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* Cette étude a fait l’objet d’une communication orale d’Antoine Astaing lors des
Journées d’histoire du droit qui se sont tenues à Turin en mai 2001. Les développements
relatifs au “droit au silence” dans le procès comtemporain et en droit positif ont été écrits
en collaboration avec le Professeur Gérard Clément, Doyen de la Faculté de droit de
l’Université de Reims.
1. Par commodité de langage, et pour s’en tenir à l’usage des anciens auteurs, c’est un
terme que nous utilisons ici de manière générique pour parler de la personne poursuivie
lors de la phase d’instruction dans l’ancien procès pénal et dans le procès pénal con-
temporain.
2. Les manuels actuels de procédure pénale citent dans un curieux raccourci le procès
de Jésus … et deux grands procès de la deuxième guerre mondiale. Le premier d’entre eux
est celui de Riom durant l’hiver 1942. Au cours de celui-ci, Gamelin, après la lecture
d’une déclaration, décide de garder le silence. Il le fait “pour servir” sans pour autant
desservir ses co-accusés, en particulier Blum et Daladier qui mettront directement en cause
le régime et son chef; le procès est d’ailleurs ajourné. Le second exemple est celui du
procès du maréchal Pétain devant la Haute Cour durant l’été 1945. Le Maréchal utilise le
même procédé: il lit une déclaration et dit ne vouloir répondre “à aucune question”. Il reste
muet, ou quasiment muet durant les audiences. Le correspondant de l’Aurore écrit qu’il a
l’impression d’assister à … un “procès posthume”.
3. Récemment, v. R. Dulong (dir.), L’aveu, Histoire, sociologie, philosophie, Paris
2001. Pour le cadre général et la bibliographie relatifs à l’ancien droit, le lecteur doit se
reporter à J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Paris 2000.
On doit rappeler l’ouvrage classique de J.H. Langbein, Torture and the law of proof, Eu-
rope and England in the Ancient Régime, Chicago 1977 et signaler la prochaine parution
du colloque de Montpellier (juin 2000) sur le thème: La torture judiciaire (direct. B.
Durand). Pour le procès contemporain, le recours aux ouvrages usuels de procédure pénale
suffit pour une première approche.
4. V. en particulier l’histoire complexe de la maxime “Nemo tenetur prodere seipsum”
retracée par R. Helmholz, Origins of the privilege against self-incrimination: the Role of
the European Ius commune, in New-York University Law Review 65 (1990), p. 963 sq. et
990 et J.H. Langbein, The historical origins of the privilege against self-incrimination at
commun law, Michigan Law Review 92 (1994), n° 5, p. 1047–1085. Les deux études ont
été reprises et complétées dans un ouvrage ultérieur The Privilege against self-incrimina-
tion, Its Origins and Development, Chicago–London 1997, sous les titres The Privilege
and the Ius commune: The Middle Ages to the seventeenth Century et The Privilege and
Common Law Criminal Procedure: The Sixteenth to the Eighteenth Centuries, auxquelles
il faut joindre l’Introduction de R.H. Helmholz.
5. Y. Thomas, L’aveu, de la parole au corps (Rome, Ve siècle av. J.-C.–IVe s. apr. J.-
C.), in L’aveu, Histoire (supra, n. 3), p. 31; p. 17–31 pour la République; et p. 32 sq. pour
l’Empire.
6. Dans ce cas, “les textes insistent sur l’idée que l’aveu est arraché”, Y. Thomas,
L’aveu (supra, n. 3), p. 30.
7. R. Helmholz, Origins of the privilege (supra, n. 4) et, du même auteur, The privilege
(supra, n. 4); John H. Langbein, The historical origins (supra, n. 4), et, du même auteur,
The Privilege (supra, n. 4); les autres contributions de l’ouvrage The Privilege against
self-incrimination, Its Origins and Development, Chicago–London 1997, disent l’essentiel.
On peut encore consulter C. Girard, Culpabilité et silence en droit comparé, Paris 1997 et
John Spencer, Le procès pénal en Angleterre, in Procès pénal et droits de l’homme, Vers
une conscience européenne, Paris 1992, p. 117–130.
8. Sur la base du préambule du Treason Act de 1696, le conseil est toléré dans les cas
graves. Puis, l’intervention de l’avocat se généralise, ce qui permet aux accusés de con-
server le silence sans que cela ne puisse leur nuire; “Without professional assistance, per-
sons accused of a crime had little choice to speak for themselves”, R. Helmholz, Introduc-
tion (supra, n. 4), p. 8. Cela conduit progressivement au renversement complet du système;
néanmoins “until late in the eighteenth century, the fundamental safeguard for the defen-
dant in common law criminal procedure was not the right to remain silent, but rather op-
portunity to speak”, J.H. Langbein, The historical origins (supra, n. 4), p. 1047. L’auteur
insiste aussi sur le rôle des juges qui “discouraged guilty pleas in seventeenth and eigh-
teenth century criminal trials”, p. 1065.
9. Il faut mettre en relation cette question du silence avec celle des degrés de preuve ou
de certitude des droits anglais et américain, cf. B.J. Shapiro, Beyond Reasonable Doubt
and probable Cause, Historical Perspectives on the Anglo-American Law of Evidence,
Berkeley–Los Angeles–London 1991.
10. Tableau nuancé, avec une condamnation sans équivoque de la “peine forte et dure”,
dans William Blackstone, Commentaries on the Laws of England, ed. 1765–1769, livre 4,
chapitre 25: Of Arraignment, and it’s Incidents, p. 317–325.
11. Récemment, R. Fasano, La torture judiciaire en droit romain, Neuchâtel 1997.
12. D. 48,18,1,17, Ulpien; D. 48,18,1,27, Ulpien. Mais le droit romain connaissait aussi
la prison comme moyen de contrainte, cf. R. Vigneron, La torture judiciaire en droit romain
à paraître in La torture judiciaire (supra, n. 3).
13. D. 47,10,15, Ulpien: “quaestionem intellegere debemus tormenta et corporis do-
lorem ad eruendam veritatem”: par question, il faut entendre les tourments et douleurs
corporelles pour extirper la vérité. Cette définition est étroite car l’imagination et la peur
qui rôdent autour de la douleur physique ne sont pas évoquées.
14. Y. Thomas, L’aveu (supra, n. 5), p. 54–55.
15. Ibid, p. 55. Pour le reste, le silence de l’accusé est assimilé à l’aveu dans certaines
sources, R. Fasano, La torture (supra, n. 11), p. 82. Quant à la problématique particulière
de l’aveu, de la dénégation et du silence dans les procès des chrétiens, et les paradoxes de
cette procédure, ils ont été rapportés par Tertullien, Apologeticum, Paris 1998, § 10 sq.; on
songe évidemment à l’étude de Jean Imbert, Le procès de Jésus, 2e éd. Paris 1980.
16. Signalons que, devant les juridictions féodales, aux origines en quelque sorte, le
silence de l’accusé – celui-ci devant répondre sur le champ – est assimilable à un aveu,
cette preuve la moins coûteuse de toutes, A. Esmein, Histoire de la procédure criminelle,
Paris 1882, p. 45. Plus tard, avant la mise en place de la procédure inquisitoire devant les
cours laïques du royaume et alors que se développent les exceptions au principe accusatoire,
le silence de l’accusé contribue à paralyser la répression dans le cas spécial où celui-ci
refuse l’enquête. Il s’agit d’ailleurs moins d’un silence que du refus d’être jugé sans
accusateur, A. Laingui, A. Lebigre, Histoire du droit pénal, Paris 1979, t. 2: Procédure
pénale, p. 35 sq.
I. – Un outrage à la Justice
L’examen du silence des accusés permet de rendre compte des tensions qui
traversent le droit criminel de la fin de l’Ancien Régime. Une série de sévérités
sont destinées à vaincre le silence de l’accusé dans la procédure extraordinaire.
Le silence, à condition que les charges s’accumulent par ailleurs, détermine
l’emploi de moyens violents dans un système dirigé par les règles des preuves
objectives, l’aveu étant la preuve parfaite à côté du double témoignage. Néan-
moins, le silence est une attitude répandue pouvant mettre en échec la procédure
criminelle. Il est une des raisons du déclin de ces moyens de contrainte dans un
temps où les juges renoncent progressivement aux preuves objectives.
Il faut considérer la volonté des juges de vaincre les silences des accusés (A),
puis le mutisme de ces accusés qui gardent “bonne bouche” (B).
1. – L’instruction
Le juge instructeur, guidé par une probabilité lors de l’instruction, cherche,
en l’absence de témoignages formant une pleine preuve, à obtenir l’aveu de
l’accusé. Sa conviction intime et subjective joue et il est parfois persuadé qu’il
est face au coupable vraisemblable, à tort ou à raison. Reste alors à obtenir la
preuve parfaite du crime, nécessaire au moment du jugement définitif, ce qui
justifie l’emploi de pressions et de la violence à l’encontre des suspects dans le
but d’obtenir un aveu. Les moyens employés pour vaincre le silence sont connus.
Il convient seulement de les énumérer, en soulignant cette idée d’une gradation
dans les moyens utilisés: serment de l’accusé, longtemps pratiqué et consacré
par le législateur en 167023, le silence de l’accusé étant dès lors perçu comme
un “mépris pour la justice”24 et le refus de prêter serment assimilé en doctrine
au refus de répondre25; absence d’avocats aux côtés des accusés qui doivent
répondre “par leur bouche”26 sur les faits; recours à la mise au secret, parfois
absolue, considérée par certains pénalistes comme une torture comparable dans
ses effets à la torture judiciaire27; tourments de la question préparatoire, et, enfin,
jusqu’aux dispositions de l’ordonnance de 1670, possibilité de réitérer les
tourments, ce qui est la garantie de l’efficacité de la question, à condition
néanmoins pour torturer à nouveau que le juge dispose de nouvelles preuves28.
On remarque, s’agissant des premiers interrogatoires, qu’il n’est pas inutile
pour les juges de faire preuve d’une grande habileté. Certains criminalistes
rappellent que le juge peut interroger l’accusé par “circuits” au grand criminel,
après avoir médité les questions à poser et le déroulement des séances. Mais on
n’a peut-être pas assez insisté sur le fait que le visage du juge loyal est identique
à celui du juge qui arrive à ses fins en employant une sorte de “douceur”. Il
fallait pour cela suivre pas à pas les auteurs. Ceux-ci insistent sur le fait que trop
d’âpreté de la part du juge stopperait la confession de l’accusé, si difficile à
obtenir en raison des regrets ou de la honte des accusés et d’autres motifs moins
avouables29. Toute l’habileté consiste à faire sentir à l’accusé le soulagement
consécutif à un éventuel aveu, tout en ne lui posant aucune question captieuse et
sans lui faire de promesses fallacieuses qui seraient évidemment condamnables,
sauf à les justifier par les impératifs de la raison d’Etat.
Surtout, les sévérités habituellement dirigées contre l’accusé lors de l’instruc-
tion sont renforcées lorsque le juge est en présence d’un “muet volontaire”. Le
procès est instruit selon des modalités précisées par un arrêt de règlement du
parlement de Paris du premier décembre 1663. Celui-ci, cherchant à éviter les
multiples instructions frappées de nullité en cette matière, proscrit définitive-
ment l’emploi de la procédure de contumace pour instruire et juger des accusés
silencieux et la présence d’un curateur30. Ces dispositions, discutées âprement
lors de la rédaction des conférences sur l’ordonnance, sont reprises et complétées
par l’ordonnance de 1670 dans son titre XVIII, “Des muets et sourds, et de ceux
qui refusent de répondre”31. Le droit prive les accusés silencieux de certains
moyens de défense32. D’abord, l’accusé ne pourra répondre ultérieurement “sur
ce qui aura été fait en sa présence pendant son refus de répondre”33. Ensuite, la
procédure des reproches lui est fermée, sauf par écrit (“par pièces”) et s’il se
décide finalement à parler34.
Ce sont ici des pressions exercées sur l’accusé ; il faut s’interroger sur leur
efficacité réelle. S’agissant de la prohibition relative aux reproches, la procédure
permettant de les présenter au juge instructeur est déjà très défavorable à
l’expression d’une défense utile pour celui qui parle: l’ordonnance n’ajoute
qu’une sévérité superfétatoire sauf à considérer le refus éventuel des juges de
lire ses requêtes. De plus, rien n’interdit à l’accusé de dire ce qu’il pense au
dernier moment, de garder le silence durant l’instruction et de parler devant le
siège assemblé lors du dernier interrogatoire, avant la sentence, ce qui marquerait
un appel à la conscience des derniers juges et une sorte de désaveu du juge
instructeur. Mais les sources consultées n’ont livré aucun exemple concret
évoquant une telle hypothèse.
2. – Le jugement
Outre le fait qu’au moment du jugement, le rapporteur du procès, souvent le
juge instructeur, joue un rôle déterminant, s’agissant de la preuve pénale, on est
loin, dans le droit criminel français de la fin de l’Ancien Régime, d’appliquer
strictement les règles savantes de la procédure; celles-ci s’effacent dès le XVe
siècle dans le droit, la pensée et la pratique pénalistes35. Contrairement à ce que
l’on pourrait penser, le silence ne permet pas à l’accusé d’échapper à une
condamnation. Au contraire, le mutisme volontaire de celui-ci est sévèrement
apprécié à la fin de l’Ancien Régime, en doctrine et dans la législation; il sert
éventuellement de preuve indirecte de la culpabilité.
Le silence est vu avec défaveur dans la doctrine, et spécialement celle du
XVIe siècle. Les témoignages les plus nets sont ceux des démonologues. De
manière générale, les écrits relatifs aux procès de sorcellerie conseillent aux
juges de s’écarter des formalités ordinaires et des règles habituelles de preuve.
Durant l’instruction, tout est fait pour déjouer le maléfice de taciturnité36. Pour
la phase de jugement, et pour certains auteurs, tel Jean Bodin, la “taciturnité
emporte effet de confession”37. Le mutisme de l’accusé(e) est le signe d’une
collusion avec le diable, ce qui justifie son assimilation à un aveu implicite. En
réalité, on a recours à la preuve oblique; les indices sont faits d’éléments
d’expérience, d’apports “savants” et imaginaires plus ou moins fantaisistes; ces
éléments-là comblent le silence et le transforment en une sorte d’aveu.
On est certes en présence d’un droit d’exception. Néanmoins, cette tendance
défavorable au silence volontaire se retrouve dans des écrits plus ordinaires. Il
faut citer ici Pierre Ayrault38. Celui-ci explique qu’il faut apprécier justement
les causes du silence durant l’instruction39. Il conclut cependant, qu’au moment
de juger, rien ne sert de “conjecturer d’où vient cette taciturnité”. En effet, celui
qui persiste dans son silence désobéit à la justice, en conséquence, “son silence
approuve le crime”40. Voici pour le principe. Il est simple et sévère. Mais sa
mise en œuvre soulève des difficultés. Pierre Ayrault rapporte alors un souvenir
personnel de lieutenant criminel41. Devant le silence obstiné de l’accusé42, “je
passe outre à l’interrogatoire et aux confrontations”; l’instruction se borne à un
nombre limité d’actes et omet des formalités essentielles. La compagnie, au
moment de juger, tente de procéder à l’interrogatoire mais l’accusé “nous tourna
43. Pierre Ayrault, L’ordre (supra, n. 39), p. 462. Brillon rapporte que les accusés
parlent toujours trop et manifeste une sorte de gourmandise sarcastique en donnant une
définition du silence qu’il ne faut pas prendre au pied de la lettre: “ce n’est pas ce que l’on
a d’ordinaire à reprocher aux accusés d’être muets. Ils ne parlent toujours que trop, soit
contre eux, s’ils sont innocents, soit contre la vérité, s’ils sont coupables”, Dictionnaire
des arrêts, Paris 1727, verbis “muet”, “procès criminel”, p. 245 sq.
44. Ord. de 1670, tit. XIX, art.1: le juge n’est pas en présence ici d’une preuve parfaite;
la “preuve considérable” est constituée de simples indices.
45. Ibid., art.7. A. Soman, Aux origines de l’appel de droit dans l’ordonnance criminelle
de 1670, Sorcellerie et justice criminelle, Londres 1992, Variorum Reprints, VI.
46. Ibid., art.9. Interdiction de prolonger abusivement les séances, art.11.
47. Commentant le dispositif complexe des douze articles du titre dix-neuf de l’or-
donnance, les historiens de la procédure pénale insistent sur le fait que les règles adoptées
tendent à “miner” l’emploi de la question et de déceler ici, de manière implicite, une fine
“stratégie” d’élimination de la torture comme moyen d’instruction, cf. B. Durand, Royal
Power and its Legal instruments in France, 1500–1800, in Legislation and Justice, Lon-
don 1997, p. 291–312.
48. J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal (supra, n. 4), n° 214, p. 363 sq.
49. Ord. de 1670, tit. XIX, art.2: “Les juges pourront aussi arrêter que nonobstant la
condamnation à la question, les preuves subsisteront en leur entier, pour pouvoir condamner
l’accusé à toutes sortes de peines pécuniaires ou afflictives, excepté toutefois celle de mort,
à laquelle l’accusé qui aura souffert la question sans rien avouer, ne pourra être condamné,
si ce n’est qu’il survienne de nouvelles preuves depuis la question”.
50. Daniel Jousse, Traité des matières criminelles, Paris 1771, chap. 6, “De la preuve
(…) conjecturale”, sect. 3, § 4, n° 284, p. 772.
51. Ibid., p. 772. Mais déjà Pierre Ayrault, L’ordre (supra, n. 39), livre 3, partie 3,
XXV et XXVI, p. 489–492
52. On est forcé d’admettre qu’il existe des mystères de l’instruction criminelle que le
droit ne peut qu’imparfaitement saisir. Il est parfois impossible d’atteindre la certitude
physique de faits psychologiques qui ont disparus ou “quid latens in corde” tels que le
mandat ou l’intention délibérée ainsi que l’écrit un criminaliste aragonais, D.L. Mattheus
et Sanz, Tractatus de re criminali ..., Lyon 1676, controversia 20, n° 17.
53. B. Durand, Arbitraire du juge et consuetudo delinquendi, La doctrine pénale en
Europe du XVIe au XVIIIe siècle, Montpellier 1993.
54. Ord. de 1670, tit. XIX, art. 2.
55. Ibid., art. 3.
56. Préambule de l’édit du 1er mai 1788: “nous réservant, quoiqu’à regret, de rétablir la
commis en groupe par des professionnels nécessitent, de même que les cons-
pirations politiques57 ou encore les émeutes, la mise en place d’une procédure
rigoureuse sans laquelle, en l’absence d’une phase de recherche policière des
preuves, la répression serait anéantie.
En dépit des moyens mis en œuvre pour vaincre le silence des accusés, les
sources évoquent la fréquence du silence des accusés (1) sans pour autant donner
d’explications nettes de ce phénomène (2). Certaines d’entre elles évoquent la
reconnaissance implicite d’un droit au silence (3).
1. – La fréquence du silence
L’hypothèse du mutisme de l’accusé est omniprésente dans les sources; les
silences sont nombreux lors des différentes étapes du procès criminel.
S’agissant de l’instruction préparatoire, des recherches exhaustives dans les
archives judiciaires montrent que les taux d’aveux sont très bas lors des pre-
miers interrogatoires: toutes affaires confondues, “quatre accusés sur cinq
refusent de répondre”58. Des accusés organisent dès ce moment une défense
efficace en proposant des moyens d’incompétence ou en cherchant à récuser
leurs juges, autant de moyens de droit dont la doctrine favorise l’utilisation. De
ce point de vue, l’insistance avec laquelle la doctrine appuie la démarche de
l’accusé qui argumente en droit concourt à rendre plus légitimes les silences de
ces accusés qui contestent la régularité des procédures; dans tous ces cas, il
n’est pas “difficile de distinguer en filigrane, derrière l’accusé, la marque d’un
praticien rompu aux détours de la procédure”59, ce qui atteste une application
souple des rigoureuses dispositions législatives. Il faut encore noter, dès ce stade
de l’instruction, que la distance n’est pas si grande entre le silence volontaire et
les réponses qui n’en sont pas: l’accusé ne répond qu’aux questions secondaires;
il ne parle que pour sa justification, le juge affrontant ici encore un silence
partiel; il simule, disant par exemple “souffrir d’un défaut de mémoire” qui
l’empêche de rapporter l’essentiel de ce qu’il sait; d’autres encore ont pu
s’essayer à contrefaire les fous ... Néanmoins, ces tactiques de défense, plus ou
moins maladroites, sont déjouées par les juges instructeurs et se heurtent au
principe de la divisibilité de l’aveu.
Lors de l’instruction définitive, le législateur et les criminalistes envisagent
plus facilement le cas du mutisme complet de l’accusé, une hypothèse très
question préalable, si, d’après quelques années d’expérience, les rapports de nos juges
nous apprenaient qu’elle fut d’une indispensable nécessité”.
57. Dont l’existence recommanderait peut-être que l’on agisse sans preuves, car “on
n’en a jamais de preuve évidente que par leur avènement”, Richelieu, Testament politique,
Paris 1981, n° 267.
58. L.-B. Mer, La procédure criminelle au XVIIIe siècle, L’enseignement des archives
bretonnes, in Histoire du droit social, Mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris 1989, p.
24. Ce qui est un élément qui va à l’encontre “de la vision aprioristique d’une justice plus
redoutable que le crime” (p. 33).
59. C. Plessix-Buisset, Le criminel devant ses juges en Bretagne aux XVIe s. et XVIIe
s., Paris 1992, p. 392. Un exemple type, p. 392 sq.
60. Non seulement l’emploi de la torture se fait de moins en moins fréquent, mais
encore, les taux d’aveux sont de plus en plus bas. Sur ces deux points, A. Soman, La justice
criminelle, vitrine de la monarchie française, in La justice Royale et le Parlement de Paris,
[Bibliothèque de l’École des chartes, t. 153], Paris 1995, p. 301 et Y.-M. Bercé, A. Soman,
Les archives du parlement dans l’histoire, in La justice française (supra, n. 50), p. 265, les
auteurs soulignant le “taux dérisoire de l’aveu sous la torture. Il n’était que de 8,5% en
1539–1542 et il descendait à 2% en 1620. En même temps, le taux d’application à la tor-
ture baissait de 20 à 5%”. C’est à cette époque, en 1640, que la torture disparaît en
Angleterre. Cette pratique – inconciliable avec le privilege against self-incrimination –
n’aura été qu’une prérogative du pouvoir royal apparue dans une période d’instabilité
politique en Angleterre, cf. J.H. Langbein, Torture (supra, n. 3).
61. Déjà D.18,1,23 Ulpien. Pour l’ancien droit, v. par ex. Jean Papon, Recueil d’arrêts
notables des cours souveraines de France, 4e éd. Lyon 1562, liv. 24, titres 8 et 9, et François
Serpillon, Code criminel (supra, n. 25), t. 2, sous le tit. XIX.
62. Dans les procès de sorcellerie, les amulettes qui procurent le don du silence aux
accusés, de même que le secret juré entre les mains du diable entraînent de redoutables
difficultés pour les juges. Pour un exemple exceptionnel, J. Vidal, La preuve du crime
dans l’affaire du carroi de Marlou, in Les sorciers du carroi de Marlou, Un procès de
sorcellerie en Berry (1582–1583), Grenoble 1996, p. 432 sq.
63. On peut remarquer, à ce stade, avec les progrès de l’intime conviction, que les
rigueurs de la torture sont à la fois atténuées (car on renonce de plus en plus à ordonner la
question préparatoire, les juges aux termes de l’art. 1er de l’ord. de 1670 disposant d’une
véritable option) et, dans le cas de la réserve des preuves, renforcées (tortures suivies d’une
lourde condamnation, à l’exception de la mort).
64. C’est un point connu. “Paradoxalement, l’accord de Lamoignon et de Pussort sur
l’inefficacité d’un pareil moyen d’instruction eut pour effet de laisser intacte la disposition
du projet [... qui] subsista donc dans la loi jusqu’en 1780”, A. Laingui, Procédure pénale
(supra, n. 16), p. 116. C’est d’ailleurs la raison qui est invoquée par le législateur dans le
préambule de la déclaration du 24 août 1780.
65. François Serpillon, Code criminel (supra, n. 24), sous tit. XIX, art. 1, p. 908 sq.
L’auteur, décrivant l’ancien usage d’Autun (la torture n’est plus pratiquée de son temps) et
les accidents qu’il provoquait relate le cas d’un accusé silencieux sous la torture alors
même que l’on était certain de sa participation à un incendie et qui a survécu “plus de
trente ans après”, libre (élargi ?), mais “sans pieds et même sans jambes”: or, durant la
longue séance de torture, il n’a rien dit.
66. Déjà l’ord. de 1454 (Montils les Tours), art. 34: “souventes fois ilz se conseillent,
et forgent leurs matières et leurs réponses en telle manière qu’à grand peine et difficulté en
peut-on avoir la vérité”.
67. Claude Lebrun La Rochette, Les procès civil et criminel, Lyon 1624: Les indices,
p. 166 qui fait explicitement référence à Damhouder qui “dit en avoir veu plusieurs, qu’il a
luy-mesme faict torturer”, François Serpillon, Code criminel (supra, n. 24), sous tit.19,
art.12, p. 935 sq. Un serment peut, dans les cas de complicité, unir les accusés: celui de ne
rien avouer, de ne rien trahir, sous peine d’une vengeance terrible. Le juge doit alors com-
mencer par torturer le plus faible du groupe, le moins apte à prévoir la douleur et à la
combattre, espérant de la sorte obtenir des aveux. Pour une synthèse de la doctrine, voir
P.J. Brillon, Dictionnaire des arrêts (supra, n. 43), t.2, verbo question et A. Allard, Histoire
de la justice criminelle au XVIe siècle, Gand 1868, p. 298. Les accusés ont pu aussi pren-
dre des drogues, parfois très efficaces, comme l’opium et ses dérivés.
68. Récemment, v. Pinson-Ramin, La torture judiciaire en Bretagne au XVIIe siècle,
RHD 72 (1994), p. 549–568. Pour le reste, l’accusé a toujours le droit de se rétracter au
moment de la réitération des aveux.
69. L’ex. le plus frappant est celui du préambule de la Caroline (1532) qu’ont pu lire
les régnicoles. Les résultats de la grande enquête menée par les parlementaires parisiens en
1697 témoignent suffisamment de cet état des choses; elle débouche sur un arrêt de
règlement visant à prévenir les excès des tourments infligés sous la question par les juges
inférieurs du ressort. Cette question des douleurs est aussi évoquée par le législateur dans
le préambule de la déclaration du 24 août 1780.
70. G. Rousseau, La véritable méthode de sçavoir en bref la pratique et de bien instruire
toutes sortes de procès ..., Paris 1676, chap. 34, p. 170–172, cette douleur qui contraint
l’accusé à dire des choses qui “ne sont point véritables”. Il parle encore des “douleurs
extrêmes” des tourments de la question extraordinaire, une torture qui “fait souffrir
extraordinairement”. Et de conclure sur ce dernier point: “Dieu veille qu’on ait jamais
occasion de les faire souffrir, car cela n’arrive qu’au plus grand malheur d’un Etat”. Pour
le XVIIIe siècle, on peut citer Dumont, Nouveau style criminel, Paris 1770, t.1, chap. XVII,
tit. XIX, p. 155. Les représentations relatives aux séances de torture (par ex. dans Jean de
Mille au XVIe s.) semblent suggérer des cris d’accusés subissant les tourments plus que
les aveux du malheureux.
71. Sont laissés de côté certains droits continentaux, tel celui des Pays-Bas, qui nient
cette possibilité du silence, estimant que le convictus doit être aussi confessus.
72. Les dispositions de la Caroline servent de guide aux Universités nécessairement
consultées par les juges en cas de doute.
73. Notamment, sur le mutisme de l’accusé, v. l’art. LXIX de la Caroline (désormais
CCC) qui estime la présence de preuves suffisantes exclusive de la recherche de l’aveu par
la torture: l’accusé peut alors garder le silence car la torture n’est qu’un moyen subsidiaire.
Pour autant, “si l’accusé après des preuves suffisantes de son crime ne voulait point le
confesser, on doit lui remontrer qu’il en est convaincu, quoique pour cela on ne puisse
point tirer de lui sa confession”.
74. CCC, art. LXIX.
75. CCC, art. XCI.
76. Les pénalistes expliquent que cet aveu doit être accompagné d’autres éléments:
preuve sans faille du corps du délit (qui ne peut être obtenue en ayant recours aux tourments
d’une quelconque torture d’inquisition, et doit être minutieusement établie dans le cas de
facti transeuentis), formalités de l’aveu (et notamment l’obligation de répéter la confessio
obtenue une première fois sous la torture, celle aussi d’apprécier la vraisemblance de
l’aveu), preuves complémentaires, au nom de l’adage “nemo auditur perire volens”, qui
trouve alors une grande portée.
77. Daniel Jousse, Traité (supra, n. 50), partie III, livre I, titre III, chap. I: Des preuves
en général, n° 3, p. 655. Les riches développements sur la preuve de l’auteur commencent
en évoquant le silence: “la vérité des faits (…) ne peut se connaître habituellement par la
bouche de l’accusé, qui a intérêt de la tenir cachée”.
paraître les traces du crime et, de manière générale, le travail du juge n’est pas
épaulé par celui d’une police qui n’existe pas alors.
Au surplus, des arguments pleins de scepticisme concluent aux silences du
coupable comme de l’innocent, ce que le simple bon sens suggère. La torture
est “un essai de patience plus que de vérité” pour celui qui tient à cacher des
choses et pour l’innocent qui, de manière logique, n’a peut-être rien à dire même
pour sa justification78. Une telle attitude intellectuelle, pleine de scepticisme,
plus répandue que ce que l’on pourrait croire, ne peut que faire le vide de tous
les principes assurant la cohérence du système des preuves objectives, par
définition un système dogmatique.
78. C’est l’argumentation de Montaigne qui corrige aussitôt son propos en expliquant
que “le fondement de cette invention est appuyé sur la considération de l’effort de la cons-
cience. Car, au coupable, il semble qu’elle aide à la torture pour lui faire confesser sa faute,
et qu’elle l’affaiblisse; et, de l’autre part, qu’elle fortifie l’innocent contre la torture. Pour
dire vrai, c’est un moyen plein d’incertitude et de danger” (Essais, II, 5).
79. Sur ce point, le lecteur peut se reporter à Beccaria, Des délits et des peines, 1764, §
16, 18, 31, etc.
80. L’auteur regrette la voie accusatoire, autrefois pratiquée – encore par un de ses
ascendants –, et, en esprit détrompé des préjugés, dénonce l’injustice qui s’embusque dans
les règles en apparence les plus légitimes. Le lieutenant criminel commence son étude en
exposant les calculs du pouvoir derrière certains procès montés de toutes pièces et en se-
cret (“caparaçonnés” sont ses mots), et continue en condamnant la sévérité outrée de
certaines règles de la procédure à l’extraordinaire, le rôle du ministère public, le manque
de charité derrière les routines de la justice criminelle. Bien entendu, cela ne l’empêche
pas de regretter, à l’inverse, le caractère laxiste de certaines dispositions du droit criminel,
et, par ex., les dispositions relatives à la contumace, favorables à l’impunité. D’où un
curieux mélange chez Ayrault, entre le vieux et le neuf, une tendance à l’indulgence et une
à la sévérité, dont il faudra un jour mener l’étude complète.
81. Procès-verbal des conférences, Paris 1709, sous tit. XIV, art. 7, p. 153–161.
82. Pour celui-ci, “nul n’est tenu de se condamner par sa bouche”, cité par Lamoignon,
Procès-verbal des conférences (supra, n. 81), sous tit. XIV, art. 7, p. 156.
83. Ce dernier terme évoque un ensemble de règles complexes tirées du droit canonique
qui expriment l’idée selon laquelle on ne peut concourir, au-delà d’une certaine limite, à sa
propre incrimination, R. Helmholz, Origins (supra, n. 4), p. 962–982. Sur la place du droit
naturel au XVIIe siècle dans les discussions pénalistes, A. Laingui, Grotius et le droit
pénal, XVIIe siècle, 126 (1980), p. 37–58. Il faut noter que l’argument du droit naturel se
retrouve aussi lorsque Lamoignon est d’avis de modifier les dispositions très restrictives
relatives à l’intervention du conseil, Procès-verbal des conférences (supra, n. 81), sous tit.
XIV, art. 8, p. 162–167, lorsqu’il propose de supprimer la question préparatoire (Ibid.,
sous tit. XIX, art. 2, p. 224) ou qu’il argumente sur le bris de prison (Ibid., sous tit. XXVI,
art. 25, p. 310).
84. Les prises de position de Lamoignon ne s’imposent pas face à la volonté de la
monarchie absolue Louis quatorzième. Au contraire, la sévérité l’emporte, qui se résume
en une vieille maxime, bien connue de son adversaire, Pussort: “ne crimina remaneant
impunita”. Notons que plus tard, lors de l’abolition de la question préparatoire en 1780, et
plus encore lors de la suppression de la question préalable en 1788, on évoquera les fausses
routes suivies au siècle précédent par la législation.
85. Ce mouvement s’amorce très tôt: A. Soman, La justice criminelle (supra, n. 60), p.
301; Y.-M. Bercé, A. Soman, Les archives du parlement (supra, n. 60), p. 265.
86. La déclaration du 24 août 1780 part d’une description de la réserve des preuves
pour déclarer l’inutilité, c’est-à-dire l’inefficacité, ainsi que les dangers, de la torture,
rappelant en cela les conférences sur la grande ordonnance. Il faut d’ailleurs remarquer
que cette suppression dans la législation de la torture ne fait qu’“enregistrer” la désuétude
progressive de l’institution qui exprime une progression du silence des accusés dans la
pratique du XVIIIe siècle, une synthèse dans J.-M Carbasse, Histoire du droit pénal (su-
pra, n. 3), n° 214.
87. Très net dans Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Paris 1781,
t. 47, verbo “Présomption” (écrit par Merlin), p. 347sq.
88. Ainsi, par ex., pour le XVIIIe siècle, deux affaires mettant en cause des ec-
clésiastiques, les affaires Desrues et La Cadière, que l’on retrouve dans les Causes célèbres.
89. Une synthèse dans notre étude, Droits et garanties de l’accusé dans le procès
criminel d’Ancien Régime, Aix–Marseille 1999, n° 135 à 165.
90. Ce sont les factums ou mémoires que l’on rencontre dans les procès “ordinaires”, et
bien entendu dans les affaires ayant un grand retentissement.
91. Les commentaires des arrêtistes lors des affaires Langlade et Lebrun dans le dernier
tiers du XVIIe siècle en témoignent puisque dans ces deux cas, l’idée d’une preuve parfaite
au procès n’apparaît même pas lorsque sont évoqués les mécanismes probatoires; ce sont
des hypothèses plus ou moins bien étayées qui s’affrontent. Une même confusion est à
relever dans le procès Calas, v. notamment C. Bontems, L’affaire Calas, in Quelques procès
criminels des XVIIe et XVIIIe siècles, Paris 1964, p. 143–150.
92. En particulier, A. Kibedi-Varga, Rhétorique et littérature, Etudes de structures
classiques, Paris 1970 et C. Perelman, L. Olbrechts-Tyteca, La nouvelle rhétorique, Traité
de l’argumentation, Paris 1958.
93. Il existe néanmoins une forme de dogmatisme lié au langage lui-même. Pour y
remédier, il faut douter véritablement, sans quoi l’on risque d’être pris au piège du langage
et donc aussi de la rhétorique.
Pour conclure sur ces premiers développements, on peut noter que le droit
criminel de la fin de l’Ancien régime est équivoque. S’agissant de l’intervention
de l’avocat, si le droit criminel se veut efficace et sévère, il peut manquer de
l’être. Il se veut juste en restreignant autant que possible l’action des avocats
réservés aux plus puissants, mais alors, il entre en contradiction avec lui-même
et devient injuste en ne laissant plus qu’à certains accusés le soin de disposer de
l’aide de l’un d’entre eux, pourvu qu’il soit correctement rétribué et qu’il en tire
quelque gloire. Il reste dès lors à adopter certaines mesures qui permettent aux
accusés de discuter pleinement des preuves: la présence généralisée d’un avocat,
la communication des pièces du procès, des délais suffisants pour organiser une
défense efficace, enfin une phase de jugement qui ne soit plus atrophiée. Ce
sera chose faite, en partie, dès les débuts de la Constituante. Mais alors, la
compréhension du silence de l’accusé implique que l’on replace son étude dans
un nouveau système officiel des preuves et de certitude: celui de l’intime con-
viction, qui, pour les crimes, n’est plus celle de juges mais de jurés.
95. S’appliquent les dispositions des art. 2, 6, 11, 13, 15 du titre XIV de l’ord. de 1670.
L’art. 7 est rejeté (il s’agit du serment de l’accusé).
96. J.O., Documents parlementaires, Sénat, session ordinaire, 1897, annexe 2, p. 380,
col. a et b.
97. Le Code de 1877 utilise la formule: “L’accusé sera invité à déclarer s’il veut
répondre à l’inculpation”.
98. Art.114.
99. H. Matsopoulou, Les enquêtes de police, Paris 1996 et L’aveu en matière pénale,
Bordeaux 1987, [dactyl., Association d’études et de recherches de l’école nationale de la
magistrature [promotion 1986]].
100. J. Larguier, Procédure pénale, 6e ed. Paris 1992, n° 292, p. 301.
101. Nous avons utilisé les premiers commentaires parus: J. Pradel, Encore une
tornade sur notre procédure pénale avec la loi du 15 juin 2000, in D., 2000, n° 26, Point de
vue, V. Citons encore P. Gagnoud, Les nullités de la garde à vue: essai d’un bilan, in GP,
6 et 7 déc. 2000; M. Guerrin, Les changements opérés par la loi relative à la présomption
d’innocence sur les nullités de procédure dans la phase préalable au jugement pénal, in
RSC, oct.–déc. 2000, n° 4; H. Leclerc, La loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption
d’innocence et les droits des victimes, in GP, 29 et 30 sept. 2000, p. 2 sq.; C. Michel, On
n’ajourne pas la liberté, Pour la pleine application au 1er janvier 2001 de la loi sur la
présomption d’innocence, in GP, 24 et 25 nov. 2000; F. Taquet, Brève approche sur les
nouvelles dispositions relatives à la garde à vue, in GP, 8 et 9 sept. 2000; une étude bien
faible, celle de C. Baron, Le droit au silence: une révolution silencieuse, in D., 2 nov.
2000, point de vue, III et IV.
102. L., art. 8; art. 63–1, cpp.
103. P. Volo, Le silencieux droit au silence (supra, n. 21).
104. Art. 63-4, al.1, cpp.
105. Depuis l’écriture de cet article, ce droit au silence a ainsi fait couler beaucoup
d’encre, et de la plus mauvaise, soit que l’on ait défendu ce “droit au silence” soit qu’on
l’ait critiqué. Il est évidemment impossible dans le cadre de cette étude de suivre les
dernière péripéties de la loi du 15 juin 2000, sur le point d’être retouchée dans les prochains
jours. Un rapport a été remis au ministre au mois de décembre 2001 qui s’attache notam-
ment à préciser la formulation du droit des suspects de ne pas répondre aux questions
posées pendant la garde à vue.
106. F. Le Gunehec, Procédure pénale. Loi n°2000–516 du 15 juin 2000, in JCP,
n°26, 28 juin 2000, p. 1224; B. Bouloc, R. de Béco, P. Legros, Le droit au silence et la
détention provisoire, Bruxelles 1997.
107. En cas d’omission, nul doute que le procès-verbal serait entaché de nullité puisque
le juge verrait ici nécessairement une atteinte aux intérêts de la personne poursuivie. On
serait ici en présence d’une irrégularité qui “fait intrinsèquement grief à l’intéressé”, M.
Guerrin, Les changements (supra, n. 102), p. 757, à compléter par JCP, janvier 2001, p. 25
sq. Il faut noter, d’une part, que c’est en quelque sorte revenir à la position du droit criminel
de l’Ancien Régime où la “forme emporte le fond” (Ferrière). D’autre part, il faut remarquer
qu’il n’est pas prévu que cet avertissement soit réitéré lors de la prolongation de la garde à
vue. Enfin, moins que la mention orale, ce qui compte, c’est la preuve que cette mention
orale a été faite, donc une mention écrite, peut-être ratifiée ultérieurement.
108. F. Taquet, Brève approche (supra, n.102), p. 13.
109. C’est ici où perce, en contre-jour, un avantage relatif de la mesure: couper court
aux critiques trop systématiques adressées aux officiers de police judiciaire. Car l’allégation
de graves pressions morales est bien entendu, fréquente, parfois en référence à des faits
imaginaires (sans parler des sévices corporels, mais le médecin intervient aussi dans la
garde à vue).
110. Très récemment encore, G. Fenech, Tolérance zéro, En finir avec la criminalité
et les violences urbaines, Paris 2001, p. 56 qui cite le témoignage d’Alain Malouk.
111. La science du début du XXe siècle, nourrie des premiers apports de Freud, insiste
sur le besoin d’avouer de ceux qui ont cédé aux crimes en suivant leurs pulsions incon-
scientes, ayant agi pour partie du moins par “sentiment de culpabilité”, J.-Cl. Monier, Le
criminel et son énigme: du grand criminel au pâle criminel”, in La cour d’Assises. Bilan
d’un héritage, Paris 2001, p. 173–183. Belle illustration dans les dernières scènes de “M. le
Maudit” de Fritz Lang (All.1931) où le criminel en série invoque sa “malédiction” devant
le tribunal de la pègre … Ce film est inspiré d’une affaire criminelle célèbre, celle du
“vampire de Düsseldorf”, du nom que la presse a donné à un tueur en série qui a bu le sang
de l’une de ses victimes (1904). Dans ce cas, même si l’on doit noter un obscur désir d’être
puni de la part du criminel qui se confesse, comment l’aveu pourrait-il susciter le doute?
B. – L’appréciation du silence
contraindre à ne pas se taire); illogique, car il faudrait alors répéter tout au long
du procès à l’accusé qu’il peut se taire; dangereuse, “parce qu’on pourra tirer du
mutisme volontaire de l’inculpé une présomption de culpabilité” 116. On pourrait
d’ailleurs formuler des remarques semblables sur les dispositions de la loi du
15 juin 2000. Notons seulement qu’une telle interprétation ne serait pas pos-
sible si l’accusé, dans un système compatible avec les traditions françaises (?),
disposait d’une option: plaider coupable ou non coupable117.
Ensuite, c’est le second argument, en intime conviction, la recherche de l’aveu
et le poids de l’aveu au moment du jugement restent déterminants: et cela
implique le préjugé défavorable qui s’attache au silence volontaire. De la sorte,
le poids du silence du criminel ne se comprend qu’en comparaison avec la portée
de l’aveu. Il reste à examiner les arguments qui font de l’aveu la “reine des
preuves” dans le procès contemporain, même si cela est aujourd’hui très con-
testé, et font produire au silence des effets défavorables.
Officiellement – c’est le premier argument –, les violences dirigées contre
l’accusé sont repoussées dans le procès contemporain. Ainsi, et de manière
paradoxale, outre le fait qu’il y a parfois disette d’autres preuves, ce qui implique
une recherche active de l’aveu, une raison de poids contribue à valoriser celui-
ci: la disparition des tortures. L’aveu n’évoque plus les chairs tourmentées des
criminels de l’ancienne France et exprime d’autant mieux la vérité. La confes-
sion est d’une certaine façon plus crédible dès le XIXe siècle, ce qui a pu pousser
certains juges instructeurs à provoquer, dans les limites légales et déonto-
logiques, au-delà des aveux, l’expression de regrets118. Cela se conçoit d’autant
mieux que ne se posent plus les questions nées de l’examen des rapports ambigus
entre confession extorquée et confession libre qui avaient pu faire douter les
anciens criminalistes des caractères de vraisemblance de cette preuve à la fois
si parfaite et imparfaite. Ce type d’interprétation est rendue encore plus vraisem-
blable que l’aveu – au même titre que le silence – perd une grande partie de sa
signification juridique, et prend un contenu fortement psychologique dans un
système de preuves basé sur une approche subjective et synthétique des éléments
du dossier.
Ce poids de l’aveu – c’est le deuxième argument – est évidemment à rattacher
à un héritage, celui de l’ancien droit pénal, et à une construction élaborée au
XIXe siècle dans le silence du Code d’instruction criminelle, la théorie de la
valeur probatoire de l’aveu. Or celle-ci se rapproche curieusement, au-delà des
références aux leges ou au rhéteurs, des constructions des auteurs de la doctrine
pénaliste européenne, et notamment les auteurs du XVIIIe siècle français,
Muyart de Vouglans, Serpillon ou Jousse119. Bonnier, professeur suppléant à la
faculté de droit de Paris et avocat à la cour royale, auteur d’un des rares traités
de la preuve écrit au XIXe siècle, sous la monarchie de Juillet, exprime bien
116. J.O., Documents parlementaires, Sénat, session ordinaire, 1897, annexe 2, p. 380,
col. b.
117. Une proposition exposée aujourd’hui par P. Lumbroso, Christian Séranot, La
légitimité des juges d’instruction, Paris 2001.
118. F. Chauvaud, L’expertise ou l’art d’administrer les preuves au tournant du siècle,
in La cour d’Assises (supra, n. 111), p. 163.
119. Se reporter spécialement à M.E. Bonnier, Traité théorique et pratique des preuves
en droit civil et en droit criminel, Paris 1843, p. 267–305 (force et provocation de l’aveu).
cela: l’aveu est considéré après la Révolution, et cela est bien sûr perceptible
aujourd’hui, comme “habituellement la meilleure preuve de la culpabilité”, celle
qui est parfois le “témoignage unique”, celle enfin dont la “supériorité” est
proclamée “par la conscience publique” et qui permet de guérir l’“anxiété” du
jury120. L’aveu n’est pas infaillible certes, mais “on ne saurait le rejeter sans
tomber dans un système de scepticisme” 121, un scepticisme radical et d’essence
anarchiste. Le silence est alors vu par l’auteur comme la marque de l’“opi-
niâtreté” de l’accusé122. Quant à la jurisprudence, elle admet que l’aveu puisse
servir de base à une condamnation dans le cas de crime, par cette raison que la
décision du jury n’a pas à être motivée, et sans qu’il soit nécessaire, comme
dans l’ancien droit de compléter cet aveu par d’autres preuves123. On le voit,
l’absence de motivation est un obstacle important à l’écriture d’une histoire de
l’intime conviction dans le procès pénal contemporain.
De la sorte, le silence de l’accusé et la recherche de l’aveu expliquent certaines
pratiques rigoureuses dirigées à l’encontre de l’accusé, et notamment les sé-
vérités de la détention préventive sous la forme de mise au secret (absolue
jusqu’en 1897) ou des longues détentions (les expertises entraînent aujourd’hui
un allongement des procédures mais la prison est aussi exceptionnellement un
moyen de provoquer l’aveu et de combattre le silence124). Même les laudateurs
du “système inquisitorial” réglé par le Code d’instruction criminelle, tel Bonnier,
voient ce risque de déséquilibre125. L’auteur condamne la procédure anglaise
dans laquelle “le juge impassible sur son siège [qui] ne fait personnellement
aucun effort”, ce qui est une vue singulièrement réductrice. Il vante, à l’inverse,
les qualités de la procédure française où “le pouvoir social dirige la procédure”
et réfute Beccaria qui jugeait l’aveu contraire à l’humanité. Mais Bonnier
souligne aussitôt le fait que le juge instructeur peut être tenté d’aller trop loin
dans la provocation de l’aveu au nom de la recherche de la vérité (l’“habileté”
du juge “dégénère en dol”), surtout en présence d’un accusé muré dans son
silence126.
Le refus de parler peut susciter des réactions énergiques qui tiennent à la
place encore déterminante de l’aveu dans le régime des preuves, d’où la garde à
vue n’est pas dénaturée par la disposition législative de la loi du 15 juin 2000.
L’aveu a des chances de demeurer cette “fausse reine des preuves” que l’on
cherche à obtenir dans “l’atmosphère contraignante d’un commissariat de po-
lice”127. L’argument des avocats pénalistes est toujours pertinent; la garde à vue
rend la “torture possible”128, même si l’on est en présence d’un lieu commun
contestable qui ne suffit pas à condamner le principe de la garde à vue tant son
utilité est évidente ...
stratégie de défense à sa guise, ou aidé par son avocat, une stratégie de con-
nivence ou de rupture, de vérités partielles et de mensonges vraisemblables…
Pour autant, dans la pratique actuelle, ce qui compte avant même l’aveu, et
est ainsi appelé à jouer un rôle grandissant, ce sont les autres preuves recueillies.
Car le silence de l’accusé est apprécié en fonction de l’ensemble des preuves
collectées au cours des étapes du procès qui précèdent le jugement de l’affaire,
et spécialement les “preuves scientifiques” des faits matériels. De la sorte, les
autorités compétentes sont parfois en présence de personnes silencieuses,
toujours présumées innocentes, et, qui, pourtant, le sont de moins en moins, tant
s’accumulent les présomptions de fait de culpabilité. Mais il faut pousser plus
loin la réflexion. On peut, d’un côté, proposer l’exigence d’éléments probatoires
plus déterminants pour décider d’une garde à vue, ce qui aurait peut-être pour
effet de favoriser le développement des enquêtes policières133. On ne peut
qu’approuver, d’un autre côté, le développement rapide et l’emploi de plus en
plus systématique des techniques scientifiques et noter que la reconnaissance
d’un droit au silence ne peut que concourir au développement d’autres moyens
d’administration de la preuve. D’une certaine manière en effet, les doutes relatifs
au silence ne peuvent que favoriser une logique d’enquête plus poussée. Il faut
marquer une réserve néanmoins: la science concourt efficacement à l’établis-
sement de l’existence du crime, elle fournit des indices objectifs qu’il faut con-
fronter aux témoignages et aux déclarations éventuelles des accusés et qui
permettent de poser des questions déterminantes aux accusés silencieux, mais
elle contribue de manière moins nette à l’établissement de la vérité des faits.