foi. 9. Il a également été établi qu’un affranchi ne doit pas être
torturé, en cas de poursuite capitale intentée contre le patron (in patroni
caput). 10. Notre empereur a répondu avec son divin père dans un rescrit
qu’un frère ne peut être torturé en cas de poursuite capitale intentée
contre son frère, en y ajoutant cette raison que l’on ne doit pas soumettre
à la torture celui-là même qui, par ailleurs, ne peut pas être forcé de
porter un témoignage contre son gré à l’encontre de ce frère. 11. Le divin
Trajan a répondu, dans un rescrit adressé à Servius Quartus, que l’esclave
du mari peut être torturé en cas de poursuite capitale contre l’épouse.
12. Il a répondu de même à Mummius Lollianus que les esclaves d’un
condamné, dans la mesure où ils ont cessé de lui appartenir, pouvaient
être soumis à la torture contre ce dernier. 13. Selon un rescrit du divin
<Antonin le> Pieux, si un esclave a été affranchi dans le simple but qu’il ne
soit pas soumis à la torture, il peut être torturé pourvu qu’il ne soit pas
torturé contre son maître dans une cause capitale. 14. Quant à celui qui
appartenait à un tiers au moment où l’instruction (cognitio) a été engagée,
bien qu’il soit devenu ensuite propriété de l’accusé, il peut être torturé
contre ce dernier même s’il encourt une condamnation capitale, comme
l’ont répondu les divins frères dans un rescrit. 15. Si quelqu’un déclare
que l’esclave a été acheté en dehors de toute forme légale, il ne pourra pas
être torturé, avant qu’on ait établi l’absence de validité de la vente,
comme l’ont répondu dans un rescrit notre empereur et son divin père.
16. De même <Septime> Sévère a répondu à Scipius Antigonus par
un rescrit rédigé en ces termes : « Puisque la question ne doit pas être
appliquée aux esclaves contre leurs maîtres, et que, si cela s’est produit,
cela ne doit en rien dicter l’avis (sententia) de celui qui informe
la délibération (consilium), a fortiori les dénonciations (indicia) des esclaves
contre leurs maîtres ne doivent en aucun cas être admises ». 17. Le divin
Sévère a répondu dans un rescrit qu’il ne convenait pas de tenir les aveux
(confessiones) des accusés pour des crimes (facinora) en cours d’enquête
(explorare) si aucune démonstration de la preuve (probatio) n’informe
l’attention scrupuleuse (religio) de celui qui instruit l’affaire. 18. Alors
qu’un individu s’apprêtait à baisser le prix d’un esclave, pour que l’esclave
soit soumis à la torture contre son maître, notre empereur et son divin
père n’ont pas admis cette manœuvre. 19. Si des esclaves ont été soumis à
la torture contre eux-mêmes sous prétexte d’avoir pris part à un crime
(sceleris participes) et qu’ils ont prononcé au sujet de leur maître des aveux
devant le juge, le divin Trajan a répondu dans un rescrit que ce dernier
devait en conséquence prononcer <une sentence> (pronuntiare) comme
la cause l’exige. Un tel rescrit montre que les maîtres peuvent être
accablés par l’aveu des esclaves. Mais les constitutions postérieures
montrent qu’elles s’écartent de ce rescrit. 20. Dans une affaire relative aux
tributs, qui, personne n’en doute, sont les nerfs de l’État, la conscience du
danger qui expose l’esclave complice (conscius) de la fraude (fraus) à
la peine capitale (poena capitalis) renforce sa déclaration (professio).
21. Celui qui s’occupera de la question ne doit pas demander <en cours
d’interrogatoire> (interrogare) de manière ciblée si Lucius Titius a commis
un homicide, mais de manière générale qui a commis un tel acte. Sans
quoi, en effet, il paraîtrait formuler une suggestion (suggerire) plutôt que
de rechercher une information (requirere). Tel est le sens d’un rescrit du
divin Trajan. 22. Le divin Hadrien a répondu dans ces termes à Calpurnius
Celerianus : « Agricola, l’esclave de Pompeius Valens peut être interrogé
(interrogari) pour ce qui le concerne. Si, alors qu’il est soumis à la question,
il en dit plus, il s’agit là d’une dénonciation (indicium) à charge du prévenu
et non d’une faute commise en cours d’interrogatoire (interrogatio).
23. Les constitutions s’accordent à déclarer qu’il ne faut pas « toujours »
avoir foi dans la question, ce qui toutefois ne veut pas dire « jamais ».
Le fait est qu’il s’agit d’une affaire délicate et risquée qui peut faire
échapper la vérité. Un grand nombre en effet par leur capacité
d’endurance ou par leur résistance physique aux tortures en viennent à
mépriser les tortures si bien que l’on ne peut en aucune façon faire sortir
d’eux la vérité. Chez d’autres à l’inverse, l’incapacité à endurer est telle
qu’ils préfèrent n’importe quel mensonge plutôt que de souffrir
les tortures. Il arrive ainsi qu’ils profèrent des aveux (fateor) en tous sens
de telle sorte qu’ils menacent non seulement eux-mêmes mais également
les autres. 24. En outre, on ne doit pas se fier à la question infligée aux
ennemis personnels. Ce qui ne veut pas dire que sous prétexte d’inimitié
personnelle il ne faut accorder aucune foi à la question. 25. Ce n’est que
lorsque l’affaire a été instruite (causa cognita) que l’on sait s’il faut avoir
confiance ou non. 26. Lorsque quelqu’un a livré des brigands (latrones),
certains rescrits portent qu’il ne faut pas avoir confiance <dans les
dépositions de> ces derniers contre ceux qui les ont livrés. D’autres
rescrits qui traitent plus abondamment de la matière disposent cependant
qu’il ne faut pas absolument rejeter toute confiance dans leurs
déclarations, comme on a coutume de le faire en la personne d’autres
prévenus. Mais que l’on estime, une fois l’affaire instruite (causa cognita),
s’il faut accorder foi ou non. Un grand nombre en effet, dans la crainte que
ceux qui ont été arrêtés (apprehensi) ne révèlent éventuellement leurs
noms (nominare), ont coutume de les trahir (prodere) afin naturellement de
recevoir pour eux-mêmes l’impunité (impunitas). C’est pourquoi il ne faut
pas croire facilement ceux qui dénoncent (indicare) ceux-là mêmes qui
les ont trahis (proditores). Dans tous les cas, il ne faut ni accorder
indistinctement l’impunité (impunitas) aux auteurs de telles trahisons
(proditiones), ni négliger l’excuse (adlegatio) de ceux qui déclarent qu’ils ont
été chargés (onerati) pour cette raison précisément qu’ils ont eux-mêmes
trahi ceux qui les chargent. Et on ne saurait en effet tenir pour invalide
la preuve du mensonge (mendacium) ou de la calomnie échafaudée
(calumnia instructa) contre eux. 27. Si quelqu’un prend les devants en
avouant (fateor) le crime (maleficium), il ne faut pas toujours avoir
confiance en lui. Parfois en effet, soit par crainte, soit pour un autre motif,
ils livrent dans l’affaire des aveux (confiteor) contre eux-mêmes. Une lettre
des divins frères <Lucius Verus et Marc Aurèle> adressée à Voconius Saxa,
selon laquelle il faut libérer celui qui aura avoué contre lui-même et dont
on aura établi l’innocence après sa condamnation, fait foi. En voici
les termes : « c’est avec prudence et selon un principe d’humanité
remarquable que tu as agi, très cher Saxa, en condamnant l’esclave
Primitivus que l’on soupçonnait de s’être accablé <du crime> d’homicide
par crainte d’être redonné à son maître et alors qu’il persévérait dans sa
fausse affirmation (falsa demonstratio) de manière à poursuivre l’enquête
au sujet de ses complices (conscii) qu’il affirmait faussement également
avoir eus et pour que tu parviennes ainsi à un aveu plus certain que celui
qu’il avait fourni contre lui-même. Et qu’une décision aussi prudente n’a
pas été prise en vain, puisqu’il a été établi par les tortures que ceux qu’il
déclarait être ses complices ne l’étaient pas et qu’il avait agi à la légère en
proférant de fausses affirmations sur lui-même. C’est pourquoi tu peux
faire grâce du décret et ordonner qu’il soit vendu par ton service (per
officium), en y ajoutant cette condition, qu’il ne soit jamais replacé sous
la puissance de son maître lequel, nous en sommes certains, lorsqu’il aura
touché le montant de cette vente, acceptera de bon gré d’être privé d’un
tel esclave ». Cette lettre fait comprendre que si un esclave semble avoir
été condamné et qu’il est ensuite rétabli dans sa condition première
(restitutus), il reviendra dans la propriété de celui auquel il appartenait
avant d’avoir été condamné. Cependant, le gouverneur de province n’a pas
le pouvoir de rétablir celui qu’il a condamné, puisqu’il n’a même pas
le pouvoir de revenir sur une sentence prononcée par lui-même et portant
sur la fortune (pecuniaria sententia). Dès lors, comment procéder ? Il faut
qu’il écrive au prince lorsque le principe de l’innocence (innocentia) de
celui qui semblait coupable (nocens) a été par la suite établi.

*
* *
Les indications relatives aux interrogatoires (quaestiones) énumérées
par Ulpien à l’adresse des gouverneurs constituent un véritable « mode
d’emploi » de la torture judiciaire, essentiellement fondé sur
un assemblage de rescrits impériaux qui s’échelonnent du règne de Trajan
(98-117) jusqu’à celui de Caracalla (211-217). Cette collecte de textes
d’époque antonine et sévérienne est précédée du rappel, en guise
d’ouverture du propos, d’un édit d’Auguste – il s’agit sans doute du même
édit que celui mentionné par Paul (Digeste, 48, 18, 8) dans son
commentaire à la loi sur l’adultère : « les crimes capitaux et atroces ne
peuvent être recherchés et découverts autrement que par la torture
des esclaves » [THOMAS 1986, p. 97, n. 29]. Or la fondation du Principat, au
terme d’un siècle de guerres civiles, et les transformations de la justice
sous le règne du premier empereur constituent précisément une rupture
essentielle dans l’histoire de la procédure criminelle, tout
particulièrement dans le domaine du recours à la torture des esclaves, lors
d’une poursuite capitale intentée contre leurs maîtres. Les membres de
la domesticité étaient évidemment les mieux placés pour devenir
des informateurs essentiels, soit en se transformant en dénonciateurs
pour recevoir la liberté en récompense de leurs révélations [SCHUMACHER
1982 ; RIVIÈRE 2002, p. 314-334], soit en étant exposés à la torture durant
le déroulement de la procédure. Cette menace que faisait peser sur
les classes dirigeantes leur propre domesticité sous les règnes les plus
tyranniques – en l’occurrence celui de Caligula (37-41 ap. J.-C.) – a conduit
Flavius Josèphe (Antiquités Judaïques, 19, 4, 4) à forger le terme de
doulocratie ou de « pouvoir des esclaves ».

L’avènement du Principat et l’introduction


de la torture des esclaves contre leurs maîtres

C’est en 8 av. J.-C. que, pour la première fois, des prévenus auraient été
contraints de vendre leurs esclaves pour que ces derniers, devenus
étrangers à la familia de leur maître, puissent être légalement torturés,
afin de recueillir des aveux à charge :

Mais lorsque, considérant qu’il n’était pas permis de mettre


un esclave à la torture pour l’interroger contre son maître, il
ordonna que, toutes les fois qu’on aurait besoin d’employer ce
moyen, l’esclave fût vendu au domaine public ou à lui-même, afin
que, devenu étranger à l’accusé, il pût être mis à la question, cela
fut blâmé par les uns comme une disposition qui, par ce
changement de maître, renversait les lois, et accueilli par les autres
comme une nécessité, attendu les nombreux complots tramés
contre le prince lui-même et contre les magistrats. (Dion Cassius,
55, 5, 4, trad. E. Gros)

À l’époque républicaine, une telle pratique était inconcevable – sauf


exceptionnellement pour les crimes les plus graves menaçant la survie ou
l’ordre de la cité elle-même, à savoir en cas d’inceste de la vestale, de
conjuration ou d’incendie – et encore, dans ce dernier cas, sans doute
les serviteurs sont-ils torturés en tant que complices ou participants à
la commission de l’acte, plutôt que comme témoins à l’encontre de leurs
maîtres. Dans le cadre de la procédure accusatoire, bien sûr, l’une
des parties pouvait demander la mise à la torture des esclaves, comme
l’atteste le procès contre Milon en 52 av. J.-C. (R10), mais elle ne pouvait
pas en principe l’imposer. C’est que la torture de l’esclave in caput domini,
c’est-à-dire contre la vie même de son maître, alors que ce dernier
encourait une exécution capitale, ouvrait non seulement une brèche dans
la sphère domestique en portant atteinte au principe d’obéissance
des serviteurs et au respect de la propriété du maître, mais elle brisait de
surcroît l’immunité du citoyen devant le tribunal [THOMAS 1998, p. 479-
480]. Sur le plan de la morale politique et judiciaire, une telle pratique a
d’abord constitué un scandale. Jusqu’au IIIe siècle, elle continue donc d’être
réprouvée en principe comme l’attestent les rescrits impériaux sur
lesquels Ulpien fonde son propre raisonnement. Le subterfuge découvert
par Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.) (Macrobe, Saturnales, 1, 11, 7) et
notoirement attesté à l’occasion des poursuites de lèse-majesté sous
Tibère (14-37 ap. J.-C.) (Tacite, Annales, 2, 30, 3), à savoir la vente
contrainte ou l’achat par le fisc des esclaves, pour que ceux-ci deviennent
étrangers au maître et puissent être légitimement torturés, était assez
grossier pour être considéré comme un abus de pouvoir. Cependant on
voit se glisser au travers des rescrits impériaux d’époque antonine et
sévérienne d’autres contournements de la norme plus subtils ou plus
discrets. L’ambivalence de Trajan (98-117) (Digeste, 48, 18, 1, 19) est
révélatrice : on ne peut contraindre un esclave à dénoncer son maître,
reconnaît l’empereur, mais on ne peut empêcher qu’il dévoile
les complices d’un crime parmi lesquels le maître lui-même peut compter.
Hadrien (118-137) suit la même voie (Digeste, 48, 18, 1, 22). Antonin
le Pieux (137-161) quant à lui, afin d’empêcher un citoyen d’affranchir à
temps un esclave pour qu’il ne soit plus considéré comme un « serviteur »
exposé à la torture (la pratique était courante à l’époque républicaine),
décide de considérer un tel affranchissement comme une fraude (Digeste,
48, 18, 1, 13). Un rescrit de Septime Sévère (193-211) (Digeste, 48, 18, 1,
16) laisse bien entrevoir les contournements fréquents d’un principe qu’il
réprouve, en prescrivant que le juge ne tienne pas compte du résultat de
la torture des esclaves contre leur maître si d’aventure une telle entorse
au cours normal de la procédure se serait produite. La citation de ce
rescrit inséré dans le commentaire d’Ulpien mérite d’être confronté par
ailleurs aux quelques lignes qui en ont été retenues dans le Code de
Justinien, en permettant de mesurer l’écart entre les deux versions de ce
même texte. C’est un des rares cas où la consigne de l’empereur Justinien
d’éviter les doublets entre les constitutions citées dans les traités de
jurisprudence conservées dans le Digeste et les rescrits directement cités
par le Code n’a pas été respectée, sans doute par inadvertance [CORCORAN
2016, p. CV]. Dans le premier cas, c’est Ulpien lui-même qui a procédé à
un premier découpage sans gommer la contradiction manifeste au
principe énoncé et qui pourrait advenir en pratique (si d’aventure
un esclave a été torturé contre son maître… le juge ne doit pas néanmoins
tenir compte du résultat obtenu !), dans le second, les compilateurs du
Code de Justinien ont passé sous silence une telle possibilité, et semblent
avoir conservé une version du texte beaucoup plus articulée :

Les empereurs <Septime> Sévère et Antonin <Caracalla>, Augustes,


à Spicius Antigonus :
Pr. Il ne convient pas de pratiquer la torture (quaestio) des esclaves
à l’encontre de leurs maîtres, à l’exception des poursuites
d’adultère (adulterii crimina), des accusations relatives à la fraude
dans la déclaration des fortunes (census), et à l’exception d’une
poursuite de majesté (crimen maiestatis), car celle-ci touche au salut
du prince (salus principis). 1. Quant aux autres causes, quoi qu’ait
dit l’esclave contre son maître, ceux qui sont amenés à prononcer
un jugement ne doivent pas élaborer leur sentence à partir de là ;
toutefois, si l’on recherche par d’autres preuves (probationes)
la vérité la plus fiable, tout rejet de cette règle disparaît.
2. Cependant, pour ce qui concerne les causes pécuniaires, sauf en
l’absence de preuves, il est évident que les esclaves ne peuvent pas
être interrogés contre leur maître.
Affichée le jour des calendes de janvier sous le consulat de Dexter
er
et de Priscus. (Code de Justinien, 9, 41, 1, pr.-2 ; 1 janvier 196)

Généralisation de la torture des hommes libres


(accusés, témoins, accusateurs) sous l’Empire
Dès les premières années du Principat également, et d’abord dans
la sphère du crime de lèse-majesté, il était devenu possible de mettre à
la torture un homme libre. Ce principe fut pleinement assumé à la fin du
e
III siècle, quel que fût le rang du prévenu : « en matière de lèse-majesté,

aucune dignité n’est indemne des instruments de torture (tormenta) »


(Sentences de Paul, 5, 29, 3). À la même époque les témoins eux-mêmes y
sont exposés : « pour les crimes de lèse-majesté qui touchent à
la personne du prince, tous les témoins, sans exception, doivent être
torturés, si leurs témoignages sont requis et si l’affaire l’exige » (Arcadius
Charisius, Des témoins = Digeste, 48, 18, 10, 1) (R14) [THOMAS 1998, p. 486-
487]. Une telle possibilité est clairement exprimée dans la législation de
Constantin (R12e-17) et de ses successeurs, dans un langage très cru
parfois et qui ne dissimule en rien la brutalité de « la question ». Voici
encore l’extrait d’une loi de Constance II (337-361), datée de 358. Elle est
dirigée contre la magie et la divination, et prescrit les moyens de l’aveu :

Si celui qui a été confondu (conuictus) a résisté <à l’aveu> de son


propre crime devant ceux qui l’ont découvert (detegentibus) en
persistant à nier, qu’il soit livré au chevalet (eculeus) et que,
les griffes (ungulae) ayant labouré ses flancs, il endure
des souffrances (poenae) dignes de son propre crime. (Code
théodosien, 9, 16, 6)

La possibilité de torturer un témoin transparaît déjà dans un rescrit de


Caracalla cité par Ulpien, puisque la réticence exprimée au sujet de
la déposition d’un frère contre l’autre signifie précisément, hormis ce cas
de figure conforme à la limitation du témoignage entre membres d’une
même famille (R28), que la voie était ouverte à la torture testimoniale
dans d’autres cas (Digeste, 48, 18, 1, 17). Cette généralisation de la torture
contre les témoins reflète une évolution large, puisque l’on sait au travers
e
de la législation du IV siècle relative au crime de lèse-majesté et à d’autres
crimes apparentés que le juge pouvait incarcérer les témoins, mais
également l’accusateur lui-même, dont les dépositions devaient être
vérifiées et sondées pour examiner si elles ne pouvaient pas le cas échéant
ouvrir sur d’autres révélations. C’est ainsi que l’emploi de la torture a pu
déboucher sur des dénonciations en chaîne et conduire parfois la justice
de manière inéluctable sur de fausses pistes. Plusieurs récits d’Ammien
Marcellin constituent l’illustration très exacte des lois de la même époque
conservées dans le Code théodosien [RIVIÈRE 2002, p. 335-355 et 361-372].
Parmi ces scènes « de deuil et de lamentations » (luctus et lamenta),
des « enquêtes » (quaestiones) – un même terme désigne l’instruction et
son instrument indispensable – de l’année 356 au cours desquelles
« furent exposées aux souffrances (uexare) de nombreuses personnes, aussi
bien des coupables que des innocents » sont exemplaires (Ammien
Marcellin, 18, 3, 5). Tout commença par une accusation de pratiques
divinatoires à la cour qui apparurent aussitôt, comme ce fut le cas dès
le début du Principat et sans interruption par la suite (R33) comme
une menace d’usurpation. La torture devenait alors incontournable.
Certains des prévenus qui avaient résisté aux aveux en raison de leur
ignorance des faits et de leur endurance furent dédommagés, tel cet
officier, Valentinus, qui, considéré d’abord comme « complice » (conscius)
reçut bientôt le titre de dux d’Illyrie, en « réparation » (compensatio) du
« danger » (periculum) encouru pour sa vie et de « l’atteinte » (iniuria)
(R21), qui lui avait été portée !
La sphère de la lèse-majesté était depuis le commencement de
l’époque impériale le lieu d’expérimentation de nouveaux mécanismes de
procédure qui se sont étendus à d’autres crimes. À l’évidence, si ces
mécanismes étaient déjà présents durant la période antonine, en dépit de
leur mention plus discrète dans la jurisprudence et les rescrits impériaux
e
de cette époque, le III siècle paraît avoir constitué une période de
durcissement, certes difficile à apprécier en raison de la solution de
continuité introduite dans notre documentation, débouchant sur
le système pénal de l’Empire tardif. Le recours à la torture et au secret de
l’enquête a fini par gagner d’autres secteurs du droit criminel et à
s’appliquer couramment à d’autres poursuites que les atteintes à
la majesté impériale, ne serait-ce que parce que toute infraction au droit
impérial pouvait être interprétée comme une atteinte à celui qui en était
le garant, l’empereur lui-même. C’est en raison d’une telle évolution qu’il
faut comprendre les dispositions visant à protéger, par contrecoup,
les classes dirigeantes, car il a fallu « défendre les statuts privilégiés
contre cette banalisation de l’extraordinaire » [THOMAS 1998, p. 493].
17

L’accusation et sa réglementation à l’époque


de Constantin (306-337 ap. J.-C.)

Ia. (…) Il s’est avéré qu’un très grand nombre de personnes ont été
condamnées, non seulement dans leurs richesses (fortunae), mais encore
par une mise à mort (nex), que des peines ont parfois suivi une accusation
sans fondement (inanis accusatio), et que dans des affaires de ce genre,
aussi bien ceux qui sont accusés que ceux qui sont appelés au témoignage
(testimonium) ont été affectés par les souffrances les plus lourdes. Par
conséquent, tout en veillant à la sécurité de nos provinciaux, nous avons
prévu des remèdes qui n’écartent pas en toute circonstance l’accusateur
de la poursuite (iudicium). Mais en vérité, quiconque est sûr d’ajouter
des preuves (probationes) à ses allégations, qu’il dispose de la libre faculté
de se présenter devant le juge et qu’il dévoile par des indications (indicia)
évidentes (manifesta) celui qui est poursuivi pour un crime (commissum), de
sorte que, suivant la nature des faits, il soit dûment tiré vengeance
(uindicare) de celui qui a été convaincu (conuictus). Or si <l’accusateur> n’a
absolument pas pu prouver (comprobare) ce qu’il a allégué, il doit savoir
qu’il sera soumis à une sentence particulièrement grave (seuerior
sententia).
Ib. Assurément, si quelqu’un intente à l’encontre d’un autre
une accusation de majesté (maiestatis crimen), puisqu’un reproche
(obiectus) de ce genre ne protège absolument personne, quel que soit
le privilège de son rang, d’une enquête (inquisitio) particulièrement serrée,
qu’il sache qu’il devra lui aussi être soumis aux instruments de torture
(tormenta), s’il ne peut justifier son accusation par d’autres révélations
(indicia) ou preuves (argumenta) flagrantes. En effet, lorsqu’un individu
aussi téméraire est pris sur le fait (deprehendere), il faut qu’on lui arrache
par les instruments de torture, sur le projet (consilium) de qui et à
l’instigation (instinctus) de qui il semble avoir été conduit à l’accusation.
Ainsi vengeance (uindicta) pourra être tirée de tous les complices (conscii)
d’un crime (commissum) aussi grave.
II. Quant aux délateurs (delatores), tout le monde sait que la possibilité
même de se présenter devant le juge leur est interdite, aussi bien par
les règlements de nos parents que, de surcroît, par nos propres sanctions,
étant donné qu’aucune attention ne doit être accordée à des hommes de
ce genre, puisqu’il faut les soumettre à une peine en raison de l’audace
que constitue un tel crime (scelus).
III. En ce qui concerne les esclaves (serui) ou les affranchis (liberti) qui
essayent d’accuser ou de dénoncer (deferre) leurs maîtres ou leurs patrons,
nous avons jugé que la loi suivante, parce qu’elle renforce une disposition
de l’ancien droit, devait être respectée : il va de soi que la manifestation
d’une audace aussi affreuse doit être étouffée sur-le-champ, au
commencement du méfait (admissum) lui-même, par une décision du juge :
qu’aucune attention n’ayant été portée <à ses propos>, <que soit> attaché
à la poutre patibulaire (patibulum), celui qui se sera engagé dans un tel
acte de désespoir, servant d’exemple aux autres, afin qu’à l’avenir il ne se
présente personne d’une semblable audace.
IV. De même, afin que toutes les mesures soient prises pour la sécurité
des innocents, il paraît bon, en outre, de ne pas admettre les libelles
diffamatoires (libelli famosi). Ceux qui sont présentés sur des affiches sans
le nom de leurs auteurs, si quelqu’un en trouve, il doit sur-le-champ
les arracher et les déchirer, ou les détruire par le feu. À l’égard de ces
<libelles>, il faut en outre que le juge observe la disposition suivante : si
par hasard un tel libelle lui est parvenu, qu’il ordonne de le réduire
entièrement par le feu, puisqu’il faut écarter complètement de l’attention
du juge un écrit de ce genre. Que l’enquête (inquisitio) soit poursuivie
contre ceux qui ont eu l’audace de présenter des libelles de ce genre, de
sorte qu’une fois découverts, ils soient soumis aux peines (poenae) que
réclame leur témérité.
V. C’est pourquoi, au sujet de ces différents points, nous avons adressé
ces <documents> écrits à tous, aussi bien à nos préfets qu’en outre aux
gouverneurs, au rationalis et au magister rei priuatae. Le genre de loi et de
norme que contiennent les copies de ces <documents> jointes à un autre
de nos édits est explicité de façon détaillée.

*
* *

L’Edictum de accusationibus, selon la désignation latine donnée par


les modernes à ce document épigraphique exceptionnel, constitue un cas
d’école, tant pour la connaissance des mécanismes de la procédure
criminelle au commencement du IVe siècle, qu’au regard des modalités de
diffusion, de conservation et de transmission des constitutions impériales.
En effet, quelques lignes seulement de cette loi ont été conservées dans
les codes : le fragment inséré dans le Code théodosien (9, 5, 1) est en partie
reproduit dans le Code de Justinien (9, 8, 3), sous le titre, ici et là, relatif à
la loi Iulia sur la majesté. Or ces quelques lignes retenues par
les compilateurs ne constituent que l’une des dispositions du texte d’un
édit de portée plus large, connu pour l’essentiel par une inscription de
Lyttos en Crète (ICret, I, 188, 1 = CIL, III, 12034), laquelle peut être
complétée par au moins quatre autres fragments épigraphiques [FEISSEL
1995, p. 49-51]. Ces derniers proviennent de la partie orientale de
l’Empire : exemplaire de « Padoue » d’origine asiatique (CIL, V, 2781, 1-30) ;
Tlos (CIL, III, 12133) ; Sinope (AE, 1957, 158) ; Pergame [HABICHT-KUSSMAUL
1986]. Un autre fragment épigraphique (CIL, III, 578), découvert à Corfou
au XIXe siècle, disparu depuis, et généralement écarté de ce dossier,
reproduirait en partie quelques mots de la même loi – notamment
les premières lettres d’une titulature impériale jusqu’ici manquante.
La restitution de ce texte a conduit récemment à proposer une datation
légèrement plus haute de l’édit impérial. Cette constitution aurait été
promulguée en mai 305 à l’avènement au titre d’Augusti de Constance
Chlore (Flavius Valerius Constantius), le père de Constantin, et de Galère.
Ses dispositions visant à garantir une meilleure justice et à protéger
les patrimoines des sujets de l’Empire seraient venues, à cette date
emblématique du renouvellement du système tétrarchique, renforcer
d’autres mesures d’apaisement fiscal dirigées notamment contre
la corruption des agents de l’État impérial, les Caesariani [CORCORAN 2002].
Dans la mesure où la solide argumentation proposée en ce sens ne saurait
pourtant être considérée comme définitive – de l’aveu même de son
auteur – et comme par ailleurs le contenu du texte s’apparente très
largement, tant sur le fond que du point de vue lexical, à d’autres
dispositions constantiniennes relatives à la lutte contre les libelles
diffamatoires, le déni de justice ou la délation fiscale, l’on s’en tiendra ici à
l’attribution de ce texte à la chancellerie de cet empereur [RIVIÈRE 2000].
Cette loi très structurée comporte plusieurs dispositions articulées
entre elles, autant de « remèdes » qui visent à mettre un terme aux très
« lourdes atteintes » endurées dans le passé aussi bien par des accusés que
par des témoins. Comme on sait, dans le contexte d’une « procédure
d’enquête », toujours désignée pourtant comme une accusatio, ces derniers
étaient également soumis à la torture (R16). Tout « accusateur » pouvait
désormais se présenter devant le tribunal à condition de pouvoir
démontrer par des preuves ses allégations, sans quoi il serait soumis lui-
même à une peine « particulièrement sévère ». Il faut en effet accorder ici
au comparatif (seuerior), comme ailleurs en latin, la valeur du positif au
regard d’une législation qui distingue la série des « peines sévères » ou
« lourdes » (grauiores), par opposition aux peines « légères » (leuiores) [MER
1953, p. 442, n. 2 ; RIVIÈRE 2000, p. 404, n. 7]. L’édit de Constantin illustrerait
donc la sanction d’un nouveau principe de réglementation et de punition
des fausses accusations, à savoir l’application d’une peine formée sur
le principe du talion, que l’on rencontre ailleurs dans la législation de cet
empereur et de ses successeurs [RIVIÈRE 2002b]. Le terme talio lui-même,
apparu dès la Loi des XII Tables (8, 2) (Commentaire à R21) est totalement
absent de la jurisprudence et de la législation impériale, mais il s’agit
néanmoins de son application. En effet, l’accusateur-dénonciateur qui ne
parviendrait pas à faire la démonstration des griefs avancés pouvait alors
subir la peine normalement encourue par l’accusé en fonction du crime
qui lui était reproché, comme l’atteste par exemple une loi de Constantin
relative à la violence :

S’il n’est pas parvenu à confirmer le crime avancé, il sera exposé à


une sentence identique à celle que l’accusé doit recevoir… (Code
théodosien, 9, 19, 2 = Code de Justinien, 9, 22, 22 ; 25 mars 320)

Ainsi, alors qu’aux origines de la procédure accusatoire et encore au


cours des deux premiers siècles de l’Empire la répression de la calumnia
était fondée sur un critère subjectif (la mauvaise intention de l’accusateur)
(R15), désormais un simple critère objectif ou matériel (l’échec de
la preuve ou le désistement de l’accusation) suffisait à établir la faute de
l’accusateur [MER 1953, p. 413-479]. Un rapport du préfet de la Ville
Symmaque adressé aux empereurs Valentinien, Théodose et Arcadius
quelques décennies plus tard, en 384/385 en témoigne :

Vous connaissez à quelles conditions est inscrite une plainte. En


effet, pour éviter qu’un téméraire ne se précipitât pour mettre en
danger la tête d’autrui, on a prévu qu’au préalable, il se liât par
l’engagement (sponsio) de subir la même peine. (Symmaque, Relatio
49 ; trad. J.-P. Callu)

La disposition suivante (Ib) vise le crime de lèse-majesté : si, dans ce


cas, l’accusateur ne parvient pas à fournir les preuves de ce qu’il avance,
la réciprocité de la peine est différée, et une enquête sous la torture doit
être engagée pour identifier quels sont les complices (R16). Le fait d’ouvrir
une telle inculpation relève par elle-même du crime dénoncé, et
la poursuite doit nécessairement aboutir à un résultat, à une identification
de coupables, comme l’attestent pour les décennies suivantes du IVe siècle
de nombreux récits d’Ammien Marcellin [RIVIÈRE 2002, p. 148-155 et 335-
353].
Il y a tout lieu de penser que la disposition relative à la delatio (II) ne
concerne pas la procédure criminelle, mais la délation fiscale, comme
le souligne le recours au mot delator employé techniquement, presque
exclusivement, au sujet des dénonciations sollicitées dans ce domaine par
le pouvoir impérial. Certes par une généralisation aisément
compréhensible (le fiscal et le criminel se rejoignent dans l’acte même de
« dénoncer »), ce terme a fini par s’étendre à toute forme de dénonciation
visant à nuire à l’accusé, mais au sens strict, et au moins dans le langage
technique de la jurisprudence la stigmatisation des delatores ou
des nuntiatores ne vise que des dénonciations relatives aux intérêts du
fiscus impérial [RIVIÈRE 2000, p. 408-411 ; RIVIÈRE 2002, p. 101-138]. D’où cette
interdiction absolue des « délateurs », dans la législation constantinienne,
et qui ne devait donc recevoir, selon cet édit, aucune dérogation. Un autre
texte constantinien, légèrement antérieur à notre document, l’exprime
avec plus de vigueur encore :

Qu’un terme soit mis au plus grand des maux de la vie humaine,
l’exécrable fléau des délateurs (delatorum exsecranda pernicies), que
dès ses premières tentatives il soit étouffé dans sa gorge et que,
amputée jusqu’à la racine, la langue de l’envie soit arrachée, de
sorte que les juges n’admettent ni la calomnie, ni la voix, en
un mot, de celui qui dénonce, mais si un délateur se présente, qu’il
soit soumis à une sentence capitale. (L’empereur Constantin au
peuple, Code théodosien, 10, 10, 2 ; 1er décembre 312 ou 319)

Quelques décennies plus tard, en 380, dans une loi adressée au


responsable du domaine impérial, le comes rerum priuatarum, (le contexte
fiscal ne fait alors aucun doute, car le comes dont il est ici question règle en
particulier des litiges occasionnés par les biens tombés en déshérence),
l’expression de Constantin a été reprise par la chancellerie impériale :
« nous exécrons toutes les délations dans leur ensemble » (uniuersas
delationes exsecramur) (Code théodosien, 10, 10, 12).
Pour ce qui concerne la disposition suivante de l’édit relative aux
esclaves et aux affranchis (III), la loi de Constantin s’applique à défendre
les maîtres et les patrons, contre les attaques qu’ils subiraient de la part de
leurs serviteurs ou de leurs anciens serviteurs devant un tribunal. Ce
principe est conforme à l’ordre social romain, il s’inscrit dans
une tradition plus ancienne visant à limiter de telles dénonciations, même
si le législateur a toujours admis qu’elles pouvaient être un recours si
le serviteur agissait avec réserve et pour des raisons légitimes. En
attestent par exemple les recommandations de portée générale adressées
au préfet de la Ville à l’époque sévérienne (R12c1). Il va sans dire, par
ailleurs, qu’en dépit du principe ici proclamé, les dénonciations
des esclaves étaient toujours encouragées par des récompenses dans
le domaine de la lèse-majesté, mais aussi de la fausse monnaie ou de
certains délits sexuels pour la répression desquels la participation de
la domesticité – elle bénéficiait du meilleur observatoire des mœurs de
la maison – était naturellement sollicitée [RIVIÈRE 2002, p. 314-334]. La peine
qui menace ici l’esclave, à savoir le patibulum, mérite une attention
particulière, puisqu’il faut entrer dans le détail de ces sévices pour
comprendre un régime de pénalité, quelle que soit l’époque. Par ailleurs,
les modalités de ce supplice interfèrent avec l’iconographie la plus
répandue, durant des siècles. Ce terme désigne en effet précisément
la poutre (horizontale) à laquelle les bras du condamné étaient liés et qu’il
devait porter sur ses épaules sur le chemin du supplice, tandis qu’il était
flagellé, avant de subir le crucifiement à proprement parler, c’est-à-dire
avant que cette traverse à laquelle le condamné restait suspendu soit
hissée au haut du mât vertical qui avait été planté à cet effet. Ainsi,
l’examen lexical exhaustif des sources grecques et latines conduirait à
penser que c’est un patibulum, une « poutre », une « barre » ou
une « traverse », donc, que Jésus de Nazareth porta avant d’être supplicié
sur la « croix », entendons sur le dispositif formé par cet élément
horizontal accroché à l’élément vertical. Un tel dispositif ne doit pas être
confondu avec la fourche (furca), utilisée comme « attache » ou
« suspension » du corps flagellé (R3a1-i3), même si les compilateurs du
Digeste ont substitué ce terme de « fourche » à la mention de la croix,
puisque le « crucifiement » avait été interdit depuis Constantin, en raison
de la mémoire de la « crucifixion » [COOK 2015, p. 1-50 et 386-392].
Enfin, la disposition sur les libeli famosi de notre édit paraît s’inscrire
dans la continuité d’une tradition légale ancienne, visant à empêcher
d’engager une procédure à partir de dénonciations anonymes, comme
le précisait déjà Trajan (98-117), deux siècles auparavant, en réponse à
la lettre de Pline le Jeune relative aux chrétiens de Bithynie (R13a2).
L’énoncé du même principe dans le texte constantinien mérite pourtant
d’être lu avec une attention particulière, car il met en évidence les faux-
semblants de la législation dans ce domaine. Trois autres textes
constantiniens contenant des prescriptions identiques relatives aux libelli
(Code théodosien, 9, 34, 1 ; 9, 34, 3 ; 9, 34, 4) ont été conservés [SANTALUCIA
2009, p. 423-440]. Ces « billets » ou ces « affiches » doivent être distingués
des pièces d’enregistrement de l’accusation (libelli accusatorii), car il s’agit
de documents informels rédigés par des particuliers et contenant
des informations pouvant atteindre l’honneur, mais aussi l’intégrité
physique d’un individu en l’exposant à une poursuite judiciaire.
Une dernière loi de Constantin éclaire définitivement ce dossier :

Il est permis que soient conservés dans ton service et celui du


vicaire des exemplaires des libelles (exemplaria libellorum) qui ont
été exposés en Afrique, cependant <il faut> que tu laisses ceux dont
les noms sont mentionnés, libérés de la crainte, jouir de la sécurité
et que tu les avertisses seulement qu’ils se dépêchent d’être
<tenus> étrangers non seulement à tout grief (crimen), mais encore
à toute suspiscion vraisemblable. Car, il faut que celui qui se charge
de la responsabilité d’accuser confirme et ne cache pas les choses
qu’il sait, parce qu’il sera digne d’être loué <publiquement> de
parvenir par son mérite à la glorification publique. (L’empereur
Constantin à Aelianus, Proconsul d’Afrique, Code théodosien, 9, 34,
2 ; 25 février 315)

L’ensemble de cette législation vise à l’évidence à contrôler


les dénonciations écrites et à lutter contre les abus de l’administration
dans les provinces. Et pourtant, un autre principe impérieux s’écarte
d’une telle logique de protection des sujets. Il vise principalement à ne pas
égarer la justice et à éviter d’encombrer les tribunaux par de fausses
poursuites. Le pouvoir impérial ne peut négliger en effet les informations
une fois qu’elles ont été révélées, même de manière illicite – elles sont
susceptibles de contenir des menaces à l’ordre public et le pouvoir
impérial ne peut détourner son attention de telles informations. C’est
pourquoi, quelques décennies plus tard (entre 365 et 373, la date exacte de
publication reste discutée), l’empereur Valentinien au nom de « la
protection du salut public » (salutis publicae custodia) promettra même
une récompense à celui qui dévoilera devant le juge ce qu’il sait
des informations contenues dans les libelles (Code théodosien, 9, 34, 7) !
18

L’incarcération des prévenus dans l’Empire


e e
(II -IV siècles)

a. La « peine du cachot »
est une détention préventive (Rescrit
d’Antonin le Pieux, cité par Ulpien,
Sur la fonction du proconsul, extrait
du livre 7, fr. 2241 Lenel = Digeste,
48, 3, 3)
Le divin Antonin le Pieux a répondu par un rescrit en grec à une lettre
des habitants d’Antioche qu’il ne doit pas être jeté dans les chaînes, celui
qui est prêt à produire des garants (fideiussores) ; à moins qu’il ne soit
avéré qu’il a commis un crime si grave, qu’il ne doit être confié ni à
des garants, ni à des soldats (milites), mais qu’il doit endurer (sustinere),
avant le supplice, cette peine du cachot (carceris poena) elle-même.
b. De l’arrestation au supplice :
des chrétiens incarcérés à Carthage
durant l’hiver 203 (Passion de Perpétue
et Félicité)

L’ARRESTATION
[1. Prologue : l’éditeur des actes évoque leur publication, en justifiant
la nécessité de nouveaux exemples de foi.]
2, 1. De jeunes (adulescentes) catéchumènes furent arrêtés
(apprehendere) : Revocatus et Félicité, sa compagne d’esclavage,
Saturninus ; et parmi eux se trouvait Vibia Perpetua, de bonne naissance
(honeste nata), d’éducation libérale, mariée en femme honnête. 2. Ayant
un père, une mère, et deux frères, l’un d’eux également catéchumène, et
un fils encore enfant (infans) aux seins. 3. Elle-même était âgée d’environ
vingt-deux ans. C’est elle-même qui fit le récit de l’entier déroulement de
son martyre, comme elle l’a laissé écrit de sa main et selon son sentiment.

L’ARRIVÉE DANS LE CACHOT ET LES DÉBUTS DE L’INCARCÉRATION


[Alors que les catéchumènes sont encore avec l’escorte des soldats qui les ont
arrêtés (ces soldats sont désignés comme prosecutores), le père de Perpétue veut
la forcer d’abjurer.]
3, 5. Dans l’espace précisément de ces quelques jours, nous fûmes
baptisés ; et l’Esprit me dicta de ne demander rien d’autre à l’eau que
la résignation de la chair. Quelques jours plus tard nous fûmes accueillis
(recipere) dans le cachot (carcer) ; et je pris peur, car je n’avais jamais fait
l’expérience de telles ténèbres. 6. Ô quel jour d’épreuve ! La forte chaleur
en raison des foules <entassées>, les extorsions (concussurae) des soldats
(milites). De plus, je me rongeais d’inquiétude pour mon enfant en cet
endroit. 7. Alors Tertius et Pomponius, les diacres bénis qui s’étaient mis à
notre service, obtinrent par une récompense <versée aux soldats> que
nous soyons relâchés (emittere) quelques heures dans un meilleur lieu du
cachot pour nous rafraîchir. 8. Alors, après être sortis du cachot, tous
étaient libres de s’occuper d’eux-mêmes : moi j’allaitais mon enfant, déjà
épuisé par la privation de nourriture ; inquiète pour lui, je parlais à ma
mère, je réconfortais mon frère, et leur confiais mon fils ; je me
consumais, car je les avais vus <eux-mêmes> se consumer par bienfait à
mon égard. 9. C’est dans de telles inquiétudes, que j’ai passé de nombreux
jours ; et j’obtins le droit que mon enfant (infans) demeure avec moi dans
le cachot. Et sur-le-champ je repris des forces et je récupérai de l’effort et
de l’inquiétude suscitée par mon enfant, et le cachot devint pour moi
aussitôt une résidence (praetorium), si bien que je préférais être là, plutôt
qu’en n’importe quel autre endroit. (…)

PREMIÈRE AUDIENCE DEVANT LE PROCURATEUR, INVESTI DU IUS GLADII


EN REMPLACEMENT DU GOUVERNEUR DÉFUNT

6, 1. Un autre jour, alors que nous déjeunions, soudain, nous fûmes


emmenés (rapti) pour être entendus (audire). Et nous parvînmes au forum.
Aussitôt la rumeur se répandit dans les quartiers voisins du forum et
un peuple immense se rassembla. 2. Nous montâmes sur l’estrade
(catasta). Alors qu’ils étaient interrogés (interrogare), les autres
confessèrent <leur foi> (confessare). On en vint à moi. Et mon père apparut
tout de suite avec mon fils, et il me retira de l’échelle, en disant : « adresse
des prières ; prends pitié de l’enfant. » 3. Et le procurateur (procurator)
Hilarianus, qui avait alors reçu le droit de glaive (ius gladii) en
remplacement du proconsul défunt, Minucius Timinianus, déclara :
« épargne les cheveux blancs de ton père, épargne ton fils (puer) qui est
encore dans l’enfance (infantia). Fais un sacrifice (sacrum facere) pour
le salut des empereurs ». 4. Et moi je répondis : « Je ne le fais pas. »
Hilarianus dit : « Es-tu chrétienne ? ». Et moi je répondis : « Je suis
chrétienne ». 5. Et comme mon père se tenait debout pour me faire
tomber (deiicere), il fut expulsé (proiicere), et fut frappé (percutere) d’une
verge (uirga). Et le sort de mon père me fit souffrir, comme si j’avais été
moi-même frappée : je souffris ainsi pour sa vieillesse malheureuse.
6. Alors, il [le procurateur] prononce <une sentence> (pronuntiare) contre
nous et il nous condamne aux bêtes ; et tout joyeux nous descendîmes vers
le cachot.

RETOUR AU CACHOT : VISITE ET IMPLORATION DU PÈRE DE PERPÉTUE.


FÉLICITÉ ACCOUCHE D’UNE FILLE : LA VOICI LIBÉRÉE POUR PARTAGER
LE MARTYRE DE SES COMPAGNONS DE DÉTENTION

7. Alors, comme l’enfant avait l’habitude de recevoir de moi les seins,


et de rester avec moi dans le cachot, j’envoie sur-le-champ le diacre
Pomponius demander l’enfant. 8. Mais mon père ne voulut pas le donner.
Et Dieu voulut agir de telle façon que celui-ci ne désira pas plus longtemps
les seins, qu’ils ne me créèrent plus de bouillonnement, que je ne me
consumais plus, ni en inquiétude pour l’enfant, ni en douleur des seins.
9, 1. Ensuite, peu de jours après, Pudens, un sous-officier (miles optio),
chef de la prison (praepositus carceris), commença à faire grand cas de nous
en comprenant quel grand courage était en nous ; il admettait qu’un grand
nombre <de coreligionaires> se présentent à nous afin que nous nous
rafraîchissions mutuellement nous et eux. 2. Mais lorsque le jour des jeux
(munus) approcha, mon père entra et se présenta à moi consumé de
fatigue, et il commença à s’arracher la barbe et à se jeter à terre, et à se
prosterner le visage <contre terre>, à se reprocher <le nombre de> ses
années, et à prononcer tant de mots qui auraient ému la création entière.
3. Moi, je souffrais de sa vieillesse malheureuse. (…)
10, 1. La veille du jour où nous devions combattre, je vois ceci dans
une vision : le Diacre Pomponius vient à la porte de la prison et frappe
violemment 2. Et je sortis vers lui, et lui ouvris (…).
15. J’ai écrit cela jusqu’à la veille des jeux ; quant au déroulement
des jeux eux-mêmes, si quelqu’un le veut, qu’il l’écrive. (…) 15, 1. Pour ce
qui concerne Félicité, la grâce du Seigneur la toucha de la façon suivante.
2. Alors qu’elle était déjà dans son huitième mois de grossesse – car elle
avait été arrêtée alors qu’elle était enceinte –, elle était plongée dans
un grand deuil (luctus) alors qu’approchait le jour du spectacle
(spectaculum), pour qu’on ne remette pas à plus tard <son exécution> à
cause de sa grossesse – parce qu’il n’est pas permis que s’acquittent de
leur peine (poenae repraesentare) des femmes enceintes – et pour qu’un
sang saint et innocent ne soit pas répandu par la suite parmi des criminels
(scelerati) différents. 3. Mais ses compagnons de martyre (conmartyres)
s’attristaient fortement de laisser une si bonne associée (socia), comme
une compagne <de voyage> (comes) seule sur le bord de la route de cette
même espérance. 4. C’est pourquoi à l’unisson, en une seule plainte, ils
adressèrent à Dieu une prière (oratio) le troisième jour avant les jeux.
5. Sur-le-champ après la prière les douleurs <de l’accouchement>
l’envahirent. Et comme elle souffrait, en raison de la difficulté naturelle
d’un travail d’accouchement au huitième mois, l’un des préposés au
service des portes (ministri cataractarorium) lui dit : « toi qui ainsi souffres
de cette façon, que feras-tu une fois jetée aux bêtes que tu as tenues pour
négligeables lorsque tu n’as pas voulu sacrifier ? ». 6. Et elle répondit : « je
souffre de cette façon ce que je souffre, mais là-bas il y aura un autre en
moi qui souffrira pour moi parce que c’est moi qui vais souffrir pour lui ».
7. C’est ainsi qu’elle donna naissance à une fille que l’une de ses sœurs
éleva comme sa fille.
c. Le cachot, les débiteurs, les abus
des juges et de leur personnel.
L’empereur Constantin Auguste
au peuple (Code théodosien, 11, 7, 3 = Code
de Justinien, 10, 19, 2 ; 31 janvier 320)
Que personne ne redoute le cachot, les coups de lanières plombées
(plumbatarum uerbera), les poids (pondera), ou d’autres châtiments
(supplicia) inventés par l’inexpérience des juges pour obtenir
l’acquittement des débiteurs (debitores), ou encore par des juges pervers
ou en colère (iratus). Le cachot est réservé aux condamnés (poenales),
le cachot est réservé aux hommes coupables d’un crime (homines noxii),
aux membres du bureau (officiales) avec la note d’infamie (denotatio)
réservée à ces juges qui devront être, en raison de la charge qui leur
incombe, réprimés plus fortement, pour ceux qui auront agi contre cette
loi. Qu’en vertu de cette <disposition>, les contribuables aillent en
sécurité. Mais il est sûr que si quelqu’un est à ce point étranger à
l’intelligence humaine qu’il use de cette indulgence (indulgentia) jusqu’à
l’obstination (contumacia), il doit être maintenu suivant <les règles de>
la détention militaire (custodia militaris) au grand jour et avec une liberté
de mouvements telle qu’elle est instituée dans l’usage des hommes (…).
Donnée aux calendes de février l’année du 6e consulat de Constantin
Auguste et du consulat de Constance César.
d. Distribution des espaces du cachot
et traitement des prisonniers,
L’empereur Constantin Auguste
au receveur (rationalis) Florentius (Code
théodosien, 9, 3, 1 = Code de Justinien,
9, 3, pr.-1 ; 30 juin 320)
Pr. Dans n’importe quelle cause, lorsqu’un accusé comparaît, soit qu’il
y ait un accusateur, soit qu’il ait été conduit <devant le tribunal> par
le soin de la puissance publique, l’instruction doit commencer sur-le-
champ, afin qu’il soit puni, s’il est coupable, et qu’il soit acquitté, s’il est
innocent. Si l’accusateur est absent au moment voulu, ou si la présence
des complices semble indispensable <au déroulement du procès>, que l’on
s’en occupe le plus rapidement possible. Pendant ce temps, en vérité, il ne
faut pas infliger à celui qui comparaît des menottes de fer (ferreae
manicae), serrant les os, mais des chaînes (catenae) plus lâches [Code de
Justinien : si la nature du crime appelle en plus la dureté des chaînes], afin
d’éviter les souffrances et permettre en même temps une garde (custodia)
sûre. Et, en vérité, une fois incarcéré, il ne devra pas souffrir les ténèbres
d’une pièce retirée, mais être maintenu en bonne santé, en jouissant de
la lumière, et lorsque la nuit aura doublé la nécessité de la garde (custodia),
il devra être retiré dans les pièces d’entrée des cachots (uestibula carcerum)
et dans des lieux salubres. Le jour étant de nouveau revenu, au tout début
du lever du soleil, il devra être immédiatement sorti à la lumière
commune, de telle sorte qu’il ne périsse pas des peines du cachot (poenae
carceris), ce qui est reconnu comme étant déplorable pour les innocents,
mais pas assez sévère pour les coupables. 1. Que l’on observe en outre
les dispositions suivantes : qu’il ne soit permis, ni à ceux qui exercent
le service (officium) des geôliers (stratores), ni à leurs agents (ministri) de
vendre leur cruauté aux accusateurs et d’offrir à la mort des innocents
dans les enclos (saepta) des cachots (carceres), ou de faire périr par
une lente décomposition des personnes soustraites à l’audience. En effet,
non seulement la crainte <de perdre> son honneur, mais encore celle
<d’être exposé à> une condamnation doit menacer le juge, si l’un
des geôliers (aliquis stratorum) a épuisé un <détenu> par une privation de
nourriture (inedia) au-delà du temps qui est dû ou de n’importe quelle
façon et si <le juge> n’a pas immédiatement soumis à la peine capitale
celui auquel est confié le service (officium) de la détention (custodia) et ses
agents (ministri).
Donnée le jour des calendes de juillet à Serdica l’année du 6e consulat
de Constantin Auguste et du consulat de Constance César.

e. Registres d’écrou et intégrité physique


des prévenus. Le même Auguste
<Constantin> à Évagrius (Code théodosien,
9, 3, 2 = Code de Justinien, 9, 4, 2 ; 3 février
326)
Si quelqu’un a été arrêté pour une faute ou un crime qui paraît digne
des verrous d’un cachot (claustra carceris) et de la rigueur d’une détention
(custodia), une fois ses déclarations enregistrées (apud acta), lorsque son
méfait aura été établi, qu’il endure la peine du cachot (poenam carceris) et
qu’ainsi, à l’issue d’un bref délai, il en soit sorti et ses déclarations
enregistrées. Il faut en effet que le rappel du crime perpétré se déroule
comme sous <la garantie d’> un témoignage officiel (publicum testimonium),
de sorte que l’impression soit donnée qu’une forme de frein et de
tempérance s’exerce sur des juges excessivement enragés.
Donnée le troisième jour des nones de février à Heraclea l’année du 7e
consulat de Constantin Auguste et du consulat de Constance César.

f. Les différents quartiers du cachot


(Le même Constance Auguste
à Acindynus, préfet du prétoire, Code
théodosien, 9, 3, 3 = Code de Justinien,
9, 4, 3 ; 5 avril 340)
Puisqu’une seule pièce (conclaue) du cachot renferme tous
les criminels (criminosi) de manière indifférenciée, nous décidons par cette
loi que, même si la nature de la peine (poenae qualitas) doit être liée à
un traitement indifférencié (permixtio), il soit cependant ordonné que
les détenus des deux sexes disposent sous les verrous (claustra) d’abris
distincts.
Donnée aux nones d’avril, sous le consulat d’Acindynus et de Proculus.

INTERPRÉTATION
Les hommes et les femmes, même s’ils sont liés entre eux par
une accusation (crimen) d’un même degré, ne doivent pas cependant être
maintenus <ensemble> sous la garde d’un cachot unique.
g. Protection des pauvres et des détenus
le jour du Seigneur (Les empereurs
Honorius et Théodose Augustes
à Caecilianus, préfet du prétoire, Code
théodosien, 9, 3, 7 ; 25 janvier 409)
Après d’autres dispositions. Que les juges, tous les jours du Seigneur,
examinent et interrogent les prévenus (reos) que l’on aura conduits hors
de leur détention carcérale (custodia carceralis), afin qu’un traitement
humain (humanitas) ne soit pas refusé à ces détenus (clausi) par
des gardiens de cachots (carcerum custodes) corrompus. Qu’ils fassent en
sorte que des denrées alimentaires soient fournies à ceux qui sont dans
le besoin, à raison de deux ou trois mesures par jour, ou à l’appréciation
des responsables des prisons (commentarienses), suivant ce qui a été
décrété. Que par les dépenses de ces derniers, les juges soient utiles à
la nourriture des pauvres qu’il faut conduire au bain sous une garde sûre.
Qu’une amende de vingt livres d’or soit établie à l’encontre des juges et
une du même poids à l’encontre des membres de leurs bureaux (officia) ;
qu’en outre, une amende de trois livres soit appliquée aux ordines, s’ils ont
négligé ces statuts très salutaires. Quant aux prêtres de la religion
chrétienne, ils ne manqueront pas à la charge digne d’éloges d’imposer
cette monition à l’attention du juge qui a été mis en place.
Donnée le huitième jour des calendes de février à Ravenne sous
le consulat d’Honorius Auguste, pour la huitième fois, et de Théodose
Auguste, pour la troisième fois.

INTERPRÉTATION
Que tous les jours du Seigneur (dominica dies) les juges fassent sortir
les prévenus (rei) des cachots (carceres) sous une garde (custodia) sûre, pour
que de la nourriture leur soit offerte par les chrétiens et par les prêtres, et
qu’en ces jours précédemment fixés, ils soient conduits sous garde au
bain, par égard pour la religion. Si certains juges négligeaient d’accomplir
cela, qu’ils soient contraints d’accomplir la peine que la loi elle-même a
établie.

*
* *

Le cachot à Rome et dans le monde romain : un lieu


d’exécution et d’incarcération préventive
Comme l’atteste l’ancienneté de la « prison mamertine » à Rome,
des cachots ont été répandus dans le monde romain dès l’origine. De tels
lieux d’enfermement, d’abandon ou de mise à mort existaient assurément
ailleurs dans les cités et les peuples conquis. Le recours au carcer est
attesté par exemple en 212 av. J.-C. lors de l’arrestation des publicains qui
devaient comparaître dans une poursuite tribunicienne devant le peuple
(R5c). Dans ce cas précis, il s’était agi de s’assurer de la comparution
des prévenus, sans même leur accorder le bénéfice des cautions, et sans
les laisser prendre librement le chemin de l’exil, en dépit de ce que firent
certains d’entre eux dont le départ fut entériné par un bannissement –
« l’interdiction de l’eau et du feu » (R41).
Dans la ville de Rome, sous la République, le carcer était par ailleurs
étroitement lié à l’activité de maintien de l’ordre assurée par les triumvirs
capitaux (R7), comme l’illustre l’épisode des bacchanales en 186 av. J.-
C. (R8). Le cachot dominant le forum [COARELLI art. « Carcer », dans STEINBY
1993, I, p. 236-237] fut plus tard désigné sous le nom de « prison
mamertine », en raison de la proximité du temple de Mars ou Aedes Martis
[DI SPIRITO art. « Carcer Tullianus (in fonti agiografiche) », dans STEINBY 1993, I,
p. 237-239]. Sa pièce inférieure, souterraine, portait le nom de Tullianum
(parfois appliqué à l’ensemble du complexe), soit parce que ce cachot avait
été construit à l’initiative du roi Servius Tullius (Festus, Tullianum,
p. 490 Lindsay), soit en raison du petit « surgissement d’eau » (tullius) dont
l’infiltration est encore observable aujourd’hui.
Ce dispositif, somme toute de taille réduite, formait un complexe plus
vaste avec les carrières voisines, les Lautumiae [PISANI SARTORIO art.
« Lautumiae », dans STEINBY 1996, III, p. 186-187], lieu de détention dont
le nom fut emprunté aux carrières de Syracuse, rendues célèbres à la fin
de la guerre du Péloponnèse (en 415 av. J.-C.), en raison des souffrances
endurées par les milliers de prisonniers athéniens qui y furent enfermés
et qui y trouvèrent la mort. La progression de Varron dans sa recherche
étymologique suit également un cheminement topographique qui associe
le Carcer du Capitole, le Tullianum et les Lautumiae :

Le mot carcer vient de « contraindre » (coercere), car ceux qui s’y


trouvaient étaient empêchés d’en sortir. À cet endroit, la partie qui
se trouve sous terre est appelée Tullianum, parce qu’elle a été
ajoutée par le roi Tullius. Comme à Syracuse, l’endroit où
les auteurs d’un crime (delictum) sont gardés (custodire) est appelé
carrières (latomiae), de là l’emprunt du mot Lautumia, car ici aussi
<à Rome> en ce lieu il y eut des carrières de pierre (lapidicinae).
(Varron, La langue latine, 5, 151)

À la fin de la République, alors que la Sicile était devenue depuis près


de deux siècles la première province conquise par Rome, les Lautumiae
servaient encore de lieu de détention comme l’atteste un fameux épisode
du gouvernement de Verrès (R3h3). Les carrières de Rome ne paraissent
plus avoir été utilisées à l’époque impériale comme espace
d’enfermement, sans doute en raison de leur disparition consécutive aux
profondes transformations de l’urbanisme au cœur de la capitale de
l’Empire. Leur souvenir restait légendaire à la fin de l’Antiquité (R11c),
tandis que le terme s’appliquait désormais plus généralement aux travaux
forcés dans des carrières où qu’elles soient.
Ce cachot fut certainement avant tout, et dès l’origine, un lieu
d’exécution par abandon ou strangulation [DAVID 1984]. En témoignent
la fameuse anecdote d’une fille allaitant sa mère (ou son père, selon
une autre tradition) pour lui permettre de survivre (R19i), ou bien le sort
des Catiliniens en 63 av. J.-C. (R3h6), ou encore, au commencement de
l’Empire, celui des enfants de Séjan en 31 ap. J.-C. (R39e). Dans le premier
cas, cependant, il se pourrait que la scène édifiante de la jeune fille
allaitante se soit déroulée en un autre lieu de détention : attesté nulle part
ailleurs, il aurait été situé sur le forum Holitorium, et à son emplacement
aurait été édifié le temple de la pietas (R19i2) [PAVON 1997]. C’est à partir du
règne de Tibère (14-37 ap. J.-C.) que la mise à mort dans le cachot du
forum s’est accompagnée d’une exposition des cadavres sur les escaliers
voisins, au flanc du Capitole, les Gémonies. Une telle dénomination formée
sur le verbe gemo, « gémir », ou « gémir sur » (d’où l’expression gradus
gemitorii, rencontrée chez Pline l’Ancien, 8, 145), pourrait être apparue à
cette époque pour désigner l’escalier accédant au Temple de Junon
Moneta (Aedes Iunionis Monetae), précédemment désigné sous le nom de
Gradus Monetae ou Centum gradus [COARELLI art. « Scalae Gemoniae », dans
STEINBY 1999, IV, p. 241]. Depuis des siècles le cachot était également le lieu
où à l’occasion de la cérémonie du triomphe, les chefs vaincus étaient mis
à mort, le traitement des ennemis rejoignant ici le sort de certains
criminels [RIVIÈRE 2004c, p. 25-53]. Comme le souligne ce bref rappel,
l’incarcération n’a jamais occupé dans le droit pénal romain la fonction
d’un enfermement punitif, défini pour une durée ou à perpétuité, et ce
n’est que par la négligence des juges ou les retards de la procédure que
des détenus dans l’attente de leur procès ont pu être retenus dans
les murs d’un cachot. S’il fallait, à la recherche d’un principe définitif, s’en
tenir à la doctrine juridique, deux extraits du traité d’Ulpien Sur la fonction
du proconsul en donnent la preuve. Le premier rappelle que certains
gouverneurs ont la mauvaise habitude de détenir des prévenus dans
le cachot qui ne revêt pourtant qu’une fonction coercitive (dans l’attente
de la comparution ou de l’exécution), alors que « le cachot doit servir à
retenir (continere) les hommes, non à les punir » (R37 ; Digeste, 48, 19, 8, 9).
Le second souligne que le forçat rattrapé dans sa fuite doit accomplir
le double de la durée de sa peine initiale, à l’exclusion du temps écoulé
dans le carcer où il avait été enfermé après avoir été repris. Cet
enfermement n’avait donc pas une visée punitive, mais seulement
coercitive : « il ne faut pas multiplier par deux le temps qu’il a passé au
cachot à partir du moment où il a été arrêté » (R37 ; Digeste, 48, 19, 8,
7) [RIVIÈRE 2004c, p. 346, n. 28]. Des dispositions plus tardives témoignent
encore de ce principe (Code théodosien, 9, 40, 22-24) (R45). Quant au dernier
procès sénatorial connu, celui du préfet des Gaules Arvandus en 469
(R11c), il met encore en scène un prévenu incarcéré dans l’attente d’une
exécution qui sera finalement commuée en peine de « déportation » (exil
assorti d’une perte de statut et de la confiscation des biens) (R43).

L’incarcération des chrétiens durant les persécutions

Dans l’ensemble de la documentation relative aux usages du cachot à


l’époque impériale, la documentation martyrologique tient une place
centrale [KRAUSE 1996, p. 122-129]. Sous l’angle procédural et
des conditions d’incarcération, ce qu’elle donne à voir des cachots
romains recoupe les renseignements fournis par les lois des décennies qui
ont suivi, sous le règne de Constantin (306-337) en particulier. Ces deux
séries de textes sont ici confrontées.
Sur le plan juridique ou institutionnel, lorsque l’on évoque
les persécutions contre les chrétiens dans le monde romain, deux époques
doivent être distinguées. La première englobe les poursuites localisées qui
ont pu se produire à l’initiative des autorités d’une cité ou d’un
gouverneur de province, souvent dans le contexte des violences
spontanées d’une foule hostile, ou à l’issue de dénonciations transmises au
tribunal, comme l’atteste la lettre de Pline le Jeune sur les chrétiens
(R13Ta). De telles répressions sont apparues dès le milieu du premier
siècle et ont pu surgir de manière récurrente et locale, jusqu’au milieu du
e
III siècle. La seconde époque s’ouvre avec l’édit « universel » de l’empereur

Dèce (249-250) invitant aux sacrifices tous les sujets de l’Empire et qui eut
donc pour conséquence la persécution des chrétiens. Elle se poursuit avec
l’édit de persécution de Valérien (257-258) – c’est alors que prend place
l’exécution de Cyprien de Carthage (R13Tc) –, et s’achève, à l’issue de
la « Petite Paix de l’Église » (260-303), avec la « Grande persécution »
initiée par Dioclétien et Maximien en 303 ; dans les années qui ont précédé
cette relance de la persécution d’État, des chrétiens ont pu
occasionnellement être poursuivis, notamment pour manquement à
la discipline militaire, tel le centurion Marcellus de Tanger en 298 (R13Td).
La phase ultime des persécutions a été officiellement close par « l’édit de
Milan » (avril 313) par lequel a été proclamée la liberté de culte, six mois
après la bataille du Pont Milvius, le 28 octobre 312, étape décisive de
la conversion de Constantin au christianisme et de la réunification de
l’empire sous sa seule autorité.
Considérées dans leur ensemble, ces deux époques au cours desquelles
se sont succédées des poursuites sporadiques, puis des persécutions
décrétées par des édits impériaux à l’échelle de l’Empire (l’application de
ces dernières a varié selon le zèle des gouverneurs, l’importance
numérique des communautés de chrétiens, ou leur environnement social),
constituent une séquence d’un intérêt particulier pour l’histoire de
l’exercice de la procédure criminelle, en général, et l’étude des lieux de
détention dans le monde romain en particulier. En effet, cette répression
conduite dans un cadre judiciaire a suscité une large production d’écrits,
ce qu’il est convenu d’appeler les Actes des Martyrs, eux-mêmes répartis en
deux séries qui se recoupent : d’une part les récits (passiones) décrivant
le supplice de chrétiens, mis à mort pour ne pas avoir renié leur fois,
d’autre part les acta eux-mêmes, c’est-à-dire les procès verbaux
des interrogatoires qui se sont déroulés devant les tribunaux et qui ont été
enregistrés par le greffier – ils étaient alors accessibles dans les archives
publiques [KITZLER 2015, p. 2-6]. Un témoin présent à l’audience pouvait
également en avoir pris des notes pendant les comparutions de ses
coreligionnaires. Ces derniers étaient généralement détenus dans
un cachot depuis leur arrestation et durant l’intervalle des interrogatoires
(sous la torture) qui avaient précédé la sentence, puis dans l’attente de
leur exécution.
Les Actes des Martyrs ont été recueillis et diffusés à des fins
liturgiques pour l’édification des fidèles. En dépit des altérations et
des ajouts dont ils ont fait l’objet, certains constituent donc
des documents de première main sur le fonctionnement de la détention et
les mécanismes de la procédure criminelle [LANATA 1973]. D’autres
évidemment ont fait l’objet d’une réécriture plus ou moins profonde,
tandis que bien des récits rédigés à la fin de l’Antiquité et dès le début de
l’époque médiévale sont des « légendes » dont il est impossible, quand
elles ne constituent pas de pures inventions, de saisir le noyau initial.
Depuis des siècles une exégèse particulièrement nourrie a été consacrée à
l’ensemble de ce corpus martyrologique : affranchie de considérations
hagiographiques ou apologétiques, elle a permis d’identifier
les documents ou les fragments authentiques.
Après l’étape de l’arrestation et de la première comparution
des chrétiens devant le tribunal, deux autres moments sont privilégiés. Ils
focalisent l’attention sur deux lieux de l’exercice de la justice. La salle du
tribunal est celle où se déroule l’interrogatoire sous la torture : « les
athlètes du Christ » (athletae Christi) – cette expression répandue dans
les Actes des martyrs est apparue dans les Épîtres de Paul [KITZLER 2015,
p. 1] – confessent leur foi, refusent de sacrifier pour les dieux ou pour
le salut de l’empereur, résistent à l’épreuve de la torture et aux injonctions
du juge. Aux yeux des chrétiens, ce dernier sort défait de la joute, même si
la résistance du « confesseur » est ici assimilée à un « aveu » (confessio)
devant le tribunal, sanctionné par une sentence de mort qui viendrait
punir un crime – un paradoxe largement souligné par Tertullien à la fin du
e
II siècle. Un autre lieu souvent mis en avant est celui de l’exécution,
surtout lorsque les victimes sont livrées « au bêtes » dans l’amphithéâtre
et que leur incroyable souffrance constitue l’ultime « témoignage » de leur
foi.
Entre ces trois moments (arrestation et première comparution,
interrogatoires successifs, application de la sentence), les prévenus sont
enfermés dans un cachot. Ce lieu de détention occupe alors une place
centrale de trois points de vue. Tout d’abord, sur le plan procédural,
la détention préventive (custodia) apparaît dans le monde romain non
seulement comme un moyen d’assurer la comparution des prévenus, mais
également comme un mécanisme de contrainte visant la démonstration
de la preuve et l’aveu des prévenus – l’apostasie, donc, dans le cas
des chrétiens. La traversée de l’espace urbain entre le cachot (le plus
souvent situé près du forum) et la salle du tribunal, pour
les comparutions, mais également les transferts arbitraires entre les lieux
ouverts et les pièces les plus retirées, dans les intervalles où règne
l’arbitraire des geôliers, constituent à l’évidence une autre forme de
torture.
D’un second point de vue (il découle du précédent et constitue son
versant religieux), la détention occupe une place de premier plan dans
la mise à l’épreuve des fidèles. En raison de l’effroi provoqué par les lieux,
des conditions épouvantables d’enfermement, de la violence des gardiens,
le cachot devient « l’antre du Diable » où certains, les plus faibles, abjurent
la foi [RIVIÈRE 2004, p. 176-178 et 196-200]. Pour les autres, au contraire, si
l’incarcération n’est pas encore le martyre (il n’adviendra qu’au moment
de l’exécution), c’est une expérience qui accorde déjà le chemin de
la sainteté à ceux qui résistent. Par conséquent, et ce troisième point de
vue est essentiel, au regard de la logique même de la persécution, mais
également des conduites sociales qu’elle engendre, le cachot devient
le point de fixation et d’attraction des communautés chrétiennes qui
entourent les prisonniers, mais également des païens curieux, hostiles ou
admiratifs, comme en témoignent notamment les Actes de Pionos de Smyrne
(12, 1) : « Cependant, en prison aussi beaucoup de païens venaient pour
les persuader et, en entendant leurs réponses, ils étaient dans
l’admiration » [BOWERSOCK 2002, p. 74 ; ROBERT 1994]. Selon une tradition
ancienne, bien antérieure au christianisme, les proches des détenus
cherchent à leur venir en aide, en apportant de la nourriture ou en
corrompant les gardiens pour obtenir un meilleur traitement
des membres de leur famille [KRAUSE 1996, p. 288-291]. Cette fois ce sont
les « frères » et les « sœurs » des détenus à l’intérieur des groupes
chrétiens qui leur viennent en aide – le lien religieux prend alors la place
des liens familiaux, ou les concurrence, lorsque des membres de la famille
implorent les leurs d’abjurer, comme c’est le cas par exemple du père de
Perpétue. Mais si les coreligionnaires viennent cette fois en aide aux
prisonniers, ce n’est pas seulement pour obéir à ce devoir traditionnel,
c’est aussi que les circonstances propres au chemin du martyre octroient à
ceux qui s’y élèvent un charisme tel que leur côtoiement devient un but
recherché. Dès lors, une question surgit. Elle a déjà été posée, elle
mériterait encore assurément d’être approfondie : pourquoi le cachot
n’est-il pas devenu un piège qui se serait refermé sur les coreligionnaires
et les clercs (des diacres en particulier) venus en aide aux détenus ?
N’étaient-ils pas eux-mêmes des chrétiens qui méritaient, aux yeux de
l’autorité judiciaire, d’être interrogés eux aussi et soumis aux
sacrifices selon les exigences de la répression ? Durant l’instruction on
trouve à l’occasion des juges qui interrogent les prévenus sur les lieux de
culte, ou sur les noms d’autres fidèles, afin d’étendre l’enquête comme
c’est le cas au cours de la poursuite de Justin devant le préfet de la Ville
(R12a), en 165, ou du premier interrogatoire de Cyprien devant
le gouverneur à Carthage en 257 (R13c). Ces juges se sentaient donc
investis de la mission de débusquer tous les adeptes de la foi dans
une volonté d’éradication qui pourrait alors s’apparenter aux rafles de
l’époque contemporaine en termes d’opérations systématiques de
« nettoyage ». Et pourtant, les choses en allaient différemment dans
les sociétés anciennes pour de nombreuses raisons sans doute, à
commencer précisément par l’absence de moyens de « police » au sens
moderne du terme [NIPPEL 1983 ; NIPPEL 1995]. Certes, dans cette société de
« face à face » [VEYNE 1991], le recours aux dénonciations rendait, dans
un contexte de persécution, l’identification des prévenus assez aisée.
Le gouverneur de Bithynie, Pline le Jeune, comme il le reconnaît lui-même
dans sa célèbre lettre adressée à l’empereur Trajan (98-117) (R13a1), s’est
vite trouvé débordé en raison tout précisément de la prise en compte de
« pamphlets diffamatoires » (libelli famosi) anonymes. L’empereur lui
rappelle dans sa réponse (R13a2) qu’ils ne doivent pas être pris en compte,
car l’anonymat de la dénonciation déroge aux règles légales du
déroulement de la procédure. C’est dans cette réponse que le même
empereur invite à ne pas rechercher systématiquement les chrétiens
[RIVIÈRE 2004c, p. 175-176]. Et l’on pourrait penser, pour le dire en peu de
mots, que l’effort de l’autorité judiciaire – surtout antérieurement à
la période des édits proclamés à l’échelle de l’empire –, a consisté à
réprimer les comportements les plus déviants au regard des normes
attendues. Il n’était donc pas nécessaire de rechercher l’élimination de
tous les chrétiens, si seulement les plus « radicaux » d’entre eux, c’est-à-
dire ceux qui recherchaient ostensiblement le martyre et avaient refusé de
sacrifier devant la cour, étaient mis à mort. La recherche est sans doute
devenue plus systématique à partir du règne de Dèce (251-253) si l’on
songe que des « certificats de sacrifice » – certaines de ces pièces ont été
retrouvées sur des papyrus – avaient été exigés pour garantir leur
tranquillité à ceux qui avaient sacrifié [LANE FOX 1997, p. 471-475]. Toujours
est-il que les pouvoirs publics romains (mais les situations ont pu varier
d’une province à l’autre, selon le zèle de l’autorité, et naturellement selon
les différentes séquences des persécutions) n’ont pas procédé à
une recherche systématique dans les cités et les campagnes
environnantes. Au lendemain de l’épisode des martyrs de Lyon
(Lugdunum) et de Vienne en 177, après les mises à mort qui ont eu lieu
dans l’amphithéâtre, des soldats surveillent les corps des victimes pour
empêcher leur inhumation, mais ils ne se lancent pas à la recherche
des chrétiens qui s’en approchent pour tenter de procéder à
l’accomplissement de rites funéraires. Et c’est ainsi que les cachots ont pu
devenir, dans le courant du IIe siècle et jusque dans les premières années
du IVe siècle, des lieux à la fois de contrainte extrême et d’accessibilité ou
d’attraction préfigurant la « porosité » reconnue des prisons à l’époque
moderne. Une même porosité qui conduisait les familles des victimes,
comme l’atteste par exemple Les martyrs de Palestine d’Eusèbe de Césarée, à
venir camper à proximité des mines où étaient condamnés les chrétiens
[RIVIÈRE 2004c, p. 218-224].

La Passion des saintes Perpétue et Félicité (Carthage, 203)

Dans la littérature martyriale, la Passion des saintes Perpétue et Félicité


tient une place à part, en raison du très large succès que cette Passio
africaine, très certainement authentique, a connu dès les années de sa
mise en circulation, très peu de temps après le déroulement du martyre
lui-même, qui eut lieu dans l’amphithéâtre de Carthage, sans doute en
203. Il s’agit assurément du seul écrit à caractère autobiographique rédigé
par une femme dans l’Antiquité romaine. Cependant, le texte de la Passio
est composite, car il mêle plusieurs voix : celle de l’éditeur lui-même qui
en a d’abord rédigé le prologue, avant de laisser place à la pièce centrale, à
savoir le récit autobiographique de l’arrestation, de l’incarcération et de
la comparution de Vibia Perputua, une jeune mère (elle allaite encore son
enfant), sans doute veuve (mais l’absence du mari, jamais mentionné,
pourrait revêtir une fonction dans le récit, plutôt qu’elle n’est le reflet de
la réalité décrite), âgée de 22 ans, arrêtée à Thuburbo Maius, avec
quelques autres catéchumènes. Quatre « visions » qu’elle a reçues en rêve
durant son incarcération, rédigées également de sa main, scandent ce
récit factuel et qui s’achève par une invitation, à la veille du supplice, à ce
qu’un coreligionnaire décrive le moment où elle va être livrée aux bêtes
(en dépit de son rang social qui l’élève au-dessus des autres catéchumènes,
certains d’entre eux étant d’origine servile) : « J’ai écrit cela jusqu’à
la veille des jeux ; quant au déroulement des jeux eux-mêmes, si quelqu’un
le veut, qu’il l’écrive » (Pass. Perp., 10, 15). Suit le récit d’autres visions
rapportées à la première personne par Saturus. Comme il n’avait pas été
au départ arrêté en même temps que les catéchumènes dont il avait assuré
l’instruction religieuse, ce personnage charismatique (il ne s’agit pourtant
pas d’un clerc, à la différence des deux diacres qui portent assistance aux
prisonniers), avait volontairement rejoint ses coreligionnaires : « par
la suite », écrit Perpétue, « il s’était livré (tradere) de lui-même (ultro) à
cause de nous » (Pass. Perp., 4, 5). L’éditeur reprend ensuite la parole pour
décrire l’accouchement de Félicité dans le cachot : alors qu’elle n’était
qu’au huitième mois de grossesse, elle avait craint de ne pas pouvoir
partager le martyre avec les autres et d’être livrée aux bêtes seulement
plus tard avec de simples « criminels » (scelerati), car la loi romaine
interdisait de mettre à mort une femme enceinte. Finalement, encouragée
par les autres détenus, « elle donna naissance à une fille, que l’une de ses
sœurs éleva comme sa propre fille » (Pass. Perp., 15, 7). L’éditeur décrit
ensuite les derniers moments des confesseurs dans le cachot et enfin,
obéissant à l’invitation de Perpétue à la fin des notes qu’elle avait rédigées
« de sa main », il termine par le récit du spectacle donné dans
l’amphithéâtre.
Le succès de ce texte ne s’est pas démenti durant toute l’Antiquité
tardive au cours de laquelle il a fait pourtant l’objet de commentaires
visant à gommer ses aspects les plus subversifs, voire scandaleux, à
commencer, évidemment, par la place de la jeune femme défiant les règles
de la société romaine, et tout particulièrement l’autorité de son père qui
l’implore jusque sur le tribunal d’abjurer sa foi – aux yeux de saint
Augustin, ces implorations du père sont une intervention du diable. Et
c’est ainsi que sont nés les Acta Perpetuae, un autre texte qui est le fruit
d’une réélaboration conforme aux représentations de l’Église [KITZLER
e
2015]. Depuis la redécouverte du premier manuscrit, au XVII siècle –
la version latine la mieux conservée, l’original, étant partiellement
corrompue, elle peut parfois être amendée par la version grecque, sans
doute issue d’une autre version latine [HEFFERNAN 2012] – le succès de cette
Passion, à la fois singulière (même si elle est devenue un modèle) et
authentique (en dépit des interventions probables de « l’éditeur » qui
la mise en circulation), ne s’est pas démenti. Elle a donc fait l’objet de très
nombreux commentaires historiques, théologiques et juridiques. Depuis
une trentaine d’années, ces commentaires se sont essentiellement portés
sur la subversion des rapports entre hommes et femmes qu’elle fait surgir
au sein d’une société romaine fondée sur la puissance paternelle et
l’autorité des pères (R2). Nous ne retiendrons ici que les quelques
indications topographiques qui permettent de dessiner une distribution
des lieux de détention, le cachot lui-même et ses espaces adjacents, qui
sont au cœur d’une logique procédurale indiquée plus haut et qui
permettent de comprendre également certains détails de la législation
postérieure, celle de l’Empire chrétien, relatifs au déroulement de
l’incarcération des prévenus.
Le prologue de la Passio (Pass. Perp., 2, 1) part de l’arrestation des jeunes
catéchumènes (le texte les désigne comme des adolescentes), sans en
préciser les circonstances, tandis que Perpétue débute son récit en
indiquant qu’ils étaient encore accompagnés de leurs gardes (prosecutores),
lorsque son père tenta de la persuader d’abjurer sa foi (Pass. Perp., 3, 1).
Quelques jours s’écoulent, sans indication de lieu, où ils reçoivent
le baptême. Puis elle découvre le carcer (Pass. Perp., 3, 5-6). Comme on
le comprend, et conformément à toutes les descriptions extraites de
la littérature païenne ou chrétienne ou du corpus juridique, le cachot
romain est constitué d’un espace particulièrement retiré (le « cachot »
proprement dit) et d’un (ou de plusieurs) espaces plus ouverts. Tantôt
les détenus sont libres de leurs mouvements (à l’occasion d’un repas),
tantôt ils sont « dans les liens » (Pass. Perp., 8, 1 : in neruo) – ce qui peut
aussi bien désigner des chaînes ou des entraves fixes, que, par métonymie,
le cachot le plus étroit. Par ailleurs, ce passage illustre le phénomène
observé plus haut de la fréquentation des lieux de détention par d’autres
coreligionnaires, y compris des diacres. Ces derniers, en effet, ne sont pas
inquiétés par les soldats, en dépit de leur foi, qu’ils affichent. Un peu plus
tard, les catéchumènes sont conduits au tribunal, sur le forum, où le père
de Perpétue tente une dernière fois de la convaincre d’abjurer, alors
qu’elle monte sur l’estrade (catasta) devant une large foule, attirée par
la rumeur de la comparution. À l’issue de l’interrogatoire, le procurateur
Hilarianus, détenteur du « droit de glaive » (ius gladii), en remplacement
du proconsul Minucius Timinianus, décédé peu de temps auparavant,
les condamne aux bêtes (Pass. Perp., 6, 1-6). Des diacres circulent encore
auprès des prisonniers après ce jugement, pour les assister dans l’attente
du supplice. De nouveau, seuls les aspects matériels et procéduraux
retiennent ici notre attention, sans qu’on envisage autrement le drame
qui se joue. Le récit indique un peu plus bas que Félicité parvient à
accoucher en détention grâce aux prières des « compagnons de martyre »
(conmartyres), alors qu’elle n’était qu’au huitième mois de grossesse. Elle
craignait en effet que son supplice ne soit repoussé « parce qu’il n’est pas
permis que soient présentées à la peine (poenae repraesentare) des femmes
enceintes » (Pass. Perp., 15, 2). Plusieurs textes de jurisprudence conservés
au Digeste indiquent en effet qu’il était interdit d’exécuter une femme
enceinte [HEFFERNAN 2012, p. 306-307]. « On la conserve généralement <en
vie> jusqu’à ce qu’elle ait mis au monde ! », proclame notamment un
rescrit d’Hadrien (R42q).
De quelle prison de Carthage s’agissait-il ? Il est difficile d’y répondre,
en l’absence de surcroît de vestiges archéologiques identifiés. Selon
les rares allusions topographiques du récit, le cachot apparaît tantôt
proche de la place, le forum, tantôt il paraît situé à distance de la ville.
Dans le premier cas, il s’agirait de la prison de la cité, dans le second de
la prison militaire, comme paraît le souligner la désignation du chef de
la prison (praepositus carceris) comme miles optio. Ce sous-officier (Pass.
Perp., 9, 1) (HEFFERNAN 2012, p. 242-244) pourrait être un membre de
l’officium du gouverneur (R13).

Topographie carcérale et conditions de détention :


les préoccupations du législateur

Le point de convergence constitué par le cachot des cités au cours


des persécutions contre les chrétiens, et la naissance immédiate d’une
littérature qui accordait aux lieux de l’incarcération une place de premier
plan dans la mise en scène de la préparation du martyre des saints (ou de
la chute des apostats) auraient-ils également transformé ces espaces en
lieux de mémoire ? Il ne semble pas, car le culte des martyrs a le plus
souvent trouvé place dans les espaces, réels ou supposés de l’inhumation,
ou, très rarement, à l’endroit où s’était déroulé le martyre. On pense, en
particulier, à l’un des lieux du culte de Sainte-Agnès, martyrisée lors de
la Grande persécution, dans le « Stade de Domitien » (le Stadium Domitiani
s’élevait à l’endroit de l’actuelle place Navone, dominée encore
aujourd’hui par l’église Sant’Agnese in Agone de Borromini), mais
les exemples de localisation de la mémoire des Saints dans les édifices de
spectacle sont très rares [BOWES 2014]. La chapelle dédiée aux saintes
Perpétue et Félicité que l’on découvre aujourd’hui dans l’arène de
e
l’amphithéâtre de Carthage y a été élevée à la fin du XIX siècle. Quant aux
espaces de détention, on ne peut encore évoquer seulement que le cas
particulier de la prison mamertine de Rome : dès l’Antiquité tardive,
la conviction selon laquelle elle aurait été le lieu d’incarcération
des apôtres Pierre et Paul avant leur supplice sous Néron s’est répandue.
Dans la législation impériale, on observe dès les années qui ont suivi
la fin des persécutions, sous le règne de Constantin (306-337) notamment,
une attention toute particulière à la condition des prévenus incarcérés, à
la distribution des espaces de détention, au contrôle de la conduite
des gardiens. Deux lois de 320 (R18c ; R18d) reflètent tout
particulièrement cette nouvelle préoccupation. Après avoir exigé
la célérité du déroulement du procès afin de réduire le temps
d’incarcération, dans un souci de lutte contre le déni de justice significatif
e
de la législation du IV siècle [FERRARI ZUMBINI 1997], la loi en question prend
la mesure du poids des chaînes infligées aux prévenus, elle veille encore à
leur permettre de « jouir de la lumière » sans être toujours plongés « dans
les ténèbres d’une pièce (sedes) retirée », d’être placés la nuit dans
les « pièces d’entrée » (uestibula) et des « lieux salubres », et ramenés
le jour « à la lumière commune », afin qu’ils n’endurent pas « les peines du
cachot », « ce qui est reconnu comme étant déplorable pour les innocents,
mais pas assez sévère pour les coupables ». Rappelons ce que nous avons
tenté de démontrer ailleurs [RIVIÈRE 2004c, p. 206-207] : les « peines du
cachot » désignent les souffrances de l’incarcération, tandis que
la formule de justification opposant le sort des innocents à celui
des coupables ne signifie en aucune façon l’application d’une « peine de
détention » (absente de la législation criminelle tout au long de l’histoire
de Rome). Elle juxtapose le sort des prévenus dont on suppose l’innocence
avant la sentence, et celui des condamnés dans l’attente du supplice.
Le texte s’achève par une condamnation de l’arbitraire des geôliers
(stratores) et de leurs agents (ministri), accusés de conduire à la mort « par
une lente décomposition les personnes soustraites à l’audience ».
Les « juges », eux-mêmes (comme ici, le terme iudices à cette époque
s’applique souvent aux gouverneurs), seraient alors tenus pour
responsables des fautes de leurs subordonnés.
Cette loi peut-elle être considérée comme « d’inspiration chrétienne »
en raison des principes de meilleur traitement des détenus qu’elle
invoque ? C’est ce que suggérait le juriste genevois Jacques Godefroy
(1587-1652) dans sa monumentale édition commentée du Code théodosien :
« Constantin le Grand interdit par cette loi très humaine et très
chrétienne que l’on vienne à bout des prévenus par une longue et cruelle
détention et un enchaînement punitif, comme le dit Ammien Marcellin »…
L’allusion à la formule employée par le grand historien de la fin du
e
IV siècle doit être ici soulignée, car on ne peut en aucune façon, de

nouveau, l’invoquer pour supposer [contra HILLNER 2015, p. 134], l’existence


d’une « peine de prison ». L’emploi d’une telle formule des « verrous
punitifs » (claustra poenalia) s’applique précisément dans les deux pages
invoquées (Ammien Marcellin, 15, 3, 11 ; 19, 12, 7) – la démonstration en
serait aisée – aux sévices infligés à des prévenus traînés enchaînés devant
le juge – quitte à recevoir pour certains la promesse d’une libération
(absolutio) prochaine –, pour comparaître. Quant à l’influence chrétienne
de la loi de Constantin, Jacques Godefroy l’invoquait tout en tenant ce
texte à part des trois dispositions légales qui sont explicitement
chrétiennes. Ces trois dispositions sont l’interdiction du marquage au
visage des condamnés à l’école de gladiateurs (ludus) (R45b), le rejet
des « jeux sanglants » (cruenta spectacula) (Commentaire à R45), et
la suppression du supplice de la croix [RIVIÈRE 2002b, p. 351-361]. Deux
siècles et demi plus tard, Th. Mommsen tenait cette même loi pour « la
première qui prescrive un traitement humain des prisonniers » [MOMMSEN
1907, I, p. 356]. Assurément, mais pour bien la comprendre, il faut
la replacer dans un dispositif global témoignant d’abord d’une
préoccupation bureaucratique. Selon ce dispositif, les condamnés qui ont
fait appel dans des causes civiles, à la différence des criminels ayant eux-
mêmes fait appel, ne doivent en aucune façon souffrir « le supplice du
cachot » (carceris cruciatus). Le cachot est mis ici sur le même plan que
les « tortures » (tormenta) ou les « offenses » (contumeliae) : les officiers
(stationarii) au service du gouverneur ne doivent en aucune façon procéder
à des détentions arbitraires, même à l’encontre des prévenus dignes
des « verrous du cachot » (claustra carceris) et de « l’âpreté d’une
détention » (custodiae squalor) (R50k1) [RIVIÈRE 2004c, p. 207-215].
Au sein de ce dispositif législatif et administratif, se dessinent donc
des lieux de détention (sans que les recherches archéologiques aient
véritablement permis jusqu’à présent de recouper ces indications
textuelles) et une circulation des prisonniers que nous avaient laissé
entrevoir les Actes des Martyrs. En comparaison de ce que ceux-ci laissaient
voir, une nouveauté importante paraît remonter au règne du successeur
de Constantin (306-337), Constance (337-361), qui aurait instauré la
séparation spatiale des sexes, en dépit de l’accusation commune pesant
sur les détenus en question (R18f). C’est, pour la première fois, sous
le règne de Constantin que le premier jour de la semaine, « le jour
convenable pour les prières », le dimanche, devint également un jour de
repos (à l’instar du sabbat) où les activités seraient suspendues, à
l’exception de celles, comme les récoltes ou les vendanges, qui ne
pouvaient pas être différées. Selon une nomenclature traditionnelle
héritée du paganisme, ce jour fut d’abord désigné par le législateur
comme « le jour vénérable du soleil », avant que ne s’impose, après
une phase transitoire d’explicitation et de juxtaposition des deux
formules, l’expression chrétienne du « jour du Seigneur, qui tire son nom
du respect même où il est tenu » (Code théodosien, 2, 8, 23) [RIVIÈRE 2015].
Les « courses du cirque », les « spectacles immondes », furent interdits en
ce jour, mais aussi le prélèvement de l’impôt, ou les litiges devant
les tribunaux, et toute activité judiciaire. C’est donc le dimanche qu’une
grâce hebdomadaire particulière fut également réservée aux détenus.
Une loi de l’année 409 (Code théodosien, 9, 3, 7) ne revêt pas seulement
le caractère d’une libéralité ostentatoire à l’égard des prisonniers (les plus
pauvres doivent recevoir de la nourriture, et tous être conduits au bain
sous bonne garde), elle envisage en effet que ces « sorties du dimanche »
s’accompagnent d’un examen et d’un interrogatoire des détenus, afin que
les pouvoirs publics aient connaissance du traitement qu’ils subissent de
la part des gardiens (R18g). De nouveau, les juges sont alors menacés d’une
amende en cas de mauvais traitements, une autre amende pesant
également sur leur bureau (officium), selon un principe de contrôle de
la justice – elle repose sur un levier traditionnel de répression collective,
invitant les subordonnés à dénoncer leurs supérieurs – qui s’est alors
généralisé dans l’Empire [RIVIÈRE 2007]. Remarquable est la volonté du
législateur, manifestée dans la même constitution, de solliciter également
la surveillance de l’appareil bureaucratique par les clercs : « Quant aux
prêtres de la religion chrétienne (antistites christianae religionis), ils ne
manqueront pas à la charge digne d’éloges (cura laudabilis) d’imposer cette
monition à l’attention du juge qui a été mis en place ». Cette sollicitation
est en effet la contrepartie de directives énoncées par les mêmes pouvoirs
publics menaçant les clercs et les moines pour leurs interventions
intempestives au service des condamnés menés au supplice, comme nous
le verrons (R45p).
Si ces sorties du dimanche avaient un caractère ponctuel consistant en
une protection de l’intégrité physique des prévenus, plusieurs lois
conservées dans le Code théodosien sous le titre « Des indulgences
accordées aux crimes » (De indulgentiis criminum) constituent de véritables
« remises de peine » le jour de la célébration pascale (R49). Sont écartés
toutefois de ces actes inspirés ici par la religion, mais qui trouvent leur
origine dans « l’exercice de la clémence du prince », non seulement
une longue liste de crimes parmi les plus graves, mais également
les auteurs de récidive. Rappelons pour finir le plus ancien (5 mai 367 ou
369) des fragments de loi conservés sous ce titre (Code théodosien, 9, 38, 3).
La formulation est concise. Cependant, le lexique ne laisse planer aucune
incertitude, en dépit des doutes qui ont pu encore récemment être
formulés à ce sujet, sur le fait que les personnes visées ne sont en rien
des condamnés à une « peine de prison », mais des « prévenus » (rei), ou
des individus sous le coup d’une « imputation » (reatus) dans l’attente de
leur procès. Les criminels exclus de cette indulgentia sont, dans tout
le reste de la législation, constamment menacés de la « peine capitale » –
qu’il s’agisse d’une exécution proprement dite ou de l’exil accompagné
d’une perte de citoyenneté (deportatio) (R43). Pas plus dans la législation
de l’Empire tardif qu’au cours des siècles précédents, la détention dans
un cachot n’apparaît donc comme une peine, sinon lorsque le séjour
prolongé qu’entraîne un déni de justice et les souffrances que les prévenus
y endurent conduisent à considérer le cachot, d’un point de vue empirique
et non normatif, comme un « supplément de peine ». Mommsen ne s’y
était pas trompé, et si son œuvre témoigne, à n’en pas douter, d’un effort
de « systématisation » et d’une tentation, caractéristique de son époque,
d’isoler les directives légales (« légalisme ») en considérant les pratiques
qui les contredisent comme des déviances, il n’y a pas lieu de considérer
qu’« en pratique » la prison était devenue une peine au cours de l’Empire
romain [contra HILLNER 2015, p. 135-139]. La naissance du monachisme et
e
la rédaction de règles monastiques à partir du IV siècle auraient-elles
conduit à envisager la détention comme une peine destinée à « corriger »
(emendare) les individus ? À l’examen il apparaît que l’isolement spatial a
vite été considéré comme une punition à l’intérieur des communautés de
moines, mais qu’aucun lieu spécifique, dans l’Antiquité, n’y était destiné :
e
ce n’est qu’à partir du VII siècle que les mots carcer ou phulakè
apparaissent dans ce contexte pour désigner un lieu spécifique dans
le monastère [HILLNER 2015, p. 185-195]. Les étapes de ce processus
appelleraient peut-être encore un examen plus approfondi, afin de
vérifier concrètement l’hypothèse qui traverse certains écrits de Michel
Foucault consacrés à l’enfermement, et selon lesquels le régime de
la réclusion monastique pourrait constituer une étape dans la généalogie
de la prison moderne.
19

Accusées, accusatrices, témoins : les femmes


et la procédure pénale publique (de la cité
à l’Empire)

a. L’affaire des poisons de 331 av. J.-C.

A1. L’ACTION CRIMINELLE DES MATRONES SEMBLE UN PRODIGE QUI APPELLE


LA DÉSIGNATION D’UN DICTATEUR « CHARGÉ DE PLANTER UN CLOU » (TITE-
LIVE, 8, 18, 1-13 ; ÉPOQUE AUGUSTÉENNE)
1. L’année suivante, sous le consulat de M. Claudius Marcellus et de
C. Valerius, fut rendue funeste (foedus), soit en raison de l’inclémence de
l’atmosphère, soit en raison de la perfidie (fraus) humaine. 2. Je trouve
dans les annales diverses traditions quant au surnom du consul, tantôt
Flaccus, tantôt Potitus ; mais il importe peu en réalité de savoir à ce sujet
quel est le vrai. Ce que je désirerais vivement – mais tous les auteurs ne
sont pas unanimes à ce sujet –, c’est que ce qui est rapporté soit faux, à
savoir que ceux dont la mort avait rendu l’année infâme (infamis) en raison
d’une contagion, auraient été emportés par des poisons. 3. Cependant,
l’affaire doit être exposée telle qu’elle est rapportée, sans que j’enlève à
aucun des auteurs la foi <qu’on lui doit>. 4. Alors que les premiers
personnages de la cité mouraient tous à peu près de la même fin, à l’issue
de maladies semblables, une servante, après s’être présentée à Q. Fabius
Maximus, édile curule, déclara qu’elle était en mesure de révéler la cause
de ce fléau (pestis) public, s’il elle recevait de lui l’assurance que
la dénonciation (indicium) qu’elle ferait ne lui apporterait aucun préjudice
(noxa). 5. Fabius en réfère sur-le-champ aux consuls, et les consuls au
sénat, et de l’avis unanime de l’ordre <sénatorial>, on accorde foi à
la dénonciatrice (index). 6. Elle révéla alors que la cité était soumise à
la perfidie (fraus) des femmes et que des matrones préparaient ces poisons
(uenena), et que s’ils voulaient la suivre sur-le-champ, il était possible de
les arrêter en flagrant délit (manifesto deprehendere). 7. Ayant suivi
la dénonciatrice, ils découvrirent certaines matrones en train de préparer
des drogues (medicamina), tandis que d’autres <drogues> étaient tenues
cachées (recondita). 8. Celles-ci ayant été transportées sur le forum, et
une vingtaine de matrones chez lesquelles elles avaient été saisies ayant
été convoquées par l’appariteur (uiator), deux d’entre elles, Cornelia et
Sergia, l’une et l’autre de famille patricienne, alors qu’elles affirmaient
que ces drogues étaient bienfaisantes (salubria), furent confondues par
la dénonciatrice qui leur intima l’ordre de les boire, afin de prouver que ce
qu’on avançait était faux. 9. Un laps de temps leur ayant été accordé pour
converser, alors que le peuple avait été écarté, elles firent part aux autres
de l’affaire ; celles-ci ne refusant aucunement de boire, elles absorbèrent
la drogue <sous les yeux de tous> et elles moururent toutes de leur propre
perfidie. 10. Alors qu’elles venaient d’être arrêtées (comprehendere), sur-le-
champ, des complices (comites) dénoncèrent un grand nombre de
matrones. Parmi elles, cent soixante dix furent condamnées. 11. Avant ce
jour, jamais, à Rome, on n’avait mené d’enquête (quaerere) au sujet de
poisons (ueneficia). Cette affaire de prodige (prodigium) fut considérée
comme le résultat d’esprits possédés (capti), plutôt que souillés par
un crime (conscelerati). 12. C’est pourquoi, grâce aux annales, le souvenir
étant revenu que lors des sécessions de la plèbe un clou (clauus) avait été
planté (fixus) par un dictateur (dictator), afin que les esprits des hommes
aliénés (alienatae mentes) par la discorde (discordia) fussent rendus à eux-
mêmes par cette expiation (piaculum), il parut bon de créer un dictateur
chargé de planter un clou (claui figendi causa dictator). 13. Cn. Quinctilius
fut créé <dictateur> et il désigna L. Valerius comme maître de cavalerie.
Ceux-ci, une fois le clou planté, abdiquèrent leur magistrature.

A2. LA DÉNONCIATION D’UNE SERVANTE (VALÈRE MAXIME, 2, 5, 3 ; APRÈS


FIN 31 AP. J.-C.)

Alors qu’un tribunal d’enquête (quaestio) pour empoisonnement


(ueneficium) était ignoré des moeurs et des lois des Romains, il tira son
origine de la découverte du crime (scelus) commis par un grand nombre de
matrones. Ces dernières, alors qu’elles faisaient mourir par le poison
(uenenum) leurs maris à l’occasion de pièges échafaudés en secret (insidiae
clandestinae), furent découvertes par la dénonciation (indicium) d’une
servante, et la partie d’entre elles qui furent condamnées par un jugement
capital (iudicium capitale) atteignit le nombre de cent soixante-dix.

A3.LES MŒURS DES MATRONES, PLUS INSUPPORTABLES QU’UNE ÉPIDÉMIE


(AUGUSTIN, LA CITÉ DE DIEU, 3, 17, 2 ; APRÈS 413 AP. J.-C.)
Où étaient les dieux, lorsque naquit une autre épidémie (pestilentia)
insupportable, dont l’origine fut attribuée à la confection de poisons
(ueneficia) par les matrones, quand, au-delà de tout ce qu’on aurait pu
croire, les mœurs de beaucoup d’entre elles parmi les nobles s’avérèrent,
lorsqu’elles furent découvertes (deprehendere), plus insupportables que
toute épidémie.
b. Matrones condamnées dans un procès
édilicien pour souillure sexuelle
(stuprum), en 295 av. J.-C. (Tite-Live,
10, 31, 8-9 ; époque augustéenne)
Cette année-là Q. Fabius Gurges, le fils du consul, infligea (multare)
une amende (pecunia) à quelques matrones qui avaient été condamnées
devant le peuple (ad populum) pour souillure sexuelle (stuprum) ; avec
l’argent provenant de l’amende, il s’employa à faire élever le temple de
Vénus qui se trouve à proximité du cirque (Aedes Veneris prope Circum).

c. Le procès contre Claudia, en 246 av. J.-


C., invoquant par « un vœu impie »
le souvenir du désastre de Drepanum

C1. « PLÛT AU CIEL QUE MON FRÈRE FÛT ENCORE VIVANT ! » (TITE-LIVE,
e e
ABRÉGÉS, 19, 8-9 ; III OU IV SIÈCLES AP. J.-C. D’APRÈS L’ŒUVRE
DE TITE-LIVE ; ÉPOQUE AUGUSTÉENNE)

Claudia, la sœur de P. Claudius qui, pour avoir négligé les auspices,


avait livré bataille alors qu’il n’aurait pas dû, tandis qu’elle revenait
des jeux et qu’elle était pressée par la foule déclara : « plût au ciel que mon
frère fut encore vivant et qu’il commandât de nouveau une flotte ». Pour
cette raison une amende (multa) fut prononcée à son encontre.
C2. L’INCULPÉE EST POURSUIVIE POUR CES PROPOS, ALORS QU’ELLE VIENT
D’ÊTRE INNOCENTÉE DANS UN AUTRE PROCÈS (VALÈRE MAXIME,
8, 1, 4 ; APRÈS FIN 31 AP. J.-C.)
Qu’on ajoute à ces exemples Claudia, laquelle, tandis qu’elle était
innocente (insons) du grief (crimen) en vertu duquel elle était accusée
(accusare), fut abattue en raison d’un vœu impie (uotum impium). En effet,
alors qu’elle rentrait chez elle et qu’elle était écrasée par la foule, elle avait
exprimé le souhait que son frère qui avait causé une perte sans équivalent
de nos forces marines revînt à la vie pour qu’il fût fait très souvent consul
et que par son commandement funeste (infelix) il diminue la trop grande
abondance de population de la ville.

C3. UNE POURSUITE DE LÈSE-MAJESTÉ ? (SUÉTONE, TIBÈRE,


2, 7 ; 120 AP. J.-C. ENV.)
Et cette femme qui endura selon une nouvelle coutume (mos nouus)
un procès de majesté (iudicium maiestatis) devant le peuple (apud populum),
parce qu’elle avait ouvertement formé le vœu (optare), alors que son char
progressait avec difficulté au milieu d’une multitude compacte, que son
frère Pulcher revînt à la vie et qu’il abandonnât la flotte une seconde fois,
afin qu’il y eût moins de foule à Rome.

C4. UN PROCÈS ÉDILICIEN EN AMENDE DEVANT LE PEUPLE (AULU-GELLE,


10, 6, 1-4 ; PUBLICATION POSTHUME EN 180 OU APRÈS)
Une amende fut infligée par les édiles de la plèbe à la fille d’Appius
Claudius, une femme noble, parce qu’elle s’était exprimée de la manière
la plus impudente (petulans). 1. On ne tirait pas seulement vengeance
(uindicare) publiquement des faits (facta), mais également des paroles
les plus impudentes ; on considéra en effet que c’était de cette façon que
la dignité de la discipline (disciplina) romaine était rendue inviolable
(inuiolabilis). 2. La fille de ce <fameux> Appius Claudius, alors qu’elle s’en
revenait des jeux auxquels elle avait assisté, fut ballottée par la foule du
peuple qui formait un courant dans un sens et dans l’autre. Et lorsqu’elle
fut sortie de cette situation, alors qu’elle prétendait qu’on l’avait traitée de
mauvaise manière : « qu’est-ce qui m’aurait été infligé maintenant », dit-
elle, « combien aurais-je été maltraitée, et de manière plus oppressante et
étouffante encore, si P. Claudius, mon frère, n’avait pas perdu, lors d’un
combat naval, la flotte de ses navires avec un nombre immense de
citoyens ! » 3. En raison de termes aussi effrontés (improbus) et aussi
violents (inciuilis) prononcés par une femme, C. Fundanius et Tiberius
Sempronius, édiles de la plèbe, prononcèrent une amende (multa) de
vingt-cinq mille as. 4. Ateius Capito, dans son mémoire (commentarium)
Sur les jugements publics, dit que cela s’est produit au cours de la première
guerre punique, sous le consulat de Fabius Licinus et d’Otacilius Crassus.

d. Matrones condamnées dans un procès


édilicien pour conduite infamante
en 213 av. J.-C. (Tite-Live,
25, 2, 9 ; époque augustéenne)
L. Villius Tappulus et M. Fundanius, édiles de la plèbe, accusèrent
(accusare) quelques matrones devant le peuple (apud populum) pour
conduite infamante (probrum) ; certaines d’entre elles ayant été
condamnées partirent en exil.
e. La conjuration des bacchanales
de 186 av. J.-C. (cf. R8)

f. Quarta Hostilia condamnée pour


l’empoisonnement de son mari, le consul
C. Calpurnius Piso, en 180 av. J.-C. (Tite-
Live, 40, 37, 4-7 ; époque augustéenne)
4. Le soupçon d’une perfidie (fraus) humaine s’était insinué dans
les esprits et, en vertu d’un sénatus-consulte, fut décrétée (decreta)
<l’ouverture> d’un tribunal d’enquête (quaestio) pour empoisonnement
(ueneficium) : ce qui avait été perpétré (committere) dans la ville et à
proximité de la ville, dans un rayon de dix mille pas, incombait au préteur
C. Claudius, lequel remplaçait alors Ti. Minucius, tandis que <ce qui avait
été perpétré> au-delà de la dixième pierre, dans les marchés (forma) et
dans les lieux d’assemblées (conciliabula) incombait à C. Maenius, avant
qu’il n’effectue la traversée <maritime> vers la province de Sardaigne
<pour laquelle il avait été désigné>. 5. C’était la mort du consul qui élevait
le plus de soupçons. On disait qu’il avait été tué par sa femme, Quarta
Hostilia. 6. Et lorsque le fils de celle-ci, Q. Fulvius Flaccus, fut proclamé
consul à la place de son beau-père (uitricus), la mort de Pison commença à
apparaître encore plus infâme (infamis). Il se trouvait des témoins qui
prétendaient qu’après qu’Albinus et Pison eurent été proclamés consuls, à
l’issue des comices qui avaient repoussé la candidature de Flaccus, la mère
de ce dernier lui avait reproché d’avoir échoué pour la troisième fois lors
d’une élection au consulat. Elle aurait alors ajouté qu’il se prépare à
une nouvelle candidature : sous deux mois, disait-elle, elle le ferait consul.
7. Parmi un grand nombre d’autres témoignages (testimonia) relatifs à
cette cause, une telle déposition, trop confirmée par ce qui s’était produit,
pesa tant que Hostilia fut condamnée.

g. Publilia et Licinia, deux nobles,


empoisonneuses de leurs maris en 154-
151 av. J.-C.

G1. LES ACCUSÉES FOURNISSENT DES CAUTIONS AU PRÉTEUR MAIS SONT


e
EXÉCUTÉES PAR LEURS PARENTS (TITE-LIVE, ABRÉGÉS, 48, 12-13 ; III OU
e
IV SIÈCLES AP. J.-C., D’APRÈS TITE-LIVE ; ÉPOQUE AUGUSTÉENNE)

Une enquête est conduite au sujet des empoisonnements. Publilia et


Licinia, deux femmes de la noblesse, étaient accusées (insimulare) d’avoir
mis à mort (necare) leurs maris, des consulaires. Après que la cause eut fait
l’objet d’une enquête (cognoscere), alors qu’elles avaient fourni au préteur
des répondants (praedes) comme cautions (uades), elles furent mises à mort
par décision de leurs parents consanguins (decretum cognatorum).

G2. STRANGULATION DES DEUX PRÉSUMÉES COUPABLES PAR LES PARENTS,


AFIN D’ÉVITER LES DÉLAIS D’UNE « ENQUÊTE PUBLIQUE » (VALÈRE MAXIME,
6, 3, 8 ; APRÈS FIN 31 AP. J.-C.)
Publicia et Licinia qui avaient mis à mort (necare) par le poison
(uenenum), le consul Postumius Albinus et Claudius Asellus, leurs maris
respectifs, furent étranglées (strangulare) sur la décision de leurs proches
(propinqui). Ces hommes très sévères pensèrent en effet qu’en raison d’un
crime (crimen) aussi flagrant, il ne fallait pas attendre le long délai d’une
enquête publique (publica quaestio). C’est pourquoi, si elles avaient été
innocentes, ils auraient été leurs défenseurs, mais comme elles étaient
coupables, ils s’élevèrent promptement en vengeurs.

h. La courtisane Manilia fait appel


aux tribuns contre l’édile Hostilius
Mancinus, en 151 av. J.-C. (Aulu-Gelle,
4, 14, pr.-6 ; publication posthume
en 180 ou après)
Pr. On rapporte cette histoire au sujet d’Hostilius Mancinus, l’un
des édiles, et de Manilia, une courtisane (meretrix). Termes contenus dans
le décret des tribuns, auquel Manilia a fait appel (prouocare). 1. Alors que
nous lisions le neuvième livre des Conjectures d’Ateius Capito, intitulé
Des jugements publics, un décret des tribuns est apparu plein d’une antique
gravité. 2. Relativement à cela nous avons gardé le souvenir de ce qui a été
écrit en raison de cette cause et dans cette sentence. 3. Aulus Hostilius
Mancinus était alors édile curule. 3. Celui-ci assigna un jour <à
comparaître> (diem dicere) devant le peuple (ad populum) à Manilia
la courtisane, parce qu’il avait été frappé de nuit (noctu) par une pierre
(lapis) <lancée> depuis l’étage de celle-ci, et il montrait (ostendere)
la blessure (uulnus) <provoquée> par cette pierre. 4. Manilia fit appel
(prouocare) aux tribuns de la plèbe. 5. Devant eux, elle déclara que
Mancinus s’était rendu en noceur (commessator) à la maison (aedes) où elle
habite. Qu’en raison de la fonction qu’il occupait, elle ne pouvait
le recevoir, mais que, tandis qu’il tentait de faire irruption avec violence
(ui inrumpere), elle l’avait chassé en lançant des pierres. 6. Les tribuns
décrétèrent que c’était bien conformément au droit que l’édile avait été
repoussé de ce lieu, parce qu’il n’était pas convenable qu’il s’y soit rendu
avec une petite couronne (corollarium) sur la tête ; en conséquence, ils
intercédèrent (intercedere) pour empêcher l’édile d’intenter une action
avec le peuple (cum populo agere).

i. Un exemple de piété filiale :


en 150 av. J.-C. (?), une fille allaite dans
le cachot sa mère (ou son père)

I1. L’EXÉCUTION DE LA MÈRE RETARDÉE PUIS ANNULÉE (VALÈRE MAXIME,


5, 4, 7 ; PEU APRÈS 31 AP. J.-C.)
(…) Après avoir condamné une femme de naissance ingénue devant
son tribunal, le préteur la livra au triumvir <capital> pour qu’elle soit mise
à mort (necare) dans le cachot. Lorsqu’elle y fut reçue, celui qui
commandait la garde (custodia), poussé par la pitié, ne l’étrangla
(strangulare) pas aussitôt. Or, tandis que plusieurs jours déjà s’étaient
écoulés et que lui-même se demandait comment il était possible qu’elle
supportât si longtemps un tel traitement, poussé par la curiosité, il
observa la fille, et la vit, le sein découvert, apaisant la faim de sa mère par
l’assistance de son propre lait. Le récit de ce spectacle sans précédent, si
merveilleux, après avoir été transmis par lui-même au triumvir, par
le triumvir au préteur, par le préteur au conseil des juges (consilium
iudicum), permit ensuite à la femme d’obtenir une remise de peine
(remissio poenae). Jusqu’où ne pénètre-t-elle pas, que n’imagine-t-elle pas
cette piété filiale ? Elle qui invente un nouveau système pour porter
assistance dans le cachot à sa génitrice ? Qu’y a-t-il en effet d’aussi rare,
d’aussi inouï, qu’une mère nourrie aux seins de sa fille ? D’aucuns
penseraient qu’un tel fait s’élève contre la nature des choses, si aimer son
parent, précisément, n’était pas la première loi de la nature.
I2.LA FILLE REÇOIT DU GARDIEN UN DROIT DE VISITE À SA MÈRE (PLINE
L’ANCIEN, 7, 121 ; 77 AP. J.-C.)

Il est vrai qu’on trouve partout dans le monde des exemples infinis de
piété filiale (pietas), mais il en est un à Rome, auquel il est impossible de
comparer tous les autres. Une femme de condition humble (humilis), née
dans la plèbe et <dont le nom> par conséquent <est> demeuré obscur
(ignobilis), venait d’accoucher, alors même que sa mère était enfermée
dans le cachot, pour y subir le supplice (supplicii causa). Alors qu’elle [la
fille] avait obtenu un droit de visite (aditus), et qu’elle était toujours
fouillée auparavant par le gardien (ianitor), afin qu’elle n’apporte aucune
nourriture, elle fut prise sur le fait (deprehendere), alors qu’elle était en
train d’alimenter cette <mère> de ses seins. En raison d’un tel prodige
(miraculum), la vie sauve (salus) de la mère fut accordée à la piété filiale,
l’une et l’autre reçurent à perpétuité un approvisonnement en
subsistances. L’endroit en question fut même consacré à la déesse, sous
le consulat de C. Quinctius et de M. Acilius, par la construction d’un
temple de la Piété (Aedes Pietatis), au lieu <précisément> où se trouvait ce
cachot, et où s’élève aujourd’hui le théâtre de Marcellus (Theatrum
Marcelli).

I3. LA FILLE ALLAITE SON PÈRE. CELUI-CI REÇOIT L’IMPUNITÉ (VERRIUS


FLACCUS, DE LA SIGNIFICATION DES MOTS, FIN DE L’ÉPOQUE AUGUSTÉENNE ;
e e
D’APRÈS L’ABRÉGÉ DE FESTUS, P. 228 LINDSAY, 2 MOITIÉ DU II SIÈCLE
AP. J.-C.)

On rapporte qu’un temple a été consacré à la Piété par Acilius à


l’endroit où jadis avait habité une femme qui, alors que son père était
enfermé dans le cachot, l’avait nourri de ses seins : en raison de ce fait,
l’impunité (impunitas) fut accordée à ce dernier.
j. Un « parricide » efface l’autre,
aux yeux du juge : en 147/142 av. J.-C.,
une mère tue sa propre mère qui avait
assassiné ses petits-enfants (Valère
Maxime, 8, 101, 8, 1 amb. 1 ; peu après
31 ap. J.-C.)
Et puisque nous relatons la situation de ceux dont la tête a été mise en
péril et qui n’ont été ni condamnés ni absous (absoluere), parlons de cette
femme qui défendit sa cause (causam dicere) devant le préteur M. Popilius
Laenas pour avoir tué (interimere) sa mère en la frappant (percutere) d’un
bâton. Les sentences portées ne permirent pas de trancher, parce qu’il
était amplement établi que, bouleversée par la douleur en sachant que ses
enfants avaient été mis à mort (necare) par le poison (uenenum), et avaient
ainsi été punis (susferre) par l’hostilité de l’aïeule à l’égard de sa fille :
le parricide (parricidium) avait donc été vengé (ulciscor) par le parricide.

k. « Une femme ne se mêle pas des graves


activités des hommes » ! Et pourtant,
en 101 av. J.-C., Sempronia, sœur
des Gracques, « ne dérogeant en rien
à la grandeur des siens », a témoigné
« sans émotion » devant le peuple réuni
(Valère Maxime, 3, 8, 6 ; après
fin 31 ap. J.-C.)
Qu’a à voir une femme avec une réunion préparatoire du peuple
(contio) ? À s’en tenir à la coutume de nos pères (patrius mos), rien. Mais
une fois que la tranquillité intérieure (domestica quies) a été perturbée par
des troubles (fluctus), l’autorité de l’usage (consuetudo) d’autrefois est
ébranlée, ce que la violence (uiolentia) dicte par la contrainte a plus de
force que ce que conseille et ce qu’enseigne la retenue (uerecundia). C’est
pourquoi, toi Sempronia, sœur de Tiberius et de Caius Gracchus, épouse de
Scipion Émilien, je n’entends pas t’envelopper dans un discours
malveillant, en considérant que de manière absurde tu es venue te mêler
aux graves activités des hommes, mais, c’est parce que tu étais présentée
par un tribun de la plèbe devant le peuple, dans la plus grande confusion,
et parce que tu n’as en rien dérogé à la grandeur des tiens, que j’entends
perpétuer ta mémoire estimée. Tu as été contrainte de demeurer
imperturbable, en ce lieu où, d’ordinaire, la physionomie des premiers de
la cité était troublée par l’émotion. Sur toi s’appliquait sans relâche, de
son visage menaçant, répandant des menaces, <le détenteur de> la plus
haute puissance, le forum tout entier retentissait de la clameur d’une
multitude ignorante qui s’efforçait, avec le zèle le plus vif, de faire en sorte
que tu donnes à Equitius qui revendiquait le droit infondé (falsum)
d’appartenir à la gens Sempronia, le baiser par lequel il serait reconnu
comme le fils de ton frère Tiberius. Toi, cependant, tu as repoussé ce
monstre (portentum), qu’on avait fait sortir de je ne sais quelles ténèbres.

l. Dans la première moitié du Ier siècle


av. J.-C., Amesia de Sentinum mène
une plaidoirie devant le préteur, avec
« une âme d’homme » (Valère Maxime,
8, 3, pr.-1 ; après fin 31 ap. J.-C.)
8, 3, pr. Et il ne faut pas garder le silence au sujet de certaines femmes
dont la disposition de la nature et dont la retenue (uerecundia) qui sied à
la robe <des matrones> (stola) n’ont pas été suffisamment efficaces pour
les empêcher de se taire sur la place publique et dans les tribunaux.
1. Amesia de Sentinum, étant inculpée (rea), plaida sa cause devant
un tribunal réuni par le préteur L. Titius alors que le peuple était venu en
très grand nombre. Après avoir poursuivi sa défense (defensio) dans tous
ses aspects, et dans toutes ses parties, non seulement avec empressement,
mais également avec force, elle fut acquittée (liberare) dès la première
action, en recueillant pratiquement toutes les voix (sententia) <des jurés>.
Cette femme, ils l’appelaient Androgyne, parce que sous l’apparence d’une
femme, elle avait en elle l’âme d’un homme.
[Les deux autres cas cités ensuite par Valère Maxime pour illustrer l’activité
judiciaire des femmes sont ceux d’Afrania (R19m) et de Hortensia (R19n).]

m. Des « aboiements inhabituels


au forum » : le cas de C. Afrania « le
monstre »… (Valère Maxime,
8, 3, 2 ; après fin 31 ap. J.-C.)
Cependant, C. Afrania, la femme du sénateur Licinius Bucco, prompte à
engager des procès (lites), prit toujours la parole pour elle-même devant
le préteur, non pas parce qu’elle manquait d’avocats (aduocati), mais parce
qu’elle débordait d’impudence. C’est pourquoi, en raison de ses
aboiements, inhabituels au forum, et de son assiduité incessante auprès
des tribunaux (tribunalia), elle finit par devenir l’exemple le plus fameux
de l’esprit de chicane (calumnia) féminin, à tel point qu’on lance le nom de
C. Afrania comme un grief (crimen), lorsque des femmes ont des mœurs
infamantes (mores improbi). Elle poursuivit son existence jusqu’à l’année
où César fut consul pour la seconde fois avec P. Servilius. C’était un tel
monstre (monstrum), en effet, qu’il vaut mieux livrer à la mémoire
l’époque à laquelle il a disparu (exstinguere), plutôt que celle où il est né.

n. Hortensia, douée de l’éloquence


de son père, défend « la cause
des femmes » devant les triumvirs…
(Valère Maxime, 8, 3, 3 ; après
fin 31 ap. J.-C.)
Quant à Hortensia, la fille de Q. Hortensius, alors que l’ordre
des matrones était accablé d’un lourd tribut par les triumvirs, tandis
qu’aucun homme n’osait leur accorder une défense en justice
(patrocinium), elle défendit la cause des femmes devant les triumvirs avec
constance et avec bonheur : reproduisant en effet l’éloquence de son père,
elle obtint que la plus grande partie de l’argent exigé leur soit remise.
Q. Hortensius retrouva la vie par la souche féminine (muliebris stirps), et
le souffle par les paroles de sa fille, et si les descendants de sexe masculin
avaient voulu suivre cette disposition, l’héritage si élevé de l’éloquence
hortensienne n’aurait pas été interrompu à l’issue de la seule action d’une
femme.
o. L’éloge de Turia ou la reconnaissance
d’un mari envers sa femme (Stèle
funéraire portant l’éloge de la défunte
et connue sous le nom de Laudatio Turiae,
CIL, VI, 1527 = ILS, 3893, l. 1-12 ;
fin du Ier siècle av. J.-C.)
[…] par l’honnêteté de tes mœurs […].
[…] tu es demeurée honnête […].
Tu es soudainement devenue orpheline, la veille de notre mariage, de
chacun de tes deux parents, tués (occisi) dans la solitude de la campagne.
C’est principalement grâce à toi, puisque j’étais parti quant à moi pour
la Macédoine, tandis que C. Cluvius le mari de ta soeur <gagnait>
la province d’Afrique, que la mort de tes parents n’est pas demeurée sans
vengeance (inulta).
Tu as accompli avec tant d’application ton devoir de piété <filiale>
(pietas) en sollicitant (efflagitare) et en revendiquant en justice (uindicare),
que si nous avions été présents nous ne nous serions pas distingués
davantage. Mais ces mérites, tu les as en commun avec cette très sainte
femme qu’est ta sœur.
Tandis que tu agissais sans répit, tu as quitté la maison de ton père
pour la protection de ta pudicité (pudicitia) et, après avoir demandé
(petere) le supplice des coupables (nocentes), tu t’es rendue aussitôt dans
la maison de ma mère où tu as attendu mon retour.
(…)
p. Des femmes témoignent à charge
au procès du chevalier Clutorius Priscus
en 21 ap. J.-C., sauf une (Tacite, Annales,
3, 49, 1-2 ; 110-120 ap. J.-C.) : cf. R42Tg

q. Le procès d’Isidoros, en 41 ou 53 ap. J.-


C., devant le tribunal de l’empereur
Claude et « en présence des matrones » !
(BGU, II, 511, col. II)
Claude César Auguste écoute Isidôros, gymnasiarque de la cité
d’Alexandrie, qui porte accusation contre le roi Agrippa dans les jardins
[…] Avec lui siègent vingt sénateurs, parmi lesquels seize consulaires,
les matrones sont aussi présentes (…)

r. Une mère accuse de « faux »


et « d’empoisonnement » les affranchis
de son fils (Pline le Jeune, Lettres, 7, 6, 7-
13 ; entre 98 et 111 ap. J.-C.)
7. J’ai appris en effet qu’il ne revient pas moins à l’orateur de se taire
que de s’exprimer, et d’ailleurs il me revient d’avoir été plus utile à
des prévenus dans une affaire capitale (res capitalis) par le silence plutôt
que par le discours le plus soigné. 8. Une mère ayant perdu son fils
(pourquoi m’empêcher en effet, quoiqu’une autre raison ait été à l’origine
de la lettre que je rédige, de discuter des études ?), avait déféré (deferre)
devant le prince (ad principem) pour faux (falsum) et pour
empoisonnement (ueneficium) les affranchis de celui-ci – ils étaient eux-
mêmes ses cohéritiers et elle avait obtenu que Iulius Servianus soit juge.
9. J’avais défendu (defendere) les prévenus devant une foule immense ;
la cause était en effet très connue, de part et d’autre <s’affrontaient>
des talents très illustres. La torture (quaestio) mit un terme à l’enquête
(cognitio). Elle aboutit en faveur des prévenus. 10. Par la suite, la mère se
présenta de nouveau au prince et affirma avoir découvert de nouvelles
preuves (probationes). Suburanus reçut pour instruction de se mettre à
disposition pour faire aboutir la cause de celle qui reprenait <sa plainte>
(retractare), si elle apportait quelque chose de nouveau. 11. Iulius Africanus
– le petit-fils de cet orateur à propos duquel Passienus Crispus déclara
après l’avoir entendu : « bien, par Hercule, bien ; mais pourquoi si bien ? »
– assistait (adesse) la mère. Son petit-fils, jeune homme de talent, mais trop
peu expérimenté, alors qu’il avait beaucoup parlé et qu’il avait rempli
le temps qui lui avait été assigné, déclara : « je te demande, Suburanus, de
me permettre d’ajouter une phrase ». 12. Alors moi, tandis que tous me
fixaient en pensant que je prononcerais une longue réponse, je dis
seulement : « J’aurais répondu, si Africanus avait ajouté cette unique
phrase, dans laquelle, je n’en doute pas, devaient se trouver tous les faits
nouveaux ». 13. Je peine à me souvenir d’avoir suscité un tel assentiment
après avoir plaidé, plutôt que cette fois là en ne plaidant pas.

s. Extraits de jurisprudence

S1. INTERDICTION DU TÉMOIGNAGE ENTRE MEMBRES DE LA MÊME FAMILLE


OU ENTRE PATRONS ET CLIENTS (PAUL, À LA LOI IULIA ET PAPIA, EXTRAIT
DU LIVRE 2, FR. 936 LENEL = DIGESTE, 22, 5, 4 ; ÉPOQUE DE CARACALLA)
En vertu de la loi sur les jugements publics, toute précaution est prise
pour qu’on ne puisse, contre sa volonté (inuito), citer (denuntiare) personne
à déposer un témoignage (testimonium) dans un procès (lis) contre
un beau-père (socer), un gendre (gener), le mari de la mère <qui a
des enfants d’un autre lit> (uitricus), un beau-fils <né d’un premier lit>
(priuignus), un cousin germain (sobrinus) ou une cousine germaine
(sobrina), ou un cousin issu de germain ou de germaine, ou de ceux qui
sont d’un degré <de parenté> plus proche, de même, <que ne puisse
déposer un témoignage> l’affranchi de l’accusé lui-même, ni de ses
enfants, de ses parents, de son mari ou de sa femme, de même pour ce qui
concerne le patron (patronus) ou la patronne (patrona) : que ni les patrons
ni les patronnes ne soient forcés (cogere) de déposer témoignage contre
leurs affranchis, ni les affranchis contre leur patron.

S2. « L’ACTION POPULAIRE », NORMALEMENT OUVERTE À CHACUN CONTRE


TIERS, NE REVIENT À LA FEMME QUE « SI L’AFFAIRE LA CONCERNE »
(ULPIEN, COMMENTAIRE À L’ÉDIT, EXTRAIT DU LIVRE 25, FR. 748 LENEL
= DIGESTE, 47, 23, 6 ; ÉPOQUE DE CARACALLA)
Les actions populaires (populares actiones) ne sont pas octroyées à
la femme ou au pupille, à moins que l’affaire ne les concerne.

S3. UNE FEMME NE PEUT ACCUSER QUE POUR VENGER UN CRIME


À L’ENCONTRE DE SES PROCHES (POMPONIUS, COMMENTAIRE À SABINUS,
EXTRAIT DU LIVRE 1, FR. 382 LENEL = DIGESTE, 48, 2, 1 ; APRÈS
131 AP. J.-C.)
Il n’a pas été permis à une femme d’inculper un prévenu (reum facere)
dans un jugement public, sauf si, bien entendu, elle cherche à tirer
vengeance (exsequi) du crime commis contre ses parents ou ses enfants,
contre son patron ou sa patronne, leur fils ou leur fille, leur petit-fils ou
leur petite-fille.

S4. EN CAS DE VENGEANCE DES PROCHES, L’ACTION PUBLIQUE EST ACCORDÉE


AUX FEMMES (PAPINIEN, SUR LES ADULTÈRES, EXTRAIT DU LIVRE 1, FR. 5
LENEL = DIGESTE, 48, 2, 2, PR. ; PUBLIÉ AVANT 190 AP. J.-C.)
Dans certaines causes l’accusation publique (publica accusatio) a été
accordée (concedere) aux femmes, si par exemple elles cherchent à tirer
vengeance (exsequi) de ceux et de celles contre lesquels en vertu de la loi
sur les témoignages publics (testimonia publica), elles ne peuvent faire de
déclarations contre leur gré (inuitae). Le sénat a décrété la même chose à
propos de la loi Cornelia sur les testaments (lex Cornelia testamentaria).
Mais il a été permis aux femmes de faire des déclarations dans
un jugement public au sujet du testament du père, de l’affranchi ou de
la mère.

S5. EMPÊCHEMENT D’ACCUSER EN RAISON DU SEXE, DE L’ÂGE,


DE LA CONDITION MILITAIRE, DE L’EXERCICE D’UNE MAGISTRATURE,
DE LA COMMISSION D’UN DÉLIT, OU DE LA CONDITION SOCIALE (MACER,
SUR LES JUGEMENTS PUBLICS, EXTRAIT DU LIVRE 2, FR. 28 LENEL = DIGESTE,
48, 2, 8 ; PEU APRÈS 210 AP. J.-C.)
Nous comprendrons quelles sont les personnes qui peuvent accuser
(accusare) lorsque nous aurons établi auparavant <la liste de> celles qui ne
le peuvent pas. Ainsi, certains sont empêchés d’accuser en raison du sexe
ou de l’âge, telle la femme, tel le pupille. D’autres en raison d’un serment
(sacramentum), tels ceux qui font leur service militaire. D’autres en raison
d’une magistrature ou d’un pouvoir, dont l’exercice les empêche de
convoquer en justice (in ius euocari) sans commettre une action
délictueuse (fraus). D’autres en raison d’un délit (delictum) qu’ils ont eux-
mêmes commis, tels les infâmes (infames). D’autres en raison d’un gain
déshonorant, tels ceux qui ont apposé leur signature (subscribere) dans
deux jugements contre deux prévenus (rei) ou qui ont reçu de l’argent
pour intenter une accusation (accusare) ou renoncer à l’accusation.
D’autres en raison de la condition <sociale> (condicio) qui est la leur, tels
les affranchis contre leurs patrons.

S6. EN MATIÈRE D’ANNONE, LES FEMMES, COMME LES INFÂMES, COMME


LES MILITAIRES OU LES ESCLAVES, PEUVENT PRÉSENTER UNE DÉNONCIATION
« POUR RAISON D’UTILITÉ PUBIQUE » (MARCIEN, SUR LES JUGEMENTS
PUBLICS, EXTRAIT DU LIVRE 1, FR. 192 LENEL = DIGESTE,
48, 2, 13 ; 218 AP. J.-C. OU PEU APRÈS)
Le divin Sévère et Antonin <Caracalla> ont répondu par rescrit que,
pour raison d’utilité publique (publica utilitas) relative à l’annone,
une femme qui déposerait une dénonciation (deferre) devait être entendue
(audire) par le préfet de l’annone. Sans l’ombre d’un doute sont admis
également les <personnes> infâmes (infames) qui présenteraient
une accusation (accusare). Les militaires également, qui ne peuvent
présenter de dénonciation (deferre) relatives à un tiers, alors qu’ils veillent
à la paix commune, à plus forte raison ont été admis à présenter
une accusation (accusatio) dans ce domaine <de l’annonce>. Les esclaves
qui présentent une dénonciation (deferre) <dans ce domaine> doivent être
également entendus.

S7. MARCIEN, SUR LE SÉNATUS-CONSULTE TURPILIEN ET SUR L’ARRÊT


DES POURSUITES CRIMINELLES (DE ABOLITIO CRIMINUM) (EXTRAIT DU LIVRE
UNIQUE, FR. 287 LENEL = DIGESTE, 48, 16, 1 ; APRÈS 212) : CF. R15
t. Rescrits de droit criminel adressés
à des femmes et conservés dans le Code
de Justinien (du règne de Septime Sévère
et Caracalla au règne de Dioclétien
et Maximien)
Titre 1. Ceux qui ne peuvent pas intenter une accusation (Qui
accusare non possunt).

T1. UNE FEMME NE PEUT ENGAGER ELLE-MÊME UNE POURSUITE POUR FAUX
EN FAVEUR DE SON FILS, PUISQUE CE DERNIER A DES TUTEURS ET CURATEURS
(SÉVÈRE ALEXANDRE À MARCELLINA, CODE DE JUSTINIEN,
er
9, 1, 5 ; 1 OCTOBRE 222)
En vertu d’un sénatus-consulte, il n’est pas permis à une femme
d’inculper un prévenu (reum facere) selon l’accusation (crimen) de la loi
Cornelia <sur les faux>, à moins que l’affaire ne la concerne directement.
Par conséquent, puisque tes fils ont des tuteurs et curateurs, ces derniers
doivent eux-mêmes délibérer pour savoir s’ils doivent intenter
une accusation (accusare) selon laquelle les pièces (instrumenta) à partir
desquelles tu dis que l’adversaire de tes fils a maintenu son droit sont
fausses (falsa).
Affichée aux calendes d’octobre sous le consulat d’Alexandre Auguste.

T2. UNE FEMME NE PEUT ENGAGER UNE POURSUITE QUE LORSQU’ELLE-MÊME


OU SES PROCHES SONT L’OBJET DE L’ATTEINTE (DIOCLÉTIEN ET MAXIMIEN
AUGUSTES, ET LES CÉSARS À CORINTHIA, CODE DE JUSTINIEN,
9, 1, 12, PR.-1 ; 27 AVRIL 293)
Au sujet d’un chef d’inculpation (crimen) répertorié parmi
les jugements publics (iudicia publica), il n’est pas permis à une femme
d’accuser (acccusare), sauf dans certaines causes spécifiques, à savoir
lorsqu’elle poursuit (persequari) une atteinte <à la personne> (iniuria) dont
elle-même ou ses proches ont été victimes, conformément aux règlements
par lesquels depuis les temps anciens cela leur a été spécialement accordé,
sans qu’on réclame une contresignature (subscriptio). D’où il découle que
le gouverneur de la province, lorsqu’il aura été sollicité, examinera en
premier lieu si le chef d’inculpation (crimen) compte parmi ceux pour
lesquels une femme n’est pas empêchée (prohibere) de prendre en charge
une accusation (accusatio).
Écrit le cinq des calendes de mai, sous le consulat des Augustes.
Titre 2. Au sujet des accusations et des inscriptions (De
accusationibus et inscriptionibus).

T3. UNE FEMME DOIT S’EN REMETTRE À LA JUSTICE DES POUVOIRS PUBLICS
ET NON CONTRACTER UN ARRANGEMENT POUR OBTENIR JUSTICE (DIOCLÉTIEN
ET MAXIMIEN À URSA, CODE DE JUSTINIEN, 9, 2, 10 ; 30 OCTOBRE 290)

Quiconque offre l’espoir d’arranger une affaire dont l’issue a été


remise au pouvoir et à l’initiative d’un juge ne contracte pas moins
un crime (crimen), par cet engagement illégal (sponsio illicita), que celui qui
favorise, contre l’ordre public (disciplina publica), l’achat d’une promesse
de ce genre.
Affiché le trois des calendes de novembre, sous le consulat
des Augustes, respectivement pour la quatrième et troisième fois.
Titre 9. Au sujet de la loi Iulia sur les adultères et sur la souillure
<sexuelle> (Ad legem Iuliam de adulteriis et de stupro).
T4. EN MATIÈRE D’ADULTÈRE, LA CAPACITÉ D’ACCUSER EST UN PRIVILÈGE
DES HOMMES (LES EMPEREURS SEPTIME SÉVÈRE ET ANTONIN
[= CARACALLA] À CASSIA, CODE DE JUSTINIEN, 9, 9, 1 ; 20 JUILLET 197)
La loi Iulia déclare que dans un jugement public les femmes ne
possèdent pas l’accusation (accusatio) d’adultère, bien qu’elles veuillent
qu’on instruise (quaerere) au sujet de l’atteinte portée (uiolare) à leur
mariage (matrimonium), car elle a donné aux hommes la capacité d’accuser
(facultas accusandi), mais n’a pas accordé aux femmes le même privilège
(priuilegium).
Affiché le treize des calendes d’août, sous le consulat de Lateranus et
de Rufinus.

T5. L’ADULTÈRE CONSTITUE DEUX CAUSES SÉPARÉES DE L’HOMME


ET DE LA FEMME (L’EMPEREUR SÉVÈRE ALEXANDRE À DOMNA, CODE
DE JUSTINIEN, 9, 9, 8 ; 13 JANVIER 224)

La loi Iulia sur la pudicité (pudicitia) [i.e. la loi Iulia sur les adultères]
interdit que soient inculpés comme prévenus pour adultère dans la même
cause l’homme et la femme : mais il est permis que l’un et l’autre soient
poursuivis (peragere) successivement.
Affiché aux ides de janvier sous le consulat de Iulianus et Crispinus.

T6. UNE FEMME QUI IGNORAIT QUE CELUI QU’ELLE ÉPOUSAIT ÉTAIT DÉJÀ
MARIÉ EST DANS SON DROIT, TANDIS QUE L’HOMME EN QUESTION PEUT ÊTRE
POURSUIVI POUR « SOUILLURE ». ELLE NE PEUT PAS POUR AUTANT
REVENDIQUER LES BIENS QUI LUI AVAIENT ÉTÉ PROMIS PAR CE DERNIER ALORS
QU’ELLE ÉTAIT FIANCÉE (LES MÊMESAUGUSTES, VALÉRIEN ET GALLIEN,
ET LE CÉSAR VALÉRIEN LE JEUNE À THEODORA, CODE DE JUSTINIEN,
9, 9, 18 ; 15 MAI 258)
Pr. Il ne fait aucun doute que l’infamie (infamia) s’attache à celui qui a
deux épouses en même temps. Dans une affaire de ce genre on n’invoque
pas tant l’effet du droit, puisque nos concitoyens sont empêchés de
contracter plusieurs mariages, mais le projet conduit par l’intention
(animus). 1. Et pourtant, qu’une accusation (crimen) de souillure sexuelle
(stuprum) soit portée par un accusateur reconnu légalement (accusator
legitimus) selon les règles procédurales (sollemniter) contre celui qui, ayant
feint le célibat, alors qu’il avait laissé une autre mère de famille (mater
familias) dans une autre province, t’a attirée (sollecitare) à des noces –
quant à toi tu restes à l’écart d’une telle accusation, puisque tu croyais
être son épouse (uxor). 2. Pour ce qui concerne tous les biens dont tu
déplores qu’ils t’ont été enlevés par celui qui a recouru à la simulation du
mariage, il va de soi que tu obtiendras du gouverneur (rector) de
la province qu’ils te soient restitués en totalité et dans les plus brefs délais
de recouvrement. Car les choses qu’il a promis qu’il te donnerait en tant
que fiancée, de quelle façon peux-tu les revendiquer avec un effet
quelconque comme si tu étais fiancée ?
Reçu aux ides de mai à Antioche, sous le consulat de Tuscus et Bassus.
Titre 12. De la violence publique (De ui publica).

T7. PROTECTION DES BIENS DE L’ÉPOUSE CONTRE LES CRÉANCIERS DU MARI,


SOUS PEINE DE COMMETTRE UN ACTE DE VIOLENCE (SEPTIME SÉVÈRE
ET ANTONIN <CARACALLA> À PELIA, CODE DE JUSTINIEN,
er
9, 12, 1 ; 1 JUILLET 205)

On considère que ceux qui prennent en gage (pignus) les biens d’une
épouse en raison d’une dette de l’homme ou d’une charge civile, font
violence (uis).
Donné aux calendes de juillet à Rome sous le consulat d’Antonin
<Caracalla> Auguste, pour la deuxième fois, et de Géta, pour la deuxième
fois.
Titre 20. <En commentaire> à la loi Fabia (Ad legem Fabiam).

T8. UN PROCURATEUR N’A PAS LA COMPÉTENCE DE SE PRONONCER


EN MATIÈRE DE PLAGIAT (L’EMPEREUR GORDIEN AUGUSTE À PAULINA, CODE
DE JUSTINIEN, 9, 20, 4 ; 3 DÉCEMBRE 239)

La sentence d’un procurateur n’a pas de validité à moins qu’il ne veille


à la place du gouverneur (uicem praesidis) lorsqu’il s’est prononcé en vertu
de la loi Fabia, puisque l’examen (disceptatio) de cette loi incombe à
la compétence (notio) du gouverneur de province.
Affiché le trois des nones de décembre, sous le consulat de Gordien
Auguste et de Aviola.

T9. UN ESCLAVE FUGITIF NE PEUT ÊTRE VENDU OU DONNÉ (LES EMPEREURS


DIOCLÉTIEN ET MAXIMIEN AUGUSTES À MARCIANA, CODE DE JUSTINIEN,
9, 20, 6 ; 13 MARS 287)
Il n’est pas permis de vendre ou de donner un esclave à propos duquel
il est établi qu’il est en fuite (fuga). En conséquence tu comprends que tu
tombes sous le coup de la loi qui établit au sujet de tels délits une certaine
peine dont le montant doit être versé au fisc. En sont exceptés
les cohéritiers et les associés auxquels, lors du partage des choses qu’ils
ont en commun, il a été permis d’accomplir mutuellement une licitation
au sujet de l’esclave fugitif (seruus fugitiuus). Qu’il soit ainsi permis en
vérité de vendre l’esclave fugitif et que dans ce cas la vente prenne effet,
lorsque <l’esclave> ayant été recherché par l’acheteur aura été arrêté.
Affiché le trois des ides de mars, sous le consulat de Dioclétien et
Maximien Augustes.
T10. L’ACHETEUR D’UN ESCLAVE FUGITIF N’EST PAS COUPABLE, S’IL
IGNORAIT LA FUITE ET S’IL N’ÉTAIT PAS COMPLICE DE L’AFFAIRE (DIOCLÉTIEN
ET MAXIMIEN À DIZA, CODE DE JUSTINIEN, 9, 20, 10 ; 5 NOVEMBRE 293)

On s’accorde à n’inculper d’aucun crime (crimen), la personne qui a


acquis des esclaves (mancipia) auprès d’un vendeur, alors que celui-ci
les avait enlevés (abducere) par plagiat (plagium), si l’on a pas la preuve que
l’acheteur est complice (socius) du délit (delictum).
Écrit aux nones de novembre à Luciona sous le consulat des Augustes.

T11. COMME LA VENTE D’UN HOMME LIBRE VICTIME DE PLAGIAT N’EST


PAS VALIDE, CE DERNIER NE TOMBE PAS DANS UNE CONDITION SERVILE
(DIOCLÉTIEN ET MAXIMIEN À AMPLIATA, CODE DE JUSTINIEN,
9, 20, 11 ; 5 NOVEMBRE 293)
La vente faite par plagiat (plagium) ne modifie pas l’état (status) de
celui qui a été enlevé (abductus) : en effet, en cas de détournement
(sollicitatio) d’une personne libre, un crime (crimen) est commis, sans pour
autant que soit porté préjudice à la condition <de la victime> (condicio).
Écrit aux nones de novembre à Luciona sous le consulat des Augustes.
Titre 22. Commentaire à la loi Cornelia sur les faux (Ad legem
Corneliam de falsis).

T12. LA DISSIMULATION OU LE DÉTOURNEMENT D’UN TESTAMENT


CONSTITUENT UN FAUX (DIOCLÉTIEN ET MAXIMIEN À GENTIANA, CODE
DE JUSTINIEN, 9, 22, 14 ; 30 DÉCEMBRE 293)

Il est connu que celui qui a caché ou détourné un testament commet


<au regard du droit> public (publice) le crime (crimen) de faux (falsum).
Écrit le trois des calendes de janvier à Sirmium sous les consulats
des Augustes.

T13. UNE FEMME INTENTE UNE ACCUSATION POUR FAUX SUR UN DOCUMENT
QU’ELLE AVAIT SIGNÉ. MAIS LES FEMMES N’ONT PAS « LA CAPACITÉ
D’ACCUSER » POUR FAUX EN FAVEUR D’UN TIERS (DIOCLÉTIEN ET MAXIMIEN
ET LES CÉSARS À COSMIA, CODE DE JUSTINIEN, 9, 22, 19 ; 8 MARS 294)

Pr. Même si l’affaire te concernait, tu aurais dû délibérer en toi-même


encore et encore, pour ne pas intenter une accusation (accusatio)
malhonnête, en prétendant prouver (arguere) que cette pièce
(instrumentum) à laquelle tu as apposé ta signature (subscribere) est un faux
(falsum). 1. Comme il n’a pas été concédé aux femmes d’accuser (accusare)
dans une affaire de faux appartenant à un tiers (aliena causa), et puisque
que tu annonces avoir donné auparavant à un autre ces mêmes fonds, c’est
contre le principe du droit (forma iuris) que tu réclames (postulare) que te
soit accordée la capacité d’accuser (facultas accusandi).
Écrit le huit des ides de mars sous le consulat des Césars.
Titre 32. Du crime de dépouillement d’un héritage (De crimine
expilatae hereditatis).

T14. UNE FEMME EMPÊCHÉE D’INTENTER UNE ACTION POUR VOL D’HÉRITAGE
(LES EMPEREURS <SEPTIME> SÉVÈRE ET ANTONIN <CARACALLA>
À EUPHRATA, CODE DE JUSTINIEN, 9, 32, 1 ; 20 AVRIL 205)

Tu ne peux pas intenter une accusation (crimen) pour un héritage volé,


puisque tu déclares que les clés du coffre commun, après l’inspection de
son contenu, ont été remises à un cohéritier. Mais comme la question a été
soumise au juge au sujet de ces choses qui devaient être produites, il n’a
pas été nécessaire d’inscrire le montant de la compensation. En effet,
une fois que les choses dont la perte avait été déplorée ont été produites, il
reste à soumettre l’enquête directe <pour le partage de l’héritage> à ses
juges.
Affiché le douze des calendes de mai, sous le consulat d’Antonin, pour
la deuxième fois, et de Géta, pour la deuxième fois.

T15. UNE FEMME AUTORISÉE À INTENTER CONTRE SA MARÂTRE UNE ACTION


POUR HÉRITAGE VOLÉ (L’EMPEREUR ANTONIN <CARACALLA> AUGUSTE
À HELENA, CODE DE JUSTINIEN, 9, 32, 3 ; 3 JANVIER 216)

Si tu as accepté l’héritage de ton aïeul, tu n’es pas empêchée de faire


valoir ton droit (experiri) par une accusation (crimen) pour héritage volé
contre celle qui a été ta marâtre (nouerca).
Affiché le trois des nones de janvier, sous le consulat de Sabinus et
Anullinus.

T16. SI L’ACTION CIVILE N’ABOUTIT PAS, UNE PROCÉDURE CRIMINELLE PEUT


ÊTRE ENGAGÉE POUR VOL D’HÉRITAGE (L’EMPEREUR PHILIPPE <L’ARABE>
AUGUSTE ET LE CÉSAR <PHILIPPE> À BASILIA, CODE DE JUSTINIEN,
9, 32, 6 ; 20 FÉVRIER 249)
Il n’y a aucun doute en droit quant au fait qu’on a pour coutume
d’intenter une accusation (crimen) d’hérédité volée à la place d’une action
<civile> qui n’a pas abouti.
Affiché le dix des calendes de mars sous le consulat de Aemilianus et
Aquilinus.
Titre 33. Des biens ravis avec violence (Vi bonorum raptorum).
T17. UNE FEMME PEUT ENGAGER CONTRE SA MARÂTRE UNE ACTION DEVANT
LE GOUVERNEUR, EN CAS DE DÉTOURNEMENT DE BIENS PAR VIOLENCE
(LES EMPEREURS DIOCLÉTIEN ET MAXIMIEN ET LES CÉSARS À DOMINA, CODE
DE JUSTINIEN 9, 33, 4 ; 30 AVRIL 293)

Si tu envisages d’agir en justice contre ta marâtre soit par une action


d’affaires gérées (actio negotiorum gestorum), soit par une action de choses
enlevées par violence (actio ui bonorum raptorum) (qui a été fixée au
quadruple dans l’année utile et au simple passé ce délai), tu pourras
revendiquer un droit qui relève de la compétence (notio) du gouverneur.
Écrit le deux des calendes de mai à Héraclée, sous le consulat
des Augustes.
Titre 35. Au sujet des atteintes <à la personne> (De iniuriis).

T18. POURSUITE CONTRE CEUX QUI ONT DÉCLARÉ QUE DES ENFANTS
DE CONDITION LIBRE ÉTAIENT DES ESCLAVES (LES EMPEREURS DIOCLÉTIEN
ET MAXIMIEN AUGUSTES À NONNA, CODE DE JUSTINIEN,
9, 35, 9 ; 26 NOVEMBRE 294)
Il ne fait aucun doute que ceux qui ont dit que des enfants étaient
des esclaves dans l’intention de porter sur eux l’infamie (infamare),
peuvent être convoqués pour atteintes <à la personne > (iniuriae).
Écrit le six des calendes de décembre à Nicomédie, sous le consulat
des Césars.
Titre 41. Au sujet des enquêtes <sous la torture> (De quaestionibus).

T19. DANS UNE POURSUITE, DES ESCLAVES NE PEUVENT ÊTRE SOUMIS


À LA TORTURE CONTRE LEUR MAÎTRESSE, QUAND BIEN MÊME ELLE LE PROPOSE
(LES EMPEREURS DIOCLÉTIEN ET MAXIMIEN AUGUSTES À URBANA, CODE
er
DE JUSTINIEN, 9, 41, 7 ; 1 NOVEMBRE 286)
Les esclaves dont on a prouvé de manière certaine qu’ils sont sous ton
droit propre, nous ne permettons pas qu’ils soient soumis à
un interrogatoire (interrogatio), quand bien même tu les présentes <au
tribunal>, tant il ne saurait être question qu’ils soient contraints de faire
entendre leur voix contre leur maîtresse, quand bien même tu le proposes.
Affiché aux calendes de novembre, sous le consulat de Maximus, pour
la seconde fois, et de Aquilinus.

T20. UN ESCLAVE CONSTITUANT UNE PROPRIÉTÉ COMMUNE NE PEUT ÊTRE


MIS À LA TORTURE À LA DEMANDE DE L’UN DES PROPRIÉTAIRES CONTRE
L’AUTRE. SAUF EN CAS DE MEURTRE DE L’UN DES PROPRIÉTAIRES OÙ L’ON
SOUPÇONNE L’AUTRE D’ÊTRE L’ASSASSIN (LES EMPEREURS DIOCLÉTIEN
ET MAXIMIEN AUGUSTES ET LES CÉSARS À PHILIPPA, CODE DE JUSTINIEN,
9, 41, 13 ; 29 AVRIL 293)
La règle selon laquelle les esclaves héréditaires sont soumis à
un interrogatoire (interrogare) lorsqu’une enquête est conduite (quaerere)
au sujet de l’héritage (hereditas), ne peut ici te venir en aide. En effet,
lorsqu’il existe une incertitude quant au droit de propriété (dominium)
auquel se rapporte l’héritage, c’est avec raison, bien sûr, qu’il faut en venir
à la recherche de la vérité en recourant à l’interrogatoire de l’esclave
héréditaire. Mais toi, en affirmant qu’il s’agit d’un esclave que tu possèdes
en commun avec un autre, tu n’émets alors aucun doute sur le fait qu’une
portion en revient à celui contre lequel tu désires que cet esclave soit
interrogé. Cet état des choses n’autorise aucunement que celui-ci soit
soumis à la torture (quaestio), puisqu’un esclave commun ne peut être
interrogé contre un maître commun, sauf lorsqu’on soupçonne ce dernier
d’avoir tué (occidere) son associé (socius).
Écrit le trois des calendes de mai à Héraclée, sous le consulat
des Augustes.
Titre 42. Au sujet des arrêts de la poursuite (De abolitionibus).

T21. À L’ISSUE D’UN ARRÊT DE LA POURSUITE (ABOLITIO), L’ACCUSATION


NE PEUT ÊTRE RELANCÉE QUE PAR UN RECOURS (SUPPLICATIO) DEVANT
UN JUGE SUPÉRIEUR (LES EMPEREURS DIOCLÉTIEN ET MAXIMIEN AUGUSTES
À PATERNA, CODE DE JUSTINIEN, 9, 42, 1 ; 17 NOVEMBRE 287)

Si le gouverneur de la province établit clairement que l’arrêt de


la poursuite (abolitio) obtenu de lui s’applique à toutes les accusations
(crimina) qui ont été avancées, afin qu’une fois menées à leur terme, elles
ne soient pas de nouveau relancées, qu’il y veille par le veto (intercessio) de
son autorité. Cependant, l’accusation (crimen) assoupie par un arrêt de
la poursuite proclamé auparavant peut être rétablie par la même
personne, si elle a adressé à une autorité supérieure un recours en grâce
(supplicatio).
Affiché le quinze des calendes de décembre sous le consulat
des Augustes Dioclétien, pour la troisième fois, et Maximien.
Titre 45. <Commentaire> au sénatus-consulte Turpilien (Ad senatus
consultum turpilianum).

T22. UNE FEMME QUI INTENTE UNE POURSUITE ET QUI SE DÉSISTE TOMBE
SOUS LE COUP DE LA RÉGLEMENTATION ENCADRANT LE DROIT D’ACCUSER,
ICI LE GRIEF DE TERGIUERSATIO (LES EMPEREURS DIOCLÉTIEN ET MAXIMIEN
AUGUSTES ET LES CÉSARS À MATRONA, CODE DE JUSTINIEN,
9, 45, 5 ; 3 AVRIL 294)
Si une femme poursuit (exsequi) l’atteinte (iniuria) <commise> envers
elle-même ou envers ses proches, et qu’elle déclare que par un pacte
(pactum) elle s’en est désistée, contre l’interdiction qui en est faite, il est
de droit certain qu’elle est tombée sous le coup de la peine du sénatus-
consulte Turpilien.
Écrit le six des nones d’avril, à Sirmium, sous le consulat des Césars.
Titre 46. Au sujet des calomniateurs (De calumniatoribus).

T23. UNE MÈRE QUI VEUT VENGER LA MORT DE SON FILS NE S’EXPOSE
PAS À LA RÉGLEMENTATION SUR LE DROIT D’ACCUSER, ICI LE GRIEF
DE CALOMNIE (L’EMPEREUR <SÉVÈRE> ALEXANDRE AUGUSTE À APOLLONIA,
CODE DE JUSTINIEN, 9, 46, 2 ; 26 JUIN 224)
Pr. Une mère compte parmi les personnes qui peuvent venger
(uindicari) le meurtre (nex) de leur fils sans la crainte d’encourir ensuite
une poursuite pour fausse accusation (calumnia). Ce bienfait du sénatus-
consulte a été observé dans d’autres jugements publics. 1. Mais l’héritier
étranger à la famille (extraneus) qui lance une poursuite à raison du
soupçon que le défunt a eu la précaution d’avoir au sujet de sa mort, a été
exclu à ce titre d’une poursuite pour fausse accusation (calumnia), puisqu’il
y a une grande différence entre une accusation volontaire (accusatio
uoluntaria) et la nécessité qu’impose le devoir de l’héritier.
Affiché le six des calendes de juillet sous le consulat de Iulianus et
Crispinus.

T24. LE STATUT DE L’ENFANT CORRESPOND AU MOMENT DE LA CONCEPTION


ET NON À CELUI DE LA NAISSANCE, EN CAS D’ASSERVISSEMENT DE LA MÈRE
À LA PEINE DE LA MINE DANS L’INTERVALLE (L’EMPEREUR ANTONIN
<CARACALLA> AUGUSTE À MARINA, CODE DE JUSTINIEN 9, 47, 4 ; DATE
NON PRÉCISÉE)

Si l’enfant au sujet duquel tu as fourni des libelles (libelli) a été conçu


avant que sa mère ait été condamnée à la mine, la condition du nouveau
né, est celle de la mère avant sa condamnation.
Titre 51. De ceux qui ont subi une sentence et qui ont été rétablis
dans leurs droits (De sententiam passis et restitutis).

T25. UNE MÈRE PEUT INTENTER UNE ACTION CONTRE LE TUTEUR RÉTABLI
DANS SA CONDITION PAR UNE INDULGENCE, SEULEMENT S’IL A ÉGALEMENT
RÉCUPÉRÉ LES BIENS QU’IL POSSÉDAIT ANTÉRIEUREMENT À LA CONDAMNATION
(L’EMPEREUR <SÉVÈRE> ALEXANDRE AUGUSTE À VALENTINA, CODE
DE JUSTINIEN 9, 51, 4 ; DATE NON PRÉCISÉE)

Le tuteur de tes fils, desquels tu dis avoir reçu la possession des biens,
ayant été condamné à la mine, et étant revenu (regressus) par la suite en
vertu d’une indulgence générale (indulgentia generalis), même s’il est
devenu plus riche, n’est pas tenu envers toi de l’action de la tutelle qu’il a
exercée. À moins que par la remise gracieuse (gratia) qui a été faite de
la sentence, il n’ait retrouvé (recuperare) spécialement son état (status)
antérieur, avec tous ses biens (bona).

*
* *

« L’affaire des poisons » de l’année 331 av. J.-C., demeurée fameuse


jusque dans l’Antiquité tardive (R19a), est à la fois fondatrice et
énigmatique. Comme il faut un commencement à tout, cet épisode
constituerait, selon Tite-Live, le premier cas d’une poursuite pour
empoisonnement dans l’histoire de Rome. L’emploi du verbe « enquêter »
(quaerere) par l’historien ne suffit pourtant pas à préciser la forme
procédurale qui aurait alors été employée. Ce verbe pourrait en effet
constituer une désignation générique de l’action « d’enquêter », on va
le voir, alors que dans les exemples postérieurs – ils se concentrent dans
les années consécutives à l’épisode des bacchanales (R8), jusqu’à
l’empoisonnement d’un consul par son épouse, Quarta Hostilia, en
180 av. J.-C. (R19f) et une affaire mal connue qui se déroula l’année
suivante – il est certain que des « tribunaux d’enquête », à proprement
parler, ont été institués spécialement pour réprimer le crime, sous
la conduite d’un préteur. Pour ce qui concerne l’épisode de Quarta
Hostilia, cette condamnation d’une empoisonneuse prend place dans
les années initiées par l’affaire des bacchanales (R8), troublées par
un contexte épidémique persistant et par plusieurs enquêtes pour
empoisonnement, comme en 181 av. J.-C. (Tite-Live, 40, 19, 8-10).
Une nouvelle instruction de ce type sera encore ouverte en 179 av. J.-
C. (Tite-Live, 40, 44, 6). Alors que depuis trois années consécutives, donc,
une épidémie faisait des ravages à Rome et en Italie, l’un des deux consuls
de l’année précédente, C. Calpurnius fut emporté, ainsi qu’un préteur,
Ti. Minucius, et d’autres hauts personnages. Ce « désastre » (clades) fut
alors classé parmi les prodiges et des rites d’expiation furent accomplis
par les prêtres et les magistrats, en présence des citoyens. C’est alors que
naquit le soupçon du crime et qu’une enquête fut ouverte.
Ces « tribunaux de jurés extraordinaires » (quaestiones extraordinariae)
établis dans une conjoncture particulière – la procédure instituée par
les lois de Pompée en 52 av. J.-C. contre Milon (R10) en constitue
un exemple tardif – ont été la préfiguration des tribunaux de jurys établis
de manière permanente (quaestiones perpetuae), à partir du milieu du
e
II siècle, pour réprimer d’abord la concussion, avant de s’étendre aux

autres crimes [MANTOVANI 1990 ; MANTOVANI 2009]. L’affaire de 331 av. J.-
C. constitue donc un « commencement », en raison de l’identification du
crime, plutôt qu’au regard des rouages procéduraux. Elle est également
fondatrice en ce sens que cette page de Tite-Live, où se mêlent
l’inquiétude suscitée par un prodige (une épidémie en particulier) et
le soupçon de l’accomplissement d’un crime collectif accompli dans
l’ombre, commande l’écriture des épisodes postérieurs qui associent
également les deux motifs [PAILLER 1987, p. 111-123]. Un autre fil directeur
unit ces récits d’un point de vue prosopographique : chacune de ces
séquences implique en effet un membre de la gens des Postumii [PAILLER 1987,
p. 126], ce qui pourrait permettre d’identifier au travers de cette
continuité gentilice l’une des sources de Tite-Live. L’annalistique puisait
en effet largement dans les traditions historiographiques constituées au
sein des familles les plus importantes de la cité.
Si l’épisode de 331 av. J.-C. constitue à la fois un commencement et
un archétype, il demeure à bien des égards énigmatique, en raison même
des contradictions inhérentes à la documentation consultée par Tite-Live.
Les allusions brèves des sources postérieures dépendent de son récit, qu’il
s’agisse de Valère Maxime, d’Augustin, ou encore d’Orose (Histoires contre
les païens, 10, 1-3) qui évalue quant à lui à 370 le nombre des matrones
condamnées en ajoutant aux premières arrestations celles des complices
(mais d’où vient une statistique aussi précise ?). Certains auteurs, écrit-il,
ont rapporté l’épisode de l’épidémie qui a touché Rome cette année-là
comme le résultat de « l’inclémence de l’atmosphère », d’autres y ont
reconnu un crime. En dépit de ses réticences à l’admettre (une hésitation
délibérée de l’auteur, largement destinée à maintenir le suspense de
la lecture), Tite-Live choisit de développer la seconde tradition.
La dénonciation du crime par une servante préfigure assurément
des scénarios voisins, à commencer par l’épisode des bacchanales (R8), en
186 av. J.-C., ou encore la conjuration de Catilina (R9g) de 63 ap. J.-C. Plutôt
qu’un seul motif littéraire, on y reconnaîtra l’un des leviers de la justice
criminelle à Rome, dès l’époque républicaine, à savoir la déposition
des esclaves [SCHUMACHER 1982]. Explicitement encouragée par la législation
impériale, elle a pu conduire, en raison de la circulation des serviteurs au
plus près de l’intimité des maîtres et des affaires de leur maison, à
un véritable « pouvoir des esclaves » (doulokratia) (Commentaire à R16).
Que des femmes soient souvent à l’origine de ces dénonciations est aussi
révélateur : elles apparaissent alors, aux marges du pouvoir politique et
judiciaire, comme les régulatrices d’un équilibre d’une cité commandée
par un corps civique et des magistrats exclusivement masculins.
C’est d’abord à un édile curule (un magistrat souvent impliqué, on va
le voir, dans des procès contre des femmes) que la dénonciatrice s’est
adressée. L’édile, en raison sans doute de la gravité des faits en a référé
aux consuls, et ces derniers au sénat, pour en délibérer. La suite du récit
constitue l’élément le plus discuté et le plus énigmatique : prises en
flagrant délit, une vingtaine de matrones furent amenées sur le forum où
elles acceptèrent d’absorber les drogues, comme on leur intimait de
le faire, et moururent. S’agissait-il d’une « ordalie par le poison » ?
L’hypothèse en a depuis longtemps été avancée [REINACH 1908, dans
la continuité des travaux de GLOTZ 1904]. Elle éclaire également le rite de
mise à mort du parricide et du monstrum (R35). Cependant,
la démonstration d’une telle interprétation passe par un grand nombre de
présupposés constituant à chaque fois un effort pour combler une lacune
ou une incohérence du texte de Tite-Live et elle ouvre sur un point de
discussion, nourri de comparatisme. On ne s’y arrêtera pas ici. Un trait
essentiel et général de ce récit mérite en revanche d’être souligné : quand
les faits se situent aux confins du crime – une grande part de mystère
subsiste, il ne peut être entièrement établi –, la procédure elle-même
relève tout à la fois de la justice criminelle et de l’accomplissement de
rites religieux. L’engagement de l’enquête (quaerere) a bien été suivi d’une
poursuite : dénonciation, flagrant délit, arrestation (comprehendere) et
condamnation de complices.
Et pourtant, l’accomplissement du meurtre lui-même, quand bien
même les matrones auraient confectionné des poisons, ne relève pas de
manière assurée d’une intention criminelle. Soulignons la phrase
essentielle, car elle exprime le résultat d’une délibération : « Cette affaire
de prodige (prodigium) fut considérée comme le résultat d’esprits possédés
(capti) plutôt que souillés par un crime (conscelerati) ». Cette délibération
fut suivie d’un rite d’expiation, dont l’interprétation sera ramenée ici à
quelques caractères essentiels dans la mesure où ils dessinent de nouveau
cet espace de confins entre la répression criminelle et le domaine du
religieux et de la souillure. Un dictateur fut en effet désigné pour
accomplir « le plantage d’un clou » – un rite expiatoire attesté dans
d’autres sociétés et visant à fixer le mal (Pline l’Ancien, 28, 63), qu’il faut
distinguer, en dépit de la confusion opérée par Tite-Live (7, 3) lui-même,
du plantage du « clou annuel » (clauis annalis) par le praetor maximus pour
le décompte des années (une autre pratique). Deux autres désignations
d’un « dictateur chargé de planter un clou » (dictator claui figendi causa)
sont attestées de manière indiscutable, à la fois chez Tite-Live et dans
les Fastes capitolins [KUNKEL 1995, p. 695] : L. Manlius A. f. A. n. Capitolinus
Imperiosus (363 av. J.-C.) ; Cn. Fulvius Maximus Centumalus (263 av. J.-C.).
Cette courte liste, établie sur des critères stricts, ne reflète assurément pas
la totalité des désignations de dictatores claui figendi causa qui se sont
produits au cours de l’histoire républicaine. Le cas le plus ancien, celui de
363 av. J.-C. est introduit dans le récit de Tite-Live (7, 3) par
une observation qui ne saurait constituer un simple artifice littéraire :
« les vieillards, recueillant leurs souvenirs, rappelèrent, dit-on,
qu’autrefois un dictateur, en enfonçant le clou, avait calmé la peste ».
Surtout, un autre cas – en dépit de la discussion lexicale à laquelle il
s’offre – est explicitement indiqué par Tite-Live en 313 av. J.-C. :
C. Poetelius Libo Visolus avait été nommé dictateur par les deux consuls
de l’année pour poursuivre les opérations militaires contre les Samnites
(9, 28, 2) – conformément à un scénario récurrent durant les guerres
samnites, les consuls n’ont aucunement abandonné leur charge pour
autant. Est-ce lui qui aurait pris la cité de Nola ou le consul C. Iunius lui-
même ? Les auteurs qui avancent cette seconde hypothèse, écrit Tite-Live
(9, 28, 6), affirment alors que le dictateur avait été désigné pour une autre
mission : « Ceux qui attribuent au consul l’honneur de la prise de Nola
ajoutent qu’il se rendit aussi maître d’Atina et de Calatia. Selon eux,
Poetelius fut nommé dictateur, à l’occasion d’une peste qui se manifesta,
pour ficher le clou ». Dans la mesure où les Fastes désignent la dictature de
Poetilius comme une dictature rei gerundae causa, c’est-à-dire chargée de
conduire les affaires militaires, et non claui figendi causa, ce cas a parfois
été rejeté [KUNKEL 1995, p. 695], en arguant que Poetilius aurait été désigné
comme dictator rei gerundae causa, et qu’après la pestilentia il lui aurait
incombé de « planter le clou » sans pour autant qu’on nomme un autre
dictateur afin d’accomplir exclusivement cette mission – la mission
confiée à un dictateur n’avait pas un caractère contraignant [NICOSIA 1987 ;
contra JEHNE 1989]. L’exemple de 363 av. J.-C. montre inversement qu’un
dictateur désigné pour planter le clou pouvait procéder à une levée pour
les opérations militaires, en tant que détenteur de l’imperium, même si
la brutalité avec laquelle il accomplit cette mission le força à abdiquer.
Revenons pour conclure sur ce point à l’affaire des poisons de
l’année 331 av. J.-C. Tite-Live fournit un renseignement précieux en
indiquant que les cas précédents de dictateurs chargés de planter le clou
se produisirent au cours des sécessions de la plèbe. Il n’y a aucunement
lieu, en effet, de rejeter ce témoignage sous prétexte que dans
la documentation parvenue jusqu’à nous l’accomplissement du rite n’est
pas explicitement attesté à l’occasion des sécessions [contra PAILLER 1987,
p. 114], alors qu’on sait que des dictateurs furent désignés en ces
circonstances. Autant que l’épidémie elle-même, la conduite des matrones
– assimilée à une dissidence ou à une perturbation de l’ordre de la cité –
aurait justifié l’accomplissement du rite. Encore une fois, à l’instar de ce
qui a pu être observé ailleurs et en dépit des affirmations de nos sources
mêmes – elles ont subi la déformation des épisodes syllanien et césarien –,
ce n’est aucunement en raison de « pouvoirs exceptionnels » qui
l’affranchissent des règles normales de l’exercice de la justice criminelle
ou pour permettre l’accomplissement d’une force illimitée – comme on
le croit souvent au sujet des sécessions de la plèbe – qu’un dictateur a été
désigné [RIVIÈRE 2019a]. Quant à la répression des empoisonnements, elle
fut encore mêlée à un contexte d’épidémie et de prodiges en 180 av. J.-C.,
avec l’épisode de Quarta Hostilia (R19f). En 154-151 av. J.-C., deux femmes
de la noblesse, empoisonneuses de leur mari, furent d’abord poursuivies
par un magistrat, auquel elles durent fournir des répondants (R19g).
Quant à l’exécution elle-même, une fois les faits établis (ou, selon Valère
Maxime, pour anticiper la sentence inéluctable du magistrat), elle fut
décidée et accomplie dans le cadre domestique, à l’instar de ce qui s’était
produit trois décennies auparavant lors de la répression des bacchanales
(R8). Au siècle suivant, l’empoisonnement fut définitivement qualifié, qu’il
s’agisse d’hommes ou de femmes, comme un crime public réprimé par
un tribunal permanent à l’initiative de Sylla (R20).

Femmes comparaissant devant les édiles à l’époque


républicaine

En dehors des affaires de poisons, une autre série de textes atteste


l’inculpation de femmes au cours de l’époque républicaine dans le cadre,
en particulier, de la procédure menée par les édiles devant le peuple.
Certes, les procès édilitaires ne constituent en rien une procédure adaptée
seulement aux femmes. Ces magistrats sont compétents pour un grand
nombre d’affaires relatives à l’espace public [DAGUEY-GAGEY 2015, p. 164-
187], lesquelles touchent à la moralité des conduites qu’il s’agisse
d’hommes ou de femmes – le crime est qualifié dans les deux cas de
« souillure » (stuprum) (R24). On ne saurait, comme dans bien d’autres
domaines de la répression criminelle, tirer quelque conclusion que ce soit
de la rareté des exemples connus, même si pour ce type de délits, depuis
longtemps, le discours romain de l’exemplarité morale et des atteintes qui
lui ont été portées, selon les anciens, a nourri l’historiographie moderne,
même la plus soucieuse d’exactitude, en induisant de la rareté
des poursuites connues la faiblesse de la répression dans ce domaine et ses
conséquences sociales : « les actions pénales édiliciennes… ne réagirent
certainement que dans une faible mesure contre les crimes d’impureté et
cette molle attitude de la République en la matière est en partie cause de
la décadence générale des mœurs et de l’audacieux étalage de vices qui se
produisirent alors » [MOMMSEN 1907, II, p. 416-417] !
En 329 av. J.-C, c’est un homme, M. Flavius, qui avait été poursuivi par
l’édile curule C. Valerius pour avoir corrompu le peuple, qui l’avait absous
antérieurement dans une affaire de mœurs. En effet, alors que M. Flavius
avait pris ses fonctions de tribun de la plèbe en décembre 328 av. J.-C., il
avait fait ensuite une distribution au peuple à l’occasion des funérailles de
sa propre mère. Certains interprétèrent l’accomplissement de ce geste
d’évergétisme sous prétexte d’hommage rendu à sa mère comme
une manière de remercier le peuple de l’avoir acquitté précédemment :

Parce qu’il [le peuple] l’avait absous (absoluere), alors qu’il avait été
assigné à comparaître (die dicta) par les édiles sous l’inculpation
(crimen) d’avoir « souillé » (stuprare) une mère de famille (mater
familias). (Tite-Live, 8, 22, 2-4)

Et c’est cette absolution dans le « jugement » (iudicium) qui lui avait


permis d’obtenir le tribunat de la plèbe. Quant aux mères de famille qui
ont été poursuivies par les édiles, étaient-elles encore mariées ? Non
assurément, car dans ce cas, le stuprum aurait plutôt été qualifié
d’adulterium. Or l’adultère n’était réprimé à l’époque républicaine et
jusqu’à la loi d’Auguste Sur la répression des adultères (18 av. J.-C.) que dans
le cadre de la juridiction domestique (R23). Il y a donc tout lieu de penser
au contraire que le déclenchement d’une procédure publique conduite par
les édiles devant le peuple était rendu seulement nécessaire lorsque
la femme était une vierge, ou lorsqu’il s’agissait d’une veuve sui iuris c’est-
à-dire autonome juridiquement [THOMAS 1984b, p. 534]. La procédure
comitiale était alors comparable dans ses rouages à celle menée par
les tribuns (R5) ou les questeurs (R6), mais elle n’était sans doute pas
capitale, et elle ne pouvait conduire qu’à une amende comme l’attestent
les quelques cas connus – il s’agissait donc plus certainement des comices
tributes et non des comices centuriates, même si le monopole de ces
derniers en matière capitale, affirmé par les XII tables, peut être
décidément remis en cause, à la lumière des procès connus au cours
des trois siècles suivants [RIVIÈRE 2013c]. Dans le cas du procès de Flavius,
les paroles attribuées à l’édile par Valère Maxime (8, 1, 7) « peu importe
qu’il périsse coupable (nocens) ou innocent (innoxius), pourvu qu’il
périsse (perire) » introduisent un doute, car l’enjeu du procès paraît être
la peine capitale. Peut-être faudrait-il alors faire plier les règles du lexique
à la logique procédurale et institutionnelle, en atténuant le sens du verbe
perire qui signifierait seulement ici « disparaître de la vie publique »
[DAGUEY-GAGEY 2015, p. 173-174], à moins de considérer simplement que ce
témoignage tardif, d’un discours rapporté de surcroît, n’est pas forcément
fiable. En matière de procédure criminelle, en effet, faut-il rappeler
combien dans l’œuvre moralisatrice et édifiante de Valère Maxime
les anachronismes sont nombreux !
En 226 av. J.-C., un tribun de la plèbe, C. Scantinius Capitolinus, fut
également accusé de stuprum et condamné, dans une procédure
édilicienne, pour avoir voulu séduire le fils de l’édile lui-même,
M. Claudius Marcellus (Valère Maxime, 6, 1, 7) – le récit de Plutarque
(Marcellus, 2, 5-8), selon lequel la procédure se serait déroulée au sénat est
une déformation. Quant au nom de ce tribun de la plèbe, il ne peut être lié
en rien au vote de la lex Scantinia qui réprimait certaines relations
sexuelles entre hommes libres, au-delà sans doute de l’âge de l’enfance
(pueritia) [JALET 2016 ; MOREAU 2017a] (Commentaire à R24). Les autres cas
connus concernent des femmes : les délits sexuels alors invoqués sous
les noms de « souillure » (stuprum), en 295 av. J.-C. (R19b) ou de « conduite
infamante » (probrum), en 213 av. J.-C., (R19d) ne sont jamais qualifiés
d’adultère pour la raison indiquée précédemment. Quant au terme
probrum il est l’équivalent de stuprum ou de flagitium (Festus, p. 254-
255 Lindsay).
C’est une toute autre raison qui fut à l’origine du procès édilicien
contre Claudia, la sœur de P. Claudius Appius Pulcher : les paroles qu’elle
avait prononcées en public, alors que la première guerre contre Carthage
(264-246) n’était pas encore achevée, constituaient une offense – tandis
que cette femme était déjà l’objet d’une poursuite, pour un grief inconnu,
comme le suggère Valère Maxime (R19c). Sous l’Empire, cette offense fut
interprétée de manière anachronique par Suétone comme un crime de
lèse-majesté (R19c3), mais la qualification de maiestas à cet endroit permet
de rappeler que ce crime, avant d’être associé à la figure du prince sous
l’Empire, est né des atteintes au peuple sous la République [FERRARY 1983 ;
THOMAS 1991]. Quelles que soient les incertitudes qui subsistent sur ce
récit, l’authenticité de ce procès contre une femme de la plus haute
noblesse ne fait aucun doute, en raison même de la source citée par Aulu-
Gelle, à savoir le mémoire (commentarium) Sur les jugements publics d’Ateius
Capito (un auteur cité de nouveau par Aulu-Gelle dans l’affaire suivante),
qu’on pourrait rapprocher d’un autre « mémoire » de technique
procédurale, le commentarium relatif à l’enquête questorienne (R6). L’un et
l’autre attestent l’ancienneté des traités relatifs au droit pénal dès
l’époque républicaine. En dehors de la question évoquée plus haut de
l’atteinte à la majesté du peuple, la gravité des paroles prononcées par
Claudia s’explique également sur le plan religieux, plutôt qu’en vertu
d’une législation sur l’injure ou l’insulte, dans la continuité des faits
relatifs à la défaite subie par la flotte sous le commandement de son frère
en 249 av. J.-C., parce que ce dernier avait négligé les auspices, et que
le déroulement de son procès capital, l’année suivante, avait été
interrompu par un signe céleste (R5b). L’imprécation si grave de la sœur
pouvait à son tour être interprétée comme un signe, une parole à
caractère de « prodige ».

Les femmes, les tribuns et les assemblées du peuple

Accusées devant les comices, au moins par des édiles, les femmes
pouvaient-elles devenir les instigatrices d’une procédure comitiale en
sollicitant le recours des tribuns (appellatio), en faisant directement appel
(prouocatio), ou encore, ont-elles été témoins devant le peuple ?
Le principe selon lequel les femmes auraient, elles aussi, bénéficié de la loi
Valeria sur la prouocatio (R3) a autrefois été soutenu [STRACHAN-DAVIDSON
1912, p. 142 et 226]. L’exemple de Manilia (R19h), la courtisane qui avait
repoussé à coups de pierre l’édile Hostilius, lequel, au retour d’un banquet,
avait voulu pénétrer chez elle, montre qu’une femme, y compris
une courtisane exerçant une profession infamante, pouvait « faire appel »
– le verbe prouocare employé par Aulu-Gelle, ne doit-il pas être plutôt
remplacé par appellare ? – aux tribuns pour éviter une poursuite. Manilia
avait en effet obtenu leur veto (intercessio) alors que l’édile qu’elle avait
blessé d’un coup de pierre pour repousser ses assauts voulait intenter
une poursuite contre elle devant les comices. La solution avancée par
Th. Mommsen pour expliquer qu’une femme, normalement exclue de
la procédure comitiale, puisse recourir au veto tribunicien est
embarrassée : « Ce droit appartient à tout citoyen romain mâle. La femme
romaine en est privée d’après l’ancien droit ; elle en jouit plus tard, du
moins dans les actions d’amende » [cf. MOMMSEN 1984, III, 130 ; IV, 186 ; VI,
1, 403]. Ou encore : « ce droit compète à tout citoyen, même, semble-t-il,
s’il n’a pas le droit de vote » [MOMMSEN 1907, II, p. 161].
La lex Oppia est l’une des lois somptuaires [BONNEFOND-COUDRY 2004] qui
avait été votée au début de la seconde guerre punique, en 215 av. J.-C.,
pour limiter les dépenses de parure des femmes. La paix et la prospérité
étant revenues, la cité fut divisée entre partisans et adversaires de
l’abrogation de la loi. Les matrones elles-mêmes manifestèrent : ni
l’exercice d’une autorité (auctoritas) quelconque, ni la retenue qu’exige
la pudeur (uerecundia), ni le commandement des maris (imperium uirorum)
ne pouvaient « les contenir au seuil de leur maison » (limine contineri),
« elles assiégeaient les rues de la ville et l’accès au forum (aditus in forum) »
(Tite-Live 34, 1, 5). Venues depuis de petites cités voisines, elles osaient
même s’adresser directement aux magistrats de Rome :

Cette affluence des femmes (frequentia mulierum) augmentait


chaque jour. Elles convergeaient même depuis les bourgs (oppida)
et les marchés (conciliabula). Et déjà elles osaient se présenter
(adire) aux consuls, aux préteurs, et aux autres magistrats, pour
les solliciter (rogare). (Tite-Live, 34, 1, 6-7)

C’est dans ces circonstances que Caton l’Ancien, dit « Le Censeur »,


prononça son discours, recomposé par Tite-Live (34, 2-4). Un court extrait
seulement de ce long morceau de bravoure retiendra ici notre attention :

Nos ancêtres ont voulu qu’aucune femme ne conduise une affaire


privée sans l’autorité d’un tuteur, qu’elles soient sous
la dépendance (in manu) des pères (parentes), des frères (fratres) ou
des maris. Et nous, s’il plaît aux dieux, nous supportons qu’elles
embrassent la carrière politique (rem publicam capessere) et qu’aux
abords du forum (foro prope), elles s’immiscent dans les réunions
du peuple (contiones) et dans les assemblées (comitia). (Tite-Live, 34,
2, 11)
Le discours de Caton l’Ancien (234-149 av. J.-C.) est largement
recomposé par Tite-Live pour en souligner l’emphase et la rigueur. Mais si,
aux yeux du « censeur » hostile à l’abrogation de la lex Oppia, l’intrusion
des femmes apparaît scandaleuse et contraire à la coutume des ancêtres,
dans la mesure où elles s’approchent des assemblées du peuple qui
précèdent un vote (contio), mais également des comices (comitia) eux-
mêmes, alors les femmes romaines seraient intervenues dans un débat
législatif au cours de cette séquence presque insurrectionnelle.
Un second texte est souvent évoqué dans la discussion sur l’exclusion
des femmes (même en tant qu’observatrices) aux comices [CAVAGGIONI 2008,
p. 205-207]. Mais la généralisation de ce texte relatif à la procédure de
l’adoption des sui iuris (adrogatio) qui se déroulait devant les curies (R2c)
ne doit pas conduire à une extrapolation, car il ne s’agit ici sans doute que
d’une limitation relative aux comices curiates qu’on peut difficilement
étendre aux assemblées législatives, électorales et judiciaires, au moins
aux comices tributes (les comices centuriates constituant en principe à
l’origine le corps civique en armes, on voit mal comment des femmes
auraient pu y participer) :

Ni le pupille (pupillus), ni la femme (mulier) qui n’est point soumise


au pouvoir d’un père (parentis potestas), ne peuvent être adoptés
par adrogation (adrogari). La cause en est que les comices ne
peuvent avoir de rapport avec les femmes (cum feminis nulla
comitiorum communio est). (Aulu-Gelle, 5, 19, 10)

L’initiative engagée par la courtisane Manilia auprès des tribuns,


commentée plus haut, constitue un témoignage isolé de « l’appel » lancé
par une femme pour obtenir l’intercession tribunicienne contre l’initiative
d’un édile, afin d’éviter de comparaître devant le peuple (les comices
tributes). Dans la mesure, néanmoins, où cet épisode fait intervenir
le collège tribunicien, il a parfois été rapproché d’un autre épisode
intervenu un demi-siècle plus tard, en 101 av. J.-C., à savoir l’obligation
imposée par un tribun de la plèbe à Sempronia, la sœur des Gracques, de
venir témoigner devant le peuple réuni en contio, c’est-à-dire la réunion
préalablement nécessaire à la tenue des comices eux-mêmes. Elle aurait
dû accomplir publiquement et symboliquement le geste nécessaire,
un baiser, à un certain Equitius qui revendiquait l’appartenance à
la famille Sempronia. L’hypothèse d’un tel rapprochement peut être
envisagée d’un point de vue procédural : d’un côté la sollicitation par
une femme d’un tribun de la plèbe, de l’autre l’injonction donnée à
une femme par ce dernier de « témoigner » devant le peuple. Toutefois,
la position sociale respective de ces deux femmes, une « courtisane », en
premier lieu, une femme de la plus haute noblesse, en second lieu, sépare
les deux actions relatives à un pouvoir tribunicien et à une comparution,
comme accusée ou comme « témoin », devant le peuple. La maîtrise par
Sempronia de ses émotions, alors même qu’elle est dans une situation
presque inédite pour une femme – Valère Maxime y insiste, Quid feminae
cum contione ! – rejoint les autres exemples connus – ils sont rapportés par
le même auteur – au cours desquels des femmes sont intervenues dans
des procédures ou ont initié des mécanismes institutionnels, en des lieux
et devant des instances de la cité, d’ordinaire réservés aux hommes.
Les autres exemples connus se retrouvent également chez cet auteur :
dans la première moitié du Ier siècle av. J.-C., Amesia défendit sa cause
devant un tribunal réuni par un préteur, où elle accomplit sa défense
« avec une âme d’homme » qui lui valut le surnom « d’Androgyne » ;
l’androgyne a été considéré à Rome, au moins jusqu’au commencement de
l’époque impériale, comme un « prodige » (une intervention divine) ou
un « monstre » (un désordre cosmique) (R35) [RIVIÈRE 2018a] ; c’est en
« monstre » (monstrum) également qu’est décrite Afrania, en raison de
« ses aboiements, inhabituels au forum », et c’est conformément au droit
religieux que Valère Maxime dit qu’il vaut mieux se souvenir de la date de
sa mort, plutôt que de sa naissance, comme s’il s’agissait de la date d’un
rituel d’élimination d’un monstre, de la procuration d’un prodige ;
anomalie enfin que l’éloquence d’Hortensia, la fille d’un des plus grands
orateurs de la fin de la République, qui aurait dû incomber à
la descendance masculine de ce dernier et qui réapparut pourtant par
la « souche féminine » (muliebris stirps). Naturellement, il faut encore y
insister, ces « cas » ont un caractère « d’exception », ils sont rares, ils
constituent des exempla, ils ne sont portés à notre connaissance que sous
la plume d’un auteur qui ne les retient que pour leur caractère
« anormal ». Cependant, si les situations décrites interdisent toute
généralisation au sujet de la part des femmes à la vie judiciaire de la cité,
elles invitent à poser une question de fond au regard de l’histoire sociale
et institutionnelle. Ces situations diverses signifient en effet, sur le plan
procédural, une capacité reconnue (présence aux comices, action menée
devant le préteur, défense des intérêts familiaux etc.). Elles supposent par
ailleurs une condition nécessaire et qui relève de l’histoire sociale : quelle
éducation avait reçue Amesia ou Afrania pour se présenter devant
le préteur, quelle formation oratoire et à partir de quel âge avait
également été celle d’Hortensia pour qu’elle puisse un jour se situer au
même degré d’éloquence que son père. La question qui se présente ici
mériterait assurément d’être approfondie, fouillée, scrupuleusement
étudiée, en évitant les raccourcis de « l’histoire du genre », telle qu’elle est
aujourd’hui répandue.
La capacité à agir en justice, la formation rhétorique que cela suppose,
l’autorité nécessaire pour y parvenir, que les exempla de Valère Maxime
reconnaissent à certaines femmes, pourraient encore être envisagées
comme de simples lieux communs où se niche l’effroi d’un
fonctionnement civique, dominé irréfragablement par les hommes, ou
plutôt, comme on l’a vu, par les pères détenteurs de la potestas (R2). À
la fin de la République pourtant, se présente un autre type de document,
une inscription funéraire, la Laudatio Turiae, un texte offert au public,
rédigé par un mari en souvenir de sa femme décédée. Ce document
exceptionnel a fait l’objet de nombreuses études. Nous ne retenons ici que
les quelques lignes de l’inscription qui signifient qu’une femme, aidée de
sa sœur, a eu la capacité de venger ses parents assassinés, en poursuivant
en justice les meurtriers, alors même que les maris de l’une et de l’autre
avaient gagné les provinces respectives où ils devaient exercer une charge
(R19o). Quels étaient les conditions institutionnelles et sociales supposées
par la conduite d’une telle entreprise ? Enquête, démarche auprès d’un
magistrat, dépôt de plainte, action en justice, conduite probablement par
la représentation d’un patronus… L’éloge funèbre écrit par le mari souligne
le caractère exceptionnel de la démarche de sa femme, mais au-delà de
cette appréciation subjective destinée à être rendue publique, il signifie
aussi la possibilité donnée à la femme romaine, en l’absence d’hommes
pouvant agir pour elle, de mener une poursuite judiciaire.
Avant de clore le dossier républicain ici rassemblé, rappelons l’épisode
de la fille qui nourrit l’un de ses parents dans un cachot (R19i). Ce récit qui
s’applique tantôt au père, tantôt à la mère, constitue un exemplum de
la vertu cardinale chez les Romains, à savoir la piété filiale. On
n’envisagera évidemment pas de mesurer l’authenticité historique d’une
anecdote qui s’inscrit dans une représentation archétypale de la mort en
prison, par abandon [DAVID 1984, p. 141-142]. Pourtant, même si elle
« fourmille d’anachronismes et d’invraissemblances », il n’y a pas lieu de
la rejeter entièrement en bloc, en la considérant comme « une invention
absurde » et en considérant tout particulièrement que « l’hitoire de
la grâce accordée est donc une duperie comme tout le reste » [MOMMSEN
1907, I, p. 167, n. 2]. La précision topographique, néanmoins, soulignée par
Pline l’Ancien (R19i2) indique la diffusion et la précision de ce récit – il
suppose l’existence d’un autre carcer que celui du Capitole, le seul connu à
Rome dans tout le reste de la documentation relative à l’époque
républicaine. Par ailleurs, on ne peut négliger, dans la version qu’en donne
Valère Maxime (R19i1), l’armature institutionnelle qui contribue à l’effet
de réel d’une histoire où s’articule la compétence reconnue aux triumvirs
capitaux (R7) sous l’autorité du préteur, lui-même entouré d’un consilium –
c’est également le préteur qui dirige le tribunal devant lequel comparaît
une femme ayant tué sa propre mère parce qu’elle avait assassiné ses
enfants (R19j). Enfin, il n’est pas certain que le régime de l’indulgentia
(R49), c’est-à-dire de la réhabilitation des condamnés, ait été soumis à
l’époque républicaine à des règles aussi strictes que celles décrites par
Theodor Mommsen. Ce sont ici les pouvoirs publics qui seraient
intervenus pour l’exécution de la femme criminelle, alors que cette mise à
mort était généralement confiée aux proches, comme l’illustrent l’épisode
des bacchanales de 186 av. J.-C. (R8) et l’affaire d’empoisonnement de
154/151 av. J.-C. (R19g). Enfin, au regard de l’histoire des femmes à Rome,
on observe encore une fois combien les épisodes judiciaires dans lesquels
elles sont impliquées touchent au religieux, que ce soit le crime lui-même
(l’empoisonnement mêlé au fléau de l’épidémie, les transes
dionysiaques…) qui revêt un caractère merveilleux, ou leur intervention
devant les tribunaux qui relève du « prodige » et du « monstrueux », ou
encore la façon d’échapper à la justice de la cité qui constitue
explicitement un miraculum.

Les femmes romaines et la justice impériale

Des guerres civiles de la fin de la République, jusqu’au commencement


de l’époque impériale, le rôle judiciaire des femmes est illustré
notamment, au moins sous l’angle du témoignage devant la cour, par
la poursuite de Clutorius Priscus en 21 ap. J.-C. lors d’une enquête
sénatoriale – la nature du procès est confirmée par Dion Cassius (57, 20, 3-
4). Cette cognitio senatus conduisit si précipitamment à l’exécution de
l’accusé qu’apparaît alors, pour la première fois, la mention d’un délai
entre le verdict et l’exécution, nécessaire pour que l’empereur en soit
informé. Les dix jours initialement prescrits, plus tard devinrent trente,
e
dès le II siècle et jusqu’à la dernière attestation d’un procès devant
le sénat romain, celui contre Arvandus en 469 (R11c). L’issue du procès
sénatorial est assurément déterminée par la présence du prince dans
la curie ou, plus simplement et plus fréquemment, par la production
des pièces secrètes archivées au Palatin et qui commandent
« l’instruction ». De la procédure à l’intrigue de palais, le pas est court,
comme l’atteste laconiquement la présence des « matrones » lors d’un
procès conduit par l’empereur Claude (41-54 ap. J.-C.) dans l’un des jardins
impériaux (horti) de l’Vrbs [RODRIGUEZ 2010 ; RIVIÈRE 2019b] (R19q). Une telle
assistance des femmes du plus haut rang signalée fugitivement sur
le papyrus n’est pas sans évoquer (même s’il s’agit cette fois
d’impératrices) la présence et l’influence de Messaline elle-même dans
la première phase du procès contre Valerius Asiaticus en 47 ap. J.-
C. (Commentaire à R11), ou encore le procès contre Lollia Paulina en 49 ap.
J.-C. lancé à l’instigation d’Agrippine la Jeune (Commentaire à R33).
Rappelons également le rôle joué par Livie, la mère de Tibère devenue
Iulia Augusta, pour éviter une condamnation à Munitia Plancina, la femme
de Pison, en 20 ap. J.-C. (Commentaire à R11). Le texte épigraphique du
Senatus consultum de Cn. Pisone patre décrété à l’issue du procès et destiné à
être largement publié, évoque « les crimes nombreux et très graves »
commis par Munatia Plancina. Ce texte souligne encore que Tibère « a été
supplié en faveur de Plancina par les prières de sa mère » ou qu’il a voulu
« que sa mère obtienne satisfaction ».
Une anecdote, flatteuse pour celui qui la rapporte, Pline le Jeune,
indique, un siècle plus tard, que l’action d’une femme en justice, dans
une affaire capitale (en l’occurrence, il s’agit de faux et
d’empoisonnement) pouvait relever de l’initiative de cette dernière, mais
que la poursuite était alors conduite devant le tribunal par un homme
(R19r). Après la mort de son fils, suspecte à ses yeux, la mère avait elle-
même, semble-t-il, déposé une plainte (deferre) devant le tribunal impérial
(ad principem) contre des affranchis. Ces derniers étaient soupçonnés
d’assassinat car ils étaient les cohéritiers du fils. Le prince ne conduisit pas
lui-même l’audience et désigna pour mener le procès un « juge », en
la personne de Iulius Servianus. Une telle désignation paraît
vraisemblablement être advenue à l’issue des démarches poursuivies par
cette femme pour l’« obtenir » (impetrare). Le recours à la torture,
des esclaves certainement, mit un terme à l’enquête en faveur des accusés.
Mais la femme obtint la révision du procès en alléguant disposer de
nouvelles preuves. Cet « appel » (R50), motivé par la production de
nouvelles pièces, ne pouvait cependant être transmis à un degré plus
élevé, puisque la poursuite avait été dès le départ présentée au tribunal
impérial. C’est donc le même juge qui fut chargé de reprendre l’enquête.
La femme fut alors assistée par un orateur inexpérimenté dont
la maladresse aurait contribué à ce que Pline le Jeune remporte le procès.
À la même époque, le rôle joué par les femmes du cercle de Thrasea Paetus
pour venger les victimes de Néron (54-68) et de Domitien (81-96), ce que
l’on désigne souvent, à tort [RIVIÈRE 2017a], comme « l’opposition
stoïcienne », mériterait assurément d’être réexaminé sous un angle
procédural. Une telle analyse permettrait de préciser encore la place de
ces femmes de haut rang (certaines d’entre elles avaient été exilées) dans
le déroulement de la procédure, en dehors de ce que l’on perçoit de leur
activité parajudiciaire [CARLON 2005]. Qu’il suffise de rappeler ici
l’appréciation de Pline le Jeune au lendemain de la mort de Domitien en
96, lorsque l’occasion se présenta d’attaquer plusieurs délateurs du règne,
notamment un certain Publicius Certus. Les canons de l’assistance
judiciaire hérités de la procédure accusatoire du dernier siècle de
la République, se mêlent ici aux nouveaux rapports de forces créés au sein
de l’aristocratie sénatoriale par l’affirmation du pouvoir impérial et
les ruptures qu’un changement de règne occasionne [RIVIÈRE 2017a, p. 320-
328]. L’orateur voudrait saisir l’occasion de se placer au premier rang
comme il l’écrit sans ambages :

Il y a là une grande et belle matière à mettre en pièces


les coupables (nocentes insecare), à venger les malheureux (miseros
uindicare), et à se mettre soi-même en avant (se proferre). (Pline
le Jeune, Lettres, 9, 13, 2).

Il poursuit en invoquant, en premier lieu, les devoirs de l’amitié qui


le lie aux femmes de l’entourage d’Helvidius Priscus, la victime du tyran,
mais en invoquant également l’intérêt supérieur du « droit religieux
public », qui commande d’entreprendre une telle accusation :

J’avais du reste été lié avec Helvidius par l’amitié… avec Arria et
Fannia également dont l’une était la belle-mère (nouerca)
d’Helvidius, et l’autre la mère de sa belle-mère. Mais j’étais incité à
agir de la sorte moins en raison d’obligations de droit privé (iura
priuata) qu’en raison du droit religieux public (fas publicum), de
l’atteinte à la dignité constituée par le crime (indignitas facti), de
la considération de l’exemple (ratio exempli). (Pline le Jeune, Lettres,
9, 13, 3)

D’un côté donc l’insistance sur les devoirs de l’amitié, de l’autre


la justification nécessaire de s’élever au-dessus de ces raisons personnelles
impérieuses pour défendre les intérêts de l’État. En réalité, il était presque
impossible à Pline d’agir sans recevoir l’approbation d’Arria et de Fannia.
Il est très injuste d’écarter les plaintes de celles qui sont affligées
et en conséquence le droit de se plaindre en justice (ius querendi)
ne peut être refusé à Arria et Fannia. (Pline le Jeune, Lettres, 9, 13,
15)

On ne détaillera pas ici les différents mécanismes procéduraux qui


suivirent (pour agir en justice, une autre femme de l’entourage, la petite-
fille d’Helvidius Priscus, Helvidia, avait un tuteur nommé par les consuls,
C. Iulius Cornutus Tertullus). Soulignons seulement que l’absence de
poursuite contre Publicius Certus résulta en partie d’une adresse au sénat
d’Arria et de Fannia :

Elles se contentent de rappeler au sénat les sanglantes adulations


de Publicius Certus et de demander que si on lui épargne la peine
d’un crime tout à fait flagrant (flagitium manifestissimum), on
le marque tout de même d’une note d’infamie comme celle infligée
par les censeurs (nota quasi censoria). (Pline le Jeune, Lettres, 9, 13,
16)

Le corpus jurisprudentiel d’époque impériale, relativement au


témoignage en justice, place les femmes sur le même plan que les hommes
(R19s7), tout particulièrement au regard des règles limitatives (R19s1) qui
empêchent de déposer contre les membres de sa famille (R28). On sait par
ailleurs que les femmes ont pu également témoigner au sénat (R11),
comme on les a vues témoigner à l’époque précédente devant un tribunal
de jury – en 52 av. J.-C. à l’occasion du procès contre Milon (R10).
Cependant, pour ce qui relève de l’accusation, les règles jurisprudentielles
interdisent aux femmes la possibilité d’intenter des « actions populaires »
dans un « jugement public », c’est-à-dire de prendre elles-mêmes
l’initiative de la poursuite, à moins d’y être conduites par un devoir de
vengeance à l’égard d’un proche (R19s2-R19s4), et seulement si
des hommes de la famille font défaut – le scénario de la Laudatio Turiae
envisagé précédemment s’inscrivait dans cette logique, tout comme
la démarche de la mère qui avait dénoncé devant le tribunal impérial
l’assassinat de son fils. Dans les autres circonstances, l’incapacité de
la femme est associée à celle du pupille ou à d’autres individus qui n’ont
pas le droit d’accuser en raison de leur condition ou d’une faute commise
antérieurement (R19s2 ; R19s5). Cependant, si la gravité des faits nécessite
le recours à tous les moyens de la dénonciation, par exemple en matière
d’approvisionnement (annona), alors les femmes peuvent être entendues.
De telles dérogations – elles s’étendent également aux esclaves et aux
infâmes – visent également d’autres crimes tels que ceux relatifs au census,
à la fausse monnaie et naturellement à la lèse-majesté [RIVIÈRE 2002a, p. 314-
318 et 332].
En dépit de la publication de deux études très approfondies sur
les règnes de Sévère Alexandre (222-235) [STERNBERG 1985] et Dioclétien (284-
305) [HUCHTHAUSEN 1976], le corpus des rescrits adressés par des empereurs
à des femmes mériterait sans doute une nouvelle approche : mettant
même de côté le constat statistique, les femmes (en minorité, par rapport
aux hommes) ne sont pas des destinataires, comme les hommes,
des réponses impériales. Les domaines abordés (essentiellement
des questions patrimoniales ou d’héritage) diffèrent. Les sujets qui ont
conduit à la consultation de l’empereur peuvent spécifiquement relever,
du point de vue romain, d’une « condition féminine ». Que l’on songe au
refus adressé à Cassia d’intenter une accusation d’adultère puisqu’une
femme ne peut être la victime de la conduite de son mari [PAVÓN 2011].
Parfois, cependant, dans ce registre des délits sexuels, raison pouvait être
donnée à la femme comme dans le cas de cette Theodora qui venait de
découvrir que celui qu’elle avait épousé était déjà marié [PAVÓN 2019]. Ce
n’est pas tant pour des préoccupations morales que les empereurs ont
réagi dans ce cas précis, qu’en raison du rejet suscité par la bigamie sur
le plan du droit et de l’incertitude que celle-ci pouvait faire apparaître
quant au statut des enfants à naître. Enfin, plusieurs de ces rescrits
reviennent, dans le sillage de la jurisprudence examinée précédemment,
sur les limites du « droit d’accuser » accordé aux femmes. Une femme ne
peut intenter une accusation en vertu de la loi syllanienne sur le faux (lex
Cornelia testamentaria) (R27), « à moins que l’affaire ne la concerne
directement ». C’est dire que, contrairement aux hommes, qui peuvent se
faire dénonciateurs, puis accusateurs devant le tribunal, la femme, à
moins d’y être contrainte, en l’absence d’acteur masculin, ne peut intenter
librement une action. En matière de faux, le législateur y insiste de
nouveau, « il n’a pas été concédé aux femmes d’accuser ». La restriction
est commandée également par le système de la tutelle ou de la curatelle :
quand bien même une femme voudrait défendre les intérêts de son fils –
un proche, donc, en faveur duquel elle est susceptible d’agir –, si ce
dernier dispose de tuteurs ou de curateurs, la mère doit laisser
l’appréciation de la cause et l’initiative à ces derniers. Cette norme de
jurisprudence est encore rappelée en 294 dans un rescrit des tétrarques
adressé à une certaine Dionysia [PAVÓN 2019, p. 202] :

La défense accordée à un tiers est un devoir d’homme (uirile


officium) et il s’avère qu’il n’est pas accessible au sexe féminin
(sexus muliebris). C’est pourquoi, sollicite pour ton fils un tuteur, s’il
est pupille. (Dioclétien et Maximien et les Césars à Dionysia, écrit à
Sirmium, le 21 janvier 294, Code de Justinien, 2, 12, 18)

On sait néanmoins, dans ce domaine de la tutelle, quels ont été


les contournements de la norme, et combien ces tuteurs ou curateurs ont
pu être des « hommes de paille » obéissant aux intérêts de la femme en
question [THOMAS 1991]. Cependant, en l’absence de tuteurs ou de
curateurs, la femme était donc en capacité d’intenter une accusation en
faveur d’elle-même ou d’un proche : elle n’encourait pas alors le risque de
calumnia – inscrit dans le senatus consultum Turpilianum –, en cas d’échec de
son accusation, car elle avait obéi à un devoir, à moins évidemment que
son désistement n’ait été commandé par un arrangement intéressé avec
un tiers, par un pactum. L’enquête est ouverte, mais rappelons pour finir
le constat de Marc Bloch cité en introduction de cet ouvrage (cf. supra
p. 45), en le paraphrasant cette fois et en feignant quelque peu d’ignorer
que le mot « hommes » signifiait évidemment sous sa plume « le genre
humain » dans son ensemble, et non un sexe plutôt que l’autre :
« Comment les femmes étaient-elles jugées ? Pour un système social, point
de meilleure pierre de touche que celle-là » !
DEUXIÈME PARTIE

LES CRIMES
Quinze titres extraits de La confrontation
des lois mosaïques et romaines ou Loi de Dieu
que le Seigneur a enseignée à Moïse
20

L’homicide (Collatio legum, tit. 1)

Titre 1. Des assassins <et des homicides commis accidentellement


ou volontairement> (De sicariis <et homicidis casu uel uoluntate>).

1, 1. Moïse, prêtre de Dieu, dit ce qui suit :


Si quelqu’un a frappé (percutere) un homme au moyen d’une arme en
fer (ferrum) et qu’il l’a tué (occidere), qu’on lui inflige la mort. 2. Ou encore,
s’il l’a frappé en empoignant une pierre, avec le risque d’entraîner la mort,
et que l’homme meurt, il est homicide : qu’on lui inflige la mort. 3. Ou
encore, s’il a poussé (impellere) quelqu’un avec hostilité (inimicitia), ou si,
lui ayant tendu une embuscade, il a lancé sur lui un quelconque ustensile,
et que cet homme meurt, ou s’il l’a frappé par colère (ira), et que cet
homme meurt, il a été décidé qu’on lui inflige la mort.
2, 1. De même Paul, au cinquième livre des Sentences, sous le titre « de
la loi Cornelia sur les assassins et les empoisonneurs » (lex Cornelia de
sicariis et ueneficis) déclare :
La loi Cornelia fait subir la peine de la déportation à celui qui a tué
(occidere) un homme, ou à celui qui, dans ce but ou pour commettre un vol
(furtum), s’est trouvé avec une arme (telum), et à celui qui, dans l’intention
de mettre à mort (necare) un homme, a eu en sa possession, a vendu ou a
préparé un poison (ueneficium), à celui qui a prononcé un faux témoignage
(falsum testimonium), pour que quelqu’un perde la vie (perire), ou qui a
fourni son concours (praestare) pour donner la mort. 2. Il convient de tirer
vengeance (uindicari) de tous ces actes criminels (facinora) en appliquant
une peine de décapitation (poena capitis) à l’encontre des personnes
honorables (honestiores), tandis que les humbles (humiliores) seront portés
en croix ou jetés aux bêtes.
3, 1. Ulpien, au livre VII Sur la fonction du proconsul, sous le titre « des
assassins et des empoisonneurs » :
Au premier chapitre de la loi Cornelia sur les assassins, il est stipulé
que celui auquel l’enquête (quaestio) sur les assassins a été dévolue par
tirage au sort, le préteur ou juge-président de tribunal (iudex quaestionis)
affecté par tirage au sort au tribunal des assassins concernant les faits
commis dans la ville de Rome ou dans un rayon de mille pas, enquête
(quaerere) avec les juges qui lui auront été affectés selon la loi par tirage au
sort, au sujet de la vie (caput) du prévenu, que ce dernier ait circulé en
portant une arme (cum telo ambulare), dans l’intention de mettre à mort
(necare) un homme ou de commettre un vol (furtum), qu’il ait tué (occidere)
un homme, ou qu’il ait agi frauduleusement (dolo malo) pour que cela soit
fait. Et autres clauses (passim).
2. Après avoir rapporté les termes de la loi, Ulpien s’exprime lui-même
ainsi : cette loi ne punit pas quiconque a circulé avec une arme, mais elle
réprime (coercere) seulement celui qui dans l’intention de mettre à mort
un homme, ou de commettre un vol, a porté sur lui une arme (telum
gerere). Elle réprime (compescere) également celui qui tue un homme, sans
préciser de quelle condition est l’homme en question, si bien que cette loi
paraît s’appliquer aussi bien lorsqu’il s’agit d’un esclave que d’un pérégrin.
4, 1. De même Paul déclare au livre mentionné plus haut et sous
le même titre :
L’homicide est celui qui a tué un homme au moyen d’une arme
quelconque, ou celui qui a prêté son concours pour donner la mort.
Des homicides accidentels (de casualibus homicidis).
5, 1. De même au sujet des homicides accidentels, Moïse,
conformément à la loi dit :
Si, soudainement, sans agir en raison d’inimitié (inimicitia), ni sans
avoir tendu une embuscade (insidiae), il jette sur quelqu’un, sans mauvaise
intention (non per dolum), un ustensile (uas) quelconque, 2. ou une pierre
(lapis), et que ce dernier en meurt, si l’objet lui tombe dessus et qu’il
meurt, à condition toutefois que l’auteur du jet ne soit pas son adversaire
(inimicus), et qu’il n’ait pas cherché (quaerere) à lui faire mal, 3. tu jugeras
(iudicare) entre celui qui a porté le coup (percutere) et le proche du mort
selon ces jugements, 4. et tu laisseras libre l’auteur du coup.
6, 1. Ulpien au livre et sous le titre indiqués ci-dessus :
Qu’il faille observer une distinction entre l’homicide par accident
(casus) et celui qui procède de la volonté (uoluntas), un rescrit d’Hadrien
le confirme. 2. Les termes du rescrit sont les suivants : « en général on
acquitte (absoluere) à cette condition celui qui a tué un homme : s’il a été
établi qu’il n’avait pas l’intention de tuer (occidendi animus). À l’inverse,
celui qui n’a pas tué, mais qui a voulu tuer, est condamné comme
homicide. 3. C’est pourquoi, partant de là, il faut établir ce qui suit : est-ce
par une arme en fer (ferrum) qu’Épaphrodite a porté le coup (percutere) ?
S’il a sorti une épée (gladius) ou s’il a frappé avec une arme (telum), est-il
encore possible, en effet, de douter du fait qu’il a frappé avec l’intention
de tuer ? Supposons maintenant qu’il ait frappé avec une clef (clauis), ou
avec une marmite (cucuma), ou encore qu’accidentellement en s’étant
livré à une rixe (rixari), il ait frappé avec une arme en fer, mais sans
intention de tuer (occidendi mens). Cherchez alors à le découvrir (exquirere)
et s’il s’avère que la volonté de tuer (uoluntas occidendi) est établie,
ordonnez d’infliger à l’esclave homicide le supplice suprême (summum
supplicium) ».
7, 1. Paul, au livre et sous le titre mentionnés ci-dessus :
Celui qui a tué un homme est parfois acquitté, tandis que celui qui n’a
pas tué est condamné (damnare) comme homicide : c’est en effet
l’intention (consilium) de chacun qu’il faut punir, et non le fait (factum). En
conséquence, si quelqu’un voulait tuer, et qu’en raison d’une quelconque
contingence il n’a pas pu passer à l’acte, il est puni comme homicide.
Tandis que celui qui, accidentellement (casu), par le jet d’une arme (telum)
a atteint un homme par imprudence, est acquitté. 2. Par ailleurs, si
un homme a trouvé la mort pour avoir été frappé au cours d’une rixe,
puisqu’il convient d’examiner les coups (ictus) eux-mêmes qui ont été
échangés de part et d’autre, pour cette raison, les humbles (humiliores)
doivent être condamnés à l’école de gladiateurs (ludus) ou à la mine, tandis
que les personnes honorables (honestiores), après avoir été punies par
la confiscation (mulctare) de la moitié de leurs biens, sont reléguées.
8, 1. De même le Code Grégorien, au livre IV, sous le titre « de la loi
Cornelia sur les assassins et les empoisonneurs » cite la constitution
suivante :
L’empereur Antonin <Caracalla> à A. Aurelius Herculanus et à d’autres
soldats :
« Votre frère d’armes a agi de la façon la plus convenable, s’il s’est
présenté au gouverneur de la province. S’il est parvenu à lui prouver que
Iusta a été frappée par lui sans qu’il ait eu l’intention de tuer (occidendi
animus), alors, après avoir rejeté la peine de l’homicide, le gouverneur
prononcera une sentence conforme à la discipline militaire (disciplina
militaris) ».
Affichée la veille des calendes de février, durant le second consulat de
Laetus [31 janvier 215].
9, 1. De même, sous le même titre et au même livre, le Code Grégorien
cite la constitution suivante :
L’empereur Alexandre <Sévère> à A. Aurelius Flavius et à d’autres
soldats.
« Si celui pour lequel tu viens de fournir une requête (libellus) n’a pas
provoqué la mort avec une mauvaise intention (dolo), qu’il n’ait
absolument rien à craindre. Une telle accusation (crimen) n’est retenue en
effet que lorsqu’intervient également la volonté de tuer (uoluntas
occidendi). En revanche, les faits qui se produisent de manière inattendue
(improuiso), par accident plutôt que par volonté criminelle (fraus), sont
imputés en général plutôt à la fatalité (fatum), qu’à une faute (noxa).
Affichée le treizième jour des calendes d’août, sous le consulat
d’Alexandre [20 juillet 222].
10, 1. De même le Code Grégorien, au même livre, et au même titre,
donne le rescrit suivant :
Copie (exemplum) d’une lettre sacrée de nos maîtres. « Nous te saluons,
ô Agathos, toi qui nous est très cher. La nature des supplications de Iulius
Antoninus a aisément suscité notre clémence. De fait, il assurait que
l’homicide avait été commis, non par sa volonté (uoluntas), mais par
un accident (casus) tenant du hasard (fortuitus), puisque la circonstance
(occasio) de la mort paraissait avoir été donnée par le choc d’une pierre. Or
si vraiment il en est ainsi, et qu’on ne pourra le mettre en doute, nous
voulons le libérer de toute crainte et de tout soupçon de ce qu’il encourt
en raison de la gravité de l’acte qui a été commis, conformément à ce qui a
été inclus dans notre annotation (adnotatio).
Donnée la veille des calendes de décembre, sous le consulat de
Dioclétien (pour la quatrième fois) et Maximien [30 novembre 290].
11, 1. Ulpien au livre et au titre mentionnés ci-dessus :
Alors qu’un individu, en raison de sa conduite incontrôlée (lasciuia),
avait provoqué la mort, la décision de Taurinus Ignatius, proconsul de
Bétique, selon laquelle il devait être relégué durant cinq ans, a été
confirmée par le divin Hadrien. 2. Les termes de la consultation <du
proconsul> et du rescrit <de l’empereur> sont les suivants : « J’ai enquêté
(cognoscere), ô excellent empereur, au sujet de la confrontation survenue
entre Claudius et <Marius> Evaristus : Claudius, fils de Lupus, au cours
d’un festin, alors qu’il était brutalement secoué par le manteau, subit un si
mauvais traitement de la part de Marius, qu’il en mourut cinq jours plus
tard. Il s’avérait cependant qu’il n’existait aucune hostilité entre lui et
Evaristus. J’ai cru néanmoins qu’il fallait exercer une répression (coercere),
en conséquence de ce dérèglement passionné (cupiditas), afin de corriger
la conduite (emendare) d’autres jeunes gens (iuuenes) du même âge (aetas).
C’est pourquoi j’ai interdit (interdicere) à Marius Evaristus la Ville, l’Italie,
ainsi que la province de Bétique pour une période de cinq ans, et j’ai
décidé qu’à titre de dédommagement Evaristus verserait au père de
Claudius deux milles <sesterces> en raison de la flagrante pauvreté de ce
dernier. Veuille m’adresser un rescrit ». 3. Voici les termes du rescrit :
« Taurinus, tu as correctement proportionné la peine de Marius Evaristus
au degré de la faute. Il importe en effet même pour les plus grands délits
de considérer si l’acte a été commis délibérément (consulto) ou
accidentellement (casu) ». 4. Et à coup sûr, dans tous les cas de crime, cette
distinction doit avoir pour effet soit <d’infliger> la peine conforme au
droit (iusta poena), soit de permettre une modération (temperamentum) <de
celle-ci>.
12, 1. Modestin au sixième livre Des différences sous le titre « de ceux
qui agissent en connaissance de cause (scientes) et de ceux qui agissent par
ignorance (ignorantes) » avance ce propos de portée générale :
On a parfois l’habitude d’accorder le pardon (uenia) à ceux qui, par
ignorance, commettent un délit au regard du droit civil, avec cette réserve
que l’auteur ignore la nature du fait et non du droit. Il va de soi qu’une
telle habitude ne s’applique pas aux auteurs d’un délit, qui ont agi avec
l’intention (consilium) de le commettre. Pour cette raison, il est
indispensable de prendre en considération par une distinction
supplémentaire si à l’examen un acte a été commis par quelqu’un en
connaissance de cause ou par ignorance. Et autres clauses (passim).
13, 1. Paul au livre et au titre cités ci-dessus.
Celui qui a eu sur lui une arme (telum) afin de protéger sa vie, n’est pas
considéré la porter dans le but de tuer un homme. 2. Le mot « arme » ne
recouvre pas seulement une arme en fer (ferrum), mais tout objet qu’on a
porté dans l’intention de nuire.

*
* *

Le titre « sur les assassins et les homicides » s’ouvre par un extrait du


quatrième livre du Pentateuque, Les Nombres, relatif au meurtre (35, 16 ; 35,
17 ; 35, 20 ; 35, 21) et dont l’auteur de la Collatio legum a supprimé certaines
dispositions. Le paragraphe (35, 18) où il est question du meurtre
intentionnel accompli avec un objet en bois, lui a sans doute paru
redondant avec les deux précédents où il est question du meurtre commis
avec un objet en fer ou avec une pierre. Quant au paragraphe (35,
19) relatif au monopole de la vengeance réservé au proche parent (« le
proche parent qui réclame le sang, c’est lui qui tuera le meurtrier »),
la disposition qu’il contient n’aurait pu s’offrir à aucun parallélisme avec
le droit romain et devait donc être écartée [FRAKES 2011, p. 243-244], alors
qu’elle était de toute façon devenue obsolète [HYAMSON 1913, p. 58].
L’attribution du titre de « prêtre de Dieu » (dei sacerdos) à Moïse est
singulière, puisque dans le texte de la Bible ce dernier est généralement
désigné comme « serviteur de Dieu », tandis que le titre de « prêtre » est
réservé à son frère Aaron. Cette singularité lexicale pourrait s’expliquer
par la volonté délibérée de l’auteur de la Collatio legum de recourir à
un rapprochement avec la désignation par Ulpien (Digeste, 1, 1,
1) des juristes romains comme « prêtres » (sacerdotes) au service de
la justice et de l’équité [HYAMSON 1913, p. 56]. Une telle désignation
des juristes par Ulpien ne revêtait d’ailleurs pas seulement une portée
allusive ou métaphorique au présent, puisque les premiers experts du
droit aux origines de la cité avaient été réellement des prêtres, les pontifes
[SCHIAVONE 2008, p. 437].
Selon une composition unique dans l’ensemble de la Collatio legum,
un second extrait du texte de la Bible a été placé au milieu du titre « Sur
les assassins et les homicides ». Il s’agit de la suite du précédent, où il est
question cette fois du meurtre involontaire (Nombres, 35, 22-25).
L’intervention de notre auteur sur le texte original est plus radicale encore
cette fois, puisqu’il décide de supprimer les dispositions du Pentateuque
relatives à l’action de « la communauté », à la vengeance du « proche
parent qui réclame le sang », et surtout à l’institution des villes d’asile où
le meurtrier involontaire pouvait résider et n’être exposé à aucun risque
de vengeance [BARTON-MUDDIMAN 2001, p. 133-134 ; FRAKES 2011, p. 246].

De la fixité de la peine, selon la législation syllanienne


(81 av. J.-C.), à l’appréciation discrétionnaire du juge
sous l’Empire

Les deux premiers paragraphes relatifs au droit romain du titre « sur


les assassins et les empoisonneurs » se réfèrent à une loi de Sylla
remontant à l’année 81 av. J.-C. (comme à peu près toute la législation
syllanienne), à savoir, précisément, la Loi Cornelia sur les assassins et
les empoisonneurs (lex Cornelia de sicariis et ueneficis), en y ajoutant
des dispositions relatives au châtiment, conformes à l’évolution du droit
pénal de l’époque impériale (Coll., 1, 2 ; 1, 3). En effet, dans sa rédaction
initiale cette loi prescrivait assurément à l’encontre du coupable
« l’interdiction de l’eau et du feu ». Cette ancienne formule du
bannissement – elle est attestée au moins dès l’époque médio-
républicaine – subsiste dans d’autres fragments de la législation
syllanienne (R41). Le bannissement a donc ici été remplacé par
la désignation plus récente (elle se diffuse dans la jurisprudence dès
e
le II siècle de l’Empire et subsiste jusqu’à l’époque justinienne) de
l’éloignement-confinement assorti d’une dégradation civique, à savoir
la deportatio (R43). Alors que la législation de la fin de la République
instaurant des tribunaux de jurys pour chaque crime qu’elle réprimait se
fondait sur le principe de « fixité de la peine » (le jury était alors appelé à
se prononcer, à l’issue du jugement, sur l’application de la peine fixée par
la loi), sous l’Empire, en revanche, le juge pouvait aggraver ou diminuer
cette peine selon plusieurs critères qu’il soumettait éventuellement à
l’empereur. Un autre fragment d’Ulpien conservé sous ce titre de la Collatio
legum (1, 11) en témoigne : en raison des circonstances qui avaient conduit
Marius Evaristus au cours d’un banquet à provoquer involontairement
la mort de Claudius en le traînant par le vêtement, le gouverneur de
Bétique Ignatius Taurinus a fait le choix de n’infliger que la forme d’exil
la plus modérée et pour une durée de cinq ans seulement, à savoir
la relégation (R44). L’empereur Hadrien (118-137) a confirmé cette
décision.

Insertion d’une pénalité différenciée entre


les « honnêtes gens » (honestiores) et les humbles
(humiliores)

Par ailleurs, à l’époque impériale également a été introduite


une discrimination sociale dans l’application du châtiment entre « les
personnes honorables » (honestiores) – il s’agit des membres des deux
ordres sénatorial et équestre, mais aussi en principe des décurions
des cités et des vétérans –, et « les humbles » (humiliores) [GARNSEY 1970 ;
RILINGER 1988]. Rarement suggérée par les juristes sévériens, tels Ulpien
(Digeste, 26, 10, 3, 16 ; 47, 9, 12, 1 ; 47, 11, 6, pr.) ou Marcien (48, 8, 1, 5 ; 48, 8,
3, 5), cette discrimination n’est en réalité systématiquement employée
sous forme de diptyque que par l’auteur des Sentences de Paul qui a rédigé
e
son traité à la fin du III siècle. Ici par exemple, cet auteur recourt
une première fois (Coll., 1, 2, 2) à ce critère d’appartenance sociale pour
énoncer de manière générale la sanction du meurtre. Les honestiores sont
menacés d’une poena capitis – une telle expression, « la peine de la tête »
au mot à mot, peut désigner aussi bien la décapitation, que son
atténuation par la déportation, c’est-à-dire par la perte du caput, à savoir
« l’existence civique ». Les humiliores quant à eux doivent être livrés aux
bêtes ou portés en croix – on pourrait s’étonner de voir subsister ici
la désignation de ce supplice de « la croix », si on admet que l’auteur de
la Collatio legum est un chrétien. En effet, au lendemain de sa conversion au
christianisme, dès 312, l’empereur Constantin paraît en avoir écarté
l’application (Commentaire à R17). Cependant, même chrétien, l’auteur de
la Collatio legum pourrait s’en être tenu à l’insertion scrupuleuse
des dispositions contenues dans les Sentences de Paul, sans chercher à
les amender en dépit de l’abolition de ce supplice. Attesté pour la dernière
fois en 335, le crucifiement n’aurait fait sa réapparition dans les territoires
de l’ancien Empire romain d’Occident qu’avec l’invasion de l’Espagne par
les Arabes et les Berbères, à Saragosse précisément [COOK 2015, p. 392-416].
La même discrimination apparaît une seconde fois sous ce titre (Coll., 1, 7,
2). En cas de mort provoquée par une rixe, les honestiores sont menacés de
la relégation et de la confiscation de la moitié de leurs biens, tandis que
les humiliores encourent « l’école de gladiateurs » (ludus) ou la mine. Il
s’agit cette fois, pour les uns et pour les autres, de peines moins lourdes
que dans le cas précédent en raison des circonstances atténuantes de
la rixe : un échange de coups ayant entraîné la mort à l’occasion d’une
bagarre est moins grave qu’un meurtre délibéré. Toutes les occurrences de
l’opposition entre honestiores et humiliores obéissent ailleurs au même
principe de distribution et de gradation de la peine.
Une fois qu’on a reconnu cette stratification du texte relative à
la désignation du châtiment encouru pour homicide (de la fin de
la République à la naissance de l’Empire tardif, plusieurs époques de
l’histoire du droit pénal se mêlent dans les fragments de jurisprudence ici
conservés), il faut aussitôt souligner la pérennité des dispositions initiales
de la loi syllanienne dans ce domaine. La lex Cornelia a constitué en effet
le socle de la répression de l’homicide jusqu’à la fin de l’Antiquité, tandis
qu’elle s’inscrivait elle-même dans la continuité d’une tradition
remontant au moins à la législation décemvirale, en incluant peut-être
d’autres dispositions légales intermédiaires.

Retour à la Loi des XII Tables (451-449 av. J.-C.), source


d’inspiration de la législation postérieure

Dans la Loi des XII Tables, en l’état de conservation des dispositions


qui nous sont parvenues, le meurtre, en tant que tel, n’apparaît que dans
le verset mentionnant les quaestores parricidii (XII Tab., 8, 25) (R6a3).
La distinction essentielle entre meurtre volontaire et meurtre involontaire
est attestée dans le monde grec (phonos akousios/phonos ekousios) à haute
époque, tandis qu’à Rome « pour la période royale, tout peut être
soutenu » [HUMBERT 2018, p. 638]. Cette distinction est cependant déjà
présente dans la législation décemvirale qui envisage l’accomplissement
d’un sacrifice expiatoire pour le meurtre involontaire :

Si l’arme a échappé de la main, plutôt qu’il ne l’a lancée, qu’un


bêlier <soit offert en substitution>. (XII Tab., 8, 24)

Quant au meurtre volontaire – désigné par le terme de parricidium, qui


ne revêt pas ici l’acception spécifique du meurtre d’un parent, selon
la plupart des commentateurs (R6 ; R35) – il apparaît dans différents
versets à savoir celui relatif à la magie, à l’empoisonnement et à
différentes pratiques assimilées (XII Tab., 8, 1), celui relatif à l’incendie
volontaire ayant entraîné la mort (XII Tab., 8, 10), celui réprimant le faux
témoignage (XII Tab., 8, 23), ou encore celui concernant la corruption du
juge pour une sentence conduisant à la mort (XII Tab., 9, 3).
L’inspiration de la loi syllanienne remonte donc à l’époque
décemvirale (451-449 av. J.-C.) et « il est frappant de constater que dans
cette loi la somme des crimes assimilés au meurtre est à peu près
identique à l’inventaire des XII Tables » [MAGDELAIN 1984, p. 562]. La loi
syllanienne fait aussi partie des lois « tralatices », c’est-à-dire qui insèrent
dans leur développement le contenu de dispositions antérieures. L’étude
particulièrement serrée et définitive qui lui a été consacrée [FERRARY
1991] permet d’en reconstituer au moins partiellement les chapitres I, V
et VI, en confrontant le titre de la Collatio legum, à certains fragments du
Digeste et aux extraits de deux discours de Cicéron qui citent explicitement
la loi syllanienne et qui ont été prononcés devant des tribunaux instaurés
par elle, à savoir les discours Pour Roscius d’Amérie de 80 av. J.-C. et Pour
Cluentius de 66 av. J.-C.

Roscius d’Amérie et Cluentius : deux prévenus pour


homicide défendus par Cicéron

Rappelons tout d’abord brièvement le déroulement de ces deux


poursuites pour meurtre où Cicéron a assuré la défense des prévenus, car
ils constituent historiquement deux échantillons de la chronique
des dernières décennies de la République où les assassinats crapuleux se
mêlent parfois aux violences des guerres civiles. Nous résumerons ensuite
le contenu des chapitres de la loi que reflète en partie le titre de la Collatio
legum.
L’affaire qui conduisit Cicéron à prendre la défense de Roscius
d’Amérie en 80 av. J.-C. avait débuté par l’assassinat d’un riche propriétaire
terrien, Sextus Roscius, citoyen d’Ameria, qui avait été tué lors d’un séjour
à Rome. Son corps avait été retrouvé à Subure, le quartier le plus mal famé
de la capitale. Son fils homonyme avait alors été accusé du meurtre de son
père. Pourtant le crime aurait été commandité par le cousin de Sextus
Roscius fils, Capito, qui travaillait comme contremaître pour le compte de
son oncle, et perpétré avec la complicité d’un certain Magnus.
L’accusateur Erucius tenta de convaincre les jurés que le fils aurait fait
assassiner son père qui l’avait déshérité. Il encourait donc en principe
la peine du parricide (R35).
Quatorze ans plus tard, en 66 av. J.-C. l’année de sa préture, et alors
qu’il présidait lui-même par ailleurs le tribunal chargé de la répression de
la concussion (quaestio de repetundis), Cicéron prit la défense de Cluentius
devant le tribunal instauré en vertu de la lex Cornelia de sicariis et ueneficis
et présidé par Q. Voconius Naso, « juge du tribunal d’enquête » (iudex
quaestionis). L’orateur prononça un discours que les anciens considéraient
comme l’un de ses chefs-d’œuvre (Pline l’Ancien, 1, 20, 4). Il s’agit cette
fois d’une affaire de meurtres en série. Aulus Cluentius Habitus était
membre de l’une des plus grandes familles de Larinum (l’actuelle Larino
en Molise). Depuis que sa mère Sassia avait enlevé à Cluentia, sa propre
fille, le mari de celle-ci (Aurius Melinus) afin de l’épouser, un premier
conflit était né. Les choses s’aggravèrent lorsque Aurius Melinus ayant été
assassiné, Sassia, devenue veuve, se remaria pour la troisième fois avec
l’assassin lui-même, Statius Abbius Oppianicus, qui n’en était pas à son
premier meurtre, puisqu’il avait notamment assassiné ses épouses
précédentes (Pour Cluentius, 42). Mais lorsqu’il tenta ensuite
d’empoisonner son beau-fils, il fut pris sur le fait. Cluentius poursuivit
d’abord les deux complices, puis son beau-père lui-même, lequel fut
bientôt retrouvé mort en exil ! Sassia, après avoir mis à la torture
des esclaves pour leur arracher des aveux contre Cluentius (Pour Cluentius,
176 et 181), intenta une action en justice contre celui-ci en recourant au
patronat de Titus Attius de Pisaurum. Cicéron parvint à faire acquitter son
client.
Le premier chapitre de la loi de Sylla : détention
d’armes et intention de tuer
C’est également dans l’œuvre de Cicéron qu’est formulé le principe du
premier chapitre de la loi qui apparaît pour la première fois en 63 av. J.-C. :

Mais sans doute penses-tu qu’il existe une différence entre celui
qui tue un homme (hominem occidere) et celui qui s’est trouvé <en
possession> d’une arme (cum telo esse), dans l’intention de tuer
un homme (occidendi hominis causa). (Cicéron, Pour Rabirius, 19)

Une seconde fois dans le plaidoyer en faveur de Milon, prononcé à


l’issue du meurtre de P. Clodius Pulcher sur la via Appia au commencement
de l’année 52 (R10) :

Et la loi elle-même donne très sagement et d’une certaine façon de


manière implicite le pouvoir de se défendre (potestas defendendi),
elle qui interdit (uetare) non pas tant de tuer (occidere) un homme,
mais d’être <en possession> d’une arme (cum telo esse) dans
l’intention de tuer un homme (hominis occidendi causa)… (Cicéron,
Pour Milon, 11)

L’expression « la loi elle-même » (ipsa lex) mentionnée dans le second


passage doit être soulignée, puisqu’elle pourrait désigner « la loi positive
en général, et plus particulièrement la législation en matière de meurtre
et de violence » [FERRARY 1991, p. 418]. Deux autres extraits de l’œuvre de
Cicéron (Des paradoxes des Stoïciens, 31 ; Philippiques, 2, 22) reproduisent
les mêmes termes du premier chapitre de la loi, mais seul l’auteur de
la Collatio legum (1, 3, 1) affirme en donner une citation mot pou mot, telle
qu’il l’aurait découverte chez Ulpien dont il avait le traité sous les yeux au
moment où il rédigeait lui-même son opuscule. Et il y a donc tout lieu de
penser qu’il s’agit d’une citation « authentique » [FERRARY 1991, p. 420 ;
NOGRADY 2006, p. 155-165 ; FRAKES 2011, p. 244-245], puisque notre auteur
distingue la citation proprement dite du « premier chapitre de la loi » (elle
s’achève par la formule « et ainsi de suite », et reliqua, récurrente
lorsqu’une citation est interrompue) et le commentaire d’Ulpien : « Après
avoir rapporté les termes de la loi, Ulpien s’exprime ainsi lui-même »… Ce
premier chapitre de la loi, sans doute tralatice, reformulait
des dispositions antérieures relatives au banditisme (aggravé par
le contexte contemporain des guerres civiles), plutôt qu’au meurtre en
tant que tel, en y ajoutant la répression du vol à main armée ou de
l’incendie criminel (Marcien, Digeste, 48, 8, 1, pr.) (R30). Cependant, dans
la mesure où la législation « sur la violence » (de ui) se développait
contemporainement (R10), la loi de Sylla de sicariis a reçu pour fonction
essentielle la répression de l’homicide [FERRARY 1991, p. 421-422 et n. 22]. On
pourrait ainsi expliquer le fait qu’Ulpien au début du IIIe siècle la cite
encore correctement dans son étendue initiale, tandis que Les Sentences de
Paul à la fin du même siècle, et le Digeste, dans la formulation retenue par
les compilateurs de Justinien, s’attachent spécifiquement à la formule
« tuer un homme » (hominem occidere) [FERRARY 1991, p. 423]. Comment
comprendre enfin l’indication spatiale de la limite des « mille pas » autour
de la capitale ? Il n’est guère envisageable, comme cela a autrefois été
proposé [MOMMSEN 1907, I, p. 262-263], de considérer qu’au-delà de ce rayon,
en Italie les municipes aient pu disposer d’une juridiction capitale
équivalente dans ce domaine. Il y a donc tout lieu de supposer plutôt
l’existence de deux tribunaux de jury (quaestiones) dont la compétence
était définie par cette limite (Cicéron, Pour Cluentius, 147) et qui se
répartissaient la répression du meurtre selon ce critère terrritorial.

Le cinquième chapitre de la loi : empoisonnement


et intention de tuer
Un deuxième chapitre de la loi, le chapitre V, peut être restitué (outre
deux textes de Cicéron : Pour Cluentius, 54, 148 ; Pour Caelius, 21, 51) à partir
d’un commentaire de Marcien (Digeste, 48, 8, 1, 1 ; 48, 8, 1, 3, pr.-3). Il vise
le meurtre par empoisonnement, sans considération pour l’acte magique
éventuel qui pourrait en être à l’origine, et que réprimait autrefois la Loi
des XII Tables [HUMBERT 2018, p. 429] :

Pr. Encourt la loi Cornelia sur les assassins et les empoisonneurs


(lex Cornelia de sicariis et ueneficis), celui qui a tué un homme, celui
qui frauduleusement (dolo malo) a déclenché un incendie, celui qui
a circulé avec une arme dans le but de tuer un homme ou de
commettre un vol, ou encore celui qui, alors qu’il était magistrat
ou qu’il présidait un jugement public (publicum iudicium) a œuvré
pour que quelqu’un profère une fausse dénonciation (falsum
indicium) de sorte qu’un innocent soit circonvenu et condamné.
1. En outre, tombe sous le coup de la loi celui qui, pour faire
mourir (necare) un homme, a fabriqué ou fourni un poison
(ueneficium). Ou celui qui, dans l’intention de nuire (dolo malo) a
déposé un faux-témoignage (falsum testimonium), par lequel
quelqu’un a été condamné dans un jugement public (iudicium
publicum) pour une affaire capitale (res capitalis) ; ou celui qui, en
tant que magistrat ou juge d’un tribunal d’enquête (iudex
quaestionis) a reçu de l’argent pour intenter une cause capitale, afin
que quelqu’un soit constitué prévenu (reus), en vertu d’une loi
publique (lex publica). 2. Et celui qui a tué (occidere) un homme,
qu’il soit puni, sans faire de distinction relative à la condition de
l’homme qu’il a supprimé (interemere). 3. Le divin Hadrien a
répondu dans un rescrit que celui qui tue un homme, s’il a commis
cela sans intention (animus) de tuer, peut être absous (absolui), et
celui qui ne tue pas un homme, mais qui l’a blessé (uulnerare), pour
le tuer (occidere), doit être condamné pour homicide. À partir de ce
constat, ceci doit être établi : s’il a dégainé une épée (stringere) et
qu’il a frappé (percutere), il a indubitablement commis cela avec
l’intention de tuer. Mais s’il a frappé avec une clé (clauis) ou avec
une marmite (cucuma) au cours d’une bagarre (rixa), quoi qu’il ait
frappé avec le fer, c’était cependant sans l’intention de tuer. Il faut
donc alléger la peine de celui qui a commis un homicide, plutôt par
hasard, au cours d’une rixe, que par volonté (uoluntas). (Marcien,
Des Institutions, extrait du livre 14 ; Digeste, 48, 8, 1, pr.-3)
Pr. Selon le chapitre cinq de cette même loi Cornelia au sujet
des assassins et des empoisonneurs, est puni celui qui a fabriqué,
vendu, ou détenu un poison dans l’intention de mettre à mort
un homme. 1. Est frappé de la peine de la même loi celui qui a
vendu en public des drogues malfaisantes (mala medicamenta) ou en
a détenu dans l’intention de mettre à mort un homme. 2. Cette
précision ajoutée de « philtre malfaisant » (ueneni mali) montre
qu’il s’agit de n’importe quelle sorte de philtres et pas seulement
de ceux qui ont une composition malfaisante. L’acception du terme
est donc large et recouvre aussi bien celui qui vise la santé que
celui qui a été préparé pour tuer, ou encore celui qu’on appelle
philtre d’amour. Mais le mot retenu par cette loi, concerne
seulement celui qui vise à mettre à mort un homme. Cependant en
vertu d’un sénatus-consulte, il est ordonné que soit reléguée celle
qui, sans mauvaise intention (non malo animo), mais selon
un mauvais exemple a fourni une drogue favorisant la conception,
à partir de laquelle celle qui l’avait absorbée est décédée.
3. Un autre sénatus-consulte a élargi l’application de la loi, selon
lequel les marchands de parfums (pigmentarii) tombent sous
le coup de celle-ci s’ils fournissent à la légère de la ciguë, de
la salamandre, de l’aconit, des chenilles de pin, de la buprestis, de
la mandragore, et sous prétexte de purgatif des cantharides.
(Marcien, Des Institutions, extrait du livre 14 = Digeste, 48, 8, 3, pr.-3)

Les Sentences de Paul relatives à ce chapitre sur l’empoisonnement sont


également citées par l’auteur de la Collatio legum (1, 2, 1). En bref, à l’instar
de la disposition relative à l’intention de meurtre, l’empoisonneur et son
complice sont punis, si l’intention d’infliger la mort peut être identifiée. Il
y a tout lieu de croire, de nouveau, que cette disposition de la loi est
tralatice, c’est-à-dire que la loi de Sylla de 81 av. J.-C. reprenait
la disposition d’une loi précédente [FERRARY 1991, p. 426].

Le sixième chapitre de la loi : le meurtre judiciaire


Enfin un troisième chapitre, le chapitre VI de la loi syllanienne, est
relatif au meurtre judiciaire. De nouveau, cette disposition est conservée,
à la fois chez Cicéron (Pour Cluentius, 144-157 : selon l’orateur, il s’agissait
là encore d’une disposition tralatice remontant à une loi de Caius
Gracchus), chez Marcien (Digeste, 48, 8, 1, pr.-1 ; 48, 8, 3, 1-4) et dans
un fragment des Sentences de Paul (5, 23, 1 = Coll., 1, 2, 1). De l’époque de
Cicéron jusqu’au IIIe siècle de l’Empire, la procédure avait
considérablement évolué, passant du modèle accusatoire de l’accusation
populaire à la procédure d’enquête inquisitoriale. Dans ces conditions,
la réalisation d’un meurtre judiciaire avait elle-même profondément
changé. Certes, lorsque l’accusation était capitale, les conséquences du
faux témoignage demeuraient identiques, que la poursuite ait eu lieu à
l’initiative d’un accusateur privé ou à l’issue d’une saisie par le juge lui-
même, qu’il s’agisse d’une action privée, comme à l’époque de la Loi
des XII Tables, au milieu du Ve siècle av. J.-C., ou d’un jugement public
[HUMBERT 2018, p. 631-632]. En revanche, alors qu’à l’époque syllanienne
le juge qui conduisait la procédure (sans prendre lui-même part au vote de
la sentence) pouvait difficilement être considéré comme l’initiateur d’une
condamnation, « au temps de Marcien le processus s’était inversé.
Le développement de la procédure cognitive avait redonné actualité à cet
aspect de la loi, d’où l’intérêt accordé au crime commis par le magistrat
qui favorise une dénonciation mensongère ou se laisse corrompre pour
intenter une accusation » [FERRARY 1991, p. 426].

Un rescrit d’Hadrien : mort commise « délibérément »


ou « accidentellement »…

La généralisation du fragment des Sentences de Paul cité par l’auteur de


la Collatio legum (1, 2, 1) « ou qui aura fourni son concours dans l’intention
de donner la mort » constitue une désignation de la complicité visant à
englober toutes les situations contribuant à donner la mort. Quant au
rescrit d’Hadrien (117-138) (Coll., 1, 6, 1), il constitue l’aboutissement d’un
effort du législateur, depuis Sylla, pour préciser la notion essentielle de
l’intention dans le fait de donner la mort. Celle-ci l’emporte sur
la perpétration du fait lui-même pouvant tenir à des éléments contingents
ou à des circonstances atténuantes. La formulation de la décision du
gouverneur dans la Collatio legum mérite, à titre de nouvel exemple de
la conservation de nos sources dans leur ensemble, d’être confrontée à
la façon dont les compilateurs du Digeste ont retenu et synthétisé ce texte,
l’ont épuré en quelque sorte, pour en retenir l’essentiel.

Alors que quelqu’un avait été à l’origine d’une mort provoquée par
un dérèglement de conduite (lasciuia), la décision du proconsul de
Bétique Ignatius Taurinus de le reléguer pour cinq ans a été
approuvée par le divin Hadrien. (Ulpien, Sur la fonction du proconsul,
extrait du livre 7 = Digeste, 48, 8, 4, 1)

Les compilateurs ont estompé les caractères singuliers (le nom de


l’esclave Épaphrodite disparaît) pour ne retenir que le principe général.
Ensuite, d’un point de vue formel, le vocabulaire varie sensiblement,
même si la récurrence de certains mots et de certaines constructions ne
laisse pas douter de la source commune aux deux textes. Surtout, sur
le fond, le passage du Digeste (48, 8, 1, 3) introduit l’idée de « blessure » qui,
plus que l’intention originelle, semble être un premier pas tangible vers
l’accomplissement de l’homicide. Alors que le rescrit d’Hadrien
n’envisageait à l’origine que l’intention elle-même, la blessure semble ici
concrétiser l’intention. Les termes mêmes du rescrit sont cités ailleurs
sans que le nom de l’empereur qui en est l’auteur ait été retenu (Digeste,
48, 19, 5, 2).
21

Iniuria : l’atteinte <au droit> ou <à


la personne> (Collatio legum, tit. 2)

Titre 2. De l’atteinte aggravée à la personne (De atroci iniuria).

1, 1. Moïse dit :
Si deux hommes se sont battus (contendere) et que l’un a frappé
(percutere) l’autre avec une pierre ou avec le poing, et que ce dernier ne
meurt pas mais reste alité ; 2. si, après s’être levé, l’homme en question se
promène à l’extérieur muni d’une canne, celui qui l’a frappé ne sera pas
considéré comme ayant commis un crime (crimen), s’il lui verse
un dédommagement en raison de l’arrêt de son activité, et s’il verse au
médecin le montant des frais de soins.
2, 1. Ulpien, au livre des Règles sous le titre « au sujet des atteintes <à
la personne> » :
Si elle n’est pas aggravée (atrox), c’est-à-dire si elle n’est pas lourde
(grauis), une atteinte est évaluée sans l’arbitrage d’un juge. C’est au
préteur généralement qu’il revient d’évaluer si l’atteinte est aggravée en
l’inférant de l’acte qui a été perpétré, par exemple si quelqu’un a été
frappé (uerberare) ou blessé (uulnerare). Et autres clauses (passim).
3, 1. Papinien, au second livre des Définitions sous le titre « des
jugements » :
Lorsqu’un homme libre a été livré à un autre par abandon noxal (noxae
deditus), s’il a été acquis par ce dernier une somme équivalente au
montant du dommage (damnum), alors celui qui a reçu l’homme livré par
abandon noxal doit être contraint par le préteur de l’affranchir. Mais il
n’est pas soumis au jugement de fiducie.
4, 1. Ulpien, au dix-huitième livre du Commentaire à l’édit sous le titre
« s’il avoue avoir tué (occidere) par une atteinte <à la personne>,
une réparation au simple est exigée » etc., et lorsqu’il dit :
Nous considérons en général qu’a « provoqué une lésion » (rumpere)
celui qui a blessé (uulnerare) ou qui a frappé (caedere) à coups de verges
(uirgae) ou de fouets (lora) ou à coups de poings (pugna), celui qui a entaillé
(scindere) le corps d’un homme, ou qui a causé une plaie (tumor) avec
une arme (telum), ou en recourant à n’importe quelle autre forme de
violence (uis). Mais il en va seulement ainsi lorsqu’un dommage (damnum)
a été causé. Par ailleurs, si quelqu’un a fait perdre de sa valeur ou a abîmé
plus encore un esclave qui n’avait aucune valeur, que la loi Aquilia ne
s’applique pas et il faudra intenter une action pour atteintes <à
la personne>. Donc, si l’esclave a été abîmé dans sa valeur, et qu’on a
engagé des dépenses pour sa santé et pour son rétablissement, dans ce cas
il me paraît qu’on peut intenter une action en dommage (damnum) en
vertu de la loi Aquilia.
5, 1. Paul au livre unique et au titre concernant les atteintes :
En règle générale, on appelle atteinte <au droit> (iniuria), tout ce qui
n’est pas accompli conformément au droit (ius) : on distingue plus
précisément l’affront (contumelia) que les Grecs appellent hubris, puis
la faute (culpa) que les Grecs appellent adikèma – le tort causé par
une atteinte (damnum iniuriae) en est un exemple – c’est dans ce sens que
l’on prend dans la loi Aquilia l’expression « dommage causé par
une atteinte », ou encore l’iniquité et l’injustice que les Grecs nomment
adikia. Car, lorsque le préteur prononce contre nous un avis non conforme
au droit (non iure), nous disons avoir reçu une atteinte <au droit> (iniuria).
De là il ressort que Labeo se trompait en pensant que l’atteinte portée
devant le préteur traduisait seulement l’hubris. 2. Le point commun de
toutes les atteintes est que quelque chose s’est à chaque fois produit
contre les bonnes mœurs et qu’il est de l’intérêt d’une personne que cela
n’ait pas été accompli. 3. Cet édit concerne l’atteinte qui se produit en
raison d’un affront (contumelia). 4. Une atteinte peut se produire soit
contre le corps lorsqu’on est frappé (caedere), soit par des mots lorsque
nous supportons un cri injurieux (conuicium), soit lorsque l’honneur
(dignitas) est lésé, par exemple lorsque les membres de la suite (comites)
d’une matrone ou d’une jeune fille sont enlevés. L’action pour atteintes
(actio iniuriarium) est fondée soit sur la loi (legitima) soit sur le droit
prétorien (honoraria). 5. L’action fondée sur la loi provient des Douze
Tables : « celui qui commet une atteinte envers un autre, qu’il soit
sanctionné d’une amende (poena) de vingt-cinq sesterces ». Cette loi a eu
une portée générale. Il y en eu d’autres plus spécifiques à l’instar de celle-
ci : « si on a brisé (frangere) l’os d’une personne libre, de la main ou avec
un bâton, qu’on soit sanctionné d’une peine de trois cents sesterces, et de
cent cinquante pour un esclave ».
6, 1. Le même Paul au même livre unique sous le titre « comment
poursuit-on l’action pour atteintes » :
Celui qui intentera une action pour atteintes, dit-il, doit indiquer
précisément quelle sorte d’atteinte a été commise et avancer
une estimation qui ne soit pas inférieure à ce qui a été fourni à titre de
caution. 2. Qu’il indique précisément celui qui expose l’atteinte en son
nom, cela veut dire qu’il ne doit pas raconter de manière décousue que
telle et telle chose s’est produite, mais qu’il considère indispensable, ou
bien de désigner en son nom une seule affaire, ou bien qu’il en rassemble
plusieurs de manière à être tenu de démontrer que toutes ces choses se
sont produites. 3. Quant à savoir si les indications fournies sont exactes ou
pas, cela relève de l’enquête (cognitio) du préteur lui-même. Par son
exposé, le préteur ne se substitue pas à cet endroit à la parole du
plaignant, mais il doit faire connaître quelle formule il délivre. 4. Qu’il
n’indique pas précisément celui qui dit avoir été malmené (pulsatus) ou
frappé (uerberatus). Mais il doit exposer quelle partie du corps a été
touchée et de quelle façon, si c’est par un coup de poing, de bâton ou de
pierre, comme cela a été proposé dans la formule : « parce que la mâchoire
d’Aulus Agerius a été frappée d’un coup de poing ». Il n’est pas obligé
d’indiquer s’il s’agit du côté droit ou gauche de la mâchoire, ni par quelle
main elle a été frappée (percutere). 5. De même s’il indique qu’il a été
diffamé (infamatus), il doit ajouter de quelle façon il a été diffamé.
La formule a en effet été ainsi conçue : « parce que Numerius Negidius a
envoyé un pamphlet (libellus) à Aulus Agerius avec l’intention de
le diffamer (infamare) ».
7, 1. Paul au [cinquième] livre des Sentences sous le titre relatif « à
la loi Cornelia sur les assassins et les empoisonneurs » :
Les conditions d’une poursuite pour mort ne paraissent pas remplies
lorsque l’homme qui a été frappé (caedere) est décédé après quelques jours
durant lesquels il n’était plus en mesure d’accomplir ses activités
quotidiennes, à moins qu’il n’ait été frappé à mort (ad necem caesus) ou
mortellement (letaliter) blessé (uulnerare).

*
* *

L’extrait de l’Exode (21, 18-19) qui ouvre le titre « Sur les atteintes
horribles à la personne » n’a pas fait l’objet de remaniements ou de
suppressions de la part de l’auteur de la Collatio legum. Cette disposition
reflète un très ancien droit : on admet que l’Exode rédigé sans doute au
e
VII siècle av. J.-C. puise dans des sources antérieures, dont on trouverait
les racines dans les textes mésopotamiens. Elles visent à limiter par
la compensation l’accomplissement de la vengeance lorsque le coup porté
s’est produit dans la chaleur d’une bagarre, et ne procède pas d’une
intention délibérée [BARTON-MUDDIMAN 2001, p. 83 ; FRAKES 2011, p. 251-252].
Cet extrait s’articule logiquement au titre précédent, dans la mesure où il
s’agit de nouveau d’envisager les circonstances qui écartent
la qualification d’homicide lorsque la mort n’est pas visée au départ.

De l’action pénale à la poursuite publique

Au sujet de l’iniuria qu’il traduit par l’expression « d’atteinte à


la personnalité » (« Begriff der Persönlichkeit ») ou de « lésion
personnelle » (« Personalverletzung ») et qu’il définit plus précisément
comme « atteinte intentionnelle et injuste à la personne d’un tiers »
(« absichtliche und widerrechtliche Verletzung der Persönlichkeit eines
Dritten »), en dehors de l’acception plus générale « ce qui est contraire au
droit » (« das Unrecht ») [MOMMSEN 1898, p. 784-785 = MOMMSEN 1907, III,
p. 95], Mommsen écrit : « il y a peu de chapitres du droit privé qui aient
été traités avec autant de finesse d’abstraction et de sens pratique et il y
en a peu qui aient été aussi respectés par le vandalisme juridique
(« Rechtsverwüstung ») de l’époque impériale » [MOMMSEN 1898,
p. 790 = MOMMSEN 1907, III, p. 101]. Dans sa formulation abrupte, cette
appréciation est bien le reflet d’une ligne de lecture réaffirmée tout au
long de l’œuvre juridique et historique du grand savant allemand :
l’autocratie impériale a porté un coup fatal à l’esprit des institutions
républicaines et à l’élaboration du droit, dès le commencement du
Principat, et plus encore à partir de la crise qui a affecté l’Empire dès
e
le milieu du III siècle, inaugurant à ses yeux deux siècles de décadence et
de despotisme. On ne s’attardera pas ici, ni sur les raisons du constat, ni
sur les nuances essentielles qui doivent y être y apportées, car il faut bien
évidemment se défaire de son inspiration idéologique, à commencer par
la linéarité du modèle de la « Grandeur » de Rome suivie de sa
« décadence ».
Pour ce qui concerne le chapitre du droit ici concerné, l’iniuria, il est
possible d’en cerner, au travers du titre de la Collatio legum qui lui est
consacré, tout à la fois des traits d’immuabilité jusqu’à la période la plus
tardive, mais aussi l’évolution de sa définition, de son application et de
la procédure destinée à la réprimer. Dès son apparition dans la Loi
e
des XII Tables, au milieu du V siècle la poursuite de l’iniuria s’est
apparentée à une action privée (comme le souligne la citation de
Mommsen qui l’isole au sein du « droit privé »). En tant que telle, elle est
entrée au siècle suivant dans le champ d’action de la juridiction
prétorienne destinée à trancher les délits privés. Cependant, à partir de
la législation syllanienne (puis sous l’Empire), en s’appliquant à
un nombre élargi de voies de fait, la répression de l’iniuria est intervenue
dans le domaine du droit criminel, et a fait l’objet de poursuites publiques.

L’acception du terme iniuria depuis la Loi des XII Tables

Le mot iniuria revêt dès l’époque décemvirale, lorsque la Loi des XII
Tables a été rédigée (451-449 av. J.-C.), une double signification. Il désigne
d’abord, de manière abstraite (c’est là sans doute son acception originelle),
toute conduite contraire au « droit » (ius) (Coll., 2, 5, 1). Plus étroitement et
plus concrètement, comme cela a été souligné plus haut, il signifie
l’atteinte à la personne physique [MOMMSEN 1907, III, p. 94-96 ; GIRARD 1929,
I, p. 428-429 ; HUMBERT 2018, p. 439-440]. La notion de « personne » ne doit
pas s’entendre ici au sens « politique » (elle n’engloberait alors que
le corps des citoyens dotés d’une capacité juridique), son étendue est plus
large, puisqu’elle est susceptible de s’appliquer également à l’étranger ou
à l’esclave – l’iniuria qui touche ce dernier atteint le maître. Le « fou »
(R40) ou « l’impubère » (R39), normalement dépourvus de responsabilité
juridique peuvent être victimes d’une atteinte à la personne, même si leur
état les rend incapables d’en commettre une à l’encontre d’un tiers,
comme l’atteste un fragment du commentaire d’Ulpien À l’édit. Le juriste
souligne cette exception au principe de réciprocité qui caratérise
généralement la perpétration de l’iniuria :

Le principe de réciprocité a été établi, selon lequel les personnes


qui peuvent subir une atteinte <à la personne> (iniuriam pati)
peuvent la commettre (iniuriam facere). Il est pourtant
des personnes qui ne peuvent pas la commettre, tel que le fou
(furiosus) et l’impubère (impubes) qui n’est pas capable de dol (doli
capax), car ces derniers sont susceptibles de subir une atteinte, pas
de la commettre. Dans la mesure en effet où l’atteinte procède de
la disposition (adfectus) à la commettre, il faut affirmer en
conséquence que ces derniers, soit qu’ils commettent quelque
brutalité (pulsare), soit qu’ils prononcent une invective (conuicium),
ne sont pas considérés comme ayant commis une atteinte. 2. C’est
pourquoi on peut subir une atteinte, même si on ne la ressent pas
comme telle, tandis que personne n’en commet, à moins qu’il ne
sache qu’il commet une atteinte, même s’il ne sait pas envers qui il
la commet. 3. Il s’ensuit que si, par plaisanterie (iocus), quelqu’un
porte un coup (percutere), ou provoque une lutte (certare), il
n’encourt pas de poursuite pour atteinte à la personne. 4. Si
quelqu’un a battu (caedere) un homme libre alors qu’il pensait que
c’était son esclave, sa situation est telle qu’il n’encourt pas de
poursuite pour atteinte à la personne. (Ulpien, Commentaire à l’édit,
extrait du livre 56 = Digeste, 47, 10, 3, 1-4)

Des trois versets de la Loi des XII Tables – ils constituent une séquence
articulée et entièrement consacrée au délit d’iniuria (XII Tab., 8, 2 ; 8, 3 ; 8,
4) [HUMBERT 2018, p. 433-453] –, la Collatio legum (Coll., 2, 5, 5) n’a conservé
que le second relatif à « l’os brisé » (os fractum), en le « rajeunissant » par
rapport à l’époque décemvirale, puisqu’au milieu du Ve siècle av. J.-C. en
effet la quantification de la peine ne pouvait se faire qu’en poids de bronze
et pas encore en unités monétaires (celles-ci ne sont apparues qu’au
e
III siècle av. J.-C.). L’auteur de la Collatio legum l’attribue par ailleurs à

un livre de Paul Sur les atteintes, alors qu’il s’agit d’un fragment du
commentaire de Paul à l’édit du préteur [HUMBERT 2018, p. 436]. L’exposé
entier de la séquence constituée par ces trois versets est indispensable à
la compréhension de la genèse du délit d’iniuria et à son développement
aux siècles suivants :

S’il a rompu une partie du corps (membrum rumpere), et s’il n’a pas
conclu un arrangement (pacisci) avec celui-ci <la victime>, qu’il soit
<soumis au> talion (talio esto). (XII Tab., 8, 2)
Si, de la main (manus) ou avec un bâton (fustis), il a brisé un os (os
frangere) à un <homme> libre, que la peine soit de trois cents, et, s’il
s’agit d’un esclave, de cent cinquante. (XII Tab., 8, 3)
S’il a commis envers un autre (alteri) une atteinte <à la personne>
(iniuriam facere), que la peine soit de vingt-cinq. (XII Tab., 8, 4)

Avant d’entreprendre le commentaire de ces trois versets,


la précaution s’impose d’en écarter un autre qui leur a parfois été associé
[GIRARD 1929, I, p. 428 et n. 4], et qui les précède immédiatement en
ouverture de l’ordre admis (et conventionnel) de la huitième table :

Celui qui aura chanté une incantation funeste (malum carmen


incantare). (XII Tab., 8, 1)
On ne saurait considérer l’incantation magique dont il est ici question
comme la forme initiale du « libelle infamant » (libellus famosus) ou de
l’invective, lesquels ont été considérés plus tard comme deux expressions
du délit d’iniuria. Lorsque le malum carmen eut perdu sa dimension
criminelle, pour se transformer en simple délit d’outrage, le préteur le fit
entrer dans son édit « sur les atteintes à la personnes » (de iniuriis). Il
s’agissait pourtant à l’époque archaïque d’un crime associé à
l’empoisonnement (ueneficium) dans la mesure où « l’incantation funeste »
était destinée à activer les drogues (ueneficia), à leur donner effet.
L’expression employée dans ce verset était alors l’équivalent du verbe
occentare (« chanter pour provoquer un malheur à quelqu’un ») ou de
l’expression carmen condere (« élaborer une forme magique ») [HUMBERT
2018, p. 410 ; HUMBERT 2019]. En bref, la Loi des XII Tables n’a jamais
confondu la magie criminelle avec l’atteinte à la personne – la lésion
physique plus ou moins grave constituant le délit d’iniuria [HUMBERT 2018,
p. 410]. Cette action combinée de l’usage des « poisons » (uenena) et
des « sortilèges » (deuotiones) est illustrée par le célèbre épisode de la mort
de Germanicus en 19 ap. J.-C., initialement imputée au recours par son
ennemi personnel, Cn. Calpurnius Piso, à des pratiques magiques (Tacite,
Annales, 3, 13, 2). Mais il s’agit là d’une résurgence au commencement de
l’époque impériale du crime de magie létale qui avait pourtant presque
entièrement disparu aux deux derniers siècles de la République « sous
l’effet d’une pensée dite ‘rationnelle’ » [HUMBERT 2018, p. 415-417 et 432].
Le constat d’une telle évolution mériterait cependant d’être approfondi. Il
procède en effet nécessairement de la lecture des sources normatives
conservées, et de quelques textes littéraires dont les auteurs ne reflètent
eux-mêmes que la perception du cercle le plus étroit des classes
dirigeantes. Il n’est pas aisé d’identifier au prisme de cette documentation
les pratiques les plus répandues de « la société romaine » dans son
étendue et son hétérogénéité, à l’échelle d’un empire centré sur
la Méditerranée. Toutefois, à la lumière du même corpus documentaire et
pour ce qui concerne l’évolution du droit pénal, il semble en effet que ce
n’est qu’à partir de l’époque triumvirale, puis augustéenne, qu’une telle
qualification du crime de magie paraît ressurgir, comme l’atteste en
particulier l’expulsion des « mages » de la ville de Rome récurrente à
partir de l’édit de Marcus Agrippa en 33 av. J.-C. [RIVIÈRE 2014, p. 272-275].
On pourrait donc distinguer trois périodes : à l’époque archaïque où
est rédigée la Loi des XII Tables, l’incantation magique constitue un crime,
e
tandis qu’à partir du III siècle av. J.-C., sans doute, le malum carmen semble
avoir perdu sa dimension criminelle. Il se serait alors transformé en
simple délit « d’outrage ». Le verbe occentare par exemple, qui revêtait
initialement le sens de « chanter une formule magique », désigne dès
l’époque de Plaute (255-184 av. J.-C.) l’action de « donner une sérénade »,
« faire du vacarme » ou « chanter devant la porte de quelqu’un
une chanson satirique » – on ne trouve plus tard chez Cicéron (106-
43 av. J.-C.) aucune valeur surnaturelle au verbe occentare [HUMBERT 2018,
p. 423]. Deux substantifs voisinent ce sens et nous laissent entendre ses
variations possibles : l’occentatio est « le son de la trompette » ; l’occentus
« le cri de la souris »…
Mais revenons à la séquence constituée par les trois versets des XII
Tables. Comment s’articulent-ils entre eux ? Ils suivent assurément
une progression logique en énumérant différents degrés d’atteinte
physique à la personne, en dépit des débats et des interrogations suscités
par le fait que le mot iniuria n’est employé que dans le troisième.
Le premier verset (XII Tab., 8, 2) relatif au membrum ruptum vise la forme
la plus grave de l’outrage physique, à savoir la lésion d’une « partie du
corps » (le terme membrum revêt cette acception large), tandis que
le second (XII Tab., 8, 3), concernant la « fracture d’un os », est plus
limitatif [GIRARD 1929, I, p. 429, n. 2]. Dans le troisième (XII Tab., 8, 4),
le terme iniuria s’applique à des « voies de fait légères » ou aux « coups
sans blessure » [MOMMSEN 1907, III, p. 97 et n. 2]. Or la précision « à
un autre » (alteri) n’est-elle pas redondante ? Cette précision insiste, selon
toute vraisemblance, sur le fait que ce n’est pas la lésion elle-même en
raison de sa relative gravité qui est l’objet de la loi, mais « l’atteinte à
la personne », à sa dignité garantie par le droit (ius). Que le mot iniuria soit
ici employé à l’accusatif, comme c’est le plus probable, ou qu’il s’agisse
d’un ablatif qui revêtirait alors une forme adverbiale (les deux lectures ont
été proposées), dans les deux cas l’acception reste la même : « le terme
dénonce un comportement exclusivement défini comme la transgression
du ius ou un acte qui heurte un ordre fondé sur le ius » [HUMBERT 2018,
p. 444]. Ce troisième verset, le seul où est employé le terme iniuria,
constitue donc une généralisation par rapport aux deux précédents,
relatifs au membrum ruptum et à l’os fractum qui s’inscrivent pourtant dans
la même catégorie, comme deux cas d’espèce. Si, comme l’indique le texte
de la Collatio legum (2, 5, 1), plusieurs termes grecs constituent
les équivalents du registre latin de « l’outrage à la personne », il n’y a sans
doute pas lieu, cependant, d’envisager ici une influence d’Athènes et de
la Grèce en direction de Rome [HUMBERT 2018, p. 445-447].

Du talion à la composition : l’évolution que reflètent


les versets de la Loi des XII Tables

Trois caractéristiques distinguaient l’action pénale pour atteintes à


la personne : elle était noxale si l’auteur du délit était un alieni iuris (c’est-
à-dire s’il était « sous la puissance » d’un autre, auquel cas, au lieu du
versement d’une compensation, il pouvait être livré au lésé), elle
s’exerçait « cumulativement » sur tous les auteurs du délit, elle ne se
transmettait pas aux héritiers [GIRARD 1929, I, p. 428]. Quant à la peine elle-
même, elle consistait soit en l’application du « talion » (talio), soit dans
la fixation d’une « compensation » (pactio), la seconde forme s’étant
progressivement substituée à la première qui ne figurerait dans la Loi
des XII Tables que comme l’héritage isolé d’une forme plus ancienne de
l’exercice de la justice [MOMMSEN 1907, III, p. 116, n. 2]. C’est en tout cas
l’occurrence la plus ancienne du terme talio, « rare et technique ». Ce
terme a parfois été rapproché de mots celtiques de forme tal (avec un a
bref) qui se rapportent à l’idée de « paie » ou de « payer », tandis qu’en
latin « l’étymologie populaire », par analogie sémantique, l’a rapproché de
talis (avec un a long). Trois textes latins reflètent le sens de ce châtiment
obéissant à une logique vindicatoire et consistant à infliger à l’auteur de
l’atteinte une punition identique à ce qu’il a fait subir à la victime. Comme
le premier trouvait sa place dans un développement de l’ouvrage de Caton
consacré au monde punique, l’origine carthaginoise du talion a aussi
parfois été supposée :

Cependant Caton a cité <le mot> os dans le livre IV des Origines :


« si quelqu’un a détruit une partie du corps ou a brisé un os, que
le cognat le plus proche tire vengeance (ulcisci) par le talion ».
(Caton, Origines, 4, 4, cité par Priscien de Césarée, Institutiones
Grammaticae, 6, p. 254 Hertz)
Verrius affirme qu’il était fait mention du talion dans les XII Tables
de cette façon : « S’il a rompu une partie du corps (membrum
rumpere), et s’il n’a pas conclu un arrangement (pacisci) avec celui-
ci <la victime>, qu’il soit soumis au talion (talio esto) ». Et il
n’indique pas ce que cela signifie parce que c’est connu, je pense.
La loi permet en effet une vengeance égale (parem uindictam).
(Festus, p. 496 Lindsay)
Le talion a une ressemblance avec la vengeance (uindicta), de sorte
que celui-ci [l’auteur de l’acte] souffre de la même manière (taliter)
que ce qu’il a commis (facere). (Isidore, Origines, 5, 27, 24)
À la différence, par exemple, du droit de mettre à mort impunément
le voleur nocturne (R26), le talion ne consiste pas en une riposte
immédiate autorisée par la loi. Il résulte nécessairement d’une procédure
[HUMBERT 2018, p. 450]. Il ne consiste pas en une réplique brutale et
incontrôlable, même si la compensation (pactio) qui l’a remplacé dès
le milieu du Ve siècle constitue évidemment un progrès dans l’atténuation
de la violence de cette réparation vindicatoire.

Le droit prétorien et l’émergence de la notion


d’atteinte « aggravée » (atrox)

Au côté de l’actio legitima, c’est-à-dire de l’action en justice fondée sur


la loi, sur la Loi des XII Tables en l’occurrence, la Collatio legum (2, 5,
4) mentionne l’action honoraria, celle qui se fonde sur l’édit du préteur.
C’est le préteur, comme nous l’avons vu plus haut, qui a élargi le spectre
de l’atteinte à la personne aux propos infamants et à d’autres formes de
délits. C’est ainsi que du droit prétorien « est sorti le développement
doctrinal qui a ramené à la notion d’injure toutes les atteintes physiques
ou morales à la personnalité » [GIRARD 1929, I, p. 429-430]. Et c’est ainsi
qu’« après cette extension, la personnalité peut être lésée à trois égards :
ou dans son corps, ou dans sa condition juridique, ou dans son honneur »
[MOMMSEN 1907, III, p. 98]. Deux textes témoignent de cet élargissement.
Le premier est littéraire. L’auteur de la Rhétorique à Herennius (4, 25, 35), au
premier siècle av. J.-C., pour illustrer ce qu’est une « définition » qui
embrasse avec brièveté et sans contestation possible toutes les acceptions
d’un terme, illustre sont propos en indiquant par exemple qu’« on entend
par atteintes <à la personne> (iniuriae) tout ce qui outrage (uiolare) le corps
par un coup (pulsatio), les oreilles par une invective (conuicium), la vie de
quelqu’un par un quelconque déshonneur ». Le second texte est celui de
la Collatio legum (2, 5, 4) qui distingue successivement les attaques contre
le corps d’autrui, les paroles qui constituent des offenses – même si
la contumelia, la manière de traiter quelqu’un de façon méprisante ne suffit
pas à fonder une action [MOMMSEN 1907, III, p. 99, n. 1] –, les actions
physiques.
Sur le plan procédural, le droit prétorien a conservé le principe de
la composition légale (elle s’était elle-même substituée au talion), mais en
l’adaptant à la fortune du coupable au lieu de s’en tenir au versement
d’une somme fixe. L’action de la Loi des XII Tables a donc été remplacée,
antérieurement à la législation syllanienne, par une action prétorienne
qui consistait à évaluer le montant de la réparation en fonction
des circonstances et de la personne [MAY 1913, p. 409 n. 4]. Ce pourrait être
dans le cadre du droit prétorien également que serait apparue la notion
d’atteinte aggravée <à la personne> (iniuria atrox) – elle constitue donc
le titre de la Collatio legum ici commenté – qui au lieu d’émaner du
demandeur, aurait été qualifiée par le magistrat lui-même [GIRARD 1929, I,
p. 430, n. 2]. À moins qu’une telle qualification ne soit postérieure et
qu’elle soit sortie du commentaire jurisprudentiel. Cette notion serait-elle
seulement « chère aux rhéteurs » (Quintilien, Institution oratoire, 6, 1, 15-
17), tandis que dans « la science du droit » elle ne s’appliquerait qu’à
l’iniuria au sens propre ? Le rapport social ou familial (l’esclave confronté
au libre, l’affranchi au patron, le fils au père) serait-il le seul déterminant
de l’« horreur » (atrocitas) de l’outrage [MOMMSEN 1907, III, p. 100-101] ?
Un parcours de l’ensemble des occurrences du terme dans
la jurisprudence permet de nuancer fortement ces deux constats. Suivons
maintenant ce chemin lexical.
Le mot atrox s’oppose à leuis (« léger ») chez Saturninus dans son traité
Sur les peines des civils pour qualifier le degré de gravité de « l’acte »
(factum) criminel (Digeste, 48, 19, 16, 6) (R36), tandis que son apparition
dans le traité Sur les adultères de Paul, « les crimes capitaux ou les plus
atroces » (capitalia et atrociora maleficia) implique nécessairement
le recours à la torture pour la découverte de la vérité (Digeste, 48, 18, 8,
pr.). Hadrien, dans un célèbre rescrit relatif au meurtre délibéré d’un fils
par son père (Digeste, 48, 9, 5), oppose la « monstruosité » (atrocitas) d’un
tel acte au devoir d’affection envers un parent (pietas) qui doit caractériser
l’exercice de la « puissance paternelle » (R2). Le mot atrocitas peut être pris
dans un sens absolu pour évaluer la responsabilité d’un esclave qui a
accompli un crime à la demande de son maître. C’est le commanditaire qui
est alors responsable, à moins que « l’horreur du fait ou du forfait »
(atrocitas facinoris uel sceleris) ne rende responsable l’esclave en question :
ce serviteur n’est plus alors seulement un exécutant, mais l’auteur d’un
crime, ou un complice, un participant à l’accomplissement de l’acte
criminel (Digeste, 43, 24, 11, 7). On retrouve également la désignation de
la gravité dans l’expression « l’horreur de l’acte » (atrocitas facinoris)
(Digeste, 43, 16, 1, 43), afin de permettre l’action qu’un affranchi peut
intenter contre son patron, ou un fils contre son père. Par ailleurs, l’édit
du préteur distingue le fait de convoquer délibérément un attroupement
pour commettre un dommage et celui d’entraîner par des discours
une foule déjà attroupée à l’accomplir, en considérant que les deux
situations sont distinctes et entraînent une réparation du double au
quadruple, « selon la gravité du fait » (propter atrocitatem facti) (Digeste, 47,
8, 4, 7). Les auteurs de vol avec effraction (les effractores), qui relèvent de
la juridiction du préfet des vigiles à Rome, sont désignés comme « plus
horribles » (atrociores) lorsqu’ils agissent de nuit, à l’instar des voleurs
nocturnes (R26) (Digeste, 47, 18, 2). De même les « pillards » (expilatores)
sont considérés comme les auteurs d’un crime plus grave que les simples
« voleurs » (fures) (Digeste, 47, 18, 1, 1). Quant aux membres des couches
inférieures de la population de Rome (les plebeii), s’ils sont accusés devant
le préteur (il s’agit alors d’une action civile) d’avoir commis « des faits
horribles » (facta atrociora) en matière de tutelle, ils doivent être transférés
devant le préfet de la Ville pour être punis de la manière la plus lourde
(grauiter punire) (il s’agit alors d’une enquête pénale) (Digeste, 26, 10, 1, 8).
Un même renvoi de juridiction devant le préfet de la Ville – également
attesté par la lettre de Septime Sévère à Fabius Cilo (R12c-d) –, se produit
lorsque la gravité du crime excède la compétence du préfet des vigiles, lui-
même responsable de la lutte contre les incendies et de la répression de
la petite délinquance :

Le préfet des vigiles enquête (cognoscere) au sujet des incendiaires


(incendiarii), des auteurs de vol par effraction (effractores),
des voleurs (fures), des ravisseurs (raptores), des receleurs
(receptatores), à moins que l’affaire ne soit si horrible (atrox) et qu’il
ne s’agisse d’une personne à ce point infâme (famosa persona) qu’il
faille la renvoyer au préfet de la Ville. Les vols avec effraction
(effracturae) sont commis le plus souvent dans les îlots d’immeubles
(insulae) ou dans les greniers (horrea) où les hommes déposent
la partie la plus précieuse de leur fortune, lorsque l’on ouvre par
effraction une cave, une armoire ou un coffre. Et le plus souvent
les gardiens sont alors punis. Et le divin Antonin a répondu à
Erucius Clarus, que l’on pouvait en effet, lorsque des greniers ont
été ouverts par effraction, mettre à la torture (quaestio) les esclaves
qui en étaient les gardiens, quoique ces derniers soient, chacun
pour une part, à l’empereur (Paul, De la fonction du préfet des vigiles,
extrait du livre unique = Digeste, 1, 15, 3, 1-2).

Ce renvoi de juridiction du préteur ou du préfet des vigiles vers


le tribunal du préfet de la Ville trouve son équivalent dans les provinces
de l’empire par le renvoi par l’assesseur devant le gouverneur de
la province :

S’il se produit quelque chose qui exige un plus grand châtiment


(animaduersio), l’assesseur du gouverneur (legatus) doit renvoyer
<l’affaire> (reiicere) devant le proconsul : en effet, il <l’assesseur>
n’a pas le droit de châtier (animaduertere), de soumettre à
une contrainte (coercere) ou de frapper des verges d’une manière
horrible (atrociter uerberare). (Venuleius Saturninus, Sur la fonction
du proconsul, extrait du livre 2 = Digeste, 1, 16, 11).

La participation à une sédition militaire « horrible » (atrox) (R38,


Digeste, 49, 16, 3, 19) relève de la peine capitale – pensons à la répression
des meneurs des séditions de l’année 14 ap. J.-C. sur le Rhin et en Illyrie,
détaillée par Tacite (Annales, 1, 16-49) – lorsqu’elle constitue une seditio
atrox. L’adverbe atrocissime peut enfin s’appliquer à la cruauté du
traitement des esclaves par leur maître ou leur maîtresse (R22, Digeste, 1, 6,
2).
Sur le plan procédural, comme le souligne la Collatio legum,
la qualification de l’iniuria comme « horrible » ou « grave » (atrox)
débouche nécessairement sur une saisie du tribunal, tandis que si l’iniuria
est considérée comme « légère » (leuis), le préteur peut refuser l’action.
Dans la mesure où l’atteinte à la personne constituait un délit privé, c’était
initialement au demandeur de proposer le taux de la compensation
financière (lorsque celle-ci s’est substituée au talion) qui lui paraissait
constituer une réparation suffisante. Cependant, avec le développement
du droit prétorien, il est apparu qu’en cas d’atteinte particulièrement
grave, c’était au préteur d’estimer le montant de cette compensation.
Celui-ci pouvait alors mener une inspection préalable – elle prenait
assurément place dans « l’enquête » (cognitio) qui incombait au préteur de
la fixation du montant de la compensation (Coll., 2, 6, 3) –, pour apprécier
la gravité en question. Un discours de Marc Aurèle compte ce type
d’inspections dans la liste des démarches qu’il est possible d’accomplir, y
compris les jours de fête (feriatici dies), auprès de ce magistrat (Digeste, 2,
12, 2, « pour que par le regard (aspectus) l’atteinte horrible soit évaluée »).
Une fois le constat établi et le montant de la compensation fixé,
le défenseur devait alors verser une caution (uadimonium) équivalente à ce
montant (Coll., 2, 6, 1 ; cf. également Gaius, Institutes, 3, 224). S’il perdait
son procès, la somme revenait au demandeur qui n’avait par ailleurs pas
la possibilité d’obtenir un montant plus élevé que celui fixé de la sorte par
le magistrat. Cette évaluation a représenté un pas de plus vers un contrôle
de telles poursuites par les pouvoirs publics, puisque l’appréciation du
délit, suivie de la fixation du montant « constituaient pour ainsi dire
une autorisation du magistrat » [MOMMSEN 1907, III, p. 117 ; GIRARD 1929,
p. 430, n. 2]. Outre ce critère procédural, la nature de la peine a varié
également en fonction de la nature du délit : « le droit postérieur traite
l’iniuria atrox comme une catégorie fixe et y rattache des aggravations de
peine », ainsi qu’en témoigne la Collatio legum (2, 2 ; cf. aussi Digeste, 47, 10,
35) [MOMMSEN 1907, III, p. 101, n. 2].

Au dernier siècle de la République l’iniuria devient


un crime public

La répression de l’iniuria a évolué au dernier siècle de la République


avec la création par Sylla d’une lex Cornelia de iniuriis, assurément
autonome par rapport à la législation de sicariis (R20) du dictateur [ROTONDI
1912, p. 359], en dépit du côtoiement de ces deux crimes : l’atteinte à
la personne n’est réprimée comme telle que si le coup porté n’a pas
entraîné la mort, auquel cas il s’agit d’un homicide. Les circonstances
doivent être parfois précisées pour distinguer les deux domaines (Coll., 2,
7, 1). Outre le fait de « brutaliser » (pulsare) ou de « battre de verges »
(uerberare), la loi a élargi le champ de la répression à l’effraction du
domicile d’autrui (domum introire). Cette formule employée dans la loi s’est
plus tard prêtée à un commentaire juridique (Digeste, 47, 10, 5, 5), afin de
préciser ce qu’il fallait entendre par domus, et en admettant que ce terme
spécifique (il désigne une résidence urbaine qui tient lieu de domicile
principal) devait recevoir une acception large. Doit-on par exemple
prendre en compte l’effraction sur un fonds de terre (fundus), dans l’une
des uillae qui pourraient appartenir à un même individu ? Le même Ulpien
considère que le lieu où on habite (habitare), même s’il ne s’agit pas du
domicile (domicilium) habituel, entre alors en jeu : « supposons en effet
que quelqu’un séjourne à Rome en raison de ses études, à Rome où
pourtant il n’a pas son domicile (domicilium) : eh bien il faut dire pourtant
que si on est entré dans sa maison (domus) avec violence, la <loi> Cornelia
peut être invoquée ».
La loi Cornelia a donc fait de ces trois délits (pulsare, uerberare, domum
introire) trois crimes publics qui ne font plus seulement l’objet d’une
poursuite privée (actio iniuriarum aestimatoria) [GIRARD 1929, I, p. 430] :

Pr. La loi Cornelia sur les atteintes revient à celui qui veut intenter
une action d’atteintes pour la raison suivante : parce qu’il dit qu’il
a été bousculé (pulsare) ou bien frappé (uerberare) ou bien qu’on
s’est introduit dans sa maison (introire domum) avec violence (uis).
Il est prévu par cette loi que ne peut pas juger (iudicare) <l’affaire>
celui qui, par rapport à celui qui intente l’action, est le gendre,
le beau-père (socer), le mari de la mère (uitricus), le fils d’un
premier lit (priuignus), ou son cousin germain (sobrinus), ou s’il lui
est lié de plus près par la parenté (cognatio) ou par l’alliance
(adfinitas). Ou encore celui qui est le père (parens) ou le patron
(patronus) de ces derniers. C’est pourquoi la loi Cornelia a accordé
une action en vertu de ces trois causes : si quelqu’un a été
bousculé, ou s’il a été frappé, ou si on s’est introduit dans sa
maison avec violence. Il apparaît donc que toute atteinte avec
la main (manus) est contenue dans la loi Cornelia. 1. <De ces deux
actions de frapper>, voici ce qui distingue la pulsatio de la uerberatio
selon Ofilius : uerberare c’est frapper (caedere) en provoquant
une douleur (dolor), pulsare c’est frapper sans provoquer de
douleur. (Ulpien, Commentaire à l’édit, extrait du livre 56 = Digeste,
47, 10, 5, pr.-1)

Comme on peut le déduire également de ce passage, la répression a été


confiée à des juges formant un consilium dont devaient être exclus
les membres de la famille. Il y a tout lieu de croire que ce consilium a
constitué un tribunal permanent formé de jurés (quaestio perpetua),
identique à ceux que d’autres lois syllaniennes ont instaurés pour
réprimer d’autres crimes. La question demeure de savoir qui en assurait
la présidence : soit le préteur urbain lui-même ou « le président de
la chambre d’enquête concernant les assassins » (quaesitor inter sicarios)
[ROTONDI 1912, p. 359], soit un « quasi-magistrat » [MOMMSEN 1907, III,
p. 118]. En fonction sans doute de la gravité deux types de poursuites,
l’action prétorienne, d’une part, « l’action fondée sur la loi Cornelia »,
d’autre part (le terme d’actio est ici conservé alors qu’il s’agit à
proprement parler d’une accusatio), ont continué de coexister sous
l’Empire.
22

Le châtiment des esclaves (Collatio legum,


Tit. 3)

Titre 3. Du droit et de la cruauté des maîtres (De Iure et Saeuitia


Dominorum).

1, 1. Moïse dit :
Si quelqu’un frappe avec une verge un esclave, homme ou femme, et
qu’il <ou elle> meurt entre ses mains, il sera poursuivi devant un tribunal.
Toutefois, si l’esclave a survécu un ou deux jours <le maître> ne sera pas
poursuivi, puisque lui-même <perd> la valeur <de la chose>.
2, 1. Paul au cinquième livre des Sentences sous le titre « De la loi
Cornelia sur les assassins et les empoisonneurs » :
Si un esclave succombe aux coups (plaga), le maître ne peut être
inculpé (reus postulari) comme prévenu pour homicide, à moins qu’il n’ait
accompli cet acte de manière dolosive (dolo). Il a été décidé en effet de
modérer (temperare) la manière de châtier (castigare) lorsqu’on inflige
une punition (coercitio) aux esclaves.
3, 1. Ulpien, au huitième livre Sur la fonction de proconsul, sous le titre
« De la cruauté des maîtres » :
Si un maître s’est montré cruel (saeuire) envers son esclave, ou s’il
le force à se livrer à l’impudicité (impudicitia), ou à une ignoble violation
physique (uiolatio), ces choses relèvent de la compétence du gouverneur,
puisque le rescrit du divin <Antonin> le Pieux à Aelius Marcianus,
proconsul de Bétique, indique clairement quel est le rôle du gouverneur.
2. Les termes du rescrit sont les suivants : « il convient que la puissance
des maîtres (dominorum potestas) sur leurs esclaves soit respectée dans son
intégrité et qu’aucun homme ne se voie dépossédé de son droit. Mais il en
va de l’intérêt des maîtres qu’on ne refuse pas une aide (auxilium) à ceux
<des esclaves> qui, dans le respect de la justice, l’ont sollicitée contre
la cruauté (saeuitia), contre la faim ou contre une intolérable atteinte <à
la personne>. 3. C’est pourquoi il faut que tu enquêtes (cognoscere) au sujet
des plaintes (querellae) de ceux qui, appartenant à la domesticité (familia)
de Iulius Sabinus, se sont réfugiés auprès d’une statue (ad statuam
confugere), et s’il s’avère qu’ils ont été traités plus durement que ce qui est
juste (aequus), ou qu’ils ont été livrés à une atteinte déshonnorante
(infamis), ordonne qu’ils soient vendus, de sorte qu’ils ne reviennent pas
sous la puissance de Sabinus. Et si ce dernier en venait à contourner
frauduleusement (fraudem facere) ma constitution, qu’il sache que son
crime (admissum) sera traité par moi de manière particulièrement
sévère ». 4. Le divin Hadrien est même allé jusqu’à reléguer pour
une période de cinq ans une matrone, une certaine Umbricia, parce qu’elle
avait traité de manière tout à fait horrible (atrocissime) ses servantes pour
de futiles prétextes. 5. De même le divin <Antonin le> Pieux a répondu à
la requête d’Alfius Iulius en ces termes : « il importe que l’obéissance
(obsequium) des esclaves soit maintenue, non seulement par
le commandement (imperium), mais également par la tempérance
(moderatio), en leur fournissant les choses nécessaires à la vie (praebita), et
une charge raisonnable de travaux. 6. C’est pourquoi tu dois prendre soin
de traiter les tiens avec justice et modération, afin que tu puisses exiger
d’eux sans peine ce qu’ils doivent. En conséquence, s’il s’avère que tes
dépenses sont inférieures à ce qui est dû pour l’entretien des esclaves, ou
que tu exerces avec une cruauté particulièrement horrible (atrocior
saeuitia) ton pouvoir de maître (dominatio), afin que n’advienne aucun
trouble grave (quid tumultuosius), l’Illustrissime proconsul devra prendre
des mesures préventives (praeuenire) afin que n’advienne aucun trouble
grave à ton encontre et, sur-le-champ, en vertu de mon autorité
(auctoritas), il devra rassembler ces esclaves et te contraindre en vertu de
mon autorité à les vendre (alienare) ».
Rendu sous le consulat de Glabrio et Homullus [152 ap. J.-C.].
4, 1. Le Code Grégorien, au quatorzième livre, sous le titre « des
accusateurs ».
Les empereurs Dioclétien et Maximien, Augustes, au soldat Aurelius
Sacratus. Puisque tu exposes que ton esclave, gravement accablé par
une maladie, a rempli sa destinée, la démonstration de ton innocence dont
tu as fourni l’assurance ne permet pas que s’élève <contre toi> la poursuite
(accusatio) d’une plainte sans fondement (calumnia), pour cause d’un
châtiment (castigatio) démesuré.
e
Sous le 4 consulat de Dioclétien Auguste et d’Aristobulus [285 ap. J.-
C.].

*
* *

Cet extrait de l’Exode (21, 20-21) suit dans le texte biblique celui qui
ouvre le précédent titre de la Collatio legum. À la différence du droit
mésopotamien cette fois, il faut ici souligner que le droit hébraïque
considère l’esclave comme objet de droit, puisque sa mise à mort
immédiate est punie, en dépit de l’atténuation que comporte la mort
survenue quelques jours après et qui est interprétée comme
une autopunition du maître en raison de la perte de la valeur de l’esclave
[BARTON-MUDDIMAN 2001, p. 83].

Sous la République : la brutalité des maîtres


et le regard de la cité

À Rome, dès l’origine, le pouvoir du maître lui permet de mettre à


mort les membres de la familia, à commencer par l’esclave (R2f) – ce
pouvoir était-il distinct de la patria potestas et dans ce cas était-il reconnu à
une femme qui mettrait à mort ses servantes ou serviteurs, et sur quel
fondement ? Depuis les pièces de Plaute, au commencement du IIe siècle
er
av. J.-C., jusqu’au corpus cicéronien, au milieu du I siècle av. J.-C.,
la condition de l’esclave est indissociable de la contrainte physique la plus
dure (détention, coups, viols), et des formes les plus sévères de la mise à
mort, à commencer par le supplice de la croix : « la crainte des sévices
chez l’esclave était le fondement de l’autorité du maître » [DUMONT 1987,
p. 748]. Cependant, certaines restrictions à l’autonomie de ce « droit de vie
et de mort » exercé sur l’esclave dans le cadre domestique – un droit
analogue à la définition première du pouvoir coercitif du magistrat dans
le cadre de la cité [THOMAS 1984b, en part. p. 503-506 ; 1996, p. 450] – se
sont dessinées au fil des siècles pour plusieurs raisons. En premier lieu, de
même que l’enrôlement illicite d’un homme de condition servile dans
l’armée était réprimé par les pouvoirs publics, de même la poursuite
des fugitifs a pu entraîner à partir d’une certaine époque l’intervention
des pouvoirs publics au côté des fugitiuarii stipendiés par le maître [RIVIÈRE
2004, p. 251-336]. Ces « traqueurs d’esclaves » sont tout à fait comparables
e
aux « slave catchers » du XIX siècle américain rendus célèbres par
le cinéma contemporain. L’un d’entre eux tient un rôle de premier plan
dans le film de Quentin Tarentino Django Unchained (2012). Et il y eut de
fait précisément en matière de « droit de l’esclavage » une filiation directe
entre la législation de la Rome antique et celle des états du Sud des Etats-
Unis jusqu’à la Guerre de Sécession (1861-1865) [DREW HARRINGTON 1994].
Dans Django Unchained, l’entente entre l’esclave et son faux traqueur sert,
en même temps que la meilleure intrigue, la cause la meilleure :

Well I’m looking for freedom, looking for freedom


And to find it, may take everything I have ! (E. Boynton, K. Wooten,
A. Hamilton)

Mais dans un système esclavagiste ce type d’association pouvait aussi,


dans un intérêt bien compris de part et d’autre, viser seulement le lucre
[DAUBE 1991]. Dans la Rome antique, l’accomplissement de l’arrestation et de
l’exécution de l’esclave criminel décidé par son maître impliquait aussi
l’intervention des pouvoirs publics – c’était l’une des vocations
des triumvirs capitaux (R7). Alors intervenait le bourreau, le carnifex.
Une célèbre inscription d’époque augustéenne découverte à Pouzzoles au
cours de la seconde guerre mondiale – un cahier des charges à l’adresse
des sociétés soumissionnaires pour le service des pompes funèbres
[HINARD-DUMONT 2003] – en témoigne. La banale cruauté de ces lignes est
saisissante :

Si quelqu’un veut, à titre privé, mettre au supplice un esclave ou


une esclave, le contractant mettra au supplice selon les modalités
voulues par celui qui commande le supplice ; s’il commande
une exécution par la croix et la poutre patibulaire (patibulum), que
le contractant soit dans l’obligation de fournir des bois, des liens,
des cordes pour les fouetteurs (uerberatores) et des fouetteurs. Et
que quiconque fera mettre au supplice soit dans l’obligation de
payer pour chacun des ouvriers qui portent la poutre patibulaire et
pour les fouetteurs, ainsi que pour le bourreau (carnifex), quatre
sesterces. (Lex libitina Puteolana, l., 8-10, trad. Ph. Moreau dans
HINARD-DUMONT 2003)

La cruauté technique de ces lignes souligne d’abord la banale brutalité


des rapports esclavagistes et la recherche d’une exemplarité de la peine
par la mise en œuvre publique de l’appareil du supplice. Mais une telle
intervention a aussi sans doute permis dès l’époque républicaine, en
accordant précisément une certaine publicité à l’exécution d’un serviteur,
de limiter l’arbitraire et la violence du maître. À Rome, cette immixtion de
l’Etat dans les affaires du maître aurait même occasionnellement donné à
l’esclave la possibilité de faire appel aux tribuns de la plèbe, si on admet
que le « droit de venir en aide » (auxilium) de ces derniers, dont la vocation
première avait été la défense des plébéiens, puis de tous les citoyens face à
la coercition des magistrats, les aurait également disposés à intervenir,
rarement, et en des occasions symboliques, en faveur d’individus de
condition servile [DUMONT 1987, p. 146-152]. Une telle hypothèse reste
difficile à admettre, tant l’exercice de la puissance tribunicienne paraît
liée à l’appartenance civique dont les esclaves, par définition, sont exclus.
On a vu néanmoins les tribuns répondre à l’appel d’une courtisane (R19h).
Quant au droit d’asile dans les sanctuaires et auprès des statues des dieux,
tel qu’il était offert aux esclaves dans le monde grec, a-t-il existé dans
la Rome républicaine ? Même s’il est mal établi, il est à peu près certain
que le droit de se réfugier (confugere) au Temple de Cérès (Aedes Cereris,
Liberi et Liberae), par exemple, ou encore, au temple de Diane sur l’Aventin
(Aedes Dianae Auentinae) a été reconnu. Les esclaves ayant gagné de tels
lieux d’asile n’obtenaient pas pour autant alors leur liberté, car ils étaient
revendus à un autre maître dont ils pouvaient espérer un traitement
moins dur en échappant au moins ainsi au ressentiment du précédent
[DUMONT 1987, p. 137-143]. À l’époque impériale, telle est la logique qui
préside encore par exemple au rescrit d’Antonin le Pieux (138-161) (Coll., 3,
3, 6). Cette fois cependant, l’autre maître n’est que le fisc impérial qui
acquiert « en troupeau » – le verbe compellere s’applique généralement au
bétail – les esclaves maltraités.
Enfin, la cité intervenait pour protéger l’esclave par le biais du blâme
(nota) que les censeurs pouvaient appliquer à l’encontre des maîtres qui
abusaient de leur pouvoir. Certes les sources manquent et ce point reste
discuté, mais le principe paraît en avoir été admis. En effet, l’historien
grec Denys d’Halycarnasse (Antiquités Romaines, 20, 13, 2) oppose
la conduite des Athéniens ou des Spartiates qui sanctionnaient les actes
répréhensibles des citoyens uniquement lorsqu’ils étaient observables
dans un « lieu public », à celle des Romains qui « en laissant grande
ouverte chaque maison, et en étendant l’autorité des censeurs jusque dans
la chambre à coucher, confiaient à cette magistrature le soin d’inspecter et
de surveiller tout ce qui se passait à l’intérieur ». Et il ajoute : « ils
estimaient en effet qu’un maître ne doit pas faire preuve de cruauté en
châtiant ses esclaves, un père d’une dureté ou d’une mollesse excessives
dans l’éducation de ses enfants, un mari d’injustice dans sa vie commune
avec la femme qu’il a épousée, les enfants de désobéissance envers leurs
pères âgés… » (trad. S. Pittia).

Les transformations de l’époque julio-claudienne :


le prince, le maître et l’esclave

Est-ce en vertu de ses pouvoirs censoriaux (obéissant donc à


une lointaine tradition républicaine) et de sa puissance tribunicienne
qu’Auguste serait intervenu contre son ami P. Vedius Pollio ? Ce dernier
aurait eu en effet l’habitude de jeter les esclaves qu’il jugeait coupables
dans un bassin à murènes – l’instinct carnivore de ces poissons ayant été
auparavant attisé par du vinaigre (Sénèque, De la colère, 40, 2-5 ; Pline
l’Ancien, 9, 39 ; Dion Cassius, 54, 23, 1-4). L’hypothèse en a été avancée
[DUMONT 1987, p. 144-145 et n. 300]. Plus assurément, cet épisode révèle au
commencement du Principat un tournant majeur dans l’histoire du
rapport maître-esclave avec l’émergence de la figure de l’empereur,
un vrai monarque en dépit de faux semblants d’apparat, d’un discours
institutionnel et de la composition nécessaire avec les classes dirigeantes.
Cette réintroduction de la monarchie dans le monde romain a conduit à
l’affirmation progressive d’un monopole de l’État impérial dans l’exercice
de la violence [RIVIÈRE 2009b]. Sous les Julio-Claudiens, deux mesures vont
déjà dans ce sens : un édit de Claude (47 ap. J.-C.) relatif à
l’affranchissement des esclaves malades exposés par leurs maîtres au
temple d’Esculape sur l’Île Tibérine (Insula Tiberina) aurait qualifié pour
la première fois l’assassinat de l’esclave par son propre maître de « crime
de meurtre » (crimen caedis), passible d’une poursuite pour homicide
(Suétone, Claude, 25, 4). Une circonstance qu’il faut naturellement
distinguer de l’assassinat de l’esclave perpétré par un tiers et que la loi
Cornelia sur les assassins et les empoisonneurs qualifiait déjà d’homicide
(R20) [DUMONT 1987, p. 160]. Avec la loi Petronia dont la datation précise est
mal assurée (elle remonte assurément au règne de Néron, sans doute à
l’année 61), les maîtres perdent le pouvoir de livrer leurs esclaves aux
bêtes sans l’intervention de l’autorité publique. Ce supplice est associé,
dans l’énumération de Modestin (sur le fondement d’un rescrit d’Antonin
le Pieux), à la circoncision pratiquée par un maître juif sur un (esclave)
non-juif. L’interdiction de circoncire des esclaves chrétiens sera renforcée
dans l’Empire tardif, comme l’atteste notamment une lettre de Constantin
de l’année 335, entièrement conservée dans un petit recueil de lois à
caractère religieux, les Sirmondiennes (Sirm. 4), et dont deux fragments ont
été retenus dans le Code théodosien (16, 8, 5 ; 16, 9, 1) [CORCORAN 2016, p. CXII].
Le rapprochement établi par Modestin entre une mise à mort
considérée par les Romains comme l’une des plus redoutables et des plus
avilissantes, et le rite religieux de l’ablation du prépuce appelle au moins
une brève remarque à la lumière des travaux détaillés qui ont été
consacrés à cette question [MELÈZE-MODRZEJEWSKI 1995]. Alors que « les
manipulations chirurgicales des parties génitales » n’ont fait l’objet
d’aucune répression ni dans l’Orient ancien, ni en Égypte, ni en Grèce,
les Romains ont toujours manifesté leur rejet aussi bien de la circoncision
que de l’excision, ou encore de l’ablation des testicules, réprimée par la loi
de Sylla sur le meurtre (R20), car ces « mutilations interdites » étaient
« considérées comme des atteintes à l’intégrité physique d’un individu
comparables au meurtre et à l’empoisonnement ». Sous Domitien (81-96),
la castration fut interdite. Quelques années avant le rescrit d’Antonin
(138-161) mentionné ci-dessous, la législation de l’empereur Hadrien
(Digeste, 48, 8, 4, 2 ; 48, 8, 5) avait désigné la circoncision comme
une modalité de la castration, tandis qu’au siècle suivant,
la « manipulation des organes génitaux » (mutilare genitalia) deviendra
« un crime spécifique » :

Pr. Il est permis aux juifs de circoncire seulement leurs fils selon
un rescrit du divin <Antonin> le Pieux. Celui qui a pratiqué cet acte
sur quelqu’un qui n’est pas de cette religion, on lui inflige la peine
pour castration (castrantis poena). 1. Si un esclave a été livré aux
bêtes sans juge, non seulement celui qui l’a vendu est tenu par
la peine <prévue par la loi>, mais encore celui qui l’a acheté.
2. Depuis la loi Petronia et les sénatus-consultes relatifs à cette loi,
le pouvoir (potestas) a été retiré aux maîtres de livrer leurs esclaves
aux bêtes pour les combattre (depugnare). Cependant, une fois
l’esclave présenté devant le juge, si la plainte du maître s’avère
légitime, qu’il soit livré à cette forme de supplice. (Modestin,
Des règles, extrait du livre 6 = Digeste, 48, 8, 11, pr.-2)

Il n’en demeure pas moins que les pouvoirs publics ont réaffirmé à
la même époque la terreur qu’ils pouvaient exercer pour défendre
la personne des maîtres en consolidant par le sénatus-consulte Silanien
(10 ap. J.-C.), une disposition certainement antérieure comme pourrait
l’attester la lecture de Cicéron (Catilinaires, 4, 6), ou les expressions
employées par Tacite qui évoque « une coutume d’autrefois » (mos uetus)
(Annales, 14, 42, 2), ou encore une « ancienne coutume » (mos antiquus) (14,
45) [DUMONT 1987, p. 133, n. 224 et p. 748, n. 25]. Cette loi permettait non
seulement de torturer, mais aussi d’exécuter tous les esclaves présents
sous le « toit » (tectum). Un épisode est demeuré célèbre : en 61 ap. J.-C.,
malgré la colère indignée d’une foule en émeute, toute
la « domesticité » (familia), présente à Rome (400 individus de tous âges),
du préfet de la Ville (R12) L. Pedianus Secundus, fut livrée au supplice sous
protection militaire, en raison de l’indignation populaire suscitée par ce
massacre arbitraire, en dépit de la loi et sous le règne d’un tyran (Tacite,
Annales, 14, 42-45).

Les pouvoirs du maître sous surveillance à l’époque


e
antonine (II siècle)

Le règne d’Hadrien (117-138) pourrait constituer un tournant dans


la réglementation des relations maîtres-esclaves et dans l’effort de
limitation de la violence arbitraire exercée par les premiers. Dans son
exagération elliptique, le résumé tardif de l’Histoire Auguste (Vie d’Hadrien,
18, 7) témoigne d’un progrès de la puissance publique au détriment du
« droit » des maîtres : « il interdit que les esclaves soient tués (occidi) par
les maîtres et il ordonna que ceux-là soient condamnés (damnari) s’ils
étaient dignes de l’être ». Surtout l’ensemble de la législation de l’époque,
qu’elle soit conservée dans le passage cité de la Collatio legum ou
rassemblée au Digeste, témoigne d’une telle évolution. C’est elle qui inspire
également le raisonnement de Gaius au milieu du IIe siècle :
Ainsi donc les esclaves sont en la puissance des maîtres. En vérité
cette puissance ressortit au droit des gens (ius gentium). Nous
pouvons en effet observer que chez tous les peuples d’une manière
générale le pouvoir de vie et de mort sur les esclaves appartient
aux maîtres et que tout ce qui est acquis par l’esclave est acquis au
maître. Mais à notre époque, il n’est permis ni aux citoyens
romains ni à tous les autres hommes qui se trouvent sous l’empire
du peuple romain, de se montrer cruels (saeuire) envers les esclaves
outre mesure et sans raison (sine causa) ; car, d’après
une constitution de l’empereur Antonin, celui qui a tué son esclave
sans raison, n’est pas moins jugé digne d’une sanction que celui qui
a tué l’esclave de quelqu’un d’autre. Mieux encore, une trop grande
dureté (asperitas) des maîtres est réprimée par une constitution du
même prince ; car, ayant été consulté par certains gouverneurs de
province au sujet de ces esclaves qui ont fui auprès des temples
des dieux ou des statues des empereurs, il a décidé que, si
la cruauté des maîtres paraissait insupportable (intolerabilis), ils
devaient être contraints de vendre leurs esclaves. Et il a agi
justement dans les deux cas. En effet, nous ne devons pas user à
tort de notre droit ; et c’est pour cette raison que l’administration
de leurs biens a été interdite aux prodigues. (Gaius, Institutes, 1, 52-
53)

C’est bien à la législation d’époque antonine, également conservée


dans la Collatio legum, que se réfère ici Gaius. La mise à mort de l’esclave
par son propre maître peut désormais être assimilée au meurtre (quel que
soit le statut de la victime), tel qu’il était défini dans la loi syllanienne sur
les assassins (R20), la cruauté est réprimée, et les gouverneurs sont invités
à faire respecter le droit des esclaves de se réfugier auprès des statues
avant d’être revendus à un tiers [GAMAUF 1999, p. 81-103]. En revanche,
le maître continue à ne pas encourir de peine, s’il inflige un châtiment
justifié : il n’est pas alors considéré comme ayant agi par cruauté (saeuitia).

Les apories de la législation constantinienne

Deux siècles après le début du règne d’Hadrien (117-138),


une constitution de Constantin datée de 319, adressée au préfet de la Ville
(R12e), interdit cette fois explicitement l’usage par le maître
des instruments de torture, tels que le « chevalet » (eculeus), les « ongles
de fer » (ungulae), puisqu’ils sont le monopole de la puissance publique.
Le « redressement » (emendatio) des esclaves par les maîtres ne doit pas
heurter ce monopole [BROWN 1998, p. 79]. Cependant, comme le précise, dix
ans plus tard, une autre constitution du même empereur – elle semble
rectifier l’interprétation trop stricte de la précédente –, si d’aventure
un esclave meurt à l’issue des coups, le maître n’est pas nécessairement
coupable :

Toutes les fois qu’un accident touchant aux esclaves accompagne


les coups (uerbera) des maîtres, tel que les esclaves meurent, que
soient blanchis de toute faute (culpa) ceux qui, en corrigeant
une conduite très répréhensible, ont voulu en inculquer
une meilleure aux esclaves de leur maison (uernulae). Et nous ne
voulons pas qu’à propos d’un fait de ce genre, dans lequel il est de
l’intérêt du maître de conserver en bon état un esclave (mancipium)
qui lui appartient de droit, on fasse une enquête pour savoir s’il
paraît avoir agi avec la volonté de tuer un homme (uoluntas
occidendi hominis) ou simplement en administrant un châtiment
(castigatio)… Et de fait, il ne convient pas de déclarer que le maître
est coupable d’homicide pour la mort de son esclave toutes les fois
qu’il exerce sa puissance domestique (domestica potestas) en
recourant à de simples questions sous la torture (quaestiones). Par
conséquent, s’il arrive que des esclaves qui ont subi
un redressement par des coups (plagarum correctio), suivant
un destin réglé par le sort sur le point de se produire, sont enlevés
aux affaires humaines, que les maîtres ne craignent aucun
interrogatoire sous la torture (quaestio).
Interprétation : Si l’esclave meurt, alors que le maître se venge
(uindicare) d’une faute (culpa), le maître n’est pas tenu par la faute
(culpa) d’homicide, parce qu’il n’est coupable d’homicide que s’il
est convaincu (conuincere) d’avoir voulu tuer. Car le redressement
(emendatio) ne peut être appelé à devenir un crime (crimen). (Code
théodosien, 9, 12, 2 ; 18 avril 326 ou 329)

Cette fois, on ne lit pas de restriction à la puissance du maître. Et c’est


sans doute pourquoi les Byzantins ont exclu ce second texte du Code de
Justinien, pour ne garder que le premier (Code théodosien, 9, 12, 1 ; 11 mai
319 = Code de Justinien, 9, 14, 1) qui constitue une mise en garde.
Néanmoins, il faut encore être précis sur les modalités de la brutalité :
des coups peuvent entraîner la mort sans rendre le maître coupable ; sont
exclus en revanche d’autres modes de châtiment qui sont l’apanage
des pouvoirs publics.
23

L’adultère (Collatio legum, tit. 4)

Titre 4 : Des adultères (De adulteriis).

1, 1. Moïse a dit :
Quiconque a commis l’adultère (moechare) avec la femme de son
prochain, qu’il subisse la mort (mortem mori), aussi bien celui qui a commis
l’adultère, que celle qui a commis l’adultère. 2. Que celui qui a séduit
une vierge non promise en mariage (desponsata) et l’a souillée (stuprare),
qu’il la dote et la prenne pour épouse. Si le père de celle-ci n’y consent pas
et s’il refuse de la lui donner pour femme, que <le coupable> remette au
père une somme (pecunia) à la hauteur de la dot de la vierge.
2, 1. Paul au livre unique Sur les adultères sous le titre :
Pour offrir une brève interprétation <de la loi Iulia> sur la répression
des adultères, j’ai préféré suivre les chapitres eux-mêmes et préserver
l’ordre de la loi. 2. En tout cas justement, le premier chapitre de la loi Iulia
sur les adultères se substitue (obrogare) à un grand nombre de lois
antérieures. 3. En vertu du second chapitre, ensuite, le père reçoit
la permission suivante : s’il tient la fille en sa puissance (potestas) ou si, en
vertu de son autorité, alors qu’elle était en sa puissance, elle est passée
sous l’autorité maritale (manus) d’un homme, et qu’il prend en flagrant
délit (deprehendere) l’amant adultère dans sa maison ou dans celle de son
gendre, et que ce gendre a associé son beau-père (socer) à cette affaire, que
le père tue (occidere) cet amant adultère sans être considéré comme ayant
commis un crime (fraus), à condition qu’il tue sa fille sur-le-champ (in
continenti). 4. D’autre part, pour ce qui concerne la fille veuve, celui qui a
fait périr un adultère pris en flagrant délit (deprehensum) et sa fille sur-le-
champ, Marcellus écrit au livre XXXI des Digestes qu’un tel acte a été
accompli en toute légitimité (licito iure). 5. Dans le même livre Marcellus
approuve également, qu’en vertu de l’autorité <de la loi>, le père puisse
tuer (interficere) l’adultère, quand bien même il s’agirait d’un homme de
rang consulaire ou de son propre patron, s’il a pris en flagrant délit
l’amant adultère avec la fille. 6. Toutefois s’il n’a pas tué sa fille, mais
seulement l’amant adultère, il est accusé d’homicide. 7. Et s’il tue sa fille
<en laissant s’écouler> un laps de temps (interuallum), il est également
accusé, à moins qu’il ne la tue au terme d’une poursuite (persequor). En
effet, il paraît alors avoir agi dans l’élan ininterrompu (continuatio) de son
intention (animus) selon l’autorité de la loi.
3, 1. Le même Paul au même livre unique et sous le même titre :
On compte également un certain nombre de personnes qu’il est
permis au mari de tuer, lorsque sa femme est prise en flagrant délit
d’adultère, alors même qu’il ne lui est pas permis de tuer sa femme.
2. Ainsi donc, selon les termes de la loi, il est permis à un mari, y compris
au fils de famille s’il est soumis à la puissance paternelle, de tuer
un esclave surpris en flagrant délit d’adultère dans sa propre maison, ainsi
que celui qui a été engagé par contrat pour devenir gladiateur, ou même
celui qui a loué ses services pour se battre avec les bêtes. 3. Mais il est
aussi permis de tuer celui qui a été condamné (damnare) dans un jugement
public (iudicium publicum), lorsque ce dernier est pris en flagrant délit
d’adultère, ou un affranchi, qu’il s’agisse du sien, ou de celui de son père,
que cet affranchi soit citoyen romain ou Latin, statut sous lequel est
également compris un déditice. 4. Mais il est également permis de tuer
l’affranchi et du père, et de la mère, et du fils, et de la fille. 5. Il [l’auteur de
l’acte] doit présenter une déclaration officielle (profiteri) devant celui qui
est en charge de la juridiction (iurisdictio), indiquant le lieu où il a tué, et il
doit répudier (dimittere) sa femme. 6. Or s’il n’a pas accompli ces
démarches, il n’a pas tué sans encourir une peine (inpune). 7. Il faut savoir
toutefois que le divin Marc <Aurèle> et Commode ont décidé par rescrit
que celui qui a tué un adultère de manière illégitime (inlicite) est puni
(puniri) d’une peine plus légère (leuior poena). 8. Quant à Antonin le Grand
<Caracalla>, il a épargné ceux qui ont tué des adultères, s’ils étaient
emportés par une ardeur (calor) irréféléchie. Et ainsi de suite.
4, 1. Le même Paul au même livre unique et sous le même titre :
Celui qui accuse en vertu du droit du mari (ius mariti) ou du droit du
père (ius patris), peut être vaincu <dans son procès>, sans encourir la peine
de la calomnie (calumnia) : s’il accuse en vertu du droit de l’étranger <à
la famille> (ius extranei), il peut être puni de la peine <réservée à>
la calomnie. 2. Mais alors après deux mois, sans dépasser le délai
des quatre mois utiles <durant lesquels une action peut être intentée>, il
est permis que celui qui fait valoir ce droit (expertus) appartienne à
une catégorie <d’individus> qui ne peut pas accuser dans d’autres
<causes>, tels l’affranchi ou le mineur de moins de vingt-cinq ans, ou celui
qui est frappé d’infamie (infamis), ainsi que Papinien l’a écrit au livre XV.
5, 1. Papinien au livre XV Des réponses sous le titre « à la loi Iulia sur
les adultères » :
Un citoyen romain qui a obtenu en mariage (matrimonium)
une <citoyenne romaine>, sans qu’il y ait droit de mariage (conubium)
entre eux, ou une étrangère (peregrina), ne peut, si celle-ci est adultère,
déposer plainte (postulare) en vertu du droit du mari (ius mariti), mais, s’il
veut poursuivre (persequor) l’atteinte (iniuria) qu’il a subie, ni l’infamie
(infamia) <de sa propre condition>, ni le fait qu’il s’agisse d’un affranchi
dont la fortune est inférieure à 30 000 sesterces, ou qui n’a pas de fils, ne
feront obstacle <à la poursuite>.
6, 1. Paul au livre unique et au titre mentionnés ci-dessus :
L’épouse (uxor) adultère est poursuivie en justice (uindicare) en vertu
du droit du mari (ius mariti), mais une fiancée (sponsa) ne peut l’être quant
à elle. Ainsi ont répondu par rescrit <Septime> Sévère et Antonin <le
Grand> (Caracalla).
7, 1. Papinien au livre unique Sur les adultères :
La question était posée de savoir si un père pouvait accuser sa fille
émancipée, en vertu du droit du père (ius patris). J’ai répondu : « la loi lui a
accordé la possibilité (facultas) de tuer (occidere) sa fille lorsqu’elle est sous
sa puissance (in potestatem), ou lorsqu’elle a été remise au pouvoir <de
l’époux> (in manum conuenire) par son autorité : cependant, un père n’est
pas empêché (prohibere) d’accuser (accusare) sa fille en vertu du droit du
père, quand bien même elle est émancipée.
8, 1. Papinien au même livre unique et sous le même titre :
Puisqu’une loi royale (lex regia) a donné au père la puissance de vie et
de mort (uitae necisque potestas) contre son fils, quel avantage y eut-il
d’inclure dans la loi que la puissance de tuer (potestas occidendi), s’applique
également à la fille ? Veuille me répondre : car je désire savoir. Il répondit :
cet ajout ne nous fournit-il pas au contraire un argument en faveur de
l’idée selon laquelle la loi ne paraît pas avoir donné <au père> qui ne l’avait
pas le pouvoir de mise à mort, mais lui en avait imposé l’obligation, pour
rendre évident qu’il a tué l’homme adultère poussé par un sentiment
supérieur d’équité, puisqu’il n’a pas même épargné sa fille ?
9, 1. Le même :
Si un père a tué l’adultère et a épargné sa fille, je pose la question de
savoir ce qui doit être décidé à son encontre. Il a répondu : sans aucun
doute ce père est un homicide (homicida). C’est pourquoi il tombera sous
le coup de la loi Cornelia sur les assassins (lex Cornelia de sicariis). Il est
évident que si la fille a été préservée, non par la volonté (uoluntas) du père,
mais par le hasard des circonstances (casu), puisque la fille a fui par hasard
(forte), le père disposera alors d’un argument de défense (defensio) de
grand poids. Car la loi punit l’homicide de la façon suivante : à savoir si
l’homicide a été perpétré avec une intention coupable (dolo malo).
Or dans le cas de ce père, il n’a pas préservé sa fille parce qu’il
le souhaitait, mais parce qu’il n’a pas eu la possibilité de la mettre à mort.
10, 1. Le même :
Si le mari a tué sa femme prise en flagrant délit d’adultère, je pose
la question de savoir s’il tombe sous le coup de la loi sur les assassins. Il a
répondu : en aucun endroit de la loi il n’est consenti au mari de tuer sa
femme. C’est pourquoi il ne fait pas de doute qu’il a ouvertement agi
contre la loi. Cependant si tu considères la peine, il n’est pas injuste
d’accorder quelque chose à son vif embrasement (calor) très conforme à
la morale, en ne le punissant pas de la décapitation (caput), ou de
la déportation, comme s’il s’agissait d’un homicide (homicida), mais en
établissant à son encontre une peine qui n’excède pas l’exil.
11, 1. Le même <poursuit> comme suit :
En cas d’accusation menée par le père ou le mari, au sujet des esclaves
(mancipia) de l’un et de l’autre, il est évident que la torture (quaestio) doit
leur être appliquée. Et je demande alors si la même chose doit être
accordée, lorsque l’accusateur est un étranger <à la famille> (extraneus). Il
a répondu : il peut sembler que l’octroi de la torture, au sujet des esclaves
(serui), en faveur de ces personnes, repose sur ce motif qu’ils poursuivent
ainsi avec plus d’empressement (diligentius) la réparation de la douleur de
l’âme (dolor animi), et sans aucune négligence (translaticie) l’offense
(iniuria) d’avoir porté atteinte à leur maison. Cependant, comme on doit
croire que le délit (delictum) <d’adultère> ne peut être aisément accompli
sans recourir à l’aide <complice> (ministerium) des esclaves, un tel motif a
conduit à considérer que, même en cas d’accusation menée par
un étranger <à la famille>, les esclaves doivent être soumis à l’enquête
<sous> des instruments de torture (quaestio tormentorum).
12, 1. Paul, au deuxième livre des Sentences, sous le titre des adultères :
Il est permis, au deuxième chapitre de la loi sur les adultères, à un père
adoptif, aussi bien qu’à un <père> naturel de tuer (occidere) de sa main, en
même temps que sa fille, l’<amant> adultère, quel que soit son rang
(dignitas), si celui-ci est pris en flagrant délit (deprehensus) dans sa maison
ou dans celle de son gendre. 2. Un fils de famille (filius familias), s’il est
père et qu’il prend sa fille en flagrant délit d’adultère, quoiqu’il ne puisse
pas tuer d’après les termes mêmes de la loi, ne peut pratiquement pas
la tuer, mais on lui permet cependant de la tuer. 3. Le mari ne peut tuer
ceux qui sont pris en flagrant délit d’adultère que s’il s’agit de personnes
infâmes (infames), de ceux qui font commerce (quaestus) de leur corps, ou
encore d’esclaves ou d’affranchis, l’épouse exceptée, qu’il est interdit de
tuer. 4. Il a été décidé que soit puni plus légèrement (leuius) le mari qui tue
sa femme alors qu’elle est prise en flagrant délit avec l’amant adultère,
parce qu’il a commis ce geste en raison d’une incapacité à supporter
(impatientia) une douleur (dolor) légitime (iustus). 5. Après avoir tué
l’amant adultère, le mari doit sur-le-champ se séparer (dimmittere) de sa
femme, et déclarer officiellement (profiteri) dans un délai de trois jours
avec quel amant adultère et à quel endroit (locus) il a pris en flagrant délit
la femme. 6. S’il trouve (inuenire) sa femme en situation d’adultère, le mari
peut tuer l’amant adultère seulement s’il l’a pris en flagrant délit
(deprehendere) dans sa maison. 7. Il convient que celui qui ne s’est pas
séparé de sa femme, alors qu’il l’a surprise en flagrant délit d’adultère, soit
poursuivi (postulare) comme coupable (reus) de proxénétisme (lenocinium).
8. Mais les esclaves du mari, aussi bien que ceux de la femme, peuvent être
mis à la torture (torqueri) dans une cause d’adultère, et la liberté qui leur
sera accordée dans l’espoir de leur offrir l’impunité (impunitas) ne sera pas
valide.
*
* *

Cette fois l’auteur de la Collatio legum associe deux passages disjoints


du texte biblique, puisque le premier relatif à l’union d’un homme avec
la femme d’un autre (punie par la mort des deux coupables) est extrait du
Lévitique, 20, 10, tandis que celui relatif à la séduction d’une vierge et à
l’indemnisation à verser au père est emprunté à l’Exode (22, 16-17). En
dépit de l’intention qui préside pourtant à l’ensemble de l’ouvrage qui
procède par rapprochements délibérés, au prix parfois de remaniements
artificiels ou de suppressions, cette fois l’auteur commet une erreur au
regard du droit romain : ce dernier n’englobe pas en effet sous le titre
d’adulterium toute liaison extra-conjugale, mais seulement, comme on va
le préciser, l’union sexuelle d’un homme avec une femme mariée [FRAKES
2011, p. 257-258].

Définition du mot, établissement du crime en droit


romain

Le mot « alter » désigne en latin « un autre » par opposition à


un individu déterminé, comme cela apparaît dans certains versets de
la Loi des XII Tables : « s’il a causé une infamie ou une ignominie envers
un autre » (XII Tab., 8, 1 : si infamiam flagitiumue alteri fecerit) ; « s’il a causé
un outrage envers un autre » (XII Tab., 8, 4 : si iniuria<m> alteri faxsit) (R21) ;
« s’il a causé un dommage envers un autre » (XII Tab., 8, 5 : si alteri rupitias
faxsit). Le même mot alter s’emploie également « par euphémisme pour
indiquer qu’une chose arrive autrement qu’elle ne devrait » [ERNOUT-
MEILLET 2001, p. 22]. Deux verbes se sont formés sur ce mot, altero, as qui
signifie « altérer, falsifier », ainsi qu’adultero, « altérer, corrompre », qui
désigne plus spécialement « corrompre une femme », comme l’attestent
par exemple deux passages du biographe Suétone : « César décide de
divorcer de Pompeia, considérant qu’elle avait été corrompue
(adulteratam) par Publius Clodius » (César, 6, 2, 3), à l’occasion de
la fameuse affaire des mystères de Bona Dea en décembre 62 av. J.-
C. [MOREAU 1982] ; Auguste fait mettre à mort un de ses affranchis
« convaincu de corrompre des matrones (adulterare matronas) » (Auguste, 2,
67, 3).
À partir du verbe adulterare s’est formé le substantif adulter que
l’étymologie populaire retenue par les grammairiens anciens (Festus,
p. 20 Lindsay) explique alors par association de représentations en
recourant de nouveau au mot « alter » : « on parle d’<homme> adultère
(adulter) et de <femme> adultère (adultera), parce qu’ils se portent celui-là
vers celle-ci, et celui-ci vers celle-là ». Il faut lever aussitôt toute
ambiguïté sur le sens de ces deux termes puisqu’on tient alors
la définition du crime : adultera désigne la femme mariée coupable de
relation sexuelle avec un autre homme que son mari, tandis que
le masculin adulter ne s’applique qu’à l’amant avec lequel le crime est
consommé.
La relation sexuelle d’un homme marié avec une autre femme que son
épouse n’a jamais été considérée par les Romains comme un crime, à
moins que précisément l’homme ne « corrompe » une femme mariée,
auquel cas il est poursuivi seulement en raison de cet acte, et comme
auteur de la « corruption » de la femme [THOMAS 1984b, p. 534, n. 74]. C’est
pourquoi, à l’instar des deux exemples cités ci-dessus, le verbe adulterare,
qui signifie donc « commettre un adultère » s’accompagne presque dans
tous les cas d’un complément d’objet au féminin (TLL, I, 1900, col. 883-
e
884). Ce n’est que chez les auteurs chrétiens, du III siècle au moins,
e
jusqu’au V siècle, que le principe de l’altération du mariage par la relation
extra-conjugale de l’homme s’exprime : « chez nous <les chrétiens>, ce qui
n’est pas permis aux femmes, n’est pas non plus permis aux hommes »
[FAYER 2005, III, p. 192-193].
Enfin, une dernière considération étymologique, conduit à saisir
d’emblée la principale dimension essentielle à ce crime. Elle est relative à
la progéniture qui pourrait être engendrée par la perpétration de l’acte.
Le verbe adulterare a également conduit à la formation d’un autre adjectif
adulterinus qui signifie « faux », dans le registre de la falsification de pièces
en se servant d’un anneau sigillaire appartenant à quelqu’un d’autre : « on
appelle cachets falsifiés (adulterina signa) ceux qui sont faits avec
les anneaux d’autres personnes (alienis anulis) » (Festus, p. 25 Lindsay).
Cette acception se retrouve chez Cicéron ou Tite-Live, elle s’applique
encore à la fausse monnaie, ou chez Varron (Économie rurale, 1, 40, 2), à
la conservation des semences qui, pour demeurer saines ne doivent pas
être mélangées à d’autres « afin qu’elles ne soient pas falsifiées en raison
de leur ressemblance ». Enfin, c’est au registre du sang et de
la descendance que renvoie une notice ethnographique de Pline l’Ancien
(7, 14) qui, en dépit des mœurs exotiques qu’elle décrit, est bien le reflet
d’une représentation toute romaine de la filiation par le sang : tous
les individus de la peuplade des Psylles d’Afrique du Nord, observe Pline,
se distinguent par une spécificité génétique. Leur corps, en effet, contient
une humeur (uirus) nocive pour les serpents, propre à les repousser ou à
les faire entrer en léthargie. Aussi les Psylles ont-ils pour habitude
d’exposer leurs nouveaux nés à la présence des serpents « les plus
cruels », afin de vérifier par ce moyen la « pudicité » (pudicitia) de leurs
femmes, « les serpents ne fuyant pas en présence des <nouveaux> nés
issus d’un sang falsifié (adulterinus sanguis) » – la falsification signifiant ici,
outre l’adultère, une relation non endogamique. Le fait est également
connu du poète Lucain (Pharsale, 9, 393-901) : « car ils [les Psylles]
craignent le mélange (mixtura) <issu> d’une Vénus étrangère (externa) ». Si
l’exposition des nouveaux nés aux serpents les plus venimeux étonne
les Romains, leurs craintes quant au mélange du sang est la cause
première de la condamnation de l’adultère, qui porte ainsi atteinte au
culte domestique et contamine l’identité de la gens [FUSTEL DE COULANGES
1864 ; ESMEIN 1886]. En produisant un mélange du sang (commixtio
sanguinis), l’adultère introduit un élément étranger à la famille [FAYER 2005,
III, p. 200-202], aussi sa désignation est-elle étroitement liée, outre
l’étymologie du terme lui-même, au registre lexical de la souillure
(polluere, corrumpere, maculare…). Le poète Ovide (Pontiques, 3, 3, 53) en rend
compte par une brève formule, « rendre la descendance incertaine »
(facere incertum genus), tandis que le Pseudo-Quintilien (Déclamations, 310,
p. 222 Ritter), s’adonne à un exercice d’école en imaginant le scénario d’un
homme comparaissant deux fois pour adultère et dont l’accusateur
s’exclame : « tu as fait irruption dans deux chambres à coucher, tu as causé
une atteinte (iniuria) à deux maris, tu as provoqué chez deux familles
le mélange (confundere) <issu> d’une souche (stirps) incertaine ».

La répression antérieure à la loi Iulia (18 av. J.-C.)

La mise à mort de la femme adultère remonterait aux origines mêmes


de Rome, puisqu’elle est attribuée par la tradition à une « loi royale » du
règne de Romulus :

6. Cependant les membres de la famille s’associaient parfois au


mari pour porter le jugement : c’est ainsi qu’on procédait en cas
d’adultère ou encore – faute qui passerait en Grèce pour la plus
vénielle de toutes – si on surprenait une femme à boire du vin.
Dans l’un et l’autre cas, en effet, Romulus autorisa la peine de
mort, considérant qu’il s’agissait des plus graves fautes qu’une
femme pût commettre et que l’adultère conduisait à la démence, et
l’ivresse à l’adultère 7. Pendant longtemps les Romains ont
persisté à punir ces deux crimes avec une vigueur inexorable, et
cette pérénnité même atteste l’excellence de la loi sur les femmes.
(Denys d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 2, 25, 6-7 ;
trad. V. Fromentin et J. Schnäbele)
Romulus établit aussi quelques lois : l’une d’elles, particulièrement
sévère, interdisait à la femme de quitter son mari, mais permettait
à celui-ci de chasser sa femme en cas d’empoisonnement d’enfants,
de substitution de clefs, et d’adultère. (Plutarque, Romulus, 22, 3 ;
trad. A.-M. Ozanam)

Au regard de l’histoire sociale, il est presque impossible de savoir pour


la haute époque, à moins de céder à quelque supputation, dans quelle
mesure cette « loi royale » a été appliquée : « la rigueur originaire
des tribunaux domestiques appartient à l’époque préhistorique et se laisse
plutôt conjecturer que prouver » [MOMMSEN 1907, II, p. 414]. En tout cas,
cette norme ancienne est encore réaffirmée dans la première moitié du
e
II siècle av. J.-C. comme un principe admis par Marcus Porcius Caton dit

« Le Censeur » (234-149 av. J.-C.), dont la seconde censure (184 av. J.-C.), en
effet, avait été marquée par une stricte surveillance des mœurs. Elle fut,
par les Romains, jugée exemplaire :

4. L’homme, dit-il, qui a décidé le divorce (diuortium) est, vis-à-vis


de la femme, un juge tenant lieu de censeur, il dispose du
commandement (imperium) comme il apparaît. Si quelque chose de
vicieux (peruersus) et de détestable (taeter) a été fait par la femme,
elle est punie (mulcare) ; si elle a bu du vin, si elle a commis quelque
chose de déshonorant (probrum) avec un autre homme, elle est
condamnée. 5. Si tu avais pris en flagrant délit (deprehendere) ta
femme dans l’adultère, tu la tuerais (necare) sans jugement (sine
iudicio) et sans encourir de peine (impune). Quant à elle, si tu
corrompais (adulterare) <une autre femme>, elle n’oserait te
toucher du doigt et elle n’en a pas le droit (ius). (Fragment du traité
Sur la dot de Caton le Censeur, cité par Aulu-Gelle, 10, 23, 4-5)

Aux siècles de la République, antérieurement donc à la loi d’Auguste,


le complice d’adultère était exposé aux coups du mari qui l’aurait surpris
en flagrant délit dans sa maison, voire à ses sévices, et sans aucun doute à
la mise à mort, sans que l’auteur de cette « vendetta » encourt
une punition quelconque pour s’être fait justice lui-même. Quelques
exemples éloquents – ils ont sans doute défrayé la chronique du dernier
siècle de la République, sans que l’identité ou le rang des personnages
cités puisse être précisés – ont été réunis par Valère Maxime :

Mais pour énumérer aussi rapidement ceux qui pour venger


la pudicité (pudicitia) ont eu recours à leur propre souffrance
(dolor) en lieu et place de la loi publique (lex publica), voici
Sempronius Musca qui a pris en flagrant délit (deprehendere)
C. Gallius dans l’adultère et qui l’a frappé (caedere) à coups de
fouets (flagella), C. Memmius qui a pris en flagrant délit de la même
façon L. Octavius et l’a assommé (contundere) à coups de fémurs
(pernae) ; Carbo Attienus qui avait été pris en flagrant délit par
Vibienus, et Pontius par P. Cerennius ont été castrés (castrare). Et
celui qui avait pris en flagrant délit Gnaeus Furius Brocchus livra
celui-ci à sa famille <servile> (familia) pour être violé (stuprare). À
ceux-ci qui s’étaient <ainsi> abandonnés à leur colère (ira), aucun
crime (fraus) ne fut <reproché>. (Valère Maxime, 6, 1, 13)

Une composition d’argent était toujours possible pour éviter toute


prolongation de l’exposition à ces coups et parvenir à un accord.
Le principe évoqué à ce sujet par le Pseudo-Quintilien (Déclamations,
279) se rapporte certainement à une période antérieure à la loi Iulia qui
précisément a cherché à mettre un terme à ce genre d’arrangement
pouvant déboucher sur une accusation de proxénétisme (lenocinium) (Coll.,
4, 12, 7) [FAYER 2005, III, p. 208] : « il est permis de tuer (occidere) l’<amant>
adultère ou de le laisser partir (dimittere), après avoir reçu de l’argent <en
contrepartie> ». Un exemple est resté fameux, puisqu’il concerne
le premier grand historien romain, réputé pour la sobriété de son style,
Salluste (86-35 av. J.-C.). Selon Varron (rapporté ici par Aulu-Gelle),
Salluste avait en effet été pris en flagrant délit d’adultère avec Fausta (la
fille de Sylla), la femme de Milon (sur ce personnage cf. R10) et il ne fut
relâché par ce dernier que contre une somme d’argent :

M. Varron, un homme d’une fidélité à toute épreuve et largement


reconnue, dans ses ouvrages autant que dans sa vie, dans le livre
qu’il a écrit, intitulé Pius ou Sur la Paix, dit que Salluste, l’auteur de
ce style sérieux et sévère dans l’histoire duquel nous voyons
s’élaborer les investigations des censeurs fut pris en flagrant délit
d’adultère par Annius Milon et qu’après avoir été copieusement
frappé (caedere) avec des lanières (lora), il ne fut relaché (dimittere)
que lorsqu’il eut donné de l’argent. (Aulu-Gelle, 17, 18)

La mort ne sanctionnait pas toujours l’adultère, la femme pouvait faire


l’objet d’une relegatio comme l’atteste l’exemple d’Appuleia Varilla. Cet
épisode de l’année 17 ap. J.-C. présente le cas d’une réactivation de
l’ancienne procédure domestique, telle qu’elle avait cours antérieurement
à la loi Iulia [THOMAS 1984b, p. 535-536].
Par conséquent, si avant la loi Iulia il n’y eut pas de dispositions
législatives définissant l’adulterium comme un crimen et instituant
une poursuite publique pour le réprimer, comment expliquer la remarque
du juriste Paul concernant le premier chapitre de cette loi (Coll., 4, 2, 2),
qui aurait rendu obsolètes (obrogare), soit par abrogation expresse, soit par
abrogation tacite (on en discute), les dispositions de la législation
antérieure ? Plutôt que de remettre en cause la véracité de l’observation
du juriste, il est permis de penser que les lois dont il est question ici et qui
ont fait l’objet d’une obrogatio – le terme désigne l’abrogation partielle
d’une disposition législative, par opposition à la formule abrogare legem qui
signifie une suppression totale – ne visaient pas spécifiquement l’adultère,
mais recoupaient certaines dispositions de la loi Iulia, notamment en
matière de meurtre, puisque l’affirmation du « droit de tuer » (ius
occidendi), allait à l’encontre par exemple, de la loi Cornelia sur
les assassins (R20) [MOREAU 2017, § 4]. Selon toute probabilité, la loi Iulia
est donc la première disposition législative en matière d’adultère. Elle est,
comme nous l’avons souligné en introduction de cet ouvrage, celle qui a
suscité le plus grand nombre de commentaires de la jurisprudence relative
à la procédure accusatoire : « cette loi est une innovation parmi les plus
énergiques et les plus durables qu’enregistre l’histoire du droit pénal. Elle
est restée jusqu’à la fin du droit romain la loi fondamentale pour ces
délits » [MOMMSEN 1907, II, p. 417]. Or sous ce titre de la Collatio legum, en
dehors des quelques paragraphes (Coll., 4, 4 ; 4, 5 ; 4, 6 ; 4, 7 ; 4, 11 ; 4, 12,
8) relatifs à la procédure pouvant être engagée contre l’auteur de tel crime
– il sont examinés plus bas –, il est essentiellement question du « droit de
tuer », selon qu’il est accordé au père ou, avec des restrictions, au mari.

Le « droit de tuer » du père, selon la loi Iulia

La loi accorde au père de la femme coupable, quel que soit le lien qui
l’unit encore en droit à sa fille – si celle-ci, par exemple, est passée par son
mariage sous le pouvoir (manus) du mari, l’initiative de ce transfert relève
encore en dernière instance de l’autorité paternelle (Coll., 4, 2, 1) –, de
mettre à mort son complice d’adultère, quel que soit le rang de celui-ci
(Coll., 4, 2, 5). Le commentaire de Paul (Coll., 4, 12, 1) précisant qu’il
importe peu qu’il s’agisse d’un père « adoptif » (adoptiuus) ou « naturel »
(naturalis), entendons un père biologique, ne saurait surprendre, puisque
l’exercice de la puissance de son propre père s’applique également dans
les deux cas. En revanche, l’indication selon laquelle même un fils de
famille (filius familias) qui aurait des enfants – c’est-à-dire un homme
marié vivant sous la puissance de son propre père – peut mettre à mort
l’amant adultère pourrait surprendre (Coll., 4, 12, 2) : elle signifie que la loi
Iulia innove en prenant en considération le lien instauré par le mariage,
plutôt que le cadre juridique qui définit le statut des personnes depuis
les origines du droit romain. Deux conditions doivent cependant être
remplies comme il faut le souligner.
La première, essentielle, est que le meurtre du complice soit
accompagné ou immédiatement suivi du meurtre de la fille elle-même
(Coll., 4, 2, 3). Si le geste du père s’arrête au meurtre de l’<amant> adultère,
alors cet acte isolé devient un homicide (Coll., 4, 2, 6 ; 4, 9, 1). Cet « arrêt »
peut être apprécié également à l’aune du temps écoulé. En effet, si le père
ne procède pas immédiatement ou dans la continuité du meurtre de
l’amant au meurtre de sa fille, s’il laisse passer un « délai » (interuallum), il
encourt alors une poursuite pour homicide. Comme son intention a fléchi
pour mettre à mort sa fille, la mise à mort de l’amant devient de fait
un assassinat (Coll., 4, 2, 7). Seule l’incapacité matérielle dans laquelle
le père s’est trouvé d’accomplir le meurtre de sa fille – si elle est parvenue
à fuir, par exemple – constitue une circonstance atténuante (Coll., 4, 9, 1).
La seconde condition autorisant le meurtre du coupable par le père
tient au lieu où le flagrant délit a été établi : il faut en effet que pour
demeurer impuni, le flagrant délit et le meurtre qui s’ensuit se produisent
dans la maison du père ou dans celle du mari (Coll., 4, 2, 3). Le succès
rencontré par la loi Iulia chez les juristes trouve ici une première
explication, puisqu’elle offre, on le voit, un terrain de prédilection à
l’élaboration du droit pénal, à l’établissement des conditions,
des circonstances atténuantes ou de l’intention qui préside à
la perpétration de l’acte criminel : il s’agit en effet d’établir la limite
spatio-temporelle qui sépare l’assassinat coupable de la licéité du meurtre.

Le « droit de tuer » du mari, selon la loi Iulia

Le mari n’a pas le droit de tuer sa femme et ce geste est considéré


comme un homicide (Coll., 4, 3, 1 ; 4, 10, 1 ; 4, 12, 3), mais il peut tuer
l’amant surpris en flagrant délit sous certaines conditions qui tiennent au
statut de ce dernier. En effet, alors que, sous ce rapport, le « droit de tuer »
du père est absolu, puisqu’il peut s’appliquer à un personnage du plus
haut rang (même un consulaire), ou à un personnage vis-à-vis duquel il
existe pourtant un devoir de pietas (un client face à son patron) (Coll., 4, 2,
5), sont énumérées pour le fils les catégories sociales les plus basses
comme si cette liste revêtait un caractère limitatif – un esclave,
un gladiateur, un professionnel des chasses de l’amphithéâtre,
une personne infâme, ou celle qui fait commerce de son corps, un homme
ayant encouru une condamnation publique. Cependant le statut n’entre
pas en ligne de compte, puisqu’il est admis que le meurtre peut
s’appliquer aussi bien à un individu qui a perdu la citoyenneté, c’est-à-dire
à un déditice – sur cette catégorie cf. R43 –, à un affranchi, ou même à
un citoyen (Coll., 4, 3, 2-4 ; 4, 12, 3). Mais qui établira les faits ? Alors
qu’aucune information précise n’est donnée à ce sujet pour ce qui
concerne le père, il est bien spécifié que le fils devra déclarer au juge
compétent, dans un délai de trois jours (Coll., 4, 12, 5), le meurtre qu’il a
commis, et se séparer de sa femme, sans quoi il n’a pas agi impune et il
demeure passible d’une poursuite pour meurtre (Coll., 4, 3, 5-6). S’il ne se
sépare pas de sa femme il encourt par ailleurs une accusation de
proxénétisme (Coll., 4, 12, 7). Deux décisions impériales sont invoquées
pour justifier cependant la mansuétude dont le juge doit faire preuve si
le meurtre n’a pas été accompli par le mari conformément au cadre légal :
selon un rescrit du règne conjoint de Marc Aurèle et de son fils Commode
(177-180), la peine doit être légère ; à l’occasion de plusieurs jugements,
l’empereur Caracalla (211-217) aurait épargné le mari meurtrier (hors
conditions légales) en considérant comme une circonstance atténuante
l’emportement qui avait présidé au meurtre. Le commentaire juridique
s’est alors inscrit dans les pas de telles décisions impériales, en
considérant que la perpétration du meurtre de sa femme par le mari
obéissait à une « impulsion honorable » : on ne saurait donc lui infliger
l’exécution capitale ou la deportatio (R43), mais seulement l’exil (c’est-à-
dire ici la relegatio ; R44, Coll., 4, 10, 1).
Pourquoi, interroge Papinien (Coll., 4, 8, 1), la loi sur la répression de
l’adultère aurait-elle spécifié « le droit de tuer » accordé au paterfamilias,
alors que ce dernier disposait depuis les origines de Rome d’un « droit de
vie et de mort » issu de la puissance paternelle (patria potestas) (R2) ? Il
faut tout d’abord rappeler que la mention d’une « loi royale » se heurte ici
à un principe de fond puisque la patria potestas ne pouvait procéder
précisément d’une décision législative : cette potestas étant elle-même
antérieure à la loi, la définition de ce pouvoir ne pouvait être issue de la loi
[HUMBERT 2018]. Cette loi royale peut être considérée comme relevant
d’une tradition juridique, plutôt que littéraire [CRAWFORD 1996, II, p. 562].
Par ailleurs, les termes mêmes de la confrontation entre « le droit de vie et
de mort » (uitae necisque potestas) sur le fils et le droit de tuer (ius occidendi)
la fille adultère, semblent conforter l’hypothèse selon laquelle le premier
énoncé est l’expression d’un pouvoir absolu et inconditionné [THOMAS
2018], tandis que le second appartient à un autre registre dicté par
les circonstances de son accomplissement : il s’agit de « procédures
répressives apparentées sociologiquement, mais que le droit pense
séparément » [THOMAS 1984b, p. 532]. Cependant, la réponse offerte par
Papinien ne se situe pas sur ce plan, elle est un rappel du principe
essentiel donnant au père le droit de tuer l’amant de sa fille, à savoir qu’il
accomplisse également le meurtre de sa fille, car c’est une obligation
ordonnée par la loi et non un droit issu de la puissance paternelle.
Parallèlement au « droit de tuer », reconnu principalement au père, et,
dans des limites plus contraignantes au mari, la loi Iulia sur la répression
des adultères établissait, à l’instar de toutes celles qui ont été votées pour
la répression de crimes spécifiques au dernier siècle de la République,
un tribunal de jurés (quaestio) permettant d’ouvrir une poursuite
criminelle, à l’initiative éventuelle, on va le voir, d’un accusateur extérieur
au cercle familial. Cette période marque donc un tournant puisque
la répression de l’adultère n’est plus désormais confiée en principe aux
proches réunis en consilium, mais l’acte devient un crime public, en dépit
de la résurgence ponctuelle, au moins dans le cercle des classes
dirigeantes et à l’initiative de l’empereur, d’anciennes formes punitives.
L’empereur Tibère (14-37), par exemple, proclama son souci d’obéissance à
la tradition ancestrale :

De son autorité (eo auctore) il ordonna que les matrones dont


la pudicité (pudicitia) avait été ruinée, au cas où un accusateur
public (accusator publicus) ferait défaut, seraient réprimées
(coercere) par leurs proches (propinqui), en vertu d’une sentence
décidée en commun (communis sententia). (Suétone, Tibère, 35, 1)

Ce retour à la coutume pourrait être rapproché d’un épisode survenu


au commencement du même règne, en 17 ap. J.-C. La petite nièce
d’Auguste, Appuleia Varilla, fut alors poursuivie à la fois pour lèse-majesté
et pour adultère (deux crimes régulièrement associés dans les poursuites à
l’encontre de membres de la famille impériale et permettant d’étendre
le cercle des complicités) [RIVIÈRE 2002a, p. 209-210]. Alors que « l’adultère »,
écrit Tacite (Annales, 2, 50, 1), « paraissait assez encadré par
les dispositions de la loi Iulia » (une poursuite pouvait être engagée devant
le tribunal adéquat), l’instruction pour lèse-majesté se poursuivit au
sénat, en présence du prince, conformément au déroulement fréquent de
la cognitio senatus où l’empereur apparaît comme le juge suprême (R11) :

Il [Tibère] délivra (liberare) Appuleia de la loi de majesté. Ayant


écarté par ses prières la peine la plus grave <sanctionnant>
l’adultère, il persuada ses proches (propinquii) de suivre l’exemple
des ancêtres et qu’elle soit éloignée (remouere) <en un lieu situé>
au-delà de la borne des deux cent milles. On interdit l’Italie et
l’Afrique à son <complice d’> adultère (adulter). (Tacite, Annales, 2,
50, 3)

On découvre ainsi, au détour d’un récit relatif aux affres de la famille


impériale (domus augusta) et d’une affaire d’État, ce qu’avait été plus
généralement aux siècles précédents l’atténuation de la peine de mort,
transformée en relégation, pour la coupable d’adultère, au-delà d’une
limite qui avait défini à l’époque républicaine une zone d’exclusion autour
de Rome [RIVIÈRE 2009a].
Mais enfin, au commencement de l’époque julio-claudienne, l’heure
était à l’entrée en vigueur de la loi Iulia votée plus de trente ans avant
la poursuite d’Appuleia Varilla. Comme on l’a dit, cette loi est au centre
des commentaires de jurisprudence, elle seule a fait l’objet de traités
spécifiques, parmi toutes les lois fondatrices de « jugements publics ». Elle
est donc fréquemment citée dans le Digeste. Ces très nombreux fragments
ayant fait l’objet d’analyses récentes très approfondies pour reconstituer
le contenu originel de la loi [FAYER 2005 ; MOREAU 2017b], nous nous en
tiendrons ici à la mise en perspective et à l’analyse des extraits conservés
sous ce titre de la Collatio legum, principalement centrés sur les aspects
procéduraux. Ces formes procédurales propres aux poursuites d’adultère
ont perduré jusqu’aux modifications importantes introduites par
Constantin (306-337) dans ce domaine.
La spécificité de la procédure ouverte par la loi contre l’adultère est
qu’elle distinguait un ordre de priorité parmi les personnes susceptibles
d’intenter l’accusation. Bien entendu le jeu des règles sociales et
les cercles de solidarité familiale ou de clientèle avaient toujours
déterminé un degré de légitimité variable dans le droit d’intenter
une accusation [DAVID 1992]. Le lien familial importait, mais également celui
de l’amitié (amicitia), comme l’atteste encore au début de la période
impériale la revendication des amis de Germanicus de répondre au
serment de vengeance envers le prince défunt, au détriment notamment
de la démarche spontanée d’un délateur simplement nourrie par
l’ambition de remporter une victoire judiciaire (et la récompense assortie)
(R11a). Mais la priorité accordée à certains accusateurs dans le cadre de
la législation augustéenne sur l’adultère, si elle répondait bien aux
exigences de conduites et de valeurs sociales, allait bien au-delà
puisqu’elle était définie en droit : il existait dans l’ordre, un « droit du
mari » (ius mariti), un « droit du père » (ius patris), et un droit accordé au
tiers, à l’étranger <à la famille> (extraneus). Pour que « le droit du mari »
puisse s’exercer, il fallait que le mariage (matrimonium) – à Rome, cette
union procède de la rencontre de deux volontés, mais elle n’est pas fondée
par un contrat – ait une existence juridique, appelée conubium ou ius
conubii, à savoir que soient rassemblées quelques conditions chez les deux
époux telles que l’âge (12 ans pour les femmes, 14 ans pour les hommes,
la capacité juridique, le statut civique, la non-consanguinité). Le citoyen
romain qui vit avec [une citoyenne] (la précision a ici été ajoutée dans
l’édition du texte de la Collatio legum par Mommsen pour une plus grande
clarté), dans la condition apparente du mariage (matrimonium), mais sans
remplir les conditions du conubium, ou celui qui partage sa vie avec
une femme « étrangère » (peregrina) ne peuvent prétendre, en cas
d’adultère, exercer prioritairement une poursuite (Coll., 4, 5, 1). Pas plus
que si la femme n’est que fiancée (sponsa), et pas encore épouse (uxor)
(Coll., 4, 6), conformément à la règle précédemment énoncée. Quant au
droit du père d’engager une poursuite, il peut s’exercer également contre
sa fille, alors même qu’elle aurait été « émancipée », tandis que « le droit
de tuer » ne pouvait s’exercer que si la fille était encore sous la puissance
du père, ou sous son autorité (Coll., 4, 7). Ce n’est qu’en troisième lieu,
passé un délai de soixante jours écoulés depuis le divorce (et sous un délai
de quatre mois écoulés, à l’issue desquels toute poursuite était prescrite)
que s’offrait à un tiers (extraneus) la possibilité d’ouvrir une poursuite, et
même si sa condition sociale l’empêchait d’agir dans d’autres causes
(Coll., 4, 4, 2). C’est à la lumière de ce dispositif distinguant trois niveaux de
droit que s’éclaire la disposition selon laquelle, si le mari ou si le père
abandonnent la poursuite, ils n’encourent pas la sanction habituelle
d’accusation infondée (calumnia), tandis que l’accusateur étranger à
la famille (extraneus) qui renoncerait en cours de poursuite en serait
passible (Coll., 4, 4, 1). Le dernier volet procédural relatif à la norme
instaurée par la loi d’Auguste réprimant l’adultère concerne la torture
des esclaves. Si ce rouage incontournable de la procédure criminelle, de
la République à l’Empire, a été évoqué ailleurs (R16), il faut souligner dans
le contexte précis de l’adultère la motivation du recours à cette forme
d’interrogatoire, car elle oppose de nouveau la démarche du mari ou du
père, à celle d’un tiers extraneus : le recours à la quaestio des esclaves de
la maison serait chez les premiers l’expression de leur volonté d’employer
tous les moyens nécessaires à la poursuite. Il importait en particulier au
mari de faire la démonstration de sa persévérance, car on sait qu’en vertu
de la même loi, le mari qui ne divorcerait pas de sa femme adultère, afin
de la faire condamner, serait passible d’une accusation de proxénétisme
(lenocinium). C’est donc une raison intrinsèque au déclenchement de
la poursuite qui justifie selon Papinien (Coll., 4, 11) la torture servile.
Lorsqu’elle est requise par le tiers qui aurait ouvert une accusation contre
la femme en question, le recours, mot à mot, à « une enquête recourant
aux instruments de torture (quaestio tormentum) » – la formule est presque
tautologique pour ce qui concerne les esclaves – se justifie cette fois par
une question pratique : l’adultère ne saurait être commis sans
la complicité ou sans l’entremise des serviteurs auxquels rien n’échappe
de la vie domestique.
Des empereurs tels que Domitien (81-96) ou Septime Sévère (193-
211) ont par la suite veillé à l’application de la loi Iulia. Mais que penser de
l’efficacité de cette répression, lorsque l’historien grec Dion Cassius (76,
16, 4) affirme qu’en 211, l’année de son consulat, il a pu découvrir, en
parcourant des archives judiciaires de la ville de Rome, trois mille procès
d’adultère en attente (Commentaire à R12) ? Aucune évolution notable de
cette législation n’est remarquable avant le changement décisif qui s’est
produit sous le règne de Constantin [EVANS GRUBBS 1995], et qu’illustre ici
tout particulièrement une loi de l’année 326 :

Quoique l’accusation d’adultère figure parmi les accusations


publiques (crimina publica) dont la dénonciation (delatio) est
accordée à tous sans distinction, sans interprétation quelconque
de la loi, cependant, afin que licence ne soit pas donnée à ceux qui
veulent à la légère souiller (foedare) des mariages (connubia), nous
décidons de n’accorder la capacité d’accuser (copia accusandi)
qu’aux personnes les plus proches (proximi) et liées par la parenté
(necessarii), à savoir au père, au cousin germain (consobrinus), et
principalement au frère consanguin (frater consanguineus), qu’une
douleur (dolor) véritable pousse à l’accusation (accusatio). Mais
nous appliquons également à ces personnes la loi qui leur permet
d’arrêter l’accusation (crimen compescere) par une annulation légale
de la poursuite (abolitio). C’est au mari, en premier, qu’il convient
d’être le vengeur (uindex) de la couche nuptiale, lui auquel, dans
des temps reculés, les empereurs antérieurs ont accordé
la possibilité d’inculper (ream facere) leur épouse à partir même
d’un soupçon et de ne pas être, dans des délais préétablis,
contenus par le lien de l’inscription (inscriptionis uinculum). En
outre, nous ordonnons que les étrangers <à la famille> soient tenus
à distance de cette accusation (accusatio). Car, quoique tout type
d’accusation soit astreint à l’obligation de l’inscription (necessitas
inscriptionis), cependant, ne sont pas peu nombreux ceux qui en
usent effrontément et qui déshonorent (deformare) les mariages
(matrimonia) par des outrages infondés (falsae contumeliae).
Affichée à Nicomédie le septième jour avant les calendes de mai
l’année du 7e consulat de Constantin Auguste et du consulat de
Constance César [25 avril 326]. (Code théodosien, 9, 7, 2 = Code de
Justinien, 9, 9, 29 (30))

Comme on le comprend à la lecture de ce texte, la législation


constantinienne constitue un tournant important pour deux raisons
principales : alors que dans la loi d’Auguste, en dépit de la priorité du mari
et du père, l’accusation lancée par un tiers était toujours possible passée
un certain délai, Constantin restreint la sollicitation des accusateurs
possibles au cercle proche des hommes de la famille. Par ailleurs, le texte
introduit une nouveauté radicale, quoiqu’elle soit présentée comme
obéissant à la tradition : alors que dans la loi d’Auguste le flagrant délit
était la condition de la poursuite, celle-ci peut être désormais engagée (et
abandonnée sans aucune sanction) sur « un simple soupçon ».
24

La souillure sexuelle (Collatio legum, tit. 5)

Titre 5. De ceux qui commettent une souillure (De stupratoribus).

1. 1. Moïse dit :
Celui qui est demeuré (manere) avec un mâle comme on demeure avec
une femme (muliebris) est un objet de mépris (aspernamentum).
Qu’ils meurent l’un et l’autre, ils sont coupables.
2. 1. Paul au second livre des Sentences sous le titre des adultères :
Celui qui a souillé (stuprare) un homme libre contre son gré (inuitus)
sera puni de la peine capitale (capite punire). 2. Celui qui, de sa propre
volonté (uoluntas), subit une souillure (stuprum), et un déshonneur
(flagitium) impur (impurum), est puni par la confiscation (mulctare) de
la moitié de ses biens, et il ne lui est pas permis de faire un testament de
la plus grande partie <restante>.
3. 1. Ce qui précède est en tout cas l’état du droit. Pourtant, on connaît
une constitution de l’empereur Théodose qui se conforme tout à fait à
l’esprit de la loi de Moïse.
De même le <Code> Théodosien (Item Theodosianus) [ou : « le même
Théodose » (idem Theodosius) dans FRAKES 2011] :
Les empereurs Valentinien, Théodose et Arcadius Augustes à
Orientius, vicaire de la ville de Rome.
Nous ne pouvons tolérer plus longtemps, ô Orientius, toi qui nous es
très cher et très agréable, que la ville de Rome, mère de toutes les vertus,
soit avilie (foedare) plus longtemps par la contamination (contaminatio)
d’une honte (pudor) efféminée chez l’homme, ni que, cette vigueur
paysanne issue des antiques fondateurs étant affaiblie par une plèbe
brisée par sa mollesse, un blâme (conuicium) soit infligé aux époques
des fondateurs ou des princes. Par conséquent, tous ceux qui s’adonnent
au déshonneur (flagitium) de condamner à la passivité de l’autre sexe
un corps d’homme, disposé (constitutum) à la manière des femmes – en
effet, rien ne les distingue alors des femmes –, lorsqu’ils auront été
arrêtés, comme l’exige la monstrosité (inmanitas) du déshonneur
(flagitium), et lorsque – c’est une honte de prononcer ces mots –
les maisons de prostitution pour hommes (uirorum lupanares) auront été
évacuées, l’expérience que tu as acquise et qui doit être louée les purifiera
par les <attaques> vengeresses (uindices) de la flamme sous le regard du
peuple, afin que tous sans exception comprennent que le refuge d’une
âme virile doit être considéré par chacun comme sacro-saint (sacrosantus),
et que le supplice suprême (summum supplicium) ne sera pas épargné à
celui qui, de manière hideuse, aura détruit son propre sexe, pour avoir
désiré en avoir un autre.
Affiché à la veille des ides de mai, à Rome, dans l’Atrium de Minerve
(Atrium Mineruae).

*
* *

L’extrait du Lévitique (20, 13) placé au commencement de ce titre punit


l’homosexualité masculine. Le choix de l’auteur de la Collatio legum de
recourir à cet extrait du Pentateuque, plutôt qu’à certaines dispositions
identiques du Nouveau Testament qui punissent l’homosexualité
masculine et féminine (Paul, Épître aux Romains, 1, 26-27 ; Première épître
aux Corinthiens, 6, 9) entre évidemment dans le débat sur son identité
religieuse, juive ou chrétienne. Soulignons toutefois que la formulation
paulinienne renvoie elle-même à l’Ancien Testament ou désigne
l’exclusion du « Royaume de Dieu », sans énoncer de manière comparable
une sentence de mort issue d’un jugement : le recours à l’Ancien
Testament paraissait revêtir plus de force à l’auteur de la Collatio legum
[FRAKES 2011, p. 264].

Vers une définition : « souillure » et valeur marchande


de l’esclave

Le mot stuprum a d’abord désigné anciennement au sens large


le « déshonneur » et « la honte ». Ce n’est qu’ensuite qu’il a revêtu le sens
spécial de « déshonneur résultant de la débauche ou du viol ; commerce
honteux ; adultère ; viol » ou « accouplement » [ERNOUT-MEILLET 2001, p. 659].
Il contient alors l’acception forte de « corruption », de « souillure », de
dégradation physique », comme en témoigne de façon emblématique
le registre de l’esclavage en raison de la perte de valeur marchande
occasionnée : un esclave peut avoir été « détérioré » (seruus corruptus),
une servante avoir été « déflorée » (ancilla deuirginata) ou un esclave
« souillé » (seruus stupratus) (Digeste, 1, 18, 21). Ou encore, une première
action pour « atteinte » (iniuriarum actio) est accordée au maître dont
l’esclave (serua) a subi un stuprum, une autre action pour « dommage »
(legis Aquiliae actio), si l’esclave qui a été « souillée » (stuprare) était
« impubère » (uirgo immatura) (Digeste, 47, 10, 25). L’action de seruo corrupto,
est également accordée contre quiconque aurait incité l’esclave à devenir
« débauché » (luxuriosus), désobéissant (contumax) ou disposé à « subir
une souillure » (stuprum pati) (Digeste, 11, 3, 2). Un esclave ne peut être
rendu par l’acheteur au vendeur, si entretemps il a été « détérioré »
(deterius), ou du point de vue de l’esprit (animus), ou du point de vue du
corps (corpus), par exemple, s’il a contracté une propension à devenir
« fuyard » (fugitiuus) en raison de la cruauté (saeuitia) de l’acheteur, ou s’il
a été « souillé » (stupratus) (Digeste, 21, 1, 23, pr.) [RIVIÈRE 2004, p. 270-271].
Le maître peut quant à lui disposer du corps de ses esclaves sans encourir
évidemment de poursuite pour « souillure », à condition toutefois, en
principe, de ne pas dépasser certaines limites dans la perversité (R22).
C’est donc ainsi, au prisme des rapports serviles, qu’on saisit le mot
stuprum, comme une « souillure » accompagnée de détérioration, plutôt
que comme un simple déshonneur moral ou un « attentat à la pudeur »
(comme on le traduit souvent), de la même façon que le mot adulterium
comporte l’idée première d’altération ou de « falsification » – au regard du
risque de fausse descendance, engendrée par la relation sexuelle d’une
femme hors mariage (R23). Il s’oppose par ailleurs à la notion de pudicitia
qui « tend à définir une pureté corporelle et morale pour tout citoyen » et
dont la signification est bien plus forte – elle relève de l’intégrité
physique –, que le simple sentiment de honte, le pudor [JALET 2016, p. 106].
Quant au terme employé dans le titre de la Collatio legum, ce n’est qu’à
l’époque impériale qu’est apparu le substantif stuprator (celui qui
« souille » ou qui « corrompt »).

Évolution de la répression, de la République


à la législation augustéenne

Pour ce qui concerne l’époque républicaine, le crime de stuprum a été


envisagé plus haut à quelques reprises : un triumvir capital, à en croire
une anecdote de portée morale (exemplum) recueillie par Valère Maxime,
aurait procédé à l’arrestation d’un centurion couvert de gloire militaire en
raison de la relation sexuelle sollicitée par ce dernier et qui avait conduit à
la souillure (commercium stupri) d’un jeune homme (adulescens) de
naissance libre (ingenuus) (R7j) ; durant l’épisode de la répression
des bacchanales, en 186 av. J.-C. (R8), les adeptes du culte se sont rendus
coupables, souligne Tite-Live à plusieurs reprises (39, 8, 7-8 ; 39, 14, 8 ; 39,
18, 4), de « souillures » et de « crimes » ; antérieurement, quelques procès
édiliciens [DAGUEY-GAGEY 2015, p. 164-187] ont été conduits sous ce même
chef d’inculpation en 295 av. J.-C. contre des « matrones », en 226 av. J.-
C. contre C. Scantinius Capitolinus. En 213 av. J.-C. de nouveau
des matrones furent poursuivies pour probrum (un terme voisin de
stuprum et qui désigne cette qualification) (R19Tb). La loi d’Auguste Sur
les adultères (entre 18 et 16 av. J.-C.) (R23) devait sans doute interdire de
manière générale dans son premier chapitre aussi bien le stuprum que
l’adulterium [MOREAU 2017b] :

Ces termes de la loi « que personne, par la suite, ne commette


sciemment (sciens) et frauduleusement (dolo malo) la souillure
(stuprum) et l’adultère » s’appliquent, et à celui qui a conseillé
(suadere) <de le faire> et à celui qui s’est jeté dans la souillure ou
l’adultère. (Ulpien, Sur la loi Iulia sur les adultères, extrait du livre 1
= Digeste, 48, 5, 13 [12])

La femme mariée : distinction essentielle du stuprum


et de l’adulterium

La clause selon laquelle l’acte devait avoir été commis « sciemment »


et « frauduleusement » pourrait surprendre. Il s’agit d’une précision que
les juristes interprétaient comme une protection de la femme mariée
victime d’un viol, en cas, par exemple, de capture chez l’ennemi (Digeste,
48, 5, 14 [13], 7 : « par ailleurs, celle qui souffre la violence ne se trouve pas
en situation d’être condamnée pour adultère ou souillure »), ou de celle
victime d’une bigamie involontaire [MOREAU 2017b]. Une bigamie délibérée
de la part d’un homme, à l’insu des deux femmes, est illustré par un rescrit
des empereurs Gallien et Valérien de l’année 258, en réponse à
une plaignante : dans ce cas, celui qui a feint le célibat, alors qu’il avait
déjà une épouse, pour réaliser un second mariage encourt l’accusation de
stuprum (R19Tt6). Mais par la suite la jurisprudence s’est employée à
distinguer l’application de ces deux termes : l’adultère ne pouvant
concerner qu’une femme mariée (la question de la légitimité de
la descendance ne se pose que dans ce cas), tandis que le stuprum ne visait
alors qu’une « vierge » ou une « veuve », ou encore un « enfant » (puer) :

La loi désigne sans les différencier (promiscue) et de manière très


abusive (katachrèstikôteron) la souillure (stuprum) et l’adultère.
Cependant, à proprement parler, l’adultère est commis avec
une femme mariée, ce terme ayant été formé sur le fait que le fruit
de l’enfantement a été conçu d’un autre (ex altero) <que le mari>.
En revanche, à l’encontre d’une vierge ou d’une veuve, on commet
une souillure, ce que les Grecs appellent phtora, c’est-à-dire
corruption. (Papinien, Sur les adultères, extrait du livre 1 = Digeste,
48, 5, 6, 1)
L’adultère est perpétré (admittere) avec une <femme> mariée
(nupta) : la souillure est commise (committere) avec une veuve
(uidua), avec une vierge (uirgo), ou un enfant (puer). (Modestin,
Des règles, extrait du livre 1 = Digeste, 48, 5, 35, 1)
Entre la souillure et l’adultère, certains pensent qu’il existe cette
différence que l’adultère est commis avec une femme mariée
(nupta), tandis que la souillure est commise avec une veuve (uidua).
Cependant, la loi Iulia Sur les adultères emploie ce terme sans
établir de différence. (Papinien, Des réponses, extrait du
livre 16 = Digeste, 50, 16, 101, pr.)

Les deux catégories de la « souillure » et de « l’adultère » sont


juxtaposées fréquemment dans les commentaires jurisprudentiels qui
insistent par conséquent sur la distinction entre ces deux offenses au droit
et aux bonnes mœurs et qui se trouvaient juxtaposées dans le premier
chapitre de la loi augustéenne. Par exemple, parmi différentes
circonstances envisagées, un mineur qui aurait prêté sa maison pour
qu’un adulterium ou un stuprum y soient commis tombe sous le coup de
la loi (Digeste, 4, 4, 37, 1), et aussi naturellement toute autre personne sans
critère d’âge, y compris celui qui aurait prêté la maison d’un ami et non
la sienne (Digeste, 48, 5, 9, pr.), et naturellement une femme qui aurait
prêté sa maison (48, 5, 10, 2). De même quiconque aurait reçu de l’argent
pour l’accomplissement d’un crime ou de l’autre (Digeste, 12, 5, 4, pr.).
Ailleurs la femme qui s’expose à l’adulter ou au stuprator, est distinguée de
celle qui fait commerce de prostitution (Digeste, 23, 2, 43, 1).
Ces développements de la jurisprudence concernent essentiellement
les relations hétérosexuelles. En quelques endroits cependant il est aussi
question de la tentative de séduction d’un adolescent par un homme d’âge
adulte. Comme on l’a vu, au travers de deux exempla d’époque
républicaine, la souillure était également un crime commis dans
les rapports sexuels entre hommes. Dans l’Antiquité romaine, pour le dire
brièvement (alors que la littérature moderne est particulièrement
abondante sur cette question, depuis les travaux fondateurs de Michel
Foucault et de Paul Veyne), le partage dans la désignation des conduites
sexuelles se faisait selon une représentation de pouvoir ou de domination.
Plutôt qu’un clivage entre hétérosexualité et homosexualité (masculine en
particulier), les Romains opposaient en particulier une conduite passive et
une conduite active, en y ajoutant les éléments relevant de la violence
(rapt et viol) : en témoigne, en particulier, une disposition de la loi Iulia
sur la violence (Digeste, 48, 6, 3, 4) : « En outre, est puni par la peine
<inscrite dans> cette loi, celui qui a souillé (stuprare) un garçon (puer),
une femme (femina), ou quiconque, en recourant à la violence (per uim) ».
À la différence des Grecs, les Romains considéraient qu’un homme, quel
que soit son âge, ne devait jamais être passif. C’est dans ce domaine
des relations sexuelles entre hommes que, dès l’époque républicaine,
le législateur s’est employé à réprimer certaines conduites. Bien sûr
d’autres critères tels que l’âge ou le statut juridique intervenaient
également :

L’impudicité (impudicitia) dans le cas d’un homme de naissance


libre (ingenuus) est un crime (crimen), une nécessité (necessitas)
dans le cas d’un esclave (seruus), un devoir (officium) lorsqu’il s’agit
d’un affranchi (libertus). (Sénèque le rhéteur, Controverses, 4, pr., 10)

Répression de l’homosexualité et de la prostitution


masculines : de la loi Scantinia (antérieure à 50 av. J.-
er
C.) à la loi de Théodose I (390)
Il se peut néanmoins que certaine loi ne se soit préoccupée que de
réprimer le stuprum entre les hommes – et dans le titre de la Collatio legum
auquel nous allons venir, il n’est question exclusivement que des rapports
sexuels entre les hommes. Ici trouve sa place le dossier complexe de la loi
Scantinia qui serait à l’origine de la répression de l’homosexualité
masculine dans la Rome républicaine : de date indéterminée, elle est
nécessairement antérieure à l’année 50 av. J.-C. [MOREAU 2017a], mais elle
ne peut être rapportée précisément, ni à l’année 226 av. et à l’épisode de
C. Scantinius Capitolinus (Commentaire à R19), ni à l’année 149 av. J.-
C. [contra JALET 2016] ; la procédure qu’elle introduisait (plutôt civile, que
criminelle) [MOREAU 2017a], est incertaine, même si on a voulu la mettre en
rapport avec l’apparition des tribunaux de jurys (quaestiones), en raison
d’une coïncidence chronologique supposée [JALET 2016]. Quant à son
er
contenu, il est à peine connu : les auteurs du I siècle de l’Empire sont trop
allusifs même s’ils attestent que la loi était encore en vigueur, tandis que
son souvenir demeurait présent dans l’Antiquité tardive chez quelques
e e
auteurs des IV et V siècles qui n’en précisent pourtant pas
les dispositions. Sans doute la loi réprimait-elle toutes les formes de
stuprum entre hommes [MOREAU 2017a], en prenant en compte
les considérations d’âge et de statut, à moins que les relations avec un puer
– déjà condamnées aussi bien par la coutume que par des dispositions
légales antérieures – n’aient été exclues de son contenu, qui n’intéressait
en conséquence que les relations consenties entre les hommes adultes de
condition libre [JALET 2016]. La mention la plus explicite de cette loi se
trouve chez Juvénal (Satires, 2, 29-33) qui mentionne les hommes
sexuellement passifs (les molles), ou encore un certain Hispo qui « subit »
(subire) des relations passives avec des jeunes gens (iuuenes), mais dont on
comprend qu’il adopte aussi bien un rôle actif.
Le fragment des Sentences de Paul cité par l’auteur de la Collatio legum
(5, 2) témoigne de l’aggravation des peines appliquées aux délits sexuels
dès la fin du IIIe siècle, de la même façon que d’autres délits sexuels ont
suscité à la même époque et dans les décennies suivantes des dérogations
à certaines garanties procédurales, pour favoriser la délation [RIVIÈRE
2002a]. Il faut préciser que dans ce fragment, toutefois, ce n’est pas l’acte en

lui-même qui est puni de la mort, mais le non-consentement, si l’acte est


réalisé « contre le gré » (inuitus) de l’homme objet du stuprum. L’objet de
la constitution de 390 est assez clair pour ne pas appeler plus
d’explicitation, sans vouloir céder cependant à la pudique retenue
des auteurs de l’interpretatio du Code théodosien qui précisent, pour tout
commentaire que « cette loi n’a pas besoin d’interprétation ». Un mot tout
de même de l’écart qui existe entre la version conservée par l’auteur de
la Collatio legum et celle, très abrégée, qui figure dans le Code théodosien, car
cet écart illustre de manière exemplaire les difficultés posées à la lecture
de la législation impériale, lorsque celle-ci ne subsiste qu’au travers
des Codes. Voici donc le fragment de la même loi, telle qu’elle a été
découpée par les questeurs de Théodose :
Tous ceux qui s’adonnent généralement à ce déshonneur
(flagitium) de condamner (damnare) à la passivité de l’autre sexe
un corps d’homme, disposé à la manière des femmes – ils ne
paraissent en effet se distinguer en rien des femmes –, expieront
(expiare) un tel crime (scelus) sous le regard du peuple par
les attaques vengeresses (uindices) de la flamme (flamma). (Code
théodosien, 9, 7, 6)

En le confrontant au texte plus complet de la même loi conservé dans


la Collatio legum, et en tenant compte des différents lieux d’affichage qui
peuvent laisser supposer l’existence de variations entre les deux versions
originelles, il n’est pas difficile de comprendre la technique
des compilateurs pour poursuivre l’effort de découpage attendu d’eux.
Toute la première phrase (Coll., 5, 3, 1) (« Nous ne pouvons tolérer… par
conséquent ») tombe, car elle constitue seulement un attendu de portée
morale et circonstantielle. Ensuite, tombe également l’évocation
des mesures de police, conjoncturelles et relatives à l’évacuation
des maisons de prostitution (Coll., 5, 3, 2), seule la définition du crime est
maintenue. La peine prescrite (le bûcher) est également conservée.
Tombent enfin l’explicitation finale sur l’exemplarité de la peine et
la considération redondante sur la « destruction » ou encore
la « corruption » du sexe (<sexum> suum perdere) et la volonté d’en avoir
« désiré » ou « attendu » un autre (alienum sexum expetere).

La constitution de 390 et la datation de la Collatio


legum…
La constitution de Théodose qui vient d’être évoquée revêt
une importance particulière au regard de la datation de la Collatio legum et
de la transmisssion du texte lui-même.
En dépit de l’hypothèse qui a été soutenue [VOLTERRA 1930, p. 100-101],
il paraît difficile de considérer celle-ci comme une interpolation, un ajout
postérieur à la confection de l’ouvrage, sans quoi le titre 5 sous lequel elle
figure (R24) serait à peu près vide. Dans ce cas la Collatio legum a été
rédigée après l’année 390, en dépit de l’isolement de cette constitution
postérieure de près d’un siècle à celles qui sont issues des Codes Grégorien
et Hermogénien. La Collatio legum aurait-elle suivi la publication du Code
théodosien ? Tout dépend si l’on accepte de considérer la formule Item
Theodosianus qui figure dans la constitution du titre 5 comme une erreur
de copiste, alors qu’il faudrait lire idem Theodosius… [FRAKES 2011, p. 52-57].
Quoi qu’il en soit, il faut presque assurément repousser l’idée d’un traité
qui serait le produit d’une stratification ou d’une élaboration progressive
et considérer plutôt qu’il est le résultat d’une seule main.
Les interventions de l’auteur plaident en faveur de l’unité, plutôt qu’en
faveur de l’intervention de différentes mains. Elles ne doivent pas être
interprétées comme des ajouts ou remaniements postérieurs, elles
témoignent au contraire d’une unité de structure, qu’il s’agisse de
la mention des « nouvelles constitutions » (« cependant il faut savoir
qu’en vertu des nouvelles constitutions, les plagiaires doivent être punis
par une sentence capitale ») (Coll., 14, 3, 6) (R32) ou encore de la citation
brève d’une constitution de Dioclétien et d’une observation sur sa datation
qui témoigne du travail de lecture (Coll., 6, 6, 1) (R25), d’une redondance
dans la citation d’un passage de l’Ancien Testament (Coll., 6, 7, 1) (R25),
d’une appréciation sur la portée d’une citation de Modestin « Modestin…
avance ce propos de portée générale » (Coll., 1, 12, 1) (R20), et surtout de
la fameuse déclaration péremptoire : « Sachez ô juristes, que Moïse a
établi cela antérieurement, comme le montre ce texte » (Coll., 7, 1,
1) (R26) [LIEBS 1987, p. 163-164]. Par une telle interpellation l’auteur semble
s’exclure lui-même du groupe des juristes [LIEBS 1987, p. 172], mais surtout il
manifeste la claire intention de montrer l’antérirorité de la loi mosaïque
sur le droit romain.
25

L’inceste (Collatio legum, tit. 6)

Titre 6 : Des noces incestueuses (De incestis nuptiis).

1, 1. Moïse dit :
Qui a couché avec une femme qui est l’épouse de son père, qui a mis a
nu les parties honteuses de son père, que l’un et l’autre encourent la mort.
Ils sont coupables. Et qui a couché avec sa bru, que l’un et l’autre
encourent la mort. Ils sont coupables.
2, 1. Ulpien, au livre unique des Règles sous le titre « des noces » :
Entre des parents et des enfants, à l’infini, quel que soit le degré <de
parenté> il ne doit pas y avoir de mariage. 2. Entre des cognats non plus,
en degré transversal, et jusqu’au quatrième degré, jadis il n’était pas admis
que des mariages puissent être engagés. Toutefois, il est désormais permis
d’épouser une femme issue d’un troisième degré, mais seulement s’il s’agit
de la fille d’un frère, pas d’une soeur, ni d’une tante du côté paternel
(amita), ni d’une tante maternelle (matertera), quoiqu’elles soient du même
degré. 3. Nous ne pouvons pas non plus épouser celle qui a été notre belle-
mère <une marâtre> (nouerca) ou notre belle-fille <la fille d’un premier lit>
(priuigna), ni celle qui a été notre belle-fille (nurus) ou notre belle-mère
(socrus). 4. Si quelqu’un épouse une femme qu’il n’est pas permis
<d’épouser>, il engage un mariage incestueux : c’est pourquoi ses enfants
ne passent pas sous sa puissance <paternelle>, mais ils sont illégitimes
(spurii), comme s’ils avaient été conçus occasionnellement (uulgo) <hors
mariage>.
3, 1. Paul au [deuxième] livre des sentences, sous le titre « des
noces » :
Selon le droit civil, les mariages ne peuvent pas être engagés entre
parents et enfants et selon le droit civil nous ne pouvons pas épouser
notre soeur, ni la fille de notre sœur (filia sororis), ni sa petite-fille
(proneptis). Pour ce qui concerne l’arrière-petite-fille le motif de l’âge s’y
oppose. 2. La parenté par l’adoption empêche dans tous les cas de figure
les noces entre parents et enfants et entre frères et soeurs jusqu’au point
où une capitis minutio n’a pas eu lieu. Il n’est pas permis d’épouser
une belle-mère (socrus) ou une bru (nurus), ni une belle-fille (priuigna) ou
une marâtre (nouerca), pas plus qu’une tante paternelle (amita) ou
une tante maternelle (matertera), sans quoi on s’expose à la peine réservée
à l’inceste. Mais celui qui épouse une alliée (adfinis) ou une parente
(cognata) contre cet interdit (contra interdictum), subit pour sa part la peine
de l’adultère édictée par la loi Iulia alors qu’on pardonne à la femme son
ignorance du droit.
4, 1. Le Code Grégorien, au cinquième livre, sous le titre « des noces »
indique qu’une union de cette nature doit être lourdement punie. Copie
d’un édit de Dioclétien et Maximien Augustes et de Constance et
Maximien très nobles Césars :
Parce que les choses qui ont été établies, avec pureté (caste) et sainteté
(sancte), par les lois romaines apparaissent hautement vénérables à nos
esprits pieux et religieux, et afin de veiller à la religion éternelle, nous
croyons qu’il ne convient pas de dissimuler les actes qui ont été perpétrés,
de manière abominable (nefarie) et impure (inceste), par certains dans
le passé : comme ils doivent être empêchés (cohibere), voire même punis
(uindicare), la discipline (disciplina) de notre époque nous encourage à nous
dresser contre eux. Ainsi, il ne fait pas de doute, en effet, que les dieux
immortels eux-mêmes seront favorables et bienveillants envers
la puissance romaine comme ils l’ont toujours été, s’ils reconnaissent que
tous ceux dont la conduite est placée sous notre empire, vivant dans
un repos pieux et religieux, mènent une vie chaste en toutes choses à
la manière de nos ancêtres.
2. Dans cette intention nous avons estimé qu’on fasse même en sorte,
autant qu’il est possible, qu’en ce qui concerne les mariages accomplis
religieusement et légitimement, conformément à la discipline de l’ancien
droit, tant pour l’honorabilité de ceux qui aspirent à l’union des noces que
pour ceux qui en naîtront par la suite dans le respect de la religion, on
commence à prendre des dispositions, pour que la descendance elle-même
soit aussi lavée <de toute impureté> (purgare) par l’honnêteté de
la naissance. Il a plu hautement en effet à notre piété que les saints noms
des parents (necessitudines) conservent chez ceux qui leur doivent
affection l’amour pieux et religieux qui est dû aux liens du sang
(consanguinitas). Il est en effet contraire au droit divin (nefas) de croire que
continueront des conduites dont il est avéré qu’elles ont été perpétrées
dans le passé par un grand nombre de personnes <qui> se sont précipitées
dans des unions (conubia) illicites (inlicita), sans aucun respect de la pudeur
(pudor) ni de la piété (pietas), suivant l’impulsion d’un désir abominable
(libido exsecranda), à la manière indistincte (ritus promiscuus) du bétail et
des bêtes sauvages.
3. Mais, quels que soient les actes qui semblent avoir été tolérés
jusqu’ici en raison de ces unions illicites dignes de la sauvagerie
des barbares (barbarica inmanitas), soit par l’inexpérience (inperitia)
des auteurs de la faute (delinquentes), soit en raison de leur ignorance du
droit (ignorantia iuris), quoiqu’ils méritent la punition la plus sévère,
cependant en considération de notre clémence (clementia), nous voulons
recourir à notre indulgence (indulgentia).
Toutefois, les personnes qui se sont souillées (polluere) par
des mariages (matrimonia) illicites (inlicita) et incestueux (incesta) avant
l’avènement de notre époque, quelles qu’elles soient, sachent qu’elles
demeurent bénéficiaires de notre indulgence, jusqu’au point seulement où
elles peuvent se féliciter qu’après avoir commis des crimes (facinora)
abominables (nefaria) la vie leur soit accordée. Qu’elles sachent cependant
que les enfants qui ont été engendrés par une union aussi abominable ne
sont pas légitimes. En effet, qu’il soit fait en sorte qu’à l’avenir également
personne n’ose se soumettre à des désirs effrénés, en sachant que ceux qui
ont commis de tels crimes (admissores) par le passé ont été libérés par
un pardon (uenia), mais que les enfants qu’ils ont engendrés de manière
illicite ont été écartés de la succession : les lois romaines s’y opposent
conformément à l’antique <tradition>.
Et nous aurions souhaité que rien de tel n’ait été perpétré par le passé
qui fasse aujourd’hui l’objet d’une remise <de peine> (remittere) grâce à
notre clémence ou qui soit redressé par les lois.
4. Mais après cela nous voulons que la religion et la sainteté soient
observées par chacun dans la conclusion des mariages, de telle sorte qu’ils
se souviennent de s’en remettre à la discipline et aux lois romaines et
qu’ils sachent que seules sont licites les noces permises par le droit
romain.
5. D’autre part, dans notre présent édit nous avons réuni la liste
des personnes qui comptent parmi les consanguins (cognati) ou les parents
par alliance (adfines), avec lesquelles il n’est pas permis d’engager
un mariage : ni avec une fille, ni avec une petite-fille, ni avec une arrière-
petite-fille, ou pareillement, ni avec une mère, ni avec une grand-mère, ni
avec une arrière-grand-mère, ou encore en ligne collatérale, ni avec
une tante paternelle (amita), ni avec une tante maternelle (matertera), ni
avec une soeur, ni avec la fille d’une soeur, ni avec la petite-fille de celle-ci.
De la même façon nous voulons que tous s’abstiennent <de s’unir> à
des parents par alliance (adfines) telles que la belle-fille (priuigna),
la marâtre (nouerca), la belle-mère (socrus), la belle-fille (nurus) et tous
les autres qui sont interdits par le droit antique.
6. Nos règles de droit ne sont en effet les gardiennes que de ce qui est
saint et vénérable et c’est ainsi que la majesté romaine est parvenue à
une telle grandeur par la faveur de toutes les divinités, parce qu’elle a
soumis toutes ses lois à une sage religion et à l’observation de la pudeur.
7. C’est pourquoi, nous voulons par le présent édit répandre aux yeux
de tous, que le pardon (uenia) des faits commis par le passé, qui semble
avoir été accordé par notre clémence contre l’ordre (disciplina), ne
concerne que les délits (delicta) qui semblent avoir été perpétrés
(commissa) avant le troisième jour précédent les calendes de janvier sous
le consulat de Tuscus et Anullinus.
8. S’il s’avère d’autre part que des actes contraires à la gloire du nom
romain et à la sainteté des lois ont été commis après le jour indiqué ci-
dessus, qu’ils soient punis (plectere) avec la sévérité qui convient. Et que
personne, en effet, alors qu’il s’est mis dans la situation d’un crime (scelus)
aussi abominable, ne puisse bénéficier d’un quelconque pardon, alors qu’il
n’a pas hésité à se précipiter dans un crime aussi évident, même après
notre édit. Donné aux calendes de mai à Damas, sous le consulat de Tuscus
et Anullinus [295 ap. J.-C.].
5, 1. Le Code Hermogénien sous le titre « des noces » :
Les empereurs Dioclétien et Maximien Augustes à Fl. Flavianus.
Ceux qui se sont engagés par erreur dans des noces incestueuses ne
sont pas soumis à des peines et la clémence des princes leur vient en aide,
si, après qu’ils ont découvert leur erreur, ils rompent sur-le-champ ces
noces contraires à la volonté divine (nefariae nuptiae).
Affiché aux ides de mars, sous le consulat de Tiberianus et Dion
[291 ap. J.-C.].
6, 1. Le Code Grégorien a également inséré sous le titre « des noces »
cette constitution qui est la trente-deuxième, en indiquant cependant
un autre jour et d’autres consuls, à savoir : constitution affichée
le cinquième jour avant les ides de juin sous le consulat de Dioclétien
(pour la troisième fois) et de Maximien [287 ap. J.-C.].
Papinien, au livre unique Des adultères :
Un homme qui avait épousé la fille de sa soeur, avant qu’il ne soit
accusé le premier (praeuenire) par un délateur (delator), a rompu cet
accouplement. Je demande s’il peut encore faire l’objet d’une accusation. Il
a répondu : envers celui qui s’est abstenu de bonne foi d’un accouplement
avec la fille de la soeur, il est clair que la peine doit être remise, parce que
celui qui ayant reconnu son erreur a rompu l’accouplement, on considère
que sa volonté a été telle que s’il avait su qu’il était placé dans ce degré de
parenté, il n’aurait pas contracté un mariage de cette nature.
7, 1. On dit la même chose de ceux qui se sont engagés dans des noces
incestueuses. Cependant, tous les auteurs d’incestes sont maudits en vertu
de la loi puisqu’elle a été fondée par un commandement divin pour
des peuples qui, alors qu’ils étaient jusque-là grossiers, se sont unis par cet
engagement. Et de la même manière tous les maudits que la sentence de
Dieu et des hommes a condamnés d’une seule et même voix, ont été punis.
La loi divine dit ceci :
Est maudit, a dit Moïse, celui qui a couché avec la femme de son père :
et le peuple de s’exclamer dans son ensemble : qu’il le soit, qu’il le soit.
2. Maudit, celui qui a couché avec sa propre soeur, par son père ou par sa
mère. Et le peuple de s’exclamer dans son ensemble : qu’il le soit, qu’il
le soit. 3. Maudit soit celui qui a couché avec sa bru (nurus). Et le peuple de
s’exclamer dans son ensemble : qu’il le soit, qu’il le soit. 4. Maudit soit
celui qui a couché avec sa belle-mère (socrus). Et le peuple de s’exclamer
dans son ensemble : qu’il le soit, qu’il le soit. 5. Maudit soit celui qui a
couché avec la soeur de son père. Et le peuple de s’exclamer dans son
ensemble : qu’il le soit, qu’il le soit. 6. Maudit soit celui qui a couché avec
la soeur de sa mère. Et le peuple de s’exclamer dans son ensemble : qu’il
le soit, qu’il le soit. 7. Maudit soit celui qui a couché avec la soeur de sa
propre épouse. Et le peuple de s’exclamer dans son ensemble : qu’il le soit,
qu’il le soit. 8. Maudit soit celui qui a dormi avec la femme de son frère. Et
le peuple de s’exclamer dans son ensemble : qu’il le soit, qu’il le soit.
9. Maudit soit celui qui a dormi avec n’importe quelle bête (pecus). Et
le peuple de s’exclamer dans son ensemble : qu’il le soit, qu’il le soit.

*
* *

L’auteur de la Collatio legum recourt ici, en le synthétisant, au fragment


du Lévitique (20, 11-12) qu’il avait laissé à l’écart dans les deux titres
précédents et qui les séparent dans l’ordre du texte. Il supprime à deux
reprises la formule « que leur sang retombe sur eux » qu’on trouve dans
le texte hébreu comme dans la Vulgate (sanguis eorum sit super eos), peut-
être pour établir un langage commun avec le droit romain, et rendre
la comparaison plus claire à ses lecteurs [FRAKES 2011, p. 264].

Étymologie et définition de l’incestus


L’étymologie du mot incestus doit être rattachée au terme de la langue
religieuse castus qui signifie « qui se conforme aux règles ou aux rites ».
Ainsi s’exclame Cicéron (Sur sa maison, 134), lorsqu’après son retour d’exil,
il dénonce la consécration par P. Clodius Pulcher d’un autel à
l’emplacement du terrain où s’élevait sa maison qui avait été rasée : « il n’a
rien accompli de conforme aux rites (rite), rien conformément aux règles
religieuses (caste), rien de conforme à la coutume (mos) ou à l’habitude
(institutus) ! » [BERTHELET 2016]. Mais cet adjectif a sans doute rencontré
un autre castus, issu du verbe careo (« manquer de », « être privé de ») dont
il a pris une partie du sens (« exempt de, pur de »), avant de revêtir
une valeur d’absolu « exempt de faute ou d’impureté ». Le terme incestus
est donc le contraire de castus, et il signifie « impur », « souillé », donc
« incestueux, coupable, criminel » [ERNOUT-MEILLET 2001, p. 104]. La souillure
par contact sexuel n’est donc qu’un cas particulier : le terme s’applique
alors aux relations sexuelles entre parents, mais aussi, le cas échéant à
l’adultère, c’est-à-dire à la relation sexuelle d’une femme hors mariage,
dans la mesure où l’adulterium recouvre également la même idée de
corruption (R23). Cependant, mise à part cette idée commune d’impureté
permettant de rapprocher l’adultère de l’inceste, il faut bien distinguer
ces deux catégories. L’hypothèse selon laquelle la lex Iulia de adulteriis
aurait dans certains de ses chapitres réprimé l’inceste ne paraît pas
fondée, en dépit des interférences qui pouvaient se produire entre ces
deux domaines de la répression des délits sexuels. Au regard de la loi
d’Auguste réprimant l’adultère, les deux catégories se recoupent
seulement sous l’angle de la procédure, dans la mesure où le mari d’une
femme adultère ne pouvait bénéficier de la prérogative de l’accusation
normalement réservée au mari (ius mariti), puisque précisément
le mariage incestueux n’était pas considéré comme légitime [MOREAU 2003,
p. 595-596]. L’inceste recouvre aux yeux des Romains deux comportements
différents, à savoir les unions matrimoniales et sexuelles prohibées entre
parents, d’une part, et la perte par la vestale de la virginité qui constitue
l’obligation de sa prêtrise, d’autre part [MOREAU 2002, p. 18-19]. Ce
rapprochement sémantique, tant débattu, pourrait provenir du fait qu’ici
et là, l’incestus consisterait en « une violation de la règle de répartition
des femmes » [MOREAU 2002, p. 137-150, en part. p. 143]. Nous n’évoquerons
pas ici le second registre qui relève de l’anthropologie et des institutions
religieuses, plutôt que de l’histoire du droit criminel. Soulignons
seulement la parenté entre la punition de la vestale, et la sanction d’autres
manquements au serment. La précipitation depuis la roche Tarpéienne a
en effet été pratiquée concurremment avec l’ensevelissement de
la prêtresse coupable (R34m).

Païens et chrétiens face à l’inceste

L’inceste est pour les Romains une faute contre l’ordre universel
garanti par les dieux, une rupture de la pax deorum : « l’inceste est donc
avant tout un désordre » [MOREAU 2002, p. 51-52]. Dans ce domaine comme
dans d’autres où interfèrent le religieux et le pénal, on a pu parler d’une
« laïcisation » qui se serait produite de l’époque archaïque à l’époque
impériale. Notons toutefois qu’au commencement de l’époque impériale,
en 48 ap. J.-C. (Tacite, Annales, 12, 8, 1), l’empereur Claude a fait accomplir
des « cérémonies sacrées » (sacra) et des rites expiatoires (piacula) – ils
étaient supposés remonter à l’époque royale – en forme de « punitions »
et de « procurations » (procurationes) de l’inceste qui avait conduit au
suicide de L. Iunius Silanus et à la relégation de sa sœur Calvina hors
d’Italie. L’inceste est donc un désordre religieux, et il constitue également
le pire des crimes, comme l’expriment par exemple ces quelques vers du
poète Catulle (84-54 av. J.-C. env.) :

Que fait-il Gellius, celui qui déborde de désir pour sa mère et pour
sa sœur, et qui, les tuniques jetées, veille d’un bout à l’autre de
la nuit ? Que fait-il celui qui ne permet pas à son oncle <paternel>
d’être un mari ? Sais-tu seulement combien il se charge de crime
(scelus) ? Il s’en charge à tel point, Gellius, que ni Téthys aux
limites du monde, ni Océan, père des nymphes, ne peuvent enlever
<ce crime> en le lavant (abluere) : car il n’est aucun crime au-delà
duquel il est possible d’aller, même si la tête baissée <son auteur>
lui-même se dévorait. (Catulle, 88)
Si l’inceste revêt un caractère « anti-naturel » chez certains auteurs,
les juristes invoquent plutôt quant à eux la perturbation des mœurs. L’idée
moderne d’une dégénérescence de la descendance liée à l’inceste, source
de naissances monstrueuses, ne paraît pas avoir été partagée par
les anciens [MOREAU 2002, p. 63]. Quant à la mythologie, si elle offre tant
d’exemples d’inceste, c’est précisément, est-il nécessaire d’y insister,
qu’elle ne constitue en rien un modèle pour la conduite des hommes !
Un principe que les auteurs chrétiens préfèrent ignorer en reprochant aux
païens l’immoralité du monde divin qui est le leur. Qu’il suffise de rappeler
quelques mots de l’Apologétique de Tertullien, composée à la fin du
e
II siècle :

De même, qui est plus incestueux que ceux auxquels Jupiter lui-
même enseigne ? (Tertullien, Apologétique, 9, 16)

Une telle répartie était une réponse à l’accusation d’inceste lancée par
les païens eux-mêmes à l’encontre des chrétiens pour dénoncer
la promiscuité de leurs cérémonies où les coreligionnaires se côtoient
entre « frères » et « sœurs »… Et Tertullien (Apologétique 9, 17-
18) d’argumenter encore – en songeant évidemment au mythe d’Œdipe –
en dénonçant la coutume de l’adoption chez les païens qui finit par faire
perdre la connaissance originelle des liens du sang et provoque
le « hasard » qui conduirait un jour un individu, ayant perdu toute trace
de sa filiation naturelle, à s’unir à un membre de sa famille par le sang.
Pour certains chrétiens (Tertullien, Apologétique, 9, 16), les Romains sont
englobés parmi les peuples, tels les Perses ou les Macédoniens, chez
lesquels l’inceste est accepté. Mettant à l’écart la controverse entre païens
et chrétiens, on admettra précisément que le contenu de telles
polémiques montre que les uns et les autres ont éprouvé la même
réticence à l’encontre de la perturbation des structures de la filiation par
des unions prohibées. Depuis Sophocle et les tragiques grecs, près de cinq
siècles avant le commencement de l’ère chrétienne, et jusqu’aux pères de
l’Église, jusqu’à l’oeuvre d’Augustin d’Hippone en particulier, la confusion
des termes de la parenté est apparue comme particulièrement
insupportable [MOREAU 2002, p. 120-128]. Cet attachement aux noms
(nomina) des parents (necessitudines) apparaît précisément dans
la constitution de 295 de Dioclétien (Coll., 6, 4, 2).

Romains, peuples soumis et « barbares » :


des prohibitions selon le « droit des gens » ?

Chez les auteurs païens de la littérature latine dont certaines pages


peuvent relever de l’enquête ethnographique (Cornelius Nepos, Sénèque,
Tacite), l’universalité de la prohibition de l’inceste est seulement
relativisée en raison des pratiques qu’ils attribuent à tel ou tel peuple
barbare, si bien qu’on peut parler chez ces auteurs « d’un relativisme
des valeurs morales et des normes légales dans le domaine
des prohibitions matrimoniales » [MOREAU 2002, p. 92]. Avec l’extension de
leur empire, évidemment les Romains ont été confrontés à cette question
de l’application stricte des règles qui étaient les leurs en la matière.
La prohibition de la sœur et de la tante, par exemple, a été appliquée en
Égypte uniquement aux citoyens romains, comme l’atteste un document
e
administratif du milieu du II siècle :

Il n’est pas permis à un Romain d’épouser sa sœur ou sa tante ; en


revanche, on a autorisé le mariage d’un homme avec sa nièce.
Pardalas a en effet prononcé la confiscation en cas d’union entre
frère et sœur. (Gnomon de l’idiologue, 23, trad. J. Melèze-
Modrzejewski dans GIRARD-SENN 1977, p. 531-532)
Quant à la tolérance de l’union entre l’oncle et la nièce, c’est
une dérogation du règne de Claude obtenue par un sénatus-consulte de
l’année 49 ap. J.-C. autorisant son mariage avec sa nièce Agrippine
la Jeune. L’attitude de tolérance de l’administration des Romains dans
le domaine des unions normalement prohibées les a conduits à distinguer
les prohibitions selon « le droit des gens » (ius gentium), s’appliquant aux
diverses nations qu’ils avaient soumises, et celles qui relevaient de
l’inceste selon « le droit civil » (ius ciuile) s’appliquant aux citoyens
romains. Ils limitaient ainsi l’étendue de la répression pénale dans ce
domaine. La question se pose néanmoins de savoir ce qu’il est advenu de
cette tolérance à l’égard des pratiques allogènes, lorsque la constitution
de Caracalla de 212 généralisa la citoyenneté à l’échelle de l’Empire : on
peut supposer en effet que « le séparatisme des systèmes juridiques…
devenait difficilement tenable dès que des individus ou des petits groupes
pratiquant d’autres systèmes d’alliance obtenaient la ciuitas » [MOREAU
2003, p. 595].
Cependant, l’édit de Dioclétien (Coll., 6, 4) témoigne d’une grande
rigueur dans ce domaine et de la volonté de réprimer les coutumes qui
seraient une atteinte à « la puissance romaine » ou à « l’ordre » (disciplina).
Au-delà de la simple conception personnelle de cet empereur [MOREAU
2002, p. 113], on serait tenté d’y voir le tournant d’une époque qui se
reflète à la fois dans l’exacerbation de l’opposition entre les chrétiens et
les païens, quelques années avant le déclenchement de la Grande
persécution en 303 et la volonté du pouvoir impérial de rétablir un ordre
de moral à l’issue des décennies de crise qui avaient affecté l’Empire [LANE
FOX 1997 ; ROBERTO 2014]. La constitution de Dioclétien contre
les manichéens (R33), sans doute de l’année 302, est assurément le reflet
d’une même préoccupation de pureté des mœurs et des traditions. Enfin,
la loi sur l’inceste assimile le comportement incestueux à celui des « bêtes
sauvages » et du « bétail domestique », conformément à une théorie
partagée durant l’Antiquité, selon laquelle l’inceste n’était pas réprouvé à
l’intérieur du règne animal, alors qu’une autre théorie élargissait aux
animaux la répulsion qu’elle suscite chez les humains [MOREAU 2002, p. 80].

Rome : une société « à structure complexe » ?

À la lumière des catégories élaborées par Cl. Lévi-Strauss et de


F. Héritier, il est possible de définir le monde romain comme une société à
structure complexe de parenté et d’alliance où le choix d’un conjoint n’est
pas seulement défini par la parenté, mais aussi par des raisons
psychologiques ou économiques. À la différence des systèmes
élémentaires, où les règles négatives d’interdiction sont complétées par
des règles prescriptives conduisant à épouser un certain type de conjoints,
le mariage romain n’a fait l’objet que d’un encadrement définissant
des interdits [MOREAU 2002]. Un principe fonde la règle de la prohibition de
l’inceste à Rome, quelle que soit l’époque considérée, avec la seule réserve,
naturellement, de la rareté des sources relatives à la période la plus
ancienne : « de tous temps, l’union fut prohibée entre parents et enfants
et plus largement entre ascendants et descendants de quelque degré qu’ils
fussent » [MOREAU 2002, p. 177]. Tout au long de l’histoire romaine
les unions entre frères et sœurs ont été prohibées. Des évolutions sont
perceptibles en revanche pour ce qui concerne les unions entre cousins
issus de germains (prohibées à l’époque archaïque, elles ne sont plus
interdites au commencement du IIe siècle av. J.-C.). Quant aux unions entre
cousins germains (consobrini), alors qu’elles apparaissent « pleinement
légales » sous le Principat (en témoignent les dynasties julio-claudiennes,
flavienne et antonine), ces mariages furent prohibés par Théodose Ier à
la fin du IVe siècle. Mais cette réforme fut de courte durée (elle est abolie à
l’initiative d’Arcadius en 405) et ce type d’unions finalement autorisé
jusqu’à l’époque byzantine. Il faut évidemment souligner le cas particulier
de la légalisation de l’union entre l’oncle et la nièce, qui fut admise par
un sénatus-consulte du règne de Claude [BUONGIORNO 2011, p. 274-278], en
48 ap. J.-C., afin de légitimer son mariage avec Agrippine la Jeune, la fille
du son frère Germanicus (Tacite, Annales, 12, 6, 7 ; Gaius, 1, 62). Cette
disposition visant l’intérêt immédiat du renforcement du lien dynastique
et la conservation du patrimoine à l’intérieur de la Domus Augusta
[THOMAS 1980 ; CORBIER 1994] ne fut pas, autant qu’on puisse en juger, à
l’origine d’une modification étendue des conduites matrimoniales dans
le monde romain. Toutefois, elle fut explicitement abolie par une loi du
31 mars 342, sous menace de peine de mort pour les contrevenants (Code
théodosien, 3, 12, 1). Or cette dérogation aux règles de prohibition de
l’inceste reconnue par un sénatus-consulte d’époque julio-claudienne
pour entériner la poursuite d’intérêts dynastiques dans une conjoncture
singulière constitue un indice des conditions dans lesquelles les textes
juridiques sont parvenus jusqu’à nous. En effet, comme on vient de
l’observer, la version complète de la constitution de 295 de Dioclétien
insérée dans le Code Grégorien est entièrement reproduite dans la Collatio
legum. Or la disposition d’époque julio-claudienne qui n’inclut pas dans
la liste des prohibitions l’union de l’oncle et de la nièce y est encore prise
en compte, puisque qu’elle ne figure pas dans la liste des unions prohibées
par Dioclétien. Cependant, dans le Code de Justinien (5, 4, 17), où
un fragment de ce texte a été conservé, la liste des prohibitions a été
élargie à l’union de la nièce et de l’oncle, comme si elle y avait toujours
figuré, alors même que la loi de Constance II remontant à l’année de 342 et
qui infligeait la peine de mort aux contrevenants n’a pas été retenue par
les compilateurs. Il s’agissait en quelque sorte d’effacer complètement
le souvenir d’une époque où de telles unions avaient été autorisées en
passant également sous silence leur interdiction en 342 [CORCORAN 2016,
p. CXI].
Outre les interdits pesant sur les relations entre cognats, se sont
ajoutées, sans doute à une époque plus récente, les prohibitions relatives à
la parenté par alliance (adfinitas), bien attestées par le droit classique qui
interdit les unions avec les anciennes belles-mères ou les brus, ou encore
celles avec les marâtres ou les filles d’un précédent lit de l’ex-épouse. Ici
encore un durcissement de la législation est apparu vers le milieu du
e
IV siècle au travers d’une loi du 30 avril 355 de l’empereur Constance II :

Quoique les anciens (ueteres) aient cru qu’il était licite (licitus),
une fois dissous le mariage du frère, d’épouser la femme de son
frère, et qu’il était licite également <pour un homme>, même après
la mort de sa femme ou un divorce, de contracter une union avec
la sœur de celle-ci, que tous s’abstiennent de ce genre de mariage
et qu’ils n’envisagent pas qu’il soit possible de procréer des enfants
légitimes à partir d’une telle association : car on s’accorde <à
reconnaître comme> bâtards (spurii) ceux qui naissent <de telles
unions>. (Code théodosien, 3, 12, 2)

Le christianisme ici n’est pas à l’origine de ce durcissement – et on sait


que dans la longue durée, l’expression d’une nouvelle morale sexuelle et
matrimoniale est apparue entre le dernier siècle de la République et
l’époque antonine (IIe siècle), bien avant la conversion de Constantin,
e
initiée en 312, et l’affirmation d’un Empire chrétien au IV siècle [VEYNE
1991, p. 35-63]. Il s’agit là en effet de l’application légale d’un principe qui
avait déjà été formulé au commencement de l’époque impériale, selon
lequel de telles unions n’étaient pas seulement adultères, mais
incestueuses [MOREAU 2002, p. 241]. Qu’en est-il enfin des prohibitions liées
à la parenté par adoption ? Elles ont créé un empêchement entre
ascendants et descendants sans limite de degré. Cet empêchement
existait-il seulement autant que durait la parenté ainsi créée ? C’est ce que
pourrait laisser penser la possibilité, après rupture légale du lien de
parenté (par mancipatio), d’épouser la sœur adoptive. Mais ce cas précis
s’oppose à toutes les autres situations où la dissolution du lien légal
n’entraîne aucunement l’effacement de celui qui avait été créé auparavant
(même après émancipation, un père adoptif ne peut épouser sa fille ou sa
petite-fille, ni l’ex-épouse de son fils) [MOREAU 2002, p. 259-263].

Formes procédurales et pénales de la répression


de l’inceste

Les formes de répression de l’inceste à l’époque la plus ancienne ne


sont pas précisément décrites par les sources et on en est réduit à l’état de
conjectures : sans doute ce crime était-il réprimé dans le cadre de
la juridiction domestique, lorsqu’il s’agissait de coupables alieni iuris qui ne
disposaient pas d’une autonomie juridique, tandis que la juridiction
pontificale serait intervenue pour les autres. Il fallait bien, en raison de
la nature particulière de ce crime, qu’intervienne une juridiction
extérieure [MOREAU 2002, p. 337]. À l’époque impériale, dans la mesure où
la loi de répression de l’adultère ne traitait de l’inceste que lorsqu’il
interférait avec le précédent crime, il est également difficile de préciser
la nature de la peine. Comme on l’a vu, la législation du milieu du IVe siècle
n’hésite pas à prescrire la peine de mort pour réprimer certaines unions
prohibées, mais il est difficile de penser, pour les trois siècles et demi qui
précèdent, qu’un inventaire, même exhaustif, des peines figurant dans
la jurisprudence ou les constitutions impériales [PULIATTI 2001, p. 316-325]
puisse conduire à une reconstitution systématique de la répression dans
ce domaine suivant les époques. En effet, la procédure s’était affranchie
sous l’Empire du principe antérieur de fixité de la peine défini par
la législation criminelle du dernier siècle de la République et du règne
d’Auguste (lois syllaniennes et juliennes notamment). Un inventaire
des textes peut éventuellement conduire à établir le recours par les juges
à la relegatio (R44), à la peine plus grave de la deportatio (R43), à
la confiscation, voire à la peine de mort (la formule de la Collatio legum, 6,
4, 3, uitam… concessam signifie précisément que la peine de mort est ici
épargnée), y compris dans ses formes les plus dures, comme le bûcher
(Code théodosien, 3, 12, 3 = Code de Justinien, 5, 5, 6). Une telle gradation est
commune à la répression de bien d’autres crimes sous l’Empire.
26

Le vol (Collatio legum, tit. 7)

Titre 7. Des voleurs et de la peine qui leur est infligée (De furibus et
de poena eorum).

1, 1. Quoique les XII Tables ordonnent de tuer le voleur de nuit en


toute circonstance et le voleur de jour s’il s’est défendu avec une épée ou
une arme de jet, sachez ô juristes, que Moïse a établi cela antérieurement,
comme le montre ce texte (lectio). Moïse déclare : Si un voleur a été
découvert de nuit en train de pratiquer une ouverture dans un mur, qu’un
autre l’a frappé et qu’il en est mort, celui qui l’a frappé n’est pas
un homicide. 2. Si toutefois le soleil s’est élevé au-dessus de lui, celui qui a
frappé le mort est accusé, et lui-même doit mourir.
2, 1. Paul, au cinquième livre des Sentences <sous le titre> « De la loi
Cornelia sur les assassins et les empoisonneurs » :
Si quelqu’un a tué un voleur qui agit de nuit (fur nocturnus) ou
un voleur qui agit de jour (fur diurnus), alors que ce dernier se défendait
avec une arme, il ne tombe pas sous le coup de cette loi. Toutefois celui
qui, après l’avoir appréhendé, l’aura présenté aux magistrats pour qu’il
soit remis au gouverneur aura agi de meilleure façon.
3, 1. Ulpien, au <dix->huitième livre du Commentaire à l’édit sous le titre
« Si un quadrupède a causé un dommage » :
On ajoute avec raison <la mention> « avec atteinte » (iniuria) à
<l’expression> « avoir été tué (occidere) ». Il ne suffit pas en effet que
quelqu’un ait été tué, il faut que l’acte ait été accompli avec atteinte <au
droit> (iniuria). Il s’ensuit que si quelqu’un a tué un esclave bandit (latro),
il ne tombe pas sous le coup de la loi Aquilia, parce qu’il n’a pas commis
<d’atteinte> en tuant. 2. Mais également celui qui a tué une autre
personne, quelle qu’elle soit, alors qu’elle l’attaquait avec une arme en fer,
ne sera pas considéré comme ayant tué contrairement au droit. Il s’ensuit
que si quelqu’un a tué un voleur nocturne, que la Loi des XII Tables a
autorisé de tuer, quelles que soient les circonstances, ou un voleur diurne,
ce que la même loi autorise également, à cette seule condition qu’il se soit
défendu avec une arme, examinons s’il tombe sous le coup de la loi
Aquilia. Pomponius hésite à savoir s’il faut recourir à cette loi. 3. En effet,
si quelqu’un a tué un voleur durant la nuit, nous sommes sans hésitation
sur le fait qu’il ne tombe pas sous le coup de la loi Aquilia. Si toutefois,
alors qu’il était en mesure d’appréhender, il a préféré tuer, il est mieux de
considérer qu’il paraît avoir commis une atteinte <au droit> (iniuria). De ce
fait, il tombe même sous le coup de la loi Cornelia.
4. Par ailleurs, il ne convient pas que nous entendions ici par atteinte
<à la personne> (iniuria) une offense quelconque relevant de l’action pour
atteintes, mais <comprenons au pied de la lettre> ce qui a été commis non
conformément au droit (non iure), c’est-à-dire contre le droit (contra ius), à
savoir si la culpabilité (culpa) de celui qui a tué est établie.
4, 1. Ulpien, au huitième livre Sur la fonction du proconsul, sous le titre
« Des voleurs » :
Les voleurs de jour doivent être remis (remittere) <aux tribunaux du>
forum, tandis que les voleurs nocturnes doivent comparaître <selon
les règles de la procédure> extraordinaire pour être entendus (audire) et,
lorsque l’enquête aura été menée à bien (causa cognita), pour être punis,
pourvu que nous sachions que leur peine n’excède pas une condamnation
au travail public (opus publicum) limitée dans le temps. Le même principe
s’applique aux voleurs qui sévissent dans les établissements thermaux
(balnearii fures). 2. Cependant, si les voleurs se défendent avec une arme,
s’ils ont agi par effraction (effractores) et dans toute autre circonstance
identique sans toutefois avoir porté un coup à personne, qu’ils soient
livrés, pour les humbles (humiliores), à la peine des mines, pour
les personnes honorables (honestiores), à la relégation.
5, 1. Paul au deuxième livre des Sentences sous le titre « Des voleurs » :
Que celui qui a été condamné pour vol, de quelque type que ce soit
(genus), soit rendu infâme. 2. Est voleur celui qui dérobe la chose d’autrui.
3. Les vols sont de quatre sortes : manifestes (furtum manifestum) ou non,
ceux qui sont attestés par une perquisition solennelle (furtum conceptum),
ceux qui sont attestés par la remise à un tiers des objets volés (furtum
oblatum). Le voleur manifeste est celui qui a été pris (deprehensus) sur
le fait et qui a été saisi (conprehensus) dans les limites du lieu où le vol a été
réalisé, ou encore avant qu’il ne soit parvenu dans le lieu où il cherchait à
se rendre. Celui qui n’a pas été saisi alors qu’il commettait sa rapine
(rapire) mais qui ne peut nier ce qu’il a commis est un voleur non-
manifeste. 4. Tombe sous le coup de l’action de perquisition solennelle
(concepti actio), celui chez qui l’objet volé a été découvert. Tombe sous
le coup de l’action de trafic (oblati actio), celui qui a remis à un tiers
la chose volée afin qu’elle ne soit pas découverte chez lui. 5. Peut agir en
vertu de l’action de vol celui dont l’intérêt s’oppose à la disparition de
la chose. 6. Peut agir en vertu de l’action en perquisition celui qui a
perquisitionné, c’est-à-dire découvert. Peut agir en vertu de l’action de
remise celui chez qui la chose remise a été perquisitionnée, c’est-à-dire
découverte.

*
* *
L’ouverture du titre est un extrait de l’Exode (22, 2-3). Cette disposition
concernant le vol de nuit et le vol de jour est répandue dans diverses
législations depuis le droit mésopotamien. Quant au volet romain du titre
consacré au vol, il débute par une singularité dans la forme qui doit être
soulignée avant d’envisager le contenu juridique des fragments de
jurisprudence rassemblés.

« Sachez ô juristes… » (que la Loi mosaïque est de plus


haute antiquité que la Loi des XII Tables)

L’auteur de la Collatio legum prend lui-même en effet la parole avant de


citer la Bible en apostrophant les juristes (« sachez ô juristes ») pour
souligner l’antériorité de la loi mosaïque par rapport à la Loi des XII
Tables. À quelle préoccupation répondait ce rappel impérieux ? S’agit-il
d’un auteur chrétien qui dans l’empire chrétien veut montrer aux juristes
païens l’harmonie (tout à fait artificielle) entre les prescriptions de
l’Ancien Testament et le droit romain ? S’agit-il d’un auteur juif également
préoccupé de souligner la même conformité ? Exposons ici les arguments
qui ont été réunis en faveur de l’une ou de l’autre hypothèse.
Les interprètes persuadés qu’il s’agit d’un chrétien soulignent que
les références à l’Ancien Testament sont entrées très tôt dans
la polémique entre païens et chrétiens, ne serait-ce précisément qu’en
raison de leur ancienneté, gage de respectabilité. À la fin du IIe siècle,
Tertullien souligne à l’occasion (Apologétique, 19, 3-4) l’ancienneté de
Moïse en comparaison des « sages », des « législateurs » et
des « historiens » païens ; ailleurs il rappelle que la religion chrétienne
elle-même est fondée sur les écrits très anciens des juifs (antiquissima
instrumenta) (Apologétique, 21, 1). Il écrit encore :

Eh bien, sachez cependant que vos lois elles-mêmes, qui vous


paraissent conduire à l’innocence, ont emprunté leur modèle
(forma) à la loi divine, en tant que plus ancienne. (Tertullien,
Apologétique, 45, 4)

Plus convaincant encore est le rapprochement avec un passage


des Chroniques (1, 17, 5-20, 1) de Sulpice Sévère (œuvre composée entre
400 et 403), un auteur chrétien qui a vécu dans la deuxième moitié du
e e
IV siècle et le début du V siècle et qui présente Moïse comme le plus

ancien législateur connu en confrontant précisément la loi mosaïque et


le droit romain afin de souligner la parenté de leurs principes [LIEBS 1987,
p. 172].
Cependant l’hypothèse de l’attribution de l’ouvrage à un auteur juif et
qui a fait date repose encore aujourd’hui sur une série d’arguments
difficilement contestables [VOLTERRA 1930]. Résumons-les brièvement. Ni
le Christ ni le message chrétien n’apparaissent à aucun moment dans ce
travail qui paraît ignorer entièrement le Nouveau Testament. À l’inverse,
en effet, des auteurs chrétiens qui à la même époque citent dès qu’ils
le peuvent l’Évangile pour manifester le renouveau de la première Alliance,
l’auteur de la Collatio legum le passe entièrement sous silence. Or, on ne
peut prétendre que pour ce qui relève des normes juridiques, seul l’Ancien
Testament est invoqué par les chrétiens. La patristique prouve
le contraire. L’auteur de la Collatio legum aurait donc pu citer des passages
du Nouveau Testament qui recoupent les normes mosaïques – que l’on
songe seulement au dossier de l’adultère [VOLTERRA 1930, p. 86-87]. Même si
les chrétiens rappellent occasionnellement que Moïse fut le premier
législateur, cette considération générale n’apporte rien au dossier, alors
que des sources chrétiennes, à commencer par le célèbre livre de droit
romano-syrien, préfèrent les sources évangéliques aux sources mosaïques
[VOLTERRA 1930, p. 8, n. 1]. Le fait même de considérer le Pentateuque d’un
point de vue juridique comme un recueil de lois civiles et criminelles et
d’en citer les passages qui ont une portée strictement légale est typique de
la pensée juive, alors que la pensée chrétienne considère ces mêmes
dispositions plutôt comme des principes moraux qui doivent être intégrés
à la parole du Christ. La question se pose donc de savoir quel intérêt
un auteur chrétien pouvait-il avoir de composer un ouvrage tel que
la Collatio legum, afin de démontrer la supériorité et l’influence de
la législation mosaïque sur celle des Romains, sans jamais rappeler, ne
serait-ce qu’une seule fois, l’existence des principes chrétiens ?
Considérons l’époque, le quatrième siècle : sous les empereurs chrétiens
l’Église commence à rayonner non seulement d’un point de vue spirituel
mais également politique, avec l’ambition de transformer la société
païenne. L’auteur de la Collatio legum apparaît plutôt comme
un « persécuté », auquel on interdit de suivre ses propres règles, plutôt
que comme un « vainqueur ». Par ailleurs les auteurs chrétiens à l’époque
marquent leur différence avec les institutions païennes. Ils cherchent à
montrer la « supériorité » des règles qui sont les leurs, plutôt que
la « conformité » de celles-ci à celles des païens. Par conséquent, selon
Eduardo Volterra, l’intention qui anime l’auteur de la Collatio legum
apparaît bien différente de l’esprit chrétien contemporain. Pourquoi
un chrétien aurait-il entrepris de vanter la supériorité de la loi mosaïque,
précisément à l’époque où les chrétiens entrent dans une polémique
grandissante contre les juifs ? L’époque de la Collatio legum est précisément
celle des attaques les plus virulentes – qu’il suffise de se reporter aux
écrits des Pères de l’Église à la même époque. Enfin, alors que les textes
chrétiens reprochent constamment aux juifs de n’avoir jamais voulu
respecter le droit romain mais de ne respecter que leur propre droit,
l’effort de l’auteur de la Collatio legum est différent. Il s’agit au contraire de
rappeler la conformité (et l’antériorité) du droit romain [VOLTERRA 1930,
p. 89-95]. Et que dire de la ligne de clivage soulignée par saint Jérôme :
Une chose sont les lois des Césars, une autre celle du Christ :
une chose est l’enseignement de Papinien, une autre chose celui de
notre Paul. (Jérôme, Lettres, 77, 3)

Ici l’argument reposant sur cette phrase isolée est peut-être moins
convaincant. Mais comment expliquer que l’auteur de la Collatio legum
mentionne à trois reprises (Coll., 1, 3, 1 ; 8, 4, 1 ; 14, 2, 2) le supplice de
la croix supprimé par Constantin ? Pourquoi cite-t-il dans leur intégralité
les constitutions moralisantes d’un empereur persécuteur des chrétiens
tel que Dioclétien (R25 ; R33) alors qu’inversement, on l’a vu, une seule
constitution illustre l’abondante législation des auteurs chrétiens du
e
IV siècle (et encore pourrait-il s’agir d’une interpolation) ? Un auteur

chrétien citerait-il Ulpien dont on sait qu’il avait consacré une partie de
son traité à la persécution des chrétiens ?

Domitius <Ulpianus> rassemble au livre 7 de son De officio


proconsulis des rescrits abominables (nefaria), des princes afin
d’enseigner quelles peines il convient d’infliger à ceux qui avouent
(confiteri) être des adeptes de Dieu (cultores Dei). (Lactance,
Institutions divines, 5, 11)

Ce dernier argument avouons-le n’est pas le plus convaincant


lorsqu’on sait le succès du traité Sur la fonction du proconsul dans l’Antiquité
tardive et que l’on songe plus simplement à l’œuvre des compilateurs du
Digeste à la cour de Constantinople, dont le travail placé sous l’autorité de
Dieu a puisé largement dans toute la jurisprudence et les rescrits
des empereurs païens. On ne tranchera donc pas ici la question de
la religion de l’auteur de la Collatio legum. Qu’il soit juif ou chrétien, cette
intervention « sachez ô juristes… » est l’une des plus expressives de
l’auteur, car elle dévoile à l’évidence l’intention qui a présidé à
la composition de son traité : sous chacun des titres, la conformité du
droit romain aux dispositions plus anciennes de l’Ancien Testament est
mise en évidence.

Les XII Tables : vol flagrant ou non, vol commis de nuit


ou de jour, vol à main armée et « invocation
par les larmes » (endoploratio)

L’apostrophe de l’auteur de la Collatio legum n’est pas sans évoquer


l’éloquence judiciaire d’un orateur qui se tourne vers les juges pour
les convaincre en leur adressant une « leçon » (lectio) fondée sur une pièce
à conviction. Or la subordonnée de concession qui ouvre la citation de
la Loi des XII Tables constitue précisément une paraphrase du discours
prononcé par Cicéron en défense de Milon après le meurtre de Clodius en
52 av. J.-C. (R10). Une telle citation ne signifie pas nécessairement que
l’auteur de la Collatio legum a fait lui-même cet emprunt au discours de
Cicéron qu’il avait certainement eu entre les mains, car il peut avoir
recopié la formule dans un manuel de droit ou de rhétorique où celle-ci
était citée à titre d’exemplum [FRAKES 2011, p. 273-274] :

Si les XII Tables ont voulu que le voleur qui agit de nuit (fur
nocturnus) soit tué impunément (impune), quelle que soit
la circonstance (quoquomodo), ainsi que le voleur qui agit de jour
(fur diurnus) s’il s’est défendu avec une arme, qui pense qu’il faut
punir une mise à mort accomplie quelle que soit la circonstance,
alors que parfois par les lois elles-mêmes l’épée (gladius) est offerte
pour tuer un homme ? (Cicéron, Pour Milon, 9)

Le texte de Cicéron, ainsi que les trois premiers fragments de la Collatio


legum (7, 1-3) comptent parmi les sources qui permettent de reconstituer
deux versets de la Loi des XII Tables (8, 12 et 8, 13) relatifs, d’une part, au
vol accompli la nuit, d’autre part au vol accompli de jour en possession
d’une arme, et qui peuvent être reconstitués de la manière suivante dans
leur brièveté originelle [HUMBERT 2018, p. 511-516] :

Si on a commis un vol (furtum) la nuit, si on le tue (occidere), qu’il


soit considéré comme ayant été abattu conformément au droit
(iure caesus esto). (XII Tab., 8, 12)
De jour… si on se défend avec une arme (telo defendere)… et qu’on
implore (endoplorare). (XII Tab., 8, 13)

L’interprétation de ces deux versets doit débuter par


la compréhension du verbe « implorer » (endoplorare) dont on trouve
la définition chez Festus :

Endoplorato signifie qu’il invoque avec des larmes (implorare) ; c’est-


à-dire appeler en criant (inclamare) par une plainte (questio) ;
invoquer avec des larmes c’est en effet demander (rogare) avec
des gémissements (fletus), ce qui se produit en particulier lorsqu’on
reçoit des coups (uapulare). (Festus-Paul Diacre, Endoplorato,
p. 67 Lindsay)

Le verbe endoplorare est donné pour synonyme de implorare qui peut à


son tour être rapproché d’un autre verbe, plorare, rencontré à propos
des violences commises par l’enfant ou la bru contre le père et que
sanctionne la déclaration de sacer (R1b1). Le recours à la plainte par
la victime du vol n’est pas la simple expression publique d’un désespoir
exprimé par des pleurs, il désigne un appel au secours, le fait d’ameuter
les voisins. Cette « convocation » de témoins constitue au regard du droit
une exigence pour que la victime puisse mettre à mort le voleur, sans
encourir elle-même de poursuite pour homicide. À la différence de
la déclaration d’homo sacer, il ne s’agit donc pas d’un « droit de tuer »
offert à tous contre un violateur de l’ordre civique et juridique, mais d’une
exécution qui appartient en propre à la victime du voleur. Cette exécution
ne peut donc avoir lieu qu’après avoir ameuté le voisinage, ce n’est qu’à
cette condition que la mise à mort est accomplie « conformément au
droit » (iure), ce qui n’est pas sans évoquer les termes mêmes de
la légitimation par le père d’Horace du meurtre accompli par ce dernier à
l’encontre de sa propre sœur (Tite-Live, 1, 26, 9 : se filiam iure caesam
iudicare) (R3a1) [HUMBERT 2018, p. 522]. Il ne s’agit donc pas à l’origine d’un
acte d’autodéfense (même si c’est ainsi qu’à l’époque impériale le droit
l’interprète, comme le reflète la Collatio legum) [contra MOMMSEN 1907,
p. 334-335], ni d’une peine accomplie par un particulier à la place
des pouvoirs publics, mais « d’un meurtre intégré dans l’ordre juridique »
[HUMBERT 2018, p. 527].
Le mot furtum en latin a une acception plus large que celle de
la soustraction de la chose d’autrui correspondant au sens moderne du
mot vol. Le furtum est « le détournement délictuel de la chose d’autrui »
(contrectatio fraudulosa rei alienae), ou mieux encore, en raison du sens large
de contrectatio, le « maniement » de la chose d’autrui, le fait même d’y
porter la main suffit à traduire l’intention délictuelle du détournement
qui peut suivre. La contrectatio est « un acte de maniement, de disposition,
dans lequel rentrent … non seulement des faits de soustraction qui
correspondent à la notion de vol moderne, … mais des faits qui
constitueraient aujourd’hui un abus de confiance, … une escroquerie »
[GIRARD 1929, I, p. 431-432]. C’est ainsi que Paul (Coll., 7, 5, 2) définit
le voleur comme « celui qui manie la chose d’autrui ». L’intention de voler
(affectus furandi) semble devenue nécessaire pour qu’il y ait furtum, alors
que l’erreur et l’ignorance écartent une telle qualification (Gaius,
Institutes, 3, 197), mais sans doute cet élément subjectif n’est-il apparu que
tardivement [HUMBERT 2018, p. 520]. En outre, à côté du vol de la chose
(furtum rei) qui correspond à la définition moderne du vol, existent
également le furtum usu (« tirer de la chose d’autrui un usage auquel on
n’a pas droit ») et le furtum possessionis (la dépossession du possesseur de
bonne foi par le propriétaire ou encore le dépouillement du créancier
gagiste). Ainsi le résume un fragment du juriste Paul :

Le vol est le maniement frauduleux (contrectatio fraudulosa) d’une


chose afin de réaliser un profit (lucrum), ou de la chose elle-même,
ou encore de son usage (usus) ou de sa possession (possessio). Ce
qu’il a été interdit de permettre en vertu de la loi naturelle (lex
naturalis). (Paul, Commentaire à l’édit, extrait du livre 39 = Digeste, 47,
2, 1, 3).

Étymologiquement, le substantif furtum doit sans doute être mis en


rapport avec le verbe ferre « porter », « emporter ». Il s’applique donc
originellement exclusivement aux meubles. Il peut revêtir aussi bien
un sens abstrait en désignant l’acte du vol ou un sens concret pour
désigner la chose volée. Le rapprochement du furtum avec l’adverbe furtim
relève de l’étymologie populaire, car l’idée de clandestinité est étrangère à
la qualification initiale [ERNOUT-MEILLET 2001, p. 262-263 ; HUMBERT 2018,
p. 521-522]. Les juristes ont pourtant tenté plusieurs rapprochements qui
évoquent cette idée :

Labéon dit que le mot vol (furtum) vient du mot sombre (furuus)
c’est-à-dire noir (niger), parce qu’il s’accomplit en secret et dans
l’obscurité et la plupart du temps de nuit ; à moins qu’il ne vienne
du mot « tromperie » (fraus), comme le dit Sabinus ; ou encore de
porter (ferre) ou emporter (auferre) ou d’une expression grecque :
<les Grecs> appellent phôres en effet les voleurs (fures), ou plutôt
les Grecs ont dit que phôres vient de pherein. (Paul, Commentaire à
l’édit, extrait du livre 39 = Digeste, 47, 2, 1, pr.)

Le fragment de Paul qui clôt le titre de la Collatio legum (7, 5, 1-


6) rassemble typologiquement les quatre situations de vol dont
la distinction remonte aux XII Tables.
Une première distinction, essentielle, oppose le vol flagrant (furtum
manifestum), c’est-à-dire lorsque le voleur est pris en flagrant délit et
appréhendé (fur manifestus), au vol non flagrant (nec manifestum). Si
l’étymologie de manifestum est obscure, le terme désigne assurément l’acte
d’appréhender le voleur au moment où il s’empare frauduleusement de
l’objet. Le coupable ne bénéficie alors d’aucune garantie processuelle,
d’aucun recours, il appartient dès lors à la victime qui l’a surpris et peut
être mis à mort. Bien sûr une composition est toujours possible pour
contourner l’acte violent, mais la répression du furtum manifestum reflète
l’application du principe vindicatoire de la répression privée qui
caractérise le plus ancien droit. Le verset relatif à la répression du furtum
manifestum (XII Tab., 8, 14) prescrit également pour l’esclave
une précipitation de la roche Tarpéienne (saxum Tarpeium) (R34c), sans
qu’on puisse décider si cette peine revêtait un caractère privé ou public
[HUMBERT 2018, p. 538-539]. En revanche, le furtum nec manifestum
appartient à un autre régime répressif, puisque sa répression résulte d’une
procédure contentieuse qui débouche sur le règlement du double de
la valeur de l’objet. Ainsi donc la Loi des XII Tables fait coexister deux
« strates historiques » ou « deux conceptions historiquement
hétérogènes », la première relevant de la justice privée, l’autre de
la justice de la cité [HUMBERT 2018, p. 533-540 et 563].

Les XII Tables : produit du vol (furtum) « découvert »


ou « apporté »
La Loi des XII Tables (8, 15) contenait également déjà une autre
distinction, relative cette fois à deux situations liées à la découverte de
l’objet du vol, lorsque celui-ci n’est plus entre les mains du voleur, mais
chez un tiers :

En vertu de la Loi des XII Tables, la peine du <produit du> vol


découvert (furtum conceptum) et celle du <produit du> vol apporté
(furtum oblatum) <chez un tiers> sont au triple <du montant de
la chose volée>. (XII Tab., 8, 15)
186. On parle de <produit du> vol découvert (conceptum furtum)
lorsqu’en présence de témoins (testes) la chose volée (fur<tiu>a res)
a été recherchée (quaerere) et retrouvée (inuenire) chez quelqu’un
d’autre <que le voleur>. Car une action (actio) a été établie
spécifiquement contre ce <tiers>, bien qu’il ne s’agisse pas du
voleur (fur) : on appelle celle-ci « <action> de <produit du vol>
découvert ». 187. On parle de <produit du> vol apporté (oblatum
furtum), lorsque la chose volée t’a été apportée par un autre et
qu’elle a été découverte chez toi, et surtout si elle t’a été donnée
dans cette intention (mens) qu’elle soit découverte chez toi, plutôt
que chez celui qui te l’a donnée. Car à toi, chez qui <la chose volée>
a été découverte, une action a été accordée, contre celui qui l’a
apportée, bien qu’il ne s’agisse pas du voleur : on appelle celle-ci
« action de <produit du> vol apporté ». (Gaius, Institutes, 3, 186-187)

Les deux actions ici décrites par Gaius ont subsisté jusqu’à l’époque
impériale. Pour ce qui concerne la première, l’action de vol découvert
(conceptum furtum), elle n’était intentée que si la personne soupçonnée
d’abriter chez elle la chose volée se prêtait à l’enquête. Si elle refusait son
concours, alors pouvait se dérouler une perquisition rituelle (XII Tab., 8,
15 b) désignée par l’expression suivante : « par le plat et par le pagne »
(lance et licio) [MOMMSEN 1907, III, p. 51-52]. Comme chaque énigme offerte à
l’anthropologie juridique par une formule lapidaire et expressive de
l’ancien droit, cette expression mystérieuse a donné lieu à de nombreuses
interprétations modernes – elle est sans hésitation certainement liée au
caractère inviolable de la « maison », de la domus, donc, et de ses dieux
protecteurs. Et le mystère demeure, comme souvent, si on s’en tient même
à la tentative d’explication fournie par les anciens, soucieux eux-mêmes
d’exégèse de faits sociaux et linguistiques disparus depuis des siècles. Pour
nous en convaincre et pour nous en tenir à un regard antique – à défaut de
pouvoir se satisfaire d’une interprétation moderne –, lisons Festus, alors
même qu’il est impossible d’expliciter les quelques éléments que
le grammairien rassemble afin de justifier son interprétation :

Chez les anciens, on disait « par le plat et par le pagne », parce que
celui qui venait rechercher (quaerere) <le produit d’> un vol (furtum)
dans la maison d’un autre, entrait ceint d’un pagne et tenait
devant les yeux un plateau, en raison de la présence de la mère de
famille (mater familiae) ou d’une jeune fille (uirgo). (Festus,
p. 104 Lindsay)

Sans doute le rite était-il déjà abandonné à l’époque de Plaute


[HUMBERT 2018, p. 549], c’est-à-dire au commencement du IIe siècle av. J.-C.,
au lendemain de la seconde guerre punique. Il n’en demeurait pas moins
présent dans les représentations, comme en témoigne une séquence du
Satyricon (97, 3) de Pétrone (Ier siècle ap. J.-C.) où, sur un mode comique et
romanesque, la perquisition « par le pagne et le plateau » est accomplie
dans une auberge : on y recherche une « chose volée », à savoir, en
l’occurrence, un esclave fugitif [RIVIÈRE 2004, p. 312-313].
e
La loi Aquilia de date incertaine (du début, sans doute, du III siècle
av. J.-C.) a aboli certaines dispositions antérieures et remontant à la Loi
des XII Tables en matière de dommage causé à la chose d’autrui. Elle
énonce ces dommages : tuer l’esclave d’autrui ; tuer un animal
domestique, un quadrupède appartenant à autrui ; porter atteinte à
la propriété d’autrui par destruction, incendie, pillage. Il faut que
le dommage causé résulte d’un acte malveillant : il porte le nom de
damnum iniuria datum, de « dommage causé en portant atteinte au droit ».
Le mot iniuria revêt donc ici son acception large et originelle, de
« contraire au droit », plutôt que spécifique, d’« atteinte à
la personne » (R21), comme le précise le fragment de la Collatio legum
(7, 3). Le dommage doit être physique et résulter directement d’un geste
(corpore). Celui qui a agi par omission n’encourt pas la sanction de la loi.
Comme on l’a vu, la répression du furtum a donné lieu à une action
pénale privée à partir de la Loi des XII Tables. La loi Aquilia a modifié en
partie la répression du vol. Peu à peu celui-ci s’est trouvé également sous
l’emprise du droit criminel, avec la lex Cornelia de sicariis (R20), comme
l’indique la Collatio legum (7, 2, 1). Les pouvoirs publics ont réprimé le vol –
à Rome, sous la République, les triumvirs capitaux en particulier en
étaient chargés (R7) –, d’abord concurremment avec l’action privée
intentée par la victime, puis pour répondre systématiquement aux
exigences du maintien de l’ordre à partir de l’époque impériale [SANTALUCIA
2009, p. 389-406]. C’est pourquoi le titre de la Collatio legum consacré aux
voleurs se réfère d’abord à la législation décemvirale, mais se rapporte
ensuite aux institutions du gouvernement des provinces à l’époque
impériale.
27

Le faux témoignage (Collatio legum, tit. 8)

Titre 8. Au sujet du faux témoignage (De falso testimonio).

1, 1. Moïse déclare :
Si un témoin de mauvaise foi (iniustus) se présente contre un homme
pour l’accuser, en l’accusant d’un acte impie, 2. que les deux hommes
entre lesquels existe ce contentieux réciproque se présentent devant Dieu
et devant les prêtres et devant les juges, quels qu’ils soient à l’époque
considérée. 3. Lorsque les juges auront enquêté (inquirere) avec soin et
lorsqu’on aura découvert (inuenire) le témoin de mauvaise foi dont
le témoignage est injuste, en se dressant contre lui, 4. vous agirez envers
lui, comme s’il avait voulu commettre une action criminelle (malefacere), et
vous supprimerez le mal parmi vous.
2, 1. Paul, au livre unique Sur les peines <prévues> par toutes les lois, sous
le titre « De la loi Iulia sur les adultères » :
Celui qui a prononcé un faux témoignage (falsum testimonium), encourt
une condamnation identique à celle qu’il aurait subie en vertu de la loi
Cornelia sur les testaments (lex Cornelia testamentaria).
3, 1. Paul, au cinquième livre des Sentences, sous le titre concernant
les témoins (testes) et les interrogatoires (quaestiones) :
Ceux qui ont prononcé des témoignages de manière infondée (falso) ou
contradictoire (uarie), ou bien en faveur de chacune des deux parties, sont
conduits en exil, ou relégués dans une île, ou écartés de la curie <où ils
siégeaient>.
4, 1. Le même au cinquième livre des Sentences sous le titre « De la loi
Cornelia sur les assassins et les empoisonneurs » (lex Cornelia de sicariis et
ueneficis).
La loi Cornelia frappe de la peine de déportation celui qui a tué
un homme (hominem occidere), ou qui s’est trouvé avec une arme (cum telo
esse) dans cette intention ou celle de commettre un vol (furtum facere),
celui également qui a détenu (habere) un poison, l’a vendu (uendere), l’a
préparé (parare) dans l’intention de mettre à mort un homme (hominem
necare), celui qui a prononcé un faux témoignage (falsum testimonium
dicere) pour que quelqu’un perde la vie (perire), ou celui qui a donné son
concours pour <infliger> la mort (mortis causam praestare). 2. Il a été décidé
de punir tous ces crimes (facinora), en infligeant la peine capitale (poena
capitis) à ceux de condition honorable (honestiores) ; quant à ceux de plus
basse extraction de basse extraction (humiliores), ils sont portés en croix
(in crucem tollere) ou jetés aux bêtes.
5, 1. Paul au cinquième livre des Sentences sous le titre « de la loi
Cornelia concernant les testaments » (lex Cornelia testamentaria) :
Celui qui a donné ou reçu de l’argent pour que soit fourni (perhibere)
un faux témoignage, celui qui a corrompu un juge ou fait en sorte qu’il soit
corrompu (corrumpere) pour qu’il prononce une sentence ou ne
la prononce pas, s’il s’agit de <prévenus> de basse extraction (humiliores),
ils subissent la peine capitale (capite punire), s’il s’agit de prévenus de
condition honorable (honestiores), ils sont déportés dans une île en même
temps que le juge lui-même après confiscation de leurs biens.
6, 1. Le même au même livre sous le même titre :
Le faux (falsum) consiste en toute chose qui n’est pas la vérité (ueritas),
mais qui est présentée comme le vrai.
7, 1. Ulpien, au huitième livre <Sur la fonction du proconsul>, sous
le titre « De la peine <prévue par> la loi Cornelia sur les testaments » :
En outre, un sénatus-consulte a été fait, sous le consulat de Statilius
Taurus et de Scribonius Libo, selon lequel la peine <prévue par> la loi
Cornelia est infligée à celui qui, en connaissance de cause, a scellé (signare)
ou fait en sorte que soit scellé quelque chose d’autre que le testament, de
même ceux qui, avec une mauvaise intention (dolo malo), ont exercé
une contrainte pour que soient faites de fausses dépositions (testationes),
ou que soient rédigés en retour, ou authentifiés, (consignare) de faux
testaments (testamenta). 2. De même celui qui a reçu de l’argent pour
fausser un procès par une défense (aduocatio) ou un témoignage
(testimonium) ou celui qui, dans le même but, a conclu un pacte (pactus),
est entré dans une association (societas) ou qui s’est entremis par quelque
accord <illicite> (pactio). Il en va de même si quelqu’un a formé quelque
association en vue de l’accusation d’innocents, chacun <d’entre eux>
tombe sous le sénatus-consulte qui a été fait <sous le consulat> de Cotta et
Messalla. 3. Quant à celui qui a reçu de l’argent pour dénoncer (denuntiare)
ou ne pas dénoncer, ou encore pour renoncer à un témoignage (remittere
testimonium), il encourt la peine de la loi Cornelia, en vertu du sénatus-
consulte qui a été fait sous le consulat des deux Gemini. Et ainsi de suite.

*
* *

Cet extrait du Deutéronome (19, 16-20), reproduit en l’explicitant


le neuvième commandement dirigé contre le faux témoignage (Exode, 20,
16 : « tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain »), cité plus
bas par l’auteur de la Collatio legum (9, 1). Il a pu être interprété comme
l’application, inspirée du droit mésopotamien, de la loi du « talion »
(Commentaire à R2, pour une définition du terme dans un contexte
romain). Cependant, le passage retenu n’exprime pas à proprement parler
la logique du talion, dont la formulation emblématique apparaît
immédiatement dans la suite du passage cité, sans être retenue
(Deutéronome, 19, 21 : « Tu ne t’attendriras pas : vie pour vie, œil pour œil,
dent pour dent, main pour main, pied pour pied »).

Définition et origines du crime de faux : de la Loi


des XII Tables à Sylla

Notre texte offre à un endroit (Coll., 8, 6) la définition la plus large du


crime de « faux » (falsum) en droit romain, à savoir « faire passer pour vrai
ce qui n’est pas la vérité ». Cet énoncé de portée très générale est extrait
des Sentences de Paul, c’est-à-dire d’un texte de la fin du IIIe siècle ap. J.-
C. Plutôt qu’un point de départ, il constitue un point d’arrivée au terme
d’une évolution de la notion de « faux » qui débute au milieu du Ve siècle
av. J.-C., avec deux versets de la Loi des XII Tables (8, 23 ; 9, 3) et qui
franchit une étape décisive avec la loi de Sylla relative aux faux (cette
législation syllanienne contient certainement les éléments d’une
législation intermédiaire qu’on devine à peine), la loi Cornelia de falsis de
81 av. J.-C., également appelée loi Cornelia testamentaria. Elle est parfois
confondue avec une loi Cornelia nummeraria en raison de dispositions qu’on
lui attribue, relatives pour les unes aux falsifications testamentaires
(destruction, substitution, altérations), pour les autres à la fausse
« monnaie » (nummus). Cette évolution de la législation sur le falsum se
poursuit avec une série de dispositions du commencement de l’époque
impériale (sénatus-consultes, et jurisprudence) et par la pratique
des tribunaux, contemporaine de cette production normative. Ces
dispositions récentes élargissent le crime de faux à une série d’actes qui
excèdent le droit testamentaire, notamment le faux témoignage et
le recours à de faux documents officiels. Au fil des siècles, le droit est donc
parvenu à une notion universelle, toujours ancrée cependant dans sa
double origine procédurale, relative à la fois au témoignage porté devant
un tribunal (législation décemvirale) et au droit testamentaire (législation
syllanienne).
Le verset 8, 23 de la Loi des XII Tables qui condamnait le coupable au
supplice de la roche Tarpéienne (R34) se limitait-il au seul faux
témoignage judiciaire privé et instrumentaire (pour l’accomplissement
d’un acte privé), comme l’avait avancé Th. Mommsen ? À l’époque
décemvirale, la condamnation du débiteur dans une procédure privée
l’exposait à la mort et pouvait être, au regard du faux témoignage,
assimilée à un procès capital. Il y a tout lieu de penser que ce verset
concernait les deux types de faux témoins, aussi bien « le faux produit
dans une action privée que celui déclaré dans une action criminelle
publique », et que la Loi des XII Tables constitue donc « l’antécédent
législatif » de la législation syllanienne [HUMBERT 2018, p. 629-633]. Il est en
revanche plus incertain d’avancer à l’appui de l’épisode de Volscius Fictor
(R6), que les questeurs du parricide ont été les magistrats régulièrement
investis de telles poursuites [HUMBERT 2018, p. 132-133]. Ce récit revêt sans
doute une valeur paradigmatique, très discutée par la doctrine, mais il est
isolé et « forgé » par Tite-Live.
Un autre verset de la Loi des XII Tables (9, 3) punit quant à lui
la corruption du juge qui, dans une affaire sanctionnée à cette époque par
la remise du coupable à la victime qui peut le mettre à mort, est assimilé à
un meurtrier :

Cette loi qui punit <de la peine> capitale (capite punire) le juge
(iudex) ou l’arbitre (arbiter) qui a été désigné conformément au
droit (iure datum) et qui a été convaincu d’avoir reçu de l’argent
pour se prononcer sur une affaire (rem dicere). (Aulu-Gelle, 20, 1, 7-
8)
Il y a tout lieu de penser là encore, en comparaison précisément avec
le verset précédent, que ce qui s’applique ici à la procédure privée valait
également dès l’époque décemvirale pour la procédure criminelle
publique [HUMBERT 2018, p. 684-685]. Le rapprochement établi par la loi
syllanienne sur les assassins et les empoisonneurs (lex Cornelia de sicariis et
ueneficis) (R20) entre le juge corrompu et le faux témoin qui provoquent
l’un et l’autre la mort du prévenu remonterait également à la Loi des XII
Tables :

En outre, tombe sous le coup de la loi <Cornelia de sicariis et


ueneficis> celui qui, pour mettre à mort un homme (hominis necandi
causa), a fabriqué (conficere) un poison (uenenum) ou l’a fourni
(dare) ou celui qui a prononcé un faux témoignage (falsum
testimonium dicere) dans l’intention de nuire (dolo malo), pour que
quelqu’un soit condamné dans un jugement public (iudicium
publicum) dans une affaire capitale (res capitalis), ou celui qui,
magistrat (magistratus) ou juge d’un tribunal d’enquête (iudex
quaestionis) a reçu de l’argent dans une cause capitale, pour que
quelqu’un soit poursuivi en vertu de la loi publique. (Marcien,
Des institutions, extrait du livre 14 = Digeste, 48, 8, 1, 1)

De la législation syllanienne aux sénatus-consultes


d’époque Julio-claudienne

Si la législation syllanienne a constitué assurément une étape


essentielle dans la répression du falsum, il est très difficile de reconstituer
le contenu d’une loi (ou de plusieurs lois ?) dont les termes ne sont jamais
précisément cités. On s’accorde souvent à reconnaître qu’elle rassemblait
à la fois des dispositions relatives à la falsification de testaments, d’une
part, au faux monnayage, d’autre part, à moins qu’il ne s’agisse
précisément de deux lois différentes. Le texte de Cicéron (Verrines, 2, 1,
108) sur lequel repose la discussion invite à choisir plutôt cette deuxième
interprétation : « la loi Cornelia sur les testaments, sur la monnaie, et
beaucoup d’autres » (Cornelia testamentaria, nummaria, ceterae complures)
[CROOK 1987, p. 163]. On discute également pour savoir si les dispositions
contenues dans la jurisprudence et qui invoquent la loi en question sont
bien originelles, ou si elles en constituent une application élargie.
L’énoncé suivant est emblématique de ce type d’incertitudes :

Paul a répondu qu’encourent la peine de la loi Cornelia tous ceux


qui en dehors même des testaments (testamenta) ont imprimé de
leur sceau (signare) d’autre faux <documents> (falsa). (Paul,
Des réponses, extrait du livre 3 = Digeste, 48, 10, 16, 1)

Quoiqu’il en soit, il est certain qu’au commencement de l’époque


impériale, sous le règne de Tibère (14-37 ap. J.-C.), trois sénatus-consultes
ont élargi le champ répressif de la loi Cornelia (Coll., 8, 7). Le premier,
le senatus consultum Libonianum, remonte à l’année 16 ap. J.-C. c’est-à-dire à
l’année du consulat de Sisenna Statilius Taurus et Lucius Scribonius Libo –
ce dernier n’est autre que le frère de M. Scribonius Drusus Libo dont
le procès de lèse-majesté à la fin de la même année a déclenché
le bannissement des astrologues (R33). L’identification de ces deux consuls
est certaine en dépit des erreurs de copiste qui ont corrompu le texte de
la Collatio legum [FRAKES 2011, p. 279]. Ce sénatus-consulte infligeait la peine
de la loi Cornelia testamentaria à l’altération du testament scellé et à
la contrainte visant à obtenir des dépositions (testationes) pour modifier
le testament. Le texte précisait que les impubères impliqués dans de tels
actes étaient jugés irresponsables (R39i). Quatre ans plus tard, en 20 ap. J.-
C. (ou peut-être plus tard encore en 28 ap. J.-C.), par une nouvelle décision
du sénat était punie toute personne faisant obstacle à un témoignage ou à
une défense en justice, ainsi que toute ligue ou forme associative créée
dans le but de mettre à mort un innocent [VOLTERRA 2018, p. 504-505]. En
29 ap. J.-C., le Senatus consultum Geminianum réprimait la corruption visant
à susciter une dénonciation, à l’empêcher ou à renoncer encore à
un témoignage.
Quant au texte de la Collatio legum, il indique tout d’abord que la loi
Cornelia sur les testaments s’applique au faux témoignage (Coll., 8, 2).
Les deux paragraphes suivants reflètent les préoccupations récurrentes de
l’auteur des Sentences de Paul dans l’application et la gradation des peines.
Les déclarations fausses et contradictoires sont sanctionnées de « l’exil » –
l’exilium désigne ici nécessairement la déportation (R43) –, de
la relégation (R44) ou de l’exclusion du conseil de la cité. Cette gradation
de la peine la plus forte vers la plus faible couvre un spectre qui ne peut
s’appliquer qu’aux « personnes honorables » (honestiores). Il s’agit encore
d’eux dans le paragraphe suivant (Coll., 8, 4) : lorsqu’en effet l’auteur
des Sentences de Paul affirme que la « loi Cornelia sur les assassins et
les empoisonneurs » – les dispositions ici énumérées recoupent les autres
sources relatives à cette loi (R20) – est sanctionnée par la deportatio, il faut
comprendre que le texte syllanien prescrivait le « bannissement » désigné
alors par la formule de « l’interdiction de l’eau et du feu », remplacée à
e
la fin du II siècle par cette nouvelle désignation de l’exil assorti d’une
perte de citoyenneté (R42). Et pourtant, – cette contradiction est bien
le reflet de la stratification qui parcourt tous ces textes – de nouveau, à
la fin du même paragraphe, sans inquiétude de contradiction de la part de
l’auteur, ressurgit la discrimination entre les honestiores et les humiliores :
les premiers passibles d’une « peine capitale » (poena capitis) (une
exécution ou une déportation), les seconds d’une mise à mort infamante
(la croix ou les bêtes). Bref, à cet endroit l’auteur des Sentences de Paul
rappelle la sanction originelle de la loi syllanienne – il s’agit bien de
l’ancienne « interdiction de l’eau et du feu » désignée par le mot de
« déportation » introduit dans la langue du droit depuis près d’un siècle –,
puis il introduit le facteur social aussi récent de distribution des peines
pour un même crime : les honestiores d’un côté, les humiliores de l’autre.
La suite du texte (Coll., 8, 5) assimile le faux témoignage, accompli (ou
commandité) en échange d’argent au meurtre, elle rejoint donc ici
la législation décemvirale envisagée plus haut. Le titre s’achève également
par l’énumération des trois sénatus-consultes d’époque julio-claudienne
commentés précédemment.
28

Le témoignage en justice et les liens


familiaux (Collatio legum, tit. 9)

Titre 9. De la non-recevabilité du témoignage d’un membre de


la famille (De familiaris testimonio non admittendo).

1, 1. Moïse déclare :
Tu ne fourniras pas de faux témoignage contre ton prochain (proximus
tuus).
2, 1. Ulpien au huitième livre Sur la fonction du proconsul <sous le titre>
« De la loi Iulia sur la violence publique et la violence privée » :
En vertu de la même loi il est absolument interdit (interdicere) à
certaines personnes <de fournir> un témoignage (testimonium), à d’autres
<de le faire> contre leur gré (inuitus). Les chapitres quatre-vingt-sept et
quatre-vingt-huit <énumèrent la liste de> ces hommes en ces termes :
2. en vertu de la présente loi qu’il ne soit pas permis aux personnes
suivantes de prononcer un témoignage contre un inculpé (reus) : celui qui
a été affranchi par ce dernier ou par son parent (parens), ou par leur
<propre> affranchi (libertus), ou par celui ou celle des affranchis de ce
dernier ; ou celui qui est impubère (inpubes) ; ou celui qui après avoir été
condamné dans un procès public (iudicium publicum), ne figure pas au
nombre de ceux qui ont été pleinement réintégrés dans leurs droits (in
integrum restitutus) ; ou celui qui a été <soumis> aux chaînes (uincula) et à
la détention publique (publica custodia) ; ou celui qui s’est engagé pour se
battre <dans l’arène> (depugnare) ; ou celui qui a loué <par le passé> ou
aura loué sa propre personne pour se battre face aux bêtes à l’exception
de celui qui est ou sera envoyé dans l’Vrbs pour pratiquer le lancer du
javelot ; ou celle qui a fait ou aura fait publiquement commerce de son
corps (corpore quaestum facere) ; ou celui qui aura été jugé pour avoir reçu
de l’argent (pecuniam accipere) dans le but de prononcer un faux
témoignage. Quand bien même ils le voudraient, aucun de ceux
mentionnés par cette loi ne peuvent prononcer un témoignage contre
un prévenu ou pour ne pas témoigner. Au chapitre quatre-vingt-sept.
3. Que ne prononce pas contre son gré un témoignage à l’encontre du
prévenu celui qui est le cousin issu de germain (sobrinus) de ce prévenu,
qui lui est lié par une parenté plus proche (cognatio), ou qui est son beau-
père (socer), son gendre (gener), le mari de sa mère (uitricus), son beau-fils
(priuignus). Et ainsi de suite.
3, 1. Paul, au cinquième livre des Sentences, sous le titre « Des témoins
(testes) et des interrogatoires (quaestiones) » :
Il a été décidé de n’interroger ni les témoins qui paraissent suspects, ni
surtout ceux que l’accusateur a tirés de sa maison (domus), ni ceux que
la bassesse de leur existence (humilitas uitae) rend infâmes (infamare). Pour
ce qui regarde les témoins, il faut en effet veiller à leur manière de vivre
(qualitas) et à leur rang (dignitas). 2. Les témoins ne peuvent pas être
interrogés malgré eux (inuitus) ni contre un parent par alliance (adfinis), ni
contre un parent par le sang (cognatus). 3. Ni les parents, ni les enfants, ni
les patrons et leurs affranchis ne sont admis à porter témoignage les uns
contre les autres (inuicem), quand bien même ils le voudraient. En effet,
d’ordinaire, le lien de parenté (necessitudo) entre les personnes (personae)
altère la véridicité du témoignage (rei uerae testimonium).
*
* *

Cet extrait de l’Exode, 20, 16 sert à l’auteur de la Collatio legum à ranger,


un peu artificiellement, une autre série, séparée du titre précédent, de
fragments relatifs au faux témoignage, alors même que les liens familiaux
qui sont la préoccupation du droit romain à ce sujet, n’apparaissent pas ici
dans le texte biblique. Le titre de notre rubrique est donc fabriqué lui-
même à partir d’un matériau composite et ne correspond que très
partiellement aux deux fragments de droit romain ici rassemblés. Sans
doute l’auteur de la Collatio legum a-t-il considéré que ces dispositions
relatives au témoignage devaient être distinguées du titre précédent
exclusivement consacré au faux témoignage, lequel n’est ici mentionné
que brièvement lorsqu’il résulte de la corruption du témoin. S’il est bien
question dans le premier fragment (Coll., 9, 2, 2) des liens entre patron et
affranchi – ils relèvent en effet d’une logique « familiale », selon
l’acception large du terme familia chez les Romains –, et dans le second
(Coll., 9, 3, 3) des deux cercles de la parenté par le sang (cognatio) et par
l’alliance (adfinitas), l’éventail des dispositions relatives aux interdictions
de porter témoignage contenues dans ces deux fragments est bien plus
large. Quant à la disposition extraite de la Bible (Exode 20, 16) elle paraît
bien mal justifier le titre sous lequel elle est placée, puisqu’elle vise
le « faux témoignage » contre son « prochain », au sens le plus large, et
non le témoignage, vrai ou faux, porté par un membre de la famille contre
un autre. L’auteur aurait donc dû y recourir naturellement pour ouvrir
le titre précédent portant précisément sur le falsum testimonium. Mais il
l’aurait réservé pour celui-ci (en recourant à la citation du Deutéronome,
19, 16-20 pour ouvrir le titre précédent), à défaut d’autres équivalents
dans la Bible des dispositions ici extraites du droit romain et relatives à
l’interdiction du témoignage entre membres d’une même famille [FRAKES
2011, p. 280].
Le fragment d’Ulpien (Coll., 9, 2) se réfère à l’autorité du traité de
Callistrate Sur les enquêtes dont le même extrait, cité presque au mot à mot
mais partiellement remanié, est conservé dans le Digeste (22, 5, 3, 5) (R14).
Sans entrer dans l’exégèse comparative détaillée de ces deux textes,
comprenons les enjeux qu’elle pose. Le contenu de la loi d’époque
augustéenne sur la violence peut être reconstitué au travers du fragment
de Callistrate qui a été reproduit par Ulpien. Si le second s’inspire donc du
premier, il y a tout lieu de penser pourtant que le texte le plus proche de
l’original est celui d’Ulpien transmis par la Collatio legum, plutôt que celui
de Callistrate qui a, selon toute vraissemblance, subi des interpolations
lorsque les compilateurs du Digeste l’ont introduit dans cet ouvrage pour
répondre aux exigences de clarté et d’actualisation demandées par
Justinien et qui figurent dans la préface de l’ouvrage [RIVIÈRE 2013b]. Sans
entrer dans le détail des modifications lexicales ou grammaticales qui
constituent bien souvent des raccourcis ou une recherche d’équilibre de
la phrase, notons seulement les modifications qui affectent le contenu
même du texte : ont disparu, d’une part, les détails concernant les liens de
patronage et les degrés d’affranchissement, d’autre part, les distinctions
relatives aux spectacles, notamment la clause digressive sur le lancer du
javelot. Ni la première, ni la seconde considération, reflets trop précis
d’une société lointaine aux yeux des Byzantins, ne méritaient d’être
conservées. Cependant, il faudrait admettre que la clause relative au
condamné dans un jugement public (absente de la Collatio legum et
réintroduite par Pierre Pithou (1539-1596) dans son édition à partir de
la lecture du Digeste), pourrait avoir disparu en raison d’un aléa de
la tradition manuscrite [FRAKES 2011, p. 179, n. 102].
Le texte d’Ulpien distingue deux séries de personnes qui ne peuvent
être appelées à témoigner : celles auxquelles le témoignage est « interdit »
de manière absolue ; celles qui ne peuvent être conduites à déposer
« malgré elles ». La première série s’ouvre par une disposition relative aux
liens de patronage qui, pour être comprise, nécessite le rappel de deux
considérations d’histoire sociale. À Rome, lorsqu’un esclave (seruus) était
affranchi (libertus), son ancien « maître » (dominus) devenu son patron,
conservait une autorité sur sa personne qui se traduisait par un certain
nombre de devoirs de conduite, d’obligations ou d’interdictions légales.
L’impossibilité pour un affranchi de témoigner contre son patron est ici
indiquée comme l’une d’entre elles. Or le patron en question pouvait être
un homme de naissance libre (ingenuus), mais il pouvait aussi s’agir d’un
ancien esclave qui, une fois affranchi, avait libéré lui-même l’un de ses
esclaves, lequel libèrerait plus tard à son tour l’un des siens. Notre texte
distingue trois degrés d’affranchissement qui commandent l’interdiction
de porter témoignage contre un inculpé. Cette protection du patron
témoigne en conséquence de l’infériorité du libertus par rapport à son
ancien maître. Mais lorsque ce dernier est lui-même un affranchi, « il doit
s’effacer devant son propre patron » et c’est pourquoi d’après la loi Iulia
sur la violence « l’affranchi ne peut témoigner contre le patron de son
patron » [FABRE 1981, p. 263].
En raison de ce qu’on sait de l’incapacité de l’impubère (R39),
l’interdiction de témoignage s’applique ici comme dans d’autres
domaines. Elle pèse également contre celui qui aurait été condamné dans
un « jugement public » et qui n’aurait pas fait l’objet d’une réintégration
dans ses droits (R49), contre celui qui a été soumis à une forme de
détention qu’il s’agisse d’entraves ou d’incarcération (R18), contre ceux
qui sont considérés comme « infâmes » pour s’être livrés aux spectacles de
l’amphithéâtre (gladiature ou combat contre les bêtes), ou à
la prostitution, et contre ceux qui ont précédemment reçu de l’argent
pour porter un faux témoignage (R27).
Le deuxième fragment conservé sous ce titre extrait des Sentences de
Paul énumère à son tour de manière moins précise trois catégories de
personnes exclues du témoignage en justice (Coll., 9, 3, 1) : les « suspects »,
les membres de la « maison » (domus) de l’accusateur et les personnes
infâmes. Vient enfin la disposition relative à l’interdiction justifiant
le titre (Coll., 9, 3, 2-3). Toutefois, si celui-ci paraît proclamer l’interdiction
absolue d’interroger des témoins qui sont membres de la famille de
l’inculpé, une nuance importe, elle tient en un mot, inuitus : cette
interrogatio ne peut se dérouler « malgré eux ». Ce principe remonte au
moins à la loi augustéenne de 17 av. J.-C. (lex Iulia iudiciorum publicorum) qui
réorganisait les poursuites criminelles engagées devant les tribunaux de
jurys (quaestiones) (Digeste, 22, 5, 4) [GUÉRIN 2015, p. 111].
29

Le vol de bétail (Collatio legum, tit. 11)

Titre 11. Des voleurs de bétail (De abactoribus).

1, 1. Moïse dit :
Si quelqu’un s’empare d’un veau ou d’une brebis, et qu’il les tue ou
qu’il les vend, qu’il restitue cinq veaux pour un veau, quatre brebis pour
une brebis. 2. Or s’il ne dispose pas de ce dont il est redevable, qu’il soit
vendu pour vol.
2, 1. Paul au cinquième livre des Sentences sous le titre « des voleurs de
bétail » :
Les auteurs de vol aggravé de bétail qui emportent les troupeaux sont
en général livrés au glaive ou à la mine, aussi éventuellement aux travaux
publics. D’autre part, sont également auteurs de vol aggravé ceux qui
enlèvent de l’étable ou des pâturages les chevaux et les troupeaux de
brebis, s’ils le font fréquemment, en recourant à une arme en fer, ou avec
le concours d’hommes de main.
3, 1. Le même Paul au même livre et sous le même titre :
Les voleurs de bétail sont ceux qui auront enlevé un cheval ou deux
juments ou le même nombre de boeufs, ou dix chèvres ou cinq porcs. En
tout cas, quelle que soit la quantité en deça de ce nombre, qu’il soit soumis
à la peine du vol selon sa position sociale (qualitas) au paiement
du double ou du triple ou alors qu’il soit battu de coups de fouets, livré
au travail public (opus publicum) pour la durée d’une année ou remis à son
maître sous la peine des chaînes.
4, 1. Le même Paul au même livre et sous le même titre :
Si quelqu’un emporte des troupeaux au sujet desquels un contentieux
s’était élevé, qu’il comparaisse devant <les tribunaux du> forum. S’il est
convaincu dans cette procédure, qu’il soit condamné au double ou au
triple, à l’instar du voleur.
5, 1. Le même Paul au même livre et sous le même titre :
Il a été décidé de faire entrer dans la catégorie du voleur (fur), plutôt
que du voleur de bétail (abactor), celui qui enlève un boeuf ou un cheval
égaré (errans) ou toute autre <tête de> bétail (pecus).
6, 1. Paul au livre unique Sur les peines des ruraux sous le titre « Des
voleurs de troupeaux » a dit :
Lorsque les voleurs de troupeaux sont condamnés avec
une particulière sévérité (durius), alors ils sont même livrés au glaive. C’est
pourquoi le divin <Antonin le> Pieux a répondu par un rescrit au conseil
de Bétique. 2. Celui qui a enlevé des bestiaux (pecora) au sujet desquels
s’était élevé un contentieux, doit comparaître devant <les tribunaux du>
forum, et s’il perd <son procès> qu’il soit condamné au double ou au
quadruple.
7, 1. Ulpien au huitième livre Sur la fonction du proconsul, sous le titre
« Des voleurs de bétail » :
Pour ce qui concerne la punition des voleurs de bétail, le divin Hadrien
a ainsi répondu dans un rescrit au conseil de Bétique : « Généralement
lorsque les voleurs de bétail sont très sévèrement punis, on les condamne
au glaive. Ils ne sont pas punis partout très sévèrement, mais dans
les lieux où ce genre de crime est le plus répandu, sinon ils sont
condamnés au travail (opus) et parfois <seulement> pour une durée
déterminée. 2. C’est pourquoi je pense que chez vous également convient
le genre de peine que l’on inflige pour sanctionner le plus sévèrement ce
genre de crime, selon laquelle les voleurs de bétail sont livrés au glaive. Ou
encore, si quelqu’un s’est trouvé si notoirement et si gravement impliqué
dans le vol de bétail, que par le passé une peine lui a été infligée pour
un crime de ce genre, il convient de livrer ce dernier à la mine ».
3. Le rescrit du divin Hadrien est rédigé de telle sorte que la peine la plus
sévère paraît être celle de la mine (poena metalli), à moins qu’en disant
la peine du glaive (gladius) il n’eût à l’esprit la condamnation à l’école de
gladiateurs (ludus). 4. Or la différence est la suivante entre ceux qui sont
condamnés au glaive et ceux qui sont condamnés à l’école de gladiateurs :
ceux qui sont condamnés au glaive doivent être éliminés (consumere)
immédiatement ou être éliminés au moins sous un an. C’est en effet
le contenu des directives (mandata) concernant cette question. Tandis que
ceux qui sont condamnés à l’école de gladiateurs ne sont pas éliminés en
toute hypothèse, il s’en faut, puisqu’ils peuvent même être affranchis
(pilleari) ou recevoir leur congé (rudem accipere) au bout d’un certain
temps, puisqu’il est autorisé de les libérer au bout de cinq ans, ou de leur
donner leur congé au bout de trois ans. 5. <Quoiqu’il en soit>, dans
le rescrit du divin Hadrien il est très explicitement dit que la peine
des voleurs de bétail n’est pas identique quel que soit le lieu.
8, 1. Le même Ulpien au livre et sous le titre mentionnés plus haut :
On entend à proprement parler par voleurs de bétail, ceux qui
enlèvent les bestiaux de leur pâture ou de leurs troupeaux ou en font leur
butin d’une manière quelconque et pratiquent avec un savoir faire
(studium) proche de l’exercice d’une profession (ars) le vol de bétail en
emmenant les chevaux hors de leurs élevages ou les boeufs de leurs
troupeaux. Au reste, si quelqu’un emporte un boeuf errant loin du
troupeau ou des chevaux abandonnés dans un lieu désert, il n’est pas
un voleur de bétail (abigeus), mais plutôt un <simple> voleur (fur). 2. Quant
à ceux qui emmènent un porc, une chèvre ou un mouton, ils ne doivent
pas être punis aussi sévèrement que ceux qui volent des animaux de plus
grande taille. 3. Quoiqu’Hadrien ait prescrit la peine de la mine de durée
limitée ainsi que les travaux forcés à temps, ou même le glaive, cependant
ceux qui sont d’extraction honorable (honestiore loco) ne doivent pas être
exposés à cette peine, mais il faut les reléguer ou les exclure de leur ordre.
4. Néanmoins nous voyons à Rome des voleurs de bétail livrés aux bêtes :
et ils ne paraît pas injuste en effet d’infliger cette peine à ceux qui
recourent à l’épée pour voler du bétail.

*
* *

Le passage de la Bible est extrait de l’Exode, 22, 1 et 3. L’auteur de


la Collatio legum préfère ne pas citer le paragraphe intermédiaire
(vengeance du sang, menace de servitude pour l’auteur des faits), qui
éloignerait trop cette disposition du droit romain. Le terme abactor
employé dans le titre de la Collatio legum pour désigner le voleur de
troupeaux s’est formé sur le verbe abigo qui signifie dans son acception
la plus générale, « pousser loin, chasser de », et dans un sens plus
spécifique (identique au verbe abigeo) « pousser devant soi un troupeau
pour le détourner, emmener, détourner ». Deux séries de substantifs se
sont formées ensuite. La première série est dérivée de l’infinitif abigere :
pour désigner l’auteur du délit on emploie alors abigeator ou abigeus, et
pour le délit lui-même, l’enlèvement de troupeaux, abigeatus. La seconde
est formée sur le participe abactus : l’auteur du délit est désigné comme
abactor, le délit lui-même comme abactio ou abactus (un terme qui peut
également désigner l’enlèvement du butin). Ces deux formes recouvrent-
elles également une distinction sémantique ? Selon Isidore de Séville il
s’agirait plutôt d’une différence d’usage :
L’abactor est un voleur (fur) de bêtes de somme (iumenta) ou de
menu bétail (pecus), qu’on appelle généralement abigeus,
évidemment à partir du verbe abigere. (Isidore de Séville,
Étymologies, 10, 7)

Contrairement à ce qui a été récemment proposé et en dépit de


l’évolution lexicale justement soulignée – l’emploi du terme abactor
semble s’être substitué tardivement à abigeus, uniquement utilisé dans
les rescrits des Antonins et encore répandu dans la jurisprudence
sévérienne –, il n’y a sans doute pas lieu de forcer l’opposition entre l’un
et l’autre au point de lui donner une signification juridique au regard de
l’évolution du droit criminel. Selon une telle hypothèse, le recours à
abactor signifierait la désignation technique d’un crime qui jusqu’à
présent, alors qu’il était désigné comme abigeus, ne se serait pas encore
véritablement distingué du simple vol (furtum) [MINIERI-LUCREZI 2015,
p. 103-107]. Si l’évolution lexicale ne doit pas être surinterprétée, il est
certain en revanche que ce crime a été qualifié assez tardivement (il ne
l’était pas encore à la fin de la République, puisqu’il n’apparaît pas dans
la liste des crimes publics à cette époque) et que la sévérité de sa
répression est encore accrue lorsqu’il est aggravé par la désignation de
« l’horreur » (atrocitas) qui le caractérise [MINIERI-LUCREZI 2015, p. 109-118].
L’absence de qualification d’un tel délit au dernier siècle de
la République pourrait surprendre en raison de ce qu’on sait notamment
de l’évolution socio-économique de la péninsule italienne dans le sillage
de la conquête et dans un contexte de guerres civiles (et serviles). Sans
entrer dans les détails de cette « question agraire », ni évoquer
les nuances qu’appellerait sans doute une enquête approfondie et
renouvelée dans ce domaine, on sait que l’exploitation agricole de terrains
cultivés sur de petites et moyennes propriétés a alors reculé devant
l’exploitation de vastes espaces (les latifundia) dédiés à l’élevage
transhumant. Cette nouvelle forme d’exploitation et l’insécurité apparues
au sud de la péninsule au lendemain de la seconde guerre punique ont
certainement favorisé le vol de troupeaux à grande échelle comme
l’atteste par exemple la situation décrite par Tite-Live (39, 29 et 39, 41 :
magnas pastorum coniurationes). Au siècle suivant, on se reportera aux
conseils fournis par Varron (Économie rurale, 2, 10) concernant
le recrutement des pâtres qui doivent être prêts à se battre « contre
les bêtes féroces et les brigands ». La transhumance de part et d’autre de
la chaîne des Appenins en Italie entraînait une perception de droits pour
le Trésor, si bien que les pouvoirs publics (et le fisc à partir du
commencement de l’Empire) étaient intéressés, autant que
les propriétaires de troupeaux, par la répression de ces bandes organisées
que l’action pour vol, mais aussi l’apparition du crime de violence ont
d’abord suffi à réprimer [CORBIER 1991].
Dans d’autres provinces évidemment il a pu sévir comme le suggère
la réputation de l’Espagne :

Tous les Espagnols sont les plus acharnés des voleurs de bestiaux
(abactores). (Servius et Phylargyr, Commentaire aux Géorgiques de
Virgile, 3, 408)

e
Observons également que les rescrits du II siècle conservés dans
la Collatio legum sont précisément adressés au conseil de Bétique (l’actuelle
Andalousie). C’est sous le règne de Trajan (98-117) que le vol de bestiaux
semble faire son apparition dans la législation impériale, en laissant
deviner les systèmes de protection dont les voleurs eux-mêmes devaient
bénéficier, lorsqu’ils agissaient pour le compte d’autrui :

Les receleurs (receptatores) de ceux qui enlèvent les troupeaux


(abigei) doivent, selon une lettre de Trajan, être frappés (plectere)
de la peine suivante : qu’ils soient relégués dix ans en dehors du
territoire italien. (Callistrate, Sur les enquêtes, extrait du livre 6
= Digeste, 47, 14, 3, 3)

La distinction entre l’enlèvement de troupeaux (abigeatus) et le vol


(furtum) s’est opérée progressivement [MINIERI-LUCREZI 2015, p. 103], comme
l’atteste un extrait de Macer Sur les jugements publics. L’enlèvement de
troupeau est encore assimilé ici à un vol appelant une réparation
matérielle au terme d’une procédure civile, sauf, précise le texte, que son
accomplissement passe le plus souvent par le recours aux armes, ce qui
signifie alors qu’il s’agit d’un crime :

L’enlèvement de bestiaux (abigeatus) ne constitue pas un crime


(crimen) <relevant> d’un jugement public (iudicium publicum), parce
qu’il s’agit plutôt d’un vol (furtum). Mais dans la mesure où
la plupart du temps ceux qui enlèvent les troupeaux (abigei)
utilisent une arme (ferrum), s’ils sont pris en flagrant délit
(deprehendere), alors en conséquence on a l’habitude de punir
(punire) plus lourdement (grauiter) leur acte (admissum). (Macer,
Des jugements publics, extrait du livre 1 = Digeste, 47, 14, 2)

L’agencement des textes rassemblés sous ce titre dans la Collatio legum


n’est pas sans poser un problème de logique casuistique, puisque
la qualification de l’aggravation du crime précède la définition générale de
celui-ci, ce qui peut soulever la question de savoir s’il s’agit d’une
intervention de l’auteur du recueil lui-même ou de sa source. L’ordre
des paragraphes ne reflète pas une évolution chronologique, puisque
la citation des Sentences de Paul qui remonte à la fin du IIIe siècle précède
celle d’Ulpien, tandis que la citation par ces deux juristes de
rescrits d’époque antonine renvoient à une époque encore antérieure (le
siècle précédent). Deux volets peuvent être distingués dans le contenu du
texte : d’une part, la qualification du crime, d’autre part, la flexibilité de
la peine selon la gravité du fait.
Le fragment d’Ulpien (11, 8) mentionné en dernier sous ce titre peut
servir de point de départ à l’analyse, non seulement parce qu’il est plus
ancien que les extraits des Sentences de Paul cités en ouverture, mais aussi
parce qu’il s’efforce de définir le voleur de bétail d’une manière générale
par opposition au voleur. Le fait de s’attaquer au troupeau ou à l’élevage
lui-même, éventuellement dans un enclos et pour en distraire une partie,
constitue le premier crime, surtout si son auteur est expérimenté, c’est-à-
dire s’il a fait de cette activité une profession (studium) dont il a acquis
la technique (ars). En revanche, le simple voleur est celui qui s’empare
d’un animal errant, quelle que soit l’espèce. Cette distinction se retrouve
dans les Sentences de Paul (11, 5). S’y ajoutent un barème quantitatif
distinguant l’enlèvement de troupeau du vol (11, 3), ainsi qu’un autre
critère distinctif : si le troupeau était l’objet d’un litige, si bien que
l’enlèvement pouvait paraître justifié de la part de son auteur, alors un tel
acte est simplement qualifié de vol (11, 4 ; 11, 6). Enfin, le premier
fragment du Pseudo-Paul (11, 2) cité sous le titre de la Collatio legum,
n’envisage plus la distinction entre le vol et l’enlèvement de troupeau,
afin d’opposer le délit appelant une réparation au crime entraînant
une lourde peine. Il s’agit cette fois, à l’intérieur de cette seconde
catégorie, d’inventorier les circonstances aggravantes, celles qui semblent
« horribles » (atroces) conformément au lexique en usage chez les juristes
classiques au sujet de l’iniuria en particulier (Commentaire à R21). Ils y
recouvrent plus généralement lorsqu’ils s’efforcent de mesurer la gravité
des faits, en opposant par exemple le vol flagrant au non flagrant,
les bagarres aux actes de brigandage, l’emportement agressif à la violence
proprement dite (R36). L’enlèvement de troupeaux est particulièrement
horrible (il appelle alors une peine plus lourde), lorsqu’il y a eu effraction
ou atteinte à la possession – si les bêtes ont été enlevées de l’étable ou du
pâturage –, si les auteurs de l’acte en ont l’expérience, s’il a été accompli à
main armée ou en bande.
La sanction du crime n’appelle pas un long commentaire dans
la mesure où elle reproduit une grille répandue partout ailleurs dans
la législation impériale ou dans la jurisprudence, dès l’époque antonine et
qui a été analysée plus haut (Commentaire à R20). Qu’il soit exprimé de
manière explicite ou implicite, c’est le statut social qui commande
la distribution des peines : ainsi sont juxtaposés l’épée (c’est-à-dire
la décapitation), la mine ou les travaux publics (nous dirions les travaux
forcés) (11, 2) ; ainsi sont énumérées l’indemnisation de la victime au
double ou au triple, la flagellation, ou l’année de travaux publics
concernent des libres en fonction de leur condition sociale, tandis que
la restitution au maître s’applique naturellement à l’esclave (11, 3) ; ainsi
s’opposent, d’une part, la relégation ou l’exclusion de l’ordre, forcément
réservés à ceux qui sont « d’extraction la plus honorable », et, d’autre
part, la décapitation, la mine, voire la condamnation aux bêtes (11, 8).
Arrêtons-nous, dans ce registre de l’application du châtiment, à cette
mention de la condamnation aux bêtes : « Néanmoins nous voyons à Rome
des voleurs de bétail livrés aux bêtes (ad bestias) »… Les compilateurs du
Digeste (47, 14, 1, 3) qui citent également ce passage du traité d’Ulpien Sur
la fonction du proconsul ont effacé pourtant certains détails relatifs à
la variété des divertissements de l’amphithéâtre et qui constituent
une courte digression. À leur époque en effet, cette observation du juriste
sévérien au sujet des spectacles auxquels il a assisté à Rome n’a plus
d’intérêt : pourquoi en rendre compte à Constantinople deux siècles et
demi plus tard dans une compilation du droit tournée vers l’avenir ? Et
pourtant, dans un souci de conserver la teneur du texte d’Ulpien, afin d’en
respecter jusqu’au bout le développement et de maintenir l’évocation de
la gravité de la peine sanctionnant le vol de troupeaux commis avec
une arme, les compilateurs reformulent la dernière phrase pour en
conserver l’intelligibilité. Au lieu de « et il ne paraît pas injuste en effet
d’infliger cette peine à ceux qui recourent à l’épée pour détourner du
bétail » (la suppression de la phrase précédente enlèverait tout contenu au
démonstratif « cette peine »), ils écrivent « et il ne paraît pas injuste en
effet de jeter aux bêtes ceux qui recourent à l’épée pour détourner du
bétail ». Voilà un détail qui illustre les nombreuses modifications
ponctuelles conduites par les compilateurs à la demande de Justinien (527-
565). De manière plus significative, car le propos touche ici au contenu
même du droit criminel sous le Haut-Empire, au moment où Ulpien rédige
son traité (entre 212 et 217), les compilateurs ont également, dans
un effort de clarté, supprimé plusieurs lignes du fragment conservé en
entier dans la Collatio legum (11, 7, 2-4). Lorsqu’il commente la logique
répressive du rescrit d’Hadrien, Ulpien ne comprend pas lui-même
comment cet empereur, dans la gradation des peines encourues par ceux
qui détournent les troupeaux peut considérer l’exécution capitale par
l’épée comme une peine plus légère que la mine qui, en dépit de son
extrême dureté et du peu de chances d’en réchapper, épargne la vie.
Ulpien avance alors l’hypothèse selon laquelle l’épée (gladius) serait ici
une désignation métonymique de l’école de gladiateurs. Là encore, comme
les chasses de l’amphithéâtre, les combats de gladiateurs avaient disparu à
l’époque où était compilé le Digeste, mais c’est sans doute principalement
l’aporie à laquelle était confronté Ulpien face au rescrit d’Hadrien qui a
convaincu les compilateurs de tailler dans le texte conformément aux
recommandations d’élagage formulées par Justinien en introduction de
l’ouvrage [RIVIÈRE 2013b].
30

L’incendie criminel (Collatio legum, tit. 12)

Titre 12. Des incendiaires (De incendiariis).

1, 1. Moïse dit :
Si un feu se propage, qu’il rencontre des broussailles et se propage à
des aires de battages (arcae), à des épis (spicae) ou à un champ (campum),
celui qui a allumé le feu restituera la valeur (aestimatio) <de ce qui a été
incendié>.
2, 1. Paul au [cinquième] livre des Sentences sous le titre « Des
incendiaires » :
Ceux qui incendient une chaumière (casa) ou une résidence rurale
(uilla), en raison d’inimitiés (inimicitiae), doivent être condamnés à la mine
ou au travail public (opus publicum), pour les humbles (humiliores) ou
relégués dans une île, pour les personnes honorables (honestiores).
2. Les incendies accidentels (fortuita incendia), déchaînés au gré du vent
violent, ou par l’inattention de celui qui a allumé le feu, lorsqu’ils
s’étendent jusqu’aux terres d’un voisin, si à cette occasion des champs de
céréales ou des vignes, des oliviers, ou des arbres fruitiers, ont été réduits
en cendres, que le dommage (damnum) causé soit réparé (sarcire) selon
l’estimation <de la valeur perdue>.
3, 1. Le même Paul au même livre et sous le même titre :
Le crime (commissum) des esclaves, si cela sied au maître, doit être
réparé (sarcire) par la livraison du coupable (noxae deditio) <au lésé>.
2. Quant à ceux qui mettent le feu (incensores) aux moissons, aux vignes ou
aux oliviers, <s’ils ont agi> dans l’intention de nuire (per dolum), alors
les humbles (humiliores) sont condamnés à la mine, les personnes
honorables (honestiores) sont relégués dans une île.
4, 1. Le même Paul au livre et sous le titre mentionnés ci-dessus :
Il faut, sans hésiter, punir de la peine capitale les incendiaires qui
agissent pour procéder à un pillage (praedare) dans une agglomération
(oppidum).
5, 1. Ulpien au huitième livre Sur la fonction du proconsul [sous le titre]
« Des naufrages et des incendies » :
Il est vrai que la loi Cornelia interdit l’eau et le feu (aqua et igni
interdicere) aux incendiaires, mais en fait ils sont punis de différentes
façons. Car ceux qui auront commis un incendie dans une cité, de propos
délibéré, s’ils sont d’extraction très humble, devront être soumis aux bêtes
et s’ils sont d’un certain rang et qu’ils ont commis <leur crime> à Rome,
qu’ils soient punis par la décapitation (capite punire), ou du moins de
la peine de la déportation ou assurément (…) que ceux qui ont commis
un tel acte soient châtiés (adficere).
Quant à ceux qui n’ont pas commis un incendie de propos délibéré, on
leur accorde généralement le pardon (ignoscere), à moins qu’une lourde et
dangereuse négligence (neglegentia) ou la légèreté (lasciuia) n’en soient à
l’origine.
6, 1. Paul au livre Sur les peines des ruraux sous le titre « Des voleurs de
bestiaux » :
Ceux qui ont commis des incendies dans une agglomération (oppidum)
pour se livrer au pillage (praeda), doivent être punis de la peine capitale.
Ceux qui ont incendié accidentellement un îlot d’habitation ou
une maison de campagne, sans que l’inimitié en soit la cause, le sont plus
légèrement. En effet, les incendies accidentels (fortuita incendia) doivent
être renvoyés au forum, pour réparation (sarcire) d’un dommage (damnum)
de voisinage.
7, 1. Ulpien au dix-huitième livre du Commentaire à l’édit « s’il est
reconnu que quelqu’un a été tué par outrage, en réparation du simple »,
lorsqu’il dit :
De même, si tu as brûlé superficiellement ou incendié mon îlot
d’habitation (insula), j’aurai une action en vertu de la loi Aquilia, et il en va
de même, s’il s’agit de ma parcelle plantée d’arbres ou de ma maison de
campagne. 2. Or si quelqu’un a effacé par le feu un îlot d’habitation, dans
l’intention de causer un tort (dolo), il doit même être puni de la peine
capitale (capitis poena), à l’instar d’un incendiaire. 3. Quant à celui qui a
voulu détruire par le feu un îlot bâti <lui appartenant> et que le feu s’est
propagé à l’îlot d’habitation du voisin, il sera tenu par la loi Aquilia, non
seulement à l’égard de son voisin, mais également à l’égard
des colocataires pour les biens de ces derniers qui ont été brûlés, comme
le rapporte également Labeo au quinzième livre des réponses.
4. Cependant si tu as mis le feu à la paille qui se trouve dans ton fonds de
terre (ager) et que le feu s’est répandu, il s’est propagé jusqu’au domaine
(praedium) du voisin et a détruit celui-ci, la question s’est posée de savoir si
la loi Aquilia avait ici sa place ou si une actio in factum était requise. 5. Mais
la plupart <des juristes> considèrent que la loi Aquilia n’a pas ici sa place,
comme l’écrit Celsus au vingt-septième livre des Digestes. Voici en effet ce
qu’il estime : « si le feu a échappé au contrôle de celui qui brûle de
la paille, il ne tombe pas sous le coup de la loi Aquilia, mais il faudra
recourir <contre lui> à une actio in factum parce que son objectif premier
n’était pas de détruire cette chose par le feu, mais c’est alors qu’il
s’adonnait à une autre activité, que le feu s’est ainsi propagé (procedere) ».
6. L’avis de ce dernier a été confirmé par un rescrit du divin Sévère rédigé
en ces termes : « tu déclares vouloir engager une poursuite en livraison de
dépendant coupable (noxale iudicium) sur le modèle de la loi Aquilia sous
prétexte qu’un feu allumé pour faire du fourrage s’est propagé par la faute
des esclaves de Veturia Astilia, selon ce que tu avances, <et> a dévasté ton
fonds de terre (ager) : si une évaluation de la peine (litis aestimatio) est
autorisée, un jugement peut s’offrir. Il est clair que la loi Aquilia n’a pas
paru suffire. 7. Si l’esclave d’un fermier s’est endormi devant le four d’un
exploitant (colonus) et qu’une uilla a été détruite par le feu, Neratius écrit
que le contractant du fermage doit répondre en vertu du contrat, s’il a fait
preuve de négligence dans le choix des personnels à son service. Par
ailleurs, si une personne allume le feu au four et qu’une autre personne
le surveille avec négligence, est-ce celui qui a allumé le feu qui tombera
sous le coup de la loi ? Car, celui qui n’a pas exercé de surveillance n’a rien
fait : celui qui a correctement allumé le feu n’a pas commis de faute. De
la même façon, si un médecin a correctement amputé un homme, mais
que lui-même ou un autre l’a soigné <ensuite> avec négligence, l’Aquilia
ne s’applique pas. Que faire, donc ? Je pense pour ma part qu’il faut dans
ce cas accorder une action sur le modèle de la <loi> Aquilia, aussi bien
contre celui qui se sera endormi devant le four ou qui l’aura surveillé
négligemment, que contre le médecin qui aura fourni des soins avec
négligence, que l’homme en soit mort ou s’en trouve affaibli
physiquement (debilitare). Et personne ne pourrait prétendre au sujet de
celui qui s’est endormi qu’il a été atteint par une chose humaine et
naturelle, alors qu’il était de son devoir ou bien d’éteindre le feu, ou bien
de le circonscrire de telle sorte qu’il ne se propage pas. 8. De même au
livre VI de Vibianus a été rapportée <la question suivante> : si tu possèdes
un four appuyé sur un mur mitoyen, est-ce que tu es tenu pour outrage en
raison du dommage (damni iuiuria) ? Et <Proculus> a répondu qu’il n’était
pas possible d’intenter une action en vertu de la loi Aquilia, car elle ne
saurait être engagée avec qui possède un foyer. C’est pourquoi il considère
plus conforme à l’équité d’accorder une actio in factum. Toutefois, il
n’envisage pas le cas où le mur est détruit par le feu. Et on peut en effet
assurément se poser la question suivante : si tu ne m’as pas encore causé
de tort (damnum) et que tu disposes pourtant d’un feu qui me fasse
craindre que tu ne m’en causes, est-il juste que j’engage par anticipation
une action, à savoir une actio in factum ? Peut-être Proculus avait-il déjà
perçu <cette difficulté>, à moins de dire qu’un dépôt de garantie (cautio)
en prévision d’un tort suffit. 9. Cependant, si les esclaves d’un locataire
ont brûlé un îlot d’habitation, Urseius rapporte au livre X que Sabinus a
répondu qu’il fallait qu’en vertu de la loi Aquilia le maître soit poursuivi
en remise de dépendant (noxale iudicium) au titre de ses esclaves : il affirme
que le maître n’est pas tenu par le contrat de bail. Et pourtant, Proculus a
répondu que lorsque les esclaves d’un exploitant ont brûlé une maison
rurale (uilla) l’exploitant était soumis soit à la loi Aquilia, soit au contrat,
de sorte que l’exploitant pouvait livrer les esclaves pour qu’ils subissent
un châtiment au titre du dédommagement et que si l’affaire avait été
jugée selon une des procédures, il ne fallait pas agir en plus au moyen de
l’autre. 10. De la même manière, Celsus au livre XXVII des Digestes écrit :
si des abeilles m’appartenant ont volé vers les tiennes et que tu les a
détruites par le feu, certains (et parmi eux Proculus) ont affirmé que
l’action de la loi Aquilia n’était pas applicable, comme si les abeilles ne
m’appartenaient pas. Cependant Celsus dit que cela est faux puisque
les abeilles reviennent généralement <à leur point de départ> et qu’elles
constituent une source de revenu qui m’appartient. Et pourtant, l’avis de
Proculus repose sur le fait qu’elles n’ont été ni apprivoisées ni encloses.
Quant à Celsus lui-même, il dit que rien ne les différencie des pigeons qui
évitent la main et qui, s’ils s’échappent, reviennent cependant à la maison.

*
* *
La parole de Moïse qui ouvre ce titre est extraite de l’Exode 22, 5. En
droit romain, la première législation connue relative aux incendiaires –
elle oppose l’acte volontaire à l’incendie accidentel – remonte à la Loi
des XII Tables. Elle se rapporte principalement au contexte de la société
rurale de la Rome archaïque, c’est-à-dire à la protection des bâtiments et
de la moisson engrangée. Le verset concerné (XII Tab., 8, 10) reçoit
un écho dans le fragment de Paul conservé dans la Collatio legum (12, 6),
ainsi que chez Marcien (Digeste, 48, 8, 1, pr.) et Callistrate (Digeste, 48, 19,
28, 12), comme nous le verrons, mais il n’est connu directement que par
un fragment du Commentaire aux Douze Tables de Gaius :

Celui qui détruit par le feu (comburere) une demeure (aedes) ou


un amas de blé entreposé près d’une maison (domus), qu’on
ordonne de le mettre à mort (necari) par le feu, après l’avoir
entravé (uinctus) et battu de verges (uerberatus), du moins s’il a
commis (committere) ce <crime> sciemment et de propos délibéré
(sciens prudensque). Toutefois, si c’est par hasard (casu), c’est-à-dire
par négligence (neglegentia), qu’on lui ordonne de réparer (sarcire)
le dommage (noxia), ou alors, s’il <a> moins <que le montant>
approprié, qu’il soit plus légèrement (leuius) châtié (castigare). Par
l’emploi du mot « demeure » (aedes) sont englobées toutes
les sortes d’édifice. (Gaius, Commentaire aux XII Tables, extrait du
livre 4 = Digeste, 47, 9, 9)

Résumons ici les principales étapes du remarquable travail d’exégèse


et « d’apurement » qui a permis, à partir de ce commentaire du IIe siècle
ap. J.-C., de retrouver le « noyau authentique » du verset [HUMBERT 2018,

p. 494-496]. Le terme de « maison » (domus) fait double emploi avec celui


de demeure (aedes) qui est nécessairement originel puisqu’il fait
précisément l’objet du commentaire lexical de Gaius. Font également
double emploi la désignation du châtiment en cas d’incendie criminel
« mettre à mort (necari) par le feu, après l’avoir entravé (uinctus) et battu
de verges (uerberatus) », ainsi que la désignation de la compensation,
« réparer le dommage » (noxiam sarcire) rencontrée dans d’autres versets,
et dont c’est ici l’unique citation au Digeste. L’expression de
l’intentionnalité « du moins s’il a commis ce <crime> sciemment et de
propos délibéré (sciens prudensque) » est elle aussi un ajout. En effet, si
la question de la responsabilité de l’acte parcourt bien des dispositions de
la Loi des XII Tables en matière criminelle, et si la question de
« l’intentionnalité » est au cœur de ce verset relatif au déclenchement
d’un incendie, dans la législation décemvirale « le choix d’un verbe
d’action suffit à traduire l’acte intentionnel et malfaisant » [HUMBERT 2018,
p. 495], par opposition à l’incendie accidentel rendu par le mot casu « par
hasard », « fortuitement », lequel est nécessairement authentique,
puisque Gaius (plutôt qu’un interpolateur byzantin) éprouve le besoin
d’en préciser le sens « c’est-à-dire par négligence ». Enfin, la législation
décemvirale oppose uniquement l’exécution de la personne en cas
d’incendie criminel, et la composition en cas d’incendie accidentel. Il y a
donc tout lieu de penser que la gradation de peine suggérée par
l’expression « ou alors, s’il <a> moins <que le montant> approprié, qu’il
soit plus légèrement (leuius) châtié (castigare) » n’est pas authentique. Elle
recoupe notamment les recommandations adressées au préfet des vigiles,
responsable de la répression des incendies commis « par négligence »
(neglegenter), alors que le préfet de la Ville réprime quant à lui ceux qui
ont été provoqués avec une intention criminelle (dolo) (Digeste, 1, 15,
5) (R12). Si on suit donc chacune des étapes de cette exégèse déductive, on
parvient à l’énoncé suivant du verset originel :

S’il a brûlé une demeure (aedes) ou un amas de la récolte, après


avoir été attaché (uinctus) et frappé de verges (uerberatus), qu’il soit
mis à mort par le feu (igni necatus esto). Si <cela s’est produit>
accidentellement (casu), qu’il répare le dommage (noxiam sarcito).
(XII Tab., 8, 10)

D’une manière générale, la Loi des XII Tables reconnaît une part
essentielle à l’intention comme c’est le cas par exemple à propos de
la distinction entre l’acte commis par un jeune pubère, par opposition à
celui commis par un impubère (XII Tab., 8, 9 ; 8, 14) (R39), ce que souligne
encore l’absence de punition du dommage sans culpabilité (XII Tab., 8, 6 ;
8, 7), ou l’opposition entre l’acte involontaire et l’intention criminelle (XII
Tab., 8, 24) (R20). Ce n’est que plus tard, à l’époque impériale, qu’est
apparue l’idée de faute par négligence, « puisqu’un incendie », écrit
Alfienus (Digeste, 18, 6, 12), « ne peut être commis sans faute » [HUMBERT
2018, p. 496]. La « négligence » est, on l’a vu, le critère qui délimite
la sphère de compétence du préfet des vigiles, c’est elle qu’on retrouve
également dans certains fragments réunis sous ce titre de la Collatio legum,
qu’il s’agisse de la « lourde et dangereuse négligence » qui peut conduire à
un incendie urbain (Coll., 12, 5) ou de « l’insouciance » (incuria) qui conduit
à la propagation du feu sur les champs de céréales, les vignes ou
les oliveraies d’un voisin (Coll., 12, 2).
On s’est interrogé sur le sens de la vivicombustion qui menace
l’incendiaire selon la Loi des XII Tables. L’hypothèse d’un vestige d’une
ancienne sacratio (la consécration du coupable à la divinité des moissons,
Cérès) (R1) ne repose sur aucune source explicite et relève de nouveau de
l’extrapolation. Il paraît difficile d’y voir l’application du principe du
« talion » (Commentaire à R21), comme cela a parfois été suggéré, puisque
celui-ci consiste à exercer sur la personne du coupable la même
souffrance que celle qu’il a infligée à la victime. Tout au plus pourrait-on
considérer qu’il s’agit plutôt d’une « peine réfléchissante » dans la mesure
où le coupable est ici puni au moyen de l’instrument qui lui a permis
d’accomplir le crime. Il s’agit donc d’un crime public, poursuivi selon
une procédure publique [HUMBERT 2018, p. 497-498]. De la peine originelle il
ne subsiste aucune attestation de son application. Cependant à l’époque
impériale, ce type de châtiment apparaissait encore en vigueur, quelle que
soit la valeur de fréquence qu’on accorde au terme plerumque
(« d’ordinaire », « la plupart du temps », « souvent ») employé par
Callistrate.

Les incendiaires sont punis de la peine capitale (capite punire)


lorsqu’en raison d’inimitiés ou pour <se livrer> au pillage (praeda),
ils ont provoqué un incendie à l’intérieur d’une place forte
(oppidum). Et la plupart du temps (plerumque), ils sont brûlés
vivants (uiui exurere). Ceux qui mettent le feu à une chaumière
(casa) ou à une résidence de campagne (uilla) <sont punis> avec
plus de douceur. Car si les incendies fortuits qui pouvaient être
évités, par la négligence (neglegentia) de ceux chez lesquels ils se
sont déclarés, ont causé un dommage (damnum) aux voisins, ils
doivent être poursuivis civilement (ciuiliter), de telle sorte que
celui qui a été frappé par la perte, discute en justice <du montant>
du dommage ou on punit <le coupable> avec modération (modice
uindicare). (Callistrate, Sur les enquêtes, extrait du livre 6 = Digeste,
48, 19, 18, 2)

Il ne faudrait pas confondre par ailleurs, ni la qualification du crime, ni


la punition des incendiaires, telles qu’elles sont définies dans la Loi des XII
Tables, avec la répression occasionnelle d’incendies criminels, comme il
s’en est produit à Rome sous la République à l’occasion de conjurations ou
d’émeutes [HUMBERT 2018, p. 496]. L’épisode de 210 av. J.-C. rapporté par
Tite-Live (26, 27, 1) en fournit une illustration. Un incendie s’était déclaré,
de nuit, « autour du forum », et « simultanément, à partir de plusieurs
foyers ». L’incendie se propagea tout particulièrement au nord de la « voie
sacrée » (Via sacra), dans l’angle du forum où se trouvaient les boutiques
des changeurs (tabernae argentariae), gagna les Latomies (Lautumiae), ces
anciennes carrières qui, à l’instar de celles de Syracuse (R3h3 ;
commentaire à R18), servaient de lieu de détention pour la garde de
captifs de guerre ou, à l’issue d’arrestations collectives, s’étendit au forum
aux poissons, mais aussi à l’est du forum, à l’Atrium regium (dont
l’identification est discutée). Le sanctuaire de Vesta (Aedes Vestae) fut
sauvé des flammes par l’intervention de treize esclaves qui furent
affranchis en récompense. La simultanéité et la pluralité des départs de
feux enlevèrent tout doute sur le caractère criminel : « il ne faisait aucun
doute que cela avait été perpétré par la malveillance des hommes (humana
fraus) » (Tite-Live, 26, 27, 5). Conformément au scénario répressif
consécutif aux « conjurations », comme l’atteste par exemple l’épisode
des bacchanales (R8), le sénat chargea le consul d’agir. Celui-ci annonça
publiquement le versement d’une récompense (praemium), en échange
d’une dénonciation : de l’argent pour une personne libre ; la liberté pour
un esclave. Un esclave dénonça ses maîtres, des nobles campaniens. Ils
furent arrêtés en même temps que leurs serviteurs. Ces derniers furent
soumis à la torture (quaestio) en plein forum, en tant « qu’instruments du
crime » (ministri facinoris) et « complices » (conscii). Ces deux termes
indiquent bien, selon toute vraissemblance, que les esclaves ont été
torturés en raison de leur participation au crime, plutôt qu’en raison d’un
principe, la torture des esclaves contre leurs maîtres, qui ne fut accepté
qu’à partir du règne d’Auguste (R16). Mais peut-être qu’à l’époque
républicaine, déjà, certaines situations d’urgence permettaient de recourir
à de tels expédients, pourtant réprouvés par les normes sociales et
les règles procédurales du procès pénal. Toujours est-il que les maîtres
« avouèrent » (fateor). Le type « d’exécution » (animaduertio) qui leur fut
infligée n’est pas précisé. Un siècle et demi plus tard, on sait que
les Catiliniens furent dénoncés par Cicéron notamment pour avoir
envisagé de mettre le feu à la ville. Ce leitmotiv s’estompe à l’époque
impériale alors que les nombreux récits d’émeutes témoignent du recours
à l’incendie, aussi bien de la part des émeutiers, que des soldats chargés de
les réprimer : le feu, au risque de se répandre, permet d’en finir avec
l’insoumission d’un quartier [RIVIÈRE 2004b]. Bref, dans la longue durée de
l’histoire de Rome, l’incendie a souvent été lié à un contexte de
« violence ». Il ne faudrait pourtant pas considérer que « l’incendie rentre
comme tel dans la violence » [MOMMSEN 1907, II, p. 364-365], en dépit du
lien établi parfois entre le recours à la destruction par le feu et
la législation « sur la violence » (lex Iulia de ui), par exemple par l’auteur
des Sentences de Paul (5, 26, 3) ; ou en raison de la « loi spéciale » de Pompée
consécutive au meurtre de Clodius et à l’incendie de la curie qu’il avait
entraîné (R10). C’est plutôt la législation syllanienne relative au meurtre
(lex Cornelia de sicariis et ueneficis) (R20) qui aurait déjà englobé
les dispositions initiées par les XII Tables et assimilé l’incendiaire au
meurtrier en prescrivant le « bannissement » (aqua et igni interdictio)
(R41) comme le précise l’auteur de la Collatio legum (12, 5), et comme
l’attestent deux autres textes, un commentaire de jurisprudence (Digeste,
48, 8, 1) cité plus haut (Commentaire à R20) et un rescrit impérial :

Les empereurs Philippe Augustus et Philippe Caesar à Saturninus


(19 juin 244).
Puisque tu assures que tes biens ont été livrés aux flammes par
l’application délibérée (data opera) de la partie adverse, tu peux
poursuivre l’accusation (crimen exsequi), en vertu de la loi Cornelia
sur les assassins.
Affiché le 13 des calendes de juillet sous le consulat de Peregrinus
et Aemilianus. (Code de Justinien, 9, 1, 11)
L’épisode rapporté par Cicéron concerne l’incendie de l’édifice où
étaient entreposées les archives d’État, inscrites sur des « tablettes »
(tabulae), le Tabularium, donc, dont l’imposante façade accrochée aux
pentes du Capitole s’offre encore aujourd’hui au regard depuis le forum
romain. Cet incendie fut perpétré en 83 av. J.-C., à l’initiative d’un haut
personnage, sans qu’on sache exactement quelles pouvaient être ses
motivations. L’épisode lui-même est antérieur à la législation syllanienne,
mais la date du procès serait donc postérieure. En tout cas, la désignation
du « préteur » et du « forum » (la place où se tenaient les quaestiones ou
iudicia publica, c’est-à-dire les tribunaux de jurys) ne laisse aucun doute
sur le fait que le tribunal dont il s’agit est une quaestio :

Mais quittons le théâtre et allons au forum. Le préteur est sur


le point de siéger. Quelle est l’affaire qu’il faut juger ? <Découvrir>
qui a incendié le Tabularium. Quoi de plus mystérieux que ce crime
(facinus) ? Mais Q. Sosius, chevalier romain de très haut rang,
originaire du Picenum, a avoué (confiteor) l’avoir fait. (Cicéron, De
la nature des dieux, 3, 74)

La législation sur les incendiaires reflète une préoccupation constante


des Romains à toutes les époques contre le risque d’incendie, soit en
contexte rural, soit en contexte urbain. À Rome, sous la République, ce
sont les « triumvirs capitaux » (R7), responsables initialement de rondes
nocturnes, qui ont été chargés de la surveillance et de la prévention
des risques de ce fléau, tandis qu’à l’époque impériale, le préfet des vigiles,
outre les pouvoirs de juridiction mentionnés plus haut et qui sont
la conséquence de son activité « de terrain » dans les différents quartiers
de la Ville où stationnaient ses troupes, s’est retrouvé à la tête
d’importants effectifs pour lutter contre l’incendie [SABLAYROLLES 1996].
Outre le long fragment d’Ulpien relatif à la loi Aquilia, tous ceux qui
précèdent dans le titre de la Collatio legum sont essentiellement centrés sur
la distribution des peines en fonction de la distinction entre les humiliores
et les honestiores. On y trouve par ailleurs le même partage entre l’incendie
criminel et l’incendie accidentel, dont la perpétration s’est trouvée
aggravée sous l’Empire par l’introduction de la notion de « négligence » ou
« d’insouciance », absente de la législation décemvirale.
31

L’atteinte à la délimitation des espaces


(Collatio legum, tit. 13)

Titre 13. Du déplacement d’une borne (De termino amoto).

1, 1. Tu ne déplaceras pas les bornes de ton voisin que tes pères ou


les princes ont fixées <pour limiter> ta possession.
2, 1. Paul, au premier livre des sentences, sous le titre « De la façon
dont on établit des limites (fines regere) » :
Celui qui par la force (uis) a mis à bas ou déplacé des bornes (termini)
est puni <selon la procédure> extraordinaire.
3, 1. Ulpien, au huitième livre Sur la fonction du proconsul sous le titre
« Du déplacement d’une borne » (de termino moto).
Ceux qui ont déplacé des bornes (terminos mouere) ne doivent pas
le faire impunément (inpune), a répondu le divin Hadrien le dix-septième
jour avant les calendes de septembre, alors qu’il était consul pour
la troisième fois dans un rescrit adressé à Terentius Gentianus. Il établit
par ce rescrit une peine qui peut varier (poena uaria). 2. Le rescrit est
rédigé dans ces termes : « on ne peut douter que l’acte <commis> par ceux
qui enlèvent les bornes installées (termini positi) pour servir de limites
(fines) est des plus mauvais. Cependant, la proportion de la peine (poenae
modus) peut être de préférence établie en fonction de la condition de
la personne (condicio personae) et de son intention (mens). Car si ce sont
des personnes d’un rang éclatant (splendidiores personae) qui se trouvent
convaincues, je ne doute pas qu’elles ont commis ce <crime> dans
l’intention d’occuper les limites d’un autre, elles peuvent être reléguées
pour une certaine durée, comme le leur permet leur âge (aetas), à savoir,
s’il est jeune (iuuenior), que la durée soit rallongée, s’il est vieux (senior),
qu’elle soit raccourcie. Cependant, si d’autres ont été chargés de
l’entreprise (negotium) et se sont acquittés d’un service (ministerium), ils
doivent être châtiés (castigari), et ainsi livrés au travail public (opus
publicum) pour une durée de deux ou trois ans. Toutefois, si les pierres
(lapides) ont été volées (furare), soit par ignorance (ignorantia), soit par
inadvertance (fortuito), pour être réutilisées, il suffit qu’ils soient corrigés
(coerceri) à coups de verges (uerbera) ».

*
* *

Le passage de la Bible qui ouvre ce titre est extrait du Deutéronome, 19,


14, mais l’auteur a préféré supprimer l’allusion à Dieu pour ne conserver
que le contenu positif de l’interdiction. Le passage entier est le suivant
(dans la traduction œcuménique de la Bible) : « Tu ne déplaceras pas
les limites du terrain de ton voisin, tel que l’auront délimité les premiers
arrivés, dans l’héritage que tu auras reçu au pays que le Seigneur ton Dieu
te donne en possession ». La préoccupation ici exprimée est commune à
de nombreuses communautés rurales du Proche-Orient ancien, de l’Égypte
et de la Grèce [BARTON-MUDDIMAN 2001, p. 149]. À Rome, « l’histoire » du
dieu Terminus débute dès l’époque de la légende de fondation de la Ville.
C’est le roi sabin Titus Tatius – jusqu’à son assassinat (R41e) ce dernier
partagea la royauté avec Romulus –, qui aurait installé sur le Capitole
l’autel de cette divinité agraire « conformément au vœu qu’il en avait fait
pendant un combat contre Romulus » (Tite-Live, 1, 55, 2). Deux siècles et
demi plus tard, selon la chronologie des origines légendaires de Rome, à
la fin de l’époque royale, donc, le dernier roi, Tarquin le Superbe, engagea
la construction du temple de Jupiter sur le Capitole « en faisant
disparaître les autels et les petits temples que <Titus> Tatius y avait élevés,
consacrés et inaugurés », à l’occasion du combat contre Romulus. Si toutes
les divinités concernées acceptèrent d’être ainsi « déplacées », les augures
considérèrent que le dieu Terminus, puisqu’il s’était manifesté par
des signes, ne pouvait l’être : une immuabilité « qui présageait la solidité
et la durée de la puissance romaine ». Ce premier prodige fut suivi d’un
autre, à savoir « la découverte d’une tête humaine parfaitement
conservée » (R34a1) : « et ce nouveau phénomène désignait clairement
que là aussi serait la tête de l’Empire » (Tite-Live, 1, 55, 6). Pour que
Terminus n’eût d’autre horizon que le ciel on pratiqua une ouverture dans
le toit du temple de Jupiter capitolin nouvellement construit et qui
réservait un espace à cette divinité qui ne pouvait bouger de l’endroit où
son culte avait été initialement instauré. C’est ainsi que le dieu Terminus
est devenu l’ancrage religieux du caractère sacré des bornes de
délimitation, indéplaçable, donc.

Ô Terminus, après cela la mobilité (leuitas) ne t’est pas donnée


librement. Demeure à cet emplacement (statio), où tu as été
une fois installé. (Ovide, Fastes, 2, 670)

Des rites étaient accomplis pour ce dieu, encore au commencement de


l’Empire, comme l’attestent l’historien Denys d’Halicarnasse (R1b4) ou, de
nouveau, le poète Ovide :

Ô Terminus, que tu sois une pierre (lapis) ou une souche (stips)


creusée dans un champ, depuis les temps anciens tu as aussi
une volonté divine (numen). Les maîtres de deux lots contigus te
couronnent, ils te portent <en offrande> deux guirlandes et deux
gâteaux. (Ovide, Fastes, 2, 640)

Le poète va plus loin en donnant une portée universelle au rite


instauré en l’honneur de Terminus, et il ouvre donc la question de savoir
quelles étaient précisément les bornes en question (territoriales ou
frontalières ? sacrées et profanes ? entre propriétés privées et espace
public ?) :

Tu délimites (finire) les peuples, les cités, les vastes royaumes.


(Ovide, Fastes, 2, 655)

Le récit légendaire des origines de Rome, aussi bien que la distribution


de bornes destinées à marquer des limites – elles sont l’objet d’un culte –
paraissent situer leur usage à l’époque royale. La plus ancienne règle
connue réprimant le déplacement des bornes compte parmi les « lois
royales » et elle entre dans la liste des dispositions relatives à
la déclaration de l’homo sacer (R1b4). C’est le roi Numa Pompilius – ce
successeur de Romulus apparaît, par ailleurs, comme le fondateur d’un
grand nombre de dispositions rituelles et cultuelles (il incarne
la souveraineté sacerdotale, dans le schéma de la trilogie indoeuropéenne,
selon G. Dumézil) – qui aurait introduit la disposition selon laquelle
l’atteinte aux bornes limitrophes serait sanctionnée par une mise à mort.
Mais de quelles bornes s’agissait-il ? Celles qui délimitaient les « champs »,
suggère Festus (p. 505 Lindsay) avant d’évoquer la consécration du
laboureur et de ses bœufs (R1b4)… Le récit de Denys (Antiquités Romaines, 2,
74, 2-4) se rapporte d’abord au même contexte en évoquant un bornage de
propriétés destiné à ce que chacun « se contente » de son propre bien et
« ne convoite pas » celui des autres. Le caractère religieux de ces bornes
est souligné par l’évocation de « sacrifices » accomplis sur ces limites, à
l’occasion de la fête des Terminalia. Chez Denys d’Halicarnasse également,
la punition du coupable comme « sacrilège », pouvant être accompli par
tout un chacun, « impunément », et sans encourir de « souillure » (celle
qui touche généralement l’homicide), se rapporte à une déclaration
d’homo sacer (R1). Mais l’historien grec poursuit en accordant à la mesure
de Numa Pompilius une portée beaucoup plus large, puisqu’elle trouverait
également une application « internationale », aux limites entre
le territoire romain lui-même et celui des « cités limitrophes », entre
le domaine public et les propriétés privées. La page qu’il consacre à
la question évoque le maintien des rites (des sacrifices non sanglants)
accomplis par les Romains encore à son époque, alors même qu’ils
auraient, selon lui, perdu le sens de la raison morale qui avait conduit
l’ancien roi à vouloir éviter l’appropriation du bien d’autrui par
la violence et par la fraude. Car, loin de suivre l’exemple de leurs ancêtres,
les Romains désormais « au lieu de distinguer ce qui est à eux de ce qui
appartient à autrui, fixent les limites de leurs propriétés, non par la loi,
mais par le désir de tout posséder » (Denys d’Halicarnasse, Antiquités
Romaines, 2, 74, 5). Un constat qui vaut aussi bien pour le spectacle d’un
siècle de guerres civiles qui a précédé l’œuvre de l’historien grec sous
le règne d’Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.), que pour l’extension de
l’empire lui-même, au détriment des cités et des royaumes grecs, avant
son époque.
Quel crédit accorder à cette application presque universelle de toute
forme de bornage de la loi de Numa Pompilius ? Peut-on retracer
d’ailleurs une histoire des termini depuis les origines jusqu’à la législation
impériale dont nous allons reparler ? C’est peu probable et sans doute
vaut-il mieux séparer différents types de limites (privées, publiques,
sacrées, frontalières du territoire civique) en dépit de l’unité d’abord
perçue sous l’angle religieux. Pour l’époque la plus ancienne, on a supposé
qu’il s’agissait plutôt de séparation entre différents espaces publics,
civiques ou sacrés, plutôt que privés [MACK CORMACK 1979, p. 243-246].
Quant à l’accomplissement de la sanction, jamais « à l’époque historique »,
la consécration du laboureur et de ses bœufs ou toute autre forme
d’exécution capitale voisine n’est attestée [MOMMSEN 1907, III, p. 140-141].
Aucun verset connu de la Loi des XII Tables ne porte le terme de terminus,
en revanche, au milieu du Ve siècle av. J.-C., la législation décemvirale a
constitué une étape essentielle dans le droit des confins de propriété, en
imposant d’une part de respecter un espace nécessaire de contact et en
offrant, d’autre part, face à toute contestation, soit la médiation d’un
arbitrage, soit une action civile désignée comme une « action en bornage »
(actio finium regundorum). Cette action (XII Tab., 7, 2 ; 7, 4 ; 7, 5) est bien
une étape essentielle car elle a « traversé tout le droit romain », soit
un millénaire jusqu’à l’époque de Justinien (527-565) : elle visait à obtenir
par un bornage précis le respect de « deux bandes limitrophes de cinq
pieds (1,5 m) chacune, prises sur l’une et l’autre des deux propriétés
concernées », une sorte de « zone franche, libre de toute exploitation »,
permettant tout à la fois la manœuvre de retournement de la charrue et
ménageant un droit de passage [HUMBERT 2018, p. 325-336]. En dépit de
cette pérennité le statut du confinium a évolué toutefois : alors que dans
la législation décemvirale il ne visait que la suspension, acceptée par
les deux propriétaires, de « l’exercice d’un droit » (usus) qu’ils pouvaient
toujours en principe exercer chacun sur cette zone d’exclusion,
la disposition a fini par s’appliquer également, à la fin de la période
républicaine, à l’acquisition de cet espace par l’usage exercé par un tiers
(usucapio) [HUMBERT 2018, p. 337-340].
L’arbitrage lui-même a évolué comme l’atteste la loi Mamilia Roscia
Peducaea Alliena Fabia d’époque césarienne (de l’année 59 av. J.-C., plus
précisément sans doute) [CRAWFORD 1996, II, p. 763-767]. Ce texte dont trois
chapitres ont été conservés dans le corpus gromatique constitue
un deuxième point d’appui dans l’histoire pluri-séculaire du déplacement
des bornes, de l’époque républicaine jusqu’à l’Empire. Dans son troisième
chapitre (la première disposition conservée), cette loi définit le statut du
« fonds de terre » ou du « territoire » (ager) situé « à l’intérieur
des confins » (intra fines) d’un espace placé sous l’emprise de la puissance
romaine, qu’il s’agisse d’une « colonie » proprement dite, d’un
« municipe », d’une « préfecture » (espace périphérique de la colonie
soumis à l’autorité annuelle d’un magistrat), d’un « forum » (« centre
éloigné d’une colonie »), ou d’un « conciliabulum » (« réunion de soldats et
de citoyens à distance de la colonie »). Ces « fonds de terre » ou
« territoires » sont délimités par des « bornes » (termini) qui ont été
« établies officiellement » (statuere). Lorsque la « borne » n’est plus en
place, cette « borne » doit être « rétablie » (terminum restituere).
Le cinquième chapitre de la loi précise qu’à l’intérieur des collectivités
précédement énumérées de la colonie au conciliabulum, des limites (limites
et decumani) sont établies, garanties par des « bornes » (termini) qu’il est
interdit de déplacer (eiicere) ou de repousser du lieu où elles ont été
plantées (loco mouere). Un tel acte s’il est accompli « sciemment et avec
la volonté d’agir par fraude » (sciens dolo malo), est puni d’une amende
(5000 sesterces). Le produit de l’amende revient alors pour moitié au
Trésor de la collectivité, pour l’autre moitié à l’initiateur de
la dénonciation et de la poursuite. La dernière stipulation conservée de
cette loi précise qu’on peut remettre une borne à son emplacement
originel sans encourir le risque d’un déplacement illicite de borne (la tenir
même, il faut donc le préciser, pourrait être un acte contraire au droit et à
la religion) :

En chaque lieu où la borne manque, si quelqu’un veut remettre


la borne (restituere terminum) au lieu <où elle devait être>, qu’il lui
soit permis de le faire sans <encourir une poursuite pour> délit
(sine fraude) et qu’en vertu de cette loi il ne soit condamné à verser
quoi que ce soit et à quiconque pour ce geste. (CRAWFORD 1996, II,
p. 764)

Cette loi Mamilia est très certainement le texte de la loi agraire


mentionné dans le Digeste sous le titre « Du déplacement d’une borne » (De
termino moto) cité ci-dessous. Le rescrit d’Hadrien conservé dans la Collatio
legum s’y trouve également cité par Callistrate avec quelques écarts
ponctuels entre les deux versions.

1. Lorsque des bornes (termini) ont été arrachées (auellere), ce n’est


pas <en infligeant> une condamnation pécuniaire (multa pecuniaria)
<indifférenciée>, mais à la mesure de leur condition sociale
(condicio), qu’on règle la répression (coercitio) de ceux qui ont
commis <cet acte>. (Modestin, Des Règles extrait du livre 8 = Digeste,
47, 21, 1)
2. Le rescrit d’Hadrien cité par Callistrate, Des enquêtes, extrait du
livre 3 = Digeste, 47, 21, 2 [également conservé dans la Collatio
legum].
3. pr. En vertu de la loi agraire que Caius <Julius> César a portée
contre ceux qui ont déplacé (movere) des bornes établies (termini
statuti) ou des limites (fines), frauduleusement (dolo malo), hors de
l’emplacement (gradus) <qui> leur <avait été attribué>,
une condamnation pécuniaire (pecuniaria poena) a été établie, car
elle ordonne de verser au <trésor> public 50 pièces d’or (aurei) à
quiconque les aurait enlevées (eiicere) ou bougées de leur
emplacement (loco mouere) et elle ordonne d’accorder cette action,
à qui veut en faire requête (petitio).
1. Par une autre loi agraire que le divin Nerva a portée, il est prévu
que si un esclave ou une esclave, à l’insu du maître, a perpétré <un
tel acte> frauduleusement (dolo malo), que <la peine> qui lui est
attribuée soit capitale (capitalis), à moins que le maître ou
la maîtresse ne préfère supporter une amende (mulctam suffere).
2. Quant à ceux qui pour brouiller (obscurare) les enquêtes
<relatives> aux délimitations (finales quaestiones) modifient l’aspect
des lieux, en faisant d’un arbre un arbuste, ou d’une forêt
une jachère, ou s’ils commettent quelque autre chose de ce genre,
ils seront frappés d’une peine (poena plectere) proportionnée à leur
personne (persona), à leur condition (conditio) et à la violence
des faits. (Callistrate, Sur les enquêtes, extrait du livre 5 = Digeste, 47,
21, 3, pr.-2)

La « loi agraire » du règne de Nerva (96-98) vise, à l’instar de la Loi


Manilia, à réprimer les déplacements de bornes à l’intérieur d’un
territoire. Ce type de législation ne paraît plus s’inscrire dans le cadre
religieux décrit plus haut, et qui justifiait sans doute l’ancienne
disposition attribuée au roi Numa Pompilius [MACK CORMACK 1979, p. 253-
254]. L’esclave qui aurait commis un tel acte encourt donc la peine
capitale, à moins que ses maîtres n’acceptent de verser l’amende due, en
échange de la conservation de leur propriété sur l’esclave. Doit-on
accorder au rescrit d’Hadrien une portée si générale qu’il viendrait
renouveler toute la législation antérieure [MACK CORMACK 1979, p. 255] ?
La nature même d’un tel document administratif, envoyé en réponse à
la demande d’un gouverneur sans doute, invite à ne pas lui accorder cette
application universelle. S’applique-t-il à toutes les limites entre propriétés
privées ? Plus vraisemblablement à celles, seulement, qui ont été garanties
par les pouvoirs publics [MACK CORMACK 1979, p. 257-258]. Quoi qu’il en soit,
l’objet principal de ce texte relève de l’application de la peine, plutôt que
de la définition du crime, en fonction de deux critères, la condition sociale
et la responsabilité de l’acte. Ce crime peut être commis en effet de deux
façons qui engagent différemment la responsabilité de celui qui en est
l’auteur. Dans le premier cas, le déplacement du bornage est délibéré. Il ne
peut être, dans la formulation retenue par l’empereur, que le fait de
grands propriétaires terriens – l’expression splendidiores personae
les désigne – désireux d’étendre leurs domaines, au détriment de terres
voisines. Ils encourent alors une « relégation », c’est-à-dire une forme
d’exil qui leur permet néanmoins de conserver les droits attachés à
la citoyenneté romaine (R44). La disposition relative à l’âge (elle est
conservée seulement dans le Digeste, dans la citation de ce rescrit par
Callistrate, mais les éditeurs de la Collatio legum l’insèrent également dans
sa citation par Ulpien) est singulière et peut-être sans équivalent dans
le reste de la législation impériale relative à la durée d’une telle peine.
L’empereur Hadrien (à moins qu’il ne s’agisse d’une interpolation, c’est-à-
dire d’une altération du texte original), dans un souci d’adoucissement,
décide en effet de proportionner cette relégation à l’âge de l’auteur de
l’acte, en considérant que les jeunes (iuniores) peuvent endurer, par
rapport aux adultes plus âgés (seniores), un relégation plus longue – en
bref, le but poursuivi est que le condamné ne meure pas en exil. Dans
le second cas, le déplacement des bornes est accompli sur commande, en
tant que « service » (ministerium) rendu à un commanditaire (la condition
sociale élevée de ce dernier est ici implicite). Il est alors sanctionné par
la peine du « travail public », nous dirions des « travaux forcés » –
une peine qui s’applique à cette époque aux prévenus de plus basse
extraction, ceux qui sont souvent désignés comme humiliores, alors que
les honestiores n’encourent que la relégation. Un troisième scénario est
enfin envisagé par le rescrit d’Hadrien. Il ne peut toucher que des actes de
terrain, accomplis de nouveau par ceux qui travaillent sur une propriété,
plutôt que par les propriétaires eux-mêmes, à savoir le « vol » – l’acte est
reconnu comme tel – commis par « ignorance » ou « inadvertance ».
La circonstance atténuante s’oppose à l’intentionnalité qui préside à
un « vol ». La sanction envisagée, quant à elle, brutale et humiliante,
la flagellation, confirme que l’auteur de l’acte ne peut appartenir qu’aux
couches inférieures.
32

Le plagiat (Collatio legum, tit. 14)

Titre 14. Au sujet des plagiaires (De plagiariis).

1, 1. Moïse dit :
Que celui qui s’est emparé par plagiat d’une personne en Israël et l’a
vendue, subisse la mort.
2, 1. Paul au cinquième livre des Sentences sous le titre « Du
Commentaire à la loi Fabia » :
Tombe sous le coup de la loi Fabia, celui qui a tenu recélé (celare),
vendu, détenu, acheté un citoyen romain de naissance libre, ou bien
un affranchi, ou encore un esclave. 2. Tandis qu’autrefois la peine prévue
par cette loi était pécuniaire (poena nummaria), l’enquête (cognitio) a été
transférée au préfet de la Ville, elle mérite de même la punition
(animaduersio) extraordinaire par le gouverneur de province. C’est
pourquoi les humbles (humiliores) sont livrés à la mine, ou sont portés en
croix, tandis que les personnes honorables (honestiores) sont reléguées à
perpétuité, la moitié de leur bien étant alors saisie (adempta). 3. Si
un esclave a enlevé, vendu, recélé l’esclave d’autrui en toute connaissance
de son maître, le maître lui-même est puni (animaduertere). Mais si
<l’esclave> a perpétré un tel acte à l’insu du maître, il est livré à la mine.
3, 1. Ulpien au neuvième livre Sur la fonction du proconsul sous le titre
« De la loi Fabia » :
L’enquête (cognitio) menée en vertu de la loi Fabia revient
fréquemment aux tribunaux des gouverneurs, même si dans les provinces,
comme à Rome, certains procurateurs de César ont usurpé illégalement
cette juridiction. 2. De fait, on en est arrivé à la suite de constitutions
<impériales> au résultat que seul le préfet de la Ville doit connaître ce
type d’affaire, si l’atteinte (iniuria) a été perpétrée en deça de la centième
borne milliaire. Mais si elle a été perpétrée au-delà de la centième,
l’enquête (cognitio) reviendra aux préfets du prétoire. En province elle
appartient aux gouverneurs des provinces, et l’enquête n’est ordonnée au
procurateur de César que dans le cas où il tient dans la province le rôle
d’un gouverneur. Il est clair qu’après la sentence passée en vertu de
la <loi> Fabia, le rôle du procurateur intervient. 3. L’empereur Antonin a
décidé cependant qu’un procurateur faisant fonction de gouverneur à
la tête de cette province, bien qu’il ne puisse pas connaître des causes
capitales ni ne le fasse habituellement, pouvait toutefois mener
une enquête en vertu de la loi Fabia. Ce même procurateur a reçu selon
une constitution de l’empereur Antonin le droit d’enquête relevant de
la loi Iulia sur la répression des adultères.
4. Par ailleurs quiconque a caché, détenu ou tenu dans des liens, vendu
ou acheté un citoyen romain, un Latin, ou un individu qui a été affranchi
en Italie, tombe sous le coup de la loi Fabia, de même quiconque a été
associé à un tel acte. Et une peine est établie contre lui au premier
chapitre de la même loi. Si un esclave a commis cet acte alors que son
maître était au courant, le maître est puni en vertu du même chapitre par
le versement d’une amende de cinquante mille sesterces. 5. Tombe sous
le coup du second chapitre de cette même loi celui qui a persuadé l’esclave
d’un autre de fuir (fugere) <de chez> son maître, ou celui qui, contre le gré
du maître, a caché, vendu, acheté dans une intention frauduleuse (dolo
malo) l’esclave d’autrui, ou celui qui a été l’associé d’une telle affaire. Il lui
est ordonné de verser cinquante mille sesterces au peuple. Et ainsi de
suite… 6. Cependant, il faut savoir qu’en vertu des nouvelles constitutions,
les plagiaires (plagiatores) doivent être punis par une sentence capitale, à
la mesure de la gravité (atrocitas) du fait. Même si Paul, dans certains cas
spécifiques rapportés plus haut, a attribué la peine de la croix et de
la mine à l’encontre de ce type de prévenus.

*
* *

Les exégètes hésitent entre deux extraits différents de la Bible qui


seraient à l’origine de la citation de la Collatio legum qui ouvre ce titre sur
le plagiat, soit Exode, 21, 17, « Et qui commet un rapt – qu’il ait vendu
l’homme ou qu’on le trouve entre ses mains – sera mis à mort », soit
Deutéronome, 24, 7, « S’il se trouve un homme qui commet un rapt sur
la personne d’un de ses frères parmi les fils d’Israël, qui maltraite sa
victime et qui la vend, l’auteur du rapt mourra. Tu ôteras le mal du milieu
de toi ». L’allusion à Israël qu’on trouve dans le second extrait et qui est
reproduite dans la Collatio legum inviterait à faire ce second choix, mais il
se peut que l’auteur ait procédé à un double emprunt [FRAKES 2011, p. 297].
La formation d’un empire à l’échelle de la Méditerranée au dernier siècle
de la République s’est accompagnée de transformations profondes de
la société romaine. L’afflux d’esclaves, issus du butin de la conquête,
depuis la seconde guerre punique (218-202 av. J.-C.) jusqu’à la prise du
royaume d’Égypte (30 av. J.-C.), a transformé, en particulier, l’économie de
l’Italie, si bien que dans les régions du Sud de la péninsule et en Sicile, au
moins, un « mode de production esclavagiste » s’est substitué aux
anciennes formes d’exploitations rurales [NICOLET 1979]. Plus généralement,
le commerce d’esclaves s’est développé à l’échelle de l’empire dans son
ensemble. Ce n’était sans doute pas une nouveauté imposée par
le conquérant romain, car aucun des pays soumis n’ignorait auparavant
la condition servile, quelle qu’en fût la forme, en Orient comme en
Occident. C’est dans le contexte du dernier siècle de la République et de
l’accomplissement de la conquête, alors que toutes les formes de trafic
d’êtres humains florissaient [RIVIÈRE 2004c, p. 249-317], que la lex Fabia de
plagiariis (sa date précise est inconnue) a été votée. Cette loi est demeurée
en vigueur jusqu’à l’époque byzantine, tout en ayant, entretemps, subi de
nombreuses modifications, telles celles apportées par les « nouvelles
constitutions » signalées par la Collatio legum et dont l’identification (Code
de Justinien, 9, 20, 7 (287 ap. J.-C.) ; Code théodosien, 9, 18, 1 (315 ap. J.-C.) ?)
reste discutée [FRAKES 2011, p. 298-299]. Le texte de la Collatio legum en
éclaire en partie le contenu, au travers de deux commentaires
jurisprudentiels qui paraissent citer par endroits le texte même de la loi.
Celle-ci réprimait la vente, l’achat, la détention, le recel, de citoyens libres,
d’affranchis, ou d’esclaves d’autrui (Coll., 14, 2, 1 ; 14, 3, 4).
Les contournements de ces dispositions législatives étaient nombreux et
s’appuyaient sur tous les faux-semblants possibles, relatifs à
l’établissement de la condition des personnes [DAUBE 1991]. Si un esclave
avait lui-même accompli de tels actes, à l’insu de son maître, il était
envoyé aux mines ; si le maître était complice, ce dernier était puni, d’une
amende à l’origine, d’une peine plus grave par la suite (Coll., 14, 2, 3 ; 14, 3,
4). L’incitation à commettre de tels actes, et la complicité, étaient
également réprimées (Coll., 14, 3, 5). Les commentaires conservés sous ce
titre de la Collatio legum, au-delà du contenu de la loi elle-même, et de
la répression du plagiat, intéressent le fonctionnement de la justice à
l’époque impériale, dans un contexte politique, administratif et judiciaire,
bien différent de l’époque à laquelle la loi avait été votée. Alors qu’à
l’époque républicaine, une amende légale (son taux était défini par la loi)
était infligée, dès le commencement de l’Empire les juges ont vite été
libérés de cette contrainte légale : à Rome, le préfet de la Ville (R12), tout
particulièrement désigné pour la répression des troubles à l’ordre public
et la criminalité relative aux esclaves, dans les provinces, les gouverneurs
(R37). Pour ce qui concerne le préfet de la Ville, sa juridiction s’étendait
au-delà de l’Vrbs jusqu’au centième mille, un rayon de près de 150 km, au-
delà duquel le territoire était alors sous la juridiction du commandant
des cohortes prétoriennes, le préfet du prétoire (Coll., 14, 3, 2)
La dichotomie dans l’application des châtiments entre les condamnés,
les « humbles » (humiliores) et les « personnes honorables » (honestiores),
est apparue ensuite (dans le courant du IIe siècle), et elle retient de
nouveau l’attention de l’auteur des Sentences de Paul, particulièrement
attentif dans son ouvrage à cette systématisation de la distribution
des peines, selon ce critère de condition sociale. Les premiers, « les
humbles », sont donc ici menacés de la condamnation aux mines ou du
crucifiement, les seconds de la relégation à perpétuité (R44), assortie de
la confiscation de la moitié de leurs biens.
Cependant, la discussion la plus originale, tant elle reflète la pratique
administrative de l’Empire, évoquée sous le titre de la Collatio legum
consacrée au crime de « plagiat », tient au conflit de compétences :
les gouverneurs, d’une part, les procurateurs, d’autre part. Résumons
le partage des compétences attribuées à ces acteurs essentiels du contrôle
de l’Empire. Les premiers relèvent de deux catégories, selon qu’ils dirigent
des provinces soumises directement à l’autorité de l’empereur, celles où
cantonnent des armées (on appelle ces gouverneurs « légats d’Auguste
propréteurs »), ou selon qu’ils dirigent des « provinces du peuple romain
et du sénat », relevant en principe de l’autorité du sénat (les proconsuls).
Les procurateurs, qui sont-ils ? La procuratèle est un terme employé dès
l’époque républicaine pour désigner le représentant personnel d’un
mandataire. Il s’agissait alors, dans le milieu des classes dirigeantes,
d’affranchis au service de patrons pour la gestion de leurs affaires. C’est
selon ce modèle, qu’au commencement du Principat, les empereurs ont
accordé la gestion de leurs biens (les domaines du fiscus) dans
les provinces à des « procurateurs » qui ont donc exercé alors
une fonction « étatique ». Cette compétence des procuratores se généralise
sous le règne de Claude (41-54). Par ailleurs, il se trouve que certaines
provinces telles que les districts alpins, l’Épire (l’actuelle Albanie), ou
la Judée (après avoir reçu un « préfet » Ponce Pilate) sont dirigées par
des « procurateurs » qui tiennent alors lieu de « gouverneurs ». En Égypte,
comme en d’autres endroits, ce procurateur porte le titre de « préfet ».
Ces procurateurs qui faisaient office de gouverneurs disposaient donc
des compétences judiciaires qui incombaient normalement à ces derniers,
détenteurs du traditionnel pouvoir de commandement, l’imperium. C’est
pourquoi le procurateur de Judée (et le « préfet » avant lui) avait
normalement le « droit de glaive » (ius gladii), c’est-à-dire une compétence
en matière de justice capitale – en atteste l’épisode de l’appel de Paul de
Tarse (R50c) –, tandis qu’un procurateur qui remplaçait un gouverneur en
cas de vacance occasionnelle disposait du même droit. En attestent cette
fois les Actes de Perpétue et Félicité (R18b). Le texte de la Collatio legum (14, 3,
1 ; 14, 3 2) vient ici confirmer ce fait. Cependant, la question abordée sous
ce titre relatif à la lex Fabia de plagiariis est aussi celle de savoir si
les procurateurs voués en principe à la seule question de la gestion
des affaires du fisc (non pas ceux-là auxquels était accordée,
définitivement ou provisoirement, la compétence d’un gouverneur)
pouvaient être juges en matière criminelle. Ils ne le devaient pas en
principe, mais deux dérogations paraissent avoir été admises par
l’empereur Caracalla (198-217), au sujet précisément de la lex Fabia de
plagiariis, mais aussi de la lex Iulia de adulteriis (R23).
33

Divination illicite et atteinte à l’ordre


religieux (Collatio legum, tit. 15)

Titre 15. Des mathématiciens, des enchanteurs et des manichéens


(De mathematicis, maleficis et manicheis).

1, 1. Moïse dit :
Qu’on ne trouve pas auprès de toi quelqu’un qui purifie par
un sacrifice expiatoire ton fils ou ta fille, ni un devin des mains duquel tu
prends les sorts. Ne conspire pas (consentire) avec des imposteurs
empoisonneurs (impostores uenenarii) qui disent ce qu’une femme a conçu,
parce que ce sont des fables destinées à séduire, ne t’oriente pas vers
les prodiges (prodigia), n’interroge pas les morts. 2. Qu’on ne découvre pas
auprès de toi un interprète d’augures (auguriator), ni un observateur
d’oiseaux (inspector auium), ni un sorcier (maleficus), ni un enchanteur
(incantator), ni un porteur de serpent en son ventre, ni un examinateur
des entrailles (haruspex), ni un interrogateur des morts, ni un observateur
des signes (portenta). 3. Car toutes ces choses, aussi bien que celui qui
les pratique ont été condamnées par ton Dieu. C’est en effet en raison de
telles abominations que Dieu a éradiqué les Chaldéens de ta face. 4. Toi en
revanche tu seras parfait devant ton Dieu. 5. En effet les peuples dont tu te
rendras maître écoutaient les augures (auguria), les sorts (sortes) et
les divinations (diuinationes).
2, 1. Ulpien, au livre VII Sur la fonction du proconsul, sous le titre « Des
mathématiciens (mathematici) et des prophètes (uaticinatores) » :
En outre fut interdite la fourbe imposture et l’opiniâtre croyance
des mathématiciens (mathematici). Et ce n’est pas seulement à notre
époque que décision fut prise de les soumettre à une telle interdiction,
mais cette défense (prohibitio) est ancienne. Nous tenons en effet à
disposition un sénatus-consulte adopté sous le consulat de Pomponius et
Rufus, dont les dispositions sont les suivantes : que l’eau et le feu soient
interdits (aqua et igni interdicere), que tous les biens des mathématiciens
(mathematici), des Chaldéens (Chaldei), et des devins (arioli) soient
confisqués (publicare), et ceux de tous ceux qui auront engagé une telle
entreprise ; si l’auteur de telles exactions appartient à quelque peuple
étranger, qu’il soit puni (animaduertere). 2. Toutefois, on s’est demandé s’il
fallait punir le savoir (scientia) d’hommes de ce genre, ou bien leur
pratique (exercitatio) et leur métier (professio). En tout cas chez les anciens
on disait que seul leur métier et non leur connaissance (notitia) était
défendu. Par la suite une telle distinction a été nuancée. Et on ne saurait
cacher que parfois l’usage s’en est insinué de telle sorte qu’ils en ont fait
profession (profiteri) et qu’ils se sont montrés en public. Mais du moins
une telle chose n’a pu se produire qu’en raison de l’obstination et de
l’irréflexion de ceux qui se faisaient voir, soit en train de consulter, soit en
train d’exercer, et non parce que cela avait été permis. 3. En fin de compte,
il a été interdit par pratiquement tous les princes que n’importe qui se
mêle de ce genre de sottises, et ils ont été punis de différentes façons ceux
qui s’y sont livrés en proportion naturellement du niveau de
la consultation. Car ceux qui ont consulté au sujet de la santé du Prince
sont punis de la peine capitale (capite puniri) ou livrés à quelque autre
peine plus grave, tandis que ceux qui ont consulté au sujet de leur <santé>
ou de celle de leur proche sont punis plus légèrement. Les prophètes
(uaticinatores) entrent dans cette seconde catégorie, et ils doivent
également être châtiés (plectere), parce que parfois ils pratiquent contre
la tranquillité publique (quies publica) et le commandement du peuple
romain (imperium populi romani) des professions condamnables (artes
inprobandae). 4. Pour finir, il existe un décret du divin <Antonin le> Pieux
adressé à Pacatus, légat de la province de Lyonnaise, dont les termes du
rescrit (rescriptum) sont tellement nombreux que je les ai résumés ci-
dessous.
5. Pour finir également, le divin Marc <Aurèle> lui aussi relégua dans
l’île de Syrus [Syros] celui qui, à l’occasion du soulèvement de Cassius,
avait prophétisé (uaticinare) et avait prononcé de nombreuses paroles
comme s’il était sous l’inspiration des dieux. 6. Assurément, en effet, ils ne
doivent pas colporter impunément (inpune) leurs propos, les hommes de
cette espèce, qui sous prétexte <d’agir> en vertu d’un avertissement
des dieux révèlent ou profèrent certaines choses, ou prétendent
mensongèrement en avoir connaissance.
3, 1. Le Code Grégorien, au livre VII sous le titre « Des magiciens et
des manichéens » :
Les empereurs Dioclétien et Maximien Augustes et Constantin et
Maximianus, très nobles Césars à Iulianus, proconsul d’Afrique.
Les moments de très grande inaction, mon très cher Iulianus, poussent
parfois les hommes en situation peu favorable à dépasser la limite
réservée à la condition de la nature humaine et les engagent à introduire
certaines sortes de savoirs (doctrina), de zèle religieux (superstitio) tout à
fait vains et honteux, si bien que par la fantaisie de leur erreur on les voit
même entraîner un très grand nombre d’autres personnes. 2. Cependant,
les dieux immortels ont bien voulu dans leur divine prévoyance mettre en
ordre et à leur place les choses qui sont bonnes et vraies, de telle sorte
qu’elles soient acceptées dans leur intégrité et établies, par la bouche de
bien des hommes vertueux et remarquables et par le jugement et l’action
d’hommes très savants (il n’est pas religieusement permis de s’opposer à
un tel état de fait ni de résister à son cours), de sorte que l’ancienne
religion ne soit pas réfutée par une nouvelle. Cela relève en effet du plus
grand crime de modifier les choses qui ont été établies et définies une fois
pour toutes par les anciens, alors qu’elles doivent conserver à la fois
une position et suivre leur cours. 3. C’est pour cette raison que notre
empressement est immense à punir l’obstination d’une disposition
d’esprit dévoyée d’hommes vils entre tous. Ces derniers en effet, qui
dressent contre les anciens cultes religieux (religiones), des sectes (sectae)
nouvelles, et sans précédent, de telle sorte que par leur fantaisie dévoyée,
ils repoussent les croyances qui jadis nous ont été accordées de la part
des dieux (diuinitus) 4. Au sujet des manichéens ton discernement a
soumis leur cas à Notre sérénité : nous avons entendu que tout
récemment, tels des êtres monstrueux (prodigia) inattendus et d’un
nouveau genre, depuis la nation perse, notre adversaire, se sont répandus
ou sont apparus sur cette terre (mundus), où ils ont perpétré de nombreux
crimes (facinora), ont troublé des peuples tranquilles et introduit dans
les cités de très grands dommages. Et il est à craindre qu’incidemment,
comme cela se produit d’habitude, prenant de l’ampleur avec le temps, ils
n’entreprennent par les abominables pratiques et les sinistres lois
des Perses de corrompre des hommes d’une nature innocente, puis
l’honnête et paisible nation romaine, enfin notre univers tout entier,
comme des poisons répandus par des individus malveillants. 5. Et puisque
toutes les sortes de crimes, que ta prudence dévoile dans son rapport
(relatio) concernant leur religion, ont été identifiées de la façon la plus
manifeste par les lois, puisque leurs plans ont été découverts, pour cette
raison, nous décrétons de la manière suivante les épreuves (aerumnae) et
les peines dont ils sont redevables et qui sont dignes d’eux : 6. Nous
ordonnons que les instigateurs (auctores) et ceux qui sont à leur tête
(principes) soient soumis, en même temps que leurs abominables écrits, à
la peine la plus sévère, de telle sorte qu’ils soient consumés par des feux
ardents. Toutefois, pour ce qui concerne les simples adeptes (consentanei)
et ceux qui persisteraient encore longtemps (contentiosi), nous conseillons
de les condamner à la simple peine capitale, et Nous ordonnons que leurs
biens soient revendiqués par notre fisc. 7. Si vraiment même
des détenteurs de fonctions publiques (honorati), d’un quelconque rang
(dignitas), ou les personnes les plus haut placées (maiores personae) sont
passés à cette secte sans précédent, ignoble et porteuse d’infamie en tous
points, ou à l’enseignement des Perses, tu feras en sorte que leurs
patrimoines soient intégrés à notre fisc et qu’ils soient eux-mêmes livrés
aux mines de Phaeno ou de Proconnèse, 8. de telle sorte donc que cette
épidémie de dérèglement puisse être amputée de notre bienheureux
siècle, jusqu’à la racine, et que ton dévouement se hâte de se conformer
aux ordres et aux règlements de Notre Sérénité.
Donnée le jour précédent les calendes d’avril à Alexandrie.

*
* *

Si l’identification du passage de la Bible choisi ici par l’auteur de


la Collatio legum ne fait pas de doute – il s’agit de l’extrait du Deutéronome,
18, 10-14 –, les importantes modifications entre l’original (qu’il s’agisse du
texte de la Septante ou de la Vulgate) et le paragraphe qui ouvre ce titre sur
l’astrologie posent de nombreuses questions, y compris sur
la transmission du texte lui-même. Par exemple, le recours à la divination
pour connaître le sexe d’un enfant pourrait être une glose médiévale
ajoutée au texte originel. Plus décisive et moins incertaine est
l’introduction de l’allusion aux Chaldéens (absente de l’extrait du
Deutéronome qui sert de source d’inspiration) car il pourrait s’agir d’une
insertion délibérée de l’auteur visant à établir un lien avec le fragment
d’Ulpien qui suit immédiatement. Nous serions alors en présence d’une
nouvelle intervention destinée à renforcer le parallélisme entre certaines
dispositions de l’Ancien Testament et le droit romain. Par ailleurs, cette
mention des Chaldéens n’est pas sans faire écho à la législation de
Constantin (306-337) et de Constance II (337-361), c’est-à-dire à
e
la législation des empereurs du IV siècle qui a précédé de peu la rédaction
du petit traité comparatif [FRAKES 2011, p. 299-300].

Définitions de l’astrologie et désignations des pratiques


divinatoires

L’observation du lexique, le repérage des évolutions sémantiques,


la différenciation des usages d’un même mot (les acceptions diverses qu’il
recouvre parfois, et qui offrent tant de pièges à l’exégèse), constituent
assurément le préalable nécessaire à toute approche historique
des mondes anciens. Ce lexique antique est bien sûr la pierre de touche de
l’histoire sociale et institutionnelle, il s’impose avant de recourir même
aux instruments taxinomiques déployés par nos sciences sociales.
Le répertoire, en l’occurrence, de ce que nous nommons aujourd’hui à
partir d’une étymologie latine « l’astrologie » échappe d’autant moins à ce
principe de méthode, que le sens même du terme astrologia dans
les sources latines ne recoupe qu’en partie ce que nous entendons par là.
Ce terme a pu être entendu de différentes façons, selon les contextes et
les époques de l’histoire de Rome. L’étendue du vocable latin qui se
rapporte à ce phénomène appelle également quelques précisions. Trois
termes constituent le titre de ce chapitre de la Collatio legum.
Les « mathématiciens » (mathematici), d’abord, et il y a lieu de redonner ici
au terme son acception première et littérale, alors qu’on le traduit
généralement par « astrologues ». Les praticiens de ce que nous désignons
par l’astrologie se nommaient alors eux-mêmes « mathématiciens » et
considéraient que leur pratique ne consistait pas en une technique
(technè), mais en une science (epistèmè). Ensuite, les enchanteurs
malfaisants (malefici) – le mot maleficium désigne le « crime »,
la « tromperie ». Les manichéens (manichei) enfin : ces adeptes de
la religion d’origine perse instaurée par le prophète Mani au milieu du
e
III siècle dans le monde iranien sont ici introduits dans le registre de

la divination néfaste ou malveillante.


Quant au texte d’Ulpien qui constitue le premier paragraphe de ce
titre, il mentionne les « devins » en les désignant du nom d’arioli (harioli),
un terme qui dès l’époque de la seconde guerre punique (218-202 av. J.-C.)
où il est déjà attesté (chez Ennius ou Plaute), revêtait une connotation
péjorative. Il évoque aussi les « Chaldéens » (Chaldei), un mot qui désigne
originellement les habitants de « la Chaldée » en Mésopotamie, entre
les cours inférieurs du Tigre et de l’Euphrate, cette région au Sud de
laquelle s’étaient développés les royaumes de Sumer et d’Akkad au
e
commencement du III millénaire av. J.-C., et où s’était épanouies plus au
Nord les civilisations babylonienne et assyrienne, et qui fut intégrée plus
tard dans l’Empire perse. En employant ce mot, les Romains pensaient
bien sûr à son origine étrangère comme l’atteste par exemple la formule
redondante de Lucrèce (De la nature des choses, 5, 727) : « la doctrine
babylonienne des Chaldéens » (Babylonica Chaldaeum doctrina).
Ulpien mentionne également les uaticinatores : le verbe uaticinari
signifie « prophétiser », « parler au nom des dieux », mais il a lui aussi
une connotation péjorative « extravaguer », « être en délire ». Les mots
employés ici par le juriste n’ont pas nécessairement une acception
technique, puisque précisément la mention des deux sortes de « devins »
se poursuit par une généralisation (et ceteri…) qui invite à ne pas tenter de
distinguer avec précision les uns des autres [contra MOMMSEN 1907, II,
p. 358 n. 4 et III, p. 193, n. 4]. Incidemment, apparaissent aussi ici deux
autres termes, pourtant très répandus et employés dans d’autres textes
cités dans le commentaire qui suit, à savoir les astrologues (astrologi) et
les mages (magi). Ces derniers désignaient originellement les prêtres du
zoroastrisme dans l’Empire perse achéménide. Ils renvoient donc, à
l’instar des Chaldéens et des manichéens, au monde parthe, puis perse
sassanide, c’est-à-dire à l’ennemi, cet autre empire, auquel les Romains
n’ont cessé de disputer le contrôle de l’espace mésopotamien.
Le mot astrologia [LE BŒUFFLE 1987, p. 56-65] désigne principalement
dans la littérature latine (80 % des occurrences) la science des astres, à
savoir ce que nous appelons « l’astronomie », par opposition à
« l’astrologie » – chez les Latins, l’emprunt au grec astronomia n’apparaît
qu’à l’époque néronienne (54-68 ap. J.-C.) et sera peu utilisé.
Les phénomènes célestes étant également désignés par le mot caelestia
(lui-même emprunté au grec ta ourania). Le terme est attesté depuis
er
le I siècle av. J.-C. dans l’œuvre de Cicéron, puis dans celle de Varron, et
jusqu’au IIe siècle ap. J.-C. Il faut attendre la fin de l’Antiquité et l’œuvre
d’Isidore de Séville (560-636 ap. J.-C.) pour trouver une définition de ce
mot qui rende compte à la fois de son acception scientifique (notre
astronomie) ou « naturelle » (naturalis), et de son acception liée à
la prédiction de l’avenir ou « superstitieuse » (superstitiosa) :

Il y a bien quelque chose qui différencie l’astronomie et


l’astrologie. En effet, l’astronomie recouvre la révolution du ciel,
le lever, le coucher et le mouvement des astres, ou la raison pour
laquelle ils sont ainsi nommés. L’astrologie en revanche est en
partie naturelle, en partie superstitieuse. Elle est naturelle
lorsqu’elle cherche à connaître le parcours du soleil et de la lune
ou certaines positions des étoiles selon les moments. Cependant,
celle que pratiquent les mathématiciens est superstitieuse,
lorsqu’ils prédisent l’avenir dans les étoiles, lorsqu’ils disposent
les douze signes du ciel pour chaque partie de l’âme ou du corps,
lorsqu’ils essayent de prédire à partir du cours des astres
les naissances ou les désirs des hommes. (Isidore de Séville,
Origines, 3, 27)

La divination astrologique (ce que désigne la partie « superstitieuse »


dans le texte d’Isidore de Séville) a mis du temps à pénétrer à Rome.
Certains membres des classes dirigeantes les plus attachés à la tradition, à
commencer par Caton le Censeur (234-149 av. J.-C.), y étaient réticents
ainsi qu’à l’égard d’autres formes « d’hellénisation » de la société. À partir
er
du I siècle ap. J.-C., pourtant, elle se répandit tout à la fois dans
les couches les plus basses de la société, ainsi qu’au sommet de l’État,
parmi les membres de la famille impériale. N’est-ce pas l’apparition d’une
comète, le sidus Iulium, qui, dès les jeux funèbres en l’honneur de César,
conduisirent son héritier Octavien à exploiter l’événement pour mettre en
place la divinisation de son père adoptif auquel fut élevé un temple sur
le forum ?
La première explication donnée à la répression de l’astrologie dans
le monde romain pourrait tenir à une raison structurelle étroitement liée
à la définition même de la cité : à la différence de la Grèce, en effet, où
la divination est restée indépendante des institutions de la cité, à Rome,
cette pratique était au contraire indissociablement liée à l’exercice du
pouvoir, comme le suggère l’association originelle entre le pouvoir de
commandement du magistrat (l’imperium) et l’obtention de l’autorisation
des dieux nécessaire à l’accomplissement de cet acte de pouvoir
(l’auspicium) [BERTHELET 2015]. C’est pourquoi on pourrait penser qu’en Grèce
où il n’y avait pas de « divination officielle », il n’y eut pas de « mesures
prises pour régler et restreindre, en matière de consultations divinatoires,
soit l’initiative de l’État, soit la liberté des particuliers », tandis qu’à Rome
où la divination était consubstantiellement associée à l’exercice du
pouvoir, elle appelait à être contrôlée et toute influence extérieure était
étroitement surveillée : « c’est à Rome seulement que l’autorité publique,
ayant institué une divination officielle, se crut en droit d’exiger que tout
le monde s’en contentât… À part le recours d’usage aux haruspices, l’État
s’abstint autant que possible de faire appel à la divination étrangère »
[BOUCHÉ-LECLERCQ 1882, IV, p. 320-324]. Ce n’est toutefois qu’à partir de
l’époque triumvirale et augustéenne, en raison même de la redéfinition de
l’exercice du pouvoir qui s’est alors opérée, à l’issue d’un siècle de guerres
civiles, entre le régime républicain (la libertas) et l’avènement de
l’autocratie impériale, que les praticiens de l’astrologie qu’ils soient
désignés comme des astrologues (astrologi), des « Chaldéens » (Chaldei),
des mages (magi) ou des « mathématiciens » (mathematici), ont fait l’objet
de mesures de répression [GRAF 1994 ; RIVIÈRE 2017a]. Il y a tout lieu de
penser, en effet, que l’expulsion des juifs, des adeptes de Jupiter Sabazios
et des astrologues signalée dans une page corrompue d’un auteur du
règne de Tibère (14-37 ap. J.-C.), Valère Maxime (1, 3, 3), et qui se serait
produite en 138 av. J.-C., constitue un anachronisme [RIVIÈRE 2017a, p. 269,
n. 8].

Répression de l’astrologie et d’autres formes


de divination : du tournant de l’époque triumvirale
e
au IV siècle

Comme le suggérait l’évolution lexicale décrite


précédemment, le siècle qui sépare Cicéron (106-43 av. J.-C.) de Pline
l’Ancien (23-79 ap. J.-C.) est celui d’une fixation des termes et d’une
accentuation de la connotation péjorative du champ sémantique de
l’astrologie. C’est donc au tournant de notre ère que s’est mis en place
un schéma répressif qui s’est traduit bientôt par l’instauration d’un
dispositif légal, par la réitération de mesures coercitives (des
bannissements collectifs de la ville de Rome et de l’Italie) et des poursuites
judiciaires (au sénat en particulier dans le cadre de grandes affaires de
lèse-majesté). Les unes et les autres s’articulent, dans la mesure où
les expulsions collectives « d’astrologues » (employons désormais ce
terme générique en français, par commodité, pour désigner les catégories
précédemment énumérées) ont toujours été consécutives, autant que
la documentation permet de le voir, à des poursuites pour crime de lèse-
majesté contre des membres de l’ordre sénatorial, à l’époque julio-
claudienne en particulier, et durant la crise ouverte par la proclamation de
Galba et la chute de Néron en juin 68. L’ensemble de la documentation
relative à ces expulsions a fait l’objet d’un inventaire scrupuleux et d’un
premier commentaire, suivi également d’une analyse de la documentation
juridique relative aux siècles postérieurs [CRAMER 1950-1951 et CRAMER
1954]. Des précisions, des corrections ou des informations
complémentaires peuvent, le cas échéant, être ajoutées [RIVIÈRE 2016a ;
RIVIÈRE 2020] à ce remarquable corpus analytique.
C’est en 33 av. J.-C. qu’est attestée la première expulsion : l’année de
son édilité, alors qu’il procédait par ailleurs à de nombreuses mesures
favorables à la plèbe de Rome (travaux de voirie et d’urbanisme,
réglementation des jeux, accès gratuit aux thermes, ravitaillement,
distributions), « Agrippa chassa les astrologues (astrologoi) et
les charlatans (goetai) de la cité » (Dion Cassius, 49, 43, 4). Le fameux
discours programmatique que le même historien (Dion Cassius, 52, 36, 3-
4) prête à Marcus Agrippa aurait été prononcé quatre années plus tard en
29 av. J.-C. L’ami d’Octavien, le futur Auguste, recommande alors au prince
de ne pas négliger la divination officielle, car elle est nécessaire,
lorsqu’elle est pratiquée par des « haruspices » ou des « augures », mais de
se méfier cependant des « praticiens de la magie » (mageutai) qui poussent
aux innovations, c’est-à-dire aux troubles. L’année suivante, « Anaxilaos
de Larissa, pythagoricien et mage, fut expulsé par Auguste de la Ville et de
l’Italie » (Chronique de saint Jérôme, p. 163-164 Helm). Cette occurrence du
mot magus est importante : c’est à cette occasion, pour la première fois
sans doute, que la magia serait devenue une catégorie délictuelle dans
le droit pénal romain [GRAF 1994, p. 50-51], si on excepte toutefois le verset
de la Loi des XII Tables (8, 1) réprimant l’incantation magique, le carmen
maleficum [HUMBERT 2018, p. 410] (R21).
À la fin de son règne, en 11 ap. J.-C., alors que la perspective de sa mort
prochaine (elle intervint trois ans plus tard en 14) et de sa succession
pouvaient susciter des troubles, Auguste interdit par édit « à ceux qui
rendraient des oracles de prédire, soit en particulier, soit en présence de
témoins, la mort de personne », tout en faisant afficher son propre
horoscope, pour désamorcer toute recherche illicite à ce sujet (Dion
Cassius, 56, 25, 5). En 16 ap. J.-C. un membre de la Domus Augusta,
M. Scribonius Drusus Libo, fut accusé de complot contre Tibère
le successeur d’Auguste, par des délateurs qui lui avaient tendu un piège.
L’un d’entre eux, en effet, avait poussé le jeune homme à se fier « aux
promesses des Chaldéens (Chaldaeorum promissa), aux cérémonies
des mages (magorum sacra) et même aux interprètes des songes »
(somniorum interpretes) (Tacite, Annales, 2, 27, 2). Un certain Iunius, qui se
dénonça lui-même, avait été sollicité par le jeune homme pour évoquer
par des enchantements (carmina) les ombres infernales (infernae umbrae).
Le jour du procès furent produits « des documents couverts de signes
affreux et mystérieux » (atroces uel occultae notae). Le jeune homme se
donna la mort avec l’aide d’un de ses esclaves, mais son « procès »
(accusatio) se poursuivit « devant les sénateurs » (apud patres) (Tacite,
Annales, 2, 31, 3) et des récompenses furent accordées aux accusateurs, à
l’instar de ce qui se produira quatre ans plus tard lors du procès contre
Cn. Calpurnius Piso (R11a). C’est alors que « des sénatus-consultes furent
élaborés pour « exclure » (pellere) d’Italie les « mathématiciens »
(mathematici) et les « mages » (magi) ». Cet ordre d’expulsion fut pourtant
suivi de l’exécution de deux d’entre eux, un certain L. Pituanius, qui fut
précipité (deiicere) du haut de la roche <Tarpéienne> (saxum) (R34), et
un certain P. Marcius qui fut exécuté au-delà de la porte Esquiline, selon
une coutume (mos) très ancienne (priscus) (Tacite, Annales, 2, 32, 3).
Le texte d’Ulpien (Coll., 15, 2, 1) résume et cite quelques mots de la clause
de sanction de l’un des sénatus-consultes – celui-ci est daté de
l’année 17 (d’après la Collatio legum), la mesure est donc postérieure de très
peu au procès de Libo, puisque cette poursuite sénatoriale s’est déroulée à
la fin de l’année 16, selon Tacite [VOLTERRA 2018, p. 503-504]. Deux points,
en particulier, méritent d’être soulignés : la citation d’Ulpien conserve
l’ancienne désignation du bannissement qu’il reproduit du document
originel, « l’interdiction de l’eau et du feu » (R41 ; R42), alors qu’elle n’était
presque plus employée à son époque, où elle est déjà presque
systématiquement remplacée par le terme de deportatio (R43) ; le juriste
oppose cette mort civique réservée aux citoyens (ciues) à l’exécution
capitale appliquée aux étrangers (peregrini). Les deux personnages qui ont
été exécutés, selon Tacite, et qui portent des noms romains, pourraient
alors avoir usurpé la citoyenneté et avoir été exécutés en conséquence.
La comparaison avec une mesure de l’empereur Claude invite à le penser
[RIVIÈRE 2016a, p. 275-278] :

Quant à ceux qui usurpaient (usurpantes) la citoyenneté romaine


(ciuitas romana), il les fit périr sous la hache (securis) sur le champ
Esquilin (Campus Esquilinum). (Suétone, Claude, 25, 7)

C’est sous le règne de Claude que prend place une nouvelle expulsion
en 52 ap. J.-C. : « les astrologues (astrologoi) furent chassés d’Italie et ceux
qui les fréquentaient furent punis » (Dion Cassius, 61, 33, 3b). Cette
expulsion fait suite à plusieurs accusations de lèse-majesté au cours
des années précédentes, telles que la condamnation de M. Furius Camillus
Scribonianus qui avait cherché à connaître la date de la mort du prince en
consultant des Chaldaei ou encore, le procès contre Lollia Paulina, en
49 ap. J.-C., à qui on avait reproché d’avoir consulté « des Chaldéens
(Chaldaei), des mages (magi), et interrogé la statue d’Apollon de Claros sur
le mariage de l’empereur » (Tacite, Annales, 12, 22, 1). Dans ce second cas
les pratiques divinatoires furent naturellement explicitement articulées à
une accusation de lèse-majesté pour « projets funestes à l’encontre de
l’État » (perniciosa in rem publicam consilia) (Tacite, Annales, 12, 22, 2). Ces
griefs furent reprochés à l’accusée au cours d’un procès tout à fait
caractéristique de la circulation procédurale et topographique de
« l’enquête sénatoriale » (cognitio senatus) entre la résidence du Palatin et
la curie (Commentaire à R11). En effet, c’est l’impératrice Agrippine
la Jeune qui aurait réuni le dossier d’accusation et suscité l’accusator,
tandis que c’est dans la curie que l’empereur Claude, sans avoir entendu
l’inculpée (inaudita rea), prononça le réquisitoire et suggéra la sentence, à
savoir une confiscation des biens (publicata bona) et un exil hors d’Italie
(Italia cedere) (Lollia fut plus tard contrainte au suicide) (Commentaire à
R47). C’est de nouveau sous la forme d’un sénatus-consulte que fut publié
trois ans plus tard l’ordre d’expulsion : « un sénatus-consulte relatif à
l’expulsion des mathématiciens d’Italie (Senatus consultum de mathematicis
Italia pellendis) fut élaboré, aussi dur (atrox) qu’inutile » (Tacite, Annales, 12,
52, 3). Sous Néron (54-68), le scénario fut sans doute le même malgré
les lacunes de la documentation [CRAMER 1950-1951, p. 33-35] : la mesure
d’expulsion a bien touché des astrologoi et non des philosophoi, en dépit de
la confusion qui pourrait naître de la lecture de la Vie d’Apollonios de Tyane
de Philostrate composée dans la première moitié du IIIe siècle
[RIVIÈRE 2016a, p. 279-282]. La présence des mathematici à Rome sous le très
court règne de l’empereur Othon (15 janvier-16 avril 69) auquel ils avaient
annoncé « une année éclatante » est soulignée avec ironie par Tacite
(Histoires, 1, 22, 2). Ce constat désabusé de l’historien au sujet de ceux qu’il
désigne sous le terme de mathematici vaut également pour l’époque où il
rédige les Histoires (entre 106 et 109), sous le règne de Trajan (98-117) :
« un genre d’hommes déloyal envers les puissants, trompeur en réponse
aux espoirs, qui sera toujours interdit (uetare) dans notre cité et qui s’y
maintiendra toujours ». Sous le règne de Vitellius (entré dans Rome en
avril 69, il y est assassiné le 22 décembre 69), « les mathematici furent
chassés (pulsare) d’Italie » (Tacite, Histoires, 2, 62, 4). La première année de
son règne, en 70 ap. J.-C., Vespasien « bannit aussi de Rome les astrologues
(astrologoi), alors que lui-même fréquentait tous les meilleurs d’entre eux »
(Dion Cassius, 66, 9, 2). Pour ce qui concerne le règne de Domitien,
la Chronique de Jérôme (p. 190-192 Helm) donne les deux indications
suivantes : la première pour l’année 89-90, « Domitien envoya en exil (in
exsilium mittere) et fit tuer un grand nombre de nobles. Domitien chassa
(pellere) de la ville de Rome les mathématiciens (mathematici) et
les philosophes (philosophi) » ; la seconde pour l’année 93-94 : « Domitien
par un édit (per edictum) chasse (extrudere) de nouveau de Rome
les philosophes et les mathématiciens ». Les deux dates correspondent à
deux crises du règne de Domitien (81-96), une usurpation et la crainte
d’un complot. En ce sens elles répondent de nouveau à l’articulation
observée précédemment entre une poursuite pour lèse-majesté et
les bannissements collectifs qui la suivent. La nouveauté tient ici à
la juxtaposition – unique dans la Chronique de Jérôme – entre philosophes
et astrologues. Elle reflète la confusion qui pouvait naître de l’intérêt de
certains courants philosophiques pour l’astrologie, comme en témoignent
dès le règne d’Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.) l’expulsion d’Anaxilaos de
Larissa désigné comme pythagoricus et magus ou le pythagorisme
également exprimé dans la Vie d’Apollonios de Tyane de Philostrate dans
la première moitié du IIIe siècle ap. J.-C. Ces expulsions doivent être
dissociées de l’approche d’un phénomène inventé par les modernes, à
savoir la prétendue « opposition stoïcienne » au régime impérial, ou
encore l’hostilité déclarée de Domitien à toute forme de philosophia
envisagée comme une idéologie menaçant son pouvoir [RIVIÈRE 2016a,
p. 302-351].
Toute l’évolution postérieure, depuis le règne de Tibère (14-37) et
jusqu’à la fin de l’époque flavienne (96), telle que nous venons de
la parcourir, est donc connue uniquement par la documentation littéraire.
L’extrait d’Ulpien conservé dans la Collatio legum accomplit en effet
un bond chronologique, entre le sénatus-consulte de 17 ap. J.-C. et
le rescrit adressé par Antonin le Pieux (138-161) à un légat de Lyonnaise,
un certain Pacatus, inconnu par ailleurs (PIR2 P 8). Ce rescrit comportait
de nombreux détails dont Ulpien renvoie l’exposé à un passage qui ne
nous est pas parvenu de son traité Sur la fonction du proconsul. Encore
une fois, l’auteur de la Collatio legum semble avoir l’ouvrage d’Ulpien entre
les mains, et il ne prend pas le soin d’effacer de sa source quelques mots
qui rendraient plus cohérente la composition de son œuvre. Il est donc
bien difficile de dire un mot du contenu de ces lignes d’Ulpien, et a fortiori
d’en conclure [DOHRMANN 1995, p. 122-123], sous prétexte que
le destinataire du rescrit gouverne en Gaule, qu’il pourrait s’agir d’un
regain de lutte contre les sacrifices humains ou la nécromantie pratiqués
par les druides ! De telles pratiques sont invoquées par Pline l’Ancien (30,
4, 13) à la fin d’un développement sur les « impostures de la magie »
(uanitates magicae). Le même auteur rappelle que cette technique, « la plus
trompeuse de toutes les techniques qui se sont répandues sur le globe
terrestre » (Pline l’Ancien, 30, 1, 1) est née en Perse. Mais le cheminement
suivi par l’encyclopédiste ne suffit évidemment pas à établir qu’un rescrit
dont les termes nous sont totalement inconnus évoquerait au siècle
suivant les druides et leurs sacrifices… Enfin, selon l’extrait d’Ulpien (Coll.,
15, 1, 5), un personnage dont le nom ne nous est pas connu fut exilé dans
l’île de Syrus (nom latinisé de Syros, au cœur des Cyclades) par Marc
Aurèle, car ses prophéties avaient accompagné l’usurpation d’Avidius
Cassius, en 175. Faut-il rapprocher la mention par Tertullien (De l’idolâtrie,
9, 2) de cet épisode remontant au règne de Marc Aurèle, comme cela a été
suggéré [CRAMER 1950-1951, p. 47-48] ? La datation aujourd’hui admise de
ce traité de Tertullien (entre 203 et 206 ou au moins entre 198 et
208) [WASZINK-VAN WINDEN 1987, p. 10-13] paraît difficilement compatible
avec une telle hypothèse. L’auteur se réfère alors plutôt à un épisode du
règne de Septime Sévère (193-209), un empereur dont on sait qu’il était
particulièrement préoccupé d’astrologie (et soucieux par conséquent de
contrôler les détenteurs de ce savoir), ou encore, plus généralement, à
l’expulsion des astrologues de Rome et d’Italie, récurrente au cours
des deux siècles qui ont précédé. Une telle datation recoupe l’observation
d’Ulpien, si on admet que dans le passage conservé (Coll., 15, 2, 1), le juriste
se réfère à « son époque » (hodie). Ce mot peut désigner précisément
le moment de rédaction de son traité sous le règne de Caracalla, mais aussi
plus généralement la période où il a vécu et qui couvre également
les années précédentes sous Septime Sévère. Le verbe interdicere qu’il
emploie ne signifie pas une « interdiction » au sens où on l’entendrait
aujourd’hui (l’interdiction d’une profession ou d’une pratique), mais
le plus souvent une « expulsion », ou le fait d’être « écarté » d’un
territoire, ou d’une situation (sociale ou professionnelle). Lisons la page de
Tertullien. La démonstration de l’auteur reflète, nous semble-t-il,
le tournant d’une époque. Le discours chrétien croise désormais
les normes répressives qui existent depuis le commencement de l’Empire,
la condamnation nouvelle de l’astrologie, de la divination et de la magie,
et annonce la législation particulièrement dure du IVe siècle et de l’Empire
chrétien :

1. Nous remarquons même parmi les métiers, certaines professions


coupables d’idolâtrie…. 2. Ô divine sentence qui jusque sur la terre
ne lâche prise, et à laquelle même ceux qui sont dans l’ignorance
rendent témoignage. Les mathématiciens (mathematici) sont
chassés de même que leurs anges, on interdit (interdicere) la Ville et
l’Italie aux mathématiciens, de même que le ciel à leurs anges :
la même peine de l’exil s’applique aux élèves et aux maîtres.
3. Mais les mages (magi) [et les astrologues (astrologi)] sont venus
d’Orient. Nous savons que la magie (magia) et l’astrologie
(astrologia) forment entre elles une association (societas). Ainsi donc
ce sont les interprètes des étoiles qui les premiers ont annoncé que
le Christ était né, ce sont les premiers qui ont offert des présents.
Je suppose qu’à ce titre ils ont obligé le Christ à leur égard. Et
après ? Est-ce que le scrupule religieux (religio) de ces mages
protège à présent les astrologues (astrologi) ? Il va de soi
qu’aujourd’hui la science (mathèsis) vient du Christ : c’est l’étoile
du Christ, et non celle d’un Saturne, d’un Mars ou de n’importe
quel autre membre de l’ordre de ces morts qu’elle observe et
qu’elle annonce. 4. Ces spéculations, en effet, n’ont été tolérées
que jusqu’à l’Évangile, afin que le Christ une fois né, personne ne
se permît de calculer à partir du ciel la naissance de qui que ce fût
(…) 5. C’est pourquoi un songe suggéra à ces mêmes mages, sans
aucun doute par la volonté de Dieu, qu’ils reprennent leur route,
mais une autre, non pas celle par laquelle ils étaient venus, ce qui
veut dire pour qu’ils ne s’avancent pas vers leur secte (secta)
d’autrefois (…) tant il est vrai que nous devons entendre par
« route », la secte et l’ordre. (…) 7. (…) Depuis l’Évangile, on ne
trouve ni sophistes, ni Chaldéens, ni enchanteurs (incantatores), ni
interprètes des signes (coniectores), ni mages qui n’aient été tout à
fait punis. (Tertullien, De l’idolâtrie, 9, 1-7)

Enfin, un extrait des Sentences de Paul au titre 21 Sur les devins et


les mathématiciens (De uaticinatoribus et mathematicis) pourrait constituer
la dernière attestation d’une expulsion des astrologues de la cité :
Il convient que les devins (uaticinatores), qui feignent d’être
entièrement <possédés> par un dieu, soient sur-le-champ expulsés
(expellere) de la cité, afin que les mœurs publiques ne soient pas
corrompues par l’humaine crédulité dans l’espoir d’une chose
quelconque, et que, parmi le peuple, les esprits ne soient
aucunement perturbés par cela. C’est pourquoi, après avoir été
battus (caedere) de fouets (fustes), qu’ils soient chassés (pellere) de
la cité : ceux qui persévèrent doivent être jetés dans les fers
publics (publica uincula) ou bien déportés dans une île ou au moins
relégués (…). (Sentences de Paul, 5, 21, 1)

La suite de ce texte envisage la discrimination traditionnelle entre


les honestiores (ils encourent la deportatio) et les humiliores (ils encourent
l’exécution capitale). Il menace de la peine de mort, aussi bien
le consultant que celui qui, appartenant à l’une de ces catégories
(mathematici, harioli, haruspices, uaticinatores), lui répond lorsqu’il s’agit de
« la santé du prince » (salus principis), ou du devenir du sommet de l’État
(summa rei publicae). Sont visés aussi bien ceux qui exercent l’art de
la divination que ceux qui consultent. Le texte poursuit : « chacun fera
mieux de s’abstenir non seulement de la divination (diuinatio), mais de
la connaissance (scientia) elle-même et de ses livres (libri) ». Sur ce point,
l’extrait des Sentences de Paul recoupe exactement l’opposition établie par
Ulpien (Coll., 15, 2, 2), essentielle au regard de l’exercice de la contrainte
sous l’Empire, mais aussi de la construction des principes de
la responsabilité pénale, puisqu’elle distingue l’acte incriminé (la pratique
divinatoire), et la simple connaissance de ses règles ou la détention
d’ouvrages théoriques permettant d’accéder à cette connaissance. Enfin,
dans ce texte, la clause relative aux rapports serviles est révélatrice :
l’esclave qui aurait consulté un devin au sujet de la santé de son maître (le
parallèle avec la consultation relative à la santé du prince s’impose)
encourt le supplice le plus élevé (summum supplicium), c’est-à-dire la croix,
tandis que le devin qui aurait accepté la consultation est passible de
la mine ou de la relégation dans une île.
« Apprendre et exercer publiquement l’art de la géométrie doit être de
l’intérêt public. Mais l’art mathématique (ars mathematica), condamnable
(damnabilis), est interdit ». Ces quelques mots conservés d’un rescrit
des empereurs Dioclétien et Maximien (Code de Justinien, 9, 18, 2) adressé à
un certain Tiberius sont la dernière expression de la condamnation par
des empereurs païens de l’astrologie. Il serait néanmoins précipité, peut-
être, de considérer qu’un virage s’est accompli dès la conversion de
Constantin (306-337), et que les lois contre l’astrologie et d’autres formes
de divination ont alors relevé d’une nouvelle inspiration, en raison de
la diffusion du christianisme. Ces pratiques et ces savoirs étaient réprimés
au moins depuis le début de l’Empire. Sous le règne de Théodoric le Grand
(493-526), cependant, la magie et la nécromantie sont explicitement
désignées comme des pratiques devenues particulièrement intolérables
« en cette époque chrétienne » (R12g).

La constitution contre les manichéens de 302 (date


discutée)

Sous le même titre, l’auteur de la Collatio legum insère la constitution


de Dioclétien contre le manichéisme. Mani est né le 14 avril 216 près de
Ctésiphon. Le christianisme a exercé sur lui une influence décisive et il a
vite rejoint une communauté, les « baptiseurs » ou « baptistes »,
combinant les observances juives et les « commandements de Jésus ».
Mais il est aussi entré en rupture avec eux dès l’âge de 12 ans (avril 228),
lorsque son « jumeau » céleste lui a ordonné de quitter la communauté.
Douze ans plus tard (avril 240), par une deuxième annonciation, il a reçu
l’ordre de proclamer et de répandre sa doctrine. Il devient alors
« Illuminateur suprême », un prophète envoyé par Dieu (à la suite d’Adam,
Zoroastre, Bouddha et Jésus), il parcourt ensuite l’empire iranien et se
rend jusqu’en Inde. La bienveillance des Sassanides à son égard prend fin
avec la mort de Shapur Ier en 272, et il connaît le martyre dans les années
suivantes (en 274 ou 277).
Le manichéisme s’est affirmé d’emblée comme une religion
poursuivant un idéal missionnaire : « Mon Église, elle, se répandra dans
toutes les villes, mon Évangile touchera chaque pays » (trad. H.C. Puech). Il
décrit l’homme et l’univers, pour le dire en une phrase, comme une lutte
entre un royaume des ténèbres (le Mal) et des particules de lumière (le
Bien) qui y avaient été emprisonnées. Du vivant de Mani (lui-même se dit
« apôtre du Christ » et invoque le modèle de Paul de Tarse), la diffusion de
sa religion s’est répandue dans le monde iranien et jusqu’en Inde.
L’expansion en Occident où la diffusion du christianisme elle-même
pouvait offrir un accès plus facile mais où le prophète ne s’est pas rendu, a
commencé dès la fin de sa vie, elle s’est surtout renforcée dans les années
suivantes. Les défaites successives des Romains contre l’Empire
des Sassanides ont atteint leur plus grande gravité en 260 lors de
la capture de Valérien et de l’occupation de la Mésopotamie. Ces reculs ont
pu constituer également un facteur de diffusion du manichéisme dans
les provinces orientales de l’Empire, alors même que les manichéens
étaient persécutés en Perse également, durant la période qui constitue au
regard des chrétiens « la petite Paix de l’Église » (260-303), et qui
correspond à un arrêt des persécutions ordonnées par le pouvoir impérial.
L’un des disciples de Mani, Adda, aurait alors accompli des conversions à
Palmyre, un centre d’échanges commerciaux et donc de diffusion
des croyances, dont le rayonnement a été renforcé momentanément par
l’occupation de l’Égypte par Zénobie de Palmyre en 270. Le manichéisme
s’est alors diffusé dans la vallée du Nil (en Thébaïde mais aussi à
Alexandrie où il a créé des troubles). Cette diffusion s’est poursuivie
le long de la côte méditerranéenne, jusqu’en Afrique [LIEU 1999, p. 156-
158 ; LANE FOX 1997, p. 582-589] – l’Afrique demeurera sa terre d’élection
jusqu’à la période vandale, alors même qu’il disparaissait de l’Italie et de
e
la Gaule atteintes au IV siècle, époque de son expansion la plus forte en
Occident. Augustin, on le sait, sera neuf années durant un adepte du
manichéisme, avant de se convertir au christianisme, et de le combattre.
C’est en réponse au proconsul d’Afrique, Iulianus, probablement en
302 (la date n’est pas mentionnée dans la Collatio legum, mais c’est elle qui
est le plus fréquemment retenue parmi celles d’autres séjours effectués
par cet empereur à Alexandrie en 287, 297 et 307), que Dioclétien adressa
la lettre conservée dans la Collatio legum. Quatre ans auparavant, la grande
victoire contre la Perse, en 298, remportée par Galère, avait pu renforcer
l’assurance du pouvoir impérial à l’encontre des Sassanides, dont
le manichéisme apparaissait comme une émanation religieuse [ROBERTO
2014]. Par ailleurs, si l’on accepte cette datation basse, la poursuite contre
les manichéens apparaît alors comme le « prodrome » presque immédiat
de la persécution déclenchée peu après contre les chrétiens, de même que
la répression exercée dans l’armée contre certains d’entre eux, à l’instar
du centurion Marcellus (R13d), témoigne des mêmes préoccupations de
discipline religieuse des empereurs [CECCONI 2018, en part. p. 54-55 n. 31].
C’est ainsi que l’hypothèse a même pu être suggérée, avant d’être
reconsidérée par son auteur, selon laquelle cette constitution, authentique
et presque intacte dans son préambule à caractère moral (à l’instar du
texte de Dioclétien contre l’inceste, R25), tenue à l’écart des compilations
théodosienne et justinienne, aurait pu viser les chrétiens eux-mêmes
[VOLTERRA 1991].
Les deux formules, « au sujet desquels ton discernement en a référé à
notre Sérénité » ou « les sortes de crimes, que ta prudence dévoile dans
le rapport concernant leur religion » attestent bien qu’il s’agit
techniquement d’un « rescrit » de l’empereur à la relatio qui lui a été
envoyée par le gouverneur [CORCORAN 1996, p. 135-136]. Le contexte avait
changé par rapport aux décennies de la petite Paix de l’Église qui avait
précédé de 260 à 303 (Commentaire à R13). La série de victoires
remportées par Galère contre les Perses en 297 et 298 (une contre
offensive qui mena l’armée romaine jusqu’à Ctésiphon, la capitale
des Sassanides) conduisit en 298 ou 299 aux négociations de Nisibe
(l’actuelle Nusaybin en Turquie) avec Narsès, auxquelles Dioclétien
participa lui-même. Ce succès avait contribué à redonner à l’empereur
Dioclétien confiance dans son programme de retour à l’ordre – cette
disciplina qu’il invoque également dans la constitution réprimant
les unions incestueuses (R25) – et l’avait conduit à reprendre
les persécutions contre les chrétiens. C’est d’ailleurs sans doute la reprise
des poursuites contre les chrétiens d’Afrique – préliminaire à la Grande
persécution qui commence l’année suivante en 303 – qui, en suscitant
des troubles, a plus encore attiré l’attention du pouvoir romain sur
les manichéens [LANE FOX 1997, p. 615-116]. Au même moment, en Orient
comme en Afrique, les manichéens étaient également la cible
des chrétiens : c’est à peu près à la date supposée de la constitution de
Dioclétien qu’un évêque d’Alexandrie aurait dénoncé les pratiques
manichéennes. Ce papyrus (P. Rylands Greek 469) serait le plus ancien
document chrétien déclarant l’hostilité de l’Église à l’encontre du
manichéisme, une hostilité révélée en particulier dans l’oeuvre d’Augustin
e
au V siècle. Outre les chrétiens, les philosophes païens, tel le néo-
platonicien Alexandre de Lycopolys auteur à la fin du IIIe siècle d’un
ouvrage Contre la doctrine de Mani, ont également manifesté leur hostilité à
l’égard des manichéens qui apparaissaient alors, aux yeux du pouvoir
impérial, comme des sectateurs fauteurs de troubles.
TROISIÈME PARTIE

LES PEINES
34

Précipitation de la roche Tarpéienne


er
(de l’époque royale au I siècle ap. J.-C.)

- L’origine royale du châtiment -

a. La vestale Tarpeia : étiologie d’un


toponyme dès l’époque royale

A1. L’ANCIEN NOM DU CAPITOLE (VARRON, LA LANGUE LATINE,


5, 41 ; 45 AV. J.-C.)

À l’emplacement de la Rome actuelle, se trouvait autrefois


le Septimontium, ainsi nommé en raison du nombre équivalent de monts
que la Ville enferma par la suite dans son enceinte. L’un d’entre eux est
appelé Capitole (Capitolium), parce qu’à l’endroit où étaient creusées
les tranchées de fondation du temple de Jupiter, on rapporte que fut
découverte une tête (caput) d’homme. Auparavant ce mont était appelé
Tarpeius en raison de la vierge vestale Tarpeia qui fut tuée (necare) à cet
endroit par les armes des Sabins et qui y reçut une sépulture. Le souvenir
de ce nom demeure, puisqu’aujourd’hui encore, l’une de ses parois
s’appelle roche Tarpéienne (Tarpeium saxum).

A2. TARPEIA OU TARPEIUS ? (VERRIUS FLACCUS, DE LA SIGNIFICATION


DES MOTS, FIN DE L’ÉPOQUE AUGUSTÉENNE ; D’APRÈS L’ABRÉGÉ DE SEXTUS
e e
POMPEIUS FESTUS, P. 364 LINDSAY, 2 MOITIÉ DU II SIÈCLE AP. J.-C. ;
D’APRÈS LA RESTITUTION DE K.O. MÜLLER, P. 343)

Ils disent qu’une partie du mont est appelée roche Tarpéienne (saxum
Tarpeium), ainsi nommée parce que c’est le lieu de sépulture de la vierge
Tarpeia qui avait promis aux Sabins de leur livrer le mont. Ou bien ils
disent que <cette roche> est ainsi nommée en raison de ce qu’un certain
Tarpeius qui s’était opposé au roi Romulus, parce que les jeunes filles
<sabines> avaient été enlevées (raptae), reçut la peine <que méritait> son
crime (noxium) à l’endroit où se trouve la roche. C’est pourquoi ils n’ont
pas voulu que ce lieu sinistre soit uni à l’autre partie du Capitole.

A3. LA SÉPULTURE DE TARPEIA ET LA CONSÉCRATION À JUPITER


(PLUTARQUE, ROMULUS, 18, 1 ; APRÈS 96 AP. J.-C.)
Tarpeia fut enterrée à l’endroit même et la colline fut nommée
Tarpéienne, jusqu’au moment où, le roi Tarquin consacrant ce lieu à
Jupiter, on enleva les restes de Tarpeia. Son nom tomba dans l’oubli ;
cependant on appelle encore aujourd’hui roche Tarpéienne une hauteur
du Capitole d’où l’on précipitait les criminels.
b. L’une des cruautés de Romulus (Denys
d’Halicarnasse, Antiquités Romaines,
2, 56, trad. V. Fromentin et J. Schnäbele ;
7 av. J.-C.)
Selon d’autres auteurs, dont la version est plus convaincante, il
[Romulus] fut mis à mort par ses propres concitoyens. Pour expliquer ce
meurtre ils allèguent plusieurs raisons (…) ; il se montrait cruel dans
le châtiment des citoyens fautifs (c’est ainsi qu’un groupe de Romains, en
assez grand nombre et nullement obscurs, avaient été accusés de
brigandage sur le territoire des cités voisines ; il les fit précipiter du haut
de la roche, au terme d’une sentence qu’il avait rendue personnellement
et souverainement).
- La Loi des Douze Tables -

c. Le châtiment du « voleur flagrant »


(Loi des XII Tables, 8, 14, citée par Aulu-
Gelle, 11, 18, 8 ; publication posthume
de l’ouvrage après 180 ap. J.-C.)
Mais pour les autres voleurs pris en flagrant délit (manifesti fures), ils
[les décemvirs] ont ordonné que les libres soient frappés de verges
(uerberari) et remis (addicere) à celui qui a subi le vol (furtum), si néanmoins
ils l’ont commis de jour et ne se sont pas défendus avec une arme (telum) ;
que les esclaves pris de même en flagrant délit de vol soient soumis aux
verges (uerbera) et précipités de la roche, mais ils ont voulu que les enfants
impubères (pueri impubes) soient frappés de verges au gré du préteur et
que le dommage commis par eux soit réparé (noxam sarcire).
d. Le châtiment du « faux témoignage »
(Loi des XII Tables, 8, 23, citée par Aulu-
Gelle, 20, 1, 53 ; publication posthume
de l’ouvrage après 180 ap. J.-C.)
Ou bien penses-tu, Favorinus, que, de même si cette peine sur les faux
témoignages (falsa testimonia), issue des douze tables, n’avait pas été
effacée, et si aujourd’hui encore, comme autrefois, celui qui avait été
convaincu d’avoir prononcé un faux témoignage, était précipité de
la roche Tarpéienne, ils seraient aussi nombreux, comme nous le voyons, à
mentir, en portant témoignage ? Le plus souvent la dureté pour se venger
(ulciscor) d’une mauvaise action (maleficium) enseigne à vivre
conformément au bien et à la prudence.
- Roche Tarpéienne, perduellio, pouvoir des tribuns et
des autres magistrats -

e. Coriolan est menacé de « la roche »


par le tribun Sicinius, en 492 av. J.-
C. (Denys d’Halicarnasse, Antiquités
Romaines, 7, 35, 4 ; 7 av. J.-C.)
Après que <le tribun Sicinius> eut prononcé un long discours contre
Marcius <Furius Coriolan> et qu’il eut enflammé les esprits des plébéiens,
il devint plus violent dans son accusation (katègoria) et acheva en disant
que le collège des tribuns prononçait contre lui la mort en raison de
l’insolence (hubris) envers les édiles qu’il avait repoussés par des coups
la veille alors qu’ils avaient reçu l’ordre des tribuns de le conduire devant
eux. Car ils estimaient que l’outrage (propèlakismos) perpétré à l’encontre
de ceux qui leur étaient subordonnés ne visait pas d’autres personnes que
ceux qui avaient donné les ordres. Après avoir prononcé ces paroles, il
ordonna de le conduire vers le sommet de la colline qui domine le forum.
C’est un lieu terriblement escarpé d’où ils ont coutume de jeter ceux qui
sont condamnés à mourir.

f. Spurius Cassius condamné en 485 av. J.-


C. (Denys d’Halicarnasse, Antiquités
Romaines, 8, 78, 5 ; 7 av. J.-C.) : cf. R6b4

g. Volero Publilius menacé


de « précipitation » par les Patriciens
en 473 av. J.-C. (Denys d’Halicarnasse,
Antiquités Romaines, 9, 39, 4 ; 7 av. J.-C.)
De leur côté les patriciens, croyant que le pouvoir des consuls allait
être détruit, partagèrent leur indignation et demandèrent que l’homme
qui avait osé porter la main sur leurs appariteurs soit précipité du haut de
la roche.

h. Le licteur menacé par L. Icilius,


en 456 av. J.-C. (Denys d’Halicarnasse,
Antiquités Romaines, 10, 31, 3-4 ; 7 av. J.-
C.)
Et lorsque l’un des licteurs aux ordres des consuls repoussa
le serviteur <des tribuns>, Icilius et ses collègues s’emportèrent,
s’emparèrent du licteur, et l’emmenèrent avec l’intention de le précipiter
de la roche. Les consuls considéraient cet acte comme une grande offense,
pourtant ils ne pouvaient recourir à la force ni secourir l’homme qui était
emmené, alors ils invoquaient le secours des autres tribuns ; car personne,
à l’exception d’un autre tribun, n’a le pouvoir de retenir ou d’empêcher
les actions de ce magistrat.

i. Marcus Horatius Barbatus en 450 av. J.-


C. (Denys d’Halicarnasse, Antiquités
Romaines, 11, 6 ; 7 av. J.-C.)
Tandis qu’il parlait, les décemvirs l’entourèrent, en criant et en
le menaçant de le précipiter de la roche s’il ne gardait pas le silence.

j. Les déplacements du procès


de M. Manlius Capitolinus en 384 av. J.-
C. (Tite-Live, 6, 20, 10-14 ; époque
augustéenne)
10. Une fois sur le Champ de Mars, alors que le peuple était convoqué
par centuries et que le prévenu (reus), tendant ses mains vers le Capitole,
avait détourné ses prières des hommes vers les dieux, il apparut aux
tribuns qu’à moins qu’ils ne libèrent les yeux des hommes du souvenir
d’un tel exploit jamais dans des esprits envahis par le bienfait, ne
trouverait place le souvenir du crime (crimen). 11. C’est ainsi qu’après
un ajournement (prodicta die), il fut annoncé que le conseil du peuple
(concilium populi) se tiendrait dans le bois Petelinus (Petelinus lucus), au-
delà de la porte Flumentana, d’où l’on n’avait pas de vue sur le Capitole. En
ce lieu, l’accusation (crimen) reprit vigueur et c’est par des esprits
déterminés que fut rendu un jugement impitoyable et odieux même aux
juges. 12. Certains auteurs disent qu’il a été condamné par les duumvirs
qui avaient été créés pour enquêter (anquirere) au sujet de la haute
trahison (perduellio). Les tribuns le précipitèrent depuis la roche
Tarpéienne et le même lieu réunit en la figure d’un seul homme
le souvenir d’une gloire immense et de la peine la plus élevée (poena
ultima). 13. À la mort furent ajoutées des notes d’infamie (notae) : l’une
publique (publica), puisqu’alors que sa maison s’était élevée là où se
trouvent aujourd’hui le temple et l’atelier de Moneta (aedes atque officina
Monetae), il fut proposé au peuple qu’aucun patricien n’habitât sur
la Citadelle (Arx) ou sur le Capitole ; 14. l’autre familiale (gentilicia),
puisque que, par un décret de la famille manlienne (gens Manlia), l’on veilla
à ce que par la suite personne ne soit appelé Marcus Manlius. Telle fut
la fin d’un homme qui, s’il n’était pas né dans une cité libre, serait devenu
digne de mémoire (memorabilis).

k. Q. Caecilius Metellus Macedonicus


conduit par le tribun Q. Atinius Labeo
au bord du gouffre, en 131 av. J.-C.,
échappe de peu à la « précipitation ».
Ses biens sont néanmoins consacrés
(Pline l’Ancien, 7, 44, 143 ; 77 ap. J.-
C. env.)
Cependant à l’époque même où sa considération était la plus
florissante, tandis que <Metellus> rentrait du Champ de Mars à midi, à
l’heure où le forum et le Capitole sont vides, il fut enlevé de force par
le tribun de la plèbe C. Atinius Labeo, surnommé Macerio – il avait expulsé
ce dernier du sénat, alors qu’il était censeur –, pour être emmené vers
la roche Tarpéienne et y être précipité ; il est vrai que l’on vit accourir
la troupe de ceux qui lui donnaient le nom de père, mais, comme il ne
pouvait en aller autrement dans la soudaineté de l’alerte, elle arriva en
retard et, pour ainsi dire, au moment de ses funérailles, puisqu’il était
contraire au droit de résister et de repousser un inviolable (sacro sanctus).
Alors qu’il allait périr en raison de ce que son courage et sa censure lui
avaient fait accomplir, on découvrit non sans peine un tribun qui
opposerait son veto (intercedere) et il fut ramené du seuil même de la mort.
Dès lors, il vécut du bienfait d’autrui, car ses biens avaient également été
consacrés (bona consecrata) par celui qu’il avait condamné <lorsqu’il était
censeur>, comme si cela avait été trop peu de mener sa vengeance à son
terme en lui tordant la gorge avec une corde, et en lui faisant sortir le sang
par les oreilles.

l. Le tribun P. Popilius Laenas


« précipite » Sextus Lucilius en 88 av. J.-
C. (Velleius Paterculus, 2, 24, 2 ; 30 ap. J.-
C.)
La même année, P. Laenas, tribun de la plèbe, précipita de la roche
Tarpéienne Sextus Lucilius qui avait été tribun de la plèbe l’année
précédente. Et, comme ses collègues, auxquels il avait assigné un jour à
comparaître (diem dicere), avaient fui par crainte auprès de Sylla, il
les interdit de l’eau et du feu.
- Exercices de rhétorique et de philosophie sous les Julio-
Claudiens -

m. Une vestale survit à sa chute, elle


est « reconduite » (Sénèque le rhéteur,
Controverses, 1, 3, 3-5 ; entre 37 et
41 ap. J.-C. env.)
Condamnée pour impureté (incestus), elle invoqua Vesta, avant d’être
précipitée (deiicere) de la roche. Précipitée, elle survécut. Elle est
reconduite pour subir sa peine. Contre la prêtresse, Porcius Latro prend
la parole. « Vous attendiez-vous donc à ce que, tenant la tête baissée par
pudeur, elle se précipitât d’elle-même dans le gouffre avant d’y être
poussée ? Il lui manquait, en effet, de montrer plus de pudeur sur la roche
que dans le lieu sacré. Elle s’arrêta, et, parcourant des yeux l’assistance,
comme si, devant les autels et la table des sacrifices, elle n’eût fait qu’une
mince offense à cette divinité, elle se mit à l’offenser au cours même de ce
supplice qui devait venger la déesse : ce fut, de la part de la condamnée,
une nouvelle impureté. – On l’a condamnée parce qu’elle avait violé ses
voeux de chasteté ; on l’a précipitée parce que condamnée ; on doit
la mener de nouveau au supplice, puisqu’elle a violé ses voeux, qu’elle a
été condamée et précipitée. Peut-on douter qu’il ne faille la précipiter
autant de fois qu’il sera nécessaire pour obtenir le résultat cherché par là ?
– Elle s’appuie, pour se défendre, sur ce que la mort ne veut pas d’elle.
Femme impudente, que puis-je demander pour toi, sinon que tu ne
meures pas, même après avoir été précipitée deux fois ? – On verra
la déesse qui protège la puissance romaine adorée par une femme qu’a
souillée, sinon un acte de débauche, du moins la main du bourreau ? – Elle
dit : « j’ai invoqué les dieux ». Oui : debout sur la roche, tu as nommé
les dieux et tu t’étonnes qu’ils veuillent que tu sois précipitée une seconde
fois. – Tu as été, dans tous les cas, à l’endroit réservé aux prêtresses qui
violent leurs vœux.

n. L’impassibilité du juge (Sénèque,


De la colère, 1, 16, 5 ; entre 41 et 52 ap. J.-
C.)
Et c’est pourquoi, si je dois endosser le vêtement sinistre (peruersa
uestis) du magistrat et convoquer l’assemblée (contio) au son de
la trompette, je le rendrai au tribunal sans manifester ni fureur ni
hostilité, mais avec le visage exprimant la loi ; je prononcerai ces paroles
solennelles d’une voix douce et grave, plutôt qu’enragée, et j’ordonnerai
d’appliquer la loi non pas avec colère mais avec sévérité ; et quand
j’ordonnerai de trancher le cou d’un criminel (noxius), quand je ferai
coudre le parricide (parricidas) dans l’outre (culleus), et quand j’enverrai au
supplice militaire (supplicium militare) et quand je placerai au Tarpéien
un traître (proditor) ou un ennemi public (hostis publicus), mon visage et
mon âme seront sans colère, comme lorsque je frappe des serpents et
des animaux porteurs de venin.

o. Interdiction de la « précipitation »
au cours de l’époque impériale
(Modestin, Des Pandectes, extrait
du livre 12, fr. 150 Lenel = Digeste,
48, 19, 25, 1 ; après 217 ap. J.-C.)
Si, pour une période de longue durée quelqu’un a été dans l’état
d’accusé, sa peine doit être allégée jusqu’à un certain point. Il a en effet
été établi que ceux qui soutiennent une action dans l’état d’accusé depuis
une longue période ne doivent pas être punis de la même façon que ceux
qui ont reçu récemment leur sentence. Personne ne peut être condamné à
être précipité de la roche.

*
* *

Le récit légendaire de la fondation de la Ville et du conflit qui opposa


Romains et Sabins est à l’origine de la désignation de ce lieu de supplice
(R34a), situé au centre même de la cité. Cependant, l’étiologie du
toponyme ne permet pas d’établir un lien explicite entre la punition
légendaire de Tarpeia et la forme d’un châtiment apparu, presque
er
assurément, à l’époque archaïque, et qui est encore attesté au I siècle de
l’Empire, tandis que l’interdiction de la mort par précipitation est signalée
dans la jurisprudence à l’époque sévérienne (R34o).

Désignation, localisation et signification du supplice


de la roche Tarpéienne
En effet, quels que soient les auteurs qui en parlent, ni la mise à mort
de Tarpeia, ni son inhumation près de la roche qui portera plus tard son
nom, ne sauraient d’emblée être mises en rapport avec l’application d’un
supplice par précipitation aux siècles suivants. Aucune source ne propose
explicitement d’associer la mort de l’héroïne, selon des modalités qui
l’apparentent plutôt à une lapidation, et la mise à mort par précipitation
qui se déroulera plus tard dans ce même contexte topographique.
Tarpeia était la fille de Spurius Tarpeius auquel Romulus avait confié
la garde de la colline où s’élevait la citadelle des premiers habitants de
Rome – cette colline portera plus tard le nom de Capitole – et dont
les pentes abruptes dominaient la dépression où sera aménagé plus tard
le forum. Alors qu’après l’enlèvement des Sabines, l’armée des Sabins
conduite par le roi Titus Tatius assiégeait cette citadelle, Tarpeia aurait
décidé de trahir, soit par appât de l’or (Tite-Live, 1, 11, 6 ; Ovide, Fastes, 1,
261), soit par amour pour le roi ennemi (Properce, Élégies, 4, 4). Cette
seconde interprétation du poète est isolée, tandis que la vénalité, réelle ou
supposée, de la jeune fille détermine l’argument principal de ce récit chez
tous les autres auteurs. Plus précisément encore – toute l’intrigue et
le sens même de l’épisode découlent de ces quelques mots –, Tarpeia
aurait exigé, en récompense de sa trahison, que les Sabins lui donnent « ce
qu’ils avaient au bras gauche » (Tite-Live, 1, 11, 8 ; Denys d’Halicarnasse,
Antiquités Romaines, 2, 38, 3 ; Plutarque, Romulus, 17). Entendait-elle
les bracelets d’or que portaient les guerriers ? À peine leur eut-elle ouvert
les portes de la citadelle que ces derniers se débarrassèrent d’elle en
l’accablant sous le poids de leurs boucliers, puisque cette arme défensive
est tenue par chaque guerrier à l’avant de son bras gauche, considérant
qu’ils honoraient en même temps leur engagement. La jeune fille est ici
punie pour sa trahison. Cependant, selon une autre version de la légende –
celle de L. Calpurnius Piso Frugi (censeur en 120 av. J.-C.) conservée par
Denys d’Halicarnasse (Antiquités Romaines, 2, 38, 3) –, elle aurait bien joué
un double jeu auprès des Sabins en cherchant précisément à les désarmer
de leurs boucliers pour les exposer aux traits des Romains, qu’elle n’avait
jamais trahis, et pour lesquels elle s’est donc sacrifiée. L’histoire de
Tarpeia donne ainsi un cadre et un nom au supplice, mais ne fournit
aucun élément pour déterminer les modalités de son accomplissement. Et
pourtant, selon ce dernier récit, le plus ancien également, la question du
serment et du parjure occupe une place essentielle. Or cette question n’est
pas sans rapport, on va le voir, avec l’application du supplice par
précipitation.
La roche Tarpéienne aurait trouvé sa vocation, peu de temps après, dès
le règne du premier roi de Rome. Romulus aurait témoigné d’une telle
cruauté en abusant de cette forme de mise à mort à l’encontre de citoyens
accusés de brigandage sur le territoire de cités voisines, qu’il aurait été
assassiné pour cette raison, ce geste s’ajoutant à d’autres manifestations
d’un pouvoir tyrannique (R34b). À quel endroit du Capitole, précisément,
s’élevait la roche tarpéienne ? L’érosion de la colline, mais surtout
les travaux de terrassements ou de constructions monumentales qui se
sont succédé, imbriqués depuis l’Antiquité, empêchent aujourd’hui d’en
identifier précisément le site. Cependant, les informations fournies par
les récits des auteurs anciens permettent de lui accorder une localisation
très probable, en dépit des hypothèses contradictoires qui ont été
formulées depuis le XVIe siècle à ce sujet [WISEMAN 1979 ; STEINBY 1999, IV,
p. 237-238]. Sans doute ce « lieu funeste » se distinguait-il
topographiquement du reste de la colline et pas seulement au regard
d’une distribution religieuse des espaces (R34a2). On sait par ailleurs qu’il
était visible depuis le forum (Denys d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 7,
35, 5 ; 8, 78, 5 ; Dion Cassius, 58, 15, 2-3). Sans doute cet aplomb rocheux
était-il situé au nord du Comitium à proximité de deux autres lieux de
supplice adossés aux pentes du Capitole, le carcer (conservé jusqu’à nos
jours) et les Gemoniae, ces escaliers où furent exposés, au moins à partir du
règne de Tibère (14-37 ap. J.-C.), les corps de certains suppliciés
(Commentaire à R18).
La précipitation constituait-elle au départ une forme d’ordalie
[BERTHELET 2018, p. 236, n. 34] ? C’est évidemment ce que laisse penser
l’exercice d’éloquence évoqué par Sénèque le rhéteur (54 av. J.-C.-39 ap. J.-
C.) et selon lequel une vestale qui survivrait à sa chute serait reconduite
pour être jetée de nouveau du haut du rocher (R34m). Cet argument dans
un exercice d’école ne pourrait en lui-même ne rien refléter d’autre
qu’une représentation issue de l’imagination de son auteur, mais
la question de la survie de la victime à sa chute, empêchant ceux qui
l’avaient précipitée de l’achever, est aussi attestée historiquement,
quoique brièvement, par un fragment de Dion Cassius :

À ceux qui avaient été précipités des rochers du Capitole, s’ils


avaient survécu, ils laissaient la vie. (Dion Cassius, 4, 17, 8)

La Loi des XII tables. La procédure tribunicienne


Peut-on préciser, au-delà de la généralisation légendaire relative à
des citoyens accusés de brigandage ou victimes de la tyrannie
romuléenne, de quelle nature étaient les crimes punis par
une précipitation depuis la roche ? À la lumière de l’inventaire qui peut
être établi, la réponse semble varier selon les époques, sans que l’on puisse
par ailleurs trancher la question de savoir si elle a pu consister à l’origine
en une peine privée plutôt que publique [HUMBERT 2018, p. 538-539],
quoique la seconde hypothèse apparaisse comme la plus probable
[CRAWFORD 1996, II, p. 692]. Au milieu du Ve siècle, la Loi des XII Tables punit
de la précipitation deux catégories de criminels : les esclaves pris en
flagrant délit de vol (furtum manifestum) (R34c) et les hommes libres
condamnés pour faux (falsum) (R34d), ce qui pourrait alors laisser penser à
une absence de caractérisation précise des crimes ainsi sanctionnés et à
une indifférenciation du statut du coupable. Cependant, quarante ans
auparavant, en 492 av. J.-C., à l’occasion du procès de Coriolan (R5a ; R34e),
la roche tarpéienne était apparue comme étroitement liée aux leges
sacratae et à l’inviolabilité des tribuns de la plèbe qui venaient juste d’être
créés en 494 av. J.-C. (Denys d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 7, 35, 4 ;
Plutarque, Coriolan, 18, 3). À moins que le héros n’eût déjà pris le chemin
de l’exil, selon la version de la légende conservée par Tite-Live (2, 35, 6)
(R2a2). Toujours est-il que, dès la naissance du tribunat, toute atteinte à
cette magistrature plébéienne aurait pu être sanctionnée d’une
précipitation de la roche, sur un ordre de leur part et sans jugement
préalable devant une assemblée de la plèbe, tandis que se mettait
également en place une procédure populaire initiée par les tribuns (R5) et
qui était susceptible de conduire elle aussi à la précipitation du condamné
du haut de la roche. Certes, sept ans plus tard, ce sont des questeurs qui
auraient mis à mort l’aspirant à la tyrannie Spurius Cassius, si l’on s’en
tient ici à la version d’une mise à mort par les pouvoirs publics et non à
celle d’une sentence prononcée par le père du coupable dans le cadre du
tribunal domestique (R6b). En tout cas, le lien entre l’exécution de la roche
Tarpéienne et la puissance tribunicienne est très explicitement souligné à
l’occasion de la menace proférée en 450 av. J.-C. à l’encontre de Horatius
Barbatus (34i) [MOMMSEN 1904, II, p. 389-391]. Si l’on écarte la version
alternative d’une flagellation qui aurait conduit à la mort avant même
l’exécution (Aulu-Gelle, 17, 21, 24), c’est là un argument de plus pour
considérer, en dépit des contradictions de la documentation, que Manlius
Capitolinus (R34j), a bien été exécuté en 384 av. J.-C. à l’issue d’une
poursuite capitale tribunicienne [RIVIÈRE 2013], plutôt qu’à l’initiative de ces
magistrats dont l’existence est à peine attestée, et que l’on a rencontrés
plus haut à l’occasion du procès d’Horace à l’époque royale (3a) ou du
procès contre Rabirius en 63 av. J.-C. (R3h4-R3h5), les duumuiri perduellionis
[contra KUNKEL 1995, p. 575 et n. 75]. La précipitation du haut de la roche
tarpéienne constituait l’expression la plus violente et la plus spectaculaire
du pouvoir tribunicien. Lorsqu’elle était prononcée par un membre de ce
collège pour sa défense, sans jugement préalable, seule l’intercession d’un
autre tribun pouvait empêcher l’accomplissement de l’acte. En atteste
le cas du censeur Q. Caecilius Metellus Macedonicus en 131 av. J.-C. (R34k)
emmené soudainement par le tribun de la plèbe C. Atinius Labeo dans
l’accomplissement d’un geste purement vindicatif. Malgré l’ameutement
de la foule de ses proches et de ses clients pour l’écarter du chemin du
supplice, personne d’autre qu’un autre tribun – celui-ci fut découvert à
la dernière minute – n’aurait pu sauver le censeur. Son sang, précise Pline
l’Ancien avec un macabre pittoresque sans doute familier à ses lecteurs,
sortait déjà de ses oreilles par l’effet de la strangulation exercée par
la corde qui le menait. Bien souvent la terreur d’une telle exécution est
demeurée, selon nos récits, à l’état de simple menace [KUNKEL 1995, p. 574-
575]. Mais dans le contexte des guerres civiles, en 88 av. J.-C., une telle
exécution a pu se produire contre des partisans de Sylla (R34l), à
l’initiative du tribun P. Popilius Laenas, tandis que ceux qui étaient
parvenus à s’y soustraire avaient alors encouru, une « interdiction de l’eau
et du feu », très probablement prononcée par le peuple (R41).
Les tribuns de la plèbe étaient-ils les seuls à pouvoir accomplir
une précipitation de la roche tarpéienne ? On a déjà vu intervenir
des questeurs à l’occasion de l’épisode très incertain de l’une des versions
de la mort de Spurius Cassius (R6b4). La question pourrait se poser de
nouveau si l’on acceptait la version de ce récit (Tite-Live, Abrégés, 80 ;
Plutarque, Marius, 45, 3) selon laquelle Marius, consul pour la septième fois
et alors qu’il entrait en charge le 1er janvier 86 av. J.-C., aurait ordonné de
faire précipiter un sénateur (Sextus Lucilius, tribun de la plèbe l’année
précédente) de la Roche tarpéienne. Mais il s’agit là sans doute d’un
raccourci [DAVID 1984, p. 137, n. 25]. Selon la version retenue par Velleius
Paterculus (2, 24, 2) c’est le tribun P. Popilius Laenas qui a procédé à
l’exécution, pour obéir sans doute au tout puissant Marius (R34l). C’est
un procédé récurrent, chez certains de nos auteurs (pour l’époque
des guerres civiles et sous l’Empire), de procéder à des raccourcis pour
désigner directement à qui incombe la décision d’un meurtre judiciaire ou
pour ménager un effet du récit. Voici celui de Plutarque au sujet de
l’épisode en question :

Marius fut donc désigné consul pour la septième fois et, dès qu’il
sortit en public, le jour même des calendes de janvier qui marquait
le commencement de l’année, il fit précipiter un certain Sextus
Licinius de la roche Tarpéienne, ce qui sembla à ses adversaires
comme à la cité le signal éclatant de la reprise des malheurs.
(Plutarque, Marius, 45, 3, trad. A.-M. Ozanam)

Précipitations collectives, troubles urbains


et séparation entre les esclaves et les libres
À partir de la seconde guerre punique sont attestées des exécutions
collectives par précipitation. En 214 av. J.-C., tout d’abord, trois cent
soixante-dix « transfuges » (perfugae) (Commentaire à R38 sur ce terme),
qui avaient été repris par un consul furent envoyés à Rome, frappés de
verges dans le Comitium et précipités de la Roche (Tite-Live, 24, 20, 6).
Deux ans plus tard, en 212 av. J.-C., des otages tarentins qui s’étaient
échappés furent rattrapés et exécutés de la même façon. Ils avaient
d’abord trahi la confiance des Romains qui les détenaient sans grande
surveillance dans l’Atrium Libertatis – mentionné ici pour la première fois,
cet édifice clos, centré sur une cour, était le siège des archives censoriales,
comme en témoigne par exemple le récit du procès contre deux d’entre
eux 169 av. J.-C. (R5e), mais c’était aussi un lieu de garde, donc, et
d’interrogatoire comme l’atteste la torture des esclaves de Milon (Cicéron,
Pour Milon, 59) à l’occasion du procès de ce dernier en 52 av. J.-C. (R10). En
212 av. J.-C. l’instigateur de la fuite des otages était un certain Phileas de
Tarente qui, « sous prétexte d’ambassade », avait tout organisé en
corrompant deux gardiens. Or, malgré leurs propres écarts à ce principe
plusieurs fois dans leur histoire, ce « droit d’ambassade » (ius legationis)
était un pilier, aux yeux des Romains, du « droit des gens » (ius gentium), de
la confiance qui régissait les rapports internationaux (R41e-R41j) [RIVIÈRE
2016a]. Le crime donc était double (la confiance accordée aux otages
bafouée, l’hospitalité donnée à l’ambassadeur trahie elle aussi), la punition
fut exemplaire. Après avoir été rattrapés dans leur fuite nocturne,
les otages qui avaient sans surprise suivi la uia Appia en direction du Sud
de la péninsule, furent arrêtés à Terracine, puis ramenés à Rome et jugés
dans le Comitium, le plus ancien lieu de réunion du peuple sur le forum :

Au lever du jour, alors que le bruit de cette fuite s’était répandu


dans la Ville, ceux qui avaient été envoyés à leur poursuite
les prirent à Terracine et les ramenèrent tous à Rome. Conduits
dans le Comitium, ils furent frappés des verges (uirgis caedere) avec
l’approbation du peuple et furent précipités de la roche. (Tite-Live,
25, 7, 14)

Au dernier siècle de la République, à deux reprises des émeutiers


furent punis de la sorte. En effet, lors des troubles consécutifs à
l’assassinat de César et de ses funérailles improvisées par ses partisans sur
le forum, des consuls précipitèrent pour l’exemple des émeutiers du haut
de la roche Tarpéienne craignant en particulier la propagation de
l’incendie :

À la suite de cela, enlevant le cadavre, ils voulaient le porter,


les uns dans l’édifice où il avait été assassiné, les autres dans
le Capitole, et l’y brûler ; mais les soldats s’y étant opposés par
crainte que le théâtre et les temples ne fussent en même temps
dévorés par les flammes, ils le mirent à l’instant sur un bûcher au
milieu du forum. Cependant plusieurs des édifices environnants
auraient été brûlés, si les soldats n’avaient empêché l’exécution de
ce dessein et si les consuls n’avaient précipité des rochers du
Capitole (kata tôn tou Kapitôliou petrôn) quelques-uns des plus
audacieux. (Dion Cassius, 44, 50, trad. E. Gros)
Dans cette situation de désordre et en raison de l’emploi du pluriel
« les rochers » (petrai) – rencontré plus haut dans l’œuvre du même Dion
Cassius – on pourrait se demander s’il s’agit encore du rite ancien (il serait
alors exécuté ici par des consuls sans aucune procédure judiciaire) ou
d’actes de brutalité accomplis au milieu d’autres violences en contexte
urbain. De même, un peu plus tard, la même année, les partisans
d’Amatius (le Pseudo-Marius) qui étaient de condition libre subirent
le même sort, à l’initiative de Marc Antoine semble-t-il :

(…) puis comme Antoine avait dépêché des renforts, quelques-uns


furent tués en se défendant et d’autres, après leur capture, furent
crucifiés – tous les esclaves – ou, s’ils étaient des hommes libres,
précipités de la roche Tarpéienne. (Appien, Les guerres civiles à
Rome, 3, 1, 9)

Alors même que la plus ancienne attestation historique de


la précipitation de la roche Tarpéienne dans la Loi des XII tables soumet
l’esclave coupable de furtum manifestum à ce supplice (R34c), au dernier
siècle de la République, cette peine semble étroitement liée au statut non
servile, comme l’atteste le texte d’Appien cité ci-dessus. En 88 av. J.-C.,
Sylla affranchit l’esclave du tribun P. Sulpicius Rufus en récompense de
la dénonciation de son maître, puis le fait précipiter pour le punir de sa
trahison (Tite-Live, Abrégés, 77 ; Valère Maxime, 6, 5, 7 ; Plutarque, Sylla,
10 ; Orose, Histoires contre les païens, 5, 19, 6), comme si la sortie de
la condition servile avait été la condition nécessaire à l’accomplissement
de l’exécution sous cette forme. Mais cet exemple, souvent invoqué, n’est
pas probant, puisque l’esclave est ainsi puni pour avoir trahi son maître.
Le dictateur Sylla (ne renonçant jamais aux violences les plus extrêmes,
mais toujours soucieux de « légalité »), mena alors un double jeu
procédural, à savoir le versement de la récompense promise à l’esclave,
courante pour la répression de nombreux crimes, suivie de l’exécution à
laquelle sont appelés les pouvoirs publics en cas d’assassinat du maître par
l’un de ses serviteurs. Cependant, Cicéron (Lettres à Atticus, 14, 15, 1 ; 14, 16,
2) oppose la croix (crux) pour les esclaves à la roche (saxum) pour les libres.
Une même opposition semble caractériser la répression des partisans
d’Amatius (le Pseudo-Marius), comme on l’a vu ci-dessus.
La précipitation de la roche Tarpéienne est donc liée étroitement à
la puissance tribunicienne, elle est associée aux leges sacratae et au
serment de la plèbe des origines. En ce sens elle apparaît comme
une forme de supplice issue de façon plus générale du parjure. Cette peine
aurait ensuite fait l’objet d’une banalisation et d’un déplacement avant de
disparaître après les quelques attestations résiduelles sous le règne
des premiers empereurs. Après l’époque julio-claudienne, en effet, la mise
à mort par précipitation depuis la roche n’est plus attestée. Plutarque (46-
120 ap. J.-C.) en parle comme d’une pratique qui appartient au passé
(R34a), tandis que l’exécution capitale par précipitation du condamné est
explicitement interdite par une brève allusion de Modestin dans laquelle
le mot saxum s’applique, spécificiquement sans doute, à la roche
Tarpéienne (R34o).
35

Le « parricide » et « la peine de l’outre


» (des origines à l’Empire chrétien)

a. « Le sac » (follitus) du parenticide


(Plaute, Epidicus, 348-351 ; début
e
II s. av. J.-C.)

Stratippoclès : Mais qu’est-ce que cela ?


Épidique : Oui je fais de ton père (pater) un parenticide (parenticida).
Stratippoclès : Quelle sorte de mot est-ce là ?
Épidique : Je ne m’attarde pas aux expressions anciennes et répandues
comme « mener un porteur de besace (peratus) », moi c’est dans le sac
(follitus) que je le mènerai.

b. les sabots de bois, le sac, le cachot


et l’outre (Cicéron, De l’invention, 2, 149 ;
83 av. J.-C.)
Or quelqu’un a été jugé <coupable> d’avoir tué son père (parens) ;
aussitôt, comme il n’a pas pu fuir, on lui a passé aux pieds des sandales de
bois (ligneae soleae) ; on lui a couvert le visage d’un sac (folliculus) bien
attaché ; ensuite il a été amené dans le cachot pour qu’il y reste le temps
que l’on prépare l’outre (culleus) dans laquelle, une fois introduit, il serait
jeté dans un cours d’eau.

c. La privation des quatre éléments :


l’eau, la terre, le feu et l’air

C1.POLLUTION ET EXPIATION (CICÉRON, POUR SEXTUS ROSCIUS D’AMÉRIE,


71-72 ; 79 AV. J.-C.)
71. Ô sagesse sans pareille, juges ! Ne paraissent-ils pas avoir soustrait
et arraché cet homme à la nature des choses en lui enlevant soudainement
le ciel, le soleil, l’eau et la terre, si bien que celui qui aurait donné la mort
(necare) à celui dont lui-même est né sera privé de toutes ces choses dont
on dit que tous les éléments sont nés ? Ils n’ont pas voulu jeter leur corps
aux fauves, afin que ces bêtes ne deviennent pas encore plus
monstrueuses après avoir été au contact d’un tel crime (scelus) ; il n’ont
pas voulu les jeter (deiicere) nus dans le fleuve afin que portés vers la mer
(deferre in mare), ils la polluent (polluere) elle-même dont on pense qu’elle
permet l’expiation (expiari) de toutes les choses qui ont été violées
(uiolare), à tel point qu’il n’y a rien de si vil ni de si commun qu’ils n’aient
voulu qu’il leur reste même en infime partie. 72. Qu’il y a-t-il en effet de
plus commun que le souffle pour les vivants, que la terre pour les morts,
la mer pour ceux qui flottent, le rivage pour ceux qui y sont rejetés ? C’est
ainsi qu’ils vivent, autant qu’ils le peuvent, sans être en état d’accéder au
souffle venu du ciel, c’est ainsi qu’ils meurent sans que la terre touche
leurs os, c’est ainsi qu’ils sont livrés aux flots sans que jamais ceux-ci
les baignent, c’est ainsi qu’ils sont ensuite rejetés de telle sorte que jamais
même après leur mort ils ne puissent y trouver repos (…).

C2. « CELUI QUI TUE SES PARENTS DOIT ÊTRE PRIVÉ DE SES PARENTS »
(COMMENTAIRE À CICÉRON, POUR SEXTUS ROSCIUS AMERINUS, 71, SCHOLIA
GRONOVIANA D, P. 310 STANGL)
Ce sont d’eux que naissent toutes les choses. Celui qui s’acharne contre
son parent subit en expiation les lois de la nature (naturae iura persoluere).
Il est connu que ce sont nos parents qui nous nourissent. Eh bien, si
certains individus tuent leurs parents, ils doivent éprouver le manque de
leurs parents. Il est établi que toutes les choses procèdent de ces quatre
éléments : l’air, le feu, l’eau, la terre. C’est également par eux que nous
sommes nourris. C’est donc pour cela que les ancêtres ont voulu que
les parricides soient cousus dans des outres, de telle sorte qu’ils éprouvent
le manque de l’air, de la terre, du feu, de l’eau qui nourrissent l’homme à
l’instar des parents. Car celui qui tue ses parents doit être privé de
parents, c’est-à-dire des éléments qui nous nourrissent.

d. Le matricide de Publicius Malleolus


en 101 av. J.-C.

D1. UN « SAC EN PEAU DE LOUP » SUR LE VISAGE ET DES « SANDALES


er
DE BOIS » AUX PIEDS (RHÉTORIQUE À HERENNIUS, 1, 23 ; I SIÈCLE AV. J.-
C.)
Malleolus a été jugé pour avoir tué (necare) sa mère. Aussitôt après
avoir été condamné, son visage a été enveloppé (os obuoluere) d’un petit
sac en peau de loup (folliculus lupinus), on lui a passé aux pieds des sandales
de bois (soleae ligneae) et il a été conduit dans le cachot.

D2. « COUDRE L’OUTRE » ET « PRÉCIPITER EN MER » (TITE LIVE, ABRÉGÉS,


68 ; ÉPOQUE AUGUSTÉENNE)
Publicius Malleolus, après qu’il eut tué sa mère, est le premier à avoir
été cousu (insuere) dans une outre (culleus) et à avoir été précipité
(praecipitare) en mer.

e. Des « animaux impies » à l’intérieur


de l’outre (Pseudo-Dosithée,
Hermeneumata. Corpus Glossariorum
Latinorum. III. Hadriani Sententiae,
16, p. 390 Goetz ; 207 ap. J.-C. env.)
Il y eut une loi s’appliquant à tous les hommes, en vertu de laquelle,
quiconque aurait commis un parricide serait publiquement livré, à
l’intérieur d’une outre (culleus), à une vipère, à un chien, à un singe et à
un coq : aux animaux impies (impius), l’homme impie. Qu’il soit précipité
(deferre) dans la mer sur un chariot (plaustrum) attelé d’un bœuf noir et
qu’il soit ainsi projeté (proiicere) dans l’abîme (in profundum).
f. Un chariot et un boeuf noir (Pseudo-
Dosithée, Hermeneumata. Corpus
Glossariorum Latinorum. III. Hadriani
Sententiae, 16, p. 390 Goetz ; 207 ap. J.-C.)
Qu’il soit descendu vers la mer (deferre in mare) sur un chariot
(claustrum) attelé d’un bœuf noir et qu’il soit ainsi projeté dans l’abîme
(proiicere in profundum).

g. Une atténuation de la peine sous


le règne d’Antonin le Pieux, entre 138 et
161 ap. J.-C. (Histoire Auguste,
Vie d’Antonin le Pieux,
8, 1 ; fin du IVe siècle ?)
Il est si vrai que sous le règne d’Antonin aucun sénateur ne fut frappé,
que même un parricide qui avait avoué fut déposé sur une île déserte,
puisque les lois de la nature ne lui permettaient pas de vivre.

h. La flagellation, les animaux dans


l’outre, la livraison aux bêtes alternative
de l’immersion (Modestin, Des pandectes,
extrait du livre 12, fr. 146 Lenel = Digeste,
48, 9, 9, pr.-2 ; après 217)
Pr. La peine du parricide, selon la coutume des ancêtres, a été réglée
de la manière suivante : le parricide, après avoir été frappé par des verges
couleur de sang (uirgae sanguinae), est enfermé dans une outre (culleus),
avec un chien, un coq, une vipère et un singe, puis l’outre est jetée dans
une mer profonde. Qu’il en soit ainsi, si la mer est proche ; autrement,
selon une constitution du divin Hadrien, qu’il soit jeté aux bêtes. 1. Ceux
qui ont tué (occidere) d’autres personnes, s’il ne s’agit ni de leur père ni de
leur mère, ni de leur aïeul, ni de leur aïeule (auquel cas ils doivent être
punis (puniri) suivant la coutume des ancêtres (mos maiorum) comme nous
l’avons dit), qu’ils soient frappés (plectere) de la peine capitale ou qu’ils
soient tués (mactare) en recourant au dernier supplice (ultimum
supplicium). 2. Assurément, si quelqu’un a tué son parent par folie (furor),
qu’il demeure impuni (impunitus) comme ont répondu les divins frères
dans un rescrit au sujet de celui qui avait tué (necare) sa mère, car il suffit
qu’il soit puni (punire) par la folie elle-même : que dans ce cas on le garde
(custodire) avec diligence, ou qu’on le contraigne (coercere) même avec
des fers (uincula).

i. L’outre et les serpents, dernière


attestation du supplice. L’empereur
Constantin Auguste à Verinus, vicaire
d’Afrique (Code de Justinien,
9, 17, 1 ; 16 novembre 318)
Si quelqu’un hâte l’heure fatale d’un parent, d’un fils ou de quiconque
entre dans un lien d’affection tel que le meurtre de celui-ci est compris
dans la catégorie du parricide, que ce crime ait été produit en secret ou
aux yeux de tous, qu’il soit puni de la peine du parricide, et qu’il ne soit
soumis, ni à l’épée, ni aux flammes, ni à aucune autre peine courante, mais
qu’après avoir été cousu dans une outre et tenu enfermé à l’intérieur de ce
funeste réduit, des serpents lui soient joints pour lui tenir compagnie.
Qu’il soit enfin précipité, selon l’environnement qu’offre la région, dans
la mer voisine ou dans un cours d’eau, afin que de son vivant vienne à lui
manquer tout usage des éléments, afin que le ciel lui soit enlevé alors qu’il
vit encore, puis la terre après sa mort.
Donnée le seizième jour des calendes de décembre l’année du
5e consulat de Licinius et du consulat de Crispus César (16 novembre 318).
e
Reçue le jour avant les ides des mars à Carthage l’année du 5 consulat de
Constantin Auguste et du consulat de Licinius César (14 mars 319).

*
* *

Le parricide (parricidium désigne le crime, parricida l’auteur de sa


perpétration) était considéré par les Romains comme un crime à ce point
« incroyable » qu’en refusant de le qualifier et de l’inscrire dans la loi,
Romulus aurait voulu éviter d’en concevoir même l’accomplissement
(Plutarque, Romulus, 22, 4-5). L’explication n’est pas à rechercher dans
la seule répulsion suscitée par un crime de sang particulièrement grave,
quelles que soient les représentations de rejet et d’horreur, qui lui sont
par ailleurs associées. Une telle hantise se situe sur le plan d’un ordre
juridique qui singularise la cité romaine (R2) [THOMAS 2017].

Ce thème est omniprésent chez les poètes, les dramaturges (Plaute,


Térence) et les rhéteurs (Sénèque le rhéteur, Controverses et suasoires,
Quintilien, Institution oratoire). Plus précisément encore d’autres figures (le
fils prodigue, l’endettement des adolescentes sous puissance, le recours de
ces derniers aux usuriers) lui sont associées en raison de la dépendance
patrimoniale du fils, de son impécuniosité. Mais ce n’est pas seulement
un lieu commun de la littérature, comme en témoignent les multiples
précautions du législateur. Au début du IIe siècle une loi Laetoria avait
interdit tout prêt à un mineur de moins de 25 ans. On en trouve l’écho
dans le théâtre de Plaute (Pseudolus, 303-304) où un jeune homme dont
le père est en vie s’écrie : « Je suis mort ! C’est la loi des vingt-cinq ans qui
me tue : tout le monde a peur de me faire crédit ». La loi était bientôt
contournée par la clause post mortem patris qui laissait espérer au créancier
un remboursement après la mort du père. Il fallut, au lendemain du
meurtre d’un père par son fils sous le règne de Vespasien (69-79), rendre
impossible un tel contournement. Naturellement, le siècle des guerres
civiles de la fin de la République a constitué un moment particulièrement
propice à ce type de violences (dans les rangs de l’aristocratie au moins).
En 63 av. J.-C., c’est un leitmotiv de Cicéron dans ses discours contre
le comploteur L. Sergius Catilina. On le retrouve chez Salluste (La
conjuration de Catilina, 43). Le chef des conjurés aurait cherché à entraîner
des jeunes gens de bonne famille endettés en les invitant à « massacrer
leurs pères ». Lors des proscriptions, c’est-à-dire lors des chasses à
l’homme orchestrées contre récompenses aux dénonciateurs et aux
tueurs, une première fois en 82 av. J.-C., sous Sylla, une seconde fois en
43 av. J.-C., sous les triumvirs (Octavien, Marc Antoine et Lépide),
des dénonciations de pères par leurs fils (et de maîtres par leurs esclaves)
ont nourri la liste des mises à mort :

Thuranius [Toranius], qui n’était plus préteur mais qui l’avait été,
et qui était le père d’un jeune homme qui était pour le reste
débauché, mais qui avait une grande influence près d’Antoine,
demanda aux centurions de repousser sa mort de quelques jours,
pour que son fils puisse intervenir par une demande (aiteô) auprès
d’Antoine en sa faveur. Ils rirent de lui et lui dirent : « Il est déjà
intervenu par une demande, mais dans l’autre sens. (Appien,
Les guerres civiles à Rome, 4, 18, trad. d’après Ph. Torrens)

Les conflits étaient d’autant plus exacerbés, comme l’a fait observer
Paul Veyne, qu’une partie des jeunes gens de la haute société (ceux qui
étaient sui iuris) jouissaient de tous leurs droits par opposition à l’autre
partie de ceux qui en étaient frustrés en raison de leur dépendance à
l’égard de leurs pères (les alieni iuris). Dans un contexte de rivalités
aristocratiques, d’abord durant les guerres civiles, mais aussi sous
l’Empire, à une époque où la délation fut encouragée pour la défense,
notamment, du crime de lèse-majesté bien des mises à mort procédèrent
de ce principe (Tacite, Annales, 4, 28-29).
Si le parricide a été encouragé dans des moments de dérèglement de
la société romaine, durant les guerres civiles ou sous le règne des tyrans,
la punition de ce crime, aussi ancienne que singulière, est à peu près sans
équivalent tout au long de l’histoire de la République et de l’Empire. Deux
indices permettent de mettre en évidence la spécificité du parricide.
Le premier relève de la procédure, le second de la forme du châtiment.
Alors que jusqu’au dernier siècle de la République les crimes de sang
auraient fait l’objet d’une poursuite privée qui conduisait les proches de
la victime à saisir eux-mêmes la justice civile et à poursuivre le meurtrier
devant le magistrat pour obtenir réparation (Commentaire à R6),
le parricide a toujours été réprimé comme un crimen publicum, c’est-à-dire
un crime dont la répression incombait aux pouvoirs publics, à l’instar du
crime de « haute trahison » (la perduellio). En dépit des nombreuses et
fortes réserves qui ont été exprimées à ce sujet [HUMBERT 2018] (R2),
le parricide n’aurait donc pas été considéré par les Romains comme
la forme la plus grave de l’homicide, dont la punition relevait d’un régime
de vendetta médiatisé par un tribunal et incombait à l’initiative
des proches [THOMAS 1984]. Du parricide à l’homicide, il n’y aurait pas de
continuité. La différence entre ces deux actes n’était pas de « degré », mais
de « nature ». Ce constat de Yan Thomas invite à se défaire de toute
représentation évolutionniste selon laquelle la désignation du meurtre du
père dans l’ordre familial archaïque des origines aurait progressivement
été étendue au meurtre d’un homme libre, au fur et à mesure que la cité
s’unifiait et développait ses institutions au détriment de l’autonomie
des groupes familiaux (gentes). En bref, en dépit de ce que pourraient
laisser entendre quelques déformations lexicales issues d’une
systématisation du droit et de la procédure criminels au dernier siècle de
la République, et de ce que l’on sait de la loi Pompeia de parricidiis [THOMAS
1981 ; THOMAS 2017], le parricide n’aurait jamais été appréhendé comme

une forme particulièrement grave d’homicide. Le traitement symbolique


du meurtrier du parent est à part, comme l’attestent à une époque récente
les discours de Cicéron (R35c1).
Si cette question relative à la qualification du crime est encore
débattue, l’application du châtiment, en raison de la spécificité d’un
supplice à caractère expiatoire, constitue le deuxième indice de
la singularité du parricide. Quelques jeux de mots extraits du théâtre de
Plaute constituent la source la plus ancienne relative aux étapes du
châtiment. Le dramaturge mentionne d’une part le parricide et d’autre
part la désignation d’un sac, le follitus où il serait « conduit » (R35a). Il
désigne également une outre (culleus) à l’intérieur de laquelle serait
« cousu » le coupable devant être précipité en mer, selon un rite que
résume alors le verbe deportare attesté à partir de la même époque. Plus
tard, sous l’Empire, ce même terme désignera la forme la plus dure de
l’exil dans une île, assortie d’une déchéance de citoyenneté et de
la confiscation des biens (R43).
En dépit du registre comique et scabreux où prennent place ces
nouvelles occurrences extraites du théâtre de Plaute, elles ne peuvent en
aucune façon être négligées :
Si dès aujourd’hui et en ce lieu on ne m’aura pas apporté
(deportare) de l’huile dans des outres (cullei), je te ferai toi-même
fourrer dans une outre (culleus) et déporter de sorte dans
l’appentis (deportare in pergulam). (Plaute, Pseudolus, 213-214)

Un peu plus loin la même menace est réitérée : « tu iras voir le réduit
(pergula) avec une peau à la phénicienne (poeniceum corium) ». La seconde
occurrence figure dans les fragments conservés d’une autre pièce de
Plaute dont ne subsistent que quelques extraits, la Vidullaria : « qu’il soit
cousu (insuere) dans une outre et déporté dans les profondeurs (deportare
in altum) », ou encore « j’ordonne que ce jeune homme soit cousu (insuere)
dans une outre (culleus) et qu’il soit déporté ». La mention du culleus –
une outre de cuir destinée au transport de denrées ou servant de flotteur
le cas échéant, lorsqu’elle est simplement remplie d’air – ne laisse planer
aucun doute sur la nature du supplice [NARDI 1980]. Le comique est ici
forgé sur une référence au fameux châtiment du parricide, enfermé dans
une outre et livré aux flots. Une série de fragments de textes juridiques et
littéraires épars, depuis longtemps répertoriés et mis en série [THOMAS
1981, p. 673 n. 95], permet de décrire les différentes étapes du
cheminement vers le supplice infligé au parricide : son visage est
dissimulé (obuultus) par un sac, « un petit sac en peau de loup » (folliculus
lupinus) bien attaché (praeligatus) ; on lui fait porter des « sabots de bois »
(soleae ligneae). Il est enfermé dans un cachot et flagellé à sa sortie par
« des verges couleur sang », c’est-à-dire taillées dans un arbre qui porte
malheur, un arbor infelix [BAYET 1935 ; ANDRÉ 1964], tel celui auquel on
suspendait également les accusés de haute trahison (perduellio).
Le parricide est donc privé du contact avec les éléments : l’eau,
la terre, le feu et l’air. À l’instar de l’androgyne [RIVIÈRE 2018a], le coupable
est mis à mort sans qu’aucun coup ne lui soit porté, il est necatus et non
pas occisus :
À proprement parler, on dit qu’a été livré à la mort (nex) celui qui a
été tué (interficere) sans blessure (uulnus), par le poison (uenenum),
par exemple, ou par la faim. (Verrius Flaccus, De la signification
des mots, d’après l’abrégé de Festus, p. 158 Lindsay)
On distingue celui qui a été tué (occisus) de celui qui a été mis à
mort (necatus) : on dit en effet que le premier a été frappé (caedere)
ou a reçu un coup (ictus), tandis que l’autre n’a pas reçu de
coup. (Verrius Flaccus, De la signification des mots, d’après l’abrégé
de Festus, p. 190 Lindsay)

Comme l’androgyne, également, il est enfermé dans une arca, il est


précipité dans la mer, non pas nu, au contact des éléments, mais dans
une outre hermétique. Si bien que Cicéron imagine cette outre voguant au
gré des flots, si bien que Sénèque le rhéteur (Controverse, 7, Préface, 9), au
commencement de l’Empire, assimile cet habitacle à une embarcation
lancée en mer sans gréement, un exarmatum nauigium. Comme l’avait
suggéré Gustave Glotz il y a plus d’un siècle [GLOTZ 1904] dans
une remarquable étude de droit comparé, il y a tout lieu de considérer ce
traitement comme une « ordalie » par laquelle, résume l’auteur, « on ne
condamne pas un coupable à une peine capitale ; on l’expose à un danger
capital » (des exemples comparables se retrouvent en Océanie, en
Polynésie, au Cambodge). Il se pourrait alors, si l’on admet l’hypothèse
proposée dans la même étude, que la réparation de la souillure ne
constitue que la seconde interprétation d’un geste qui signifiait
originellement une mise à l’épreuve du jugement divin. S’agit-il
nécessairement d’un supplice archaïque, en raison de l’horreur qu’il
suscite et de son lien avec la procuration des prodiges ? Une telle
hypothèse a été avancée en considérant que le parricide pouvait de ce
point de vue être rapproché du crime de haute trahison (perduellio)
[BRIQUEL 1980, p. 94-95]. Assurément, ici et là, les pouvoirs publics se
chargent d’une répression qui ne peut aucunement être confiée à
une procédure privée dans la mesure où ces deux crimes s’attaquent aux
fondements mêmes de la cité. Pour autant, le caractère archaïque de
la punition du parricide n’est aucunement prouvé, ni assuré.
La documentation invite à penser, au contraire, qu’il aurait été introduit
seulement lors de la deuxième guerre punique, sur la recommandation
des haruspices. Bien sûr, selon la tradition, la peine de l’outre aurait été
appliquée pour la première fois à l’époque de Tarquin le Superbe à Marcus
Atilius qui avait révélé le contenu de l’oracle sibyllin (Denys
d’Halicarnasse, 4, 62, 4). Mais il s’agit là d’un récit étiologique qui associe
la peine infligée plus tard aux parricides à un délit religieux, à
un sacrilège : il est donc très significatif, mais légendaire et anachronique
[RIVIÈRE 2018a].
36

Les critères d’évaluation de la peine

Claudius Saturninus, Des peines infligées


aux civils, fr. 52 Lenel = Digeste,
48, 19, 16, pr.-10 (200 ap. J.-C. env.)
Pr. On punit soit des faits, comme les vols (furta) ou les meurtres
(caedes), soit des paroles, comme les insultes (conuicia) ou des plaidoieries
déloyales (infidae aduocationes), soit des écrits, comme les faux (falsa) ou
les pamphlets diffamatoires (libelli famosi), soit des projets (consilia),
comme les complots (coniurationes) ou les associations de malfaiteurs
(latrorum conscientia). On punit également à proportion du crime ceux qui,
par leurs conseils, ont fourni leur aide à d’autres. 1. Mais ces quatre séries
(genera) doivent être envisagées selon sept critères (moda) : la cause
(causa), la personne (persona), le lieu (locus), le temps (tempus), la qualité
(qualitas), la quantité (quantitas), le dénouement (euentus). 2. La cause
invoquée : par exemple dans le cas de coups de verges qui n’exigent pas
d’être punis, car ils ont été ordonnés par un magistrat ou un parent et
qu’ils semblent avoir été administrés pour accomplir une correction
(emendatio) et non une atteinte <à la personne> (iniuria). Ils appellent
une punition lorsque quelqu’un a été malmené sous l’effet de la colère
d’un tiers étranger à la famille (extraneus). 3. Quant à la personne, elle est
considérée selon deux approches, selon qu’elle est l’auteur de l’acte ou
qu’elle le subit : pour les mêmes crimes (facinores) en effet, on punit
différemment les esclaves et les libres, différemment également celui qui a
commis un acte d’audace contre un maître, un parent, ou un tiers, contre
un magistrat ou un simple citoyen (priuatus). À l’égard de ce genre
d’affaire, il faut également prendre l’âge (aetas) en considération. 4. Le lieu
importe pour dire s’il s’agit d’un vol ou d’un sacrilège et pour savoir si
le prévenu doit subir la peine capitale ou un supplice moins lourd.
5. Le <critère du> temps permet de distinguer un soldat qui manque à
l’appel par son retard (emansor), d’un fugitif (fugitiuus), ou encore
un voleur qui agit de jour, de celui qui agit de nuit. 6. Par qualité (qualitas),
on entend ce qui a été commis, de manière aggravée (atrocius) ou légère
(leuius) : c’est ainsi que l’on distingue couramment les vols (furta) flagrants
(manifesta) de ceux qui ne sont pas flagrants, les bagarres (rixae) des actes
de brigandages (grassaturae), les pillages (expilationes) des vols (furta),
l’emportement (petulantia) de la violence (uiolentia). À ce sujet, le plus
grand des orateurs, parmi les Grecs, Démosthène s’exprime ainsi : « Ce
n’est pas le coup qui provoque l’indignation, mais l’intention de
déshonorer : pour un homme libre, le scandale n’est pas d’être frappé, si
scandaleux soit-il, mais de l’être de façon outrageante. L’homme qui
frappe peut se livrer à bien des actes, dont il est un certain nombre que
la victime ne saurait rapporter à autrui : c’est l’attitude, le regard, le ton
de la voix : c’est quand on frappe avec l’intention d’outrage, en ennemi,
quand on frappe avec le poing en pleine figure. Voilà ce qui soulève
la colère d’un homme et le met hors de lui lorsqu’il n’a pas l’habitude
d’être traîné dans la boue » [trad. de Démosthène par L. Gernet].
7. La <question de la> quantité permet de distinguer le <simple> voleur
(fur) de celui qui enlève des troupeaux (abigeus). 8. Quant au dénouement,
il doit être examiné comme si l’acte avait été perpétré par le plus doux
des hommes ; d’ailleurs la loi ne punit pas moins celui qui pour tuer
un homme a été en possession d’une arme que celui qui a tué. Et c’est
pourquoi chez les Grecs, les malheurs accidentels (fortuiti casus) sont
rachetés par un exil volontaire, comme cela a été écrit par le premier
des poètes :

J’étais tout jeune encore quand Ménoetios d’Oponte, m’amena


dans votre maison, par suite d’un meurtre déplorable (androktasiès
upo lugrès), le jour où je tuai le fils d’Amphidamas, un enfant, sans
le vouloir (ouk ethelôn), pour une querelle de jeu d’osselets.
(Homère, Iliade, 23, 85)

9. Il arrive que les mêmes crimes (scelera) soient plus gravement punis
dans certaines provinces comme en Afrique les incendiaires (incensores) de
récoltes, de vignes en Mysie, et dans les régions où il y a des mines, ceux
qui altèrent la monnaie (adultatores monetae). 10. Il arrive parfois que
les supplices réservés à certains crimes (maleficia) soient aggravés
(exacerbere), toutes les fois que des personnes en trop grand nombre se
livrent au brigandage (grassantes), cela est nécessaire pour l’exemple
(exemplum).

*
* *

Le livre de Claudius Saturninus (parfois confondu, en raison d’une


erreur de copiste, avec le juriste homonyme Venuleius Saturninus),
consacré aux peines qui visent les civils et non les militaires, a été
composé vers 200, sans doute en Afrique proconsulaire (centrée sur
l’actuelle Tunisie). Cet ouvrage constitue, en dépit des maladresses qui ont
parfois été reprochées à cet auteur [LIEBS 2000, p. 243] un effort, presque
unique, d’exposé systématique des critères permettant au juge de qualifier
le crime, et d’en apprécier la gravité pour décider de la peine à appliquer
au criminel. L’auteur distingue quatre types de crimes, selon qu’il s’agit de
« faits », de « paroles », d’« actes », et, nous allons y revenir car c’est là
l’élément principal de cet exposé, « d’intentions » présidant à
la perpétration de l’acte – ou de la connivence qui peut y conduire. Selon
l’effort de classification de Saturninus, ces quatre « types » (genera)
doivent être ensuite envisagés selon sept « critères » (modi) que nous
rangerions aujourd’hui sous les catégories de « la personne » et « des
circonstances ». Le premier critère est la causa ou le contexte. Le second
porte sur le statut de la personne avec la prise en considération de l’âge.
Le troisième est la prise en considération du lieu où a été perpétré
le crime : si un vol est accompli dans un sanctuaire, il devient alors
un sacrilège (Digeste, 48, 19, 16, 4). Le quatrième est la prise en
considération de la durée de la faute (un soldat vagabond n’est pas
un déserteur) ou du moment où le crime est accompli – le vol commis de
jour s’oppose au vol nocturne (Digeste, 48, 19, 16, 5). Le cinquième critère
est celui de la « quantité » : le vol d’une seule bête est moins grave que
le vol d’un troupeau (Digeste, 48, 19, 16, 7). Notre texte s’achève par deux
considérations pragmatiques : la peine peut être plus forte dans
les provinces où un crime advient plus fréquemment (la fabrication de
fausse monnaie dans une région minière, par exemple) ou encore lorsque
l’exemplarité du châtiment revêt une portée dissuasive (dans les régions
de brigandage endémique). Venons-en maintenant aux sixième (la
« qualité ») et septième (le « dénouement ») critères, car ils touchent à
la question bien plus délicate de l’intention qui préside à la perpétration
du crime et qui entre dans l’appréciation de la peine.
Pour illustrer ce qu’est la « qualité » – cette notion recoupe celle que
nous appelons la « qualification du crime » –, Claudius Saturninus oppose
une série de couples : vol flagrant/non flagrant ; rixe/brigandage ;
vol/pillage ; emportement/violence. Le juriste s’en remet alors à l’autorité
de Démosthène en citant un passage du Contre Midias. Ce plaidoyer avait
été rédigé avec soin par l’orateur athénien contre son ennemi personnel –
ce dernier l’avait frappé en pleine figure devant le public assemblé au
théâtre –, mais n’avait finalement jamais été prononcé devant un tribunal.
Des siècles plus tard, sous l’Empire romain, l’œuvre constituait toujours
un cas d’école, puisque l’orateur Quintilien (Institution Oratoire, 6, 1, 17-
18) s’y réfère lui aussi pour disserter sur la gravité variable d’un outrage
selon les circonstances, l’intention qui y préside et le rang de celui qui en
est la victime. Cette citation pourrait constituer l’un des rares cas où
un juriste romain, au-delà de l’ornementation de son propos, se livre à
un exercice de « droit comparé », même si un véritable effort de
confrontation ne se trouve qu’en deux autres endroits (autrefois
considérés comme deux interpolations), lorsque Gaius, dans son
commentaire de la Loi des XII tables, se réfère à la législation solonienne
(Digeste, 10, 1, 13 ; 47, 22, 4) : ces deux citations paraissent glanées au
hasard, plutôt qu’elles ne manifestent une intention didactique et
véritablement comparatiste [VOLTERRA 1930, p. 6-7]. L’effort de Claudius
Saturninus pour illustrer le critère du dénouement (euentus) se poursuit
au sujet du meurtre par un rappel implicite de la législation de Sylla (lex
Cornelia de sicariis) (R20). Pour mettre un terme aux troubles violents
des guerres civiles de la fin de la République, ce dernier avait réprimé
aussi bien le meurtre accompli que le fait de « circuler avec une arme ».
C’est à partir de cette législation que s’était développée une véritable
répression de l’intention de tuer, manifestée par un acte de tentative
mieux défini que le seul port d’armes [GENIN 1968, p. 95-106]. Cependant,
en invoquant Homère après avoir cité Démosthène, et en cherchant à
orner son propos d’une scène extraite de l’Iliade, Claudius Saturninus se
fourvoie (Digeste, 48, 19, 16, 8). Au lieu de fournir un exemple de volonté de
tuer, la scène en question illustre, de l’aveu même du juriste, un meurtre
perpétré par un enfant (Patrocle) contre un autre enfant (le fils
d’Amphidamas), sans volonté de donner la mort, à l’occasion d’un jeu.
Dans ce récit des temps archaïques, l’exil du jeune Patrocle (il fut ensuite
accueilli dans la maison de Pelée et devint le serviteur de son fils Achille),
avait seulement répondu au besoin d’éloigner la souillure du lieu où
le sang avait été versé, même accidentellement. Le mythe reflète ici
un état du droit criminel grec, sans doute le plus ancien, où le sang versé
appelle le versement du sang dans le règlement des relations entre
groupes familiaux, où la vengeance appelle sans cesse la vengeance, et où
ce cycle ne peut être interrompu que par l’exil de l’auteur du crime, qu’il
s’agisse de l’acte perpétré initialement ou de de celui qui a été accompli en
retour. Ce départ ne visait pas seulement la protection de l’individu
d’abord concerné, mais celle du groupe auquel il appartenait.
L’interruption du processus vindicatoire pourrait donc également être
rapproché de ce que les Romains désignaient comme un « abandon
noxal » (noxae deditio) [DE VISSCHER 1947].
37

L’application des peines dans les provinces


er e
sous le Haut-Empire (I -début du III siècle)

Ulpien, De la fonction du proconsul, extrait


du livre 9 (entre 212 et 217 ap. J.-C.)

FR. 2237 LENEL = DIGESTE, 48, 19, 6, PR.


Si par hasard quelqu’un, pour ne pas subir le supplice (supplicium
adfici), prétend qu’il a quelque chose à dire au prince dans une affaire qui
concerne son propre salut, il faut voir s’il doit être renvoyé (remittere)
devant lui. La plupart des gouverneurs sont si craintifs que même après
avoir prononcé leur sentence au sujet du prévenu, ils sursoient à
<l’exécution de> la peine (poenam sustinere) et n’osent rien faire. D’autres
n’ont aucune patience avec ceux qui avancent de telles allégations.
Quelques-uns n’ont pas une attitude tranchée en renvoyant <devant
l’empereur> systématiquement ou en aucun cas, mais ils enquêtent
(inquirere) pour connaître le contenu des allégations que <les condamnés>
veulent présenter au prince et ce qu’ils ont à dire au sujet de leur salut,
après quoi soit ils sursoient à <l’exécution de> la peine ou ils n’y sursoient
pas. Ce qui semble être une façon équilibrée de procéder. Et pourtant, de
mon point de vue, on ne doit aucunement écouter leurs allégations à
partir du moment où ils ont été condamnés. Qui doute en effet qu’ils n’en
viennent à de tels moyens pour éluder la peine et qu’il faut plutôt
les punir, ces personnes qui auront si longtemps gardé le silence sur ce
qu’ils prétendent maintenant avoir à dire haut et fort pour le salut du
prince. En effet, en aucun cas ils ne devaient garder si longtemps pour eux
une affaire d’une aussi grande importance.

FR. 2238 LENEL = DIGESTE, 48, 19, 6, 1


Si le proconsul découvre (inuenire) que certains esclaves appartenant
aux membres de sa suite ou à son légat sont inculpés (rei), doit-il les punir
ou les réserver à son successeur, on peut se poser la question. Mais il
existe de nombreux exemples selon lesquels ils ont fait subir une peine
non seulement aux esclaves de leurs officiers (officiales) et de ceux qui
agissent sous leurs ordres, mais également à leurs propres <esclaves>.
Une chose qui mérite d’être accomplie pour que, dissuadés par l’exemple
(exemplo deterriti), ils commettent moins de délits (delinquere).

FR. 2239 LENEL = DIGESTE, 48, 19, 6, 2 ET 8, PR.


6, 2. Il nous faut maintenant établir la liste des genres de peines que
les gouverneurs peuvent faire subir à quelqu’un. Il y a des peines qui ôtent
la vie, qui imposent le joug de l’esclavage, qui ôtent la citoyenneté, ou qui
contiennent l’exil ou une contrainte sur le corps (coercitio corporis). 8, pr.
Ou une peine pécuniaire (damnum) assortie de l’infamie (infamia) ou
une destitution de dignité (dignitatis depositio) ou l’interdiction d’une
activité.
FR. 2240 LENEL = DIGESTE, 48, 19, 8, 1-3 ET 48, 24, 1
8, 1. La vie est ôtée si par exemple quelqu’un est condamné et que
s’ensuit une mise à mort (animaduertere) par l’épée (gladius). Mais il faut
bien que la mort soit infligée par l’épée et non à l’aide d’une hache
(securis), d’une arme de jet (telum), d’un bâton (fustis), d’un lacet (laqueus)
ou d’une quelconque autre façon. Par conséquent, les gouverneurs n’ont
pas le droit d’accorder la libre possibilité de mettre à mort, ni a fortiori de
faire périr par le poison. Et pourtant il existe un rescrit des divins frères
donnant la permission d’une libre possibilité de mettre à mort. 2. Quant
aux ennemis, voire même les transfuges, ils peuvent subir cette peine en
étant brûlés vifs (uiui exurere). 3. Et il ne convient pas de condamner
quelqu’un à cette peine de sorte qu’il périsse sous des coups de bâtons
(uerbera) ou de verges (uirgae), ni sous les tortures (tormenta), même s’il
arrive fréquemment que de nombreux <prévenus> succombent lorsqu’ils
sont torturés.
24, 1. Les corps de ceux qui sont condamnés à la peine capitale (capite
damnari) ne doivent pas être refusés à leurs parents (cognati). Qu’il faille
respecter un tel principe, le divin Auguste lui-même l’a écrit au dixième
livre de son autobiographie (De uita sua). Or aujourd’hui, les corps de ceux
que l’on punit d’une mise à mort (animaduertere) ne reçoivent de sépulture
qu’autant que la demande en a été faite et accordée. Il peut arriver qu’elle
ne soit pas accordée, principalement dans une affaire de majesté
(maiestatis causa). Les corps de ceux qui sont condamnés à être brûlés
(exurere) peuvent être demandés, de sorte bien sûr que les ossements et
les cendres soient recueillis et déposés dans une sépulture.

FR. 2241 LENEL = DIGESTE, 48, 19, 8, 4-13


4. une peine peut ôter la liberté (libertas) : tel est par exemple le cas de
celui qui est condamné à la mine (metallum) ou au travail de la mine (opus
metalli). Il existe un nombre très élevé de mines, même si certaines
provinces en disposent tandis que d’autres en sont dépourvues. Mais
celles qui en sont dépourvues envoient <les condamnés> dans celles qui en
disposent. 5. Au préfet de la Ville revient spécialement le droit de
condamner à la mine comme le stipule la lettre du divin Sévère à Fabius
Cilo. 6. Entre ceux qui sont condamnés à la mine et ceux qui sont
condamnés au travail de la mine, la différence réside seulement dans
les fers (uincula), car ceux qui sont condamnés à la mine, sont astreints à
des fers plus lourds, ceux qui sont condamnés au travail de la mine à
des fers plus légers. C’est pourquoi ceux qui se sont échappés (refugae) du
travail de la mine sont livrés à la mine, ceux qui se sont échappés de
la mine subissent une contrainte (coercere) plus lourde. 7. Quiconque s’est
échappé alors qu’il était condamné au travail public (opus publicum) est
généralement condamné pour une durée deux fois plus longue. Mais il
doit accomplir le double du temps qu’il lui restait lorsqu’il s’est échappé. Il
va sans dire qu’il ne faut pas multiplier par deux le temps qu’il a passé au
cachot à partir du moment où il a été arrêté (adprehensus). Et s’il a été
condamné à dix ans <et qu’il s’est échappé>, sa peine doit être, soit
prolongée à perpétuité (perpetuari), soit déplacée au travail de la mine.
Sans autre considération, s’il a été condamné à dix ans, et qu’il s’est
échappé sur-le-champ, sa situation doit être appréciée de la façon
suivante : soit on lui double sa peine, soit on la prolonge à perpétuité, ou
encore, on le remet au travail de la mine. Et il est préférable de reporter
<au travail de la mine> ou de prolonger à perpétuité. En effet, on admet
généralement, qu’à chaque fois que le doublement d’une peine dépasse
une dizaine d’années, il ne faut pas limiter la peine par la durée. 8. On a
l’habitude de condamner les femmes à être employées au service
(ministerium) des forçats de la mine (metallici), soit à perpétuité, soit pour
une durée déterminée. Et il en va de même dans les salines (salinae). Et
lorsqu’elles ont été condamnées à perpétuité, elles sont dans
une condition semblable à celle des esclaves de la peine (seruae poenae).
9. Les gouverneurs ont l’habitude de condamner ceux qui doivent être
retenus (continere) dans le cachot (carcer), à être retenus dans des chaînes
(uincula). Mais il ne faut pas qu’ils fassent cela. Car, les peines de ce type
sont interdites. En effet, le cachot doit servir à retenir les hommes, non
les punir (punire). 10. Ils ont également l’habitude de condamner au four à
chaux (calcaria) ou à la soufrière (sulphuraria), mais ces peines sont plus
lourdes que la mine. 11. Il faut voir si tous ceux qui ont été condamnés à
l’école de chasse de l’amphithéâtre (ludus uenatorium) deviennent, par là
même, esclaves de la peine (serui poenae). On a en effet l’habitude d’infliger
cette peine aux jeunes (iuniores). Il s’agit donc de voir si ceux-ci sont
devenus esclaves de la peine ou s’ils conservent la liberté. Et il est
préférable de considérer que ceux-ci sont devenus esclaves. En effet, ce
qui les distingue des autres c’est qu’ils sont dressés à devenir chasseurs,
danseurs de pyrrhique, ou à exécuter la pantomime et différentes figures
pour tout autre divertissement. 12. On livre habituellement les esclaves au
travail, à la mine, à l’école de chasse, il n’y a pas de doute à ce sujet. Et
lorsqu’ils ont ainsi été livrés, ils sont rendus esclaves de la peine (serui
poenae). Et ils n’appartiennent plus à celui dont ils ont été la propriété
avant d’être condamnés. Par suite, alors qu’un certain esclave qui avait été
condamné à la mine venait d’être libéré de sa peine par le bienfait
(beneficium) du prince, l’empereur Antonin a répondu très justement dans
un rescrit que dans la mesure où il avait cessé d’être la propriété du maître
dès l’instant où il avait été fait esclave de la peine, il ne devait pas par
la suite être remis en puissance du maître. 13. Cependant, si l’esclave a été
condamné aux fers à perpétuité (perpetua uincula) ou pour une durée
limitée (temporalia), il reste la propriété de celui auquel il appartenait
avant d’être condamné.
FR. 2241 LENEL = DIGESTE 48, 22, 6, PR.-2
Pr. Parmi ces peines figure même la déportation dans une île, laquelle
peine ôte la citoyenneté romaine. 1. Le droit de déporter dans une île
(deportandi in insulam ius) n’est pas octroyé aux gouverneurs de province,
quoiqu’il soit octroyé au préfet de la Ville : ceci en effet est explicitement
dit dans la lettre du divin Sévère adressée au préfet de la Ville Fabius Cilo.
C’est pourquoi, chaque fois que les gouverneurs de province estiment qu’il
faut déporter quelqu’un dans une île, ils doivent le noter sur une liste
(adnotare), le nom de ce dernier devant de fait être transmis par écrit au
prince, pour qu’il soit déporté dans une île. Ainsi, que <le gouverneur>
écrive ensuite au prince en lui faisant parvenir un avis (opinio)
entièrement détaillé, de telle sorte que le prince estime s’il faut suivre
la sentence de ce dernier et si le prévenu doit être déporté dans une île.
Au même moment, tandis que ce qui a été écrit est transmis,
le gouverneur doit ordonner de placer le prévenu dans le cachot.
2. Les divins frères ont répondu dans un rescrit qu’en cas de crimes
capitaux (crimina capitalia) les décurions des cités doivent être déportés ou
relégués. Par suite, ils ont ordonné que Priscus, nommément cité dans
une cause d’homicide et d’incendie, et qui avait avoué (confessus) avant
d’être soumis à la torture (quaestio), soit déporté dans une île.

*
* *

Le premier volet « Sur les peines » du traité d’Ulpien Sur la fonction du


proconsul s’ouvre par une délicate question procédurale. Quelle conduite
le gouverneur doit-il tenir face aux allégations d’un condamné qui
révèlerait soudain qu’il dispose d’informations relatives au crime le plus
grave, la lèse-majesté ? De telles révélations peuvent en effet constituer
un subterfuge pour repousser l’application du châtiment. Une fois qu’elles
ont été prononcées, pourtant, elles ne peuvent être rejetées sous ce simple
prétexte par le gouverneur. Dans ce domaine, toutes les conduites ont été
observées par Ulpien : certains gouverneurs demeurent paralysés par
la simple allusion qui est faite à la majesté de l’empereur puisqu’ils
encourent le risque de négligence dans un domaine aussi sensible.
D’autres croient trop vite à une manœuvre dilatoire du prévenu contre
lequel vient de s’abattre leur sentence, alors que la sécurité du prince
pourrait être en jeu. Ulpien incite donc le proconsul à faire preuve
d’initiative et à approfondir l’enquête par de nouveaux interrogatoires
avant de solliciter l’avis du prince et d’encombrer les bureaux centraux.
Le second paragraphe relève également de la procédure et du bon
fonctionnement de l’administration des provinces. La justice du
gouverneur ne doit pas devenir sa propre justice. Cependant il doit punir
les esclaves qui font partie de sa suite ou de celle de ses légats sans en
laisser le soin à son successeur pour une plus grande célérité dans
l’application du châtiment dont l’exemplarité est ainsi assurée.
La liste des peines est ensuite exposée dans un ordre décroissant
depuis la mise à mort jusqu’à l’interdiction d’une activité. Ce sont
les peines capitales qui retiennent ici l’attention d’Ulpien, tandis que
les peines plus légères, à commencer par la relégation, font l’objet du
second volet « Sur les peines » (R44e-f). Qu’advient-il du cadavre
des condamnés à mort ? La question s’est sans doute posée à toutes
les sociétés à travers l’histoire. Elle était tout à fait essentielle pour
les Grecs et les Romains et elle a suscité l’effroi tout particulièrement lors
des guerres civiles de la fin de la République et des proscriptions, lorsque
le cadavre de l’adversaire était délibérément privé de sépulture (Appien,
Les guerres civiles à Rome, 4, 16, 61). Pour ce qui concerne les condamnés à
mort, entre l’époque d’Auguste (27 av.-14 ap. J.-C.) et celle des Sévères
(193-235 ap. J.-C.) le droit se serait durci, comme le suggère l’évolution
décrite par Ulpien (Digeste, 48, 24, 1). Alors que le fondateur du Principat
avait proclamé dans son autobiographie que les cadavres des condamnés
devaient recevoir une sépulture, l’accomplissement de ces rites funéraires
ne paraissait plus automatique sous les Sévères et devait faire l’objet d’une
réclamation des membres de la famille. Il faut cependant nuancer
une telle évolution. La proclamation d’Auguste en effet figure dans
un texte visant sa propre glorification. Elle n’a pas de portée juridique et
se trouve contredite par les exemples connus sous le règne de son
successeur immédiat, Tibère (14-37), sous lequel a été introduit dans
la ville de Rome l’abandon du cadavre sur l’escalier des Gémonies [RIVIÈRE
2004, p. 69-88]. Les formes de la mise à mort sont précisées sous
les Sévères : elle doit être exécutée par l’épée et non par la hache comme
cela se produisait traditionnellement à l’époque républicaine. Quant aux
transfuges (Digeste, 48, 19, 8, 2), à l’instar des ennemis, ils peuvent être
brûlés vifs.
Une attention particulière est accordée ensuite par Ulpien à
la condamnation aux mines. Elle est de deux sortes : « la mine »
proprement dite et « le travail de la mine ». La distinction entre les deux
catégories repose sur le poids des chaînes infligées aux condamnés. Elles
sont plus légères dans le second cas, dans la mesure où les activités
auxquelles ils sont livrés nécessitent une plus grande liberté de
mouvement. Il faut aller jusqu’à ces détails pour comprendre ce qu’est
une peine. Les femmes condamnées aux mines sont généralement
affectées au service des mineurs. De telles distinctions soulignent
la multiplicité des conditions de ces derniers, y compris de très jeunes
enfants, souvent employés dans les galeries les plus étroites [GIARDINA 2000].
Une préoccupation des juristes, bien attestée par ailleurs, notamment au
sujet des relégués (R44), est ici aussi présente, à savoir l’aggravation de
la peine en cas de fuite de la mine ou du travail forcé. C’est à cet endroit
que figure un fameux passage d’Ulpien (R37, Digeste, 48, 19, 8, 9) qui a pu
autrefois laisser penser qu’en pratique l’incarcération pouvait constituer
une peine [EISENHUT 1975 ; LOVATO 1994], alors que l’abandon dans un cachot
d’un condamné à une peine capitale constitue précisément un abus
contraire aux règles d’application de la sentence [RIVIÈRE 2004c,
p. 118 et 346, n. 28] (Commentaire à R18). Une telle disposition peut être
rapprochée de la précision qui précède, selon laquelle la torture ne doit
pas être considérée comme une forme de mise à mort, mais seulement
comme un moyen de démonstration de la preuve – dans les deux cas
l’abus d’un moyen de contrainte conduit de fait à une peine, alors que ni
l’incarcération ni la torture ne revêtent cette vocation. Que deviennent
les esclaves punis par les pouvoirs publics ? Ceux qui sont condamnés à
la mine, aux travaux publics ou à l’école de gladiateurs sont déclarés
« esclaves de la peine » et leurs maîtres ne peuvent plus en revendiquer
la propriété. En revanche, s’ils sont seulement astreints au port
de chaînes, le droit de propriété du maître est respecté : entravés par
les pouvoirs publics, ils demeureront à son service [RIVIÈRE 2004c, p. 117-
131]. Ce premier volet sur les peines s’achève par une première
observation relative à la deportatio (R43) : si elle est prononcée par
le préfet de la Ville (le siège de ce très haut personnage est voisin du Palais
impérial), ce dernier a le droit de préciser l’île de destination ; si
le gouverneur prononce la même peine capitale, il doit demander à
l’empereur d’assigner lui-même l’île où le déporté sera confiné.
38

La punition des militaires

Modestin, Des peines, extrait du livre 4


(217/218 ap. J.-C.)

FR. 167 LENEL = DIGESTE, 49, 16, 3, PR.-22


Pr. Après l’avoir entendu, il [le gouverneur] doit renvoyer le déserteur
(desertor) à son chef, avec un procès verbal (elogium), sauf si ce déserteur a
commis quelque chose de plus grave dans la province où il a été repris.
La peine doit en effet lui être infligée (plectere), là où le forfait a été
commis, selon un rescrit des divins Sévère et Antonin. 1. Voici le genre de
peines auxquelles sont soumis les militaires : le blâme (castigatio),
l’amende pécuniaire (pecuniaria multa), l’astreinte à des charges (munerum
indictio), le changement d’affectation (militiae mutatio), la dégradation du
rang (gradus deiectio), le congé ignominieux (ignominiosa missio). En effet, ils
[les militaires] ne sont pas livrés à la mine, ni au travail de la mine (opus
metalli), et ils ne sont pas torturés (torquere). 2. Le retardataire (emansor)
est celui qui, après avoir erré (uagari) longtemps, rentre <de lui-même> au
camp. 3. Le déserteur est celui qui, après avoir erré pendant un temps
long, y est reconduit. 4. Celui qui sort pour une reconnaissance, alors que
les ennemis ont mis le siège ou qui s’éloigne du retranchement, doit être
puni de la peine capitale. 5. Celui qui délaisse le poste où il est en mission
est plus qu’un retardataire : c’est pourquoi en fonction <de la gravité> du
délit, soit il reçoit un blâme, soit il est dégradé de son rang dans l’armée.
6. Si un soldat quitte la garde d’un gouverneur ou de l’un de ses officiers, il
encourt une inculpation pour crime de désertion (peccatum desertionis).
7. Si un soldat ne se présente pas au jour d’expiration de sa permission, il
faut prendre à son encontre des dispositions identiques à <celles qui
seraient prises pour> une désertion ou un retard, selon la durée du temps
écoulé, en lui ayant donné auparavant l’occasion de révéler s’il n’a pas été
retenu d’aventure par des circonstances fortuites, en raison desquelles il
serait alors considéré comme digne de pardon (uenia). 8. Celui qui a
accompli la durée de son service en désertion est privé de pension de
retraite. 9. Si plusieurs soldats ont d’abord déserté ensemble et qu’ils sont
ensuite rentrés ensemble au bout d’un certain temps, qu’ils soient
dispersés en divers lieux, après avoir été chassés de leur rang (gradu
pullere). Mais il faut avoir des égards pour les jeunes recrues (tirones) qui ne
subiront la peine adéquate que s’ils commettent ce crime une seconde
fois. 10. Celui qui a fui chez l’ennemi et qui est revenu sera torturé
(torquere), puis condamné aux bêtes ou à la fourche (furca), même si en
principe les soldats ne sont pas exposés à de tels supplices. 11. Quant à
celui qui a été arrêté (adprehensus) alors qu’il voulait passer à l’ennemi
(transfugere), qu’il soit puni de la décapitation (capite puniri).
12. Cependant, si un soldat est capturé à l’improviste par les ennemis,
alors qu’il est en chemin, après avoir examiné la conduite qui a été
la sienne antérieurement dans sa vie, on lui accordera le pardon. Et s’il
revient alors que son temps de service est écoulé, qu’il soit réintégré
(restitutus) comme vétéran, et qu’il reçoive sa pension. 13. Un soldat qui a
abandonné ses armes durant la guerre ou qui les a vendues est puni. En
considération de la bienveillance qui sied à l’humanité, il change
d’affectation dans l’armée. 14. Celui qui a dérobé les armes d’un autre est
chassé de son rang dans l’armée. 15. Durant la guerre, celui qui a accompli
une action interdite par son chef ou qui n’a pas obéi aux ordres est puni de
la peine capitale, même s’il a mené son action à bon terme. 16. Mais celui
qui est sorti de sa ligne, selon les cas, soit il est frappé de coups de bâtons
(fustes), soit il change d’affectation. 17. En outre, si un soldat franchit
la palissade ou entre dans le camp par le mur, il est puni de la peine
capitale. 18. Toutefois, s’il saute par-dessus le fossé, il est exclu du service
militaire. 19. Celui qui suscite une sédition grave (seditio atrox) des soldats
est puni de la peine capitale. 20. Si la sédition qui a été déclenchée se
limite à des clameurs ou à de légères réclamations, il est chassé du service
militaire. 21. Et lorsque plusieurs soldats complotent (conspirare) <pour
commettre> une action déshonorante (flagitium) quelle qu’elle soit, ou
qu’une légion fait défection, on a l’habitude de les exclure du service
militaire. 22. Ceux qui n’ont pas voulu protéger leur supérieur ou qui ont
déserté, ce dernier ayant été tué, sont punis de la peine capitale.

FR. 168 LENEL = DIGESTE, 48, 3, 14


Pr. Il ne faut pas confier (credere) à la légère un prisonnier (custodia) à
un jeune soldat (tiro). En cas d’évasion en effet, la faute (culpa) incombe à
celui qui avait donné l’ordre de le lui remettre. 1. On ne doit pas remettre
un prisonnier à une seule personne mais à deux. 2. Ceux qui ont laissé
échapper le prisonnier par négligence (negligentia), selon l’évaluation de
la faute, peuvent recevoir une correction corporelle (castigare), ou
un changement d’affectation dans l’armée (militiam mutare). Si
le prisonnier était une personne sans importance, qu’ils soient réintégrés
après avoir été corrigés. Si en revanche quelqu’un laisse aller son
prisonnier par commisération, qu’il change d’affectation dans l’armée. S’il
a agi de manière frauduleuse, avec une inclination à laisser partir
le prisonnier, soit on le punit de la peine capitale, soit on le rétrograde au
rang le plus bas du service militaire. Parfois on lui accorde le pardon :
lorsque le prisonnier a fui dans le même temps avec l’un des gardiens, on
accorde le pardon à l’autre gardien. 3. Si le prisonnier s’est tué avec
une arme (interficere) ou s’il s’est précipité <dans le vide ou contre
une paroi> (praecipitare), la faute en sera attribuée au soldat, et celui-ci
recevra une correction corporelle en conséquence. 4. Si c’est le gardien
lui-même qui a tué le prisonnier, il est coupable d’homicide. 5. Donc, s’il
prétend que le prisonnier est décédé par hasard (casu), il faudra qu’il
le démontre (probare) à l’appui de témoignages (testationes). C’est alors
seulement qu’on lui accordera le pardon. 6. En outre, lorsqu’une faute du
gardien a permis au prisonnier de s’échapper, si toutefois il importe de
l’attraper (adprehendere), on a l’habitude d’accorder au soldat, la cause
étant instruite (causa cognita), un délai pour le récupérer, en lui adjoignant
un autre soldat. 7. S’il a perdu un esclave fugitif qui devait être rendu à
son maître, s’il en a les moyens, Saturninus estime qu’on doit lui ordonner
de rendre au maître le prix <de l’esclave>.

*
* *

Herenius Modestinus (Modestin) est né vers 185 dans le Nord de l’Asie


Mineure, il donne encore des consultations du temps de Gordien comme
l’atteste un rescrit de cet empereur daté de 239 (Code de Justinien, 3, 42, 5).
Le livre 4 de son traité Sur les peines, dont les fragments conservés par
les compilateurs de Justinien sont entièrement reproduits ici, a été rédigé
semble-t-il au lendemain de la mort de Caracalla survenue en avril
217. Quelques années auparavant, un autre juriste, Arrius Menander, avait
déjà consacré un ouvrage volumineux à cette question, tandis que ce ne
sont que les règles essentielles qui sont rassemblées par Modestin, l’un
des derniers représentants de la casuistique sévérienne [GIUFFRÈ 1980].

Rappel : discipline militaire et citoyenneté sous


la République (transfuges et déserteurs)

Comme on l’a vu plus haut (Commentaire à R3), à l’époque


républicaine, la question du respect de la discipline aux armées et de
la punition des fautes commises par les soldats semble interférer avec
un dispositif territorial. Le droit public romain distinguait en effet
le commandement exercé par le magistrat dans « l’espace civil » (domi),
c’est-à-dire à l’intérieur du territoire de Rome délimité par le pomerium et
un rayon de mille pas au-delà de cette limite, et le commandement exercé
militiae, c’est-à-dire au dehors de la Ville, en territoire militaire. En réalité,
on l’a vu, cette distinction vaut essentiellement pour les civils qui se
trouveraient dans un territoire ou dans l’autre, et non pour les enrôlés qui
sont naturellement sous l’autorité de leur commandant qui peut
les réprimander d’une flagellation pour indiscipline, voire les mettre à
mort, y compris les officiers, en cas de faute grave (désertion ou trahison).
Pour Cicéron rappelons-le, un soldat peut être décapité en dépit de son
statut de citoyen, conformément à « la coutume des ancêtres » et si « la
sévérité du commandement » l’exige (R3i1).
En 201 av. J.-C., parmi les « transfuges » (perfugae) qui lui avaient été
remis, Scipion l’Africain avait donné l’ordre, après avoir certainement
reçu l’avis du conseil qu’il avait réuni, de crucifier les citoyens Romains,
tandis qu’il épargnait aux Latins ce supplice en leur infligeant une simple
décapitation (R3i2). Ainsi la dureté du châtiment, sans doute dans un souci
d’exemplarité, avait été inversement proportionnelle aux garanties
normalement reconnues au deux statuts – le citoyen romain était en
principe mieux protégé contre l’arbitraire du magistrat que le Latin
(quant au crucifiement, il s’appliquait généralement aux esclaves).
Une précision lexicale suscitée par ce texte peut être brièvement évoquée
sous cette rubrique, puisqu’elle concerne les fautes graves commises par
les militaires. Elle ne concerne pas explicitement la question de « l’appel
au peuple » (prouocatio), inexistante aux armées (Commentaire à R3). En
201 av. J.-C., donc, à l’issue des négociations de paix qui mirent fin à
la seconde guerre punique, les Carthaginois, outre leurs bateaux de guerre
et leurs éléphants, remirent aux Romains trois catégories d’hommes qui se
trouvaient en leur possession : les perfugae, les fugitiui et les captiui – outre
le texte relatif à l’exécution des premiers qui suivit (R3i2), cette
tripartition est également mentionnée à plusieurs reprises au cours
des négociations (Tite-Live, 30, 16, 10 ; 30, 16, 15 ; 30, 37, 3) et plus tard où
l’on comprend que l’identification de ces individus et leur arrestation par
les autorités carthaginoises avait conduit à « enquêter » (inquirere) et à
« faire des recherches » (uestigare) (Tite-Live, 31, 19, 2). Des trois catégories
d’individus devant être restitués par les Carthaginois, la troisième désigne
les prisonniers de guerre (captiui) et ne pose pas de difficulté particulière
de compréhension. Le terme de perfugae, synonyme de transfugae, désigne
quant à lui assurément des « transfuges ». Il est défini généralement par
Festus qui mentionne l’acception plus étroite que certains lui accordent
(selon cette nuance, la démarche du perfuga qui passe à l’ennemi est
délibérée et intéressée) :

Gallus Aelius dit qu’un transfuge (perfuga), qu’il s’agisse d’un libre,
d’un esclave [ou d’un ennemi], est celui qui est passé (transire) aux
ennemis ; on emploie le terme équivalent de transfuga. Pourtant
certains estiment que le perfuga n’est pas tant celui qui fuit les uns
mais celui qui dans l’espoir d’obtenir des avantages passe au parti
(perfugere) de quelqu’un d’autre. (Festus, p. 236 Lindsay)
Quant à la catégorie des fugitiui, il ne fait presque aucun doute qu’elle
s’applique aux « esclaves fugitifs » qui au cours des combats ou de l’état de
guerre se sont retrouvés chez l’ennemi. Ces esclaves devaient être ensuite
rendus à leurs maîtres, conformément au principe même de la propriété
servile et comme l’éclaire la législation dans ce domaine (R32). Telle est
la première acception d’un terme essentiellement lié à la condition
d’esclave et qui ne s’applique qu’occasionnellement aux situations d’exil,
d’exclusion ou de bannissement. Et si César (Guerre des Gaules, 1, 23,
2) l’emploie, très rarement cependant, pour désigner des auxiliaires qui
ont trahi, ou une armée ennemie constituée de mauvais éléments, ce n’est
qu’en raison de l’acception péjorative du terme (Guerre civile, 3, 110, 4 ;
Guerre d’Alexandrie, 24, 2 ; Guerre d’Espagne, 7, 4). Cette exigence de
restitution, répétée à plusieurs reprises par les Romains auprès
des Carthaginois au cours des tractations qui ont précédé la fin de
la seconde guerre punique (218-202 av. J.-C.), à savoir la restitution
des « fugitifs », des « transfuges » et des « captifs », réapparaît à l’occasion
du traité avec les Étoliens (Tite-Live, 38, 11, 4), en 189 av. J.-C., puis dans
le traité avec le roi de Syrie Antiochos III en 188 av. J.-C. :

Les esclaves (serui) ou les fugitifs (fugitiui) ou les captifs de guerre


(bello capti) qu’il s’agisse d’un captif de condition libre (liber captus)
ou d’un transfuge (transfuga), qu’ils soient rendus aux Romains et à
leurs alliés. (Tite-Live, 38, 38, 7)

e
Dans la deuxième moitié du II siècle av. J.-C., des déserteurs ont été
vendus en esclavage après avoir été battus de verges sous la fourche (R3i3-
i4), tandis que la restauration de la discipline dans l’armée pouvait
conduire à un traitement différencié entre les citoyens-légionnaires et
les troupes constituées d’ « étrangers » (extranei), tels que les frondeurs
baléares, les cavaliers gaulois etc., selon lequel les premiers étaient battus
à coups de « cep » (le bâton qui constitue également l’insigne
des centurions) et les autres à coups de « verges » (R3i5). Si un officier
pouvait être condamné à mort sur un soupçon de trahison, la possibilité
de se défendre devant un tribunal dirigé par un juge (le commandant en
chef) entouré d’un conseil constitué d’assesseurs (les officiers supérieurs
de l’état-major) devait en principe lui être accordée (R3i6).

Discipline et justice pénale appliquée aux militaires


sous l’Empire

À l’époque impériale, la jurisprudence distingue de la sphère civile


la justice pénale appliquée aux militaires. En effet, ces derniers ne sont
pas soumis en principe aux peines les plus dures encourues par les autres
sujets de l’Empire de condition humble, selon la dichotomie systématisée
e
à la fin du III siècle dans les Sentences de Paul, entre humiliores et honestiores
(Commentaire à R20). La punition des soldats relève de la discipline
(mesures de coercition corporelle, amendes, dégradation, changement de
corps d’armée…) et les peines capitales leur sont normalement épargnées
– à commencer par la mine ou le travail de la mine. Cependant,
naturellement, un tel principe ne s’applique pas aux fautes majeures qui
peuvent être commises dans un contexte de guerre, à commencer par
le passage à l’ennemi. Après avoir été torturés, les « transfuges » sont
livrés aux « bêtes » ou à « la fourche », comme le souligne Modestin.
Ulpien dit ailleurs qu’ils peuvent être brûlés vifs (R37 ; Digeste, 48, 19, 8, 2).
Mais l’application de tels châtiments n’allait pas du tout de soi, lorsqu’ils
étaient infligés pour d’autres fautes que celles qui relevaient de la haute
trahison, lorsqu’ils n’étaient plus l’expression de la seueritas, mais de
la crudelitas. Tel fut l’un des griefs adressés à Cn. Calpurnius Pison,
l’empoisonneur supposé de Germanicus, lors de son procès devant la cour
sénatoriale en 20 ap. J.-C. (R11a). Certes, les principaux griefs qui pesaient
sur lui, alors que la thèse de l’empoisonnement avait été écartée,
relevaient du crime de lèse-majesté, en raison notamment de son
entreprise de reconquête de la province de Syrie par les armes. Celle-ci en
effet avait conduit des soldats romains à se battre contre d’autres soldats
romains, faisant renaître le spectre de la guerre civile. D’autres griefs
furent invoqués qui contribuaient à ternir l’image de l’accusé. La « cruauté
des mœurs » de Pison, opposée point par point à la « clémence » et à
la « patience » du prince Germanicus, fut illustrée notamment par
le rappel des châtiments qu’il infligea à des soldats et à un centurion :

Il a laissé paraître une cruauté sans pareille puisque, sans avoir


instruit la cause (incognita causa), sans recevoir l’avis (sententia)
d’un conseil (consilium), il a infligé à de très nombreuses personnes
le supplice de la décapitation (capitis supplicium) et il a fait crucifier
(crucifigere) non seulement des étrangers (externi), mais encore
un centurion c(itoyen) R(omain). (Senatus consultum de Cn. Pisone
patre, l. 49-52, ECK-CABALLOS-FERNANDEZ 1996, p. 42 = Année Épigraphique,
o
1996, n 885, p. 288).

À quelle occasion ces décapitations et ce crucifiement eurent-ils lieu ?


Il n’est pas impossible que de tels actes se soient produits antérieurement
aux événements de Syrie, en une autre circonstance au cours de
la carrière de Pison. On sait en effet qu’au côté des amis de Germanicus qui
tenaient à venger le prince disparu et à occuper à eux seuls le premier rôle
dans la poursuite, un opportuniste, un délateur, l’éloquent Fulcinius Trio,
qui avait été d’abord repoussé par eux, était ensuite revenu à la charge :
« Après avoir renoncé à une dénonciation (delatio) dans cette première
cause, il obtint de pouvoir porter une accusation sur la vie passée de
Pison » (Tacite, Annales, 3, 10, 1) (R11a). La cruauté envers les soldats ne
ferait-elle pas alors partie de ces faits récoltés par le délateur et dont
Tacite affirme ensuite que leur rappel ne modifierait en rien l’issue du
procès ? Plus précisément, ne serait-ce pas alors au cours de son
gouvernement de l’Afrique proconsulaire, des années auparavant, qu’il
aurait accompli de tels sévices, d’autant plus que Sénèque paraît désigner
Pison en évoquant un « proconsul » (et non un « légat » qui était le titre
que ce dernier portait en Syrie) [ECK-CABALLOS-FERNANDEZ 1996, p. 170,
n. 454] ? Cette anecdote puisée par Sénèque dans ses souvenirs (le
philosophe avait à peine 25 ans au moment du procès et du suicide de
Pison), lorsqu’il rédigea son traité Sur la colère entre 41 et 52 ap. J.-
C. pourrait le faire penser :

3. Selon la mémoire que nous en avons gardé, Cn. Pison fut


un homme exempt de nombreux vices, mais un homme mauvais et
auquel la rigueur tenait lieu de fermeté. Alors qu’il était pris de
colère, il avait donné l’ordre d’exécuter (ducere) un soldat qui, alors
qu’il était sorti pour le ravitaillement, était rentré sans son
compagnon d’armes, comme s’il avait assassiné (interficere) celui
qu’il n’était pas en mesure de présenter, il refusa d’accorder à celui
qui le lui demandait un délai quelconque pour entreprendre
des recherches. Le condamné fut conduit à l’extérieur du rempart,
et alors qu’il offrait déjà la nuque, soudain apparut ce compagnon
d’armes qu’il était supposé avoir tué. 4. En suite de quoi
le centurion qui avait été préposé au supplice ordonne que
le garde (speculator) rengaine le glaive, il reconduit le condamné à
Pison, pour que soit rendue à Pison son innocence, comme
la fortune l’avait rendue au soldat. C’est par une foule immense
que les deux compagnons d’armes s’étreignant l’un et l’autre
furent emmenés, tandis qu’une grande joie s’élevait dans
le camp. Pison, hors de lui (furens), monta sur son tribunal et
ordonna de les exécuter l’un et l’autre, aussi bien ce soldat qui
n’avait pas tué, que celui qui n’était pas mort. 5. Quel traitement
plus indigne que celui-ci ? Parce que l’un s’était avéré innocent,
les deux mouraient. Et Pison en ajouta un troisième. Car il donna
l’ordre d’exécuter le centurion lui-même, qui avait ramené
le condamné. Il fut décidé que tous trois mourraient en ce même
lieu en raison de l’innocence d’un seul. 6. Oh, comme un élan de
colère (iracundia) est habile à forger de toutes pièces les causes de
la folie (furor) ! « Toi, dit-il, j’ordonne que tu sois exécuté, parce
que tu as été condamné ; toi, parce que tu as été la cause de
la condamnation de ton compagnon d’armes ; toi, parce qu’ayant
reçu l’ordre de tuer tu n’as pas obéi à ton général ». Il imagina ainsi
comment fabriquer trois crimes, parce qu’il n’en avait découvert
aucun. (Sénèque, De la colère, 18, 3-6)

Selon ce texte édifiant, il apparaît que les trois victimes ont été
décapitées. Il n’est donc pas question du crucifiement évoqué par le texte
du sénatus-consulte. En conséquence, il serait bien possible de considérer
que de tels actes visant à faire des exemples et à terroriser le reste de
la troupe aient pu avoir lieu au moment où Pison voulut se constituer
une armée en ralliant à sa cause par la force certains détachements de
soldats, notamment de jeunes recrues dont il avait intercepté le convoi à
la veille de la bataille de Kelenderis à la fin de l’année 19 ap. J.-C. [ECK-
CABALLOS-FERNANDEZ 1996, p. 171]. Ces circonstances de « guerre civile »
importent pour mesurer la gravité du crime ici imputé à Pison, à savoir
d’avoir exécuté, non seulement des extranei (ces « étrangers » sont sans
doute des soldats de troupes auxiliaires ou des Ciliciens recrutés sur
place), mais également d’avoir crucifié un centurion citoyen romain (cette
appartenance civique qui va de soi pour un officier de ce rang est
soulignée dans le texte officiel). En bref, outre la forme du châtiment (le
crucifiement appliqué aux déserteurs ou aux transfuges est normalement
réservé aux esclaves), ce sont les circonstances dans lesquelles celui-ci a
été accompli qui peuvent figurer au titre d’une poursuite. La cour
sénatoriale se serait-elle réunie autrement pour écouter de telles
accusations à l’encontre de l’un des siens ? Il est permis d’en douter.
D’ailleurs Auguste lui-même – sans qu’il soit ici question du supplice de
la croix, alors que la faute relève de la trahison – n’avait-il pas recouru à
l’exécution d’officiers qui avaient fait défection devant l’ennemi ?

Pour abandon de poste, il punit de la peine capitale (capitalis


animaduersio) des centurions, comme de simples soldats
(manipulares). (Suétone, Auguste, 24, 5)

Deux siècles plus tard, parmi d’autres supplices particulièrement


cruels infligés aux soldats par Avidius Cassius (l’usurpateur de
l’année 175 sous le règne de Marc Aurèle, cf. R48a-R48b) et sortis de son
imagination (vivicombustion et asphyxie de condamnés attachés à
un arbre auquel on mettait le feu, noyades collectives d’individus
enchaînés…), l’Histoire Auguste (Avidius Cassius, 4, 6) mentionne
l’amputation des déserteurs et le crucifiement (non désigné explicitement
mais sous-entendu dans l’expression du « supplice réservé aux esclaves »)
de centurions. Ces derniers dans l’espoir d’une récompense avaient pris
l’initiative d’attaquer par surprise une troupe de Sarmates qui campait
imprudemment sur les rives du Danube. Sans tenir compte de ce succès et
du nombre d’ennemis massacrés, le général considéra qu’ils avaient
encouru un risque qui aurait pu causer des pertes dans les rangs romains.
Cette page de l’Histoire Auguste est sans doute largement fantaisiste, en
raison de la complaisance de l’auteur pour le récit de châtiments
particulièrement sordides et qu’il invente parfois [LIEBS 2007]. L’auteur
même qu’il y cite (un certain Aemilius Parthénianus), comme pour
authentifier les faits sans en assumer le récit, est fictif. Enfin la biographie
de l’usurpateur qui avait été conduit à trahir Marc Aurèle en 175 est
évidemment construite à charge.
Poursuivons la lecture du texte de Modestin. En dehors de la question
posée par la gravité des formes du châtiment imposé aux militaires,
l’essentiel de la réflexion casuistique consiste à limiter et à graduer
l’application des sanctions en distinguant le « déserteur » (desertor) du
soldat qui « erre » (uagari), comme ailleurs le droit distingue l’esclave
« fugitif » du « vagabond » [RIVIÈRE 2004c, p. 264-277]. Seule la durée et
les circonstances du retour permettent de distinguer l’un de l’autre [COSME
2003]. Quant à l’application de cette distinction, elle variait naturellement
selon la décision du général et de son conseil. La relative mansuétude de
Germanicus dans son commandement ne relève pas seulement du portrait
littéraire de ce personnage dont Tacite suggère l’absence de fermeté au
commencement des séditions sur le Rhin en 14 ap. J.-C. Le contenu de ses
édits, résumé deux siècles plus tard par Ménandre, qu’il s’agisse de
dispositions prises en Germanie ou en Syrie – elles s’opposent terme à
terme, en dehors même du langage officiel souligné plus haut, à la rigeur
de Pison –, témoigne de l’indulgence qui était accordée au soldat absent
auquel, s’il rentrait assez vite, on donnait la chance d’être considéré
comme un vagabond et non comme un déserteur :

Les édits de Germanicus César considéraient comme déserteur


le soldat qui avait été absent trop longtemps pour être compté
parmi les vagabonds (remansores). Qu’il rentre tout simplement,
qu’il se présente de lui-même, ou qu’il se présente après avoir été
arrêté, il évite la peine de désertion. Peu importe la personne à
laquelle il se présente ou par laquelle il est arrêté. (Arrius
Menander, De la chose militaire, extrait du livre 1 = Digeste, 49, 16, 4,
13)
Si un déserteur a fui dans une autre province que celle où stationne
son unité, comment le gouverneur de cette autre province doit il agir ? En
principe, le déserteur doit être remis à la direction de son commandement
d’origine. Mais s’il a commis un crime dans une autre province,
le gouverneur de cette autre province est compétent. Voilà
une considération qui n’est pas sans rappeler le principe selon lequel
la punition des délinquants, civils ou militaires, doit toujours respecter
le découpage de l’empire en provinces, c’est-à-dire en ressorts de
juridiction dont les gouverneurs ne doivent aucunement enfreindre
les limites, comme le montre l’application territoriale de la relégation
(R44). Une attention toute particulière semble accordée aux jeunes
recrues qui, tout au long de l’histoire romaine comme à l’époque moderne,
sont les plus susceptibles de déserter, ainsi que les militaires en fin de
service sur le point de devenir des vétérans [COSME 2003]. Les pouvoirs
romains n’ont pas toujours adopté la même conduite pour sanctionner
la désertion : à l’époque des guerres civiles, le passage d’un camp à l’autre
ne pouvait pas être trop durement réprimé pour ne pas susciter de
nouvelles défections de ceux qui rechercheraient le parti de la clémence
[GUEYE 2013], sous le Principat la conduite des généraux a pu varier. Dans
l’Empire tardif, certaines lois soulignent l’une des difficultés toujours
posées par la désertion, à savoir l’identification des coupables qui, à
l’instar des esclaves fugitifs (fugitiui), pouvaient très vite disparaître dans
la nature ou bénéficier de complicités dans la population. C’est pourquoi
la collaboration des sujets a été sollicitée par les empereurs. Dans une loi
de l’année 380 adressée au préfet du prétoire Syagrius et promulguée au
noms de Gratien, Valentinien et Théodose, des sanctions patrimoniales
visent les complices ou receleurs – ceux que le titre du Code thédosien
désigne comme des occultatores – et des récompenses (praemia) sont
promises aux dénonciateurs, y compris ceux d’origine servile :
Si quelqu’un donne refuge (latebram praebere) à un déserteur, qu’il
soit puni par la perte de la propriété (possessio) sur laquelle celui-ci
se cachait (latere) et qu’il redoute même une sentence plus lourde
(…). Et même, si un esclave livre (prodere) un déserteur, que
la liberté lui soit donnée ; s’il s’agit d’une personne libre (ingenuus)
de faible condition (mediocre locum), qu’il obtienne une exemption
de charges (immunitas). (Code théodosien, 7, 18, 4, 1)

Quant au crime de « sédition » évoqué par Modestin, il a toujours


constitué la grande crainte du commandement, au moins depuis l’épisode
célèbre de la révolte des légions d’Illyrie et du Rhin au cours des semaines
qui ont suivi la mort d’Auguste, le 19 août 14 ap. J.-C. La conduite
contrastée de Germanicus sur le Rhin et de Drusus le Jeune en Illyrie –
la fameuse « double sédition des soldats » (duplex seditio militum) de
Suétone (Tibère, 25, 2), n’exprime pas seulement la simultanéité des deux
soulèvements, mais également deux formes répressives concomitantes –
illustre en cette occasion les choix divers du commandement et
l’alternance entre brutalité et clémence [RIVIÈRE 2016c, p. 155-188]. La fin du
développement de Modestin est consacrée à la faute des soldats qui
auraient à charge la surveillance de prisonniers, et qui les laisseraient
échapper. La discipline militaire est ici en cause, mais pas seulement.
Le carcer du camp pouvait également accueillir des civils et la custodia
militaris, à savoir la garde de prévenus par des militaires, était également
répandue (R18).
39

Enfants, impubères et mineurs :


âge et responsabilité pénale de l’auteur
de l’acte

a. Destruction de récolte
et âge de puberté (verset de la Loi des XII
tables, 8, 9, cité par Pline l’Ancien,
18, 3, 12 ; 77 av. J.-C.)
Donner en pâture ou couper les productions de la terre obtenues par
la charrue, en cachette (furtim), de nuit (noctu), était un crime capital
(capital esse) en vertu des XII tables : elles ordonnaient, pour un pubère
(pubes), qu’il soit mis à mort (necari) en étant suspendu (suspensus) à Cérès,
<un châtiment> plus lourd que pour celui qui était convaincu d’homicide ;
pour un impubère, qu’il soit soumis par jugement, en vertu de l’arbitrage
du préteur, à être battu de verges (uerberare) ou à verser le montant du
dommage (noxia), ou encore le double de ce montant (duplio).
b. Vol flagrant et âge de puberté (verset
de la Loi des XII tables, 8, 14, cité
par Aulu-Gelle, 11, 18, 8 ; publication
posthume de l’ouvrage après 180 ap. J.-
C.)
Mais pour les autres voleurs pris en flagrant délit (fures manifesti), ils
[les décemvirs] ordonnèrent que les <hommes> libres soient flagellés
(uerberari) et remis (addicti) à celui au détriment duquel le vol avait été
commis, si du moins ils l’avaient commis de jour (luci) et s’il ne s’étaient
pas défendus avec un arme (telum) ; que les esclaves qui auraient été,
quant à eux, pris en flagrant délit de vol (furtum manifestum) soient soumis
aux verges (uerbera) et précipités de la roche <Tarpéienne>, mais ils
voulurent que les enfants impubères (pueri impuberes), selon la sentence
(arbitratus) du préteur, soient flagellés et que le dommage (noxia) commis
par eux soit réparé (sarcire).

c. Le fou, le quadrupède, la tuile


et l’enfant (Ulpien, Commentaire à l’édit,
extrait du livre 18, fr. 613 Lenel = Digeste,
9, 2, 5, 2 ; époque de Caracalla, de 198 à
217)
Et pour cela nous nous demandons si l’action de la loi Aquilia
s’applique lorsqu’un fou (furiosus) a causé un dommage (damnum). Pégase
dit que non : comment peut-on imputer une faute (culpa) à quelqu’un, en
effet, si ce dernier n’est pas en possession de ses facultés d’esprit (mens) ?
Et cela est tout à fait vrai. En conséquence l’action de la loi Aquilia sera
suspendue, de la même façon que la loi Aquilia est suspendue si
un quadrupède a causé un dommage, ou encore si une tuile est tombée. Et
si un enfant (infans) a causé un dommage, on se prononcera de la même
façon. Or si cela a été commis par un impubère (impubes), Labeo dit que,
puisqu’il est tenu par l’action de vol (furtum), il est également tenu par
la loi Aquilia : et je pense que cela est vrai, s’il est déjà capable de
commettre une atteinte <à la personne> (iniuria).

d. Un « enfant » qualifié d’« adolescent »


pour être exécuté parmi les « hommes »
lors des proscriptions triumvirales,
en 43 av. J.-C. (Dion Cassius,
47, 6 ; 1er tiers du IIIe siècle ap. J.-C.)
Entre autres contraventions aux lois (…), ils mirent un enfant
(paidiskos) au nombre des adolescents (ephèboi), afin qu’étant déjà entré
dans la classe des hommes (andres), on pût le faire mourir.

e. Mise à mort des enfants de Séjan dans


le cachot, en 31 ap. J.-C. (Tacite, Annales,
5, 9, 1-2 ; 110-120 ap. J.-C.)
1. Il a plu par la suite de punir (aduertere) les enfants de Séjan encore
vivants, quoique la colère du peuple commençât à s’estomper et que
le plus grand nombre fût apaisé par les supplices qui avaient précédé. Par
conséquent, ils sont portés dans le cachot, le fils comprenant ce qui se
préparait, la fille (puella) le sachant si peu qu’elle demandait souvent quel
délit elle avait commis et où on la traînait ; elle ajoutait qu’elle ne
recommencerait plus et que l’on pouvait la réprimander du fouet réservé
aux enfants (uerber puerile). 2. Des auteurs de cette époque rapportent que
sous prétexte qu’il était sans précédent d’infliger à une vierge le supplice
des triumvirs <capitaux> (triumuirale supplicium), elle fut déshonorée par
le bourreau (carnifex) à côté du lacet (laqueus). Après quoi il les étrangla et
des corps de cet âge furent jetés sur les Gémonies (Gemoniae).

f. La punition du meurtre du maître


et l’âge des esclaves « sous le toit »

F1. AU SUJET DU SÉNATUS-CONSULTE SILLANIEN ET CLAUDIEN (ULPIEN,


COMMENTAIRE À L’ÉDIT, EXTRAIT DU LIVRE 50, FR. 1239 LENEL = DIGESTE,
29, 5, 1, 32-33 ; ÉPOQUE DE CARACALLA, DE 198 À 217)
32. Un esclave impubère (impubes) ou une servante non encore nubile
(uiripotens) ne seront pas dans cette cause. L’âge (aetas) constitue en effet
une dispense (excusatio). 33. Mais devons-nous épargner à l’impubère, de
ces deux choses, uniquement le supplice ou également la torture
(quaestio). Il est préférable de ne pas avoir recours à la torture pour ce qui
concerne l’impubère. Et on a l’habitude de recourir à d’autres moyens, afin
d’éviter de soumettre des impubères à la torture : il suffit généralement de
les effrayer (terrere) ou de les frapper (caedere) à coups de lanière (habena)
ou de férule (ferula).

g. L’âge, l’impubère et les actions pénales


G1. L’IMPUBÈRE, LE FOU ET LA RÉCIPROCITÉ DE L’ATTEINTE <À LA PERSONNE>
(ULPIEN, COMMENTAIRE À L’ÉDIT, EXTRAIT DU LIVRE 56, FR. 1336 LENEL
= DIGESTE, 47, 10, 3, PR.-1 ; ÉPOQUE DE CARACALLA, DE 198 À 217)
Pr. À l’issue d’une délibération, ce principe de réciprocité a été retenu,
selon lequel ceux qui peuvent subir une atteinte <à la personne> (iniuria)
peuvent la commettre. 1. Il est assurément certaines personnes qui ne
peuvent pas en commettre, tels le fou (furiosus) ou l’impubère qui n’est pas
capable (capax) de fraude (dolus). Car s’ils peuvent généralement subir
une atteinte <à la personne>, ils ne peuvent pas en perpétrer. Puisqu’en
effet l’atteinte <à la personne> procède de la volonté (adfectus), en
conséquence on dira à leur sujet qu’ils ne paraissent pas avoir perpétré
une atteinte <à la personne>, qu’ils aient commis un acte brutal (pulsare),
ou qu’ils aient proféré une invective (conuicium).

G2. BIENS RAVIS AVEC VIOLENCE ET INCAPACITÉ DE L’IMPUBÈRE (ULPIEN,


COMMENTAIRE À L’ÉDIT, EXTRAIT DU LIVRE 56, FR. 1319 LENEL = DIGESTE,
47, 8, 2, 19 ; ÉPOQUE DE CARACALLA, DE 198 À 217)
L’action de biens enlevés avec violence ne sera pas accordée contre
l’impubère qui n’est pas capable d’intention mauvaise (doli mali capax). À
moins qu’il ne s’avère que cela a été commis par son esclave lui-même ou
l’ensemble de sa domesticité (familia), auquel cas il est tenu au nom de
l’esclave ou de la domesticité par l’action noxale de biens enlevés avec
violence.

G3. L’ÂGE ET L’IMPRÉVOYANCE (PAUL, COMMENTAIRE À L’ÉDIT, EXTRAIT


DU LIVRE 4, FR. 134 LENEL = DIGESTE, 50, 17, 108 ; SANS DOUTE
EN 180-190, CERTAINEMENT AVANT 217)
D’ordinaire dans tous les jugements pénaux (poenales iudicia) on est
secouru par l’âge (aetas) et par l’imprévoyance (imprudentia).

G4. CELUI QUI EST « TRÈS PROCHE DE LA PUBERTÉ » EST CAPABLE


DE VOL OU D’ATTEINTE <À LA PERSONNE> (GAIUS, COMMENTAIRE À L’ÉDIT
PROVINCIAL, EXTRAIT DU LIVRE 2, FR. 73 LENEL = DIGESTE,
50, 17, 111, PR.-1 ; ENTRE 140 ET 179 AP. J.-C.)
Pr. Un pupille qui est très proche de la puberté (proximus pubertati) est
capable (capax) de voler (furari) ou de commettre une atteinte <à
la personne> (iniuria). 1. Les actions ne sont généralement pas transmises
à l’héritier en cas d’actions pénales (actiones poenales) issues d’un méfait
(maleficium), qu’il s’agisse de vol (furtum), de dommage (damnum), de biens
enlevés avec violence (ui bona rapta) ou d’atteintes <à la personne>
(iniuriae).

h. L’édit du préteur, la violation


de sépulture, et l’impubère (Ulpien,
Commentaire à l’édit, extrait du livre 25,
fr. 739 Lenel = Digeste, 47, 12, 3, 1 ; époque
de Caracalla, de 198 à 217)
Les premiers mots montrent qu’en vertu de <l’édit du préteur>, seul
est puni (plectere) celui qui a commis une violation de sépulture (uiolare)
avec une intention mauvaise (dolo malo). Donc, s’il n’y a pas de fraude
(dolus), la peine ne s’appliquera pas. Par conséquent, les personnes qui ne
sont pas capables de fraude (dolus), comme par exemple les impubères
(impuberes), et tous ceux qui ne sont pas susceptibles d’intention (animus)
de violer <une sépulture> sont excusés (excusare).

i. L’impubère et le crime de faux (Paul,


Commentaire au sénatus-consulte Libonien,
extrait du livre unique, fr. Lenel
1898 = Digeste, 48, 10, 22, pr. ; 1er tiers
du IIIe siècle)
On ne doit pas dire qu’un impubère (impubes) tombe sous le coup de
cet édit, parce qu’il peut difficilement être tenu du crime de faux (falsi
crimen), étant donné que l’intention coupable (dolus malus) ne se présente
pas à cet âge (aetas).

j. En raison de son innocence, l’enfant


ne peut être coupable de meurtre
(Modestin, Des Règles, extrait du livre 8,
fr. 244 Lenel = Digeste, 48, 8, 12 ; après
17 ap. J.-C.) : cf. R40e
k. Ni l’impubère, ni le fou ne peuvent être
tenus pour responsables d’une faute
capitale (Ulpien, Commentaire à l’édit
des édiles curules, extrait du livre 1,
fr. 1769 Lenel = Digeste,
21, 1, 23, 2 ; époque de Caracalla, de 198 à
217)
Que celui-ci [le vendeur] désigne même expressément, celui qui
[l’esclave qu’il vend] a commis un crime capital (capitalis fraus). Commettre
un crime capital (capitalem fraudem admittere) signifie perpétrer quelque
chose de tel que cela entraîne une peine capitale (capite punire).
Les anciens avaient en effet pour habitude de désigner le crime par
la peine encourue. Nous entendons qu’un crime capital a été commis
lorsque c’est par fraude (dolo malo) et volonté de nuire (nequitia) : il en va
différemment si quelqu’un a agi par erreur ou par hasard, dans ce cas
l’édit sera suspendu. D’où l’opinion de Pomponius selon lequel ni
l’impubère (impubes) ni le fou (furiosus) ne paraissent avoir commis
un crime capital.

l. Les mineurs, la dureté de la torture


et le mensonge (Callistrate,
Sur les enquêtes, extrait du livre 5,
fr. 31 Lenel = Digeste, 48, 18, 15, pr.-1 ;
époque de Septime Sévère, de 193 à 211)
Pr. Si le témoignage (testimonium) <fourni par> un homme libre ne
chancelle pas, il ne faut pas le soumettre à la torture (quaestio). 1. Au sujet
du mineur (minor) de moins de quatorze ans, le Divin <Antonin le> Pieux a
répondu dans un rescrit à Maecilius qu’il ne convient pas de le soumettre
à la torture lorsque la tête d’un autre est en jeu (in caput alterius), surtout
lorsque l’accusation n’est étoffée par aucune preuve extérieure au dehors.
Cependant, il ne s’ensuit pas pour autant qu’il faille le croire sans
le recours à ces mêmes instruments de torture (tormenta). Car l’âge (aetas),
dit-il, qui semble pour le moment le protéger contre la dureté de
la torture (asperitas quaestionis), rend également ces mêmes <mineurs> plus
suspects de la faiblesse de mentir (mentiendi facilitas).

m. Les collèges de « jeunes » (iuuenes)


et les désordres des spectacles
(Callistrate, Sur les enquêtes, extrait
du livre 6, fr. 45 Lenel = Digeste,
48, 19, 28, 3 ; époque de Septime Sévère,
de 193 à 211)
Certains individus que l’on appelle couramment iuuenes ont l’habitude
dans certaines villes turbulentes de se joindre aux acclamations de leurs
compatriotes. Ceux qui n’ont rien commis de plus grave, et qui n’avaient
auparavant reçu aucun avertissement de la part du gouverneur, qu’ils
soient renvoyés après avoir été frappés à coups de bâton (fustes), ou même
qu’on leur interdise d’assister aux spectacles. Or si après avoir été ainsi
corrigés (corrigere) ils sont pris en flagrant délit (deprehendere) dans ces
mêmes occasions, ils doivent être punis de l’exil ; et le cas échéant être
frappés de décapitation (capite plectere), à savoir lorsqu’ils se sont conduits
de manière séditieuse (seditiose) et turbulente (turbulentè) et qu’après avoir
été appréhendés à plusieurs reprises, et avoir été traités de manière trop
clémente, ils ont persévéré dans l’audace de concevoir ce même projet.

n. La faiblesse d’âme des « mineurs »


(moins de 25 ans) n’excuse pas les mœurs
des « méchants » parmi
eux (Les empereurs Sévère et Antonin
Augustes à Longinus, Code de Justinien,
2, 34, 1 ; 15 octobre 200 ap. J.-C.)
En cas de crimes (crimina), les mineurs ne sont en aucune façon aidés
par la faveur de l’âge (aetatis suffragio) : en effet la faiblesse de l’âme
(infirmitas animi) n’excuse en rien les mœurs des méchants. Cependant
lorsqu’un délit se produit non en raison d’une intention (animus), mais en
raison d’un contrat, aucune faute (noxa) n’est perpétrée, quoique, à titre
de réparation (poenae causa), une peine pécuniaire (pecuniae damnum) soit
infligée : c’est pourquoi dans cette cause, le secours offert par
la restitution dans ses droit antérieurs (in integrum restitutio) s’applique
également aux mineurs.
Donnée aux ides d’octobre, sous le 2e consulat de Sévère, et celui de
Victorinus.
o. En cas de meurtre, un jeune adulte
ne peut invoquer sa jeunesse, mais il doit
faire état de son innocence (Les mêmes
Augustes <Dioclétien et Maximien>
et les Césars à Agotius, Code de Justinien,
9, 16, 5 ; 7 octobre 294 ap. J.-C.)
Si quelqu’un a fait de toi un prévenu (reum facere) en vertu de la loi
Cornelia sur les assassins, il convient que tu te débarrasses (purgare) de
cette accusation (crimen) en démontrant ton innocence et non que tu te
défendes (defendere) en invoquant ton âge alors que tu es déjà grand
(adulta aetas).
Écrit le 6 des calendes de novembre à Rome, sous le consulat
des Césars.

p. Les jeunes peuvent être corrigés


par leurs proches plus âgés, sauf
si « l’horreur de l’acte » relève
de la compétence du juge (Les empereurs
Valentinien et Valens Augustes au Sénat,
Code théodosien, 9, 13, 1 = Code de Justinien,
9, 15, 1 ; 30 novembre 365)
Nous accordons aux personnes plus âgées (seniores) parmi les proches
(propinqui) le pouvoir de corriger les jeunes (minores), en proportion de
la nature (qualitas) du délit (delictum), de sorte qu’au moins le remède
(medicina) d’une correction (correctio) pousse à l’obéissance ceux que
les exemples offerts par une vie domestique élogieuse ne conduisent pas
vers les bienséances de la vie. Et nous ne voulons pas que le pouvoir de
punir les vices des moeurs s’étende à l’infini, mais que l’autorité qui
procède du droit paternel (ius patrium) corrige la faute (erratum) d’un
jeune (iuuenis) proche et la réprime (compescare) par un châtiment
(animaduersio) privé. Toutefois, si l’horreur (atrocitas) de l’acte excède
le droit d’un redressement (emendatio) domestique (domestica), il convient
de livrer ceux qui se sont rendus coupables d’un énorme délit (delictum) à
la compétence (notio) des juges ».
Donnée la veille des calendes de décembre l’année du consulat de
Valentinien et Valens Augustes.

INTERPRÉTATION
Il est permis par la loi aux proches (propinqui) les plus âgés (seniores) de
redresser (corrigere) l’égarement (error) ou les fautes (culpae)
des adolescents (adulescentes) qui comptent parmi leurs proches en vertu
d’un arrêt paternel (patria districtio), ce qui veut dire que, s’ils ne peuvent
être corrigés (emendare) par des paroles (uerba) ou par un sentiment de
honte (uerecundia), qu’ils soient redressés par des coups de fouet (uerbera)
en vertu d’un arrêt privé (priuata districtio). Si en effet un adolescent a
commis une faute si lourde qu’elle ne peut être corrigée en privé
(priuatim), qu’elle soit renvoyée par dénonciation (deferre) à
la connaissance (notitia) du juge.

*
* *

En droit romain, rappelons-le, la « division statutaire majeure » ne se


faisait pas en fonction de critères de l’âge, mais au regard de la séparation
entre les individus autonomes juridiquement (sui iuris), et ceux qui
dépendaient du détenteur de la puissance paternelle et qui donc
relevaient du droit d’un autre (alieni iuris) (Commentaire à R2). Ainsi on a
pu avancer que « cette spécificité normative réduit la pertinence
des questions que l’on peut se poser sur la jeunesse, la vieillesse et
les classes d’âge dans le monde romain » [THOMAS 1984, p. 530]. Il n’en
demeure pas moins qu’au regard du droit criminel ou de la répression de
délits privés, la prise en compte de l’âge de l’auteur de l’acte est apparue
très tôt, dès la Loi des XII tables. Présente également dans la loi Aquilia
relative à la perpétration d’un dommage ou d’une atteinte à la propriété
constituant une atteinte au droit – le mot iniuria désigne ici un acte
« contraire au droit » (non iure), damnum iniuria datum, selon l’acception
la plus générale de ce terme qui définit par ailleurs l’atteinte à la personne
(R21) –, elle est demeurée un objet de réflexion jurisprudentielle relative à
ce que nous appellerions « la responsabilité pénale », au moins dès
le IIe siècle, comme l’atteste par exemple la sélection des critères
d’appréciation de la lourdeur de la peine, proportionnelle à la gravité du
crime, dans le traité de Claudius Saturninus (R36). Il n’a donc pas fallu
attendre l’époque de la codification byzantine et les hypothétiques
interpolations qui s’y seraient glissées pour que le critère de l’âge soit pris
en compte dans l’élaboration de la norme et dans son appréciation par
les juges. Il est très probable que les lois de Sylla ou de César, puis
d’Auguste, systématisant la répression des crimes confiée à des tribunaux
de jury, et qui envisageaient explicitement pour certaines « l’intention »
du prévenu, aient tenu compte de son âge [LEBIGRE 1967, p. 40-54]. Tel
pourrait être le cas de la « loi Cornelia sur les assassins et
les empoisonneurs » (R20). Enfin, quelques anecdotes emblématiques
des violences commises à la fin de la République, à l’occasion
des proscriptions, ou, au commencement de l’Empire, lors de la répression
de conjurations, apparaissent comme particulièrement intolérables aux
auteurs qui les rapportent, lorsqu’elles ont visé des enfants ou
des individus qui n’avaient pas encore atteint l’âge adulte. L’épisode de
la mise à mort des enfants du préfet du prétoire Séjan, en 31 ap. J.-C.,
constitue une séquence si cruelle que Tacite s’abrite derrière
le témoignage des auteurs de l’époque qui l’ont raconté, pour que son
lecteur ne lui attribue pas l’invention de cette scène particulièrement
sordide (R39e). Mais la mise à mort par étranglement des enfants (Strabo,
le fils et Iunilla, la fille), la déposition de leurs cadavres sur l’escalier
des Gémonies, ainsi que le suicide de leur mère Apicata, sont par ailleurs
consignés sur un document épigraphique, les Fastes d’Ostie qui reflète
la volonté de revendiquer publiquement le sort qui leur fut réservé
[RIVIÈRE 2004c, p. 77-78]. Le récit de Tacite recoupe par ailleurs ceux de
Suétone (Tibère, 61, 5) et de Dion Cassius (58, 11, 5). Mais des siècles plus
tard, Voltaire tentait encore de se rassurer dans son article « Défloration »
extrait des Questions sur l’Encyclopédie : « Heureusement Tacite ne dit point
que cette exécrable exécution soit vraie ; il dit qu’on l’a rapportée,
tradunt… Quel livre immense on composerait de tous les faits qu’on a crus,
et dont il fallait douter ! ».
En dehors du domaine du droit concernant la tutelle testamentaire,
la mention de « l’impubère » apparaît dans deux versets des XII tables
relatifs à la destruction de récolte (XII Tab., 8, 9) et au vol flagrant (XII
Tab., 8, 14). À cette époque, sans doute, l’âge de la puberté était déterminé
par la « conformation du corps » (habitus corporis), selon laquelle
un homme « pouvait engendrer » et une femme était « nubile » (nubilis,
uiripotens). Cependant, par la suite, un âge fixe fut introduit pour
déterminer la puberté : quatorze ans pour les hommes et douze ans pour
les femmes. Pour ce qui concerne les hommes, rappelons encore une fois
que le terme « impubère » constitue un critère d’âge et qu’il ne signifie
pas nécessairement que l’individu ne s’appartient pas en droit et qu’il est
sous la puissance d’un autre (alieni iuris) [HUMBERT 2018, p. 468 et 486]. Quel
que soit son âge, s’il n’a plus de père et qu’il n’est plus soumis à
la « puissance paternelle », il est alors autonome juridiquement. Mais s’il
s’agit d’un mineur, il devra alors être protégé par une tutelle. C’est donc au
regard de l’âge et certainement en estimation du défaut de responsabilité,
plutôt que sous l’inspiration d’une considération d’humanité [LEBIGRE 1967,
p. 40-43], que la peine qu’il encourt n’est pas capitale, pour ce qui
concerne, par exemple, la destruction de récolte (R39a). C’est parce qu’il
est « dénué de raison », que l’impubère est soumis à une flagellation,
expiatoire et peut-être dissuasive, et qu’il est surtout tenu de réparer, à
l’issue d’une estimation objective, « le dommage subi » (noxia), alors que
le pubère encourt une mise à mort dont la forme pourrait refléter
l’ancienne consécration (à Cérès, en l’occurrence) – la destruction
des productions de la terre se définit donc « comme une atteinte à
la divinité et non comme une lésion de la propriété privée » –, tandis que
l’emploi de l’adjectif capitalis constituerait une abstraction tardive de
la sanction contenue dans le verset [HUMBERT 2018, p. 485-490]. Celle-ci est
la suspension (il s’agit d’une pendaison et non d’un crucifiement) à
l’« arbre funeste » (arbor infelix) [BAYET 1935 ; ANDRÉ 1964 ; LOVISI 1999], dont
le matériau était lié à d’autres rites d’expiation, tels que celui qui frappait
le parricide (R35). Au côté de ce traitement, la flagellation de l’impubère
apparaît évidemment comme une atténuation, mais elle relève également
de « l’expiation », dans la mesure où ce geste est généralement associé à
l’effacement de la souillure [HUMBERT 2018, p. 491] et qu’il précède la forme
classique de l’exécution capitale par décapitation ou le traitement du
parricide. Un autre verset de la Loi des XII Tables (8, 14) (R39b) cumule
la flagellation et la réparation du dommage pour l’impubère pris en
flagrant délit de vol – la flagrance constituant dans le furtum manifestum
(R26) un élément constitutif du délit et non une circonstance extérieure à
celui-ci, elle autorise une addictio du coupable « sans aucune forme
processuelle » [HUMBERT 2018, p. 534-537].
Doit-on ici admettre que seul le mot impubes serait authentique, tandis
que l’expression « enfants impubères » (pueri impuberes) résulterait d’un
ajout plus tardif ? Le mot puer a été anciennement utilisé, puisqu’il figure
à la fois dans une loi dite « royale » qui réprime le geste de l’enfant à
l’encontre du « parent » (ce mot pourrait aussi bien désigner
exclusivement le « père ») (R1b1), et qu’il est présent dans un autre verset
des Douze tables (4, 1), transmis par Cicéron (Des lois, 3, 19) dont
l’authenticité est certaine : un père peut mettre à mort un enfant (puer) né
avec une « difformité » (deformitas) [HUMBERT 2018, p. 143-148]. Le terme
puer désigne alors un nouveau-né ou un très jeune enfant. Cependant, et
c’est là une nouvelle attestation de l’instabilité – selon les époques, et
selon les sources – du lexique latin relatif aux tranches d’âge, ce terme a
pu tardivement (à la fin de la République et sous l’Empire) désigner
également un adolescent ou un jeune adulte : « dans la langue de tous
les jours, les Romains pouvaient indifféremment qualifier quelqu’un de
iuuenis ou de puer » [FRASCHETTI 1996, p. 76]. Une telle instabilité du lexique
a donc persisté, en dépit des efforts de classification systématique menés
par les grammairiens, depuis l’œuvre du savant polygraphe Varron (116-
27 av. J.-C.), à la fin de la République, jusqu’aux recherches étymologiques
de l’évêque Isidore de Séville (560/570-636) dans l’Espagne wisigothique
[RIVIÈRE 2003].
La notion « d’impubère » apparue avec la Loi des XII tables se retrouve
plus tardivement dans le commentaire des juristes, aussi bien à propos
d’« actions pénales » ou de « jugements pénaux », c’est-à-dire au sujet de
poursuites de délits privés, que dans le contexte de procès criminels.
Les iudicia poenalia sont l’équivalent au sens étroit des actiones poenales,
mais ils s’appliquent au sens large aux procès criminels selon l’évolution
décrite en introduction de cet ouvrage. La définition de l’âge de la puberté
a aussi été précisée par la notion de « très proche de la puberté » (proximus
pubertati). Celle-ci traduit explicitement la recherche d’une approche
empirique de la maturité et de la responsabilité, au-delà du critère fixe de
l’âge généralement retenu de la puberté [PERRIN 1964].
Cependant, une autre distinction d’âge avait été introduite par la loi
Aquilia : l’infans, c’est-à-dire l’enfant âgé de moins de sept ans, est alors
assimilé au « fou » (furiosus) (R40), selon un principe admis plus tard par
la jurisprudence (Digeste, 2, 4, 4, pr. ; 4, 6, 22, 2 ; 6, 1, 60 ; 8, 2, 5). L’infans est
incapable de réflexion (Gaius, Institutes, 3, 109).
Puer, impubes, infans,… la recherche de la définition de l’âge au regard
du droit doit être complétée par la catégorie du « mineur » (minor). Celle-
ci désigne au départ pour le droit civil l’individu pubère âgé de moins de
25 ans et recoupe d’autres termes non techniques tels que adultus,
adulescens, ou iuuenis. Là encore il ne faut pas oublier la distinction
essentielle à l’ensemble du droit romain : un mineur peut être autonome
juridiquement s’il n’est pas sous l’exercice de la « puissance paternelle »
(patria potestas), il lui sera alors donné un tuteur, car l’âge risque de
l’exposer à la fraude de ceux qui voudront le tromper et de « limiter sa
liberté d’action » (circumscribere).
La catégorie de « mineur » n’est attestée cependant que tardivement
en droit pénal (R39l), alors qu’elle ne revêtait plus sans doute le sens étroit
et technique qui lui avait été donné en droit civil à l’époque républicaine,
quand elle s’appliquait rigoureusement aux individus de moins de vingt-
cinq ans. Pour agir en justice, le minor devait alors être assisté d’un curator.
Une loi de Constantin de l’année 321 veille à ce qu’un « mineur » dont
le père aurait été condamné à la peine de deportatio (R43), soit protégé par
un tuteur, puisqu’il ne lui est pas permis d’agir seul devant un tribunal
(Code théodosien, 9, 43, 1, 2). C’est au IVe siècle également que le législateur
se préoccupe de savoir jusqu’à quel degré la punition exercée par le père
dans le cadre familial peut s’appliquer aux mineurs. Elle ne doit pas
excéder un certain niveau de violence (la mort), et si ce niveau est dépassé
le mineur doit alors être remis à la justice des pouvoirs publics [RIVIÈRE
2009b].

Un autre terme encore s’applique en partie au jeune âge : iuuenis.


Confronté aux frasques de certains empereurs dans leur adolescence il a
laissé penser que la « jeunesse dorée » bénéficiait d’une tolérance. Mais il
faut sans doute nuancer l’existence de ce « constat ethnologique », selon
lequel « la jeunesse était considérée comme un groupe à part avec
des droits à parts » [VEYNE 1991, p. 86]. Si on ne le considère pas comme
« non jointif » au reste de la documentation, et qu’on lit dans son
ensemble le texte de Callistrate (R39m) supposé être à l’origine de ce
« constat », alors il apparaît nettement que « les droits folkloriques »
avaient leur limite juridique et que la répression de ces iuuenes pouvait
conduire jusqu’à la décapitation. Une telle désignation de la jeunesse est
« paroxystique », elle ne correspond pas aux « cycles biologiques de la vie
humaine » [FRASCHETTI 1996 p. 75]. À cette première réserve s’en ajoute
une autre : les collegia que l’on désigne parfois aujourd’hui « organisations
de la jeunesse » ne rassemblaient pas nécessairement des adolescents, ni
même des individus d’une tranche d’âge définie (le terme iuuenis a une
acception très extensible). Quoi qu’il en soit, il ne faudrait pas surévaluer
la tolérance de la société romaine à l’égard des débordements de
la jeunesse, surtout lorsqu’ils relevaient du crime : la gradation de
la punition des iuuenes qui troublent les spectacles, de la réprimande à
l’exécution capitale, comme on vient de le dire, en témoigne [RIVIÈRE 2003].
Et lorsque dans l’Empire romain tardif, un adulescens (l’âge du prévenu
demeure incertain, sa barbe était naissante) du plus haut rang s’était
adonné à des pratiques de magie et de divination, il pouvait dans
un premier temps être condamné à l’exil, puis, alors même qu’il avait fait
appel, être exécuté à l’issue d’une seconde sentence. Ainsi l’illustre le cas
de Lollianus, entre 368 et 371 : mal orienté par son père dans la procédure
de recours que ce dernier lui avait conseillé d’accomplir, il fut victime
certainement des rivalités aristocratiques qui divisaient alors la cour
impériale (R50l).
40

Les fous (furiosi) : contrainte et observation


en l’absence de responsabilité pénale

a. Hadrien (117-138 ap. J.-C.) remet


au soin des médecins le fou qui avait
tenté de l’assassiner (Histoire Auguste,
Vie d’Hadrien, 12, 5 ; fin du IVe siècle)
Et c’est également à cette époque qu’il fit face, non sans gloire, à
un très grave danger : tandis qu’il se promenait à travers des parcs à
Tarragone, un esclave de son hôte, pris de folie (furiosus), surgit contre lui
muni d’une épée : après être parvenu lui-même à le maîtriser, il le livra à
des serviteurs qui étaient accourus. Lorsqu’il se rendit compte qu’il
s’agissait d’un fou (furiosus), il le fit remettre à des médecins pour qu’ils
le soignent (curare), sans laisser paraître aucune émotion.
b. Folie et parricide (Rescrit de Marc
Aurèle et de Commode, cité par Macer,
Sur les jugements publics, extrait
du livre 2, fr. 44 Lenel = Digeste,
1, 18, 14 ; peu après 210 ap. J.-C.)
Le divin Marc et Commode ont envoyé à Scapula Tertyllus un rescrit
rédigé dans ces termes : « si tu as clairement établi qu’Aelius Priscus est
dans un tel état de folie (furor) qu’il est dépourvu de tout discernement
(intellectus) en raison d’une aliénation mentale sans intermittance
(continua alienatio mentis) et qu’il n’y pas lieu de soupçonner qu’il a tué sa
mère en simulant une telle démence (dementia), tu peux ne pas t’occuper
de la façon de le punir, puisqu’il est déjà suffisamment puni par sa folie
elle-même. Cependant, qu’il soit maintenu sous bonne garde (custodire),
avec la plus grande attention. Et, si tu le juges nécessaire qu’il soit placé
sous la contrainte d’un lien (uinculo coercere), puisque cela importe aussi
bien au regard de la peine que de sa protection (tutela) et de la sécurité de
son entourage le plus proche (securitas proximorum). Si toutefois, comme il
advient dans de nombreux cas, par périodes de rémission de son état, il
retrouvait le sens, tu examineras (explorare) avec attention si d’aventure
le crime n’a pas été commis dans une telle circonstance et si aucun pardon
(uenia) ne doit être accordé en raison de sa maladie (morbus). Au cas où tu
découvrirais quelque chose de tel, consulte-nous, pour que nous
apprécions si, en raison de la monstruosité de son crime et à condition
qu’il ait été perpétré alors qu’il pouvait paraître se rendre compte (sentire)
<de ce qu’il faisait>, il doit être livré au supplice. En outre, comme nous
avons pris connaissance par ta lettre qu’il est d’une position sociale et
d’un ordre tels qu’il est gardé par ses proches ou même dans sa propre
villa, il nous semble que tu agiras droitement si tu convoques ceux qui, au
moment des faits, le tenaient sous leur surveillance et tu tireras d’eux
la raison d’une telle négligence et tu établiras pour chacun d’entre eux
dans quelle mesure il te paraît devoir être chargé ou libéré de
la culpabilité. En effet, ceux qui ont la garde des fous ne doivent pas veiller
seulement à ce que ces derniers n’entreprennent rien de dangereux
contre eux-mêmes, mais également à ce qu’ils ne causent pas la perte
de tiers. Or si une telle chose se produit, ce n’est pas injustement qu’il faut
en attribuer la faute à ceux qui auront été particulièrement négligents
dans l’exercice de leur fonction ».

c. Tentative de suicide et discipline


militaire (Ménandre, De la chose militaire,
extrait du livre 3, fr. 10 Lenel = Digeste,
49, 16, 6, 7 ; entre 198 et 210 ap. J.-C.)
Celui qui s’est fait une blessure ou qui a cherché à se donner la mort
d’une autre façon, l’empereur Hadrien a répondu par un rescrit, que l’on
doit établir de quelle façon il avait été conduit à ce geste, et s’il s’avérait
qu’il avait préféré mourir par incapacité de supporter la douleur, par
lassitude de la vie, par une maladie, par folie (furor) ou par honneur
(pudor), qu’on ne l’exécute (animaduertere) pas, mais qu’il soit renvoyé avec
ignominie (ignominia), et s’il n’allègue rien de tel, qu’il soit puni de
l’exécution capitale (capite punire). Qu’on épargne (remittere) à ceux qui
sont tombés dans le vin ou la débauche (lasciuia) la peine capitale (capitalis
poena) et qu’on leur inflige un changement d’unité (militiae mutatio).
d. Folie, bon sens et simulation (Ulpien,
Sur la fonction du proconsul, extrait
du livre 7, fr. 2183 Lenel = Digeste,
1, 18, 13, 1 ; entre 212 et 217 ap. J.-C.)
Si les fous (furiosi) ne peuvent pas être retenus (contineri) par
les membres de leur entourage (necessarii), que le gouverneur (praeses)
s’interpose en recourant à cet expédient (remedium), à savoir qu’ils soient
retenus dans un cachot. Ainsi a répondu le divin <Antonin le> Pieux dans
un rescrit. Avec raison les divins frères ont estimé qu’il fallait examiner
(excutere), concernant celui qui avait commis un parricide (parricidium), s’il
avait commis un forfait (facinus) en simulant (simulare) la folie (furor) ou
s’il s’avérait vraiment qu’il n’était pas dans son bon sens (compos mentis),
de telle sorte que, s’il avait simulé, il soit puni (plectere), tandis que s’il
était alors dans une crise de folie (furere), il soit retenu dans un cachot.

e. Le fou assassin, « excusé » par « le


malheur de son sort » (Modestin,
Des Règles, extrait du livre 8,
fr. 244 Lenel = Digeste, 48, 8, 12 ; composé
aprè 217)
Si un enfant (infans) ou un fou (furiosus) tuent (occidere) un homme, ils
ne sont pas tenus par la loi Cornelia, puisque l’innocence de son intention
(consilium) protège le premier, tandis que le malheur (infelicitas) de son
sort (fatum) dispense (excusare) le second.
f. De nouveau la folie et le parricide
(Modestin, Des pandectes, extrait
du livre 12, fr. 146 Lenel = Digeste,
48, 9, 9, pr-2. ; après 217 ap. J.-C.) :
cf. R35h
*
* *

Le substantif furiosus, « en délire », « égaré », « dément » s’est formé


sur le verbe furere, « être hors de soi », « égaré ». Le furiosus, fait son
apparition en droit dans un verset de la Loi des XII tables :

S’il est fou ou prodigue, et si aucun garde (custos) ne lui est


<donné>, que lui-même et son patrimoine (familia) soient sous
la puissance (potestas) de ses agnats ou des membres de sa gens. (XII
Tab., 5, 7)

Ce verset relatif au droit civil établit donc un parallèle entre celui dont
le jugement est altéré par une maladie mentale et le prodigue, considéré
comme « incapable », en raison de sa propension à dilapider
un patrimoine. En l’absence de tutelle fournie par un testament, si cette
disposition testamentaire fait défaut, alors le fou comme le prodigue sont
placés sous la curatelle des agnats ou des membres de la gens, les gentiles.
Ces derniers comblent en effet l’absence des agnats dans certains
domaines, tels que la tutelle des incapables [HUMBERT 2018 p. 203 et 212-
217]. En comparaison de l’étendue de la documentation relative à
l’irresponsabilité du fou en matière civile, ce n’est que tardivement que
son absence de culpabilité a fait son apparition dans le domaine criminel.
Une tel écart chronologique s’explique aisément si l’on songe que dans
le premier cas, ce sont tous les actes quotidiens qui sont susceptibles
d’être affectés par l’absence de jugement, tandis que dans le second cas,
l’état de folie est lié à un fait isolé et à la prévention éventuelle de sa
répétition. Folie ? Outre le terme furiosus, le lexique latin relatif à cet état
est aussi étendu qu’imprécis. On a bien cherché à établir
une hiérarchisation du degré de maladie à partir de ce lexique, mais cet
effort n’est pas parvenu à définir une taxinomie adaptée à une échelle
des cas ou des dispositions conformes à une échelle des symptômes.
La jurisprudence et la législation impériale emploient principalement
les substantifs furiosus et furor. Comme de nos jours, ces termes servent
par ailleurs à déprécier au cours d’une accusation devant une instance de
jugement la « folie » de l’adversaire pour le dénigrer, et non bien sûr pour
le dispenser de responsabilité [ISRAELOWICH 2014, p. 451-454]. D’autres
termes encore tels demens et dementia, insanus, amens ou des périphrases,
telles que « celui qui n’est pas maître de lui-même » (qui mentis compos non
est), ou « celui dont l’esprit est captif » (mente captus), ou encore
« l’aliénation de l’esprit » (mentis alienatio) sont répandus. Mais il s’agit là
de simples variations et non d’une grille médico-légale. Si à partir de
l’époque d’Ulpien, une certaine « discrimination » s’établit entre le furor,
« la folie avérée et complète » et la dementia, un terme plus imprécis qui
recouvrirait toutes les formes secondaires de l’insanité d’esprit, elle ne
conduit pas à une approche différenciée de la casuistique [LEBIGRE 1967,
p. 31-35 ; VALLAR 2016, p. 1-2]. On pourrait joindre néanmoins à ce dossier
l’insistance observable dans l’édit des édiles curules pour traquer
les « vices » de l’esclave, qu’il s’agisse d’un « vice du corps » (uitium
corporis) ou d’un « vice de l’âme » (uitium animi). Elle a pour but
d’apprécier la valeur de ces marchandises ainsi que l’honnêteté
des transactions dont elles sont l’objet autour d’une préoccupation
principale, « la tendance à fuir » qui distingue l’humain de l’animal. C’est
par le biais de la servitude et l’objectivité bien comprise de l’intérêt
des maîtres que se dessine ici un effort de description des caractères,
des conduites, des pathologies dont l’étude mériterait assurément d’être
approfondie [RIVIÈRE 2004, p. 257-277].
En revanche, l’effort des juristes et du législateur a consisté à tenter
d’affiner l’approche de la maladie mentale en prenant en considération, au
regard principalement du droit civil, la persistance ou la discontinuité
des accès de démence, afin de saisir la volonté ou la conscience qui a
présidé à l’acte. C’est dans le domaine du mariage que le commentaire
d’Ulpien (Digeste, 24, 3, 22, 7) pourrait avoir été le plus approfondi dans ce
domaine. Le juriste distingue un premier type de furor, de moindre
gravité, reflet de deux états : la folie perturbée d’intervalles de lucidité ;
la folie continue mais supportable pour l’entourage. La rupture du
mariage peut être évitée dans l’un et l’autre cas. En revanche, le deuxième
type de furor incontrôlable et sans répit rend le mariage impossible : en
raison du danger, de « la cruauté de la folie » (saeuitia furoris), et de
la préoccupation d’assurer une descendance, la rupture du mariage
s’impose, au regard même d’une considération d’humanité – à l’égard de
la personne atteinte de maladie psychique, si c’est la femme par exemple,
afin de protéger sa dot. Néanmoins, et cette considération pourrait
s’ouvrir à de nombreux commentaires, le retour à la « santé » (sanitas),
l’espoir de guérison paraissent toujours pris en compte par le droit [VALLAR
2016, p. 3-4]. Ces considérations forgées dans le domaine du droit civil
sont reprises dans le domaine du droit criminel, même si l’absence de
responsabilité est régulièrement invoquée dans le premier cas, tandis
qu’apparaît dans le second l’idée que le furiosus ne saurait être puni pour
son acte puisqu’il est assez puni par la nature, en raison de sa folie même
[LEBIGRE 1967, p. 36-40] ! La préoccupation du législateur est alors de savoir
si l’acte a été commis éventuellement dans un intervalle de lucidité et de
parvenir à identifier une simulation éventuelle, comme l’atteste le très
célèbre rescrit de Marc Aurèle et Commode (entre 177 et 180) relatif à
un cas de matricide (R40b). Ici l’approfondissement d’une perspective
comparatiste, élargie à d’autres civilisations encore, serait éclairant. Dans
e e
la Chine des Qing (XVIII -XX siècles), par exemple, il est remarquable de
constater la disposition contradictoire du législateur confronté à
l’entrecroisement du parricide et de la folie. L’horreur du parricide, ou
la « barbarie » qu’il représente, ont conduit à infliger même à
des déséquilibrés mentaux le supplice du démembrement (lingchi), alors
que les lois de la même époque reconnaissent qu’infliger une telle
sanction à un fou n’est pas fondé juridiquement [GABBIANI 2009].
Le texte de Marc Aurèle et Lucius Verius n’innove pas, il entérine
plutôt, selon toute probabilité, le principe déjà en vigueur de
l’irresponsabilité pénale de celui qui agit en état de furor. Par exemple,
l’un des commentaires relatifs à la culpabilité de l’esclave présent dans
la maison du maître lors de son assassinat, en vertu du sénatus-consulte
Silanien du règne de Néron (54-68) « excuse » celui des serviteurs qui
serait authentiquement fou et n’aurait pu venir en aide au maître (Digeste,
29, 5, 3, 11 : « il ne fait aucun doute que les fous sont mis à part ») de même
que l’aveugle, le sourd ou le muet (car ce dernier n’a pu crier à l’aide).
Dans le domaine de la discipline militaire, un rescrit d’Hadrien (117-
138) (R40c), témoigne également de la prise en compte du furor pour
épargner la vie d’un soldat qui aurait attenté à sa vie ou se serait blessé
afin de se soustraire au service. Le texte de Marc Aurèle constituerait donc
moins une innovation qu’un cas emblématique de formulation du droit en
la matière, sans que l’on puisse aucunement affirmer que de telles
considérations que l’on qualifierait aujourd’hui d’humanistes relèvent du
stoïcisme de Marc Aurèle [COCATRE 2015, p. 53-54]. La préoccupation du
législateur d’identifier les symptômes, l’état de conscience, les intervalles
de lucidité, la simulation éventuelle a-t-elle conduit les tribunaux romains
à faire appel à des experts ? La question méritait d’être posée. La réponse
est négative. Devant les tribunaux de l’Empire, le furor paraît s’être imposé
comme une réalité sociale identifiable, plutôt que comme un domaine de
la médecine. Jamais des médecins n’ont été convoqués devant un tribunal
pour en décider, alors même que, depuis l’époque ptolémaïque, en Égypte,
des documents que l’on pourrait qualifier de « rapport médical » (le mot
grec prosphonèsis sous lequel on les désigne signifie « la parole adressée »,
la « lettre ») ont pu entrer dans les pièces d’un procès en cas de mort
suspecte ou de la paternité incertaine d’un nouveau-né [ISRAELOWICH 2014,
p. 455-460]. Si dans les actes du centurion Marcellus (Passio Sancti Marcelli),
le juge invoque à deux reprises l’état d’amentia ou de furor qui a pu être à
l’origine du geste de rejet par ce centurion des insignes de son grade et de
son refus de service, la persistance du prévenu et sa confession de foi
devant le tribunal ont conduit à son exécution (R13d). L’ensemble
des textes normatifs produits dans l’Antiquité dans le domaine de la folie
sont à l’origine également de l’approche de la question de la responsabilité
(civile et pénale) à l’époque médiévale, en particulier à partir du moment
où, lorsqu’elle fut redécouverte, l’œuvre juridique de Justinien constitua
une autorité en la matière [TERNON 2018].
41

L’interdiction de l’eau et du feu (… et du toit)


e er
sous la République (III -I siècle av. J.-C.).
Un évitement de l’exécution capitale

a. « L’eau et le feu », ainsi que « la terre


et l’air »… (Lucilius, Satires, 29 Cichorius
= 787 Marx ; 133 av. J.-C.)
(…) quand tu auras fait cela, en même temps que les autres l’accusé
sera livré à Lupus ; il ne se présentera pas : le juge privera notre homme
des éléments fondamentaux au moment où il l’aura frappé de
l’interdiction de l’eau et du feu ; il lui reste deux éléments (stoechia). À
supposer qu’il se présente avec son âme et son corps (le corps est la terre ;
l’âme est l’air) : de ces deux derniers éléments, le juge le privera quand
même, si tel est son bon plaisir.

b. Le procès contre les publicains


en 212 av. J.-C. : cf. R5c
c. Interdiction « du toit, de l’eau
et du feu » (Cicéron, Sur sa maison,
78 ; 30 septembre 57 av. J.-C.)
Quant à <l’appartenance à> la cité (ciuitas), personne, jamais, en vertu
d’aucun jugement du peuple, ne la perd (amittere) contre son gré (inuitus).
Les citoyens romains qui partaient pour les colonies latines ne pouvaient
devenir latins, à moins d’être eux-mêmes les auteurs de l’entreprise et de
donner préalablement leur nom aux censeurs. Ceux qui étaient
condamnés dans des affaires capitales (res capitales) ne perdaient pas cette
cité avant d’avoir été reçus dans celle où ils se rendaient pour cause de
passage (uertere), c’est-à-dire de changement de sol (mutandi soli causa).
Mais encore, pour qu’un tel acte soit accompli, ils ne l’accomplissaient pas
en vertu d’un enlèvement du droit de cité (ademptio ciuitatis), mais en
vertu d’une interdiction du toit, de l’eau et du feu.

d. Proposition de loi (rogatio) en 88 av. J.-


C. de P. Sulpicius Rufus, tribun du parti
marianiste, pour faire admettre
l’inadmissible retour des « exilés »
par un contournement lexical :
il les désigne comme « des expulsés
de force » (Rhétorique à Herennius,
2, 28, 45 ; Ier siècle av. J.-C.)
Ainsi Sulpicius, qui avait présenté son veto (intercedere) pour que l’on
ne puisse faire revenir (reducere) les exilés (exules) auxquels il n’avait pas
été permis de défendre leur cause, changea ensuite d’avis et, tout en
présentant la même loi, dit qu’il en présentait une autre, en raison du
changement des termes. En effet il prétendait qu’il faisait revenir non
des « exilés », mais des expulsés de force (ui eiiecti). Comme si la question
avait été vraiment de savoir par quel terme ils devaient être appelés, ou
comme si tous ceux auxquels on a interdit l’eau et le feu (aqua et igni
interdictum est) n’étaient pas appelés des « exilés ».

e. Selon la légende, Romulus aurait


prononcé « l’interdiction de l’eau
et du feu » contre les amis du roi sabin
Titus Tatius, avec lequel il partageait
la royauté (Denys d’Halicarnasse, Histoire
romaine, 2, 53, 1 ; 7 av. J.-C.)
Pour la seconde fois, Romulus fut donc seul à gouverner. Voulant
expier le sacrilège perpétré sur les ambassadeurs <lavinates>, il interdit
d’eau et de feu ceux qui avaient commis ce crime. Tous s’étaient en effet
exilés de la cité immédiatement après la mort de Tatius. Puis il fit
comparaître les Lavinates qui s’étaient conjurés contre Tatius, et que leur
cité avait livrés à Rome. Mais comme ils plaidaient qu’ils avaient
simplement répondu à la violence par la violence, il lui sembla qu’ils
n’avaient pas tort et ils furent absous de tout chef d’accusation.
f. « L’eau et le feu » : bannissement,
mariage et funérailles (Verrius Flaccus,
De la signification des mots, fin de l’époque
augustéenne ; d’après l’abrégé de Festus,
p. 3 Lindsay, 2e moitié du IIe siècle ap. J.-
C.).
On a coutume de priver les condamnés de l’eau et du feu, de la même
façon que les épouses (nuptae) <les> reçoivent, car ces deux choses
contiennent la totalité de la vie humaine. C’est pourquoi ceux qui avaient
accompagné un convoi funèbre (funus), en rentrant, sautaient par-dessus
le feu et s’aspergeaient d’eau ; on appelait fumigation ce genre de
purification.

g. L’eau et le feu… sources de la vie


(Ovide, Fastes, 4, 791-2 ; 15 ap. J.-C. env.)
Les considère-t-on tous deux comme importants parce qu’ils
contiennent la source de la vie, parce que l’exilé en perd l’usage et que par
eux la fiancée devient épouse ?

h. Métellus « interdit de l’eau, du feu…


et du toit », à l’initiative du tribun
L. Appuleius Saturninus en 100 av. J.-C.
H1. UN VOTE DU PEUPLE… (PLUTARQUE, MARIUS, 29, 9-12,
TRAD. R. FLACELIÈRE ET E. CHAMBRY ; APRÈS 96 AP. J.-C.)

Aussitôt Saturninus fit voter que les consuls interdiraient à Métellus,


par une proclamation du héraut, l’usage du feu, de l’eau et d’un toit.

H2. … PRÉCÉDÉ D’UN DÉCRET DU SÉNAT (APPIEN, LES GUERRES CIVILES


À ROME, 1, 31 ; 160 AP. J.-C. ENV.)

Ils préparèrent donc un décret d’exil contre Métellus : ils y insérèrent


que les consuls feraient proclamer contre lui l’interdiction de partager
le feu, l’eau, et le toit, et ils assignèrent le jour où ce décret serait présenté
aux comices.

i. Un plébiscite de bannissement contre


Cicéron, à l’initiative du tribun
de la plèbe P. Clodius Pulcher en 58 av. J.-
C. (Plutarque, Cicéron, 32, 1 ; après
96 ap. J.-C.)
Dès qu’on sut qu’il s’était enfui, Clodius fit voter son bannissement, et
afficher un décret interdisant de lui donner l’eau et le feu, et de le recevoir
sous un toit à moins de cinq cent milles de l’Italie.
j. Perte de citoyenneté, livraison
à l’ennemi, et « interdiction de l’eau
et du feu » par un vote du peuple
(Sextus Pomponius, Lectures sur Quintus
Mucius, extrait du livre 37, fr. 320 Lenel
= Digeste, 50, 7, 18 (17) ; début du règne
d’Antonin le Pieux)
Si quelqu’un a porté atteinte à un ambassadeur des ennemis (legatus
hostium), on considère qu’un tel geste a été accompli contre le droit
des gens (ius gentium), car les ambassadeurs sont tenus pour inviolables
(sancti). C’est pour cette raison que la réponse suivante a été donnée :
les ambassadeurs, quelle que soit leur nation, s’ils se trouvent chez nous
alors que la guerre a été déclarée contre eux, doivent demeurer libres ;
une telle disposition est en effet conforme au droit des gens. C’est
pourquoi Quintus Mucius a toujours formulé la même réponse : celui qui
aurait porté atteinte (pulsare) à un ambassadeur doit être livré aux
ennemis dont les ambassadeurs sont les ressortissants. On s’est demandé
si demeurait citoyen romain celui que les ennemis n’auraient pas accepté.
Alors que certains considèrent qu’il le demeure, d’autres sont d’un avis
contraire : en effet, celui que le peuple, une fois pour toutes, aurait
ordonné de livrer (dedere) devrait être considéré comme ayant été renvoyé
(expulsare) de la cité, de la même façon que <le peuple> procéderait en
interdisant l’eau et le feu (aqua et igni interdicere). Publius Mucius paraît
avoir été de cette opinion. Plus que jamais, cette question s’est posée dans
le cas d’Hostilius Mancinus, que les Numantins ne reçurent pas (accepire)
alors qu’il leur était livré (dedere). Par la suite, une loi le concernant a été
présentée pour qu’il soit citoyen romain, et on dit même qu’il a exercé
<plus tard> la préture.
k. « La mort ou l’exil, c’est-à-dire
l’interdiction de l’eau et du feu » (Paul,
Commentaire à l’édit, extrait du livre 15,
fr. 260 Lenel = Digeste, 48, 1, 2 ; sans doute
en 180-190, certainement avant 217)
Certains jugements publics sont capitaux, certains ne sont pas
capitaux. Sont capitaux <les jugements> dont la peine se traduit par
la mort ou par l’exil, c’est-à-dire l’interdiction de l’eau et du feu (aquae et
ignis interdictio). Sous l’effet de telles peines, la tête (caput) est retranchée
de la cité (ciuitas). Car, les autres <peines d’éloignement> ne sont pas à
proprement parler des exils, mais des relégations. Dans ce cas, en effet,
la cité est conservée. Ne sont pas capitaux <les jugements> dont la peine
est pécuniaire ou <consiste en> une contrainte (coercitio) quelconque
exercée sur le corps.

l. Une disposition de la loi Cornelia


sur les faux conservée dans un volume
consacré aux peines capitales (Modestin,
Sur les peines, extraits conservés
du livre 4, fr. 161-166 Lenel = Digeste,
48, 1, 12 ; 48, 18, 16 ; 48, 19, 31 ; 48, 8, 16 ;
48, 10, 33 ; 47, 20, 4 ; composé vers
217/218)
Digeste, 48, 1, 12, pr.-1. Celui qui s’apprête à entendre les dépositions
des prisonniers (custodiae) doit réunir en conseil les hommes les plus
illustres et les orateurs du barreau (patroni causarum) si tous exercent dans
la cité de la province qu’il gouverne. Et il a été répondu dans un rescrit
qu’il était possible qu’il entende les prisonniers y compris les jours de
loisir, de telle sorte qu’il laisse partir les innocents et qu’il reporte à plus
tard le sort des coupables (nocentes) qui ont besoin d’une dure
punition (animaduersio). Digeste, 48, 18, 16. Les divins frères ont répondu
dans un rescrit qu’il était possible de recourir plusieurs fois à la torture
(quaestio). Celui qui a avoué contre lui-même ne sera pas soumis aux
tourments (torquere) contre d’autres prévenus encourant une exécution
capitale, comme l’a répondu Antonin le Pieux dans un rescrit. Digeste, 48,
19, 31, pr. Le gouverneur ne doit pas laisser partir les condamnés aux
bêtes pour répondre à la sympathie du peuple, mais s’ils sont d’une force
ou d’une habileté telles qu’ils méritent d’être montrés au peuple romain,
le gouverneur doit consulter l’empereur. Digeste, 48, 8, 16. Ceux qui ont
commis un meurtre (caedes) délibérément (sponte) ou avec préméditation
(dolo malo), s’ils sont d’une origine honorable, d’ordinaire sont déportés ;
ceux qui sont de second rang sont punis d’une exécution capitale (capite
punire). Ceci peut être plus facile à accomplir à l’encontre des décurions, si
toutefois après consultation du prince, ce dernier ordonne que cela soit
fait, sauf si d’aventure il n’a pas été possible d’apaiser autrement le trouble
(tumultus). Digeste, 48, 10, 33. Si quelqu’un a recours à de fausses
constitutions sans autorité, on lui interdit l’eau et le feu en vertu de la loi
Cornelia. Digeste, 47, 20, 4. Au sujet du parjure, si quelqu’un a juré que
les gages qui étaient dans le document lui appartenaient <alors que ce
n’était pas vrai>, il commet le crime de stellionat. En conséquence, qu’il
soit exilé pour une durée déterminée.
m. Reconstitution des origines :
l’exécution capitale considérée autrefois
comme « contraire au droit religieux » ?
(Lactance, Les institutions divines, 2, 9, 23-
24 ; 305-311 ap. J.-C.)
23. Quant aux exilés, on avait l’habitude de leur interdire le feu et l’eau
(igni et aqua interdici). En effet, quoique mauvais, c’étaient pourtant
des hommes, et, à cette époque encore, il semblait contraire au droit
religieux (nefas) de leur infliger le supplice de la décapitation (supplicium
capitis). 24. Par conséquent, en leur interdisant l’usage de ces choses qui
sont nécessaires à la vie de l’homme, on considérait qu’il en allait de
même pour celui qui avait subi cette sentence que s’il avait été puni de
mort (morte mulctare). Ces deux éléments ont été considérés comme
des principes si essentiels que l’on considérait que sans eux ni la naissance
de l’homme, ni sa vie ne pouvaient nécessairement avoir lieu.

n. Mémoire mythologique : usage rituel


de l’eau et du feu à l’occasion d’un traité
entre deux peuples (Servius, Commentaire
à l’Énéide, 12, 119 ; fin du IVe siècle ap. J.-
C.)
Assurément l’eau et le feu sont toujours employés pour faire
des traités (foedera). D’où le fait que nous interdisons l’eau et le feu à ceux
que nous voulons tenir éloignés de notre communauté (consortium), c’est-
à-dire les deux choses par lesquelles sont liées les communautés.
*
* *

La formule de bannissement qui entérinait un départ en exil afin


d’échapper à une poursuite ou à une condamnation imminente portait
originellement le nom « d’interdiction de l’eau et du feu ». Elle se
traduisait donc par un évitement de la peine de mort pour celui qui
l’encourait, mais elle signifiait également un arrachement à la cité,
définitif dans son principe, une perte de l’existence civique et de tous
les liens à la patrie : « Tout ce que l’homme pouvait avoir de plus cher se
confondait avec la patrie. En elle il trouvait son bien, sa sécurité, son droit,
sa foi, son dieu. En la perdant, il perdait tout » [FUSTEL DE COULANGES 1864,
p. 233].
Une observation grammaticale s’impose en premier lieu pour saisir
le sens d’une telle institution. Acceptons ce détour par cette brève mise au
point car elle est un premier indice pour cerner le sens de l’expression, et
donc, de son environnement social et rituel, de ses variations historiques.
Dans les sources latines, l’emploi du génitif aquae et igni interdictio est rare
et récent. On le rencontre pour la première fois chez Cicéron (Sur sa
maison, 78) (R41c), puis tardivement chez les juristes d’époque classique
(Digeste, 28, 2, 29, 5 ; 37, 1, 13 ; 48, 1, 2 ; 48, 13, 3 ; 48, 19, 2, 1). L’emploi de
l’ablatif avec interdicere ou interdictio, le plus anciennement attesté, est
aussi le plus répandu. Cet « ablatif de séparation » signifie littéralement
« formuler dans un groupe (inter) à l’égard de quelqu’un (alicui)
une décision (dicere) qui l’écarte de quelque chose (aliqua re) » [ERNOUT-
THOMAS 1953, § 107]. Le grec emploie toujours la même formule construite
avec le génitif : eirgein puros kai hudatos. Soulignons toutefois le recours
chez Appien à une formulation négative à propos de la proposition de loi
(rogatio) présentée par le tribun L. Appuleius Saturninus en 100 av. J.-C. au
conseil de la plèbe (concilium plebis) pour infliger une interdiction à
Q. Caecilius Metellus Numidicus. Ce texte enjoignait aux consuls
d’empêcher ce dernier de « partager » (koinônein) ou « d’entrer en contact
avec le feu, l’eau et un toit » (R41h2). Comme le confirme la comparaison
avec le texte de Plutarque rapportant le même épisode (R41h1), il s’agit là
d’un choix rédactionnel de l’auteur et non de la reproduction d’une
formule officielle. Observons toutefois que l’un et l’autre énoncent
un troisième terme, « le toit », qui constitue sans doute – nous allons y
revenir – un ajout tardif à la formulation initiale.
La satire de Lucilius (R41a) que l’on peut dater de 133 av. J.-C., de
l’année précisément où furent mis en place des tribunaux d’enquête pour
réprimer les partisans de Tiberius Gracchus (R3), est le document le plus
ancien où se trouve mentionnée la formule de « l’interdiction de l’eau et
du feu ». Cette désignation du bannissement est pourtant beaucoup plus
ancienne encore. Elle remonte au moins à l’époque médio-républicaine,
comme l’atteste l’épisode du procès de M. Postumius Pyrgensis et
des autres publicains en 212 av. J.-C. (R5c). Peut-on remonter au-delà ?
La sanction prononcée par Romulus à l’encontre des partisans de Titus
Tatius, meurtriers des ambassadeurs de Lavinium, revêt une valeur
étiologique, mais il s’agit là d’un épisode légendaire (R41e). On ne saurait
soutenir l’hypothèse qui a été proposée [FIORI 1996, p. 283 et 286], et selon
laquelle il s’agirait d’une « actualisation » ou d’une « laïcisation » de
l’ancienne désignation de l’homo sacer. Le constat opposé selon lequel
Denys d’Halicarnasse habille le droit qu’il connaît d’une parure légendaire
nous semble préférable [RIVIÈRE 2013b, p. 133-134]. Ceux qui ont porté
atteinte aux ambassadeurs lavinates auraient été livrés à la cité lésée, s’ils
n’avaient pas déjà fui la justice de Rome. Romulus est seulement en
mesure de les bannir et de prononcer contre eux une interdiction de
retour sur le sol romain qui entraîne une déchéance de citoyenneté. Ce
récit légendaire s’articule donc au commentaire jurisprudentiel de
Scaevola (conservé par Pomponius) au sujet de l’atteinte aux
ambassadeurs (pulsatio legatorum) (R41j). Le vote de « l’interdiction de l’eau
et du feu » par le peuple y est très clairement établi et permet de
rapprocher le sort de l’interdictus de celui du deditus. L’un et l’autre, celui
qui a été interdit de la cité et celui qui a été « livré » à l’ennemi encourent
assurément une perte de citoyenneté en dépit de l’avis formulé en sens
contraire contre Scaevola et repris abondamment par Cicéron [RIVIÈRE
2008 ; 2016 ; 2018]. Sur le plan procédural, le rôle du peuple doit être
remarqué. Dans la plupart des cas connus, en effet, « l’interdiction de l’eau
et du feu » a été prononcée par les comices dans le cadre d’une procédure
tribunicienne (R5). C’était alors une sanction entérinant le départ d’un
prévenu poursuivi pour une peine capitale. Ce n’est qu’à partir de
la législation syllanienne, et sans doute déjà auparavant dans le cadre
d’une « enquête » (quaestio) appropriée à la cause particulière
(extraordinaria), à laquelle pourrait se référer le texte de Lucilius (R41a)
[MANTOVANI 2007], que « l’interdiction de l’eau et du feu » serait devenue
une « peine » prononcée par un tribunal de jury. L’insertion de cette
formule dans plusieurs citations des leges Corneliae (Sylla) et des leges Iuliae
(César et/ou Auguste) va dans le sens d’une telle supposition. En effet,
chacune de ces lois relatives aux « jugements publics » (iudicia publica)
était fondatrice d’un tribunal de jury réuni pour la répression d’un crime
particulier toujours assortie d’une peine fixée par la loi. Notons enfin que
ce texte de Scaevola atteste, sans l’ombre d’un doute, le droit dont
disposaient les comices pour réintégrer par le vote d’une loi celui qui
aurait été dégradé de sa citoyenneté (R41j).
Lucilius (R41a) insère la désignation de l’aqua et igni interdictio dans
une représentation cosmologique héritée de la philosophie grecque, où
avec « l’air » et « la terre » ils constituent les éléments primordiaux (les
stoicheia ou archai), tandis que ces deux derniers matérialisent l’opposition
de l’âme et du corps. Le juge conserve la vie du prévenu en lui ôtant
seulement l’eau et le feu qui l’excluent de la communauté civique. Mais si
ce dernier se présente à la justice alors qu’il encourt une peine capitale, il
perdra également la vie, avec « la terre » et « l’air ». Des siècles plus tard,
l’explication de Lactance (R41l) constitue l’écho lointain de la théorie
des éléments primordiaux – ils sont invoqués sous un angle voisin à
propos de la peine du parricidium (R35c). Une telle lecture reconnaît
également que ce bannissement est un évitement de la peine de mort, en
raison de la réticence qu’avaient les anciens à l’accomplissement
d’une décapitation.
Si l’interprétation de Lucilius était familière à ses lecteurs au milieu du
e
II siècle av. J.-C., il n’est pas certain que cette interprétation savante rende

compte du choix originel d’une telle désignation du bannissement. L’eau


et le feu apparaissent en effet solidairement dans l’accomplissement de
rites tels que la réception de l’épouse au franchissement du seuil de
la maison du mari où elle est reçue « par l’eau et par le feu » (Digeste, 24, 1,
66, 1), à l’occasion des gestes de purification consécutifs au retour
des funérailles par les membres de la famille endeuillée (R41f), ou encore,
si on s’en remet à un commentaire de Servius à l’Énéide, à l’occasion de
partages territoriaux stipulés par un traité entre deux peuples (R41n). On
admettra donc volontiers l’interprétation selon laquelle nous serions, au
moins dans les trois premiers cas, en présence de « rituels de
franchissement » [RIVIÈRE 2013a]. Tandis que la mariée entre dans
la communauté du mari en franchissant le seuil, l’exilé quitte
la communauté des citoyens en sortant du territoire de la cité où il ne
peut plus être reçu par personne. Les porteurs du deuil (lugentes)
franchissent d’un bond la limite entre l’espace contaminé par la mort et
la communauté des vivants. Enfin un traité pouvait conduire à l’exclusion
ou à la fusion entre deux peuples ou deux cités.
Toutefois, à une certaine époque, probablement au dernier siècle de
la République, « l’interdiction du toit » est venue s’ajouter à la formule
originelle, pour en renforcer le sens ou, mieux encore, pour en préciser
l’implication juridique et matérielle. Elle est mentionnée pour la première
fois par Cicéron au sujet de la loi de Clodius qui avait sanctionné son
propre exil (R41c). Plutarque (Cicéron, 32, 1) emploie à son sujet
une périphrase éclairante – « interdiction de recevoir sous un toit » – en
précisant que la mesure qui le visait comportait également un rayon
d’exclusion [RIVIÈRE 2009a]. On retrouve l’adjonction du « toit » à la formule
du bannissement chez le même auteur et chez Appien au sujet de l’exil de
Q. Caecilius Métellus Numidicus quelques décennies auparavant (R41h2).
De même les trois termes « l’eau », « le feu », « le toit », se retrouvent
également sur l’inscription de Venafro sans doute relative à la loi Pedia
votée en 43 av. J.-C., instaurant un tribunal destiné à poursuivre
les assassins de César [CRAWFORD 1996, I, p. 459 = CIL, XII, 606]. Cet ajout
signifiait certainement une interdiction d’hospitium, c’est-à-dire
l’interdiction de donner accueil au banni en fuite. Sans doute celui qui
l’hébergeait n’encourait-il pas une mise à mort immédiate comme
pourrait le laisser supposer Dion Cassius (38, 17, 7), mais une sanction
identique d’interdiction comme invite à le croire la législation
augustéenne sur la violence (Sentences de Paul, 5, 26, 3) (R42a). La mention
du toit désigne par métonymie la « maison » (domus) tout entière, mais
aussi un « abri », voire un lieu d’asile ou de repos. Elle pourrait avoir servi
à renforcer le sens déjà explicite d’une exclusion de la communauté à
une époque où Rome avait largement étendu son empire. Et bientôt, à
partir du règne d’Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.), en 12 ap. J.-C., les exilés
ayant encouru une aqua et igni interdictio seraient également confinés dans
des îles sans qu’aucune aide puisse leur être apportée sous peine pour
les infracteurs, considérés comme complices, d’encourir un châtiment
(R42b).
42

L’interdiction de l’eau et du feu sous


l’Empire (d’Auguste aux Sévères) : une mort
en suspens

a. La loi Iulia sur la violence d’époque


augustéenne, votée entre 19 et 16 av. J.-
C., punit le recel des bannis (Sentences
de Paul, 5, 26, 3 : fin IIIe siècle ap. J.-C.)
Les personnes suivantes encourent les sanctions de la lex Iulia de ui
priuata : tout individu qui, à l’aide d’hommes armés, aura chassé quelqu’un
de la possession d’une maison, d’une villa ou d’un domaine, au terme d’un
assaut, d’un siège ou d’une séquestration, ou celui qui pour parvenir à
cette fin aura emprunté, loué ou embauché des hommes ; tout individu qui
aura fomenté une réunion, un attroupement, une assemblée en foule,
une sédition, un incendie, ou bien qui aura empêché des funérailles ou
une inhumation, ou encore celui qui aura dispersé un convoi funéraire ou
perturbé sa marche ; tout individu également qui aura reçu, caché ou
gardé celui auquel on a interdit l’eau et le feu ; tout individu qui paraîtra
avec une arme en public, qui aura assiégé, entouré, bloqué l’accès ou
occupé des temples, des portes ou n’importe quel autre lieu public.

b. Premières mesures de confinement


et de surveillance des bannis en 12 ap. J.-
C. (Dion Cassius, 56, 27, 2-3, trad. d’après
E. Gros ; 1er tiers du IIIe siècle)
2. Comme beaucoup d’exilés (phugades) résidaient, les uns hors
des lieux où ils avaient été bannis (exorizein), les autres menaient, dans ces
lieux mêmes, une vie pleine de mollesse, il défendit à tous ceux à qui on
avait interdit le feu et l’eau de séjourner, soit sur le continent, soit dans
une île éloignée du continent de moins de quatre cents stades [50 milles
romains], hormis Cos, Rhodes, Samos et Lesbos ; ce furent, je ne sais
pourquoi, les seuls qu’il excepta. 3. Outre ces ordonnances, il voulut
qu’aucun exilé ne changeât de domicile, qu’il ne pût posséder plus d’un
vaisseau de transport de la capacité de mille amphores, ni plus de deux
vaisseaux marchant à la rame ; qu’il n’eût pas plus de vingt esclaves ou
affranchis à son service ; qu’il ne jouît pas d’une fortune supérieure à cent-
vingt-cinq mille drachmes <c’est-à-dire un demi-million de sesterces> ; et
il menaça de punir non seulement les exilés eux-mêmes, mais également
toutes les autres personnes qui leur viendraient en aide d’une quelconque
façon en violant ces dispositions. 4. Voilà donc les propositions de loi qu’il
fit, celles du moins qu’il est nécessaire d’insérer dans cette histoire.
c. Bannissement et diminution
de l’existence civique (Verrius Flaccus,
De la signification des mots, fin de l’époque
augustéenne ; d’après l’abrégé de Festus,
p. 61 Lindsay, 2e moitié du IIe siècle ap. J.-
C. ; lui-même conservé par Paul Diacre,
du VIIIe siècle)
« Diminué dans son existence civique » (capite diminutus) : l’on entend
par « diminué dans son existence » celui qui a changé de situation au
regard de la cité (ciuitate mutatus) ; celui qui par l’adoption est passé d’une
famille dans une autre ; l’homme de condition libre qui est remis à
un autre comme esclave ; celui qui tombe sous la puissance des ennemis ;
et celui auquel on interdit l’eau et le feu.

d. L’expulsion des astrologues


de 17 ap. J.-C., à l’issue du procès de lèse-
majesté contre Libo Drusus : cf. R33 (Coll.,
15, 2, 1)

e. Le sort des deux comites


de Cn. Calpurnius Piso (Senatus consultum
de Cn. Pisone patre, l. 120-124, ECK-CABALLOS-
FERNANDEZ 1996, p. 46 = Année Épigraphique
1996, no 885 ; 20 ap. J.-C.)
Pour ce qui concerne Visellius Karus et Sempronius Bassus,
les compagnons (comites) de Cnaeus Pison père, les associés (socii) et
les agents (ministri) de tous ses méfaits (maleficia) –, il fallait qu’ils soient
interdits de l’eau et du feu (aqua et igni interdici) par le préteur qui enquête
(quaerere) dans le cadre de la loi de majesté, et il convenait que leurs biens
fussent vendus par les préteurs qui gèrent le trésor (aerarium) et qu’ils
les fassent entrer au trésor.

f. L’interdiction de tester (selon « le droit


des gens ») aggrave la condition du banni
en 23 ap. J.-C. (Dion Cassius,
57, 22, 5 ; 1er tiers du IIIe siècle ap. J.-C.)
Tibère défendit de tester à ceux auxquels on avait interdit l’eau et
le feu, une disposition qui est encore observée de nos jours.

g. Un débat autour de la condamnation


de Clutorius Priscus en 21 ap. J.-
C. (Tacite, Annales, 3, 49-51 ; 110-120 env.)
49, 1. À la fin de l’année un délateur (delator) s’empara de Clutorius
Priscus, un chevalier romain, auquel César avait fait un don en argent
après un poème fameux par lequel il avait pleuré la mort de Germanicus. Il
l’accusait (obiicere) d’en avoir composé <un autre> alors que Drusus était
malade, au cas où, si ce dernier venait à mourir, la publication
s’accompagnerait d’une récompense plus grande. Par vanité, Clutorius en
avait donné lecture dans la maison de P. Petronius en présence de Vitellia,
la belle-mère de ce dernier, et de nombreuses femmes illustres. 2. Quand
le délateur apparut, tandis que l’épouvante conduisait les autres à
prononcer un témoignage (testimonium), seule Vitellia assura <devant
la cour> qu’elle n’avait rien entendu. Mais l’on accorda plus de crédit à
celles qui démontraient la culpabilité (arguere) pour la perte <de l’accusé>
et suivant l’avis (sententia) d’Haterius Agrippa, le consul désigné, le dernier
supplice (ultimum supplicium) fut notifié (indicere) au prévenu. 50,
1. Contre <un tel avis>, M. Lepidus débuta ainsi son discours : « Si, pères
conscrits, nous prêtons seulement attention à la façon dont Clutorius
Priscus, d’une voix impie (nefaria), a souillé (polluere) sa pensée (mens) et
les oreilles des hommes, alors ni le cachot, ni le lacet (laqueus), ni même
les tortures réservées aux esclaves (seruiles cruciatus) ne suffiraient contre
lui. 2. Mais si les ignominies (flagitia) et les forfaits (facinora) sont sans
mesure, la modération (moderatio) du prince et les modèles (exempla)
<offerts> par les ancêtres ou par vous, retiennent (temperare) les supplices
et les remèdes, si les vanités <diffèrent> des intentions scélérates (scelesta),
si les paroles (dicta) diffèrent des actes criminels (maleficia), il y a lieu <de
prononcer> une sentence qui, tout en faisant en sorte que ce délit
(delictum) ne reste pas impuni (impune), n’imprime en nous ni le regret de
la clémence, ni celui de la sévérité. Souvent j’ai entendu notre prince
déplorer qu’un tel, en ayant fait le choix de la mort, avait prévenu sa
miséricorde (misericordia). La vie de Clutorius est encore intacte (in
integro) : s’il est sauvé (seruatus), il ne constituera pas un danger pour
l’État ; s’il est mis à mort (interficere), <son sort ne sera pas> un exemple
(exemplum). Ses travaux sont pleins de démence (uecordia), autant qu’ils
sont vains (inanes) et inconsistants (fluxa). Il n’y a pas lieu de craindre quoi
que ce soit de grave et de sérieux de la part de celui qui, ayant révélé
(proditor) lui-même ses infamies (flagitia), s’est emparé non pas des esprits
des hommes, mais de ceux de faibles femmes. 4. Cependant, <faisons en
sorte> qu’il quitte la Ville et que ses biens lui ayant été enlevés (bona
amissa), il soit écarté de l’eau et du feu (aqua et igni arcere) ; tel est l’avis que
je prononce (censere), conformément à ce qu’il encourrait selon la loi de
majesté. » 51, 1. Seul Rubellius Blandus, parmi les consulaires, donna son
assentiment à Lépidus. Les autres suivirent l’avis (sententia) d’Agrippa :
Priscus fut conduit dans le cachot et fut aussitôt mis à mort <par
asphyxie> (exanimatus). Tibère reprocha cette <précipitation> devant
le sénat en recourant à ses circonlocutions habituelles, puisqu’il exaltait
la piété (pietas) de ceux qui vengeaient (ulciscor) avec énergie, et sans répit,
les moindres atteintes (iniuriae) envers le prince, et qu’il cherchait à
détourner par ses prières les peines provoquées par les paroles (uerborum
poenae) avec autant de précipitation, et il louait Lepidus sans convaincre
d’erreur Agrippa. 2. Par conséquent, un sénatus-consulte fut élaboré en
vertu duquel, les décisions (decreta) des sénateurs ne devaient pas être
déposées au trésor avant le dixième jour consécutif à la sentence et, en
vertu duquel, les condamnés verraient ainsi leur durée de vie prolongée
d’autant.

h. Valerius Licinianus banni en Sicile,


et privé de la toge du citoyen, porte
l’habit grec mais déclame en latin (Pline
le Jeune, Lettres, 4, 11, 1-3 ; entre 98 et
fin 102 env.)
1. As-tu entendu dire que Valerius Licinianus enseigne en Sicile ? Je
pense que tu n’en as pas encore entendu parler : cela a en effet été
annoncé récemment. Ce prétorien, naguère, comptait parmi les plus
éloquents plaideurs de causes. Il est tombé si bas que de sénateur le voici
devenu un exilé (exsul), d’orateur le voici devenu rhéteur. 2. C’est
pourquoi lui-même en préambule déclara avec douleur et gravité : « quels
jeux fais-tu, ô Fortune ? Des sénateurs, en effet, tu fais des professeurs,
des professeurs des sénateurs ». Il y a dans cette sentence tant de bile et
d’amertume, qu’il me semble que c’est pour cette raison qu’il s’est adonné
à l’enseignement, juste pour faire cette déclaration. 3. De même, alors
qu’il avait fait son entrée couvert d’un manteau grec (pallium) –
conformément au droit, ceux auxquels on a interdit l’eau et le feu sont en
effet privés de la toge –, après avoir arrangé et examiné avec soin son
habit, il lança : « c’est en latin que je déclamerai » !

i. Perte de la cité et conservation


de la liberté (Gaius, Institutes, 1, 159-161 ;
161 ap. J.-C. env.)
La forme la plus petite ou moyenne de diminution d’existence (minor
siue media capitis deminutio) advient lorsque la cité est ôtée (ciuitas
amittere), tandis que la liberté est conservée (libertas retinere) : ce qui arrive
à celui auquel on aura interdit l’eau et le feu.

j. Moment de la conception, moment


de la naissance et statut de la personne
(Gaius, Institutes, 1, 89-90 ; 161 ap. J.-
C. env.)
Ceux en effet qui ont été conçus de manière illégitime prennent
le statut qui leur revient au moment de la naissance ; c’est pourquoi s’ils
naissent d’une libre, ce sont des libres et il importe peu que la mère les ait
conçus quand elle était esclave (ancilla). Quant à ceux qui ont été conçus
légitimement, le statut qui leur revient est celui qui provient du moment
de la conception. C’est pourquoi, si l’on a interdit l’eau et le feu à
une femme enceinte, citoyenne romaine, comme elle a été rendue de cette
façon pérégrine au moment où elle accouche, nombreux sont ceux qui
établissent la distinction suivante et pensent en ces termes : sans aucun
doute possible, si elle a conçu en justes noces, il naît d’elle un citoyen
romain ; si au contraire elle a conçu en dehors de tout cadre juridique
(uolgo), c’est un pérégrin qui naît d’elle… Si l’on interdit l’eau et le feu à
une femme enceinte de cité romaine et qu’elle accouche après être
devenue étrangère de cette façon, de nombreux <juristes> donnent un avis
fondé sur la distinction suivante : si vraiment elle a conçu en justes noces,
<l’enfant> qui naît d’elle est un citoyen romain ; en revanche, si elle a
conçu hors mariage, <l’enfant> qui naît d’elle est un étranger (peregrinus).

k. Puissance paternelle et perte


de la citoyenneté romaine en vertu
de l’interdiction de l’eau et du feu (Gaius,
Institutes, 1, 128, en commentaire à la Loi
Cornelia sur les assassins de 82 av. J.-C. ;
161 ap. J.-C. env.)
Puisqu’également celui qui a été interdit de l’eau et du feu pour avoir
commis un crime (maleficium) quelconque en vertu de la loi Cornelia, perd
la citoyenneté romaine, il s’ensuit que, ce dernier ayant été de cette façon
enlevé du nombre des citoyens romains et étant mort en conséquence, ses
enfants (liberi) cessent d’être en sa puissance. On ne saurait souffrir en
effet raisonnablement qu’un homme de condition pérégrine ait en sa
puissance un citoyen romain. Pour une même raison, celui qui était sous
la puissance d’un père (potestas parentis) et qui a été interdit de l’eau et du
feu, cesse d’être sous la puissance d’un père, car on ne saurait pas plus
souffrir raisonnablement qu’un homme de condition pérégrine soit sous
la puissance d’un père citoyen romain.

l. Perte de la capacité testamentaire


du condamné à une peine capitale (Gaius,
Commentaire à l’édit provincial, extrait
du livre 17, fr. 299 Lenel = Digeste,
28, 1, 8, pr.-4 ; entre 140 et 179 ap. J.-C.)
Pr. Le testament fait par celui qui est chez l’ennemi est sans valeur,
même si cette personne est revenue ensuite. 1. Si l’on a interdit à
quelqu’un l’eau et le feu, ni le testament qu’il a fait avant
la condamnation, ni celui qu’il fera après n’a de valeur : de même,
les biens qu’il possédait lorsqu’il a été condamné sont confisqués, à moins
qu’aucun revenu ne puisse en être tiré, auquel cas ils tombent entre
les mains des créanciers. 2. La cause de ceux qui ont été déportés dans
une île est la même. 3. En revanche, ceux qui ont été relégués dans une île
et auxquels la terre italienne et leur province ont été interdites
conservent le droit de faire un testament. 4. Quant à ceux qui ont été
condamnés au fer (ferrum) <de la décapitation>, aux bêtes, ou à la mine, ils
perdent la liberté, et leurs biens sont confisqués (publicare) : à partir de là,
il est clair que la capacité de faire un testament (testamenti factio) leur est
enlevée.
m. « L’interdiction de l’eau et du feu »
et « la mort » sont l’une et l’autre
une « peine capitale » (Sextus Caecilius
Africanus, Des questions, extrait
du livre 5, fr. 40 Lenel = Digeste,
37, 1, 13 ; 150 ap. J.-C. env.)
En vertu de l’édit du préteur, la possession de biens est refusée à ceux
qui ont été condamnés en raison d’une cause capitale et qui n’ont pas été
entièrement rétablis. L’on entend par « condamné en raison d’une cause
capitale » celui auquel la peine infligée est la mort ou l’interdiction de
l’eau et du feu. En revanche lorsque quelqu’un a été <envoyé> en
relégation, il est admis à la possession de biens.

n. L’interdiction de l’eau
et du feu est une peine capitale, comme
la mort (Paul, Commentaire à l’édit, extrait
du livre 15, fr. 260 Lenel = Digeste,
48, 1, 2 ; sans doute en 180-190,
certainement avant 217)
Certains jugements publics sont capitaux, certains ne sont pas
capitaux. Sont capitaux <les jugements> dont la peine se traduit par
la mort ou par l’exil, c’est-à-dire l’interdiction de l’eau et du feu (aquae et
ignis interdictio). Sous l’effet de telles peines, la tête (caput) est retranchée
de la cité (ciuitas). Car, les autres <peines d’éloignement> ne sont pas à
proprement parler des exils, mais des relégations. Dans ce cas, en effet,
la cité est conservée. Ne sont pas capitaux <les jugements> dont la peine
est pécuniaire ou <consiste en> une contrainte (coercitio) quelconque
exercée sur le corps.

o. L’interdiction de l’eau
et du feu entraîne la destruction du rang
social (Callistrate, Des enquêtes, extrait
du livre 1, fr. 10 Lenel = Digeste,
50, 13, 5, 1-3 ; 194-211 ap. J.-C.)
1. La considération (existimatio) est l’état, validé par les lois par
les coutumes, dans lequel la dignité (dignitas) n’est pas endommagée
(inlaesa) et qui, en raison d’un délit que nous commettons, est diminué
(minuere) ou détruit (consumere) en vertu de l’autorité des lois
2. La considération est diminuée (minuere) chaque fois que nous sommes
punis d’une peine qui touche l’état de dignité (dignitas), par exemple
lorsque quelqu’un est relégué, lorsqu’il est écarté de son ordre, lorsqu’il
est empêché d’exercer des charges publiques, ou bien, s’il s’agit d’un
plébéien (plebeius) lorsqu’il est frappé à coups de bâtons (fustes) ou livré
aux travaux publics (opus publicum), ou encore lorsque quelqu’un tombe
dans l’une de ces causes énumérées dans l’édit perpétuel comme
une cause d’infamie (infamia). 3. Cependant, la considération est
entièrement détruite, chaque fois que se présente la grande diminution de
l’existence (magna capitis minutio), c’est-à-dire lorsque la liberté est
enlevée, comme par exemple lorsque l’on interdit l’eau et le feu, ce qui se
produit à l’égard de la personne des déportés, ou lorsqu’un plébéien est
livré au travail de la mine (opus metalli) ou à la mine. Dans ce dernier cas
en effet la différence entre la peine du travail <de la mine> et la peine de
la mine n’importe en rien, si ce n’est que ceux qui ont fui (refugae)
le travail de la mine ne sont pas soumis à la mort, mais à la peine de
la mine.

p. L’interdiction de l’eau
et du feu est une « diminution moyenne »
(Pseudo-Ulpien, Tituli ex corpore Ulpiani,
11, 12 ; 211/212 ap. J.-C.)
On appelle diminution moyenne de l’existence civique, celle par
laquelle seule la cité est ôtée tandis que la liberté est conservée, ce qui
s’applique à l’encontre de celui auquel on a interdit l’eau et le feu.

q. Conception de l’enfant suivie


de la condamnation de la femme
à l’interdiction de l’eau et du feu (Ulpien,
Commentaire à Masurius Sabinus, extrait
du livre 27, fr. 2698 Lenel = Digeste,
1, 5, 18 ; 214-216 ap. J.-C.)
L’empereur Hadrien a répondu par un rescrit à Publicius Marcellus
qu’une femme libre qui est condamnée au dernier supplice (ultimum
supplicium), alors qu’elle est enceinte (praegnas), donne naissance à
une personne libre. On la conserve généralement <en vie> jusqu’à ce
qu’elle ait mis au monde. Mais si celle qui conçoit en de justes noces a été
interdite de l’eau et du feu, elle donne naissance à un citoyen romain, sous
la puissance d’un père.
r. La « déportation » se substitue
à « l’interdiction de l’eau et du feu »
(Ulpien, Commentaire à l’édit, extrait
du livre 48, fr. 1207 Lenel = Digeste,
48, 19, 2, 1 ; époque de Caracalla, de 198 à
217)
Il est établi que depuis que la déportation s’est substituée à
l’interdiction de l’eau et du feu, la citoyenneté n’est pas enlevée avant que
le prince ne place le déporté dans une île.

s. En vertu de l’interdiction, comme


en vertu de la déportation, le condamné
perd tous ses droits et tous ses biens
(Ulpien, Sur la loi Iulia concernant
les adultères, extrait du livre 1,
fr. 1943 Lenel = Digeste,
48, 13, 3 ; 217 ap. J.-C. ou plus tard)
La peine fixée pour le péculat est l’interdiction de l’eau et du feu, à
laquelle a succédé aujourd’hui la déportation. Entendons que celui qui est
réduit à cet état perd tous ses droits (iura) antérieurs, ainsi que tous ses
biens (bona).
t. Perte de la citoyenneté et perte de tous
les liens de parenté (Modestin,
Des Pandectes, extrait du livre 12,
fr. 148 Lenel = Digeste, 38, 10, 4, 11 ; après
217 ap. J.-C.)
Celui auquel on interdit l’eau et le feu ou qui se trouve diminué dans
ses droits civiques d’une quelconque autre façon, de sorte qu’il perde
la liberté et la citoyenneté, perd également tous les liens de parenté par
le sang et tous les liens de parenté par alliance qu’il eut autrefois.

u. L’interdiction de l’eau
et du feu et la non-dissolution
du mariage (Justinien, Novelle, 22, 13)
La deportatio en laquelle s’est transformée l’ancienne interdiction de
l’eau et du feu que nos lois appellent aquae et ignis interdictio, ne dissout pas
le mariage.

*
* *

Comme dans d’autres domaines relatifs à la procédure et au droit


pénal, tels que le recours à la torture des esclaves contre leurs maîtres
(R16), l’émergence de l’enquête sénatoriale (R11), la présence ou
la participation du prince au déroulement du procès devant les tribunaux
de jurys (Commentaire à R50) pour ce qui concerne l’exil, le règne
d’Auguste constitue une rupture franche. Pour la première fois est attesté
le confinement forcé des bannis dans des îles nommément indiquées par
le prince (alors qu’il s’agissait autrefois de les écarter de Rome, sans aucun
contrôle de leur vie en exil). Les dispositions prises en 12 ap. J.-C. visent en
effet, parmi d’autres mesures coercitives ou limitatives de leur train de
vie, à contraindre les exilés à résider dans les lieux où ils ont été assignés
(R42b). Une telle limitation avait donc été introduite antérieurement dans
le courant de ce règne, plutôt qu’à l’époque triumvirale [RIVIÈRE 2008b].
Cette contrainte s’alourdit sous Tibère (14-37) de mesures empêchant
les exilés de transmettre leur patrimoine, non seulement en vertu
des règles du droit romain (ce qui était déjà le cas antérieurement, en
raison de la perte du droit de cité produite par l’interdiction de l’eau et du
feu), mais également au regard du droit des gens (ius gentium), comme
pourrait le laisser entendre l’observation laconique du résumé byzantin de
Dion Cassius (57, 22, 5) (R42f) [SANTALUCIA 2009 p. 407-421]. C’est sous ce
règne également qu’un sénatus-consulte infligea collectivement
« l’interdiction de l’eau et du feu » aux astrologues (Coll., 15, 2, 1) (R33).
Dès les premières années du Principat, l’aqua et igni interdictio fut désignée
comme une peine capitale. C’était bien sûr déjà le cas dès l’époque médio-
républicaine où elle est attestée pour la première fois historiquement
(R5c). Cependant, le bannissement consistait alors en un évitement de
la peine de mort. Une poursuite capitale pouvait ainsi se clôturer sans que
la cité soit contrainte de recourir à une exécution publique, cause de
trouble et de deuil dans la cité [DAVID 1984, p. 131]. À partir d’Auguste,
le banni ne put choisir la destination qui le tiendrait suffisamment à
distance de Rome. Il fut également « confiné » en un lieu déterminé, sur
l’ordre du prince. Le bannissement n’était plus un éloignement destiné à
éviter l’accomplissement d’une éxécution, c’était devenu une mise à mort
suspendue à la volonté du prince qui pouvait alors accorder en retour son
« indulgence », en rétablissant le condamné dans ses droits et peut-être
dans ses biens (R49). Condamné dans une poursuite capitale et maintenu
sous le contrôle de l’autorité judiciaire, l’exilé était devenu toujours
passible d’une exécution, en vertu du contrôle sur sa personne physique.
De nombreux exemples l’attestent sous l’Empire. Le plus circonstancié et
le plus emblématique d’entre eux est sans doute le sort réservé à l’ancien
préfet d’Égypte Aulus Avilius Flaccus. Les circonstances de son assassinat,
alors qu’il avait été confiné sur l’île d’Andros, sont détaillées par Philon
d’Alexandrie (20 av. J.-C-45 ap. J.-C. env.)dans un récit très précis de
l’installation, du séjour et de la mise à mort d’un exilé auquel le prince
avait accordé pourtant dans un premier temps la faveur d’éviter le séjour
dans l’île de Gyaros, la pire des Cyclades (Contre Flaccus, 151-191) [RIVIÈRE
2008b].
En dehors de la mention fournie par l’inscription du Senatus consultum
de Cn. Pisone patre, (R42e), toutes les mentions de « l’interdiction de l’eau et
du feu » relatives à l’époque julio-claudienne apparaissent uniquement
dans les Annales de Tacite. Elles concernent la répression du crime de lèse-
majesté dans le cadre de l’enquête sénatoriale (cognitio senatus) (R11) : qu’il
s’agisse du règne de Tibère en 20 ap. J.-C. (Annales, 3, 23, 2), en 21 ap. J.-
C. (3, 38, 2 ; 3, 50, 4), en 22 ap. J.-C. (3, 68, 2), en 33 ap. J.-C. (6, 18, 1), en
34 ap. J.-C. (6, 30, 1), du règne de Claude en 51 ap. J.-C. (12, 42, 3) ou du
règne de Néron en 65 ap. J.-C. (16, 12, 1). Le dernier condamné à
« l’interdiction de l’eau et du feu » connu est Valerius Licinianus qui, sous
le règne de Domitien (81-96), avait été jugé complice du crime d’incestus de
la vestale Cornelia et qui fut envoyé en Sicile où il se livra à
l’enseignement de la rhétorique en portant l’habit grec. Comme il était
déchu de sa citoyenneté romaine, la toga lui était interdite et il devait
revêtir le pallium. Ce détail vestimentaire est bien l’expression la plus
tangible de la perte de citoyenneté endurée par un banni (R42h).
Chez les juristes d’époque antonine Gaius et Africanus (R42i-R42m),
préoccupés des conséquences du bannissement relatives au droit privé, se
dessine la casuistique qui se développera abondamment à l’époque
sévérienne au sujet de la deportatio. Le bannissement est assimilé sous ses
deux désignations à une mort civique assortie d’une confiscation
complète du patrimoine. On ne saurait préciser les raisons pour lesquelles
la langue du droit a écarté délibérément en quelques décennies la formule
pluriséculaire de l’aquae et ignis interdictio au profit du terme
deportatio/deportare dont la lointaine origine, en matière de châtiments,
remonte à l’époque de la seconde guerre punique (218-202 av. J.-C.),
comme l’atteste le dossier du parrricide (R35). Cependant, ce changement
lexical est très nettement attesté par les derniers juristes qui recourent à
une formule ancienne dont la dernière apparition se trouve dans
une constitution de Sévère Alexandre (43i) ou dans un texte constantinien
qui pourrait avoir été interpolé (43j). Justinien connaît la désignation de
« l’interdiction de l’eau et du feu » et le sens qu’elle revêt, mais il
la considère comme un archaïsme (R42u). Il la mentionne au sujet de
la non dissolution du mariage du déporté, un principe admis depuis
l’époque sévérienne au moins.
43

Deportatio : confinement dans


une île et apatridie sous l’Empire
(des Sévères à Justinien)

a. Incapacité testamentaire et exclusion


territoriale des déditices (Gaius,
Institutes, extrait du livre 1, 25-27 ;
161 ap. J.-C. env.)
Quant à ceux qui comptent parmi les déditices, ils ne peuvent en
aucune façon recevoir une propriété en vertu d’un testament, pas plus que
n’importe quel pérégrin. Bien plus, ils ne peuvent pas faire de testament,
selon l’opinion la plus répandue. C’est pourquoi ceux qui comptent parmi
les déditices jouissent de la forme de liberté la plus mauvaise, et aucun
accès à la citoyenneté romaine ne leur est octroyé, ni par une loi, ni par
un sénatus-consulte, ni par une constitution du prince. Bien plus, il leur
est interdit de demeurer dans la ville de Rome ou à l’intérieur du rayon
des cent milles autour de la ville de Rome. En conséquence, si certains
agissent contre ces dispositions, qu’on ordonne de les vendre aux
enchères publiques, eux-mêmes ainsi que leurs biens, et sous cette
condition qu’ils ne soient esclaves, ni dans la ville de Rome, ni à l’intérieur
du rayon des cent milles autour de la ville de Rome, et que jamais ils ne
soient affranchis. S’ils venaient toutefois à être affranchis, qu’on ordonne
qu’ils soient esclaves du peuple romain. De telles dispositions sont
contenues dans la loi Aelia Sentia.

b. Déportation, confiscation des biens


et saisie d’un dépôt (Tryphonien,
Sur les discussions, extrait du livre 9,
fr. 31 Lenel = Digeste,
16, 3, 31, pr. ; composé sous le règne
conjoint de Caracalla et Géta, puis sous
Caracalla, publié au plus tôt sous Sévère
Alexandre, de 222 à 235)
La bonne foi qui est requise dans les contrats tend vers l’équité la plus
grande : mais doit-on évaluer celle-ci au regard du droit des gens (ius
gentium) purement et simplement, ou en tenant compte des préceptes
civils et prétoriens ? Admettons que le prévenu (reus) dans un jugement
capital ait placé en dépôt auprès de toi cent sesterces. La personne en
question a été déportée, ses biens ont été confisqués (publicare).
La question se pose de savoir si ces cent sesterces doivent être rendus à
cette personne ou s’ils doivent être déposés au Trésor public. Si l’on
considère seulement le droit naturel ou droit des gens (ius gentium), ils
doivent être restitués à celui qui les a confiés. Si l’on considère le droit
civil et l’ordre des lois, ils doivent être plutôt déposés au Trésor public :
car celui qui s’est mal comporté envers l’intérêt public, afin que son
exemple serve à détourner (deterrere) les crimes (maleficia) qui seraient
commis par d’autres, celui-là doit menacer ruine dans l’indigence
(egestas).

c. Le déditice (statut du déporté)


est un étranger « sans cité déterminée »
(Pseudo-Ulpien, extrait du Livre unique
des Règles, 20, 14 ; vers 211/212 ap. J.-C.)
Ni le latin junien, ni la personne que l’on compte parmi les déditices,
ne peuvent faire de testament. Le latin d’une part, parce que cela lui est
explicitement interdit par la loi Iunia <Norbana>, celui que l’on compte
parmi les déditices d’autre part, parce qu’il ne peut tester, ni comme
un citoyen romain, puisqu’il est pérégrin, ni comme un pérégrin, parce
qu’il n’est citoyen d’aucune cité déterminée. Il ne peut donc disposer de sa
propriété par testament conformément aux lois.

d. Déportation de la femme, non-


dissolution du mariage, et conservation
de la dot par le mari (Ulpien, Commentaire
à l’édit, extrait du livre 33, fr. 964 Lenel
= Digeste, 48, 20, 5, 1 ; époque
de Caracalla, de 198 à 217)
Si une fille de famille est déportée, Marcellus affirme, et cet avis est
juste, que le mariage n’est pas du tout dissout par la déportation : en effet,
puisque la femme reste libre, rien n’empêche l’homme de conserver
l’affection d’un mari, ni la femme la disposition d’une épouse (uxoris
animus). Par conséquent, si la femme se trouve dans la disposition de se
séparer du mari, selon Marcellus, le père engagera une action pour
récupérer la dot. Cependant, s’il s’agit d’une mère de famille
(materfamilias) déportée et que le mariage est maintenu, le mari conserve
la dot en sa possession. Par la suite, cependant, si le mariage venait à être
dissout, elle pourrait agir en justice, par égard pour l’humanitas, comme si
l’action était née d’aujourd’hui.

e. Les déportés sont privés de capacité


testamentaire en raison de leur apatridie
(Ulpien, Sur les fidéicommis, extrait
du livre 1, fr. 1847 Lenel = Digeste,
32, 1, 2-5 ; composé probablement
en 214 ap. J.-C.)
2. Ceux auxquels on interdit l’eau et le feu, de même que les déportés,
ne peuvent laisser un fidéicommis, parce qu’ils n’ont pas le droit de faire
un testament, puisqu’ils sont apolides. 3. Par déportés il faut entendre ceux
auxquels le prince assigne (adnotare) des îles, ou ceux au sujet desquels il a
écrit qu’ils devaient être déportés. Il en va autrement lorsque l’acte du
gouverneur n’a pas encore été confirmé par le prince : on ne peut dans ce
cas considérer que la citoyenneté a été ôtée (ciuitatem amittere) au
prévenu. Si ce dernier décède avant que ne parvienne la confirmation du
prince, ce décès est celui d’un citoyen et le fidéicommis qu’il a laissé avant
d’endurer une telle sentence demeure valide. Mieux encore, s’il a laissé
un fidéicommis après que la sentence du gouverneur a été prononcée
alors même que celle-ci n’a pas encore été confirmée par le prince, <le
fidéicommis> demeure valide. En effet, il [le prévenu] jouissait encore
jusque là d’un statut déterminé. 4. Ceux qui ont été déportés par le préfet
du prétoire, ou par celui qui instruit à la place du préfet en vertu
des mandats du prince, ou encore par le préfet de la Ville (puisque le droit
de déporter lui a également été octroyé par une lettre du divin Sévère et
de notre empereur), perdent la citoyenneté sur-le-champ. Par conséquent,
c’est un fait établi qu’ils ne disposent ni du droit de faire un testament, ni
de léguer par fidéicommis. 5. Quelqu’un a été déporté dans une île au
terme d’une procédure entièrement menée jusqu’à sa fin et il y a rédigé
des codicilles, puis il a été rétabli dans ses droits en vertu de l’indulgence
(indulgentia) de l’empereur : s’il vient à mourir tandis que les codicilles
demeurent inchangés, l’on peut défendre le point de vue suivant lequel
le fidéicommis est valable, pourvu que sa volonté demeure inchangée.

f. Temps de la conception des enfants


et temps de la déportation (Ulpien,
Des fidéicommis, extrait du livre 10,
fr. 1860 Lenel = Digeste,
36, 1, 18, 5 ; composé probablement
en 214 ap. J.-C.)
Je me souviens d’une discussion issue d’un cas concret : une femme
avait demandé à son fils, s’il venait à mourir sans enfants, de remettre
la succession à son frère : ce fils, après avoir été déporté dans une île, avait
engendré des enfants. On se demandait par conséquent si la condition du
fidéicommis faisait défaut. Nous exprimons à ce sujet l’avis suivant :
les enfants conçus avant la déportation, quoiqu’ils soient mis au monde
après, font que la condition manque, tandis que ceux qui ont été conçus
après la déportation, comme s’ils avaient été engendrés par une autre
<personne> ne peuvent se présenter <à la succession>, à plus forte raison,
puisqu’en outre les biens en même temps que la cause en quelque sorte
doivent être revendiqués par le fisc.

g. Certains condamnés sont « esclaves


de la peine », d’autres sont apolides, c’est-
à-dire « sans cité » (Marcien,
Des Institutions, extrait du livre 1,
fr. 49 Lenel = Digeste, 48, 19, 17, 1 ; publié
après 217 ap. J.-C.)
Pr. Certains sont esclaves de la peine (serui poenae), tels ceux qui ont
été livrés à la mine (metallum) et au travail de la mine (opus metalli). Et si
quelque chose leur a été donné par testament, cela est considéré comme
n’ayant fait l’objet d’aucune écriture, comme si cela n’avait pas été donné
à un esclave de César, mais à un esclave de la peine. 1. De même, certains
sont apolides, c’est-à-dire qu’ils sont sans cité (ciuitas). C’est le cas de ceux
qui ont été livrés aux travaux publics à perpétuité et des déportés dans
une île, de telle sorte qu’ils ne disposent pas des <éléments> qui relèvent
du droit civil, mais disposent de ceux qui relèvent du droit des gens.
h. Le déporté perd le « droit de cité »
et la capacité testamentaire du citoyen ;
il relève alors du « droit des gens »
(Marcien, Des <jugements> publics, extrait
du livre 2, fr. 214 Lenel = Digeste,
48, 22, 15, pr. ; 48, 22, 16 ; 48, 24, 2 ; 218 a
p. J.-C. ou peu après)
fr. 214 Lenel = Digeste, 48, 22, 15, pr. Le déporté perd le droit de cité,
il conserve la liberté, et puisqu’il est privé du droit civil (ius ciuile), il a
recours au droit des gens (ius gentium). C’est pourquoi il achète, il vend, il
loue à bail, il pratique l’échange, il pratique le prêt à intérêt et d’autres
opérations semblables. En conséquence, c’est à bon droit qu’il engage à
titre d’hypothèque les choses qu’il a acquises après sa condamnation.
Aussi, ceux qui ont une créance sur ces choses en vertu d’un contrat passé
de bonne foi avec ce dernier doivent être préférés au fisc au moment de
la succession du déporté défunt. Car le déporté ne peut pas aliéner
les biens qui ont été acquis depuis la condamnation. Celui qui est déporté
par un gouverneur, sans que le prince ait été consulté, peut instituer
des héritiers et recevoir des legs. fr. 215 Lenel : Digeste, 48, 22, 16. Alors
qu’Ulpianus Damascenus avait demandé par requête à l’empereur qu’il lui
soit autorisé de laisser en héritage à sa mère déportée les choses
nécessaires à sa subsistance, de même qu’une mère par l’intermédiaire de
son affranchi avait également demandé par requête qu’il lui soit permis de
laisser en héritage certaines choses à son fils déporté, l’empereur Antonin
leur avait ainsi répondu par rescrit : « ni un héritage, ni un legs, ni
un fidéicommis ne peuvent être laissés à ce genre de personnes, à moins
d’aller à l’encontre de la coutume et de la loi publique et il n’y a pas lieu de
modifier la condition de ces personnes : pourtant puisque votre demande
est inspirée par la piété, je vous autorise par votre dernière volonté à leur
laisser les choses nécessaires à leur subsistance et à d’autres besoins,
comme si quelque-chose leur revenait dans des causes de ce genre, et qu’il
leur est permis de recevoir ». Fr 216 Lenel = Digeste, 48, 24, 2. Si
quelqu’un a été déporté ou relégué dans une île, la peine demeure même
après sa mort (poena etiam post mortem manet) : et il n’est pas permis de
transporter <sa dépouille> depuis ce lieu et de lui donner une sépulture
(sepelire) sans avoir consulté le prince, comme Sévère et Antonin l’ont dit
très souvent dans leurs rescrits, et alors même qu’ils ont accordé cette
faveur (indulgere) aux nombreuses requêtes <qui leur ont été adressées>
(petere).

i. Absence de dissolution du mariage :


« le malheur du mari », « l’inclination
de la femme », et la dot (Rescrit
de Sévère Alexandre à Avitiana, Code
de Justinien, 5, 17, 1 ; 5 novembre
229 ap. J.-C.)
Assurément, le mariage n’est pas dissout par la déportation, ni par
l’interdiction de l’eau et du feu, si le malheur dans lequel tombe le mari
n’altère pas l’inclination de la femme. C’est pourquoi l’action dotale ne
s’applique pas en vertu du droit lui-même ; cependant, ni le principe de
l’équité, ni les exemples du passé ne permettent de laisser sans dot, celle
dont le dessein doit être loué.
Affiché aux nones de novembre sous le consulat de Sévère Alexandre,
pour la troisième fois, et de Dion.
j. Que la femme ne soit pas atteinte
par « le châtiment du crime commis
par un autre » (Constantin à A. Petronius
Probanius, Code de Justinien,
5, 16, 24 ; 27 février 321)
Pr. J’ordonne que les affaires de la femme qui lui étaient parvenues de
droit, soit par voie quelconque de succession, soit par contrat de vente,
soit même par une libéralité de l’homme avant la mise en accusation,
le mari ayant été condamné {et étant mort en application de la peine ou
réduit à la condition servile en application de la nature de la peine},
j’ordonne que ces affaires soient conservées dans leur intégralité et qu’en
raison du châtiment du crime commis par un autre, la femme ne soit pas
atteinte, puisqu’il est conforme à la religion, suivant l’ordre des lois, que
celle-ci ait intégralement la jouissance des biens paternels et maternels et
des siens propres. 1. Et que la donation maritale remise à la femme
antérieurement au crime et à la mise en accusation, parce qu’elle se
présente en récompense de sa vertu, soit respectée, comme si c’était
la nature et non un châtiment qui avait emporté son mari. 2. {Mais si on
lui a interdit l’eau et le feu ou si la déportation lui a été infligée, la mort
n’ayant pas été immédiatement infligée en raison de la peine, que
les donations remises par l’homme à la femme demeurent en suspens,
parce que le mariage n’est pas dissout dans des cas de ce genre, de telle
sorte que, si le mari ne les a pas révoquées avant le terme de sa vie, elles
soient confirmées par sa mort. Notre fisc ne dispose à l’avenir d’aucune
participation à la revendication de ces affaires}.
Donnée le 3 des calendes de mars à Serdica, sous le consulat de
Crispus, pour la seconde fois, et de Constantin, pour la seconde fois,
Césars.
*
* *

La peine de « déportation » (deportatio) s’est substituée à l’ancienne


désignation du bannissement, « l’interdiction de l’eau et du feu » au
commencement de l’époque sévérienne (R42r-s-u). Le verbe deportare lui-
même renvoie à une très ancienne procédure d’expiation ou procuration
des prodiges. Celle-ci est attestée, à partir de la seconde guerre punique,
dans le cas de l’élimination de l’androgyne ou du parricide (R35). Dans
la littérature des deux premiers siècles de l’Empire, dès l’œuvre de Tite-
Live, les termes deportare ou deportatio ne sont que très occasionnellement
attestés pour désigner le déplacement d’un exilé, leur acception est très
large et s’applique à tout déplacement (maritime dans la plupart des cas),
à l’exception de deux allusions érudites à l’ancien rite d’expiation (Pline
l’Ancien, 7, 36 ; 7, 69) [RIVIÈRE 2018a]. La première apparition du verbe
deportare dans un texte juridique pourrait être un rescrit d’Hadrien (R2e),
« mentionné », plutôt que « cité » par Marcien qui n’en avait pas
une connaissance précise et qui en résume le contenu, un siècle après, en
recourant au lexique bureaucratique de son époque [GUALANDI 1963, p. 23].
Dans ce texte un père est condamné à être déporté pour avoir
manifestement assassiné son fils, coupable d’adultère avec sa belle-mère
(l’épouse du père), à l’occasion d’une chasse. Un tel geste, en raison du
mobile, ne saurait être assimilé à l’exercice du « droit du père ». À
une exception près (Code de Justinien, 6, 24, 1), mal établie, aucune mention
de la deportatio conservée dans le Code de Justinien n’est antérieure à
l’époque sévérienne, tandis que l’emploi de ce mot s’impose dans
la langue des juristes pour désigner l’exil assorti d’une mort civique, par
opposition à la relegatio (R44). Devenus étrangers à la cité de Rome, ces
condamnés ne sauraient être accueillis par aucune autre cité de l’Empire
dont ils pourraient recevoir la citoyenneté. Confinés dans une île qui leur
a été assignée par l’empereur lui-même, puisque la sentence d’un
gouverneur doit toujours être confirmée par le prince, à la différence de
celle du préfet de la Ville (R12), ils n’ont plus d’appartenance civique. Ces
étrangers (peregrini) sont donc assimilés à des ennemis qui se seraient
rendus à la puissance de Rome, ou à des esclaves dont l’affranchissement
n’aurait pas été réalisé dans les règles reconnues par la cité. Les uns et
les autres sont alors des « déditices » (dediticii), ou encore, selon
l’étonnante formulation du Pseudo-Ulpien, le déporté est « un citoyen
sans aucune cité déterminée » (nullius certae ciuitatis ciuis est) (R43c).
Comprenons qu’il demeurait libre en dehors de toute citoyenneté et que
la « condition d’étranger » (peregrinitas) qui lui était reconnue visait à
combler un vide statutaire, alors qu’il n’accédait pourtant à aucune
législation spécifique d’aucune cité pérégrine [HUMBERT 1976, p. 239-240]. Ce
n’est sans doute qu’à l’époque byzantine que ce statut de « pérégrins
déditices », c’est-à-dire d’étrangers dépourvus de tout rattachement à
une cité, qui n’était sans doute plus compris [VOLTERRA 1991a ; VOLTERRA
1991b], ou qui était simplement tombé en désuétude [LEMOSSE 1991], a été
résumé par un mot grec qui peut être considéré comme
une interpolation : les déportés sont des apolides, c’est-à-dire, ce à quoi
le droit contemporain répugne, des « apatrides » (R43g). Leur patrimoine
est confisqué, y compris la somme qu’ils auraient remise en dépôt à
un tiers et ils sont ensuite dépourvus de capacité testamentaire. Sans
doute ne sont-ils pas entièrement dépourvus de biens sur l’île où ils ont
été bannis, mais les opérations de négoce qu’ils auraient accomplies grâce
à ce patrimoine qui leur aurait été concédé par indulgentia du prince
(R49) ne sont valables qu’au regard du droit des gens (ius gentium) et sans
valeur au regard du droit romain, conformément sans doute à ce qui avait
déjà été établi pour les condamnés à « l’interdiction de l’eau et du feu »
sous Tibère (R42f). Tous les liens avec la cité sont rompus, à l’exception du
mariage qui demeure valide puisque le mariage romain n’est pas un acte
de droit public : il est maintenu tant que le consentement entre les époux
subsiste [HUMBERT 1972]. Le maintien du mariage était pourtant absurde au
regard des principes de la deminutio capitis puisqu’une union légitime ne
pouvait s’accommoder de l’existence d’un époux déchu de sa citoyenneté.
Un tel maintien aurait d’abord répondu à un souci d’humanitas [HARTMANN
1888, p. 47-49]. Ce n’est donc qu’en cas de séparation volontaire que la dot
pouvait être exigée par le père de la femme auprès du mari déporté (R43j).
Au regard de la puissance paternelle et de la filiation, les enfants du
déporté ne sont reconnus comme tels que si l’on admet que la conception
est antérieure à la condamnation, puisqu’à l’issue de celle-ci, le déporté
est considéré comme mort : c’est ainsi que la condition d’un fidéicommis
lui enjoignant de transmettre ses biens à son frère s’il venait à mourir sans
descendance est valable si ses enfants ont été conçus postérieurement à
la condamnation. Ils sont alors considérés comme « nés d’une autre
personne » (R43f) [RIVIÈRE 2008].
Sur le plan procédural, lorsque la peine de deportatio est prononcée par
le gouverneur, elle doit être confirmée par le prince (c’est lui qui assigne
spécifiquement l’île où cet exilé se trouvera confiné) avant de prendre
effet. Tous les actes accomplis dans l’intervalle demeurent valides, car
la déchéance n’est pas encore considérée comme effective, de manière
comparable à ce qui peut se produire en cas d’appel au prince (R50g). En
revanche, cette déchéance civique découle immédiatement de la sentence
lorsqu’elle est prononcée par le préfet du prétoire ou par le préfet de
la Ville (R12).
44

Relegatio : exil et préservation


de la condition civique sous l’Empire

a. Une mise à distance de la ville de Rome


ou d’un autre lieu (Verrius Flaccus,
De la signification des mots, fin de l’époque
augustéenne ; d’après l’abrégé de Festus,
p. 348 Lindsay, 2e moitié du IIe siècle ap. J.-
C.)
On appelle à proprement parler relégués ceux qui, en raison d’une
peine ou d’une dégradation (ignominia) sont obligés de se tenir à distance
(abesse) de la ville de Rome ou d’un autre lieu, en vertu d’une loi, d’un
sénatus-consulte ou de l’édit d’un magistrat.
b. Gradation des peines envers ceux
qui ne respectent pas la sentence (deux
rescrits d’Hadrien (117-138) cités
par Callistrate, Des enquêtes
(De cognitionibus), extrait du livre 6,
fr. 45 Lenel = Digeste, 48, 19, 28, 13-14 ;
sans doute sous Septime Sévère, de 193 à
211)
13. À l’égard des exilés (exules), l’empereur Hadrien a établi par un édit
une hiérarchie des peines (gradus poenarum) : si celui qui a été condamné à
la relégation pour une durée déterminée revient <avant l’achèvement de
sa peine>, il sera relégué dans une île ; si celui qui a été relégué dans
une île en est sorti, il sera déporté dans une île ; si celui qui a été déporté
s’échappe, il subira la décapitation (capite punire). 14. D’une manière
identique, le même prince a répondu dans un rescrit qu’à l’égard
des individus privés de liberté (custodiae) il fallait observer la gradation
suivante : que ceux qui étaient condamnés aux travaux publics pour
un temps, soient condamnés à perpétuité ; que ceux qui étaient
condamnés à perpétuité, soient condamnés à la mine. Ceux qui alors qu’ils
étaient condamnés à la mine se seront rendus coupables d’une évasion
doivent subir le supplice suprême (summum supplicium).
c. « Un relégué ne peut séjourner
à Rome… ni dans la cité où se trouve
le prince », Callistrate, Sur les enquêtes,
extrait du livre 6 (probablement),
fr. 53 Lenel = Digeste, 48, 22, 18, pr. ; sans
doute sous Septime Sévère, de 193 à
211 ap. J.-C.)
Un relégué ne peut séjourner à Rome, si cela n’est pas inclus dans
la sentence, car il s’agit de la commune patrie. Et il ne peut pas séjourner
dans la cité où séjourne le prince ou par laquelle il passe. En effet, seuls
ceux qui peuvent entrer dans Rome sont autorisés à porter leurs regards
sur le prince, puisque le prince est le père de la patrie.

d. La relégation est une perte


de la « considération » (existimatio),
moins grave que la mort civique
entraînée par « l’interdiction de l’eau
et du feu » (Callistrate, Sur les enquêtes,
extrait du livre 1, fr. 10 Lenel = Digeste,
50, 13, 5, pr.-3 ; sans doute sous Septime
Sévère, de 193 à 211 ap. J.-C.)
Pr. Dans la mesure où le nombre des enquêtes (cognitiones) tire son
origine de causes variées, on ne peut pas facilement le diviser en
catégories (genera), à moins d’établir une division sommaire. Par
conséquent, d’ordinaire, le nombre des enquêtes peut être divisé en
quatre catégories : en effet, ou bien on s’occupe de l’exercice des honneurs
ou des charges, ou bien on se prononce sur une affaire pécuniaire, ou bien
on enquête (cognoscere) au sujet de la considération (existimatio) de
quelqu’un, ou bien on mène l’instruction (quaerere) au sujet d’un crime
capital (capitale crimen). 1. La considération est un état où le rang (dignitas)
n’est pas lésé, est reconnu par les lois et par les coutumes, et qui, en raison
du délit que nous commettons, peut être soit amoindri, soit détruit par
l’autorité des lois. 2. La considération est diminuée, à chaque fois que nous
sommes punis d’une peine qui touche à l’état de la dignité, par exemple
lorsque quelqu’un est relégué, lorsqu’il est écarté de son ordre, lorsqu’il
est empêché d’exercer des charges publiques ou bien, s’il s’agit d’un
plébéien lorsqu’il est frappé à coups de bâtons ou livré aux travaux
publics, ou lorsque quelqu’un tombe dans l’une de ces causes, que l’édit
perpétuel énumère parmi les causes d’infamie. 3. Cependant,
la considération est entièrement détruite, chaque fois que se présente
la grande diminution de l’existence civique (caput), c’est-à-dire lorsque
la liberté est enlevée, comme par exemple lorsque l’on interdit l’eau et
le feu, ce qui se produit à l’égard de la personne des déportés, ou lorsqu’un
plébéien est livré au travail de la mine (opus metalli) ou à la mine
(metallum). Il n’existe aucune distinction, en effet, ni aucune différence,
entre le travail <de la mine> et la mine, si ce n’est que ceux qui ont fui
(refugae) le travail <de la mine> ne subissent pas la mort, mais sont soumis
à la peine de la mine (poena metalli).
e. Typologie de la relégation
et compétences territoriales
des gouverneurs (Ulpien, De la fonction
du proconsul, extrait du livre 10,
fr. 2243 = Digeste, 48, 22, 7-19 ; entre
212 et 217 ap. J.-C.)
Pr. Il existe deux sortes de relégués : il y a ceux qui sont relégués dans
une île, et ceux auxquels on interdit des provinces sans même qu’une île
leur soit assignée. 1. Les gouverneurs de province peuvent reléguer dans
une île, à condition toutefois qu’ils aient une île sous leur <autorité> (c’est-
à-dire une île qui entre dans la délimitation de la province (forma
prouinciae) qu’ils administrent). Dans ce cas, ils peuvent assigner
expressément cette île et reléguer dans celle-ci. En revanche, s’ils n’ont
pas d’île de leur ressort, qu’ils prononcent la relégation et qu’ils écrivent à
l’empereur pour qu’il assigne lui-même l’île. Autrement ils ne peuvent pas
condamner dans une île située dans une province qu’ils ne ne gouvernent
pas. Le temps que l’empereur assigne une île, le relégué doit être remis à
un soldat. 2. La différence entre les déportés et les relégués tient au fait
que quelqu’un peut être relégué dans une île soit pour un temps <limité>
(ad tempus), soit à perpétuité (in perpetuum). 3. Quiconque a été relégué
pour un temps <limité> ou à perpétuité conserve la citoyenneté (ciuitas) et
ne perd pas sa capacité testamentaire (testamenti factio) 4. Comme
l’attestent explicitement certains rescrits, on ne doit pas enlever leur
biens (bona adimere), ni en totalité, ni en partie, à ceux qui ont été relégués
pour un temps <limité>. Les sentences prononcées par ceux qui ont ôté
leurs biens, soit en totalité soit en partie, aux relégués ont été amendées
(reprehendere), mais pas au point toutefois d’invalider (infirmare) <sur
le fond> les sentences qui ont ainsi été prononcées. 5. Dans la province
d’Égypte, la relégation dans la <Grande> Oasis peut être considérée comme
une sorte de relégation dans une île. 6. De la même façon qu’un
gouverneur n’a pas le pouvoir de reléguer dans une île qui n’est pas de son
ressort, il ne dispose pas non plus du droit de reléguer dans une province
quelconque qui n’est pas de son ressort. Le gouverneur de Syrie, par
exemple, ne reléguera pas en Macédoine. 7. Mais il peut reléguer <par
une exclusion> hors de sa province 8. Le gouverneur a le pouvoir de
contraindre par la relégation à séjourner dans une partie spécifique de
la province (in parte certa), de telle sorte par exemple que l’on ne quitte pas
telle cité ou que l’on ne sorte pas de tel district (regio). 9. Mais je sais que
les gouverneurs ont l’habitude de reléguer dans ces parties de la province
qui sont les plus désertes. 10. Il peut interdire la province qu’il dirige et
pas une autre, comme les divins frères l’ont répondu dans un rescrit. Il
découlait que celui qui avait été relégué hors de la province où il avait eu
sa résidence (domicilium), pouvait séjourner dans celle où il avait son
origine (origo). Mais notre empereur et son divin père ont pourvu à cette
difficulté. Ils ont en effet répondu par rescrit à Maecius Probus,
gouverneur de la province d’Espagne, que la province d’où <le condamné>
est originaire peut être interdite par <le gouverneur> qui dirige
la province où il a sa résidence (domicilium). Mais de plus il est juste que
l’autorité de ce rescrit s’applique aussi à ceux qui, alors qu’ils n’en sont
pas des habitants (incolae), ont commis quelque <crime> dans cette
province. 11. On s’est demandé si un gouverneur pouvait interdire à
quelqu’un la province, dans laquelle il a son origine, alors même que <ce
gouverneur> se trouve à la tête de la province où habite <le prévenu> et ne
lui interdit pas celle-ci (suivant l’habitude répandue d’interdire l’Italie,
sans interdire la patrie), ou si, par voie de conséquence, il apparaissait que
la province à la tête de laquelle il se trouvait était aussi interdite. On
souscrira de préférence à ce second choix. 12. À l’inverse, <le gouverneur>
qui se trouve à la tête de la province d’origine ne dispose pas du droit
d’interdire la province où habite celui qui est relégué. 13. Si <un
gouverneur> accepte une sentence en vertu de laquelle <le prévenu> qui a
perpétré <un crime ou un délit> quelconque dans une autre province
puisse être relégué par celui qui est à la tête de cette province, il ressort
que ce relégué doit se tenir éloigné de trois provinces, sans compter
l’Italie, à savoir de celle où il a commis le délit, de celle qu’il habite et de
celle de son origine. 14. Et pourtant, on accorde à certains gouverneurs
la possibilité d’interdire plusieurs provinces, comme c’est le cas pour
les gouverneurs des Syries mais aussi des Dacies. 15. Il est établi que ceux
auxquels on a interdit leur patrie doivent également se tenir éloignés de
la Ville. On ne considère pas en revanche que celui auquel on a interdit
la Ville doit également être interdit de sa patrie, comme le prévoient de
nombreuses constitutions. 16. Si quelqu’un est explicitement interdit non
pas de <séjour dans> sa patrie, mais de telle cité, il faut examiner si nous
disons alors qu’il est interdit à la fois de sa patrie et de la Ville. Cet <avis>
l’emporte. 17. Il est dans la compétence des gouverneurs et conforme à
leur habitude de préciser à l’attention de ceux qui sont relégués le jour où
ils doivent quitter les lieux (excidere). 18. Et en effet selon la coutume on
prononce les mots suivants : « Je relègue untel dans telle province et dans
ces îles et il devra quitter les lieux avant tel jour ». Les divins frères ont
répondu dans un rescrit que le relégué pouvait adresser au prince
une supplique (libellus). 19. On a par ailleurs l’habitude d’interdire par
un jugement à certains <relégués> de résider sur le territoire de <leur>
patrie ou à l’intérieur des murs [d’une ville] ou <inversement> ils ne
doivent pas sortir de leur patrie ou de certains bourgs (uici). 20. On a pour
habitude d’interdire aux décurions <l’appartenance à> leur ordre soit pour
un temps <limité> soit à perpétuité. 21. On peut également infliger à
quelqu’un une peine qui l’empêche de parvenir aux magistratures. Ceci
n’a pas pour conséquence qu’il cesse d’être décurion, alors qu’il a pu être
<élevé à ce rang>, mais qu’il ne peut être admis aux magistratures alors
même qu’il est décurion. De la même façon quelqu’un peut être sénateur
sans revendiquer les magistratures. 22. On peut également interdire
spécificiquement une magistrature à quelqu’un, à condition toutefois que,
si on interdit une magistrature à cette personne, non seulement il ne
puisse pas prétendre à la magistrature en question, mais à celles
également qui sont plus élevées <dans la hiérarchie du cursus honorum>. Il
est tout à fait ridicule que quelqu’un à qui <les magistratures> les moins
élevées ont été interdites en raison d’une peine, aspire aux plus élevées.
Cependant, si l’accès aux magistratures de rang plus élevé est interdit, il
n’est pas interdit de prétendre à celles qui sont hiérarchiquement moins
élevées. Mais pour ce qui concerne les charges (munera), si quelqu’un a été
interdit <d’une magistrature>, la sentence n’aura aucun impact. La peine
ne doit pas conduire en effet à une exemption de charges (immunitas). En
conséquence, si une interdiction des magistratures a été stipulée par
une peine, on pourra dire que, si de telles magistratures sont
indissociables de la lourde dépense d’une charge (munus), l’infamie
(infamia) qui a été infligée à ce <condamné> ne deviendra pas un avantage
à cet égard.

f. Les différentes interdictions


prononcées par les gouverneurs (Ulpien,
Sur la fonction du proconsul, extrait
du livre 10, fr. 2246-2247 Lenel = Digeste,
48, 19, 9, pr.-10 ; entre 212 et 217 ap. J.-C)
Pr. Il est habituel que les gouverneurs interdisent <d’accéder aux>
plaidoiries. Parfois ils interdisent à perpétuité, parfois pour un temps
<limité> ou en établissant un décompte des années, voire pour le temps
durant lequel ils dirigent la province. 1. Et le gouverneur peut également
interdire à quelqu’un d’assister <en justice> certaines personnes en
particulier. 2. Il peut ainsi interdire à quelqu’un de déposer une plainte
(postulare) devant le tribunal du gouverneur, alors même qu’il n’est pas
empêché d’agir devant le légat ou le procurateur. 3. Cependant, s’il a été
empêché de déposer une plainte devant le légat, je crois qu’en
conséquence il ne conserve pas la capacité de déposer une plainte devant
le gouverneur. 4. Parfois on ne lui interdit pas seulement <d’accéder aux>
plaidoiries, mais au forum. Or l’interdiction du forum est plus large que
la seule interdiction des plaidoiries puisqu’il ne lui est pas permis de
s’appliquer à aucune des activités du forum. Ce type d’interdiction vise
d’habitude les étudiants en droit, les avocats, les tabellions, ou encore
les auxiliaires des orateurs. 5. On a ainsi pour habitude de leur interdire
l’établissement de documents (instrumenta), la rédaction de libelles,
la consignation de témoignages. 6. Pour habitude également de
les empêcher de demeurer dans un lieu où sont déposés publiquement
des documents, dans un dépôt d’archives, qu’il s’agisse d’un archiuum ou
d’un grammatophylacium. 7. Pour habitude enfin de les empêcher de
mettre en ordre, de rédiger ou de signer des testaments. 8. Il y a
également une peine qui empêche d’intervenir dans les affaires publiques.
L’assistance aux affaires privées n’est pas alors prohibée, seule l’est
l’assistance aux affaires publiques, comme lorsque la sentence impose à
certains dèmosiôn apechesthai, d’être écarté des affaires publiques. 9. Il
existe encore d’autres peines : si on ordonne à quelqu’un de s’abstenir de
toute entreprise commerciale (negotiatio) ou de prendre part à un contrat
public d’affermage, tel que les impôts publics. 10. On a généralement
l’habitude d’interdire de participer à une ou plusieurs entreprises
commerciales. Mais voyons s’il est possible de condamner quelqu’un à
faire du commerce. Pour s’en tenir aux principes généraux, les peines qui
consistent à ordonner à un homme, contre sa volonté, de faire quelque
chose qu’il ne veut pas faire, sont considérées comme relevant de
la brutalité. Mais si, au-delà de ces principes, on envisage la question au
cas par cas, ce peut être une juste cause que de contraindre quelqu’un à
poursuivre une activité commerciale. Et si une telle chose advient, il
faudra appliquer la sentence.

g. Punition du recel des relégués (Ulpien,


Sur la fonction du proconsul, extrait
du livre 10, fr. 2248 Lenel = Digeste,
48, 22, 11 ; entre 212 et 217 ap. J.-C.)
Dans certains cas, une peine pécuniaire est infligée à ceux qui
apportent leur soutien (suscipere) aux relégués, dans d’autres cas
les premiers peuvent être eux-mêmes relégués, si les seconds ont été
relégués pour avoir commis un grand crime.

h. Les décurions n’encourent


pas les peines les plus graves (Ulpien,
Sur la fonction du proconsul, extrait
du livre 10, fr. 2249 Lenel = Digeste,
48, 19, 9, 11-16 ; entre 212 et 217)
11. Voici pratiquement la liste des peines que l’on a l’habitude
d’infliger. Mais de fait il faut savoir qu’il y a des différences parmi ces
peines dans la mesure où on ne peut pas infliger la même peine à tous. Car,
en premier lieu, les décurions ne peuvent pas être condamnés à la mine
(metallum), ni au travail de la mine (opus metalli), ni être soumis à
la fourche (furca), ni être brûlés vifs (uiui exuri) : et si jamais ils étaient
châtiés par une sentence de ce genre, ils devront être libérés. D’autant
plus que celui qui a prononcé la sentence n’a pas lui-même le pouvoir d’y
procéder. Il doit en vérité en référer au prince, de sorte qu’en vertu de son
autorité (ex auctoritate) la peine encourue par ce <condamné> soit
commuée ou qu’il en soit libéré. 12. À cet égard, les parents (parentes) et
les enfants (liberi) des décurions sont dans la même situation. 13. Par
« enfants » (liberi) ont ne doit pas seulement entendre les fils (filii), mais
tous les enfants. 14. Mais il faut examiner si parmi les enfants seuls ceux
qui sont nés après le décurionat <du père> ne sont pas exposés à ces
peines, ou si cela les concerne absolument tous, y compris ceux qui sont
nés dans une famille <qui était encore> plébéienne. Pour ma part je pense
plutôt que cela doit valoir pour tous. 15. Assurément si le père a cessé
d’être décurion, mais que le fils est né alors qu’il était décurion, cela lui
vaudra de ne pas être exposé <à ces peines>. En revanche s’il engendre
un fils après avoir été ravalé <au rang de> plébéien, ce dernier sera
considéré comme plébéien à sa naissance, et devra être puni en
conséquence. 16. Le divin <Antonin le> Pieux a répondu dans un rescrit
adressé à Salvius Marcianus que celui qui a été affranchi par testament
doit être puni comme un libre.

i. Marcien, Des institutions, extrait


du livre 13, fr. 153 Lenel = Digeste,
48, 19, 4 ; ouvrage publié après 217 ap. J.-
C.
Les relégués ou les déportés dans une île doivent se tenir éloignés
des lieux d’interdiction. Nous recourons également à ce droit pour que
le relégué <sorte> des lieux d’interdiction et ne sorte pas <de son île>. Sans
quoi, on ajoute au relégué à temps un exil à perpétuité, au relégué à
perpétuité la peine de la relégation dans une île, au relégué dans une île,
la peine de déportation, au déporté dans une île la peine capitale. Il en ira
ainsi, soit de celui qui ne se sera pas retiré en exil dans le délai qui lui était
imparti, soit encore de celui qui plus tard ne se sera pas conformé à l’exil.
Car la contumace augmente sa peine. Et personne, à l’exception de
l’empereur, ne peut donner à un exilé une autorisation de déplacement
(commeatus) ou de retour (remeatus), quel que soit le procès qui a précédé.

*
* *

Le terme de relegatio, en dehors de son acception large (fréquente chez


Tite-Live) relative à l’éloignement de citoyens consécutif aux
déplacements de l’armée ou à la fondation de colonies, s’appliquait
originellement à la sphère de la juridiction domestique. L’éloignement de
la domus pouvait en effet frapper un fils de famille sur l’ordre du père
[THOMAS 1984 ; THOMAS 1986]. Dans le plaidoyer Pour Sextus Roscius d’Amérie,
par exemple, l’accusateur prétend que le fils aurait commis un parricide
pour se venger d’un père qui « l’avait relégué dans ses propriétés rurales »
(in praedia rustica relegerat), tandis que le « relégué à la campagne » (rus
relegatus) est évoqué comme une figure de théâtre du répertoire
dramatique (Cicéron, Pour Sextus Roscius d’Amérie, 42 ; 46).
En dehors de ce contexte d’exercice de la puissance paternelle,
la plupart des occurrences de relegatio/relegare chez Cicéron se rapportent
à un épisode particulier qui aurait constitué un tournant dans l’histoire de
la coercitio et une entrave à la protection traditionnellement reconnue aux
citoyens. Si on en croit l’orateur, la relegatio du chevalier L. Aelius Lamia,
en 58 av. J.-C. qui avait été l’un de ceux qui s’étaient réunis en armes sur
le Capitole lors de la conjuration de Catilina, cinq ans auparavant (le
5 décembre 63 av. J.-C.), et qui de nouveau fut le principal protagoniste
d’une manifestation en faveur de l’orateur, peu de temps après son départ
en exil (afin d’obtenir son rappel immédiat), en 58 av. J.-C., aurait
constitué la première application de cette mesure d’exclusion à l’encontre
d’un citoyen de la part d’un magistrat romain : « il a été relégué par
le consul Gabinius ; une chose qui avant cette date ne s’était jamais
produite à Rome à l’encontre d’un citoyen romain » (Cicéron, Aux familiers,
11, 16). Plus précisément la décision prise par ce magistrat devant
une assemblée préparatoire du peuple (contio), sans aucun jugement et à
l’issue d’un édit, aurait exclu L. Aelius Lamia d’un rayon de 200 000 pas
autour de Rome (Cicéron, Pour Sestius, 29-30). On ne connaît en effet aucun
précédent à une telle mesure. Cependant, la possibilité offerte à
un magistrat de prononcer une relegatio par un simple édit, pour répondre
à une exigence de maintien de l’ordre, est reconnue un peu plus tard par
Festus (R44a). Le scandale que dénonce Cicéron de manière très polémique
tient dans le fait que la mesure de relegatio s’est appliquée à un citoyen de
premier rang, à un chevalier. Il est probable que la relégation
qu’infligeaient traditionnellement les magistrats dotés d’imperium à Rome
visait alors des étrangers. C’est à cette mesure coercitive que l’on a
recouru à l’encontre des philosophes, des rhéteurs, des Chaldéens ou
d’autres catégories « d’étrangers » [RIVIÈRE 2016], lorsque ces groupes
étaient simplement tenus à distance de la Ville sans encourir
un bannissement plus sévère, à savoir « l’interdiction de l’eau et du feu »,
à l’instar des Chaldéens en 17 ap. J.-C. (Coll., 15, 2, 1) (R33).
Sous l’Empire la relégation est devenue une peine prononcée
régulièrement dans les provinces par les gouverneurs. La Correspondance
de Pline le Jeune à Trajan (98-117) en témoigne. Elle atteste aussi
les obstacles qui se posaient à l’application effective de la sentence :
le nouveau gouverneur de Bithynie découvre en effet que des hommes
condamnés à la relégation par ses prédécesseurs résident toujours dans
la province, sans être aucunement inquiétés (R49b). On notera la réponse
de Trajan qui suggère de faire comparaître l’un d’eux qui a voulu par son
« obstination » (contumacia) éluder sa peine devant le préfet du prétoire à
Rome. De tels dysfonctionnements dans l’application de la peine méritent
également d’être rapprochés des rescrits d’Hadrien (117-138) qui
envisagent une échelle des peines (jusqu’à l’exécution capitale) pour
lutter contre la contumacia des exilés ou des condamnés aux travaux
publics (R33).
L’ensemble des dispositions relatives à la relegatio sont réunies par
Ulpien dans le second volet du développement sur les peines qui clôt son
traité Sur la fonction du proconsul. Le premier volet a donc été examiné plus
haut (R37) : il est essentiellement consacré aux peines capitales et
s’achève par la déportation dans une île qui en est la forme la moins
sévère, seulement réservée aux classes dirigeantes de l’Empire. Le second
volet ici commenté envisage dans un ordre dégressif les peines qui ne sont
pas capitales, depuis la forme d’exil la moins sévère, la relégation donc,
jusqu’à l’exclusion de l’ordre des décurions, l’interdiction de certaines
activités du forum ou d’accès à des documents publics.
À la différence de la déportation précédemment envisagée,
la relégation est une forme d’exil qui consiste en un simple éloignement
sans déchéance de citoyenneté ni confiscation automatique des biens,
même si celle-ci peut advenir afin d’augmenter la peine en fonction du
crime. En effet, une saisie totale ou partielle du patrimoine peut se
présenter par une « disposition spéciale » prononcée par le juge, surtout si
la relégation est prononcée à perpétuité, en raison d’un crime grave, qui
l’apparente alors à la deportatio. Il n’en demeure pas moins que le relégué,
même condamné à perpétuité et dont les biens ont été saisis, demeure
un citoyen romain doté d’une capacité testamentaire (factio testamenti). Il
n’encourt pas une « diminution » de son appartenance civique (deminutio
capitis), mais seulement une perte de considération (existimatio) (R44d).
Cette atteinte constituera pourtant un obstacle à sa réintégration dans
la vie politique de sa cité lorsqu’il aura purgé sa peine et lorsqu’il sera
rentré d’exil. Si les juristes d’époque sévérienne discutent des conditions
de cette réinsertion, il est certain qu’à son retour le relégué ne pouvait
retrouver sur-le-champ la place qu’il occupait dans le conseil de la cité
dont il avait été éloigné durant quelques années [RIVIÈRE 2009c].
Le commentaire que consacre Ulpien aux relégués prend place dans
un traité consacré au gouvernement de la province par le proconsul. Or
précisément comme la relégation consiste en une « exclusion
territoriale », son application interfère nécessairement avec le ressort de
compétence du juge. Celui-ci peut sanctionner l’auteur d’un délit commis
dans la province qu’il gouverne et le reléguer dans une île ou une contrée
éloignée à l’intérieur de son ressort de juridiction – en Égypte, la Grande
Oasis peut faire office d’île et de lieu de relégation. Mais il ne peut
condamner quelqu’un à être relégué dans une île se trouvant dans
une autre province, car ce serait étendre sa juridiction à cet autre
territoire, ce qui constitue une faute particulièrement grave. Inversement,
si l’auteur d’un crime ou d’un délit est de passage dans la province et qu’il
est condamné à la relégation, l’interdiction de séjour qui est prononcée
contre lui s’applique-t-elle également à la province où il est domicilié ? Ce
serait là encore supposer que le gouverneur peut interdire le séjour dans
une province qui n’est pas de son ressort. C’est en tenant compte de ce
premier paramètre « administratif » que l’on doit lire le commentaire
d’Ulpien : le gouverneur ne peut pas assigner à un relégué un lieu
extérieur à la province qu’il commande ; de même, le gouverneur ne peut
pas exclure un relégué d’un territoire qui n’est pas placé sous son
commandement. Cependant, dans la mesure où chaque citoyen se définit à
la fois par son origo (l’attache qu’il reçoit par la filiation), par son
domicilium (son lieu de résidence) et par son rattachement à Rome,
la « commune patrie » dont le territoire est étendu à toute l’Italie [THOMAS
1996], alors une sentence de relégation portée contre ce citoyen vise
chacun de ces trois espaces, en dépit de la limite de compétence du
gouverneur à la seule province qu’il commande [RIVIÈRE 2009c]. En outre
le relégué ne doit pas résider dans la cité où séjourne l’empereur,
conformément au principe selon lequel l’empereur incarne Rome, « la
commune patrie » (R44c).
45

L’économie du châtiment dans un Empire


devenu chrétien
Un éventail en fragments, le titre
Sur les peines du Code théodosien ; 438 ap. J.-C.

a. Sentence capitale et aveu sous


la torture (L’empereur Constantin
Auguste à Catullinus <gouverneur
de Byzacène>, Code théodosien,
9, 40, 1 = Code de Justinien,
9, 47, 16 ; donnée le 3 novembre
313, à Trèves, reçue à Hadrumète
le 17 avril 314)
Que <le juge> qui est sur le point de porter une sentence observe
la modération (temperamentum) suivante : qu’il ne prononce pas
une sentence capitale (sententia capitalis) ou sévère envers quiconque
avant que, dans les causes d’adultère, d’homicide ou d’enchantement
(maleficium), <l’accusé> ne soit convaincu, ou bien par son propre aveu
(confessio), ou bien, de façon certaine, <par l’aveu> de tous ceux qui auront
été livrés aux tortures (tormenta) et aux interrogatoires (interrogationes), en
vue d’une seule issue de l’affaire, sans désaccord et concordante. De telle
sorte que, pris en flagrant délit (deprehensus) d’un scandale (flagitium)
exposé <aux yeux de tous>, il puisse encore difficilement nier lui-même ce
qu’il a commis.
Donnée le troisième jour des nones de novembre à Trèves. Reçu
le quinzième jour des calendes de mai à Hadrumète l’année du consulat de
Volusianus et Annianus.

INTERPRÉTATION
Lorsqu’il s’apprête à <décider du sort d’> un criminel (criminosus),
un juge ne doit pas porter une sentence capitale (sententia capitalis), avant
que le prévenu lui-même n’avoue (fateri), ou que, convaincu soit par
des témoins (testes) innocents ou par des complices (conscii) de son crime
(crimen), il ne soit convaincu de la manière la plus flagrante d’avoir
commis soit un homicide, soit un adultère, soit un acte malfaisant
(maleficium).

b. Le marquage des condamnés à l’école


de gladiateurs (Le même Auguste
à Eumelius <vicaire d’Afrique>, Code
théodosien, 9, 40, 2 = Code de Justinien,
9, 47, 17 ; 21 mars 315 ou 316)
Si quelqu’un a été condamné à l’école de gladiateurs (ludus) ou bien à
la mine, suivant la nature des crimes découverts, que son visage (facies) ne
soit nullement inscrit. Le châtiment <qui procède> de sa condamnation
peut donc être imprimé par une seule inscription, soit sur les mains, soit
sur les mollets, parce que le visage (facies) qui a été façonné (figurare) à
la ressemblance de la beauté céleste (ad similitudinem pulchritudinis
caelestis), ne doit absolument pas être souillé (maculare).
Donnée le douzième jour des calendes d’avril à Cabillunum l’année du
4e consulat de Constantin Auguste et de Licinius.

c. Les moulins et les ergastules de la ville


de Rome (Le même Auguste à Festus,
gouverneur de Sardaigne, Code théodosien,
9, 40, 3 ; 29 juillet 319)
Que ceux qui paraissent mériter une répression (coercitio) en raison de
causes qui ne sont pas lourdes (causae non graues) soient livrés aux moulins
(pistrina) de la ville de Rome. Lorsque ta Sincérité commencera à observer
cette <disposition>, que tous sachent que ceux, comme il vient d’être dit,
qui ont mérité de subir une sentence en raison de causes légères (leuiores
causae) de ce genre soient livrés aux ergastules (ergastula) ou aux moulins
(pistrina) et qu’ils soient envoyés dans la ville de Rome, c’est-à-dire au
préfet de l’annone, sous une escorte (prosecutio) appropriée.
Donnée le quatrième jour des calendes d’août, l’année du consulat de
Constantin Auguste, pour la cinquième fois, et de Licinius.
d. Condamnation différée et supplique
à l’empereur (L’empereur Constance
Auguste à Théodore, homme
perfectissime, gouverneur d’Arabie, Code
théodosien, 9, 40, 4 = Code de Justinien,
9, 47, 18 ; 15 octobre 346 ou 352)
Comme un espace de temps est octroyé aux condamnés (rei) qui ont
été convaincus par <la démonstration> d’une preuve évidente (probatio
manifesta), la possibilité (facultas) d’adresser une supplique <à l’empereur>
(supplicare) est accordée aux plus criminels (criminisosissimi), quoique
la vengeance (ultio) <à tirer> de celui qui a été découvert (detectus) dans <la
perpétration> du crime d’homicide ou d’autres lourdes causes ne saurait
être remise à plus tard (differre). C’est pourquoi ceux qui ont déjà obtenu
(impetrare) <cette faveur> peuvent accéder au pardon (uenia). Pour ce qui
est du reste, en vérité, il faut que la loi soit appliquée à raison de la nature
du crime (criminis qualitas) et que la sentence du droit soit appliquée
contre les criminels (scelerati) et les coupables (noxii).
Donnée aux ides d’octobre l’année du consulat de Constance Auguste,
pour la quatrième fois, et de Constans César.

e. Condamnation au moulin et lutte


contre la corruption des gardiens
(Les empereurs Augustes Valentinien
et Valens à Symmaque, préfet de la Ville,
Code théodosien, 9, 40, 5 ; 9 juin 364)
Ton excellente autorité ordonnera (iubere) que les coupables de crimes
plus légers soient condamnés aux moulins dans l’observation de l’équité
(aequitas), en observant, il va de soi, qu’instructions soient données pour
toujours les assigner (adsignare) aux moulins (pistrina) sous ta surveillance,
pour éviter qu’aucune faveur vénale ne se manifeste, alors que leur
transfert est assuré dans le plus grand secret par des greffiers
(commentarienses) qui sont des vauriens.
Donnée le cinquième jour des ides de juin, à Naissus [Nish], l’année du
consulat du divin Iovianus et de Varronianus.

f. Condamnation au moulin pour


les crimes les moins graves (Les mêmes
Augustes à Artemius <gouverneur
(corrector) de Lucanie et du Bruttium>,
Code théodosien, 9, 40, 6 ; 11 juin 364)
Tous ceux qui ont été découverts (detegere) coupables (reus) de crimes
légers (leuiores crimina), tu devras les condamner à l’activité (exercitio)
des moulins (pistrina) de la ville de Rome, de telle sorte que leur remise
(transmissio) au préfet de l’annone soit pratiquée sans une quelconque
hésitation (tergiuersatio).
Donnée le troisième jour des ides de juin, à Naissus [Nish], l’année du
consulat du divin Iovianus et de Varronianus.
g. Condamnation au moulin et libération
anticipée (Les mêmes Augustes
à Artemius <gouverneur (corrector)
de Lucanie et du Bruttium>, Code
théodosien, 9, 40, 7 ; 8 octobre 364)
Il convient qu’aucun de ceux que la nature (qualitas) de leur
condamnation a livrés aux moulins (pistrina) ne soit relâché en vertu de
l’indulgence (indulgentia) accordée en partage aux autres condamnés
(reus), à moins que quelqu’un ne mérite de produire (reportare) un rescrit
spécial de notre Sérénité.
Donnée le huitième jour des ides d’octobre, à Altinum, l’année du
consulat du divin Iovianus et de Varronianus.

h. La condamnation à l’école
de gladiateurs est épargnée aux chrétiens
(Les mêmes Augustes à Symmaque, préfet
de la Ville, Code théodosien,
9, 40, 8 ; 15 janvier 365)
Si un chrétien, quel que soit <son statut>, est pris en flagrant délit
(deprehensus) <d’accomplissement> d’un crime quelconque, il ne doit pas
être soumis à <l’entraînement dans une> école de gladiateurs (ludus). Or si
quelque juge a commis un tel acte, qu’il soit lui-même lourdement noté
<d’infamie> (notare) et que son bureau soit soumis à une très forte amende
(multa).
Donnée le dix-huitième jour des calendes de février l’année du
consulat de Valentinien et de Valens Augustes.
i. Condamnation et respect
des corporations (Les mêmes Augustes
à Olybrius, préfet de la Ville, Code
théodosien, 9, 40, 9 ; 11 avril 368 ; 370)
Que personne en répression (coercitio) d’un délit (delictum) ne soit
adjugé (addicere) aux boulangers (pistores) ou à n’importe quel autre corps
<de service>, alors qu’il est <membre> d’un autre corps ; mais que chacun
reçoive (excipere) le mouvement d’une sévérité adaptée (congrua), en
raison du crime pour lequel il aura été pris en flagrant délit (deprenhensus).
Donnée le troisième jour des ides d’avril l’année du consulat de
Valentinien et Valens, Augustes.

j. Les princes et la condamnation


des membres de l’ordre sénatorial
(Les empereurs Valentinien, Valens
et Gratien Augustes à Praetextatus,
préfet de la Ville, Code théodosien,
9, 40, 10 ; 8 octobre 366 ; 367)
Toutes les fois qu’une rude vengeance (ultio) devra être portée à
l’encontre d’hommes de l’ordre sénatorial, en raison de la nature (qualitas)
de la faute (peccatum), nos décisions doivent être principalement
examinées, afin que, la succession des circonstances et des faits ayant été
établie <avec certitude>, nous puissions fixer cette disposition (forma)
dictée par la mesure et par l’examen d’ensemble du fait.
Donnée le huitième jour des ides d’octobre à Reims l’année du premier
consulat de Gratien Auguste et du consulat de Dagalaifus.
INTERPRÉTATION
Si d’aventure de très hauts personnages ou des hommes de quelque
dignité sont appelés <à répondre> d’un crime (uocare in crimen), que le juge
en réfère aux maîtres des affaires, de telle sorte que ce qui doit être
accompli au sujet des personnages de ce genre, soit établi par la juste
injonction des maîtres.

k. Éviter la condamnation à l’arène


(Les mêmes Augustes à Viventius, préfet
de la Ville, Code théodosien,
9, 40, 11 ; 9 avril 367 ou 366)
Que l’arène (harena) ne reçoive aucune personne qui provienne du
sanctuaire de notre divinité, qu’aucun maître de gladiateurs (lanista) ne lui
dispense son enseignement, qu’il n’exerce aucune préparation sauvage au
combat ; puisque les supplices peuvent être nombreux, par lesquels sa
faute (culpa) peut être punie (plectere).
Donnée le cinquième jour des ides d’avril l’année du consulat de
Lupicinus et Iovianus.

l. Juridiction des consulaires


de Campanie (Les empereurs Valens,
Gratien, et Valentinien Augustes
à Antonius, préfet du prétoire, Code
théodosien, 9, 40, 12 ; 30 novembre
378 ou 377)
Nous assignons aux consulaires de Campanie une étendue de
juridiction (forma iudicationis) de telle sorte qu’ils ne dépassent pas
la mesure <dans l’application> de la peine de mort (animaduersio) envers
ceux dont le rang social (locus) est protégé par une certaine condition
(condicio), et qu’ils n’exercent pas le droit de relégation (ius relegationis) en
dehors de leur province.
Donnée le jour des calendes de décembre à Trèves l’année du 6e
consulat de Valens Auguste et du second consulat de Valentinien Auguste.

m. Le délai des trente jours entre


la sentence et l’exécution (Les empereurs
Gratien, Valentinien, et Théodose
Augustes à Flavianus, préfet du prétoire
d’Illyrie et d’Italie, Code théodosien,
9, 40, 13 = Code de Justinien,
9, 47, 20 ; 18 août 382 ; 390)
Si, contrairement à notre habitude, nous avons ordonné de tirer
vengeance (uindicari) plus sévèrement de quelques personnes en mesure
de la considération de la cause, nous ne voulons pas qu’ils subissent
immédiatement la peine (poenam subire) ou qu’ils reçoivent la sentence
(excipere sententiam), mais que durant trente jours, au sujet de leur état
(status), le sort et la fortune soient suspendus (suspendere). Il faut
absolument qu’une garde (custodia) reçoive et enchaîne (uincere)
les condamnés (rei), et qu’une surveillance vigilante soit exercée grâce à
des sentinelles (excubiae) expérimentées.
Donnée le quinzième jour des calendes de septembre à Vérone l’année
du consulat d’Antoine et Syagrius.
INTERPRÉTATION
Si un prince, ébranlé par la lourde accusation <formulée par>
une quelconque personne, ordonne que quelqu’un soit tué, que les ordres
qui ont été donnés par un prince en colère ne soient pas immédiatement
accomplis par les juges, mais que l’on conserve durant trente jours celui
dont on a ordonné qu’il soit puni, jusqu’à ce que survienne la piété
des maîtres, amie de la justice.

n. La vénalité des appariteurs


(Les empereurs Valentinien, Théodose
et Arcadius Augustes à Principius, préfet
du prétoire, Code théodosien,
9, 40, 14 ; 1er juin 385)
Afin que la perfidie tout à fait mauvaise et vénale des appariteurs cesse
d’exercer sa fureur (desaeuire) impunément contre les avantages publics
(publica commoda), que s’élève, même contre ceux qui sont absents
(absentes), une vengeance appropriée (ultio competens).
Donnée aux calendes de juin, l’année du premier consulat d’Arcadius
Auguste et du consulat de Bauto.

o. Sentence capitale, intervention


des clercs et application de la peine
(Les mêmes Augustes à Tatianus, préfet
du prétoire, Code théodosien,
9, 40, 15 ; 13 mars 392)
Si un prévenu a été convaincu (conuictus) d’un très grand crime et
exposé (subiectus) à une sentence, que <cette sentence> appropriée
<prononcée par> des juges soit appliquée et qu’aucune habile manœuvre
ne soit tramée secrètement, par laquelle on prétend qu’il a été arraché
(directus) par des clercs ou qu’il a feint d’avoir fait appel (appellare). Si
quelqu’un, en effet, à l’issue du jugement (iudicium) a donné son
assentiment à une telle licence, en ayant vendu sa connivence (coniuentia),
<la peine> qu’il endurera ne sera en rien légère (leuis). Car les proconsuls,
comtes d’Orient, préfets Augustaux, et même les vicaires, après avoir été
frappés d’une hideuse note <d’infamie> (nota deformis) devront verser
trente livres d’or en faveur des gains du fisc, tandis que les juges
ordinaires, rendus hideux (deformati), de la même façon seront contraints
de s’acquitter de quinze livres d’or. Quant à leurs bureaux (officia), qu’ils
soient soumis aux mêmes dépenses (dispendiae) que celles <qui sont
infligées> à leurs juges, s’ils ont tardé à exprimer leur avis (suggestio) et
s’ils n’ont pas imposé le commandement de la loi (praeceptum legis) et s’ils
n’ont pas fait obstacle, en imposant leur main (manu iniecta), pour que
les accusés (rei) ne soient pas enlevés, et s’ils ne sont pas parvenus à
mettre en application et à exécution ce qui a été décidé.
Donnée le troisième jour des ides de mars à Constantinople l’année du
consulat d’Arcadius Auguste pour la deuxième fois et de Rufinus.

p. L’application de la peine, les clercs


et les moines (Les empereurs Arcadius
et Honorius Augustes à <Flavius>
Eutychianus, préfet du prétoire
<d’Orient>, Code théodosien,
9, 40, 16, pr.-2 ; 27 juillet 398)
Pr. Après d’autres choses. Il n’est permis à personne parmi les clercs et
les moines, ni même parmi ceux que l’on appelle Synodites <Cénobites> de
venger (uindicare) par la violence (uis) ou par une ingérence illicite
(usurpatio) et de s’emparer de (tenere) ceux qui sont livrés au supplice et
qui ont été condamnés en raison de la démesure (immanitas) de leurs
crimes. Nous ne leur refusons pas, dans les causes criminelles, par
considération pour l’humanité (humanitas) et si les délais sont approuvés
<comme valides>, la faculté d’interposer (interponere) un appel (prouocatio),
pour que soit ensuite évalué (examinare) de manière plus attentive, à quel
endroit, contre le salut d’un homme, soit en raison de l’erreur (error), soit
en raison de la faveur (gratia) de l’enquêteur (cognitor), la justice est
supposée avoir été bafouée. À cette condition, cependant : si
les enquêteurs sont un proconsul, un comte d’Orient, un préfet augustal,
l’un des vicaires, qu’ils sachent qu’il faut en référer (referre), plutôt qu’à
notre clémence, aux plus hautes puissances <les préfets du prétoire (et de
la ville)>. Nous voulons en effet, au sujet de telles <situations>, que leur
compétence judiciaire soit entière, de telle sorte que si l’affaire est telle ou
que le crime l’exige, ils puissent punir les condamnés d’une manière tout à
fait conforme à la règle. 1. Lorsque le délai de l’appel (prouocatio) est
écoulé, que personne ne retienne ou ne défende les condamnés (rei)
lorsqu’ils sont conduits sous escorte (prosecutio) au lieu de la peine, mais
que l’enquêteur (cognitor) sache qu’il encourt une amende (multa) de
trente livres d’or et les membres de premier rang (primates) de son bureau
(officium) une sentence capitale (capitalis sententia), si un tel abus n’est pas
vengé aussitôt ou si, alors que l’audace (audacia) des clercs et des moines
est telle que l’on peut considérer qu’une guerre est ouverte, plutôt qu’un
jugement, les exactions (commissa) ne sont pas rapportées (referre) à notre
Clémence, de sorte que sans délais une vengeance (ultio) sévère (seuerior)
soit accomplie par notre bon vouloir (arbitrium). 2. C’est aux évêques que
la faute (culpa), comme toutes les autres choses, incombera, s’ils ont eu
connaissance (cognoscere), sans en tirer vengeance (uindicare), que des faits
tels que ceux que nous interdisons dans cette loi ont été commis par
des moines dans une partie de cette région dans laquelle eux-mêmes
règlent la conduite du peuple grâce à la doctrine de la religion chrétienne.
Il est plus conforme à la règle qu’ils accordent à certains d’entre eux
l’ordination pour en faire des clercs si d’aventure il leur en manque.
Donnée le sixième jour des calendes d’août à Mnyzus, sous le consulat
d’Honorius Auguste, pour la quatrième fois, et d’Eutychianus.

q. Première loi relative à la chute


d’Eutrope : oubli du nom, destitution
du rang, destruction des représentations
figurées, relégation (Les mêmes Augustes
à Aurelianus, préfet du prétoire
<d’Orient>, Code théodosien,
9, 40, 17 ; 17 janvier 399)
Nous ajoutons aux comptes de notre trésor (aerarium) toutes
les propriétés (res) d’Eutrope, qui fut autrefois préposé à la Chambre
sacrée. Que sa splendeur soit arrachée, qu’il soit tiré vengeance (uindicare)
de son consulat entaché d’une saleté monstrueuse et de
la commémoration de son nom et de son extraction fangeuse, de telle
sorte que, les actes qu’il a accomplis ayant été effacés dans leur totalité,
tous les âges <à l’avenir> se taisent, que la souillure (labes) qu’il <a
engendrée> n’apparaisse pas dans le récit de notre règne. Qu’ils n’aient
pas lieu d’exprimer de lamentations ceux qui par leur courage et leurs
blessures élargissent les frontières romaines ou ceux-là qui veillent à
l’esprit de justice (aequitas) au service du droit (ius), sous prétexte qu’un
monstre immonde (lutulentum prodigium) a souillé (foedare) par son contact
(contagio) la récompense divine du consulat. Qu’il sache lui-même qu’il a
été dépouillé de la dignité du patriciat et de toutes celles inférieures, qu’il
a polluées (polluere) par la méchanceté de ses mœurs. Nous ordonnons que
soient détruits toutes ses statues, tous ses portraits, en bronze, en marbre,
en peinture, ou dans tout autre matériau à partir duquel il est possible de
parvenir à une figuration. Que ceci soit accompli dans toutes les cités et
places fortes, dans tous les lieux privés ou publics, de telle sorte que
la marque <d’infamie> (nota), pour ainsi dire, <qui a frappé> notre règne ne
pollue pas le regard de ceux qui le contemplent. C’est pourquoi, qu’il soit
conduit, sous la surveillance de gardes de confiance, dans l’île de Chypre,
où ta Sublimité sait qu’il a été relégué, de telle sorte qu’à cet endroit,
entièrement cerné par une garde, de jour comme de nuit, il n’ait pas
le moyen, par la folie (rabies) de ses projets, de tout bouleverser.
Donnée le seizième jour des calendes de février à Constantinople,
l’année du consulat du très noble Théodore.

r. Deuxième loi consécutive à la chute


d’Eutrope : individualité de la peine
et protection des proches (Les empereurs
Arcadius et Honorius Augustes
à <Flavius> Eutychianus, préfet
du prétoire <d’Orient>, Code théodosien,
9, 40, 18 ; 25 juillet 399)
Nous proclamons comme irrévocable le principe selon lequel la peine
s’applique seulement là où il y a une faute (noxa). Nous tenons à l’écart,
loin de la calomnie (calumnia), les proches (propinqui), les connaissances
(noti), les intimes (familiares), que le contact social (societas) ne rend pas
coupables (rei) du crime (scelus). Ni le lien de parenté (adfinitas), ni l’amitié
(amicitia) ne constituent la perpétration d’un crime (crimen) abominable
(nefarium). Par conséquent, que leurs auteurs (auctores) gardent <attachées
à eux> leurs fautes (peccata) et la crainte (metus) ne doit pas s’étendre au-
delà <de la limite où> le délit (delictum) a été découvert. Que ceci soit porté
à la connaissance de chacun des juges en particulier.
Donnée le huit des calendes d’août, à Constantinople, l’année du
consulat de Théodore, homme clarissime.

INTERPRÉTATION
La peine doit chercher à atteindre uniquement celui qui a commis
le crime. Les proches, aussi bien que les amis, les intimes, ou
les connaissances, s’ils ne sont pas complices (conscii) du crime, ne sont
pas tenus comme soumis <à la faute>. Personne ne doit craindre la parenté
avec le criminel ou les liens de l’amitié, si ce n’est celui qui a commis
le crime.

s. La répression de Gildon
et de ses complices (Les empereurs
Honorius et Théodose Augustes
à Donatus, proconsul d’Afrique, Code
théodosien, 9, 40, 19 ; 11 novembre 408)
Les satellites (satellites) de Gildon doivent être livrés aux prisons
(custodiae) et condamnés par la proscription <de leurs biens> (proscriptio).
Donnée le trois des ides de novembre l’année du consulat de Bassus et
Philippus.

t. Proscription et déportation
des complices de Gildon (Les mêmes
Augustes à Theodorus, préfet
du prétoire, Code théodosien,
9, 40, 20 ; 22 novembre 408)
Quiconque, parmi ceux qui comptent au nombre des proscrits
(proscripti), entre dans la suite de notre sérénité ou à l’intérieur des murs
de la Ville éternelle doit être frappé de la déportation.
Donnée le 10 des calendes de décembre l’année du consulat de Bassus
et Philippus.

u. Heraclianus, l’ennemi public


et ses complices (Les mêmes Augustes
aux détenteurs de charges publiques
(honorati) et aux provinciaux d’Afrique,
Code théodosien, 9, 40, 21 ; 5 juillet 412 ou
bien 3 août 413 ?)
Ayant jugé Heraclianus comme ennemi public (hostis publicus), nous
décrétons par une digne autorité qu’il soit puni, de sorte que son funeste
cou soit tranché (resecare). Quant à ses satellites (satellites), nous
les poursuivons avec une égale persévérance. Mais nous donnons ce droit
à toutes les personnes privées et aux militaires, et que tous aient en
commun la libre faculté de dénoncer (prodere), et que ne craigne <aucune>
haine (inuidia) celui qui aura conduit un criminel (criminosus) devant
les pouvoirs publics (ad publicum deducere), puisque nous prenons
spécifiquement garde à ce que personne ne juge que l’un d’entre eux doive
être soustrait ou caché, et que personne ne refuse <de remettre au fisc>
les dépôts provenant des richesses (facultates) de ces derniers ou ne livre
pas <les biens> qu’ils ont reçus <d’eux>.
Donnée le 3 des nones de juillet à Ravenne l’année du neuvième
e
consulat d’Honorius Auguste et du 5 consulat de Théodose Auguste.

v. Prolongation de l’incarcération
préventive et durée de la peine d’exil
(Les mêmes Augustes à Anthemius, préfet
du prétoire, Code théodosien,
9, 40, 22 = Code de Justinien,
9, 47, 23 ; 18 avril 414)
Si on découvre que la situation <de ceux qui ont encouru>
une condamnation, alors qu’ils étaient destinés à différentes formes d’exil,
est telle <en réalité> qu’ils ont accompli les bornes du temps fixé <pour
l’exil> dans la détention d’un cachot (carceris custodia), nous prescrivons
qu’ils soient délivrés (soluti) de leur peine, relâchés de leurs fers (uincula)
et libérés de leur détention (custodia), et qu’ils n’aient aucunement à
redouter par la suite les misères de l’exil. Qu’il suffise qu’ils aient enduré
une fois pour toutes les supplices de souffrances (cruciatus) infinies : en
conséquence, que ceux qui ont été si longtemps privés de l’absorption de
l’air commun et de la vue de la lumière, écrasés par les poids des chaînes à
l’intérieur d’un espace réduit, ne soient pas encore réduits à subir
une seconde fois (iterum) une peine, à savoir la peine d’exil (exilii poena).
Donnée le 14 des calendes de mai l’année du consulat de Constantius
et Constans hommes clarissimes.

w. Respect de la durée de la peine d’exil


(Les mêmes Augustes à Monaxius, préfet
du prétoire <d’Orient>, Code théodosien,
9, 40, 23 = Code de Justinien,
9, 47, 24 ; 30 août 416)
Nous recommandons aux gouverneurs (rectores) des provinces qu’ils
s’accordent à faire en sorte que ceux dont on a décrété qu’ils subiraient
une peine d’exil dans un espace de temps déterminé, une fois écoulé
le temps qui avait été défini initialement, ne soient retenus, ni sous
les écrous d’un cachot (claustra carcerales), ni dans les lieux, dans lesquels
se trouvent habituellement les exilés (exsules).
Donnée le 3 des calendes de septembre à Eudoxiopolis l’année du
7 consulat de notre maître Théodose Auguste et du consulat de Palladius,
e

homme clarissime.

x. Les barbares et la fabrication


des navires (Les mêmes Augustes
à Monaxius préfet du prétoire, Code
théodosien, 9, 40, 24 ; 24 septembre 419)
Ceux qui avaient livré aux barbares la technique de fabrication de
navires, ignorée d’eux jusqu’alors, ont été, en raison de la requête (petitio)
du très respectueux Asclepiades, évêque de la cité de Chersonèse, libérés
d’une peine imminente, et du cachot. Cependant, nous décrétons qu’un
supplice capital (capitale supplicium) leur sera infligé, <s’ils récidivent>,
ainsi qu’à tous ceux qui à l’avenir auront perpétré quelque chose de
semblable.
Donnée le huit des calendes d’octobre à Constantinople, l’année du
consulat de Monaxius et de Plinta.

*
* *

Si l’enchaînement des titres sous lesquels sont regroupés les fragments


de constitutions retenus par les compilateurs du Code théodosien obéit à
un certain ordre, logique ou analogique [RIVIÈRE 2009b], la distribution
chronologique de ces fragments sous chacun de ces titres peut conduire à
une impression d’hétérogénéité du matériau rassemblé, sans que
s’affirment d’emblée la logique de ce regroupement. Une première lecture
du titre « Sur les peines » que nous avons choisi précisément de citer ici
entièrement, afin de saisir les principes d’exposition et de réflexion
juridique susceptibles d’avoir guidé le travail des compilateurs, en fournit
l’illustration. Les articulations entre les différents textes n’apparaissent
pas clairement et si certaines recommandations impériales relatives à
l’application du châtiment ont été retenues, d’autres sont passées sous
silence. Surtout, l’exposé des différentes formes de châtiments auquel
concourent les fragments ici réunis, ne laisse guère de place à
des considérations relatives à l’évaluation du degré de gravité du crime
auquel serait proportionnée la peine, à la différence par exemple de ce que
certains traités de jurisprudence consacrés à ce domaine avaient proposé
deux siècles auparavant (R36). Tout juste parvient-on à entrevoir certaines
préoccupations relatives à la condition sociale des prévenus. La plupart
des textes ici réunis relèvent donc de la « procédure pénale » (délais,
appel, contrôle et surveillance des prévenus, responsabilité de l’autorité
judiciaire) plutôt que du « droit pénal » proprement dit. Tentons pourtant,
dans la mesure du possible, de les rassembler par groupes thématiques,
afin de faire ressortir les centres d’intérêt des compilateurs et d’en
faciliter la lecture et le commentaire.

Aspects procéduraux

Le fragment de loi de Constantin (R45a) qui ouvre le titre « Sur


les peines » constitue une bonne pierre de touche pour comprendre
la manière de procéder des compilateurs. Deux autres fragments de
la même loi (Code théodosien, 11, 30, 2 ; 11, 36, 1) ont en effet également été
conservés, mais ils ont été placés sous deux titres distincts relatifs à
l’appel d’une sentence (titre 30 « Des appels, et des peines qu’ils
entraînent, et des consultations » ; titre 36 « Ceux dont les appels ne sont
pas reçus ») (R50). L’appel, consécutif au déroulement d’une procédure
capitale, constituait sans doute l’objet principal de cette loi qui s’ouvrait
par une considération générale sur la marche de la procédure et
la nécessité de recourir au moyen de l’aveu sous la torture afin d’établir en
première instance la culpabilité. La solidité du premier jugement évitait
en effet de déclencher une lourde procédure du pourvoi en appel : ces
quelques lignes concernant la consolidation des faits et à la culpabilité de
l’accusé au cours d’un jugement capital en première instance ont donc été
détachées des dispositions suivantes de la même loi relatives à l’appel. Ce
fragment qui sert ici d’introduction au titre « Sur les peines », peut être
rapproché des quelques autres fragments sur la procédure, qu’il s’agisse
précisément de l’appel (R45d), du délai précédant l’exécution (R45m), de
l’incarcération préventive et de l’exil (R45v-R45w), voire du contrôle
des appariteurs (R45n). Ce premier groupe rassemble donc
des dispositions qui reflètent la préoccupation du législateur en matière
d’efficacité des poursuites, d’évitement du déni de justice et d’une juste
application des peines.

La condition des prévenus

Un second groupe renvoie à la condition et au rang social


des prévenus, notamment de l’ordre sénatorial (R45j-R45l).

Les moulins (pistrina) de la capitale


Un troisième est relatif à la condamnation aux moulins de la capitale
(R45c ; R45e-R45g ; R45i), une forme de travaux forcés répandue depuis
la fin de la République, notamment à l’encontre des esclaves fugitifs
[RIVIÈRE 2004c]. Un détail lexical mérite que l’on y porte une attention
particulière, dans la mesure où il mentionne une forme de châtiment
également apparue à l’époque républicaine, de nouveau dans le contexte
de la contrainte à l’encontre des esclaves, à savoir l’ergastule [ÉTIENNE
1974]. Ce terme (formé sur le substantif grec, to ergon, « le travail »)
désignait en effet à l’origine un lieu d’habitation pour des forçats de
condition servile (ou assimilés), disons un « dortoir-prison » [VIRLOUVET
2006, p. 29]. S’il a pu également désigner par extension un groupe
d’esclaves enchaînés (travail des champs, carrières de marbre…), une unité
de production, il ne s’est jamais appliqué véritablement au lieu de travail
lui-même désigné plutôt par le terme ergasterion (Isidore de Séville,
Origines, 15, 6, 2). Dans la constitution de Constantin ici examinée (R45c), il
y a donc tout lieu de penser que le mot ergastulum n’est pas juxtaposé à
pistrinum pour désigner un autre lieu de contrainte, comme s’il s’agissait
de deux réalités distinctes, mais qu’il évoque plutôt de manière figurée
les travaux forcés accomplis sous la contrainte des chaînes et dont
l’illustration est constituée en l’occurrence par les moulins (pistrina) de
Rome [VIRLOUVET 2006, p. 32-34].
La chute de hauts personnages : condamnation
des complices et séquestration des biens
Un troisième groupe (R45q-R45u) rassemble, à la suite, cinq extraits de
constitutions relatives à la chute d’un haut personnage de la cour
impériale ou à la défaite d’un usurpateur qui ont été immédiatement
suivies de la confiscation totale de leurs biens, qu’il s’agisse d’Eutrope
(Flavius Eutropius) en 399 (R45q-R45r), de Gildon mort en 398 (R45s-R45t),
ou d’Heraclianus exécuté en 413 (R45u). Rappelons brièvement
le déroulement de ces trois épisodes successifs. Né en Arménie, castré
dans son enfance et destiné au marché d’esclaves, Eutrope eut plusieurs
maîtres, avant d’entrer au service du palais impérial grâce au maître
des deux milices, Abundantius, qu’il fit plus tard exiler pour se saisir de
son patrimoine. De la même façon, quand il eut organisé le mariage du
jeune empereur Arcadius dont il avait acquis la confiance, avec Eudoxie,
la fille du général franc Bauto, il se débarrassa de son adversaire le préfet
du prétoire Flauius Rufinus et accapara ses biens. Chambellan de 395 à
399, il fut alors assez puissant pour être honoré du titre de patrice et
obtenir le consulat – fait sans précédent pour un eunuque, et non reconnu
par le gouvernement de la partie occidentale de l’Empire. Les causes et
le déroulement de sa chute, la même année, constituent une trame
d’autant plus complexe que les sources ne sont pas toujours concordantes.
Sa fulgurante ascension et les richesses considérables qu’il avait
accumulées, en partie par des malversations et des saisies arbitraires, en
sont à l’origine :

Cependant, Eutrope était désormais enivré par ses richesses et


paraissait emporté plus haut que les nuages par son imagination.
(Zosime, 5, 10, 4)
L’influence qu’il exerçait sur le jeune Arcadius et ses menaces à
l’encontre des plus hauts personnages de la cour lui attirèrent l’hostilité,
d’un côté, du général goth Gaïnas (ce dernier, jaloux des richesses du
chambellan, se fit pour l’occasion le complice d’un autre chef goth,
Tribigild, qu’il était censé combattre), de l’autre de l’impératrice Eudoxie.
Lorsqu’il fut renvoyé et qu’il comprit que sa fin était proche, pour
échapper à ses adversaires, Eutrope se précipita du palais vers l’église
Sainte-Sophie afin d’y bénéficier d’un droit d’asile qu’il avait pourtant
voulu restreindre lui-même, comme l’attestent deux lois de l’époque de
son gouvernement (Code théodosien, 9, 45, 2 ; 9, 45, 3), mais également celle
figurant sous notre titre, relative à l’intervention des clercs (R45p).
Quoiqu’il en soit, dans ces circonstances et en dépit de la fin violente qui
fut réservée à Eutrope, l’asile de l’autel fut respecté comme « un droit
réel » [DUCLOUX 1994, p. 92-103]. L’évêque Jean Chrysostome dans
une homélie, mais également l’empereur Arcadius lui-même dans
un discours s’efforcèrent d’empêcher les soldats de se saisir du
chambellan déchu. Lorsqu’il quitta l’église, Eutrope eut d’abord la vie
sauve : il fut envoyé en exil à Chypre, sous surveillance, tandis que son
patrimoine était entièrement confisqué, comme l’atteste, au côté de
la documentation littéraire (Philostorge, Claudien), la loi ici conservée.
Rappelé d’exil, Eutrope fut bientôt jugé et exécuté à Chalcédoine en 399.
Gildon, quant à lui, était le fils du roi Nubel de Maurétanie. En 373, il
avait servi en Afrique sous les ordres de Théodose l’Ancien, contre
la rébellion conduite par son propre frère Firmus, puis il était devenu
« comte et maître des deux milices pour l’Afrique » (comes et magister
utriusque militiae per Africam) (Code théodosien, 9, 7, 9) en récompense de ses
services. En 397, cependant, tout en proclamant habilement son
obéissance à l’empereur d’Orient, Arcadius, il s’était soulevé contre
l’empereur d’Occident, Honorius, et avait engagé le blocus de Rome en
interrompant le trafic de blé en direction de la capitale. Déclaré « ennemi
public » (hostis publicus) l’année suivante, à l’initiative de Stilicon, il fut
battu et tué à l’issue d’une bataille contre un autre de ses frères Mascezel
dont il avait exécuté auparavant les enfants. Aussitôt ses biens furent
confisqués (Code théodosien, 7, 8, 7 ; 7, 8, 9 ; 9, 42, 16 ; 9, 42, 19). Leur
étendue était telle qu’un fonctionnaire, le comte du patrimoine de Gildon
(comes Gildoniaci patrimonii), fut créé spécialement pour les inventorier et
les gérer. Si la rébellion de Gildon avait autrefois été interprétée comme
l’expression d’un « nationalisme berbère » dirigé contre Rome, s’appuyant
par ailleurs sur l’hérésie du donatisme, elle-même considérée comme
l’expression d’un séparatisme africain, il faut y voir plus prosaïquement
l’accomplissement d’une ambition personnelle fondée sur l’accumulation
de richesses exceptionnelles [MODÉRAN 1989].
C’est pour avoir assassiné Stilicon de sa propre main, à Ravenne,
le 22 août 408, que Héraclianus reçut en récompense le titre de comte
d’Afrique (comes Africae) et le commandement des armées qui y étaient
stationnées. Jérôme (Lettres, 130, 7) en fait le portrait d’un personnage
cruel, avare, et ivrogne qui se comporta particulièrement durement à
l’encontre des réfugiés du sac de Rome (410). Un an auparavant, en 409, il
était resté fidèle à Honorius, l’empereur d’Occident siégeant à Ravenne,
contre l’usurpateur Priscus Attalus, promu Auguste à l’instigation d’Alaric.
C’est en 413 qu’il tenta de s’emparer du pouvoir impérial : après avoir
interrompu le ravitaillement de Rome en blé africain, à l’instar de Gildon,
il arma une puissante flotte et débarqua en Italie avec son armée. Battu à
Otriculum, alors qu’il tentait de gagner Ravenne par la via Flaminia, il
revint à Carthage où il fut assassiné. Son consulat et ses actes furent
annulés (Code théodosien, 15, 14, 13), à l’instar des mesures de
« condamnation de la mémoire » (damnatio memoriae) prises contre
Eutrope. Son patrimoine – il s’avéra plus limité que ce qui était escompté
en raison sans doute des dépenses effectuées pour l’expédition militaire
en Italie – fut donc confisqué et remis à Flavius Constantius (PLRE, 17).
Dans les trois cas, la préoccupation principale des compilateurs est
centrée sur le sort des complices (satellites ou proscripti) entraînés dans
la chute des rebelles. Certes la disposition du 25 juillet 399 (R45r) semble
affirmer le principe général d’individualité de la peine puisqu’elle protège
« les proches », « les connaissances » et « les intimes », mais elle doit
certainement être rapprochée du contexte de répression consécutif à
la chute de l’eunuque – notre loi relative à la confiscation des biens de ce
dernier pourrait dater plutôt du 17 août 399 que du 17 janvier 399,
indication erronée conservée dans le Code théodosien [SEECK 1919,
p. 103 et 299]. C’est à l’époque où l’eunuque exerçait sa plus grande
influence et sans doute à l’occasion de l’élimination d’une faction rivale
qu’avait été composée la fameuse Lex Quiquis de l’année 397, introduisant
la solidarité de la peine en matière de lèse-majesté (R48e). La présente loi
paraît revenir au principe contraire, comme pour limiter les abus qui
avaient pu être commis en vertu de la précédente dans des domaines de
droit commun étrangers au crime de lèse-majesté [RIVIÈRE 2017, p. 50-58].
Quant à la loi qui mentionne explicitement le chambellan Eutrope
(Flavius Eutropius) (R45q), en dehors des dispositions relatives à
la confiscation de son patrimoine, elle relève de l’ensemble des règles qui
se sont développées depuis le commencement de l’Empire dans
le domaine de la « condamnation de la mémoire » (R48b-R50g), visant à
effacer le souvenir du coupable, notamment par la destruction de ses
statues, mais aussi l’abolition de ses actes ou encore l’effacement de son
nom sur des inscriptions [DELMAIRE 2006]. Des mesures identiques ont été
prises contre Héraclianus (Code théodosien, 15, 14, 13).

L’intervention des clercs pour la sauvegarde


des condamnés à mort

Un autre groupe de constitutions reflète les interventions qui ont pu


exister entre le déroulement de la justice criminelle et l’intervention
des clercs, soucieux de venir en aide au condamné à une époque qui
constitue également la genèse du droit d’asile dans les églises [DUCLOUX
1994]. Le premier fragment daté de l’année 392 (R45o) n’est pas dirigé
contre les perturbations suscitées par les clercs mais il vise plutôt
les détenteurs de l’autorité judiciaire qui auraient cédé à leur pression, par
facilité, par crainte ou pour éviter toute épreuve de force.
Les responsables de la bureaucratie impériale sont impliqués au plus haut
niveau, ils encourent alors une amende, à l’instar des membres de leur
officium rendus en quelque sorte solidaires de la peine et encouragés de
cette façon à dénoncer les dysfonctionnements de leur hiérarchie, selon
un principe de contrôle de l’appareil judiciaire attesté au moins depuis
l’époque tétrarchique [RIVIÈRE 2007]. Le deuxième fragment (R45p), le plus
long, appartient à une loi très fameuse de l’année 397 et qui, de surcroît,
est connue également par quatre autres fragments complémentaires : Code
théodosien, 16, 2, 32 ; 16, 2, 33 ; Code de Justinien, 1, 4, 7 (il s’agit ici de
la limitation de l’audientia episcopalis l’audience qui est accordée par
l’évêque, reconnue comme un simple arbitrage) ; 9, 45, 3. Ajoutons à cela
la reprise du préambule de cette constitution – on parle alors de
constitutions géminées – qui ont été reproduites sous le titre du Code
théodosien relatif à l’appel (Code théodosien, 11, 30, 57). Il n’est cependant
sans doute pas possible de reconstituer l’ordre des fragments [DUCLOUX 1991,
en part. p. 144]. C’est dire l’importance que les compilateurs ont accordée
à ce texte, en dépit de l’identité de son inspirateur, vilipendé sous le même
titre, à savoir le chambellan tout puissant d’Arcadius (383-408), l’eunuque
Eutrope (Flavius Eutropius). Le paradoxe est que cette loi visant à écarter
les clercs de l’exercice de la justice et finalement à limiter l’asile dans
les églises, a été inspirée en effet par l’eunuque, lequel, précisément,
comme on l’a vu, cherchera l’année suivante à trouver refuge à Sainte-
Sophie et à solliciter la protection de l’évêque Jean Chrysostome. La loi
dénonce la violence des moines, en particulier, en s’efforçant de
les soumettre à l’autorité de l’évêque – aussi bien les synodites (ou
cénobites), réputés mieux disciplinés, mieux organisés que les moines
errants, ceux que Jérôme (Lettres, 24, 32) stigmatise sous le nom de
« remnuoths » et qui font figure d’agitateurs. Dix ans plus tôt, c’étaient
des moines et l’évêque Flavien qui avaient intercédé auprès de l’empereur
à l’issue de l’émeute d’Antioche [BROWN 1998, p. 148-149]. Leur intervention
devait être fréquente, en différents lieux de l’Empire d’Orient, même s’il y
a lieu de penser que la situation dénoncée par le législateur dans cette loi
s’appliquait tout particulièrement à la situation de Constantinople. Sur
un plan de technique procédurale, la prouocatio dont il est ici question
pourrait désigner une voix de recours exceptionnelle – éventuellement
mise en œuvre par un tiers – et qui ne devrait pas être confondue avec
l’appel (appellatio) qui constitue une voie de recours interjetée par
les parties [DUCLOUX 1991, p. 148-149]. Cette distinction mériterait d’être
approfondie car on sait que bien souvent, y compris dans
la documentation juridique, les mots appellatio et prouocatio sont employés
l’un pour l’autre (R50). Le troisième texte (R45x) illustrant une même
confrontation entre l’autorité judiciaire et le clergé est assez singulier,
puisqu’il témoigne de ce que nous appellerions aujourd’hui la livraison
d’informations à l’ennemi. On comprend en effet au travers de ce
fragment que l’évêque de la cité de Chersonèse était intervenu en faveur
d’artisans condamnés pour avoir livré aux barbares des techniques de
construction de navire. De tels transferts de technologie revêtaient
une importance capitale, alors même que les barbares (les Goths, sans
doute, en l’occurrence) s’offraient parfois aux dangers de la navigation
dans la zone de la Mer noire et des détroits sans en avoir la maîtrise
(Zosime, 1, 42, 2). Notre loi exprime le respect dû à l’intercession de
l’évêque en faveur des coupables, tout en indiquant, à l’adresse du préfet
du prétoire, que ces derniers encourront un châtiment capital en cas de
récidive.

É
Évitement de la condamnation à l’école de gladiateurs
(ludus)
« L’édit de Beyrouth » du 1er octobre 325 adressé au préfet du prétoire
Maximus s’inscrit dans un train de mesures moralisatrices du milieu du
règne de Constantin. Plus précisément encore, il a été proclamé quelques
semaines seulement après la clôture du concile de Nicée. Il est célébré par
Eusèbe de Césarée (Vie de Constantin, 4, 25) comme une interdiction
absolue : « Il défendit que l’on contaminât les cités par le spectacle
sanglant des gladiateurs ». Cette loi, « inapplicable dès sa parution », n’a
sans doute eu aucune efficacité, car les jeux de gladiateurs sont attestés
dans certaines parties de l’Empire jusque dans les premières années du
e
V siècle [VILLE 1960, p. 314-316] et, en dépit de la réprobation qu’ils ont

suscitée non seulement chez les Pères de l’Église, mais également chez
e
les polémistes chrétiens depuis le II siècle, ces combats n’ont pas cessé
d’attirer des spectateurs chrétiens. Les termes de l’édit lui-même ne
reçoivent d’ailleurs une portée générale que dans la version abrégée du
Code de Justinien conservée sous un titre qui en souligne l’interprétation :
« de la supression totale des gladiateurs » (De gladiatoribus penitus
tollendis) :

Les spectacles sanglants (spectacula cruenta) ne conviennent pas au


sein de la tranquillité civile et intérieure ; c’est pourquoi nous
interdisons absolument qu’il y ait des gladiateurs. (Code de Justinien,
11, 44 (43), 1)

Pourtant, la version plus complète de ce texte conservée dans le Code


théodosien sous le titre « Des gladiateurs » montre que cette constitution
visait essentiellement la condamnation au ludus, c’est-à-dire l’école
des gladiateurs plutôt que la tenue des jeux eux-mêmes, qui pouvaient
puiser à d’autres sources d’approvisionnement en combattants.
Les spectacles sanglants n’ont pas lieu d’être au sein de
la tranquillité civile et intérieure ; c’est pourquoi nous interdisons
absolument que soient gladiateurs ceux qui le cas échéant en
raison de leurs crimes (delicta) méritaient d’ordinaire une telle
condition et une telle sentence. Qu’ils soient plutôt asservis à
la mine, de telle sorte qu’ils connaissent les peines qu’appellent
leurs crimes (scelera) sans pour autant que le sang soit versé. (Code
théodosien, 15, 12, 1)

La condamnation aux jeux de gladiateurs était ancienne. Elle


remontait au moins en effet au dernier siècle de la République [VILLE 2014,
p. 232-240]. Les trois lois (R45b-R45h-R45k) conservées sous notre titre
concernent des restrictions relatives à cette forme de condamnation.
La première est digne d’une attention particulière dans la mesure où elle
constitue probablement la seule loi de l’Empire chrétien se référant
explicitement à un énoncé extrait de l’Ancien Testament (Genèse, 1, 26).
Dans un ouvrage de Tertullien (Sur les spectacles, 18, 1) condamnant
les divertissements païens, on trouvait déjà énoncée la réprobation de
« toutes les violences qui défigurent le visage de l’homme (humanum os),
c’est-à-dire l’image de Dieu (diuina imago) ». À cet argument s’en
ajoutaient deux autres : la condamnation à l’école de gladiateurs
constituait « une correction » (emendatio) qui conduisait l’auteur d’un délit
léger (leuior delictum) vers un homicide accompli dans l’arène ; quant à
l’amphithéâtre il avait été un lieu privilégié de la persécution
des chrétiens. Mais la loi en question doit être plus précisément encore
mise en rapport avec les Institutions divines de Lactance, une œuvre
composée précisément au commencement de l’époque constantinienne
(sans doute entre 304 et 311) :
De tous les animaux, <l’homme> a été ainsi formé qu’il a les yeux
dirigés vers le ciel, la face (facies) contemplant Dieu, les traits du
visage (uultus) communs avec son parent. (Lactance, Institutions
divines, 7, 5, 6)

Il n’y a donc pas lieu de douter de « l’inspiration chrétienne » de ce


fragment de loi tout à fait singulier, mais il est peut-être le seul dans
l’ensemble de la législation qui associe explicitement un extrait
des Écritures et une décision de droit criminel [RIVIÈRE 2002b, p. 353-354].
Les deux autres lois relatives à la condamnation à l’arène visent à en
épargner les chrétiens, et à interdire de l’infliger aux membres du palais
impérial. Comme depuis l’époque du Haut-Empire, l’arène était en effet
entachée d’infamie et pourtant, comme on le comprend au travers de
la même loi, elle continuait toujours de revêtir du « prestige », au moins
dans la ville de Rome, à laquelle s’applique la législation conservée [VILLE
1960, p. 321-322]. Bref, les trois lois relatives au ludus ne constituent en
rien une mesure d’interdiction radicale. Aucune injonction de ce genre
n’est conservée dans la législation. Il se peut qu’elle soit intervenue
pourtant dans les années qui ont précédé immédiatement la publication
du Code théodosien [VILLE 1960, p. 331-332].
46

La confiscation des biens (publicatio


bonorum) : inventaire du dénuement
et contrôle de la saisie

a. Préservation de « la défroque »
du condamné : son habit, de petites
bagues et la menue monnaie que contient
sa bourse (Rescrit d’Hadrien, 117-
138 ap. J.-C., cité par Ulpien,
Sur la fonction du proconsul, extrait
du livre 10, fr. 2250 Lenel = Digeste,
48, 20, 6 ; entre 212 et 217)
Le divin Hadrien a ainsi répondu dans un rescrit à Aquilius Bradua :
« le mot même de défroque (pannicularia) suffit à faire entendre
clairement la façon dont il faut comprendre cette question. En effet,
personne ne prétendra à juste titre que l’on entend par défroque les biens
des condamnés (bona damnatorum). Et si quelque <condamné> porte
une ceinture (zona) à la taille, personne ne devra en revendiquer sans
ambages la propriété. Mais on entend par défroque l’habit (uestis) dont il
est revêtu, les petites monnaies (nummuli) que renferme sa bourse pour sa
propre subsistance, les bagues (anuli) sans valeur, c’est-à-dire d’un
montant inférieur à cinq aurei. Autrement, si un condamné porte au doigt
une sardoine ou une autre pierre précieuse d’un grand prix, s’il détient
dans le pli de sa toge le reçu d’une forte somme d’argent, il n’a aucun droit
de le conserver à titre de défroque. La défroque ce sont ces <affaires> que
celui qui est retenu en détention (custodia) apporte avec lui, à savoir
les dépouilles (spolia), comme l’indique leur nom lui-même, dont il est
revêtu, lorsqu’il est conduit au supplice. C’est pourquoi, ces choses dont
<le condamné> est dépouillé au moment où il est puni ne peuvent être ni
revendiquées par les gardes (speculatores) pour eux-mêmes, ni convoitées
par les sous-officiers (optiones). Pour cette raison les gouverneurs ne
doivent pas les détourner à leur profit, ni tolérer que les sous-officiers ou
les gardiens de prison (commentarienses) usent librement de cet argent,
mais ils doivent l’employer à ces dépenses auxquelles elles sont
généralement affectées conformément au droit des gouverneurs, à savoir
l’achat de fourniture en papyrus (chartiaticum) que l’on peut en tirer pour
certains officiers (officiales), les dons que l’on peut en prélever pour
récompenser les soldats qui se sont comportés avec bravoure, voire
les gratifications que l’on peut accorder aux barbares qui se sont
présentés, soit en ambassade, soit dans d’autres circonstances. <On a vu>
bien souvent des gouverneurs remettre au fisc les sommes qu’ils avaient
ainsi prélevées : il s’agit là d’un empressement tout à fait excessif,
puisqu’il suffit, s’ils ne les détournent pas pour leur propre usage, qu’ils
permettent de les consacrer aux besoins de la fonction ».
b. Inventaire scrupuleux des biens
confisqués et affichage légal
(Valentinien, Valens et Gratien Augustes,
à Florianus, comte du domaine privé,
Code théodosien, 10, 9, 1 = Code de Justinien,
10, 10, 3 ; 29 mars 369)
À chaque fois que quelque chose doit être ajouté à notre domaine, soit
à l’issue de la confiscation (publicatio) <des biens> d’une personne, soit
pour une raison juridique, que l’incorporation soit accomplie
conformément au rite et à l’usage par le comte du domaine privé, et
ensuite par les receveurs (rationales) qui résident dans les provinces
concernées, et qu’une plume (stilus) scrupuleuse dresse la liste détaillée de
tous les biens. Cependant, que les affiches (tituli) qui indiquent que ces
propriétés (praedia) sont par ajout consacrées à nos noms ne soient posées
qu’en toute conformité à une certification des pouvoirs publics. Que
soient exposés sur-le-champ aux plus lourds supplices (grauissima
supplicia) ceux qui oseraient procéder à l’usurpation pour leur propre
compte de quelque chose de ce genre.
Donnée le quatrième jour des calendes d’avril sous le consulat de
l’empereur Valentinien et de Victor.
c. Description exhaustive des biens
et inventaire complet sous le sceau
du juge (Valentinien, Valens, Gratien,
Augustes, à Probus préfet du prétoire,
Code théodosien, 9, 42, 7 = Code de Justinien,
9, 49, 7 ; 5 mai 369)
Si, à l’intérieur de la province, quelqu’un est tombé sous le coup d’une
liquidation de ses biens (proscriptio) en raison de la nature de son crime
(qualitas delicti), qu’une recherche soit entreprise dans les délais les plus
rapides par le soin du bureau (officium) du gouverneur, de telle sorte que
rien ne soit l’objet d’un détournement : qu’il s’agisse d’un acte de
connivence (colludium) ou d’une faveur (gratia), c’est un vol (furtum) au
<détriment> des revenus de notre trésor privé (res priuata). En
conséquence, nous tenons à ce qu’un inventaire (indago) exhaustif
comprenne l’étendue et la valeur d’une propriété rurale, la proportion de
terres cultivées et de celles qui doivent l’être, l’inventaire des vignes,
des oliviers, des labours, des pâturages, et des bois ; <que l’on précise>
même l’agrément et la beauté des lieux, l’ornement des parties bâties ou
occupées, le nombre des esclaves, urbains ou rustiques, affectés aux
domaines mis en exploitation, quels genres de savoir-faire on leur a
inculqués, combien sont les gardiens de ferme et les colons, le nombre de
boeufs employés aux travaux des terres et aux charrues, le nombre
des troupeaux de gros et de menu bétail et comment ils se répartissent en
détail, combien il y a d’or et d’argent, de vêtements et de bijoux, selon
la catégorie et le poids, et <tout> ce qui pourra être découvert selon quel
classement et dans quels entrepôts.
Nous voulons tous ces biens, comme tu l’auras compris, et ce n’est que
lorsqu’ils auront été assemblés par l’enquête (inquisitio), qu’ils seront
remis au bureau du receveur de notre domaine privé (rationalis rei priuatae)
<C. I. ou aux agents du palais (palatini) qui auront été dépêchés pour
le traitement de cette affaire> et qu’ils seront attachés à notre patrimoine.
Il faut que, sans tarder, l’inventaire complet désignant chaque chose par
son nom nous soit transmis par courrier officiel (litterae publicae) du juge,
dans le détail, toute négligence devant inévitablement être sanctionnée.
En effet, à l’issue de la première enquête, conduite par le bureau
mentionné plus haut, le receveur de notre Trésor privé recevra la charge
de conduire une seconde enquête et s’il s’avère que la liste <des biens
soumis à la liquidation> est plus longue <que le premier inventaire>,
le bureau responsable de la fraude sera condamné à verser sur ses propres
ressources un montant équivalent à ce qui aura été soustrait.
Donnée le troisième jour des nones de mai à Trèves, sous le consulat
de Valentinien, et de Victor.

*
* *

Que reste-t-il à un condamné lorsqu’il a été entièrement dépossédé de


ses biens à l’issue d’une peine capitale ? Ses pannicularia ou « sa défroque »
répond l’empereur Hadrien dans le rescrit qu’il adresse à un certain
Aquilius Bradua (R46a). Ce destinataire dont le nom a été ici altéré par
des copistes (les compilateurs du Digeste ?) pourrait être le sénateur
M. Appius (Atilius) Bradua qui, après avoir exercé le consulat sous
Trajan (98-117) ou Hadrien (117-138), était devenu légat de Germanie puis
de Bretagne (PIR2 A 1298) sous ce second règne. Le mot « défroque »
observe l’empereur suffit à faire entendre ce dont il s’agit. Et pourtant, il
pourrait précisément s’agir d’un néologisme introduit par Hadrien lui-
même, car ce terme – forgé sur le diminutif de pannus, le petit lambeau
d’étoffe, ou panniculus – ne semble attesté nulle part ailleurs dans
la littérature latine.
On ne saurait dépouiller un condamné à mort de sa ceinture (zona)
dans laquelle il conserve sans doute un peu de petite monnaie
(indispensable pour se nourrir en prison ou obtenir la faveur
des gardiens), ni des anneaux qu’ils portent aux doigts pourvu que cette
pacotille soit d’une valeur inférieure à cinq aurei – sous les Antonins (de
98 à 192) le poids de l’aureus s’élève à un peu plus de 7 grammes. Tout
le reste entre dans la confiscation, y compris un bijou de valeur ou un reçu
bancaire que le condamné porterait encore sur lui au moment de son
arrestation. Ce rescrit donne donc d’abord une limite au dépouillement du
condamné, en allant jusqu’à préciser ce qui pourrait encore être
inventorié lors de la fouille au corps à l’entrée du cachot. Mais cette
première recommandation laisse bientôt place à la principale
préoccupation du législateur, à savoir la lutte contre la corruption
des officiers (speculatores, optiones, commentarienses) affectés à
la surveillance des prisonniers [KRAUSE 1996, p. 252-254 et 264-265]. La loi
d’Hadrien précède donc sur ce point les nombreuses dispositions
postérieures, d’époque constantinienne en particulier, réprimant
les exactions et les détournements commis par les gardes et qui engagent
la responsabilité du gouverneur lui-même (R18). De telles pratiques sont
largement attestées aux IIIe et au commencement du IVe siècle par les Actes
des Martyrs [RIVIÈRE 2004c]. Le troisième point abordé dans le rescrit
d’Hadrien vise à contrôler l’affectation des biens mobiliers prélevés sur
le condamné : ils peuvent être employés pour couvrir les dépenses
courantes du bureau du gouverneur (achat de papyrus), les récompenses
accordées aux soldats, voire les gratifications attribuées aux barbares ;
le destinataire de ce rescrit a gouverné des provinces frontalières de
l’Empire, la Germanie et la Bretagne, et a pu avoir affaire à ces échanges de
cadeaux avec les populations extérieures à l’Empire. Non sans ironie,
Hadrien condamne enfin le zèle excessif de certains gouverneurs qui
s’emparent des dernières valeurs conservées par les condamnés pour
les attribuer au fisc impérial. Comme dans un autre rescrit relatif aux
confiscations (R46a) et au détour d’une leçon de comptabilité, l’empereur
témoigne de sa magnanimité – et de sa volonté de réfréner
les revendications du fisc sous son règne.
À quelques jours d’écart, au printemps 369, les empereurs Valentinien,
Valens et Gratien ont adressé à deux hauts fonctionnaires deux
constitutions (R46b-R46c) précisant les modalités matérielles et
procédurales selon lesquelles devait être réalisée la publication des biens
qui entraient dans le domaine impérial, soit à l’issue d’une confiscation
consécutive à une sentence pénale, soit parce que ces biens,
conformément au droit, apparaissaient en déshérence (biens vacants ou
caducs). La seconde de ces deux constitutions est adressée à
Sextus Claudius Petronius Probus, un personnage particulièrement
influent à la cour impériale, lié par mariage à la grande famille des Anicii
et qui a revêtu de très hautes charges, notamment la préfecture du
prétoire d’Illyrie, d’Italie et d’Afrique, une première fois entre 368 et
375 (PLRE, I, p. 736-740). Ce chrétien est bien connu d’Ammien Marcellin
qui, tout en dénonçant sa rapacité et son goût de l’intrigue (Ammien
Marcellin, 28, 1, 31), et tout en lui reprochant ses tergiversations face au
danger barbare, lui reconnaît le mérite d’avoir su protéger Sirmium
(l’actuelle Sremska Mitrovica) d’une attaque lancée par les Quades en
371 sur cette capitale de l’Illyricum (Ammien Marcellin, 29, 6, 9-11).
Les dépenses de l’État impérial pour l’entretien de l’armée et
la fortification des villes, en cette période d’offensives répétées
des barbares, nécessitaient l’attention la plus scrupuleuse aux revenus
tirés des taxes et des confiscations. Deux ans auparavant, donc, parmi tant
d’autres lois qui lui ont été adressées par les empereurs et que
les compilateurs du Code théodosien ont choisi de conserver, Probus avait
reçu cette directive visant à préciser l’inventaire des biens qui devait
accompagner une confiscation, à la fois pour que rien ne soit dissimulé
par le condamné et que rien ne soit détourné par l’administration à
l’occasion de cette incorporatio au domaine impérial. Une même
recommandation avait été adressée quelques jours auparavant au
responsable lui-même de ce domaine impérial, le comes rei priuatae –
une fonction qui perdurera sous ce titre jusqu’au VIe siècle –, lequel avait
sous ses ordres dans chaque province un rationalis rei priuatae – un titre qui
e
s’était substitué au milieu du IV siècle à celui de magister rei priuatae
[DELMAIRE 1989, p. 599]. Lorsque les compilateurs byzantins ont intégré à
leur tour cette loi dans le Code de Justinien, ils ont procédé à
une interpolation permettant de mettre à jour la désignation
e
des personnels concernés : en bref au VI siècle l’application de
la confiscation était également mise en œuvre par des agents (les palatini)
envoyés par le palais (R46c). Pour l’année 369 à laquelle les deux
constitutions ont été rédigées, il ressort qu’un premier inventaire
des biens est dressé par le bureau du gouverneur, c’est-à-dire, le juge qui a
prononcé la sentence, et qu’un inventaire contradictoire a lieu ensuite
pour veiller à ce que l’ensemble du patrimoine ait bien été répertorié mais
également que rien n’ait été détourné entretemps (R46c). Pour éviter
toute aliénation frauduleuse des biens confisqués, ceux-ci étaient
matériellement signalés par des « placards » (tituli) qui indiquaient qu’ils
appartenaient désormais au fiscus impérial. Mais là encore de nombreux
abus se sont produits (R46b). Par ailleurs, des scellés étaient posés, en
principe seulement à l’issue de la sentence, mais également, en cas de
lèse-majesté ou de magie, naturellement, dès le moment de l’inculpation
[DELMAIRE 1989, p. 606]. Selon Ammien Marcellin (29, 2, 3), lors
des poursuites en chaîne qui ont affecté l’Orient en 371-372, les agents
préposés aux scellés intervenaient sur la moindre dénonciation, plaçaient
ces scellés sur les maisons sans doute officiellement aux fins de l’enquête,
et en profitaient parfois pour y glisser des pièces à conviction contre
les prévenus !
47

Confisquer les biens du condamné


et épargner ses enfants : principe de la non-
transmissibilité de la peine

a. Les dispositions concernant les biens


de Cn. Calpurnius Pison exposées dans
le Senatus consultum de Cn. Pisone Patre
(ECK-CABALLOS-FERNANDEZ 1996, p. 42-
44 = Année Épigraphique 1996, no 885,
p. 289, l. 84-108)
84. (…) <C’est pourquoi, à la peine qu’il (Pison) s’était lui-même
infligée, il [le sénat] ajoutait>… que les biens de Cn. Calpurnius Pison père
soient confisqués (publicare). 85. À l’exception d’un domaine de bois et de
pacages (saltus) qui se trouvait en Illyrie ; il plaisait à Tibère César Auguste,
notre prince, que ce domaine qui avait été accordé en don par son père,
le divin Auguste, à Cn. Calpurnius Pison, soit rendu, puisqu’il avait décidé
qu’il lui soit donné, pour cette raison que les cités dont les limites
atteignaient ces pâturages s’étaient plaintes à de nombreuses reprises
des atteintes (iniuriae) qui leur avaient été portées par les affranchis et
les esclaves de Cn. Pison père ; il pensait qu’il fallait veiller qu’à l’avenir
90. les alliés du peuple romain ne puissent se plaindre à bon droit et à
juste titre ; de même que le sénat, en mémoire de sa [Germanicus]
clémence et de son esprit de justice et de sa grandeur d’âme, autant de
vertus qu’il avait reçues de ses ancêtres, puis qu’il avait apprises du divin
Auguste et de Tibère César Auguste, ses princes, il pensait qu’il était
conforme à l’équité et à l’humanité que sur les biens confisqués de Pison
père, à son fils Pison l’aîné, au sujet duquel rien n’avait été dit, qui avait
été questeur de notre prince, que 95. Germanicus avait aussi honoré de sa
libéralité, qui avait donné de nombreux gages de sa modestie, à partir
desquels on pouvait espérer qu’il ne serait en aucune façon semblable à
son père, de donner, au nom du prince et du sénat, la moitié des biens et
que celui-là, tenu par un tel bienfait, agirait correctement et
conformément à l’ordre des choses, s’il changeait le prénom transmis par
son père. 100. Et que même à Marcus Pison, auquel le sénat, ayant
consenti à l’humanité et à la modération de son prince, avait accordé par
jugement (arbitrari) l’impunité (impunitas), pour que ce bienfait du sénat
lui parvienne plus facilement intact, soit donnée l’autre moitié des biens
paternels, de telle sorte que sur tous ces biens qui avaient été confisqués
par décret du sénat et qui leur avaient été concédés, on donnerait à
Calpurnia, 105. la fille de Cn. Pison, un million de sesterces, à titre de dot,
ainsi que quatre millions, à titre de pécule. Il a plu de même au sénat que
ce que Cn. Pison père avait édifié au-dessus de la porta Fontinalis pour relier
deux maisons privées, les curateurs chargés de la juridiction des lieux
publics veilleraient à ce que cela soit enlevé et démoli.
b. La peine ne se transmet
pas aux héritiers (Paul, Commentaire
à Plautius, extrait du livre 18,
fr. 1246 Lenel = Digeste, 48, 19, 20 ; début
de l’époque sévérienne ?)
Si une peine est infligée à quelqu’un, il a été retenu en vertu du droit
ainsi forgé qu’elle ne se transmet pas aux héritiers. La raison d’un tel
principe paraît tenir au fait que la peine a été établie pour la correction
(emendatio) des hommes. Elle cesse avec la mort de celui pour lequel elle
paraît avoir été établie.

c. Confiscation, « raison naturelle »,


et « portions » réservées aux enfants
(Paul, Sur les parts qui doivent être
accordées aux enfants des condamnés,
extrait du livre unique, fr. 1262 Lenel
= Digeste, 48, 20, 7, pr.-5 ; époque
sévérienne)
Pr. Puisque la raison naturelle, telle une loi tacite, adjugerait aux
enfants l’hérédité des parents, comme si elle les appelait à une succession
qui leur est due (et c’est précisément pour cette raison qu’ils sont
proclamés par le droit civil du nom « d’héritiers siens » et qu’ils ne
peuvent même pas être écartés de cette succession par un jugement, sauf
pour des motifs justifiés) la disposition suivante a été considérée comme
très juste : au cas où la condamnation ôte les biens aux parents en raison
de la peine, qu’il soit tenu compte des enfants, de sorte qu’ils n’encourent
pas une peine plus lourde pour ce qui a été perpétré par un autre, eux
qu’aucune faute n’atteint, en étant précipités au même moment dans
la plus grande indigence. C’est pourquoi il a paru bon que l’on établisse
dans un souci de modération que ceux qui auront été appelés à <la
succession> universelle, conformément au droit de succession, obtiennent
que des portions en soient extraites pour leur être accordées. 1. Si
un affranchi (libertus) est mis à mort, ce qui parmi ses biens devait revenir
à son patron s’il était décédé de sa belle mort, ne doit pas être enlevé à ce
dernier. La part restante des biens qui ne relève pas de l’affranchissement
(manumissio) doit être revendiquée par le fisc. 2. Parmi les biens
des condamnés, l’équité commande d’accorder des portions aux fils
adoptifs, aussi bien qu’aux fils biologiques (naturales), à condition que
l’adoption ait été accomplie sans intention frauduleuse (fraudis causa).
L’adoption paraît avoir été accomplie dans une intention frauduleuse,
alors même qu’aucune inculpation (reatus) n’a encore été engagée, si
quelqu’un par désespoir et en raison de sa pleine conscience (conscientia)
de la situation, adopte par crainte d’une accusation imminente, de
manière à ce que soit soustraite une part des biens dont il sait qu’ils vont
lui être enlevés. 3. Si le condamné a plusieurs enfants, on rapporte
des exemples, en vertu desquels tous les biens du condamné ont été
accordés aux enfants. Mais le divin Hadrien a également répondu dans
un rescrit : « Le nombre des fils d’Albinus m’a incité à considérer
favorablement la cause des enfants, puisque je préfère que mon empire
soit augmenté par un ajout des hommes plutôt que par une abondance
des richesses. C’est pourquoi je veux que les biens paternels leurs soient
accordés, qui feront apparaître autant de possesseurs <qu’il y a d’enfants>,
même s’ils leur reviennent en entier ». 4. En outre, les portions
des enfants ne sont pas augmentées par les biens que le condamné a
acquis par son crime (flagitium), par exemple s’il a veillé à ce que son
parent soit tué et qu’il a reçu l’héritage ou a accepté la possession
des biens, comme l’a précisé Antonin le Pieux dans un rescrit. Dans
la même logique, le même prince a établi par une constitution qu’une fille
de famille convaincue d’avoir tué par le poison celui par lequel elle avait
été instituée héritière, quand bien même c’est sur l’ordre du père, sous
la puissance duquel elle se trouvait, qu’elle avait été admise à l’héritage,
celui-ci devait être revendiqué par le fisc. 5. Les choses acquises après
la condamnation par celui dont les biens ont été confisqués, s’il s’agit d’un
relégué, reviennent aux héritiers inscrits par lui <sur son testament>, ou à
ceux qui se présentent à la succession ab intestat, car le relégué dans
une île a la capacité de tester, ainsi que les autres droits <du citoyen>. Or
s’il s’agit d’un déporté, puisque ce dernier ne peut avoir d’héritier parce
qu’il perd la cité, le fisc saisit les biens acquis après <la condamnation>.

d. Protection de l’héritier
antérieurement à sa mise au monde
(Paul, Sur les parts qui sont concédées
aux enfants des condamnés, extrait du livre
unique, fr. 1263 Lenel = Digeste,
1, 5, 7 ; époque sévérienne)
Celui qui est dans l’utérus est protégé comme s’il entrait déjà dans
les affaires humaines, chaque fois que la question se pose des avantages
devant lui revenir une fois mis au monde, même si avant qu’il soit né il
n’est <juridiquement> utile à personne.
e. « Le stylet de la proscription »,
la protection de l’épouse et des parents
(Arcadius et Honorius à Caesarius, préfet
du prétoire ; Code théodosien,
9, 42, 15 = Code de Justinien,
9, 49, 9 ; 13 février 396)
Si à l’avenir, ce qu’à Dieu ne plaise (quod absit), quelqu’un est frappé du
stylet de la proscription, que lui seul expie les peines de son crime. Que
personne ne souffre en partage (consors) la perte des biens (bonorum
amissio). Que l’épouse reste étrangère au sort de son mari proscrit
(proscriptus). Lorsque celui-ci, selon les règles habituelles, a été proscrit,
que sa femme reçoive les richesses qu’elle détient en propre (propriae
facultates) et en revendique sans délai la remise (uindicare), dès lors qu’elles
ont fait l’objet d’une mainmise (manus iniectio) ou d’une saisie (occupare),
quelle qu’en soit la modalité. Que <le montant de> la dot soit présenté, à
condition qu’il s’agisse non pas de ces choses qui parfois auront été
inscrites sans fondement à l’inventaire des titres dotaux (dotales
instrumenta), mais de ce qui aura été réellement remis <à titre de dot>,
comme elle en fournira la preuve. Quant aux biens <de l’épouse> qui, le cas
échéant, seraient mélangés à ceux du proscrit, qu’on ne les lui refuse pas,
si elle les a reçus de son mari avant les noces, à titre de donation, alors que
celui-ci était encore innocent (innoxius). Et selon le même principe, qu’il
s’agisse du frère, de la sœur, d’un proche (propinquus), d’un parent par
alliance (affinis) ou de n’importe quelle autre personne, ils ne sont en
aucune façon associés (sociantur) par le sort au proscrit. Chacun, en effet,
doit être aussi largement tenu à distance de la crainte (metus) et de
la peine, qu’il est étranger au crime (alienus a crimine).
Donnée le troisième jour des nones d’août à Constantinople, l’année
du 4e consulat d’Arcadius Auguste et du 3e consulat d’Honorius Auguste.

*
* *

Sous le règne de Tibère (14-37), les dispositions relatives aux biens de


Pison qui s’était suicidé en 20, avant la fin de son procès, témoignent d’un
mécanisme mis en place au commencement de l’Empire, afin d’éviter aux
enfants de tomber dans le dénuement (R47a). La peine de confiscation de
l’ensemble des biens est pleinement et automatiquement appliquée, mais
elle est aussitôt amendée, grâce à la clémence du prince invoquée par
le sénatus-consulte. Le cadet des fils qui avait accompagné son père en
Syrie avait sans doute participé à la faute commise par ce dernier, mais il
ne pouvait en tant que fils, précisément, désobéir, aussi est-il pardonné.
L’aîné qui n’avait pas quitté Rome ne pouvait être responsable
des événements d’Orient. L’un et l’autre reçurent donc à parts égales
le patrimoine paternel dont avait été soustrait un domaine illyrien qui
avait été donné autrefois par Auguste au condamné. Tibère souhaite
le reprendre en invoquant les atteintes portées aux cités voisines de ce
domaine par les serviteurs de Pison. Enfin, de l’ensemble des biens
paternels redistribués entre les deux fils, a été également déduite
une somme importante au titre de dot (un million de sesterces, c’est-à-
dire le montant du cens sénatorial) et au titre de pécule (4 millions de
sesterces) pour Calpurnia, « la fille de Cn. Pison » (sans doute la fille du fils
aîné, plutôt qu’une fille de Pison père), afin qu’elle puisse réaliser
un mariage de son rang [ECK-CABALLOS-FERNANDEZ 1996, p. 202-222]. Un chiffre
total équivalent à ce qui sera accordé en 49 ap. J.-C. à Lollia Paulina
condamnée pour diverses pratiques divinatoires et « projets funestes
contre l’Etat » (perniciosa in rem publicam consilia) (Commentaire à R11) :
En conséquence, après la confiscation de ses biens (bona publicata),
elle devait quitter l’Italie (Italia cedere). Ainsi, de ses richesses
immenses (opes immensae) on ne laissa à l’exilée (exul) que 5
millions de sesterces. (Tacite, Annales, 12, 22, 2)

Une telle somme, considérable au regard des limites imposées par


la législation augustéenne (R42b), et considérée comme un bienfait dans
le cas de Calpurnia, pourrait laisser penser que Lollia Paulina avait été
seulement « reléguée » (R44), comme d’autres femmes de l’aristocratie à
la même époque, et qu’elle conservait donc une capacité testamentaire, à
la différence des exilés frappés de « l’interdiction de l’eau et du feu » (R42)
ou de la « déportation » (R43) qui perdaient toute capacité patrimoniale.
Quoi qu’il en soit, peu après, elle fut contrainte dans son exil de se donner
la mort (Tacite, Annales, 12, 22, 3).
Le principe de la non-transmissibilité de la peine aux enfants du
condamné rappelé par Paul (R47b) figurait également dans un rescrit de
Marc Aurèle (161-180) et Lucius Verus (161-169) aux Hiérapolitains,
mentionné par Callistrate et selon lequel le crime (crimen) ou la peine du
père ne provoquent aucune souillure (macula) sur la personne du fils
(R47c). Pour concilier ce principe avec celui de la confiscation des biens du
condamné dans une sentence capitale, le même Paul a consacré un traité
aux portiones devant être préservées pour les enfants de celui-ci (R47b).
L’extrait de ce traité conservé au Digeste s’ouvre par un rappel du droit
testamentaire : celui-ci se fonde d’abord sur la « raison naturelle » (ratio
naturalis), c’est-à-dire sur le « droit naturel » (ius naturale) que
la jurisprudence impériale a défini de différentes façons : selon Ulpien
(Digeste, 1, 1, 1, 4), cette notion recouvre non seulement ce qui est propre
au genre humain, mais plus largement « ce que la nature enseigne à tous
les animaux » ; selon Paul (Digeste, 1, 1, 11, pr.), le droit naturel est « ce qui
est toujours bon et équitable », ailleurs il se confond parfois avec le droit
commun à tous les peuples, le ius gentium. En bref, « le droit naturel »
définit un ensemble de normes conformes à « l’esprit de justice »
(aequitas). C’est cet esprit de justice qui fonde selon Paul la « loi tacite » en
vertu de laquelle les enfants sont appelés à la succession des parents, pour
recevoir l’héritage, mais aussi les dettes dont celui-ci est grevé. Le droit
civil (c’est-à-dire le droit de Rome) s’est conformé à cette « raison
naturelle », à l’exception des causes justifiées dans lesquelles les enfants
ne paraissent pas mériter cette transmission patrimoniale. Or, dans
la mesure où une confiscation issue d’une sentence brise ce principe,
l’esprit de justice commande de réserver en réparation une partie du
patrimoine aux enfants, à raison au moins de portiones prélevées sur
l’ensemble (uniuersitas) de l’héritage qui aurait dû leur être transmis.
Parfois même, l’indulgence du prince conduisait ce dernier à redistribuer
l’ensemble des biens, sans en confisquer aucun, comme le proclame, pour
le bien être et la prospérité des sujets de l’Empire, le rescrit d’Hadrien
(117-138) en faveur des nombreux enfants d’un condamné (R47c ; Digeste,
48, 20, 7, 4).
Conformément au même principe de réparation et pour respecter
les liens de droit privé, la condamnation d’un esclave qui a été affranchi ne
doit pas léser son ancien maître devenu son patron. L’affranchissement
garantissait en effet une série de devoirs et d’obligations, y compris dans
le domaine testamentaire, en faveur du patron : la part des biens qui lui
serait revenue si l’affranchi n’avait pas été condamné devait être
préservée. Les enfants adoptifs sont de ce point de vue placés sur le même
plan que les enfants biologiques, à condition évidemment que l’adoption
n’ait pas été accomplie par le prévenu devant la menace de la sentence,
pour se donner des héritiers et soustraire une partie du patrimoine à
la confiscation (R47c ; Digeste, 48, 20, 7, 2). D’autres précautions sont prises
par deux rescrits d’Antonin le Pieux (138-161) : si un condamné a reçu
l’héritage d’un parent qu’il a assassiné, cette part des biens acquise par
le crime ne saurait être transmise à ses propres enfants ; ou encore, cas
extrême, une fille qui aurait tué son père ne saurait évidemment
bénéficier de l’héritage qu’il lui avait réservé et qui sera entièrement
confisqué. Réapparaît enfin l’opposition entre les deux formes d’exil,
la relegatio (R44) et la deportatio (R45) : contrairement au déporté qui,
déchu de sa citoyenneté, a perdu la factio testamenti, le relégué conserve
tous ses droits, y compris celui-ci. S’il est encore proclamé dans
une constitution d’Arcadius et Honorius en 396 (R47e), le principe de non-
transmissibilité de la peine aux enfants a donc été altéré depuis
le commencement de l’époque impériale, en étant soumis à l’exception
relative au crime de lèse-majesté.
48

Lèse-majesté et patrimoines : généalogie


de la solidarité de la peine sous l’Empire

a. La lèse-majesté : un crime poursuivi


même après la mort du coupable ; torture
des esclaves contre leur maître (Iulius
Paulus, Sur les jugements publics, extrait
du livre unique, fr. 1268 Lenel = Code
de Jusitinien, 9, 8, 6, pr.-1 ; époque
de Caracalla, de 198 à 217)
Pr. Il faudra toujours se souvenir <de cette disposition> : si quoi que ce
soit paraît avoir été perpétré contre la majesté de l’empereur, ce crime
doit être poursuivi même après la mort du prévenu, depuis que le divin
Marc a donné l’ordre que les biens de Dryantianus, qui avait été l’associé
de la folie de Cassius (Cassiani furoris socius), soient réclamés par le fisc
après sa mort. Et à notre époque, <des biens> ont <ainsi> été enlevés à de
nombreux héritiers. 1. Dans un crime de ce genre qui relève de la majesté
lésée (laesa maiestas) de l’empereur, que l’on torture (torquere) les esclaves,
y compris contre leur maître qui encourt la mort (in caput domini).
b. La lèse-majesté : poursuite post-
mortem, condamnation de la mémoire,
et torture des esclaves (Marcien,
Sur les jugements publics, extrait
du livre 1, fr. 198 Lenel = Code de Justinien,
9, 8, 6, 2-4 ; 218 ap. J.-C. ou peu après)
2. Depuis la constitution du divin Marc, nous avons commencé à
recourir au droit selon lequel la poursuite (crimen) peut être engagée
même après la mort des coupables (nocentes), de telle sorte que, le défunt
ayant été convaincu, la mémoire de ce dernier soit condamnée (memoria
damnari), et que ses biens soient enlevés à celui qui lui succède (successor).
Car quiconque a été saisi de l’intention (consilium) la plus criminelle <qui
soit> doit, dès cet instant même (exinde), être puni en quelque sorte dans
son esprit (sua mente). 3. C’est ainsi que les divins Sévère et Antonin ont
établi dans leurs constitutions en vertu de ce principe que quiconque a
contracté un tel crime ne peut procéder à aucune aliénation, aucune
manumission, ni même rembourser légalement son débiteur. Antonin
le Grand <Caracalla> a même rédigé un rescrit à ce sujet. 4. Dans une cause
de ce genre, c’est-à-dire dans une cause relative à la majesté, les esclaves
doivent être soumis à la torture contre leur maître qui encourt la mort (in
caput domini). Et si quelqu’un est décédé, que ses biens soient placés sous
surveillance en raison de l’incertitude de la personne du successeur, s’il
est prouvé qu’il est mort alors qu’il était impliqué dans une affaire de
majesté. Tels sont les termes d’un rescrit de Sévère et Antonin figurant
dans une lettre envoyée aux receveurs (rationales).
c. L’intention sacrilège de la lèse-majesté
pèse également sur la descendance
(Valentinien et Valens à Symmaque,
préfet de la Ville, Code théodosien,
9, 42, 6 ; 25 novembre 364)
Nous prescrivons que les biens (substantia) des condamnés reviennent
intégralement aux enfants, et que les enfants soient héritiers quelle que
soit la cause où se sont mis leurs parents, à la seule exception d’une
enquête de majesté (maiestatis quaestio) : quiconque, animé d’une intention
sacrilège (sacrilegus animus), attire à soi une telle enquête, reporte en toute
justice la peine, y compris sur ses descendants.
Donnée le septième jour des calendes de décembre à Milan, sous
le consulat du divin Iovianus et de Varronianus.

INTERPRÉTATION
Si, en raison de son crime quelqu’un a mérité d’être tué ou condamné,
le crime cesse (deficere) en même temps que son auteur, ses biens
reviendront alors à ses enfants ou à ses héritiers légitimes, à moins que
quelqu’un ne soit condamné en raison du crime de majesté (crimen
maiestatis) : dans ce cas Nous ordonnons au sujet des biens du père
condamné que même les fils leur soient rendus étrangers.
d. Réduction de la quote part des enfants
en cas de crime de lèse-majesté
(Les empereurs Gratien, Valentinien
et Théodose à Eutrope, préfet
du prétoire, Code théodosien, 9, 42, 8 = Code
de Justinien, 9, 49, 8 ; 17 juin 380)
Et si le déporté n’a ni enfants ni parents, que le fisc reçoive
les 5/6e (dextans) et que le 1/6e (sectans) restant soit préservé pour venir en
secours à celui dont la vie a été frappée. Exception faite de ceux qui ont
été frappés par le crime de majesté (crimen maiestatis). Dans ce cas, en
effet, nous ordonnons que seulement le sixième soit préservé pour
les enfants et pour les petits-enfants, en vertu de ce qui a été établi par
les règles mentionnées plus haut, tandis que le fisc entre en possession
des 5/6e. Car il convient de punir non seulement de la déportation, mais
également de l’indigence celui-là même qui a été convaincu d’un crime
aussi abominable.
Donnée le 15 des calendes de juin à Thessalonique, sous le consulat de
Gratien, pour la cinquième fois, et de Théodose Augustes.

e. Une faute à caractère héréditaire et


l’élargissement des cercles
de la culpabilité (Les empereurs Arcadius
et Honorius, Augustes, à <Flavius>
Eutychianus, préfet du prétoire
<d’Orient>, Code théodosien, 9, 14, 3 = Code
de Justinien, 9, 8, 5 ; 4 septembre 397)
Pr. Quiconque aura participé à une bande criminelle (factio scelesta)
constituée de soldats ou de civils (priuati), voire de barbares, qu’il se soit
chargé des serments (sacramenta) de la bande elle-même ou qu’il les ait
<seulement> prononcés, quiconque aura projeté de mettre à mort – car
les lois ont voulu punir avec la même rigueur aussi bien la volonté du
crime (uoluntas sceleris) que son accomplissement – des hommes illustres
qui participent aux conseils et à notre consistoire, mais aussi
des sénateurs (car eux-mêmes sont une partie de notre corps), ou
quiconque en définitive sert dans nos armées, qu’il soit emporté par
le glaive, comme il va de soi pour un inculpé de majesté (reus maiestatis), et
que tous ses biens soient adjugés à notre fisc (bona fisco addicere). Quant
aux enfants de celui-ci, auxquels nous accordons la vie, à titre
exceptionnel, par une impériale douceur (lenitas), alors même qu’ils
devraient périr du supplice du père (paternum supplicium), puisque l’on
peut craindre que de tels modèles (exempla) ne constituent une faute à
caractère héréditaire (crimen hereditarium), qu’ils soient considérés comme
étrangers à l’héritage (hereditas) et à la succession de la mère, de l’aïeul et
même de tous les proches (proximi), qu’ils ne reçoivent rien des testaments
faits par des tiers (extranei), qu’ils soient à jamais indigents et pauvres, que
l’infamie du père (infamia paterna) les accompagne toujours, qu’ils
n’atteignent absolument jamais ni les magistratures (honores), ni
les serments militaires (sacramenta). Qu’ils soient en définitive dans
une situation telle qu’ils croupissent dans une indigence éternelle
(perpetua egestas), de sorte que la mort leur soit un soulagement, et la vie
un supplice. 1. Nous ordonnons en conséquence que si jamais
des personnes de haut rang (notabiles) intervenaient en faveur de tels
individus, aucun pardon (uenia) ne leur soit accordé. 2. En ce qui concerne
les filles de ces <criminels>, quel qu’en soit le nombre, elles ne pourront
bénéficier que du quart des biens de leur mère en vertu de la loi Falcidia,
que celle-ci soit décédée après avoir rédigé un testament ou non, de sorte
qu’elles ne disposent frugalement que de la nourriture (alimonia) <due à>
une enfant, et non de l’entier bénéfice (integre emolumentum), <attaché> au
nom d’héritier. En effet, la sentence doit être plus douce envers les filles,
puisqu’en raison de l’infirmité de leur sexe (infirmitas sexus), nous ne
doutons pas qu’elles soient moins disposées au crime. 3. Que
l’émancipation qui aura été accordée par les personnes susdites, en faveur
de leur fils ou de leur fille, postérieurement à la promulgation de la loi,
soit déclarée nulle. 4. Nous avons décidé de n’accorder aucune valeur aux
dots, aux donations, à aucune autre forme, en définitive, de transfert de
propriété (alienationes), s’il a été établi qu’elles ont été accomplies, sous
quelque forme que ce soit, frauduleuse ou légale, à partir de l’époque où
les personnes mentionnées ont, dès les premiers instants, projeté de
participer à une bande (factio) ou à une association (societas). 5. Que
les femmes des personnes susdites sachent que, lorsqu’elles ont récupéré
leur dot, si elles se sont trouvées dans un état (condicio) tel qu’elles ont
reçu certaines choses de leurs maris à titre de donation, elles doivent
les conserver pour leurs enfants et qu’au moment de l’extinction de
l’usufruit, elles devront abandonner à notre fisc toutes ces choses qu’en
vertu de la loi elles devaient à leurs enfants. La <loi> Falcidia même est
remise seulement aux filles et non aux fils. 6. Les précautions que nous
avons prises au sujet des fils en question de ces personnes, nous
ordonnons de les appliquer avec la même rigueur également à leurs
agents (satellites), complices (conscii) et serviteurs (ministri), ainsi qu’aux
fils de ces derniers. 7. Il va de soi que si l’un d’entre eux, au
commencement de sa participation à la bande (factio), animé par
la recherche d’un dévouement authentique, a dénoncé (prodere) la bande,
nous lui offrons une récompense (praemium) et une magistrature (honos).
Quant à celui qui a fréquenté la bande, s’il dévoile sur le tard les secrets
des plans, tandis qu’ils étaient encore inconnus, qu’il soit seulement
considéré comme digne de pardon.
Donnée la veille des nones de septembre à Ankara, sous le consulat de
Caesarius et d’Atticus.

f. Les empereurs Arcadius et Honorius


Augustes à <Flavius> Eutychianus, préfet
du prétoire <d’Orient> (Code théodosien,
9, 40, 18 = Code de Justinien, 9, 47, 22 ;
25 juillet 399) : cf. R45r
*
* *

Le principe d’individualité de la peine a été reconnu à Rome à une date


très ancienne y compris dans la sphère du crime de haute trahison
(perduellio), si on en croit le témoignage de l’historien grec Denys
d’Halicarnasse (Antiquités Romaines, 8, 80, 1) relatif au procès de l’aspirant à
la tyrannie, Spurius Cassius, en 485 av. J.-C. (R6b4). Alors qu’il rédige ses
Antiquités Romaines sous le règne d’Auguste, Denys d’Halicarnasse peut-il
prétendre véritablement que cette coutume s’est maintenue jusqu’à son
époque ? C’est probablement exact pour ce qui concerne
le fonctionnement de la justice pénale « ordinaire », mais, comme
l’historien le souligne lui-même dans une digression sur cet écart entre
les Romains et les Grecs (Denys d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 8, 80,
2-3), le principe d’épargner les enfants pour la faute de leur père a déjà
connu des dérogations à Rome à l’occasion des guerres civiles. Lors de
la proscription syllanienne, en 82 av. J.-C., les fils des proscrits avaient été
purement et simplement bannis, avant d’être partiellement réhabilités et
seulement interdits d’accès aux honneurs quelques années plus tard. Mais
il a fallu attendre la clémence césarienne et une lex Antonia de
proscriptorum liberis de 49 av. J.-C. pour que les survivants puissent être
réintégrés à la cité, près de quarante ans après l’affichage des noms de
leurs pères sur les listes de proscription [HINARD 1985, p. 87-100 ; YAVETZ
2004, p. 72-73 ; HINARD 2011]. Dès son entrée au consulat, en 63 av. J.-C.,
Cicéron s’était fermement opposé à leur réhabilitation, avec
une intransigeance qu’il exprimera de nouveau, vingt ans plus tard, en
juillet 43 av. J.-C., dans les lettres adressées à M. Iunius Brutus, assassin de
César et défenseur de la Libertas, juste quelques semaines après
la déclaration de Lépide comme ennemi public (hostis publicus).
L’argumentation de l’orateur mérite d’être soulignée. Elle relève d’une
forme de chantage où les enfants de Lépide seraient pris en quelque sorte
en otage au service de l’intérêt commun, de la Res publica :

Il est cruel, j’en conviens, de punir, par les châtiments des fils
(filiorum poenae) les crimes commis par les pères (parentum scelera) ;
mais voici ce qui est admirable dans la sagesse des lois : que
la tendresse paternelle resserre les liens qui l’attachent à l’État.
(Cicéron, Lettre à Brutus, 12)

Un autre point doit être relevé. Dans son embarras pour tenter de
justifier la saisie complète du patrimoine de Lépide qui a été déclaré
« ennemi public », Cicéron recourt à une autre argumentation :
« Supposons encore que ce personnage dépose les armes et soit condamné
pour violence… ses enfants subiraient le même malheur par
la confiscation de leurs biens (bona publicata) ». L’orateur suppose ici que
Lépide renonce à la rébellion. Dans ce cas, en raison des actes qu’il avait
commis auparavant, il n’encourrait pas moins une poursuite pour violence
devant un tribunal de jurés (quaestio) qui prononcerait inévitablement
contre lui une « interdiction de l’eau et du feu », et donc nécessairement,
la confiscation des biens puisque celle-ci est toujours associée au
bannissement (R41). Dans le premier cas, la saisie du patrimoine aurait été
prononcée sans jugement du seul fait de la déclaration « d’ennemi
public », dans le second elle aurait été consécutive à un jugement. C’est
cet obstacle patrimonial au principe selon lequel les enfants ne doivent
pas être punis pour la faute de leur père que le juriste Paul a tenté de
résoudre, on vient de le voir (R47c), en envisageant la redistribution de
portiones aux enfants. Cette pratique de redistribution partielle (ou totale)
des biens est attestée dès le commencement de l’Empire, y compris à
l’occasion de certaines poursuites de lèse-majesté, comme le précise en
20 le fameux sénatus-consulte au sujet de Pison père (Senatus consultum de
Cn. Pisone patre), sous Tibère (14-37). C’est pourtant dans le domaine de
la lèse-majesté que se sont très tôt produites les premières dérogations.
Les juristes Paul et Marcien se réfèrent notamment à un rescrit de Marc
Aurèle (161-180) consécutif à l’usurpation d’Avidius Cassius en 175 (R48a-
R48b), mais les dispositions qu’il contient concernant la possibilité de
poursuivre le crime « même après la mort du prévenu » remontent
pourtant au commencement du principat. Dans le cas d’une usurpation,
on comprend en effet que les proches de celui qui a tenté de renverser
l’empereur puissent être assimilés à des « complices » (conscii) ou
des « associés » (socii). Cette dérogation découle du principe même
d’exception introduit par le crime de lèse-majesté, toujours assorti sur
le plan procédural de la possibilité de torturer les esclaves contre leur
propre maître (R16). Cette « exception » est formulée comme telle dans
e
la législation du IV siècle. L’extension maximale atteinte par l’irradiation
du crime aux descendants, au cercle des proches et à la descendance
des complices (satellites) eux-mêmes trouve son aboutissement dans
la fameuse constitution « Quisquis… » d’Arcadius et d’Honorius datée de
l’année 397 (R48e) [RIVIÈRE 2017]. Élaborée dans la partie orientale de
l’Empire avant d’être étendue à l’Occident, elle s’inscrit assurément dans
le contexte propre aux rivalités de la cour de Constantinople dans
les années qui ont précédé l’exil, puis la mort, de l’eunuque Eutrope
(Flavius Eutropius), en 399. On admet parfois qu’elle n’a constitué qu’une
anomalie, un écart soudain du législateur, vite réparé par une loi
légèrement postérieure qui renoue avec « l’humanité » du droit romain
des siècles antérieurs [SCHULZ 1936, p. 203-204]. En réalité il se pourrait que
cette rectification n’ait intéressé que les crimes qui n’entraient pas dans
la sphère de la majesté [HUMBERT 2013]. Toujours est-il que les juristes de
Théodose II (408-450) ont fait le choix de conserver un large morceau de
cette loi dans un souci de sélection de textes antérieurs et dans le but
d’une validation du droit en vigueur. Des siècles plus tard, à l’époque
médiévale, cette constitution inspirera également la lutte contre
les hérétiques [CHIFFOLEAU 2015].
49

La grâce et le rétablissement des condamnés


dans leurs droits : de César aux empereurs
chrétiens

- Au commencement : la « clémence de César » -

a. César octroie sa « grâce » en restituant


dans leurs droits des condamnés,
par le truchement d’un vote comitial,
en forme de « bienfait » du peuple (César,
La guerre civile, 3, 1, 4-5 ; 46 av. J.-C. ou
peu après)
4. De même, en recourant à des préteurs et à des tribuns qui portaient
devant le peuple des propositions de loi (rogationes), il rétablit
intégralement dans leurs droits (in integrum restituere) un bon nombre de
ceux qui avaient été condamnés en vertu de la loi Pompeia. Elle remontait
à cette période au cours de laquelle Pompée avait eu à sa disposition dans
la ville des détachements de légions, tandis que les procès étaient menés à
leur terme en un jour seulement et réunissaient des juges, pour les uns au
moment de participer à l’audience, pour les autres au moment de porter
leur suffrage (sententiam fere). Dès le commencement de la guerre civile ces
gens qui avaient été condamnés s’étaient présentés à lui, au cas où il
voudrait recourir à leur effort dans la guerre, lui-même considérant
aussitôt que c’était tout comme s’il y avait recouru, puisqu’ils s’étaient
remis en sa puissance. 5. Il avait en effet décrété qu’ils devaient être
« rétablis » dans leurs droits (restituere) par un jugement du peuple, plutôt
qu’ils ne paraissent avoir été « ramenés » (recipere) par son bienfait
(beneficium), afin qu’il ne paraisse pas ingrat s’il reportait la faveur qu’il
leur devait (gratia), ni arrogant s’il ravissait le bienfait du peuple.
- Le retour des relégués sous l’Empire -

b. Des relégués séjournent dans


la province de Bithynie, alors qu’ils n’ont
pas été rétablis dans leurs droits (Pline
à Trajan, Lettres, 10, 56 (64) et réponse
de Trajan à Pline, 10, 57 (65) ; entre
le 28 janvier et le 18 septembre
de la deuxième année du gouvernement
de Pline le Jeune en Bithynie, en 111-
112 ou en 112-113 ap. J.-C.)
1. Je t’adresse, ô maître, mes remerciements les plus hauts, car au
milieu des affaires de très grande importance, tu as jugé digne de régler
ma conduite au sujet de celles à propos desquelles je t’avais consulté. Par
la présente, je te demande de le faire de nouveau. 2. Un homme est venu
me trouver à mon tribunal et il m’a révélé que ses adversaires, qui avaient
été relégués pour une durée de trois ans par Servilius Calvus, homme très
illustre, demeuraient encore dans la province. Inversement, ceux-ci
prétendirent au contraire qu’ils avaient été rétablis dans leurs droits
(restituti), et ils donnèrent lecture de l’édit en question. Pour cette raison,
j’ai cru indispensable de porter à ta connaissance l’affaire dans sa totalité.
3. Car, si tes instructions (mandata) veillent à ce que je ne rétablisse pas
des personnes reléguées par moi ou par un autre que moi, elles ne disent
rien de ceux qu’un autre aurait relégués et rétablis. C’est pourquoi, par
Hercule, je me suis trouvé dans l’obligation de te consulter pour savoir
quelle conduite tu voulais aussi me voir observer envers ceux qui, ayant
été relégués à perpétuité (in perpetuum relegati), n’ont pas été rétablis dans
leurs droits et qui sont pris en flagrant délit (deprehendere) de demeurer
dans la province. 4. Car voici un cas qui a été également soumis à mon
enquête (cognitio). Quelqu’un qui avait été relégué à perpétuité par Iulius
Bassus a en effet été conduit (adductus) devant moi. Quant à moi, je savais
que les actes de Bassus avaient été cassés (rescindere) et que le sénat avait
accordé le droit à tous ceux au sujet desquels ce dernier avait pris
une décision quelconque d’intenter une action pour l’entière révision de
leur situation (ex integro agere), à condition de ne pas dépasser un délai de
deux ans. Par conséquent, j’ai interrogé celui qu’il avait relégué, pour
savoir s’il s’était présenté devant le proconsul et s’il l’avait informé de sa
situation. Il me répondit que non. 5. Voici la raison pour laquelle je te
consulte : faut-il que je le rende à la peine qu’il encourait initialement, ou
que je prononce quelque chose de plus grave ? Et que faut-il décider de
préférence selon toi, contre celui-ci, en premier lieu, mais aussi contre
ceux dont on découvrirait qu’ils se trouvent dans une condition
semblable ? Je joins à cette lettre le décret et l’édit de Calvus, ainsi que
le décret de Bassus.
RÉPONSE DE TRAJAN
1. Quelle décision prendre au sujet de la personne de ceux qui ont été
relégués pour trois ans par P. Servilius Calvus et qui, ayant été rétablis peu
après dans leurs droits (restituti) par un édit du même <gouverneur>, sont
demeurés dans la province ? Je t’écrirai bientôt à ce sujet, lorsque que je
me serai informé auprès de Calvus des raisons d’un tel fait. 2. Quant à
celui qui a été relégué à perpétuité par Iulius Bassus, puisque la possibilité
lui a été octroyée durant deux ans d’intenter une action, s’il estimait que
sa relégation constituait une atteinte <au droit> (iniuria), puisqu’il n’en a
rien fait et qu’il a persévéré à demeurer dans la province, tu dois l’envoyer
enchaîné (uinctus) aux préfets de mon prétoire. Il ne suffit pas en effet
qu’il soit simplement rétabli dans sa peine (poenae restituere), puisqu’il l’a
esquivée par contumace (contumacia).

c. Dispositions testamentaires en faveur


de ceux qui auront œuvré pour le retour
du relégué (Gaius, Sur les fidéicommis,
extrait du livre 1, fr. 392 Lenel = Digeste,
34, 5, 5, pr. ; après 161 ap. J.-C.)
Un relégué, dans le testament qu’il avait rédigé, après l’institution de
l’héritier et après avoir donné des legs à certains tiers a ajouté cette
clause : « Si l’un de mes héritiers ou de mes autres amis dont j’ai fait
mention dans ce testament ou si quelqu’un d’autre obtient de l’empereur
en ma faveur un rétablissement <dans ma condition antérieure> et qu’il
advienne que je meure avant d’avoir pu le remercier, je veux que celui qui
aura accompli une telle démarche reçoive tel montant de pièces d’or, de
la part des héritiers. L’un de ceux qu’il avait inscrits comme héritiers
obtint son rétablissement et <le relégué> mourut avant de le savoir.
Comme on se demandait au sujet du fidéicommis s’il lui était dû, Julien qui
avait été consulté répondit qu’il l’était. Mais encore, si ce n’est ni
un héritier, ni un légataire, mais un autre de ses amis qui s’est employé à
ce qu’il soit rétabli, c’est en faveur de ce dernier qu’il faut exécuter
le fidéicommis ».

d. Seul l’empereur peut casser


un jugement ou prononcer
le rétablissement d’un condamné dans
sa condition première (Callistrate,
Sur les enquêtes, extrait du livre 5,
fr. 33 Lenel = Digeste, 48, 19, 27, pr. ; entre
194 et 211 ap. J.-C.)
Les divins frères ont répondu dans un rescrit adressé à Harruntius Silo
qu’en règle générale les gouverneurs ne cassent (rescindere) pas eux-
mêmes les jugements qu’ils ont prononcés. Ils ont également répondu à
Vetina d’Italica que personne ne pouvait de soi-même modifier sa propre
sentence. L’accomplissement d’un tel acte est sans exemple. Si cependant
quelqu’un a menti à son propre sujet, ou s’il ne disposait pas
des instruments de preuves (probationum instrumenta) qu’il a recueillis par
la suite, alors qu’une peine lui a été infligée, il existe quelques rescrits
des princes, selon lesquels la peine de ces personnes a été diminuée
ou selon lesquels un rétablissement dans la condition initiale (restitutio in
integrum) a été accordé. Mais seuls les princes peuvent accomplir une telle
chose.
e. Le temps de réintégration des relégués
est proportionnel à la durée de leur peine
et à la gravité du crime (Papinien,
Des réponses, extrait du livre 1,
fr. 389 Lenel = Digeste,
50, 1, 15, pr. ; avant 211 ap. J.-C.)
Celui qui a été écarté de l’ordre des décurions pour un temps et qui est
revenu dans l’ordre, à l’instar du relégué, n’a pas l’autorisation d’accéder à
une charge, durant un délai équivalent à celui au cours duquel il a été
privé de sa dignitas. Cependant, dans les deux cas, il a paru bon d’évaluer
le crime pour lequel les condamnés ont mérité une telle sentence : que
ceux qui ont été atteints par des châtiments trop sévères soient ensuite
libérés de la flétrissure, leur affaire étant pour ainsi dire menée à son
terme, tandis que ceux qui ont été soumis à des peines inférieures à celle
que les lois autorisent, n’en soient pas moins comptés au nombre
des infâmes, puisqu’il est en effet certain que l’enquête sur ce qui a été fait
est au pouvoir de ceux qui jugent, tandis que l’autorité du droit ne l’est
pas.

f. La question de la réintégration dans


leur ordre des décurions relégués
(Ulpien, Des discussions publiques, extrait
du livre 1, fr. 28 Lenel = Digeste,
50, 2, 2, pr.-1 ; 214 ap. J.-C. env.)
Pr. Celui qui a été relégué pour un temps, s’il est décurion, cesse d’être
décurion. Une fois rentré, il est vrai qu’il ne conservera pas tout à fait sa
position, mais qu’il ne sera pas toujours empêché d’être fait décurion.
Enfin, s’il n’est pas rétabli dans sa position : quelqu’un peut par exemple
avoir été élu en remplacement, et si l’effectif de l’ordre est complet, il faut
qu’il attende jusqu’à ce qu’une autre position se libère. La situation
juridique de celui qui a été exclu de l’ordre pour un temps est différente :
celui-ci en effet, le temps étant accompli, est décurion. Et pourtant,
quelqu’un pourra avoir été élu en remplacement dans sa position (locus).
Et s’il trouve la position occupée, qu’il attende jusqu’à ce qu’une position
se libère. 1. Cependant, lorsque <celui qui en a été écarté> est rétabli dans
l’ordre, on peut se demander s’il occupe le rang qu’il possédait
auparavant, ou bien celui qu’il a obtenu désormais, si on envisage par
exemple la succession des prises de parole. J’estime pourtant qu’il occupe
le rang qu’il possédait auparavant. Il n’en sera pas de même pour celui qui
a été relégué pour un temps : car celui-ci est arrivé dans l’ordre comme s’il
s’agissait d’un <homme> nouveau.

g. Seul l’empereur peut permettre


à un « exilé » de se déplacer ou de quitter
son lieu d’exil (Marcien,
Sur les institutions, extrait du livre 13,
fr. Lenel 153 = Digeste,
48, 19, 4 ; peu après 217 ap. J.-C.)
(…) Personne, à l’exception de l’empereur, ne peut donner à un exilé
une autorisation de déplacement (commeatus) ou de retour (remeatus), quel
que soit le procès qui a précédé.
h. En dépit de l’achèvement de la peine,
la gravité du crime s’oppose
à une reintégration dans l’ordre
des décurions (Rescrit de Septime Sévère
cité par Macer, Sur les jugements publics,
extrait du livre 2, fr. 31 Lenel = Digeste,
47, 10, 40 ; en 218 ap. J.-C. ou peu après)
Septime Sévère s’est ainsi adressé par écrit à un certain Dionysios
Diogenès : « puisque tu as été condamné en raison d’une atteinte aggravée
<à la personne> (iniuria atrox), tu ne peux être dans l’ordre des décurions.
Il n’est pas vrai que l’erreur des gouverneurs ou de celui qui a prononcé
quelque chose à ton sujet, ou de ceux qui, à l’encontre de la configuration
du droit, ont pensé que tu pouvais rester dans l’ordre des décurions, doive
te servir ».
- Le retour des déportés et des condamnés à la mine -

i. L’empereur Caracalla rétablit


un déporté dans ses droits (Code
de Justinien, 9, 51, 1 ; date imprécise,
entre 198 et 217)
Comme, à l’occasion de la salutation, Caracalla avait reçu les préfets du
prétoire Gentianus, Adventus et Opilius Macrin, hommes très illustres,
ainsi que des amis, des officiers de premier rang, des hommes des deux
ordres, sénatorial et équestre, et tandis qu’il s’était avancé vers eux,
Iulianus Licinianus qui avait été déporté dans une île fut porté devant lui
par Opilius Ulpianus, qui était alors légat. Antonin Auguste dit alors : « Je
te rétablis dans l’intégrité de tes droits (in integrum restituere) et à ta
province ». Et il ajouta : « pour que tu saches également ce que signifie
rétablir dans l’intégralité de ses droits, je précise que je te rétablis dans tes
honneurs, dans ton ordre, et dans tous tes autres droits. »

j. Libération de la mine « par


indulgence » et attente d’un « bienfait »
pour le recouvrement du patrimoine
(L’empereur Caracalla à Quietus, Code
de Justinien, 9, 51, 2 ; date imprécise,
entre 198 et 217)
Puisque tu exposes que ton père a été condamné à la mine, c’est
également à bon droit que ses biens (bona) ont été pris en possession
(occupare) par le fisc. Ce n’est pas en effet parce qu’il a été seulement libéré
(liberare) de la mine en vertu de mon indulgence (indulgentia) qu’il a
également obtenu la restitution de ses biens (restitutio bonorum), à moins
qu’un bienfait (beneficium) spécifique ne lui ait permis d’obtenir une telle
chose.

k. Capacité testamentaire « active »


du déporté
♦ Rédaction de codicilles et rétablissement dans
ses droits du déporté (Ulpien, Sur les fidéicommis,
extrait du livre 1, fr. 1847 Lenel = Digeste,
32, 1, 5 ; 214 ap. J.-C. env.)

Si quelqu’un, ayant été pleinement déporté dans une île, y a fait


des codicilles et qu’il a été rétabli dans ses droits par la bienfaisance de
l’empereur, s’il vient à mourir tandis que les codicilles demeurent
inchangés, on peut défendre le point de vue suivant lequel le fidéicommis
est valable, pourvu que sa volonté demeure inchangée.

♦ Validité du fidéicommis en cas de restitution


du déporté dans ses droits (Paul, Sur les réponses,
extrait du livre 14, fr. 1567 Lenel = Digeste, 35, 1, 104)

Celui qui a été déporté, après l’ouverture d’un testament, et a été


rétabli dans ses droits, peut prétendre au fidéicommis dont la condition
advient après qu’il a retrouvé la citoyenneté romaine.

l. Le fils est admis à la possession


des biens (Ulpien, Commentaire à l’édit,
extrait du livre 39, fr. 1099 Lenel =
Digeste, 37, 4, 1, 9 ; époque de Caracalla,
de 198 à 217)
Si le père et le fils ont été déportés l’un et l’autre et ont été rétablis
tous les deux dans leurs droits, nous considérons que le fils est admis à
la possession des biens. Et quand bien même le fils aurait été condamné à
la mine ou à une autre peine qui rend esclave, il n’en est pas moins admis à
la possession des biens, s’il a été rétabli dans ses droits.
m. Le rétablissement du déporté
et le recouvrement des droits du patron

♦ Recouvrement de l’honor dû par l’affranchi (Ulpien,


Commentaire à l’édit, extrait du livre 5, fr. 261 Lenel
= Digeste, 2, 4, 10, 6 ; époque de Caracalla, de 198 à 217)

Cependant, si le patron est réduit à la condition d’étranger


(peregrinitas) par la peine de déportation, selon Pomponius, l’hommage
(honor) que lui doit l’affranchi lui a été enlevé. Mais, s’il a été rétabli dans
ses droits (restitutus), l’avantage offert par cet édit est intact.

♦ Recouvrement du droit de succéder à l’affranchi


(Ulpien, Commentaire à l’édit, extrait du livre 38,
fr. 1080 Lenel = Digeste, 48, 23, 1, pr.-1. ; époque
de Caracalla, de 198 à 217)

Le patron qui a été déporté puis rétabli dans ses droits (restitutus) est
admis à la succession de l’affranchi. Mais s’il a été condamné à la mine et
qu’il a été rétabli dans ses droits, est-ce que la servitude de la peine
(seruitus poenae) éteint les droits de l’ancien maître sur l’affranchi (ius
patronatus), y compris après le rétablissement dans les droits (restitutio) ?
Eh bien, il est préférable de considérer que la servitude n’éteint pas
les droits de l’ancien maître sur l’affranchi.
n. Restitution du déporté, recouvrement
éventuel du patrimoine, et des dettes
qui le grèvent (Ulpien, Des Opinions,
extrait du livre 5, fr. 2342 Lenel = Digeste,
48, 23, 2 ; après 195 ap. J.-C.)
Si un déporté rétabli dans ses droits a repris qui plus est sa dignité
grâce à la bienveillance du prince, il n’est pas pour autant rétabli dans
tous ses biens, et il ne peut être convoqué <devant un tribunal> ni par ses
créanciers, ni au nom de <la puissance> publique. Mais alors que
la possibilité lui a été offerte par le prince de reprendre aussi ses biens, s’il
a préféré les abandonner, il ne pourra pas se débarrasser des actions
auxquelles il avait été soumis avant la sentence.
- Libérations pascales -

o. « Nous brisons les verrous »… sauf


pour « ceux qui sont tenus à l’écart
de la communion de ce bienfait »
(Valentinien, Valens et Gratien
à Viventius, préfet de la Ville, Code
théodosien, 9, 38, 3 ; 5 mai 367 ou 369)
Pour le jour de Pâques, que nous célébrons du plus profond de notre
coeur, Nous brisons les verrous (claustra) de tous ceux que retient
une accusation (reatus), <et> qu’enferme un cachot. Cependant, que
le sacrilège (sacrilegus) en <matière de> majesté, le prévenu (reus) <d’un
crime> contre les morts, l’empoisonneur (ueneficus) ou l’auteur de
maléfices (maleficus), l’adultère (adulter), le ravisseur (raptor), l’homicide
(homicida) soient tenus à l’écart de la communion de ce bienfait (munus).
Donnée le troisième jour des nones de mai à Rome l’année du consulat
de Lupicinus et Iovinus.

p. « Que l’horrible cachot s’ouvre un jour


aux lumières inaccoutumées »…
« exception faite des auteurs de crimes
indignes de toute indulgence »
(Les empereurs Gratien, Valentinien
et Théodose Augustes à Antidius, homme
clarissime, Vicaire, (Code théodosien,
9, 38, 6 ; 21 juillet 381)
Le jour de la joie pascale ne permet pas que même ces personnes qui
ont commis des actions déshonorantes (flagitia) soient dans la crainte. Que
l’horrible cachot s’ouvre un jour aux lumières inaccoutumées. Nous
ordonnons toutefois d’exclure de cette indulgence (indulgentia), celui qui a
orgueilleusement animé l’abominable complicité (conscientia) des crimes
contre la majesté, celui qui, emporté (raptus) par une folie (furor) parricide
(parricidalis), a teint sa main de son propre sang, celui qui outre cela s’est
souillé (maculare) par le meurtre (caedes) de n’importe quel homme, celui
qui a été l’usurpateur (inuasor) de la couche nuptiale ou d’un autre lit,
celui qui s’est élevé en ravisseur (raptor) de la pudeur virginale, celui qui,
aveugle, a violé par un inceste profane le lien du sang de la parenté qui
doit être vénéré, ou celui qui, par la recherche d’herbes nuisibles ou par
le murmure de terrifiants secrets a composé des poisons (uenena) de
l’esprit et du corps, ou celui qui, en imitateur du visage sacré et envieux
des portraits divins, a habilement imprimé <sur des monnaies> par
un sacrilège les figures dignes de vénération. Ainsi donc, ce n’est qu’à
l’égard des condamnés sous l’effet d’une telle absolution (absolutio) que
nous restreignons la concession (indultus) du commandement (praeceptum)
de notre Sérénité et dans une limite telle que les crimes n’obtiennent pas
la rémission (remissio) du pardon (uenia) à moins qu’ils n’aient été commis
(committere) qu’une fois. En conséquence l’humanité (humanitas) de
l’Auguste libéralité (liberalitas) ne doit pas être renouvelée (referre) envers
ceux qui ont considéré l’impunité (impunitas) <accordée> à un ancien
forfait, non pas comme une correction (emendatio), mais comme
une habitude (consuetudo).
Lue à haute voie au douzième jour des calendes d’août à Rome l’année
du consulat de Syagrius et Eucherius.

*
* *

La restitutio in integrum : du droit civil au droit pénal


L’interruption de la peine conduisant au rétablissement du condamné
dans ses droits antérieurs porte le nom de restitutio in integrum. Cette
formule, restituere in integrum, signifie « rétablir quelque chose ou
quelqu’un dans son état primitif » ou « dans l’intégrité de ses droits ».
Avant de trouver une application dans le droit pénal, comme nous allons
le voir, c’est d’abord dans le contexte de la procédure civile et du droit
prétorien qu’une telle formule a été employée, selon une acception plus
précise. Ce recours a été « l’un des moyens employés par le préteur pour
corriger l’excessive rigueur d’un droit qui n’admettait aucun
des tempéraments que commandent les circonstances, les personnes,
l’équité ». Cette « voie de droit », « anormale » en tant que telle, visait à
« triompher du droit au lieu, comme l’action, d’aider au triomphe du
droit » ; en deux mots, au lieu de « compléter » le droit, le recours à
la restitutio visait à le « corriger » [MAY 1913, p. 695]. Les textes de
jurisprudence la désignent, en effet, comme un « secours extraordinaire »
(extraordinarium auxilium), notamment en faveur d’un « mineur », c’est-à-
dire un individu de moins de 25 ans ayant dépassé l’âge de la puberté
(R39), pour annuler l’acte qu’il aurait commis à son propre détriment
(Digeste, 4, 4, 16, pr.). Un exemple particulièrement parlant illustre ce
principe de la restitutio in integrum. Soit un mineur qui a vendu une chose
pour un prix nettement inférieur à sa valeur. Pour venir en aide à ce
dernier, le préteur peut décréter que la vente n’a pas eu lieu et ordonner à
l’acheteur de « restituer » l’objet de la vente (ainsi que les bénéfices
éventuellement occasionnés depuis l’acquisition par l’acheteur), tandis
que le mineur, en retour, est naturellement tenu de rendre le prix qu’il a
touché (Digeste, 4, 4, 24, 4). Qu’il s’agisse de « l’âge » (aetas) comme dans
le cas précédemment évoqué, ou d’une « erreur reconnue par le droit »
(error iustus), ou encore d’un acte accompli sous l’effet de « la crainte »
(metus) ou de « la violence » (uis), ou résultant d’une « manœuvre
frauduleuse » (dolus malus), dans chaque cas, par le retour à une situation
initiale antérieure à l’acte de transaction, la restitutio in integrum conduit à
ce que chacun reçoive « le droit qui lui revient » [MAY 1913, p. 696]. On
comprend évidemment, au travers d’un tel mécanisme, le caractère
déterminant de la libre appréciation du magistrat et de son pouvoir de
commandement ou imperium. C’est en vertu de ce pouvoir discrétionnaire,
à l’appui de l’enquête (cognitio) qu’il mène, que le préteur peut rescinder
une obligation ou une aliénation, ou encore ordonner la restitution d’une
possession. C’est sans doute tardivement, à la fin de la République, que
cette « voie anormale » de recours, la restitutio in integrum, a pris place
dans le droit civil, et c’est encore plus tardivement que la même formule a
été introduite dans le domaine du droit criminel, où elle pouvait tout à
la fois désigner le rétablissement dans un état primitif, par l’interruption
de la peine, et le caractère discrétionnaire ou singulier d’une telle
décision.
Sous la République, la possibilité même de son application ne pouvait
viser que les bannis, puisque la condamnation à toutes formes de travaux
forcés ou aux spectacles n’est bien attestée qu’à partir de l’époque
impériale. Et pourtant, la rareté des exemples de son application dans
la documentation, articulée à la volonté d’un exposé cohérent et
systémique du droit public romain par les modernes, a conduit à
considérer que le rétablissement d’un condamné dans ses droits était peu
envisageable à l’époque républicaine. Un tel acte d’une part, aurait
contredit, la souveraineté du peuple qui s’était prononcé précédemment
en assemblée pour la condamnation, d’autre part, il aurait heurté
le principe même de la procédure accusatoire devant les tribunaux de
jurys qui apparaissent dans le courant du IIe siècle av. J.-C. et où la victoire
d’un accusateur, le quiuis ex populo, qui avait obtenu une condamnation, ne
pouvait être l’objet d’aucune révision [MOMMSEN 1907, II, p. 166-175].

L’époque républicaine (rappel) : de la restitutio votée


par une loi du peuple, au geste magnanime
des imperatores

L’exemple le plus ancien d’une proposition de rétablissement


(inabouti) d’un exilé dans ses droits est légendaire, puisqu’il s’agit de
l’hypothèse du retour de Coriolan dont la condamnation qui aurait été
prononcée en 491 av. J.-C. C’est également le premier cas mentionné dans
l’annalistique d’un procès tribunicien (R5). Jamais il ne revint à Rome, et
c’est à cette mort du héros loin de sa patrie que tient la dimension
tragique de ce récit et d’autres légendes de la Rome des origines : « la
force et la noblesse de ces récits témoignent de la grandeur et de la vitalité
de l’époque qui les a produits, celui de Coriolan en particulier, que
Shakespeare n’a pas été le premier à créer » [MOMMSEN 1879a, p. 152] !
Selon certains auteurs anciens, Coriolan aurait été assassiné. Selon
d’autres auteurs, à commencer par Q. Fabius Pictor, le plus ancien
des historiens romains (il écrivait en grec) cité ici par Tite-Live (2, 40, 11),
Coriolan serait mort de vieillesse sans être jamais rentré dans sa patrie et
après avoir prononcé ces mots : « l’exil est beaucoup plus malheureux
pour un vieillard (multo miserius seni exilium esse) ». Quoi qu’il en soit, en
raison du principe de droit public qui vient d’être mentionné, Mommsen
estime que « c’est sur l’irrévocabilité de la décision du tribunal populaire
que repose le caractère profondément tragique de la légende de
Coriolan », ou encore « qu’il est absolument impossible de comprendre
cette légende si on ne fait pas apparaître à l’arrière-plan l’irrévocabilité de
l’exil » et de considérer pour finir que la proposition de rétablissement de
l’exilé dans ses droits, faite par les plébéiens, était « anormale » [MOMMSEN
1907, II, p. 169 et n. 2]. Pourtant, à bien lire Denys d’Halicarnasse et
Plutarque, ce n’est pas exactement ce que laissent entendre ces deux
auteurs (le récit du second dépend du premier) :

Les Romains… pensèrent que le seul remède à tous ces maux serait
de voter le retour (kathodos) de Marcius <Coriolanus>. Le peuple
dans son entier appelait en hurlant à une telle décision, et
les tribuns proposèrent de voter une loi pour l’annulation
(akurôsis) de sa condamnation (katadikè) ; mais les patriciens
s’opposèrent à eux, bien décidés à ne revenir sur aucun aspect de
la sentence qui avait été prononcée. Et comme aucun décret
n’avait été présenté par le sénat, les tribuns eux-mêmes
n’envisagèrent plus de présenter cette proposition au peuple.
(Denys d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, 8, 21)
4. La plèbe proposa en effet d’annuler la condamnation de Marcius
<Coriolanus>, et de le rappeler dans la ville ; mais les sénateurs,
s’étant réunis pour examiner cette proposition,
la désapprouvèrent et la rejetèrent… 5. Une fois cette décision
rendue publique, la plèbe ne pouvait plus rien faire, car son vote
ne pouvait avoir force de loi sans un sénatus-consulte. (Plutarque,
Coriolan, 29, 4-5)

Alors que la condamnation de Coriolan avait été l’œuvre de la plèbe,


lorsque le héros devint l’ennemi de Rome au service des Volsques, ce sont
donc les mêmes plébéiens qui proposèrent son retour dans la cité, tandis
que par un même revirement symétrique les patriciens qui avaient tenté
d’empêcher sa condamnation s’opposaient maintenant au retour de l’un
d’entre eux qui apparaissait comme un traître. Si la proposition n’aboutit
pas pour les motifs procéduraux (la nécessité de valider un plébiscite par
le sénat) retenus au service de l’intrigue, on ne saurait néanmoins en tirer
la leçon selon laquelle le rétablissement d’un exilé était inconcevable, en
dépit de l’insistance de Mommsen sur ce point : « la toute puissance
des comices, incontestée au point de vue des principes, n’est jamais
utilisée au regard des actes de juridiction ayant force de chose jugée »
[MOMMSEN 1907, II, p. 169].
Quant au retour d’exil de Camille, en 390 av. J.-C., alors que Rome avait
été prise par les Gaulois, le même auteur en discrédite le principe en
raison de l’inauthenticité de l’exil lui-même : « il n’est pas douteux qu’il
soit inconnu des vieilles annales et qu’il soit une fiction née au plus tard à
l’époque de Sylla » [MOMMSEN 1907, II, p. 170]. Camille était parti en exil à
Ardée à l’issue d’un procès pour péculat, intenté devant le peuple, soit par
un questeur (R6d), soit par un tribun, selon une reconstruction
anachronique de la procédure [MAGDELAIN 1990, p. 544-545]. L’ingratitude du
peuple en cette occasion, envers le héros qui avait permis la prise de
la cité de Véies après dix années de siège, aurait encore été évoqué près de
deux siècles plus tard, si on en croit le discours placé par Tite-Live (25, 4,
2-6) dans la bouche des consuls à l’occasion du procès contre
les publicains (R5c). Cette même ingratitude est également rapprochée par
Cicéron, selon une réinterprétation post-gracchienne de l’épisode
[MOMMSEN 1879b, p. 212], de celle dont aurait été victime C. Servilius Ahala,
sauveur de la cité en ayant accompli l’assassinat de l’aspirant à la tyrannie
Spurius Maelius (R4) :

Après avoir été condamnés par les comices centuriates et alors


qu’ils avaient fui en exil, ils furent, en sens inverse, restitués
(restituti) dans leur dignité antérieure par ce même peuple
désormais apaisé. (Cicéron, Sur sa maison, 86)

Cicéron entend évidemment rapprocher ces précédents légendaires,


quitte à les forger en partie, de son propre sort, puisque lui-même connut
l’exil en 58 av. J.-C., cinq ans après son consulat en 63 av. J.-
C. Une démarche qui nourrit encore une fois l’indignation de Mommsen à
l’égard de l’orateur et de ses admirateurs contemporains : « falsifier
l’histoire dans son propre procès, comme le fait Cicéron, c’est là un acte
qui mérite d’être recommandé à la méditation sérieuse de ceux qui
veulent faire renaître le culte du grand orateur romain » [MOMMSEN 1907,
II, p. 170, n. 2].
Cependant, quelle que soit l’authenticité des faits, Camille a été
réhabilité en 390 av. J.-C. selon une logique procédurale bien établie,
semble-t-il, plutôt qu’« anormale » ou exceptionnelle, comme en
témoigne le récit de Tite-Live. Certes ce récit est sans doute centré sur
l’action héroïque du jeune messager Pontius Cominus qui fut envoyé à
Rome depuis Véies où cantonnait l’armée romaine. Parvenu par ruse à
traverser les lignes gauloises qui encerclaient le Capitole, il obtint du sénat
l’autorité nécessaire au vote d’une loi par les comices pour le rappel de
Camille toujours en exil à Ardée. Il s’en revint alors porter le message à
Véies, d’où une délégation partit aussitôt pour Ardée. Or, dans le récit
livien, cette action héroïque est entièrement commandée par une logique
institutionnelle, procédurale et territoriale qui seule donne son sens à
l’audace du messager et à l’attente scrupuleuse de l’exilé :

10. Ensuite, porteur d’un sénatus-consulte aux termes duquel


Camille une fois rappelé (reuocatus) par les comices curiates serait
sur-le-champ, conformément à l’ordre du peuple (iussu populi),
prononcé dictateur (dictator dictus), et selon lequel les soldats
obtiendraient le commandant (imperator) qu’ils voulaient, en
suivant le même chemin par lequel il avait été envoyé, il [Pontius
Cominus] regagna Véies avec empressement. 11. Les ambassadeurs
qui avaient été envoyés à Ardée auprès de Camille
le reconduisirent à Véies (il est en effet préférable de croire qu’il
ne s’avança pas en quittant Ardée avant d’apprendre que la loi
avait été portée (lex lata), puisqu’il ne pouvait pas changer de
territoire (mutari finibus) sans l’ordre du peuple (iniussu populi), ni,
sans avoir été prononcé dictateur, prendre les auspices devant
l’armée. La loi curiate fut portée, et il fut prononcé dictateur en
son absence. (Tite-Live, 5, 46, 10-11)

À la suite de ces deux cas légendaires, celui, inabouti, de Coriolan, en


491 av. J.-C., et celui, un siècle plus tard, de Camille, en 390 av. J.-C., il faut
attendre le déclenchement des guerres civiles en 133 av. J.-C. et
les conséquences de l’épisode gracchien pour pouvoir identifier la plus
ancienne attestation historique du rappel d’un exilé à l’issue d’une
délibération populaire avec le vote en 120 av. J.-C. de « la loi Calpurnia sur
le rappel de Popillius Laenas (de P. Laenate reuocando) » [ROTONDI 1912,
p. 317]. Ce consul de l’année 132 av. J.-C. avait été l’un des protagonistes
les plus actifs de la répression menée contre les partisans de Tiberius
Gracchus, et il s’était trouvé à la tête des tribunaux d’enquête réunis pour
l’occasion (R9e2). Dix ans plus tard, en 121 av. J.-C., la législation de Caius
Gracchus l’avait forcé à l’exil. Mais très vite, en 120 av. J.-C., il fut restitué
(restitutus) à l’initiative du tribun de la plèbe L. Calpurnius Bestia (Cicéron,
Brutus, 34, 128 ; Sur sa maison, 87).
En 100 av. J.-C., la proposition de loi (rogatio) portée par le tribun
L. Appuleius Saturninus et prononçant « l’interdiction de l’eau, du feu, et
du toit » contre Q. Caecilius Metellus Numidicus fut votée. Elle entérina
alors l’exil de ce dernier (R41h). C’est une loi tribunicienne, également, qui
fut votée l’année suivante, en 99 av. J.-C. et qui permit à Metellus de
rentrer de son exil. Il revint l’année suivante. Comme le souligne Cicéron,
Popillius Laenas et Metellus Numidicus, « furent rappelés par des lois
tribuniciennes, sans le concours du sénat » (Discours au peuple après son
retour, 4). C’est juste, mais il s’agit pour l’orateur d’opposer le retour de ces
deux prestigieux optimates au sien propre qui fut obtenu en premier lieu
grâce à l’initiative du sénat conduisant ensuite à un vote des comices
centuriates, c’est-à-dire, selon l’orateur, au dispositif le plus légitime et
le plus solennel de l’assemblée du peuple (Discours au peuple après son
retour, 7, 17 ; Pour Sestius, 109 ; Contre Pison, 15, 35).
Faut-il minimiser la portée de ces trois exemples (P. Popillius Laenas,
Q. Caecilius Metellus Numidicus, Cicéron), et considérer que seul
le premier cas, à savoir le rappel de P. Popillius Laenas en 120 av. J.-C.,
constitue une « exception » au principe de « l’irrévocabilité de la chose
jugée » par les comices [MOMMSEN 1907, II, p. 170-171, n. 3] ? Non,
évidemment, car il apparaît qu’en dépit de leur rareté et des difficultés
pratiques rencontrées pour parvenir à leur réalisation (intervention
publique et implorations menées par les membres de la famille,
transactions clientélaires, mobilisation des citoyens de son parti…), ces
réhabilitations se sont produites dans les trois cas selon une procédure
ouverte et réglée institutionnellement. La pleine légalité apparaît bien au
travers du principe énoncé par Scaevola et conservé dans un commentaire
de Pomponius (R41j) : un banni (selon « l’interdiction de l’eau et du feu »)
peut être, en vertu d’une loi, « restitué » (restitutus), comme le serait
un citoyen dégradé de ses droits et livré (deditus) à l’ennemi. Aucun
obstacle légal à cela. Bien au contraire, toute disposition législative était
possible pour abolir une disposition antérieure.
Ici encore il s’agit de cas concernant les premiers de la cité, de grands
procès politiques devant les comices. Et on sait combien de doutes
peuvent s’élever contre toute généralisation à partir de ces seuls
exemples, sur le déroulement plus régulier de la délinquance commune.
Un magistrat pouvait-il autrement casser une décision ?
Les invraisemblances de l’histoire du parent (qu’il s’agisse du père ou de
la mère) allaité par sa fille en prison (R19i) ont conduit à le nier [MOMMSEN
1907, II, p. 167, n. 2]. Pour ce qui concerne les « tribunaux d’enquête »
(quaestiones) qui réunissaient des jurés (ils sont désignés également sous
le nom de iudicia publica ou « jugements publics »), nous sommes encore
plus mal renseignés. On invoque parfois la proposition de loi du tribun
P. Sulpicius Rufus (lex Sulpicia de reuocandis ui eiectis) (R41d) de rappeler
les bannis, en considérant qu’il s’agirait de ceux qui avaient été
condamnés en vertu de la lex Varia instituant un tribunal de jury pour
réprimer les actes de trahison lors de la guerre sociale. Il s’agirait aussi de
la première attestation d’un rappel collectif d’exilés. On invoque encore
le cas de P. Rutilius Rufus devenu un exemple de la fermeté du sage
renonçant à la possibilité de revenir dans sa cité [RIVIÈRE 2017a, p. 330,
n. 170]. Il y a tout lieu de croire cependant que ce personnage, condamné
injustement dans un premier temps à une forte amende par un tribunal de
jurés manipulé par l’ordre des chevaliers, avait ensuite pris délibérément
le chemin de l’exil et qu’il avait encouru, seulement après et
consécutivement à son départ, une « interdiction de l’eau et du feu »
[RIVIÈRE 2013a, p. 131-132, n. 20 ; RIVIÈRE 2016a, n. 132]. Quoi qu’il en soit de
ces aspects procéduraux, l’épisode est exemplaire en ce qu’il ouvre
une nouvelle période de l’histoire du rappel des exilés. En effet, le refus de
P. Rutilius Rufus a d’abord été justifié par un respect de la légalité, alors
que sa grâce et son retour lui étaient offerts par le dictateur Sylla. Le geste
de l’imperator préfigure explicitement l’exercice de ce pouvoir
discrétionnaire par le prince quelques décennies plus tard. Toutes
les sources qui rapportent l’épisode remontent d’ailleurs à l’époque
impériale (Ovide, Pontiques, 1, 3, 63 ; Sénèque, Des bienfaits, 6, 37 ;
Quintilien, 11, 1, 12) : Rutilius refuse un rétablissement dans ses droits qui
ne procéderait pas de la loi.

La clémence de César

Dans cette évolution qui conduisit de la République au Principat,


le moment césarien constitue une étape essentielle qui nécessiterait
un long développement (ne serait-ce que pour faire la synthèse, dans
un premier temps, des travaux qui lui ont été consacrés), puisque
les interventions du dictateur dans ce domaine sont étroitement liées au
contexte de la guerre civile qui l’a opposé à Pompée, aux pouvoirs
exceptionnels qu’il reçut et à la réitération publique, par les paroles et par
les actes, de sa volonté de clémence à l’égard de ses adversaires. Elle
le conduisit, hors les actes de guerre victorieuse où l’ennemi est
délibérément épargné, à proclamer l’amnistie de condamnés, à
commencer par la réintégration des fils de proscrits de l’époque
syllanienne (ou du petit nombre de ceux qui étaient encore en vie) [HINARD
1985,p. 87-100 ; 2011, p. 99-115]. Mais c’est surtout envers ses propres
adversaires que la clémence de César fut remarquée. Après son retour
d’Espagne en 49 av. J.-C., fit-il voter une seule ou plusieurs lois pour
permettre le retour des bannis ? Au vrai, il est difficile de préciser les actes
de la législation en question, seule leur portée globale demeure intacte
[YAVETZ 2004, p. 74-76]. Sans doute faut-il penser à « un train
d’ordonnances », plutôt qu’à « une seule et unique loi » :
Nommé dictateur par le sénat, César rappela les bannis (phugadas
katagô). (Plutarque, César, 37, 2)
Il rétablit dans leurs droits (restituere) ceux qui avaient été
dépouillés en raison d’un acte tombant sous la réprobation
des censeurs (opus censorium) ou ceux qui avaient été condamnés
pour brigue (ambitus) par le suffrage des juges. (Suétone, César, 41,
1)
Et il accorda aux exilés qui la lui demandaient l’autorisation de
revenir, sauf à Milon. (Appien, Les guerres civiles à Rome, 2, 48)
César revêtit la dictature, dès son arrivée à Rome ; mais il ne prit
aucune mesure violente. Bien loin de là, il accorda le retour
(kathodos) à tous ceux qui avaient été bannis (ekpiptein), excepté
Milon. (Dion Cassius, 41, 36, 2)
Milon, le seul parmi les exilés (pheugontes) qui n’avait pas été
rappelé par César. (Dion Cassius, 42, 24, 2)

L’indication de Suétone renvoie très précisément aux accusés qui


furent condamnés à l’occasion des procès qui eurent lieu sur la base
des lois de Pompée en 52 av. J.-C. Et c’est à cette circonstance très
précisément que fait allusion la remarquable page de La guerre civile de
César qui accable Pompée (R49a). Cette page est à l’articulation de deux
périodes, celle où le retour de l’exilé était obtenu par un vote du peuple,
celle où la volonté du prince en décidait. César dévoile très spontanément
et sans aucun déguisement la nécessité de couvrir son pouvoir de légalité,
de sorte que son arbitraire soit paré des entours de la procédure comitiale.
Il s’exprime comme si, sans chercher à dissimuler le calcul politique
imposé par la conjoncture, sa seule intelligence tactique devait demeurer
à la postérité. En 46 av. J.-C., César aurait pris de nouvelles mesures en
faveur des bannis en recourant de nouveau aux tribuns :
Il persuada plusieurs tribuns de la nécessité de rappeler ceux qui
étaient partis en exil (pheugontoi) par suite d’une décision en
justice (ek dikasteriou)… et permit à ceux qui en briguant
une magistrature avaient été convaincus pour corruption de vivre
en Italie. (Dion Cassius, 43, 27, 2)

Qu’en est-il enfin de « l’amnistie générale des adversaires politiques »


[YAVETZ 2004, p. 110-111] ? Après l’assassinat de César, Marc Antoine
évoqua l’existence parmi les acta Caesaris d’une proposition de « loi Iulia
sur le retour des exilés (de exulibus reuocandis) ». Cicéron accuse alors Marc
Antoine de faux (Philippiques, 5, 11), après avoir mis en doute l’existence
du projet (Philippiques, 2, 98). Peut-être Antoine suggéra-t-il le pardon de
certains bannis en proposant « une loi confirmant les actes de César »
destinée à sauver des alliés (Dion Cassius, 45, 25, 2 ; 46, 15, 2) ?
Dans ces dernières années de la République, au milieu des guerres
civiles, la nécessité d’une décision comitiale était telle qu’il semblerait
même que dans le contexte des proscriptions qui occasionnait les formes
les plus violentes et les plus arbitraires de répression, on s’en soit encore
tenu à la loi, au vrai dans quelques cas seulement, pour sauver certains
individus qui avaient été inscrits d’abord sur les listes de proscrits. C’est ce
que laisse penser le récit d’Appien. Ce dernier écrit d’abord dans
l’introduction à son récit que « quelques hommes reçurent le pardon
(suggignôskô) des triumvirs » (Appien, Les guerres civiles à Rome, 4, 16, 63).
Une telle formule n’implique en rien des formes légales, mais les exemples
fournis ensuite par le même auteur permettent de préciser, au-delà de
cette généralisation, les mécanismes qui permirent à certains hommes,
voués à être assassinés ou dénoncés contre récompense, d’être épargnés,
en recourant aux institutions traditionnelles.
Lucius Iulius Caesar, l’oncle d’Antoine, avait trouvé refuge dans
la maison de la mère de ce dernier, Iulia Antonia. Des centurions
s’apprêtaient à en briser la porte. Antonia se précipita sur le forum et alla
trouver Antoine (qui siégeait alors avec ses collègues) pour obtenir la vie
sauve à son frère. En s’adressant ainsi publiquement à son fils, elle déclara
qu’en cas contraire elle-même devrait être mise à mort en vertu de
la clause de l’édit de proscription qui condamnait les complices
des proscrits. Après avoir reproché à sa mère de ne pas avoir
précédemment empêché Lucius de participer au vote qui l’avait déclaré
lui-même « ennemi public », il accéda à sa demande en agissant auprès du
consul de l’année 42 av. J.-C. Lucius Munatius Plancus :

Antoine intrigua néanmoins pour que le consul Plancus fît voter


(psèphizein) le retour (kathodos) de Lucius. (Appien, Les guerres civiles
à Rome, 4, 37, 158)

Un peu plus tard, Sergius, un autre proscrit (apparenté à L. Sergius


Catilina, il était un protégé d’Antoine) fut sauvé de la même façon :

Sergius fut caché chez Antoine en personne, jusqu’à ce que ce


dernier obtînt du consul Plancus qu’il fît voter (psèphizein) son
retour (kathodos). (Appien, Les guerres civiles à Rome, 4, 45, 193)

Dans les deux cas l’emploi du verbe psèphizein (« compter avec


des cailloux », « voter ») qui suppose une procédure de vote laisse
entendre qu’il ne s’agissait pas d’un simple edictum du consul, comme cela
a été proposé [HINARD 1985, p. 250], mais plus probablement d’une rogatio
proposée par lui devant le peuple [BIAVA 2004, p. 319 n. 95]. Le lexique
éclaire encore une fois le sens des institutions pénales. En effet, la vie
accordée aux deux personnages sauvés par l’intervention d’Antoine
auprès de L. Munatius Plancus, est désignée comme un « retour »
(kathodos), l’équivalent grec du latin reditus et qui désigne
géographiquement ou territorialement le retour d’un exilé dans sa patrie.
Cela signifie que les deux proscrits sont traités comme des bannis qui
auraient quitté l’espace de la cité alors que c’est là qu’ils avaient trouvé
refuge, cachés dans deux maisons. On comprend bien au travers de ce
détail lexical en quoi en effet la proscription peut être désignée comme
une « interdiction de séjour à la dimension de l’orbis terrarum » [HINARD
1985, p. 37 et n. 86] : « c’est peut-être bien avec la proscription qu’a
commencé à s’estomper le sentiment d’une “territorialité” précise »
[HINARD 1985, p. 325]. Les proscriptions, singulières dans leur intensité, et
la conjoncture des guerres civiles où elles sont apparues, sont à bien
des égards, tant sous l’angle de l’appel ici envisagé que sous l’angle d’une
maîtrise territoriale interdisant tout bannissement « extérieur » (R42b),
annonciatrices du régime de pénalité impérial.
Si durant les guerres civiles le retour des exilés prenait encore
des voies légales, celles-ci étaient désormais, comme on l’a observé plus
haut, déterminées par la volonté des imperatores qui décidaient de châtier
ou de pardonner. Qu’il suffise de rappeler la contribution initiale de Tillius
Cimber au déroulement de l’assassinat de César :

Il [Cimber] vint droit à lui et lui demanda le retour (kathodos) de


son frère qui était en exil. Comme César lui signifiait son refus
catégorique, Cimber le saisit par sa toge de pourpre, comme pour
le supplier encore, et, retroussant ce vêtement, le lui tira sur le cou
en criant : « Qu’attendez-vous mes amis ? ». (Appien, Les Guerres
civiles à Rome, 2, 16, 117, trad. d’après Ph. Torrens)

La restitutio des exilés sous le Principat

Avec le Principat et la disparition du rôle du populus (quelle que soit


la durée de vie supposée des comices dans les premières décennies, on ne
les voit plus jamais intervenir dans le domaine judiciaire), la question du
retour des exilés n’incombait désormais qu’à un seul, même si le prince
pouvait occasionnellement solliciter l’avis du sénat [MOMMSEN 1907, II,
p. 172, n. 4]. C’est pourquoi Suétone loue sur ce point l’empereur Claude
(41-54) qui « ne réhabilita aucun exilé sans l’autorité du sénat » (Suétone,
Claude, 12, 1). Le même empereur, cependant, n’hésita pas à rappeler
certains exilés (provisoirement peut-être, et des relégués seulement), afin
de leur permettre d’assister à son triomphe sur la Bretagne : « À l’occasion
de ce spectacle, il permit de venir à Rome (in urbem commeare), non
seulement aux gouverneurs des provinces, mais encore à certains exilés
(exules) » (Suétone, Claude, 17, 3). Commeare, « aller et venir », « circuler »,
il se peut que ce verbe revête ici un sens technique, comme incite à
le penser l’emploi du substantif commeatus dans la jurisprudence
postérieure (R49g), afin de désigner un « laisser-passer », une autorisation
officielle décernée exclusivement par l’empereur en faveur d’un relégué. Il
le faisait afin de ne pas heurter certains d’entre eux que le retour d’exilés
mettait dans l’embarras, soit parce qu’ils avaient contribué à les perdre,
soit parce qu’ils s’étaient appropriés une partie de leur patrimoine à
l’issue de la vente de leurs biens. Les trois décennies qui s’étendent de
la chute de Néron à l’avènement de Trajan, de 68 à 98 ap. J.-C., constituent
à cet égard un observatoire privilégié en raison de la précision de nos
auteurs [REITZENSTEIN-RONNING 2013 ; RIVIÈRE 2017a].
La consultation des sénateurs au sujet de la restitutio des exilés
s’imposait surtout lorsqu’il s’agissait de rappels collectifs au début d’un
règne, éventuellement assortis de purges du parti adverse. Il y aurait là
aussi sans doute une piste de recherche à approfondir encore afin de saisir
les modalités de transition d’un règne à l’autre. Les louanges adressées par
Pline le Jeune à Trajan en donnent une illustration rhétorique :

Tout ce que pouvait la différence des temps, on le comprit mieux


que jamais en voyant les criminels cloués sur les mêmes rochers où
l’étaient jadis les innocents, toutes les îles remplies d’une foule
naguère de sénateurs, désormais de délateurs. (Pline le Jeune,
Panégyrique de Trajan, 35, 2)

Que le sénat ait été consulté ou non, c’était désormais le prince qui
décidait du retour des exilés et de la réhabilitation des condamnés en
général. Dans le Digeste, la première occurrence du terme indulgentia se
trouve chez L. Iavolenus Priscus, qui avait été conseiller de Trajan, puis
dans un contexte pénal, on le trouve chez Q. Cervidius Scaevola qui avait
été préfet des vigiles et conseiller de Marc Aurèle :

Nous devons interpréter dans sa plus large étendue le bienfait de


l’empereur (beneficium imperatoris), qui procède naturellement de
son indulgence divine (diuina indulgentia). (Iavolenus, Des Lettres,
extrait du livre 13 = Digeste, 1, 4, 3)
Un homme ayant été fait esclave, ce n’est pas parce qu’il a obtenu
ensuite la liberté (libertas) en vertu de l’indulgence princière
(indulgentia principalis), qu’il est considéré avoir été rendu dans
l’obligation vis-à-vis de ses créanciers. (Q. Cervidius Scaevola,
Des Réponses, extrait du livre 1 = Digeste, 44, 7, 30)

Jusqu’à l’époque tétrarchique, le mot indulgentia sera employé, d’une


part, pour désigner la qualité personnelle du prince d’où découle l’acte de
grâce, ou encore pour désigner cet acte lui-même, c’est-à-dire la restitutio.
L’indulgentia qui conduisait à un arrêt de la peine, ne signifiait pas
nécessairement que tous ses effets, notamment patrimoniaux, étaient
effacés ou que le condamné retrouvait sa condition d’autrefois. Et c’est
pourquoi, par exemple, Caracalla (198-217) doit le préciser en indiquant
que le déporté auquel il accorde une restitutio retrouvera sa dignitas
antérieure (R49i). Inversement, le même empereur répond que celui qui a
été libéré de la mine n’a pas été nécessairement rétabli dans ses biens
[WALDSTEIN 1964, p. 130-135]. Les effets de l’indulgentia divergeaient
principalement selon que l’exilé avait fait l’objet d’une simple relégation
(définitive ou temporaire) (R44) [RIVIÈRE 2009d], ou d’une déportation qui
avait conduit à sa mort civique (R43) [RIVIÈRE 2008b]. Dans le premier cas,
les juristes débattaient pour savoir si les relégués retrouvaient
automatiquement leur considération sociale, et s’ils étaient réintégrés
dans le conseil de la cité (la curie) où ils avaient siégé avant leur
condamnation, et à quel rang dans la hiérarchie interne à ce conseil. Dans
le second cas, les déportés étaient, indiscutablement, ramenés à la vie.
Ainsi la question de leur retour était-elle tranchée.
Au sujet des relégués, la situation que découvre Pline le Jeune dans
la province de Bithynie (R49b) est-elle représentative de l’administration
de l’empire dans son ensemble ? Est-elle au contraire particulière à cette
province où Trajan avait envoyé cet homme de confiance précisément
pour rétablir certains dysfonctionnements du gouvernement de ces
régions ? Toujours est-il que le cas soumis à l’empereur concerne
des condamnés à la relégation dont il faut comprendre qu’ils n’ont jamais
été contraints, par aucune intervention coercitive des pouvoirs publics,
d’accomplir leur peine. Celle-ci avait été prononcée par Servilius Calvus
(on ne sait rien par ailleurs de ce personnage qui, certainement, avait
précédé Pline le Jeune peu auparavant dans le gouvernement de
la province), tandis que ce serait le même personnage qui aurait prononcé
le rétablissement dans leurs droits des condamnés en question. S’ils ont
été conduits eux-mêmes à faire lecture devant le tribunal de cet édit de
restitutio, c’est qu’ils avaient conservé un exemplaire du document. Il n’est
pas nécessaire, en la circonstance, d’invoquer les dysfonctionnements de
l’archivage des pièces judiciaires dans la province sous prétexte que
les intéressés se présentent au tribunal avec leur propre exemplaire.
Quoiqu’il en soit, au regard des rouages du gouvernement de l’empire et
des provinces qui le constituaient, la procédure de restitution échappait à
la compétence de Pline le Jeune. Seul l’empereur, en effet, pouvait se
prononcer sur le rétablissement de relégués, conformément à un principe
fondamental du gouvernement de l’empire, selon lequel les gouverneurs
étaient liés par l’obéissance aux directives (mandata) du prince et qu’ils
avaient sans doute reçu en forme de uade mecum (le Liber mandatorum),
avant de rejoindre leur poste (Commentaire à R12) [MAROTTA 1991]. Ils ne
pouvaient prendre eux-mêmes une initiative qui les auraient constitués en
détenteurs d’une autorité à laquelle ils étaient au contraire subordonnés.
Tel était le principe de « l’Empire », telle était sa règle. Comment, dès lors,
suivant le second cas évoqué par Pline le Jeune, ce dernier aurait-il pu
accéder à la demande de tel condamné qui prétendait que sa peine avait
été abolie par la cassation des actes d’un gouverneur précédent ? Dans
cette situation également, seul le prince pouvait intervenir. Il ne s’agissait
plus, en effet, du cas d’un simple justiciable, quel que soit son rang social
ou sa « dignité », mais de l’affirmation d’un principe d’autorité :
la réintégration d’un condamné ne pouvait se produire automatiquement
dans le cadre de la province, seul le prince devait en décider.

L’indulgentia du prince dans l’Empire tardif

Deux siècles plus tard, les règnes de Constantin (306-337) et de son fils
Constance II (337-361) ne paraissent pas avoir introduit de nouveautés
dans le champ de l’indulgence du prince, en vertu de la foi nouvelle
professée par ces princes et de l’inspiration divine qui, désormais
commandait leur action. Ce n’est qu’à partir du règne de
Valentinien Ier (364-375), en effet, si on s’en tient notamment aux textes
conservés sous le titre « Des indulgences accordées aux crimes » (De
indulgentiis criminum) dans le Code théodosien, que des indulgences pascales
ont été proclamées [RAIMONDI 1998]. Celles-ci, limitées aux crimes les moins
graves, revêtaient pourtant un caractère définitif, à la différence par
exemple d’autres mesures à caractère pénal et commandées par
la religion, telles que les sorties des prisonniers hors des murs du cachot
le dimanche (R18g). Constituaient-elles une nouveauté substantielle par
rapport aux abolitiones antérieures [WALDSTEIN 1964, p. 216-217] ?
La question mériterait peut-être là encore d’être reconsidérée par
une approche systématique et une mise en série de tous les cas connus,
tant il est délicat de mesurer les innovations dans le droit pénal romain
qui seraient susceptibles de relever d’une « inspiration chrétienne »
[RIVIÈRE 2002b]. Un point est irréfragable : quand bien même le contenu de
ces mesures ou l’expression du commandement impérial ne serait pas de
nature tout à fait nouvelle, quand bien même le message évangélique ne
transparaîtrait pas autrement qu’au travers du calendrier, les dates
des « libérations pascales », comme les sorties de prisonniers, – « les jours
du soleil » (dies solis) d’autrefois, devenus « les jours du Seigneur » –
[RIVIÈRE 2015], sont commandées par la liturgie chrétienne.
50

L’appel au prince par le prévenu


(et sa consultation par le juge)

a. Commentaire à la loi Iulia


sur la violence votée entre 19 et 16 av. J.-
C.

A1. ULPIEN, SUR LA FONCTION DU PROCONSUL, EXTRAIT DU LIVRE 8,


FR. 2202 LENEL = DIGESTE, 48, 6, 7 (ENTRE 212 ET 217 AP. J.-C.)

La loi Iulia sur la violence publique soumet celui qui, alors qu’il
détenait le commandement (imperium) ou la puissance (potestas), aura tué
un citoyen romain, contre l’appel (aduersus prouocationem), l’aura frappé,
ou en aura donné l’ordre, ou bien lui aura infligé quelque chose autour du
cou, pour le torturer. Cette disposition concerne de même
les ambassadeurs (legati), les députés (oratores) ou les membres de leur
suite (comites), si quelqu’un est convaincu d’avoir frappé (pulsare) l’un
d’eux, ou de lui avoir porté atteinte (iniuria).

e
A2. SENTENCES DE PAUL, 5, 26, 1 (FIN DU III SIÈCLE)
La loi Iulia sur la violence publique condamne celui qui, disposant d’un
pouvoir (potestas) quelconque, aura tué un citoyen romain ou aura
ordonné de le tuer, avant qu’il fasse appel au peuple (populus) –
aujourd’hui à l’empereur (imperator) – ; qui l’aura torturé (torquere), frappé
(uerberare), condamné ou qui aura ordonné de le traîner dans les chaînes
publiques (publica uincula). Contre un prévenu de ce genre, on inflige
la peine capitale, s’il appartient à la catégorie des plus humbles
(humiliores), et la déportation dans une île s’il appartient à la catégorie
des plus honorables (honestiores).

A3. MÉCIEN, DES JUGEMENTS PUBLICS, EXTRAIT DU LIVRE 5, FR. 54 LENEL


= DIGESTE, 48, 6, 8 (FIN DU RÈGNE D’HADRIEN OU DÉBUT DU RÈGNE
D’ANTONIN LE PIEUX)

La loi Iulia sur la violence publique veille à ce que personne ne


retienne un prévenu (reus) par des chaînes (uincere) ou par des entraves
(impedire) pour l’empêcher de se présenter à Rome dans le délai qui a été
fixé.

b. L’édit sur les appels remontant sans


doute au règne de Néron, à partir
de dispositions de Claude
(BGU, II, 628 = PURPURA 2012, p. 523-534,
col. II, l. 2-9)
(…) Cependant, puisque les causes capitales (capitales causae)
nécessitent de disposer d’un certain temps de réflexion, seront donnés
aux accusateurs et aux prévenus en Italie neuf mois, tandis qu’à ceux du
monde transalpin ou d’outre-mer seront donnés une année et six mois, et
s’ils n’auront pas pu être présents dans ce laps de temps, qu’ils sachent
que d’ores et déjà il leur faut venir avec ceux qui les escortent
(prosecutores), mais que d’ici là on ne peut considérer comme grave ou
sévère leur non-comparution puisque je leur ai accordé un temps aussi
long (…).

c. « L’appel » de Paul de Tarse


à l’empereur, vers 60 ap. J.-C. (trad.
E. Delebecque)

C1. ARRESTATION DE PAUL ET SILAS À PHILIPPES (ACTES DES APÔTRES,


16, 35-39)
35. Le jour venu, les magistrats (stratègoi) [les duumvirs] envoyèrent
dire par les licteurs (rabdoukhoi) : « Relâche ces hommes-là. » 36. Le geôlier
(desmophulax) rapporta ces paroles à Paul : les magistrats avaient envoyé
dire qu’ils fussent relâchés : « Sortez donc maintenant, et allez en paix. »
37. Mais Paul dit aux licteurs : « ils nous ont fait publiquement rouer de
coups, sans que nous soyons jugés (akatakritous), nous qui sommes
des Romains, ils nous ont jetés en prison (eis phulakèn), et maintenant ils
nous expulsent en cachette ! Ah ça non ! Qu’ils viennent eux-mêmes nous
élargir ! ». 38. Les licteurs rapportèrent ces paroles aux magistrats.
La frayeur les saisit quand ils apprirent qu’ils étaient Romains. 39. Ils
vinrent les prier, les emmenèrent leur demandaient de partir de la ville.
40. Sortis de la prison, ils entrèrent chez Lydie, virent les frères,
les exhortèrent et partirent.
C2. ARRESTATION ET MENACE DE FLAGELLATION À JÉRUSALEM (ACTES
DES APÔTRES, 22, 25-29)

25. Quand ils l’eurent allongé avec des courroies, Paul dit au centurion
debout : « vous est-il permis de fouetter (mastizein) un Romain, sans qu’il
ait été jugé de surcroît ? ». 26. À ces mots le centurion s’approcha du
tribun pour lui faire son rapport et dire : « Que vas-tu faire, puisque cet
homme-là est un Romain ? ». 27. Alors le tribun s’approcha de Paul et lui
dit : « Dis-moi, tu es un Romain, toi ? ». Et Paul dit « oui ». 28. Le tribun
répliqua : « Moi, il m’a fallu toute une somme pour acquérir ce droit. » Et
Paul dit : « Mais moi, je le tiens de naissance. » 29. Aussitôt le lâchèrent
ceux qui allaient le mettre à la question (anetazein) et le tribun fut aussi
saisi de frayeur en découvrant que Paul était un Romain, et qu’il l’avait fait
attacher.

C3. « TU FAIS APPEL À CÉSAR, TU IRAS À CÉSAR » (ACTES DES APÔTRES,


25, 1-12)
1. Festus donc, ayant fait son entrée dans la province, monta trois
jours après de Césarée à Jérusalem. 2. Et des archiprêtres, ainsi que
les premiers citoyens des juifs, requirent contre Paul ; 3. ils demandaient
instamment à Festus, comme une faveur contre lui, de le faire venir à
Jérusalem, parce qu’ils montaient une embuscade aux fins de le mettre à
mort sur le trajet. 4. Alors Festus répondit que Paul était gardé à Césarée ;
quant à lui, il devait sans tarder repartir. 5. « Que les notables de chez
vous, dit-il, descendent ensemble et accusent l’homme de tout ce qu’il y a
de mal en lui. » 6. Sans avoir séjourné chez eux plus de huit jours, dix
peut-être, il descendit à Césarée ; le lendemain, s’étant assis sur son
estrade, il se fit amener Paul. 7. Lui venu, les juifs descendus de Jérusalem
l’entourèrent, en déversant un grand nombre de graves accusations, qu’ils
étaient incapables de démontrer, 8. tandis que Paul présentait sa défense :
ni envers la Loi des juifs, ni envers le Temple, ni contre César, il n’avait
commis le moindre péché. 9. Mais Festus, voulant se constituer du côté
des juifs un fonds de gratitude, lança en réplique à Paul : « Est-ce que tu
consens à monter à Jérusalem pour être jugé là sur ces faits devant
moi ? ». 10. Paul dit : « Si je me tiens debout sur l’estrade de César (epi tou
bèmatos Kaisaros), c’est que là je dois être jugé. Je n’ai commis aucune faute
à l’égard des juifs, comme tu es en train de le mieux découvrir. 11. Si donc
il est vrai que je suis en état de faute et que j’ai commis un seul acte qui
mérite la mort, je ne rejette pas l’idée de mourir ; mais si ce dont ces gens
m’accusent se réduit à néant, personne ne peut leur faire, de moi, un don
gracieux : j’en appelle à César (Kaisara epikaloumai). » 12. Alors Festus
s’entretint avec son Conseil (sumboulion) et dit : « Tu fais appel à César, tu
iras à César (Kaisara epikeklèsai, epi Kaisara poreusèi) ».

C4. « IL AURAIT PU ÊTRE RELÂCHÉ… SANS SON APPEL À CÉSAR » (ACTES


DES APÔTRES, 26, 30-32)

Le roi se leva, ainsi que le procurateur, Bérénice et tous ceux qui


étaient assis avec eux. 31. Et, s’étant retirés, ils se disaient entre eux : « cet
homme-là ne fait rien qui mérite la mort ou la prison. » 32. Agrippa dit à
Festus : « Il aurait pu, cet homme là, être déjà relâché, sans son appel à
César (ei me epekeklèto Kaisara) ».
d. Un enquête sénatoriale commandée
par un message de Néron contre
C. Cassius et L. Iunius Silanus en 65 ap. J.-
C. De supposés complices font appel
au prince (Tacite, Annales, 16, 8, 2-3)
2. On introduisit ensuite sous le nom de dénonciateurs (indices)
certaines personnes qui fabriquaient de toutes pièces (confingere) contre
Lepida, la femme de Cassius, et tante de Silanus, des accusations d’inceste
avec le fils de son frère ainsi que des rites abominables (diri ritus) en
matière de cérémonies religieuses (sacra). 3. On entraînait comme
complices (conscii) les sénateurs Volcacius Tullinus et Cornelius Marcellus,
et le chevalier romain Calpurnius Fabatus ; ces derniers, en ayant fait
appel (appellare) au prince, échappèrent à une condamnation imminente,
tandis que Néron, bientôt occupé de crimes (scelera) plus graves, laissa
échapper ceux-ci comme de moindre importance.

e. L’appel à l’empereur parodié


par Fonteius Capito, gouverneur
de Germanie inférieure en 68 ap. J.-
C. (Dion Cassius, 64, 2, 3 ; 1er tiers
du IIIe siècle ap. J.-C.)
<Sabinus> Nymphidius et <Fonteius> Capito allèrent si loin sous son
règne que Capito, alors qu’une personne avait un jour fait appel (ephiemi)
de sa juridiction, bondit sur un siège élevé et lui dit « défends ta cause
devant César », et il le condamna à mort. Cependant Galba punit ces
derniers pour de tels faits.

f. L’affaire Archippus (entre


110 et 113 ap. J.-C.)

F1. PLINE LE JEUNE, LETTRES, 10, 81 (85) : PLINE À L’EMPEREUR


er
TRAJAN ; 1 HIVER DU GOUVERNEMENT DE PLINE LE JEUNE EN BITHYNIE,
EN 110-111 OU 112-113

1. Comme je me consacrais au règlement d’affaires publiques à Pruse


de l’Olympe, là où j’avais reçu l’hospitalité, le jour même de mon départ,
le magistrat Asclepiades annonça que Claudius Eumolpus en appelait à
moi. Tandis que Dion Cocceianus exigeait en plein conseil que soit livré à
la cité l’ouvrage dont il avait reçu le soin, Eumolpus qui assistait en justice
Flavius Archippus déclara que le compte des dépenses occasionnées par
l’ouvrage devait être exigé, avant qu’il ne soit remis aux pouvoirs publics,
parce qu’il avait agi autrement qu’il ne devait. 2. Mieux encore, il ajouta
que dans le même lieu avaient été placées ta statue et les corps de deux
inhumés, la femme de Dion et son fils, et il présenta une plainte pour que
j’ouvre une instruction devant mon tribunal (pro tribunali cognoscere). 3. Là
dessus, alors que je déclarai que je m’en occuperais sur-le-champ et que je
retarderais mon départ, il sollicita que je lui accorde un délai plus long et
que je mène l’instruction dans une autre cité. 4. Je répondis que
j’accorderai audience (audire) à Nicée. Alors que j’y siégeais pour y mener
l’instruction, le même Eumolpus, comme si, encore maintenant, sa cause
était trop peu étayée, se mit à solliciter un ajournement. Et Dion d’exiger à
l’inverse que l’audience ait lieu. Bien des mots furent échangés de part et
d’autre, et même au sujet de l’affaire. 5. Comme je considérais qu’il fallait
accorder un ajournement et te consulter au sujet d’une affaire relevant du
précédent, j’ai dit aux deux parties qu’ils devraient fournir sous forme de
pièces écrites (libelli) leur demande en justice (postulatio). Je voulais en
effet avant toute chose que tu prennes connaissance de l’exposé des faits
d’après les paroles des intéressés eux-mêmes. 6. Dion dit qu’il fournirait
la pièce écrite, tandis qu’Eumolpe répondit qu’il se limiterait dans le sien
aux questions qu’il soulevait au service de la cité. Pour ce qui concernait
les inhumés, ce n’était pas lui l’accusateur. Il n’était que l’avocat de Flavius
Archippus, dont il avait transmis les instructions (mandata). Archippus
auquel Eumolpe donnait son assistance comme à Pruse dit qu’il fournirait
des pièces écrites. Dion a fourni celles que j’ai jointes à cette lettre
(epistula). 7. Je me suis rendu moi-même sur les lieux et j’ai vu que ta
statue aussi était placée dans une bibliothèque. Quant à l’endroit où l’on
dit que le fils et la femme de Dion ont été ensevelis, il s’agit d’un espace
adjacent à ciel ouvert et qui est entouré de portiques. 8. Je te demande,
maître, de juger digne de m’orienter tout particulièrement dans
une instruction de ce type, alors que du reste l’attente est grande, comme
il est inévitable dans une affaire de cette espèce où la flagrance des faits
est venue à la connaissance de tous et qui est soutenue par des précédents.

F2. PLINE LE JEUNE, LETTRES, 10, 82 (86) : TRAJAN À PLINE

Mon très cher Pline, tu aurais pu ne pas demeurer dans l’embarras, à


propos d’une l’affaire au sujet de laquelle tu as considéré qu’il fallait me
consulter, alors que tu connais mieux que personne ma résolution de
n’acquérir la déférence que l’on doit à mon nom, ni par la crainte, ni par
la terreur sur les hommes, ni par des poursuites de lèse-majesté (maiestatis
crimina). C’est pourquoi, lorsque tu auras renoncé à cette enquête
(quaestio), que je n’accepterai pas, même si elle est étayée par
des précédents, il faut que le compte de l’ouvrage tout entier exécuté sous
la charge de Dion Cocceianus soit épluché, puisque l’intérêt de la cité
l’exige, et que Dion ne s’y oppose pas : il ne doit pas s’y opposer.

g. Appel au prince et validité


du testament de l’accusé (Ulpien,
Commentaire à Sabinus, extrait du livre 10,
fr. 2507 Lenel = Digeste, 28, 3, 6, 5-13 ;
214-216 ap. J.-C.)
5. Un testament est rendu sans effet (irritum), à chaque fois que
quelque chose arrive au testateur lui-même, si d’aventure il perd
la citoyenneté (ciuitatem amittere) en raison d’une soudaine <entrée en>
esclavage (seruitus), si, par exemple, il est capturé (captus) par les ennemis,
ou si, alors qu’il est âgé de plus de vingt ans, il s’est laissé livrer en vue
d’une vente <de lui-même>, afin d’exercer une fonction ou pour participer
au bénéfice <de la vente>. 6. Mais si quelqu’un est condamné à la peine
capitale (capite damnatus), soit aux bêtes soit à l’épée (ad gladium) ou à
une autre peine qui ôte la vie, que son testament soit rendu sans effet, non
pas lorsqu’il a été mis à mort (consumere), mais lorsqu’il a été atteint par
la sentence, car il est rendu esclave de la peine (poenae seruus). À moins
qu’il ne s’agisse par hasard d’un soldat qui a été condamné en vertu d’un
délit militaire (militare delictum), car on permet généralement à ce dernier
de tester, comme le divin Hadrien l’a répondu dans un rescrit, et je crois
qu’il testera en vertu du droit militaire. Conformément à ce principe, il lui
est donc permis de tester alors qu’il est condamné, et dans ce cas, s’il lui a
été permis de tester, est-ce que le testament qu’il avait fait auparavant
reste valable ? Ou bien est-ce que le testament qui avait été fait et qui est
rendu sans effet par la peine doit être refait ? Eh bien, si en vertu du droit
militaire il peut tester, il n’y a pas lieu de douter que s’il a validé ce
<testament antérieur à la condamnation>, il est considéré comme l’ayant
fait <après la condamnation>. 7. Le testament de celui qui subit
une sentence de déportation n’est pas rendu caduc sur-le-champ, mais
<seulement> lorsque le prince aura confirmé le fait : en effet, ce n’est qu’à
partir de ce moment que <le prévenu> perd le droit de cité. Mais si
le gouverneur a rendu une sentence interlocutoire, afin de s’adresser au
prince au sujet de la punition d’un décurion, de son fils ou de son petit-
fils, je ne pense pas qu’il [le prévenu] soit fait sur-le-champ esclave de
la peine (seruus poenae), bien qu’on ait l’habitude de le maintenir dans un
cachot afin d’assurer une garde (custodia) très vigilante. Et, par
conséquent, que le testament de ce dernier ne soit pas annulé, avant que
le prince n’ait envoyé un rescrit sur le supplice qui aura été décidé à son
sujet. C’est pourquoi, s’il meurt auparavant, de toute façon, son testament
demeure valable, à moins qu’il ne se suicide. Car les constitutions rendent
caducs les testaments de ceux qui auront préféré mourir plutôt que d’être
condamnés, en raison de la claire connaissance intérieure qu’ils ont de
leur crime, même s’ils meurent en <disposant toujours du> droit de cité.
Quant à ceux qui, par lassitude de la vie ou par inaptitude à supporter
un état malheureux ou par un étalage de vanité, comme certains
philosophes, ils se trouvent dans cette situation telle que leurs testaments
demeurent valables. 8. Tous ceux dont les testaments, comme nous l’avons
dit, étaient rendus sans effet par la condamnation, s’ils ont fait appel
(prouocare), ne sont pas diminués dans leur appartenance civique (capite
minuere), et c’est pourquoi les testaments qu’ils ont faits antérieurement
ne sont pas rendus sans effet et ils auront donc pu tester. En effet il a été
très souvent établi par les constitutions <impériales> qu’ils ne paraissent
pas dans la même situation que ceux qui doutent de leur état (status) et
qui n’ont pas la capacité de faire un testament (testamenti factio) : ils sont
en effet certains de leur état, et eux-mêmes ne sont pas dans l’incertitude
en attendant pour ce qui concerne leur situation. 9. Qu’en est-il
cependant, si le gouverneur n’a pas accueilli l’appel (appellationem
recipere), mais qu’il a retardé <l’application de> la peine, alors qu’il écrivait
à l’empereur ? Mon avis est qu’il faut conserver son état juridique (status)
durant ce délai et ne pas annuler son testament. En effet, comme l’expose
explicitement un discours du Divin Marc, bien que l’appel (appellatio) de
celui qui adresse une sollicitation (prouocatio) ou de celui pour lequel il a
été sollicité (prouocare) n’ait pas été accueilli, il faut néanmoins suspendre
la peine, jusqu’à ce que le prince ait répondu à la lettre (litterae) du
gouverneur et à la requête écrite (libellus) du prévenu jointe à la lettre
dans l’envoi. À moins que d’aventure <l’arrestation d’> un brigand pris en
flagrant délit (latro manifestus), le brusque déclenchement d’une sédition
(seditio), <l’activité d’>une ligue (factio) sanguinaire ou toute autre cause
légitime que le gouverneur justifiera bientôt par une lettre, n’acceptent
aucun délai. <Dans ce cas le gouverneur ne paraîtra pas avoir infligé>
précipitamment une peine, mais il aura pris les devants en raison du
danger. Dans de telles circonstances, il est en effet permis de punir
<d’abord> et d’écrire ensuite. 10. Voyons ce qui se passe si quelqu’un a été
condamné de manière illégitime (illicite) et que la peine n’a pas été infligée
(sumere), est-ce que son testament est rendu sans effet ? Par exemple si
un décurion est <condamné> aux bêtes, est-ce qu’il est diminué dans son
appartenance civique (capite minuere) et son testament rendu sans effet ?
Je ne le pense pas, puisqu’il n’est pas lié par la sentence. Par conséquent, si
quelqu’un a condamné celui qui n’était pas de sa juridiction (iurisdictio),
son testament n’a pas été rendu sans effet, comme cela a été établi <par
des constitutions impériales>. 11. Assurément ne sont pas ratifiés, mais
sont rendus sans effet, les testaments de ceux dont la mémoire a été
condamnée après la mort (memoria post mortem damnata), par exemple en
raison d’une cause de majesté (maiestatis causa) ou de toute autre cause de
ce genre. 12. Cependant, comme nous avons dit que le testament de ceux
qui ont été capturés par les ennemis est rendu sans effet, il faut ajouter
que ceux qui sont revenus en vertu du postliminium récupèrent leur
puissance (uires) en vertu du droit de rentrée (ius postliminii) et, si l’un
d’entre eux décède alors, son testament est confirmé par la loi Cornelia.
Donc, de la même façon, si quelqu’un a été condamné à la peine capitale
(capite damnatus) et qu’il a été rétabli dans son état premier (in integrum
restitutus) par l’indulgence du prince (indulgentia principis), son testament
est valide.

h. L’empereur justifie l’appel


qui lui est adressé en raison d’un vice
de procédure commis par le gouverneur
(Septime Sévère, Code de Justinien,
7, 62, 1 ; 209 ap. J.-C.)
Le gouverneur de la province aurait dû se prononcer d’abord au sujet
de la possession (possessio) et examiner (excutere) ensuite le crime de
violence (crimen uiolentiae). Puisqu’il n’a pas agi de la sorte, c’est avec
justice (iuste) qu’un appel a été fait (prouocare).
i. Un prévenu contourne l’obstruction
violente du juge de première instance
pour rendre public son appel (Marcien,
Sur les appels, extrait du livre 1, fr. 2
Lenel = Digeste, 49, 1, 7 ; après 210 ap. J.-
C.)
En raison de la violence du juge (uiolentia iudicis), quelqu’un n’avait pas
remis les libelles (libelli) en mains propres à ce dernier alors qu’il faisait
appel (appellare) <de sa décision>, mais il les avait exposés publiquement
(publice proponere) : le divin Sévère lui accorda le pardon (uenia) et lui
permit de plaider les causes qui faisaient l’objet de l’appel (appellatio).

j. La constitution de Dioclétien
et Maximien sur l’appel (Code de Justinien,
7, 62, 6 ; date et destinataire
non précisés)
Pr. Il convient que ceux qui enquêtent (cognoscere) et qui seront
amenés à émettre un jugement au sujet des appels (appellationes) qui leur
ont été soumis, présentent leur jugement, de telle sorte qu’ils
comprennent que, lorsqu’un appel a été interposé (interponere) après
qu’un procès (lis) a été tranché par une sentence, il n’est permis, en
aucune circonstance, de renvoyer (remittere) l’affaire (negotium) au juge qui
en est l’auteur. Il convient au contraire que toute la cause soit limitée à sa
propre sentence. En effet, l’intégrité de la loi établie semble viser à ce
qu’après la sentence prononcée par celui qui enquête (cognoscere) au sujet
de l’appel, il ne puisse être fait de nouveau recours (recursus) au juge de
la décision duquel il a été appelé (prouocare). C’est pourquoi les parties
(litigatores) doivent comprendre que l’occasion de renvoyer (remittere)
la cause dans la province est écartée, ou mieux, totalement exclue,
puisque dans toute cause il est seulement permis de prononcer
(pronuntiare) que l’appel interposé (interposita prouocatio) est injuste ou
juste. 1. Si un plaideur (litigator) a cru qu’en poursuivant l’affaire il avait
manqué de produire une preuve (adlegare), qu’il expose devant celui qui
enquête au sujet de l’appel (appellatio) ce qui a été omis lors du procès qui
a eu lieu en première instance. Puisque nous formons le vœu que dans
les tribunaux rien d’autre que la justice ne doive trouver place, une pièce
nécessaire qui d’aventure serait transmise <seulement en seconde
instance> ne paraît pas devoir être exclue. 2. Si par ailleurs, après avoir
interposé un appel (interposita appellatio), quelqu’un pense que la présence
de certaines personnes est nécessaire pour qu’il puisse mettre en avant
devant le juge qui enquête (cognoscere) au sujet de l’appel (appellatio)
la vérité qu’il estime avoir été occultée, et que le juge <d’appel> reconnaît
clairement que c’est envisageable, alors il devra pourvoir aux dépenses de
ceux qui entreprendront d’accomplir le voyage, puisque la justice elle-
même exige que ces personnes soient prises en charge par celui qui a
estimé, dans son intérêt, devoir les faire venir (euocare). 3. Quant à ceux
qui ont fait appel (appellare), alors qu’ils étaient poursuivis dans des causes
capitales (causae capitales), il ne convient pas cependant qu’eux-mêmes ou
ceux qui lanceront un recours (prouocare) pour eux fassent appel
(appellare), à moins que la cause entière n’ait été entendue et débattue
auparavant, et que la sentence n’ait été prononcée. Nous ordonnons
d’observer la disposition suivante : qu’en l’absence de garant approprié
(fideiiussor idoneus), les prévenus (rei) soient maintenus en détention
(custodia) ; que les juges transmettent leurs avis (opiniones) et les copies
(exempla) produites (edita) par ceux qui font appel (appellatores), ainsi que
leurs éléments de réfutation (refutatoriae) aux bureaux (scrinia) appropriés
(…). 4. Afin que la possibilité de faire appel (prouocandi facultas) ne soit pas
accordée à tous sans de sérieuses raisons et indistinctement, Nous
décidons que celui qui aura poursuivi un procès sans fondement (mala lis)
devra subir une peine infligée avec modération par le juge compétent.
5. Si quelqu’un a été battu lors d’un jugement en poursuivant sa propre
cause, et qu’il a voulu faire appel (prouocare), il devra fournir le jour même
ou le lendemain les pétitions relatives à l’appel (libelli appellatorii). Mais
celui qui protège l’affaire (negotium) d’autrui, en respectant la condition
indiquée ci-dessus, pourra même faire appel (prouocare) jusqu’au troisième
jour. 6. Après qu’un appel (prouocatio) a été interposé, et même si
l’appelant (appellator) ne le demande pas, il faut que, sans délai
quelconque, le juge présente les lettres de renvoi (apostoli), même si
évidemment il n’est aucunement nécessaire <pour l’autre partie> de
fournir caution pour exercer l’appel (prouocatio) par la suite.

k. Le droit d’appel à l’époque


constantinienne

K1. APPEL EN JUSTICE ET INCARCÉRATION PROLONGÉE. L’EMPEREUR


CONSTANTIN AUGUSTE À CATULLINUS (CODE THÉODOSIEN,
11, 30, 2 = CODE DE JUSTINIEN, 7, 62, 12 ; 17 AVRIL 314 AP. J.-C.)
Il n’est absolument pas permis que, dans une affaire civile, lorsque
des libelles <portant> des demandes en appel (libelli appellatorii) ont été
présentés, l’appelant endure le supplice du cachot (carceris cruciatus) ou
une forme quelconque d’atteinte à sa personne (iniuria), qu’il s’agisse de
tortures (tormenta) ou même d’outrages (contumeliae). Il en va
différemment de ces causes criminelles, dans lesquelles, même s’ils
peuvent faire appel (prouocare), <les prévenus> doivent néanmoins
conserver leur état : ceux-ci ne cesseront pas d’être maintenus en
détention (in custodia) après l’appel (prouocatio). Que la règle soit respectée
selon laquelle sont reçus les appels de ceux dont on sait qu’ils ne l’ont pas
interjeté contre une sentence interlocutoire (praeiudicium) ou encore pas
avant que la cause soit examinée et réglée. Ce n’est que lorsque l’affaire
dans son entier aura été achevée par une ordonnance définitive et que
l’examen de toutes ses parties aura été mené jusqu’au bout que seront
portés à la connaissance les appels qui ont été interposés contre le juge
<de première instance>.
Donnée le trois des nones de novembre [3 novembre 313] à Trèves,
reçue le 15 des calendes de mai à Hadrumète, sous le consulat de
Volusianus et Annianus [17 avril 314].

INTERPRÉTATION
Cette loi prescrit ceci : celui qui fait appel (appellare) ne doit pas être lié
(constringere) par la garde (custodia) du cachot ou le tourment d’une
quelconque atteinte <à sa personne> (iniuria), à l’exception toutefois
des causes criminelles (causae criminales) dans lesquelles une même
condition de peine et de garde (custodia) lie celui qui accuse (accusare) et
celui qui est accusé. Et elle dit que doivent être reçus les appels de ceux-ci,
de telle manière toutefois que celui qui aura fait appel soit maintenu sous
garde, afin que les griefs (crimina) avancés parviennent jusqu’à l’autre
juge, de sorte que tous <les points> ayant été discutés depuis
le commencement (ad integrum), il reçoive une sentence finale (finitiua
sententia), soit pour son acquittement (absolutio), soit pour sa
condamnation.
K2. UN APPEL NE DOIT PAS DEVENIR UNE MANŒUVRE DILATOIRE
OU UN RECOURS SANS FONDEMENT, LORSQUE LA VÉRITÉ A ÉTÉ RÉVÉLÉE
EN PREMIÈRE INSTANCE (L’EMPEREUR CONSTANTIN AUGUSTE À CATULLINUS,
CODE THÉODOSIEN, 11, 36, 1 ; 2 NOVEMBRE 314 OU 315 ?)
Il ne convient pas de donner accès aux ajournements dilatoires et
trompeurs qui constituent moins des appels (appellationes) que
des duperies. Car de la même façon qu’il ne faut pas rejeter le secours
(auxilium) envers ceux qui ont à juste titre fait appel (appellare), de
la même façon envers ceux contre lesquels un jugement a été prononcé
avec raison et qui avancent un recours (prouocare) sans fondement on ne
doit pas différer ce qui a été décidé à juste titre. Il en découle que lorsque
son propre aveu (confessio), ou la lumineuse et très excellente enquête
(quaestio) de la vérité auront mis à nu, par des épreuves (probationes) et
des preuves, (argumenta) un meurtrier (homicida), un <complice d’>
adultère (adulter), un auteur de maléfices (maleficus) ou un empoisonneur
(ueneficus), il ne faut pas recevoir leurs recours (prouocationes), puisqu’il est
établi qu’ils ne répondent en rien à l’espoir de réfuter les choses qui ont
été établies, mais visent plutôt à en différer l’issue. Ceux qui ne sont pas
d’accord au sujet de certains procès et de certaines causes ne devront pas
lancer un recours sans de sérieuses raisons, ni à partir de sentences
préjudicielles (praeiudicia), ni à partir de celles qui ont été jugées avec
justice (iuste). Mais si un prévenu (reus) dans une accusation (crimen)
d’homicide, de maléfice, d’adultère, ou de poison peut pour sa défense
(defensio) s’appuyer en partie sur les témoins (testes) et sur ce qui a été
établi par la torture (quaestio) et qu’il semble en partie être chargé
(obruere) et incriminé (accusare) <à outrance>, alors que l’arbitrage
(arbitrium) dans son entier soit remis à notre délibération (deliberatio) sur
l’appel (appellatio) interposé (interponere) par celui qui affirme que
les témoignages (testimonia) déposés en sa faveur doivent lui être utiles,
plus que ceux qui ont agi à son encontre ne lui font du tort.
Donnée le 4 des nones de novembre à Trèves, reçue le 15 des calendes
de mai à Hadrumète sous le consulat de Volusianus et Annianus.

INTERPRÉTATION
Dans les causes civiles ou dans les accusations (crimina) légères
(leuiores) qui ne sont pas incluses dans les lois, le délai (dilatio) établi par
les lois pour un appel (appellatio) doit être accordé et la sentence de celui
qui juge doit être suspendue (suspendere). Cependant, pour ce qui concerne
les homicides, les adultères et les autres que cette loi inclut, s’ils ont été
convaincus et ont avoué (confessi), et s’ils ont voulu faire appel (appellare),
le délai est refusé, et s’il s’agit de crimes (crimina) flagrants (manifesta),
la sentence du juge doit être prononcée sur-le-champ. Au sujet des grands
crimes et des personnes les plus importantes (personae maiores), il faut
toutefois en porter connaissance à l’empereur.

l. De l’exil, en première instance,


à la mise à mort, en seconde instance :
l’appel inconsidéré du jeune Lollianus
entre 368 et 371 ap. J.-C. (Ammien
Marcellin, 28, 1, 26 ; 395 env.)
C’est à peu près en ces jours que Lollianus, un adolescent (adulescens) à
la barbe tout juste naissante, fils de l’ancien préfet Lampadius, alors qu’il
était l’objet d’une surveillance très étroite de la part de Maximin qui
examinait sa cause, fut convaincu d’avoir transcrit un ouvrage (codex) de
pratiques coupables (artes noxiae), alors qu’il n’avait même pas atteint l’âge
(aetas) d’une intention affermie (consilium firmatum). Alors qu’il était
promis à devenir un exilé (exul), comme on s’y attendait, à l’incitation de
son père, il fit appel au prince (ad principem prouocare) et alors qu’il avait
reçu l’ordre d’être conduit jusqu’à la suite (comitatus) de ce dernier,
<chutant> de la fumée, comme on dit, dans la flamme, il fut livré (tradere) à
Phalangius, consulaire de Bétique, et fut tué (caedere) de la main funeste
du bourreau (carnifex).

*
* *

De toutes les innovations du Principat l’introduction de l’appel


réformatoire a été la plus durable ; l’atteinte que cette
institution renferme au principe, de l’immutabilité de
la sentence régulièrement rendue s’est maintenue jusqu’à nos
jours.
Mommsen, Droit pénal, I, p. 324

En ouverture de son ouvrage fondateur, Le métier de citoyen dans la Rome


républicaine, paru il y a près de quarante-cinq ans, Claude Nicolet accorde à
la séquence des Actes des Apôtres relative à la détention de Paul de Tarse,
suivie de « l’appel » de ce dernier à l’empereur, une valeur
paradigmatique. À lui seul, cet épisode fameux survenu au
commencement de l’Empire, sous le règne de Néron, permettrait de
répondre, pour l’essentiel et dans un premier temps, à la question de
savoir ce « que pouvait bien signifier la citoyenneté à l’échelle d’un
empire ». Résumons brièvement les faits bien connus, qui intéressent
la revendication du statut de citoyen par Paul et ceux qui l’ont conduit à
« en appeler à César » à Césarée, avant d’être transféré à Rome. Explicite à
Philippes et à Jérusalem, la revendication de ce statut est implicitement
le fondement de « l’appel » proféré ensuite à Césarée, quoiqu’on en dise.
Les quelques très rares cas où l’appel au prince, ou encore la consultation
de celui-ci par le gouverneur-juge soucieux de respecter le statut du
prévenu paraissent découler de la citoyenneté romaine, seront ensuite
examinés autant qu’on puisse en suivre la trace jusqu’à leur effacement
complet à la fin de l’époque antonine. La diffusion de la procédure d’appel
à l’époque sévérienne, puis au commencement de l’Empire tardif, sera
ensuite examinée.

Appel au prince et citoyenneté : autour de Paul


de Tarse

À Philippes, Paul et Silas avaient été dans un premier temps conduits


« sur le forum devant les archontes » (le terme archontes désigne ici de
manière générique les autorités de la cité) par les maîtres d’une servante
que l’apôtre avait privée de ses dons de prophétesse en l’exorcisant. À
l’initiative des stratèges (le terme stratègoi s’applique cette fois plus
précisément aux principaux magistrats de la colonie chargés de
la juridiction, à savoir les duumvirs), Paul et son compagnon furent alors
battus de verges et incarcérés [BRÉLAZ 2018, p. 148-154] (R50c1).
Le lendemain, cependant, lorsqu’ils déclarèrent leur statut de citoyens
romains en s’insurgeant contre les mesures arbitraires dont ils avaient fait
l’objet, ils obtinrent leur libération en exigeant la présence des magistrats
eux-mêmes, sans se satisfaire, en raison de l’offense au droit qu’ils avaient
endurée, de l’intervention de leurs appariteurs, les licteurs. Plus tard, à
Jérusalem, alors que Paul est sur le point d’être lynché, le voici arrêté par
le tribun d’une cohorte prétorienne qui donne l’ordre de le faire flageller
par un centurion, afin de connaître les raisons de l’hostilité qu’il a
déclenchée – la flagellation publique est ici désignée comme une « mise à
la question », un interrogatoire sous la torture visant à obtenir un aveu.
Lorsque cet officier apprend que Paul est citoyen romain, il le signale à
son supérieur, le tribun, qui le libère aussitôt (R50c2). Alors que Paul
déclare avoir hérité de ses parents la citoyenneté romaine (sans doute
avait-elle été octroyée à sa famille dès l’époque triumvirale), le tribun
avoue l’avoir obtenue en l’achetant, selon un moyen qui aurait été
répandu sous le règne de Claude (Dion Cassius, 60, 17, 5) [MAROTTA 2009,
p. 57-58]. Après une audition devant le Sanhédrin en présence du tribun,
et pour éviter quelque piège qui lui serait bientôt tendu devant la même
instance, Paul est transféré à Césarée pour être entendu par
le procurateur de Judée. Il comparaît une première fois devant
le procurateur Antonius Felix (en charge de 52 à 59/60 ap. J.-C.) qui
le place ensuite en résidence surveillée – sans doute dans le palais
construit par Hérode et qui servait de siège au procurateur, sous garde
militaire [RAVIZZA 2010, p. 113, n. 5]. Cette garde est une forme de détention
dans l’attente d’un procès qui s’oppose aux rigueurs de l’incarcération,
sans doute précisément en respect du statut de citoyen (R18). Cette
détention peu contraignante se prolonge toutefois durant deux ans. À
l’issue de ces deux années, le successeur de Felix, Porcius Festus (en
charge de 59/60 à 62 ap. J.-C.), fait de nouveau comparaître Paul. Après
que Festus lui eut demandé s’il consentait à se rendre à Jérusalem où il
serait jugé par le Sanhédrin mais devant le procurateur lui-même, Paul en
appela à l’empereur (R50c3).
La succession de ces trois séquences conduit Claude Nicolet à formuler
ce constat : « la citoyenneté romaine, c’est donc avant tout, et presque
exclusivement, le bénéfice de cette sorte d’habeas corpus avant la lettre
qu’est le droit d’appel au peuple romain, désormais représenté par César.
À la limite, cela signifie, comme pour Paul de Tarse, l’arrêt de la procédure
en cours, le voyage à Rome » [NICOLET 1976, p. 34]. À l’époque républicaine,
l’appel au peuple (prouocatio ad populum) apparaissait en effet dans
la tradition annalistique (représentée par Tite-Live et Denys
d’Halicarnasse), mais aussi chez Cicéron, comme une conquête réalisée au
détriment de la puisssance d’exécution du magistrat. « Je suis citoyen
romain » ! Le cri de Gaevius de Compsa, mené arbitrairement au supplice
par Verrès en serait l’illustration en négatif (R3h3). Cette garantie, si l’on
suit toujours C. Nicolet, se serait prolongée jusqu’au commencement du
e
II siècle de l’Empire comme l’atteste la lettre de Pline le Jeune relative aux

poursuites contre les chrétiens qui envisage un traitement particulier de


ceux, parmi eux, qui revêtaient la citoyenneté romaine : ceux-ci firent
alors l’objet d’un signalement (adnotatio) qui leur épargna l’application
immédiate de la peine capitale par le gouverneur pour être renvoyés
(remittere) en principe à Rome (R13a). Il est certain que c’est la peine
capitale également que Paul aurait encourue, en cas de comparution à
Jérusalem. Si la peine capitale ne pouvait en principe être administrée que
par des sénateurs détenteurs de l’imperium (des légats, pour les provinces
placées sous le commandement direct de l’empereur, des proconsuls pour
les provinces publiques relevant directement de l’autorité du sénat), il est
certain que le procurateur de Judée qui faisait office de gouverneur (à
l’époque de Tibère il portait encore le titre de « préfet » à l’instar de Ponce
Pilate) disposait également d’une juridiction capitale, comme l’atteste
une lecture attentive de nombreux textes de Flavius Josèphe [RAVIZZA 2010,
p. 124-127], mais également l’affirmation explicite d’un fragment du traité
d’Ulpien Sur la fonction du proconsul conservé dans la Collatio legum (14, 3,
3) (R32). Le procurateur dont la compétence est d’abord financière ne
dispose pas d’une juridiction capitale, « à moins qu’il ne soit chargé de
gouverner une province », à l’instar du gouverneur de Judée. Le « droit du
glaive » (ius gladii) dont dispose normalement un procurateur qui
remplace un gouverneur détenteur de l’imperium est aussi très
simplement attesté au détour du récit de la passion de Perpétue et Félicité
où le procès est mené par ce juge provisoire en raison de la mort récente
d’un proconsul : la précision de cette attribution à un procurateur est
notée, elle apparaît tout juste implicitement comme une dérogation
(R18b). On retrouve l’exposé de cette distinction de principe dérogatoire
chez Dion Cassius (53, 13, 7).
L’hypothèse d’une continuité entre « l’appel au peuple » (prouocatio ad
populum) et « l’appel à l’empereur » (prouocatio ad principem) a bien été
envisagée dès l’Antiquité, comme semble l’attester la formulation tardive
des termes de la loi Iulia sur la violence publique chez le Pseudo-Paul
(R50a2). Cet énoncé viendrait confirmer un fragment d’Ulpien
(R50a1) auquel on joint parfois un fragment de Mécien (R50a3). Une telle
interprétation constitue pourtant un raccourci qui ne s’impose pas
juridiquement, en dépit de l’effort qui a été tenté récemment pour
considérer que « l’appel » d’époque impériale trouve son origine dans
les termes de la loi Iulia dont ces trois textes se font l’écho [NOGRADY 2006,
p. 225].
Il faut écarter d’abord le troisième texte, celui de Mécien, du dossier de
l’appel : il condamne un abus de pouvoir, mais il ne signifie en rien que
l’on se trouve dans le contexte d’une procédure d’appel. Le cas envisagé ici
englobe en effet un éventail de situations bien plus large que « l’appel », et
ne suppose même pas que celui-ci ait été interjeté. Il s’agit simplement de
dénoncer comme un acte de violence toute obstruction physique – de
la part de « quiconque », et pas nécessairement d’un détenteur de
l’imperium ou de la potestas, comme cela peut être spécifié ailleurs –
empêchant un prévenu de se rendre à Rome pour y plaider sa cause
[RIVIÈRE 2004, p. 193 ; RAVIZZA 2010, p. 119].
Le texte d’Ulpien en revanche se réfère explicitement à la violence
commise par un détenteur de la « puissance » (potestas) ou d’un pouvoir de
commandement (imperium). La formule aduersus prouocationem employée
par le même juriste se réfère quant à elle plus certainement à la législation
de prouocatione républicaine qui s’opposait à la mise à mort, arbitraire ou
sans jugement devant le peuple, d’un citoyen (R3), mais qui ne désignait
en rien « l’appel » au sens où le mot s’entend à l’époque impériale, à savoir
le recours à une instance supérieure à l’issue d’un jugement déjà
prononcé. À l’époque où la loi sur la violence a été promulguée – sans
doute au commencement du règne d’Auguste, entre 19 et 16 av. J.-C. [CLOUD
dans CRAWFORD 1996, II, p. 789] –, le terme de prouocatio ne revêtait pas
encore ce sens. Cet encadrement légal désignait le mécanisme procédural
conduisant en principe à l’ouverture d’un procès devant le peuple et
permettant à un prévenu de s’opposer à l’action coercitive d’un magistrat.
Par conséquent, il y a bien lieu de penser que l’interprétation tardive
des Sentences de Paul constitue une extrapolation qui ne reflète pas
le contenu initial de la lex iulia de ui. On observe au passage que l’auteur de
ce traité emploie le terme appellatio, tout à fait pertinent pour désigner
l’appel au prince, mais qui à l’époque républicaine ne désigne pas
l’ouverture d’un procès devant le peuple : il s’agit de la sollicitation de
l’aide (auxilium) d’un tribun. L’équivalence établie de l’un à l’autre en
apparaît d’autant plus suspecte. Cette sollicitation du tribun avait pu
constituer, antérieurement à la lex Valeria de 300 av. J.-C., l’étape nécessaire
de l’ouverture d’un procès devant le peuple [HUMBERT 1988], mais elle avait
continué d’exister par la suite comme une forme de recours autonome
contre tout acte arbitraire perpétré par un magistrat à l’encontre d’un
citoyen.
Si l’on revient maintenant à « l’appel à César » formulé par Paul, il se
pourrait donc qu’il n’ait rien à voir, d’un point de vue procédural, avec
« l’appel au peuple » des siècles précédents (prouocatio ad populum),
puisque celui-ci ne consistait pas en un procès en seconde instance visant
à réformer un premier jugement. Pour la même raison, il ne peut guère
apparaître comme l’illustration de « l’appel au prince », sans doute apparu
pourtant à peu près à la même époque. Des réserves ont été émises depuis
longtemps à ce sujet. La première tient au fait que Paul n’a pas encore été
jugé par le procurateur de Judée lorsqu’il « en appelle à César » (Kaisara
epikaloumai). Or, comme en témoignent amplement et avec insistance
la jurisprudence aussi bien que la législation postérieure, à l’époque où
cette procédure de recours s’est généralisée, un appel ne peut être
formulé et éventuellement reçu qu’après le prononcé d’une sentence
rendue par un premier juge, et non en cours de procès, ou avant même
la première comparution du prévenu. En conséquence, si l’on doit bien
admettre que la démarche de Paul, puisqu’elle est antérieure à tout
jugement, n’est pas un appel, en quoi a-t-elle consisté ? Se serait-il agi
d’une « récusation du tribunal » (reiectio iudicii) que le juge, aussi bien,
aurait pu refuser au prévenu [GARNSEY 1966, p. 184] ? Paul se serait élevé
contre le transfert de juridiction à Jérusalem et aurait donc demandé à ce
que son procès se déroule devant l’empereur lui-même. Un texte de Dion
Cassius viendrait conforter cette hypothèse en distinguant les appels
proprement dits formulés à l’issue d’une sentence (ta ephesima), des cas où
des jugements sont renvoyés devant l’empereur en cours d’instance (ta
anapompima), c’est-à-dire dans les deux cas assurément « un moyen souple
de contrôle » de la justice des gouverneurs [MAROTTA 2009, p. 42] :

Juge toi-même et en particulier, les procès en appel (ta ephesima) et


les renvois de juridiction (ta anapompima) qui te parviennent
des grands magistrats, des procurateurs, du préfet de la Ville, du
sous-censeur et des gouverneurs de province, du préfet de
l’annone et du préfet des vigiles. (Dion Cassius, 52, 33, 1)

Plusieurs arguments s’opposent pourtant au rapprochement entre ce


conseil adressé par Mécène à Auguste et le geste de Paul qui signifierait
plutôt le renvoi (remissio) à l’empereur de certains procès à l’issue d’une
« récusation » (reiectio) formulée par le prévenu et non d’une initiative du
premier juge. En premier lieu, un réflexe de prudence s’impose car le texte
de Dion Cassius est extrait du fameux « discours de Mécène », c’est-à-dire
un discours fabriqué par l’historien et qui reflète très certainement
la réalité de son époque, plutôt que le commencement du Principat ou
plus précisément encore l’année 29 av. J.-C. où il est censé avoir été
prononcé [HURLET 2016a, p. 30-31]. Cependant, lorsqu’il s’agit de
déterminer une époque aux mesures rapportées dans ce discours, on est,
avouons-le, nécessairement dans l’embarras : « le ‘discours de Mécène’ si
habilement ‘feint’ par Dion (mais qui peut le dire au fond ?), est là comme
ailleurs, rempli d’audacieuses anticipations qui annoncent à la fois
des réalités (confirmées) du règne d’Auguste, et les développements
ultérieurs que ces initiatives portaient en elles » [NICOLET 1991, p. 95]. En
second lieu, la logique du récit des Actes des Apôtres ne permet pas de
supposer que le juge était libre de refuser « l’appel » du prévenu,
puisqu’Agrippa s’exclame un peu plus loin en s’adressant à Festus : « il
aurait pu, cet homme-là, être relâché, sans son appel à César » (Actes
des Apôtres, 26, 32). À partir du moment où Paul avait prononcé les deux
mots de « l’appel à César » (kaisara epikaloumai), le procès aurait donc cessé
automatiquement d’appartenir au procurateur. Enfin, s’il s’agissait d’une
récusation du juge, alors Paul se serait directement adressé à Festus, et
non à l’empereur : ainsi il faudrait rejeter tout à la fois l’hypothèse
traditionnelle d’une appellatio à l’empereur, pour les raisons évoquées plus
haut, et celle d’une « récusation » (reiectio) du juge [RAVIZZA 2010, p. 121].
Pour comprendre le geste de Paul et la mécanique procédurale en cours au
milieu du Ier siècle dans laquelle il s’inscrit, il serait alors souhaitable de
partir plutôt de l’attribution des pouvoirs décernés à Octavien en 30 av. J.-
C., telle qu’elle est rapportée par Dion Cassius, de nouveau :

<Le sénat décida> qu’à César seraient accordés la puissance


tribunicienne à vie et le pouvoir de secourir tous ceux qui
invoqueraient son aide soit à l’intérieur du pomerium soit en dehors
sur une distance de sept stades et demi, ce qui n’avait pas même
été accordé aux tribuns, ainsi que le pouvoir de juger un appel
(ekklèton dikazein) et d’exprimer dans tous les tribunaux un vote
identique au suffrage d’Athéna. (Dion Cassius, 51, 19, 6-7)

Laissons ici de côté la dernière mesure qui signifiait qu’en cas d’égalité
du nombre de votes, à l’instar de l’intervention d’Athéna à l’Aréopage (à
l’occasion du procès d’Oreste) [MAUDUIT 2019], César pouvait trancher en
faveur d’un acquittement. Considérons plutôt la compétence du prince
assimilée à un appel. L’adjectif substantivé ekklèton est formé sur le verbe
ekkaleô qui signifie « appeler au dehors », « provoquer ». Sans préjuger du
sens procédural de l’expression ekklèton dikazein, admettons, pour ouvrir
la discussion, qu’il ne s’agit pas nécessairement d’une appellatio au sens
technique, laquelle est rendue plus fréquemment en grec par les termes
ephesis et epiklèsis [FOURNIER 2010, p. 515-519]. Il paraît cependant difficile de
la traduire autrement, quoique l’interprétation récente résumée dans
les lignes suivantes conduise à lui donner le sens « non technique », déjà
proposé par le passé, de « connaître une cause sur requête » [RAVIZZA 2010,
p. 129]. Dion Cassius pourrait avoir employé ici une expression désignant
assurément l’appellatio à son époque. Cette interprétation paraît d’autant
plus assurée que le terme ekklèton est employé ailleurs par l’historien grec
(52, 22, 5), toujours dans la bouche de Mécène, pour désigner les appels
reçus par le consul [MOMMSEN 1907, II, p. 154 n. 2 ; HURLET 2016a, p. 31 et
n. 77].

L’intrusion du prince dans toutes les pratiques


judiciaires
Quoi qu’il en soit des hésitations lexicales, et une fois que l’on s’est
prémuni des anachronismes ou des surinterprétations qui pourraient en
résulter, il est à peu près certain que « l’appel au prince » ne s’est pas
imposé d’emblée dès Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.). Le terme désignerait
donc dans le passage de Dion Cassius une autre pratique procédurale
répandue au commencement de l’Empire, en raison même du pouvoir de
l’empereur. Les quelques cas connus, en matière civile ou criminelle, où
Auguste a été amené à juger des procès qui avaient été d’abord soumis à
une autre instance, témoignent de l’attraction suscitée par l’autorité du
prince, plutôt que de l’affirmation d’une procédure d’appel rigide et
clairement définie [FERRARY 2001, p. 129 ; HURLET 2016a, p. 31 ; RAVIZZA 2010,
p. 124-129]. Pour la ville de Rome elle-même, une évolution semble avoir
été engagée dès le règne d’Auguste. Dans la capitale de l’Empire,
l’interférence entre les anciennes institutions judiciaires, à savoir
les tribunaux de jurés (quaestiones) fondés par les lois du dernier siècle de
la République, et l’affirmation du pouvoir impérial, s’est affirmée
d’emblée. En témoigne un épisode de l’année 10 ap. J.-C. impliquant tout à
la fois un questeur accusé de meurtre, son accusateur devant le tribunal
instauré par la loi Cornelia sur les assassins et les empoisonneurs (R20),
un membre de la famille impériale (le prince héritier Germanicus) devenu
son défenseur et l’empereur lui-même :

Germanicus devenait de plus en plus cher à la plèbe pour de


nombreuses raisons, mais en particulier parce qu’il défendait en
justice (huperdikeô) certaines personnes, aussi bien devant
les autres juges (dikastai), que devant Auguste lui-même. C’est
pourquoi, alors qu’un questeur était accusé de meurtre et que
Germanicus était sur le point de le défendre (sunagoreuô), son
accusateur craignit de perdre sa cause en conséquence si celle-ci
était présentée aux juges qui étaient d’ordinaire amenés à juger ce
genre d’affaires, et il voulut qu’elle fût jugée par Auguste, mais ce
fut en vain (matèn), car il ne l’emporta pas. (Dion Cassius, 56, 24, 7.
Exc. V. 182)
Ce texte, qui est un résumé tardif de l’œuvre de Dion Cassius, est trop
allusif pour que l’on puisse bien saisir tous les rouages procéduraux qui
ont alors été mis en œuvre. L’accusateur a-t-il agi « en vain » (matèn) en
perdant sa cause devant le tribunal de l’empereur ou parce qu’il n’avait
pas obtenu le transfert de juridiction qu’il souhaitait pour ne pas avoir à
s’affronter devant les jurés à un adversaire aussi prestigieux que le prince
héritier Germanicus ? Il n’est pas possible de trancher [HURLET 2016a,
p. 20 et n. 40]. Soulignons en revanche, au travers de ce scénario assez
singulier, où un accusateur récuse l’instance régulière et sollicite
un transfert de juridiction devant l’empereur, l’impact immédiat qu’a
exercé la mise en place du pouvoir impérial sur l’exercice de la justice
criminelle. Cette rupture a été suffisamment remarquée tout au long de
cet ouvrage. On l’observe ici de nouveau. Certes, les anciens tribunaux
continuent de se rassembler, alors même que le développement de
la procédure devant le préfet de la Ville (R12) ou encore l’émergence de
l’enquête sénatoriale (R11) les marginalisent. Mais eux-mêmes ne sont
aucunement à l’abri des interventions directes de l’empereur, comme en
témoignent notamment les apparitions de Tibère qui s’installait tantôt à
l’angle de l’estrade où siégeait le magistrat (in cornu tribunalis), sans
déplacer le préteur de sa chaise curule (Tacite, Annales, 1, 75, 1), tantôt
prenait place au premier rang de l’assistance (Suétone, Tibère, 33, 2).
La plupart des attestations de la survivance des quaestiones à l’époque
julio-claudienne sont donc indissociables d’une intervention du prince
dans leur fonctionnement. Certes, ces indications sont le plus souvent
insérées dans l’œuvre de Suétone, pour illustrer précisément l’action
des princes : elles ont donc été sélectionnées et conservées pour
les besoins de l’illustration biographique, plutôt que pour compléter
le tableau de la justice criminelle dans la capitale de l’Empire. Cependant,
il apparaît aussi évident que la possibilité même pour le prince de siéger
dans le public ou de s’installer même sur le tribunal aux côtés du juge
légitime pour lui adresser publiquement des conseils au cours de
l’instruction et du jugement a conduit à une interférence aussi nette que
celle qui a pu être identifiée à l’examen de la procédure sénatoriale,
indissociable de la présence du prince dans la curie ou du suivi qu’il
exerçait à distance sur le déroulement de la procédure (R11).
La multiplicité des interférences n’est pas mieux illustrée, pour finir sur ce
point, que par le déroulement du procès contre Cn. Calpurnius Piso,
l’empoisonneur supposé de Germanicus, en 20. Après avoir raillé ses
adversaires, depuis son navire, au large des côtes de l’Asie mineure en
affirmant ironiquement qu’il attendrait la convocation du « préteur qui
enquêtait sur les empoisonnements » (Tacite, Annales, 2, 79, 1) avant de se
présenter devant lui, lorsqu’il vint à Rome et se rendit compte enfin qu’il
s’exposait à une accusation plus grave, il espéra un moment comparaître
devant le prince. Ce dernier accorda une première audience entouré d’un
conseil de membres de son entourage (familiares) (Tacite, Annales, 3, 10, 3),
avant de renvoyer l’affaire au sénat. Il proclama en ouverture du procès
qui se déroula dans un édifice attenant à la résidence impériale, la curie
du temple d’Apollon sur le Palatin (Aedes Apollinis in Palatio), et non dans
la curie du forum ou dans un temple, que le seul priviège qui avait été
accordé à Germanicus avait été un « procès sénatorial » :

Nous aurons accordé à Germanicus seulement ceci au-dessus


des lois (super leges) : que l’on enquête au sujet de sa mort dans
la curie plutôt que sur le forum, devant le sénat plutôt que devant
les juges. (Tacite, Annales, 3, 12, 7)

Dans la bouche de Tibère, l’expression « au-dessus des lois » (super


leges) ne désigne pas de manière générale une quelconque dérogation à
la légalité, elle est une allusion directe aux lois fondatrices des tribunaux
(quaestiones), qui remontaient au dernier siècle de la République, en
l’occurrence la loi Cornelia sur les assassins et les empoisonneurs.
Le même pluriel désignant les lois fondatrices des quaestiones se retrouve
en une autre occasion dans une réplique fameuse de Tibère, conservée
aussi bien par Tacite (Annales, 1, 72, 13) que par Suétone (Tibère, 58, 1) :
interrogé par le préteur responsable des poursuites pour atteinte à
la majesté, l’empereur répondit qu’il fallait appliquer « les lois », tandis
que le commentaire du biographe à cette réplique évoque sans ambiguïté
la subordination complète des tribunaux, quand bien même ils avaient été
fondés par des lois que l’on invoquait toujours, à la volonté de l’empereur ;
« les lois doivent être appliquées, répondit-il, et il les appliqua de
la manière la plus horrible ». Mais c’est bien l’empereur lui-même qui a
fait ce choix après une première audience qui aurait tout aussi bien pu, s’il
en avait décidé avec son conseil, se dérouler devant lui. Très tôt le tribunal
impérial s’est affirmé. Très tôt également l’appel à l’empereur est apparu,
même s’il n’est attesté qu’à partir du règne de Claude (41-54 ap. J.-C.),
comme on le verra plus bas, et comme en témoignent quelques lignes d’un
édit impérial conservé sur un papyrus (R50b).
Il n’est donc plus possible de considérer aujourd’hui que, par
un artifice institutionnel, le souverain a remplacé les comices, que
l’empereur s’est « substitué » au peuple – la juridiction comitiale n’est
d’ailleurs plus attestée au dernier siècle de la République, en dehors de
l’affaire du procès de perduellio de Rabirius (R3h4) –, en bref que
la prouocatio ad principem s’est substituée, comme par un glissement de
pouvoir, à la prouocatio ad populum. Il n’en demeure pas moins que
la question essentielle de la garantie offerte par la citoyenneté devant
le tribunal des gouverneurs de province continue de se poser, dans
le cadre d’un appel proprement dit ou de toute autre forme de recours. En
nous interrogeant sur la protection offerte par la ciuitas Romana, on
laissera provisoirement de côté, dans un premier temps, les distinctions
qui s’imposent au regard des rouages de la procédure dans la mesure où
« le renvoi d’un procès en cours » qui « n’est pas un appel », a pu se
trouver « assimilé en substance à ce dernier » [MOMMSEN 1907, II, p. 154].
Un texte épigraphique antérieur de plus d’un siècle à l’épisode de Paul
de Tarse revêt une importance particulière pour comprendre comment,
alors même que la procédure d’appel proprement dite n’avait pas été mise
en place, un citoyen romain pouvait revendiquer de comparaître à Rome
et non dans la région où il était accusé d’un crime capital. Il s’agit du traité
romano-lycien (l. 34-37) de 46 av. J.-C. qui après avoir énuméré les crimes
qui entraînaient une poursuite capitale, le meurtre d’un homme libre,
le plagium (R32), ou des infractions similaires, déclare que le citoyen
romain qui serait poursuivi sous une telle inculpation (mais la règle ne
vaut pas pour l’exercice de la justice civile) devrait nécessairement être
jugé à Rome (et réciproquement un Lycien ne pourrait être jugé ailleurs
qu’en Lycie) [FOURNIER 2010, p. 447-450 et 513] :

Dans cette catégorie d’affaires, si un citoyen romain est accusé en


Lycie, il sera jugé selon ses propres lois, à Rome, et nulle part
ailleurs (en Rôme krinesthô, allakkèi de mè krinesthô). Si un citoyen
lycien est accusé, il sera jugé selon ses propres lois [en Lycie] et
nulle part ailleurs. (SCHULER 2007, l. 34-37, trad. J. Fournier)

Une telle clause cependant concerne les relations de Rome avec


un autre État. Plutôt que des droits intrinsèques à la citoyenneté romaine,
il s’agit plutôt d’une clause d’extradition réciproque intéressant
les ressortissants de ces deux cités, d’une garantie qui leur est donnée de
comparaître devant la justice de celle à laquelle ils appartiennent. N’est-ce
pas la même logique qui préside aux relations de Rome avec les cités libres
de l’Orient hellénisé ? Le dossier relatif au sort de la cité libre de Cyzique
sous les règnes d’Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.) et de Tibère (14-
37) pourrait trouver ici sa place. Au début du règne d’Auguste,
les habitants de Cyzique avaient au cours d’une « sédition » (stasis) battu
de verges et mis à mort des citoyens romains (Dion Cassius, 54, 7, 6). Ils
perdirent leur statut, le retrouvèrent, puis le perdirent de nouveau sous
Tibère, en 25 ap. J.-C. Ils avaient négligé le culte d’Auguste et avaient de
nouveau porté atteinte à des citoyens, en les « attachant » (deô) c’est-à-
dire en les « emprisonnant » (Dion Cassius, 57, 24, 6), en perpétrant contre
eux « des crimes de violences » (uiolentiae crimina) (Tacite, Annales, 4, 36, 2-
3), ou en osant se comporter « plus violemment » (uiolentius) (Suétone,
Tibère, 37, 3), selon les termes allusifs employés par nos sources qui
parviennent mal à distinguer ce qui relèverait des mouvements d’une
foule ou de la décision des magistrats de la cité (l’un et l’autre aspect étant
bien souvent liés dans la vie des cités). En 44 ap. J.-C., sous le règne de
Claude, Rhodes perdit à son tour son statut de cité libre pour avoir
« empalé » (anaskolopizô) des citoyens romains (Dion Cassius, 60, 24, 4),
mais ce statut lui fut bientôt rendu par le même empereur, « en raison du
regret (paenitentia) qu’ils avaient exprimé pour les crimes (delicta) commis
par le passé » (Suétone, Claude, 25, 4).
On se souvient que la citoyenneté romaine a été invoquée par Paul lors
de ses premiers ennuis judiciaires, lorsqu’il fut arrêté d’abord à Philippes,
puis lorsqu’on s’apprêta à le flageller à Jérusalem. Cette appartenance
civique de l’apôtre commande donc le récit y compris la séquence
des deux années de détention dans le palais du procurateur, car c’est bien
implicitement le statut de citoyen romain, de nouveau, qui conduit à
l’évitement d’une incarcération plus sévère. Dès lors, sous prétexte que
Paul n’invoque plus son statut de citoyen romain au moment où il fait
appel au prince, doit-on considérer que cet « appel » est sans lien avec sa
citoyenneté [RAVIZZA 2010, p. 117] ? Ce serait exiger des Actes des Apôtres
qu’ils explicitent à chaque étape du déroulement du récit les rouages de
la procédure suivie, comme s’il s’agissait des minutes où serait consignées
le déroulement d’une procédure. À l’évidence, l’attention accordée par
le procurateur à l’appel de Paul, au moment où il s’apprête à le livrer à
la juridiction du Sanhédrin, même sous son contrôle (la formule « devant
moi » (ep’ emou), qui semble signifier une participation du procurateur, est
embarrassante [RAVIZZA 2010, p. 117], elle pourrait signifier que celui-ci
voulait être présent, comme l’avait été avant lui le tribun, lors de
l’audience devant le conseil des prêtres), est indissociable du statut de
citoyen invoqué au cours des circonstances qui ont précédé et dont
les pouvoirs publics en Judée avaient été suffisamment avertis auparavant
(toute l’affaire en dépend) !
Dire, par ailleurs, que l’appel formulé par Paul de Tarse se distingue de
la prouocatio de l’époque républicaine, car celle-ci était dirigée contre
une mesure coercitive à laquelle l’apôtre lui-même n’aurait pas été
confronté, n’est pas une appréciation tout à fait fondée. Paul vient en effet
de passer deux années en résidence surveillée ; il s’apprête à être livré à
une juridiction qui votera sa mort et il paraît difficile de ne pas considérer
cette succession comme un traitement coercitif, quand bien même ne
figure pas ici la scène archétypale de l’époque républicaine d’un prévenu
emmené par des appariteurs !
En d’autres circonstances également, il y a tout lieu de penser, même si
cela n’est pas assuré, que c’est son statut de citoyen qui avait fait espérer à
ce prévenu condamné en 68 ap. J.-C. par le légat de Germanie inférieure,
Fonteius Capito, qu’il comparaîtrait devant César, qu’il s’agisse d’un appel
à proprement parler comme inviterait à le penser le verbe ephiemi [RIVIÈRE
2004, p. 183] ou d’une « requête » pour passer en cours de procès de
la juridiction du gouverneur à celle de César [RAVIZZA 2010, p. 130]. Dans
la circonstance, le geste tout à la fois cruel et parodique du gouverneur ne
saurait être négligé : il monta sur un degré plus élevé pour mimer
le passage d’une instance inférieure à une instance supérieure (R50e).
Serait-ce réellement pour avoir commis ce meurtre judiciaire que Fonteius
Capito fut lui-même mis à mort ? C’est ce que pourrait laisser entendre
le récit très resserré de Dion Cassius. La cruauté et la violence de ce
personnage ici mises en scène à l’occasion d’un procès s’accordent avec
les défauts de corruption par « appât du gain » (auaritia) ou de
« débauche » (libido) qu’on lui connaît par ailleurs. Mais l’on sait que c’est
en réalité pour avoir été soupçonné de « révolution » (res nouae) et pour
avoir peut-être voulu prétendre à la pourpre qu’il fut exécuté lors de
la guerre civile de 68, que Galba en ait donné l’ordre ou qu’il ait enteriné
l’assassinat commis par deux officiers de l’armée de Germanie (Tacite,
Histoires, 1, 7, 2 ; Suétone, Galba, 11, 2). La parodie de l’appel au prince
rapporté par Dion Cassius s’intègre finalement assez bien à ce contexte
d’usurpation supposée où Fonteius Capito, à l’occasion de sa macabre
réplique à l’accusé, prétend lui-même incarner l’empereur auquel il a été
fait appel.
C’est cette citoyenneté qui, explicitement cette fois, marque un coup
d’arrêt des exécutions ordonnées par Pline le Jeune en Bithynie
(R13a) [RIVIÈRE 2004, p. 175-176] ; c’est elle encore, par exemple, qui a
conduit un légat de Lyonnaise à retarder l’exécution d’un chrétien dont il
avait appris le statut de citoyen. « Le peuple, écrit l’auteur de la lettre sur
les martyrs de Lyon recueillie par Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique,
5, 1, 44), était enragé contre lui. Mais le gouverneur, ayant appris qu’il
était Romain, ordonna qu’on le ramenât avec les autres qui étaient encore
en prison ; et il écrivit à leur sujet à César, puis il attendit sa réponse ».
Malheureusement la suite du texte manque de cohérence car lorsque
la réponse de Marc Aurèle arrive, la question de la citoyenneté qui
paraissait avoir motivé, au moins en partie, la lettre initiale du gouverneur
est complètement passée sous silence (mais l’on notera également qu’à
aucun moment Trajan ne précise dans sa lettre à Pline la question
des citoyens pourtant évoquée par ce dernier) : « César répondit qu’il
fallait mettre les uns à la torture, mais libérer ceux qui reniaient »
(Eusèbe, Histoire ecclésiastique, 5, 1, 47). Finalement Attale est livré aux
bêtes dans l’amphithéâtre et brûlé vif sur une chaise de fer (Eusèbe,
Histoire ecclésiastique, 5, 1, 50-52) [RIVIÈRE 2004, p. 178-187]. L’une
des dernières attestations de la revendication du statut de citoyen face à
l’exercice de moyens coercitifs exercés dans les provinces de l’Empire par
des représentants du pouvoir central est sans doute la pétition adressée
par des colons du domaine à l’empereur Commode, contre les abus
commis par les fermiers du domaine, accusés d’accointance avec
un procurateur. Cette pétition figure en ouverture d’une célèbre
inscription, le « Décret de Commode au sujet du domaine de Buruni » ou
Decretum Commodi de saltu Burunitano (CIL, VIII, 10570 = ILS, II, 1,
6870 = FIRA, no 103) découverte en 1879 à Sûk-el-Khmis à plus d’une
cinquante de km au sud-ouest d’Alger. À la suite de la pétition figurent
trois autres pièces, à savoir le rescrit de l’empereur, une lettre d’un
procurateur des bureaux centraux accompagnant le rescrit, et l’accusé de
réception des colons. L’ensemble de ce très riche dossier, au regard de
l’histoire sociale et administrative, peut être daté des années 181-
183. Seules quelques lignes de la pétition des colons seront ici retenues
pour notre propos. Elles dénoncent les mauvais traitements qu’ils ont
reçus sur l’ordre du procurateur, allié du fermier, afin qu’ils fournissent
un nombre de jours de corvée supérieur à la limite légalement fixée à
l’époque d’Hadrien (117-138) :

Ayant envoyé des soldats dans ce même domaine de Buruni, il a


donné l’ordre que certains d’entre nous soient arrêtés
(adprehendere) et maltraités (uexare), que d’autres soient attachés
(uincire), que même ceux qui étaient citoyens romains soient
battus (effligere) à coups de verges (uirgae) et de bâtons (fustes).
(FIRA, p. 496, col. II, l. 10-15).
À moins d’exercer à titre temporaire le rôle de vice-gouverneur,
les procurateurs chargés de gérer le patrimoine de l’empereur ne
disposaient pas en principe d’une juridiction dans le domaine criminel, ni
de moyens militaires au service du maintien de l’ordre. Ces intendants
n’étaient pas des juges. La suite du texte laisse entendre que ces exactions
se sont produites en raison même d’une première tentative des colons
d’avertir l’empereur de ce qu’ils subissaient. Mais on comprend aussi au
travers de cet exemple, pourquoi la limitation des interventions
des procurateurs dans le domaine du droit criminel (a fortiori dans
les causes capitales), en matière de plagiat par exemple, a dû être répétée
avec insistance par les empereurs (R19t8), et rappelée dans
la jurisprudence (Coll., 14, 3, 1-3 et Commentaire à R32). Cependant, sur
les vastes domaines impériaux où les procurateurs régnaient en maîtres et
où leur pouvoir concurrençait même celui du gouverneur de la province,
des cas comme celui-ci ont dû se produire souvent, au service de
l’imposition de corvées ou du prélèvement de taxes. C’est un scénario
voisin qui se déroulera en 238 et qui, par enchaînement, conduira au
soulèvement de l’Afrique, à la chute de Maximin le Thrace (235-238) et à
l’avènement de Gordien III (238-244). Toujours est-il que dans son rescrit
adressé aux procurateurs, tel qu’il est conservé sur l’inscription, à la suite
de la pétitition des paysans, l’empereur Commode (176-192) passe
complètement sous silence de telles exactions, même s’il accède à
la demande des paysans portant sur la question des corvées.

L’empereur César Marcus Aurelius Commodus Antoninus Auguste


Sarmaticus Germanicus Maximus à Lurius Lucullus et au nom
des autres.
Les procurateurs, en application de l’ordre existant (disciplina) et
de ma propre manière d’agir veilleront à ce que ne soient pas
exigées par vous plus de trois corvées de deux jours chacune, ni
quoi que ce soit par une atteinte au droit (iniuria) qui irait à
l’encontre du règlement perpétuel (perpetua forma). (FIRA, p. 496,
col. IV, l. 1-7)

Certes, le statut de citoyen apparaît au travers de ces exemples comme


une garantie bien précaire, alors même qu’il a pu être défini pour l’époque
républicaine comme « un habeas corpus avant la lettre », on l’a vu au
départ de ce chapitre. Cependant il s’inscrit à l’évidence, quelle que soit
la définition exacte des rouages de procédure, dans la continuité de
l’exclamation de Gaevius de Compsa crucifié par Verrès face au détroit de
Messine, « je suis citoyen romain » (R3h3) ou de celle de Fadius enseveli à
mi corps et brûlé vif à Gadès et qui se serait exclamé, autant qu’il en avait
encore le souffle « je suis né citoyen romain » (R3o) ! Surtout, toute trace
de cette garantie disparaît à partir de la fin de la période antonine (en
192), si bien que l’on pourrait encore une fois s’interroger sur le contenu
de cette citoyenneté définie essentiellement comme « un habeas corpus
avant la lettre », au moment où celle-ci fut diffusée à l’ensemble
des hommes libres de l’Empire (à l’exception des « déditices » dépourvus
d’appartenance civique) par Caracalla en 212 !
Cet édit de Caracalla (ou constitutio antoniniana) conservé sur quelques
lignes allusives (la documentation normative antique qui vise à aller à
l’essentiel d’un héritage de droit n’en souffle mot) et ramené par certains
de ses contemporains à une simple mesure d’élargissement de l’assiette
fiscale (Dion Cassius, 78, 9, 5) est « célébré » par les modernes sur
le fondement, disons-le, d’une « idéalisation ». Depuis les directives
d’enseignement qui président aujourd’hui à l’élaboration de nos livres
scolaires (le « devoir » de connaître le monde romain dans les écoles se
réduirait pour un peu à cette disposition exemplaire et de portée
universelle !), jusqu’au discours politique toujours en quête d’un passé
édifiant, chacun se réfère à l’emblême, au symbole, à la réalité supposée
de l’édit de Caracalla. Tel était déjà le cas « au temps des colonies » du
siècle passé, de l’Algérie romaine à l’Algérie française il n’y avait qu’un
pas ! En réalité, disons-le d’emblée, dans le domaine qui est au coeur du
présent ouvrage, la citoyenneté qui fut alors octroyée par l’empereur
Caracalla avait perdu, depuis des décennies au moins, tout contenu réel
relatif à l’intégrité des justiciables face aux juges de l’Empire
(R50) [SPAGNUOLO VIGORITA 1993, p. 43-50]. Un autre critère de distinction ou
de discrimination devant le juge s’affirmait alors, à savoir l’administration
différenciée des châtiments selon que le prévenu appartenait à
la catégorie des « honorables » (honestiores) ou à celle des « humbles »
(humiliores) (Commentaires à R14 et R20). Il est par ailleurs probable, de
l’avis de nombreux historiens, que « l’édit de Caracalla » ait
principalement visé le resserrement des liens de l’empereur avec ses
sujets, qu’il ait donc revêtu la portée d’une communion de l’ensemble
des habitants de l’Empire autour du prince, à l’instar de l’édit de Dèce qui
ouvrit quatre décennies plus tard, en 251, le cycle sporadique des édits de
persécution contre les chrétiens. Chacune de ces dispositions ayant
déclenché à l’échelle de l’Empire des poursuites judiciaires en série,
comme celles qui s’étaient déroulées localement (à l’échelle de la cité ou
de la province) au siècle précédent, une attention particulière a été
accordée à la littérature martyrologique, car elle constitue souvent
une source de première main sur le fonctionnement de la justice impériale
(R12-R13-R18).
Depuis longtemps la citoyenneté romaine ne constituait plus, en
dehors du cercle privilégié des honestiores, une protection quelconque
devant les tribunaux. En outre, il est à peu près certain que les pérégrins
de leur côté n’ont pas été exclus de la possibilité offerte de « faire appel »
à l’empereur. Cet « appel » à l’empereur ne constituerait donc en rien
l’ultime étape d’un privilège lié à la citoyenneté romaine, l’avatar de
la garantie que celle-ci aurait offerte à son détenteur face à l’arbitraire du
juge et à son pouvoir de coercition.

Naissance et développement de l’appel à l’empereur

C’est sans doute sous le règne de Claude [SANTALUCIA 1998, p. 217 ; HURLET
2016b, p. 71-72 et n. 2] que naît le système de l’appellatio, avant de se
développer au siècle suivant. Il est attesté par un papyrus provenant du
Fayoum et conservé à Berlin (BGU II, 628 recto) que l’on datait autrefois du
e
III siècle [MOMMSEN 1907, II, p. 154, n. 2 ; p. 158 et n. 5 ; p. 159, n. 1], mais

dont plusieurs études ont montré depuis qu’il remontait en fait au règne
de Néron [PURPURA 2012, p. 523-534]. Les questions de délais en matière
capitale y sont notamment évoquées (R50b).
Le développement de l’administration impériale, l’affirmation d’une
hiérarchie judiciaire formée de degrés d’appel et l’attrait des tribunaux
romains au détriment de ceux des cités ont contribué à cette intégration
de l’Empire – dans l’Orient hellénisé, où la tradition de la justice civique
était très ancienne, comme dans les fondations plus récentes qui avaient
suivi dans les provinces occidentales le processus de conquête [HURLET
2016b]. L’empereur lui-même était donc au sommet de cette pyramide,
comme le souligne Ulpien non sans ironie peut-être, face à cette évidence
où est invoqué en l’occurrence « le droit », au sens religieux de
l’expression de la volonté divine (le fas, droit relatif aux lois divines
s’oppose ainsi au ius, relatif à l’ordre de la cité) :

Il est assurément idiot de rappeler qu’il n’est pas conforme au


droit religieux (fas) de faire appel (appellare) <d’un jugement> du
prince, puisque c’est lui-même qui reçoit l’appel (prouocare).
(Ulpien, Des appels, extrait du livre 1 = Digeste, 49, 2, 1, 1)
En principe, tous les sujets de l’Empire, avant et après la diffusion de
la citoyenneté aux libres par la constitution de Caracalla de 212, pouvaient
faire appel à lui. C’est l’un des sujets d’admiration d’Aelius Aristide un peu
plus de trente ans plus tard :

En démocratie en tout cas, il n’est pas possible, une fois que


le verdict a été rendu dans la cité, d’aller dans un autre endroit ni
devant d’autres juges, et force est d’accepter la sentence, à moins
que la cité ne soit petite au point d’avoir besoin de juges étrangers.
Dans l’Empire romain au contraire, on n’est pas forcé de se
satisfaire de l’arrêt si l’on a subi une condamnation imméritée, ni
même de sa défaite si l’on a été débouté alors qu’on intentait
des poursuites : il reste un autre juge, un grand, à qui rien
n’échappe jamais en fait de justice. Devant son tribunal règne
une profonde et belle égalité du petit avec le grand, de l’obscur
avec l’illustre, du pauvre avec le riche et le noble. (Aelius Aristide,
Éloge de Rome, 37-38, trad. L. Pernot)

N’idéalisons pourtant pas la mécanique procédurale d’un tel système


en négligeant les contraintes géographiques, matérielles et sociales qui
pesaient sur son fonctionnement. En dehors de ses voyages dans
les provinces, à l’occasion desquels il rendait précisément la justice,
l’empereur résidait à Rome sous le Haut-Empire, tandis que les profonds
troubles qui ont ébranlé l’empire à partir du IIIe siècle l’ont mené sur
les frontières où dans les villes érigées en résidence impériale à partir de
l’époque tétrarchique. Pour un prévenu, transmettre sa demande à
l’empereur n’était pas chose aisée, et moins encore le voyage que
nécessitait sa comparution, si l’appel était accepté.
Le système s’est donc épanoui sous les Antonins et les Sévères, époque
à laquelle les plus grands juristes lui ont alors consacré des traités
spécifiques intitulés Sur les appels (de appellationibus) visant aussi bien
les causes civiles que criminelles : Ulpien rédige le sien sous Caracalla
(198-217) ou Élagabal (218-222), Marcien au lendemain de la mort de
Septime Sévère (en 211), et Macer sous Alexandre Sévère (222-235). Sous
les Sévères ce système est parvenu « à maturité », dans le sens où « l’appel
est devenu partie intégrante du déroulement du procès. Il n’est plus
un simple beneficium », il est devenu « une prérogative qui a acquis
le statut de ius, d’un véritable droit subjectif » [CORIAT 1997, p. 292-296],
comme l’attestent les rescrits de Septime Sévère (193-211) (R50h-R50i). Et
pourtant, en dépit des nombreux textes de jurisprudence relatifs à l’appel
conservés dans le Digeste, en dépit des nombreuses constitutions
impériales retenues dans les codes, les contours de la procédure
demeurent mal connus, y compris à l’époque florissante de
la jurisprudence, en raison notamment de l’imprécision dans les textes du
degré d’appel ou de l’absence d’indication précise relative à l’appel lui-
même ou à la décision prise en première instance, passée sous silence par
le décret impérial [CORIAT 1997, p. 284-290].
Si, comme on l’a dit plus haut, tous les sujets de l’empire peuvent en
principe recourir à l’appel à l’empereur (mis à part les obstacles matériels
qui ont été évoqués), il a fallu évidemment éviter un engorgement
des tribunaux. Lorsqu’un litige privé ou une poursuite criminelle
remontaient jusqu’au gouverneur et que ce dernier prononçait
la sentence, si le condamné faisait appel, c’était au gouverneur encore
d’estimer si cette demande était juste. L’idée s’impose alors selon laquelle
les légats ou les proconsuls – la situation ne paraît pas en effet avoir été
différente sous le Haut-Empire dans les provinces publiques (gouvernées
par des proconsuls) et dans les provinces impériales (gouvernées par
des légats) [HURLET 2016b, p. 66] – auront généralement été peu enclins à
avertir le prince des insuffisances de l’instruction, des erreurs ou de
la partialité de l’enquête, ou encore de l’iniquité du jugement rendu. Ils
ont pu toutefois s’interroger eux-mêmes sur l’ordre procédural qu’ils
avaient suivi comme l’atteste la réponse de Septime Sévère (193-211) à
un appel qui met en cause l’ordre dans lequel ont été traitées pour
un même prévenu la cause civile et la cause criminelle qui constituaient
les deux implications de son affaire (R50h).
Sous l’angle lexical, l’appel au prince est rendu par deux termes
prouocare/prouocatio et appellare/appellatio. On s’est donc interrogé depuis
longtemps sur la juxtaposition de ces deux termes, souvent associés, sans
parvenir à distinguer véritablement l’un de l’autre dans la production
jurisprudentielle ou légale où ils apparaissent la plupart du temps comme
synonymes : « Comme l’appellatio à l’empereur est toujours une instance
de réformation, elle rentre aussi dans la notion de prouocatio, aussi ce
e
dernier terme fut-il employé au moins depuis la fin du II siècle comme
synonyme d’appellatio. » [MOMMSEN 1907, II, p. 160, n. 1]. Une étude
approfondie et systématique du lexique employé dans le corpus sévérien
permet cependant d’aller plus loin, puisqu’elle débouche sur une réflexion
institutionnelle. Le mot appellatio, plus fréquent, a fini en effet par
désigner, non pas seulement le déclenchement de la procédure, mais
le déroulement du procès en seconde instance dans son entier : ainsi, « la
notion extensive de l’appel qui s’impose à la fin de l’époque classique,
explique qu’appellatio ait prévalu sur prouocatio et soit passé dans
la terminologie judiciaire du droit moderne » [CORIAT 1997, p. 292]. On
pourrait supposer enfin que le terme prouocatio a revêtu assez tardivement
et dans le contexte particulier de l’intervention des clercs ou des moines
en faveur des condamnés menés au supplice le sens d’un « recours »
présenté par un tiers en faveur du condamné (R45o-R45p) [DUCLOUX 1991],
mais cette hypothèse mériterait également, elle aussi, d’être approfondie
par un examen lexical systématique.

Appel d’une sentence et validité du testament


La procédure de l’appellatio est évoquée par Ulpien au cours d’un
développement centré sur la question de la validité d’un testament et
des conditions dans lesquelles ce document peut perdre son effet (R50g).
La nullité du testament peut d’abord advenir à l’occasion de trois
circonstances : la mise en esclavage de son auteur ; la captivité chez
l’ennemi ; son asservissement volontaire. En cas de peine capitale, quel
que soit le mode d’exécution, la nullité du testament prend effet dès
la sentence et non lors de la mise à mort consécutive. La situation du
soldat constitue cependant une exception en vertu du droit militaire :
le soldat peut en effet faire un testament après sa condamnation, ou
valider celui qui avait été fait antérieurement, comme s’il s’agissait d’un
acte nouveau ; le testament du soldat (testamentum militis) était en effet
affranchi des règles requises pour les civils et pouvait être accompli « de
toutes les façons qu’ils le voulaient et le pouvaient » (Digeste, 29, 1, 1, pr.), y
compris avec leur propre sang sur le fourreau de leur glaive ou avec
la pointe de l’épée dans le sable ! La condition du service (militia)
l’emportait ici sur l’effet immédiat de la peine capitale.
En cas de déportation, poursuit Ulpien, dans la mesure où cette
sentence prononcée par le gouverneur doit être validée par le prince, ce
n’est qu’après la confirmation de ce dernier que le testament est déclaré
nul. D’autres circonstances, telle une sentence interlocutoire à l’encontre
d’un décurion, car elle exige également un avis du prince, conduisent à
retarder le moment de nullité du testament – à moins que le prévenu ne se
suicide, ce qui, sauf en cas de faiblesse morale avérée ou d’obéissance à
un précepte philosophique, constitue un aveu [RIVIÈRE 2017a, p. 351].
L’appellatio est alors évoquée car elle obéit au même principe : la nullité du
testament n’intervient qu’à l’issue de la réponse du prince, si celle-ci
constitue un rejet. Le développement suivant souligne la procédure
appliquée au cas où le gouverneur refuserait de transmettre l’appel du
condamné au prince : il doit alors néanmoins obtenir de ce dernier
la confirmation écrite de ce rejet et tant que la réponse n’est pas
parvenue, l’application de la peine et son effet sur le testament sont
repoussés. Toutefois, bien sûr, la raison qui commande à l’ordre public
l’emporte, puisqu’en cas de brigandage, de sédition, ou d’association
criminelle, le gouverneur peut procéder à l’exécution des coupables avant
même d’en avoir averti le prince. En cas de faute procédurale commise par
le gouverneur, si par exemple il inflige une peine inadaptée au rang du
prévenu, ou s’il prononce une sentence contre un prévenu qui ne relève
pas de sa juridiction, alors le testament demeure valide dans l’attente
qu’une autre sentence soit prononcée (sous-entendu par le prince, car lui
seul peut modifier la sentence d’un gouverneur, auquel il n’appartient pas
de la réviser). Enfin, à l’instar de ce qui se produisait pour ceux qui, ayant
été capturés par l’ennemi étaient revenus en vertu du droit de
postliminium [RIVIÈRE 2008a], les condamnés qui avaient perdu leur
existence civique à l’issue d’un jugement capital et qui devenaient
les bénéficiaires de l’indulgence du prince recouvraient avec l’ensemble
de leurs droits la capacité testamentaire (R49).

Le déroulement de l’appel selon les lois de Dioclétien


et celles de Constantin

Tandis que le Digeste consacre treize titres, d’inégale importance, à


cette question de l’appel, les codes abondent en constitutions impériales
relatives à ce recours. Les constitutions de Dioclétien et de Constantin
donnent une idée des préoccupations du législateur au tournant des IIIe et
e
IV siècle (R50j-R50k). La première est tenue par Mommsen pour le texte
le plus éclairant sur le fonctionnement de l’appel. Au large morceau ici
conservé, il faut sans doute adjoindre d’autres fragments qui feraient
partie d’une même constitution relative à la procédure judiciaire (Code de
Justinien, 3, 3, 2 ; 3, 11, 1 ; 7, 53, 8 ; 7, 62, 6 ; 7, 16, 40) et qui remonterait à
l’année 294 [PULIATTI 2018, p. 590 et n. 86]. Il y manque toutefois
le préambule conservé par exemple dans deux autres constitutions de
Dioclétien insérées dans la Collatio legum (R25-33), puisqu’à la différence de
l’auteur de ce petit recueil, les compilateurs de Justinien ont élagué
les constitutions impériales pour n’en retenir que le contenu positif en
éliminant les principes à caractère moral qui en constituaient
les attendus. Si les trois premiers paragraphes (ainsi que le dernier) du
morceau cité ci-dessus sont relatifs à la procédure civile, la suite du texte
s’intéresse aux causes capitales en rappelant d’abord un principe récurent
de la législation relative à l’appel, à savoir la nécessité pour qu’il soit
réalisé qu’une première sentence ait été rendue : on ne saurait faire appel,
tant que le premier juge ne s’est pas prononcé. Le second point relatif aux
causes capitales est lui aussi très répandu puisqu’il s’agit de
considérations relatives au statut du condamné en première instance, de
la garde dont il doit être l’objet, ou de l’éventualité de l’intervention d’un
tiers se portant caution. Enfin, de nombreux documents écrits relatifs à
la procédure d’appel sont mentionnés dans cet édit de Dioclétien, qu’il
s’agisse des pièces relatives au recours en appel lui-même (libelli
appellatorii) envoyés par les prévenus, mais aussi de la documentation
concernant l’activité des juges en première instance, qu’il s’agisse de
la rédaction de leurs avis (opiniones), des copies des écrits (exempla),
des motivations des prévenus (refutatorii), ou encore des lettres de renvoi
dont l’existence est attestée depuis l’époque sévérienne au moins et qui
sont ainsi définies dans le Digeste :

Après que l’appel a été interjeté (appellatio interposita) il faut qu’une


lettre soit remise par celui duquel il a été fait appel à celui qui
devra connaître de l’appel (de appellatione cognoscere), qu’il s’agisse
du prince, ou de quelqu’un d’autre : on les appelle lettres de renvoi
à une juridiction supérieure, sous les noms de dimissoriae litterae ou
d’apostoli. (Marcien, Sur les appels, extrait du livre 2 = Digeste, 49, 6,
1, pr.)
On appelle lettres de renvoi (dimissoriae litterae) ce que l’on désigne
communément comme des apostoli. Elles sont appelées « de
renvoi » (dimissoriae), parce que la cause est « renvoyée » à celui
auquel il a été fait appel (appellare). (Modestin, Des Prescriptions,
extrait du livre unique = Digeste, 50, 16, 106)

On voit ainsi se dessiner les rouages du gouvernement et de la justice


d’un Empire dont le commandement est largement assuré par
l’enregistrement et la circulation de pièces écrites, selon un cheminement
centralisé. L’intervention de la chancellerie impériale visait alors à pallier
l’incompétence ou la corruption des gouverneurs-juges [PULIATTI 2018,
p. 592, n. 90].
Quant aux deux lois de Constantin, on ne s’y arrêtera que brièvement
ici, car elles recoupent largement les préoccupations de son prédécesseur.
La première est relative aux conditions de surveillance des prévenus ayant
fait appel et elle fait écho à d’autres lois de Constantin en matière
d’incarcération à d’autres étapes de la procédure (R18). La seconde est
bien le reflet de l’ambiguïté que recèle la procédure d’appel. D’un côté,
bien sûr, elle doit être ouverte à tous si la contestation du premier
jugement s’impose. De l’autre, il faut veiller à ce que l’appel ne constitue
pas une manœuvre dilatoire, surtout dans les cas des crimes les plus
graves sur lesquels « la vérité » aurait été faite de manière incontestable.
La liste de ces crimes recoupe largement celle que l’on retrouve au sujet
des sorties de prisonniers le dimanche (R18g), ou encore des criminels que
l’on écarte des amnisties pascales (R49o-p).
Au côté de toutes les constitutions relatives au contrôle de
la procédure d’appel émises sous Constantin (306-337), le règne de cet
empereur a aussi été marqué par une réforme fondamentale qui a consisté
à rendre pérenne et régulière la nomination de juges qui prononçaient en
deuxième instance un jugement à la place de l’empereur (uice Caesaris). Ce
principe de délégation de la réception d’un appel à l’empereur, loin d’être
nouveau, remontait au moins à l’époque sévérienne. Mais alors que leur
action avait été précédemment limitée dans le temps pour une mission
déterminée, ces juges uice Caesaris devenaient un rouage fixe de
la bureaucratie impériale [PEACHIN 1996, p. 188-199].

« De la fumée dans la flamme » : la chute du jeune


Lollianus

Lorsque l’on faisait appel au prince désormais, c’est auprès de l’un de


ces juges qu’aboutissait la demande, exposant alors les prévenus de
l’aristocratie impériale aux plus graves dangers, puisque c’était un de
leurs pairs, peut-être un adversaire, qui était chargé de statuer sur
l’aboutissement de l’appel, recevant même la possibilité en ce jugement de
deuxième instance d’aggraver la sentence précédente. Tel est le scenario
offert par un tragique épisode rapporté par Ammien Marcellin (R50l).
Lollianus était un tout jeune homme du plus haut rang (PLRE, I,
Lollianus, 1). Son père, C. Ceonius Rufius Volusianus (PLRE, I, Volusianus,
5), appelé ici Lampadius, avait été préfet du prétoire en Gaule, puis préfet
de la Ville en 365. Il avait échappé de peu à l’une de ces émeutes
populaires qui avaient marqué la chronique de Rome dans la deuxième
e
moitié du IV siècle [RIVIÈRE 2009a], une émeute urbaine comparable à celle
qui avait été réprimée avec plus de fermeté par un autre préfet de la Ville,
cinq ans auparavant, en 355 (R12f). La mère de Lollianus, Caecinia Lolliana
(PLRE, I, Lolliana) appartenait également à la plus haute aristocratie. Pour
quel motif Lollianus retranscrit-il un ouvrage de « pratiques coupables »,
c’est-à-dire de magie ou de divination ? Envisageait-il de connaître son
avenir pour orienter ses ambitions ? Aucun crime à cette époque ne
paraissait aussi grave puisque toute forme de divination, dans les rangs de
l’aristocratie, était susceptible de relever de la lèse-majesté (R33). Cet
adulescens (au commencement de l’Empire, cette large catégorie de
l’adulescentia pouvait s’appliquer à des individus de quinze à trente ans,
mais il faut supposer ici une forte immaturité) avait-il donc mesuré
les risques qu’il encourait ? Était-il tombé dans le piège d’une
manipulation qui avait conduit à une dénonciation, comme d’autres
autrefois ? Toujours est-il que c’est à la faiblesse de l’âge qu’Ammien
Marcellin attribue l’acte de Lollianus, en considérant qu’il ne pouvait pas
alors avoir formé de manière délibérée et réfléchie le projet d’un crime.
Sans doute est-ce en raison de l’âge également que son juge, le Préfet de
la ville Maximin, connu par ailleurs pour sa sévérité et sa cruauté l’avait
seulement condamné à être exilé. Cette première partie de l’épisode
reflète donc, aussi bien à la lumière de la sentence prononcée en première
instance, qu’à la lecture du commentaire de l’historien qui la rapporte,
l’existence de catégories d’âge dans l’application de la justice dans
l’Empire tardif, conformément à ce que l’on sait par ailleurs de la prise en
compte de l’âge du criminel au travers de la documentation normative du
e e
II au IV siècle (R39). C’est son père qui incita le jeune Lollianus à faire

appel à l’empereur, sans mesurer le risque auquel il exposait son fils, en


espérant peut-être que l’empereur lui-même connaîtrait de la cause. Mais
c’est le consulaire de Bétique Phalangius qui en fut chargé. Il s’agit très
certainement du même personnage que Tanaucius Isfalangius, connu par
deux inscriptions (CIL, VI, 1672 a et b) qui indiquent qu’il revêtit plus tard
la préfecture de la Ville et qui mentionnent précisément deux jugements
rendus uice sacra. Le jeune Lollianus qui avait alors été conduit devant ce
juge de seconde instance fut cette fois condamné à mort et exécuté,
« chutant », comme l’exprime Ammien Marcellin en citant, affirme-t-il,
un « vieux proverbe » mentionné ailleurs dans son oeuvre (14, 11, 12), « de
la fumée dans la flamme ».
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Index thématique

Accusation, dénonciation
abolitio : 35, 371, 372, 377, 441, 451, 540, 842
accusare : 112, 156, 180, 289, 296, 314, 372, 427, 428, 440,
441-442, 447, 524, 856, 857
accusatio : 14, 15, 21, 30, 31, 40, 41, 47, 67, 108, 110-111,
113, 115, 142, 145, 153, 162, 175, 273, 274, 284, 286, 289,
293, 294, 296, 301, 302, 303, 307, 314, 320-321, 325, 330,
333, 335, 354, 364, 366-367, 370-378, 387, 389, 391-398, 406,
421, 437, 440, 441-444, 447, 448, 449, 451, 452 (uoluntaria),
469, 470, 471, 472, 478, 490-491, 509, 512, 525, 531, 535,
537, 539-540, 545, 555, 557, 559, 581, 610, 636, 637, 652,
653, 696, 698, 708, 709, 721, 725, 754, 776, 803, 826, 846,
847, 857, 868
accusator : 15, 20, 21, 102, 138, 176, 192, 201, 230, 250,
264, 268, 269, 271-273, 284, 285-287, 289, 291, 292, 297,
298, 302, 308, 321, 330, 354, 364, 367, 370-378, 379, 388-
389, 391-398, 404, 444, 472, 486, 490, 512, 525, 529, 536,
538-539, 540, 588, 591, 636, 637, 766, 829, 844, 849, 866-867
actio (legis actio per sacramentum) : 209, 212
actio poenalis : 13, 706
adesse (assister ou être présent) : 151, 262, 290, 438
aduocatio, aduocatus : 230, 315, 435, 581, 676
arguere : 321, 335, 336, 447, 738
argumenta : 336, 360, 363, 379, 380, 391, 856
calumnia, kalumnia, calumniari, calumniator : 15, 21, 370, 371,
373, 375-376, 377, 378, 383, 395, 435, 452, 472, 512, 523,
539, 780
cauillatio (chicane) : 375
colludere (collusion entre les parties) : 371
comprobare : 391, 203, 320
confingere (fabriquer des griefs de toute pièce) : 847
copia accusandi : 540
crimen (ici au sens d’accusation, de grief, ou d’imputation) : 14,
110, 111, 145, 291, 293, 320, 333, 335, 366, 373, 375, 391,
398, 406, 427, 436, 442-443, 444, 448, 449, 451, 459, 478,
540, 610, 653, 709, 809, 857
deferre : 105, 144, 198, 199 (nomen deferre), 218 (rem deferre),
220 (nomen deferre), 297, 315, 321, 335, 349, 392, 438, 441,
468, 711
delatio (délation, dénonciation) : 289, 315, 396, 539, 548, 672,
696
delatio ad fiscum : 354, 394, 395
delator (délateur) : 201, 213, 301, 302, 330, 337, 354, 392,
395-396, 469, 538, 555, 636, 696, 737, 839
desistere (ab accusatione) : 371
dikè idia (poursuite privée) : 191
diuinatio accusatorum : 201, 268, 376
efflagitare (solliciter en justice) : 437
exsequi : 451
facultas accusandi : 373, 443, 447
falsum indicium : 488
falsum iudicium : 203
fides : 118 (du populus), 139 (des Quirites), Fides publica (cf. index
des toponymes), 290 (amicitia), 290 (des défenseurs), 334 (parole
donnée), 359-361, 362 (des témoins)
inanis accusatio : 391
index, indices, indicium (dénonciateurs, dénonciations, cf. également
delatio) : 35, 82, 106, 202, 218, 220, 222-223, 289, 333, 425,
441, 455-456, 476, 472, 488 (falsum indicium), 491, 539, 585,
609, 617, 664, 671-672, 700-701, 800, 847, 884
infidae aduocationes : 676
inscriptio : 442-443
inscriptionis necessitas : 540
inscriptionis uinculum (engagement écrit de l’accusateur) : 330,
540
insimulare : 430
intentio : 320
iudicium poenale : 706, 714
ius extranei : cf. famille
katègoros : 176, 192
libelli accusatorii : 398
libelli famosi (libelles ou pamphlets diffamatoires) : 41, 354, 392,
394, 397, 414, 676
litigator : 853, 854
mandare, mandata, mandator : 289, 296, 298, 373, 849
mènutès (dénonciateur) : 176, 295
munus accusandi : 371
nominare : 333, 383
nuntiator : 396
obiicere : 179, 291 (crimina), 314, 360, 737
peragere : 443
persequor : 200, 262, 372, 442, 523, 552
poena accusatoris : 308
populares actiones : 439
postulare : 262, 268, 285, 289, 364, 371, 375, 447, 510, 523,
526, 764
praeuaricatio : 21, 376-377
probationes : 364, 371, 373, 387, 391, 438, 856
prodere (livrer, dénoncer) : 199, 383, 701, 782, 813
pronuntiatio : 370
publica utilitas : 441
praemia (récompenses aux accusateurs ou aux dénonciateurs) :
218, 222, 223, 287, 374, 397, 636, 671, 700, 798 (aux soldats
membres de l’officium)
quadruplatores : 199-201, 213
quadrupli actio : 200
querella : 315, 349, 511
queror : 313
relinquere : 202
retractare : 438
sexus infirmitas : 372, 813
sollemniter : 444
subornare, subornatus : 115, 373
subscribere, subscriptor : 14, 201, 273, 440, 447
tergiuersari, tergiuersatio : 21, 31, 370, 377, 451, 773
transigere : 202
uindex, uindices : 203, 144, 540, 542, 549, 847

Absence, fuite de la justice


absens, absentia (absence du prévenu) : 169, 220, 273, 294, 303
effugere : 222
fuga : 220
fugientes : 220
solitudo : 221

Accusés, prévenus, coupables (catégories distinctes et parfois


confondues dans les textes)
conscelerati : 425, 456
criminosus : 770, 782
nocentes : 437, 469, 728, 809
noxius : 656
poenales : 403
priuatus : 156, 180
reus : 156, 158, 178, 180, 201, 230, 264, 272, 289, 291,
292, 297, 317, 361, 371, 378, 379, 489, 526, 587, 653, 749,
773, 826, 844, 857
sceleratus : 402, 416, 772
scelerosus : 195
scelestus : 200
suspectus : 335

Âges, criminalité et pénalité


adulescens : 89, 177, 204, 232, 293, 417, 544, 671, 703, 710,
714, 716, 858, 884
adulescentuli : 262
adulta aetas : 709
adultus : 714
aetas : 334, 479, 612, 677, 704, 706, 707, 708, 709, 828,
858
capax (doli mali) : 705
capax (furandi) : 706
capax (iniuriae faciendae) : 706
circumscribere (limiter la liberté d’action) : 715
deformitas : 714
ephèboi : 703
imprudentia (imprévoyance) : 706
impubes (impubère) : 31, 64, 361, 498, 543, 585, 587, 591,
607, 651, 702-707, 712, 713, 714
infans, infantia (enfant âgé de moins de sept ans) : 400, 401, 703,
714, 719
infirmitas animi : 709
iuuenis, iuuentus : 97, 290, 479, 548, 613, 708, 710, 714,
715, 716
meirakion : 177
minor (mineur, moins de 25 ans) : 89, 90, 322, 363, 369 (ici, ceux
de moins de 14 ans), 373, 523, 546, 671, 702, 708-709, 710, 712,
714, 715, 740, 828
nubilis : 712
paidiskos : 703
proximus pubertati : 706, 714
pubertas : 712, 714, 828
pubes : 702
puellae : 339, 704
puer, pueritia (désignation de la petite enfance, en principe) : 65,
66, 67, 200, 401, 460, 545, 546, 547, 548, 713, 714
puer impubes : 651, 703, 713
puerile (uerber) (le fouet pour les enfants) : 704
uiripotens (nubile) : 712

Appel, recours en appel, renvois de juridiction


adnotatio : 479, 861
anapompima : 863-864
appellare, appellatio (recours aux tribuns) : 127, 133
appellatio (appel sous l’Empire) : 25, 43, 142, 327, 461, 791,
843-885 (en part. 851, 853, 854, 856, 857, 862, 864, 865, 876,
878, 879, 880, 882)
apostoli : 855, 882
deliberatio : 857
dilatio : 857
dimissoriae litterae : 882
domi/militiae : 119, 135, 137-138, 141, 227, 238, 692
ekkaleô : 865
ekklèton dikazein : 865
ephesima : 863-864
ephesis : 865
ephiemi : 847, 871
epikaloumai (Kaisara) : 846, 863, 864
epiklèsis : 865
finitiua sententia : 856
interponere : 778, 853, 857, 882 (appellatio interposita)
lex Iulia de ui : cf. lois
libelli appellatorii : 855, 882
libellus : 478, 762, 851
petitio : 27, 618, 783, 873
pomerium : 92, 93, 131, 135, 138, 163, 239, 251, 277, 692,
865
praeiudicium : 855
prouocatio (sous la République) : 19, 33, 91-149, 227, 257, 462,
693, 843, 861, 862-863, 869, 879
prouocatio (sous l’Empire) : 25, 374, 778, 791, 843-884 (en part.
851, 854, 855, 857, 860, 861, 869)
recipere (appellationem) : 851
recursus : 853
refutatorii : 882
reiectio iudicii : 863, 864, 865
remissio : 864
remittere (comparution, transfert de juridiction) : 316, 333, 335,
360, 567, 681, 853, 861

Appel à l’aide
clamare, clamor : 105, 139, 200
endoploratio : 573
fletus : 573
implorare, imploratio : 52, 106, 118, 139
inclamare : 52, 573
inuocare : 52
plorare, ploratio : 52, 63
queri, questio : 104, 573
quiritare : 118, 139, 217
rogare : 573
supplicare : 772

Armes (du crime)


clauis : 477, 489
cucuma : 477, 489
culter : 199
ferrum : 475, 477, 480, 597
gladius : 477, 572
lapis : 431, 477
laqueus : 317
magia : cf. divination, magie
telum, cum telo esse, ambulare, telum gerere : 274, 475, 476, 477,
478, 480, 487, 494, 573, 580, 651, 682, 702
ueneficium : cf. meurtre
uenenum, uenena : cf. meurtre
ueneficium : cf. meurtre
ueneni uirus : 317

Atteintes au corps, coups, atteintes au droit


castrare : 531
debilitare : 604
facies (maculare faciem) : 771, 793
ictus : 478, 675
iniuria (l’atteinte au corps, elle fut étendue au sens large à l’atteinte
à la personne) : 22, 104, 193, 389, 442, 450, 493-509, 567, 578,
676, 703, 711, 843, 855, 856
inscriptiones (frontis) : 140
membrum ruptum : 499, 501, 502, 503
mutilare genitalia : 517
os fractum : 499, 502
percutere : 104, 433, 475, 477, 489, 493, 496, 498
pulsatio : 495, 498, 504, 508-509, 705, 727, 732, 843
rumpere : cf. os fractum
rupitia : 527
scindere : 494
tumor : 494
uulnerare : 489, 493, 494, 496

Aveu
confessio (aveu) : 30, 283-284, 298, 305, 307, 379, 381-382,
384, 385, 388, 389, 412, 486, 770, 785, 856, 860, 880
confession de foi : 311, 352, 357, 723
confitentes : 333
confiteor : 383
fateor, fateri : 382

Complicité, instigation du crime, recel


celare : 220, 621
colludium : 796
conscientia : 289, 826
conscientia (latrorum) : 676
conscii : 382, 384, 389, 392, 609, 771, 781, 813, 816, 847
consentire : 626, 234
contingere (crimine) : 348
delitescere : 348
hospites : 220
instinctus : 392
iussus : 272
iuuare : 220
ministerium : 525
ministri facinoris : 609
occultatores : 700
participes (sceleris) : 381
receptatores : 336, 506, 597
recipere : 220
satellites : 781, 782, 789, 813, 816
socii : 111, 214, 225, 336, 737, 816
suadere : 545
suscipere : 765
Complots, délits collectifs, soulèvements (cf. également
violence)
armentaria publica : 237
coetus : 144, 218, 338
coire : 218
conciliabula : 338
coniuratio, coniurati : cf. crime d’État
conspiratio (nefaria) : 339
conuenire : 218
coniurationes clandestinae : 216
cuneus : 154, 318
discordia : 425
factio : 109, 813, 851
factio scelerata : 231
factio scelesta : 812
fidem dare : 215
hetaeriae : 334, 350
insidiae clandestinae : 426
moliri (res nouae) : 241
motus : 178
multitudo (clodiana) : 270
secessio (plebis) : 16, 56, 70, 73, 117, 130, 159, 230, 240,
425, 457, 458
seditio : 35, 41, 56, 130, 131, 142, 154, 235, 312, 318, 326,
507, 691, 699, 701, 735, 851, 870, 880
seditiose : 709
seditiosi, seditiosus : 319, 115
societas : 581, 641, 780, 813
sodalicia : 268, 273
stasis : 870
sunômosia : 227
tarakhè : 239
tumultuantes : 318
tumultus : 145, 146 (tumultuare), 155, 157, 210 (tumultus
incendii), 218, 219, 228, 229, 246, 250 (italicus), 252, 259, 262,
270, 511 (quid tumultuosius), 729
turbare : 154
turba : 155
tribules : 319

Convocation, comparution, arrestation, inculpation


adducere : 221
apud (acta) (enregistrement écrit de l’accusation, cf. inscriptio) :
405
apud praefectum Vrbis : 321
apud patres : 636
apud populum : 204, 427, 429
audire : 358, 401, 441, 567, 848
citatus : 155, 220
constituere (in pedes) : 202
contumaces, contumacia : 43, 466, 819
deponere : 342
diem dicere : 52, 63, 102, 115, 151, 152, 155, 157, 166, 174,
178, 188 (capitis diem dicere), 230, 267, 431, 655
dies : 220
deducere : 220, 782
ducere : 145
ducere (in ius) : 191
eisagein : 189, 309
euocare : 361, 854
euocari (in ius) : 362, 440
fideiiussores : 854
introductus : 340, 357
inuitus : 366, 541, 548, 587, 588, 591, 724
manus iniectio : 191, 805
obferre, offere : 339
perducere : 202, 266, 336
praedes : 430
prodere (ad tresuiros) : 199
producere : 285, 366
reducere : 220
requirere : 336
respondere : 155, 220, 221, 268, 275
reum facere : 709, 298, 439, 441
reum (maiestatis) pronuntiari : 298
transmittere : 340, 341
uades : 102, 155, 189, 430
uadimonium : 507
uocare in crimen : 775

Crime (désignation du)


adikèma : 177, 189, 227, 494
admissum : 392, 511, 597
commissum : 391, 392, 601
crimen (l’autre acception du terme désigne « l’accusation »,
le « grief ») : 24, 146, 178, 203, 282, 317, 339, 342 (manifestum),
430, 443, 446, 493, 516, 520, 532, 547, 653, 707, 771, 775,
780, 807, 811, 812, 852
culpa : 156, 174, 235, 333, 494, 519, 520, 567, 691, 703,
775, 779
delictum : 282, 408, 440, 446, 525, 710, 738, 774, 781, 793,
850 (militare)
dolophonia : 227
dolus : 705, 706
facinus : 57, 91, 109, 221, 290, 610, 719
factum : 103, 135, 477, 505
flagitium : 111, 218, 460, 470, 527, 541, 542, 548, 691, 770,
804
fraus : cf. également intention
homicidium : cf. meurtre
interficere : cf. meurtre
legirupa : 199
maleficium : 15, 55, 62, 202, 383, 631, 651, 706, 741, 770,
771
noxa : 217, 218, 291, 424, 478, 493, 651, 709, 780
noxa capitalis : 103
noxium : 650
occidere : cf. meurtre
parricidium : cf. parricide
qualitas (criminis) : 772
periculum : 218, 219, 228, 389
scelus : 94, 105, 107, 290, 392, 426, 549, 555, 558, 667,
780

Crime d’État : perpétration, qualification, répression


bellum ciuile (guerre civile) : 132, 159, 239, 240, 241, 242,
249, 258, 259, 260, 277, 282, 293, 696, 698, 817, 835, 836,
872
coniurare, coniurati, coniuratio (conjuration) : 68, 88, 98, 108,
123, 203, 209, 210, 211, 215, 216, 218, 219- 221, 224-225,
227, 228, 238, 252, 257, 280, 386, 429, 455, 596, 608, 609,
671, 676, 712, 767
detrimentum capere/accipere : 229, 230, 262
duumuiri perduellionis : cf. perduellio
hostis iudicatus : 234
hostis publicus : 656, 782, 788, 815, 837, cf. aussi lex Pedia
maiestas (crime de lèse-majesté sous l’Empire) : 22, 41, 185,
186, 237, 250, 260, 289-308, 318, 363, 369, 386, 387, 388-
390, 391 (maiestatis crimen), 393, 395, 397, 427, 461, 471, 536-
537, 584, 634, 637, 638, 672, 683, 686, 696, 736, 737, 739,
747, 789, 800, 808, 809 (laesa maiestas), 809-816, 826, 849, 852
(maiestatis causa), 868, 884
maiestas (majesté de Dieu) : 319
maiestas populi Romani : 136, 167, 237, 250 (cf. lex Varia), 256,
461
maiestas romana : 554
patriae inimicus : 234
perduellio : 16, 86, 92, 115, 122, 125, 126, 148, 152, 156,
157, 159, 168, 174, 185, 189, 652, 654, 661, 672, 674, 675,
814, 869
phulakè tès poleôs : 239
polemios : 239
proditio : 227 (= prodosia), 383
prodotoi : 177
quaestiones iniustae (ou crudeles) : 236
Rem publicam defendere : 232
Rem publicam liberare : 232
Rem publicam tueri : 231
Rem publicam uexare : 233
Res publica salua : 228, 231
sunômosia : 227
tarakhè : 239

Défense en justice
adesse (assistance) : 262, 290, 438
adesse (comparution) : 151
causam dicere : 220, 433
defendere : 28, 86, 145, 165, 175, 189, 291, 438, 709
defensio : 201, 267, 291, 292, 435, 524, 857
expurgare/purgare (disculpation) : 113, 291, 709
fiducia : 290
patrocinium : 266, 363, 436, 486
patroni : 290, 363
patroni causarum : 728
refellere : 36
sunagoreuô : 866

Détention
a custodiis (gardien) : 338
aditus (droit de visite) : 343
arcae (coffres de chêne) : 254
carcer (cachot, incarcération, prison) : 138, 76, 155, 161, 165,
168-169, 189, 196, 198, 206, 211, 298, 307, 342, 353, 354,
389, 399-423, 432-433, 466, 591, 643, 659, 666, 668, 674,
684-685, 688, 691-692, 701, 704, 719, 781 738-739, 782-783,
785, 797-798, 826-827, 834, 842, 845, 846, 850, 855-856, 859,
860, 870, 871, 872, 882, 883
carceris cruciatus : 855
carceris triumuiri : 206
carcerum uestibula : 404, 420
catenae : 404
clausi (détenus) : 406
claustra (carcerales, carceris, poenalia) : 405, 406, 420, 421, 783,
826
coercere (uinculo) : 718
commentariensis (gardien) : 406, 773, 795, 798
compedes (entraves) : 248.
comprehendere (arrêter, enfermer) : 219, 220, 425, 456
conclaue : 219, 406
custodia, custodire (la garde) : 196 (carceris custodia), 206, 220,
222, 296, 317, 342, 398, 403, 404-405, 406 (custodia carceralis),
407, 412, 421, 432, 691, 701, 718, 776, 782 (carceris custodia),
794, 850, 854, 855, 856
custodia militaris : 403, 701
custodiae (prisonniers ou forçats) : 728, 758
custos : 720
desmophulax : 844
dominica dies, dies Solis : 406, 407, 421, 842.
ducere (in uincula publica) : 97
ergastulum, 139, 299 (cf. également travail forcé, mines,
carrières ; esclavage, relations serviles)
hospes : 233, 296
hospitium : 339, 354 (cf. également exil)
ianitor : 433
impedire : 844
manicae (ferreae) : 404
ministri cataractarorium (préposés au service des portes) : 403
neruus : 248
phulakè : 423, 845
poena ou poenae carceris : 399, 404, 405
pondera : 403
praepositus carceris : 402, 418
strator : 338, 347, 354, 404, 405, 420
tenere : 202, 778
uincula : 104, 107, 110, 118, 140, 198, 204, 221, 222, 230,
317, 353, 587, 670, 683, 684, 685 (perpetua), 718, 782
uincula publica : 97, 204, 641, 843
lautumiae : 299 (généralisation) ; cf. index des toponymes (Rome,
Syracuse)
strator : 338, 347, 354, 404, 405, 420
Tullianum : cf. index des toponymes (Rome)

Deuil
atrati (vêtements de deuil) : 298
ferale iustitium : 251
funus (funérailles) : 726
iustitium (désigne la suspension des affaires en cas de menace
guerrière ou, à partir de Sylla, en cas de deuil) : 229, 246-252
lugentes (porteurs du deuil) : 733
lugere (porter le deuil) : 91, 252
luctus (deuil) : 108, 290, 389, 402, 746
lamenta : 389
penthein : 235
peruersa uestis : 656
sagum, saga sumi (vêtement de guerre porté également en cas de
péril) : 259, 252
semipullati (en demi-deuil) : 297
sordidati (plaignants en vêtement de deuil lors d’un procès) : 297

Divination, magie
ars mathematica : 642
artes noxiae : 858
astrologi, astrologoi : 35, 303, 585, 631, 632, 634, 635, 637,
638, 640, 641, 736, 746
astrologia : 630, 631-634, 638, 640, 642
carmen (condere) : 500
carmen (dirum) : 72
carmen famosum : 362
carmen (maleficum) : 635
carmen (malum) : 499, 500-501
carmen (sacer) : 221
Chaldei : 304, 626, 627, 630, 631, 632, 634, 636, 637, 641,
767
circulatores : 44
coniectores : 641
deuotiones : 291, 500
diuinatio : 626, 642
goetai : 635
haruspices : 250, 276, 634, 635, 642, 675
harioli (/arioli) : 627, 631, 642
incantatores : 641
infernae umbrae : 636
mageia : 294
mageutai : 635
magia : 635, 640
magicae (artes) : 319
magicae (uanitates) : 639
mathematici : 626-627, 631, 633, 634, 636-637, 638, 640, 641,
642
medicamina : 425
occentare : cf. aussi offenses
philosophi : 117, 323-324, 638-639, 645, 697, 732, 767, 851
scientia : 627, 642
somniorum interpretes : 636
uates : 197, 217, 304
uaticinare : 628
uaticinatores : 626, 627, 632, 641, 642
uenenum : 291, 292, 426, 430, 434, 583, 674

Écrit : documents, archives judiciaires, faux


acta : 281
acta Caesaris : 836
acta diurna : 279
acta martyrum : 309-311, 337-342, 350-354, 355-358, 399-403,
411, 417, 324-325
acta praesidis : 341
adnotare, adnotatio : 333, 336, 479, 685, 750, 861
adulterina signa : 221, 528
apostoli : cf. appel
archiuum (dépôt d’archives) : 764
caput mandatorum : 346
charta : 297
chartiaticum : 795
codex : 36, 858
codicilli : 751, 824
commeatus : cf. exil, bannissement, exclusions
commentarii : 193, 302, 369
conscripta (ars sacrificandi) : 198
consignare : 269, 581
dimissoriae litterae : cf. appel
elogium : 689, 336, 346, 358
epistola : 297, 312
epistula generalis : 398
epistula : 335, 341, 348, 849
exempla : 479, 738, 812, 854, 882
exemplaria libellorum : 398
grammatophylacium (dépôt d’archives) : 764
indago (inventaire des biens) : 796
inscriptiones (inscriptions publiques) : diverses, 177, 181, 303,
789, 884 ; edictum de accusationibus, 40, 391-398 ; Cippe du forum
(Lapis Niger), 58, 60-62, 64 ; Tiriolo, 46, 214, 224-226 ; Laudatio
Turiae, 465-466 ; Pouzzoles (lex Libitina Puteolana), 513-514 ; Venafro
(fragment de), 734 ; sc de Cn. Pisone patre, 46, 302, 468, 696, 737,
746, 801-802, 816 ; Buruni (Decretum Commodi de saltu Burunitano),
873-874 ; temple de Cérès (statue), 174 ; temple de Tellus (statues),
177
instrumenta : 442 (falsa), 569 (antiquissima), 764, 805 (dotales),
820 (probationum)
libelli : 335 (propositi), 398, 452, 848, 853
libelli appellatorii : cf. appel
libelli famosi : cf. accusation, dénonciation
libellus : cf. appel
Liber mandatorum : 27, 335, 350, 841
libri : 43, 198, 205, 642
libri uaticinati : 198
litterae : 198, 293, 297, 336, 352, 851, 882
litterae publicae : 797
mandata : 27, 289, 293, 334, 346, 350, 363, 594, 818, 841,
849 (cf. Liber mandatorum)
monumenta : 205, 360 (publica)
precationes : 198
proponere : 335, 853
proscriptio : cf. patrimoines
prosphonèsis : 723
rationalis rei priuatae : 393, 404, 796, 799
recitari : 361
relatio : 320, 629, 645
res priuata : 13, 396, 796, 799
scholies : 199, 278-279
secretarium (premier dépôt d’archives du Palatin) : 369
signa adulterina (cachets falsifiés) : 221, 528
stilus : 795
tabella : 340 (verdict), 366 (témoignage)
tabulae : cf. XII Tables
tabularium : cf. index des toponymes
testamentum (testament, capacité testamentaire, faux, supposition,
tutelle) : 29, 35, 37, 202, 217, 221, 317, 440, 447, 471, 541,
579, 580, 581, 582-585, 712, 720, 741-742, 748-751, 752, 756,
761, 764, 766, 768, 804, 807-808, 812-813, 819, 820, 824,
849, 850-852, 879-881
testimonia : cf. témoignage
tituli (placards du fisc sur les biens confisqués) : 795
Villa Publica : cf. index des toponymes

Émotions, sentiments, états psychiques


alienatae mentes : 425
alienatio mentis : 717 (continua), 721
amens : 721
amentia : 723
auaritia (appât du gain) : 872
calor : 525
captus (mente) : 721
compos mentis (bon sens) : 719, 721
conterrere (état d’épouvante) : 246
cupiditas : 479
curare : 717
demens, dementia : 717, 721
dolor : 372, 509, 531, 540
dolor animi : 525
dolor iustus : 526 :
furens : 697
furiosus : 498, 703, 705, 707, 714, 717-723
furor : 105, 233, 341, 342, 670, 697, 717, 719, 721, 722,
723, 809 (furoris socius), 826
impatientia : 526
insanus : 721
inflectere (émouvoir) : 299
inimicitia : cf. intention, préméditation
intellectus (discernement) : 717
inuidia : 237, 297, 366, 782
ira (colère) : 139, 531, 475, 515, 517, 531, 656, 676, 677,
697, 704, 776
iracundia : 697
iratus : 403
libido (désir impulsif, débauche) : 221, 553 (exsecranda), 872
mentiendi facilitas : 708
metus : 272, 282 (actio per metus causa), 781, 805, 828
miseratio (compassion) : 297
motus (animi) : 363, 369
motus (iudicis) (inclination du juge, intime conviction) : 363, 369
odium publicum (haine publique) : 296
pauor : 246
pertinacia : 333
rabies : 139, 780
terrere : 704
terror : 220, 229, 246, 328, 698
timor : 228, 246, 374
uerecundia : 434
uitium animi/corporis : 721

Enquête, poursuite, saisie d’office


anakrinô, anakrisis : 173, 336
anquirere : 156 (capitis, capite, pecunia), 291, 654
anquisitio : 166, 179-182, 194
cognitio : 25, 30, 31, 289, 299, 305, 332, 334, 336, 360,
362, 364, 371, 381, 438, 467, 495, 507, 537, 621-622, 637,
747, 758, 759, 818, 828
conquirere : 170, 218, 219, 316, 335
detegere : 773
disceptatio : 445
episkepsis dèmosia : 227
examen : 320, 330
examinare : 778
excutere : 360, 369, 719, 852
exetasis : 294
explorare : 359
exsequi : 190, 439, 440, 610
exquirere, exquisitus : 337, 338, 477
extra ordinem : 14, 22-24, 30, 35, 219
inquirere : 171, 218, 348, 579, 681, 683
inquisitio : 302, 370, 391, 392, 796
interrogare : cf. aussi torture
motus animi : 363, 369
motus iudici : 363
persequor : 262, 372, 522, 523
quaestio : cf. aussi torture, tribunal
quaerere : 20, 22, 170, 171, 181, 221, 285 (sous la torture),
332, 334, 360, 370, 425, 443, 450, 453, 456, 476, 477, 576,
577, 737, 759
quaesitores : 170, 267, 273, 286, 509
quaestores : cf. magistrats

Exil, bannissement, exclusions


apechestai (dèmosiôn) : 764
comes exilii : 158
commeare : 839
commeatus : 178, 822, 839
deminutio capitis : 740, 756, 768
deportare/deportation in insulam : 25, 78, 308, 313, 316, 323,
410, 423, 475, 482, 483, 525, 535, 565, 580, 585, 586, 602,
636, 641, 673, 685-686, 688, 715, 729, 741, 743, 744-745,
747, 748-757, 758, 760, 761, 766, 768, 781, 804, 807, 808,
811, 823-825, 840, 843, 850, 880
eiicere : 319
ekousios phugadeia : 158
ekpiptein : 835
suscipere : 765
excusare : 155, 189
exilio deportare : 308
exilium uoluntarium : 261
in exsilium mittere : 638
exilii causa : 189
exilii poena : 783
ex(s)ilium, exul, ex(s)ulare (exil, exilé, exiler) : 25, 42, 99, 109, 116,
123, 129, 137, 151, 154, 155, 157, 158, 163, 165, 168, 169,
177, 179, 187, 189, 256, 257, 259, 261, 274, 276, 280, 283,
286-287, 299, 308, 318, 337, 338, 351, 353, 407, 410, 423,
429, 469, 482, 486, 525, 535, 557, 579, 585, 619, 620, 637,
638, 639, 640, 660, 673, 677, 680, 682, 694, 708, 716, 725-
726, 728, 729, 730, 733, 734, 735, 736, 739, 742, 745, 746,
755, 757, 758-769, 782, 783, 785, 786, 787, 806, 807, 808,
816, 822, 829, 830, 831, 832, 833, 834, 835, 836, 838, 839,
840, 858, 884
exorizein : 735
exsilium iustum : 157
expellere : 641
expulsare : 727
exturbare : 100
hospitium : 734 (cf. également hospes, hospitium, dans l’entrée
« détention »)
interdicere : 241, 479, 587, 640, 731
interdicere, interdictio (aqua et igni) (interdiction de l’eau et du feu) :
24, 74, 116, 129, 155, 189, 256, 275, 287, 407, 482, 585,
586, 602, 610, 627, 636, 655, 661, 724-734, 735-747, 750,
753, 754, 755, 756, 759, 760, 767, 807, 815, 833, 834
kathodos : 830, 835, 837, 838
mutandi soli causa : 725
pellere : 636, 638, 641
pheugontoi : 836
phugades : 735
phugè : 177
poena insularis : 318
proscribere, proscriptio : 74, 99, 100, 121, 671, 687, 703, 712,
781, 796, 805, 814, 836, 837, 838
reducere : 220, 725
relegare/relegation : 313, 315, 321, 323, 328, 337, 351-352,
353, 361, 478, 479, 482, 483, 490, 491, 511, 532, 535, 537,
558, 565, 567, 579, 585, 594, 597, 599, 601, 612, 619, 620,
621, 624, 628, 641, 642, 686, 687, 688, 700, 728, 741, 742,
743, 753, 755, 758-769, 776, 779, 780, 804, 807, 808, 818-
822, 839, 840, 841
remeatus : 766, 822
remouere : 537
restitutio (rétablissement dans leurs droits des exilés et d’autres
condamnés) : 276, 709, 820, 824, 825, 827-842
summouere : 315
uertere : 724

Esclavage, rapports serviles


abducere (par plagiat) : 446
ancilla : 740
ancilla deuirginata : 543
ancillae (ministres du culte crétien en Bithynie) : 334
causae receptae (dépositions admises d’un esclave contre son
maître) : 314
corruptus (seruus) : 543
crux : cf. mise à mort
dominus : 590
doulocratia : 455
ergastulum : 786
exhibere (familiam) (production des esclaves pour la torture) : 262,
268, 284
expostulare : 314
familia (au sens restreint désignant la domesticité servile) : 262,
385, 511, 517, 531, 705
familia publica : 205
fuga (fuite de l’esclave) : 445-446
fugitiuus (esclave fugitif) : 106, 266, 284, 316, 325-326, 344,
348, 445-446, 513, 543, 577, 677, 692, 694, 699, 700, 785
indicium : cf. accusation dénonciation
ius patronatus : 825
libertas (accordée à l’esclave en échange d’une dénonciation) : 701-
702
libertus (affranchi, affranchissement) : 162, 185, 202, 217, 263,
265, 283, 284, 293, 313-315, 322, 326, 361, 364, 380, 381,
386, 392, 396, 437-439, 440, 468, 493, 504, 505, 516, 522,
523, 526, 527, 534, 547, 587-588, 589-591, 594, 609, 621,
622, 624, 625, 664, 736, 748, 753, 754, 766, 801, 803, 808,
825, 880
mancipium : 520
obsequium : 511
plagium (le « plagiat » désigne ici la prise de l’esclave d’autrui ou
d’une personne libre traitée comme esclave) : 323, 445, 446, 621-
626, 874
quaestio : cf. torture
saeuitia : 314, 317, 510-520, 543
seruiles cruciatus (supplices réservés aux esclaves, la croix sans
doute) : 738
seruitus poenae, seruus poenae (esclavage induit par la peine, esclave
de la peine) : 684-685, 752, 825, 850
seruus (esclave) : 28, 30, 31, 35, 41, 44, 78, 80, 84-85, 106,
107, 111, 138, 157, 185, 201, 206, 208, 233, 262-263, 265,
266, 268-269, 272, 277, 278, 283-285, 292, 313, 314, 316,
317, 322, 325-327, 334, 344, 347-348, 363-365, 369, 379-387,
392, 396-397, 441, 445-446, 449, 450, 451, 455, 468, 471,
476, 477, 486, 492, 494, 495, 498, 499, 504, 505-507, 510-
520, 522, 525, 526, 534, 539, 543, 547, 566, 575, 577, 590,
599, 601, 603, 604, 605, 609, 618, 619, 621-625, 636, 642,
651, 660, 662-665, 672, 676, 682, 684, 685, 686, 688, 692,
693, 694, 698, 699, 700, 701, 702, 704-705, 707, 717, 721,
722, 736, 738, 740, 745, 748, 752, 755, 785, 786, 796, 801,
808, 809, 810, 816, 824, 840, 850
seruus stupratus (esclave souillé sexuellement) : 543
e
slave catchers (monde américain au XIX siècle) : 513
uernula : 520

Famille, parenté, proximité


adfinis (affinis), adfines : 552, 554, 588, 805, 850
adoptiuus : 533
adrogatio (adoption d’une personne sui iuris) : 77, 84, 85, 89,
463-464
adulterium : cf. sexualité
alieni iuris/sui iuris : 81, 90, 185, 502, 564, 672, 711, 712
amita (tante paternelle) : 551, 552, 554
cliens (client, clientèle) : 52-53, 57-58, 64, 65, 123, 162, 218,
236, 318, 327, 438, 486, 534, 537, 661, 833
cognatorum decretum : 430
cognatus (cognatio) : 221, 503, 509, 551-552, 554, 563, 588,
683
commixtio sanguinis : 529
communis sententia : 536
consilium (propinquorum et amicorum) : 178, 536
conubium, ius conubii : 523, 538
consobrinus : 540
crimen hereditarium : 812
desponsata : 521
diuortium : 530
domestica potestas : 520
domestica quies : 434
domestica emendatio : 710
domus : cf. maison
extraneus (étranger à la famille) : 80, 452, 525, 538-539, 676
extranei (ius) (droit d’accuser accordé à l’étranger à la famille) :
523
familia (famille, ordre familial, appartenance familiale) : 55, 59,
68, 69, 72, 80, 103, 174, 184, 185, 288, 368, 413, 465, 504,
512, 536, 537, 587-591, 654, 673, 680, 715
familia (au sens restreint de patrimoine) : 720
familiares : 235, 289, 780, 868
familiaritas (familiaritatis excusatio) : 234
filia : 66, 432-433, 573
filiorum poenae/parentum scelera : 815
filius familias : 79, 525, 533
frater (frère, lien de fratrie) : 91, 94, 156, 161, 175, 178, 187,
190, 193, 195, 237, 262, 380, 388, 399, 400, 427-428, 434,
461, 463, 481, 540 (frater consanguineus), 551, 552, 556, 559,
560, 562, 563, 584, 623, 751, 757, 787, 788, 805, 837, 838,
847
gener (gendre) : 439, 509, 521, 525, 588
incestus : 44, 89, 285, 325, 386, 551-565, 644, 645, 655,
747, 827, 847
infamia paterna : 812
ius mariti : 523, 538, 557
ius patris : 523, 524, 538,
liberi : 741, 765, 788, 801-816
manus (in manu, in manu conuenire) : 80, 521, 533
mater (mère) : 554, 556, 558, 668, 669, 670, 712, 717, 740
mater familias (ou mater familiae) : 444, 459, 577, 750, 753, 812,
813, 834, 837, 883
matertera (tante maternelle) : 551, 552, 554
matricidium : 668, 722
matrimonium (mariage) : 43, 81, 436, 443, 444, 521, 523,
528, 533, 538, 540, 544, 545, 551-555, 557, 560, 562, 563,
637, 721-722, 726, 740, 745, 747, 750, 753, 754, 756, 786,
799, 806
matronae : cf. femmes
muliebris sexus : 472
muliebris stirps (souche, descendance féminine) : 436, 465
naturalis (contra adoptiuus) : 533
necessarii (l’entourage, la parenté) : 540, 719
necessitudides (les parents) : 553, 560
nouerca (marâtre, belle-mère) : 78, 89, 448, 449, 469, 551,
552, 554, 563, 755
nupta (l’épouse, la mariée) : 399, 527, 528, 545-546, 726, 733
nurus (la bru, la belle-fille) : 52, 65, 66, 551, 552, 554, 556,
563, 573
occidendi (ius) : 83, 89, 532, 535
occidendi (potestas) : 76, 524
parens, parentes : 52, 66, 67, 172, 182, 463, 509, 587, 666,
765
parenticida : 666
parricidas : cf. parricide
paterfamilias : 17, 66, 79, 80, 81, 82, 83, 85, 90, 147, 184,
535
patria districtio : 710
patria potestas : 17, 66, 76-90, 126, 184, 512, 535, 715
patrona : 439
patronus : 439, 509
pietas (dans le cadre des relations familiales ou de patronage) : 78,
89, 288, 409, 432, 437, 505, 534, 553
priuigna : 552, 554
priuignus : 439, 539, 588
propinqui : 430, 536, 537, 710, 780
proximi : 540, 812
rus relegatus ou relegare (in praedia rustica) : 766
seruus : cf. esclavage
sobrina, sobrinus : 439, 509, 588
socer : 439, 509, 521, 588
socrus : 551, 552, 554, 556
soror : 93, 552
sponsa : 523, 538
spurii : 551, 563
stirpes, stirps : 72, 436, 465, 529
tutela (tutelle) : 53, 315, 322, 453, 472, 506, 712, 718, 720
uxor : 444, 523, 538
uidua : 545, 546
uirgo : 545, 577
uitae necisque potestas : 17, 76, 77, 80, 82, 84, 85, 89, 524,
535
uitricus (mari de la mère) : 588

Place des femmes dans la cité au regard des institutions de


droit pénal
cf. délits sexuels (adulterium, incestus, stuprum)
allaitement en détention : 400, 409, 416, 432-433, 466, 834
accouchement en détention : 401, 402 403
capacité patrimoniale : 807
christianisme et séparation des sexes : 339 (dans la rue), 406 (en
prison)
comites (membres de la suite d’une matrone ou d’une jeune fille) :
495
comparution devant le préteur et les triumvirs : 466-467
comparution devant le peuple : 427-428 (Claudia), 458-467
condamnées aux mines ou aux salines (seruae poenae) : 684, 687
consommatrices de vin : 529-530
courtisane : 431
défense en justice (sexus muliebris incompatible avec le uirile
officium) : 472
dénonciatrices : 426, 441, 455, 471
désobéissance au père : 417
deuil : 91, 252
dot : 29, 234-235, 521, 530, 722, 750, 753, 756, 802, 805
(et propriae facultates), 806 (et peculium), 813
droit d’accuser (au criminel) pour venger les proches ou elle-
même : 193, 372, 373, 436-437, 439-440, 441-442, 442-443, 444,
447, 448-450, 451, 452, 453, 468-469, 470, 471-472
éloquence judiciaire (Hortensia) : 435, 436, 465
empoisonneuses : 425, 429-430, 804
exécution par les proches : 221, 458
femme enceinte et statut de l’enfant d’une condamnée, à naître :
65-66, 416, 418, 452 740, 744
femme enceinte et divination : 626
femme enceinte décédée et extraction de l’embryon : 65-66
infirmitas sexus : 372 (limitation du droit d’accuser), 813
(atténuation de la culpabilité)
iniuria (commise par l’affranchi du mari) : 314-315
maîtresses d’esclaves : 262, 445-446, 450-451, 511 (et sévices
sur les esclaves), 512
manus (puissance du mari sur son épouse) : 221, 521, 533
matrones : 424-425, 426, 428, 435, 436, 437, 455, 456, 458,
462, 468, 495, 252, 511, 527, 536, 544
prêtresses albaines : 270
rites contraires au mos patrius : 197, 214-228, 847
suppostrix puerum : 200
témoignage : 270, 365, 434, 439, 467, 737-738
tutelle et action en justice : 470
vestales : 386, 558, 649, 655, 659, 747
veuve et complice d’un meurtre : 486

Intention, préméditation (ou non), responsabilité, menaces


adfectus : 375, 498, 705
affectus furandi : 574
animi infirmitas : cf. âge, criminalité
animus : 444, 522, 709
animus occidendi : 477, 478, 489
animus (sacrilegus) : 810
animus (sepulchri uiolandi) : 706
auctores : 629, 781
casu : 475-480, 524, 606, 607, 677 (fortuitus casus), 691
comminari : 200, 315
conscientia : 202, 289, 803
consilium : 202, 271, 370, 392, 477, 480, 719, 810, 858
data opera : 610
dolo : 217, 316, 478, 510, 603, 607
dolo malo : 476, 488, 489, 524, 544, 581, 583, 616, 618,
622, 706, 707, 729
fatum : 478, 719
fortuita incendia : 601, 602
fortuitus : 479
fraus : 58, 64, 218, 219, 292, 375, 382, 424, 425, 429, 440,
478, 521, 531, 575, 609, 707
fraus occulta : 218
ignorantes : 480
incuria : 607
inimicitia : 359, 363, 475, 476, 601
inimicus : 151, 359, 477
inscius : 272
insidiae : 261, 271, 285, 426, 476
lasciuia : 602
minari (comminari) : 200, 272, 315
mortis causam praestare : 475, 580
neglegenter : 607
neglegentia : 602, 606, 608
nequitia : 707
phonos akousios/phonos ekousios : 484
sciens (prudensque) : 544, 606, 617
scientes : 480
sponte : 729
ueneficium parare, uendere : 580
uoluntas (sceleris ou occidendi) : 477, 477, 478, 479, 489, 520,
524, 812
uoluntas : 812, 477, 478, 479, 489, 520, 524, 541
uoluntate : 317, 475-492 (uoluntas occidendi)

Jurés (tribunaux de), quaestiones ou iudicia publica


cf. accusation, dénonciation
album iudicum : 267
iudex quaestionis : 476, 486, 489, 583
iudicium puplicum : 22, 365, 376, 610
quaesitor ou iudex quaestionis (président du tribunal d’enquête) :
267, 268, 273, 274, 286, 476, 489, 509 (inter sicarios)
quaestio/quaestiones : 20, 21, 22, 122, 131, 170, 207, 208,
286, 287, 301-302, 321, 365, 374, 426, 488, 509, 536, 547,
591, 610, 815, 834, 866-868
quaestio de repetundis : 486
quaestio de ueneficiis : 429
quaestio extraordinaria : 218, 219, 236, 254, 454
quaestiones perpetuae : 454
quaestiones iniustae : 236
sortitio : 269

Législation, lois
leges (et iura) : 146
leges (et mores) : 156
leges (et ius) : 231
leges (super leges ou par opposition à extra ordinem désigne les lois
fondatrices des tribunaux, les quaestiones ou iudicia publica) : 23, 291,
868
leges regiae : 17, 58, 66, 67, 73, 89
leges sacrate : 54-55, 67-74, 99, 660, 665
nominatim : 99, 100
priuilegium : 16, 99, 100, 101, 265, 282, 286, 443

Lois comitiales (liste chronologique des Leges Populi Romani


citées dans l’ouvrage)
lex Valeria Publicola de prouocatione (509 av. J.-C.) : 124, 127, 149
lex Valeria Publicola de sacrando cum bonis capite eius, qui regni
occupandi consilia inisset… (509 av. J.-C.) : 95
lex Icilia (492 av. J.-C.) : 57, 69
lex Icilia de Auentino publicando (456 av. J.-C.) : 68
lex Valeria Horatia (449 av. J.-C.) : 57, 69, 102-103, 124, 127, 130
lex Valeria de prouocatione (300 av. J.-C.) : 103, 124, 127, 130,
133, 134-135, 207, 462, 863
e
lex Aquilia (début III s. av. J.-C.) : 494, 543, 566, 567, 577, 578,
602-605, 611, 703, 711, 714
lex Papiria (antérieure à 242 av. J.-C.) : 196-197, 209
lex Oppia (215 av. J.-C.) : 462, 463
lex Porcia/Leges Porciae (début IIe siècle) : 94, 95, 103, 104, 106,
107-109, 114, 124, 134-137, 141
lex Laetoria (191 av. J.-C.) : 671
lex Sempronia de prouocatione (133 av. J.-C.) : 114, 135
lex Sempronia de capite ciuis Romani (123 av. J.-C.) : 114-115, 121,
135
lex (Acilia) repetundarum (123 av. J.-C.) : 375, 376
lex Fabia (entre le IIe et le Ier s. av. J.-C.) : 107, 445, 621-623, 625
lex Remnia de calumniatoribus (90 av. J.-C.) : 370, 375, 376
lex Varia de maiestate (90 av. J.-C.) : 249, 250, 834
lex Sulpicia de reuocandis ui eiectis (88 av. J.-C.) : 834
leges Corneliae (généralités) : 22, 732
lex Cornelia de falsis (81 av. J.-C.) : 35, 582, 728
lex Cornelia de iniuriis (81 av. J.-C.) : 508, 509, 567
lex Cornelia nummeraria : cf. Lex Cornelia de falsis (81 av. J.-C.) : 447
lex Cornelia de sicariis et ueneficiis (81 av. J.-C.) : 35, 475, 476, 478,
482, 484, 486, 488, 489, 496, 510, 516, 524, 532, 566, 578,
579, 580, 581, 583, 585, 602, 610, 680, 709, 711, 719, 741,
866, 868
lex Cornelia testamentaria : cf. Lex Cornelia de falsis (81 av. J.-C.) : 35,
440, 471, 579, 580, 582, 584, 585, 852
lex Plautia de ui (78 av. J.-C. ?) : 273, 274
lex Lutatia de ui (?) : 282
lex Mamilia Roscia Peducaea Alliena Fabia (59 av. J.-C. ?) : 616-617,
618
lex Clodia de capite ciuis Romani (58 av. J.-C.) : 116, 123, 257, 275
lex Clodia de exilio Ciceronis (58 av. J.-C.) : 257, 276
lex Cornelia Caecilia de reuocando Cicerone (57 av. J.-C.) : 276
lex Pompeia de parricidiis (55 ou 52 av. J.-C.) : 35, 673
lex Pompeia de ambitu (52 av. J.-C.) : 817
lex Pompeia de ui (52 av. J.-C.) : 267, 274, 275, 367, 817
lex Scantinia (antérieure à 50 av. J.-C.) : 460, 547
lex Antonia de proscriptorum liberis (49 av. J.-C.) : 814
leges Iuliae (généralités) : 732
lex Iulia de ui de César (47 ou 76 av. J.-C.) ( ?) : cf. lex Iulia de ui
d’Auguste
lex Iulia maiestatis (César ou Auguste ?) : 393
lex Iulia de exulibus reuocandis (mentionnée dans les Acta Caesaris) (44
av. J.-C.) : 836
lex Pedia (43 av. J.-C.) : 287, 734
lex Falcidia (40 av. J.-C.) : 813
lex Iulia de ui d’Auguste (entre 19 et 16 av. J.-C.) : 361, 365, 547,
552, 557, 579, 587, 590-591, 610, 735, 843, 844, 861, 862
lex Iulia de adulteriis coercendis (entre 18 et 16 av. J.-C.) : 443, 521,
523, 529, 531, 532, 533, 534, 536, 537, 539, 545, 546, 622,
625, 744
lex Iulia iudiciorum publicorum (17 av. J.-C.) : 365, 591
lex Aelia Sentia (4 ap. J.-C.) : 748
lex Iunia Norbana (19 ap. J.-C.) : 749
lex Petronia (61 ap. J.-C.) : 516, 517

Lieux de justice
auditorium : 340
aula : 301
bèma : 846
catasta : 401, 418
cubiculum : 301
curia (curie, lieu de réunion du sénat) : 151, 233, 238, 258, 261,
264, 275, 278, 286, 291, 292, 297, 300, 301, 306, 367, 467,
579, 610, 637, 840, 867, 868
horti : 468
praetorium : 105, 400
secretarium : 337, 352
secretum (iudicale) : 319
tractatorium : 297
tribunal (au sens matériel et spatial) : 25, 270, 279, 312, 328,
333, 412, 413, 418, 697, 867

Meurtre
caedes : 93, 103, 217, 221, 230, 236, 264, 266, 271, 378,
676, 728, 729, 826
homicida : 524, 525, 826, 856
homicidium : 16, 22, 27, 62, 63, 73, 147, 182, 183, 192,
195, 317, 322, 382, 383, 475-492, 533, 534, 566, 573, 615,
673, 673, 686, 691, 702, 770, 771, 772, 793, 857
interficere (tuer : homicide ou exécution capitale) : 232, 522, 674,
691, 697, 738
interimere : 116, 433
iugulare : 263
letaliter uulnerare : 496
medicamenta (mala) : 489
necare (cf. aussi mort (mise à)) : 430, 434, 475, 476, 489, 580,
649, 667, 668, 670
nex : 290, 452, 675
occidere (cf. aussi mort (mise à)) : 51, 55, 77, 78, 79, 80, 102,
236, 451, 475, 476, 487, 488, 489, 494, 521, 524, 525, 531,
566, 573, 580, 669, 719
perire : 475, 580
pharmakeia : 227
pigmentarii : 490
telum (cum telo esse, ambulare) : cf. arme du crime
uenefica : 200
ueneficium : 227, 425, 426, 429, 438, 475, 482, 486, 488,
489, 500, 579, 583, 610, 826, 857

Peine, vengeance, pénalité (lexique et désignation


fonctionnelle de la peine)
arcere : 320
corrigere : 315, 334, 708, 710
castigari : 339, 510, 606, 607, 613, 691, 315
castigatio : 512, 520, 689
emendatio : 90, 519, 520, 676, 710, 793, 802, 827
emendare : 334, 423, 479, 710
deterrere (maleficia) : 749
documentum (la sanction est une leçon) : 340
exemplo deterriti : 682
exemplum (uindicare in) : 336
exsequi : 190, 439, 440, 610
gradus poenarum : 758
katagignôskô : 176
noxii (les coupables) : 403
poena : 13-14, 55, 87, 103, 104, 113, 136, 140, 196, 221,
231, 254, 264, 308, 315, 317, 318, 371, 382, 388, 393, 399,
402, 404, 405, 406, 418, 432, 475, 480, 483, 495, 517, 523,
566, 580, 586, 593, 603, 612, 618, 621, 654, 681, 684, 685,
709, 719, 739, 752, 753, 758, 760, 776, 783, 815, 819, 825,
850
poenales (les condamnés) : 403
susferre : 434
talio : 394, 499, 502-503, 504, 507, 581, 607
timôria : 177
uindicare : 111, 144, 290, 313, 336, 391, 428, 437, 452, 469,
475, 520, 523, 552, 608, 776, 778, 779, 805
uindicta : 216, 320, 392, 503
ulciscor : 263, 290, 294, 297, 434, 503, 651, 739
ultio : 321, 772, 774, 777, 779
zemioô : 177

Religion, Souillures, rites, expiations


abluere (laver le crime) : 559
antistes : 217
ara (uetusta) : 222
arbor infelix : 92, 93, 108, 674, 713
arca : 675
bacchae : 214
caput adopertum : 93
carmen : cf. divination, magie
caste : 552, 557
castus : 557
clades : 236, 247, 454
clauus fixus, cf. claui figendi causa dictator : 425, 456-457
conditores (sacri) : 221
consecratio capitis : 52, 65, 69, 71, 72, 73, 607, 615, 616,
650, 713
consecratio bonorum : 64, 65, 67, 69, 70, 73, 162, 167-168,
184, 186
consecratum signum : 222
contagio : 217, 223, 320, 334, 424, 780
contaminare : 221
contaminatio : 541
corrumpere : 529, 580
culleus : 656, 666, 668, 669, 673, 674
deportare, in altum, in mare : 673-674, 755
diri ritus : 847
elementa, archai, stoechia ou res (aer, terra, ignis, aqua) : 667-668,
724, 729-730
expiare (expiation) : 93, 107, 549, 667
expurgare : 113
exstinguere : 374, 436.
fas : 55, 62, 97, 102, 877
foedare : 540, 541, 780
foedus (funeste) : 424
follitus : 666, 673
folliculus (lupinus) : 666, 668, 674
ierosulos (voleur sacrilège) : 54
immolari : 55, 62
impium uotum : 427
impius, impietas : 197, 579, 668, 669, 738
impurus : 126, 459, 541, 557, 656
incestus : cf. délits sexuels
infelix : 427 (cf. arbor infelix)
inuiolabilis : 428
iugum : 93
labes : 217
luere : 93
macula, maculare : 529, 807, 826
magister sacrorum : 222
maledicere : 333,
malum : 217, 499, 500, 501
miasma : 54
miraculum : 433, 467
monstrum : 436, 455, 465
mores improbi : 436
nefaria uox : 233
nefas : 51, 553, 729
os obuoluere : 668
optare : 427
oratio : 402
parricida, parricidium (le parricide) : 35, 55, 62, 67, 90, 93, 94,
126, 170, 171, 172, 177, 181, 182-183,187, 192, 195, 254,
433, 434, 455, 583, 484, 486, 656, 666-675, 717, 719, 720,
722, 733, 755, 766, 826
pax deorum : 558
pernicies : 396
persoluere : 234
persoluere naturae iura : 667
pestilentia : 426, 457
pestis : 424
piaculum : 93, 222, 425
plaustrum : 669
polluere : 320, 342, 529, 553, 667, 738, 780
portentum : 434
prodigium (prodige) : 223, 424, 425, 433, 454, 456, 458, 461,
465, 467, 614, 626, 675, 755, 780
purgare : 291, 553, 709
religio : 103, 197, 222, 381, 641
religiones : 198
rex sacrorum : 61
ritus externus : 198
ritus nouus : 198
ritus promiscuus : 553
sacerdos : 215, 221, 222, 481
sacer (carmen) : cf. carmen
sacer (homo) : 17, 51-75, 126, 148-149, 182, 573, 614, 615,
731
sacra : 198, 215, 558, 847
sacra (magorum) : 636
sacra occulta ou in occulto : 215, 217
sacra publica : 197
sacramentum : 196-197, 209, 212, 333, 340, 440, 812
sacrani : 73
sacratae leges : 54-55, 56, 61, 67-74, 95, 99, 660, 665
sacrati : 51
sacrificia piaculares : 93
sacrificuli : 197
sacrilega contumacia : 340
sacrilega mens : 339
sacrilegium (vol dans un sanctuaire) : 677, 678
sacrilegium (lèse-majesté et fausse monnaie) : 827
sacrilegus (coupable de lèse-majesté) : 826
sacrilegus animus : 810
sacrum condire : cf. conditores
sacrum facere : 401
sancte : 552
soleae ligneae : 666, 668, 674
stoicheia : cf. elementa
stuprare, stuprator, stuprum : cf. sexualité, délits sexuels
superstitio, superstitiosa : 334, 628, 632
supplicare : 335.
tigillum (sororium) : 93
uiolare, uiolari : 51, 54, 198, 222, 443, 504, 667, 706
uirgae sanguinae : 669

Sépulture, autorisation ou interdiction de sépulture, mémoire


Gemoniae (Scalae) : 292, 299, 307, 409, 659, 704
insepulta cadauera : 235, 683 (maiestatis causa)
maiestas : cf. crime d’état
memoria post mortem damnata, memoria damnari : 303, 788, 810,
852
memorabilis : 654
poena etiam post mortem manet : 753, 809
sepulturae honore spoliatus : 234
uncus (crochet pour traîner les cadavres privés de sépulture) : 140,
299, 307

Serment :
compromittere : 215
coniurare, coniuratio : cf. crime d’État
consecratio : cf. souillure
conspondere : 215
conuouere : 215
deiurare : 375
fidem dare : 215
iurare : 72, 228
sponsio : 75 (et ius gentium), 189, 204, 443 (illicita), 395
stellionatus : 43, 729

Sexualité et délits sexuels


adulter, adulterium : 22, 31, 78, 82, 83, 84, 89, 314, 321,
322, 334, 362, 371, 372, 384, 387, 440, 443, 459, 460, 471,
505, 521-540, 541, 543, 544-545, 546, 552, 555, 557, 564,
570, 579, 622, 625, 744, 755, 770, 771, 826, 856-857
alienum sexum expetere : 549
commercium stupri : 204, 544
corpore quaestum facere (prostitution) : 314, 322, 361, 542, 546,
547-549, 588, 591
deliciae : 204
deuirginare : cf. esclavage, rapports serviles
impudicitia : 510, 547
incestus : 285, 551-565, 655, 747
lenocinium (proxénétisme) : 526, 531, 535, 539
libido : 221, 553, 872
lupanares (uirorum) : 542
luxuriosus : 543
meretrix : 431
moechare : 521
molles : 548
obscenitas : 314
phtora : 545
pudicitia : 437, 443, 529, 531, 536, 544
pudor : 541, 544, 553
raptor : 41, 547, 623, 650, 826, 827
<sexum> suum perdere : 549
stuprum, stuprare, stuprator : 204, 217, 218, 221, 426, 443-444,
458, 459, 460, 521, 531, 541-550
subire : 548

Société, statut, discrimination sociale et droit pénal


apolides : 750, 752, 756
atimia : 177
ciues optimo iure : 225
ciues sine suffragio : 225
ciuis ex latio : 113
ciuitatem ammittere : 724, 740, 750, 850
condicio : 440, 446, 612 (condicio personae), 618, 776, 813
constitutio antoniniana (ou édit de Caracalla) : 26, 875-876
decuriones : 263, 359, 367, 377, 483, 686, 729, 763, 765,
768, 821-822, 850, 852, 880
dediticius : 522, 534, 748, 749, 755, 756, 875
deminutio, minutio capitis : 740, 756, 768
dignitas (rang, dignité) : 240, 296, 360, 388, 469, 495, 501,
525, 588, 629, 743 (inlaesa), 759, 760, 775, 780, 821, 825,
831, 840, 841
dignitatis depositio : 682
domicilium : 508, 761, 769
egens : 359
existimatio : 363, 364, 743, 759, 768
famosa persona : 506
foederati : 226
honeste nata : 399
honestiore loco : 594
honestiores (et humiliores) : 27, 35, 353, 367, 476, 478, 483-
484, 567, 580, 585, 586, 601, 611, 620, 621, 624, 641, 685,
844, 875, 876
honestas : 363
humiliores : cf. honestiores
humilitas uitae : 588
ignobilis : 216, 432
ignominia : 236, 293, 321, 719, 758
incolae : 226, 761
infamare : 450, 496, 588
infamis, infames, infamia : 314, 361, 424, 429, 440, 441, 471,
511, 523, 526, 527, 588, 591, 812 (paterna), 821, 682, 743,
763, 812, 844
ingenuus : 204, 544, 547, 590, 701
locuples : 359, 368
mediocre locum : 701
nota (ou denotatio), notare : 83, 299, 359, 361, 470, 515, 654,
774, 777, 780
origo : 761, 769
peregrinus : 740
personae maiores : 629, 857
qualitas : 588, 592
plebeius, plebeii (désignation d’un statut inférieur, opposé à
décurion à l’époque impériale) : 315, 359, 367, 505, 743, 760,
765, 766
socius (allié) : 111, 214, 225, 238, 249
splendidiores personae : 612, 619

Spectacles
amphitheatrum : 140, 315, 412, 415-416, 419, 534, 591, 599,
600, 684, 793, 873
auctorari : 118
bestiae, ad bestias : 140, 361, 401, 403, 412, 416, 418, 476,
483, 516, 517, 522, 580, 586, 587-588, 591, 594, 599, 602,
669, 690, 695, 729, 742, 850, 852, 873
facies : 771, 793
gladius : 593-594
harena : 775
harenarius : 363
ludus : 118, 421, 478, 484, 594, 771, 774, 791-793
ludus uenatorium : 684
munus : 402
spectacula, spectaculum : 315, 322, 328, 402, 416, 419, 422,
590, 591, 599, 708, 716, 791, 792, 829
spectacula cruenta : 792
Suicide
suicide (en général) : 236, 240, 260, 301, 558, 637, 697, 712,
718, 806, 851, 880
mortem consciscere : 222, 240
praecipitare : 691

Témoignage
comprobare : 203, 320, 391
falsum testimonium : 475, 489, 579, 580, 583, 589
falsus testis : 178
fides : 359-361, 362
intestabilis : 362, 364, 365
intestabilitas : 365
martus, marturas : 189, 192
quaestio : cf. torture
testimonium : 366, 391, 439, 581, 587-591, 708, 738
testmonium publicum : 405
testis : 202, 269, 283
uoluntarii : 366

Travail forcé, mines, carrières


calcaria : 684,
ergasterion : 786
ergastulum, ergastula : 771, 786 (cf. également esclavage, rapports
serviles)
metallici (forçats de la mine) : 684
metallum, ad metallum, ad metalla (condamnation à la mine) : 312,
327, 353, 452, 453, 478, 484, 592, 593, 594, 599, 600, 601,
621, 622, 642, 683-685, 687, 688, 689, 695, 742, 743, 752,
759, 760, 765, 771, 792, 823-824, 825, 840
opus metalli : 683, 689, 743, 752, 760, 765
poena metalli : 315, 593, 760
opus publicum : 567, 592, 593, 601, 613, 684, 743
pistrinum/pistrina : 326, 771, 773, 785-786
salinae : 684
sulphuraria : 684

Torture
anetazein : 845
eculeus (ou equuleus) : 388, 519
ferarum uestigia : 317
interrogare : 380, 450
interrogatio : 770, 450
quaestio, quaestiones : 263, 285, 363, 369, 379-390, 438, 450-
451, 506, 520, 525, 539 (seruorum), 579, 588, 609, 686, 704,
708, 729, 857
tormenta : 292, 318, 334, 363-364, 379, 388, 391, 421, 683,
708, 770, 855
torqueri : 363, 380, 526
ungulae : 388, 519

Vérité
ueritas : 382, 387, 450, 505, 580, 582 (définition du faux),
854, 856, 883
ueritatis (lux) : 363, 369
ueritatem excutere : 369
ueritatem illuminare : 364, 369
ueritatem requiri : 369
uerum scire : 379

Violence
certare : 498
contendere : 196, 493
depugnare : 517, 587
expugnare : 263
incendium, incendia : 16, 35, 44, 204-206, 210, 219, 223, 239,
261, 264, 275, 276, 286, 300, 316, 322, 386, 485, 487, 488,
506, 578, 601-611, 663, 678, 686, 735
insidiae : cf. intention, préméditation (ou non)
manus armatae : 262
oppugnare : 264
pugna : 494
pugnare : 271
rixa, rixari : 97, 271, 477, 489, 677
ui bonorum raptorum : 449
uis : 71, 102, 146, 154, 217, 230, 231, 264, 268, 270
(ultima), 282, 290, 445, 494, 509, 612, 778, 828
uiolentia : 294, 320, 434, 677, 852, 870

Violence judiciaire
calumnia : cf. accusation, dénonciation
falsum indicium : cf. accusation, dénonciation
falsum testimonium : cf. témoignage
lex iulia de ui : cf. lois
maligne : 336
prouocatio : cf. appel
quaestio : cf. torture
uiolentia iudicis : 853
uexare : 362, 375, 389, 873

Vol, brigandage
abactores : 592-600
abigei : cf. abactores
effractores : 505, 506, 567
effracturae : 506
expilatores : 448, 505, 677
fur, fures : 201, 505, 506, 566-578 593, 594, 595, 677
fur diurnus : 566, 572
furare : 613
fures balnearii (voleurs dans les thermes) : 567
fur manifestus : 575, 651, 702
fur nocturnus : 60, 254, 566, 572
furti crimen : 375
furtim : 702
furtiua res : 576
furtum (furta) : 15, 105, 334, 475, 476, 573, 574, 577, 578,
580, 595, 597, 676, 703, 706, 796
furtum conceptum : 568, 576
furtum manifestum : 568, 575, 660, 664, 677, 702, 713
furtum nec manifestum : 575
furtum oblatum : 568, 576
furtum possessionis : 574
furtum rei : 574
furtum usus : 574
furuus (sombre) : 575
grassaturae : 677
latro, latrones : 78, 254, 336, 347, 383, 566, 676
latrocinium : 186, 334
latro manifestus : 851
latronum conscientia : cf. complicité
noctu : 702
praeda, praaedare : 602, 608
Index des anthroponymes

Aaron, frère de Moïse : 481


Statius Abbius Oppianicus, accusé en 74 av. J.-C. par son beau-fils
Aulus Cluentius Habitus : 202-203, 486
(Flavius) Abundantius, maître des deux milices (392-393), consul en
393 : 786
M’. Acilius Glabrio, consul en 181 av. J.-C. C’est lui qui consacre
l’aedes Pietatis, et non M’. Acilius Balbus (consul en 150 av. J.-C., en
même temps que T. Quinctius Flamininus). L’indication de Pline
l’Ancien (7, 121) est fautive : 433.
(Septimius) Acindynus, préfet du prétoire d’Orient (338-340),
consul (340), destinataire de la constitution de 340 relative à
la séparation des sexes dans les lieux de détention : 406
Adam : 643
Adda, disciple de Mani : 644
P. Aebutius, amant de Hispala Faecina et dénonciateur de l’affaire
des bacchanales (186 av. J.-C.) : 217-218, 222
L. Aelius Lamia, chevalier relégué en 58 av. J.-C. : 767
Aelius Marcianus, proconsul de Bétique, destinataire d’un rescrit
d’Antonin le Pieux, au sujet de l’encadrement de la violence
des maîtres vis-à-vis de leurs esclaves : 510
L. Aelius Seianus : 409, 704, 712
Aelius Priscus, furiosus matricide, objet d’un rescrit de Marc Aurèle
et Commode adressé à Scapula Tertyllus : 717
M’. Aemilius Lepidus, préteur pérégrin en 213 av. J.-C. : 153
M. Aemilius Lepidus, consul en 158 av. J.-C. : 173
M. Aemilius Lepidus, interroi en 52 av. J.-C. pour organiser
les élections consulaires dans un contexte de violences, il deviendra
l’un des membres du triumvirat aux côtés de Marc Antoine et
d’Octavien en 43 av. J.-C. : 264, 265
M. Aemilius Lepidus, accepte de défendre Cn. Calpurnius Piso en
20, propose en 21 d’infliger l’exil à Clutorius Priscus, plutôt que
la mort : 290, 738-739
Mamercus Aemilius Mamercinus, l’un des deux premiers questeurs
créés, selon Tacite (avec Lucius Valerius Potitus), en 446 av. J.-C. : 171
M. Aemilius Philemon, affranchi de M. Aemilius Lepidus (l’interroi
de 52 av. J.-C.) : 265
C. Afrania, épouse de Licinius Bucco, prompte à engager des procès
(civils), décédée en 48 av. J-C. : 435, 465
Agathos, très certainement de rang sénatorial, détenteur d’une
charge lorsqu’il est destinataire d’un rescrit en 290 : 479
Agotius, destinataire d’un rescrit sur l’âge du prévenu en cas de
meurtre en 294 : 709
Agricola, esclave de Pompeius Valens, soumis à la question
conformément à un rescrit d’Hadrien : 382
Agrippa : cf. Marcus Vipsanius Agrippa
Agrippa II (Hérode), roi de Chalcis et de Batanée, frère de Bérénice :
437, 846, 864
Agrippine la Jeune : cf. Iulia Agrippina
er
Alaric I , chef des Goths, auteur du sac de Rome en 410 : 788
Alaric II (484-507), roi wisigoth, commanditaire du Bréviaire
d’Alaric promulgué en 506 : 39
L. Albinius (Paterculus), tribun de la plèbe, en 493 av. J.-C. : 56
Albinus, condamné, son patrimoine est redistribué à ses enfants
par décision de l’empereur Hadrien : 804
Alexandre, cité dans une lettre d’Hadrien : 360
Alexandre de Lycopolys, philosophe néo-platonicien de la fin IIIe s. :
645
M. Alfidius, accusateur de Sextus Clodius, en 52 av. J.-C. : 275
Amatius (ou le pseudo-Marius), mis à mort le 13 avril 44, ses
partisans sont précipités de la roche Tarpéienne : 664-665
re
Amesia (de Sentinum), plaide devant le préteur (1 moitié du
er
I s. av. J.-C.) : 435, 464, 465

Amphidamas, personnage de l’Iliade : 678, 680


Ampliata, destinataire d’un rescrit sur le plagiat en 293 : 446
Anaxilaos de Larissa, pythagoricien et mage, expulsé de Rome en
28 av. J.-C. : 635, 638
Anicius Faustus Paulinus, consul en 298 : 340
T. Annius Milo : 22, 123, 258, 259, 261-287, 386, 454, 470,
487, 531, 532, 572, 663, 835-836
Anchise : 87
Anthemius (467-472) : 297, 308
(Valerius) Antidius (ou Anthidius), vicarius urbis Romae en 381 : 826
Antiochos III (roi de Syrie, 223-187 av. J.-C.) : 694
Antoine : cf. Marcus Antonius
Antonin le Pieux (138-141) : 30, 324, 335, 336, 346, 358, 363,
369, 380, 381, 386, 399, 506, 510, 511, 515, 416, 517, 518,
593, 627, 639, 669
M. Antonius, orateur, accusateur de Milon en 52 av. J.-C. : 271
(Fl. Claudius) Antonius, préfet du prétoire, 377-378, consul en 382 :
775
Antonius Felix, procurateur de Judée de 52 à 59/60 ap. J.-C. : 860
Aper, cité dans une lettre d’Hadrien : 360
Apollonia, destinataire d’un rescrit en 224 : 452
M. Appius (Atilius) Bradua (nommé Aquilius Bradua dans
le Digeste), légat de Germanie et de Bretagne, destinataire du rescrit
d’Hadrien sur la « défroque » du condamné : 794, 797
Cn. Apponius, fils de Cnaeus, accusateur de M. Saufeius, chef
des bandes de Milon en 52 av. J.-C. : 274
L. Appuleius Saturninus, tribun de la plèbe en 100 av. J.-C., associé
au préteur C. Servilius Glaucia dans une politique popularis et victime
de la répression sénatoriale : 115, 133, 237, 240, 256, 726, 731,
833
Appuleia Varilla, reléguée pour adultère en 17 ap. J.-C. : 532, 536-
537
Arabundus, ainsi désigné par Cassiodore, il s’agit probablement
d’Arvandus : cf. ce nom
Arcadius (383-408) : 395, 541, 562, 777, 778, 780, 786, 787,
788, 790, 805, 808, 812, 814, 816
(Aurelius) Arcadius Charisius, jurisconsulte, fonctionnaire à la cour
des tétrarques : 34-35, 344, 362-364, 369, 388
Argolicus, préfet de la Ville, sous Théodoric : 319, 329
Arigern, général de Théodoric : 320, 329, 330, 331
Arria la Jeune : cf. Caecinia Arria
L. Arruntius, refuse de défendre Cn. Calpurnius Piso en 20 ap. J.-C. :
290
Marius Artemius, gouverneur (corrector) de Lucanie et du Bruttium,
destinataire d’une constitution relative à la peine du pistrinum en 364 :
773
Arvandus, préfet des Gaules, condamné pour lèse-majesté par
le sénat de Rome en 469 : 296-298, 304-308, 410, 467
Asclepiades, magistrat à Pruse de l’Olympe, 111-112 env. : 848
Asclepiades, évêque de Chersonèse en 419 : 783
Q. Asconius Pedianus, rédige ses commentaires (scholies) aux
discours de Cicéron entre 54 et 57 : 136, 250, 261, 278-282, 284,
288
C. Asinius Gallus, refuse de défendre Cn. Calpurnius Piso en 20 ap.
J.-C. : 290
C. Asinius Pollio, historien, ami de Cicéron : 118, 139, 279
Aspasius Paternus, gouverneur d’Afrique proconsulaire, juge de
Cyprien de Carthage en 257 : 337-338, 351
Ateius Capito : 428
Caius Atinius : chef de la conjuration des bacchanales en 186 av. J.-
C. : 220
Marcus Atinius : chef de la conjuration des bacchanales en 186 av.
J.-C. : 220
C. Atinius Labeo (Macerio), tribun de la plèbe en 131 av. J.-C., veut
précipiter Metellus Macedonicus de la roche Tarpéienne : 654, 661
Attale, citoyen Romain, chrétien, mis à mort dans l’amphithéâtre
de Lyon en 177 : 873
Carbo Attienus, subit la castration (orodnnée par Vibienus) après
un flagrant délit d’adultère : 531
T. Attius, avocat de Sassia, mère d’A. Cluentius Habitus défendu par
Cicéron en 66 av. J.-C. : 486
Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.) : 22, 29, 31, 70, 78, 82, 83,
89, 159, 181, 185, 205, 206, 211, 283, 290, 292, 320, 323,
343, 365, 368, 384, 386, 459, 500, 513, 515, 527, 530, 536,
538, 539, 540, 544, 546, 557, 565, 589, 591, 609, 615, 634,
635, 636, 638, 683, 687, 698, 711, 701, 732, 734, 745, 746,
801, 806, 862, 864, 866, 870
Augustin d’Hippone (Saint Augustin) (354-430) : 224, 417, 426,
455, 560, 644, 645
Aulus Avilius Flaccus, préfet d’Égypte, exilé à Andros et mis à mort
sous Caligula : 746
Aurelianus, préfet du prétoire d’Orient en 399 (puis en 414-416) :
779
(Aurelius) Agricolanus, vice-préfet du prétoire en 298 : 340-342,
357
A. Aurelius Flavius, soldat, destinataire d’un rescrit en 222 au sujet
de l’intention criminelle : 478
Aurelius Sacratus, soldat destinataire d’un rescrit en 285, qui
le disculpe de la mort de son esclave : 512
Avidius Cassius, inflige des supplices à ses soldats, usurpateur en
175, ses biens sont confisqués : 639-640, 698, 809, 816
Aulus Aurius Melinus, époux de Cluentia, assassiné (avant 66 av. J.-
C.) : 486

Baebius Marcellinus, exécuté comme complice d’Apronianus Pedo,


à l’issue d’une enquête sénatoriale en 205 : 294-295, 303
Basilius, sénateur accusé de magie en 510-511 : 320, 329
Basilia, destinataire d’un rescrit au sujet de l’accusation d’hérédité
volée en 249 : 449
Bauto, général franc, maître de la milice, consul en 385 et père
d’Eudoxie : 777, 786
Bérénice : cf. Iulia Berenice
Birria, gladiateur, membre de l’escorte de Milon sur la via Appia en
52 av. J.-C. : 277
Blossius de Cumes, stoïcien, ami de Tiberius Gracchus : 233-234,
237, 254
Bouddha : 643
Caecilianus, préfet du prétoire d’Italie et d’Illyrie destinataire
d’une constitution relative aux sorties de prisonniers « le jour du
Seigneur » en 409 : 406
(Thascius) Caecilius Cyprianus (Cyprien de Carthage) : 337-340,
343, 347, 350-354, 356, 357, 358, 411, 414
Q. Caecilius Metellus Celer, augure et préteur en 63 av. J.-C. : 116
Q. Caecilius Metellus Macedonicus, censeur en 131 av. J.-C., menacé
de la roche Tarpéienne la même année : 654-655, 661
Q. Caecilius Metellus Nepos, tribun de la plèbe en 62, engage
une poursuite contre le consul de l’année précédente, Cicéron, pour
l’exécution de citoyens sans procès devant le peuple (devient consul
en 57 av. J.-C.) : 238, 258, 275
Q. Caecilius Metellus Numidicus, interdit de l’eau, du feu et du toit
en 100 av. J.-C. : 112-113, 139, 142, 256, 726, 731, 734, 833
Q. Caecilius Niger, questeur de Verrès, se propose (face à Cicéron)
d’intenter l’accusation contre ce dernier en 70 av. J.-C. : 376
Caecinia Arria, femme de Thrasea Paetus et mère de Fannia : 469-
470
Caecinia Lolliana, mère du jeune Lollianus exécuté en 370 : 884
Caelianus, membre du tribunal quinqueuirale sous Théodoric : 320
M. Caelius, tribun de la plèbe, adversaire de Caton l’Ancien dans
un discours relatif à la flagellation : 104, 135
(Gaius Caelius) Rufus, consul en 17 ap. J.-C. : 627
M. Caelius Rufus, tribun de la plèbe en 52, il réunit le peuple en
contio, tente de s’opposer au vote des lois de Pompée, préteur en 48 av.
J.-C. : 259, 261, 262, 265, 266, 274
M. Caeparius, complice de Catilina, exécuté dans le cachot sur
l’ordre de Cicéron, le 5 décembre 63 av. J.-C. : 203
C. Caesennius Philo, accusateur de Sextus Clodius en 52 av. J.-C. :
275
M. Calidius, défenseur de Milon en 52 av. J.-C. : 262
Caligula (37-41) : 44, 385
Calliste, esclave fugitif, condamné aux mines de Sardaigne et
devenu pape (217-222) : 312-313, 325-327
L. Calpurnius Bestia, tribun de la plèbe en 120 av. J.-C., obtient
la restitutio de P. Popilius Laenas : 833
M. Calpurnius Bibulus, consul en 59, propose en 52 av. J.-C. de créer
Cn. Pompée consul : 264
Calpurnius Celerianus, destinataire d’un rescrit d’Hadrien : 382
Calpurnius Fabatus, chevalier romain, poursuivi comme complice
lors du procès contre Lepida au sénat en 65 ap. J.-C. : 847
C. Calpurnius Piso, consul en 180 av. J.-C., meurt au cours de sa
charge (par empoisonnement ?) : 429
L. Calpurnius Piso, frère de Cn. Calpurnius Piso père, accepte de
le défendre devant la cour sénatoriale en 20 ap. J.-C. : 290
Cn. Calpurnius Piso (père), consul en 7 av. J.-C., poursuivi pour lèse-
majesté, se suicide en 20 ap. J.-C. : 47, 186, 289-294, 299, 301-302,
303, 468, 500, 636, 695-698, 737, 746, 801-802, 806, 816, 868
Cn. Calpurnius Piso (fils aîné), reçoit une partie des biens de son
père en 20 ap. J.-C., le décret du sénat lui demande de ne plus porter
le prénom Cnaeus : « il agira correctement et comme il convient s’il
change le prénom <hérité> de son père » : 293, 801-802
Marcus Calpurnius Piso (second fils), disculpé pour avoir
nécessairement obéi aux ordres de son père en Syrie, il reçoit
une partie des biens de ce dernier en 20 ap. J.-C. : 293, 802
L. Calpurnius Piso Frugi, censeur en 120 av. J.-C., représentant de
l’annalistique moyenne : 143, 173, 184, 658
Calpurnia, petite fille ou fille de Cn. Calpurnius Pison père jugé en
20 ap. J.-C. : 802, 806
Calvina, reléguée hors d’Italie en 48 ap. J.-C. à l’issue d’une enquête
sénatoriale (à l’instigation d’Agrippine la Jeune) pour crime d’inceste
avec son frère L. Iunius Silanus (l’Aîné) : 558
Camille, cf. M. Furius Camillus.
Capito, cousin de S. Roscius Amerinus (filius) (cf.) : 486
Caracalla (Antonin <le Grand>) (198-217) : 23, 26, 316, 387, 441,
443, 445, 448, 452, 478, 518, 523, 622, 685, 689, 709, 753,
810, 823, 875
Carpophoros, affranchi impérial, maître de Calliste : 312, 326
C. Cassius, mari de Lepida, poursuivi devant le sénat en 65 ap. J.-C.,
lors du procès pour inceste de son épouse Iunia Lepida. Il est transféré
(deportatus) dans l’île de Sardaigne : 847
L. Cassius, accusateur de M. Saufeius, devant la quaestio de ui en
52 av. J.-C. : 274
Cassia, destinataire d’un rescrit sur le droit d’accuser (réservé aux
hommes) en cas d’adultère en 197 : 443, 471
Catilina : cf. L. Sergius Catilina
P. Catius Sabinus, dénonciateur de Pollenius Sebennus sous
Septime Sévère : 303
(Aco) Catullinus, gouverneur de Byzacène, destinataire de
constitutions en 314, sur l’aveu sous la torture, sur l’appel, (devient
proconsul d’Afrique en 317-318) : 770, 855, 856
C. Causinius Schola, membre de l’escorte de P. Clodius, témoin lors
du procès consécutif au meurtre de ce dernier en 52 av : 269
P. Cerennius, prend en flagrant délit d’adultère Pontius qui subit
la castration : 531
Minius Cerrinius, Campanien, initié au culte de Bacchus par sa
mère Paculla Annia, il devient l’un des chefs de la conjuration
des bacchanales en 186 av. J.-C. : 220
Q. Cervidius Scaevola, juriste, préfet des vigiles, conseiller de Marc
Aurèle : 840
César : cf. C. Iulius Caesar
Cethegus, complice de Catilina, exécuté dans le cachot de Rome sur
l’ordre du consul Cicéron en 63 av. J.-C. : 203
C. Cethegus, assigne Milon devant le tribunal pour violence en
52 av. J.-C. : 268
Charites, parmi les compagnons de Justin, martyrisée en 165 ap. J.-
C. : 309, 310
Chariton, parmi les compagnons de Justin, martyr en 165 ap. J.-C. :
309-310
Cicéron : cf. M. Tullius Cicero
Claude (41-54) : 301, 487, 468, 516, 558, 560, 562, 625, 637,
747, 839, 844, 860, 869, 870, 876
Claudius, fils de Lupus, victime d’un meurtre involontaire, objet du
rescrit d’Hadrien à Ignatius Taurinus : 479
Appius Claudius (l’Aîné), neveu de P. Clodius Pulcher, engage avec
son frère (homonyme) la poursuite contre Milon : 268, 273, 288
Appius Claudius (le Jeune), neveu de P. Clodius Pulcher, engage
avec son frère (homonyme) la poursuite contre Milon : 268
Appius Claudius Caecus, censeur en 312 av. J.-C., père de P. Claudius
Appius Pulcher, battu à Drépane : 152
C. Claudius Pulcher, frère de P. Clodius Pulcher, père des deux
frères homonymes (Appius Claudius l’Aîné, Appius Claudius le Jeune)
accusateurs de Milon en 52 av. J.-C. : 262
M. Claudius, fils de Marcus, sénateur rédacteur du sénatus-
consulte sur les bacchanales (186 av. J.-C.), mentionné sur l’inscription
de Tiriolo : 214
M. Claudius Marcellus, édile de la plèbe, accusateur du tribun de
226 av. J.-C. C. Scantinius Capitolinus : 460
M. Claudius Marcellus Aeserninus, refuse de défendre Cn.
Calpurnius Piso en 20 ap. J.-C. : 290
C. Claudius Pulcher, préteur, préside un tribunal d’enquête en
180 av. J.-C. : 429
P. Claudius Appius Pulcher, poursuivi devant le peuple à l’issue de
la défaite de la Drépane en 249 av. J.-C. : 151, 160, 166, 167, 256
Claudius Asellus, consul en 151 av. J.-C., empoisonné par sa femme
Licinia : 430
M. Claudius Marcellus, consul en 331 av. J.-C., avec C. Valerius
Potitus, durant l’affaire des poisons : 424
M. Claudius Marcellus, défenseur de Milon en 52 av. J.-C. : 262, 268,
269-270
Tiberius Claudius Quartinus, issu de l’ordre équestre, devient
sénateur, atteint le consulat en 130, légat de Germanie supérieure en
134, destinataire d’un rescrit d’Hadrien relatif aux interrogatoires sous
la torture : 379
Claudia Pulchra, sœur de P. Claudius Appius Pulcher, poursuivie en
246 av. J.-C. : 167, 256, 427, 461
P. Clodius Pulcher, tribun de la plèbe en 58 av. J.-C., assassiné sur
la via Appia le 18 janvier 52 av. J.-C. : 22, 116, 125, 152, 238, 250,
251, 257, 258, 261-263, 265, 269, 270-278, 280, 281, 283-285,
367, 487, 527, 557, 572, 610, 727, 733
Sextus Clodius, partisan (peut-être un affranchi) de P. Clodius
Pulcher : 275
Cluentius Habitus (Aulus), citoyen originaire de Larinum, accusé
d’empoisonnement, défendu par Cicéron en 66 av. J.-C. : 485-486, 488,
490, 202
Cluentia, sœur de Cluentius Habitus (Aulus) : 486
Clutorius Priscus, chevalier romain, exécuté en 21 ap. J.-C. à l’issue
d’un procès sénatorial : 437, 467, 737-738
C. Cluvius, mari de la soeur de Turia : 436
Commode (176-192) : 30, 312, 327, 348, 523, 535, 717, 722,
873, 874
C. Considius, président du tribunal en vertu de la loi Plautia sur
la violence en 52 av. J.-C. : 274
Constance II (337-361) : 388, 406, 421, 563, 630, 772, 842
Constance Chlore (César, 293-305 ; Auguste, 305-306) : 355, 356,
357, 393, 552
Constantin (306-337) : 26, 39, 40, 43, 47, 79, 90, 317, 322,
324, 330, 342, 354, 356, 378, 388, 391-398, 403, 404, 405,
410, 411, 419, 420, 421, 483, 516, 519, 537, 539, 540, 564,
571, 628, 630, 642, 670, 715, 747, 754, 770, 784, 786, 791,
798, 842, 855-856, 881, 882, 883
(Flavius) Constantius, comes et magister utriusque militiae en
Occident (411-421) : 788
Corinthia, destinataire d’un rescrit de l’année 293 au sujet de
la capacité d’une femme à défendre elle-même ou ses proches dans
une poursuite criminelle : 442
Coriolan : cf. C. Marcius Coriolanus
Aulus Cornelius, l’un des deux questeurs accusateurs de M.
Volscius Fictor la première année de son procès en 459 av. J.-C. : 178
L. Cornelius Balbus, né à Gadès, obtient la citoyenneté romaine en
72, défendu par Cicéron en 56 av. J.-C, consul en 40 av. J.-C. : 110, 135
L. Cornelius Balbus (le Jeune), questeur à Gadès, persécuteur du
soldat devenu gladiateur, Fadius : 118, 139
P. Cornelius Lentulus Sura, complice de Catilina, exécuté dans
le cachot le 5 décembre 63 av. J.-C. sur l’ordre du consul Cicéron : 203
Cornelius Marcellus, sénateur, poursuivi comme complice lors du
procès contre Lepida en 65 ap. J.-C. : 847
Q. Cornelius Proculus, consul sufffect de 146 ap. J.-C., proconsul
d’Asie, destinataire d’un rescrit de Lucius Verus et Marc Aurèle relatif
à la torture des esclaves : 380
Faustus Cornelius Sylla, défenseur de Milon en 52 av. J.-C. : 262
P. Cornelius Scipio Africanus, consul en 205 et en 194, vainqueur de
Carthage en 202 av. J.-C. : 111, 693
Lucius Cornelius Scipio Asiaticus, consul en 190, accusé en 187 av.
J.-C. : 254
P. Cornelius Scipio Nasica, consul en 191 av. J.-C., prend la défense
de son frère Lucius Scipion, lors du procès de ce dernier en 187 av. J.-
C. : 254
Cornelius Scipio Nasica Corculum, censeur en 158 : 173
P. Cornelius P.f. P.n. Scipio Æmilianus Africanus Numantinus
(Scipion dit « le Second Africain » ou « le Numantin ») : 112
P. Cornelius Scipio Nasica Serapio, Grand pontife depuis 141, consul
en 138 (avec Decimus Iunius Brutus Callaicus), il initie en 133 av. J.-C.
la répression de Tiberius Gracchus et de ses partisans « pour sauver
l’État » : 111-112, 231-232, 252, 253, 255
P. Cornelius Scipio Nasica Serapio, fils du précédent, consul en
111 av. J.-C., établit un iustitium : 248
L. Cornelius Sulla (Felix), dictateur (82-81 av. J.-C.) : 99, 131-132,
171, 243, 251, 252, 257, 277, 282, 287, 458, 482, 491, 508,
531, 582, 655, 661, 664, 672, 711, 814, 831, 834, 835. Cf.
index thématique : législation syllanienne, leges Corneliae
Cornelia, patricienne, complice de Sergia, produite sur le forum
parmi les matrones empoisonneuses en 331 av. J.-C. : 425
Cornelia, grande vestale, condamnée pour incestus, enterrée
vivante au Campus sceleratus sous Domitien en 91 ap. J.-C.
(l’accomplissement d’un tel rite est attesté antérieurement en 114-113
av. J.-C.) : 747
Cornelia Fausta, fille de Sylla, adultère avec Salluste, épouse de
Milon : 262, 277, 531
L. Cornificius, accuse Milon pour violence en 52 av. J.-C. : 268
(devant le tribunal d’enquête créé par la loi Pompeia de ui), 273
(devant le tribunal de la loi Plautia de ui)
Cosmia, destinataire d’un rescrit (limite à la « capacité d’accuser »
des femmes) en 294 : 447
Crescens, philosophe cynique, adversaire de Justin martyr : 324
Cyprien de Carthage : cf. (Thascius) Caecilius Cyprianus

Dèce (251-253) : 350, 351, 411, 415, 875


Dèce, membre d’un iudicium quinqueuirale sous Théodoric : 320
Decii (République) : 87
Decii (gens) (Antiquité tardive) : 329, 330
Démosthène : 677, 679, 680
Dioclétien (284-305) : 25, 34, 304, 348, 349, 355-356, 357,
411, 441, 442, 445-446, 447, 449, 450, 451, 471, 472, 479,
512, 550, 552, 555, 560, 561, 563, 571, 628, 642, 643, 644,
645, 709, 853, 881-882
Dion Cocceianus (Dion Chrysostome ou Dion de Pruse), célèbre
orateur, représentant de la seconde sophistique, engagé devant
le tribunal de Pline le Jeune dans une affaire civile : 848, 849
Dionysia, destinataire d’un rescrit au sujet de la défense en justice,
en 294 : 472
Dionysios Diogenes, décurion exclu de son ordre, destinataire d’un
rescrit de Septime Sévère : 822
Diza, destinataire d’un rescrit au sujet de la fuite d’un esclave en
293 : 446
Domina, destinataire d’un rescrit au sujet de l’action engagée
contre sa marâtre en 293 : 449
Domitien (81-96) : 205, 301, 469, 517, 539, 638, 639, 747
Cn. Domitius fils de Cnaeus (cognomen Ahenobarbus ?), accusateur
de Milon, subscriptor de l’accusation devant le tribunal pour brigue
(quaestio de ambitu) : 273
L. Domitius Ahenobarbus, préside une quaestio en vertu d’une loi de
Pompée en 52 av. : 267
Domna, destinataire d’un rescrit au sujet des poursuites d’adultère,
en 224 : 267
Drusii (gens) (République) : 87
Drusus le Jeune, fils de Tibère : 290, 291, 701, 737

Egnatius Rufus, accusé de conjuration en 6 av. J.-C. : 211


Elagabal (218-222) : 303, 878
Énée : 87
Epaphrodite, esclave auteur d’un meurtre cité dans un rescrit
d’Hadrien à Ignatius Taurinus : 477, 492
Épicure : 86
Equitius, revendique en 101 av. J.-C. le droit d’appartenir à la gens
Sempronia : 434, 464
Sextus Erucius Clarus, préfet de la Ville entre 138 et 146,
destinataire d’un rescrit d’Antonin le Pieux sur la torture des esclaves :
506
Évagrius, préfet du prétoire en 326 (puis en 329-331 et 336-337),
destinataire d’une constitution de Constantin relative aux conditions
d’incarcération : 405
Marcus Evaristus, condamné par Ignatius Taurinus à la relégation
pour homicide involontaire : 479, 480, 482
Eudamus, gladiateur, membre de l’escorte de Milon sur la via Appia
en 52 av. J.-C. : 277
Eudoxie, fille de Bauto, devient impératrice (395-404) en épousant
Flavius Arcadius : 786, 787
Evelpistos, martyr, mis à mort en 165 av. J.-C. par le préfet de
la Ville Iunius Rusticus : 309, 310
Eumelius <vicaire d’Afrique>, destinataire d’une constitution
relative au marquage au visage des condamnés en 315 : 771
Claudius Eumolpus, assiste Flavius Archippus devant le tribunal de
Pline le Jeune, adversaire de Dion Cocceianus : 848-849
Erucius, accusateur de S. Roscius Amerinus en 80 av. J.-C. : 486
Euphrata, destinataire d’un rescrit au sujet d’une accusation pour
héritage volé en 205 : 448
Euric, le roi des Goths (466-484) : 297, 305
Eutrope : cf. Flavius Eutropius
(Flavius) Eutychianus, préfet du prétoire d’Orient (397-399) : 778-
780, 812, 814
L. Fabius, préside la quaestio de ui réunie en vertu de la loi Plautia
contre Milon (in absentia) en 52 av. J.-C. : 273
L. Fabius Cilo, préfet de la Ville à partir de 203 : 321-322
Q. Fabius Gurges, édile en 295 av., condamne des matrones devant
le peuple pour stuprum : 426
M. Fabius Licinus, consul en 246 av. J.-C. : 428
Q. Fabius Maximus, édile curule, reçoit la dénonciation d’une
servante au commencement de l’affaire des poisons de 331 av. J.-C. :
424
Q. Fabius Maximus Verrucosus (Cunctator), élu dictateur au
lendemain du désastre de Trasimène, met son fils à l’épreuve lors du
consulat de ce dernier en 213 av. J.-C. : 88, 87
Q. Fabius Pictor (254-201 av. J.-C. env.), apparenté au précédent,
« le plus ancien des auteurs » de l’historiographie romaine (en langue
grecque), selon Tite-Live (1, 44) : 829
Fadius, soldat pompéien devenu gladiateur exécuté à Gadès sur
l’ordre de L. Cornelius Balbus : 118, 139, 140, 874-875
Fannia, fille de Thrasea Paetus et de Caecinia Arria, épouse
d’Helvidius Priscus : 469, 470
M. Favonius, préside la quaestio de sodaliciis contre Milon en 52 av.
J.-C. (cet ami de Caton le Jeune se joindra plus tard aux meurtriers de
César en 44, il sera proscrit et exécuté en 42 av. J.-C. : 273
Faustulus, selon la légende des origines de Rome, berger, élève
Rémus et Romulus : 60
Félicité, martyrisée à Carthage en 203 : 303, 350, 354, 399-402,
415, 416, 418, 419, 625, 681
Fenestella, historien (52 av.-19 ap. J.-C.), l’une des sources
d’Asconius : 117, 279
Festus, gouverneur de Sardaigne, destinataire d’une constitution
en 319 : 771
C. Fidius, accusateur de M. Saufeius, chef des bandes de Milon en
52 av. J.-C. : 274
T. Flacconius, défenseur de Sextus Clodius en 52 av. J.-C. : 275
Fl. Flavianus, destinataire d’un rescrit sur les noces incestueuses en
291 : 555
(Virius Nichomachus) Flavianus, préfet du prétoire d’Illyrie et
d’Italie, destinataire d’une constitution impériale sur le délai
précédent l’exécution du condamné en 390 : 776
M. Flavius, poursuivi pour stuprum par l’édile curule C. Valerius,
exerce le tribunat à partir de décembre 328 av. J.-C. : 459
Flavius Archippus, comparaît devant le tribunal du gouverneur de
Bithynie, Pline le Jeune, en 110-113 : 848-849
Flavius Asellus, comte des largesses sacrées : 296
Flavius Eutropius : eunuque, chambellan à la cour d’Arcadius,
devenu consul, exilé, son patrimoine est confisqué, sa mémoire
condamnée, puis il est exécuté en 399 : 779-781, 786-789, 790, 816
Flavius Rufinus, préfet du prétoire d’Orient, assassiné en 395 : 786
Florentius, receveur (rationalis) destinataire d’une constitution sur
les conditions d’incarcération en 320 (inconnu par ailleurs) : 404
Fonteius Capito, gouverneur de Germanie inférieure en 68, exécuté
la même année : 847, 871-872
Astasius Fortunatus, gouverneur de Galice en 298 : 340-341, 357
L. Fulcinius, fils de Caius, accusateur de M. Saufeius, devant
la quaestio de ui en 52 av. J.-C. : 274
L. Fulcinius Trio, célèbre délateur, accusateur de Cn. Fulcinius Piso
en 20 ap. J.-C. : 289, 291, 293, 302, 696
Cn. Fulvius Flaccus, préteur, poursuivi pour perduellio en 211 av. J.-
C. : 155, 161-162, 168, 169
M. Fulvius Flaccus, consul en 125 av. J.-C., tué, ainsi que ses fils, lors
de la répression de Caius Gracchus et de ses partisans : 243
Q. Fulvius Flaccus, fils de Quarta Hostilia, consul en 179 av. J.-C. :
429
Cn. Fulvius Maximus Centumalus, dictateur claui figendi causa en
263 av. J.-C. : 456
P. Fulvius Neratus, accusateur de Milon devant le tribunal pour
associations illicites en 52 av. J.-C. : 268, 273, 288
C. Fulvius Plautianus, préfet du prétoire exécuté sur l’ordre de
Caracalla en 205 : 304
Fulvia, épouse de P. Clodius Pulcher (puis de C. Scribonius Curio, et
de Marc Antoine), elle est témoin au procès contre Milon en 52 av. J.-
C. : 270
C. Fundanius, édile de la plèbe (collègue de Tiberius Sempronius)
en 246 av. J.-C. : 428
M. Fundanius, engage (avec son collègue L. Villius Tappulus)
un procès contre des matrones en 213 av. J.-C. : 428
M. Fundanius Fundulus, tribun de la plèbe en 248 av. J.-C., lance
avec Pullius une accusation de perduellio contre P. Claudius Pulcher,
un an après la défaite Drépane : 152
Gnaeus Furius Brocchus, pris en flagrant délit d’adultère et soumis
par vengeance au viol collectif : 531
M. Furius Camillus (cf. Camille) : 87, 154, 163, 179, 183, 247,
831-832
M. Furius Camillus Scribonianus, condamné pour avoir consulté
les Chaldéens sous Claude : 637

Aulus Gabinius, consul en 58 av. J.-C., adversaire de Cicéron, auteur


de la relégation de L. Aelius Lamia : 767
P. Gabinius Capito, Complice de Catilina, exécuté dans le cachot de
Rome sur l’ordre de Cicéron le 5 décembre 63 : 203
Gaevius de Compsa, citoyen romain, frappé des verges sur le forum
de Messine, puis crucifié sur l’ordre de Verrès : 104-106, 137, 138-
139, 140, 860, 874
Gaïnas, général goth, s’associe à Tribigild contre Eutrope, meurt en
400 : 787
Galata, esclave de Milon, gardé par un triumuir capitalis, puis remis
à son maître : 266
Galba (68-69) : 635, 847, 872
Galerius Maximus, gouverneur d’Afrique proconsulaire, juge au
procès de Cyprien de Carthage en 258 : 338, 339, 352
Gallien (253-268) : 337, 339, 355, 444, 545
C. Gallius, pris en flagrant délit d’adultère par Sempronius Musca,
soumis à la flagellation : 531
Gellius, personnage incestueux dans l’oeuvre de Catulle : 558-559
Gentiana, destinataire d’un rescrit en 293 : 447
Germanicus : cf. Caius Iulius Caesar Germanicus
Gildon, usurpateur africain (397-398) : 781, 786, 787, 788
Gordien III (238-244) : 34, 445, 692, 874
Gratien (367-383) : 330, 700, 774, 775, 776, 795, 796, 798,
811, 826
Gregorius, auteur du Codex gregorianus (source de la Collatio legum) :
36

Hadrien (117-138) : 25, 26, 27, 30, 43, 45, 78, 89, 335, 446,
459, 360, 361, 367, 368, 369, 379, 380, 382, 386, 418, 477,
479, 482, 489, 491-492, 505, 511, 517, 518, 519, 593, 594,
600, 612, 618, 619, 620, 669, 717, 718, 723, 744, 755, 758,
768, 794, 797, 798, 804, 808, 844, 850, 873
Halicor, esclave de P. Clodius Pulcher, soumis à la torture par
les hommes de Milon : 263
Hannibal : 88, 160, 161, 223, 225, 226
D. Haterius Agrippa, consul désigné, il prend la parole en 21 ap. J.-
C. au sénat pour l’exécution de Clutorius Priscus : 738
Helena, destinataire d’un rescrit, au sujet d’un héritage volé, en
216 : 448
C. Helvidius Priscus, époux de Fannia, fille de Thrasea Paetus, exilé
puis exécuté en 73 ap. J.-C., et d’Arria la Jeune : 469, 470
Helvidia, petite-fille d’Helvidius Priscus, devenue pupille de C.
Iulius Cornutus Tertullus : 470
Héraclianus, assassin de Stilicon, nommé comte d’Afrique,
usurpateur en 413 ap. J.-C., assassiné à son tour, ses biens sont
confisqués : 782, 786, 788, 789
Hermogène (ou Hermogénien), auteur du Codex hermogenianus :
36, 38, 39, 549, 555
er
Hérode I le Grand (73-74 av. J.-C.) : 860
L. Herennius Balbus, accusateur de Milon en 52 av. J.-C. : 262
Herennius Senecio, exécuté en 93 ap. J.-C., ses livres sont brûlés sur
le forum par les triumvirs capitaux : 205
Herennius Siculus, haruspice et ami de Caius Gracchus, se suicide à
l’entrée du cachot : 236
Hierax, compagnon de Justin, martyr en en 165 ap. J.-C. : 309, 310,
311
Hilarianus, procurateur, remplaçant intérimaire du proconsul
d’Afrique proconsulaire, Minucius Timinianus, inflige la peine capitale
à Perpétue, Félicité et d’autres chrétiens en 203 : 401, 418
Hippolyte (de Rome), 170-235 env., adversaire du pape Calliste :
312, 326
Hispalia Faecenia, amante de P. Aebutius, et dénonciatrice de
l’affaire des bacchanales (186 av. J.-C.) : 217, 218, 222
Honorius (384-423) : 406, 778, 780, 781, 788, 805, 808, 812,
814, 816
P. Horatius, vainqueur des Curiaces, meurtrier de sa sœur Camille,
poursuivi devant le peuple et absous : 85, 86, 91-94, 124-126, 133,
159, 573, 661
M. Horatius Barbatus, menacé en 450 av. J.-C. de roche
Tarpéielanne lors de son opposition aux décemvirs, consul en 449 avec
Lucius Valerius Potitus ; ils sont les promoteurs de la seconde loi
Valeria sur l’appel au peuple (prouocatio) : 95, 127, 653, 661
P. Horatius, père de P. Horatius (Horace, vainqueur des Curiaces) et
de Camille : 92
Q. Hortensius Hortalus, célèbre orateur (114-150 av. J.-C.), ami de
Cicéron, défenseur de Milon en 52 av. J.-C. : 262, 436
Hortensia, fille de Q. Hortensius Hortalus (114-150 av. J.-C.),
héritière de l’éloquence de son père : 535, 436, 465
C. Hostilius Mancinus, édile en 151, consul en 137 av. J.-C., livré aux
Numantins en 136 av. J.-C. : 431, 727
Hostus Hostilius, aïeul du roi Tullus Hostilius : 60
Hyacinthe, eunuque et prêtre, messager de Marcia, concubine de
l’empereur Commode : 312, 313

L. Iavolenus Priscus, juriste, conseiller de Trajan : 840


L. Icilius, tribun en 456 et 455, peut-être en 449 av. J.-C. : 653
Ignatius Taurinus, proconsul de Bétique, prononce la relégation de
Marius Evaristus (homicide involontaire), confirmée par un rescrit
d’Hadrien : 479, 482, 491
Isidorôs, gymnasiarque de la cité d’Alexandrie, comparaît devant
le tribunal de l’empereur Claude à Rome : 437
Iulianus, proconsul d’Afrique, destinataire de la constitution sur
les manichéens de 302 (?) : 628, 644
C. Iulius, le « bon décemvir » (451 av. J.-C.) : 101-102, 128
Iulius Africanus, contemporain de Pline le Jeune, petit-fils du
célèbre orateur du règne de Néron : 438
Iulius Alfius, destinataire d’un rescrit d’Antonin le Pieux au sujet
de l’entretien des esclaves : 511
Iulius Antoninus, auteur d’un meurtre involontaire, objet d’un
rescrit en 290 : 479
C. Iulius Bassus, consul suffect en 99, proconsul de Bithynie-Pont
en 102-103 (?) : 818, 819
C. Iulius Caesar : 19, 22, 29, 108, 115, 131, 133, 135, 137,
239-240, 243, 244, 251, 257, 258-259, 277, 278, 281, 283,
288, 301, 436, 458, 527, 618, 633, 663, 694, 711, 732, 734,
814, 815, 817, 835-836, 838
L. Iulius Caesar, cousin de Jules César, l’un et l’autres sont juges
désignés par le préteur dans le procès contre C. Rabirius : 115
Caius Iulius Caesar Germanicus, neveu et fils adoptif de Tibère,
mort en 20 ap. J.-C. : 289-294, 301-302, 500, 538, 562, 695, 696,
699-700, 701, 737, 801-802, 866-867, 868
Lucius Iulius Caesar, oncle d’Antoine, sauvé de la proscription par
la mère de ce dernier Iulia Antonia : 837
C. Iulius Cornutus Tertullus, préfet de l’aerarium Saturni avec Pline
le Jeune comme collègue (98-100), tuteur d’Helvidia pour agir en
justice : 470
Iulius Nepos, empereur d’Occident, assassiné en 480 : 40
Iulius Sabinus, objet d’un rescrit d’Antonin le Pieux, après que ses
esclaves se sont réfugiés auprès d’une statue : 511
Iulius Secundus, destinataire d’un rescrit d’Hadrien au sujet
des irénarques : 335
Lucius Iulius Ursus Servianus, consul en 102, conseiller de Trajan,
juge dans une affaire de faux et d’empoisonnement : 438, 468
Iulia Agrippina, fille de Germanicus, mère de Néron, épouse de son
oncle l’empereur Claude : 468, 560, 562, 637
Iulia Antonia, mère de Marc Antoine, intervient auprès de ce
dernier pour sauver son frère de la proscription en 43 av. J.-C. : 837
Iulia Berenice, princesse de Judée, sœur du roi Agrippa II : 846
Iunilla, fille de Séjan, étranglée dans le cachot en 31 ap. J.-C. : 712
Iunius, mage sollicité par M. Scribonius Drusus Libo en 16 ap. J.-C. :
636
C. Iunius Bubulcus Brutus, consul (II) en 313 av. : 457
Decimus Iunius Brutus Callaicus, consul en 138 av. J.-C. : 111-112
L. Iunius Brutus, consul en 509 : 86, 87, 171, 176, 177
M. Iunius Brutus, assassin de César et défenseur de la Libertas, mort
à Philippes en 42 av. J.-C. : 271, 815
L. Iunius Pullus, consul en 249 av. J.-C., en même temps que P.
Claudius Appius Pulcher ; il se donne la mort à l’issue de la destruction
de sa flotte au large de Camarina, alors qu’il avait lui aussi négligé
les auspices : 152
Iunius Rufinus, préfet des vigiles (203-205) : 316
Q. Iunius Rusticus, gouverneur de Macédoine, destinataire d’un
rescrit d’Hadrien, préfet de la Ville (162-168), stoïcien, condamne à
mort Justin et ses compagnons en 165 ap. J.-C. : 323, 324, 325, 360,
368
L. Iunius Silanus Torquatus (l’Aîné), accusé devant le sénat (à
l’instigation d’Agrippine la Jeune) d’inceste avec sa sœur Calvina, il se
suicide en 48 ap. J.-C. : 558
L. Iunius Silanus Torquatus (le Jeune), neveu de Iunia Lepida,
poursuivi pour inceste devant le sénat, à l’instigation de Néron, en 65
ap. J.-C. Exilé à Bari il y est assassiné : 847

Jean Chrysostome : 787, 790


Jérôme (saint Jérôme) : 37, 571, 635, 638, 788, 790
Jésus de Nazareth : 309, 340, 397, 571, 643
Justin, philosophe et martyr, exécuté avec ses compagnons sur
l’ordre du préfet de la Ville Q. Iunius Rusticus en 165 : 309-311, 323-
325, 368, 414

Lampadius : cf. C. Ceonius Rufius Volusianus


C. Laelius Sapiens, consul en 140, ami de Scipion l’Africain,
interlocuteur des traités de Cicéron De l’amitié (ou Laelius) et De
la République : 116-117, 233, 234
T. Larcius Flavus (ou Rufus), consul en 501 av. J.-C., désigné
dictateur (le premier à remplir cette charge) la même année : 97
Lelianus Longinus, destinataire d’un rescrit de Lucius Verus et
Marc Aurèle au sujet de la torture des esclaves : 380
Flavius Leontius, préfet de la Ville en 355-356, réprime l’émeute de
Petrus Valvomeres : 318
Lépide le triumvir : cf. M. Aemilius Lepidus
Lepida, femme de C. Cassius et tante de L. Iunius Silanus, accusée
d’inceste et de pratiques magiques en 65 ap. J.-C. au sénat : 847
Licinius (308-324) : 40, 47
C. Licinius, tribun de la plèbe en 493 av. J.-C. : 56
Licinius Bucco, sénateur d’époque syllanienne (mort en 48 av. J.-C.),
mari de C. Afrania « le monstre » : 435
C. Licinius Verres : 20, 104-106, 137, 138, 376, 408, 860, 874
M. Licinius, préteur urbain, suspend les affaires civiles pendant
la répression des bacchanales en 186 av. J.-C. : 221
Licinia, empoisonneuse de son mari en 151 av. J.-C. : 430
Livia Drusilla, devenue Iulia Augusta à la mort de son époux
l’empereur Auguste : 292, 468
Livie : cf. Livia Drusilla
Lucius (?) Livineius Regulus, accepte de défendre Pison en 20 ap. J.-
C. : 290
Longinus, destinataire d’un rescrit en 200 au sujet de l’intention
criminelle des mineurs : 709
Sextus Lucilius, tribun de la plèbe en 89 av. J.-C., précipité de
la roche Tarpéienne l’année suivante : 655, 662
Spurius Lucretius Tripicitinus, consul en 509, collègue de P.
Valerius Publicola : 95
Lollia Paulina, condamnée en 49 ap. J.-C. pour « projets funestes
contre l’État » : 468, 637, 806, 807

Maecius Probus, gouverneur de la province d’Espagne, destinataire


d’un rescrit de Septime-Sévère et Caracalla : 761
Spurius Maelius, adfectator regni, mis à mort en 439 av. J.-C. : 74,
130, 131, 143-149, 184, 186, 188, 831
C. Maenius, dictateur en 314 av. J.-C. : 131
C. Maenius, préteur de Sardaigne, d’abord chargé d’une enquête
sur les poisons en 180 av. J.-C. : 429
T. Maenius, préteur urbain en 186 av. J.-C., suspend les affaires
civiles pendant la répression des bacchanales : 221
Magnus, complice dans le meurtre de S. Roscius Amerinus (pater) :
436
Q. Manilius Cumanus, tribun de la plèbe en 52 av. J.-C. : 266
Manilia, courtisane : 431
M. Manlius Capitolinus, adfectator regni en 385 av. J.-C., exécuté en
384 av. J.-C. : 74, 125, 133-134, 147, 148, 166, 176, 186-187, 230,
244-245, 653-654, 661
P. Manlius Capitolinus, dictator seditionis sedendae et r(ei) g(erundae)
causa en 368 av. J.-C. : 131
L. Manlius A. f. A. n. Capitolinus Imperiosus, dictator claui figendi en
363 av. J.-C. : 456
M. Manlius Imperiosus Torquatus, consul (III) en 340 av. J.-C., fait
décapiter son fils qui avait quitté les rangs pour se distinguer
héroïquement au combat : 86, 87
Manlius Torquatus, préside la quaestio de ambitu contre Milon (in
absentia) en 52 av. J.-C. : 268, 273
Marcellina, destinataire d’un rescrit sur la tutelle de son fils en
222 : 441-442
Caius Matienus, accusé de désertion en 138 av. J.-C. : 111-112
Matrona, destinataire d’un rescrit sur la tergiversatio en 294 : 451
M. Menenius, tribun de la plèbe en 385 av. J.-C. : 230
Q. Metellus Scipion, concurrent de Milon au consulat, démontre au
sénat la responsabilité de ce dernier dans le meurtre de P. Clodius
Pulcher : 263, 277
Mettius Fufitius, dictateur des Albains, se soumet au roi Tullus
Hostilius, à l’issue de la victoire d’Horace sur les Curiaces : 93
L. Minucius Esquilinus Augurinus, consul en 458, désigné par Tite-
Live comme praefectus annonae en 439 av. J.-C. : 143, 144, 145, 179
Q. Minucius, fils de Gaius, sénateur, rédacteur du sénatus-consulte
sur les bacchanales en 186 av. J.-C. : 214
T. Minucius, préteur pérégrin en 180 av. J.-C., meurt empoisonné
durant sa charge : 429, 454
Minucius Timinianus, proconsul d’Afrique proconsulaire décédé en
203 et remplacé par un procurateur : 401, 418
Moïse : 37, 38, 473, 475, 476, 481, 493, 510, 521, 541,
550, 551, 556, 566, 569, 570, 579, 587, 592, 601, 605, 621,
626, 921
Marc Aurèle (161-180) : 30, 33, 303, 324, 325, 328, 348, 361,
368, 379, 380, 381, 383, 507, 523, 535, 628, 639-640, 670,
682, 685, 698, 699, 717, 719, 722-723, 729, 761, 762, 807,
816, 820, 840, 872
Marcellina, destinataire d’un rescrit au sujet d’une affaire de faux
lésant son fils en 222 : 28, 441
Marcellus, centurion, martyr à Tanger en 298 (30 octobre) octobre :
340- 342, 343, 355-358, 411, 644, 723
Marciana, destinataire d’un rescrit au sujet de la vente d’un esclave
fugitif en 287 : 445
Marcius Coriolanus (C.) (Coriolan) : 150, 159, 163-164, 176,
188, 652, 660, 829, 830, 832
P. Marcius, mage exécuté au-delà de la porte Esquiline en 16 ap. J.-
C. : 636
Q. Marcius Philippus, consul en 186 av. J.-C., collègue de Sp.
Postumius Albinus, lors de la répression des bacchanales : 214, 216,
222
Marcia (= Marcia Aurelia Celonia Demetrias), concubine chrétienne
de l’empereur Commode : 312, 313, 327
Marcus Atilius (ou Acilius), puni de la peine de l’outre sous Tarquin
le Superbe : 675
Marina, destinataire d’un rescrit de Caracalla (non daté) au sujet
des moments de la conception et de la naissance de l’enfant d’une
condamnée : 452
Maximien (Hercule) (César, 285-286 ; Auguste, 286-305) : 34, 348,
349, 355, 356, 357, 411, 441, 442, 445, 446, 447, 449, 450,
451, 472, 479, 512, 552, 555, 628, 642, 709, 853
Maximin le Thrace (235-238) : 874
Maximinus, uicarius urbis en 370-371 (puis préfet du prétoire
des Gaules (371-376), mène des enquêtes de lèse-majesté à Rome :
858, 884, 305-306
Maximianus, homme illustre, membre du iudicium quinqueuirale
sous Théodoric : 320
(Valerius) Maximus (surnommé parfois Basilius), sans doute
apparenté au suivant, préfet de la Ville (319-323), destinataire d’une
constitution limitant la « puissance de mort » du père : 79
(Valerius) Maximus, préfet du prétoire sous Constantin,
destinataire de « l’édit de Beyrouth » du 1er octobre 325 interdisant de
punir les criminels à combattre comme gladiateurs : 791
Caius Maecenas (Mécène) : 323, 864, 865
C. Memmius, se venge de L. Octavius pris en flagrant délit
d’adultère en l’assommant : 531
L. Memmius, orateur, intervient (en même temps que Q. Pompeius)
devant le tribunal instauré par la loi Varia en 90 av. J.-C. : 250
Ménoétos d’Oponte, personnage de l’Iliade : 677
Messaline : cf. Valeria Messalina
Midias, adversaire de Démosthène : 670
Milon : cf. T. Annius Milon
Minucius Timinianus, proconsul d’Afrique proconsulaire décédé en
203 et remplacé par le procurateur Hilarianus pour juger Perpétue et
Félicité : 401, 418
Mummius Lollianus, destinataire d’un rescrit de Trajan relatif à
la torture des esclaves : 381
L. Munatius Plancus, consul en 42 av. J.-C. : 837, 838
T. Munatius Plancus, tribun de la plèbe en 52 av. J.-C. : 265, 266,
267
Munatia Plancina, épouse de Cn. Munatius Pison père, accusée
devant le sénat mais absoute en 20 ap. J.-C. : 291, 292, 293, 468

C. Nautius Rutilius, consul en 458 av. J.-C. : 179


Nelson (Amiral) : 245
Néron (54-68) : 250, 278, 350, 419, 469, 516, 632, 635, 637,
722, 747, 839, 844, 847, 858, 876
Nerva (96-98) : 618, 619
Nonna, destinataire d’un rescrit sur la déclaration d’enfants libres
comme esclaves en 394 : 449-450
Numa Pompilius, roi de Rome : 53, 64, 65, 66, 108, 172, 614,
615, 619

Octavien (ou César le Jeune, le futur Auguste) : 241, 260, 323,


633, 635, 672, 865
L. Octavius, pris en flagrant délit d’adultère par C. Memmius : 531
Octavius Mamilius, princeps de Tusculum, beau-fils de Tarquin
le Superbe, incite les Latins à la révolte en 501 av. J.-C. : 98
Œdipe : 559
(Q. Clodius Hermogenianus) Olybrius, préfet de la Ville en 369-370 :
774
Lucius Opicernius, un Falisque, chef de la conjuration
des bacchanales en 186 av. J.-C. : 220
M. Otacilius Crassus, consul (II), avec Marcus Fabius Licinus, en
246 av. J.-C. : 428
Othon (15 janvier-16 avril 69) : 638

Pacatus, légat de Lyonnaise, destinataire d’un décret d’Antonin


le Pieux : 627, 639
Pardalas, idiologue (chargé du fisc impérial en Égypte) en 122-
123 ap. J.-C. : 560
(Caius Sallustius) Passienus Crispus, orateur d’époque julio-
claudienne : 438
Paterna, destinataire d’un rescrit sur l’arrêt d’une poursuite en
287 : 451
Patrocle : 680
Q. Patulcius, accusateur devant le tribunal d’enquête de sodaliciis en
52 av. J.-C. : 273
Paul de Tarse, apôtre : 138, 140, 142, 344, 412, 419, 542,
571, 643, 844-846, 858, 859-863, 864-865, 869, 870, 871
Paulina, destinataire d’un rescrit relatif au plagiat en 239 : 445
L. Pedianus Secundus, préfet de la Ville (depuis 56), assassiné en
61 ap. J.-C., l’exécution collective de ses esclaves suscite une émeute :
518
Pelia, destinataire d’un rescrit de Septime Sévère et Caracalla en
205 : 445
Perpétue : cf. Vibia Perpetua
Pescennius Niger (193-194) : 304
P. Petronius, sénateur sous Tibère : 737
P. Petronius Turpilianus, consul en 61, initiateur du sc.
Turpilianum qui réprime la tergiversatio de l’accusateur, il est sans
doute l’initiateur de la lex Petronia relative à la punition des esclaves en
cas de meurtre du maître : 31, 377, 516
Phalangius : cf. Tanaucius Isfalangius
Philippa, destinataire d’un rescrit au sujet de la torture d’un
esclave en 293 : 450
L. Pituanius, mage précipité de la roche Tarpéienne en 16 ap. J.-C. :
636
Plancine : cf. Munatia Plancina
P. Plautius Hypsaeus, concurrent de Milon à la candidature au
consulat, accusé de corruption électorale en 52 av. J.-C. : 262, 277
Pline le Jeune (Caius Plinius Caecilius Secundus), gouverneur de
Bithynie durant ses assises, patronus au cours de procès à Rome : 300,
332-335, 343, 346, 348, 349-350, 397, 410, 414, 437-438, 468,
469-470, 768, 818-819, 841, 848-849, 861, 872
Pollenius Auspex, brillante carrière depuis le règne de Marc Aurèle
et les Sévères, sauve son neveu Sebennus accusé d’exactions lors de
son gouvernement du Norique sous Septime-Sévère : 295, 303
Pollenius Sebennus, instigateur de la dénonciation au sénat de
Baebius Marcellinus lors du procès (in absentia) contre Apronianus
Pedo, en 205 : 295, 303
Postumus Cominius Auruncus, consul (I) en 501 avec T. Larcius
consul (II) avec Spurius Cassius Vecellinus (futur adfectator regni), en
493 av. J.-C. : 56, 97
Pompée : cf. Cnaeus Pompeius Magnus
Pompeius Valens, maître d’Agricola, esclave soumis à la torture
selon un rescrit d’Hadrien : 382
Q. Pompeius Rufus, tribun de la plèbe en 52 av. J.-C. : 265
Q. Pompeius, orateur, intervient (en même temps que L. Memmius)
devant le tribunal instauré par la loi Varia en 90 av. J.-C. : 250
Pomponius, diacre portant assistance aux chrétiens incarcérés à
Carthage en 203 : 400, 401, 402
Q. Pomponius Atticus, ami de Cicéron : 276
Pontius, pris en flagrant délit d’adultère, castré par P. Cerrenius :
531
Pontius Cominus, soldat messager auprès du sénat réfugié sur
le Capitole pendant le siège gaulois de 390 av. J.-C. : 832
C. Poetelius Libo Visolus, dictateur en 313 av. J.-C. : 457
Sextus Pompeius, refuse de défendre Cn. Calpurnius piso en 20 ap.
J.-C. : 290
Pompeia, femme de César, soupçonnée d’avoir été « corrompue »
par P. Clodius Pulcher en 62 av. J.-C. : 527
L. Pomponius Flaccus, consul en 17 ap. J.-C. : 627
C. Popilius Laenas, consul (II) en 158 av. J.-C. : 173
M. Popilius Laenas, censeur en 158 : 173
M. Popilius Laenas, préteur, milieu en 142 av. J.-C. : 433
P. Popilius Laenas, consul en 132 (conduit, en même temps que son
collègue Rupilius, les enquêtes contre les partisans de Tiberius
Gracchus), exilé en 123, rappelé en 120 av. J.-C. : 233, 234, 253, 254,
832, 833
P. Popilius Laenas, tribun de la plèbe, précipite de la roche
Tarpéienne Sextus Lucilius en 88 av. J.-C. : 655, 661, 662
Popilius Pedo Apronianus, exécuté pour lèse-majesté en 205 : 294,
302-303
M. Porcius Cato (Caton l’Ancien, dit Le Censeur) : 55, 104, 135,
140, 278, 463, 502-503, 530, 633
M. Porcius Cato (Caton le Jeune ou Caton d’Utique) : 203, 257,
258, 262, 263, 272
Porcius Festus, procurateur de Judée de 59/60 à 62 : 845-846, 860,
864
P. Porcius Laeca, tribun dela plèbe en 193 av. J.-C. : 136
P. Porcius Laeca, triumvir monétaire en 110-109 av. J.-C. : 104, 136,
141
Postumius Albinus (Spurius), consul avec Q. Marcius Philippus lors
de la répression des bacchanales en 186 av. J.-C. : 216, 217, 218, 219,
222
(Aulus) Postumius Albinus Luscus, consul en même temps que
Cn. Calpurnius Piso en 180 av. J.-C. : 429
(Aulus) Postumius Albinus, fils du précédent, consul en 151 av. J.-C.,
empoisonné par sa femme Publilia (ou Publicia) : 430
Aulus Postumius Albus Regillensis, consul en 464 av. J.-C. : 229
M. Postumius Pyrgensis, publicain poursuivi et exilé en 212 av. J.-
C. : 153, 154, 155 169, 189, 731
Praetextatus, sénateur accusé de magie en 510-511 : 320, 329
Praetextatus, préfet de la Ville (367-368), destinataire d’une
constitution : 774
Primitivus, esclave ayant proféré des aveux contre lui-même et ses
supposés complices, objet d’un rescrit de Marc Aurèle et Lucius Verus :
383
Principius, préfet du prétoire, destinataire d’une constitution en
385 sur les poursuites capitales contre les membres de l’ordre
sénatorial : 777
Priscus, décurion, incendiaire et homicide, déporté dans une île
sous le règne de Lucius Verus et Marc Aurèle : 686
Priscus Attalus, désigné Auguste par Alaric fin 409, contre
Honorius : 788
(Sextus Claudius Petronius) Probus préfet du prétoire d’Illyrie,
d’Italie et d’Afrique (368-375) : 796, 799
Publicius Malleolus, matricide en 101 av. J.-C. : 668
Publilia (ou Publicia), empoisonneuse de son mari (A. Postumius
Albinus, filius) en 151 av. J.-C. : 430
Publicius Certus, délateur du règne de Domitien, accusateur
d’Helvidius Priscus en 93, menacé par Pline le Jeune en 96 : 469, 470
Publicius Marcellus, destinataire d’un rescrit d’Hadrien à propos de
la condamnation capitale d’une femme enceinte : 744
Q. Publilius, tribuns de la plèbe en 385 av. J.-C. : 230
Publilius Volero, menacé de la roche Tarpéienne en 473 av. J.-C. :
652
Pudens, sous-officier (miles optio), responsable de la prison de
Carthage en 203 : 402
Pullius, tribun de la plèbe en 248 av. J.-C., lance avec Fundanius
Fundulus une accusation de perduellio contre P. Claudius Pulcher, un an
après la défaite Drépane : 152

Quarta Hostilia, soupçonnée d’avoir empoisonné son mari le consul


de 180 av. J.-C. Cn. Calpurnius Piso : 429, 453, 458
Quietus, destinataire d’un rescrit de Caracalla, fils d’un condamné à
la mine : 823
Cn. Quinctilius Capitolinus, dictateur en 331 av. J.-C. : 425
(Caeso) Quinctius, fils de L. Quinctius Cincinnatus, poursuivi en
461 av. J.-C., s’exile avant la fin de son procès : 124, 163, 168, 178-
179, 184, 187, 188, 190, 191
T. Quinctius Flamininus, consul en 150 en même temps que M’
Acilius Balbus. Pline l’Ancien (7, 121) se trompe sur son prénom en
indiquant « Caius » au lieu de « Titus », mais dans ce passage la date
consulaire est fausse, car l’Aedes Pietatis a en fait été consacrée en 181
av. J.-C. par M’ Acilius Glabrio : 433.
T. Quinctius Capitolinus Barbatus, « proconsul » (selon Tite-Live)
en 464, questeur en 458 lors du procès contre M. Volscius Fictor, consul
(VI) en 439 av. J.-C. propose la désignation du dictateur Cincinnatus
contre l’adfectator regni Spurius Maelius : 144, 179, 229
L. Quinctius Cincinnatus, dictateur en 439 av. J.-C. : 130, 143-145,
148, 168, 188, 189, 246

C. Rabirius, accusé de haute trahison en 63 av. J.-C. : 107, 115-116,


124, 125, 133-134, 137, 257, 661, 869
L. Raecius, chevalier romain, négociant à Palerme durant la préture
de Verrès : 105, 138
Rémus (frère de Romulus) : 60
Revocatus, catéchumène arrêté et incarcéré à Carthage en même
temps que Vibia Perpetua en 203 : 399
Romulus, roi de Rome : 45, 52, 53, 60, 66, 76, 108, 117,
172, 192, 529, 530, 613, 614, 650, 658, 671, 725, 731, 732
Romulus Augustule, jeune empereur, déposé en 476 : 40, 328
C. Rubellius Blandus, consul (suffect) en 18 ap. J.-C., se range à
l’avis de L. Aemilius Lepidus au sénat en 21 ap. J.-C. : 739
Publius Rupilius, consul en 132 av. J.-C., conduit les enquêtes, avec
son collègue P. Popilius Laenas, contre les partisans de Tiberius
Gracchus : 233, 234, 237, 253, 254
P. Rutilius, tribun de la plèbe, auteur d’une consecratio bonorum,
accusateur des censeurs de l’année 169 av. J.-C. : 162
P. Rutilius Rufus, consul en 105, exilé de 92 à 78 av. J.-C. : 834
C. Sabinus Nymphidius, puni par Galba en même temps que
Fonteius Capito en 68 ap. J.-C. : 847

Salluste : cf. Caius Sallustius Crispus


Caius Sallustius Crispus, historien, pris en flagrant délit d’adultère
avec Fausta, fille de Sylla, tribun de la plèbe en 52 av. J.-C. : 142, 203,
266, 531-532
Salvius Marcianus, destinataire d’un rescrit d’Antonin le Pieux au
sujet de la punition d’un affranchi par testament : 766
Sassia, mère de Cluentius Habitus (Aulus) et de Cluentia : 486
Saturninus, catéchumène arrêté en même temps que Peprétue en
203 : 399
Saturninus, destinataire d’un rescrit de Philippe l’Arabe : 610
Saturus, rédacteur de la fin de la Passion de Perpétue et Félicité en
203 : 416
M. Saufeius, fils de Marcus, dirige l’assaut contre l’auberge où
s’était réfugié P. Clodius Pulcher, poursuivi pour violence en 52 av. J.-
C., d’abord en vertu de la loi Pompeia, puis en vertu de la loi Plautia :
274, 278
C. Scantinius Capitolinus, tribun de la plèbe en 226 av. J.-C., accusé
de stuprum par l’édile M. Claudius Marcellus : 460, 544, 547
Scapula Tertyllus, destinataire d’un rescrit de Marc Aurèle et
Commode relatif au furor d’Aelius Priscus : 717
Scipion l’Africain : cf. P. Cornelius Scipio Africanus
L. Scribonianus Libo, consul en 16 ap. J.-C., frère du suivant : 580,
584
M. Scribonius Drusus Libo, neveu de Scribonia, la seconde épouse
d’Auguste, poursuivi pour lèse-majesté l’année de sa préture, en 16 ap.
J.-C., plutôt que d’affronter son procès au sénat, il se suicide
le 13 septembre : 584, 636, 736-737
M. Seius, fils de Sextus, l’un des accusateurs de M. Saufeius, chef
des bandes de Milon en 52 av. J.-C. : 274
P. Seius Fuscianus, préfet de la Ville de 187 à 189, ami de Marc
Aurèle, juge de Calliste : 312, 325
Séjan : cf. L. Aelius Seianus
Sempronius Bassus, comes de Cn. Calpurnius Pison père, condamné
à l’interdiction de l’eau et du feu : 737
Tiberius Sempronius Gracchus, tribun de la plèbe en 133 av. J.-C.,
assassiné la même année : 19, 108, 114, 121, 124-125, 149, 157-
158, 195, 231-237, 240, 243, 252-254, 434, 464, 731, 833
Caius Sempronius Gracchus, tribun de la plèbe en 123 av. J.-C.,
assassiné en 121 av. J.-C. : 19, 114-115, 124-125, 149, 232-236, 240,
243, 255-256, 434, 464, 490, 833
Sempronius Musca, frappe C. Gallius surpris en flagrant délit
d’adultère : 531
Sempronia, sœur des Gracques, femme de Scipion Émilien (dit
« le second Africain » ou « le Numantin »), témoigne devant le peuple :
434, 464
Sempronia, fille de Tuditanus, bru de P. Clodius Pulcher, elle
témoigne au procès contre Milon en 52 av. J.-C. : 270
Sennius Sabinus, gouverneur d’une province incertaine,
destinataire d’un rescrit d’Hadrien au sujet de la torture des esclaves :
379-380
Septime-Sévère (193-211) : 23, 30, 294, 295, 304, 313, 314,
315, 316, 321, 323, 328, 329, 359, 381, 386, 387, 441, 443,
445, 448, 452, 506, 523, 539, 603, 640, 683, 685, 689, 708,
709, 751, 753, 758, 759, 810, 822, 852, 853, 878
Sergius, proscrit apparenté à L. Sergius Catilina, radié de la liste de
proscription début 42 av. J.-C. à l’initiative de Marc Antoine : 837
M. Sergius, fils de Sergius, accuse Trogus de crime capital devant
un questeur (après 242 av. J.-C.) : 179-180, 193
L. Sergius Catilina, principal chef de la conjuration de 63 av. J.-C. :
88, 108, 110, 123, 203 (exécution de ses complices), 238 (décret
du sénat), 257-258, 280, 455, 671, 767, 837
Sergia, patricienne, complice de Cornelia, produite sur le forum
parmi parmi les matrones empoisonneuses en 331 av. J.-C. : 425
Q. Servaeus, comes de Germanicus en Orient, accusateur, aux côtés
de Q. Veranius et P. Vitellius, contre Cn. Calpurnius Piso en 20 ap. J.-C. :
291, 293
Servandus : ainsi désigné par Paul Diacre, il s’agit probablement
d’Arvandus (cf. ce nom)
C. Servilius Ahala, maître de cavalerie (?), meurtrier de Spurius
Maelius en 439 av. J.-C. : 143-146, 148, 149, 163, 230, 831
P. Servilius Vatia Isauricus, consul en même temps que César en 48
av. : 259
P. Servilius Calvus, proconsul de Bithynie avant la légation de Pline
le Jeune dans la province : 819, 841
C. Servilius Glaucia, préteur en 100 av. J.-C., associé au tribun de
la plèbe L. Appuleius Saturninus dans une politique popularis et
victime de la repression sénatoriale : 133, 237, 256
Q. Servilius Priscus, l’un des deux questeurs, avec A. Cornelius,
accusateurs de M. Volscius Fictor la première année de son procès en
459 av. J.-C. : 178
Servius Quartus, destinataire d’un rescrit de Trajan, relatif à
la torture des esclaves : 381
Servius Tullius (roi de Rome) : 52, 408
Publius (ou Lucius) Sestius, patricien, un cadavre est découvert par
C. Iulius (décemvir) dans sa chambre en 451 av. J.-C. : 101, 102, 128
Sevère Alexandre (222-235) : 441, 443, 452, 453, 471, 478,
747, 749, 753, 878
Sextus Roscius Amerinus (pater), victime d’un meurtre à Rome :
485
Sextus Roscius Amerinus (filius), accusé de parricide, défendu par
Cicéron en 80 av. : 485, 486, 667, 766
Shapur Ier, Roi sassanide de 240 à 172 : 643
Sp. Sicinius, tribun de la plèbe en 492 av. J.-C., accusateur de
Coriolan (l’existence historique de ce personnage mentionné
seulement par Denys d’Halicarnasse est mal assurée) : 56, 652
Silas : 344, 844, 859
Sophocle : 559
Spurius Cassius Vecellinus (ou Viscellinus), consul en 502, 493, 486,
mis à mort (soit par son père, soit à l’issue d’un procès questorien)
pour adfectatio regni, en 485 av. J.-C. : 56, 74, 87, 126, 147, 173,
174, 175, 183, 184-185, 652, 660, 662, 814
Spurius Tarpeius, l’un des premiers Romains selon la légende, père
de Tarpeia, auquel Romulus aurait confié la garde du Capitole durant
la guerre contre les Sabins : 650, 658
Sisenna Statilius Taurus, consul en 16 ap. J.-C. : 580, 584
L. Statilius, complice de Catilina, exécuté dans le cachot le 5
décembre 63 av. J.-C. sur l’ordre de Cicéron : 203
Stilicon (359- 408) : 788
Strabo, fils de Séjan, exécuté en 31 ap. J.-C. : 712
(Sextus Attius) Suburanus Aemilianus, consul en 101 et 104, juge :
438
P. Suillius Rufus, délateur, contribue notamment à la condamnation
de Valerius Asiaticus en 47 ap. J.-C. : 301
C. Sulpicius Gallus, préteur en 169 av. J.-C. : 157
P. Sulpicius Rufus, marianiste, tribun de la plèbe en 88 av. J.-C. : 664,
725, 834
Servius Sulpicius Rufus, jurisconsulte, ami de Cicéron, interroi en
52 av. J.-C. : 235, 264
Sulpicia, tante du consul de 186 av. J.-C., Sp. Postumius Albinus :
218
Sylla : cf. Lucius Cornelius Sulla
(L. Aurelius Avianius) Symmachus (surnommé Phosphorius), préfet
de la Ville en 364-365 : 772, 774, 810
(Q. Aurelius) Symmachus (surnommé Eusebius), fils du précédent,
auteur des relationes, préfet de la Ville en 384-385 : 395
Symmaque, membre d’un iudicium quinqueuirale sous Théodoric :
320

Tanaucius Isfalangius, consulaire de Bétique entre 368 et 371,


reçoit l’appel et condamne à mort le jeune Lollianus : 884
Tarpeia, fille de Spurius Tarpeius, l’une des premières vestales, elle
aurait livré le Capitole aux sabins sous le règne de Romulus, selon
la légende : 649-650, 657-658
Tarquin le Superbe (roi de Rome) : 108, 116, 613, 650, 675
Tarquins (dynastie des rois étrusques) : 61, 86, 87, 171
P. Tarutenus Paternus, ami de Marc Aurèle, préfet du prétoire sous
son règne : 33
Flavius Eutolmius Tatianus, préfet du prétoire de 388 à 392,
destinataire d’un rescrit : 777
Q. Terentius Culleo, sénateur, prisonnier des Carthaginois, restitué
en 201 av. J.-C. : 111
D. Terentius Gentianus, consul suffect en 116, légat de Macédoine
entre 117 et 120, destinataire en 119 d’un rescrit d’Hadrien relatif au
déplacement des bornes (termini) : 612

M. Terentius Varro Gibba, défenseur (avec Cicéron) de M. Saufeius,


chef des bandes de Milon, accusé devant le tribunal de la loi Plautia sur
la violence en 52 av. J.-C. : 275
Tertius, diacre portant assistance aux chrétiens incarcérés à
Carthage en 203 : 400
Théodore, homme perfectissime, gouverneur d’Arabie, destinataire
d’un rescrit en 346 : 772
Théodora, destinataire d’un rescrit de Valérien et Gallien en 258 :
28, 444, 471
er
Théodose l’Ancien, général romain, père de Théodose I : 787
er
Théodose I (379-395) : 776, 777, 811, 826, 395, 541, 547,
549, 562, 700, 776, 777
Théodose II (408-450) : 37, 39, 40, 42, 406, 541, 548, 781,
816
(Publius Clodius) Thrasea Paetus, beau-père de Helvidius Priscus,
se suicide en 66 ap. J.-C. : 205, 469
Thuranius : cf. Toranius
Tibère (14-37) : 25, 160, 186, 289, 290, 292, 293, 299, 307,
320, 347, 369, 386, 409, 427, 468, 536, 537, 584, 634, 636,
639, 659, 687, 701, 712, 737, 739, 745, 747, 756, 801, 806,
816, 861, 867, 868, 870
Lucius Tiberianus, destinataire d’un rescrit de Lucius Verus et Marc
Aurèle, au sujet de la torture : 379
L. Tillius Cimber, sénateur, l’un des assassins de César : 838
L. Titius, préteur dans la cause d’Amesia de Sentinum : 435
Titus Tatius (roi de Rome) : 52, 613, 658, 725, 731
C. Toranius (filius), ami d’Antoine, dénonciateur de son père en
43 ap. J.-C. : 672
C. Toranius (pater), proscrit dénoncé par son fils : 672
Trajan (98-117) : 44, 300, 332, 335, 343, 349, 381, 382, 384,
386, 397, 414, 597, 638, 768, 797, 818, 819, 839, 840, 841,
848, 849, 872
Tribigild, général ostrogoth, s’associe à Gaïnas contre
le chambellan Eutrope, meurt en 400 : 787
Tricho, chevalier romain, tue son fils à coups de verges, sous
Auguste : 78
Tuditanus, père de Sempronia, la bru de P. Clodius Pulcher : 270
M. Tullius Cicero : 20, 69, 84, 86, 99-100, 116, 117, 118,
120, 123, 125, 128, 129, 132, 134, 135, 136, 137, 138, 139,
160, 163, 185, 186, 224, 249, 250, 251, 257, 261-275, 276,
279-286, 376, 485, 486, 487, 488, 490, 501, 512, 517, 528,
557, 572, 584, 609, 610, 632, 634, 665, 671, 673, 675, 693,
713, 730, 732, 733, 767, 815, 831, 833, 836, 860
Tullus Hostilius, roi de Rome : 60, 85, 91, 93, 124, 125, 126,
172
Turia, destinataire de la Laudatio Turiae, époque triumvirale : 436,
466, 471
T. Turpilius Silanus, préfet de la forteresse de Vaga, exécuté en
108 av. J.-C. : 112-113

Valens (364-378) : 710, 772, 774, 775, 795, 796, 798, 810,
826
Valentinien Ier (364-375) : 329, 398, 710, 712, 774, 795, 796,
798, 810, 842
Valentinien II (375-392) : 395, 541, 700, 775, 776, 777, 811,
826
Valentinus, promu dux d’Illyrie en 359, en compensation de sa mise
à la torture en 356 : 389
Valentina, destinataire d’un rescrit (non daté) de Sévère Alexandre
au sujet du tuteur de ses fils : 453
Valérien (253-260) : 337, 339, 351, 352, 355, 411, 444, 545,
643
C. Valerius (édile curule en 329 av. J.-C.) : 459
C. Valerius, accusateur de M. Saufeius devant la quaestio de ui en
52 av. J.-C. : 274
Decimus Valerius Asiaticus, accusé de lèse-majesté, il se suicide en
47 ap. J.-C. : 301, 468
P. Valerius Leo, accusateur de Milon, subscriptor de l’accusation
devant le tribunal pour brigue (quaestio de ambitu) : 262, 273
P. Valerius Nepos, accusateur de Milon devant la quaestio de ui en
52 av. J.-C. : 262
C. Valerius Potitus (ou Flaccus), consul avec M. Claudius Marcellus
lors de l’affaire des poisons en 331 av. J.-C. : 424
L. Valerius Potitus, maître de cavalerie en 331 av. J.-C. : 425
L. Valerius Potitus, consul en 449 av. J.-C. avec M. Horatius
Barbatus ; ils sont les promoteurs l’un et l’autre de la deuxième loi
(Valeria-Horatia) sur l’appel au peuple (prouocatio), il est aussi, selon
Tacite, l’un des premiers questeurs avec Mamercus Aemilius
Mamercinus en 446 : 95, 127, 171
L. Valerius Flaccus, consul en 100 av. J.-C. en même temps que C.
Marius : 237
L. Valerius, fils de Publius : sénateur, rédacteur du sénatus-consulte
sur les bacchanales (186 av. J.-C.) : 214
M. Valerius Corvus, consul (V) en 300 av. J.-C., rogator de la loi sur
la prouocatio : 103
Manius Valerius Volusi f. Maximus, « dictateur » (magister populi)
en 494 av. J.-C. : 98
Marcus Valerius M’. f. Volusi n. Maximus Lactuta, fils du précédent,
questeur en 458 av. J.-C., poursuit l’accusation de Volscius Fictor
engagée l’année précédente : 179
P. Valerius Leo, accusateur de Milon : 262, 273
Valerius Licinianus, exilé en Sicile sous Domitien : 739, 747
P. Valerius Nepos, accusateur de Milon : 262, 271
Valerius Ponticus, condamné pour praeuaricatio en 61 ap. J.-C. : 321
P. Valerius Publicola, consul en 509 av. J.-C. : 18, 69, 73-74, 94,
95, 96, 127, 175
Valerius Verus, destinataire d’un rescrit d’Hadrien relatif à
la confiance à accorder aux témoins : 360
Valeria Messalina (Messaline, impératrice) : 301, 468
(Petrus) Valvomeres, chef d’émeute arrêté à Rome en 355, exilé
puis exécuté dans le Picenum : 318-319, 328
P. Vedius Pollio, ami d’Auguste, il livrait ses esclaves aux murènes
pour les punir : 515-516
(Locrius) Verinus, vicaire d’Afrique (318-321), destinataire d’une
constitution en 318, dernière attestation du supplice du parricide :
670
Lucius Verus, règne conjoint avec Marc Aurèle, désignés après leur
mort comme « les divins frères » (161-168) : 361, 379, 380, 381,
383, 685, 670, 682, 719, 729, 761, 762, 807, 820
Vespasien (69-79) : 638, 671
Vibius Varus, légat de Cilicie, destinataire d’un rescrit d’Hadrien
relatif à la confiance à accorder aux témoins : 359, 368
Vibia Perpetua : 303, 350, 354, 399-403, 413, 415-418, 419,
625, 861
er
Victor I , évêque de Rome (189-199) : 312
L. Villius Tappulus, édile de la plèbe, engage (avec son collègue
M. Fundanius) un procès contre des matrones en 213 av. J.-C. : 428
Marcus Vipsanius Agrippa : 323, 501, 635
Visellius Karus, comes de Cn. Calpurnius Pison père, condamné à
l’aqua et igni interdictio en 20 ap. J.-C. : 737
P. Vitellius, comes de Germanicus en Orient, accusateur (avec Q.
Servaeus et Q. Veranius) de Cn. Calpurnius Piso en 20 ap. J.-C. : 289,
291, 293
Vitellius (avril-décembre 69) : 638
Vitellia, belle-mère de P. Petronius, produite comme témoin devant
la cour sénatoriale en 21 ap. J.-C. : 737-738
Q. Veranius, comes de Germanicus en Orient, accusateur, aux côtés
de Q. Servaeus et de P. Vitellius, contre Cn. Calpurnius Piso en 20 ap. J.-
C. : 289, 291, 293
Vibienus, inflige la castration à Carbo Attienus surpris en flagrant
délit d’adultère : 531
P. Vinicius, refuse de défendre Cn. Calpurnius Piso en 20 ap. J.-C. :
290

Ulpianus Damascenus, remet une pétition à Caracalla pour pouvoir


transmettre une partie de ses biens à sa mère condamnée à
la deportatio : 753
Verrès : cf. C. Licinius Verres
Virius Gallus, consul en 298 : 340
Viventius (Rufus Viventius Siscianus Gallus), préfet de la Ville en
366-367 : 775, 826
Umbricia, matrone, reléguée sous Hadrien pour sévices envers ses
esclaves : 511
Q. Voconius Naso, préside le tribunal en 66 av. J.-C. lors du procès
contre Cluentius Habitus : 486
Q. Voconius Saxa Fidus, destinataire d’un rescrit de Lucius Verus et
Marc Aurèle relatif à l’aveu d’un esclave : 383
Volcacius Tullinus (ou Tertullinus), poursuivi comme complice lors
du procès de Lepida devant le sénat en 65 ap. J.-C. : 847
M. Volscius Fictor, porte un faux témoignage au procès contre
Quinctius Caeso en 461 av. J.-C. : 124, 178-179, 183, 184, 187-193,
583
Volusianus, membre d’un iudicium quinqueuirale sous Théodoric :
320
C. Ceonius Rufius Volusianus : père du jeune Lollianus exécuté en
370 : 328, 883
Urbana, destinataire d’un rescrit sur la torture des esclaves en 286 :
450
Ursa, destinataire d’un rescrit sur un arrangement contraire à
la disciplina publica en 290 : 442-443

Zénobie de Palmyre (240-275) : 644


Zoroastre : 643
Index des toponymes

Afrique proconsulaire : 303, 678, 696


Ager Teuranus : 216, 224, 226
Akkad : 631,
Alexandrie (Égypte) : 44, 437, 630, 644, 645
Algide (Mont) : 247
Alpes : 356
Altinum : 773
Andros : 746
Anio : 55
Ankara : 814
Antioche : 351, 399, 444, 790
Appenins : 596
Aquitaine : 356
Arabie : 44, 772
Ardée : 222, 831, 832
Aréopage : 865
Aricie : 263, 278
Ariminum (act. Rimini) : 259
Arménie : 786
Asie (province) : 234, 294, 303, 335, 336, 343-345, 346, 350,
692, 868
Asie mineure : 868
Assyrie : 631

Bétique : 27, 479, 480, 482, 491, 510, 593, 597, 598, 858,
884
Beyrouth : 791
Bithynie et Pont : 332, 346, 350, 397, 414, 768, 818, 841,
848, 872
Bovillae : 263, 270, 277
Bretagne : 356, 797, 798, 839
Brindes : 241, 260
Bruttium : 226, 773
Buruni (act. Sûk-el-Khmis) : 873

Cabillunum : 771
Calabre : 224-226
Cambodge : 675
Campanie : 107, 161, 210, 220, 222, 226, 251, 609, 775
Capoue : 131, 156, 226
Carthage : 88, 111, 140, 151, 160, 161, 206, 209, 226, 246,
337, 342, 350-353, 399, 414, 415, 418, 419, 461, 503, 670,
693, 694, 788
Césarée : 415, 845, 846, 859, 860
Chaldée : 304, 626, 627, 630-632, 634, 636, 637, 641, 767
Chersonèse (cité) : 783, 791
Cilicie : 359, 368, 698
Cisalpine : 226, 258, 259, 277
Clermont : 306
Compsa : 104, 105, 137, 138, 860, 874
Constantinople : 12, 571, 599, 778, 780, 781, 784, 791, 805,
816
Corfou : 393
Crotone : 226
Ctésiphon : 643, 645
Curubis (act. Korba, Tunisie) : 337, 338, 351, 352
Cyclades : 639, 746
Cyzique : 870

Dacie : 762
Danube : 699
Drepanum (act. Drépane) : 151, 152, 167

Égypte : 44, 46, 241, 516, 560, 613, 623, 625, 644, 723,
746, 761, 769
Épire (act. Albanie) : 625
Espagne : 44, 112, 140, 160, 161, 291, 357, 483, 596, 714,
761, 835
Étrurie : 189, 216, 217, 296
Eudoxiopolis : 783

Flavia Neapolis (act. Naplouse) : 324

Gadès : 110, 118, 140, 874


Gaule, Gaules : 44, 240, 258, 277, 296, 297, 304, 308, 356,
410, 639, 644, 883
Germanie : 240, 699, 797, 798, 872
Germanie inférieure : 847, 871
Grèce : 86, 109, 344, 502, 516, 529, 613, 633
Gyaros : 746

Hadrumète : 770, 856, 857


Heraclea : 405
Héraclée : 376, 377, 449, 451
Hippone : 560

Illyricum, Illyrie : 258, 290, 356, 389, 507, 701, 776, 799,
801, 806
Inde : 643
Israël (Antiquité) : 621, 623
Italie : 71, 88, 105, 131, 160, 171, 209, 218, 220, 222, 223,
225-227, 245, 245, 246, 249, 250, 259, 262, 313, 315, 323,
327, 356, 454, 479, 488, 537, 558, 596, 597, 622, 623, 634-
638, 640, 644, 727, 741, 762, 769, 776, 788, 799, 806, 636,
844

Jérusalem : 44, 845, 846, 859-861, 863, 871

Kelenderis : 698

Latium : 15, 110, 113


Lavinium : 179, 277, 731
Lesbos : 736
Locres : 226
Loire : 297
Lucanie : 226, 773
Luciona : 446
Lycie : 869, 870
Lyon (Lugdunum) : 37, 296, 350, 415, 872
Lyonnaise (Gallia Lugdunensis) : 627, 639, 872
Lyttos (Crète) : 393
Macédoine : 360, 368, 436, 761
Marseille : 259, 274, 280, 287
Maurétanie : 787
Maurétanie Tingitane : 356, 357
Medullia : 61
Mésopotamie : 496, 512, 568, 581, 631, 632, 643
Messine : 105, 106, 136, 140, 874
Métaponte : 226
Milan : 411, 810
Mysie : 44, 678

Naissus (act. Nish) : 773


Neapolis (act. Naples) : 158
Nicée (Bithynie) : 791, 848
Nicomédie : 348, 450, 540
Nil : 644
Norique : 303
Numance : 112
Numidie : 248, 342

Oasis (Grande) (en Égypte) : 761, 769


Océanie : 675
Ostie : 326, 327, 717
Otriculum : 788

Palerme : 105
Palmyre : 644
Philippes (colonie) : 344, 844, 859, 871
Picenum : 319, 328, 611
Polynésie : 675
Pouzzoles : 513

Rhodes : 736, 870


Rome :
Aedes Apollinis in Palatio : 301, 868
Aedes Bellonae : 214
Aedes Cereris, Liberi et Liberae : 69, 103
Aedes Dianae Auentinae : 514
Aedes Fidei Publicae (Populi Romani) : 231
Aedes Iouis Optimi Maximi Capitolini (temple de Jupiter Capitolin) :
614
Aedes Iunonis Monetae (= aedes Monetae) : 187, 654
Aedes Martis : 408
Aedes Pietatis : 433
Aedes Saturni : 181
Aedes Telluris : 173, 174, 176, 177
Aedes Veneris prope circum : 426
Aedes Vestae : 609
Aerarium : 181, 183, 197, 250, 270, 271, 737
Ara Iani Curiati : 94
Ara Iunonis : 94
Area capitolina (place du Capitole) : 153, 297
Armentaria publica : 237
Arx : 180, 230, 654
Atrium Libertatis : 285
Atrium Mineruae : 542
Atrium regium : 609
Basilica Porcia : 278
Carinae : 176
Campus esquilinum : 637
Campus Martius (Champ de Mars) : 16, 60, 107, 163, 166, 180,
194, 195, 207, 252, 653, 654
Capitolium : 148, 153, 157, 180, 197, 228, 230, 231, 232,
233, 254, 276, 296, 297, 307, 408, 409, 466, 610, 613, 649,
650, 653, 654, 658, 659, 663, 664, 767, 832
Carcer (cachot de Rome) : 155, 165, 196, 198, 203, 204, 206,
211, 236, 253, 254, 307, 407, 408, 409, 466, 659, 704, 739
Centum Gradus : cf. Scalae Gemoniae
Circus Maximus : 328
Columnia maenia : 201, 202, 211
Comitium : 58, 60, 205, 211, 659, 662, 663
Curia Hostilia : 278, 300, 301
Curia Iulia : 278
Domus Flauia : 301
Forum boarium : 72
Forum Cupedinis : 186
Forum Holitorium : 409
Forum Iulium : 278, 301
Forum Romanum : 278
Forum Suarium : 315
Gradus Monetae : 409
Insula serpentis Epidaurii : cf. Insula Tiberina
Insula Tiberina : 307, 516
Lapis Niger : 58, 60
Lautumiae : 206, 408, 608-609
Macellum : 186
Officina Monetae : 654
Palatium : 276, 300, 301, 302, 369, 467, 637, 868
Palus Caprae : 60
Pila Horatia : 92
Pomerium : 92, 93, 131, 135, 138, 163, 239, 251, 277, 692,
865
Pons Milvius : 324, 411
Porta Capena : 91
Porta Esquilina : 202, 636, 637
Porta Flumentana : 653
Porta Fontinalis : 186, 802
Rostrae : 180, 219, 265, 278
Sacellum Sanci : 237
Sacer Mons : 55, 67
Saxum Tarpeium : 254, 575, 636, 649-665
Scalae Gemoniae : 292, 299, 307, 409, 659, 687, 704, 712
Septizonium, Septizodium, Septisolium : 318, 328
Septimontium : 649
Sepulcrum Romuli : 60
Stadium Domitiani : 419
Subura : 190
Tabula Valeria : 211
Tabularium : 157, 610
Theatrum Marcelli : 433
Tigillum sororium : 93
Tiber : 81, 219, 237,
Tullianum : 203, 254, 408
Via sacra : 608
Volcanal : 60
Vrbs : 12, 138, 147, 181, 206, 277, 323, 328, 468, 588, 624
Padoue : 279, 393
Palestine : 324
Perse : 351, 559, 629, 631, 632, 639, 643-645
Pisaurum (act. Pesaro) : 486
Praeneste (act. Palestrina) : 158
Pruse de l’Olympe (en Bithynie) : 848
Pyrgi : 153, 154, 169, 189, 731

Ravenne : 258, 319, 329, 331, 407, 782, 788


Reims : 775
Rhin : 507, 699, 701
Rubicon : 239, 240, 244, 251, 259, 277

Samnium : 71
Samos : 736
Sardaigne : 312, 327, 429, 771
Sentinum : 435
Serdica : 405, 754
Sextus (domaine de), environs de Carthage : 338, 339
Sicile : 20, 104, 106, 160, 376, 408, 623, 739, 747
Sinope : 393
Sirmium : 447, 452, 472, 799
Smyrne : 413
Sumer : 631
Syracuse : 609
Syracuse (Latomies) : 105, 408
Syrie : 293, 301, 324, 570, 694, 697, 699, 761, 762, 806
Syros (île des Cyclades) : 628, 639

Tanger : 341, 356-358, 411


Tarente : 226
Tarquinia : 157
Thébaïde : 644
Thessalonique : 79, 811
Tibur : 158
Tiriolo : 214, 223-225
Trafalgar : 245
Trèves : 358, 770, 776, 797, 856, 857

Vaga : 112, 113, 139, 142


Veies : 831, 832
Vérone : 776
Via Appia : 263, 264, 276-278, 283, 487
Via Flaminia : 788
Vibo Valentia : cf. Ager Teuranus
Vienne : 224, 350, 415
Index des sources

Figurent en caractères gras les renvois aux pages où les passages cités
font l’objet d’une traduction.

SOURCES BIBLIQUES
Ancien Testament

Genèse
1, 26 : 792

Exode
20, 16 : 526, 581, 588, 589, 928
21, 17 : 526, 623
21, 18-19 : 928
21, 20-21 : 512
22, 1 : 595, 995
22, 3 : 595
22, 2-3 : 568
22, 5 : 605
22, 16-17 : 526
Lévitique
20, 10 : 526
20, 13 : 542

Nombres
35, 16 : 480
35, 17 : 480
35, 18 : 481
35, 19 : 481
35, 20 : 480
35, 21 : 480
35, 22-25 : 481

Deutéronome
18, 10-14 : 630
19, 14 : 613
19, 16-20 : 581
19, 16-20 : 589
19, 21 : 581
24, 7 : 623

Nouveau Testament

Actes des Apôtres

16, 35-39 : 844


22, 25-29 : 845
22, 27-28 : 140
25, 1-12 : 845
26, 30-32 : 846
26, 32 : 864

Épîtres

Épître aux Romains


1, 26-27 : 542

Première épître aux Corinthiens


6, 9 : 542

SOURCES LITTÉRAIRES
Aelius Aristide

Éloge de Rome
37-38 : 877

Ammien Marcellin

14, 11, 12 : 884


15, 3, 11 : 420
15, 7, 1-5 : 318
18, 3, 5 : 389
19, 12, 7 : 420
27, 3, 8-9 : 328
28, 1, 26 : 858
28, 1, 31 : 799
29, 2, 3 : 800
29, 6, 9-11 : 799

Appien

Les guerres civiles à Rome


1, 31 : 726
1, 67 : 243
1, 244-245 : 251
2, 16, 117 : 838
2, 48 : 835
3, 1, 9 : 664
4, 16, 61 : 687
4, 16, 63 : 837
4, 18 : 672
4, 16, 63 : 837
4, 37, 158 : 837
4, 45, 193 : 837
5, 66, 278-279 : 241, 260

Livre Numidique
fr. 3 Gouk. : 113, 139

Q. Asconius Pedianus

Commentaire au plaidoyer Pour Milon


p. 30-37 ; 45-46 Stangl : 261-275

Discours pour Cornelius au sujet de la majesté


p. 58 Stangl : 250
p. 61 Stangl : 136

Augustin

La cité de Dieu
3, 17, 2 : 426

Aulu-Gelle : voir Gellius

Cassiodore

Variae
1, 42 : 301
4, 22, 1-4 : 319-320

Cassius Dion

4, 17, 8 : 659
7, 13 : 173
7, 26, 1 : 186
37, 27 : 115-116
37, 42, 2 : 258
37, 43, 1 : 258
37, 43, 3 : 238
38, 17, 7 : 734
40, 54, 2 : 279
40, 54, 3 : 280
41, 1, 3-4 : 239
41, 36, 2 : 835
42, 23, 2 : 259
42, 24, 2 : 836
43, 27, 2 : 636
44, 50 : 664
45, 25, 2 : 836
46, 15, 2 : 836
46, 7, 2-3 : 279
46, 31, 2 : 260
46, 44, 4 : 260
46, 47, 4 : 260
47, 6 : 703
48, 33, 1 : 241
48, 33, 3 : 260, 241
49, 29, 3 : 259
49, 43, 4 : 635
51, 19, 6-7 : 865
52, 22, 5 : 865
52, 33, 1 : 864
52, 36, 3-4 : 635
53, 13, 7 : 861
54, 7, 6 : 870
54, 23, 1-4 : 515
55, 5, 4 : 385
56, 24, 7 : 866
56, 25, 5 : 635
56, 27, 2-3 : 735
57, 20, 3-4 : 467
57, 22, 5 : 737, 746
57, 22, 5 : 320
57, 24, 6 : 870
58, 11, 5 : 712
58, 15, 2-3 : 659
60, 17, 5 : 860
61, 33, 3b : 637
60, 24, 4 : 870
64, 2, 3 : 847
66, 9, 2 : 638
76, 16, 4 : 321, 539
77, 8, 1-7 : 294
77, 9, 1-3 : 294
78, 9, 5 : 875

Caton

Origines
4, 4 (dans Priscien, Institutiones Grammaticae, 6, p. 254 Hertz) : 503

Catulle

88 : 558-559

César

La guerre d’Alexandrie
24, 2 : 694

La guerre civile
1, 5 : 239
1, 7, 5-7 : 240
3, 1, 4-5 : 571
3, 110, 4 : 694

La guerre d’Espagne
7, 4 : 694

La guerre des Gaules


1, 23, 2 : 694

Cicéron

De l’invention
2, 149 : 666

Brutus
34, 128 : 833
89, 304 : 250

Pour Roscius d’Amérie


42 : 46
71-72 : 667

Contre Q. Caecilius, dit Diuinatio


50 : 201

Verrines
2, 1, 108 : 584
2, 3, 152 : 282
2, 5, 13 : 110
2, 5, 160-163 : 104
Pour Cluentius
21, 51 : 488
37-39 : 202
42 : 486
54, 148 : 488
144-157 : 490
147 : 488
176 : 486
181 : 486

Sur la loi agraire


2, 29 : 132

Pour C. Rabirius, accusé de haute trahison


3, 8 : 107
4, 11-13 : 107
19 : 487
7, 20 : 237

Catilinaires
1, 3 : 143
4, 6 : 517

Discours au peuple après son retour


4 : 833
7, 17 : 833

Sur sa maison
43-44 : 99
77 : 77
78 : 724
78 : 730
86 : 163, 831
87 : 833
134 : 557

Sur les réponses des haruspices


6 : 276
55 : 250

Pour Sestius
29-30 : 767
65 : 100
109 : 833

Contre Pison
15, 35 : 833

Pour Plancius
14, 33 : 248

Pour Milon
9 : 572
11 : 487
25 : 277
59 : 663
59-60 : 285
62-63 : 286
Philippiques
1, 9, 23 : 283
2, 22 : 487
2, 98 : 836
5, 11 : 836
5, 12, 31 : 252
8, 4, 13-14 : 232

Lettres aux familiers


10, 32, 3 : 118
11, 16 : 767

Lettre à Atticus
4, 3, 5 : 276
14, 15, 1 : 665
14, 16, 2 : 665

Lettres à Brutus
12 : 815

Des termes extrêmes des biens et des maux


1, 7, 23 : 87

De la vieillesse
56 : 144

De l’amitié ou Laelius
37 : 233

Des paradoxes des Stoïciens


31 : 487

De la nature des dieux


2, 7 : 152
3, 74 : 611

De la République
1, 40, 62-63 : 116
2, 36, 61 : 101
2, 53 : 134
2, 54 : 94
2, 60 : 174

Des lois
2, 15, 37 : 216
3, 19 : 713
3, 6 : 118
3, 11 : 100
3, 44 : 100

Cyprien

Correspondance
76 : 353
77, 2, 1 : 352

Denys d’Halicarnasse

Antiquités Romaines
2, 10, 3 : 52
2, 15 : 67
2, 25, 6-7 : 530
2, 26, 4 et 6 : 76
2, 27 : 67
2, 38, 3 : 658
2, 53, 1 : 725
2, 56 : 650
2, 74, 2-4 : 54, 615
3, 22, 3 : 126
3, 22, 4 : 126
4, 62, 4 : 675
5, 19, 3-5 : 69, 96
5, 19, 4 : 73, 134
6, 89, 3 : 56
7, 17, 5-6 : 57
7, 35, 4 : 652, 660
7, 35, 5 : 659
7, 59, 1-2 : 150
7, 59, 10 : 164
7, 65, 1 : 150, 163
8, 21 : 830
8, 77, 1-2 : 175
8, 78, 3-5 : 175
8, 78, 5 : 652, 659
8, 79, 1-4 : 175
8, 80, 1 : 175, 814
8, 80, 2-3 : 814
9, 23, 3 : 164
9, 27, 2-3 : 164
9, 39, 4 : 652
9, 54, 1 : 164
10, 5, 2 : 189
10, 7, 2 : 191-192
10, 7, 5-6 : 191
10, 8, 3 : 189
10, 31, 3-4 : 653
11, 6 : 653
11, 46, 3-4 : 165
12, 4, 2 : 143
20, 13, 2 : 515

Eusèbe de Césarée

Histoire ecclésiastique
4, 16, 7 : 325
5, 1, 44 : 872
5, 1, 47 : 873
5, 1, 50-52 : 873

Vie de Constantin
4, 25 : 791

Festus

p. 3 Lindsay : 726
p. 5 Lindsay : 53
p. 20 Lindsay : 527
p. 25 Lindsay : 528
p. 61 Lindsay : 736
p. 67 Lindsay : 573
p. 104 Lindsay : 577
p. 158 Lindsay : 674
p. 184 Lindsay : 61
p. 190 Lindsay : 674-675
p. 204 Lindsay : 98
p. 216 Lindsay : 98
p. 228 Lindsay : 433
p. 236 Lindsay : 694
p. 247 Lindsay : 170
p. 254-255 Lindsay : 460
p. 260 Lindsay : 52
p. 266 Lindsay : 104
p. 309 Lindsay : 200
p. 310 Lindsay : 171
p. 348 Lindsay : 758
p. 352 Lindsay : 254
p. 364 Lindsay : 649
p. 380 Lindsay : 93
p. 422-424 Lindsay : 54
p. 462-464 Lindsay : 133
p. 468 Lindsay : 196
p. 490 Lindsay : 408
p. 496 Lindsay : 503
p. 505 Lindsay : 53, 189, 615
p. 519 Lindsay : 189
p. 462-464 Lindsay : 54
Flavius Josèphe

Antiquités Judaïques
19, 4, 4 : 385

Frontin

Stratagèmes
4, 1, 20 : 102

Gellius (Aulu-Gelle)

3, 3, 15 : 198-199
3, 14, 19 : 140
4, 14, pr.-6 : 431
5, 19, 9 : 77
5, 19, 10 : 463-464
10, 3, 19 : 226
10, 6, 1-4 : 428
10, 23, 4-5 : 530
11, 18, 8 : 651, 702
17, 18 : 531-532
17, 21, 24 : 661
20, 1, 7-8 : 583
20, 1, 39-40 : 57
20, 1, 42-44 : 248
20, 1, 53 : 651

Granius Licinianus
36, 25-30 : 252

Hippolyte

Refutatio
9, 12, 7-12 : 312-313

Histoire Auguste

Vie d’Hadrien
12, 5 : 717
18, 7 : 518

Vie d’Antonin le Pieux


8, 1 : 669

Vie d’Auidius Cassius


4, 6 : 698

Vie de Septime Sévère


15, 5 : 304

Vies des trente tyrans


22, 8 : 211

Homère

Iliade
23, 85 : 678

Isidore

Étymologies
10, 7 : 595

Origines
3, 27 : 633
5, 27, 24 : 503
15, 6, 2 : 786

Jean le Lydien

Des magistratures de l’État romain


1, 26, 2-4 : 172

Jérôme

Lettres
24, 32 : 790
77, 3 : 571
130, 7 : 788

Chronique
p. 163-164 Helm : 635
p. 190-192 Helm : 638

Justin
Apologie
1, 12, 1 : 325
1, 12, 3-4 : 325

Juvénal

Satires
2, 29-33 : 548

Lactance

Institutions divines
2, 9, 23-24 : 729
5, 11 : 571
7, 5, 6 : 793

Livius (Tite-Live)

Ab Vrbe condita
1, 11, 6 : 658
1, 11, 8 : 658
1, 26, 2-14 : 91-93
1, 26, 9 : 86, 573
1, 55, 2 : 613
1, 55, 6 : 614
2, 8, 1-2 : 95
2, 8, 2 : 69
2, 18, 3-4 : 97
2, 18, 4 : 130
2, 18, 8-9 : 97
2, 33, 1-3 : 56
2, 35, 2-3 : 151, 164
2, 35, 6 : 151, 660
2, 40, 11 : 829
2, 41, 10-11 : 174
2, 52, 5 : 164
2, 54, 8 : 164
2, 61, 2-3 : 164
3, 3, 6 : 246
3, 3, 8 : 246
3, 4, 9 : 229
3, 5, 3-4 : 229
3, 5, 14 : 229
3, 11, 8 : 188
3, 11, 9 : 188
3, 13, 3 : 190
3, 13, 8 : 189
3, 13, 8-9 : 189
3, 20, 6-7 : 138
3, 24, 3-7 : 178
3, 25, 1-3 : 178
3, 27, 2 : 246
3, 29, 6 : 178
3, 32, 7 : 68
3, 33, 9-10 : 102
3, 55, 4-7 : 102
4, 13, 10-14 : 144-146
4, 14, 1-7 : 144-146
4, 15, 1-4 et 8 : 144-146
4, 26, 3 : 71
4, 26, 11-12 : 246
4, 32, 1 : 247
5, 46, 10-11 : 832
6, 2, 9 : 247
6, 7, 1 : 247
6, 19, 1-7 : 230
6, 20, 10-14 : 653
7, 1, 4 : 247
7, 3 : 456
7, 6, 12 : 247
7, 9, 6 : 247
7, 28, 3 : 247
7, 41, 4 : 69
8, 7 : 86
8, 18, 1-13 : 424-425
8, 22, 2-4 : 459
9, 7, 7-9 : 247
9, 26, 5-8 : 131
9, 28, 2 : 457
9, 28, 6 : 457
9, 38, 1 : 164
9, 38, 15 : 132
9, 39, 1 : 132
9, 39, 5 : 71
10, 4, 1-2 : 247
10, 9, 4 : 103
10, 21, 3 : 247
10, 21, 6 : 247
10, 31, 8-9 : 426
10, 38, 2-3 : 71
10, 38, 10-11 : 72
10, 38, 12 : 72
22, 57 : 72
22, 61, 11 : 226
23, 1-5 : 226
24, 20, 6 : 662
24, 44, 10 : 88
25, 1, 6-12 : 197
25, 2, 9 : 428-429
25, 3, 12-4, 11 : 153
25, 4, 2-6 : 831
25, 7, 14 : 663
26, 2, 7 : 155
26, 3, 1 : 155
26, 3, 5-12 : 155
26, 26, 9 : 246
26, 27, 1 : 608
26, 27, 5 : 609
29, 18, 1 : 249
30, 16, 10 : 693
30, 16, 15 : 693
30, 37, 3 : 693
30, 43, 11 : 111
30, 43, 13 : 111
31, 19, 2 : 693
32, 26, 17 : 206
34, 1, 5 : 462
34, 1, 6-7 : 463
34, 2-4 : 463
34, 2, 11 : 463
37, 51, 5 : 133
38, 11, 4 : 694
38, 38, 7 : 694
38, 59, 10 : 254
39, 8, 3 : 224
39, 8, 1-8 : 216-223
39, 9, 1 : 216-223
39, 14, 3-10 : 216-223
39, 15, 1 : 216-223
39, 16, 12-13 : 216-223
39, 17, 1-7 : 216-223
39, 18, 1-9 : 216-223
39, 19, 1-3 : 216-223
39, 19, 7 : 216-223
39, 8, 7-8 : 544
39, 9, 1 : 223
39, 14, 7 : 225
39, 14, 8 : 544
39, 18, 4 : 544
39, 29 : 596
39, 41 : 596
40, 19, 8-10 : 454
40, 37, 4-7 : 429
40, 42, 9 : 133
40, 44, 6 : 454
43, 16, 8 : 162
43, 16, 9-15 : 157
Abrégés
11 : 208
19 : 160
19, 8-9 : 427
48, 12-13 : 430
55 : 111
57, 1 : 112
57, 4 : 112
68 : 668
77 : 664
80 : 662
127 : 240, 260

Lucain

Pharsale
2, 17-18 : 251

Lucilius

Satires
29 Cichorius (= 787 Marx) : 724

Lucrèce

De la nature des choses


5, 727 : 632

Macrobe
Saturnales
1, 11, 7 : 386
1, 16, 4 : 166
3, 7, 5-8 : 51

Orose

Histoires contre les païens


5, 1, 8 : 83
5, 19, 6 : 664
10, 1-3 : 455

Ovide

Fastes
1, 261 : 658
2, 640 : 614
2, 655 : 614
2, 670 : 614
4, 791-2 : 726

Pontiques
3, 3, 53 : 529
1, 3, 63 : 834

Paul Diacre

Histoire romaine
15, 2 : 308
Pétrone

Satyricon
97, 3 : 577

Philon d’Alexandrie

Contre Flaccus
151-191 : 746

Plaute

Aulularia
3, 2, 414-423 : 199

Epidicus
348-351 : 666
Persa
62-76 : 199

Pseudolus
213-214 : 674
303-304 : 671

Truculentus
759-762 : 200

Pline l’Ancien
1, 20, 4 : 486
7, 14 : 528
7, 36 : 755
7, 69 : 755
7, 44, 143 : 654
7, 121 : 432
7, 136 : 110
8, 145 : 409
9, 39 : 515
18, 3, 12 : 702
28, 63 : 456
30, 1, 1 : 639
30, 4, 13 : 639
34, 7, 13 : 173, 179
34, 15 : 173
34, 30 : 173

Pline le Jeune

Lettres
4, 11, 1-3 : 739
7, 6, 7-13 : 437
9, 13, 2 : 469
9, 13, 3 : 469-470
9, 13, 15 : 470
9, 13, 16 : 470
10, 56, 64 : 818
10, 57, 65 : 818
10, 74 : 348
10, 81, 85 : 848-849
10, 82, 86 : 849
10, 96, 1-10 : 332-334
10, 97 : 335

Panégyrique de Trajan
35, 2 : 839

Plutarque

Caius Gracchus
3, 7 : 195
18, 1 : 243
35, 3-4 : 233
38, 6 : 234

Caton le Jeune
26, 2 : 258

César
37, 2 : 835

Cicéron
32, 1 : 727, 734
35, 2-4 : 280

Coriolan
18, 3 : 660
29, 4-5 : 830
Marcellus
2, 5-8 : 460

Marius
8, 3-5 : 113
29, 9-12 : 726
35, 4 : 251
45, 3 : 662

Publicola
11, 3 : 73
12, 1-2 : 74

Romulus
13, 8 : 53
17 : 658
18, 1 : 650
22 : 66
22, 3 : 530
22, 4-5 : 671

Tiberius Gracchus
16, 1 : 114
19, 3-5 : 231
20, 4-5 : 237

Sylla
8, 6 : 251
10 : 664
Polybe

1, 52, 2-3 : 151


6, 13, 4 : 227
6, 14, 6-8 : 158

Priscien de Césarée

Institutiones Grammaticae
6, p. 254 Hertz : 503

Properce

Élégies
4, 4 : 658

Quintilien

Institution oratoire
5, 7, 9 : 367
6, 1, 15-17 : 504
6, 1, 17-18 : 679
11, 1, 12 : 834

Pseudo-Asconius

Dans la Diuinatio contre Q. Caecilius


7, 24, p. 194 Stangl : 201
50, p. 201 Stangl : 201

Pseudo-Dosithée

Hermeneumata
16, p. 390 Goetz : 668

Pseudo-Quintilien

Déclamations
279 : 531
310 : 529
313 : 308, 378

Rhétorique à Herennius

1, 23 : 668
2, 28, 45 : 725
4, 25, 35 : 504

Salluste

La conjuration de Catilina
1, 29 : 238
31, 7 : 236
43 : 671
51, 20-24 et 37-41 : 108
55 : 203
69, 4 : 112
Scholies de Cicéron

Scholia Ambrosiana
Commentaire à Cicéron, Catilinaires, 4, 10, p. 271 Stangl : 115

Scholia Bobiensia
Commentaire à Cicéron, Discours pour Plancius, 14, 33, p. 158 Stangl :
248
Commentaire à Cicéron, Discours contre Clodius et Curion, p. 90
Stangl : 152

Scholia Gronoviana
Commentaire à Cicéron Catilinaires, 3, 10, p. 289 Stangl : 114
Commentaire à Cicéron, Discours pour Sextus Roscius Amerinus, 71,
p. 310 Stangl (schol. D) : 667

Sénèque le philosophe

De la colère
1, 16, 5 : 656
3, 3, 6 : 140
18, 3-6 : 697
40, 2-5 : 515

De la clémence
1, 15, 1 : 78

Des bienfaits
6, 37 : 834
Lettres
108, 31 : 117

Sénèque le rhéteur

Controverses
1, 3, 3-5 : 655
4, pr., 10 : 547
7, pr., 9 : 675

Servius

Commentaire à l’Énéide
6, 609 : 58
8, 1, 547 : 225, 228
12, 119 : 730

Servius et Phylargyr
Commentaire aux Géorgiques
3, 408 : 596

Sidoine Apollinaire

Lettres
1, 7 : 296

Suétone
César
2, 67, 3 : 527
6, 2, 3 : 527
12 : 115
41, 1 : 835

Auguste
24, 5 : 698
32, 1 : 347
66, 2-3 : 241
66, 3 : 260

Tibère
2, 6 : 160
2, 7 : 427
25, 2 : 701
33, 2 : 867
35, 1 : 536
37, 1 : 347
37, 3 : 870
58, 1 : 868
61, 5 : 712

Claude
12, 1 : 839
17, 3 : 839
25, 4 : 516, 870
25, 7 : 637

Galba
11, 2 : 872

Sulpice Sévère

Chroniques
1, 17, 5-20, 1 : 569

Symmaque

Relationes
49 : 395

Tacite

Vie d’Agricola
2, 1 : 205

Dialogue des orateurs


36, 7 : 366

Histoires
1, 7, 2 : 872
1, 22, 2 : 638
2, 62, 4 : 638

Annales
1, 16-49 : 507
1, 72, 13 : 868
1, 75, 1 : 867
2, 27, 2 : 636
2, 30, 3 : 386
2, 31, 3 : 636
2, 32, 3 : 636
2, 50, 1 : 536
2, 50, 3 : 537
2, 79, 1 : 868
3, 10, 1 : 696
3, 10, 3 : 868
3, 10-19 : 289
3, 12, 7 : 868
3, 13, 2 : 500
3, 23, 2 : 747
3, 38, 2 : 747
3, 49, 1-2 : 437
3, 49-51 : 737
3, 50, 4 : 747
3, 68, 2 : 747
4, 28-29 : 672
4, 29, 2 : 254
4, 36, 2-3 : 870
5, 9, 1-2 : 704
6, 18, 1 : 747
6, 30, 1 : 747
11, 1-4 : 301
11, 2, 1 : 301
11, 4, 1 : 301
11, 22, 4-6 : 171
12, 6, 7 : 562
12, 8, 1 : 558
12, 22, 1 : 637
12, 22, 2 : 637, 806
12, 22, 3 : 807
12, 42, 3 : 747
12, 52, 3 : 637
14, 41 : 321
14, 42, 2 : 517
14, 42-45 : 518
14, 45 : 517
16, 8, 2-3 : 847
16, 12, 1 : 747

Tertullien

Apologétique
2, 6 : 349
2, 8 : 347
9, 16 : 559
9, 17-18 : 559
19, 3-4 : 569
21, 1 : 569
45, 4 : 569

Aux Nations
1, 19 : 325

De l’idolâtrie
9, 1-7 : 641
9, 2 : 640

Sur les spectacles


18, 1 : 792

Tite-Live : voir Livius

Valère-Maxime

1, 3, 3 : 634
2, 5, 3 : 426
3, 2, 17 : 231
3, 8, 6 : 434
4, 1, 1 : 134
4, 7, 1 : 234
5, 4, 7 : 432
5, 8, 2 : 177
6, 1, 7 : 460
6, 1, 10 : 204
6, 1, 13 : 531
6, 3, 1a-c : 186
6, 3, 1d : 235
6, 3, 8 : 430
6, 5, 7 : 664
8, 1, abs. 4 : 153
8, 1, 4 : 427
8, 1, dam. 5-6 : 204
8, 1, 7 : 460
8, 3, pr.-1 : 435
8, 3, 2 : 435
8, 3, 3 : 436
8, 101, 8, 1 amb. 1 : 433
9, 12, 6 : 236

Varron

Économie rurale
1, 40, 2 : 528
2, 10 : 596

La langue latine
5, 41 : 649
5, 81 : 170
5, 151 : 408
6, 68 : 139
6, 90-92 : 179

Velleius Paterculus

2, 3, 1 : 231
2, 7, 4 : 236
2, 24, 2 : 655, 662
2, 45 : 116
2, 76 : 260

Virgile

Énéide
6, 817-825 : 87

Zonaras
4, 15 : 70
7, 25 : 68

Zosime

1, 42, 2 : 791
5, 10, 4 : 787

SOURCES ÉPIGRAPHIQUES
CIL
I2 1 (Lapis Niger) : 58, 60-61
I2, 581 (inscription de Tiriolo) : 214
I2, 606 (= CRAWFORD 1996, I, p. 459 ; inscription de Venafro) : 734
VI, 1527 (Laudatio Turiae) = ILS, 3893, l. 1-12 : 436
VI, 1672 a-b : 884
VIII, 10570 (= ILS, II, 1, 6870 = FIRA, no103 ; décret de Commode au
sujet du domaine de Buruni) : 873
Edictum de accusationibus (ICret, I, 188, 1 = CIL, III, 12034 ; CIL, V, 2781,
1-30 ; CIL, III, 578 ; CIL, III, 12133 ; AE, 1957, 158 ; HABICHT-KUSSMAUL
1986) : 390-393
Lex libitina Puteolana, l., 8-10 (HINARD-DUMONT 2003) : 514

Lex repetundarum de 123 av. J.-C (CRAWFORD 1996, I, p. 67, l. 19) : 375
Lex repetundarum (CRAWFORD 1996, I, p. 70-71, l. 55-56) : 376
Senatus-consultum de Pisone patre (ECK-CABALLOS-FERNANDEZ 1996 = Année
Épigraphique, 1996, no 885) : 302, 468, 696, 737, 746, 801, 816
Table d’Héraclée (LEGRAS 1907, p. 27-28, l. 110-120 et p. 107-
141 = CRAWFORD 1996, I, p. 367, l. 120) : 377
Traité romano-lycien de 46 av. J.-C. (SCHULER 2007, l. 34-37) : 869-
870

SOURCES JURIDIQUES
Douze Tables
Avertissement : la numérotation des versets suit ici un ordre
conventionnel devenu traditionnel [HUMBERT 2018 p. 8-22]. Pour accéder au
texte et au commentaire des versets numérotés autrement à l’issue d’un
nouvel effort de palingénésie proposé il y a un quart de siècle, le lecteur se
reportera préalablement à la table des concordances de cette édition
[CRAWFORD 1996, II, p. 576].

3, 1 : 248
4, 2a (Pseudo-Gaius d’Autun, 4, 85-86) : 77, 83, 89
4, 2 : 81
5, 7 : 720
6, 1 : 81
7, 2 : 616
7, 4 : 616
7, 5 : 616
8, 1 : 485, 527, 635
8, 2 : 394, 499, 501
8, 3 : 499, 501
8, 4 : 499, 501, 527
8, 5 : 527
8, 6 : 607
8, 7 : 607
8, 9 : 64, 702, 712
8, 10 : 57, 495, 605, 607
8, 12 : 572, 573
8, 13 : 572, 573
8, 14 : 575, 651, 702, 712, 713
8, 15 : 576
8, 15 b : 577
8, 22 : 365
8, 23 : 485, 582, 651
8, 24 : 484, 607
8, 25 : 484
9, 1-2a-b : 99
9, 1-2b : 283
9, 2 : 122
9, 2a : 62
9, 3 : 485, 582, 583
9, 4 : 171

Gaius

Institutes
1, 25-27 : 748
1, 52 : 78, 79
1, 55 : 78, 79
1, 62 : 562
1, 89-90 : 740
1, 128 : 741
1, 159-161 : 740
3, 109 : 714
3, 186-187 : 376
3, 197 : 574
3, 224 : 507

Code de Justinien

1, 4, 7 : 790
2, 12, 18 : 472
2, 34, 1 : 709
3, 3, 2 : 881
3, 11, 1 : 881
3, 42, 5 : 695
5, 4, 17 : 563
5, 5, 6 : 565
5, 16, 24 : 754
5, 17, 1 : 753
6, 24, 1 : 755
7, 16, 40 : 881
7, 53, 8 : 881
7, 62, 1 : 852
7, 62, 6 : 853, 881
7, 62, 12 : 855
8, 46, 10 : 79
9, 1, 5 : 441
9, 1, 11 : 610
9, 1, 12, pr.-1 : 442
9, 2, 8 : 349
9, 2, 10 : 442
9, 3, pr.-1 : 404
9, 4, 2 : 405
9, 4, 3 : 406
9, 8, 3 : 393
9, 8, 5 : 812
9, 8, 6, pr.-1 : 609
9, 8, 6, 2-4 : 809
9, 9, 1 : 443
9, 9, 8 : 443
9, 9, 18 : 444
9, 9, 29 (30) : 540
9, 12, 1 : 445
9, 14, 1 : 317
9, 15, 1 : 710
9, 16, 5 : 709
9, 17, 1 : 670
9, 18, 2 : 642
9, 18, 3 : 330
9, 20, 4 : 445
9, 20, 6 : 445
9, 20, 7 : 623
9, 20, 10 : 446
9, 20, 11 : 446
9, 22, 14 : 447
9, 22, 19 : 447
9, 22, 22 : 395
9, 32, 1 : 448
9, 32, 3 : 448
9, 32, 6 : 449
9, 33, 4 : 449
9, 35, 9 : 449
9, 41, 1, pr.-2 : 387-388
9, 41, 7 : 450
9, 41, 13 : 450
9, 42, 1 : 451
9, 45, 3 : 790
9, 45, 5 : 451
9, 46, 2 : 452
9, 47, 4 : 452
9, 47, 16 : 770
9, 47, 17 : 771
9, 47, 18 : 772
9, 47, 20 : 776
9, 47, 22 : 814
9, 47, 23 : 782
9, 47, 24 : 783
9, 49, 7 : 796
9, 49, 8 : 811
9, 49, 9 : 805
9, 51, 1 : 823
9, 51, 2 : 823
9, 51, 4 : 454
10, 10, 3 : 795
10, 19, 2 : 403
11, 44 (43), 1 : 792
12, 57, 1 : 342
Code théodosien

2, 8, 23 : 422
3, 12, 1 : 562
3, 12, 2 : 563
3, 12, 3 : 565
4, 8, 6, pr.-1 : 79
7, 8, 7 : 788
7, 8, 9 : 788
7, 18, 4, 1 : 701
8, 4, 2 : 342, 349
8, 5, 1 : 349
9, 1, 13 : 305
9, 3, 1 : 404
9, 3, 2 : 405
9, 3, 3 : 406
9, 3, 7 : 406, 422
9, 5, 1 : 393
9, 7, 2 : 540
9, 7, 6 : 549
9, 7, 9 : 788
9, 12, 1 : 317, 520
9, 12, 2 : 520
9, 13, 1 : 710
9, 14, 3 : 812
9, 16, 1 : 330
9, 16, 6 : 388
9, 16, 10 : 329, 826
9, 18, 1 : 623
9, 19, 2 : 395
9, 34, 1 : 398
9, 34, 2 : 398
9, 34, 3 : 398
9, 34, 4 : 398
9, 34, 7 : 398
9, 38, 3 : 423
9, 38, 3 : 423
9, 38, 6 : 826
9, 40, 1 : 770
9, 40, 2 : 771
9, 40, 3 : 771
9, 40, 4 : 772
9, 40, 5 : 772
9, 40, 6 : 773
9, 40, 7 : 773
9, 40, 8 : 774
9, 40, 9 : 774
9, 40, 10 : 774
9, 40, 11 : 775
9, 40, 12 : 775
9, 40, 13 : 776
9, 40, 14 : 777
9, 40, 15 : 777
9, 40, 16, pr.-2 : 778
9, 40, 17 : 779
9, 40, 18 : 780, 814
9, 40, 19 : 781
9, 40, 20 : 781
9, 40, 21 : 782
9, 40, 22 : 782
9, 40, 22-24 : 410
9, 40, 23 : 783
9, 40, 24 : 783
9, 42, 6 : 810
9, 42, 7 : 796
9, 42, 8 : 811
9, 42, 15 : 805
9, 42, 16 : 788
9, 42, 19 : 788
9, 45, 2 : 787
9, 45, 3 : 787
10, 9, 1 : 795
10, 10, 2 : 396
10, 10, 12 : 396
11, 7, 3 : 403
11, 30, 2 : 785, 855
11, 30, 57 : 790
11, 36, 1 : 785, 856
15, 12, 1 : 792
15, 14, 13 : 788
16, 2, 32 : 790
16, 2, 33 : 790
16, 8, 5 : 516
16, 9, 1 : 516

Collatio legum
tit. 1 : 475
1, 2 : 482
1, 2, 1 : 490, 491
1, 2, 2 : 483
1, 3 : 482
1, 3, 1 : 487, 571
1, 6, 1 : 491
1, 7, 2 : 483
1, 11 : 482
1, 12, 1 : 550
tit. 2 : 493
2, 2 : 508
2, 5, 1 : 498, 502
2, 5, 4 : 503, 504
2, 5, 5 : 499
2, 6, 1 : 507
2, 6, 3 : 507
2, 7, 1 : 508
tit. 3 : 510
3, 3, 6 : 515
tit. 4 : 521
4, 2, 1 : 533
4, 2, 2 : 532
4, 2, 3 : 533, 534
4, 2, 5 : 533, 534
4, 2, 6 : 533
4, 2, 7 : 533
4, 3, 1 : 534
4, 3, 2-4 : 534
4, 3, 5-6 : 535
4, 4 : 533
4, 4, 1 : 539
4, 4, 2 : 538
4, 5 : 533
4, 5, 1 : 538
4, 6 : 533
4, 7 : 533
4, 8 : 76
4, 8, 1 : 82, 89, 535
4, 9, 1 : 533
4, 10, 1 : 534
4, 10, 1 : 535.
4, 11 : 533
4, 12, 1 : 533
4, 12, 2 : 533
4, 12, 3 : 534
4, 12, 5 : 535
4, 12, 7 : 535
4, 12, 8 : 533
tit. 5 : 541
5, 2 : 548
5, 3, 1 : 549
5, 3, 2 : 549
tit. 6 : 551
6, 4 : 561
6, 4, 2 : 560
6, 4, 3 : 565
6, 6, 1 : 550
6, 7, 1 : 550
tit. 7 : 566
7, 1, 1 : 550
7, 1-3 : 572
7, 2, 1 : 578
7, 3 : 578
7, 5, 1-6 : 575
7, 5, 2 : 574
tit. 8 : 579
8, 2 : 585
8, 4 : 585
8, 4, 1 : 571
8, 5 : 586
8, 6 : 582
8, 7 : 584
tit. 9 : 587
9, 1 : 581
9, 2 : 589
9, 2, 2 : 589
9, 3, 1 : 591
9, 3, 3 : 589
9, 3, 2-3 : 591
tit. 11 : 592
11, 2 : 598
11, 3 : 598
11, 4 : 598
11, 5 : 598
11, 6 : 598
11, 7, 2-4 : 600
11, 8 : 598, 599
tit. 12 : 601
12, 2 : 607
12, 5 : 607, 610
12, 6 : 605
tit. 13 : 612
tit. 14 : 621
14, 2, 1 : 624
14, 2, 2 : 571
14, 2, 3 : 624
14, 3, 1 : 625
14, 3 2 : 625
14, 3, 3 : 861
14, 3, 4 : 624
14, 3, 5 : 624
14, 3, 6 : 550
tit. 15 : 626
15, 1, 5 : 639
15, 2, 1 : 636, 640, 736, 746, 767
15, 2, 2 : 642

Digeste

1, 1, 1 : 481
1, 1, 1, 4 : 807
1, 1, 11, pr.-1 : 807
1, 2, 2, 2 : 18
1, 2, 2, 16-18 : 96
1, 2, 2, 22-23 : 171
1, 2, 2, 28-30 : 196
1, 4, 1, pr.-1 : 26
1, 4, 3 : 840
1, 5, 7 : 804
1, 5, 18 : 744
1, 6, 2 : 507
1, 12, 1 : 313
1, 13, 1, pr.-1 : 172
1, 15, 1 : 205
1, 15, 3, 1-2 : 506
1, 15, 5 : 316
1, 15, 5 : 607
1, 16, 11 : 506
1, 18, 13, 1 : 719
1, 18, 14 : 717
1, 18, 21 : 543
2, 4, 4, pr.-1 : 714
2, 4, 10, 6 : 825
2, 12, 2 : 507
4, 4, 16, pr.-1 : 828
4, 4, 24, 4 : 828
4, 4, 37, 1 : 546
4, 6, 22, 2 : 714
6, 1, 60 : 714
8, 2, 5 : 714
9, 2, 5, 2 : 703
10, 1, 13 : 680
11, 3, 2 : 543
11, 4, 1, 2 : 348
11, 4, 4 : 344
11, 8, 2 : 66
12, 5, 4, pr.-1 : 546
16, 3, 31, pr.-1 : 749
18, 6, 12 : 607
21, 1, 23, pr.-1 : 543
21, 1, 23, 2 : 707
22, 5, 1 : 362
22, 5, 3, pr.-6 : 359
22, 5, 3, pr.-1 : 367
22, 5, 3, 1 : 368
22, 5, 3, 2 : 368
22, 5, 3, 3 : 368
22, 5, 3, 4 : 368
22, 5, 3, 5 : 589
22, 5, 3, 6 : 368
22, 5, 4 : 438-439, 591
22, 5, 21 : 362
22, 5, 25 : 363
23, 2, 43, 1 : 546
24, 1, 66, 1 : 733
24, 3, 22, 7 : 721
24, 3, 66, pr.-1 : 235
26, 10, 1, 8 : 506
26, 10, 3, 16 : 483
28, 1, 8, pr.-4 : 741
28, 2, 11 : 79
28, 2, 29, 5 : 731
28, 3, 6, 5-13 : 849
29, 1, 1, pr.-1 : 880
29, 5, 1, 32-33 : 704
29, 5, 3, 11 : 723
32, 1, 2-5 : 750
32, 1, 4 : 316
32, 1, 5 : 824
34, 5, 5, pr.-1 : 819
35, 1, 104 : 824
36, 1, 18, 5 : 751
37, 1, 13 : 742, 731
37, 4, 1, 9 : 824
38, 10, 4, 11 : 745
43, 16, 1, 43 : 505
43, 24, 11, 7 : 505
44, 7, 30 : 840
47, 1, 3 : 14
47, 2, 1, pr.-1 : 575
47, 2, 1, 3 : 574
47, 8, 2, 19 : 705
47, 8, 4, 7 : 505
47, 9, 1, 2 : 210
47, 9, 9 : 606
47, 9, 12, 1 : 483
47, 10, 3, pr.-1 : 705
47, 10, 3, 1-4 : 499
47, 10, 5, pr-1 : 509
47, 10, 5, 5 : 508
47, 10, 25 : 543
47, 10, 35 : 508
47, 10, 40 : 822
47, 11 : 30
47, 11, 6, pr.-1 : 483
47, 12, 3, 1 : 706
47, 14, 1, 3 : 599
47, 14, 2 : 597
47, 14, 3, 3 : 597
47, 17 : 43
47, 18, 1, 1 : 505
47, 18, 2 : 505
47, 20, 4 : 729
47, 21, 1 : 618
47, 21, 2 : 618
47, 21, 3, pr.-2 : 619
47, 22, 4 : 680
47, 23, 6 : 439
48, 1, 2 : 728, 731, 742
48, 1, 12, pr.-1 : 728
48, 2, 1 : 439
48, 2, 2, pr.-1 : 440
48, 2, 8 : 440
48, 2, 13 : 441
48, 3, 3 : 399
48, 3, 6 : 335
48, 3, 14 : 691
48, 5, 6, 1 : 545
48, 5, 9, pr.-1 : 546
48, 5, 10, 2 : 546
48, 5, 13 (12) : 544-545
48, 5, 14 (13), 7 : 545
48, 5, 35, 1 : 546
48, 6, 3, 4 : 547
48, 6, 7 : 843
48, 6, 8 : 844
48, 8, 1 : 610
48, 8, 1, pr.-1 : 487, 605
48, 8, 1, pr.-1 : 490
48, 8, 1, pr.-3 : 488-489
48, 8, 1, 1 : 583-584, 488
48, 8, 1, 3 : 492
48, 8, 1, 3, pr.-3 : 489-490
48, 3, 3 : 399
48, 8, 3, pr.-3 : 490
48, 8, 3, 1-4 : 490
48, 8, 1, 5 : 483
48, 8, 3, 5 : 483
48, 8, 4, 1 : 491
48, 8, 4, 2 : 517
48, 8, 5 : 517
48, 8, 11, pr-2 : 517
48, 8, 12 : 707, 719
48, 8, 16 : 729
48, 9, 5 : 78, 505
48, 9, 9, pr.-2. : 669, 720
48, 10, 16, 1 : 584
48, 10, 22, pr.-1 : 707
48, 10, 33 : 729
48, 13, 3 : 731, 744
48, 16, 1, pr.-14 : 370, 441
49, 16, 3, pr.-22 : 689
49, 16, 3, 19
49, 16, 6, 7 : 718
48, 18, 1, pr.-27 : 379-384
48, 18, 1, 13 : 386
48, 18, 1, 16 : 386
48, 18, 1, 17 : 389
48, 18, 1, 19 : 386
48, 18, 1, 22 : 386
48, 18, 8 : 384
48, 18, 8, pr.-1 : 505
48, 18, 10 : 363
48, 18, 10, 1 : 388
48, 18, 15, pr.-1 : 708
48, 18, 16 : 728
48, 19, 1, 3 : 24
48, 19, 2, 1 : 744, 731
48, 19, 4 : 766, 822
48, 19, 5, 2 : 492
48, 19, 6, pr.-1 : 681
48, 19, 6, 1 : 682
48, 19, 6, 2 : 682
48, 19, 8, pr.-1 : 682
48, 19, 8, 2 : 687, 695
48, 19, 8, 7 : 410
48, 19, 8, 9 : 410, 688
48, 19, 8, 1 : 211
48, 19, 8, 1-3 : 682
48, 19, 8, 2 : 687, 695
48, 19, 8, 4-13 : 683
48, 19, 8, 7 : 410
48, 19, 8, 9 : 410
48, 19, 9, pr-10 : 763
48, 19, 9, 11-16 : 765
48, 19, 16, pr.-10 : 676
48, 19, 13 : 24
48, 19, 16, 4 : 678
48, 19, 16, 5 : 679
48, 19, 16, 6 : 505
48, 19, 16, 7 : 679
48, 19, 16, 8 : 680
48, 19, 17, 1 : 752
48, 19, 18, 2 : 608
48, 19, 20 : 802
48, 19, 25, 1 : 657
48, 19, 27, pr.-1 : 820
48, 19, 28, 3 : 708
48, 19, 28, 12 : 605
48, 19, 28, 13-14 : 758
48, 19, 31, pr.-1 : 729
48, 20, 5, 1 : 750
48, 20, 6 : 794-795
48, 20, 7, pr.-5 : 803
48, 20, 7, 4 : 808
48, 20, 7, 2 : 808
48, 22, 6, pr.-2 : 685
48, 22, 6, 1 : 316
48, 22, 7-19 : 760
48, 22, 11 : 765
48, 22, 15, pr.-1 : 752
48, 22, 16 : 753
48, 22, 18, pr.-1 : 753
48, 23, 1 pr.-1. : 825
48, 23, 2 : 825
48, 24, 1 : 687
48, 24, 1 : 687
48, 24, 2 : 753
49, 1, 7 : 853
49, 2, 1, 1 : 877
49, 6, 1, pr.-1 : 882
49, 16, 3 : 358
49, 16, 3, pr.-22 : 689-691
49, 16, 3, 19 : 507
49, 16, 4, 13 : 700
49, 16, 6, 7 : 718
50, 1, 15, pr.-1 : 821
50, 2, 2, pr.-1 : 821
50, 4, 18, 7 : 345
50, 7, 18 (17) : 727
50, 13, 5, pr.-1 : 31
50, 13, 5, pr-3 : 759
50, 13, 5, 1-3 : 743
50, 16, 101, pr.-1 : 546
50, 16, 106 : 882
50, 16, 233, pr.-1 : 375
50, 17, 108 : 706
50, 17, 111, pr.-1 : 706

Novelles
22, 13 : 745

Pseudo-Gaius d’Autun

4, 85-86 : 77, 83

Pseudo-Ulpien

Livre unique des Règles, 11, 12 : 743


Livre unique des Règles, 20, 14 : 749

Sentences de Paul

5, 21, 1 : 641
5, 23, 1 : 490
5, 26, 1 : 843
5, 26, 3 : 610, 734, 735
5, 29, 3 : 388

Sirmondiennes

Sirm. 4 : 516
SOURCES MARTYROLOGIQUES
Actes des saints Justin Chariton Charitès Evelpistos, Hiérax, Paion,
Liberianus et de leurs compagnons :
309

Actes de Cyprien :
337

Actes de Marcellus :
340

Actes de Pionos de Smyrne


12, 1 : 413

Passion de Perpétue et Félicité


2, 1-3 : 399, 417
3, 1 : 417
3, 5-6 : 417
4, 5 : 416
6, 1-6 : 418
8, 1 : 418
10, 15 : 416
15, 2 : 418
15, 7 : 416

SOURCES NUMISMATIQUES
RRC, 301/1, I, p. 313-314 ; II, planche XL (denier de Porcius Laeca) :
couverture, 104, 141

SOURCES PAPYROLOGIQUES
BGU, II, 511, col. II : 437
BGU, II, 628 (= PURPURA 2012, p. 523-534, col. II, l. 2-9) : 844, 876
Gnomon de l’idiologue, 23 (GIRARD-SENN 1977, p. 531-532) : 560
P. Rylands Greek 469 : 645
LA ROUE À LIVRES

PARUS
AGATHIAS Guerres et malheurs du temps sous Justinien
ALAIN DE LILLE La plainte de la nature (De Planctu Naturae)
LEON BATTISTA ALBERTI De la famille
ALCIPHRON Lettres de pêcheurs, de paysans, de parasites et
d’hétaïres
ALEXANDRE LE GRAND ET LES BRAHMANES PALLADIOS D’HÉLÉNOPOLIS,
Les Mœurs des brahmanes de l’Inde suivi de Correspondance
d’Alexandre et de Dindime (Anonyme)
APPIEN Les guerres civiles à Rome (Livre I. Marius et Sylla) Les
guerres civiles à Rome (Livre II. César et Pompée) Les guerres
civiles à Rome (Livre III. Antoine et Octave) Les guerres civiles à
Rome (Livre IV) Les guerres civiles à Rome (Livre V)
ARRIEN L’Art tactique. Histoire de la succession d’Alexandre
ARRIEN & OPPIEN D’APAMÉE Art de la chasse. Cynégétiques.
ARRIEN, Cynégétique suivi de OPPIEN D’APAMÉE, Cynégétique
BARTOLE DE SASSOFERRATO Traités : Sur les guelfes et
les gibelins - Sur le gouvernement de la cité - Sur le tyran
BÈDE LE VÉNÉRABLE Histoire ecclésiastique du peuple anglais
(Tome I. Conquête et conversion) Histoire ecclésiastique du peuple
anglais (Tome II. Miracles et missions)
BOÈCE La consolation de philosophie
CALLISTHÈNE (Pseudo-) Le roman d’Alexandre. La vie et les hauts
faits d’Alexandre de Macédoine
LA CHANSON DE ROLAND
CHRONIQUE DE MORÉE
CICÉRON De la divination La nature des dieux
CONSTANTIN LE GRAND Lettres et discours
CTÉSIAS Histoires de l’Orient
DENYS D’HALICARNASSE Les origines de Rome (Les antiquités
romaines. Livres I et II)
DIODORE DE SICILE Naissance des dieux et des hommes
(Bibliothèque historique. Livres I et II) Mythologie des Grecs
(Bibliothèque historique. Livre IV)
DION CASSIUS Histoire romaine (Livres 40-41. César et Pompée)
Histoire romaine (Livres 57-59. Tibère et Caligula)
DION DE PRUSE Ilion n’a pas été prise. Discours « troyen » 11
LE DOSSIER SAINT LÉGER
ÉLIEN Histoire variée La personnalité des animaux (Tome I. Livres I
à IX) La personnalité des animaux (Tome II. Livres X à XVII et
index)
ESQUISSE DE LA KABBALE CHRÉTIENNE
EUMATHIOS Les amours homonymes
EUSÈBE DE CÉSARÉE Chronique I
GALIEN L’âme et ses passions
GEOFFROY DE MONMOUTH Histoire des rois de Bretagne
e
GEORGES ACROPOLITÈS Chronique du XIII siècle. L’empire grec de
Nicée
GERVAIS DE TILBURY Le livre des Merveilles. Divertissement pour
e
un Empereur (3 partie)
HÉRODIEN Histoire des empereurs romains de Marc Aurèle à
Gordien III (180 ap. J.-C. - 238 ap. J.-C.)
HÉROS, MAGICIENS ET SAGES OUBLIÉS DE L’ÉGYPTE ANCIENNE
Une anthologie de la littérature en égyptien démotique
HIÉROCLÈS D’ALEXANDRIE Commentaire sur les Vers d’or
des Pythagoriciens. Traité sur la Providence
JACOPONE DA TODI Laudes
JAMBLIQUE Vie de Pythagore
JEAN CHRYSOSTOME & JEAN DAMASCÈNE Figures de l’évêque idéal
JORDANÈS Histoire des Goths
LES JUIFS PRÉSENTÉS AUX CHRÉTIENS Textes de Léon de Modène
et de Richard Simon
JULIUS VICTOR, L’Art rhétorique ~ PSEUDO-AUGUSTIN, Sur
la rhétorique
DIEGO DE LANDA Relation des choses du Yucatán (1566) suivi de
DIEGO LÓPEZ DE COGOLLUDO, Histoire du Yucatán (1660)
LETTRES POUR TOUTES CIRCONSTANCES Les traités épistolaires du
Pseudo-Libanios et du Pseudo-Démétrios de Phalère
LUCIEN Comment écrire l’Histoire
MACROBE Les saturnales (Livres I-III)
JEAN DE MANDEVILLE Voyage autour de la Terre
NICOLAS MARTONI & OGIER D’ANGLURE Vers Jérusalem.
Itinéraires croisés au XIVe siècle
MAXIME DE TYR Choix de conférences. Religion et philosophie
MAXIMIEN Élégies, suivies de l’Appendix Maximiani et de
l’Épithalame pour Maximus d’ENNODE DE PAVIE
JÉRÔME MÜNZER Voyage en Espagne et au Portugal (1494-1495)
NAISSANCE DE LA BIBLE PSEUDO-ARISTÉE, Lettre d’Aristée à
Philocrate suivi de ÉPIPHANE DE SALAMINE, Traité des poids et mesures
et de Témoignages antiques et médiévaux
LE NOUVEAU MONDE Récits de Amerigo Vespucci, Christophe
Colomb, Pierre Martyr d’Anghiera
OVIDE Les fastes
PHILOSTRATE La galerie de tableaux Vies des sophistes. Lettres
érotiques
LE POGGE Un vieux doit-il se marier ?
PROCOPE DE CÉSARÉE Histoire des Goths (2 volumes sous coffret)
Histoire secrète Guerre contre les Vandales (Guerres de Justinien,
Livres III et IV)
LE ROMAN D’YSENGRIN
ROMANS DE CHEVALERIE DU MOYEN ÂGE GREC
SATIRES ET PARODIES DU MOYEN ÂGE GREC
SEXTUS EMPIRICUS Contre les logiciens
TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN (comédie anonyme de la fin du
e
XVIII siècle, traduite du yiddish amstellodamois)

LORENZO VALLA La donation de Constantin


VIE D’ABERCIUS. VIE DE POLYCARPE Deux biographies légendaires
d’évêques du IIe siècle
VIE D’ÉSOPE Livre du philosophe Xanthos et de son esclave Ésope.
Du mode de vie d’Ésope
XÉNOPHON Constitution des Lacédémoniens – Agésilas – Hiéron
suivi de PSEUDO-XÉNOPHON, Constitution des Athéniens
JOSEPH BEN MÉÏR IBN ZABARA Le Livre des Délices. Sefer
Cha’Achouïm

Documents
ALEXANDRE LE GRAND. LES RISQUES DU POUVOIR
CHRONIQUES MÉSOPOTAMIENNES
LES CITÉS DE L’OCCIDENT ROMAIN
CONQUÉRANTS & CHRONIQUEURS ESPAGNOLS EN PAYS MAYA (1517-1697)
I. Découvertes
CONQUÉRANTS & CHRONIQUEURS ESPAGNOLS EN PAYS MAYA (1517-1697)
II. Conquêtes
LES CULTES ISIAQUES DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN
ÉLOGES GRECS DE ROME
HISTOIRE DU DROIT PÉNAL ROMAIN DE ROMULUS À JUSTINIEN
INSCRIPTIONS HISTORIQUES GRECQUES
RÉCITS INÉDITS SUR LA GUERRE DE TROIE
JEAN GOBI Dialogue avec un fantôme
LIBANIOS Lettres aux hommes de son temps

Corpus aristotélicien
DU CIEL
PROBLÈMES MÉCANIQUES - DES LIGNES INSÉCABLES
DES COULEURS - DES SONS - DU SOUFFLE
DU MONDE - POSITIONS ET DÉNOMINATIONS DES VENTS - DES PLANTES
Cette édition électronique du livre
Histoire du droit pénal romain
a été réalisée le 5 février 2021
par Nord Compo.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 978-2-251-45156-5).
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