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TITRE PREMIER
DÉFINITION, ÉNUMÉBATION ET CLASSIFICATION
DES PEINES
CHAPITRE PREMIER
DÉFINITION DE LA PEINE
Par quels caractères la peine proprement dite se distingue : 1° des sanctions non
pénales : réparations civiles, mesures disciplinaires, nullités d'actes, incapacités
et déchéances de droits; art. 10 C. pén. ; 2° du mal fait à l'agresseur dans l'exer-
cice du droit de défense; 3° de la peine morale. — Rappel des règles générales
et rationnelles de la pénalité.
1. Se reporter, pour la définition du délit, au n" 94, et, pour le but de la peine,
aux principes du droit pénal, surtout au n° 82.
2. Se reporter au n° 96.
3. Se reporter au n° 97.
13
194 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Il en est de même des nullités qui frappent les actes contraires à la
loi. Il est vrai que plusieurs de ces nullités, assez graves pour inté-
resser l'ordre général, peuvent provoquer l'intervention du ministère
public; telles sont certaines nullités de mariage (C. civ., art. 184,
190). Mais cette intervention, du moins, n'exclut pas le concours des
particuliers; elle n'est même que subsidiaire et ne doit se produire
qu'à défaut de demande privée. La peine, au contraire, ou bien est
prononcée d'office par le pouvoir judiciaire légalement saisi, ou bien
est requise par les fonctionnaires à qui l'exercice de l'action publique
a été remis (G. lnst. cr., art. 1) ; les particuliers, même lésés, n'ont pas
le dvoit de la réclamer.
C'est là, en dernière analyse, ce qui me paraît constituer le trait le
plus caractéristique de la peine pour celui qui cherche à la dégager
des sanctions non pénales. C'està cela que l'on pourra distinguer, parmi
les nombreuses incapacités et déchéances de droits édictées dans nos
divers codes, celles qui sont de véritables peines de celles qui sont des
sanctions purement, civiles. Ainsi, par exemple, la destitution de
tutelle est une peine, lorsqu'elle est la conséquence des condamna-
tions prévues par les articles 443 du Code civil, 34, 28 et 42 du Code
pénal, condamnations qui ne sauraient être sollicitées par aucun par-
ticulier; elle n'est pas une peine, lorsqu'elle est fondée sur l'incon-
duite notoire ou sur l'incapacité du tuteur, aux termes de l'article 444
du Code civil, parce qu'elle peut être poursuivie et obtenue, d'après
les articles 448 et 449, par le conseil de famille.
Mais importe-t-il de définir avec précision la peine, et de montrer
en quoi elle diffère des sanctions non pénales qui viennent de lui être
comparées? Oui, à divers points de vue.
En premier lieu, que l'on suppose un fait portant atteinte en même
temps à plusieurs intérêts, à l'intérêt général, à un intérêt de corpo-
ration et à un intérêt particulier, comme serait un faux commis par
un officier ministériel, et motivant par conséquent plusieurs sanc-
tions, qui seraient, clans l'espèce, la peine, une répression discipli-
naire et des réparations civiles. Ces sanctions étant distinctes les
unes des autres, chacune d'elles aura son effet spécial et entier. Le fait
est-il soumis sous divers rapports à la fois à un juge Compétent, il
appellera de sa part des sentences et, s'il y a lieu, des condamna-
tions multiples; c'est ce que l'article 10 du Code pénal déclare en
termes exprès : La condamnation aux peines établies par la loi
est toujours prononcée sans préjudice des restitutions et dommages
DÉFIMTJON DE LA PEINE. 195
intérêts qui peuvent être dus aux parties.. Le fait vient-il à être
déféré à un tribunal criminel après avoir été l'objet d'une décision
disciplinaire ou civile-, ou, vice versa, à un tribunal disciplinaire ou
civil après avoir été l'objet d'une décision pénale, quelle que soit
l'autorité de la chose jugée, à moins de questions préjudicielles à l'ac-
tion publique, ce qui sera examiné en son temps, il est bien certain.,
que le tribunal saisi, le dernier devra statuer, sans admettre aucune
fin de non-recevoir ; car les questions déjà résolues, et les questions à
résoudre sont différentes.
En un mot, la règle non bis in idem, qui défend de prononcer suc-
cessivement deux peines pour le même fait, est inapplicable, lorsque
l'agent a encouru une peine et une sanction non pénale.
En second lieu, dans le cas où un individu est reconnu coupable de
deux, trois ou même d'un plus grand nombre de délits, il ne subit pas
autant de peines, du moins en principe ; la peine la plus forte est
seule prononcée (C. Inst. cr., art. 365). Mais à cette peine pourront
s'ajouter les réparations civiles et les nullités d'actes résultant de
chacun des délits. Si, par exemple, un homme est convaincu, dans
la même instance, de bigamie et de meurtre, il ne sera frappé que
de la peine du meurtre (art. 365, C. Inst. crim. ; 340 et 304 C. pén.);
mais son second mariage sera annulé.
En troisième lieu, une condamnation ne prononçant que des répa-
rations civiles,, ou des nullités d'actes, ou des déchéances de droits
non pénales, ou des mesures de. répression disciplinaires, ne place-
rait pas en état de récidive le: condamné qui par la suite aurait en-
couru une véritable peine.
Enfin, la mort de l'auteur du fait mettra obstacle à l'action pénale,
mais n'arrêtera pas l'action en réparation civile ni l'action en nullité
,
(C. Inst. cr., art. 2). A l'inverse, malgré la renonciation à l'action
civile, l'exercice de l'action publique demeure libre (C.. Inst. cr.,
art. 4), si ce n'est dans des cas exceptionnels.
260. Tout autre est la peine, tout autre le mal fait à l'agresseur
au moment de l'agression et pour la repousser. Il est le résultat de
la défense, non d'un jugement. Par conséquent, s'il est nécessaire, il
est légitime, alors même qu'il proviendrait d'un égal, qu'il ne serait
pas mesuré sur la culpabilité de l'agresseur, et qu'il atteindrait une
personne inconsciente et irresponsable. L'agresseur innocent n'en-
court point de peine ; mais il a pu souffrir des violences que justifiait
196 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
la nécessité 1 ; l'agresseur coupable, encore que blessé dans la lutte,
n'en subira pas moins une peine.
261. De même, si l'auteur d'un délit a moralement expié son mé-
fait, soit par les conséquences funestes qu'il en a éprouvées, soit par
son repentir, la société n'est pas pour cela satisfaite : à la peine mo-
rale s'ajoutera la peine sociale.
262. On sait que la source première de la peine est le droit qui
appartient à la société de se conserver par le maintien de l'ordre ; que
le but de la peine se trouve indiqué par là même; que, dans la déter-
mination des peines, les principes à suivre sont l'utilité et la justice.
On sait aussi que, pour être conforme à ces principes, la peine doit
être, avant tout, nécessaire et juste, et en outre, ou d'une manière
absolue, ou dans la mesure du possible, exemplaire, réformatrice,
rémissible, légale, personnelle, divisible, égale pour tous et révo-
cable 2.
Toutes ces qualités sont demandées au législateur par le droit
naturel. Mais, de plus, il en est parmi elles que notre droit positif a
effectivement attribuées aux peines, et qui s'imposent au respect du
juge : pour lui, toute peine doit être juste, égale pour tous, légale et
personnelle.
La peine doit être juste, c'est-à-dire méritée et proportionnée à la
gravité du délit, à l'immoralité du délinquant. C'est pourquoi la loi
l'a généralement faite divisible, variable dans les limites d'un maxi-
mum et d'un minimum, et même susceptible d'être remplacée par
une autre au cas de circonstances atténuantes. Le juge, à cet égard, a
un pouvoir d'appréciation souverain. Mais s'il arrive, par extraordi-
naire, que le juge, tout en déclarant qu'il n'est pas convaincu de la
culpabilité de l'accusé, le frappe d'une peine, de même que s'il
l'exempte de peine tout en déclarant sa culpabilité certaine, il est
évident qu'une telle décision doit être cassée 3.
La peine doit être égale pour tous, c'est-à-dire infligée sans distinc-
tion de positions sociales. L'application de cette règle est encore
laissée à la conscience du juge.
La peiné doit être légale, c'est-à-dire déterminée à l'avance et avec
1. Se reporter, pour les conditions de la légitime défense, aux nos 241, 245
à 254.
.
2. Se reporter aux nM 78-86.
3. Voy.' DAILOZ, Répertoire, t. XXXV, p. 568, n° 84, et p. 572, n° 104.
DÉFINITION DE LA PEINE. 197
1. V. les n°* 125-130 ci-dessus; l'art. 4 C. pén.; les art. 159, 191, 364 C. Inst. cr.
2. La cour suprême, par exemple, a cassé des décisions qui avaient, ou bien
prononcé le blâme, peine qui n'a pas été rétablie, ou bien prononcé, en dehors
des cas prévus par la loi, l'affiche du jugement ou la réparation d'honneur. (Voy.
BLANCHE, Etudes pratiques sur le Code pénal, 1, nos 54-56;
— DALLOZ, Répertoire,
t. XXXV, p. 567 et s., nos 81, 92, 102).
Elle a cassé des décisions qui avaient prononcé la peine de l'amende contre les
héritiers du coupable, et approuvé celles qui avaient rejeté les poursuites dirigées
contre des personnes étrangères au délit. (Voy. DALLOZ, t. XXXV, p. 570.)
CHAPITRE II
CODE PÉNAL.
—-
matière criminelle sonl ou
ART. 6. Les peines en
afflictives et infamantes, ou seulement infamantes.
ART. 7,. Les peines afflictives et infamantes sont.: 1° la mort; —
2° les travaux forcés à perpétuité;
— 3° la déportation; — 4° lés tra-
vaux forcés à temps; — 5° la détention; — 6° la réclusion.
ART. 8. Les peines infamantes sont.: 1° le bannissement;— 2° la
dégradation civique.
.
ART. 9. Les peines en matière correctionnelle sont : 1° Vemprisonne-
ment à temps dans un lieu de correction; —2° l'interdiction à temps
de certains droits civiques, civils ou de famille; — 3° l'amende.
ART. 11. Le renvoi sous la surveillance spéciale de la haute police,
l'amende et la confiscation spéciale, soit du corps du délit, quand la
propriété en appartient au condamné, soit des choses produites par
le délit, soit de celles qui ont servi ou qui ont été destinées à le com-
mettre, sont des peines communes aux matières criminelles et cor-
ectionnelles.
— l'a-
ART. 464. Les peines de police sont : l'emprisonnement;
mende; — la confiscation de certains objets saisis.
271. Cette division, tirée des rapports que les peines peuvent avoir
entre elles, n'est pas indiquée en termes exprès par le Code pénal ;
mais elle résulte de l'ensemble de ses dispositions.
272. On entend par peines principales celles qui ont une existence
propre et indépendante, et doivent être formellement prononcées par
l'arrêt ou le jugement de condamnation. Les peines criminelles énu-
mérées dans les articles 6, 7 et 8, l'emprisonnement et l'amende, sont,
des peines principales.
273. On entend par peines accessoires celles qui sont virtuellement
attachées, comme des conséquences nécessaires, à d'autres peines ou
bien aux condamnations encourues pour certains délits, en sorte
qu'il n'y a pas lieu de les prononcer. Ce sont; les peines qui ont été
substituées à la mort civile par la loi du 31 mai 1854; la dégradation
civique; quelques incapacités particulières, comme celle d'être juré
(L. du 21 nov. 1872, art. 2); l'interdiction légale; la publicité par
affiches des arrêts portant une peine criminelle (art. 36, C.pén.);
la surveillance de la haute police (art. 46 et 47, C. pén. modifiés
par la loi du 23 janv. 1874), sauf pour le juge la faculté de la
supprimer et l'obligation de mentionner dans son arrêt qu'il en a
délibéré.
1- Voy., en effet, les observations théoriques d'ORTOLAN sur les peines qui frap-
pent le coupable dans son corps (t. II, n°s 1354-1356); sur les peines qui le frappent
dans son moral (n°s 1384-1390) ; sur les peines qui le frappent dans les droits re-
latifs à l'état et à la capacité des personnes (nos
1405-1416); sur les peines qui le
frappent dans les droits relatifs aux biens (nos 1393-1404). Voy. aussi la conclusion
du savant auteur, n°s 1417, 1418.
202 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Deux d'entre elles, ordinairement accessoires, sont parfois princi-
pales : la dégradation civique (art. 8,111, 114, etc., C, pén.) ; la sur-
veillance de la haute police (art. 100, 108, etc., G. pén.).
274. On appelle complémentaires des peines qui sont le complément
d'autres peines et ne sont jamais prononcées seules, ce qui interdit de
les ranger parmi les peines principales, mais qui, d'autre part, ne
peuvent non plus être mises au nombre des peines accessoires, parce
qu'elles doivent être prononcées d'une manière formelle.
Telles sont : l'interdiction de certains droits civiques, civils ou de
famille (art. 42, 86,109, etc., C. pén.), et d'autres déchéances ou in-
capacités particulières, comme celles que prononcent les 1 et 2 de
l'article 335 du Code pénal ; la réparation dont parlent les articles
226 et 227 ; la confiscation spéciale, qui, lorsquelle est prononcée?'
seule, ne l'est pas à titre de peine, mais comme mesure de police.
La surveillance de la haute police, qui est le plus souvent accessoire
et quelquefois principale, est aussi, dans nombre de «as, complémen-
taire (art. 49 et 50 C. pén.).
Les peines complémentaires se distinguent surtout des peines ac-
cessoires en ce qu'elles ne sont pas applicables sans avoir été for-
mellement prononcées. Mais elles en diffèrent aussi sous un autre
rapport : tandis que les peines accessoires sont des conséquences
nécessaires, celles-ci sont tantôt obligatoires, tantôt facultatives.
Ainsi l'interdiction de certains droits est obligatoire dans les articles
109, 112, 113 etc., et facultative dans les articles 86, 89, 91, etc., du
Code pénal. De même la surveillance de la haute police, considérée
comme peine complémentaire, est obligatoire dans les cas prévus
par l'article 49, facultative et quelquefois aussi obligatoire dans ceux
que prévoit l'article 50 du Code pénal.
On remarquera encore que les peines accessoires sont le plus sou-
vent attachées à d'autres peines, tandis que les peines complémen-
taires sont toujours attachées à certains délits 1.
1. Se reporter, pour cette division et pour l'intérêt qu'elle présente, aux numé-
ros 114-117.
2. LOCBÈ, XXIX, p. 17; p. 205, 222.
3. Dans l'intervalle de temps qui s'est écoulé entre la Constitution du 4 no-
vembre 1848 et la loi du 8 juin 1850, la cour de cassation a décidé que la peine
de mort se trouvait virtuellement remplacée par celle de la déportation, telle que
cette peine existait alors. (Voy. l'arrêt du 3 février 1849 rapporté par BLANCHE, 1,
n° 86.)
CLASSIFICATION DES PEINES. 205
280. C'est une subdivision des peines criminelles établie dans les
articles 6, 7 et 8. On vient de voir qu'elle a le défaut de confondre
dans la même note d'infamie les peines propres aux crimes politiques
et celles, qui frappent les crimes de droit commun. Elle encourt encore
deux autres critiques. Tout d'abord elle est inutile : où en est l'in-
térêt? En second lieu, elle n'a pas beaucoup de sens. Pourquoi, en
effet, le législateur a-t-il qualifié le bannissement et la dégradation
civique de peines simplement infamantes et les autres de peines à la
fois afflictives et infamantes ? Il a sans doute voulu dire que l'unique
objet du bannissement et de la dégradation civique serait d'infliger
une souffrance morale, le déshonneur, tandis que, pour les autres
peines, cet objet serait secondaire, le principal étant de faire subir
une souffrance physique. Mais, quant au bannissement, cela peut être
fort inexact : non seulement, dans certains cas, il laissera entière au
condamné sa considération, mais il le frappera, au contraire, très gra-
vement dans ses intérêts matériels ; car il offre, sous ce rapport,
beaucoup d'analogie avec la déportation, bien qu'il soit une simple
restriction de la liberté. La dégradation civique, il est vrai, aura le
caractère qu'a voulu lui imprimer la loi ; encore faudra-t-il, ce qui sera
rare, qu'elle soit prononcée comme peine principale. Avant 1832, on
pouvait y ajouter le carcan. Depuis qu'il a disparu, la classe des peines
purement infamantes se trouve à peu de chose près réduite à néant.
Cette division, comme la précédente, a été écartée du Code belge
de 1867..
I. PEINE DE MORT.
ÎCODE PÉN. — ART. 12. Tout condamné à mort aura la lêle tranchée.
ART. 13. Le coupable condamné à mort pour parricide sera con-
duit sur le lieu de l'exécution, en chemise, nu-pieds, et la tête cou-
verte d'un voile noir. Il sera exposé sur Véchafaud, pendant qu'un
huissier fera au peuple lecture de l'arrêt de condamnation, et il sera
immédiatement exécuté à mort.
ART. 14. Les corps des suppliciés seront délivrés à leurs familles,
si elles les réclament, à la charge par elles de les faire inhumer sans
aucun appareil.
ART. 25. Aucune condamnation ne pourra être exécutée les jours
de fêtes nationales ou religieuses, ni les dimanches.
ART. 26. L'exécution se fera sur l'une des places publiques du lieu
qui sera indiqué par l'arrêt de condamnation.
ART. 27. Si une femme condamnée à mort se déclare et s'il est
vérifié quelle est enceinte, elle ne subira la peine qu'après sa déli-
vrance.
A. ta peine de mort est-elle légitime? — H. Historique des efforts qui ont été faits
jusqu'à ee jour, pour obtenir qu'elle fût de plus en plus restreinte dans son
application ou même abolie. — III. Articles 12 à 14, 25 à 27 du Code pénal.
.1. Comp. Hossr, Kv. III, ch. vI. CHAUVEAU et F. HELTE, t. Ier, ch. v, §2.
PEINE DE MORT. 211
que de dire : puisque cette peine n'a pas arrêté certains individus,
elle ne contient personne, elle est inefficace. S'il en était ainsi, ce
n'est pas seulement la mort, ce sont avec elle toutes les autres peines
qu'il faudrait juger inutiles et supprimer.
Mais ce qui est vrai, c'est que le progrès et l'adoucissement général
des moeurs, après avoir effacé des législations modernes les an-
ciennes tortures, marche vers l'abolition de la peine de mort. A
mesure que s'accroîtra la sensibilité de tous, des peines moins dures
pourront produire autant d'effet que les cruels supplices d'autrefois.
C'est l'état de civilisation où nous sommes arrivés qui fait naître les
protestations si souvent renouvelées depuis la seconde moitié du
XVIIIe siècle. Nous avons peine à supporter le spectacle ou même la
pensée d'homicides accomplis' de sang-froid, par ordre du pouvoir,
suivant des formes régulières, en présence d'assistants impassibles
ou animés de passions sauvages. D'autre part, maigre des démentis,
toujours trop fréquents sans doute, mais que la voix des journaux
rend plus retentissants et en quelque sorte multiplie, la vie humaine
est mieux respectée qu'autrefois. Le nombre des exécutions à mort
diminue, sans que celui des grands crimes augmente. La peine de
mort ne frappe plus, en France et dans d'autres pays., les faits d'ordre
politique; quelques peuples d'Europe et d'Amérique ont même tenté
l'expérience d'une abolition totale. Mais cette réforme ne doit pas
devancer l'état général des esprits. Trop de hâte amènerait une ré-
action, comme il est arrivé ailleurs plusieurs fois. Actuellement,
chez nous, l'opinion ne paraît pas favorable à une suppression com-
plète de la peine de mort; si des pétitions ont été adressées en ce
sens à nos assemblées, les voeux qu'elles contenaient ont été con-
stamment repoussés. L'horreur de l'échafaud ne l'emporte pas encore
sur le besoin de sécurité, et, si douloureuse que"soit cette mesure
extrême, on n'a pas cessé de la croire nécessaire.
287. Quels sont les défauts de la peine de mort?
On a dit qu'elle était inégale ; que, terrible pour les uns, elle était
pour les autres préférable au travaux forcés à perpétuité ; que des
forçats ont commis sur leurs codétenus ou sur leurs gardiens de
nouveaux meurtres en vue d'une condamnation à mort. Ce n'est pas
sérieux ; de rares exceptions ne détruiront pas la certitude que la mort
est regardée par la plupart des hommes comme le plus grand
des maux. Aucune peine d'ailleurs, en ce sens, n'est absolument
égale pour tous, et la peine capitale est précisément l'une de celles
qui remplissent le mieux cette condition.
On a dit encore qu'elle était indivisible, non susceptible d'être
aggravée ou atténuée suivant les circonstances. Mais qu'importe,
puisqu'elle doit être le châtiment suprême, et que des peines infé-
rieures sont à la disposition du juge qui ne la croit pas méritée.
C'est aussi le caractère des travaux forcés à perpétuité et de la dé-
portation d'être indivisibles; les tribunaux n'en sont pas entravés
dans leur oeuvre d'exacte et équitable justice; au-dessous des peines
perpétuelles se trouvent des peines temporaires qu'il est toujours
possible de leur substituer.
Ces critiques écartées, il faut reconnaître à la peine de mort
quatre défauts graves,' dont trois lui sont propres, et dont le qua-
trième est beaucoup plus sensible en elle que dans les autres peines.
1° Elle n'est pas réformatrice; 2° elle est irrémissible. Ce sont deux
conséquences du caractère particulier qu'elle présente : consistant en
un coup de hache brutal, unique et définitif, elle supprime, avec
l'avenir terrestre, les chances d'amendement moral et de pardon. Aux
yeux des philosophes contemporains qui ont fait de l'amélioration du
coupable le principe et le but essentiel des peines, ce double défaut
condamne absolument la peine de mort 4. Mais, quelque désirable
que soit l'amendement du coupable, bien que le système des peines
doive être organisé de manière à y tendre et à le réaliser autant que
possible, ce n'est pas et ce ne sera jamais l'objectif principal de la
pénalité; ou bien l'on renoncera à la peine, et l'on traitera les cri-
minels comme des malades, non comme des coupables. L'idée de
correction, qui d'ailleurs au delà d'une certaine mesure devient une
chimère, n'est qu'une des faces de l'idée qne la peine doit être utile
à la société 2 ; c'est là tout son rôle ; lui faire une place prépondé-
des crimes, d'une part en intimidant par l'exemple, d'autre part en corrigeant le
coupable.
1. ORTOLAN, II, p. 21.
2. ORTOLAN, II, p. 19.
— BECCARIA, ch. xvi, a dit : La peine de mort est en-
core funeste à la société par les exemples de cruauté qu'elle donne aux hommes.
N'est-ïl pas absurde que les lois qui détestent et punissent l'homicide ordonnent
un meurtre public, pow délouirne,r de l'assassinat?
PEINE DE MORT. 219
1. Cependant MITTERMAIER (op. cit., p. 46) parle de doux exécutions qui au-
raient eu lieu en 1830, l'une à Pise, l'autre à Florence, malgré l'imposante pro-
testation de tout le peuple.
2. Dans quelques-uns des États-Unis d'Amérique, l'exécution ne doit avoir lieu
•qu'après un délai de six mois; durant ce temps, des erreurs pourront se révéler;
mais que de longs jours d'angoisses pour le condamnél
3. De plus, un projet de loi en élaboration propose de rendre obligatoire le
pourvoi contre tout arrêt prononçant la peine de mort.
4.L'instrument du supplice est la guillotine, en vertu dudécret du20-25 mars!792.
5. Entre autres, CHAOVEAU et F. HÉLIE, I, n° 67; BERTAULD, p. 237.— II
a
224 DROIT PÉNAL. — ANALYSE DES DIVERSES PEINES.
297. Aux termes de l'article 26, l'exécution a lieu sur une place
publique. On se demande, aujourd'hui, si ce n'est pas un mal. Il ar-
rive, en effet, souvent, surtout dans les grands centres de population,
que les exécutions publiques, attirant parmi les spectateurs un grand
nombre d'individus perdus de vices et animés des plus mauvaises
passions, donnent lieu de leur part à d'affligeants scandales. Elles
excitent aussi chez plusieurs d'entre eux une sorte d'émulation crimi-
nelle à braver la peine par de nouveaux forfaits. Aussi, dans la pra-
tique, applique-t-on la lettre plutôt que l'esprit de la loi : les exécu-
tions se font aux premières lueurs du jour, à quelques pas de la prison,
rapidement, sans solennité. De là à la pensée de modifier la loi il n'y
avait pas loin. C'est un voeu général, sinon unanime, que la peine de
mort soit exécutée dans l'intérieur des prisons, devant un public res-
treint 1. La peine'de mort y perdra peut-être de son effet exemplaire
sur quelques-uns; mais elle'en aura davantage sur ceux qui voient
dans l'exécution publique une dernière occasion d'outrager la société;
et d'ailleurs, c'est la crainte de la mort dont menace la loi plutôt
que le souvenir de l'exécution accomplie sous ses yeux qui est de
nature à arrêter l'homme méditant froidement un crime.
298. L'article 25 défend d'exécuter les condamnations à mort les
jours de fête nationales ou religieuses ou les dimanches.
L'exécution a lieu sans distinction de sexes. Cependant, d'après l'ar-
ticle 27, si une femme condamnée à mort se déclare et s'il est vérifié
qu'elle est enceinte, elle ne subira la peine qu'après sa délivrance.
1
été supprimé dans le Code belge de 1867. — Il doit l'être d'après un projet de loi
sur l'exécution de la peine de mort en date du 20 mars 1879 (art. 2).
1. Cette réforme a été faite en Angleterre, en Allemagne, etc. C'est la disposi-
tion principale (art. 1) du projet de loi relatif à l'exécution de. la peine de mort
qui a été déposé sur le bureau de la.Chambre des députés, le 20 mars 1879. (Jour-
nal officiel du 3 avril 1879.)
PEINE DES TRAVAUX FORCÉS. 22"
II..PEINE DES TRAVAUX FORCÉS A PERPÉTUITÉ ET PEINE DES RAVAUX FORCÉS A TEMPS .
I. Différences qui existent entre la peine des travaux forcés à perpétuité et la peine
des travaux forcés à temps; durée de cotte dernière. II. Nature et historique de
—
la peine des travaux forcés. — III. Loi du 30 mai 1854; textes relatifs à la na-
ture de la peine; dispositions qui répriment les évasions.
1. Pour les développements relatifs au mode d'exécution des travaux forcés, voy.
ci-dessous tit. III, ch. I, § 1.
2. Pour les développements relatifs au mode d'exécution, voy. ci-dessous
lit. III, ch. i, §4.
PEINE DE LA DÉPORTATION. 229
1. Pour les développements relatifs au mode d'exécution de cette peine, voy. ci-
dessous tit. III, ch. I, g 2.
PEINE DE LA DÉTENTION. 233
1872 et de 1873 qui l'ont complétée. Les individus antérieurement
condamnés à la déportation ont donc subi leur peine conformément
à la loi.de 1835, et, à la suite d'un décret du 22 juillet 1850, à la ci-
tadelle de'Belle-Isle.
1. Il a été adopté par le Code belge de 1867. Art. 30 : Toute détention subie
avant que la condamnation soît devenue in-évocable, par suite de l'infraction qui
donne Heu à cette condamnation, sera imputée sur la durée des peines emportant
privation de la liberté. Voy. HAUS, H, p. 20.
PEINES ACCESSOIRES SUPPRIMÉES. 243
I. — DÉGRADATION CIVIQUE.
I. A quelles peines est attachée la dégradation civique. — II. En quoi elle con-
siste. Critique de^son caractère de peine indivisible et obligatoire.
— III. A quel
moment elle est encourue. — IV. Si et comment elle prend fin; art. 12 in fine
de la loi du 30 mai 1854.
juge. Mieux encore, les deux peines distinctement établies dans les
articles 34 et 42 n'en devraient former qu'une, applicable en ma-
tière criminelle et enmatière correctionnelle, tantôt comprenant toutes
les déchéances énumérées dans l'article 34, tantôt se réduisant à plu-
sieurs ou à l'une d'entre elles, tantôt accessoire et tantôt complémen-
taire, tantôt obligatoire et tantôt facultative, enfin tantôt perpétuelle
et tantôt temporaire 2.
CODE PÉN.
— ART. 29? Quiconque aura été condamné à la peine des
travaux forcés à temps, de la détention ou de la réclusion sera de
plus, pendant la durée de sa peine, en état d'interdiction légale; H
lui sera nommé un tuteur et un subrogé tuteur pour gérer et admi-
nistrer ses biens, dans les formes prescrites pour les nominations
des tuteurs et subrogés tuteurs aux interdits.
ART. 30. Les biens du condamné lui seront remis après qu'il aura
subi sa peine, et le tuteur lui rendra compte de son administration.
ART. 31. Pendant la durée de la peine, il ne pourra lui être remis
aucune somme, aucune provision, aucune portion de ses revenus:
Loi DU 30 MAI 1854, ART. 12.
I. A quelles peines est attachée l'interdiction légale. — II. En quoi elle consiste;
comparaison de l'interdiction légale avec la dégradation civique; comparaison
de l'interdiction légale avec l'interdiction judiciaire. — III. Quelles condamna-
tions la font encourir, et à quel moment. — IV. Comment elle prend fin; ar-
ticle 12 de la loi du 30 mai 1854.
de ses biens à adoucir son sort (C. civ., art. 510), celui du condamné
ne devra rien lui en remettre (C. pén., art. 31).
353. 2° L'interdiction judiciaire place l'interdit dans un état d'in-
capacité complète. C'est, du moins, l'opinion la plus générale sur le
sens de l'article 502 du Code civil, au cas où le malade a des inter-
valles lucides ; c'est une chose certaine, au cas où sa folie est continue.
L'interdiction légale, au contraire, ne frappe le condamné que d'une
incapacité restreinte. Il ne pourra faire les actes qui porteraient at-
teinte à l'administration du tuteur, ou qui rentreraient dans les pou-
voirs du tuteur assisté du conseil de famille, tels que les contrats fai-
sant naître des obligations et des droits de saisie, les constitutions
d'hypothèques, les aliénations à titre onéreux 1. Il ne pourra non plus
faire les actes de nature à lui procurer indirectement des secours,
comme seraient les donations. Mais les actes qui sont en dehors de ce
cercle lui sont permis : il pourra donc reconnaître un enfant naturel,
faire son testament 2, et, s'il a pris la fuite ou si l'administration y
consent, contracter mariage. L'article 29 ne s'y oppose nullement; il
ne dit pas, comme le faisait l'article 2 du Code pénal du 25 septembre
1791 (lr° partie, titre IV), que l'interdit ne pourra exercer par lui-
même aucun droit civil ; il le met simplement, et seulement quant
à ses biens, en tutelle 3.
1. En ce sens, arr. de cassât, du 26 janvier 1825-, Paris, 7 août 1837 (Dev. 1838,
II, 268).
2. Quant à la capacité de tester, voy. en ce sens, arr de Rouen du 28 déc. 1822
(Sir. 1823, II, 179); de Nîmes du 16 juill. 1835 (Dev. 1835, II, 485).
3. Tel est le sens de l'article 29 du Code pénal d'après DEMOLOMBE, I, n° 192;
AUBRÏ et RAU, 1, p. 316; ORTOTAN, II, n° 1557; TBÉBUTIEN, I, p. 243. Mais deux
opinions diamétralement opposées l'une à l'autre repoussent toute distinction.
Dans l'une, on soutient que l'article 29, en soumettant le condamné à une tutelle
analogue à celle de l'individu en démence, l'a frappé comme lui d'une incapacité
générale, et par conséquent lui a enlevé la faculté de se marier, de tester, de re-
connaître un enfant naturel (DURANTON, VIII, n» 181 ; VALETTE, Cours de code civil,
P- 92; BOITARD, édit. F. Hélic, n° 78; BERTAULD, p. 260; MOLINIER, Revue de droit
français et étranger, 1850, p. 484). A mes yeux, la différence de rédaction qui
«xiste entre l'article 2 du Code de 1791 et l'article 29 du Code de 1810 est un ar-
gument très fort contre cette manière de voir; et surtout l'esprit de la loi ne
Me semble pas exiger une si grande rigueur.
Dans l'autre opinion, au contraire, on fait remarquer qu'aux termes de l'art. 29,
un tuteur n'est donné à l'interdit que pour gérer et administrer ses biens, et l'on
en conclut que l'incapacité du condamné se borne aux actes de pure administra-
tion, qu'elle ne s'étend pas aux actes de disposition ou produisant des obligations
(MORM, Répertoire, v° Interdiction; CHAUVEAU et F. HÉLIE, I, p. 177; TOOLLIER,
VI, n° 111). Cette interprétation de l'article 29 me semble bien plus éloignée, en
252 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
354. 3° Mais, si l'incapacité du condamné légalement interdit est
moins étendue que celle de l'interdit en démence, parce qu'elle suffit;
ainsi limitée, à son but particulier, qui est de garantir l'exécution de
la peine, d'autre part, étant d'ordre public, le but qui lui est assigné
devant être sûrement atteint, elle est entière et radicale. Tandis que
les actes faits contrairement à la loi par une personne judiciairement
interdite ne sont entachés que d'une nullité relative, c'est-à-dire d'une
nullité dont l'interdit seul, non l'autre partie contractante, peut se
prévaloir (art. 1125, C. civ.); tandis que cette nullité se trouvera cou-
verte si, l'interdiction levée, dix ans s'écoulent sans que l'interdit h
fasse prononcer en justice (art. 1304, C. civ.), ou même bien plus tel
si l'interdit renonce à son droit (art. 1338, G. civ.); au contraire, les
actes faits par le condamné malgré son interdiction sont entachés
d'une nullité absolue et perpétuelle : non seulement l'interdit, mais
toute personne intéressée et le ministère public auront la faculté de
l'invoquer, et l'auront en tout temps 1.
III. Quelles condamnations font encourir l'interdiction légale,
et à quel moment. — 355. La condamnation contradictoire qui pro-
sens inverse, de l'esprit de la loi que la précédente. L'esprit de la loi, qui se ré-
vèle par la place donnée à l'interdiction légale parmi les peines et par la disposi-
tion de l'art. 31, a été d'ériger en châtiment l'interdiction légale, tandis que cclti
interprétation a pour conséquence de lui enlever en grande partie son caractère pé-
nal. Sans doute la pensée, du législateur s'est directement portée sur l'administra-
tion des biens de l'interdit; mais, en remettant cette administration entre les.
mains, d'un tuteur assisté d'un subrogé tuteur et d'un conseil de famille, il il
montré qu'il s'agissait pour lui de l'administration prise dans son sens le plus
étenlu. Pourquoi dès lors ce tuteur n'aurait-il pas les pouvoirs que les articles 450
et 509 du Code civil confèrent à tout autre tuteur? Il ne les a pas, dit-on, parce
que l'article 29 ne reproduit pas les expressions de l'article 2 du Code de 1701.
Eh bien, je crois que, dans cette opinion, l'on attache trop de valeur à la différence
de rédaction qui existe entre les deux textes, tandis que, dans la précédente, on ne
lui en accorde pas assez. Voici, selon moi, quel en est. le sens : la formule delà
loi de 1791 parut aux rédacteurs du Code de 1810 avoir une portée trop large;
elle frappait le condamné d'une incapacité complète, identique à celle de l'inter-
dit en démence et qu'ils ne voulaient pas établir; elle privait le condamné de
facultés qui n'ont rien d'incompatible avec l'exécution de la peine et qu'ils vou-
laient lui laisser; ils l'ont donc -effacée; mais ils ont du moins placé l'interdit
en tutelle; et, leur volonté étant bien certainement d'enlever au condamné
toutes les ressources que pourrait lui fournir sa fortune, il n'est pas excessif
d'en conclure que le droit de s'obliger et celui de disposer de ses biens entre vifs
lui ont été retirés et que l'exercice de ces droits a été confié à son tuteur, con-
formément aux principes généraux de la tutelle.
1. Voy. arr. de cassât, du 25 janv. 1825 (Sir. 1825, I, 3-15; ; arr. de rej. du
29 mars 1852 (Sir. 1852, I, 385).
PEINE DE L'INTERDICTION LÉGALE. 253
1832, une seule peine était attachée aux peines perpétuelles : c'é-
tait la mort civile. Quant à la dégradation civique et à l'interdiction
légale, elles n'étaient accessoires qu'aux peines temporaires. Maisi
en était ainsi dans les mots plus que dans les choses ; car la mort civile
comprenait toutes les déchéances qui constituent la dégradation civi-
que, et de plus, en dépouillant le condamné de toute sa fortune, elle
ôtait à l'interdiction légale beaucoup de son utilité. Cependant il ré-
sultait de là que le condamné conservait en principe l'exercice des
droits relatifs aux biens, et, s'il venait à recouvrer la liberté par la
fuite, il pouvait en user pour acquérir une nouvelle fortune.
359. Dans notre ancien droit, d'après l'ordonnance de 1670 (lit.
XVII, art. 29) et l'ordonnance de 1747 (tit. I, art. 24), la mort civile
était la conséquence d'une condamnation par contumace à la peine de
mort, et des condamnations à perpétuité aux galères, au bannissement
ou à la détention dans une maison de force.
Omise, abrogée par conséquent par le Code du 25 septembre 1791,
elle fut rétablie dans le Code civil de 1804 (art. 22 à 33) et dans le
Code pénal de 1810 (art. 18).
II. A quelles peines était attachée la mort civile. —.360. L'ar-
ticle 23 du Code civil en avait fait une conséquence de la peine de
mort. Mais pourquoi infliger une mort fictive à celui que l'on frappait
de la mort réelle? C'est que, tout d'abord, la mort civile entraînait la
nullité du testament du condamné. De plus, dans le cas où, après l'ar-
rêt, le condamné se dérobait par la fuite à l'exécution, dans le cas
aussi où la condamnation avait été prononcée par contumace, il su-
bissait au moins cette mort sociale.
D'après l'article 24 du Code civil, les autres peines afflictives per-
pétuelles ne devaient emporter la mort civile que si la loi leur attri-
buait cet effet. C'est ce que fit l'article 18 du Code pénal en l'attachant
aux travaux forcés à perpétuité et à la déportation ; mais toutefois
avec cette réserve quele gouvernement pourrait accorder aux déportés
l'exercice des droits civils ou de quelques-uns de ces droits.
Jusqu'en 1832 la déportation ne fut pas appliquée, et le gouver-
nement prit sur lui de la transformer de fait en une détention perpé-
tuelle. Il en résultait que, à défaut d'exécution de la peine princi-
pale, le condamné n'encourait pas la peine accessoire. Mais, lorsque
la détention fut devenue le mode légal suivant lequel devait s'exécuter
la déportation, elle emporta la mort civile.
III. En quoi consistait la mort civile.'— 361. Les effc's de la
PEINE DE LA MORT CIVILE. 257
par la suite; aux termes de l'article 33, ces biens, à sa mort, appar-
tenaient à l'État par voie de déshérence.
A ce double point de vue, la mort civile avait le grave défaut de
n'être pas une peine personnelle au condamné ; des innocents étaient
frappés comme lui, ou même étaient seuls atteints. Eu effet, les suc-
cessions qu'il ne pouvait pas recueillir étaient aussi perdues pour ses
héritiers, à qui il ne pouvait les transmettre. Ses enfants eux-mêmes
en étaient privés, quand il s'agissait d'autres successions que celles
de leurs aïeux ou oncles, les seules pour lesquelles ils pussent le
représenter. Quant à l'incapacité de transmettre par succession les
biens qu'il avait acquis par la suite, c'était une véritable confiscation.
6° Le condamné ne pouvait ni disposer de ses biens, en tout ou en
17
258 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
partie, soit par donation entre vifs, soit par testament, ni recevoir à
ce titre, si ce n'est pour cause d'aliments.
Telle était la mort civile : le condamné était réputé mort pour la
société, d'où un ensemble formidable de déchéances indivisibles et
perpétuelles.
.
Toutefois, il avait été impossible de pousser jusqu'au bout celte
cruelle fiction. Comme le condamné pouvait, s'il avait prescrit sa peine
ou obtenu sa grâce, acquérir des biens et des droits et se trouver
dans la nécessité de plaider, il avait fallu admettre que ce mort serait
représenté en justice par un curateur spécial.
IY. A quel moment la mort civile était encourue. — 362. Il
fallait distinguer suivant que la peine principale avait été prononcée
par une condamnation contradictoire ou par contumace.
Au cas de condamnation contradictoire, aux termes de l'article 26
du Code civil, la mort civile n'était encourue que du jour de l'exécu-
tion, soit réelle, soit par effigie 1. La mort civile différait en cela delà
dégradation civique, laquelle était encourue du jour où la condamna-
tion était devenue irrévocable (C. pén., art. 28). C'est que la mort ci-
vile ' était considérée comme une conséquence de l'exécution de la
peine principale plutôt que de la condamnation, et que l'effet ne de-
vait pas précéder la cause. 11 suivait de là que, si le condamné obtenait
avant l'exécution de sa peine sa grâce ou une commutation,"il échap-
pait à la mort civile ; que, de même, s'il mourait ou s'ôtait la vie avant
l'exécution de sa peine, il mourait dans l'intégrité de ses droits, no-
tamment avec un testament valable. Il était donc alors d'un grand
intérêt de savoir à quel moment précis commençait l'exécution des
travaux forcés ou de la déportation.
363. Au cas de condamnation par contumace, la règle était encore
pour la mort civile autre que pour la dégradation civique. Tandis que,
d'après l'article 28 du Code pénal, la dégradation civique était en-
courue du jour de l'exécution par effigie, l'article 27 du Code civilac-
cordait au condamné, avant de le frapper de mort civile, un délai de
cinq ans. On avait pensé que les effets de la mort civile étaient trop
graves pour être infligés à une personne qui avait été jugée sans être
entendue ni défendue, dont -la culpabilité n'était pas sérieusement
démontrée. On se bornait, dans l'article 28, à retirer au contumax
l'exercice des droits civils. Si, dans cet intervalle de cinq ans, le con-
§ i. Des peines qui, depuis la loi du 31 mai 1854, sont accessoires aux
peines perpétuelles : Dégradation civique, interdiction légale, nullité du
testament, incapacité de disposer ou de recevoir à titre gratuit.
ehéanccs qui ont été empruntées à la mort civile. — IV. Si et comment elles
prennent fin. — V. Tempéraments que les lois du 31 mai 185-1 et du 25 mars
1873 ont introduits à la perpétuité des déchéances attachées aux peines perpé-
tuelles. — VI. Rétroactivité de la loi du 31 mai 1854.
I. PEINE DE L'EMPRISONNEMENT.
pas cette faculté; pour eux, comme pour les reclusionnaires, c'est
l'entrepreneur qui réglemente la distribution du travail.
3° Une troisième différence, relative à l'affectation des gains résul-
tant du travail des condamnés, semble avoir été faite dans les articles
21 et 41 : les condamnés à l'emprisonnement auraient droit aux deux
tiers des produits de leur travail; les condamnés à la réclusion n'en
recevraient une part, indéterminée d'ailleurs, qu'à titre gracieux.
Quelle qu'ait été, à cet égard, la pensée exacte des rédacteurs du Code,
il n'y a pas à s'en préoccuper; car la loi de 1810 a été remplacée,
sur ce point encore, par des actes législatifs postérieurs. L'ordonnance
du 2 avril 1817 (art. 12) avait d'abord établi, pour les détenus des
maisons centrales sans distinction, une répartition analogue à celle
que fait l'article 41 du Code. Depuis, une ordonnance du 27 décembre
1843, ayant en vue les maisons centrales, mais étendue par un arrêté
du 17 mars 1844 aux maisons départementales, accorde aux con-
damnés à.la réclusion comme aux condamnés à l'emprisonnement une
part bien déterminée des produits de leur travail : cette part est des
quatre dixièmes pour les premiers, des cinq dixièmes pour les autres.
4° En fait, et malgré le voeu de la loi, un grand nombre de con-
damnés à l'emprisonnement ne sont pas assujettis au travail. Ce sont
ceux qui, dans les maisons d'arrêt et dans les maisons de justice, se
trouvent confondus avec les prévenus et les accusés.
5° La réclusion est une peine criminelle infamante, et par consé-
quent serait une cause de séparation de corps, d'après les articles 232
et 306 du Code civil. L'emprisonnement est une peine simplement
correctionnelle.
6° La réclusion, seule, entraîne la dégradation civique et l'inter-
diction légale.
7" Les deux peines ont une durée inégale, et le point de départ en
peut être aussi différent. -
IL Quelle est la durée de l'emprisonnement.
— 376. En règle
générale, elle est de cinq ans au plus et de six jours au moins. Par
exception, au cas de récidive, d'après les articles 57 et 58 du Code
pénal, et au cas où l'emprisonnement est prononcé pour crimes contre
des mineurs de seize ans, d'après l'article 67, le maximum peut être
plus élevé. Le minimum est encore moins inflexible; car l'article 463
du Code pénal permet de l'abaisser, en vertu d'une déclaration de
circonstances atténuantes, jusqu'à celui de l'emprisonnement de
simple police, qui est d'un jour.
PEINE DE L'EMPRISONNEMENT. 271
1. Arr. de
cassât, du 11 oct. 1855, rapporté par BLANCHE, I, n° 98.
2. Notamment dans les circulaires du 12 déc. 1835, du 16 mai 1840 et du
23 oct. 1841.
3. Arrêt du 15 oct. 1862 (Sir., 63, 2, 60.)
272 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
condamnation est devenue irrévocable. Ce principe est absolu lors-
qu'il s'agit de peines criminelles; et c'est logique, la détention con-
servant un caractère préventif tant que la condamnation n'est pas
exécutoire; mais on a vu 4 que, dans plusieurs cas, ce n'est pas équi-
table. Pour l'emprisonnement, une telle rigueur aurait eu des con-
séquences particulièrement graves. D'une part, la durée de l'empri-
sonnement étant plus courte que celle des peines criminelles, les
condamnés auraient été plus sensibles à cette sorte de prolongation
du châtiment qui résulte des délais placés entre le jour de la condam-
nation et celui où elle devient irrévocable. D'autre part, ces délais
sont en réalité plus longs au cas de condamnation prononcée par les
tribunaux correctionnels, parce que ce ne sont plus seulement les
délais du recours en cassation, mais surtout, d'ordinaire au moins,
les délais d'appel (art. 201 à 205, C. inst. cr.) qui retardent le jour
où le jugement sera exécutoire; et ces délais sont au minimum d'un
mois pour le condamné qui accepte la sentence et la signifie au pro-
cureur général. Enfin, la détention préventive a bien plus d'analogie
avec l'emprisonnement qu'avec les autres peines privatives de la li-
berté, et rien ne choque dans l'imputation de l'une sur l'autre. Ces
motifs ont déterminé, lors de la revision de 1832, à apporter dans
l'article 24, en faveur des condamnés à l'emprisonnement, des excep-
tions au principe. Mais on remarquera que si, dans plusieurs cas, la
détention préventive est comptée pour l'emprisonnement, ce n'est
jamais que du jour de la condamnation. Cette limite légale est-elle
rationnelle? Pourquoi ne pas imputer aussi sur la peine la détention
préventive antérieure au jugement 2 ? Ce serait peut-être affaiblir par
trop l'effet répressif de l'emprisonnement. L'article 24 est une dispo-
sition de faveur, inspirée par un sentiment d'équité sans être com-
mandée par les principes. Le législateur avait le droit de la ren-
fermer dans des limites arbitraires.
379. L'article 24 fait une première distinction, suivant que le con-
damné à l'emprisonnement se trouvait, lors du jugement, en état de
liberté ou en état de détention préventive. Le condamné était-il libre,
la loi ne s'explique pas. Il est naturel de décider que la durée de la
peine comptera du jour seulement où le condamné sera entré dans la
prison où il doit la subir. Quelle est cette prison? La loi. est encore
1. Ci-dessus, n° 335.
2. C'est ce que le Code belge de 1867 a fait dans son art. 30, non seulement
pour l'emprisonnement, mais pour toutes les peines privatives de la liberté.
PEINEDE L'EMPRISONNEMENT. 273
muette. On admet que régulièrement'c'est la maison servant de"
maison de correction dans le lieu où la condamnation a été prononcée ;
on admet aussi que ce peut être une autre maison de même nature
où le condamné a été enfermé en vertu du jugement '. Mais, si le con-
damné, se trouvant absent, a été retenu plus ou moins longtemps,
par mesure provisoire et avant son transférement, dans une maison
de dépôt d'un tout autre caractère que les maisons de correction,
cette sorte de détention préventive est-elle imputable sur la durée de
l'emprisonnement? Je crois qu'il faut ou non l'admettre selon que
l'absence du condamné n'a. pas eu lieu par sa faute ou lui est impu-
table 2.
380. Si, lors du jugement, le condamné à l'emprisonnement était
en état de détention préventive, l'article 24 prévoit formellement deux
hypothèses et implicitement une troisième, en vue desquelles il donne
des décisions diverses qui indiquent bien l'esprit de la loi et doivent
guider dans l'examen des cas omis.
lro hypothèse. Le condamné à l'emprisonnement qui pouvait, soit
appeler du jugement, soit former un pourvoi en cassation, s'en est
entièrement abstenu. La peine commencera du jour du jugement ou
de l'arrêt. Peu importe que le ministère public exerce un recours ;
peu importe le résultat qu'il en obtient : s'il échoue, il a commis une
erreur; s'il réussit, l'erreur émane du tribunal ou de la cour; le
condamné, qui accepte la sentence, n'en doit pas souffrir.
2e hypothèse. Le condamné à l'emprisonnement, sur son appel ou
sur son pourvoi, a fait réduire la peine qui avait été prononcée contre
lui. Il a eu raison de protester contre la première décision. Le temps
qui s'est écoulé depuis le jour de cette décision devra encore s'impu-
ter sur la durée de la peine.
On remarquera que, si le résultat définitif est favorable au con-
damné, la loi s'attache à ce résultat seul, sans faire de distinctions.
Donc peu importerait que le condamné eût d'abord appelé du juge-
ment sans profit, si ensuite, l'artrêt ayant été cassé, il a obtenu de la
juridiction saisie par le renvoi de la cour-suprême une sentence plus
douce. Peu importerait même une série plus compliquée de revers
et de succès; l'article 24 adjuge au condamné le bénéfice entier de
mais non celui qui s'est écoulé depuis ce dernier jour jusqu'à celui
de l'arrêt de rejet ou jusqu'à celui où l'arrêt défavorable rendu par
la juridiction de renvoi est devenu définitif *.
Que si, avant l'instance de pourvoi formée sans succès par le con-
damné, une instance d'appel avait été engagée par. le ministère pu-
blic, les délais de cette première -instance-compteraient pour la durée
de la peine, quel qu'en fût le résultat, puisque, d'après l'article 24,
tout retard apporté par le ministère public à l'exécution du jugement
doit ne causer aucun préjudice au condamné 2.
381. L'interprétation de l'article 24 donne lieu à une dernière dif-
ficulté. Lorsque le condamné se désiste, soit de son appel, soit -de
son pourvoi en cassation, le recours qu'il avait formé doit-il être
considéré comme non avenu, de manière que la durée de la peine
compte du jour où la condamnation a été prononcée, ou doit-il être
considéré comme rejeté du jour où il a été donné acte du désiste-
ment, en sorte que ce jour soit le point de départ de la peine? Je
pense que cette dernière solution est la plus sûre. Sans cloute l'article
24 a en vue de faire une faveur aux condamnés à l'emprisonnement,
en dérogeant au principe que les jugements ne sont exécutoires qu'a-
près être devenus irrévocables. Mais il y met des conditions. Le con-
damné s'abstient-il de toute protestation, sa peine est réputée s'exé-
cuter du jour de la sentence.; il a droit d'invoquer la première
disposition de l'article. Exerce-t-il un recours, il perd le bénéfice de
son silence 3; il se replace en état de détention préventive; il se
soumet à la seconde disposition du texte; les délais qui ont couru ne
s'imputeront sur sa peine que s'il réussit dans son recours. Or on ne
saurait assimiler à un succès son désistement. C'est la reconnaissance
par lui-même de la faute qu'il, a commise. Cette faute n'est pas
effacée par l'article 24. Elle aura pour conséquence de retarder le
cours de la peine jusqu'au jour où, le désistement ayant été accepté,
elle aura pris fin.
1. En ce sens, arr. de cassation du 3 juill. 1847 (Sir. 47, I, 741) rapporté par
BLANCHE, I, 145.
2. Voy. en sens contraire, CHAUVEAU et F. HÉLIE, I, n° 176. Suivant ces auteurs,
le condamné a perdu par son pourvoi le bénéfice de son premier acquiescement,
le ne vois rien dans l'article 24 qui autorise à le penser.
3. J'entends dire qu'il
renonce au bénéfice du silence qu'il a gardé jusqu'ici
relativement à la décision qu'il attaque. Si donc cette décision est un arrêt rendu
sur un appel à son avantage ou sur l'appel du ministère public, le temps qui
s'est écoulé depuis la première sentence jusqu'à cet arrêt lui demeure acquis,
eomme je l'ai expliqué plus haut.
276 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
La cour de cassation a confirmé cette interprétation au cas de dé-
sistement d'un appel 1. Mais elle a admis que le désistement d'un
pourvoi devait le rendre non avenu 2. Cette distinction ne saurait se
justifier en droit. Elle repose sur des considérations d'équité. La
cour de cassation estime que le délai donné par la loi pour se pour-
voir, délai de trois jours à compter de la sentence (art. 373, C. Inst.
cr.), est trop bref, le texte du jugement ou de l'arrêt n'étant pas
encore entre les mains des parties, pour que le condamné puisse
former son recours avec réflexion, que dès lors on ne saurait lui
imputer à faute de l'avoir exercé sans de justes griefs, si plus tard il
s'en désiste. Lorsqu'il s'agit de l'appel, au contraire, le délai étant
de dix jours (art. 202, C. Inst. cr.), si le condamné le forme à tort,
c'est à ses risques et périls.
revision de 1863; elle a ce caractère dans les articles 86, 89, 91,123,
142, 143, 155 à 158, 160, 174, 228, 241, 251, 305, 309, 362 à 366,
388, 389, 399, 400, 401, 405, 406, 410, 418.
J'ajoute que, parmi ces textes, les uns spécifient les droits que le
juge devra ou pourra retirer au coupable, les autres, en bien plus
grand nombre, lui laissent la faculté de les choisir lui-même eu égard
aux personnes et aux circonstances.
5° L'interdiction de certains droits n'est qu'une peine correction-
nelle, tandis que la dégradation civique est une peine criminelle in-
famante et serait à elle seule une cause de séparation de corps.
D'autres différences, existent encore entre les deux peines; elles
sont relatives à leur durée et à leur point de départ.
IL Quelle est la durée de l'interdiction. — 383. Cette peine est
presque toujours temporaire. Seuls les articles 171 et 175 du Code
pénal infligent à perpétuité la privation des droits politiques.
L'article 42 ne contient pas sur ce point de règle générale. Ce sont
les textes particuliers qui, dans chaque cas, déterminent la durée de
la peine. Elle est le plus souvent de cinq ans au moins et de dix ans
au plus.
Dans deux cas (art. 89 et 91), la loi a gardé le. silence; on accorde
généralement au juge le pouvoir d'y suppléer.
III. Quel est le point de départ de la durée de l'interdiction.
-*- 384. Tandis que l'article 28 établit pour la dégradation civique
une règle générale et absolue, qui est de la faire encourir du jour où
la condamnation est devenue irrévocable, la loi ne s'explique au
sujet de l'interdiction que dans un certain nombre de cas particuliers,
et le point de départ qu'elle lui assigne est différent : c'est le jour où
le condamné a subi sa peine, c'est-à-dire la peine d'emprisonnement
à laquelle, dans ces cas, l'interdiction est ajoutée.
Lorsque la loi est demeurée muette, que' décider? Si la peine que
l'interdiction accompagne est seulement l'amende (art. 113, 185), il
est clair que l'interdiction commencera dès que la condamnation sera
irrévocable. Si l'interdiction est jointe à l'emprisonnement, on recon-
naît généralement que le juge est libre d'en placer le point de départ
soit au jour où la condamnation sera devenue irrévocable, soit au
jour où l'emprisonnement prendra fin.
Quelle est de ces deux règles la plus rationnelle ? Il semble tout
d'abord qu'il est inutile de retirer à des individus privés de leur
INCAPACITÉS ÉDICTÉES PAR DES.LOIS SPÉCIALES. 279
liberté, durant le temps de leur incarcération, des droits ou facultés
dont ils ne peuvent user. C'est le motif qui a dû inspirer le législa-
teur dans les cas où il s'est expliqué. Mais les condamnés à l'empri-
sonnement peuvent s'enfuir, et plusieurs des droits énumérés dans
l'article 42 sont de nature à être exercés par eux après leur évasion.
De plus, il ne serait pas sans utilité d'enlever la faculté de témoigner
en justice même à ceux qui exécutent réellement leur peine. Enfin,
on conçoit difficilement que des hommes condamnés à perdre cer-
taines facultés le jour. où ils seront libres, les conservent, sauf à n'en
.pouvoir user, pendant qu'ils sont incarcérés.
Quoi qu'il en soit, les juges décideront, suivant la nature des clé-
échéances qu'ils auront à prononcer.
1. Pour le sens de ces mots, se reporter ci-dessus, aux n°s 273 et 274.
2. Il y a d'autres incapacités particulières édictées par des lois spéciales, mais
d'une importance moindre. Elles sont indiquées par. ORTOLAN, II, n»3 1550-1561.
CHAPITRE III
387. Une seule peine est commune aux matières criminelles et aux
matières correctionnelles sans l'être aussi aux matières de simple
police ! c'est le renvoi sous la surveillance de la haute police. L'a-
mende et la confiscation spéciale, que l'article 11 du Code pénal met
au même rang, forment une catégorie distincte, celle des peines qui
peuvent être prononcées en toute matière.
1. Comp. le Code belge de 1867, art. 35-37, et le Code allemand de- 1870, § 38
et 39.
En outre de ses. dispositions générales sur la surveillance, -le Code pénal
a un article 229 qui contient, une disposition particulière en vue du cas de violences
commises envers des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions : Le coupable
pawrra. de plus. être, condamné à s'éloigner,, pendant cinq à dix ans du lieu où siège
le magistrat^ et d'un
rayon de deux myriamètres.
Il existe encore d'ans cet ordre d'idées
une loi' importante, celle du 9 juillet l'852,
pi permet d'iraterdire,pan voie de, mesure administrative le séjour du département
de la Seine et celui des
communes formant l'agglomération Lyonnaise à certaines
catégories de libérés et même à des personnes .qui n'ont pas subi de condamna-
tion, et quii attachent à>
ces interdictions de séjour une sanction, pénale. Mais
c'est une loi politique, dont l'abolition est demandée actaeUeiiaeiîfc
aux Ëhà»m:es,,
284 DROIT PÉNAL. — SYSTEME GÉNÉRAL DES PEINES.
les galériens libérés, que l'on assimilait aux vagabonds et aux gens
sans aveu; elles consistaient surtout à leur prescrire une vie
sédentaire et le travail, et à leur interdire le séjour de Paris et
d'autres lieux; en cas de désobéissance, ils étaient ordinairement
renvoyés aux galères 1. C'était en germe, la surveillance de la haute
police.
Rien, sur ce point, dans les Codes du 25 septembre 1791 et du
3 brumaire an IV.
Le principe de la surveillance fut introduit dans le sénatus-con-
sulte du 28 floréal an XII, pour les individus jugés par la haute cour.
L'article 131 portait : Lorsque la haute cour acquitte, elle peut
mettre ceux qui sont absous sous la surveillance ou à la disposition
de la haute police de l'État'.
Puis deux décrets, statuant à l'égard des forçats libérés, vinrent
tenter par de premiers essais l'organisation de la surveillance. Le
décret du 19 ventôse an XIII laissait aux libérés, sauf quelques res-
trictions, la faculté de choisir leur résidence; ils devaient seulement
l'indiquer, afin que l'autorité locale, prévenue, put exercer sur eux
une surveillance particulière. Peu de temps après, le décret du
17 juillet 1806 développa ce système et l'aggrava même au point de
le dénaturer. Tout d'abord il augmenta le nombre des lieux légale-
ment interdits aux libérés. De plus, il donna au ministre de la police
le pouvoir d'interdire aux libérés d'autres lieux à son gré, comme
mesure d'ordre et de sûreté publics, et même de les,déplacer des
lieux qu'ils auraient choisis pour les diriger sur d'autres lieux.
Enfin il leur défendit de changer de résidence sans une autorisation
administrative. C'était à peu près les astreindre à la résidence forcée.
Et dans quelle situation! Le surveillé, après s'être rendu au moyen
d'une feuille de route clans la commune qu'il devait habiter, recevait
de l'administration de la marine un congé portant l'ordre en vertu
duquel il était libéré et le numéro sous lequel il avait été détenu au
bagne; c'était avec cette recommandation qu'il avait à trouver du
travail !
II. Définition et caractère du renvoi sous la surveillance de
la haute police. — 389. Si l'on s'attache à son effet principal et con-
stant, on peut définir le renvoi sous la surveillance de la haute police:
1. C'est pourquoi les mineurs de 16 ans acquittés pour avoir agi sans discerne-
ment, aux termes de l'art. 66, n'y pourraient être soumis (V. ci-dessus, n°227).
On trouvera ci-dessous,au n° 396, une autre application de l'idée que le renvoi
sous la surveillance est une peine proprement dite.
2. Aussi aurai-je à examiner de nouveau la surveillance, comme institution com-
plémentaire du système pénal, ci-dessous, dans le titre III.
286 DROIT .PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES..
III. Quelles sont les mesures autorisées par le renvoi sous
la surveillance de la haute police, et quelle en est la sanction.
390. Dans l'expérience tentée avant le Gode de 1810, on inventa
—
trois modes de surveillance, tantôt .appliqués isolément, tantôt com-
binés ensemble.
L'un deux est si naturel et si nécessaire qu'il a été constamment en
usage : il consiste à interdire aux surveillés l'accès de certains lieux,,
dont la désignation est faite par la loi ou laissée au .gouvernement.
On ne saurait, en -.effet, par exemple, permettre le séjour des grandes
villes à des hommes suspects qui y trouveraient trop de facilités pour
se cacher et pour s'associer entre eux en vue de nouveaux méfaits ; il
pourrait être également, dans bien des cas, imprudent d'autoriser le
retour du libéré dans les lieux où il a commis son crime. Aussi cette
première mesure a-t-elle été maintenue sans interruption sous tous
les régimes de surveillance qui se sont succédé depuis 1810.; et dé-
sormais, sans que j'aie besoin d'en faire, mention, il sera toujours
entendu qu'elle est permise.
Les deux autres consistent, soit à confiner l'individu soumis à la
surveillance dans un lieu déterminé dont il ne pourra s'éloigner sans
autorisation, soit à Je laisser libre de choisir le lieu de sa résidence
et d'en .changer, à de certaines conditions qui permettront à la police
de ne pas le perdre de vue. Chacun de ces deux systèmes a ses avan-
tages et surtout ses inconvénients. Le premier, qui est le plus rigou-
reux pour le surveillé, rend le contrôle de ses actes très facile ; mais
il le place presque fatalement clans l'alternative de mourir do misère
ou de rompre ses entraves ; le second, bien plus favorable au sur-
veillé, lui laisse une liberté de se mouvoir dangereuse pour la sûreté
publique. En somme, il est si difficile de savoir lequel de ces deux'
systèmes est le moins mauvais que, depuis 1810, la législation sur ce
point a changé cinq fois, adoptant tour à tour avec quelques modifi-
cations l'un ou l'autre.
De même, il y a deux sortes de sanction possibles aux prescrip-
tions concernant la surveillance .: ou bien le gouvernement aura le
pouvoir d'enlever au surveillé insoumis toute liberté et de remplacer
pour lui la surveillance par quelque autre mesure de haute police;
ou bien la rupture du ban de surveillance sera érigée en délit et
frappée par les tribunaux d'une peine spéciale qui suspendra, pen-
dant sa durée, la surveillance. Ces deux sortes de sanction ont été
aussi successivementappliquées.
RENVOI SOUS LA SBRVEILLANGE DE LA HAUTE POLICE. 287
Première période: de 1810 à 1832.
— 391. Aux termes des
articles M, 45 et 46 du Gode de 1810, les individus condamnés :à la
surveillance étaient traités bien différemmentsuivant que, après 'avoir
subi leur peine, ils offraient ou non une caution solvable de 'bonne
conduite jusqu'à la somme fixée à l'avance par l'arrêt ou le jugement.
Celui qui offrait cette caution devait recouvrer sa liberté pleine et
.entière; s'il venait à commettre quelque nouveau délit, dans l'inter-
valle déterminé par l'acte de cautionnement, la personne qui -s'était
portée caution pour lui était tenue de payer la somme d'argent qu'elle
avait promise. Celui qui n'offrait pas cette caution demeurait à la
disposition du gouvernement, qui avait le droit de lui assigner un
lieu de résidence comme de l'éloigner de certains lieux, et, s'il
n'obéissait pas, de le faire arrêter et détenir, sans jugement, par voie'
de mesure administrative, durant un temps égal à celui de la
sur-
veillance, c'est-à-dire, dans nombre de cas, pendant toute sa vie.
Ce système était trop rigoureux, inefficace et injuste : trop rigou-
1.Pour tes détails de ce système de surveillance, qui ont été précisés par un
décret du 30 août 1875 et par une circulaire du ministre de l'intérieur aux préfets
(lu 5 novembre 1875, comme aussi pour l'appréciation que j'en lais en le comparant
à celui de 1832 et à celui de 1851, voir ci-dessous, au titre 111, le cliap. n, g 3.
19
290 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
396. L'article 45, relatif à la sanction des devoirs imposés aux sur-
veillés, est maintenu tel que l'avait fait la loi de 1832, et tel que, sous
l'empire de cette loi, lajurisprudence l'avait interprété.
397. La désobéissance aux prescriptions du gouvernement est un
délit, que le décret du 8 décembre 1851 a nommé rupture de ban
(rupture du ban de la surveillance). Quel en est l'élément matériel?
Il suffit pour le constituer d'une simple infraction de la part du con-
damné à quelqu'une des mesures organisées par l'article 44 et prises
contre lui. Quel en est l'élément moral? Pour que le contrevenant soit
déclaré coupable, il n'est pas nécessaire qu'il ait eu l'intention de
violer la loi; il suffit qu'il soit en faute 1.
398. C'est un délit de police correctionnelle, puisque la loi le frappe
d'une peine correctionnelle. (Argum. des art. 1,40 et 465 du G. pén.)
Par conséquent, l'emprisonnement que l'article 45 prononce, en lui
assignant un maximum de cinq ans, aura un minimum de six jours
(art. 40, G. pén.)
Par conséquent encore, les juges compétents seront les tribunaux
de police correctionnelle; sauf, au cas où Fidendité du prévenu se-
rait douteuse, l'application des articles 518 et suivants du Code d'ins-
truction criminelle.
Par conséquent enfin, si le libéré en rupture de ban se trouve avoir.
subi déjà une condamnation portant un emprisonnement de plus
d'une année, il est en état de récidive; le maximum de cinq ans parte
par l'article 45 devient un minimum et sa peine peut être élevée jus-
qu'au double ; car il tombe sous l'application des articles 57 et 58 du
Code pénal.
Il est vrai qu'il n'en est pas ainsi dans le cas où la condamnation
antérieure est précisément celle d'où dérive, la surveillance qui a
donné lieu au délit actuel. Par rapport à cette condamnation, en effet,
la rupture de ban est moins un délit nouveau que l'inexécution de la
peine. Et d'ailleurs l'article 45, prévoyant cette hypothèse, fixe un
maximum de cinq ans qui ne peut-être excédé 2.
Mais la rupture de ban serait une récidive aggravante, si elle se-
combinait avec une autre condamnation distincte 'de celle qui est la
cause de la surveillance. Il en serait ainsi, par exemple, si un individu,
1. C'est ainsi qu'il faut entendre un arrêt de cassation du 25 janv. 1868, rendu
sur ce point.
2. Arr, de cass. du 15 juin 1837.
RENVOI SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE. 201
ne pouvant peser que sur les individus qui sans elle seraient
libres, et du principe que deux peines ne sauraient s'effectuer en
même temps, lorsque l'exécution de l'une est incompatible avec
celle de l'autre. La cour suprême l'a décidé deux fois dans la même
affaire : une première fois, par arrêt de la chambre criminelle du
5 septembre 1840, cassant une décision de la cour de Paris ; une se-
conde fois, par arrêt des chambres réunies du 19 mai 1841, cassant la
décision de la cour d'Orléans qui, sur le renvoi, s'était prononcée
comme la cour de Paris
IV. Dans quels cas etpour quelle durée le renvoi sous la sur-
veillance est encouru. —400. A ce point, de vue, la législation de 1810
n'a reçu de modifications qu'en 1874. Mais, sous l'une et l'autre des
tleuxpériodes qui se sont ainsi succédé, il faut distinguer suivant que
la surveillance de la haute police a le caractère de peine accessoire,
ou celui de peine complémentaire, ou celui de peine principale 3.
1° Des cas où le renvoi sous la surveillance est une peine acces-
soire.— 401. En cette qualité, la mise en surveillance de la haute po-
lice était attachée par les articles 47 et 48 du Code pénal de 1810 aux
peines des travaux forcés à temps, de la réclusion et du bannissement.'
«
néanmoins l'arrêt ou le jugement de condamnation pourra ré-
duire la durée de la surveillance ou même déclarer que les con-
damnés n'y seront pas soumis-» (art. 46, § 3, 47, § 1). Ainsi,
maintenant, en matière criminelle, la mise en surveillance a ce ca-
ractère singulier d'être une peine à la fois accessoire et facultative.
Et, comme il était à craindre que le juge n'oubliât le droit si im-
portant qui lui était conféré, la loi l'oblige à y porter son attention,
en statuant que « si l'arrêt ou le jugement ne contient pas dispense
ou réduction de la surveillance, mention sera faite, à peine de nul-
lité, qu'il en a été délibéré » (art. 47, § 2) 1.
403. Le Code de 1810 était muet sur les condamnés aux peines per-
pétuelles. On avait sans doute pensé que pour eux, destinés à ne ja-
mais recouvrer la liberté, la surveillance de la haute police n'avait pas
de raison d'être. Mais on avait oublié qu'ils peuvent obtenir une com-
mutation substituant à leur peine perpétuelle une des peines tem-
poraires indiquées dans les articles 47 et 48. A la vérité, il était pro-
bable que les lettres de grâce ne rendraient temporaire la peine
commuée qu'en lui adjoignant la surveillance. Mais enfin, en l'absence
de cette réserve, que fallait-il décider? Les uns 2, prenant le texte à
ou, plus exactement, dans certains cas où le juge prononce des peines
correctionnelles.
II est attaché, non pas précisément à ces peines, mais à des crimes
ou délits qui révèlent en leurs auteurs, d'après la loi, des hommes
dangereux et à surveiller.
N'étant pas la conséquence tacite et nécessaire d'autres peines, il
doit être formellement prononcé par le juge. A défaut d'une disposi-
tion spéciale du jugement ou de l'arrêt, le ministère public devra re-
courir en appel ou en cassation pour faire réparer cet oubli; à défaut
de recours du ministère public dans les délais légaux, le condamné
ne sera pas soumis à la surveillance.
Le renvoi sous la surveillance ne peut frapper le coupable sans
avoir été judiciairement prononcé; mais, du reste, il est tantôt obliga-
toire, comme le sont d'ordinaire les peines édictées par la loi, tantôt
facultatif.
406. Aux termes de l'article 49, il est obligatoire envers ceux qui
seront condamnés pour crimes ou délits intéressant la sûreté de l'État.
Ces faits sont prévus dans les articles 75 à 108 du Code pénal 1.
On comprend que les condamnés pour délits intéressant la sûreté
de l'État (les délits de police correctionnelle de cette nature, prévus
dans les articles 75 à 108, sont d'ailleurs très rares) soient considérés
par la loi comme dangereux pour la sûreté publique et, n'étant frap-
pés que de peines correctionnelles, soient en outre assujettis à la sur-
veillance. Mais pourquoi faire un devoir aux juges de prononcer le
aussi; leur sens est-il celui d'un renvoi quant à la durée de la peine au
texte précédent? évidemment non, puisque l'article 48 détermine lui-
même cette durée et la détermine tout autrement que ne l'a fait l'ar-
ticle 47.
407. D'après l'article 50, hors les cas déterminés par les articles
précédents, c'est-à-dire en matière de simples délits n'intéressant pas
la sûreté de l'État, le juge doit se référer aux dipositions particulières
de la loi. Ces dispositions sont assez nombreuses. Quelques-unes or-
donnent au juge de prononcer la surveillance comme complément
d'une peine correctionnelle, par exemple les articles 57, 58, 271, etc. ;
la plupart se bornent à lui en conférer le pouvoir, par exemple les
articles 67, 246, 305-307, 401, etc.
Dans ces divers cas, la loi fixe elle-même la durée minimum et la
durée maximum de la surveillance.
408. On vient de voir que le renvoi sous la surveillance, dans les
cas où il est une peine complémentaire, a souvent un minimum et
quelquefois est obligatoire. Mais, depuis 1832, cela ne doit pas s'en-
tendre sans un tempérament considérable qui tient à l'institution des
circonstances atténuantes. Depuis la loi de révision de 1832, l'ar-
ticle 463 du Code pénal, dans son dernier paragraphe, permet au juge
qui constate l'existence dans la cause de circonstances atténuantes, de
réduire l'emprisonnement et l'amende correctionnels, si impératifs
que soient les termes de la loi, non seulement au-dessous de leur
minimum, mais même au taux des peines de simple police; en dernière
analyse, il l'autorise à substituer à l'emprisonnement édicté par la loi
une simple amende d'un franc. Il est vrai qu'il ne dit rien du renvoi
sous la surveillance. Mais l'esprit de la loi est trop clair pour ne pas
suppléer cette omission; le tribunal qui a recule pouvoir de sup-
primer l'emprisonnement n'est pas demeuré astreint à prononcer le
minimum de la surveillance, ni même à prononcer quoi que ce soit
de cette peine. C'est
ce que les tribunaux et les cours comprirent très
bien, dès la mise
en vigueur de la loi de 1832. La chambre criminelle
de la cour de cassation, cependant, s'attacha, pendant plusieurs,
années, aux termes de l'article 463 et cassa les décisions qui avaient
ainsi entendu le texte 1. Mais, au contraire, la cour suprême, en
chambres réunies, admit cette interprétation dans plusieurs arrêts
1- Arrêt du 8 mars 1833 et arrêts suivants, dont les derniers sont de 1837 et de
1838, cités
par BLANCHE, I, p. 246.
298 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
solennels 1 ; et la chambre criminelle, depuis un arrêt du 26 avril 1839
concernant la remise entière de la surveillance, et un autre arrêt du
9 septembre 1853 concernant la réduction de sa durée au-dessous
du minimum légal 3, s'est ralliée à cette jurisprudence.
Ainsi, les articles 49 et 50 et ceux auxquels ce dernier renvoie ne
sont pleinement applicables que dans les cas où les sentences judi-
ciaires sont muettes sur les circonstances atténuantes; ils peuvent être
écartés par les juges qui admettent les circonstances atténuantes et
les constatent expressément dans leurs jugements 3.
3° Des cas où le renvoi sous la surveillance est une peine princi-
pale. — 409. En cette qualité, le renvoi sous la surveillance est établi
par la loi dans les articles 100 et 213, 108, 138 et 144, 271 du Code
pénal : soit contre les individus qui ont fait partie de bandes séditieuses
ou rebelles, mais se sont soumis à l'autorité sans résistance; soit
contre ceux qui ont participé aux crimes de complots, de fausse mon-
naie ou d'autres faux, mais ont eux-mêmes dénoncé ces crimes et fait
connaître ou arrêter leurs complices; soit contre les vagabonds âgés
de moins de seize ans; en un mot, contre des individus à qui, par
suite de considérations diverses, remise est faite de l'expiation, mais
qui peuvent être supposés dangereux pour la sûreté publique.
Dans les deux premiers articles, la condamnation est facultative
pour les juges; elle a un minimum de cinq ans, un maximum de dis
ans.
Dans les trois articles suivants, la condamnation est encore faculta-
tive; quant à la durée de la peine, avant la loi de 1874, les juges
avaient un pouvoir illimité; maintenant ils ne peuvent la prononcer
que pour vingt ans au plus, sans être astreints à un minimum.
Dans le dernier, la condamnation est obligatoire; les vagabonds mi-
neurs de seize ans doivent être renvoyés sous la surveillance jusqu'à
l'âge de vingt ans accomplis.
Mais toutes ces dispositions doivent se combiner, comme dans les
cas où la peine est complémentaire, avec l'article 463 du Code pénal.
La dernière, depuis la loi du 5 août 1850, ne paraît guère applicable-;
1. Arrêts du 2 janv. 1836, du 26 juin 1838, du 24 nov. 1838, cités par BLANCHE
eod. loc.
2. Cités par BLANCHE, eod. loc.
3. Une autre question est celle de savoir si la règle du non cumul des peines
au cas de plusieurs délits (art. 365 C. inst. cr.) est applicable à la surveillance de
la haute police. V. ci-dessous, au liv. III, le titre 1, cliap. i,
RENVOI SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE. 299
mieux que le juge acquitte le jeune vagabond et l'envoie dans
il vaut
pas moins sa peine, d'après la loi. Le cours n'en sera suspendu que
s'il vient à être condamné pour rupture de banl.
2° De l'amnistie.
— 412. Elle anéantit la condamnation avec toutes
ses conséquences pénales. Elle met fin, par conséquent, au renvoi
sous la surveillance de la haute police.
3° De la réhabilitation. —413. Sans effacer la condamnation, elle
fait également cesser toutes les incapacités qui en sont résultées, le
renvoi sous la surveillance comme les autres (art. 634, C. Inst. cr.)
4° De la grâce. —414. Il faut distinguer entre la. grâce portant sur
une peine principale dont la surveillance de la haute police est l'ac-
cessoire, et la grâce portant directement sur la surveillance elle-
même.
415. Dans le premier cas, la remise de la peine principale n'en-
traîne pas celle de la peine accessoire. Ainsi les condamnés aux peines
des travaux forcés à temps, de la détention, de la réclusion et du
bannissement qui obtiennent leur grâce n'en demeurent pas moins
assujetis à la surveillance. Et cela n'a jamais été mis en doute.
Quant aux condamnés aux peines perpétuelles, avant la loi de 1874,
si par extraordinaire ils avaient été graciés sans réserve formelle, se
423. Une seule peine est spéciale aux matières de simple police:
c'est l'emprisonnement d'une nature particulière que portent les
articles 464 et 465 du Code pénal. L'amende et la confiscation de
certains objets, que l'article 464 présente comme des peines de simple
police, sont mises aussi par l'article 11 au nombre des peines com-
munes aux matières criminelles et aux matières correctionnelles;
elles sont donc applicables en toute matière et seront l'objet du cha-
pitre suivant. Il est vrai que l'amende a un maximum particulier
lorsqu'elle est prononcée pour contravention de simple police; mais
sa nature n'en est pas modifiée.
1. Celte distinction est bien en relief clans le Code belge de 1867. Comp.,au
livre I, la section VI du chapitre n et le chapitre m.
PUBLICITÉ DES CONDAMNATIONS. 307
I. PEINE DE L'AMENDE.
délit, le juge doit prononcer contre chacun d'eux une amende dis-
tincte ; car toute peine doit être individuelle1
.
Toutefois, cette règle reçoit- des tempéraments qui en limitent et
précisent l'étendue. Il peut arriver que plusieurs personnes soient
frappées collectivement d'une seule amende.
Il en sera ainsi lorsque le délit aura été commis par une société
formant une personne civile, c'est-à-dire par quelqu'un agissant en
son nom, sans participation personnelle des membres dont elle est
composée3
.
Il en sera de même lorsque la loi aura déterminé l'amende sans se
préoccuper du nombre des délinquants, en s'attachant à la gravité
matérielle du fait, ou à l'importance du bénéfice illicite qui en résulte
pour son auteur, ou bien à l'intérêt social que présente la répression.
On le reconnaîtra d'ordinaire à cette particularité qu'elle prévoit le
délit en s'exprimant ainsi : tel fait donnera lieu à une amende... au
lieu de le prévoir comme d'habitude en ces termes : tout individu
qui... sera puni d'une amende... On dit alors, dans des décisions de
jurisprudence, que l'amende est réelle plutôt que personnelle, qu'elle
frappe le fait plutôt que les auteurs mêmes du fait. Les articles 144,
192,194 du Code forestier en fournissent des exemples 3. C'est égale-
ment le cas de l'article 19 de la loi du 28 avril 1816 sur les contri-
butions indirectes. Seulement, ici, pour décider qu'il n'était dû qu'une
amende collective, la cour de cassation a donné en outre comme motif
que « d'après leur nature, les amendes en matière fiscale sont moins
une peine que la réparation du préjudice causé à l'État par la fraude »,
affirmation dont l'exactitude est fort contestable, comme on le verra
plus loin 4.
3° L'amende ne peut être prononcée qu'envers un individu morale-
ment et pénalement responsable ; car toute peine ne doit atteindre
qu'un coupable s.
1. Voy.les arrêts cités, avec indication des espèces qui en ont été l'objet, par
BLANCHE, I, n° 279. Voy.
en outre un arrêt de cass. du 11 juillet. 1873 (Sir. 1874.
I, 45).
2. Voy. les arrêts de cass. du 6 août 1839 et du 14 déc. 1848 rapportés par
BLANCHE,
n° 280.
3. Voy. sur l'application de ces textes, les arr. de cass. du 24 av. 1828, du
10 av. 1835, du 23 août 1834 rapportés
par BLANCHE, I, n° 282.
4. Voy. un arr. do cass. du 19 août 1836 rapporté par BLANCHE (I, n« 283), et un
autre arr. de cass. du 4 déc. 1863 (Sir. 64, I, 197).
5. Se reporter ci-dessus, aux n°s 179, 180, 189, 199, 203, 204, 210, 226, 227.
314 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
4° L'amende ne doit être prononcée qu'envers le délinquant; car
toute peine doit être personnelle.
D'où les deux conséquences qui suivent.
A. L'amende ne peut être prononcée contre les héritiers du délin-
quant. Donc, si le délinquant est mort avant d'avoir été condamné,
toute condamnation est désormais impossible. Si, frappé d'une con-
damnation, le délinquant est mort avant qu'elle fût irrévocable, sa
condamnation doit être réputée non avenue l.
Mais, si le délinquant est mort.alors que sa condamnation avait
acquis force de chose jugée d'une manière définitive, ses héritiers
devront payer l'amende prononcée contre lui. Car la condamnation a
créé une obligation pécuniaire à la charge de son patrimoine
(art. 2092 G. civ.), obligation qui a été transmise avec ce patrimoine
aux héritiers 2.
B. L'amende ne peut être prononcée contre les personnes, étran-
gères au délit, qui ne sont que civilement responsables. Ces personnes,
indiquées notamment dans l'article 1384 du Code civil, sont à la
vérité tenues des restitutions, dommages intérêts et frais encourus pour
faits délictueux par ceux qui étaient sous leur surveillance, mais ne
sauraient être frappées des peines attachées aux mêmes faits a.
Le caractère pénal de l'amende a été reconnu et appliqué, à ce
.
point de vue, parle Code forestier, dans son article 206 : « Les maris,
pères, mères et tuteurs et en général tous maîtres et commettants
sont civilement responsables des délits et contraventions commis par
leurs femmes, enfants mineurs et pupilles, demeurant avec eux et non
mariés, ouvriers, voituriers et autres subordonnés, sauf tout recours
de droit. Cette responsabilité sera réglée conformément au paragraphe
dernier de l'article 1384 du Code civil, et s'étendra aux restitutions,
dommages intérêts etfrais, sans toutefois donner lieu à la contrainte
par corps, si ce n'est dans le cas prévu par l'article 46. » Il en est
de même pour les délits de pêche fluviale, aux termes de l'article 74
de la loi du 15 avril 1829 4. Ces dispositions sont d'autant plus
1. Voy. les arrêts de cass. du 28 messidor an VIII et du 9 déc. 1813 rapportés par
BLANCHE, I, n° 299. Voy. aussi un arrêt de Besançon du 21 déc. 1854 (Sir 55,11,181).
2. Voy. pour la discussion qui eut lieu sur ce point au conseil d'État, et qui a
rendu certaine la pensée de la loi, LOCRÉ, XXV, p. 118; BLANCHE, I, n° .300.
3. Voy. les nombreux arrêts indiqués avec leurs espèces par BLANCHE, I,
n» 285. Ajout, les arr. de cass. du 9 juin 1832 (Sir. 32, I, 74-1), du 28 sept. 1838,
(Sir. 39, I. 445), du25 fév. 1842 (Sir. 42, I, 431).
4. 11 en est de même encore pour les délits de chasse : art. 28 de la loi du
3 mai 1844.
PEINE DK L'AMENDE. 315
remarquables que le sens eh a été indiqué par le législateur de la
manière la plus précise. Sous l'empire de l'ordonnance de 1669 qui,,
dans l'article 13 de son titre XIX, déclarait les pères et mères civile-
ment responsables des condamnations rendues en matière forestière,
il était passé en jurisprudence que leur responsabilité s'étendait même
aux amendes, lorsqu'il s'agissait de délits commis dans les bois de
l'Etat. C'est précisément pour mettre fin à cette jurisprudence que
l'article 206 a été rédigé sans faire mention de l'amende. Le rappor-
teur, Favard de Langlade, s'en est expliqué : « L'amende est une véri-
table peine ; elle ne saurait donc atteindre celui qui ne s'est pas rendu
coupable... Si, du reste, les pères, mères, maîtres, etc. sont complices
des délits commis par leurs subordonnés, il est un moyen bien simple
de leur faire supporter l'amende ; il ne s'agit que de les traduire en
justice pour cause de complicité. »
432. Telles sont les plus importantes conséquences du principe que
l'amende est une véritable peine i. La loi les a-t-elle toujours exacte^
ment observées ? Il faut le présumer ; et, s'il arrive que, dans un texte,
quelqu'une d'elles semble avoir été méconnue, il faut se garder d'ad-
mettre cette exception sans un examen sévère.
Ainsi, par exemple, l'article 9 de l'arrêté du 27 prairial au IX, sur
les défenses faites aux entrepreneurs de voitures de transporter les
lettres et journaux, porte que » les' maîtres de poste, les entrepreneurs
de voitures libres et messageries sont personnellement responsables
des contraventions de leurs postillons, conducteurs, porteurs et cour-
riers, sauf leur recours »; ainsi encore, l'article 45 du Gode forestier
constitue les adjudicataires découpes de bois responsables de tout délit
forestier commis dans leurs ventes et à l'ouïe de la cognée, si leurs
facteurs ou gardes-ventes n'en font leurs rapports à l'agent forestier
dans le délai de cinq jours; et l'article 46 les constitue responsables
des amendes encourues pour délits et contraventions commis soit dans
la vente, soit à l'ouïe de la cognée, par les facteurs, gardes-ventes,
ouvriers, bûcherons, voituriers et tous leurs autres employés 2.
1. BLANCHE (I, n°s 287, 4°, 5°, 6», 293, 294) cite ou rapporte les arrêts de cass.
du 5 mars 1855 et du 28 fev. 1856 en matière de postes, ceux du 20 sept. 1832,
du 16 nov. 1833, du 8 mai 1835, du 23 avril 1836 en matière de forêts.
PEINE DE L'AMENDE. 317
1. Voy. les arrêts de cass. du 28 messidor an VIII et du 9 déc. 1813 rapportés par
1
BLANCHE, I, n" 299. Voy. aussi un arr. de Besançon du 21 déc. 1854 (Sir. 55, II, 181).
2. Arr. du 6 juin 1811, rapporté par BLANCHE, I, n° 290, p. 360.
3. Voy. nolammentlcs arrêts du 18 mars 1842 (Sir. 42, 1,465), du 13 mars 184*
(S. 44, I, 366), du 30 nov. 1869 (S. 70, I, 115); ce dernier est le plus important de
tous, parce qu'il casse un jugement fortement motivé du tribunal de Mulhouse.
A:BLANCHE, 1, n°s 295, 296; TRÉBUTIEN, 1, p. 260, 261; BEHTAULD, 13° leçon.
PEINE DE L'AMENDE. 319
responsables à ce [titre les pères et mères absolument étrangers au
délit commis par leurs enfants ? Elle donne, en premier lieu, un sens
qu'ils n'ont pas aux termes d'un arrêté du Directoire du 27 thermidor
an IV et à l'économie générale de la loi du 28 avril 1816 sur les
douanes. De plus, elle se prévaut, bien à tort, comme on le verra plus
loin, de ce que les tribunaux civils peuvent être compétents en ces
matières. Mais surtout, et c'est en ceci seulement qu'elle fait un rai-
sonnement sérieux, elle tire argument des termes de l'article 20 du
titre XIII de la loi du 22 août 1791 et de l'article 56 du titre V de la
loi du 28 avril 1816, qui sont l'un et l'autre relatifs aux douanes. Le
premier porte : « les propriétaires des marchandises seront responsa-
bles civilement du fait de leurs facteurs... en ce qui concerne les
droits, confiscations, amendes et dépens. » Le second (aujourd'hui
abrogé) disait : « Les crimes prévus par les deux articles précédents
seront poursuivis, jugés et punis, ainsi que le prescrit la loi du
20 décembre 1815, et il sera en même temps statué sur les condam-
nations civiles en résultant, telles que confiscation, amende, dom-
mages-intérêts. » N'est-il pas évident, dit un des auteurs qui soutien-
nent l'interprétation de la jurisprudence 4, que ces dispositions
attribuent à l'amendé, en matière fiscale, un caractère particulier,
celui d'une réparation civile ?
Que ce soit le sens apparent de ces textes, je ne le nie pas ; mais
que ce soit leur sens évident, c'est trop dire ; et je crois que ce n'est
pas leur sens véritable. Je pense que les expressions employées dans
l'article 20 de la loi de 1791 et dans l'article 56 de la loi de 1816 (que
je n'écarte pas du débat, bien qu'il soit abrogé) n'ont pas ici leur
signification ordinaire et technique ; il me semble que l'on a entendu
parler de responsabilité pécuniaire, de condamnations pécuniaires,
on les opposant à la responsabilité et aux condamnations corporelles ;
que l'on a simplement voulu joindre, à ce titre, la confiscation et
l'amende aux droits et dépens, pour les faire peser tous à la fois sur
les propriétaires des marchandises, mais sans intention de convertir
en véritables réparations civiles les peines de la confiscation et de
l'amende, sans attacher une si grande importance aux formules. C'est
d'autant plus vraisemblable que, dans l'article 8 du titre III du décret
du A germinal
an II, également relatif aux douanes 2, on se borne à
dire que les fermiers
ou régisseurs seront solidaires avec les conduc-
1. BLANCHE, I, n° 296.
2. Se reporter ci-dessus,
au n° 433.
320 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
teurs pour l'amende, et que, dans l'article 35 du décret du 1er germi-
nal an XIII sur les droits réunis, identique pour le reste à l'article
20 de la loi de 1791, le mot civilement n'est pas reproduit ni la res-
ponsabilité des propriétaires des marchandises qualifiée.
Ainsi, sur les quatre textes qui forment la base du système de la
jurisprudence, l'un, qui est l'article 8 du décret de germinal an II, ne
contient pas un mot qui le justifie ; et cela est si vrai que le plus con-
sidérable des alliés de la jurisprudence * reconnaît formellement que
cet article parle de responsabilité pénale ; un second, qui est l'article 35
du décret de germinal an XIII, ne renferme également aucune
expression caractéristique. En présence de ces deux textes, les deux
autres perdent beaucoup de la signification particulière que la thèse
contraire prétend leur attribuer.
Que leur en restera-t-il si on les rapproche de l'article 9 du décret
du 27 prairial an IX et des articles 45 et 46 du Code forestier, rap-
portés plus haut, et qui, la cour de cassation en convient, établissent
une responsabilité pénale? Pourquoi les amendes auraient-elles en
matière de contributions indirectes et de douanes un autre caractère
qu'en matière de forêts et de postes ?
Au reste, il me semble difficile de comprendre comment des
amendes, ordinairement fixes elle plus souvent très fortes, jointes aux
droits, jointes à la confiscation des marchandises saisies, entraînant
par conséquent pour celui qu'elles atteignent une perte pécuniaire
considérable, peuvent être envisagées comme une juste réparation du
dommage minime que le délit a causé à l'État. Tout au contraire,
l'amende en ces matières me paraît être une peine par excellence et
des plus énergiques, dont le but est de prévenir les fraudes, en
obligeant les propriétaires de marchandises à comparer le risque
énorme que la contravention leur fera courir au faible sacrifice que
leur imposerait l'observation de la loi.
En dernier lieu, si le texte de l'article 22 de la loi de 1791, le seul
en vigueur qui parle de'responsabilité civile, doit l'emporter sur toutes
ces considérations, il n'en résulte en somme qu'une exception au
principe certain que l'amende est une peine, et rien n'autorise à
étendre cette exception hors du texte où elle a été introduite, Or elle
concerne uniquement les maîtres et commettants propriétaires de
marchandises dont les agents ou employés ont commis dés fraudes,
1. BLANCHE, I, n° 291.
PEINE DE L'AMENDE. 321
pas à dire qu'ils doivent toujours l'être, quel que soit le délit. Les
articles 11 et 470 contiennent des règles générales que le législateur
a tracées en quelque sorte pour lui-même. Quant aux juges, ils con-
sulteront, pour chaque délit, le texte qui le prévoit, et ne prononce-
ront la confiscation que si ce texte l'ordonne ou l'autorise et clans les
limites qu'il a posées.
441. C'est l'objet même désigné par la loi qui doit être confisqué.
La valeur n'en peut être demandée au condamné, s'il est détérioré ou
n'a pas été saisi, ni offerte par le condamné qui désire le conserver.
Autrement, la peine serait dénaturée 4.
Cependant cette règle souffre quelques exceptions. Ainsi, d'après
l'article 3 de la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse, au cas
où les armes et engins qui ont servi à commettre le délit n'auront pas
été saisis, le délinquant sera condamné à les représenter ou à en
payer la valeur.
III. Quel est le caractère de la confiscation; règles qui en dé-
rivent. — 442. En droit rationnel, on conçoit que la confiscation
puisse avoir pour but, soit de frapper uniquement le coupable à
titre de peine, soit de le punir et en même temps de retirer du com-
merce, par mesure de police, certaines choses dont la possession
est illicite ou qui sont en elles-mêmes nuisibles, soit d'obtenir
simplement la suppression de ces choses. Eh bien, si l'on consi-
dère la nature des objets divers que, d'après les textes ci-dessus
indiqués, la confiscation peut atteindre, on reconnaîtra que nos
lois lui ont effectivement assigné tour à tour l'un ou l'autre de
ces trois rôles, bien que la qualification de peine soit la seule qu'elles
lui aient donnée (art. 11 et 464); on reconnaîtra qu'en réalité elle a
tantôt le caractère de peine, tantôt avec, ce caractère celui de mesure
de police remise aux soins du pouvoir judiciaire, tantôt ce dernier
caractère seul. Et, si l'on admet que tel a été l'esprit de la loi, je
pense que l'on pourra concilier entre eux des textes qui paraissent
discordants et suppléer à certaines lacunes; car la loi ne s'est pas
toujours expliquée sur la confiscation d'une manière formelle, et des
difficultés en sont résultées.
443. Tout d'abord, une règle générale domine toutes les espèces :
quels que soient le but et le caractère de la confiscation, elle ne peut
jamais être prononcée que par les tribunaux, dans les cas prévus par
1. Arr. de cass. du 23 mai 1823, cité par BLANCHE, I, n° 75,
— Arr. de cass.
du 11 juin 1840 (Sir. 40, I, 968) et du 14 août 1871 (Sir. 71, I, 116).
PEINE DE LA CONFISCATION. 225
la loi, relativement aux objets désignés par elle, et à. l'occasion d'un
délit constaté. Lorsqu'elle est une-peine, c'est évident; lorsqu'elle est
une mesure de police, ce n'est pas moins certain; tous les textes la
concernant montrent bien qu'elle ne peut être ordonnée que par la
justice et à raison d'un fait délictueux 1.
444. Mais, à d'autres points de vue, il faut, pour discerner les règles
de la confiscation, distinguer deux catégories d'hypothèses : 1° celles
où la confiscation n'est qu'une peine ; 2° celles où elle est en même
temps ou seulement une mesure de police.
I. 445. La confiscation n'est qu'une peine lorsque les objets qu'elle
peut atteindre n'offrent par eux-mêmes rien de dangereux ni d'illicite.
C'est le caractère de la confiscation appliquée, par exemple : aux
grains, vins ou boissons dont certains fonctionnaires ont fait le com-
merce malgré la prohibition de la loi (art. 176, C. pén.) ; aux mar-
chandises sur la nature, la qualité ou la quantité desquelles il y a eu
tromperie (art. 423) ; aux présents qui ont eu pour but de corrompre
un fonctionnaire public ou un témoin (art.180, 364); aux recettes
illégalement obtenues par un entrepreneur de spectacles (art. 428).
Dans ces cas, les règles propres aux peines doivent recevoir leur
application, et notamment :
1° La confiscation ne peut être prononcée que si l'inculpé est déclaré
coupable et condamné ; elle est prononcée comme peine complémen-
taire 2.
2° Si le délinquant est mort avant d'avoir été condamné, la confis-
cation ne peut être prononcée contre ses héritiers ; s'il est mort alors
que sa condamnation n'était pas encore irrévocable, cette condamna-
tion est non avenue pour eux. Mais si, au moment de sa mort, sa con-
damnation était passée en force de chose définitivement jugée, la
confiscation sera poursuivie contre ses héritiers, parce qu'il est mort
après avoir perdu la propriété des objets confisqués.
3° La confiscation n'atteint pas lès personnes qui ne sont que civi-
lement responsables 3. Si l'article 20 du titre XIII de la loi du
1. En ce sens, V. notamment les arr. de cassât, du 18 mai 1844, (Sir. 44, I, 621),
du 15 nov. 1844 (S. 45, I, 392), du 24 mars 1848 (S. 48, I, 579), du 6 mai 1854
(S. 54, I, 592), du 10 fév. 1854 (S. 54, I, 400), du 18 juin 1856 (S. I, 765), qui ont
nié la légalité de la confiscation, soit parce qu'il n'y avait pas eu de délit, soit
parce qu'il s'agissait de remèdes secrets ou bien d'objets provenant d'un vol ou
achetés avec le produit du.vol.
2. Arr. de cassât, du 28 sept. 1850 (Sir. 51, I, 458).
3. Arr. de cassât, du 6 juin 1850 (Sir. 50,1, 815). .
326 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
22 août 1791 sur les douanes et l'article 35 du décret du 1er ger-
minal an XIII, concernant les droits réunis, l'édictent contre les pro-
priétaires des marchandises, au cas de fraude, c'est que ces per-
sonnes encourent une responsabilité pénale, comme on l'a vu ; ou du
moins c'est à titre d'exception, et cette exception doit être restreinte
dans les termes des textes qui font établie 1.
4° Dans le cas où la confiscation porte sur le corps du délit, elle ne
peut être prononcée que si l'objet dont il s'agit appartient au con-
damné (art. 11, C. pénal).
II. 446. La confiscation est à la fois une peine et une mesure de
police, lorsque les objets qu'elle peut atteindre sont par eux-mêmes
nuisibles, dangereux pour la sûreté ou pour l'honnêteté publique ;
ou bien lorsque la possession en est illicite, soit dans les mains du
délinquant, soit d'une manière absolue 2. Tel est le double caractère
de la confiscation appliquée, par exemple : aux denrées alimentaires
et boissons falsifiées contenant des mixtions nuisibles à la santé (art. 1
et 5 de la loi du 27 mars 1851, et art. 1 de 1a loi du 5 mars 1855);
aux armes prohibées (art. 314, C. pén.); aux faux poids et fausses
mesures (art. 481) ; aux livres ou images contraires aux bonnes moeurs
(art. 287 et 477) ; aux marchandises prohibées à l'entrée (I. du
22 août 1791) ; aux ouvrages marqués de faux poinçons (1. du 19 bru-
maire an VI).
La confiscation est une simple mesure de police, lorsqu'elle peut
atteindre des objets nuisibles, de nature a être employés pour com-
mettre des délits, mais dont le propriétaire est inconnu. C'est le
caractère de la confiscation qui est ordonnée à l'égard des armes,
engins ,ou autres instruments de. chasse abandonnés par des délin-
quants restés inconnus, aux-termes .de l'article 16, § 4, de la loi d'u
3 mai 1844.
1. Il faut, en effet, appliquer à la confiscation tout ce qui a été dit sur l'amende,
ci-dessusi, au n°s 433-436.
2. En pareil cas, BLANCHE (I, n° 68) exprime la même idée sous cette forme : « Il
faut, eu outre, remarquer que la confiscation spéciale est une peine d'une nature
particulière. Elle affecte bien plus la chose que la personne ; et, s'il peut m'être per-
mis de matérialiser ainsi ma pensée, elle punit plus la chose qu'elle adjuge à
l'Étal que l'accusé- ou le prévenu qu'elle ne frappe qu'indirectement, et qu'elle
n'atteint même pas, si la chose ne lui appartient point. » Je ne crois pas qu'il soit
exa-ct de qualifier de peine une mesure qui frappe une chose; à ce point de vue,
l'a confiscation n'a rien de. pénal. De plus, le savant auteur, en s'exprimant d'une
manière si générale, ne prend pas garde que, dans nombre de cas aussi, la confis-
cation est une véritable peine- sans aucun mélange d'autre- caractère ; que, dans ces
cas, c'est bien la personne et non la chose qui est punie;
PEINE DE LA CONFISCATION. 327
Dans ces derniers cas, l'élément pénal de la confiscation est absent;
dans ceux qui précèdent, bien que présent, il est le moins important
et doit s'effacer. Dans tous, par conséquent, les règles propres aux
peines rie soiit plus applicables, et notamment :
1° La Confiscation, pourvu que le délit matériel ait été constaté,
peut être prô rioncée, non seulement envers le délinquant condamné,
mais même s'il est acquitté ou absous. L'article 49 de la loi du
5 juillet 1844 sur les brevets d'invention l'ordonne en termes exprès.
L'article 14 de la loi du 23 juin 1857 sur les marques de fabrique
et de co mmerce le permet aussi d'une manière formelle. L'article 23
du titre X de la loi dû 22 août 1791 sur les -douanes déclare que, si
le procès-verbal dé Saisie est nul pour vice de forme, la peine d'a-
mende ne pourra être prononcée, mais que la confiscation des mar-
chandises prohibées à l'entrée n'en sera pas moins poursuivie *.
L'article 109 de là loi du 19 brumaire an VI, sur la garantie des
matières d'or et d'argent, dit queues ouvrages marqués de faux poin-
çons seront confisqués dans tous les cas 2. Les articles 34 et 38 du
décret du lor germinal an XIII, sur la fabrication des poudres de
guerre, contiennent une disposition semblable 3. Enfin, ce que ces lois
énoncent expressément, il faut aussi lé décider en l'absence d'un texte
formel, puisque c'est la nécessité des choses qui l'exige 4.
2° II faut aller plus loin et admettre que la confiscation peut être
prononcée même au cas où le délinquant est inconnu, toujours à la
condition que le délit soit constant. L'article 16, §-4, de la loi du
3 mai 1844 sur la police de lâchasse, fait une application de cette idée.
Mais comment le juge sera-t-il saisi, en l'absence de tout, accusé ou
prévenu ? Le même article 16 de la loi de 1844, après avoir dit que
« les armés, engins ou autres instruments de chasse, abandonnés par
les délinquants restés inconnus, seront saisis et déposés au greffe du
tribunal compétent », ajoute : « La confiscation et, s'il y a lieù,_la
1. Cette disposition, si claire d'ailleurs, a été interprétée eh ce sens par un Cer-
1
I. RESTITUTIONS ET DOMirAGES-INTÉRÊTS.
Délimitation du sujet qui doit être actuellement traité.I. Des restitutions. Elles
—
ne peuvent être prononcées que relativement à des choses retrouvées en nature. —
Elles doivent être prononcées, soit sur la demande de la partie lésée, soit d'of-
fice.
— II. Des dommages-intérêts. Ils peuvent être accordés soit en outre,
soit en l'absence des restitutions. — Ils ne peuvent jamais être accordés que sur
la demande .de la partie lésée. — En quoi ils peuvent consister. — La partie
lésée en a toujours la libre disposition.
448 bis. J'ai dit que l'action civile peut être portée ou bien isolé-
ment devant les tribunaux civils, ou bien, conjointement avec l'action
publique, devant les tribunaux de répression.
C'est ce dernier cas que les articles 10 et 51 du Code pénal ont
prévu; c'est alors, en effet, qu'il s'établit un lien entre la peine et
les condamnations civiles.
Il ne faut pas croire pour cela que la réparation du dommage privé
ne soit jamais accordée parles tribunaux de répression quesi l'inculpé
est frappé d'une peine. Elle peut être prononcée même au cas d'abso-
lution ou d'acquittement, suivant des règles qui appartiennent à la
procédure criminelle.
supposerai, avec les articles 10 et 51, que
Mais, cette réserve faite, je
l'auteur présumé du délit a été condamné ; et, renvoyant à l'explica-
tion du Code d'instruction criminelle tout ce qui, bien que relatif aux
réparations civiles, est étranger aux deux textes actuels, je me bor-
nerai au commentaire de ces dispositions 1.
I. Des restitutions. — 449. Les restitutions ont pour cause le
droit de propriété ou de possession reconnu à la partie lésée sur les
choses, à elle soustraites par suite du délit, qui ont été retrouvées en
nature et qui ont été mises sous la main delà justice.
Si les choses soustraites n'ont pas été retrouvées ou n'existent plus
dans leur individualité, ou bien encore si elles ont été cédées à un
cours. Mais, dans bien des cas, la victime du délit serait offensée par
l'offre d'une réparation pécuniaire, et la justice serait fort embarrassée
d'évaluer seule le montant de celle qu'elle croirait due. Si donc il est
! vrai de dire que la condamnation aux dommages-intérêts, à certains
égards, est d'ordre public, elle est bien plus encore d'intérêt privé,
et la règle posée par le Code me paraît, en somme, la plus sûre 2.
t. C'est-à-dire le roi ou les seigneurs (Ordonn. de 1670, lit. XXV, art. 17,
lit. XX.VIII, art. 7).
2. JOUSSE, II, p. 303 et 338.
336 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
§ 1. Hypothèques et privilège.
Danger auquel sont exposés les créanciers de l'amende et des réparations civiles,
quand les biens du condamné sont insuffisants pour payer toutes ses dettes. Ga-
rantie résultant des hypothèques judiciaires pour l'amende et pour les restitutions, les
dommages-intérêts et les frais dus à la partie civile. Garantie résultant du privi-
22
338 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
loge établi par la loi du 5 septembre 1807 pour les frais dus au Trésor. Classe-
ment do toutes ces créances entre elles.
leur est accordé par une loi du 5 septembre 1807, relative au recou-
vrement des frais de justice au profit du trésor public. Par conséquent
ils primeront les créances de la partie civile. Ce privilège porte à la
fois sur les meubles et les immeubles du condamné. Son rang, par
rapport aux autres privilèges grevant les meubles, est fixé par l'arti-
cle 2 de la loi de 1807 ; son rang, par rapport aux autres privilèges
et aux hypothèques établis sur les immeubles, est fixé par l'article 4 de
la même loi. Toutefois, il n'a ce rang que s'il a été inscrit dans les
doux mois à dater du jour du jugement de condamnation.
En résumé, les créances nées d'un délit sont classées entre elles dans
l'ordre suivant : l° les frais dus à l'État; 2° les restitutions, dommages-
intérêts et frais dus à la partie civile; 3° l'amende due à l'État '.
1. Danger auquel est exposé le créancier de l'amende ou des réparations civiles par
suite de la mauvaise volonté du condamné. Historique de la contrainte par corps;
loi du 22 juillet 1867. — IL Pour quelles créances, ou quelles matières, à quelles
Une loi du 18 germinal an Vil (art. 5) plaçait les indemnités dues aux parties
1.
lésées avant les frais adjugés à la République. Mais ce texte a été abrogé par la loi
du 5 septembre 1807. Toutefois, BONNEYILLE (des Diverses institutions complémen-
taires du régime pénitentiaire, p. 5-i et s.) est d'avis contraire, et, en tout cas,
demande que la* priorité soit restituée aux créances dues à la partie civile à l'égard
des frais dus à l'Étal, comme elle leur a été accordée à l'égard de l'amende.
340 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES
conditions, dans quelles formes la contrainte par corps est applicable. —
111. Quelle en est la durée. — IV. Si elle a lieu de plein droit. — Y. Quel en
est le caractère ; en quels lieux elle s'effectue; comment elle prend lin. -
VI. Restrictions et tempéraments que souffre la règle générale.
1. V.les nombreux arrêts cités par BLANCHE, I, noa386,3S7. D'autres arrêts les ont
suivis en 1861, 1862, 1863. Depuis la loi de 1867, la cour de cassation a persisté
dans cette jurisprudence par des arrêts rendus en 1874, 1875, 1876, 1877. Sa. der-
nière décision, à l'heure actuelle, est du 13 jauv. 1879 (Dali. 79, table, V° Cont.
p. corps.)
2. CHAUVEAU et F. HÉLIE, 1, n° 108 bis.
3. BLANCHE, I, n° 388 ; SOURDAT, Traité général de la Responsabilité, I,
n° 208 bis.
342 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
2° Si donc le condamné, après avoir recouvré sa liberté, refuse de
satisfaire aux condamnations pécuniaires prononcées contre lui, son
créancier se trouvera en présence d'une loi qui lui confère en prin-
cipe le droit d'user de la contrainte par corps et d'un arrêt qui,,
muet sur la durée de cette contrainte, le laisse en réalité désarmé.
Eh bien, alors, ne pourra-t-il pas s'adresser par. voie de requête à la
justice, pour obtenir cette fixation de la durée de la contrainte qui est
nécessaire à l'exercice de son droit? Rien ne s'y oppose, il me semble
La situation est analogue à celle qui résulterait d'une omission invo-
lontaire commise dans l'arrêt; et l'on s'accorde à reconnaître,la cour
de cassation l'admet elle-même 1, que, dans ce cas, les parties intéres-
sées peuvent requérir après coup de la juridiction qui a rendu la sen-
tence une fixation de la durée de la contrainte. On objecte que l'on
ne saura à quelle juridiction s'adresser, que la cour d'assises d'où
émane l'arrêt n'existe plus ordinairement quand survient la décision
gracieuse, et qu'aucune loi n'autorise une autre cour à connaître de
l'exécution d'un arrêt qui lui est étranger 2. Mais je pense qu'il ne
serait pas illégal de recourir à la procédure usitée pour l'application
de l'article 518 du Code d'Instruction criminelle. Il s'agit là de cons-
tater l'identité d'un individu condamné, évadé et repris. D'après le
texte, cette constatation sera faite par la cour qui aura prononcé la
peine; et, d'après la jurisprudence, si cette cour n'existe plus, la
cour de cassation en désignera une autre par voie de règlement de
juges 3. Pourquoi ne suivrait-on pas ici les mêmes règles? Les deux
questions ne sont-elles pas de même nature?
463. Lorsque l'on sait que la contrainte par corps assure l'exécu-
tion des condamnations pécuniaires prononcées pour faits délictueux,
on connaît par là même une des conditions auxquelles elle est appli-
cable. C'est qu'il y ait eu constatation d'un délit de droit pénal, crime,
délit ou contravention, comme source des créances garanties. Par
conséquent, si l'auteur d'un fait illicite et dommageable a été acquitté,
ou bien s'il a été absous à raison du caractère non délictueux de l'acte
(art. 364, C. Inst. cr.), le fait par lui commis se trouvant n'être qu'un
délit ou quasi délit de droit civil, les réparations qui en sont ducs
n'entraîneront pas la contrainte par corps 4.
1. AIT. du 12 juin 1857 rapporté par BLANCHE, I, n° 369.
2. SOURDAT, I, n° 208 bis.'
3. Voy. F. HÉLIE, Traité de l'instruction criminelle, VIII, n° 4089.
4. Voy BLANCHE, I, n°s 359-361, elles arrêts qu'il cite ou rapporte. Ajoutez : Cass.,
S nov. 1878 (Dali. 79, f, 387).
CONTRAINTE PAR CORPS. 343
De plus, aux termes de l'article 5 de la loi de 1867, il faut que cette
constatation émane d'une juridiction criminelle.
Mais d'ailleurs, il n'est pas absolumentnécessaire que la constata-
tion du délit par l'autorité compétente ait eu pour conséquence une
condamnation pénale; il suffit qu'elle ait entraîné une condamnation
civile. C'est ce qui arrive quelquefois. Ainsi, notamment, lorsque la
partie lésée interjette appel d'une décision du tribunal correctionnel
qui a prononcé l'acquittement du prévenu, tandis que le ministère
public accepte le jugement, la cour ne peut statuer que sur les inté-
rêts civils de l'appelant, d'après l'article 202 du Code d'Instruction
criminelle; quand même elle reconnaîtrait la culpabilité du prévenu,
elle ne peut le frapper d'une peine; et néanmoins, si elle prononce
une condamnation civile, elle doit la fonder sur la constatation du
délit. Ainsi encore, lorsque le même individu a commis deux ou plu-
sieurs délits, il n'est condamné qu'à la peine encourue pour le plus grave
d'entre eux, en vertu de la règle inscrite dans l'article 365 du Code
d'Instruction criminelle; et cependant il peut, être condamné en outre
aux réparations civiles qui dérivent des autres, et par conséquent ces
derniers doivent être aussi constatés. Eh bien, ces condamnation^
civiles qui ont leur cause dans des délits impunis, mais reconnus,
seront garanties par la contrainte corporelle 1.
Il n'est pas nécessaire non plus que la condamnation aux répara-
tions civiles pour faits délictueux ait été prononcée par un tribunal de
répression ; la contrainte par corps s'y attache également lorsqu'elle
émane d'un tribunal civil, pourvu que le caractère délictueux du
fait ait été reconnu par la juridiction criminelle (art. 5, loi de 1867) 2.
464. La procédure concernant la contrainte par corps est réglée
dans les articles 3, 4 et 6 de la loi du 22 juillet 1867. Un comman-
dement est fait au condamné, soit à la requête du receveur de l'enregis-
trement et des domaines agissant au nom de l'État créancier de l'a-
mende ou des frais, soit à la requête de la partie lésée créancière
des frais, restitutions ou dommages-intérêts. Si le jugement de con-
damnation n'a pas été précédemment signifié au débiteur, le com-
mandement doit, porter en tête un extrait de ce jugement contenant
le nom des parties et le dispositif. Cinq jours après, sur le vu du
commandement et sur la demande du receveur de l'enregistrement
ou de la partie lésée, le procureur de la République adressera les
1. Comp. BLANCHE, I, n° 363. Voy. les arrêts qu'il cite, ou rapporte.
2. AIT. de cass. du 9 juin 1869 (Sir., 69, I, 349).
314 DROIT PÉNAL. SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
1. Voy. BLANCHE, 1, nos 379, 380, 385, et les arrêts qu'il cite. Ajoutez : arr. decass.
du 20 die. 1861 (Bull. crim. 66, n° 280, p. 455); du 28 déc. 1872, (Bull, crim.,
77, n° 331,.p. 563).
2. Entre autres arrêts, voirl'arr. decass. du 12 juin 1859 que rapporte BLANCHE
1, n° 369.
3. Arr. de cass. rapporté par BLANCHE, I, n° 365.
4. Arr. do cass. rapporté par BLANCHE, I, n° 366. Ajouter : arr. de cass. du
9 janv. 1869 (Dali. 69, I, 280).
346 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
n'est pas une peine, puisque nulle part la loi ne l'a ainsi qualifiée ;
c'est, une simple voie d'exécution des condamnations pécuniaires pro-
noncées pour faits délictueux.
C'est évident, lorsqu'elle garantit le recouvrement des restitutions,
dommages-intérêts ou frais.
Ce n'est pas moins certain, lorsqu'elle a pour but le paiement de
l'amende. Elle n'est pas alors une peine corporelle substituée à une
peine pécuniaire inexécutée. Dans ce cas, toutefois, il est vrai qu'elle
présente une grande analogie avec la peine d'emprisonnement ; et
l'on conçoit que, lors des travaux préparatoires, des orateurs aient été
entraînés à quelques confusions et à des équivoques de langage *. On
a même formellement enseigné, en se fondant 'sur des dispositions
de la loi mal interprétées, qu'elle est une peine 2. Mais c'est une
erreur, comme le conseil d'État l'a depuis longtemps déclaré et dé-
montré-dans un avis du 15 novembre 1832 3. Non, la contrainte par
corps n'est pas une peine ; les règles certaines qui vont suivre en sont
à la fois des conséquences et des preuves.
469. C'est parce que la contrainte par corps n'est pas une peine
que l'exécution en est remise, comme on l'a déjà vu, soit au receveur
de l'enregistrement agissant au nom de l'État, soit à la partie lésée;
le procureur de la République n'intervient qu'à titre d'auxiliaire,
pour faciliter l'arrestation du condamné; s'il s'agissait d'une peine,
il aurait un tout autre rôle. Et, comme le but de la contrainte par
corps est de vaincre la mauvaise volonté d'un débiteur qui est soup-
çonné de se dire faussement insolvable, si vraiment son insolvabilité
n'est pas douteuse, le receveur de l'enregistrement, sans y être obligé,
fera bien, dans l'intérêt du Trésor, de ne pas réclamer son incarcé-
ration ou d'y mettre fin avant le terme des délais légaux.
470. C'est parce que la contrainte par corps n'est pas une peine
qu'elle n'aura pas lieu ou prendra fin, si le débiteur donne une cau-
tion (art. 11, loi de 1867).
C'est pourquoi, encore, elle n'aura pas lieu ou prendra fin, lors-
qu'elle sera encourue dans l'intérêt d'un particulier, si ce dernier ne
consigne pas ou cesse de fournir les aliments du débiteur (art. 6 et 7,
loi de 1867).
1. V. le passage de l'exposé des motifs delà loi de 1867 rapporté par CIIAUVEAU
et F. HÉME, I, n° 183.
2. SOURDAT, Traité général de la responsabilité, I, n° 212 septiès.
3. V. CHADVEAU et F, HÉLIE, I, p. 195.
CONTRAINTE PAR CORPS. 347
§ 3. Solidarité.
I, Danger,, auquel eût été exposé, sans une intervention spéciale de la loi, le
créancier des restitutions, dommages-intérêts ou frais, lorsque plusieurs individus
ont concouru au préjudice par lui souffert; secours insuffisant qu'il eût trouvé
dans l'application judiciaire des principes généraux consacrés par les articles 1382
et 1383 du Code civil ; garantie spéciale que l'article 55 du Gode pénal lui accorde
en matière de crimes ou de délits. — II. Caractère et justification, en ce qui
concerne les condamnations civiles, de la solidarité établie par l'article 55. —
III. Cette solidarité s'applique aussi aux condamnations à l'amende ; critique de
la loi à ce point de vue. — IV. A quelles matières cette solidarité doit être
restreinte. — V. Dans quels cas et à quelles conditions elle existe.
I. BLANCHE, 1, n° 414.
352 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Suivant les autres, il s'agit bien de la solidarité. Mais, dans les
hypothèses où la solidarité dérive de la loi, elle est tantôt parfaite,
tantôt imparfaite, selon que les divers débiteurs peuvent être ou non
considérés comme ayant mandat mutuel de se représenter les uns les
autres dans leurs rapports avec le créancier. Au cas de solidarité
parfaite, tous les effets énumérés dans les articles 1203 à 1207 du
Code civil pourront se produire. Au cas de solidarité imparfaite, il y
aura simplement obligation pour chacun des débiteurs de payer la
dette en entier. Et l'hypothèse prévue dans l'article 55 est de celles
où la solidarité n'est qu'imparfaite d. Cette opinion n'est pas plus ad-
missible que la précédente. Elle se réfute par la même observation :
la loi n'a organisé qu'une sorte de solidarité dans les articles 1200 à '
1. C'est ce que décide la jurisprudence. V. arr. de cass. du 12 mai 1849 (Sir. 49,
1,008); arr. de cass. du 20 mars 1868 (Bull, cr., 73, p. 125); arr. de cass. du
22 juin 1871 (Bull, cr., 76, p. 114).
2..BLANCHE (I, n° 438), étant d'avis que l'article 55 est une application des prin-
cipes généraux, ne l'étend pas beaucoup en décidant qu'il se réfère, même aux
dommages résultant de contraventions. Cependant il l'étend encore, puisqu'il
admet ainsi que l'obligation au paiement intégral existera, en matière de contra-
ventions comme en toute autre matière, de plein droit et dans tous les cas.
Des arrêts ont décidé que le juge a le droit de condamner pour le tout chacun
des contrevenants. Ces décisions sont fondées avec raison sur les principes géné-
raux et non sur l'article 55. (Voir cepend. les arr. de cass. du 20 mars 1868 et du
22 juin 1871, au Bull. crim. 73, p. 155, et 76, p. 114). D'autres'arrêts ont formelle-
ment écarté l'application de l'article 55, notamment l'arr. de cass. du 12 mai 1849
cité ci-dessus. C'est à tort que l'on cite aussi en ce sens un arr. de cass. du
3 av. 1869 (Sir. 70, 1, 259); car cet arrêt porte non sur une contravention de
simple police, mais sur un délit non intentionnel, et rien ne prouve que le mot
délit, dans l'article 55, n'embrasse pas les délits non intentionnels comme les délits
proprement dits.
3. Aussi les nombreux arrêts de la cour de cassation qui ont maintenu des déci-
sions prononçant la solidarité pour les dommages qui résultent de quasi-délits sont-
ils fondés sur les principes généraux et non sur l'article 55. Voy. notamment les
arr. du 8 nov. 1836, du 12 juill. 1837, du 12 mai 1839, du 29 déc. 1852, du
4 mai 1859 (Sir. 59, 1, 377), du 3 mai 1865 (Sir. 65, 1, 251), du 25 juill. 1870 (Sir,
72, 1, 122), du 23 mars 1S75 (Sir. 75, 1, 155).
356 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
V. Dans quels cas ou à quelles conditions existe la solidarité.
481. 1° La solidarité que l'article 55 a établie n'existe que dans le
—
cas où plusieurs individus ont participé au même fait. Si donc il
s'agissait de faits différents, quand même ils auraient été compris dans
la même instance, il n'y aurait pas solidarité *.
Mais on peut dire que les condamnés ont été jugés pour le même
fait, lorsqu'ils l'ont été pour des délits connexes, en vertu des
articles 226 et 227 du'Code d'instruction criminelle; car ces faits
« sont dépendants les uns des autres et ne forment à vrai dire que
les parties d'un même tout »
482. 2° La solidarité établie par l'article 55 n'existe que si les in-
dividus qui ont participé au même fait en ont été reconnus coupables.
Il n'est pas nécessaire, d'ailleurs, qu'ils aient été condamnés à une
peine ; il suffit, et c'est ce que signifie simplement, l'article 55 en par-
lant de « condamnés », que, reconnus coupables du même crime ou
du même délit, ils aient été condamnés aux restitutions, aux domma-
ges-intérêts ou aux frais. C'est ce qui peut arriver, par exemple,
dans les cas prévus aux articles 105 et 138 du Code pénal, ou bien
par application des articles 66 du Code pénal, 202 et 365 du Code
d'instruction criminelle 3.
Mais, s'ils sont acquittés, alors même qu'il subsisterait un délit ou
quasi-délit de droit civil donnant lieu à des réparations, on n'est
plus dans les termes de l'article 55; puisqu'il n'y a ni crime ni
délit, il ne saurait être question de solidarité proprement dite; les
juges peuvent seulement condamner pour le tout chacun des auteurs
du dommage, en vertu des principesgénéraux consacrés par les arti-
cles 1382 et 1383 du Code civil.
483. 3° Des auteurs enseignent qu'une troisième condition doit
être ajoutée à celles qui viennent d'être examinées : c'est que les con-
damnations aient eu lieu dans la même instance, par le même juge-
ment. « Car l'article 55 suppose évidemment une poursuite simulta-
née, et il serait impossible d'admettre que la condition d'un cou-
1. Cette règle, si clairement indiquée dans l'article 55, a été maintes fois consacrée
par la cour de cassation. Aux arrêts rapportés par BLANCHE (I, n° 433) ajout.,
entre autres, les arr. du 10 nov. 1855, du 13 mars 1863, du 23 janv. 1868, du
17 janv. 1873, du 19 juin 1875 (Bullet. cr. 60, p. 554; 68, p. 140; 73, p. 27 ; 78, p.
23; 80, p. 375).
2. Aux arrêts cités par BLANCHE (I, n° 419), ajout, ceux du 5 janv. 1866, du
20 mars 1868, du 30 janv. 1873 (Bull.er., 71, p. 8; 73, p. 125; 78. p. 53).
3. V. BLANCHE, I, n° 421.
SOLIDARITÉ. 357
damné, pût être aggravée, après son jugement, par la condamnation
postérieure de ses complicesl. »
En principe, il nie semble que rien n'autorise à interpréter ainsi
le silence de l'article 55. Tout au contraire, il y aurait lieu de s'éton-
ner si la participation au môme .délit avait des effets différents sui-
vant qu'elle a donné lieu à un seul et même jugement ou à des juge-
ments successifs 2.
Toutefois, en ce qui concerne les frais, la solution proposée est
juste. La séparation des instances a occasionné des frais plus consi-
dérables; les condamnés ne doivent pas répondre de ce surcroît de dé-
penses; et, les procès ayant été distincts, les frais doivent l'être aussi.
La solidarité ne doit lier les condamnés que pour les frais des actes
de poursuite qui leur ont été communs 3.
484. Telles sont les conditions exigées pour que l'article 55 soit
applicable. Lorsque ces conditions seront remplies, il y aura toujours
solidarité.
Ainsi, puisqu'il n'est pas nécessaire que les codélinquants, recon-
nus coupables du même crime ou du même délit, soient frappés d'une
peine, à plus forte raison la solidarité obligera-t-elle ceux qui auront
été condamnés à des peines différentes ou inégales. Que l'un d'eux
soit condamné à 100 francs d'amende et l'autre à 1000 francs, peu
importe. Il serait même sans intérêt que l'un d'eux eût encouru une
peine plus forte à raison de sa qualité de récidiviste 4.
Peu importe encore que les parts des codélinquants dans les resti-
tutions, dommages-intérêts ou frais aient été déterminées par le juge-
ment et faites inégales.
Il n'est pas nécessaire non plus que les condamnations civiles dont
parle l'article 55 aient été prononcées par un tribunal de répression.
C'est évident lorsque la partie lésée a porté son action devant un tri-
bunal civil, après la constatation du crime ou du délit par un tribunal
criminel. Il faut l'admettre aussi lorsque le tribunal civil a été seul
saisi : l'article 3 du Code d'instruction criminelle, en autorisant les
tribunaux de cet ordre à connaître des dommages causés par les cri-
sur la pèche fluviale; et, l'autorité du tuteur étant tout à fait ana-
logue à celle des père et mère, il y a lieu de penser que ces textes
sont des applications d'une règle implicitement contenue dans l'ar-
ticle 1384.
Le mari, au contraire, n'est pas de plein droit responsable du fait
de sa femme; car au silence de l'article 1384 s'ajoute cette raison
que la puissance maritale n'est pas de même nature que la puissance
paternelle. Il faut donc, à cet égard, considérer comme exceptionnels
trois des textes précités qui, à côté de la responsabilité du tuteur,
établissent aussi celle du mari '.
488. 2° Aux termes de l'article 1384, § 3, « les maîtres et les com-
mettants sont responsables du dommage causé par leurs domes-
tiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont em-
ployés ».
La responsabilité des maîtres et commettants est moins étendue,
mais plus rigoureuse que celle des pères et mères, instituteurs et
artisans.
D'une part, en effet, ils ne sont responsables que des dommages
commis par leurs domestiques et préposés à l'occasion de leur ser-
vice. Par exemple, si un domestique, en conduisant une voiture de
son maître, renverse un passant par méchanceté ou par imprudence,
ou bien si un préposé détourne les marchandises qu'il était chargé
de recevoir au nom de son commettant, le maître et le commettant
seront responsables; ils ne le seront pas si leur domestique ou pré-
posé, dans une rixe, commet un meurtre.
Mais, d'autre part, les maîtres et commettants ne sont pas admis
à prouver qu'ils n'ont pu empêcher le fait dommageable. Car, alors
même, ils sont en faute d'avoir fait un mauvais choix dans la personne
du domestique ou préposé.
C'est en ce double sens qu'il faut entendre les applications de la
responsabilité des maîtres et commettants qui se rencontrent dans
l'article 7 du titre 2 de la loi du 28 septembre 1791 sur la police
rurale, dans l'article 74 de la loi du 15 avril 1829 sur la pêche flu-
viale et dans l'article 28 de la loi du 3 mai 1844 sur la police de la
chasse. L'article 206 du Code forestier, au contraire, permet aux
maîtres et commettants de se disculper.
La responsabilité des commettants, telle qu'elle vient d'être dé-
1. Pour plus de développements, voir BLANCHE, II, nos 377-384 et 390; SOURDAT,II,
n°s 810 et s.
RESPONSABILITÉ CIVILE. 363
finie, s'applique, en principe et sauf exception, aux administrations
publiques 1.
489. 3° Aux termes des articles 1953 et 1954 du Code civil, « les
aubergistes ou hôteliers sont responsables du vol oit du dommage
des effets du voyageur, soit que le vol ait été fait ou que le dom-
mage ait été causé par les domestiques et préposés de l'hôtellerie,
ou par des étrangers allant et venant dans l'hôtellerie; — ils ne
sont pas responsables des vols faits avec force armée ou autre force
majeure ».
Comme on le voit, la responsabilité que l'article 1953 du Code ci-
vil impose aux hôteliers ou aubergistes n'est pas seulement celle des
maîtres et commettants; elle s'étend aux actes des étrangers allant et
venant dans l'hôtellerie. Elle est donc très onéreuse. Elle est fondée
sur la nécessité où sont les voyageurs de loger dans les hôtelleries et
de se confier à la foi %du maître pour la garde de leurs effets. Elle a
aussi pour but d'empêcher que des associations ne se forment entre les
hôteliers et les voleurs.
Les voituriers par terre et par eau sont assujettis, pour la garde et
la conservation des choses qui leur sont confiées, aux mêmes obliga-
tions que les aubergistes (art. 1782, C. civ.) 2.
490. 4° L'article 73 du Code pénal met une autre responsabilité h
la charge des aubergistes, des hôteliers et généralement de tous les
logeurs. Tout d'abord ils doivent, d'après l'article 475, n° 2 du même
Code, et sous peine d'une amende de six à dix francs, inscrire sur un
registre les noms, qualités, domicile habituel, dates d'entrée et de sortie
de toute personne qui couche ou passe une nuit dans leur maison. De
plus, d'après l'article 73, à défaut de cette formalité et dans le cas où
'a personne à l'égard de qui elle aurait dû être remplie et ne l'a pas
été a logé chez eux pendant plus de vingt-quatre heures, si cette per-
1. Comp. et voir pour plus de développements SOURDAT, II, n°s 768-774; 840, 880
et 881. 907-909.
TITRE III
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
1. Les chiffres concernant les années 1826 à 1865 sont empruntés aux Eléments
de droit pénal (I, p. 295 à 297) de M. OHTOLAN. — Les années 1870 et 1871, ayant
été anormales, sont écartées,
24
370 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
1. Par accusés ou prévenus récidivistes, on entend, ici, non pas seulement ceux
dont la récidive est une cause d'aggravation- légale de leur peine, mais générale-
ment tous ceux qui ont été frappés d'une condamnation antérieure.
EXÉCUTION DES PEINES. — OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES. 371
Ainsi, durant les années 1872 à 1876, la proportion des récidives,
parmi les prévenus, a dépassé le tiers, et, parmi les accusés, a presque
atteint la moitié. Et si l'on considère, non plus les prévenus ni les
accusés, mais les condamnés écroués dans les prisons, on trouve des
chiffres bien plus affligeants encore. D'après la Statistique des pri-
sons de l'année 1876 (p. XLI), les détenus en [état de récidive étaient,
dans les maisons centrales : pour les hommes, au nombre de 12 443
sur 15825; pour les femmes, au nombre de 1745 sur 3625.
498. Si donc l'état général de la criminalité demeure stationnaire,
c'est par suite d'un double courant en sens inverse : les crimes et
délits commis pour la première fois sont en décroissance, tandis que
les récidives suivent une marche ascendante.
Quelles peuvent être les causes de ce phénomène? Attribuer la pro-
gression des récidives aux vices de notre civilisation i, c'est, il me
semble, commettre une erreur : cette cause agirait, si elle était réelle,
sur la première criminalité comme sur la récidive. L'attribuer aux
défauts de notre système pénitentiaire, c'est, comme on le verra, indi-
quer une partie de la vérité, mais non la vérité tout entière; car il
est évident que les défauts de ce système n'ont pas augmenté, depuis
1851, au même degré que la récidive. Peut-être est-il permis de sup-
poser en outre que les juges et les directeurs des prisons, gagnés
par l'adoucissement général.des moeurs, ont de plus en plus usé d'in-
dulgence, les uns dans la condamnation, les autres dans la mise à exé-
cution de la peine, en sorte que la répression aurait progressivement
perdu de son efficacité. Quoi qu'il en soit, s'il est difficile de rendre
compte du rapide accroissement des récidives, il ne l'est pas d'expli-
quer les récidives elles-mêmes. Elles ont trois causes premières : tout
d'abord l'attrait du mal, qui exerce sur certains hommes une puis-
sance particulière et qui, après une première chute, en détermine
naturellement de nouvelles; puis, comme on va s'en convaincre, le
régime corrupteur de la prison et l'absence de précautions au moment
où à la prison succède la liberté. D'où les causes immédiates du fléau :
dispositions criminelles qui animent les libérés ; répulsion qu'ils in-
spirent, défaut de travail et misère.
En résumé, au point de vue de l'amélioration des condamnés par
le châtiment, c'est vainement que notre système pénal actuel est su-
périeur à celui de l'ancienne France, et ce serait vainement que par
OBSERVATION GÉNÉRALE
1. Les éléments de cette étude ont été fournis principalement par le rapport de
M. D'HAUSSONVILLE publié, en 1875, sous la forme d'un livre intitulé: Les établis-
sements pénitentiaires en France et aux colonies, par les Comptes généraux de la
justice criminelle et par la Statistique des prisons.
2. V. ci-dessus (n°s 300-303) ce qui a déjà été dit de l'historique, de la nature et
de la durée des travaux forcés.
374 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
27 mars 1852 et du 30 mai 1854 assignèrent d'abord à l'exécution
des travaux forcés la Guyane française. Mais ce pays est généralement
si insalubre que, malgré son étendue, il devint de bonne heure in-
suffisant. Un décret du 2 septembre 1863 ordonna qu'on fît l'essai
de la Nouvelle-Calédonie, et, [depuis 1867, la Guyane ne reçoit plus
que les individus de race africaine ou asiatique : ceux qui ont été
condamnés aux travaux forcés par les tribunaux de l'Algérie ; ceux
qui ont été condamnés, soit aux travaux forcés, soit à la réclusion
(décret du 30 août 1853) par les tribunaux de la Guyane, de la Mar-
tinique, de la Guadeloupe et de la Réunion.
Aussi l'effectif des transportés, après être resté longtemps plus
considérable à la Guyane qu'à la Nouvelle-Calédonie, y est-il main-
tenant moindre. Au 31 décembre 1870, il était encore de 5544 indi-
vidus à la Guyane et seulement de 2608 à la Nouvelle-Calédonie. Au
31 décembre 1875, au contraire, il s'était élevé à 6449 individus à la
Nouvelle-Calédonie et abaissé à 4056 à la Guyane 1.
A cette date, l'effectif total était donc de 10 705 transportés. Si l'on
compare ce chiffre à celui de l'année 1870, on trouve un accroisse-
ment important de la population pénale de nos colonies. Mais il pro-
vient surtout de la suppression, en 1873, du bagne de Toulon, et au
transfèrement à la Nouvelle-Calédonie des 1500 forçats qu'il conte-
nait 2.
502. Si l'on se reporte au 31 décembre 1875, voici l'aspect que
présentent les deux colonies.
A la Guyane, les condamnés sont répartis entre cinq établisse-
ments : 1° un pénitencier flottant, consistant en un navire qui sta-
tionne dans la rade de Cayenne et reçoit les hommes nécessaires au
service du port ; 2° le pénitencier de Cayenne, qui est le dépôt des
indisciplinés et des hommes employés aux travaux publics intéressant
la ville de Cayenne; 3° tes îles du Salut, où les forçats fabriquent
eux-mêmes, dans des ateliers, les objets de toute sorte qui peuvent
être utiles à la colonie pénale ; 4° et 5° Kourou et Saint-Laurent du
Maroni, qui sont deux pénitenciers affectés à la colonisation agricole.
Le premier est une sorte de ferme modèle. Le second est devenu le
II. — DE LA DEPORTATION 1.
III. — DE LA DÉTENTION l.
Hommes 15 825
Femmes 3 625
Au total 19 4502.
1. Je ne dirai rien des établissements de l'Algérie, bien qu'il en soit aussi rendu
compte dans la Statistique des prisons (V. la statistique de 1876, p. LXXXIII.)
2. La population moyenne, dans le cours de l'année 1876, fut de 15910 hommes,
de 3605 femmes au total de 19 515 détenus.
3. C'était par suite de circonstances accidentelles que des condamnés aux travaux
forcés, à la détention et à. la déportation se trouvaient dans les maisons centrales.
i. Le directeur de l'administration pénitentiaire faisait connaître, en 1879 (Statis-
EXÉCUTION DES PEINES. 383
— MAISONS CENTRALES.
518. On vient de voir que les maisons centrales affectées aux
hommes reçoivent lés condamnés à la réclusion et les condamnés à
l'emprisonnement de plus d'un an, et que les maisons centrales des-
tinées aux femmes reçoivent, en outre, le plus grand nombre des con-
damnées aux travaux forcés. Ces diverses catégories de détenus sont-
elles placées dans des maisons distinctes? Jusqu'en 1876, chaque
maison les réunit toutes ensemble. A cette date, le directeur de l'ad-
ministration pénitentiairei faisait connaître que, désormais, les mai-
sons centrales affectées aux hommes et situées en France seraient de
deux classes : les unes exclusivement maisons de force pour les con-
damnés à la réclusion (Aniane, Beaulieu, Melun, Riom); les autres
exclusivement maisons de correction pour les condamnés à l'empri-
sonnement (Albertville, Clairvaux, Embrun, Eysses, Fontevrault,
Gaillon, Loos, Nîmes et Poissy). Mais aucun changement n'était an-
noncé pour les trois pénitenciers de la Corse ni pour les six maisons
réservées aux femmes. Cette réforme devrait s'achever. Elle donnerait
satisfaction au Code pénal et à l'esprit public : il serait juste que les
peines des travaux forcés, de la réclusion et de l'emprisonnement de
plus d'un an, de gravité si inégale, fussent subies dans des établisse-
ments différents.
A-t-on, du moins, obéi aux ordonnances du 2 avril 1817 et du 6 juin
1830, qui avaient prescrit la séparation des diverses catégories
de détenns, dans chaque maison, par quartiers? Pas davantage. L'in-
térêt de l'organisation du travail a amené dans les ateliers la confusion,
qui s'est ensuite étendue aux préaux et aux dortoirs. Tous les détenus
sont mêlés et soumis au même traitement ; il n'y a de règles diverses
que pour la répartition du produit de leur travail.
Il convient que la réforme commencée soit accomplie. Mais ce n'est
pas qu'elle doive produire sur les détenus un effet d'amendement bien
sensible, de même qu'il faut se garder de croire très pernicieux le
mélange des condamnés aux travaux forcés et à la réclusion avec les
condamnés à l'emprisonnement. Les premiers n'ont pas sur les autres
l'influence corruptrice que l'on est tout d'abord disposé à leur attri-
buer. En effet, les crimes sont fréquemment inspirés par des passions
violentes et de courte durée, taudis que les délits punis d'emprisonne-
tique des prisons de 1876), que deux maisons nouvelles avaient été construites : celle
de Landerneau en 1877, celle de Thouars en 1878.
1. Statistique des prisons de 1876, p. XIX.
384 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Quel que soit le meilleur des deux systèmes au point de vue écono-
mique, il est certain que la régie est bien supérieure à l'entreprise
au point de vue pénitentiaire. Celle-ci, comme on le verra, a plusieurs
inconvénients. Le premier est d'introduire dans la prison des per-
sonnes étrangères à l'esprit qui doit y régner et de donner l'impor-
tance principale, aux yeux des détenus, non pas au directeur, mais à
l'entrepreneur, personnage dont l'intérêt personnel seul dicte la con-
duite. « Toutes les mesures nouvelles, toutes les réformes que l'ad-
ministration voudra introduire dans un but. de moralisation trouveront
en lui un adversaire, si elles contrarient ses espérances de lucre *. »
521. « Le travail, dans les prisons, doit avoir un double but : celui
de donner à la peine un caractère moral et réformateur ; celui de faci-
3.
liter la rentrée du détenu dans la vie honnête, en lui préparant pour
le lendemain de la libération des moyens d'existence 2. »
Dans ce double but, il faut, en premier, lieu, que le travail soit
constant et régulier. A cet égard, il ne paraît pas que l'on ait des
critiques sérieuses à faire. S'il est vrai que, dans le cours de
l'année 1876,13 hommes sur 100 et 8 femmes sur 100 en moyenne
ont été inoccupés, le rapport du directeur de l'administration péni-
tentiaire en indique les causes, et, parmi elles, le chômage a eu peu
d'importance
Il faut, en second lieu, assurer un pécule aux détenus pour le jour,
de leur sortie. L'a-t-on fait d'une manière satisfaisante? Laissant de
côté les articles 15 et 16 du Code pénal qui n'accordent rien aux con-
damnés à la peine des travaux forcés, écartant aussi les articles 21 et
41 du même Code qui ne déterminent pas assez clairement les droits
des condamnés à la réclusion ou à l'emprisonnement, les ordonnances
du 2 avril 1817 et du 27 décembre 1843, commentées par une circu-
laire du 25 mars 1852, ont réglementé cette matière. Sur le produit
du travail des détenus ou sur la rémunération qui leur est payée par
les entrepreneurs, une partie est distraite pour les besoins des pri-
sons, l'autre est attribuée aux détenus et varie suivant la gravité de
leurpeine: elle est des 3/10 pour les condamnés aux travaux forcés, des
4/10 pour les condamnés à la réclusion, des 5/10 pour les condamnés
à l'emprisonnement de plus d'un an. Puis ce pécule est divisé en deux.
parties égales. L'une est mise à la disposition du détenu dans le cours
.
I. Organisation générale et effectif des maisons départe-
1. Statistique des prisons de 1870, p. LXXXI.
2. Voy. D'HAUSSONVILLE, Les Établissements pénitentiaires, p. 220.
3. Cette mesure n'est pas légale. On projet de loi destiné à la rendre régulière a
été déposé par le gouvernement le 20 mars 1879. Voy. le Journal officiel du 5 avril
1879.
4. Voy. ORTOLAN, II, p. 144.
390 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Hommes 20250
Femmes 4520
Au total... 247701
1. Etencore fait-on, là, bien des exceptions aux prescriptionslégales, par voie de
simples mesures administratives. (Voy. ORTOLAN, II, n° 1538.)
392 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
et l'on a six quartiers : deux pour les prévenus, deux pour les ac-
cusés, deux pour les condamnés. Dans un petit nombre de maisons
seulement on se conforme entièrement à la loid.
Pourrait-on faire mieux en se tenant dans le même système? Non,
parce que les deux tiers environ des maisons actuelles n'ont pas été
aménagées dans ce but lors de leur création. Les unes sont d'anciens
couvents, d'autres ont été élevées ou réparées, sous la monarchie de
1830, en vue du régime cellulaire, d'autres enfin ont été construites
sans plan bien arrêté.
Mais on ne saurait beaucoup regretter que le système de la sépara-
tion par quartiers n'ait pas été réalisé ; car, au. point de vue péniten-
tiaire, il est tout à fait insuffisant. Comme je l'ai déjà fait observer à
l'égard des maisons centrales, ce ne sont pas les catégories qui agis-
sent les unes sur les autres, mais les individus ; et par conséquent, ce
qu'il faut séparer, ce n'est pas telle catégorie de telle autre, c'est,
dans toute catégorie, l'innocent du coupable, le coupable repentant du
coupable endurci, le coupable par entraînement des passions du cou-
pable par habitude ou calcul. De telles séparations ne peuvent être
effectuées qu'au moyen du système cellulaire.
Il faut remarquer, d'ailleurs, que le système cellulaire est appliqué
dans quelques maisons départementales de la Seine : à Mazas pour
les prévenus, à la Conciergerie pour les accusés, à la Santé pour cer-
taines catégories arbitraires de condamnés, et dans un quartier de la
maison départementale de Tours 2. C'est le résultat minime d'efforts
considérables qui ont été faits, sous la monarchie de 1830, pour éta-
blir le régime cellulaire dans toute la France.
530. En ce qui concerne l'exécution de l'emprisonnement d'un an
DU moins, il importe de
considérer la durée de la peine. Or, parmi
les 15 021 individus qui, au 31 décembre 1876, avaient à subir l'em-
prisonnement dans les maisons départementales, 2657 devaient y
rester un mois ou moins, 2171 d'un à deux mois, 2537 de deux à
trois mois, 7526 de trois mois à un an, 130 plus d'un an. Ainsi, la
moitié seulement devait être enfermée pendant plus de trois mois.
531. Les conclusions à tirer dès maintenant de l'organisation des
maisons départementales sont les suivantes : 1° Quel que soit le sys-
tème d'emprisonnement mis en usage, on ne peut, à l'égard d'un
grand nombre de condamnés, espérer l'amendement moral; car, dans
1. Comp. ORTOLAN, II, p. 147.
2. Voy. D'HAUSSONVILLE, Les Etablissements pénitentiaires, p. 93.
EXÉCUTION DES PEINES. — MAISONS DÉPARTEMENTALES. 393
l'opinion la plus répandue, il ne faut pas moins de six mois pour que
les efforts de moralisation commencent à produire quelque effet ; on
doit se borner à prévenir la contagion. — 2° Il est difficile de régler
le travail d'une manière satisfaisante dans des maisons où un quart à
peu près de la population (au 31 décembre 1876, 6153 sur 24 770
détenus) se compose d'individus qui, n'étant pas définitivement jugés,
n'y sont pas soumis. — 3° Le mélange des éléments corrompus et
corrupteurs avec les éléments encore sains existe dans les maisons
départementales comme dans les maisons centrales, là même où les
divisions par quartiers "ont été réalisées.—4° Le dualisme de l'État
et du département aggrave encore cette situation.
II. Travail. — 532. L'entreprise est le seul système qui soit en
usage dans les maisons départementales; aucune n'est en régie. C'est
une nouvelle cause d'infériorité de ces établissements comparés aux
maisons centrales. L'entrepreneur, en compensation des charges que
l'on connaît, reçoit d'abord de l'État, par détenu, un prix de journée
qui varie, suivant les départements, de 36 centimes à 1 fr. 02 cen-
times. Il perçoit, en outre, une partie du produit donné par le travail
des détenus : 5/10 sur le travail des condamnés, 3/10 sur le travail
des accusés et des prévenus.
L'organisation du travail, malgré les progrès effectués depuis 1855,
est encore très défectueuse. Au 31 décembre 1876, sur 24 770 dé-
tenus, 13 247 seulement étaient occupés. Cela tient aux causes géné-
rales qui ont été précédemment indiquées.
D'après les ordonnances du 2 avril 1817 et du 27 décembre 1843,
la part accordée anx condamnés sur le produit de leur travail est des
5/10. Mais les récidivistes subissent des réductions qui peuvent ne
leur laisser que 1/10. Comme dans les maisons centrales, le pécule
se divise en pécule disponible et pécule de réserve.
A leur sortie, les libérés des maisons départementales ne peuvent
avoir les ressources et le métier qui leur seraient nécessaires; ils ont
été détenus trop peu de temps et dans de trop mauvaises conditions.
III. Discipline. — 533. A la tête du service, dans chaque maison
se "trouve placé un directeur ou un gardien chef, suivant l'imporLance
de la maison. Des gardiens sont sous ses ordres. Le quartier des
femmes est confié, dans les petites prisons, à une surveillante laïque,
ordinairement à la femme du gardien chef; dans les prisons plus
considérables, aux soeurs de Marie-Joseph. Cet effectif n'est pas assez
nombreux pour avoir une action morale sur les détenus.
394 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Le contrôle 1 s'exerce par les visites annuelles des inspecteurs gé-
néraux et par celles des directeurs départementaux, dont la création
remonte à un décret du 15 août 1856. Le directeur départemental
est, dans l'intérieur d'un ou de deux départements, le directeur de la
maison départementale la plus importante, ou bien le directeur de la
maison centrale la plus voisine.
De plus, les articles 611, 612 et 613 du Code d'instruction crimi-
nelle prescrivent des visites aux préfets, sous-préfets, présidents
d'assises, juges d'instruction et maires ; mais ces visites ont rarement
lieu. Les maires ont même un droit de police, dont ils n'usent pas.
Enfin, des commissions de surveillance avaient été créées par une
ordonnance de 1819; mais peu d'entre elles exercent leurs attribu-
tions.
534. Le régime disciplinaire est déterminé par un règlement gé-
néral de 1841 et par le règlement particulier émané du préfet. Il n'est
pas et ne peut pas être le même pour tous les détenus.
Tout d'abord, les accusés et les prévenus, soit qu'ils aient ou non
un quartier séparé, ne portent pas le costume pénal, ne sont pas as-
sujettis au travail, communiquent avec leurs défenseurs ou d'autres
personnes, ont la faculté, dans certaines limites, de faire venir à leurs
frais des vivres du dehors, et enfin l'autorisation de la pistole, c'est-à-
dire la permission d'occuper, moyennant un prix, une chambre parti-
culière. Mais beaucoup ne peuvent pas profiter de ces derniers avan-
tages.
Les individus soumis à la contrainte par corps, en vertu de la loi
du 22 juillet 1867, jouissent aussi d'un régime distinct. Les détenus
pour dettes envers l'État ont pour prérogatives la dispense du costume
pénal et celle du travail. Les détenus pour dettes envers les particu-
liers sont assimilés aux prévenus ; leur alimentation est aux frais de
leurs créanciers.
Les détenus politiques, en vertu d'un règlement qui fut fait,
en 1867, pour la prison de Sainte-Pélagie, puis appliqué aux autres
maisons départementales, sont également l'objet de faveurs qui ren-
dent leur situation analogue à celle des prévenus. Au reste, l'admi-
nistration n'a pas de règles précises qui lui fassent reconnaître ou
dénier la qualité de détenus politiques.
VI.
— MESURES DE CORRECTION ET MODES D'EXÉCUTION DES PEINES PROPRES AUX
JEUNES DÉTENUS : ÉTABLISSEMENTS D'ÉDUCATION CORRECTIONNELLE
1.Statistique des prisons de 1876, p. ccxv. Voy. à la page suivante, les résultats
obtenus dans le
cours de l'année 1876.
396 DROIT PÉNAL. - SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
seize ans acquittées comme ayant agi sans discernement et non re-
mises à leurs parents; 3° les jeunes filles de moins de seize ans con-
damnées à l'emprisonnement pour un temps quelconque.
II.Organisation générale et effectif des établissements d'é-
ducation correctionnelle. —538. Les dispositions de la loi de 1850
ont été exécutées à certains points de vue d'une manière incomplète,
sous d'autres rapports avec des améliorations et des correctifs.
539. Aujourd'hui, la population des jeunes garçons est répartie
entre quatre sortes d'établissements.
1° Les maisons départementales reçoivent les prévenus, les accusés,
ment à la loi de 1850. Elles reçoivent les mineurs de seize ans ac-
quittés et ceux qui ont été condamnés à plus de six mois jusqu'à deux
ans d'emprisonnement. Mais ces derniers, contrairement à la loi de
1850 (art. 4, § 2 et § 3), dont la disposition à cet égard n'était pas
bien rationnelle, sont immédiatement assimilés aux autres. De plus,
ces mêmes colonies reçoivent la plus grande partie des mineurs con-
damnés à un emprisonnement de plus de deux ans, sans qu'on leur
applique l'article 11 de la loi de 1850. En effet, les colonies correc-
tionnelles dont parle l'article 10 de cette loi n'ont pas été créées.
Pendant longtemps, les condamnés à qui elles étaient destinées ont été
retenus dans les colonies pénitentiaires. Depuis quelques années seu-
lement, l'administration a ouvert pour eux, non pas des colonies,
mais des quartiers correctionnels annexés à certaines prisons dépar-
tementales.
Conformément à l'article 5 de la loi de 1850, parmi les colonies
pénitentiaires, les unes sont des colonies publiques, les autres des
colonies privées. Les premières appartiennent à l'État, qui est
—
propriétaire des bâtiments, propriétaire ou simple locataire des terres
exploitées, qui emploie à cultiver ces terres les jeunes détenus, dont
l'entretien est tout entier à sa charge, qui nomme et salarie tous les
employés, et qui recueille tous les bénéfices de l'entreprise. Tout
compte fait des dépenses et des produits, il se trouve que chaque dé-
tenu coûte à l'État 1 franc par jour. — Les colonies privées ont été
fondées soit par de simples particuliers, soit et plus généralement par
398 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
des ecclésiastiques ou des congrégations. Elles appartiennent à leurs
fondateurs, qui assument toutes les charges concernant les jeunes
détenus. En compensation, en outre des produits de l'entreprise, les
directeurs reçoivent de l'État, par chaque détenu, un prix de journée
variable, mais en général s'élevant à 75 centimes. Les directeurs doi-
vent être agréés par le gouvernement, leurs employés ou auxiliaires
par le préfet. Enfin, l'État se réserve un droit de surveillance et de
contrôle sur les établissements privés, qui reçoivent annuellement la
visite des inspecteurs généraux et des inspecteurs départementaux, et
peuvent toujours être supprimés, en cas de désordres ou d'inexécution
des conditions.
3° Depuis quelques années, des établissements d'éducation correc-
tionnelle distincts des colonies pénitentiaires tendent à se fonder sous
le nom d'écoles de réforme. Ils seraient spécialement affectés aux
enfants de moins de treize ans, catégorie de jeunes détenus qui forme
plus du tiers de l'effectif des colonies pénitentiaires. « On comprend
que ces enfants, à raison de leur jeune âge et des soins de toute sorte
qui leur ont manqué, réclament une sollicitude de tous les instants,
et qu'il importe surtout de ne pas les confondre avec des jeunes gens
plus corrompus, dont le contact, les incitations et les exemples pour-
raient exercer sur leur moral une action des plus pernicieuses 1. »
4° Quelques quartiers correctionnels ont été annexés à certaines
maisons départementales. Ils reçoivent une partie des mineurs con-
damnés à un emprisonnement de plus de deux ans ou exclus des colo-
nies pénitentiaires comme insubordonnés.
540. Aujourd'hui, la population des jeunes filles détenues est placée
presque tout entière dans des maisons pénitentiaires privées, sou-
mises aux conditions qui viennent d'être indiquées pour les colonies
pénitentiaires de même nature.
Avant 1876, il existait en outre trois maisons pénitentiaires pu-
bliques. Cette année-là, deux d'entre elles ont été suprimées 2.
541. L'organisation générale des établissements d'éducation cor-
rectionnelle suscite dès à présent une observation. Dans les colonies
ou maisons pénitentiaires, aucune distinction de régime, de traite-
ment, de discipline, n'est faite entre les individus acquittés et les
Quartiers correctionnels.. 5
Établissements publics
Colonies pénitentiaires... 5
Jeunes garçons
Colonies pénitentiaires... 27
Établissements privés. École de réforme I1
Quartier annexé à une prison départementale. 1
Jeunes filles..
Maisons pénitentiaires privées 22
1. Cependant cet enseignement, paraît-il, n'est pas saris résultats. V. dans la Sta-
tstique des prisons de 1876, les tableaux qui sont aux pages CLXXIX et CLXX.
26
402 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
sieurs également sont remarquables. Telle est, en première ligne, celle
de Cîteaux (Côte-d'Or), antérieure, elle encore, à 1850. On y a combiné
avec habileté la discipline militaire et la discipline religieuse. Après
elle, viennent celle de la Grande Trappe et celle de Fontgombault
(Indre).
Dans la plupart des autres colonies, on sacrifie trop l'éducation des
enfants au succès agricole de l'établissement ; l'idée de spéculation
domine celle de charité. Peut-être aussi l'indemnité allouée par l'État
est-elle insuffisante ; car il est notoire que les colonies privées sont
loin d'être prospères 1.
4° Dans les écoles de réforme, on se propose de consacrer princi-
palement ses soins à l'éducation morale et à l'instruction des enfants,
dans l'espoir d'effacer entièrement les premières et funestes impres-
sions qu'ils ont reçues. Aussi l'administration veut-elle que l'ensei-
gnement scolaire et l'enseignement religieux occupent Une partie du
temps bien plus grande que dans les autres établissements péniten-
tiaires 2.
Etablissements affectés aux jeunes filles. — 545. Il n'y a rien de
particulier à dire du seul établissement public qui ait été conservé.
C'est un quartier correctionnel annexé à la prison départementale de
Nevers. Au 31 décembre 1876, il contenait 38 jeunes filles.
Dans les maisons pénitentiaires (22 maisons, dont l'effectif, au
31 décembre 1876, était de 1933 jeunes filles), qui sont toutes des éta-
blissements privés régis par des communautés religieuses, l'éducation
morale et l'instruction religieuse sont données avec beaucoup de zèle;
avec plus de succès, d'ailleurs, dans les communautés non cloîtrées
que dans les couvents. Mais l'instruction primaire y est négligée et le
travail mal conduit. On ne sait pas généralement faire des détenues
de bonnes ouvrières, capables, une fois libérées, de gagner leur vie et
pourvues du pécule nécessaire 3.
1. V. pour les résultats de l'enseignement dans les colonies privées, les tableau*
frai sont aux pages CLXIX et CLX de la Statistique des prisons de 1876. On y consta-
tera l'infériorité générale des colonies privées envers les colonies publiques.
2. Statistique des prisons de 1876, p. CXLVIII.
3. V. D'HÀUSSONVILLE, Les établissements pénitentiaires, p. 469 et suiv.
EXÉCUTION DES PEINES.
— HISTORIQUE DÈS ESSAIS DE RÉFORME. 403
SECTION 2.
— ESSAIS DE RÉFORME DES MODES SUIVANT LESQUELS
S'EXÉCUTENT LES PEINES PRIVATIVES DE LA LIBERTÉ
546. L'idée que la peine doit autant que possible servir à cor-
riger le coupable ne s'est fait jour que vers la fin du XVIIIe siècle.
Depuis, elle a parcouru quatre phases.
Première phase. — 547. En vertu d'édits de 1773 et de 1775, une
maison de force fut fondée à Gand, dans les États de Flandre, avec
une organisation nouvelle : on y instituait la séparation cellulaire des
détenus pendant la nuit, en les soumettant pendant le jour au travail.
L'Angleterre, à la même époque, sous l'inspiration de Howard, de
Blackstone et de Bentham, faisait plus. En 1776, le principe de l'em-
prisonnement solitaire (solitarij confinement) y était décrété; de 1790
à 1807, il y était appliqué aux peines de longue durée dans le péni-
tencier de Glocester.
De là, le système de la séparation cellulaire continue fut transporté
par Franklin en Amérique, et l'on en fit un premier essai, vers 1794,
dans une des prisons de Philadelphie.
En France, on eut connaissance de ces innovations par Howard, qui
y vint trois fois de 1777 à 1787, et en étudia les prisons; par Ben-
tham qui proposa sans succès à l'Assemblée législative de créer lui-
même une prison modèle; par le duc de la Rochefoucauld-Lian^
court qui, dans un voyage en Amérique, avait visité la prison récem-
ment fondée à Philadelphie 1. Mais on y fut peu sensible; on se borna,
dans les Codes de 1808 et de 1810, d'une part à prescrire la réparti-
tion des condamnés, suivant leur peine, entre les bagnes, les maisons
de force et les maisons de correction; d'autre part, à ordonner la sé-
paration des condamnés et des inculpés, à qui devaient être réservées
les maisons d'arrêt et de justice; et encore la loi ne fut-elle que partiel-
lement observée.
Deuxième phase. — 548. De 1814 à 1853, la France entra dans la
voie ouverte par la Flandre, l'Angleterne et l'Amérique, y fit un pre-
1. ORTOLAN (II, p. 103 et suiv.) donne les résolutions prises par ces congrès.
2. Il demeura néanmoins un sujet d'étude. M. BÉRENGER, notamment, y consacr
à l'Académie des sciences morales et politiques, des lectures qu'il, réunit enf
en un ouvrage intitulé : De la répression pénale-, deses formes et de ses effe*
408 DROIT PÉNAL. - SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
1. V. le Journal officiel,
n° du 21 avril 1874 et n°« suiv. Ce rapport forme aussi
un livre intitulé : Les établissements pénitentiaires en France et aux colonies, 1875.
2. V. le Journal officiel, numéros des 27 et 28 août 1874.
EXÉCUTION DES PEINES
— LOI DU 5 JUIN 1875. 409
».
l'a fait dans l'article premier : « Les inculpés, prévenus et accusés
seront à l'avenir individuellement séparés pendant le jour et la
nuit.
554. Quant aux condamnés, il était impossible, à raison de l'état des
finances, d'appliquer le nouveau système à tous ceux qui ont été
frappés d'emprisonnement. Il fallait donc lui poser des limites. On y
a soumis, en premier lieu, la population des maisons départementales
telle qu'elle se trouvait déterminée par les ordonnances de 1817 et de
1830. On l'a étendu, ensuite, aux individus qui ont été condamnés à
un an et un jour d'emprisonnement et sont ainsi devenus passibles
d'une aggravation de peine, au cas de récidive (art. 57 et 58 du Code
pénal) ; on a pensé que le régime cellulaire aurait sur eux un meilleur
effet,,que celui des maisons centrales. On l'a, enfin, offert comme une
faveur 1 aux autres condamnés. Ce sont les articles 2 et 3 de la loi qui
en partie seulement, car il reste toujours une forte part de ces élé-
ments dont l'assimilation est impossible. Mais il arrive invariable-
ment, après un temps plus ou moins long, que la nouvelle société,
se sentant en état de se suffire elle-même, n'ayant plus besoin des
transportés, leur ferme ses portes.
Dès lors il serait chimérique à nous de songer à la transportation
comme base du système pénitentiaire., La France n'obtiendrait même
pas le succès relatif et passager qu'a eu l'Angleterre.
561. La transportation, chez nous, n'est appelée à remplir qu'un
rôle accessoire.
Elle pourra demeurer ce qu'elle est aujourd'hui, le mode d'exécu-
tion des travaux forcés. Et encore, dans cette mesure restreinte, pour
qu'elle produise de bons résultats, faudra-t-il que la Nouvelle-Calé-
donie (l'avenir de la Guyane est bien douteux) reçoive en plus grande
abondance des colons volontaires, que les transportés y soient tous
retenus à jamais, et enfin que l'on y transfère des femmes condamnées
en nombre suffisant pour fonder des familles, en même temps que l'on
y conduirait, avec leur consentement, les femmes et les enfants des
condamnés qui les demanderaient et seraient en état de les nourrir.
Au reste, même ainsi améliorée, la transportation présentera toujours
un inconvénient fort grave. La plupart des condamnés aux travaux
forcés, sans affection pour le sol natal, séduits par les perspectives
trompeuses d'un changement d'existence et d'une liberté relative,
estiment la transportation moins dure que la réclusion. Il se commet
même un certain nombre de crimes, dans les maisons centrales, en
vue d'une condamnation aux travaux forcés 1. De là il résulLe que
l'échelle des châtiments est renversée ; dans l'esprit des condamnés,
la peine la plus haute est la moins rigoureuse; un tel système péni-
tentiaire est une excitation à la récidive 2.
1. De même il arrive assez souvent que les détenus des maisons départementales
envient le sort des réclusionnaires, parce que les maisons centrales sont mieux or-
ganisées.
2. Le gouvernement a déposé, le 20 mars 1879, sur le bureau de la Chambre des
députés, un projet de loi ainsi conçu : « Lorsque, à raison d'un crime commis dans
une prison par un détenu, la peine des travaux forcés à temps ou à perpétuité est
appliquée, la cour d'assises ordonnera que celte peine sera exécutée dans une mai-
son centrale, pendant la durée qu'elle déterminera et qui ne pourra être inférieure
au temps de réclusion ou d'emprisonnement que le détenu avait à subir au moment
du crime. Les mesures édictées par l'article 614 du Code d'instuclion criminelle
pourront lui être appliquées sans qu'il puisseétre soumis pendant plus d'une année
à l'emprisonnement cellulaire. » (Journal officiel du 5 avril 1879.)
EXÉCUTION DES PEINES. THÉORIES DE RÉFORME GÉNÉRALE. 417
—
La transportation pourrait aussi, dans un système pénitentiaire dif-
férent du système actuel, constituer le dernier terme de la peine in-
fligée aux grands criminels non condamnés à mort; elle n'aurait lieu
qu'après un long emprisonnement cellulaire.
Peut-être, enfin, pourrait-elle être également un moyen de débar-
rasser la France des récidivistes incorrigibles.
3° Du système d'Auburn.
courte durée pour les petits délits, la servitude pénale pour les délits
graves, la mort pour les grands crimes. C'est la servitude pénale qui,
substituée à la transportation, fait le fond de son système pénitentiaire.
Elle se compose d'une série d'épreuves graduées qui sont les suivantes :
1° Les condamnés sont soumis à un emprisonnement cellulaire de
neuf mois, dans un certain nombre de pénitenciers dont les principaux
sont ceux de Perth en Ecosse, de Milbanck et de Pentonville en Angle-
terre. Cet emprisonnement, paraît-il, est moins un instrument de mo-
ralisation qu'un moyen d'observation et de discipline; il sert à dompter
et assouplir le caractère des condamnés en vue de la seconde épreuve. '
2° Les condamnés sont transférés dans un établissement de travaux
—
publics, à Portland, Portsmouth, Chatam, etc., où ils vont su-
bir la servitude pénale proprement dite, organisée de manière à les
conduire, s'il est possible, à l'amendement moral. Dans ce but, les
détenus, séparés durant la nuit, mais réunis pour des travaux com-
muns pendant le jour, sont divisés en quatre classes ou catégories,
correspondant a leur degré de moralité. Chacun d'eux, après être
entré dans la quatrième classe, peut s'élever successivement jusqu'à
la première, en obtenant des marques de bonne conduite : au maxi-
mum, par mois, trois pour la discipline, trois pour le travail, trois
pour l'école. A l'inverse, l'inconduite, selon la gravité et la fréquence
des fautes, fait perdre des marques, puis redescendre dans une classe
inférieure, et enfin revenir à la prison cellulaire. Ainsi, cette insti-
tution des marques permet de constater en quelque sorte jour par jour
le degré d'amendement des détenus; elle leur fait comprendre que
leur sort dépend d'eux. — 3° Les condamnés de la première classe
qui ont gagné le nombre de marques nécessaire sont aptes à recevoir,
à titre de récompense, la libération préparatoire. Ils sortent de la
prison, munis d'un billet de liberté (ticket ofleave). La liberté qu'ils
acquièrent ainsi est révocable, subordonnée à la condition d'une
bonne conduite. Donnent-ils des sujets de plainte, ils sont ramenés aux
travaux publics. Traversent-ils avec succès cette dernière épreuve, ils
arrivent, au moment de l'expiration de leur peine, à la liberté défini-
tive. La libération préparatoire souleva d'abord des critiques très
vives; mais c'était au temps où le système des marques durant la pé-
riode de servitude pénale n'existait pas encore; et, d'ailleurs, afin de
rassurer l'opinion, les bills de 1864, 1869 et 1871 ont soumis les por-
teurs de tickets à des mesures qui ont quelque analogie avec notre sur-
veillance de la haute police.
EXÉCUTION DES PEINES. THÉORIES DE RÉFORME GÉNÉRALE. 421
—
Ce système a été complété, en 1856, en Irlande, sur l'initiative du
directeur des prisons de ce pays, lejcapitaine sir Walter Crofton, par
l'institution des maisons intermédiaires. Ces maisons offrent aux con-
damnés en état de libération préparatoire un asile où ils doivent ren-
trer chaque nuit, et, en cas de chômage, un refuge où ils trouvent une
hospitalité temporaire. Ainsi perfectionné, le système anglais prend
le nom de système irlandais. L'Angleterre et l'Irlande, paraît-il, s'ap-
plaudissent des résultats qu'il a donnés.
1. V. les tableaux que donne la Statistique des prisons de 1876 aux pages LXXVII,
CLXXXVI et CLXXXIX.
Le nombre des libérés, en 1876, a été de 7366 individus sortis des maisons cen-
trales, de 2258 individus sortis des établissements d'éducation correctionnelle; de
17,8128 individus sortis des maisons départemeulales.
2. V. D'HAUSSONVILLE, Les établissements pénitentiaires, p. 516 et suiv. —RIBOT,
Revue des deux Mondes, numéro du 15 février 1873,
3. V. D'HAUSSONVILLE, Les établissemetits pénitentiaires, p. 514.
4. V. D'HAUSSONVILLE, Les établissements pénitentiaires, p. 513.
5. V. dans la Statistique des prisons de 1876, les tableaux qui sont aux pages
CLXXXVI et CLXXXIX.
EXÉCUTION DES PEINES.
— PATRONAGE DES LIBÉRÉS. 429
Quant au patronage des libérés adultes, aucune loi n'en a fait
mention, et la charité privée elle-même, pendant longtemps, s'en est
tenue éloignée. A peine avait-elle ouvert, çà et là, à certaines caté-
gories de libérés quelques refuges ou asiles, et fondé pour les femmes
ou les jeunes filles des institutions de bienfaisance aussi restreintes
dans leur cercle d'action que peu nombreuses 1. Mais, depuis 1869,
cette longue inertie a pris fin. A cette époque, a été créée par le pasteur
Robin la Société"de patronage pour les libérés protestants. Deux ans
après; M. de Lamarque fondait la Société générale de patronage des
libérés, qui, par un décret du 4 novembre 1875, a été reconnue
comme établissement d'utilité publique. L'impulsion était donnée.
Depuis, des sociétés de patronage se sont formées ou sont en voie de
se former par toute la France 2.
Le gouvernement seconde ces efforts de l'initiative-privée par des
circulaires où il invite les commissions de surveillance des prisons
à se constituer en même temps sociétés de patronage en s'adjoignant
d'autres membres 3 ; aux encouragements il ajoute quelques secours
pécuniaires.
580. Le patronage est une institution bienfaisante, quel que soit
le régime pénitentiaire en usage, puisque déjà, dans ces dernières
années, il a donné de bons résultats. Mais combien ne serait-il pas
plus efficace s'il venait à la suite de l'emprisonnement cellulaire et
de la libération préparatoire, auxquels il semble si intimement lié !
Au reste, il devrait être différent suivant qu'il s'appliquerait aux
jeunes libérés ou aux adultes. Pour les premiers, dont la chute est
due le plus souvent, soit au défaut d'éducation ou même aux mau-
vais exemples reçus dans leur famille, soit à l'abandon et à la misère,
et qui vont retrouver les mêmes écueils, il serait une continuation
des soins qui leur ont été donnés durant leur internement, une
sorte de tutelle. Quant aux libérés adultes, il faudrait distinguer,
parmi eux (et le nouveau système pénitentiaire le permettrait), ceux
qui sortent de prison avec l'intention de marcher dans la voie du
tème pénitentiaire, p. 436, suiv. Cet auteur, il est vrai, écrivait sous l'empire de la
loi de 1832. Aurait-il trouve suffisantes les nouvelles sévérités de la loi de 1874?
1. V. BONNEVILLE DE MARSANGY, loc. cit., p. 516 et suiv.
2. V. BONNEVILLE DE MARSANGY, loc. cit., p. 441 et suiv.