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Introduction

Pourquoi mettons-nous aujourd'hui un criminel en prison ? Toutes les sociétés humaines ont eu à traiter la question du crime, en
commençant par lui donner une définition. Toutes ont trouvé une sanction adaptée à leurs normes sociales, la notre est souvent la
prison. Le plus souvent, même si les formes de sanction ont pu différer, les objectifs des peines ont été identiques. Par la sanction,
chaque société devait pouvoir se prémunir contre les justices personnelles, afin d'éviter que ne se propage le poison social de la
vengeance. La priorité a donc souvent été de neutraliser le criminel, de l'écarter de la société et de ses victimes. Puis, d'utiliser cette
sanction comme un outil de prévention pour que celui qui a commis un crime ne le commette plus ; pour que tous ceux qui
souhaiteraient le commettre en soient dissuadés. Enfin, et au-delà du criminel, c'est aux victimes que les sociétés s'adressent en
condamnant leurs bourreaux, pour ainsi apaiser leur désir naturel de vengeance.

Une fois ces grands principes sur l'utilité des peines criminelles acceptés majoritairement par les sociétés humaines, tout le reste,
pourrait-on dire, n'est que contingences. Contingences liées aux principes moraux de chaque société. Qu'est-il moralement
acceptable d'infliger comme sanction au nom de la société à celui qui a commis un crime ? Quel travail reste-t-il à accomplir avec
chaque criminel pour qu'il prenne conscience de la portée de son geste ?

De la longue Histoire de la Justice des Hommes, un constat simple et empirique émerge aisément : très nombreuses sont les
réponses aux crimes qui ont pu être, ou sont encore, envisageables. Des duels de chants Inuits sur les bords de l'Arctique, jusqu'aux
tortures et aux bûchers de l'Inquisition Espagnole du XVIème siècle, en passant par toutes les formes de réprobations sociales, de
peines privatives de liberté ou de contraintes sur le corps des criminels, tout ou presque a déjà pu être expérimenté. Pour s'en
convaincre les multiples codifications ou synthèse pénale de notre Histoire appuient cette diversité.

Du code d'Hammourabi, IIème millénaire avant Jésus-Christ, dans lequel la règle était la loi du talion, et où le crime appelait la justice
par le châtiment et le sang, jusqu'à la loi salique des Francs pour qui le meurtre était sanctionné d'une forte amende et appelait la
justice de la réparation, 2000 ans d'Histoire auront déjà pu éprouver l'efficacité de la plupart des sanctions pénales imaginables.

Puis, pour arriver jusqu'à nos jours, de nouveau 2000 ans ont passé, et se ne sont que les 250 dernières années qui ont pu apporter
véritablement un visage nouveau aux peines subies par le criminel : l'arrivée de la prison dans l'arsenal répressif judiciaire. Le siècle
des Lumières et les penseurs de la Révolution ont, comme dans beaucoup d'autres domaines, marqué un renouveau dans la pensée
des hommes. Déjà dans son Traité des délits et des peines, Beccaria notait que la rigueur du châtiment ne devait pas être l'élément
central de la sanction. Les philosophes humanistes s'étant ralliés peu à peu à cette idée, entraînant du même coup les responsables
politiques qu'ils côtoyaient, ces derniers firent le reste du chemin pour entamer une grande réforme pénale. Si les châtiments
corporels devaient être abolis, à l'exception notable de la peine de mort, les législateurs révolutionnaires devaient trouver un nouvel
outil à la peine pénale. Un outil qui répondrait à l'attente nouvelle des principes protecteurs de l'Humanité, conforme aux
déclarations solennelles de 1789. Mais un outil qui répondrait toujours aux exigences de sécurité des Hommes. C'est par un décret
du 22 décembre 1790 sur la compétence des tribunaux militaires, leur organisation et la manière de procéder devant eux (annexe
n°1), que la France s'est engagée dans ce tournant. La prison qui, jusqu'alors, ne servait le plus souvent qu'à la détention préventive
ou comme antichambre des autres sanctions, devint à son tour une peine à part entière.

Ce choix est un tournant dans la matière pénale. La peine moderne devient majoritairement celle privative de liberté, en particulier la
prison. Le visage de la justice des Hommes en a été profondément changé. La justice de la peine ne pourra plus être évaluée par la
mesure de la souffrance des condamnés.

Si ce grand changement a pu si radicalement transformer le visage de la matière pénale, c'est que des Hommes se sont souciés
qu'un criminel pouvait être leur semblable. Cette évidence est ici nécessaire à rappeler, parce que bien trop souvent oubliée par la
passion des foules occupées à mépriser les coupables. Cet effort méthodologique, qui n'est pas une simple formalité, nous enjoint
de comprendre pourquoi ; de comprendre quelles sont les raisons qui motivent ceux qui nous sont égaux et qui pourtant violent,
tuent, braquent, empoisonnent ou portent atteinte à la sécurité de nos institutions.

C'est en les comprenant, et en agissant sur leurs mobiles que nos justices pourront être efficaces. C'est une exigence !

Mais, pour autant, afin de protéger notre avenir, celui de nos enfants et celui de nos sociétés, il faut que la réponse pénale au crime
puisse répondre à l'injonction populaire : « Plus jamais ça ! ». Que le caractère certain et exemplaire de la peine ne soit pas
défaillant. C'est un devoir !

Mais nous voilà devant ce qui ressemble à une double contrainte antagoniste. Un jeu à somme nulle où favoriser l'un se ferait au
détriment de l'autre. Mais les exigences de haute valeur morale inscrites dans les textes de protection des Droits Universels font que
l'enjeu du niveau de progrès de nos sociétés « modernes » réside en partie dans la résolution de cet antagonisme de façade. La
justice est née pour lutter contre les réflexes des Hommes qui nuisent à leur cohabitation. Elle est née pour sortir les Hommes de
leur état de nature violent et instinctif, et les élever jusqu'à la modernité sociétale bien plus juste et plus sûre.
Le travail que je vous propose ici a donc pour ambition de prouver la nécessaire complémentarité des antagonismes. Par des
expériences passées ou présentes, françaises ou étrangères, nous verrons que la sanction moderne pour les criminels doit être une
peine de prison certes, mais réformée.

En effet, la peine carcérale était à sa création soucieuse de l'humanité de ceux qu'elle enfermait. Elle était considérée comme une
peine de progrès. Pourtant, elle est aujourd'hui souvent dénoncée par les garants du respect des droits de l'Homme. Par les
penseurs qui les défendent. Ainsi Michel FOUCAULT parlait de l'échec de la prison en ces termes :

« Les prisons ne diminuent pas le taux de la criminalité ».

« La détention provoque la récidive ».

« La prison ne peut manquer de fabriquer des délinquants ».

« La prison favorise l'organisation d'un milieu de délinquants ».

« Les conditions qui sont faites aux détenus libérés les prédisposent à la récidive ».

« La prison fabrique indirectement des délinquants en faisant tomber dans la misère la famille du détenu».1(*)

La prison est maintenant critiquée pour son manque d'efficacité. Certaines de ces observations du milieu des années 70 ont depuis
justifié plusieurs réformes du milieu carcéral. Cependant, certaines de ces accusations sont reprises de nos jours. Les évasions
spectaculaires et médiatiques qui ont entaché la réputation de la sécurité carcérale à l'entrée du troisième millénaire remettent en
question la réussite de la prison à accomplir la première de ses missions. Nos sociétés ont donc deux choix : celui d'une nouvelle
réforme des institutions carcérales, en profondeur, ou bien celui de l'innovation vers de nouvelles sanctions pénales. Quelque soit ce
choix il sera d'importance. Le défit à relever se situe maintenant, pour les pouvoirs publics, avec chaque condamné, pour qu'une fois
sa peine accomplie, celui qui a commis un crime soit, à son tour, à la hauteur pour réintégrer un jour pacifiquement et efficacement
la société humaine.
Cette réforme de la peine carcérale devra passer par celle du bâtiment architectural, de la politique menée quotidiennement dans
l'exécution des peines, et par-dessus tout, par une réforme des esprits qui ne s'affranchira pas d'une nouvelle loi.

Parmi les difficultés rencontrées pour ce travail, la principale pourrait être de raisonner dans la généralité. En effet, il existe en
France plus de 180 établissements pénitentiaires, c'est presque autant de Pays qu'il y a dans le monde. Parler de LA prison
française, c'est oublier que chacun des établissements a une réalité qui lui est propre. Il en va de même pour exprimer une pensée
sur LE criminel français. Travailler sur des réalités humaines implique d'accepter que nos propos soient relativisés pour chaque cas
particulier. Cependant, il existe des grandes lignes directrices qui encadrent ces individualités. Notre raisonnement portera donc ici
sur les lignes directrices. A charge pour ceux qui souhaiteraient utiliser les conclusions de cette étude de les envisager avec la
précaution méthodologique que je viens de préciser.

Beaucoup de choses ont été écrites sur la prison. Mais depuis notre entrée dans le troisième millénaire, l'effervescence intellectuelle
et littéraire autour de cette question semble démontrer la disponibilité des esprits à une grande réforme des prisons.

Ce travail s'appuie donc bien sûr sur les ouvrages de références des grands auteurs de la question pénale ou carcérale, mais aussi
essentiellement sur les derniers rapports des institutions démocratiques françaises, européennes ou canadiennes, sur les études
récentes menées par les Organisations Non-Gouvernementales qui se préoccupent du sort des prisonniers (Ligue des Droit de
l'Homme, Organisation Internationale des Prisons, Génépi, ...), sur des essais, enquêtes ou travaux universitaires récents qui ont
occupé une place médiatique, ou plus confidentielle. Mais surtout, ce travail s'enrichit de rencontres (personnels ministériels,
personnels pénitentiaires, auxiliaires de justices, associations, ...) et d'observations directes (visite de prison, suivis de procès
d'assise portant sur des parcours pénitentiaires exceptionnels) effectuées spécifiquement pour cette étude.

« Il ne s'agit pas d'interpréter les divers penseurs dans leurs points de convergence et de divergence mais de projeter ce qu'ils ont
construit conjointement, au-delà des différences qui sont visibles à l'échelle de leur individualité »2(*)

Alvaro Pires

Le projet qui préside la réflexion menée dans ce mémoire est donc de dresser un nouveau bilan des peines de prison françaises en
rassemblant des réflexions jusque là éparses, alimentées de compléments inédits, afin d'ouvrir de nouveaux chemins pour l'avenir
pénitentiaire et participer ainsi, dans une très modeste mesure, à la construction du futur de nos prisons, et surtout des hommes qui
les composent.

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