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Traité élémentaire de droit

criminel, divisé en trois


parties... par A. Lainé,... 2e
fascicule. Droit pénal. Livre II.
[...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Lainé, Armand (Jules-Armand). Auteur du texte. Traité
élémentaire de droit criminel, divisé en trois parties... par A.
Lainé,... 2e fascicule. Droit pénal. Livre II. Système général des
peines. 1881.

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LIVRE II
DE LA PÉNALITÉ, OU SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES

TITRE PREMIER
DÉFINITION, ÉNUMÉBATION ET CLASSIFICATION
DES PEINES

CHAPITRE PREMIER

DÉFINITION DE LA PEINE

Par quels caractères la peine proprement dite se distingue : 1° des sanctions non
pénales : réparations civiles, mesures disciplinaires, nullités d'actes, incapacités
et déchéances de droits; art. 10 C. pén. ; 2° du mal fait à l'agresseur dans l'exer-
cice du droit de défense; 3° de la peine morale. — Rappel des règles générales
et rationnelles de la pénalité.

258. On peut définir la peine : une souffrance, physique ou mo-


rale, que le pouvoir, au nom seul de l'intérêt public, inflige à
l'homme déclaré par jugement coupable d'un délit, afin de remédier,
dans la mesure du possible, au désordre social dont cet homme est
l'auteur 1.
259. Les réparations civiles qui sont dues à raison du dommage
causé par les délits ou quasi-délits de droit civil 2, et les mesures de
répression qu'entraînent les fautes de discipline 3 reçoivent souvent
aussi le nom de peines ; mais c'est à tort et dans un sens impropre.
La peine proprement dite, en effet, est une institution sociale, des-
tinée à protéger l'intérêt commun, et confiée exclusivement aux soins
de l'autorité publique ; tandis que les réparations civiles et les me-
sures disciplinaires ne garantissent que des intérêts privés ou de
corporation, et ne sont imposées par le pouvoir que sur la demande
des particuliers et pour eux.

1. Se reporter, pour la définition du délit, au n" 94, et, pour le but de la peine,
aux principes du droit pénal, surtout au n° 82.
2. Se reporter au n° 96.
3. Se reporter au n° 97.
13
194 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Il en est de même des nullités qui frappent les actes contraires à la
loi. Il est vrai que plusieurs de ces nullités, assez graves pour inté-
resser l'ordre général, peuvent provoquer l'intervention du ministère
public; telles sont certaines nullités de mariage (C. civ., art. 184,
190). Mais cette intervention, du moins, n'exclut pas le concours des
particuliers; elle n'est même que subsidiaire et ne doit se produire
qu'à défaut de demande privée. La peine, au contraire, ou bien est
prononcée d'office par le pouvoir judiciaire légalement saisi, ou bien
est requise par les fonctionnaires à qui l'exercice de l'action publique
a été remis (G. lnst. cr., art. 1) ; les particuliers, même lésés, n'ont pas
le dvoit de la réclamer.
C'est là, en dernière analyse, ce qui me paraît constituer le trait le
plus caractéristique de la peine pour celui qui cherche à la dégager
des sanctions non pénales. C'està cela que l'on pourra distinguer, parmi
les nombreuses incapacités et déchéances de droits édictées dans nos
divers codes, celles qui sont de véritables peines de celles qui sont des
sanctions purement, civiles. Ainsi, par exemple, la destitution de
tutelle est une peine, lorsqu'elle est la conséquence des condamna-
tions prévues par les articles 443 du Code civil, 34, 28 et 42 du Code
pénal, condamnations qui ne sauraient être sollicitées par aucun par-
ticulier; elle n'est pas une peine, lorsqu'elle est fondée sur l'incon-
duite notoire ou sur l'incapacité du tuteur, aux termes de l'article 444
du Code civil, parce qu'elle peut être poursuivie et obtenue, d'après
les articles 448 et 449, par le conseil de famille.
Mais importe-t-il de définir avec précision la peine, et de montrer
en quoi elle diffère des sanctions non pénales qui viennent de lui être
comparées? Oui, à divers points de vue.
En premier lieu, que l'on suppose un fait portant atteinte en même
temps à plusieurs intérêts, à l'intérêt général, à un intérêt de corpo-
ration et à un intérêt particulier, comme serait un faux commis par
un officier ministériel, et motivant par conséquent plusieurs sanc-
tions, qui seraient, clans l'espèce, la peine, une répression discipli-
naire et des réparations civiles. Ces sanctions étant distinctes les
unes des autres, chacune d'elles aura son effet spécial et entier. Le fait
est-il soumis sous divers rapports à la fois à un juge Compétent, il
appellera de sa part des sentences et, s'il y a lieu, des condamna-
tions multiples; c'est ce que l'article 10 du Code pénal déclare en
termes exprès : La condamnation aux peines établies par la loi
est toujours prononcée sans préjudice des restitutions et dommages
DÉFIMTJON DE LA PEINE. 195

intérêts qui peuvent être dus aux parties.. Le fait vient-il à être
déféré à un tribunal criminel après avoir été l'objet d'une décision
disciplinaire ou civile-, ou, vice versa, à un tribunal disciplinaire ou
civil après avoir été l'objet d'une décision pénale, quelle que soit
l'autorité de la chose jugée, à moins de questions préjudicielles à l'ac-
tion publique, ce qui sera examiné en son temps, il est bien certain.,
que le tribunal saisi, le dernier devra statuer, sans admettre aucune
fin de non-recevoir ; car les questions déjà résolues, et les questions à
résoudre sont différentes.
En un mot, la règle non bis in idem, qui défend de prononcer suc-
cessivement deux peines pour le même fait, est inapplicable, lorsque
l'agent a encouru une peine et une sanction non pénale.
En second lieu, dans le cas où un individu est reconnu coupable de
deux, trois ou même d'un plus grand nombre de délits, il ne subit pas
autant de peines, du moins en principe ; la peine la plus forte est
seule prononcée (C. Inst. cr., art. 365). Mais à cette peine pourront
s'ajouter les réparations civiles et les nullités d'actes résultant de
chacun des délits. Si, par exemple, un homme est convaincu, dans
la même instance, de bigamie et de meurtre, il ne sera frappé que
de la peine du meurtre (art. 365, C. Inst. crim. ; 340 et 304 C. pén.);
mais son second mariage sera annulé.
En troisième lieu, une condamnation ne prononçant que des répa-
rations civiles,, ou des nullités d'actes, ou des déchéances de droits
non pénales, ou des mesures de. répression disciplinaires, ne place-
rait pas en état de récidive le: condamné qui par la suite aurait en-
couru une véritable peine.
Enfin, la mort de l'auteur du fait mettra obstacle à l'action pénale,
mais n'arrêtera pas l'action en réparation civile ni l'action en nullité
,
(C. Inst. cr., art. 2). A l'inverse, malgré la renonciation à l'action
civile, l'exercice de l'action publique demeure libre (C.. Inst. cr.,
art. 4), si ce n'est dans des cas exceptionnels.

260. Tout autre est la peine, tout autre le mal fait à l'agresseur
au moment de l'agression et pour la repousser. Il est le résultat de
la défense, non d'un jugement. Par conséquent, s'il est nécessaire, il
est légitime, alors même qu'il proviendrait d'un égal, qu'il ne serait
pas mesuré sur la culpabilité de l'agresseur, et qu'il atteindrait une
personne inconsciente et irresponsable. L'agresseur innocent n'en-
court point de peine ; mais il a pu souffrir des violences que justifiait
196 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
la nécessité 1 ; l'agresseur coupable, encore que blessé dans la lutte,
n'en subira pas moins une peine.
261. De même, si l'auteur d'un délit a moralement expié son mé-
fait, soit par les conséquences funestes qu'il en a éprouvées, soit par
son repentir, la société n'est pas pour cela satisfaite : à la peine mo-
rale s'ajoutera la peine sociale.
262. On sait que la source première de la peine est le droit qui
appartient à la société de se conserver par le maintien de l'ordre ; que
le but de la peine se trouve indiqué par là même; que, dans la déter-
mination des peines, les principes à suivre sont l'utilité et la justice.
On sait aussi que, pour être conforme à ces principes, la peine doit
être, avant tout, nécessaire et juste, et en outre, ou d'une manière
absolue, ou dans la mesure du possible, exemplaire, réformatrice,
rémissible, légale, personnelle, divisible, égale pour tous et révo-
cable 2.
Toutes ces qualités sont demandées au législateur par le droit
naturel. Mais, de plus, il en est parmi elles que notre droit positif a
effectivement attribuées aux peines, et qui s'imposent au respect du
juge : pour lui, toute peine doit être juste, égale pour tous, légale et
personnelle.
La peine doit être juste, c'est-à-dire méritée et proportionnée à la
gravité du délit, à l'immoralité du délinquant. C'est pourquoi la loi
l'a généralement faite divisible, variable dans les limites d'un maxi-
mum et d'un minimum, et même susceptible d'être remplacée par
une autre au cas de circonstances atténuantes. Le juge, à cet égard, a
un pouvoir d'appréciation souverain. Mais s'il arrive, par extraordi-
naire, que le juge, tout en déclarant qu'il n'est pas convaincu de la
culpabilité de l'accusé, le frappe d'une peine, de même que s'il
l'exempte de peine tout en déclarant sa culpabilité certaine, il est
évident qu'une telle décision doit être cassée 3.
La peine doit être égale pour tous, c'est-à-dire infligée sans distinc-
tion de positions sociales. L'application de cette règle est encore
laissée à la conscience du juge.
La peiné doit être légale, c'est-à-dire déterminée à l'avance et avec

1. Se reporter, pour les conditions de la légitime défense, aux nos 241, 245
à 254.
.
2. Se reporter aux nM 78-86.
3. Voy.' DAILOZ, Répertoire, t. XXXV, p. 568, n° 84, et p. 572, n° 104.
DÉFINITION DE LA PEINE. 197

précision par la loi comme le châtiment de tel ou tel délit également


défini 1.
La peine doit être personnelle, c'est-à-dire uniquement infligée à
l'auteur du délit.
A ces deux derniers points de vue, surtout au troisième et dans les
premiers temps qui ont suivi l'abolition de l'ancienne,jurisprudence,
où la peine était arbitraire, la cour de cassation a dû plusieurs fois
faire usage de son droit de contrôle 2.

1. V. les n°* 125-130 ci-dessus; l'art. 4 C. pén.; les art. 159, 191, 364 C. Inst. cr.
2. La cour suprême, par exemple, a cassé des décisions qui avaient, ou bien
prononcé le blâme, peine qui n'a pas été rétablie, ou bien prononcé, en dehors
des cas prévus par la loi, l'affiche du jugement ou la réparation d'honneur. (Voy.
BLANCHE, Etudes pratiques sur le Code pénal, 1, nos 54-56;
— DALLOZ, Répertoire,
t. XXXV, p. 567 et s., nos 81, 92, 102).
Elle a cassé des décisions qui avaient prononcé la peine de l'amende contre les
héritiers du coupable, et approuvé celles qui avaient rejeté les poursuites dirigées
contre des personnes étrangères au délit. (Voy. DALLOZ, t. XXXV, p. 570.)
CHAPITRE II

ÉNUMÉRATION ET CLASSIFICATION DES PEINES

CODE PÉNAL.
—-
matière criminelle sonl ou
ART. 6. Les peines en
afflictives et infamantes, ou seulement infamantes.
ART. 7,. Les peines afflictives et infamantes sont.: 1° la mort; —
2° les travaux forcés à perpétuité;
— 3° la déportation; — 4° lés tra-
vaux forcés à temps; — 5° la détention; — 6° la réclusion.
ART. 8. Les peines infamantes sont.: 1° le bannissement;— 2° la
dégradation civique.
.
ART. 9. Les peines en matière correctionnelle sont : 1° Vemprisonne-
ment à temps dans un lieu de correction; —2° l'interdiction à temps
de certains droits civiques, civils ou de famille; — 3° l'amende.
ART. 11. Le renvoi sous la surveillance spéciale de la haute police,
l'amende et la confiscation spéciale, soit du corps du délit, quand la
propriété en appartient au condamné, soit des choses produites par
le délit, soit de celles qui ont servi ou qui ont été destinées à le com-
mettre, sont des peines communes aux matières criminelles et cor-
ectionnelles.
— l'a-
ART. 464. Les peines de police sont : l'emprisonnement;
mende; — la confiscation de certains objets saisis.

1° Peines criminelles, correctionnelles, de simple police. — 2° Peines corporelles,


peine d'ordre moral, peines consistant en des déchéances de droits ou des inca-
pacités, peines pécuniaires. — 3° Peines principales, accessoires, complémen-
taires. — 4° Peines perpétuelles et peines temporaires. — 5° Peines de droit
commun et peines politiques. — 6° Peines afflictives ou infamantes et peines
correctionnelles. —7° Peines afflictives et infamantes et peines seulement infa-
mantes.

1° Peines criminelles, correctionnelles, de simple police.

263. C'est la division capitale parmi celles qui sont formulées au


CLASSIFICATION DES PEINES. 199

Code. Elle se réfère à la gravité des peines et correspond à la divi-


sion des délits en crimes, délits de police correctionnelle et contra-
ventions de simple police. Mais en réalité il faut distinguer, à ce
point de vue, non pas seulement trois, mais cinq catégories de peines.
264.1 Les peines en matière criminelle, suivant l'expression de la
loi, ou, plus simplement, les peines criminelles, sont celles qui, .en
principe, ont été attachées par la loi aux crimes. Elles ne sont pas
applicables aux délits moins graves. La loi, d'ailleurs, autorise le
juge à tenir compte des excuses ou des circonstances atténuantes
pour leur substituer des peines correctionnelles.
Les peines criminelles énumérées dans les articles 6, 7 et 8 du
Code pénal sont au nombre de huit : 1° la mort, 2° les travaux forcés
à perpétuité, 3° la déportation, 4° les travaux forcés à temps, 5° la dé-
tention, 6° la réclusion, 7° le bannissement, 8° la dégradation civique.
Ces peines sont présentées suivant l'ordre de leur gravité relative.
II faut y ajouter : 9° la déportation dans une enceinte fortifiée, qui
tient lieu de la mort en matière politique, et qui doit se placer avant
la déportation simple, aux termes de la loi du 8 juin 1850 ; —10° l'in-
capacité de disposer et de recevoir à titre gratuit, 11° la nullité du
testament antérieur, que la loi du 31 mai 1854 a maintenues, en abo-
lissant la mort civile ; — 12° la dégradation civique, 13° l'interdiction
légale, en vertu des articles 28 et 29 du Code pénal et de la même
loi du 31 mai 1854.
265. 2° Les peines en matière correctionnelle, ou peines correction-
nelles, sont celles qui, en principe, ont été attachées par la loi aux
délits de police correctionnelle. Elles ne sont pas applicables aux con-
traventions de simple police. Mais je viens de faire observer qu'elles
peuvent aussi, à raison de certaines causes d'atténuation, être appli--
quéès aux crimes. Les mêmes causes permettront de les réduire à la
durée ou bien à la quotité des peines de police, mais sans les faire
changer de caractère.
Ces peines sont : 1° l'emprisonnement dans un lieu de correction
avec l'obligation du travail, d'après les articles 9 et 40 du Code pénal.;
2° l'interdiction de certains droits civiques, civils ou de famille, d'après
les articles 9 et 42 du Code pénal ; 3° les déchéances ou incapacités
particulières prononcées par d'autres textes ; 4° la peine consistant à
faire réparation, que l'on trouve dans les articles 226 et 227 du Code
pénal. — Quant à l'amende, indiquée dans l'article 9, elle n'est pas
exclusivement une peine correctionnelle.
200 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
266. 3° Les peines de police sont celles qui ont été attachées par la
loi aux seules contraventions de police. Ce caractère n'appartient qu'à
l'une des peines énumérées dans l'article 464 du Code pénal : l'em-
prisonnement de cinq jours au plus, dans un autre lieu qu'une maison
de correction, sans l'obligation du travail. — L'amende et la confis-
cation spéciale ne sont pas uniquement des peines de simple police.
267. 4° Une peine est commune aux matières criminelles et aux ma-
tières correctionnelles : c'est, aux termes de l'article 11 du Code pénal,
la surveillance de la haute police. — Les deux autres peines con-
tenues dans le même texte sont plus générales.
268. 5° Il y a deux peines communes aux trois ordres de matières,
d'après les articles 11 et 464 : l'amende et la confiscation spéciale. Il
faut y ajouter la publicité des arrêts ou jugements portant une con-
damnation pénale, d'après l'article 36 du Code pénal et d'autres textes.
269. Cette division est critiquable en un point. La qualification de
correctionnelles exprime mal le caractère des peines de gravité
moyenne opposées, d'une part aux peines criminelles, de l'autre aux
peines de police : elle n'a de sens que si l'on compare à ces peines
celles qui sont afflictives ou infamantes ; et encore est-ce un sens
inexact, comme on le verra plus loin.

2° Peines corporelles, peines d'ordre moral, peines consistant en des déchéances


de droits ou des incapacités, peines pécuniaires.

270.1° Les peines corporelles comprenaient encore, en 1810, la


mutilation du poing droit pour le parricide avant son exécution (Art.
13, C. pên.), et la marque par un fer brûlant sur l'épaule droite pour
les condamnés à certaines peines criminelles. (Art. 20, C. pén.). De-
puis la loi de revision de 1832, elles se bornent à la mort et aux pri-
vations ou restrictions de liberté.
2° Les peines d'ordre moral sont encore aujourd'hui : la réparation
dont parlent les articles 226 et 227 du Code pénal ; l'appareil qui
accompagne l'exécution à mort du parricide, aux termes de l'article
13 du Code pénal; et la publicité qui doit, d'après l'article 36, ou qui
peut, d'après d'autres textes, être donnée à la condamnation par des
affiches. — L'exposition publique, établie par les articles 8 et 22 du
Code pénal, a été supprimée partiellement lors de la revision de 1832,
et entièrement par un décret du 12 avril 1848.
3° Les peiaes.consistant en des déchéances ou des incapacités sont
CLASSIFICATION DES PEINES. 201

les suivantes : les peines substituées à la mort civile; la dégradation


civique; l'interdiction de certains droits civiques, civils ou de famille;
les déchéances ou incapacités particulières; l'interdiction légale.
4° Les peines pécuniaires, depuis l'abolition de la confiscation
générale par la charte de 1814, sont la confiscation spéciale et
l'amende.
Cette classification me semble avoir peu d'intérêt pour le juriscon-
sulte. Mais elle en a beaucoup pour le législateur, dont la tâche est de
rechercher quelle nature de souffrances il fera subir au coupable,
quelle sorte de biens il lui enlèvera à titre de peine. Aussi appelle-t-
elle, avant toutes les autres, l'attention du criminaliste philosophe 1.

3° Peines principales, accessoires, complémentaires.

271. Cette division, tirée des rapports que les peines peuvent avoir
entre elles, n'est pas indiquée en termes exprès par le Code pénal ;
mais elle résulte de l'ensemble de ses dispositions.
272. On entend par peines principales celles qui ont une existence
propre et indépendante, et doivent être formellement prononcées par
l'arrêt ou le jugement de condamnation. Les peines criminelles énu-
mérées dans les articles 6, 7 et 8, l'emprisonnement et l'amende, sont,
des peines principales.
273. On entend par peines accessoires celles qui sont virtuellement
attachées, comme des conséquences nécessaires, à d'autres peines ou
bien aux condamnations encourues pour certains délits, en sorte
qu'il n'y a pas lieu de les prononcer. Ce sont; les peines qui ont été
substituées à la mort civile par la loi du 31 mai 1854; la dégradation
civique; quelques incapacités particulières, comme celle d'être juré
(L. du 21 nov. 1872, art. 2); l'interdiction légale; la publicité par
affiches des arrêts portant une peine criminelle (art. 36, C.pén.);
la surveillance de la haute police (art. 46 et 47, C. pén. modifiés
par la loi du 23 janv. 1874), sauf pour le juge la faculté de la
supprimer et l'obligation de mentionner dans son arrêt qu'il en a
délibéré.

1- Voy., en effet, les observations théoriques d'ORTOLAN sur les peines qui frap-
pent le coupable dans son corps (t. II, n°s 1354-1356); sur les peines qui le frappent
dans son moral (n°s 1384-1390) ; sur les peines qui le frappent dans les droits re-
latifs à l'état et à la capacité des personnes (nos
1405-1416); sur les peines qui le
frappent dans les droits relatifs aux biens (nos 1393-1404). Voy. aussi la conclusion
du savant auteur, n°s 1417, 1418.
202 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Deux d'entre elles, ordinairement accessoires, sont parfois princi-
pales : la dégradation civique (art. 8,111, 114, etc., C, pén.) ; la sur-
veillance de la haute police (art. 100, 108, etc., G. pén.).
274. On appelle complémentaires des peines qui sont le complément
d'autres peines et ne sont jamais prononcées seules, ce qui interdit de
les ranger parmi les peines principales, mais qui, d'autre part, ne
peuvent non plus être mises au nombre des peines accessoires, parce
qu'elles doivent être prononcées d'une manière formelle.
Telles sont : l'interdiction de certains droits civiques, civils ou de
famille (art. 42, 86,109, etc., C. pén.), et d'autres déchéances ou in-
capacités particulières, comme celles que prononcent les 1 et 2 de
l'article 335 du Code pénal ; la réparation dont parlent les articles
226 et 227 ; la confiscation spéciale, qui, lorsquelle est prononcée?'
seule, ne l'est pas à titre de peine, mais comme mesure de police.
La surveillance de la haute police, qui est le plus souvent accessoire
et quelquefois principale, est aussi, dans nombre de «as, complémen-
taire (art. 49 et 50 C. pén.).
Les peines complémentaires se distinguent surtout des peines ac-
cessoires en ce qu'elles ne sont pas applicables sans avoir été for-
mellement prononcées. Mais elles en diffèrent aussi sous un autre
rapport : tandis que les peines accessoires sont des conséquences
nécessaires, celles-ci sont tantôt obligatoires, tantôt facultatives.
Ainsi l'interdiction de certains droits est obligatoire dans les articles
109, 112, 113 etc., et facultative dans les articles 86, 89, 91, etc., du
Code pénal. De même la surveillance de la haute police, considérée
comme peine complémentaire, est obligatoire dans les cas prévus
par l'article 49, facultative et quelquefois aussi obligatoire dans ceux
que prévoit l'article 50 du Code pénal.
On remarquera encore que les peines accessoires sont le plus sou-
vent attachées à d'autres peines, tandis que les peines complémen-
taires sont toujours attachées à certains délits 1.

1. La plupart'des auteurs ne donnent pas aux peines que je nomme complémen-


taires cette qualification spéciale; ils en font des peines accessoires. Lorsqu'ils d.é'
finissent comme je l'ai fait ci-dessus les peines accessoires, c'est une erreur. Mais
ce n'est pas inexact, s'ils emploient cette formule plus large : les peines accessoires
sont celles qui se rattachent et font suite à d'autres peines ou aux condamnations
prononcées contre certains délits. Seulement, puisque parmi ces peines les unes
sont des conséquences légales, nécessaires, et n'ont pas besoin d'être prononcées,
tandis que les .autres n'ont d'existence que par des sentences judiciaires à elles
propres, et souvent ne sont pas obligatoires, pourquoi ne pas les distinguer par des
CLASSIFICATION .DES-PEINES. 203

4° Peines perpétuelles et peines temporaires.

275. Les peines perpétuelles avaient été supprimées par le Code


du 25 septembre 1791. C'est avec raison que le législateur de 1810
les a rétablies; car elles correspondent, dans l'échelle des peines, à
un degré certain dans l'échelle des délits : il y a des crimes qui seraient
injustement frappés de mort, mais qui ne seraient pas suffisamment
expiés par une peine temporaire. Le châtiment, d'ailleurs, ne sera
sans fin que si le condamné s'obstine dans une perversité incurable;
ou ne lui enlève pas l'espoir; c'est à lui démériter sa grâce.
La durée n'est à considérer que pour les peines privatives de liberté
et pour les incapacités ou déchéances de droits. Parmi les premières,
les peines perpétuelles sont les travaux forcés à perpétuité et la dépor-
tation, soit simple, soit dans une enceinte fortifiée. Parmi les autres,
ce .sont les déchéances et nullités résultant de la loi du 31 mai 1854
et la dégradation civique.—L'interdiction légale, cessant avec la
peine dont elle est l'accessoire, est, comme elle,.perpétuelle ou tem-
poraire. — L'interdiction de certains droits civiques, civils ou de
famille est dans quelques cas perpétuelle (art. 171, 175 G. pén.);
de même certaines incapacités particulières. — La surveillance de la
haute police qui, d'après le Code de 1810 et la loi de 1832, étaitper-
pétuelle au cas où elle venait comme accessoire à la suite de certaines
peines, et pouvait l'être clans d'autres cas encore, est toujours tempo-
raire depuis la loi du 23 janvier 1874. (Comp. l'ancien art. 47 et le
nouvel art. 46 C. pén.)
Il importe de distinguer les peines perpétuelles des peines tempo-
raires, lorsque l'on recherche quelles peines entraînent les déché-
ances substituées par la loi du.31 mai 1854 à la mort civile : les
premières seules ont cet effet ; et, à ce point de vue, la peine de mort
doit être rangée parmi elles.

5° Peines de droit commun et peines politiques.

276. C'est une subdivision des.peines criminelles principales qui


a beaucoup d'importance, bien qu'elle ne soit pas formulée dans la

qualifications différeates? La terminologie,


sur ce point, n'en sera-i-elle pas plus
filaire?
204 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
loi. Elle correspond à la division des crimes en crimes de droit,
commun et crimes politiques 1.
Les peines de droit commun sont : la mort, les travaux forcés à
perpétuité ou à temps, la réclusion.
Les peines politiques sont, depuis la loi du 8 juin 1850: la dépor-
tation dans une enceinte fortifiée, la déportation simple, la détention,
le bannissement.
La dégradation civique est commune aux deux ordres de matières.
Les peines correctionnelles frappent indifféremment les délits
de droit commun et les délits d'ordre politique.
Cette distinction, sans être exprimée par le Code de 1810, avait été
indiquée, lors des travaux préparatoires, à propos de la déportation et
du bannissement 2. Elle fut assez exactement, sinon toujours, ob-
servée dans les textes. La loi de revision de 1832 en a fait deux appli-
cations nouvelles : l'une dans l'article 56 relatif à la récidive, l'autre
dans l'article 463 concernant les circonstances atténuantes. En
marquant les degrés d'élévation ou d'abaissement des peines, le ré-
dacteur de ces articles a manifestement suivi tour à tour les deux
échelles de peines. A la même époque fut créée la peine de la détention,
intermédiaire entre celle de la déportation et celle du bannissement.
Depuis, la loi du 8 juin 1850 a encore confirmé cette distinction, en
décidant que la peine de mort serait remplacée, en matière politique,
non par celle des travaux forcés à perpétuité qui, d'après l'article 7,
est la plus grave après la mort, mais par la déportation dans une
enceinte fortifiée 3.

6° Peines afflictives ou infamantes et peines correctionnelles.

277. Cette division, qui résulte d'abord de l'article 1 et ensuite


des articles 6 et 8 du Code pénal, et qui ne comprend pas les peines
de simple police, se rattache aux divers effets que les peines, d'après
la loi, doivent produire sur les condamnés et sur l'esprit public. Elle

1. Se reporter, pour cette division et pour l'intérêt qu'elle présente, aux numé-
ros 114-117.
2. LOCBÈ, XXIX, p. 17; p. 205, 222.
3. Dans l'intervalle de temps qui s'est écoulé entre la Constitution du 4 no-
vembre 1848 et la loi du 8 juin 1850, la cour de cassation a décidé que la peine
de mort se trouvait virtuellement remplacée par celle de la déportation, telle que
cette peine existait alors. (Voy. l'arrêt du 3 février 1849 rapporté par BLANCHE, 1,
n° 86.)
CLASSIFICATION DES PEINES. 205

a été empruntée à notre ancienne jurisprudence. Comme autrefois, le


législateur de 1810 a sans doute entendu dire que, le retour au bien
ne pouvant plus être espéré des grands coupables, tandis qu'on peut
l'attendre encore de ceux qui ont commis des faits moins graves,
la peine doit avoir en vue de frapper ou de flétrir les premiers, mais
de réformer les autres.
278. Eh bien ! c'est une erreur. II est reconnu aujourd'hui que les
condamnés aux peines criminelles ne sont pas plus réfractaires à
l'amendement moral que les condamnés aux peines correctionnelles 1.
A ce point de vue, il serait plus exact de distinguer ceux en qui le
vice a poussé de profondes racines et ceux qui ont succombé à la
passion. Au surplus, toutes les peines sont en réalité afflictives; elles
le sont par essence; elle le sont plus ou moins suivant leur gravité
et suivant la nature physique et morale des condamnés. De plus,
toutes, sauf la mort, devraient être correctionnelles.
279. Convenait-il, du moins, de déclarer infamantes les peines
criminelles et non celles qui sont attachées aux délits?
De nombreux et éminents publicistes ont écrit qu'aucune peine ne
devrait être ainsi qualifiée, parce que c'est la violation de la loi, qui
est infamante, non le châtiment. Cette critique est analogue à celle
que l'on adresse à la division des délits contenue dans l'article 1er du
Code pénal. Seule elle me semblerait peu sérieuse; car il est évident
que la loi, en attachant l'infamie à la peine, l'imprime d'abord au
délit et au criminel.
Avec plus d'apparence de raison, les mêmes auteurs ont ajouté que
ce n'est pas au pouvoir, mais à l'opinion qu'il appartient de flétrir le
coupable. Je pense que le pouvoir, en principe, a ce droit aussi bien
que l'opinion. Il à la direction de là société ; pourquoi lui serait-il
interdit d'exercer sur elle une Influence morale que tout particulier
peut obtenir par sa parole ou par ses écrits? L'aurait-on blâmé, si, de
haut et au moyen de la loi, il avait le premier noté d'infamie en
même temps que frappé d'une peine l'exploitation de l'homme noir
par le blanc, c'est-à-dire l'oppression du faible par le fort? Le
blâmera-t-on de réagir contre certaines doctrines, en décidant que
l'assassinat des chefs d'État n'est qu'une odieuse violation de la vie

1. D'après ORTOLAN (II, n» 1435), la statistique constate, chez les condamnés


qui sortent de nos maisons centrales, 80 récidives sur 100 pour les condamnés à
l'emprisonnement, 65 pour les condamnés à la réclusion.
206 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
humaine, un crime de droit commun? N'a-t-il pas bien rempli son
rôle en proclamant, en 1790, le principe de la personnalité des peines,
qui rencontre encore dans les esprits tant de résistances 1? Sans doute
le pouvoir peut se tromper ; mais l'opinion publique est-elle donc in-
faillible? Ce sont deux puissances qui, dans l'interprétation du droit,,
peuvent s'égarer tour à tour, et qui ont l'une sur l'autre un contrôle j
mutuel et légitime.
Mais il est vrai que le pouvoir ne doit user de son droit, qu'avec ;

prudence, dans la crainte des fâcheux effets qu'un dissentiment entre \


lui et l'opinion pourrait produire. Il est vrai que Beccaria a eu raison
de dire : « Si l'on essayait de flétrir d'infamie une action que
l'opinion ne jugerait pas infâme, la loi cesserait d'être respectée 2 ».
Il est vrai, enfin, que le législateur français a méconnu ce conseil, et
même qu'il a fait des distinctions absolument fausses. L'opinion ne
confirme pas la flétrissure que la loi a voulu imprimer aux faits punis
de la déportation, de la détention, du bannissement, de la dégradation
civique ; et, dans bien des cas, elle a raison d'être indulgente pour
des actions d'ordre purement politique, inspirées par des mobiles
d'un tout autre caractère que ceux d'où naissent les crimes de droit :

commun. A l'inverse, elle flétrit, et à bon droit, les délits de vol et


d'escroquerie aussi bien que les crimes de faux et de meurtre, la
prison aussi bien que la maison de force. Elle s'étonne encore que la
dégradation civique et l'interdiction de certains droits civiques, civils
et de famille, peines tout à fait analogues, soient l'une infamante et
l'autre correctionnelle. Elle s'indigne même d'une conséquence aussi
injuste que rigoureuse de la division légale : c'est que, par suite des
article 6 à 8 du Code pénal, 232 et 306 du Code civil, le conjoint d'un
homme condamné au bannissement ou à la dégradation civique pour
des faits politiques sans gravité pourra obtenir la séparation de corps,
tandis que le conjoint du voleur ou de l'escroc condamné à l'empri-
sonnement ne le pourra pas.
Lors de la rédaction du Code pénal, ce ne fut pas sans avoir été
combattue par des membres du Conseil d'Etat que la distinction su-
rannée des peines infamantes et des peines correctionnelles passa dans
la loi moderne. Le seul motif qui paraisse l'avoir fait maintenir fut
que, la Constitution n'attachant qu'aux peines infamantes la privation

1. Comp. BERTAULD, p. 235 et 236.


2. Des délits et des peines, ch. XVIII.
CLASSIFICATION DES PEINES. 207
des droits politiques, il fallait bien préciser les peines qui auraient ce
caractère'. Mais, en 1832, ce motif n'existait plus ; on signala de
nouveau ce qu'a de défectueux la disposition de notre loi sur ce point;
et cependant on ne la supprima pas.
Elle a été effacée, au contraire, de la législation belge, en 1867.

7° Peines afflictives et infamantes et peines simplement infamantes.

280. C'est une subdivision des peines criminelles établie dans les
articles 6, 7 et 8. On vient de voir qu'elle a le défaut de confondre
dans la même note d'infamie les peines propres aux crimes politiques
et celles, qui frappent les crimes de droit commun. Elle encourt encore
deux autres critiques. Tout d'abord elle est inutile : où en est l'in-
térêt? En second lieu, elle n'a pas beaucoup de sens. Pourquoi, en
effet, le législateur a-t-il qualifié le bannissement et la dégradation
civique de peines simplement infamantes et les autres de peines à la
fois afflictives et infamantes ? Il a sans doute voulu dire que l'unique
objet du bannissement et de la dégradation civique serait d'infliger
une souffrance morale, le déshonneur, tandis que, pour les autres
peines, cet objet serait secondaire, le principal étant de faire subir
une souffrance physique. Mais, quant au bannissement, cela peut être
fort inexact : non seulement, dans certains cas, il laissera entière au
condamné sa considération, mais il le frappera, au contraire, très gra-
vement dans ses intérêts matériels ; car il offre, sous ce rapport,
beaucoup d'analogie avec la déportation, bien qu'il soit une simple
restriction de la liberté. La dégradation civique, il est vrai, aura le
caractère qu'a voulu lui imprimer la loi ; encore faudra-t-il, ce qui sera
rare, qu'elle soit prononcée comme peine principale. Avant 1832, on
pouvait y ajouter le carcan. Depuis qu'il a disparu, la classe des peines
purement infamantes se trouve à peu de chose près réduite à néant.
Cette division, comme la précédente, a été écartée du Code belge
de 1867..

1. Voy. LOCRÉ, XXIX, p. 109.


TITRE II

ANALYSE DES DIVERSES PEINES, ET THEORIE


DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE.

281. Dans l'étude analytique des peines, je suivrai le plan qui a


servi aux rédacteurs du Code pour les établir : les cinq catégories
entre lesquelles sont distribuées toutes les peines d'après leur gravité
formeront cinq chapitres. Le dernier comprendra, à la suite des peines
pécuniaires et des réparations civiles, qui ont certaines règles com-
munes, le commentaire des textes relatifs à la responsabilité civile,
c'est en ce point, en effet, que cette matière se relie au droit pénal.
Le premier chapitre, où je traiterai des peines criminelles, sera divisé
d'abord d'après la distinction de ces peines en principales et acces-
soires; les peines principales se subdiviseront ensuite, non pas en
peines afflictives et infamantes et peines simplement infamantes,
puisque ces qualificationsn'ont point d'intérêt, mais en peines de droit
commun et peines politiques ; enfin, les peines accessoires se grou-
peront à leur tour suivant qu'elles sont attachées aux huit peines
criminelles ou seulement aux trois peines qui ont un caractère de
perpétuité.
Ainsi réparties, toutes les peines seront successivement examinées.
Mais, tandis que je ferai entièrement connaître la peine de mort, les
peines consistant en des déchéances ou des incapacités et les peines
pécuniaires, je ne dirai des peines privatives de la liberté que leur
nature et leur durée, réservant leur mode d'exécution pour le titre
suivant, où sera donné l'exposé général du système pénitentiaire.
CHAPITRE PREMIER

DES PEINES CRIMINELLES

SECTION T. — PEINES PRINCIPALES

§ 1. Peine supprimée : carcan.

282. La peine du carcan avait été léguée par l'ordonnance de 1670


au Code du 25 septembre 1791, puis au Code pénal de 1810, qui
l'avait inscrite, comme peine principale et simplement infamante,
dans l'article 8, et, comme peine accessoire, dans l'article 22. Aux
termes de ce dernier texte, le condamné devait être attaché au carcan
sur la place publique, et y demeurer exposé aux regards du peuple
pendant une heure; un écriteau, placé au-dessus de sa tête, devait
porter en caractères gros et lisibles ses noms, sa profession, son
domicile et la cause de sa condamnation.
Cette peine était applicable : d'après l'article 111, à certaines
fraudes électorales dans les dépouillements de scrutins ; d'après
l'article 177, aux fonctionnaires qui acceptent des offres ou promesses
ou reçoivent des dons ou présents pour faire un acte de leur fonction,
même juste, mais non sujet à salaire, ou qui, par offres ou promesses
agréées, dons ou présents reçus, s'abstiennent de faire un acte ren-
trant dans l'ordre de leurs devoirs; d'après l'article 179, aux personnes
qui provoquent les fonctionnaires à commettre ces forfaitures; d'après
l'article 263, au crime de frapper le ministre d'un culte dans l'exer-
cice de ses fonctions.
Ce châtiment était des plus exemplaires." Mais il était vraiment
hors de proportion avec la plupart des faits/qu'il devait réprimer ; et
surtout il était de nature à accabler d'une honte ineffaçable le malheu-
reux qui l'avait subi, à l'irriter et à le rendre dangereux pour la
14
210 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
société dans laquelle, aussitôt après cette cruelle humiliation, il
rentrait absolument libre.
Aussi, en 1832, le carcan fut-il supprimé comme peine principale;
.l'article 8 ne lé reproduisit pas.

§ 2. Peines de droit commun : mort, travaux forcés à perpétuité,


travaux forcés à temps, réclusion.

I. PEINE DE MORT.

ÎCODE PÉN. — ART. 12. Tout condamné à mort aura la lêle tranchée.
ART. 13. Le coupable condamné à mort pour parricide sera con-
duit sur le lieu de l'exécution, en chemise, nu-pieds, et la tête cou-
verte d'un voile noir. Il sera exposé sur Véchafaud, pendant qu'un
huissier fera au peuple lecture de l'arrêt de condamnation, et il sera
immédiatement exécuté à mort.
ART. 14. Les corps des suppliciés seront délivrés à leurs familles,
si elles les réclament, à la charge par elles de les faire inhumer sans
aucun appareil.
ART. 25. Aucune condamnation ne pourra être exécutée les jours
de fêtes nationales ou religieuses, ni les dimanches.
ART. 26. L'exécution se fera sur l'une des places publiques du lieu
qui sera indiqué par l'arrêt de condamnation.
ART. 27. Si une femme condamnée à mort se déclare et s'il est
vérifié quelle est enceinte, elle ne subira la peine qu'après sa déli-
vrance.
A. ta peine de mort est-elle légitime? — H. Historique des efforts qui ont été faits
jusqu'à ee jour, pour obtenir qu'elle fût de plus en plus restreinte dans son
application ou même abolie. — III. Articles 12 à 14, 25 à 27 du Code pénal.

I. La peine de mort est-elle légitime? — 283. Cette question,


depuis un siècle environ, partage les esprits. Je suis de ceux qui,
actuellement, croient la peine de mort légitime, mais avec le senti-
ment qu'elle l'a été beaucoup plus autrefois, qu'elle le sera de moins
en moins dans l'avenir, et qu'un jour le progrès des moeurs l'effa-
cera de nos lois1.On l'attaque à tous les points de vue relie excéderait
le droit de la société; elle manquerait des deux conditions essentielles

.1. Comp. Hossr, Kv. III, ch. vI. CHAUVEAU et F. HELTE, t. Ier, ch. v, §2.
PEINE DE MORT. 211

à toute peine, celles d'être juste et nécessaire; elle aurait de graves


et nombreux défauts que ne compenseraient pas de douteux avantages.
Ces critiques me semblent en partie mal fondées.
284. Dans l'examen de cette question, il faut rechercher avant tout
si la peine de mort, même supposée juste et nécessaire, est au
nombre des droits qui appartiennent à la société sur l'individu. La
plupart des adversaires, en effet, le nient, et repoussent ainsi la peine
capitale par une fin de non recevoir absolue.
Une partie considérable de la philosophie du XVIII0 siècle ne pré-
sente plus, à cet égard, qu'un intérêt historique. C'est celle qui faisait
dériver le droit de punir du contrat social, hypothèse aujourd'hui
abandonnée. Les arguments'qu'elle en tirait pour ou contre la peine de
mort sont devenus inutiles. Il faut cependant les rappeler.
Beccaria 1, partant de l'idée que le droit de punir a pour principe
une concession que l'individu a faite sur lui-même à la société en
prévision du cas où il violerait la loi commune, et affirmant d'autre
part que l'homme n'a pas le. droit de s'ôter la vie, en déduisait que
l'individu n'a pu conférer ce droit au pouvoir, et que, par conséquent,
la peine de mort n'est fondée sur aucun droit. Cette déduction était
logique ; et J.-J. Rousseau 2, avec les mêmes prémisses, fut dans
l'impossibilité de justifier la conclusion contraire qu'il avait adoptée.
Mais l'idée fondamentale du système de Beccaria était si radicalement
fausse que, suivie dans toutes ses conséquences, elle eût conduit à la
suppression de la presque totalité des peines. Si la société n'a le droit
d'enlever aux individus, pour les punir, que les Meus dont ils peuvent
disposer, elle doit renoncer non seulement à la peine de mort, mais
aussi aux peines privatives de la liberté, aux peines privatives de
l'honneur, aux peines privatives des droits que l'homme ne peut vo-
lontairement abdiquer.
Filangieri 3 et Mably 4 se sépareront sur ce point du grand philo-
sophe italien, et soutinrent que la société avait le droit de mort. C'est
qu'ils concevaient autrement le contrat social en tant que principe de
la pénalité. Pour eux, tout homme, dans l'étal de nature, avait le
droit d'infliger une peine à celui qui blessait la justice, même de

1 Ch. xvi : Ou l'homme a le droit de se tuer lui-même, ou il ne peut oéder oe


droit à'un autre ni à la société entière.
2. Contrat social, liv. II, ch. v. Se reporter au n° 35 ci-dessus.
3. Science de la législation, liv. III, 2° partie, ch. v.
i. Principes des lois, liv. III, ch. iv.
212 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
donner la mort au meurtrier, afin de prévenir par l'intimidation les
agressions futures. Tel était le droit que l'individu, dans le pacte pri-
mitif, avait transmis au pouvoir. Ce système, plus rationnel que le
précédent, repose aussi sur l'hypothèse chimérique du contrat social ';
il ne permet donc pas non plus de justifier le droit de punir, et par
conséquent de résoudre la question de savoir si le droit de punir
comprend le droit de mort.
Montesquieu 2, sans donner une théorie du principe de la pénalité,
laisse clairement voir que pour lui ce principe est dans le droit qui
appartient à la société de protéger ce qu'elle considère comme ses
assises fondamentales : la religion, les moeurs, la tranquillité, la sûreté
des citoyens, et, quant à la nature des châtiments, il pense que, par
une sorte de loi du talion, chaque peine doit être tirée de la nature
particulière du crime qu'elle a en vue de réprimer. Il estime donc que
la peine de mort est justement appliquée au meurtre et ne dépasse
pas le droit de la société 3.
C'est avec ces idées de Montesquieu, dont quelques-unes ont été
rejetées, mais dont les autres ont été précisées et développées, que la
philosophie actuelle du droit pénal, embrassée clans son ensemble, me
paraît avoir le plus d'affinité. Aujourd'hui, dans l'opinion la plus
générale, on regarde le droit de punir comme une loi de l'existence
sociale, qui est elle-même une loi de l'existence humaine. Fondé sur
l'utilité et la justice, il trouve en elles une double limite. Pour qu'une
peine soit légitime, il faut qu'elle soit juste et nécessaire 4. Aussi les
publicistes qui attaquent la peine de mort se placent-ils à ces deux
points de vue. Mais ils font plus : ils distinguent cette peine de toutes
les autres ; ils prétendent tout d'abord que, fût-elle juste et néces-
saire, la société n'aurait pas le droit d'en user.
Ne pouvant plus, comme Beccaria, se prévaloir du contrat social
auquel ils ne croient pas, ils font appel au sentiment religieux; ne
pouvant plus se contenter de dire que la vie de l'homme est inces-
sible, ils disent qu'elle est inviolable. Et pourquoi? Parce que la
société ne peut retirer aux individus que les biens acquis par eux sous

1. Se reporter ci-dessus, aux nos 34 et 36.


2. Esprit des lois, liv. XII, ch. iv.
3. Un citoyen mérite la mort, lorsqu'il a violé la sûreté au point qu'il a été la
vie ou qu'il a entrepris de Voter. Cette peine de mort est comme le remède de la
société malade.
4. Se reporter ci-dessus, aux n°s 78-86.
PEINE DE MORT. 213

sa protection; parce que Dieu seul, l'auteur de la vie, a le droit d'en


marquer le terme 1. Et bien! c'est là une affirmation pure, et féconde
en conséquences inadmissibles, tout comme il était arbitraire et dan-
gereux de dire que la société n'a sur l'individu que les droits par lui
concédés sur lui-même. Aussi les auteurs de ce système tombent-ils
dans la même contradiction que Beccaria : ils ne refusent au pou-
voir la vie du coupable que pour lui abandonner sa liberté, ou-
bliant ou ne voulant pas reconnaître que la liberté est de même
essence que la vie, c'est-à-dire un don de Dieu. Pour Beccaria, la
liberté aurait dû être incessible ; pour eux, elle devrait être inviolable.
Mais, disent-ils,' la liberté et la vie sont des biens d'un prix très
inégal. Qu'importe! là n'est pas la question; c'est un point de vue
tout autre. Que l'on s'y tienne, et l'on décidera, avec raison, mais
simplement, que la vie ne peut être ôtée que dans des cas rares et
à titre de châtiment suprême. Mais, veut-on remonter à l'origine des
biens,et proclamer inviolables ceux que Dieu seul a donnés, il faut
respecter la liberté comme la vie, puisqu'elles ont même origine 2.
Peut-être même faut-il aller plus loin et proscrire toutes les peines ;
car il n'est pas facile de discerner dans les biens de l'homme l'oeu-
vre de Dieu, celle delà société et celle de l'homme lui-même.
Ainsi, chose remarquable, aujourd'hui comme au XVIIIe siècle, dès
que l'on prétend séparer la peine de mort des autres peines et l'atta-
quer par des raisons spéciales, on est obligé de s'en prendre au prin-
cipe même de la pénalité, et, comme il soutient à la fois la peine de
mort et les autres peines, en s'efforçant de le renverser on ébranle
tout le système pénal.
On ajoute, il est vrai, en ce qui regarde la peine capitale, que la
mort prématurée d'un homme interrompt avant l'heure l'épreuve que
Dieu lui avait imposée, et compromet sa vie future en le livrant sans
préparation à la justice divine 3. Mais n'oublie-t-on pas que le con-
damné ne monte à l'échafaud qu'après de longs jours de solitude

1. CHARLES LUCAS, Système pénal, p. 14-23;


— MITTERMAIER, de la Peine de
mort, p. 63, 132.
2. Aussi M. Lucas, sentant la force de l'objection, et voulant demeurer consé-
quent avec son principe, renonce-t-il à l'emprisonnement perpétuel (p. 265, 266).
Mais il ne fait que reculer la difficulté. Si, comme il le dit, on usurpe le pouvoir
de Dieu en dépouillant pour toujours un homme de sa liberté,
ne l'usurpe-t-on
pas aussi, bien que dans une moindre mesure, en condamnant cet homme à un
emprisonnement temporaire?
3. MITTERMAIER, p. 132.
214- DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
durant lesquels la voix de la religion et celle de sa conscience l'ont
souvent exhorté au repentir ? N'oublie-t-on pas surtout que nul ne
saurait enlever aux jugements divins des éléments d'appréciation?
Au reste, l'inviolabilité de la vie humaine est.absolue ou n'est
qu'un mot. Reconnaître que, dans tel cas, pour tels motifs, un homme
peut légitimement mourir par la volonté d'un autre homme ou par
celle du pouvoir, c'est avouer que son existence n'est pas au-dessus
de toute atteinte ; c'est permettre de rechercher dans d'autres cas
les mêmes motifs de ne pas la respecter. Or, parmi ceux qui af-
firment l'inviolabilité de la vie humaine, il en est peu, s'il en est,
qui n'admettent à ce principe quelque exception, et par là ne le dé-
truisent. Beccaria et les philosophes de son temps pensaient que la
peine de mort était légitime en matière de crimes politiques. Aujour-
d'hui, plusieurs la maintiennent dans les armées de ferre ou de mer.
Un plus grand nombre accordent que le droit de soutenir une guerre
emporte celui d'envoyer ses soldats à la mort. N'est-ce-pas nécessaire,
et les citoyens ne doivent-ils pas leur sang au pays ? Sans doute ! mais
alors la seule question qui soit à examiner est celle de savoir s'il
n'est pas également juste et nécessaire de mettre à mort les grands
criminels. Enfin, personne ne refuse à celui qui est en état de légi-
time défense et qui se trouve réduit à cette extrémité, le droit de tuer
l'agresseur. Après cela, comment contester à la société celui de con-
damner à mort le meurtrier? Il ne suffit pas de répondre que le droit
social de punir est autre chose que le droit de défense individuelle.
Oui, ces deux droits diffèrent, mais c'est au point de vue des cir-
constances et de la mesure dans lesquelles ils doivent s'exercer,,
nullement quant au principe d'où ils dérivent. Ce principe, c'est le
droit de vivre, qui donne à la société le droit de punir, en même
temps qu'à l'individu le droit de se défendre. Le droit de défense de
l'individu implique celui de tuer l'agresseur, lorsque c'est juste et
nécessaire; pourquoi le /oit de punir le coupable n'irait-il pas.
jusque-là, si les mêmes conditions sont remplies?
285. La peine de mort est-elle juste? Elle a été longtemps infligée'
dans des cas où maintenant elle nous paraîtrait excessive. Aujour-
d'hui encore, elle est attachée par le Code pénal français à un troj<
grand nombre de délits. C'est une réianneà faire. Mais la conscience
humaine proclame qu'elle n'est pas injuste lorsqu'elle est appliquée
à certains crimes militaires de la plus haute gravité,, ou aux crimes
de droit commun qui se résument dans l'assassinat, c'est-à-dire dans.
PEINE DE MORT. 215

le meurtre froidement prémédité, et lorsque le criminel ne mérite


aucune indulgenced.
286. La peine de mort est-elle nécessaire ? Ici l'absolu fait place
aux considérations de temps, de lieux, de circonstances; à ce point,
de vue, l'échafaud devient de jour en jour plus difficile à maintenir.
Toutefois, s'il y a des raisons de mettre en doute la nécessité de la
peine capitale, c'est à tort que l'on se prévaut en premier lieu de
son impuissance. Ne remarquez-vous pas, dit-on, le retour incessant
des crimes qu'elle devrait prévenir? D'accord. Ne prouve-t-il pas
qu'elle est inefficace2? Nullement. Si l'on sait que la menace delà
mort n'a pas arrêté tel ou tel individu, combien d'autres en ont eu
peur que l'on né connaît pas ! La crainte de la mort est grande chez -

la plupart des hommes, on ne saurait le nier. Il est donc certain


qu'elle réprime chez beaucoup d'entre eux la tentation du crime 3.
Elle n'a pas agi sur celui-ci, qui, parvenu au paroxysme de la passion
ou doué d'une énergie extraordinaire, ne s'en est point préoccupé ou
l'a bravée, ni sur celui-là qui espérait s'y soustraire. Soit. Mais pour-
quoi ne pas tenir compte aussi des inconnus qui, plus maîtres
d'eux, ou combattant encore leurs désirs naissants, ou moins forts, ou
mieux avisés, ont calculé le risque à courir 4? Rien n'est plus faux

1. ORTOLAN, (II, n° 1361) ne peut s'empêcher de le reconnaître.


2. BECCAEIA, ch. xvi, a dit : L'expérience de tous les siècles prouve que la peine
de mort n'a jamais arrêté les scélérats déterminés à mare; et, après lni, tons les
adversaires de la peine de mort ont insisté sur cet argument.
3. Est-ii admissible que la prison, même perpétuelle, ait plus d'efficacité préven-
tive que la peine de mort? Beccaria n'a-t-il pas commis une erreur en disant : la
rigueur du châtiment fait moins d'effet sur l'esprit humain que la durée de
peine... il n'y a point d'homme qui puisse balancer entre le aime, quelque avan-
tage qu'il s'en promette, et le risque de perdre à jamais sa liberté ?
M. CH. LUCAS (Système pénal, p. 190, 191, 213 et s.), rappelant que des milliers
d'honnêtes gens exercent des professions périlleuses ou meurtrières, et que, tons
les jours, des hommes généreux risquent leur vie pour autrui, paraît en conduite
que la crainte delà mort n'arrête pas davantage l'homme prêt à commettre un
crime. Mais autre chose est une mort incertaine ou lointaine, en tout cas hono--
rable ou glorieuse, à laquelle s'exposent l'ouvrier et le soldat par nécessité, le héros
par dévouement, autre chose la mort sur l'échafaud, prochaine, probable, ignorai
nieuse, qui se présente à la pensée de l'homme invité au crime par la cupidité ou
la haine.
4. JVI- CH. LUCAS (p. 222 et s.) rapporte un grand nombre de récits nous montrant
que des condamnés à mort ont subi leur peine avec fermeté, courage ou .forfan-
terie. Quand on admettrait ces récits, sans contester l'authenticité d'aucun, sans
même leur opposer qiue souvent aussi les condamnés ont été traînés à l'échafaud
tremblants d'épuuyaiite et .défaillants, qu'en faudrait-il conclure? Que ces scènes-
sont de nature à exciter chez, quelques scélérats une admiration féroce et une-
216 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

que de dire : puisque cette peine n'a pas arrêté certains individus,
elle ne contient personne, elle est inefficace. S'il en était ainsi, ce
n'est pas seulement la mort, ce sont avec elle toutes les autres peines
qu'il faudrait juger inutiles et supprimer.
Mais ce qui est vrai, c'est que le progrès et l'adoucissement général
des moeurs, après avoir effacé des législations modernes les an-
ciennes tortures, marche vers l'abolition de la peine de mort. A
mesure que s'accroîtra la sensibilité de tous, des peines moins dures
pourront produire autant d'effet que les cruels supplices d'autrefois.
C'est l'état de civilisation où nous sommes arrivés qui fait naître les
protestations si souvent renouvelées depuis la seconde moitié du
XVIIIe siècle. Nous avons peine à supporter le spectacle ou même la
pensée d'homicides accomplis' de sang-froid, par ordre du pouvoir,
suivant des formes régulières, en présence d'assistants impassibles
ou animés de passions sauvages. D'autre part, maigre des démentis,
toujours trop fréquents sans doute, mais que la voix des journaux
rend plus retentissants et en quelque sorte multiplie, la vie humaine
est mieux respectée qu'autrefois. Le nombre des exécutions à mort
diminue, sans que celui des grands crimes augmente. La peine de
mort ne frappe plus, en France et dans d'autres pays., les faits d'ordre
politique; quelques peuples d'Europe et d'Amérique ont même tenté
l'expérience d'une abolition totale. Mais cette réforme ne doit pas
devancer l'état général des esprits. Trop de hâte amènerait une ré-
action, comme il est arrivé ailleurs plusieurs fois. Actuellement,
chez nous, l'opinion ne paraît pas favorable à une suppression com-
plète de la peine de mort; si des pétitions ont été adressées en ce
sens à nos assemblées, les voeux qu'elles contenaient ont été con-
stamment repoussés. L'horreur de l'échafaud ne l'emporte pas encore
sur le besoin de sécurité, et, si douloureuse que"soit cette mesure
extrême, on n'a pas cessé de la croire nécessaire.
287. Quels sont les défauts de la peine de mort?

émulation dangereuse? C'est vrai; mais on pourrait supprimer la publicité des


exécutions. Que ces hommes ne redoutaient pas la mort? Ce serait souvent une
erreur; ils se résignaient à un sort inévitable; ils dominaient leur effroi; mais com-
bien n'eussent-ils pas été heureux d'une commutation ! Que la peine de mort, après
ces exécutions, n'aura plus aucun pouvoir d'intimidation? C'est la conclusion qui
importe ici. Mais ne serait-elle pas des plus téméraires? L'exemple qui résulte
d'une exécution à mort s'adresse à un certain nombre d'individus enclins au crime;
s'il n'arrête pas les uns, il arrêtera les autres; les circonstances, les mobiles, les
caractères, les degrés d'éducation sont bien divers.
PEINE DE MORT. 217

On a dit qu'elle était inégale ; que, terrible pour les uns, elle était
pour les autres préférable au travaux forcés à perpétuité ; que des
forçats ont commis sur leurs codétenus ou sur leurs gardiens de
nouveaux meurtres en vue d'une condamnation à mort. Ce n'est pas
sérieux ; de rares exceptions ne détruiront pas la certitude que la mort
est regardée par la plupart des hommes comme le plus grand
des maux. Aucune peine d'ailleurs, en ce sens, n'est absolument
égale pour tous, et la peine capitale est précisément l'une de celles
qui remplissent le mieux cette condition.
On a dit encore qu'elle était indivisible, non susceptible d'être
aggravée ou atténuée suivant les circonstances. Mais qu'importe,
puisqu'elle doit être le châtiment suprême, et que des peines infé-
rieures sont à la disposition du juge qui ne la croit pas méritée.
C'est aussi le caractère des travaux forcés à perpétuité et de la dé-
portation d'être indivisibles; les tribunaux n'en sont pas entravés
dans leur oeuvre d'exacte et équitable justice; au-dessous des peines
perpétuelles se trouvent des peines temporaires qu'il est toujours
possible de leur substituer.
Ces critiques écartées, il faut reconnaître à la peine de mort
quatre défauts graves,' dont trois lui sont propres, et dont le qua-
trième est beaucoup plus sensible en elle que dans les autres peines.
1° Elle n'est pas réformatrice; 2° elle est irrémissible. Ce sont deux
conséquences du caractère particulier qu'elle présente : consistant en
un coup de hache brutal, unique et définitif, elle supprime, avec
l'avenir terrestre, les chances d'amendement moral et de pardon. Aux
yeux des philosophes contemporains qui ont fait de l'amélioration du
coupable le principe et le but essentiel des peines, ce double défaut
condamne absolument la peine de mort 4. Mais, quelque désirable
que soit l'amendement du coupable, bien que le système des peines
doive être organisé de manière à y tendre et à le réaliser autant que
possible, ce n'est pas et ce ne sera jamais l'objectif principal de la
pénalité; ou bien l'on renoncera à la peine, et l'on traitera les cri-
minels comme des malades, non comme des coupables. L'idée de
correction, qui d'ailleurs au delà d'une certaine mesure devient une
chimère, n'est qu'une des faces de l'idée qne la peine doit être utile
à la société 2 ; c'est là tout son rôle ; lui faire une place prépondé-

1. Voy. notamment, CH. LUCAS, Système pénal;


— MITTERMAIER, de la Peine de
mort.
2. La peine doit être utile
par ses effets préventifs ; or elle préviendra le retour
218 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
rante en lui surbordonnant l'intimidation et l'expiation, c'est dé-
truire la peine; et c'est à quoi conduirait cette doctrine, si elle n'était
pas tempérée par des inconséquences. Toutefois, si le double défaut
de n'être ni réformatrice ni rémissible ne suffit pas à faire proscrire
la peine de mort, il est assez grave pour que l'application de cette
peine soit restreinte aux assassinats que n'atténue aucune circon-
stance et qui accusent chez' leurs auteurs une férocité indomp-
table.
3° Elle est irrévocable ; les erreurs commises le sont sans retour;
des innocents peuvent être immolés. Voilà ce qui soulève contre elle
les protestations les plus ardentes et les plus générales. Et l'on ne
peut nier qu'elles ne soient fondées. Cependant on ne saurait non
plus méconnaître que, par suite de l'extension donnée au rôle des
circonstances atténuantes en 1832, par suite aussi de l'attention scru-
puleuse avec laquelle, depuis la même époque, nos gouvernements
revisent les condamnations à mort, le doute le plus-léger fait écar-
ter la peine irréparable.-Les erreurs définitives seront donc extrême-
ment rares. Dans ces derniers temps on a signalé trois cas, en ma-
tière capitale, où la condamnation avait frappé des innocents ; mais
la peine de mort n'avait pas été prononcée 1.
4° Elle est de nature à ébranler elle-même dans le public le respect
de la vie humaine qu'elle a pour but de raffermir 2. Assurément cette
sorte de contradiction est fort affligeante. Mais elle est un défaut
inhérent à la plupart des peines. N?est-il pas choquant aussi de voir
la société, après avoir commandé le respect des biens et de la liberté,
dépouiller le coupable, au risque de le réduire lui et les siens à la
misère, l'arracher à sa famille, à son. pays, l'enfermer dans une
étroite prison,, le traiter en esclave ? II faut pourtant se résigner, si
l'on ne veut pas renoncer à la peine, à en faire une souffrance, et par
conséquent à punir le mal par le mal. Seulement, il est vrai que cette
contradiction inévitable est plus sensible dans le spectacle d'une
exécution à mort, où elle n'est pas atténuée par l'idée de l'amende-
ment et du pardon futurs. Il est vrai aussi que ces spectacles sanglants

des crimes, d'une part en intimidant par l'exemple, d'autre part en corrigeant le
coupable.
1. ORTOLAN, II, p. 21.
2. ORTOLAN, II, p. 19.
— BECCARIA, ch. xvi, a dit : La peine de mort est en-
core funeste à la société par les exemples de cruauté qu'elle donne aux hommes.
N'est-ïl pas absurde que les lois qui détestent et punissent l'homicide ordonnent
un meurtre public, pow délouirne,r de l'assassinat?
PEINE DE MORT. 219

peuvent éveiller dans l'âme de quelques-uns des assistants des ins-


tincts sanguinaires qui dormaient encore. Aussi les exécutions doivent-
elles cesser d'être publiques.
En regard de ces défauts, la peine de mort a les qualités suivantes :
1° Aux yeux des criminalistes qui ne conçoivent pas la justice sans l'ex-
piation, elle est pour l'assassinat le châtiment mérité. 2° Elle est au
plus haut point exemplaire et redoutée. 3° Elle est une des plus
égales sous tous les rapports. 4° Elle est la seule qui mette certaine-
ment fin aux dangers dont la perversité incurable de certains scé-
lérats menace la société.
1

288. En résumé, les défauts de la peine de mort font un devoir au


législateur et au juge de n'en user qu'avec une grande réserve ;
mais, si graves qu'ils soient, ils ne seront pas suffisants pour en
commander l'abolition, tant qu'elle sera jugée nécessaire ; et, tant
qu'on la reconnaîtra nécessaire, étant juste d'ailleurs dans cer-
tains cas et n'excédant pas le droit social de punir, elle sera légi-
time.
IL Historique des efforts qui ont été faits jusqu'à ce jour
pour obtenir que la peine de mort fût de plus en plus res-
treinte dans son application ou même aibolie. — 289. La ques-
tion de savoir si la peine de mort ne devait pas être supprimée fut de
celles que souleva la philosophie du XVIIIe siècle en matière pénale.
Après Beccaria à la veille de la Révolution, Brissot, Robespierre,.
,
Marat le proposaient dans leurs écrits, en faisant exception toutefois
pour les crimes politiques. L'Assemblée constituante ne crut pas de-
voir céder aux sollicitations de quelques-uns de ses membresi; niais.,,
en maintenant la peine de mort, elle effaça tontes les cruautés qui
jusque-là en avaient été le cortège. L'Assemblée législative, dans son
décret du 20 mars 1792, institua un nouvel et unique instrument de
supplice. La Convention, au sein de laquelle plusieurs fois la contro-
verse avait été reprise, émit un vote, le 14 brumaire an IV, alors
qu'elle allait se dissoudre : elle déclara que la peine de mort serait
abolie à dater du jour de la publication de la paix générale. C'était
un simple voeu, qui ne devait pas être exaucé. Une loi du 8 nivôse
an X décida que la peine de mort continuerait d'être appliquée dms
tes cas déterminés par lu loi, et les rédacteurs du Code de 1810 en
firent un fréquent usage.
1. Voy. notamment le célèbre rapport de LEPELLETIER DE SAINT-FARGEAU,
Moniteur de 1701. n° 152.
220 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
290. Agitée de nouveau sous la Restauration, notamment par
Guizot 1 et M. Charles Lucas'2, la question fit un grand pas lors de la
revision de 1832. La peine de mort fut supprimée dans un nombre
de cas considérable 3 ; et, dans tous les autres, même pour les plus
grands crimes, le jury reçut le pouvoir souverain de l'écarter par
une simple déclaration d'existence de circonstances atténuantes.
Cette intervention du jury offre un grand avantage : c'est l'opinion
publique, le guide le plus sûr à cet égard, qui 'marquera le temps
où la peine de mort aura cessé d'être nécessaire, et les décisions du
jury sont des manifestations quotidiennes de l'opinion publique.
Mais elle présente aussi un inconvénient grave: il en résulte que, à la
place de la loi statuant d'une manière fixe, invariable, égale pour
tous, sont institués des groupes divers de douze citoyens, sortis pour
un instant de la foule où ils vont rentrer, législateurs d'un jour en
même temps que juges, chacun faisant sa loi pour l'homme qui est
devant lui et la faisant suivant son sentiment propre sur la légitimité
de la peine de mort; en sorte que la justice, pour les grands crimes,
est inégale.
291. La Révolution de 1848 a réalisé un nouveau progrès. A la suite
d'un voeu du Gouvernementprovisoire formulé dans une déclarationdu
26 février, la Constitution du 4 novembre 1848 a, dans son article 5,
aboli la peine de mort en matière politique, et, depuis, cette réforme
a été maintenue. On en est venu là par un revirement d'idées bien

1. De la peine de mort en matière politique (1822).


2. Du système pénal et du système répressif en général, et de la peine de mort
en particulier (1827).
3. Ils sont au nombre de onze. La peine de mort était applicable et cessa de
l'être : 1° d'après l'art. 56, C péri., aux crimes entraînant par eux-mêmes les ira-
vaux forcés à perpétuité, et commis en récidive après une condamnation crimi-
nelle quelconque; — 2» d'après l'art. 63, à la participation par recel à un crime
puni de mort; — 3° d'après les art. 86 et 87, au complot contre la vie ou contre la
personne du chef de l'État; — 4° d'après l'art. 91, au complot dont le but serait
d'exciter la guerre civile ou de porter la dévastation et le pillage dans des com-
munes; — 5° d'après l'art. 132, au crime de fausse monnaie; — 6° d'après l'ar-
ticle 139, à la contrefaçon des sceaux de l'État, billets de banque ou effets publics;
— 7° d'après l'art. 304, au meurtre précédé, accompagné ou suivi d'un simple dé-
lit, sans avoir de lien avec lui; — 8° d'après l'art. 344, à l'arrestation illégale exé-
cutée avec le faux costume, sous un faux nom ou sur un faux ordre de l'autorité
publique, ou bien avec menaces dé mort;
— 9° d'après l'art. 365, à la subornation
de témoins en vue d'un faux témoignage pouvant faire prononcer les travaux forcés
à perpétuité; — 10° d'après l'art. 381, au vol commis avec la réunion des cinq
circonstances aggravantes qu'énumérait le texte;
— 11° d'après l'art. 434, à l'in-
cendie d'édifices non habités ni servant à l'habitation, ou d'autres objets. (Comp.
l'ancien art. 434 et celui qui fut rédigé en 1832).
PEINE DE MORT. 221
remarquable. Dans le principe, au xvin0 siècle et sous la première
Révolution, lorsque l'on demandait la suppression de la peine de
mort, c'était uniquement pour les crimes de droit commun ; et ce fut
au contraire pour les crimes politiques que, plus tard, notamment
dans l'écrit de Guizot en 1822, se révéla clairement l'illégitimité de
cette peine '.
292. La législation française n'est pas" allée plus loin. L'aboli-
tion radicale de la peine de mort a été demandée plusieurs fois, soit
au Corps législatf et au Sénat de l'Empire, soit à l'Assemblée natio-
nale de 1871 ; elle a toujours été repoussée.
L'opinion maintient donc encore cette peine. Mais elle juge que
l'application n'en a pas été assez restreinte. Il reste encore un certain
nombre de cas où la loi prononce la peine capitale pour des crimes
de droit commun qui ne sauraient rentrer dans l'assassinat, le seul
fait qui appelle justement l'expiation suprême. Et surtout il n'est pas
admissible qu'un tel châtiment frappe la tentative (art. 26 C. pén.),
ni la complicité proprement dite (art. 59 et 60, 2° et 3° alin.), ni la
récidive (art. 56, 7e alin.) 2.

1. Si la définition des délits politiques proposée ci-dessus, au n° 117, est exacte,


la peine de mort, en vertu de la Constitution du 4 novembre 1848, a cessé d'être
applicable : 1° d'après l'art. 75 C. pén., au fait de porter les armes contre la
France; — 2° d'après les articles 76, 77, 79, aux machinations avec l'ennemi;

3° d'après les articles 80 et 81, aux faits de trahison visés dans ces textes ;

4° d'après l'article 83, au recel d'espions ennemis ;
— 5° d'après les articles 87,
91, 92, 93, 96, 97 C. pén., et d'après l'art. 5 de la loi du 24 mai 1834, aux atten-
tats contre le gouvernement, aux faits de guerre civile, d'illégal emploi de la
force armée, de dévastation et de pillage publics, d'usage de ses armes dans un
mouvement insurrectionnel;— 6° d'après l'art. 125 C. pén., aux coalitions de
fonctionnaires attentatoires à la sûreté de l'État.
2. En outre des cas de tentative, de complicité et de récidive, la peine de mort
est encore applicable : 1° d'après l'art. 233 C. pénal, aux coups portés et aux bles-
sures faites, avec intention de donner la mort, aux magistrats, fonctionnaires ou
agents de la force publique désignés dans les art. 228 et 230; — 2° d'après l'ar-
ticle 302, au meurtre prémédité, au parricide, à l'infanticide, à l'empoisonnement;
— 3° d'après l'art. 303, aux crimes accompagnés de tortures ou d'actes de barba-
rie; — 4° d'après l'art. 304, l«r alinéa,.au meurtre accompagné d'un autre crime;
— 5° "d'après l'art. 304, 2» alinéa, .au meurtre accompagné d'un délit avec lequel il
a un certain lien; — 6" d'après l'art. 316, au crime de castration ayant entraîné
la mort ; — 7? d'après l'art. 344, à la séquestration avec tortures corporelles;

8° d'après les art. 361 et 365, au faux témoignage et à la subornation de témoins
qui ont eu pour résultat une condamnation à mort;
— 9° d'après les art. 434, 435
et 437, à plusieurs cas d'incendie ou de crimes analogues; — 10° d'après les art.
7, 9-11 de la loi du 3 mars 1822, à la violation de certaines prescriptions de police
sanitaire; — 11° d'après l'art. 16 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des che-
222 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Toutefois, dans la pratique, le jury écarte souvent la peine de mort,
en faisant usage de son droit absolu d'accorder le bénéfice des cir-
constances atténuantes (art. 463, C. pén.); et le gouvernement y
ajoute encore de fréquentes commutations i.
293. A l'étranger, comme en France, on restreint de plus en plus
l'application de la peine de mort 2. Bien plus, un certain nombre de
peuples nous ont devancés. Non seulement ils ont corrigé l'excès de
sévérité de notre Code en matière de tentative, de complicité et de
récidive; mais les uns ont légalement réduit l'emploi de la peine de
mort à l'homicide prémédité, suivant le voeu presque universel : la
plupart des Etats de l'Amérique du Nord; la Suède en 1861 ; la Bel-
gique en 18673; l'Allemagne en 1870; les autres l'ont entièrement
abolie : le canton de Fribourg en 1848 ; celui de Neufchâtel en
1854; celui de Zurich en 1866; celui de Genève en 1871; dans
l'Amérique du Nord, le Michigan en 1848 ; le Rhode-Island et le
Wisconsin en 1852, etc.; la Roumanie en 1864; le Portugal en
1866; les Pays-Bas en 1870. Plusieurs Etats d'Allemagne avaient
également supprimé la peine de mort ; mais elle s'est trouvée l'établie,
en 1872, par l'application à ces Etats du code de l'Allemagne du
Nord. La Constitution fédérale de 1874 l'avait abolie, dans son article
65, pour la Suisse tout entière; mais, le 18 mai 1879, à la suite de
plusieurs assassinats qui avaient causé une émotion profonde, une loi

mins de fer, aux déraillements ou autres accidents volontairement occasionnés,


qui ont eu pour conséquence l'homicide.
1. ORTOLAN (II, p. 122) a donné le tableau suivant :
Condamn. à mort. Exécutions.
De 1826 à 1830, on compte en moyenne par an 111 72
1831 à 1850, — 51 32
1851 à 1860, — 50 28
1861 à 1865, — 22 15
Enl868etl869, _
Voici le complément de ce tableau
15 8
:

Condamn. à mort. Executions.


En 1872, il y a eu, pour l'année 31 24
1873 — . 34 15
1874
— 31 13
1875 33 12

précité de la Peine de mort, donne sur ce point
2. MITTERMAIER, dans son livre
les renseignements les plus complets.
3. HAUS (Principes généraux du droit pénal belge, II, n° 684) écrivait,
en 1874,
que, depuis plusieurs années, les condamnations capitales n'avaient pas été exé-
cutées en Belgique.
PEINE DE MORT. 223

fédérale a rendu aux cantons la liberté de la rétablir dans leur légis-


lation particulière pour les crimes non politiques. La Toscane mérite,
à cet égard, une mention spéciale. Elle fut la première à abolir la
peine de mort en 1786 ; aussi la réaction se fit-elle presque aussitôt :
dès l790, cette peine était rétablie. Depuis, elle a été abrogée de
nouveau en 1848 et réédictée en 1852. Enfin, une troisième suppres-
sion l'a frappée, le 30 avril 1859. Actuellement, c'est une question de
savoir si elle sera maintenue dans le Code italien. Mais, ce qui est tout

n'a été exécutée en Toscane 1.


à fait remarquable, c'est que, d'après une déclaration faite dans le
décret du 30 avril 1859, depuis 1786 aucune condamnation à mort

III. Textes relatifs à l'exécution de la peine de mort. — 294.


L'article 373 du Code d'instruction criminelle donne au condamné trois
jours francs après celui où son arrêt lui aura été prononcé pour déclarer
au greffe qu'il se pourvoit en cassation ; et l'article 375 veut que la con-
damnation soit exécutée clans les vingt-quatre heures qui suivront
l'expiration de ce délai, s'il n'y a point de recours en cassation, ou,
en cas de recours, dans les vingt-quatre heures de la réception de
l'arrêt qui aura rejeté la demande 2. Mais le roi Louis-Philippe décida
que les condamnations à mort ne seraient exécutées qu'après lui avoir
été soumises ; et, depuis elles sont auparavant examinées au minis-
,
tère de la justice 3.
295. D'après l'article 12 du Code pénal, le mode d'exécution ordi-
naire est la décapitation 4. Si la condamnation émane d'un conseil de
guerre, le condamné, civil ou militaire, est fusillé.
296. Pour le parricide, l'article 13 ordonnait qu'il eût le poing-
droit coupé avant sa mise à mort. Cette inutile cruauté a été effacée
du texte, lors de la revision de 1832. Mais l'article 13 prescrit encore
qu'un certain appareil précède l'exécution du parricide. Des auteurs
souhaitent qu'il soit également supprimés.

1. Cependant MITTERMAIER (op. cit., p. 46) parle de doux exécutions qui au-
raient eu lieu en 1830, l'une à Pise, l'autre à Florence, malgré l'imposante pro-
testation de tout le peuple.
2. Dans quelques-uns des États-Unis d'Amérique, l'exécution ne doit avoir lieu
•qu'après un délai de six mois; durant ce temps, des erreurs pourront se révéler;
mais que de longs jours d'angoisses pour le condamnél
3. De plus, un projet de loi en élaboration propose de rendre obligatoire le
pourvoi contre tout arrêt prononçant la peine de mort.
4.L'instrument du supplice est la guillotine, en vertu dudécret du20-25 mars!792.
5. Entre autres, CHAOVEAU et F. HÉLIE, I, n° 67; BERTAULD, p. 237.— II
a
224 DROIT PÉNAL. — ANALYSE DES DIVERSES PEINES.
297. Aux termes de l'article 26, l'exécution a lieu sur une place
publique. On se demande, aujourd'hui, si ce n'est pas un mal. Il ar-
rive, en effet, souvent, surtout dans les grands centres de population,
que les exécutions publiques, attirant parmi les spectateurs un grand
nombre d'individus perdus de vices et animés des plus mauvaises
passions, donnent lieu de leur part à d'affligeants scandales. Elles
excitent aussi chez plusieurs d'entre eux une sorte d'émulation crimi-
nelle à braver la peine par de nouveaux forfaits. Aussi, dans la pra-
tique, applique-t-on la lettre plutôt que l'esprit de la loi : les exécu-
tions se font aux premières lueurs du jour, à quelques pas de la prison,
rapidement, sans solennité. De là à la pensée de modifier la loi il n'y
avait pas loin. C'est un voeu général, sinon unanime, que la peine de
mort soit exécutée dans l'intérieur des prisons, devant un public res-
treint 1. La peine'de mort y perdra peut-être de son effet exemplaire
sur quelques-uns; mais elle'en aura davantage sur ceux qui voient
dans l'exécution publique une dernière occasion d'outrager la société;
et d'ailleurs, c'est la crainte de la mort dont menace la loi plutôt
que le souvenir de l'exécution accomplie sous ses yeux qui est de
nature à arrêter l'homme méditant froidement un crime.
298. L'article 25 défend d'exécuter les condamnations à mort les
jours de fête nationales ou religieuses ou les dimanches.
L'exécution a lieu sans distinction de sexes. Cependant, d'après l'ar-
ticle 27, si une femme condamnée à mort se déclare et s'il est vérifié
qu'elle est enceinte, elle ne subira la peine qu'après sa délivrance.
1

La loi du 23 germinal an III ordonnait qu'une femme enceinte ne fût


même pas mise en jugement. Les autorités judiciaires suppléeront au
silence de la loi.
L'article 14, reproduisant un décret de 1790, accorde les corps.des
suppliciés à leurs familles, si elles les réclament. Autrefois on, les
jetait à la voirie. Mais le texte interdit dans leur inhumation tout appa-
reil.

été supprimé dans le Code belge de 1867. — Il doit l'être d'après un projet de loi
sur l'exécution de la peine de mort en date du 20 mars 1879 (art. 2).
1. Cette réforme a été faite en Angleterre, en Allemagne, etc. C'est la disposi-
tion principale (art. 1) du projet de loi relatif à l'exécution de. la peine de mort
qui a été déposé sur le bureau de la.Chambre des députés, le 20 mars 1879. (Jour-
nal officiel du 3 avril 1879.)
PEINE DES TRAVAUX FORCÉS. 22"

II..PEINE DES TRAVAUX FORCÉS A PERPÉTUITÉ ET PEINE DES RAVAUX FORCÉS A TEMPS .

CODE PÉN. ART. 19. La condamnation à la peine des travaux for-


cés à temps sera prononcée pour cinq ans au moins et vingt ans au
plus.
ART. 16. Les femmes et les filles condamnées aux travaux forcés
n'y seront employées que dans l'intérieur d'une maison de force.
Loi DD 30 MAI 1854. ART.1. La peine des travaux forcés sera subie,
à l'avenir, dans les établissements créés par décrets de l'Empereur,
sur le territoire d'une ou de plusieurs possessions françaises autres
que l'Algérie.
ART. .2. Les condamnés seront employés aux travaux les plus
pénibles -de la colonisation et à tous autres travaux d'utilité pu-
blique.
ART. 3. Ils pourront être enchaînés deux à deux ou être assujettis
à traîner le boulet à litre de punition disciplinaire ou par mesure
de sûreté.
ART. 4. Les femmes condamnées aux travaux forcés pourront
être conduites dans un des établissements créés aux colonies; elles
seront séparées des hommes et employées à des travaux en rapport
avec leur âge et avec leur sexe.
ART. 5. Les peines des travauxforcés à perpétuité et des travaux forcês
à temps ne seront prononcées contre aucun individu âgé de soixante
ans accomplis au moment du jugement ; elles seront remplacées par
celle delà réclusion, soit à perpétuité, soit à temps, selon la durée
de la peine qu'elle remplacera.
ART. 6. Tout individu condamné à moins de huit années de tra-
vaux forcés sera tenu, à l'expiration de sa peine, de résider dans la
colonie pendant un temps égal à la durée de sa condamnation.

Si la peine est de huit années, il sera tenu d'y résider pendant toute
sa vie.
ART.. 7, 8, 9,10, ET DÉCRET DU 21 JUIN 1858.

I. Différences qui existent entre la peine des travaux forcés à perpétuité et la peine
des travaux forcés à temps; durée de cotte dernière. II. Nature et historique de

la peine des travaux forcés. — III. Loi du 30 mai 1854; textes relatifs à la na-
ture de la peine; dispositions qui répriment les évasions.

I. Différences entre les travaux forcés à perpétuité et les


15
226 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
travaux forcés à temps. — 299. Les deux peines des travaux forcés
diffèrent quant à leur durée : l'une est perpétuelle, l'autre tempo-
raire. Cette dernière, en règle générale, aux termes de l'article 19 du
Code pénal, a un minimum de cinq ans et un maximum de vingt ans.
Par exception, au cas de récidive, le maximum en peut être porté à
quarante ans (art. 56 C. pén.).
Elles diffèrent aussi quant à leurs conséquences : la première em-
porte, comme toutes les peines perpétuelles, certaines déchéances
spéciales.
Mais, du reste, elles sont de même nature.
II. Nature et historique de la peine des travaux forcés. — 300.
La peine des travaux forcés remonte à notre ancien droit. C'était alors
la peine des galères ; mais déjà les condamnés étaient appelés des .for-
çats. Dans le Code pénal du 25 septembre 1791 (lr 0 partie, tit.I, art.
16), elle était devenue la peine des fers. Elle tient son nouveau nom
du Code pénal de 1810.
En tout temps, elle a consisté dans l'assujettissement à des tra-
vaux publics exécutés au dehors. C'est eu cela, surtout, qu'elle dif-
fère des autres peines privatives de la liberté, dont quelques-
unes emportent soumission au travail, mais dans l'intérieur de la
prison.
Dans le principe, les condamnés furent appliqués à faire marcher
à la rame les navires de l'Etat; d'où l'ancienne dénomination de la
peine. Puis ils furent employés aux travaux des ports et arsenaux.
Les établissements qui leur étaient affectés portaient le nom de
bagnes (du mot italien bagno), parce que ce furent, à l'origine, des
constructions établies en mer. qui avaient servi de bains.
301. Le Code de 1791 modifia peu cet état de choses. Il ajouta
seulement aux travaux des ports et arsenaux d'autres travaux publics,
tels que ceux d'extraction des mines et de dessèchement des marais
(art. 6). Les condamnés devaient traîner à leurs pieds un boulet
attaché avec une chaîne de fer (art. 7). — Aux termes des articles 9
et 10, les femmes qui encouraient la peine des fers étaient condam-
nées à celle de la réclusion.
302. Le Gode de 1810permit de condamner aux travaux forcés les
femmes comme les hommes ; en sorte que les femmes condamnées aux
travaux forcés à perpétuité eurent à subir la durée et les déchéances
particulières attachées à cette peine. Toutefois, sous tous les autres
rapports,, leur peine était encore celle de la réclusion, comme dans la
PEINE DES TRAVAUX FORCÉS. 227

législation précédente ; car elles devaient être enfermées dans une


maison de force (art. 16). — Quant aux hommes, ils étaient envoyés,
comme par le passé, dans les bagnes; ils devaient être employés aux
travaux les plus pénibles, suivant l'expression très large de la loi
{art. 15); ils traînaient à leurs pieds un boulet, ou étaient attachés
deux à deux avec une chaîne (art. 15). Les bagnes, au nombre de
trois, étaient à Brest, à Rochefort et à Toulon. — Les vieillards
avaient été l'objet de dispositions spéciales. Ceux qui, au moment
du jugement, étaient âgés de soixante-dix ans accomplis n'étaient
pas condamnés aux travaux forcés qu'ils avaient encourus; on pro-
nonçait contre eux la réclusion, soit à perpétuité, soit à temps. Les
condamnés aux travaux forcés, dès qu'ils avaient atteint l'âge de
soixante-dix ans accomplis, en étaient relevés et étaient enfermés
dans une maison de force (art. 70 et 71).
III. Loi du 30 mai 1854. — 303. La loi du 30 mai 1854, bien que
simplement qualifiée loi sur l'exécution de la peine des travaux
forcés, contient des changements bien plus profonds que ne l'annonce
ce titre. La peine des travaux forcés en a vraiment reçu une nature
toute nouvelle. —Il est vrai qu'elle consiste toujours pour les hommes
dans l'assujettissement à des travaux publics extérieurs, travaux moins
pénibles d'ailleurs, puisque la chaîne et le boulet ont élé supprimés
et ne sont plus qu'un moyen de punition disciplinaire (art. 2 et 3).
Mais ils ne la subissent plus en France; ils sont transportés dans des
colonies lointaines, ce qui est pour les uns une aggravation, pour les
autres un adoucissement de la peine (art. 1). De plus, il s'y ajoute, au
moment où elle prend fin, une mesure grave : ) 'expatriation se prolonge,
à l'égard des condamnés à moins de huit ans, pendant une durée égale
à celle de la condamnation; à l'égard des condamnés à huit ans ou plus,
elle est infligée pour- toute la vie (art. 6). —Quant aux femmes,
le gouvernement est libre de les garder en France dans les maisons
de force ou de les transporter; dans ce dernier cas,leur peine est de
même nature, bien que proportionnée à leur force, que celle des
hommes (art. 4). — Quant aux vieillards, s'ils sont âgés de soixante
ans accomplis au moment du jugement, ils sont condamnés à la re-
clusion, soit à perpétuité, soit à temps; mais les condamnés aux tra-
vaux forcés qui atteignent l'âge de soixante ans demeurent dans la
colonie (art. 5).
304. Dans ce système les évasions étaient à craindre. Elles sont,
réprimées par les articles 7 et 8 de la loi : le condamné à temps sera
228 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
puni de deux ans de travaux forcés qui s'ajouteront à ceux qui ont
été antérieurement prononcés; pour les condamnés à perpétuité,
la peine sera l'application à la double chaîne pendant deux ans au
moins et cinq ans au plus; le libéré sera puni d'un an à trois ans de
travaux forcés.
D'après l'article 12 d'un décret du 21 juin-6 juillet 1858, qui
remplace l'article 10 de la loi de 1854, le jugement, en cette ma-
tière, sera rendu par les conseils de guerre permanents dans les
colonies, et, aux termes de l'article 9 delaloi de 1854, la reconnais-
sance de l'identité de l'individu évadé sera faite par ces conseils ou
bien par la cour qui aura prononcé la condamnation 4.

III. PEINE DE LA RÉCLUSION

CODE PÉN. ART. 21.Tout individu de l'un oii de Vautre sexe


condamné à la peine de la réclusion, sera renfermé dans une
maison de force et employé à des travaux dont le produit pourra
être en partie appliqué à son profit, ainsi qu'il sera réglé par le
gouvernement. — La durée de cette peine sera au moins de cinq
ans et de dix ans au plus.

305. La peine de la réclusion existait déjà dans le système du Code


du 25 septemhre 1791, comme, au reste, dans celui de nos anciennes
ordonnances.
L'article 21 en indique suffisamment la nature : c'est l'incarcération
continue, avec assujettissement au travail dans l'intérieur de la pri-
son 2.
306. La règle concernant le maximum de la réclusion reçoit deux
exceptions déjà mentionnées. Lorsque cette peine est appliquée aux
femmes en exécution d'une condamnation aux travaux forcés (art. 10,
Code pén.), elle peut avoir un maximum supérieur à dix ans et
même être perpétuelle. II faut en dire autant du cas où elle rem-
place, pour les individus âgés de soixante ans accomplis au moment
du jugement, la peine des travaux forcés (Loi du 30 mai 1854, art. 5).

1. Pour les développements relatifs au mode d'exécution des travaux forcés, voy.
ci-dessous tit. III, ch. I, § 1.
2. Pour les développements relatifs au mode d'exécution, voy. ci-dessous
lit. III, ch. i, §4.
PEINE DE LA DÉPORTATION. 229

§ 3. Peines d'ordre politique déportation dans un« enceinte fortifiée,


:
déportation simple, détention, bannissement.

I. PEINE DE LA DÉPORTATION DANS UNE ENCEINTE FORTIFIÉE ET PEINE DE LA


DÉPORTATION SIMPLE

CODE PÉN., ART. 17 (Loi DU La peine de la


9 SEPTEMBRE 1835).
déportation consistera à être transporté et à demeurer à perpé-
tuité dans un lieu déterminé, par la loi, hors du territoire conti-
nental du Royaume.
Si le déporté rentre sur le territoire du Royaume, il sera, sur
la seule preuve de son identité, condamné aux travaux forcés à
perpétuité.
Le déporté qui ne sera pas rentré sur le territoire du Royaume,
niais qui sera saisi dans les pays occupés par les armées fran-
çaises, sera conduit dans le lieu de sa déportation.
Tant qu'il n'aura pas été établi un lieu de déportation, le con-
damné subira à perpétuité la peine de la détention, soit dans une
prison du Royaume, soit dans une prison située hors du territoire
continental, dans l'une des possessions françaises, qui sera déter-
minée par la loi,-selon que les juges l'auront expressément décidé
par l'arrêt de condamnation.
Lorsque les communications seront interrompues entre la mé-
tropole et le lieu d'exécution de la peine, l'exécution aura lieu
provisoirement en France.
ART. 70. La peine de la déportation ne sera prononcée contre
aucun individu âgé de soixante-dix ans accomplis au moment du
jugement.
ART. 71. Elle sera remplacée à leur égard par la détention à
perpétuité.
Loi DU 8-16 JUIN 1850. ART. 1. Dans tous les cas où la peine
de mort est abolie par l'article 5 de la Constitution, cette peine-
est remplacée par celle de la déportation dans une enceinte forti-
fiée, désignée par la loi, hors du territoire continental de la Ré-
publique.
ART. 2. En cas dedéclaration de circonstances atténuantes, si
la peine prononcée par la loi est celle de la déportation dans une
enceinte fortifiée, les juges appliqueront celle de la déportation
simple ou celle de la détention.
230 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
ART. 8. La présente loi n'est applicable qu'aux crimes commis
postérieurement à sa promulgation.
Loi DU 23 MARS-3 AVRIL 1872. ART. 4. Les condamnés à la dépor-
tation dans une enceinte fortifiée jouiront, dans la presqu'île
Ducos, de toute la liberté compatible avec la nécessité d'assurer
la garde de leur personne et le maintien de l'ordre. Ils seront sou-
mis à un régime de police et de- surveillance déterminé par un
règlement d'administration publique.
ART. 5. Les condamnés à la déportation simple jouiront, dans
l'île des Pins et dans l'île Mare, d'une liberté qui n'aura pour
limites que les précautions indispensables pour empêcher les éva-
sions et assurer la sécurité et le bon ordre.
LOI DU 25-28 MARS 1873. ART. 1 A 6,

I. Historique des nombreuses vicissitudes que la peine de la déportation a subies


avant d'être organisée par la loi du 8 juin 1850 et par les lois suivantes. —
II. Nature do cette peine.— III. Dispositions qui répriment les évasions des de-
portés.

I. Notions historiques. —307. La déportation n'existait pas dans


notre ancienne France. Elle fut introduite par le Code du 25 sep-
tembre 1791, comme peine de droit commun applicable à la récidive
(l 10 partie, tit. I, art. 29 et 30; tit. II, art. 1).
Par suite des difficultés, de toutes sortes que rencontra la création
dans l'une de nos colonies d'un établissement propre à l'exécution
de cette peine, elle ne put être appliquée. La loi du 23 floréal an X
la remplaça par la marque.
308- Le Code pénal de 1810 la rétablit, mais en lui assignant un
nouveau caractère : elle était désormais destinée à la punition des
crimes politiques.
L'article 17 la. définissait ainsi : La peine de la déportation con-
sistera à être transporté et à demeurer à perpétuité dans un lieu
déterminé par le gouvernement, hors dit territoire continental de
la France. Il prononçait les travaux forcés à perpétuité contre le
déporté qui rentrerait sur le territoire du royaume.
Mais les difficultés d'exécution demeurèrent les mêmes. Le, gou-
vernement en fut réduit à commuer la déportation prononcée par les
tribunaux en une détention dans une forteresse, et une ordonnance
du 2 avril 1817 affecta à cet usage le mont Saint-Michel. Ainsi la
déportation n'était pas exécutée. Par conséquent les déchéances at-
PEINE DE LA DÉPORTATION. 231

tachées à l'exécution des peines perpétuelles, qui se résumaient dans


la mort civile (Code civ., art. 26), n'étaient pas encourues.
309. Lors de la revision de 1832, le gouvernement proposa de ré-
gulariser celte situation anormale en substituant à une déportation
toute fictive la peine qui s'exécutait réellement, la détention. La
Chambre préféra maintenir en principe la déportation; elle décida
que provisoirement, mais cette fois légalement, elle serait remplacée
par une détention perpétuelle, qui fut organisée dans l'article 20.
L'article 17 fut donc conservé tel qu'il avait été rédigé en 1810; on
y ajouta seulement ce paragraphe : Tant qu'il n'aura pas été établi
un lieu de déportation, ou lorsque les communications seront in-
terrompues entre le lieu de la déportation et la métropole, le con-
damné subira à perpétuité la peine de la détention.
310. Puis une loi du 9 septembre 1835 vint encore modifier cette
disposition et en fit le texte actuel. Il devenait loisible aux juges de
condamner, ou bien à une détention simple, comme par le passé, ou
bien à la détention hors du territoire continental. Cette dernière peine,
ajoutant à l'expatriation dans un lieu déterminé l'emprisonnement,
était plus dure que la déportation elle-même.
311. Après l'abolition de la peine de mort en matière politique
(art. 5 de la Constitution du 4 novembre 1848), la déportation parut
destinée à la remplacer et à recevoir une plus fréquente application,
surtout dans un temps de troubles et d'agitations politiques. Dès lors
on sentit vivement la nécessité de l'organiser. C'est ce que fit la loi
du 8-16 juin 1850. Dans son article 1, elle établit une nouvelle sorte
de déportation, celle qui devait être subie dans une enceinte fortifiée,
pour tenir lieu de la peine de mort. Dans soii article 2, elle maintint
la déportation qu'avait en vue l'article 17 du Code pénal, sous le nom
de déportation simple. Dans les deux derniers paragraphes de son
article l, elle disait quel serait le caractère de la privation de liberté
imposée aux déportés ; et, dans ses articles 4 et 5, elle indiquait les
lieux qui seraient affectés, soit à la déportation dans une enceinte
fortifiée, soit à la déportation simple.
Depuis, la loi du 23 mars 1872 a changé les lieux de l'une et de
l'autre déportation, et, dans ses articles 4 et 5, a déterminé avec plus
le précision la nature de ces peines. Elle a été encore complétée, sur
ce point, par l'article 1 de la loi du 25 mars 1873. De plus, cette
dernière loi, dans ses articles 2 à 6, a réglé les pénalités que les dé-
portés peuvent, encourir, en confirmant entre autres celle qui, dès
232 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
1810, avait été édictée dans l'article 17, paragraphe 2, du Code
pénal.
II. Nature de la déportation. — 312. L'article 17 du Code pénal,
l'article 1 de la loi du 8 juin 1850, les articles 4 et 5 de la loi du
23 mars 1872, ces derniers surtout, et enfin l'article 1 de la loi
du 25 mars 1873 indiquent nettement la nature de la déportation.
C'est la transportation dans une colonie lointaine, avec obligation d'y
demeurer à perpétuité, soit dans un lieu déterminé, mais ouvert, soit
dans une enceinte fortifiée qui n'est pas une forteresse. Les condam-
nés y vivent en liberté, sous une simple surveillance. Leur condi-
tion est donc bien meilleure que celle des condamnés aux travaux
forcés 1.
III. Dispositions relatives aux évasions. — 313. Sous un tel
régime, les évasions sont faciles. Aussi ont-elles été frappées de peines
très sévères, même excessives. Tout d'abord, l'article 3 de la loi du
25 mars 1873 déclare applicables les articles 237 à 248 du Code pé-
nal, qui, d'une manière générale, établissent des peines tant contre
les personnes qui ont favorisé l'évasion que contre les évadés eux-
mêmes.
De plus," et voici qui est trop rigoureux, le même texte renvoie à
l'article 17 du Code pénal, aux termes duquel, si le déporté rentre
sur le territoire continental de la France, il sera condamné aux travaux
forcés à perpétuité. Il sera condamné sur la preuve de son identité,
dit l'article 17. En conséquence, la procédure à suivre est celle que
tracent les articles 518 à 520 du Code d'instruction criminelle. Le
déporté en rupture de ban sera reconnu par la cour qui a prononcé
sa condamnation. C'est cette cour qui lui appliquera la peine. Elle ne
pourra le faire que par un arrêt contradictoire, c'est-à-dire en pré-
sence de l'accusé, ce qui est. rationnel. Mais elle décidera sans assis-
tance de jurés. Pourquoi? On a sans cloute considéré que la question
était très simple. C'est, selon moi, une erreur : avant de prononcer
la peine des travaux forcés à perpétuité, on devra apprécier la mora-
lité du crime, et cet examen n'est pas d'une autre nature que les
questions réservées d'ordinaire au jury.
314. La loi du 8 juin 1850, d'après la déclaration formelle de son
article 7, n'a pas eu d'effet rétroactif, ni par conséquent les lois de

1. Pour les développements relatifs au mode d'exécution de cette peine, voy. ci-
dessous tit. III, ch. I, g 2.
PEINE DE LA DÉTENTION. 233
1872 et de 1873 qui l'ont complétée. Les individus antérieurement
condamnés à la déportation ont donc subi leur peine conformément
à la loi.de 1835, et, à la suite d'un décret du 22 juillet 1850, à la ci-
tadelle de'Belle-Isle.

II. PEINE DE LA DÉTENTION.

20. Quiconque aura été condamné à la détention


CODE PÉN. ART.

sera renfermé dans l'une des forteresses situées sur le territoire


continental du Royaume qui auront été déterminées par une or-
donnance du Roi rendue dans la forme des règlements d'adminis-
tration publique.
Il communiquera avec les personnes placées dans l'intérieur du
lieu de la détention ou avec celles du dehors, conformément aux
règlements de police établis par une ordonnance du Roi. -
La détention ne peut être prononcée pour moins de cinq ans ni
pour plus de vingt ans, sauf le cas prévu par l'article 33.

315. Comme on l'a vu, la détention, appliquée d'abord en fait aux


individus qui avaient été condamnés à la déportation, fut mise au
nombre des peines légales par la loi du 28 avril 1832. On lui consa-
cra l'article 20, qui jusque-là avait été occupé par la marque. Elle
conservait sa destination antérieure ; mais, de plus, elle avait un
rôle propre et une place distincte parmi les peines d'ordre politique.
C'est avec ce rôle et cette place qu'elle a été maintenue après la loi
du 8 juin 1850. Elle recouvrerait d'ailleurs son ancienne importance,
d'après le dernier paragraphe de l'article 17, si les Communications
venaient à être interrompues entre la métropole et la colonie où s'ef-
fectue la déportation.
316. Elle consiste en la simple privation de la liberté. Elle dif-
fère de la réclusion, non seulement comme peine politique, non seu-
lement au point de vue de la durée, mais sous les trois rapports sui-
vants : 1° elle est subie dans des forteresses et non dans des maisons
de force; les. condamnés à la détention
ne sont pas en contact avec
les criminels de droit commun; 2° ils
ne sont pas soumis au travail ;
3° ils jouissent d'une liberté dé communications interdite
aux reclu-
sionnaires.
234 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
317. Elle a un minimum de cinq ans, un maximum de vingt ans.
Mais cette règle souffre des exceptions. D'après l'article 33, auquel
renvoie l'article 20, le minimum de la détention peut être inférieur
à cinq ans, lorsqu'elle est prononcée à titre de peine contre e
condamné au bannissement qui est rentré en France. D'après l'ar-
ticle 56, en cas de récidive, le maximum peut être élevé à quarante
ans. De plus, la détention est perpétuelle quand elle tient lieu de la
déportation, conformément aux articles 70 et 71, pour les individus
âgés de soixante-dix ans accomplis au moment du jugement.

III. PEINE DU BANNISSEMENT.

CODE PÉN. ART. 32. Quiconque aura été condamné au bannisse-


ment sera transporté par ordre du gouvernement hors du terri-
toire du royaume.
La peine du bannissement sera au moins de cinq ans, et de dix
ans au plus.
ART. 33. Si le banni, avant l'expiration de sa peine, rentre sur
le territoire du royaume, il sera, sur la seule preuve de son iden-
tité, condamné à la détention pour un temps au moins égal à celui
qui restait à courir jusqu'à l'expiration du bannissement, et qui
ne pourra excéder le double de ce temps.

Nature du bannissement. — Précédents. — Indication des cas où le bannissement


est applicable. Appréciation de cette peine. — Dispositions relatives à la rupture
do ban.

318. L'individu frappé de bannissement n'est retenu au dehors dans


aucun lieu déterminé ; il est libre de choisir sa résidence et d'en
changer à son gré.
319. C'était une peine très fréquente dans l'ancienne France. Le
Code du 25 septembre 1791 ne l'avait pas maintenue. Elle fut rétablie
par le Code de 1810. Mais, loin d'être généralisée, comme Beccaria
semble, l'avoir conseillé 1, elle ne fut attachée qu'à un petit nombre
de faits, dont quelques-uns seulement de droit commun. Aussi est-
il difficile de comprendre que les réclamations, des pays étrangers
aient forcé le gouvernement, en 1817,, de la transformer, par une

1. Des délits et des peines, ch. XVII.


PEINE DU BANNISSEMENT. 235
ordonnance du 2 avril, en une détention à la forteresse de Pierre-
Chatel.-
320. Depuis, en 1832, le bannissement a été remplacé par la dé-
tention dans les articles 78, 81 et 82 du Code pénal; en 1863, il a
été remplacé par l'emprisonnement dans.les articles 156, 157 et 158,
les seuls qui prévoient des délits de droit commun.
Il n'est plus applicable que : dans les articles 84 et 85, à des faits
compromettants pour la sûreté extérieure de l'État ; dans les arti-
cles 110 et 115, à des actes portant atteinte aux droits politiques ou à
la liberté individuelle des citoyens ; dans l'article 124, aux coalitions
de fonctionnaires formées contre l'exécution des lois ou contre les-
ordres du gouvernement. ; dans les articles 202, 204 et 208, aux criti-
ques, censures ou provocations dirigées contre l'autorité publique
dans un discours pastoral et à certaines correspondances des minis-
tres des cultes avec les cours ou puissances étrangères.
321. Ainsi réduite à la punition de quelques délits d'ordre pure-
ment politique et secondaire, la peine du bannissement ne mérite
plus les appréciations défavorables dont elle a été l'objet 1. Elle a,
dit-on, le défaut d'être peu afflictive et'peu exemplaire, celui d'être
inégale, celui de purger la France de ses malfaiteurs au détriment
des étrangers. Mais ne suffit-elle pas à la répression des faits qui
viennent d'être indiqués? N'ést-elle même pas pour quelques-uns
trop sévère? Les individus qu'elle peut atteindre ne sont-ils pas à peu
près tous dans la même position sociale, également sensibles aux
souffrances de l'exil ? Sont-ils vraiment des criminels dangereux pour
les nations qui leur offrent un refuge?
322. Au cas de rupture de ban, la peine est la détention pour là du-
rée que fixe l'article 33. C'est un châtiment de même ordre, tandis que
l'article 17 du Code pénal, en substituant dans une hypothèse sem-
blable les travaux forcés à perpétuité à la déportation, fait une
exception grave et non justifiée à la règle que les crimes politiques
ne doivent pas être frappés de peines de droit commun. Mais la pro -
cédure à suivre pour la constatation de l'identité du banni rentré en
France est encore celle qu'ont, organisée les articles 518 et 519 du
Code d'instruction criminelle, et l'absence du jury est fort criti-
quable 8.

1- Voy. notamment CHAUVEAU et F. HÉL1E, I, n°s 84 et suiv.


2. Voy. ci-dessus, n° 313.
236 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

§ 4. Peine de droit commun et d'ordre politique : Dégradation civique.

34. La dégradation civique consiste :


CODE PÉN. ART.
1° Dans la destitution et l'exclusion des condamnés de toutes
fonctions, emplois ou offices publics ;
2° Dans la privation du droit de vote, d'élection, d'éligibilité, el
en général de tous les droits civiques et politiques, et du droite
porter aucune décoration ;
3°Dans l'incapacité d'être juré expert, d' être-employé comme té-
moin dans les actes, et de déposer en justice autrement que pour
y donner de simples renseignements ;
4° Dans l'incapacité de faire partie d'aucun conseil de famille, et
d'être tuteur, curateur, subrogé tuteur ou conseil judiciaire, si ce
n'est de ses propres enfants, et sur l'avis conforme de la famille;
5° Dans la privation du droit de port d'armes, du droit de faire,
partie de la garde nationale, de servir dans les armées françaises,
de tenir école, ou d'enseigner et d'être employé dans aucun établis-
sement d'instruction, à titre de professeur, maître ou surveillant.
ART. 35. Toutes les fois que la dégradation civique sera pronon-
cée comme peine principale, elle pourra être accompagnée d'un
emprisonnement dont la durée, fixée par l'arrêt de condamnation,
n'excédera pas cinq ans.
Si le coupable est un étranger ou un Français ayant perdu la
qualité de citoyen, la peine de l'emprisonnement devra toujouvs
être, prononcée.

1. Précédents. — II. Nature de la dégradation civique. — Indication des cas où


elle est applicable comme peine de droit commun, de ceux où elle est appli-
cable comme peine politique. — III. Observations sur l'emprisonnement dont
elle peut ou doit être accompagnée. — IV. Critiques dont celte peine a été
l'objet; appréciation.

ï. Précédents. 323. La peine de la dégradation civique a été



créée par le Code pénal du 25 septembre 1791 (lre partie, tit. I,
art. 31). Elle était alors exécutée de la manière suivante : le cou-
pable devait être conduit au milieu de la place publique de la ville où
siégeait le tribunal qui l'avait jugé; le greffier du tribunal devait
lui adresser ces mois à haute voix : Votre pays vous a trouvé
coupable d'une action infâme; la loi et le tribunal vous dégradent
PEINE DE LA DÉGRADATION CIVIQUE. 237

de la qualité de citoyen français; après quoi il subissait la peine


du carcan. Ces formalités humiliantes n'ont pas été maintenues par
le Code de 1810.
II. Nature de la dégradation civique; indication des cas où
elle est applicable. — 324. D'après l'article 34, tel qu'il est sorti
de la révision de 1832, la dégradation civique est formée d'un ensem-
ble de déchéances comprenant : 1° la privation des droits politiques,
c'est-à-dire des droits en vertu desquels chaque citoyen contribue au
gouvernement du pays ; — 2° la privation d'un certain nombre de
droits publics, c'est-à-dire de droits qui sont : ou bien, à des degrés
divers, une sorte de participation à la puissance publique, comme
ceux d'occuper une fonction, un emploi ou un office public, de servir
dans les armées, d'être juré expert, témoin, professeur ou surveil-
lant dans une maison d'enseignement; ou bien des immunités assurées
à tous, sous certaines conditions, comme le droit de port d'armes ; ou
bien des distinctions accordées ou autorisées par le chef de l'Etat,
comme le droit de porter des décorations ; — 3° la privation de quel-
ques droits de famille, auxquels il faut ajouter le droit de puissance
maritale, qui est perdu pendant la durée de la peine, en vertu de
l'article 221 du Code civil.
A part cette dernière, toutes les déchéances qui composent la dé-
gradation civique sont perpétuelles, sauf la possibilité d'une amnistie
et la faculté pour le condamné d'obtenir sa-réhabilitation.
On remarquera que les droits dont il s'agit sont retirés au con-
damné d'une manière absolue ; il en perd tout à la fois l'exercice et
la jouissance.
325. La dégradation civique est appliquée comme peine principale
et de droit commun : dans les articles 107, 177, 179 et 183, à cer-
tains crimes de forfaiture commis par les fonctionnaires publics et
aux personnes qui ont provoqué les fonctionnaires à commettre ces
crimes ; dans l'article 263, au fait de frapper le ministre d'un culte
dans l'exercice de ses fonctions.
— Elle l'était aussi, d'après la loi
du 28 avril 1832, dans l'article 362, au faux témoignage porté, en
matière de simple police, soit contre le prévenu, soit en sa faveur ;
et, d'après le Code de 1810, dans l'article 366, au faux serment prêté
en matière civile. Mais la loi du 13 mai 1863 a remplacé, dans ces
deux cas, la dégradation civique
par l'emprisonnement, avec faculté
d'y ajouter l'interdiction de certains droits civiques, civils ou de
famille et la surveillance de la haute police.
238 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
326. La dégradation civique est appliquée comme peine principale
et politique : dans les articles 111, 114,119, 121 et 122, à certaines
violations des droits politiques ou de la liberté individuelle des
citoyens; dans l'article 126, à des actes de fonctionnaires ayant pour
objet d'empêcher un service public, tel que l'administration de la
justice ; dans les articles 127 et 130, aux empiétements des autorités
judiciaires sur les pouvoirs législatif ou administratif, et à ceux
des autorités administratives sur les pouvoirs législatif ou judi-
ciaire.
III. De l'emprisonnement joint à la dégradation civique.
327. Lors de la revision-de 1832, la dégradation civique a paru de-
-
voir être quelquefois insuffisante. C'est pourquoi, dans la nouvelle
rédaction du Code, l'article 35 a conféré aux juges la faculté, d'y
ajouter l'emprisonnement.
Cette peine complémentaire a un maximum, celui de cinq ans,
mais elle n'a pas de minimum. D'où une controverse. Les uns décident
que les juges doivent s'arrêter à six jours, suivant l'article 40. Les
autres estiment qu'ils ont le droit de descendre jusqu'à un jour, en
vertu de l'article 465. Question sans intérêt. Jamais les juges n'au-
ront la pensée d'abaisser au-dessous de six jours la peine d'emprison-
nement, en l'ajoutant à la dégradation civique. Si le fait n'est pas
grave, ou si la dégradation leur semble assez sévère eu égard à la
personne de l'accusé, ils préféreront la prononcer seule, comme ils
-en ont le pouvoir.
Ce pouvoir, ils ne l'ont cependant pas toujours. Si le coupable est
un étranger, l'emprisonnement doit nécessairement être ajouté à la
dégradation civique. En effet, parmi les déchéances énumérées dans
l'article 34, il en est bien peu qui puisserît être appliquées à des
étrangers. Il sera, du reste, très rare qu'un étranger encoure la dé-
gradation civique.
Même observation relativement aux femmes. Pour elles aussi là
dégradation civique sera insignifiante. Mais on ne saurait y ajouter
l'emprisonnement, dans le silence du texte.
IV. Critiques adressées à la dégradation civique ; appré-
ciation. — 328. Si l'on rapproche les faits que la dégradation ci-
vique atteint comme peine principale des nombreuses déchéances et
incapacités dont cette peine est composée, notre législation sur ce
point donne lieu à des critiques sérieuses.
Pour les peines consistant en des privations de droits, une corré-
PEINE DE LA DÉGRADATION CIVIQUE. 239
lation doit apparaître entre le châtiment et le délit ; sinon le châti-
ment ne semble pas rationnel. Eh bien! tout d'abord, on n'aperçoit
pas l'association d'idées qui a pu faire appliquer la dégradation civi-
que, plutôt que la réclusion ou l'emprisonnement, aux violences com-
mises sur la personne dit-ministre d'un culte. De plus, on ne voit pas
pourquoi les fonctionnaires coupables de forfaiture ou d'autres délits
commis dans l'exercice de leurs fonctions, pourquoi les auteurs d'at-
tentats à la liberté individuelle ou aux droits politiques des citoyens
sont privés du droit de port d'armes et du droit de servir dans
l'armée.
Quant aux autres déchéances, considérées isolément, elles peu-
vent avoir leur raison d'être. Mais elles ont le vice capital de frapper
toutes à la fois et nécessairement le condamné, quelque soit, le fait
par lui commis ; en sorte que des incapacités, conséquences natu-
relles de certains délits, sont attachées aussi à d'autres faits qui
n'ont avec elles aucun rapport. Ainsi, lorsqu'un fonctionnaire a
abusé de sa fonction, ou l'a désertée, ou en a dépassé les limites, il
est juste qu'il la perde ; on comprend encore qu'il soit désormais
exclu de toute, fonction, emploi ou office public. Mais la faute qu'il a
commise peut ne pas le rendre indigne des droits politiques, ou des
droits de famille, ou du droit d'enseigner, ou du droit d'être témoin
dans les actes.
Il faudrait donc que la dégradation civique fût organisée comme
l'a été l'interdiction de certains droits civiques, civils et de famille
dans les articles 42 et 43 : les déchéances et incapacités diverses
dont elle est composée devraient être séparées et attachées distinc-
tement aux divers délits, suivant les rapports que chacune d'elles
aurait avec chacun d'eux; et même, dans quelques cas, le-juge
devrait avoir la faculté, eu égard aux circonstances, de ne pas les
prononcer. S'il en était ainsi, les deux peines établies dans les arti-
cles 34 et 42 n'en feraient qu'une, applicable à la fois en matière
criminelle et en matière correctionnelle 1.
329. La dégradation civique a été critiquée à un autre point de vue.
On lui a reproché d'être inégale dans certains de ses effets, consistant
en la privation de facultés qui sont précieuses pour les uns mais
onéreuses aux autres. Ne sont-elles pas pour beaucoup de condamnés

1. Dans les Codes belge de 1807 et allemand de 1870, la dégradation civique


n'est plus une peine principale.
240 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
de véritables dispenses, a-t-on dit, ces incapacités établies dans les
paragraphes 4 et 5 de l'article 34, qui portent sur le droit d'être
tuteur, subrogé tuteur, curateur, conseil judiciaire ou membre d'un
conseil de famille, sur celui de servir dans la garde nationale ou dans
l'armée? Mais, lorsque cette critique s'adresse à la dégradation consi-
dérée comme peine principale, elle ne l'atteint pas. La plupart des
personnes que' frappe cette peine occupent une position sociale où
l'exemption de certaines charges pour cause d'indignité ne va pas
sans déshonneur. Elles y seront plus ou moins sensibles, il est vrai.
Qu'importe ! A cet égard, aucune peine n'est parfaitement égale
pour tous. D'ailleurs, les juges ont le pouvoir de frapper à la fois de
la dégradation civique et. de l'emprisonnement ceux pour qui des
privations de droits seraient des faveurs.
330. On a ajouté que plusieurs des déchéances énumérées dans
l'article 34 sont plutôt préjudiables aux tiers qu'afflictives pour le
condamné. Mais, qu'on les suppose judicieusement appliquées, et cet
inconvénient se trouvera sans importance. L'incapacité pour quel-
ques-uns de servir dans l'armée ne constitue pour la masse des ci-
toyens qu'un faible surcroît de charges. L'incapacité d'exercer une
tutelle est une mesure de protection pour les mineurs. L'incapacité
d'être témoin dans les actes oblige simplement les parties à la pru-
dence. L'incapacité de porter témoignage devant les tribunaux en
matière criminelle se borne à celle d'être entendu sous la foi du
serment, puisque la déposition de toute personne est recevable à
litre de renseignement ; et qu'importe le serment d'une personne
vraiment indigne de créance ! Il y a plus : la jurisprudence admet que
la loi n'a pas interdit d'une manière absolue la prestation de ser-
ment, qu'elle a simplement donné au ministère public et à l'accusé le
droit de s'y opposer ; en sorte que, si elle a eu lieu sans opposition,
elle n'entraîne pas la nullité des débats. Seule l'incapacité absolue
déporter témoignage en matière civile est de nature à causer un véri-
table dommage aux tiers.

§ 5. Quel est le point de départ de la durée des peines temporaires.

CODE PÉN. ART. 23. La durée des peines temporaires comptera du


jour où la condamnation-sera devenue irrévocable.
Détermination des cas où se pose la question de savoir quel est le point de dé-
DURÉE DES PEINES TEMPORAIRES. 211

part de la durée dé la peine. — Système du Code de t8i0, — Règle différente


qu'a établie la loi.de 1832; il on résulte que la détention préventive n'est pas
imputée sur la peine..— A quel moment la condamnation devient irrévocable.
— Critique dé
là loi.

331. La question,de savoir quel est le point de départ de la durée


de la peine ne concerne évidemment pas les peines perpétuelles.
Autrefois, il est vrai, lorsque la mort civile était encourue du jour
de l'exécution de la peine des travaux forcés à perpétuité ou de la
déportation, aux termes de l'article 26 du Gode civil, il importait de
fixer le moment où commençait l'exécution de ces peines. Mais au-
jourd'hui cet intérêt n'existe plus : les peines substituées à la mort
civile sont encourues du jour où la condamnation est devenue irré-
vocable.
La question dont il s'agit est également étrangère aux peines qui
résultent de condamnations prononcées par contumace, en l'absence
de l'accusé. Ces peines; en effet, ne s'exécutent jamais : ou bien il
s'écoule vingt ans sans incident à compter du jour de la condamna-
tion, et la peine, se trouvant prescrite, ne peut plus être subie; ou
bien, dans cet intervalle de temps,le condamné se présente ou est
arrêté, et la condamnation est-non .avenue.
Il faut encore écarter les peines auxquelles le condamné s'est
soustrait en prenant la fuite. Elles ne sont exécutées que par effigie,
c'est-à-dire par la publication de l'arrêt. La durée en sera calculée
du jour où le condamné aura été ressaisi.
C'est donc uniquement le point de départ de la durée des peines
temporaires prononcées par arrêts contradictoires et réellement su-
bies qu'il faut déterminer.
332. Le Code pénal de 1810 admit deux règles différentes : l'une
pour le bannissement, l'autre pour les travaux forcés à temps et pour
la réclusion (la détention: alors n'existait pas). D'après l'article 35,
la durée du bannissement devait se compter du jour où l'arrêt était
détenu irrévocable. D'après l'article 23, la durée des deux autres
peines devait se compter du jour de l'expositien. C'est qu'en effet
l'exposition publique était attachée comme peine accessoire à ces deux
peines principales. Mais déjà ce dernier système avait le défaut de
subordonner la durée de la peine à une mesure qui pouvait éprou-
ver des retards. De plus,- la revision de 1832 rendit l'exposition
facultative. Dès lors il fallut recourir à un autre point de départ
qui fût invariable et fixe.
tfi
242. DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
333. La règle qui était spéciale au bannissement a été prise comme
règle générale : aux termes de l'article 23, la durée des peines doit
compter du jour où la condamnation est devenue irrévocable.
Ainsi l'incarcération préventive, qui sera souvent de plusieurs
mois, n'est point comprise dans la durée de la peine. On ne peut
nier que ce ne soit conforme au caractère de celte détention, simple
mesure d'instruction qui n'a rien de pénal. Néanmoins, suivant un
certain nombre d'auteurs, un système moins logique mais plus
humain serait préférable 1.
334. Quel est le jour où la condamnation en matière criminelle
devient irrévocable?. L'appel des arrêts de cours d'assises n'étant
point.possible, c'est le jour où le pourvoi en cassation se trouve
fermé, c'est-à-dire : 1° le jour où le délai pour se pourvoir, délai dé-
truis jours francs fixé par l'article 373 du code d'Instruction crimi-
nelle, a pris fin sans protestation d'aucune partie ; 2° si un recours
a eu lieu mais a été repoussé, le jour où a été rendu l'arrêt de
rejet; 3° si le recours a été suivi d'un arrêt de cassation et si la
cour d'assises à laquelle a été renvoyée l'affaire a prononcé une con-
damnation nouvelle, le jour où celte condamnation, à son tour et
suivant les mêmes règles, sera devenue définitive.
335. La simplicité de ce système fait qu'il n'est pas toujours équi-
table. Que le point de départ de la peine se trouve reculé dans le cas
où la cour de cassation a rejeté le pourvoi du condamné, c'est juste,
puisque le condamné lui-même a causé le retard. Mais la durée de
la peine devrait dater du jour même de la condamnation dans les
trois cas suivants : 1° lorsque la condamnation n'a pas été attaquée;
2° lorsque le pourvoi du condamné a eu pour résultat de faire casser
l'arrêt, de condamnation; car on ne saurait blâmer le condamné
d'avoir protesté contre une sentence en quelque point contraire à la
loi; 3° lorsque le pourvoi émane du procureur général, quelle qu'en
soit l'issue : en effet, s'il est rejeté, c'est que le ministère public a
eu tort de le former; si, au contraire, il est admis et aboutit à la
cassation de l'arrêt, c'est que la cour d'assises a eu tort d'ydonner
lieu; et, dans aucun cas, les torts d'autrui ne devraient avoir pour
conséquence de prolonger la détention du condamné.

1. Il a été adopté par le Code belge de 1867. Art. 30 : Toute détention subie
avant que la condamnation soît devenue in-évocable, par suite de l'infraction qui
donne Heu à cette condamnation, sera imputée sur la durée des peines emportant
privation de la liberté. Voy. HAUS, H, p. 20.
PEINES ACCESSOIRES SUPPRIMÉES. 243

SECTION ri. — PEINES ACCESSOIRES.

§ 1. Peines supprimées : confiscation générale, marque, exposition publique.


Énumération des peines conservées.

336. La confiscation générale, très usitée dans notre ancienne


France, avait été expressément abolie par le décret du 21 janvier
1790. Elle a, en effet, le défaut capital de n'être pas une peine per-
sonnelle. Elle fut cependant rétablie, durant la période révolution-
naire, pour les crimes portant atteinte à la sûreté de l'État, puis
inscrite dans l'article 7 du Code de 1810. C'était une peine acces-
soire ou plutôt complémentaire : aux termes des articles 75 à 77,
80 à 82, 86,. 91 à 97, 132 et 139, elle frappait avec la peine de mort
les plus graves parmi les crimes commis contre la sûreté extérieure
ou intérieure de l'État et parmi les crimes de fausse monnaie ou
de contrefaçon des sceaux de l'État, billets de banque et effets pu-
blics.
C'est la Charte de 1814 (art. 66) qui l'a. de nouveau et définitive-
ment supprimée. Elle a été effacée du Code pénal en 1832.
337. La marque, également fréquente autrefois, après avoir été
écartée du Code pénal du 25 septembre 1791, fut rétablie d'abord
par la loi du 23 floréal an X pour les récidivistes, et ensuite admise
dans l'article 7 du Code de 1810. C'était, une peine accessoire, aux
termes de l'article 20 : Quiconque aura été condamné à la peine
des travaux forcés à perpétuité sera flétri, sur la place publique,
par l'application d'une empreinte avec un fer brûlant sur l'épaule
droite. — Les condamnés à d'autres peines ne subiront la flétris-,
sure que dans les cas où la loi l'aurait attachée à la peine qui leur
est infligée., — Cette empreinte sera des lettres T. P. pour les cou-
pables condamnés aux travaux forcés à perpétuité; de la lettre T.
pour les coupables condamnés aux travaux forcés à temps, lorsr
qu'ils devront'être flétris. La lettre F. sera ajoutée dans l'empreinte
si le coupable est un faussaire.
Cette peine avait révolté la conscience publique. Appliquée aux,
condamnés à perpétuité, elle était uiie cruauté inutile; appliquée
aux condamnés à temps, elle était un obstacle éternel à leur repen-
241 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
tir : la flétrissure ineffaçable qui leur avait été imprimée inspirait
pour eux, une ois libérés, une invincible horreur; elle les vouait
pour jamais à la misère, au désespoir et au crime.
La marque a été abolie lors de la revision de 1832; l'ancien arti-
cle 20 a été supprimé, et sa place donnée à un nouvel article, portant
le même numéro, qui a pour objet la peine de la détention.
338. Le carcan, aboli comme peine principale en 1832', fut alors
maintenu comme peine accessoire, sous le nom d'exposition pu-
blique, dans l'article 22, modifié de la manière suivante : Qui-
conque aura été condamné à l'une des peines des travaux forcés à
perpétuité, des travaux forcés à temps ou de la réclusion, avant de
subir sa peine, demeurera durant une heure exposé aux regards
du peuple sur la place publique. Au-dessus de sa tête sera placé un
écriteau portant en caractères gros et lisibles, ses noms, sa profes-
sion, son domicile, sa peine et la cause de sa condamnation. — En
cas de condamnation aux travaux forcés à temps on à la réclusion,
la cour d'assises pourra ordonner par son arrêt que le condamné,
s'il n'est pas en état de récidive, ne subira pas l'exposition publique.
— Néanmoins, l'exposition publique ne sera jamais prononcée à
l'égard des mineurs de dix-huit ans et des septuagénaires.
Si l'on compare ce texte à celui qu'il avait remplacé, on voit que
l'exposition publique différait peu du carcan dans le mode d'exécution,
mais qu'elle n'avait pas été maintenue comme peine accessoire sans
des distinctions et des tempéraments absents de la législation anté-
rieure.
Néanmoins, la réforme de 1832 sur ce point avait été jugée insuffi-
sante, et un décret du 12 avril 1848 la compléta en ces termes : Le
Gouvernementprovisoire, vu l'article 22 du Code pénal, considérant
que l'exposition publique dégrade la dignité humaine, flétrit à
jamais le condamné, et lui ôte par le sentiment de son infamie la
possibilité de la réhabilitation; que cette peine est empreinte d'une
odieuse inégalité, en ce qu'elle touche à peine le criminel endurci,
tandis qu'elle frappe d'une atteinte irréparable le condamné repen-
tant; que le spectacle des expositions publiques éteint le sentiment
de la pitié et familiarise avec la vue des crimes, décrète : l'exposi-
tion publique est abolie.
L'article 22 du Code pénal est donc maintenant lettre morte.

1. Yoy. ci-dessus, n° 282.


PEINE DE LA DÉGRADATION CIVIQUE. 245
339. La mort civile aussi était une peine accessoire dans le sys-
tème du Code de 1810, et, comme les précédentes, n'existe plus, une
loi du 31 mai 1854 l'ayant supprimée. Mais elle a eu, pendant si
longtemps, une si grande importance, et deux peines actuelles, la
nullité du testament du condamné, l'incapacité pour lui de disposer
et de recevoir à titre gratuit, en sont restées si évidemment des dé-
bris, qu'il est nécessaire de l'étudier, au moins dans ses principaux
traits.
-
340. Les peines accessoires sont, aujourd'hui : 1° la dégradation
civique; 2° l'interdiction légale; 3° la nullité du testament; 4° l'in-
capacité de disposer et de recevoir à titre gratuit. J'examinerai d'a-
bord les deux premières, qui, avant la loi du 31 mai 1854, n'étaient
attachées qu'aux peines temporaires, et ensuite la mort civile, qui
était la conséquence des peines perpétuelles. On connaîtra alors
dans son ensemble le système des peines accessoires qu'avait établi le
Code de 1810; et l'on pourra voir ce que la loi du 31 mai 1854, exposée
en dernier lieu, en a conservé, ce qu'elle en a rejeté, quelles règles,
parmi celles qui gouvernent les incapacités substituées à la mort
civile, ont été empruntées à celte peine, quelles à la dégradation
civique.

§ 2. Des peines accessoires aux peines criminelles temporaires


dégradation civique, interdiction légale.

I. — DÉGRADATION CIVIQUE.

CODE PÉN. ART. 28. La condamnation à la peine des travaux


forcés à temps, de la détention, de la réclusion ou du bannissement
emportera la dégradation civique. La dégradation civique sera en-
courue du jour où la condamnation sera devenue irrévocable, et,
en cas de condamnation par contumace, du jour de l'exécution par
effigie.
Loi DU 30 MAI 1854. ART. 12.

I. A quelles peines est attachée la dégradation civique. — II. En quoi elle con-
siste. Critique de^son caractère de peine indivisible et obligatoire.
— III. A quel
moment elle est encourue. — IV. Si et comment elle prend fin; art. 12 in fine
de la loi du 30 mai 1854.

I. A quelles peines est attachée la dégradation civique.—


341. Aux termes de l'article 28, elle est l'accessoire de toutes les peines
246 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
criminelles temporaires: des travaux forcés et de la réclusion,peines
de droit commun; de la détention et du bannissement, peines d'ordre
politique.
IL En quoi consiste la dégradation civique. —342. L'ensemble
des déchéances et incapacités énumérées dans l'article 34 constitue la
dégradation accessoire comme la dégradation principale.
Qu'il s'applique aux condamnés frappés des travaux forcés ou de la
réclusion, c'est juste et naturel. Aucune des facultés dont il s'agit ne
peut être laissée aux criminels de droit commun. Il est seulement fâ-
cheux que ces condamnés soient absolument incapables de porter té-
moignage devant les tribunaux civils. Il est vrai encore que plusieurs
déchéances seront considérées par ceux qu'elles atteignent comme des
bienfaits. Mais qu'importe ! Il est d'intérêt public d'écarter les crimi-
nels de droit commun des tutelles et autres fonctions analogues et du
service dans l'armée. Quant aux conséquences nuisibles qui peu-
vent résulter pour les tiers de l'incapacité où sera désormais le con-
damné d'être témoin dans les actes et de déposer dans un procès
pénal sous la foi du serment, elles ont été plus haut réduites à
leur juste valeur 1.
Mais le caractère de peine complexe, indivisible et toujours obli-
gatoire, est un vice grave de la dégradation civique attachée à la dé-
tention et au bannissement, comme il est un vice grave de la dégra-
dation civique principale. Il y a telles déchéances ou incapacités qui
conviennent à la punition de tels crimes politiques, mais n'ont aucun
rapport avec les autres. Les privations de droits contenues dans l'ar-
ticle 34 devraient donc être réparties entre les divers crimes, suivant
le système adopté dans les articles 42 et 43 pour l'interdiction de
certains droits, et même quelquefois demeurer au libre arbitre du •

juge. Mieux encore, les deux peines distinctement établies dans les
articles 34 et 42 n'en devraient former qu'une, applicable en ma-
tière criminelle et enmatière correctionnelle, tantôt comprenant toutes
les déchéances énumérées dans l'article 34, tantôt se réduisant à plu-
sieurs ou à l'une d'entre elles, tantôt accessoire et tantôt complémen-
taire, tantôt obligatoire et tantôt facultative, enfin tantôt perpétuelle
et tantôt temporaire 2.

1. Voy. ci-dessus, n° 330.


2. Cette réforme a élé faite dans le Code belge de 1807 (Voy. les art. 19,31 à 33,
et HAUS, II, n°" 746, 747). Remarquez d'ailleurs que, dans cette législation, les
privations de droits ne sont jamais tacitement accessoires à d'autres peines, mais
DROIT PÉNAL. — PEINE DE LA DÉGRADATION CIVIQUE. 247

III. A quel moment la dégradation civique est encourue. —


343. Aux termes de l'article 28, la dégradation civique est encourue:
en cas de condamnation contradictoire, du jour où la condamnation
est devenue irrévocable; en cas de condamnation par contumace, du
jour de l'exécution par effigie, c'est-à-dire, suivant l'article 472 du
Code d'instruction criminelle, à dater du dernier procès-verbal cons-
tatant l'affiche de l'arrêt.
IV. Si et comment prend fin la dégradation civique. — 344. En
principe, elle est perpétuelle. Cette règle, toutefois, reçoit des tempéra-
ments; et, à cet égard, il faut distinguer suivant que la peine princi-
pale dont la dégradation civique est la conséquence résulte d'une con-
damnation contradictoire ou d'une condamnation par contumace.
345. Au premier cas, la dégradation civique ne cesse pas avec la
peine principale; elle lui survit, que cette peine ait pris fin par la
prescription, par la grâce ou par son exécution même. Cependant
l'amnistie et la réhabilitation (art. 634, C. inst. cr.) ont le pouvoir de
l'effacer. De plus, d'après l'article 12 in fine de la loi du 30 mai
1854, le gouvernement peut accorder aux libérés qui ont subi la peine
des travaux forcés l'exercice dans la colonie des droits dont ils son
privés par les 3° et 4° paragraphes de l'article 34 du Code pénal,
c'est-à-dire l'exercice des droits d'être juré expert, d'être employé
comme témoin dans les actes, de déposer en justice sous la foi du ser-
ment, des droits d'être tuteur, subrogé tuteur et autres droits de
famille analogues.
346. Au second cas, il faut admettre de nouvelles distinctions. —
Ou bien le condamné meurt, et les effets de la dégradation civique ont
été définitifs. — Ou bien la prescription de vingt ans s'accomplit à
l'égard de la peine principale, et la dégradation .civique persiste en-
core, sans que désormais la réhabilitation soit possible. — Ou bien,
dans les vingt ans, le-condamné purge sa contumace en se livrant ou
en tombant aux mains de la justice, et alors la dégradation civique
s'évanouit avec toutes les autres conséquences de la condamnation par
contumace, sauf à s'attacher de nouveau à la condamnation contradic-
toire qui pourra résulter de la nouvelle procédure (art. 476, C. inst.
cr.). Mais s'effsee-t-elle avec rétroactivité? Supposons que le contumax

doivent toujours être prononcées par le juge, sauf l'exclusion ou la destitution de


tutelle, qui résulte de toute condamnation criminelle, aux termes des art. 443 et
445 du Code eml (HAUS, H» 753).
248 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
ait servi de témoin, après l'exécution par effigie de sa condamnation,
dans un acte qui doit être fait en présence d'un certain nombre de
témoins pour être valable, par exemple dans un testament. Si l'inca-
pacité du condamné se trouve n'avoir jamais existé, l'acte sera valable.
On admet l'affirmative; car l'article 476 du Code d'instruction crimi-
nelle ne met aucune restriction à l'effet extiilctif que produit la purge
de la contumace en ce qui regarde la dégradation civique. Si, au con-
traire, la prescription avait eu lieu ou que le condamné fût mort, la
dégradation civique étant devenue définitive, l'acte serait nul.

II. PEINE DE L'INTERDICTION LÉGALE

CODE PÉN.
— ART. 29? Quiconque aura été condamné à la peine des
travaux forcés à temps, de la détention ou de la réclusion sera de
plus, pendant la durée de sa peine, en état d'interdiction légale; H
lui sera nommé un tuteur et un subrogé tuteur pour gérer et admi-
nistrer ses biens, dans les formes prescrites pour les nominations
des tuteurs et subrogés tuteurs aux interdits.
ART. 30. Les biens du condamné lui seront remis après qu'il aura
subi sa peine, et le tuteur lui rendra compte de son administration.
ART. 31. Pendant la durée de la peine, il ne pourra lui être remis
aucune somme, aucune provision, aucune portion de ses revenus:
Loi DU 30 MAI 1854, ART. 12.

I. A quelles peines est attachée l'interdiction légale. — II. En quoi elle consiste;
comparaison de l'interdiction légale avec la dégradation civique; comparaison
de l'interdiction légale avec l'interdiction judiciaire. — III. Quelles condamna-
tions la font encourir, et à quel moment. — IV. Comment elle prend fin; ar-
ticle 12 de la loi du 30 mai 1854.

I. A quelles peines est attachée l'interdiction légale. — 347.


Aux termes de l'article 29, l'interdiction légale est attachée aux peines
des travaux forcés, de la détention et de la réclusion, mais non au
bannissement. C'est une première différence à signaler entre cette
peine et la dégradation civique.
II. En quoi consiste l'interdiction légale. — 348. La deuxième
phrase de l'article 29 et l'article 30, sans en donner de définition pro-
prement dite, contiennent sur l'interdiction légale et sur ses effets des
indications suffisamment claires. Le condamné perd l'administration
de ses biens; et, comme il lui est nommé un tuteur surveillé par un
PEINE DE L'INTERDICTION LÉGALE. 249

subrogé tuteur et assisté d'un conseil de famille, il perd en même


temps l'exercice de tous les droits civils relatifs à ses biens; il devient
incapable de les aliéner par acte entre vifs comme de les gérer; il est,
à ce.point de vue, assimilé en principe à un individu interdit pour
cause de démence, et, par suite, en vertu de l'article 509 du Code civil,
à un mineur en tutelle ; par conséquent, les articles 450 à 475 du Code
civil lui sont pleinement applicables. Voilà qui établit une seconde dif-
férence entre l'interdiction légale et la dégradation civique, différence
essentielle, qui en fait deux peines absolument dissemblables. La dé-
gradation civique porte sur les droits politiques, sur un certain nombre
de droits publics et sur quelques droits de famille, et c'est la jouis-
sance de ces droits, ce sont ces droits eux-mêmes qu'elle enlève; tan-
dis que l'interdiction légale porte sur les droits privés relatifs aux
biens et n'en retire au condamné que l'exercice; un tiers est chargé
d'administrer les biens de l'interdit, de percevoir et de capitaliser ses
revenus, de le représenter dans les achats, ventes, marchés de toutes
sortes et actions en justice intéressant sa fortune, d'accepter ou de
répudier les successions qui viennent à lui échoir, les donations ou
legs qui viennent à lui être faits; et ce mandataire devra lui rendre-
compte, à la fin de sa peine.
349. Mais, pour bien connaître l'interdiction légale, il ne suffit pas
de la comparer à la dégradation civique, il faut aussi la rapprocher de
l'interdiction judiciaire.
L'interdiction légale et l'interdiction judiciaire ont l'une et l'autre
un double but : l'un qui leur est commun et qui est une source de
ressemblances entre elles; l'autre qui est différent et qui a fait établir
pour chacune des règles spéciales.
350. Le but qui leur est commun, c'est la conservation, la bonne
administration de biens appartenant à une personne qui est incapable
de les gérer elle-même, soit parce qu'elle ne jouit pas de ses facultés
intellectuelles, ce qui est le cas de l'interdiction judiciaire, soit parce
qu'elle ne jouit pas de sa liberté physique, ce qui est le cas de l'inter-
diction légale. A ce point de vue, l'interdiction légale, comme l'inter-
diction judiciaire, est une mesure de protection. En voici les consé-
quences :
1° Les biens du tuteur seront grevés d'hypothèque.
2° Conformément aux articles 506 et 507 du Code civil, la tutelle
appartiendra de droit au mari dont la femme est légalement, interdite,
ou à la femme, mais sous certaines conditions, si la condamnation a
250 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
frappé le mari, et cela, malgré l'article 29 du Code pénal, qui semble
écarter toute autre tutelle que la tutelle dative.
3° De même, bien que l'article 31 du Code pénal paraisse ordonner
d'une manière absolue que la fortune de l'interdit demeure intacte
dans les mains du tuteur, l'article 511 du Code civil permettra de cons-
tituer une dot aux enfants de l'interdit, sur ses biens, à l'occasion de
leur mariage. C'est, en effet, une sorte d'obligation naturelle qui in-
combe au père envers ses enfants.
A plus forte raison le tuteur est-il autorisé à fournir à la famille
du condamné les aliments qui lui sont nécessaires; car les articles205
et suivants du même Code en font une véritable obligation civile.
4° Le tuteur de l'individu légalement interdit pourra-t-il, après un
certain temps, se faire relever de sa charge? A cet égard, on fera bien
d'appliquer, suivant les cas, tantôt la loi de la minorité, tantôt celle
de l'interdiction judiciaire. Le tuteur d'un jeune enfant doit rester en
fonctions jusqu'à la majorité de son pupille, parce que la minorité n'a
qu'une durée limitée. Le tuteur d'un fou, s'il n'est pas son époux, son
ascendant ou son descendant, n'est pas tenu de conserver la tutelle au
delà de dix ans, d'après l'article 508 du Code civil, parce que la dé-
mence peut durer autant que la vie. Eh bien! par analogie, le tuteur
de l'individu condamné à une peine temporaire gardera la tutelle jus-
qu'au dernier jour, c'est-à-dire jusqu'à la fin de la peine. Il faudra
suivre,-au contraire, l'article 508 du Code civil, s'il s'agit de l'interdic-
tion légale attachée, en vertu de la loi du 31 mai 1854, à une peine
perpétuelle.
351. Le but particulier de l'interdiction judiciaire est d'empêcher
que l'individu privé de raison ne commette des actes préjudiciables
à lui-même ou à ses héritiers. C'est encore, à ce point de vue, une
_

mesure de précaution prise en faveur de l'interdit. Le but particulier


de l'interdiction légale est d'empêcher que le condamné n'use de sa
fortune pour se procurer les moyens de fuir et de rester libre, ou
pour atténuer les rigueurs de sa captivité 1? C'est donc une mesure de
précaution prise contre l'interdit, dans l'intérêt public, dans l'intérêt
de la peine pour ainsi dire, faisant corps avec elle, afin d'en assurer
l'entière exécution. D'où les différences suivantes entre les effets de
l'interdiction légale et ceux de l'interdiction judiciaire :
352. 1° Le tuteur de l'individu en démence emploiera les revenus

1- Voy. LocnÉ, XXIX,


p. 208.
PEINE DE L'INTERDICTION LÉGALE. 251

de ses biens à adoucir son sort (C. civ., art. 510), celui du condamné
ne devra rien lui en remettre (C. pén., art. 31).
353. 2° L'interdiction judiciaire place l'interdit dans un état d'in-
capacité complète. C'est, du moins, l'opinion la plus générale sur le
sens de l'article 502 du Code civil, au cas où le malade a des inter-
valles lucides ; c'est une chose certaine, au cas où sa folie est continue.
L'interdiction légale, au contraire, ne frappe le condamné que d'une
incapacité restreinte. Il ne pourra faire les actes qui porteraient at-
teinte à l'administration du tuteur, ou qui rentreraient dans les pou-
voirs du tuteur assisté du conseil de famille, tels que les contrats fai-
sant naître des obligations et des droits de saisie, les constitutions
d'hypothèques, les aliénations à titre onéreux 1. Il ne pourra non plus
faire les actes de nature à lui procurer indirectement des secours,
comme seraient les donations. Mais les actes qui sont en dehors de ce
cercle lui sont permis : il pourra donc reconnaître un enfant naturel,
faire son testament 2, et, s'il a pris la fuite ou si l'administration y
consent, contracter mariage. L'article 29 ne s'y oppose nullement; il
ne dit pas, comme le faisait l'article 2 du Code pénal du 25 septembre
1791 (lr° partie, titre IV), que l'interdit ne pourra exercer par lui-
même aucun droit civil ; il le met simplement, et seulement quant
à ses biens, en tutelle 3.

1. En ce sens, arr. de cassât, du 26 janvier 1825-, Paris, 7 août 1837 (Dev. 1838,
II, 268).
2. Quant à la capacité de tester, voy. en ce sens, arr de Rouen du 28 déc. 1822
(Sir. 1823, II, 179); de Nîmes du 16 juill. 1835 (Dev. 1835, II, 485).
3. Tel est le sens de l'article 29 du Code pénal d'après DEMOLOMBE, I, n° 192;
AUBRÏ et RAU, 1, p. 316; ORTOTAN, II, n° 1557; TBÉBUTIEN, I, p. 243. Mais deux
opinions diamétralement opposées l'une à l'autre repoussent toute distinction.
Dans l'une, on soutient que l'article 29, en soumettant le condamné à une tutelle
analogue à celle de l'individu en démence, l'a frappé comme lui d'une incapacité
générale, et par conséquent lui a enlevé la faculté de se marier, de tester, de re-
connaître un enfant naturel (DURANTON, VIII, n» 181 ; VALETTE, Cours de code civil,
P- 92; BOITARD, édit. F. Hélic, n° 78; BERTAULD, p. 260; MOLINIER, Revue de droit
français et étranger, 1850, p. 484). A mes yeux, la différence de rédaction qui
«xiste entre l'article 2 du Code de 1791 et l'article 29 du Code de 1810 est un ar-
gument très fort contre cette manière de voir; et surtout l'esprit de la loi ne
Me semble pas exiger une si grande rigueur.
Dans l'autre opinion, au contraire, on fait remarquer qu'aux termes de l'art. 29,
un tuteur n'est donné à l'interdit que pour gérer et administrer ses biens, et l'on
en conclut que l'incapacité du condamné se borne aux actes de pure administra-
tion, qu'elle ne s'étend pas aux actes de disposition ou produisant des obligations
(MORM, Répertoire, v° Interdiction; CHAUVEAU et F. HÉLIE, I, p. 177; TOOLLIER,
VI, n° 111). Cette interprétation de l'article 29 me semble bien plus éloignée, en
252 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
354. 3° Mais, si l'incapacité du condamné légalement interdit est
moins étendue que celle de l'interdit en démence, parce qu'elle suffit;
ainsi limitée, à son but particulier, qui est de garantir l'exécution de
la peine, d'autre part, étant d'ordre public, le but qui lui est assigné
devant être sûrement atteint, elle est entière et radicale. Tandis que
les actes faits contrairement à la loi par une personne judiciairement
interdite ne sont entachés que d'une nullité relative, c'est-à-dire d'une
nullité dont l'interdit seul, non l'autre partie contractante, peut se
prévaloir (art. 1125, C. civ.); tandis que cette nullité se trouvera cou-
verte si, l'interdiction levée, dix ans s'écoulent sans que l'interdit h
fasse prononcer en justice (art. 1304, C. civ.), ou même bien plus tel
si l'interdit renonce à son droit (art. 1338, G. civ.); au contraire, les
actes faits par le condamné malgré son interdiction sont entachés
d'une nullité absolue et perpétuelle : non seulement l'interdit, mais
toute personne intéressée et le ministère public auront la faculté de
l'invoquer, et l'auront en tout temps 1.
III. Quelles condamnations font encourir l'interdiction légale,
et à quel moment. — 355. La condamnation contradictoire qui pro-

sens inverse, de l'esprit de la loi que la précédente. L'esprit de la loi, qui se ré-
vèle par la place donnée à l'interdiction légale parmi les peines et par la disposi-
tion de l'art. 31, a été d'ériger en châtiment l'interdiction légale, tandis que cclti
interprétation a pour conséquence de lui enlever en grande partie son caractère pé-
nal. Sans doute la pensée, du législateur s'est directement portée sur l'administra-
tion des biens de l'interdit; mais, en remettant cette administration entre les.
mains, d'un tuteur assisté d'un subrogé tuteur et d'un conseil de famille, il il
montré qu'il s'agissait pour lui de l'administration prise dans son sens le plus
étenlu. Pourquoi dès lors ce tuteur n'aurait-il pas les pouvoirs que les articles 450
et 509 du Code civil confèrent à tout autre tuteur? Il ne les a pas, dit-on, parce
que l'article 29 ne reproduit pas les expressions de l'article 2 du Code de 1701.
Eh bien, je crois que, dans cette opinion, l'on attache trop de valeur à la différence
de rédaction qui existe entre les deux textes, tandis que, dans la précédente, on ne
lui en accorde pas assez. Voici, selon moi, quel en est. le sens : la formule delà
loi de 1791 parut aux rédacteurs du Code de 1810 avoir une portée trop large;
elle frappait le condamné d'une incapacité complète, identique à celle de l'inter-
dit en démence et qu'ils ne voulaient pas établir; elle privait le condamné de
facultés qui n'ont rien d'incompatible avec l'exécution de la peine et qu'ils vou-
laient lui laisser; ils l'ont donc -effacée; mais ils ont du moins placé l'interdit
en tutelle; et, leur volonté étant bien certainement d'enlever au condamné
toutes les ressources que pourrait lui fournir sa fortune, il n'est pas excessif
d'en conclure que le droit de s'obliger et celui de disposer de ses biens entre vifs
lui ont été retirés et que l'exercice de ces droits a été confié à son tuteur, con-
formément aux principes généraux de la tutelle.
1. Voy. arr. de cassât, du 25 janv. 1825 (Sir. 1825, I, 3-15; ; arr. de rej. du
29 mars 1852 (Sir. 1852, I, 385).
PEINE DE L'INTERDICTION LÉGALE. 253

nonce la peine principale emporte en même temps l'interdiction légale.


Déplus, bien que l'article 29 ne le dise pas formellement, elle la fait
encourir du jour où elle est elle-même devenue irrévocable. Il en est
ainsi, d'après l'article 28, de la dégradation civique; pourquoi en
serait-il autrement de l'interdiction légale? Au reste, l'article 29 dit
que l'interdiction légale aura lieu pendant la durée de la peine, et
l'article 23 que la durée des peines comptera du jour où la condamna-
tion sera devenue irrévocable.
356. Mais, lorsque la condamnation portant une peine qui entraîne
l'interdiction légale a été prononcée par contumace, c'est une ques-
tion de savoir si l'interdiction légale est encourue, et voici pourquoi.
Aux ternies des articles 465 et 471 du Code d'instruction criminelle,
les biens du condamné contumax sont mis sous séquestre et régis
comme biens d'absent par l'administralion de l'enregistrement et des
domaines, qui en rendra compte à qui il appartiendra à l'expiration
du délai donné pour purger la contumace. Il résulte certainement
de là que les biens du contumax ne seront pas remis à un tuteur, et

que les actes du contumax seront non avenus pour l'administration


desdomaines. Mais, comme on l'a vu précédemment, le tuteur de l'in-
terdit n'a pas seulement la gestion de ses biens ; il a aussi l'exercice
de tous les droits civils relatifs à ses biens. Par conséquent, si le con-
tumax était en élat d'interdiction légale, il n'y aurait pas incompa-
tibilité entre la fonction de son tuteur et celle de l'administrateur des
domaines; il y aurait simplement partage entre ces deux mandataires
des attributions ordinaires de la tutelle. Et cette combinaison aurait

un grand avantage : elle enlèverait au contumax la faculté de se créer


des ressources par la vente de la nue propriété de ses biens ou par
des constitutions d'hypothèques réalisables à la fin de la peine ; faculté
qui lui sera laissée, s'il est affranchi de l'interdiction légale ; car ces
actes, n'étant pas de nature à être opposés à l'administration des
domaines, dont ils ne contrarient pas la gestion, ne pouvant être atta-
qués par elle, demeureront valables. La question se pose donc malgré
l'article 471 du Code d'instruction criminelle, et présente un grand
intérêt.
Quelques auteurs soutiennent que le contumax est légalement in-
terdit. L'article 29, disent-ils, ne fait point de distinction suivant que
la condamnation est contradictoire ou par contumace; il n'en fait pas
plus en ce qui louche l'interdiction légale que n'en fait l'article
2H relativement à la dégradation civique. D'autre part; les articles
254 SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

465 et 471 du Code d'instruction criminelle ne sont pas inconciliables


avec cette disposition. Les textes ne sont donc pas contraires. Quant
à l'esprit de la loi, il a été évidemment de priver le contumax de
toutes ressources; or ce but sera manqué si l'on n'empêche pas, au
moyen de l'interdiction, des actes contre lesquels l'administration des
domaines est impuissante.
Dans l'opinion contraire, on tire argument des termes des articles 29
et. 30 : « Quiconque... sera de plus, pendant la durée desapeine ;
les biens du condamné lui seront remis après qu'il aura subi sa
peine. » N'en doit-on pas conclure, dit-on, que l'interdiction légale a
été établie pour le cas où la peine reçoit une exécution réelle, pat-
suite d'une condamnation contradictoire? Cet argument ne me semble
nullement décisif. Les expressions dont il s'agit peuvent avoir un
sens différent de celui qu'on leur prête : si l'on rapproche les articles
29 et 30 de l'article 28, on s'aperçoit que le législateur a pu simple-
ment entendre dire que la peine accessoire de l'interdietion légale, à
la différence de la dégradation civique, n'aura pas une plus longue
durée que la peine principale, commencera et finira avec elle. Cette
signification est d'autant plus probable que, dans l'article 221 du Code
civil, les mêmes expressions sont employées en vue d'une peine pro-
noncée par contumace. De plus, les articles 29 et 30 ne soustraient
pas à l'interdiction légale celui qui, après avoir encouru une condam-
nation contradictoire, s'est dérobé par la fuite à l'exécution réelle de
sa peine. Il est donc extrêmement douteux que les articles 29 et 30
fassent de l'exécution réelle une condition de l'interdiction légale.
Je crois, néanmoins, que la majorité des auteurs a raison de décider
que le contumax n'est pas en état d'interdiction légale. Si les termes
des articles 29 et 30 qui viennent d'être examinés n'offrent pas à cette
opinion un appui bien sûr, elle peut du moins se fonder sur le rap-
prochement des articles 29 du Code pénal et 471 du Code d'instruction
criminelle. Il en naît, selon moi, la conviction que le législateur a voulu
établir pour le contumax un système parallèle à celui de l'interdiction
légale et qu'il a cru équivalent. Dans les deux textes, en effet, son
attention s'est portée sur la gestion des biens du condamné. Il l'a,re-
mise, ici à l'administration des domaines, là au tuteur. Quant à l'exer-
cice des droits civils qui sont en dehors de l'administration pure, il
ne s'en est pas spécialement préoccupé. Cet oubli sera sans consé-

1. En ce sens, BEMAULD, p. 259.


PEINE DE'L'INTERDICTION" LÉGALE. 255.

quence aii cas d'interdiction et d'organisation d'une tutelle ; car, étant


connue l'intention de la loi d'enlever au condamné toutes les res-
sources qu'il aurait pu trouver dans.sa fortune, on peut et l'on doit
faire produire à la tutelle ses effets ordinaires. Mais, au cas de.
contumace, il en résulte une lacune. Si fâcheuse qu'elle soit, elle ne
pourrait être comblée que par voie législative. Ainsi, en un mot, il
ya incompatibilité, non pas rationnelle, mais légale, entre l'article 471
et l'interdiclion du contumax 1.
IV. Comment cesse l'interdiction légale.
— 357. Elle prend
fin avec la peine elle-même (art. 29 et 30), soit que la peine ait été
entièrement exécutée, ou prescrite, ou remise par voie de grâce.
L'interdiction légale diffère donc, à ce point de vue encore, de la
dégradation civique.
De-plus, aux termes de l'article 12 de la loi du 30 mai 1854, le gou-
vernement peut accorder aux transportés l'exercice, dans la colonie,
des droits civils ou de quelques-uns de ces droits. Il peut aussi les
au-
toriser à jouir ou à disposer de tout ou partie de leurs biens. Mais,
quant aux biens qu'ils possédaient au jour de leur condamnation ou
qui leur seraient échus par succession, donation ou testament, et qui
ne leur ont pas été remis, les actes faits par eux jusqu'à leur libéra-
tion ne pourront pas les engager.

§ 3. Des peines qui, avant la loi du 31 mai 1854, étaient accessoires


aux peines perpétuelles : Mort civile.
Observations préliminaires et précédents.
— II. A quelles peines était attachée
I..

la mort civile.— III. En quoi elle consistait.


— Défauts graves dont elle était
entachée. — IV. A quel moment elle était encourue.
— V. Si et comment elle-
prenait fin.

Observations préliminaires et précédents. — 358. Sous


I.
l'empire du Code pénal de 1810, et même après la revision de

1. Dans le Code belge de 1867 la question n'existe plus. La condamnation à la


peine de mort entraîne l'interdiction légale dans tous les cas. Quant aux autres
peines qui emportent l'interdiction légale, elles n'ont cet effet que si elles ont été
prononcées par condamnation contradictoire. Les biens du contumax sont, comme
chez nous, régis
par l'administration des domaines. (Voy. les art. 20, 21, et HAUS,
n°s 759 et 700.) Ainsi, le système qui
me paraît résulter des art. 29 et 471 combi-
nés a été admis formellement
par le législateur belge. M. Haus le justifie en di-
sant que l'interdiction du contumax serait sans objet; suivant lui, en effet, le con-
tumax est incapable de disposer de ses biens entre vifs. N'est-ce pas une erreur?
La gestion des biens du condamné par l'administration des domaines lui enlève, il
Mt vrai, la jouissance de
ses revenus ; mais le prive-t-elle du droit d'aliéner le capital ?
256 SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

1832, une seule peine était attachée aux peines perpétuelles : c'é-
tait la mort civile. Quant à la dégradation civique et à l'interdiction
légale, elles n'étaient accessoires qu'aux peines temporaires. Maisi
en était ainsi dans les mots plus que dans les choses ; car la mort civile
comprenait toutes les déchéances qui constituent la dégradation civi-
que, et de plus, en dépouillant le condamné de toute sa fortune, elle
ôtait à l'interdiction légale beaucoup de son utilité. Cependant il ré-
sultait de là que le condamné conservait en principe l'exercice des
droits relatifs aux biens, et, s'il venait à recouvrer la liberté par la
fuite, il pouvait en user pour acquérir une nouvelle fortune.
359. Dans notre ancien droit, d'après l'ordonnance de 1670 (lit.
XVII, art. 29) et l'ordonnance de 1747 (tit. I, art. 24), la mort civile
était la conséquence d'une condamnation par contumace à la peine de
mort, et des condamnations à perpétuité aux galères, au bannissement
ou à la détention dans une maison de force.
Omise, abrogée par conséquent par le Code du 25 septembre 1791,
elle fut rétablie dans le Code civil de 1804 (art. 22 à 33) et dans le
Code pénal de 1810 (art. 18).
II. A quelles peines était attachée la mort civile. —.360. L'ar-
ticle 23 du Code civil en avait fait une conséquence de la peine de
mort. Mais pourquoi infliger une mort fictive à celui que l'on frappait
de la mort réelle? C'est que, tout d'abord, la mort civile entraînait la
nullité du testament du condamné. De plus, dans le cas où, après l'ar-
rêt, le condamné se dérobait par la fuite à l'exécution, dans le cas
aussi où la condamnation avait été prononcée par contumace, il su-
bissait au moins cette mort sociale.
D'après l'article 24 du Code civil, les autres peines afflictives per-
pétuelles ne devaient emporter la mort civile que si la loi leur attri-
buait cet effet. C'est ce que fit l'article 18 du Code pénal en l'attachant
aux travaux forcés à perpétuité et à la déportation ; mais toutefois
avec cette réserve quele gouvernement pourrait accorder aux déportés
l'exercice des droits civils ou de quelques-uns de ces droits.
Jusqu'en 1832 la déportation ne fut pas appliquée, et le gouver-
nement prit sur lui de la transformer de fait en une détention perpé-
tuelle. Il en résultait que, à défaut d'exécution de la peine princi-
pale, le condamné n'encourait pas la peine accessoire. Mais, lorsque
la détention fut devenue le mode légal suivant lequel devait s'exécuter
la déportation, elle emporta la mort civile.
III. En quoi consistait la mort civile.'— 361. Les effc's de la
PEINE DE LA MORT CIVILE. 257

mort civile étaient énumérés dans l'article 25 du Code de 1804.


1° C'était d'abord l'ensemble des déchéances qui résultent de la
dégradation civique. La loi n'en mentionnait que quelques-unes; mais
toutes frappaient le mort civilement, puisqu'il n'avait plus ni cité ni
famille.
2" La succession du condamné s'ouvrait au profit de ses héritiers ;
ses biens leur étaient dévolus comme s'il était mort intestat. Par con-
séquent le testament qu'il avait pu faire était nul.
3" Il était désormais incapable de se marier, et son mariage anté-
rieur était dissous ; en sorte que, s'il prenait la fuite ou s'il était gracié
et que son conjoint allât partager son sort, leur union n'était plus
pour la loi le mariage, et les enfants qui en naissaient n'étaient que
des enfants naturels.
L'ouverture de la succession et la dissolution du mariage du con-
damné étaient des peines profondément immorales, quand elles
n'étaient pas illusoires : ou bien les enfants et le conjoint du con-
damné, fermant les yeux à son existence, exécutaient la loi au pied de
la lettre, et souvent c'était au inépris de leurs devoirs; ou bien les
enfants ne recueillaient les biens de leur père que pour s'en faire les
gardiens, pour en conserver le dépôt et pour le secourir s'il leur
était possible, et la loi était éludée ; ou bien enfin le conjoint du con-
damné se réunissait à lui, libéré par la fuite ou par la grâce, et s'as-
sociait à sa mauvaise fortune; mais, tandis qu'il avait l'approbation
publique, il encourait les sévérités de la loi dans sa personne et dans
celle de ses enfants : c'était un outrage de la loi à la morale.
4° Le condamné ne pouvait plus recueillir de. succession.
5° 11 ne pouvait pas transmettre à ce litre les biens qu'il avait acquis

par la suite; aux termes de l'article 33, ces biens, à sa mort, appar-
tenaient à l'État par voie de déshérence.
A ce double point de vue, la mort civile avait le grave défaut de
n'être pas une peine personnelle au condamné ; des innocents étaient
frappés comme lui, ou même étaient seuls atteints. Eu effet, les suc-
cessions qu'il ne pouvait pas recueillir étaient aussi perdues pour ses
héritiers, à qui il ne pouvait les transmettre. Ses enfants eux-mêmes
en étaient privés, quand il s'agissait d'autres successions que celles
de leurs aïeux ou oncles, les seules pour lesquelles ils pussent le
représenter. Quant à l'incapacité de transmettre par succession les
biens qu'il avait acquis par la suite, c'était une véritable confiscation.
6° Le condamné ne pouvait ni disposer de ses biens, en tout ou en
17
258 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
partie, soit par donation entre vifs, soit par testament, ni recevoir à
ce titre, si ce n'est pour cause d'aliments.
Telle était la mort civile : le condamné était réputé mort pour la
société, d'où un ensemble formidable de déchéances indivisibles et
perpétuelles.
.
Toutefois, il avait été impossible de pousser jusqu'au bout celte
cruelle fiction. Comme le condamné pouvait, s'il avait prescrit sa peine
ou obtenu sa grâce, acquérir des biens et des droits et se trouver
dans la nécessité de plaider, il avait fallu admettre que ce mort serait
représenté en justice par un curateur spécial.
IY. A quel moment la mort civile était encourue. — 362. Il
fallait distinguer suivant que la peine principale avait été prononcée
par une condamnation contradictoire ou par contumace.
Au cas de condamnation contradictoire, aux termes de l'article 26
du Code civil, la mort civile n'était encourue que du jour de l'exécu-
tion, soit réelle, soit par effigie 1. La mort civile différait en cela delà
dégradation civique, laquelle était encourue du jour où la condamna-
tion était devenue irrévocable (C. pén., art. 28). C'est que la mort ci-
vile ' était considérée comme une conséquence de l'exécution de la
peine principale plutôt que de la condamnation, et que l'effet ne de-
vait pas précéder la cause. 11 suivait de là que, si le condamné obtenait
avant l'exécution de sa peine sa grâce ou une commutation,"il échap-
pait à la mort civile ; que, de même, s'il mourait ou s'ôtait la vie avant
l'exécution de sa peine, il mourait dans l'intégrité de ses droits, no-
tamment avec un testament valable. Il était donc alors d'un grand
intérêt de savoir à quel moment précis commençait l'exécution des
travaux forcés ou de la déportation.
363. Au cas de condamnation par contumace, la règle était encore
pour la mort civile autre que pour la dégradation civique. Tandis que,
d'après l'article 28 du Code pénal, la dégradation civique était en-
courue du jour de l'exécution par effigie, l'article 27 du Code civilac-
cordait au condamné, avant de le frapper de mort civile, un délai de
cinq ans. On avait pensé que les effets de la mort civile étaient trop
graves pour être infligés à une personne qui avait été jugée sans être
entendue ni défendue, dont -la culpabilité n'était pas sérieusement
démontrée. On se bornait, dans l'article 28, à retirer au contumax
l'exercice des droits civils. Si, dans cet intervalle de cinq ans, le con-

1. Pour l'exécution par effigie, voy. l'art. 472 C. Inst. cr.


PEINE DE LA MORT CIVILE. 259
damné venait à mourir, il était réputé mort dans l'intégrité de ses
droits, aux termes de l'article 31 du Code civil. Si, dans le même espace
de temps, le condamné purgeait sa contumace en se livrant ou en
tombant aux mains de la justice, aux termes de l'article 29, la con-
damnation était de plein droit anéantie ; l'accusé rentrait en possession
de ses biens; il était de nouveau jugé, et s'il était condamné à la
même peine ou à une peine emportant également la mort civile, elle
n'avait lieu qu'à compter de l'exécution du second jugement.
A l'expiration des cinq années de grâce, une seconde période s'ou-
vrait, celle de. la prescription, qui était de vingt ans à compter du jour
de la condamnation. Dès l'ouverture de cette période la mort civile
était encourue, et le contumax, venant à mourir, ne pouvait laisser
qu'un testament nul, n'avait pas recueilli les successions qui lui étaient
échues, etc. Mais qu'arrivait-il s'il se représentait ou était arrêté?
On a vu que la dégradation civique, en pareil cas, s'effaçait rétroactive-
ment avec la condamnation dont elle était là conséquence. En était-il
de même de la mort civile? Non : aux termes des articles 30 du Code
civil et 476 du Code d'instruction criminelde, les effets qui s'étaient
produits dans le passé, dès l'expiration du délai de grâce, étaient dé-
finitifs. La mort civile ne cessait que pour l'avenir. Il pouvait donc
arriver qu'un individu innocent ou du moins ne méritant pas cette
peine subit la mort civile dans ses conséquences les plus douloureuses
et pour toujours; son conjoint avait pu se remarier, ou pouvait se re-
fuser à une union nouvelle avec lui; ses biens étaient entre les mains
de ses héritiers, qui avaient le droit de les garder.
Lorsque vingt ans s'étaient écoulés depuis la condamnation, une
troisième période prenait naissance. La peine principale était près-
«rite; mais la mort civile était désormais irrévocable, à moins d'am-
nistie.
Y. Si et comment prenait fin la mort civile: — 364. Comme
on vient de le voir, en principe elle était perpétuelle, de même que la
dégradation civique. Elle survivait à la prescription de la peine
principale. Ellene pouvait non plus cesser par la grâce; les déportés,
cependant, auraient pu recouvrer l'exercice des droits civils ou de
quelques-uns de ces droits ; mais, selon moi, seulement dans le cas où la
déportation aurait été réellement exécutée, ce qui n'eut jamais lieu.
Toutefois, si le condamné obtenait sa grâce, il pouvait ensuite con-
quérir sa réhabilitation et se faire restituer dans ses droits pour l'ave-
nir. L'amnistie aussi aurait mis un terme à la mort civile.
260 DROIT PÉNAL — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

§ i. Des peines qui, depuis la loi du 31 mai 1854, sont accessoires aux
peines perpétuelles : Dégradation civique, interdiction légale, nullité du
testament, incapacité de disposer ou de recevoir à titre gratuit.

Lot DO 31 MAI-3 1854 PORTANT ABOLITION DE LA MORT CIVILE.


JUIN
ART. 1. La mort civile est abolie.
ART. 2. Les condamnations à des peines afflictives perpétuelles
emportent la dégradation civique et l'interdiction légale établies
par les articles 28, 29 et 31 du Code pénal.
ART. 3. Le condamné à une peine afflictive perpétuelle ne peut
disposer de ses biens, en tout ou en partie, soit par donation entre
vifs, soit par testament, nirecevoir à ce titre, si ce n'est pour cause
d'aliments.
Tout testament par lui fait antérieurement à sa condamnation
contradictoire, devenue définitive, est nul.
Le présent article n'est applicable au condamné par contumace
que cinq ans après l'exécution par effigie.
ART. 4. Le gouvernement peut relever le condamné à une peine
afflictive perpétuelle de tout ou partie des incapacités prononcées
par l'article précédent.
Il peut lui accorder l'exercice, dans le lieu d'exécution de la peine,
des droits civils, ou de quelques-uns de ces droits dont il a été privé
par son état d'interdiction légale.
Les actes faits par le condamné, dans le lieu, d'exécutioti de la
peine, ne peuvent engager les biens qu'il, possédait au jour de sa
condamnation, ou qui lui sont échus à titre gratuit depuis celte
époque.
ART. 5, Les effets dela mort civile cessent, pour l'avenir, à
l'égard des condamnés actuellement morts civilement, sauf les
droits acquis aux tiers.
L'état de ces condamnés est régi par les dispositions qui pré-
cèdent.
.
La présente loi n'est pas applicable aux condamnations
ART. 6.
à la déportation, pour crimes commis antérieurement à sa promul-
gation.

I. Historique de l'abolition de la mort civile. — II. En quoi consistent les peines


qui lui ont été substituées. III. A quel moment sont encourues les deux dé-

LOI DU 31 MAI 18514 261

ehéanccs qui ont été empruntées à la mort civile. — IV. Si et comment elles
prennent fin. — V. Tempéraments que les lois du 31 mai 185-1 et du 25 mars
1873 ont introduits à la perpétuité des déchéances attachées aux peines perpé-
tuelles. — VI. Rétroactivité de la loi du 31 mai 1854.

I. Abolition de la mort civile. — 365. La mort civile fut abolie


en Belgique dès l'aimée 1831.
En France, la revision de 1832 la laissa subsister. Ce n'est pas que
les vices n'en fussent reconnus. Mais on allégua qu'elle était une ins-
titution de droit civil autant que de droit pénal, touchant à bien des
points sur lesquels il faudrait statuer en même temps que sur elle.
Ce devait être, disait-on, l'objet d'une loi spéciale. Mais cette loi ne fut
pas mise à l'étude ; et ce fut en vain que plusieurs fois, par la suite,
fut sollicitée la réforme que l'on n'avait pas faite en temps opportun.
La mort civile reçut enfin une première atteinte lorsque la dépor-
tation fut réorganisée. La loi du 8 juin 1850 décida, dans son ar-
ticle 3, que la déportation n'emporterait plus la mort civile, mais seu-
lement la dégradation civique et l'interdiction légale. Au reste,
.

l'article 8 de cette loi déclarait qu'elle ne serait pas applicable aux


cr nés commis avant qu'elle fût promulguée; les condamnés pour
crimes antérieurs, détenus clans des forteresses, en vertu de la loi de
1832, demeurèrent donc frappés de mort civile.
C'est une loi du 31 mai 1854 qui a supprimé entièrement la mort
civile. Elle l'a remplacée par d'autres peines.
II. En quoi consistent les peines qui ont été substituées à la
mort civile. — 366. Ce sont d'abord les deux peines qui jusque-là
n'avaient été attachées qu'aux peines criminelles temporaires : la dé-
gradation civique et l'interdiction légale. (Art. 2, L. du 31 mai 1854.)
J'en ai dit la nature, le point de départ, la durée. On remarquera seu-
lement que l'interdiction légale, commençant et finissant toujours
avec la peine dont, elle est une conséquence, sera ici perpétuelle,
avec la possibilité de cesser soit par la grâce, soit par la prescription.
On verra aussi que les lois du 31 mai 1854 et du 25 mars 1873 ont
introduit des tempéraments à la perpétuité des peines accessoires
attachées aux peines perpétuelles. J'ai dit, enfin, quelles condamna-
tions font encourir la dégradation civique et l'interdiction légale. La
question de savoir si l'interdiction légale résulte des condamnations
par contumace est demeurée intacte : la loi nouvelle renvoie simple-
ment aux articles 29 et 31 du Code pénal.
367. On a, de plus, retenu deux des déchéances dont se composait
262 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
.

la mort civile, pour en faire des peines spécialement accessoires aux


peines perpétuelles : 1° la nullité du testament du condamné ; 2° fin-
capacité pour le condamné de disposer de ses biens soit par donation
entre vifs, soit par testament, et de recevoir à ce titre, si ce n'est pour
cause d'aliments (art. 3).
Que la nullité du testament antérieur à la condamnation soit une
peine bien distincte de l'interdiction légale, c'est évident. Nul doute
que le testament antérieur de celui qui est simplement en état d'in-
terdiction légale ne demeure valable. Mais l'incapacité générale ré-
sultant de l'interdiction ne comprend-elle pas l'incapacité spéciale de
disposer par donation, celle de disposer par testament et celle de re-
cevoir à titre gratuit? Nullement; ou, du moins, cette observation
n'est juste que sous quelques rapports.
En effet, quant à l'incapacité de disposer par donation entre vifs,
c'est une question de savoir si elle dérive de l'interdiction légale. Le
législateur a donc bien fait de s'exprimer en termes formels; et
pour ceux qui reconnaissent à l'interdit légalement le droit de donner,
il résultera dé la loi de 1854 que ce droit est enlevé par les condam-
nations aux peines perpétuelles et ne l'est point par les condamna-
tions aux peines temporaires. Mais, même pour ceux qui ne recon-
naissent pas à l'interdit légalement le droit de donner, la loi de 1854
n'est pas à cet égard sans produire un effet nouveau. C'est seulement
l'exercice du droit de donner qui est retiré à l'interdit; de sorte que
des constitutions de dot peuvent être faites à ses enfants, en son nom,
suivant l'article 511 du Code civil. La loi de 1854, allant plus loin,
retire à l'individu frappé d'une peine perpétuelle la jouissance du
droit de donner, ou plutôt ce droit lui-même; et la conséquence en
est que l'article 511 du Code civil n'est pas applicable aux enfants de
ce condamné; c'est d'ailleurs un résultat fâcheux, dont le seul remède
est dans la faculté qui appartient au gouvernement, d'après l'ar-
ticle 4 de la loi, de relever le condamné de tout ou partie des inca-
pacités prononcées contre lui. D'autre part, tandis que les effets de
l'interdiction légale cessent avec la peine, prescrite ou remise,
l'incapacité de donner qui résulte de la loi de 1854 est perpétuelle.
En ce qui touche l'incapacité de faire un testament, c'est aussi une
question de savoir si elle résulte de l'interdiction légale ; et, dans
l'opinion générale, elle n'en dérive pas. Il était donc plus nécessaire
encore de l'établir par un texte formel.
Enfin, l'incapacité inverse, celle de recevoir à titre gratuit, est pour
LOI DU 31 MAI 1854, 263
tout le monde absolument étrangère à l'interdiction légale. L'inter-
diction, en effet, empêche bien le condamné de recevoir de ses propres
mains, mais non son tuteur de recevoir pour lui; elle lui .enlève
simplement l'exercice du droit. La loi de 1854 lui ôte le droit lui-
même.
III. A quel moment sont encourues les deux déchéances qui
ont été empruntées à la mort civile. — 388. Il faut distinguer,
comme toujours en pareille matière, suivant que la condamnation pro-
nonçant la peine principale est contradictoire ou par contumace.
,
Au premier cas,; on avait à choisir entre le point de départ de la
mort civile, c'est-à-dire l'exécution, et celui de la dégradation civique,
c'est-à-dire le jour où la condamnation est devenue irrévocable. C'est
ce dernier que l'on a adopté. L'article 3 de la loi de 1854,.dans son.
deuxième paragraphe, le dit en termes exprès pour la nullité du tes-
tament. Dans le silence de la loi, il n'y a pas de raison d'admettre
pour l'incapacité de disposer et de recevoir une règle différente de
celle qui se trouve ainsi commune à toutes les peines accessoires.
369. Mais, au cas de condamnation par contumace, c'est au con-
traire la règle propre à la mort civile qui a été formellement repro-
duite par l'article 3 dans son troisième paragraphe : les nouvelles
incapacités ne sont applicables au condamné par contumace que cinq
ans après l'exécution par effigie. On a sans doute pensé que ces d.é-
chéances, bien qu'elles fussent de simples débris de la mort civile,
étaient encore trop graves pour que l'on en frappât un individu dont
la culpabilité n'est pas certaine. Il faut donc les suivre clans les trois
périodes de la contumace, et voir si, jusqu'au bout, elles auront le sort
qu'avait la mort civile.
Dans la période de grâce elles ne sont pas encore encourues. Si le
condamne meurt, son testament sera valable ; il aura pu recevoir à
titre gratuit. Même solution s'il purge sa contumace, au moins tant
que ne sera pas intervenue une nouvelle condamnation, contradictoire
et définitive.
Dans la période de la prescription, les incapacités ont été encourues.
Si le condamné meurt, il n'a
pu laisser de testament efficace; les li-
béralités à lui faites sont non avenues. Jusque-là, tout se passe comme
s'il s'agissait encore de la mort civile. Mais, s'il purge sa contumace
et fait ainsi tomber la condamnation en vertu de l'article 476 du Code
d'instruction criminelle, les incapacités encourues persistent-elles pour
le passé, comme l'article 476 le décidait pour la mort civile,
ou bien
264- DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
s'effacent-elles rétroactivement comme la dégradation civique? C'est
une question controversée. Suivant les uns', le droit commun, bien
indiqué dans le premier paragraphe de l'article 476, est que la repré-
sentation volontaire ou forcée du contumax anéantit la condamnation
avec toutes ses conséquences; il y avait, dans le second paragraphe
de l'article, une restriction spéciale à la mort civile ; mais elle a dis-
paru avec elle, et aucune autre n'en tient la place ; on reste donc en
présence du droit commun. Suivant les autres-, dont je partage l'opi-
nion, c'est une erreur de dire que rien n'a remplacé la restriction qui
était faite pour la mort civile. Les incapacités nouvelles substituées
à la mort civile en faisaient autrefois partie, en étaient des éléments,
n'en sont vraiment qu'un reste. Et en effet, pourquoi la loi en aurait-
elle reculé le point de départ jusqu'à l'expiration d'un délai de grâce
de cinq années, comme elle faisait pour la mort civile, si elles nede
vaient pas avoir, à compter de ce moment, l'effet définitif qu'avait la
mort civile? Pourquoi ce délai, si la situation du contumax est la
même après ou avant qu'il soit écoulé? Il est clair que le législateur,
en reproduisant ce terme de cinq ans, a dû lui attacher la signification
que lui avaient donnée l'article 30 du Code civil et l'article 476 du Code
d'instruction criminelle.
Dans la troisième période, quand vingt ans se sont écoulés à compter
de la condamnation, tandis que la peine principale est prescrite, les
incapacités encourues deviennent irrévocables, comme le devenait la '
mort civile, sauf la possibilité d'une amnistie.
En résumé, comme on le voit, les deux déchéances empruntées à la
mort civile en suivent exactement les règles dans les trois phases de
la contumace.
IV. Si et comment prennent fin les deux incapacités nou-
velles. — 370. En principe elles sont perpétuelles, comme l'était
la mort civile. Ni la grâce, ni la prescription, qui feraient cesser la
peine principale, n'y mettraient fin. Seules l'amnistie ou la réhabilita-
tion obtenue après la grâce pourrait les effacer. Mais cette rigueur
n'est pas absolue; la loi qui l'a établie a permis de l'atténuer; après
elle, une autre loi a permis encore plus.
V. Tempéraments que les lois du 31 mai 1854 et du 25 mars
1873 ont introduits à la perpétuité des déchéances attachées

1. DEMOLOMBE, I, p. 353 et s.; VALETTE, Cours de Code civil, p. 96.


2. BERTAULD,
p. 288.
LOI DU 31 MAI 1854. 265

aux peines perpétuelles. — 371. La loi du 31 mai 1854 a en vue les


condamnés aux deux peines des travaux forcés à perpétuité et de la
déportation.
L'article 4 de cette loi autorise le gouvernement à relever, en tout
ou en partie, ces condamnes de la nullité de leur testament et de l'in-
capacité de disposer ou de recevoir à titre gratuit.
Il l'autorise aussi à leur accorder, au lieu d'exécution de la peine,
en tout ou en partie, l'exercice des droits civils dont ils sont privés
par leur état d'interdiction légale^ mais avec cette réserve que les
actes faits par eux dans le lieu d'exécution de leur peine ne pourront
engager les biens qu'ils possédaient au jour de'leur condamnation ou
qui leur seront échus à titre gratuit depuis cette époque *
372. La loi du 25 mars 1873 va plus loin, mais seulement en faveur
des condamnés à la déportation. L'article 16 de cette loi, après avoir
confirmé les dispositions précédentes, qui sont communes à tous les
déportés, ajoute, pour les condamnés à la déportation simple, qu'ils
auront de plein droit l'exercice des droits civils dans le lieu de la dé-
portation, et qu'il pourra leur être remis tout ou partie de leurs biens.
Il permet de plus au gouvernement d'accorder à- tous les déportés,
sans distinction, sur l'avis du gouverneur en conseil, l'exercice dans
la colonie de tout ou partie des droits dont ils sont privés par la dé-
gradation civique 2.
1. L'article 12 de la loi du 30 mai 1854 est plus libéral encore à certains égards
pour les condamnés aux travaux forcés à temps : le gouvernement peut les autoriser
à jouir ou disposer de tout ou partie de leurs biens.
Déplus, d'après ce texte, les condamnés aux travaux forcés qui ont été libérés
soit par l'exécution, soit par la remise de leur peine, pourront obtenir du gouver-
nement l'exercice dans la colonie d'une partie des droits dont ils sont privés par
suite de la dégradation civique ; ces droits sont ceux qu'énumèrent les 3e et 4' pa-
ragraphes de l'art. 34 du Code pénal.
2. Si l'on combine les.divers textes qui établissent les peines accessoires aux
travaux forcés à perpétuité, aux travaux forcés à temps, à la déportation dans
«ne enceinte fortifiée et à la déportation simple, et ceux qui relèvent les condam-
,
nés ou permettent de les relever de ces peines, on obtient les résultats suivants :
1" Condamnés
aux travaux forcés à perpétuité. Ils encourent toutes 1rs dé-
chéances : nullité du testament, incapacité de disposer et de Tecevoir à titre gra-
tuit, dégradation civique, interdiction légale. deux
— Ils peuvent être relevés des
premières, et recouvrer l'exercice des droits civils (art. 4, L. du 31 mai 1854).
Rien de plus, durant l'exécution de leur peine. S'ils viennent à être libérés, ils
pourront, en outre, recouvrer les droits de famille et autres qui sont mentionnés
dans les 38 et 4» paragr. de l'art. 34 C. pénal. (Art: 12 In fine, L. du 30 mai 1854.)
2° Condamnés
aux travaux forcés à temps. Ils n'encourent que la dégradation
civique et l'interdiction légale.— Ils peuvent, dans le cours .de leur peine, être
entièrement relevés des effets de l'interdiction légale. Après leur libération, ils
266 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
VI. Rétroactivité de la loi du mai 1854. — 373. La loi du
31
31 mai 1854 déclare, dans son article 5, qu'elle aura un effet rétro-
actif; que les effets de la mort civile cesseront pour l'avenir, et sauf
les droits acquis aux tiers, à l'égard des condamnés actuellement frap-
pés de cette peine, et que l'état de ces condamnés sera régi par les
dispositions de la présente loi.
Toutefois, l'article 6 y met une restriction, en disant que la loi ne
sera pas applicable aux condamnés à la déportation pour crimes
commis avant qu'elle fût promulguée. Cette exception a sans doute eu
en vue les .individus qui ont été condamnés à la déportation depuis la
loi du 8 juin 1850. Pour eux, en effet, la loi nouvelle n'eût pas été un
bienfait; elle eût au contraire aggravé leur état; car, en vertu delà
loi du 8 juin 1850, ils n'ont été ni frappés de mort civile, ni soumis
aux deux incapacités empruntées à la mort civile; ils n'ont encouru
que la dégradation civique et l'interdiction légale.
Mais les termes de l'article 6 embrassent aussi les individus con-
damnés à la déportation sous l'empire de la loi de 1832, ceux qui ont
été enfermés clans des forteresses en exécution de leur .peine et qui
ont été frappés de mort civile. La loi du 8 juin 1850, dans son article 8,
a déclaré qu'elle ne les en relevait pas. Sont-ils donc exclus du bé-
néfice de la loi abolitive de la mort civile, alors que les condamnés
aux travaux forcés l'obtiennent? Évidemment non. L'article 6 ne les
concerne pas; c'est un texte de faveur qui vise uniquement les indi-
vidus condamnés à la déportation sous l'empire de la loi de 1850.
Quant aux condamnés antérieurs, leur situation est régie par l'article 5;
l'effet rétroactif de la loi leur est applicable.
peuvent être relevés des effets de la dégradation civique indiqués ci-dessus (art.
12, L. du 30 mai 1854).
3° Condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée. Ils encourent toutes
les déchéances.
— Ils peuvent être relevés des deux premières (art. 4, L. du 31
mai
1854). Ils peuvent recouvrer l'exercice des droits civils, mais sans restitution de
leurs biens (même texte). Ils peuvent être entièrement relevés des effets de la dé-
gradation civique (art. 16, L. du 25 mars 1873).
4° Condamnés à la déportation simple. Ils encourent aussi toutes les déchéances.
— Mais,dès qu'ils sont arrivés au lieu d'exécution de leur peine, ils recouvrent
de plein droit l'exercice des droits civils, et peuvent obtenir la restitution de leurs
biens (art. 16, L. du 25 mars 1873). Ils peuvent recouvrer la capacité de disposer
et de recevoir à titre gratuit (même texte). Ils peuvent, enfin, être entièrement
relevés des effets de la dégradation civique (même texte).
Ainsi, quant à ces condamnés, arrivés au lieu de la déportation, ils voient cesser
de plein droit une partie des conséquences de l'interdiction légale, et, en outre,
ils peuvent, par leur bonne conduite, obtenir la remise entière de toutes les inca-
pacités accessoires à leur peine.
CHAPITRE II

DES PEINES CORRECTIONNELLES

374. Le Code pénal, au chapitre n de son livre Ier, ne présente


comme peines exclusivement correctionnelles que l'emprisonnement
et l'interdiction de certains droits civiques, civils ou de famille. Il ne
dit rien de l'amende, bien qu'il l'ait comprise dans rémunération de
l'article 9. Elle est, en effet, commune aux trois classes d'infractions.
Mais il faut ajouter aux deux peines correctionnelles établies par le
Code plusieurs incapacités qui résultent de lois spéciales. Il faut
aussi se rappeler que, d'après les articles 226 et 227, les auteurs de
certains outrages peuvent être condamnés à faire réparation.

I. PEINE DE L'EMPRISONNEMENT.

CODE PÉN. ART. 40. Quiconque aura été condamné à la peine


d'emprisonnement sera renfermé dans une maison de correction :
il y sera employé à l'un des travaux établis clans celte maison,
selon son choix.
La durée de cette peine sera cm moins de six jours, et de cinq
années au plus ; sauf les cas de récidive ou autres où la loi aura
déterminé d'autres limites.
La peine à un jour d'emprisonnement est de vingt-quatre heures;
celle à un mois est de trente jours.
ART. 41. Les produits du travail de chaque détenu pour délit
correctionnel seront appliqués partie aux dépenses communes de la
maison, partie à lui procurer quelques adoucissements, s'il les mé-
rite, partie à former pour lui,, cm temps de sa sortie, un fonds.xle
réserve; le tout ainsi qu!il.sera ordonné par des règlements d'admi-
nistration publique.
268 DROIT .PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
ART. 23. La durée des peines temporaires comptera du jour où la
condamnation sera devenue irrévocable.
ART. 24. Néanmoins, à l'égard des condamnations à l'emprisonne-
ment prononcées contre les individus en état de détention préalable,
la durée de la peine, si le condamné ne s'est pas pourvu, comptera
du jour du jugement ou de l'arrêt, nonobstant l'appel ou le pourvoi
du, ministère public, et quel que soit le résultat de cet appel ou de-
ce pourvoi.
Il en sera de même dans les cas où la peine aura été réduite, sur
l'appel ou le pourvoi du condamné.
ORDONNANCES DU 2 AVRIL 1817, DU 6 JUIN 1830 ET DU 27
1843.
Loi DU 5 JUIN 1875.

I. En quoi consiste la peine de l'emprisonnement ; comparaison de cette peine


avec la réclusion. — II. Quelle en est la durée. — III. Quel est le jour où lé-
galement elle commence à recevoir son exécution.

I. En quoi consiste la peine de l'emprisonnement 1. —375.


D'après l'article 40, et sauf l'exception faite pour les condamnés mi-
neurs de seize ans par les articles 4 et 10 de la loi du 5 août 18502,
la peine de l'emprisonnement consiste clans la privation de la liberté
avec soumission au travail à l'intérieur de la prison.
Mais, d'après l'article 21, il en est de même de la réclusion. Quelles
sont donc les différences qui séparent ces deux peines? Ce sont les
suivantes, parmi lesquelles il en est qui sont demeurées purement
théoriques, d'autres qui ont peu d'importance, d'autres qui sont con-
traires au voeu de la loi :
1° Aux termes de l'article 21, la réclusion doit être subie dans une
maison de force;- aux termes de l'article 40, l'emprisonnement doit
être subi dans une maison de correction. La loi de 1810 entendait,
en effet, que ces deux sortes de maisons pénales seraient tout à fait
distinctes. Mais elle a rencontré dans l'insuffisance de nos prisons un
obstacle matériel et n'a pu être exécutée que dans une très faible me-
sure; la confusion qu'elle voulait faire cesser s'est maintenue; les
1. Pour les détails, voy. ci-dessous, au titre III, le mode d'exécution de l'em-
prisonnement avant la loi de 1875,et le commentaire .de cette loi.
2. Voy. l'explication de cette loi ci-dessous, au titre III.
PEINE DE L'EMPRISONNEMENT. 269

actes législatifs postérieurs au Code n'ont pu que l'atténuer et, en


quelque sorte, la réglementer. Dès le principe, une ordonnance de
1817 (art. 1) constitua les maisons centrales de détention à la fois
maisons de force pour les condamnés à la réclusion et maisons de
correction pour ceux qui seraient condamnés par voie de police cor-
rectionnelle, en vertu de l'article 40 du Code pénal, à un emprisonne-
ment d'un an ou plus. Elle recommandait d'ailleurs de les placer
dans des locaux séparés. Puis une ordonnance du 6 juin 1830, afin
d'établir un rapport entre la peine qui motive une aggravation légale
au cas de récidive en matière correctionnelle (art. 57 et 58, C. pén.)et
la peine qui doit s'exécuter dans les maisons centrales, décida que ces
maisons recevraient seulement parmi les condamnés à l'emprisonne-
ment ceux qui le seraient à plus d'un an. Enfin, la loi du 5 juin 1875
sur la réforme des prisons départementales (art. 2), estimant que, pour
les individus exposés à l'aggravation légale de la récidive, l'emprison-
nement individuel serait plus efficace, a reculé encore la limite qui
divise en deux catégories les condamnés à l'emprisonnement et dé-
termine ceux qui doivent être envoyés dans les maisons centrales. Ce
sera désormais la condamnation supérieure à un an et un jour. —
De ces textes il résulte que les condamnés à une peine moindre ont
dû et doivent la subir dans les maisons départementales; non pas dans
toutes, quelles qu'elles soient, mais, d'après les articles 603 et 604 du
Code d'Instruction criminelle, dans les prisons établies pour peines
{maisons de correction de l'article 40 du Gode pénal), qui doivent
être entièrement distinctes des maisons d'arrêt établies près des tri-
bunaux d'arrondissement pour les prévenus et des maisons de jus-
tice établies près des cours d'assises pour les accusés. Mais, aujour-
d'hui encore, on ne trouve que dans, un petit nombre de villes une
prison proprement dite, ne servant pas aussi à la détention préventive.
Le plus souvent, la même maison reçoit les condamnés et ceux qui
attendent leur jugement. Seulement, la loi du 5 juin 1875 (art. 1 et 2)
dispose que désormais tous les détenus des maisons départementales
seront individuellement séparés. Lorsque cette loi aura reçu son
exécution, le voeu des articles 603 et 604 du Code d'instruction cri-
minelle sera rempli, pour la catégorie des condamnés à un an et un
jour ou moins d'emprisonnement, dans sa partie la plus essentielle.
2° Une autre différence ressort des articles 21 et 40 : les con-
damnés à l'emprisonnement doivent seuls avoir le choix parmi les
travaux établis dans la prison. Mais, dans la pratique, ils n'exercent
270 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
.

pas cette faculté; pour eux, comme pour les reclusionnaires, c'est
l'entrepreneur qui réglemente la distribution du travail.
3° Une troisième différence, relative à l'affectation des gains résul-
tant du travail des condamnés, semble avoir été faite dans les articles
21 et 41 : les condamnés à l'emprisonnement auraient droit aux deux
tiers des produits de leur travail; les condamnés à la réclusion n'en
recevraient une part, indéterminée d'ailleurs, qu'à titre gracieux.
Quelle qu'ait été, à cet égard, la pensée exacte des rédacteurs du Code,
il n'y a pas à s'en préoccuper; car la loi de 1810 a été remplacée,
sur ce point encore, par des actes législatifs postérieurs. L'ordonnance
du 2 avril 1817 (art. 12) avait d'abord établi, pour les détenus des
maisons centrales sans distinction, une répartition analogue à celle
que fait l'article 41 du Code. Depuis, une ordonnance du 27 décembre
1843, ayant en vue les maisons centrales, mais étendue par un arrêté
du 17 mars 1844 aux maisons départementales, accorde aux con-
damnés à.la réclusion comme aux condamnés à l'emprisonnement une
part bien déterminée des produits de leur travail : cette part est des
quatre dixièmes pour les premiers, des cinq dixièmes pour les autres.
4° En fait, et malgré le voeu de la loi, un grand nombre de con-
damnés à l'emprisonnement ne sont pas assujettis au travail. Ce sont
ceux qui, dans les maisons d'arrêt et dans les maisons de justice, se
trouvent confondus avec les prévenus et les accusés.
5° La réclusion est une peine criminelle infamante, et par consé-
quent serait une cause de séparation de corps, d'après les articles 232
et 306 du Code civil. L'emprisonnement est une peine simplement
correctionnelle.
6° La réclusion, seule, entraîne la dégradation civique et l'inter-
diction légale.
7" Les deux peines ont une durée inégale, et le point de départ en
peut être aussi différent. -
IL Quelle est la durée de l'emprisonnement.
— 376. En règle
générale, elle est de cinq ans au plus et de six jours au moins. Par
exception, au cas de récidive, d'après les articles 57 et 58 du Code
pénal, et au cas où l'emprisonnement est prononcé pour crimes contre
des mineurs de seize ans, d'après l'article 67, le maximum peut être
plus élevé. Le minimum est encore moins inflexible; car l'article 463
du Code pénal permet de l'abaisser, en vertu d'une déclaration de
circonstances atténuantes, jusqu'à celui de l'emprisonnement de
simple police, qui est d'un jour.
PEINE DE L'EMPRISONNEMENT. 271

reste, la règle générale que pose l'article 40 est le plus souvent


An
écartée dans les textes qui prononcent l'emprisonnement : ils déter-
minent pour chaque délit un maximun et un minimum particuliers.
Quelquefois la loi se borne à fixer un maximum. C'est ce qu'elle
a fait, par
exemple, pour l'emprisonnement ajouté comme peine
complémentaire à la dégradation civique (art. 35, C. pén.) et pour
l'emprisonnement qui frappe le condamné à la surveillance, en cas
de rupture de ban (art. 45). Il n'y a pas à hésiter au sujet du mi-
nimum. Il s'agit évidemment d'un emprisonnement correctionnel,
puisque le maximum en est supérieur à celui de l'emprisonnement
de simple police; et dès lors pourquoi ne pas appliquer la règle
générale établie dans l'article 40? Même décision, pour la même
raison, lorsqu'une semblable lacune se rencontre- clans une loi spé-
ciale J.
377. Dans le calcul de la durée de l'emprisonnement, la loi déclare
que le jour sera de vingt-quatre heures et le mois de trente jours.
Par conséquent, de même que neuf jours signifieront neuf fois vingt-
quatre heures, il suffira pour neuf mois de neuf fois trente jours. Le
ministre de la justice a cependant maintes fois décidé 2 que l'empri-
sonnement de plusieurs mois devait se compter d'une date à l'autre ;
il s'est appuyé sur le texte, qui ne prévoit en termes exprès que la
peine à un mois d'emprisonnement, et la cour d'Aix a admis cette
interprétation 3. Mais, si la loi avait fait une telle distinction entre
un mois et plusieurs mois d'emprisonnement, elle se serait autre-
ment exprimée ; on conçoit très bien, d'ailleurs, qu'elle ait voulu
effacer les inégalités qui existent entre les divers mois, afin de rendre
la peine égale pour tous les individus condamnés au même temps
d'emprisonnement.
Quant aux années, elles se compteront d'une date à la date corres-
pondante, de quantième à quantième, d'après le calendrier grégo-
rien.
III. Quel est le point de départ de la durée de l'emprisonne-
ment. — 378. Il est réglé par les articles 23 et 24 du Code pénal.
En principe, d'après l'article 23, la durée de l'emprisonnement,
comme celle des autres peines temporaires, compte du jour où la

1. Arr. de
cassât, du 11 oct. 1855, rapporté par BLANCHE, I, n° 98.
2. Notamment dans les circulaires du 12 déc. 1835, du 16 mai 1840 et du
23 oct. 1841.
3. Arrêt du 15 oct. 1862 (Sir., 63, 2, 60.)
272 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
condamnation est devenue irrévocable. Ce principe est absolu lors-
qu'il s'agit de peines criminelles; et c'est logique, la détention con-
servant un caractère préventif tant que la condamnation n'est pas
exécutoire; mais on a vu 4 que, dans plusieurs cas, ce n'est pas équi-
table. Pour l'emprisonnement, une telle rigueur aurait eu des con-
séquences particulièrement graves. D'une part, la durée de l'empri-
sonnement étant plus courte que celle des peines criminelles, les
condamnés auraient été plus sensibles à cette sorte de prolongation
du châtiment qui résulte des délais placés entre le jour de la condam-
nation et celui où elle devient irrévocable. D'autre part, ces délais
sont en réalité plus longs au cas de condamnation prononcée par les
tribunaux correctionnels, parce que ce ne sont plus seulement les
délais du recours en cassation, mais surtout, d'ordinaire au moins,
les délais d'appel (art. 201 à 205, C. inst. cr.) qui retardent le jour
où le jugement sera exécutoire; et ces délais sont au minimum d'un
mois pour le condamné qui accepte la sentence et la signifie au pro-
cureur général. Enfin, la détention préventive a bien plus d'analogie
avec l'emprisonnement qu'avec les autres peines privatives de la li-
berté, et rien ne choque dans l'imputation de l'une sur l'autre. Ces
motifs ont déterminé, lors de la revision de 1832, à apporter dans
l'article 24, en faveur des condamnés à l'emprisonnement, des excep-
tions au principe. Mais on remarquera que si, dans plusieurs cas, la
détention préventive est comptée pour l'emprisonnement, ce n'est
jamais que du jour de la condamnation. Cette limite légale est-elle
rationnelle? Pourquoi ne pas imputer aussi sur la peine la détention
préventive antérieure au jugement 2 ? Ce serait peut-être affaiblir par
trop l'effet répressif de l'emprisonnement. L'article 24 est une dispo-
sition de faveur, inspirée par un sentiment d'équité sans être com-
mandée par les principes. Le législateur avait le droit de la ren-
fermer dans des limites arbitraires.
379. L'article 24 fait une première distinction, suivant que le con-
damné à l'emprisonnement se trouvait, lors du jugement, en état de
liberté ou en état de détention préventive. Le condamné était-il libre,
la loi ne s'explique pas. Il est naturel de décider que la durée de la
peine comptera du jour seulement où le condamné sera entré dans la
prison où il doit la subir. Quelle est cette prison? La loi. est encore

1. Ci-dessus, n° 335.
2. C'est ce que le Code belge de 1867 a fait dans son art. 30, non seulement
pour l'emprisonnement, mais pour toutes les peines privatives de la liberté.
PEINEDE L'EMPRISONNEMENT. 273
muette. On admet que régulièrement'c'est la maison servant de"
maison de correction dans le lieu où la condamnation a été prononcée ;
on admet aussi que ce peut être une autre maison de même nature
où le condamné a été enfermé en vertu du jugement '. Mais, si le con-
damné, se trouvant absent, a été retenu plus ou moins longtemps,
par mesure provisoire et avant son transférement, dans une maison
de dépôt d'un tout autre caractère que les maisons de correction,
cette sorte de détention préventive est-elle imputable sur la durée de
l'emprisonnement? Je crois qu'il faut ou non l'admettre selon que
l'absence du condamné n'a. pas eu lieu par sa faute ou lui est impu-
table 2.
380. Si, lors du jugement, le condamné à l'emprisonnement était
en état de détention préventive, l'article 24 prévoit formellement deux
hypothèses et implicitement une troisième, en vue desquelles il donne
des décisions diverses qui indiquent bien l'esprit de la loi et doivent
guider dans l'examen des cas omis.
lro hypothèse. Le condamné à l'emprisonnement qui pouvait, soit
appeler du jugement, soit former un pourvoi en cassation, s'en est
entièrement abstenu. La peine commencera du jour du jugement ou
de l'arrêt. Peu importe que le ministère public exerce un recours ;
peu importe le résultat qu'il en obtient : s'il échoue, il a commis une
erreur; s'il réussit, l'erreur émane du tribunal ou de la cour; le
condamné, qui accepte la sentence, n'en doit pas souffrir.
2e hypothèse. Le condamné à l'emprisonnement, sur son appel ou

sur son pourvoi, a fait réduire la peine qui avait été prononcée contre
lui. Il a eu raison de protester contre la première décision. Le temps
qui s'est écoulé depuis le jour de cette décision devra encore s'impu-
ter sur la durée de la peine.
On remarquera que, si le résultat définitif est favorable au con-
damné, la loi s'attache à ce résultat seul, sans faire de distinctions.
Donc peu importerait que le condamné eût d'abord appelé du juge-
ment sans profit, si ensuite, l'artrêt ayant été cassé, il a obtenu de la
juridiction saisie par le renvoi de la cour-suprême une sentence plus
douce. Peu importerait même une série plus compliquée de revers
et de succès; l'article 24 adjuge au condamné le bénéfice entier de

1. V. BLANCHE et l'arrêt de cassation du 23 fév. 1833 qu'il rapporte, I, nos 174,


175.
2. Un arrêt de cassation du 17 déc. 1850, rapporté par BLANCHE, I, n° 17G, me
paraît conforme à cette opinion.
18
274 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Des auteurs1,- cependant, enseignent que, si le con-
-sa résistance.
damné a succombe d'abord en appel (ils supposent que l'appel a été
formé par le ministère public, mais à plus forte raison décideraient-
ils de même s'il émanait du condamné), c'est le jour de l'arrêt, aux
termes mêmes de l'article 24, et non le.jour du jugement qui devient
le point de départ de la durée de la peine. Mais il me semble qu'ils
interprètent inexactement la loi. Le texte, en déterminant d'une
manière alternative le jour du jugement ou celui de l'arrêt comme
le commencement de la peine, suppose d'abord qu'il s'agit d'un juge-
ment de condamnation rendu en première instance et réformé en
appel, auquel cas la durée de la peine compte du jour de ce juge-
ment, et ensuite que c'est un arrêt de condamnation rendu en premier
et dernier ressort qui est cassé et suivi d'une condamnation mitigée,,
auquel cas la durée de la peine compte du jour de cet arrêt. Il ne
prévoit pas formellement l'espèce particulière où le condamné, après
avoir échoué en appel, triomphe en cassation et devant la juridiction
de renvoi. La question qui se présente alors doit être résolue d'après
l'esprit de la loi; et l'esprit de la loi me paraît bien être de n'imposer
au condamné comme condition que le succès définitif, pour faire re-
monter le commencement de sa peine au jour de la première déci-
sion qui l'a frappé.
3° hypothèse. Le condamné forme un recours en appel ou en cas-
sation, mais échoue. Le point de départ de la peine est différé et
placé au jour où son recours a été rejeté. Il n'y a plus lieu de faire
exception en sa faveur à la règle générale de l'article 23, puisque c'est
par sa faute que son incarcération s'est prolongée.
Mais, s'il a successivement formé appel et pourvoi en cassation, et
si, après avoir obtenu en appel une réduction de peine, il a succombé
sur son pourvoi, doit-on, comme dans l'espèce inverse, ne considérer
que le résultat définitif? Non, l'article 24 ne le commande pas. Il faut
encore s'inspirer de l'esprit de ce texte : c'est une disposition de fa-
veur; on entend tenir compte au condamné des délais qui lui ont été
nécessaires pour attaquer utilement la condamnation prononcée
contre lui. Ici, il se trouve avoir eu tort dé former un pourvoi en
cessation, mais il avait eu raison précédemment d'interjeter appel.
En conséquence, le temps qui s'est écoulé entre le jour de la première
décision et celui de l'arrêt rendu par la cour d'appel lui sera compté,

1. CHAUVEAU et F. HÉIIE, I, n° 176.


PEINE DE L'EMPRISONEMENT. 275

mais non celui qui s'est écoulé depuis ce dernier jour jusqu'à celui
de l'arrêt de rejet ou jusqu'à celui où l'arrêt défavorable rendu par
la juridiction de renvoi est devenu définitif *.
Que si, avant l'instance de pourvoi formée sans succès par le con-
damné, une instance d'appel avait été engagée par. le ministère pu-
blic, les délais de cette première -instance-compteraient pour la durée
de la peine, quel qu'en fût le résultat, puisque, d'après l'article 24,
tout retard apporté par le ministère public à l'exécution du jugement
doit ne causer aucun préjudice au condamné 2.
381. L'interprétation de l'article 24 donne lieu à une dernière dif-
ficulté. Lorsque le condamné se désiste, soit de son appel, soit -de
son pourvoi en cassation, le recours qu'il avait formé doit-il être
considéré comme non avenu, de manière que la durée de la peine
compte du jour où la condamnation a été prononcée, ou doit-il être
considéré comme rejeté du jour où il a été donné acte du désiste-
ment, en sorte que ce jour soit le point de départ de la peine? Je
pense que cette dernière solution est la plus sûre. Sans cloute l'article
24 a en vue de faire une faveur aux condamnés à l'emprisonnement,
en dérogeant au principe que les jugements ne sont exécutoires qu'a-
près être devenus irrévocables. Mais il y met des conditions. Le con-
damné s'abstient-il de toute protestation, sa peine est réputée s'exé-
cuter du jour de la sentence.; il a droit d'invoquer la première
disposition de l'article. Exerce-t-il un recours, il perd le bénéfice de
son silence 3; il se replace en état de détention préventive; il se
soumet à la seconde disposition du texte; les délais qui ont couru ne
s'imputeront sur sa peine que s'il réussit dans son recours. Or on ne
saurait assimiler à un succès son désistement. C'est la reconnaissance
par lui-même de la faute qu'il, a commise. Cette faute n'est pas
effacée par l'article 24. Elle aura pour conséquence de retarder le
cours de la peine jusqu'au jour où, le désistement ayant été accepté,
elle aura pris fin.

1. En ce sens, arr. de cassation du 3 juill. 1847 (Sir. 47, I, 741) rapporté par
BLANCHE, I, 145.
2. Voy. en sens contraire, CHAUVEAU et F. HÉLIE, I, n° 176. Suivant ces auteurs,
le condamné a perdu par son pourvoi le bénéfice de son premier acquiescement,
le ne vois rien dans l'article 24 qui autorise à le penser.
3. J'entends dire qu'il
renonce au bénéfice du silence qu'il a gardé jusqu'ici
relativement à la décision qu'il attaque. Si donc cette décision est un arrêt rendu
sur un appel à son avantage ou sur l'appel du ministère public, le temps qui
s'est écoulé depuis la première sentence jusqu'à cet arrêt lui demeure acquis,
eomme je l'ai expliqué plus haut.
276 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
La cour de cassation a confirmé cette interprétation au cas de dé-
sistement d'un appel 1. Mais elle a admis que le désistement d'un
pourvoi devait le rendre non avenu 2. Cette distinction ne saurait se
justifier en droit. Elle repose sur des considérations d'équité. La
cour de cassation estime que le délai donné par la loi pour se pour-
voir, délai de trois jours à compter de la sentence (art. 373, C. Inst.
cr.), est trop bref, le texte du jugement ou de l'arrêt n'étant pas
encore entre les mains des parties, pour que le condamné puisse
former son recours avec réflexion, que dès lors on ne saurait lui
imputer à faute de l'avoir exercé sans de justes griefs, si plus tard il
s'en désiste. Lorsqu'il s'agit de l'appel, au contraire, le délai étant
de dix jours (art. 202, C. Inst. cr.), si le condamné le forme à tort,
c'est à ses risques et périls.

II. PEINE DE L'INTERDICTION DE CERTAINS DROITS.

CODE PÉN. ART. 42. Les tribunaux jugeant correctionnellemenl


pourront, dans certains cas, interdire en tout ou en partie l'exer-
cice des droits civiques, civils et de famille suivants :
1° De vote et d'élection;
2° D'éligibilité;
3° D'être appelé ou nommé aux fonctions de juré ou autres fonc-
tions publiques, ou aux emplois de l'administration, ou d'exercer
ces fonctions ou emplois;
4° Du port d'armes;
5° De vote et de suffrage dans les délibérations de famille;
6° D'être tuteur, curateur, si ce n'est de ses enfants et sur l'avis
seulement de la famille;
7° D'être expert ou employé comme témoin dans les actes;
8° De témoignage en justice, autrement que pour y faire de
simples déclarations.
ART. 43. Les tribunaux ne prononceront l'interdiction mentionnée

1. Voy. l'arr. du 23 nov. 1855 rapporté par BLANCHE, I, ri0 130.


2. Voy. les arrêts de cassation du 2 juill. 1852 et du 20 mai 1853 rapporta
par BLANCHE, I, n° 129.
INTERDICTION DE CERTAINS DROITS. 277

dans l'article précédent que lorsqu'elle aura été autorisée ou or-


donnée par une disposition particulière de la loi.

1. En quoi consiste la peine de l'interdiction de certains droits; comparaison de


cette peine avec la dégradation civique. — II. Quelle en est la durée. — III. Quel
est le jour où elle commence a s'exécuter.

En quoi consiste la peine de l'interdiction de certains


I.
droits. — 382. Tous les droits qui peuvent être l'objet de cette in-
terdiction seraient enlevés aussi par la dégradation civique; et ce
n'est pas seulement l'exercice, comme le dit le texte, mais bien la
jouissance même de ces droits qui est perdue pour le condamné. Il
y a donc une grande analogie entre la peine instituée par l'article
34 et celle qu'établit l'article 42, et cette dernière pourrait être jus-
tement dénommée l'interdiction civique. Mais, d'autre part, les diffé-
rences entre elles sont nombreuses et importantes.
1° Si la dégradation civique embrasse toutes les déchéances énu-
mérées dans l'article 42, elle en comprend d'autres encore : la priva-
tion du droit de porter des décorations, l'incapacité d'être subrogé
tuteur ou conseil judiciaire, celle de faire partie de la garde natio-
nale ou de l'armée, celle de tenir école ou d'exercer des emplois
dans les établissements d'instruction.
2° La dégradation civique n'est pas seulement un ensemble d'in-
capacités plus étendu ; c'est un tout absolument indivisible. Vice
essentiel, qui a des conséquences graves 1. Les déchéances énumérées
dans l'article 42 peuvent toujours, au contraire, être partiellement et
séparément prononcées par le juge, selon les causes, avec un libre
arbitre plus ou moins large suivant les-prescriptions de la loi.
3° La dégradation civique est tantôt une peine principale, tantôt et
le plus souvent une peine accessoire. L'interdiction de certains droits
est toujours une peine complémentaire 2.
4° Comme peine accessoire, la dégradation civique frappe nécessai-
rement le coupable. L'interdiction de certains droits, aux termes de
l'article 43, est tantôt ordonnée, tantôt autorisée par la loi; et, dans
ce dernier cas, les juges peuvent ne pas la prononcer.
Elle est obligatoire d'après les articles 109, 112, 113,171,175,
185, 187, 197, 335.

1. Se reporter ci-dessus, aux n°s 328 et 342.


2, Sur le sens de ce mot, voy. ci-dessus, le n° 274.
278 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Elle est bien plus souvent facultative, surtout depuis la loi de
.

revision de 1863; elle a ce caractère dans les articles 86, 89, 91,123,
142, 143, 155 à 158, 160, 174, 228, 241, 251, 305, 309, 362 à 366,
388, 389, 399, 400, 401, 405, 406, 410, 418.
J'ajoute que, parmi ces textes, les uns spécifient les droits que le
juge devra ou pourra retirer au coupable, les autres, en bien plus
grand nombre, lui laissent la faculté de les choisir lui-même eu égard
aux personnes et aux circonstances.
5° L'interdiction de certains droits n'est qu'une peine correction-
nelle, tandis que la dégradation civique est une peine criminelle in-
famante et serait à elle seule une cause de séparation de corps.
D'autres différences, existent encore entre les deux peines; elles
sont relatives à leur durée et à leur point de départ.
IL Quelle est la durée de l'interdiction. — 383. Cette peine est
presque toujours temporaire. Seuls les articles 171 et 175 du Code
pénal infligent à perpétuité la privation des droits politiques.
L'article 42 ne contient pas sur ce point de règle générale. Ce sont
les textes particuliers qui, dans chaque cas, déterminent la durée de
la peine. Elle est le plus souvent de cinq ans au moins et de dix ans
au plus.
Dans deux cas (art. 89 et 91), la loi a gardé le. silence; on accorde
généralement au juge le pouvoir d'y suppléer.
III. Quel est le point de départ de la durée de l'interdiction.
-*- 384. Tandis que l'article 28 établit pour la dégradation civique
une règle générale et absolue, qui est de la faire encourir du jour où
la condamnation est devenue irrévocable, la loi ne s'explique au
sujet de l'interdiction que dans un certain nombre de cas particuliers,
et le point de départ qu'elle lui assigne est différent : c'est le jour où
le condamné a subi sa peine, c'est-à-dire la peine d'emprisonnement
à laquelle, dans ces cas, l'interdiction est ajoutée.
Lorsque la loi est demeurée muette, que' décider? Si la peine que
l'interdiction accompagne est seulement l'amende (art. 113, 185), il
est clair que l'interdiction commencera dès que la condamnation sera
irrévocable. Si l'interdiction est jointe à l'emprisonnement, on recon-
naît généralement que le juge est libre d'en placer le point de départ
soit au jour où la condamnation sera devenue irrévocable, soit au
jour où l'emprisonnement prendra fin.
Quelle est de ces deux règles la plus rationnelle ? Il semble tout
d'abord qu'il est inutile de retirer à des individus privés de leur
INCAPACITÉS ÉDICTÉES PAR DES.LOIS SPÉCIALES. 279
liberté, durant le temps de leur incarcération, des droits ou facultés
dont ils ne peuvent user. C'est le motif qui a dû inspirer le législa-
teur dans les cas où il s'est expliqué. Mais les condamnés à l'empri-
sonnement peuvent s'enfuir, et plusieurs des droits énumérés dans
l'article 42 sont de nature à être exercés par eux après leur évasion.
De plus, il ne serait pas sans utilité d'enlever la faculté de témoigner
en justice même à ceux qui exécutent réellement leur peine. Enfin,
on conçoit difficilement que des hommes condamnés à perdre cer-
taines facultés le jour. où ils seront libres, les conservent, sauf à n'en
.pouvoir user, pendant qu'ils sont incarcérés.
Quoi qu'il en soit, les juges décideront, suivant la nature des clé-
échéances qu'ils auront à prononcer.

III. INCAPACITÉS ÉDICTÉES PAR DES LOIS SPÉCIALES.

LOI DU 27 JUILLET 1872, SUR LE RECRUTEMENT DE L-'ARMÉE. ART. 7.


LOI. DU 15-27 MARS 1850, SUR L'ENSEIGNEMENT, ART. 26 et 65.
LOI DU 12-27 JUILLET 1875, SUR LA LIBERTÉ DE L'ENSEIGNEMENT,
SUPÉRIEUR. ART. 8.
DÉCRET DU 2-21 FÉVRIER 1852, SUR L'ÉLECTION DES DÉPUTÉS AU
CORPS LÉGISLATIF. ART. 15, 16, 27.
Loi DU 30 NOV.,— 31 DÉC 1875, SUR L'ÉLECTION DES DÉPUTÉS.
ART. 22.
Loi DU,21-24 NOVEMBRE 1872, SUR LE JURY. ART. 2.

385. On a vu que l'article 42 du Code pénal n'attache pas aux conr-


damnations correctionnelles certaines- déchéances qui, faisant partie
de la dégradation civique, seraient une suite des condamnations cri-
minelles *. Cependant il y a des délits assez graves pour que telles ou
telles facultés doivent être retirées à ceux qui les ont' Gommis. Aussi
cette lacune a-t-elle été comblée par des lois spéciales.
1° La loi du 13 juin 1851 (art. 9) attachait à. un grand nombre de
condamnations correctionnelles- l'incapacité- de servir dans la garde
nationale^
2° La loi du 27 juillet 1872 (art. 7) déclare incapables de servir
dans l'armée tous ceux qui « ayant été condamnés à une peine cor-
rectionnelle de deux ans d'emprisonnement et au-dessus, ont en
outre été placés par le jugement de condamnation sous la surveillance

1. Se reporter ci-dessus, au n° 382.


280 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
de la haute police et interdits, en tout ou en partie, des droits civi-
ques, civils ou de famille. »
3° La loi du 15 mars 1850 (art. 26 et 65) déclare incapables de
tenir un établissement public ou libre d'instruction primaire ou se-
condaire, ou d'y être employés « les individus qui ont subi une con-
damnation pour crime ou pour un délit contraire à la probité ou aux
moeurs, et les individus privés par jugement de tout ou partie des
droits mentionnés en l'article 42 du Code pénal. »
La loi du 12 juillet 1875 (art. 8) décide que les mêmes condam-
nations rendront les condamnés incapables d'ouvrir un cours et de
remplir les fonctions d'administrateur ou de professeur dans un éta-
blissement libre d'enseignement supérieur.
On remarquera que ces incapacités de servir dans l'armée et d'en-
seigner sont de véritables peines accessoires, et non pas seulement
des peines complémentaires comme celles qu'énumère l'article 42 du
Code pénall.
386. D'autre part, l'interdiction des droits mentionnés dans l'article
42 du Code pénal n'étant prononcée que dans un nombre restreint de
textes du même Code, et même n'étant le plus souvent que facultative,
les lois spéciales relatives aux élections et au jury ont statué sur quel-
ques-uns de ces droits par des dispositions précises qui aggravent
beaucoup, en ce qui les concerne, le Code pénal.
1° Le décret du 2 février 1852 (art. 15,16 et 27) ajoute une série
considérable de condamnations correctionnelles qui entraîneront l'in-
capacité d'être électeur ou éligible.
Et le décret de 1852 n'a été modifié, en cette matière, par la loi
du 30 novembre 1875 (art. 22) que sur un point depeu d'importance.
2° La loi du 24 novembre 1872 (art. 2) étend à des condamnations
identiques ou analogues l'incapacité d'être juré.
Ces incapacités sont, comme les précédentes, des peines véritable-
ment accessoires 2.

1. Pour le sens de ces mots, se reporter ci-dessus, aux n°s 273 et 274.
2. Il y a d'autres incapacités particulières édictées par des lois spéciales, mais
d'une importance moindre. Elles sont indiquées par. ORTOLAN, II, n»3 1550-1561.
CHAPITRE III

D UNE PEINE COMMUNE AUX MATIÈRES CRIMINELLES


ET AUX MATIÈRES CORRECTIONNELLES.

387. Une seule peine est commune aux matières criminelles et aux
matières correctionnelles sans l'être aussi aux matières de simple
police ! c'est le renvoi sous la surveillance de la haute police. L'a-
mende et la confiscation spéciale, que l'article 11 du Code pénal met
au même rang, forment une catégorie distincte, celle des peines qui
peuvent être prononcées en toute matière.

PEINE DU RENVOI SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE

CODE PÉN. ART. 44 (Loi DU 23 JANVIER 1874). L'effet du renvoi


sous la surveillance de la haute police sera de donner au gouver-
nement le droit de déterminer certains lieux dans lesquels il sera
interdit au condamné de paraître après qu'il aura subi sa peine.
Le condamné devra déclarer, au moins quinze jours avant sa
mise en liberté, le lieu oit il veut fixer sa résidence; à défaut de
cette déclaration, le gouvernement le fixera lui-même.
Le condamné à la surveillance ne pourra quitter la résidence
qu'il aura choisie ou qui lui aura été assignée, avant l'expiration
d'un délai de six mois, sans l'autorisation du ministre de l'inté-
rieur. Néanmoins les préfets pourront donner cette autorisation :
1° dans les cas de simples déplacements dans les limites mêmes de
leur département; 2° dans les cas d'urgence, mais à titre provisoire
seulement.
Après l'expiration du délai de six mois, ou avant même l'expi-
ration de ce délai, si l'autorisation nécessaire a été obtenue, le con-
282 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
damné pourra se transporter dans toute résidence non interdite, à
la charge de prévenir le maire huit jours à l'avance.
Le séjour de six mois est obligatoire pour le condamné dans cha-
cune des résidences qu'il choisira successivement pendant tout h
tenps qu'il sera soumis à la surveillance, à moins d'autorisation
spéciale donnée conformément aux dispositions précédentes, soit
par le ministre de l'intérieur, soit par les préfets.
Tout condamné qui se rendra à sa résidence recevra une feuille
de route réglant l'itinéraire dont il ne pourra s'écarter et la durée
de son séjour dans chaque lieu de passage.
Il sera tenu de se présenter, dans les vingt-quatre heures de son
arrivée, devant le maire de la commune qu'il devra habiter.
ART. 45 (Loi DU 28 AVRIL 1832). En cas de désobéissance aux
dispositions prescrites par l'article précédent, l'individu mis sous
la surveillance- de la haute police sera condamné, par les tribuaux
correctionnesl, à un emprisonnement qui ne pourra excédsr cinq
ans.
ART. 46 (Loi DU 23 JANVIER 1874). En aucun cas la durée de la
surveillance ne pourra excéder vingt années.
Les coupables condamnés aux travaux forcés à temps, à la déten-
tion et à la réclusion seront de plein droit, après qu'ils auront subi
leur peine et pendant vingt années, sous la surveillance de la
haute police.
Néanmoins, l'arrêt ou le jugement de condamnation pourra,n-
duire la durée de la surveillance oit même, déclarer que les con-
damnés n'y seront pas soumis.
Tout condamné à des peines perpétuelles', qui obtiendra conir
mutation ou remise de sa peine, sera, s'il n'en est autrement dis-
posé par la décision gracieuse, de plein droit sous la surveillance de
la haute police pendant vingt ans:
ART. 47 (Lornu 23 JMIVIER 1-874)'.. Les coupables eo-nda-mnés. au
bannissement seront, de plein èroit sous loi même surveillance pen-
dont un temps égal, è la- durée de- ko- peine qu'ils auront subie,, à
moins: qu'il n'en ait été disp-asé autrement par l' arrêt ou le juge-
ment de condamnation-.-
Dans les cas prévus, par le présent article et par-lesparagraphes
2 et 3 de l'article précédent, si l'arrêt ou le jugement ne confient
pas- dispense om réduction de la surveillance; mention sera faite, à
peine-- de: mullité,, qm,'il en a été délibéré.
RENVOI SOUS LA SURVEILLA-NCE' D'E LA HAUTE POLICE. 283
48 (Loi DU 23; JANVIER 1874). La surveillance pourra être
ART.
remise ou réduite par voie de grâce. Elle pourra être suspendue
par mesure administrative.
La prescription de la peine ne relève pas le condamné de la sur-
veillance à laquelle il est soumis.
En cas de prescription d'une peine perpétuelle, le condamné sera
de plein droit sous la surveillance de la haute police pendant, vingt
années.
La surveillance ne produit son effet que du jour où la prescrip-
tion est accomplie.
Devront être renvoyés sous- la même surveillance ceux
ART. 49'.
qni auront été condamnés pour crimes ou délits qui intéressent la
Sîlreté ultérieure ou extérieure de l'État.
ART. 50. Hors les cas déterminés par les articles précédents, les
condamnés ne seront placés sous la surveillance de la haute police
de l'État que d'ans le cas où une disposition particulière de la loi
l'aura permis L.

I. Précédents. — IF. Définition et caractère du renvoi sous la surveillance de la


haute police. —;III. Quelles sont les mesures autorisées: par le renvoi sous,la sur-
veillance, et quelle en est la sanction-; cinq périodes.
— IV. Dans quels cas et
pour quelle durée le renvoi sous la.surveillance est encouru; distinguer suivant
qu'il.est une peine accessoire, complémentaire ou principale; modifications ap-
portées par la loi du 23 janvier 1874 à la législation antérieure.
— V. Comment
il peut prendre fin ; dispositions de la loi nouvelle relatives au terme, à la grâce
et à la prescription.

I. Précédents —. 388. Dans notre ancienne France, déjà, cer-


taines précautions étaient, prises par les ordonnances royales envers

1. Comp. le Code belge de 1867, art. 35-37, et le Code allemand de- 1870, § 38
et 39.
En outre de ses. dispositions générales sur la surveillance, -le Code pénal
a un article 229 qui contient, une disposition particulière en vue du cas de violences
commises envers des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions : Le coupable
pawrra. de plus. être, condamné à s'éloigner,, pendant cinq à dix ans du lieu où siège
le magistrat^ et d'un
rayon de deux myriamètres.
Il existe encore d'ans cet ordre d'idées
une loi' importante, celle du 9 juillet l'852,
pi permet d'iraterdire,pan voie de, mesure administrative le séjour du département
de la Seine et celui des
communes formant l'agglomération Lyonnaise à certaines
catégories de libérés et même à des personnes .qui n'ont pas subi de condamna-
tion, et quii attachent à>
ces interdictions de séjour une sanction, pénale. Mais
c'est une loi politique, dont l'abolition est demandée actaeUeiiaeiîfc
aux Ëhà»m:es,,
284 DROIT PÉNAL. — SYSTEME GÉNÉRAL DES PEINES.
les galériens libérés, que l'on assimilait aux vagabonds et aux gens
sans aveu; elles consistaient surtout à leur prescrire une vie
sédentaire et le travail, et à leur interdire le séjour de Paris et
d'autres lieux; en cas de désobéissance, ils étaient ordinairement
renvoyés aux galères 1. C'était en germe, la surveillance de la haute
police.
Rien, sur ce point, dans les Codes du 25 septembre 1791 et du
3 brumaire an IV.
Le principe de la surveillance fut introduit dans le sénatus-con-
sulte du 28 floréal an XII, pour les individus jugés par la haute cour.
L'article 131 portait : Lorsque la haute cour acquitte, elle peut
mettre ceux qui sont absous sous la surveillance ou à la disposition
de la haute police de l'État'.
Puis deux décrets, statuant à l'égard des forçats libérés, vinrent
tenter par de premiers essais l'organisation de la surveillance. Le
décret du 19 ventôse an XIII laissait aux libérés, sauf quelques res-
trictions, la faculté de choisir leur résidence; ils devaient seulement
l'indiquer, afin que l'autorité locale, prévenue, put exercer sur eux
une surveillance particulière. Peu de temps après, le décret du
17 juillet 1806 développa ce système et l'aggrava même au point de
le dénaturer. Tout d'abord il augmenta le nombre des lieux légale-
ment interdits aux libérés. De plus, il donna au ministre de la police
le pouvoir d'interdire aux libérés d'autres lieux à son gré, comme
mesure d'ordre et de sûreté publics, et même de les,déplacer des
lieux qu'ils auraient choisis pour les diriger sur d'autres lieux.
Enfin il leur défendit de changer de résidence sans une autorisation
administrative. C'était à peu près les astreindre à la résidence forcée.
Et dans quelle situation! Le surveillé, après s'être rendu au moyen
d'une feuille de route clans la commune qu'il devait habiter, recevait
de l'administration de la marine un congé portant l'ordre en vertu
duquel il était libéré et le numéro sous lequel il avait été détenu au
bagne; c'était avec cette recommandation qu'il avait à trouver du
travail !
II. Définition et caractère du renvoi sous la surveillance de
la haute police. — 389. Si l'on s'attache à son effet principal et con-
stant, on peut définir le renvoi sous la surveillance de la haute police:

1. V. ORTOLAN, I, p. 562; BONNEVILLE, Des institutions complémentaires du



système pénitentiaire, p. 336.
RENVOI SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE. 285

une peine consistant dans le droit, conféré au gouvernement par la


loi ou par le juge en vertu de la loi, de restreindre pour le condamné
la liberté naturelle qui appartient atout individu de fixer et de chan-
ger à son gré le lieu de sa résidence.
Les articles 44 à 50 du Code pénal présentent le renvoi sous la
surveillance comme une peine accessoire ou complémentaire qui
s'ajoute et succède à une peine privative de la liberté. C'est en effet
son rôle ordinaire. Mais il est aussi quelquefois prononcé comme
peine unique et principale; on en trouve des exemples dans les ar-
ticles 100, 108, 138, etc. du Code pénal.
Il est évident que le renvoi sous la surveillance de la haute police
est une peine, puisque le Code l'a ainsi qualifié clans la rubrique du
livre Ier, dans celle du chapitre m de ce livre et surtout dans l'ar-
ticle 11. Aussi n'appartient-il qu'aux tribunaux de le prononcer et ne
leur est-il permis d'y condamner que les individus déclarés pénale-
ment coupables'.
Mais cette peine offre ceci de singulier qu'elle a pour but, non
l'expiation du délit, qui se trouve accomplie avec la peine principale
ou dont remise a été faite au coupable, mais uniquement la protection
de la société contre le danger des récidives. A ce point de vue, la
surveillance de la haute police est une mesure complémentaire du
système pénal ; elle suit le libéré que l'on suppose dangereux pour
l'empêcher de nuire, comme le patronage suit le libéré que l'on sup-
pose amendé pour l'aider à se reclasser dans la société. Elle n'a
même eu que ce caractère dans le principe, jusqu'en 1810. C'est le
Code de l'Empire qui en a fait une peine ; et, comme on le verra, la
loi du 23 janvier 1874, qui l'a réglementée en dernier lieu, lui a
restitué beaucoup de sa première nature, en permettant aux juges
d'en dispenser les coupables qu'ils ne croient pas dangereux, à l'ad-,
ministration de la suspendre pour les libérés qui font concevoir de
sérieuses espérances de bonne conduite, au chef de l'Etat de la re-
mettre entièrement, soit au moment de leur sortie de prison, soit
plus tard, à ceux qu'il estime suffisamment corrigés 2.

1. C'est pourquoi les mineurs de 16 ans acquittés pour avoir agi sans discerne-
ment, aux termes de l'art. 66, n'y pourraient être soumis (V. ci-dessus, n°227).
On trouvera ci-dessous,au n° 396, une autre application de l'idée que le renvoi
sous la surveillance est une peine proprement dite.
2. Aussi aurai-je à examiner de nouveau la surveillance, comme institution com-
plémentaire du système pénal, ci-dessous, dans le titre III.
286 DROIT .PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES..
III. Quelles sont les mesures autorisées par le renvoi sous
la surveillance de la haute police, et quelle en est la sanction.
390. Dans l'expérience tentée avant le Gode de 1810, on inventa

trois modes de surveillance, tantôt .appliqués isolément, tantôt com-
binés ensemble.
L'un deux est si naturel et si nécessaire qu'il a été constamment en
usage : il consiste à interdire aux surveillés l'accès de certains lieux,,
dont la désignation est faite par la loi ou laissée au .gouvernement.
On ne saurait, en -.effet, par exemple, permettre le séjour des grandes
villes à des hommes suspects qui y trouveraient trop de facilités pour
se cacher et pour s'associer entre eux en vue de nouveaux méfaits ; il
pourrait être également, dans bien des cas, imprudent d'autoriser le
retour du libéré dans les lieux où il a commis son crime. Aussi cette
première mesure a-t-elle été maintenue sans interruption sous tous
les régimes de surveillance qui se sont succédé depuis 1810.; et dé-
sormais, sans que j'aie besoin d'en faire, mention, il sera toujours
entendu qu'elle est permise.
Les deux autres consistent, soit à confiner l'individu soumis à la
surveillance dans un lieu déterminé dont il ne pourra s'éloigner sans
autorisation, soit à Je laisser libre de choisir le lieu de sa résidence
et d'en .changer, à de certaines conditions qui permettront à la police
de ne pas le perdre de vue. Chacun de ces deux systèmes a ses avan-
tages et surtout ses inconvénients. Le premier, qui est le plus rigou-
reux pour le surveillé, rend le contrôle de ses actes très facile ; mais
il le place presque fatalement clans l'alternative de mourir do misère
ou de rompre ses entraves ; le second, bien plus favorable au sur-
veillé, lui laisse une liberté de se mouvoir dangereuse pour la sûreté
publique. En somme, il est si difficile de savoir lequel de ces deux'
systèmes est le moins mauvais que, depuis 1810, la législation sur ce
point a changé cinq fois, adoptant tour à tour avec quelques modifi-
cations l'un ou l'autre.
De même, il y a deux sortes de sanction possibles aux prescrip-
tions concernant la surveillance .: ou bien le gouvernement aura le
pouvoir d'enlever au surveillé insoumis toute liberté et de remplacer
pour lui la surveillance par quelque autre mesure de haute police;
ou bien la rupture du ban de surveillance sera érigée en délit et
frappée par les tribunaux d'une peine spéciale qui suspendra, pen-
dant sa durée, la surveillance. Ces deux sortes de sanction ont été
aussi successivementappliquées.
RENVOI SOUS LA SBRVEILLANGE DE LA HAUTE POLICE. 287
Première période: de 1810 à 1832.
— 391. Aux termes des
articles M, 45 et 46 du Gode de 1810, les individus condamnés :à la
surveillance étaient traités bien différemmentsuivant que, après 'avoir
subi leur peine, ils offraient ou non une caution solvable de 'bonne
conduite jusqu'à la somme fixée à l'avance par l'arrêt ou le jugement.
Celui qui offrait cette caution devait recouvrer sa liberté pleine et
.entière; s'il venait à commettre quelque nouveau délit, dans l'inter-
valle déterminé par l'acte de cautionnement, la personne qui -s'était
portée caution pour lui était tenue de payer la somme d'argent qu'elle
avait promise. Celui qui n'offrait pas cette caution demeurait à la
disposition du gouvernement, qui avait le droit de lui assigner un
lieu de résidence comme de l'éloigner de certains lieux, et, s'il
n'obéissait pas, de le faire arrêter et détenir, sans jugement, par voie'
de mesure administrative, durant un temps égal à celui de la
sur-
veillance, c'est-à-dire, dans nombre de cas, pendant toute sa vie.
Ce système était trop rigoureux, inefficace et injuste : trop rigou-

reux pour ceux qui subissaient la surveillance; inefficace envers ceux


qui en étaient affranchis, le cautionnement n'étant pas une garantie
sérieuse ; injuste en ce -qu'il créait une inégalité -entre les libérés,
fondée non sur leur moralité, mais sur la bonne fortune qu'avaient
les uns et que n'avaient pas les autres de trouver une caution.
L'insuffisance du cautionnement devint de bonne -heure évidente.
On y remédia par une interprétation de la loi des plus arbitraires.
Le conseil d'État, dans ses avis du 4:août et du 20 septembre 1812,
décida que le cautionnement était établi -dans l'intérêt du gouverne-
ment seul ; que par conséquent le gouvernement pouvait mettre le
condamné dans l'alternative de le fournir ou de rester à sa disposi-
tion, sans que le condamné eût le droit réciproque de le lui imposer
pour demeurer libre. Désormais, la loi fut égale pour tous les indi-
vidus renvoyés sous la surveillance, et ce fut le gouvernement qui
eut la faculté de -faire entre eux des distinctions.
Deuxième période : de 1832 à 1851. — 392. Le système du.Code,
surtout depuis 1812, avait eu pour base la résidence forcée et 'Con-
tinue. La loi de revision de 1832 lui substitua le mode de surveil-
lance oppo'sé. D'après le nouvel article 44, le condamné retenait le
droit de fixer lui-même et de changer le lieu de sa résidence. Seule-
ment il devait, avant sa mise en liberté, déclarer le lieu par lui
choisi, et s'y rendre au moyen d'une feuille de route réglant son
itinéraire et la durée de son séjour dans chaque lieu de passage. Il
288 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
devait, de plus, dans les vingt-quatre heures de son arrivée, se pré- !

senter devant le maire de la commune. Enfin, lorsqu'il voulait chan-


ger de résidence, il devait, trois jours à l'avance, indiquer au maire
de la commune le lieu qu'il avait le projet d'habiter et recevoir de
lui une nouvelle feuille de route.
Le nouvel article 45 fit de la désobéissance à ces.prescriptions un
délit spécial, puni d'un emprisonnement de cinq ans au plus 1.
Troisième période: de 1851 à 1870. — 393. Le second Empire
se hâta de rétablir le système de 1810, sans le cautionnement. Un
décret du 8 décembre 1851 (art. 3) rendit au gouvernement le droit
de fixer à l'avenir la résidence des condamnés. L'article 44 du Code
pénal se trouva virtuellement abrogé.
Quant à la sanction, le décret laissa subsister celle qui avait été in-
troduite à titre de peine, en 1832, dans l'article 45 ; mais il y joignit
(art. 1 et 6) la faculté pour le gouvernement de transporter à Cayenne
ou en Algérie, pour cinq ans au moins et dix ans au plus, l'individu
déclaré coupable de rupture de ban, par mesure de sûreté générale.
L'administration avait le choix entre l'application de la peine d'empri- '
sonnement prononcée par les juges et l'exercice de sa prérogative.
Quatrième période : de 1870 à 1874. — 394. Après une expé-
rience de vingt ans, le gouvernement impérial lui-même, d'accord
avec les représentants de la nation, reconnut que ce mode de surveil-
lance était pire encore que l'autre. Le 17 juin 1870, le Corps légis-
latif, .à l'unanimité, vota une loi dont l'article 1 abrogeait le décret
de 1851, et dont l'article 2 remettait en vigueur l'article 44 du Code
pénal tel que l'avait fait la revision de 1832. Mais, au Sénat, cette
loi rencontra des résistances ; puis survint la chute de l'Empire.
Peu de temps après, un décret du Gouvernement de la défense na-
tionale, en date du 24 octobre 1870, achevait, mais hâtivement,
l'oeuvre interrompue. Il était ainsi conçu : « ART. 1. Le décret du 8 dé-
cembre \8&i et la loi du 27 février 1858 (c'était la loi dite- de sûreté
générale) sont abrogés. —:ART. 2. L'effet du renvoi sous la surveil-
lance de la haute police sera ultérieurement réglé. » Cet article 2,
rédigé en termes équivoques, souleva des difficultés sérieuses. Vou-
lait-il dire que rien ne remplacerait le décret de 1851, tant qu'un
nouvel acte n'aurait pas statué sur ce point ? Ou bien signifiait-il que
provisoirement la loi antérieure au décret de 1851, celle de 1832, re-
1. Ce système est encore celui de la Belgique; mais la peine est moins forlc;
Y. les art. 35 et 338 du Code belge de 1867, et HAUS, II, n° 708.
RENVOI SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE. 280
vivrait? Des tribunaux de police correctionnelle admirent la première
opinion et renvoyèrent absous les individus traduits devant eux comme
prévenus de rupture de ban. Leurs décisions furent généralement ré-
formées par les cours d'appel. La cour de cassation n'eut pas à se pro-
noncer. Mais le ministre de l'intérieur, dans une circulaire du 4 no-
vembre 1871, appuya le sentiment des cours d'appel; et, malgré la
doctrine contraire exprimée, quelques mois après, par la commission
de révision des décrets du Gouvernement de la défense nationale, je
crois que les cours d'appel et le ministre avaient raison. Il est inadmis-
sible que les auteurs du décret de 1870 aient eu l'intention de laisser
non réglementée, pendant un temps indéterminé, la surveillance de
la haute police. Ainsi, dans cette quatrième phase, la législation fut
la môme que dans la seconde.
Cinquième période : Loi dît 23 janvier 1874. —395. La loi qui régit
actuellement le renvoi sous la surveillance de la haute police est re-
venue au système qui avait été organisé par la loi de 1832. C'est ce
qui résulte de l'article 44 du Code pénal, modifié pour la troisième
fois. Mais elle a tenté d'en corriger le défaut principal, qui était de se
prêter avec trop de complaisance aux déplacements et voyages inces-
sants des surveillés. Les libérés conservent en principe la faculté de
choisir et de changer le lieu de leur résidence ; ils ont une feuille
de route pour s'y rendre et sont tenus, à leur arrivée, de se présenter

au maire. Mais, d'après le § 1er de l'article 44, le condamné


doit déclarer, au moins quinze jours avant sa mise en liberté,
le lieu qu'il veut habiter, tandis que la loi de 1832 ne lui fixait aucun
délai; et, à défaut de cette déclaration, c'est le gouvernement qui lui
assigne sa résidence; ou réserve ainsi à l'administration le temps
d'examiner s'il ne convient pas, pour quelque raison d'intérêt public
ou privé, d'interdire au condamné le lieu qu'il a choisi. D'autre part
et surtout, la loi nouvelle apporte des restrictions à la liberté de chan-
ger do résidence. Le § 3 de l'article 44 ne permet au condamné son
déplacement qu'après un séjour d'au moins six mois, si ce n'est dans
des cas exceptionnels remis à l'appréciation, soit du ministre de l'in-
térieur, soit du préfet, et à la charge de prévenir le maire huit jours
à l'avarice.l

1.Pour tes détails de ce système de surveillance, qui ont été précisés par un
décret du 30 août 1875 et par une circulaire du ministre de l'intérieur aux préfets
(lu 5 novembre 1875, comme aussi pour l'appréciation que j'en lais en le comparant
à celui de 1832 et à celui de 1851, voir ci-dessous, au titre 111, le cliap. n, g 3.
19
290 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
396. L'article 45, relatif à la sanction des devoirs imposés aux sur-
veillés, est maintenu tel que l'avait fait la loi de 1832, et tel que, sous
l'empire de cette loi, lajurisprudence l'avait interprété.
397. La désobéissance aux prescriptions du gouvernement est un
délit, que le décret du 8 décembre 1851 a nommé rupture de ban
(rupture du ban de la surveillance). Quel en est l'élément matériel?
Il suffit pour le constituer d'une simple infraction de la part du con-
damné à quelqu'une des mesures organisées par l'article 44 et prises
contre lui. Quel en est l'élément moral? Pour que le contrevenant soit
déclaré coupable, il n'est pas nécessaire qu'il ait eu l'intention de
violer la loi; il suffit qu'il soit en faute 1.
398. C'est un délit de police correctionnelle, puisque la loi le frappe
d'une peine correctionnelle. (Argum. des art. 1,40 et 465 du G. pén.)
Par conséquent, l'emprisonnement que l'article 45 prononce, en lui
assignant un maximum de cinq ans, aura un minimum de six jours
(art. 40, G. pén.)
Par conséquent encore, les juges compétents seront les tribunaux
de police correctionnelle; sauf, au cas où Fidendité du prévenu se-
rait douteuse, l'application des articles 518 et suivants du Code d'ins-
truction criminelle.
Par conséquent enfin, si le libéré en rupture de ban se trouve avoir.
subi déjà une condamnation portant un emprisonnement de plus
d'une année, il est en état de récidive; le maximum de cinq ans parte
par l'article 45 devient un minimum et sa peine peut être élevée jus-
qu'au double ; car il tombe sous l'application des articles 57 et 58 du
Code pénal.
Il est vrai qu'il n'en est pas ainsi dans le cas où la condamnation
antérieure est précisément celle d'où dérive, la surveillance qui a
donné lieu au délit actuel. Par rapport à cette condamnation, en effet,
la rupture de ban est moins un délit nouveau que l'inexécution de la
peine. Et d'ailleurs l'article 45, prévoyant cette hypothèse, fixe un
maximum de cinq ans qui ne peut-être excédé 2.
Mais la rupture de ban serait une récidive aggravante, si elle se-
combinait avec une autre condamnation distincte 'de celle qui est la
cause de la surveillance. Il en serait ainsi, par exemple, si un individu,

1. C'est ainsi qu'il faut entendre un arrêt de cassation du 25 janv. 1868, rendu
sur ce point.
2. Arr, de cass. du 15 juin 1837.
RENVOI SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE. 201

après avoir été condamné pour vol à un emprisonnement de plus d'un


an, commettait un meurtre, subissait la réclusion, puis, renvoyé sous
la surveillance, venait à rompre son ban. Ce dernier délit se combi-
nerait avec la première condamnation prononcée pourvoi. Il en serait
de même si cette condamnation pour vol qui, dans l'espèce, constitue

avec la rupture de ban qu'elle a précédée la récidive, était posté-


rieure à celle qui a porté pour meurtre la réclusion et la surveil-
lance1.-
399. L'emprisonnement prononcé en punition de la rupture de ban,
comme toute autre peine infligée pour tout autre délit, suspendra le
renvoi sous la surveillance. Si, par exemple, un individu mis en sur-
veillance pour cinq ans vient, trois ans après, à violer quelque pres-
cription de l'article 44 et à subir pour ce fait un emprisonnement de
deux ans, il se retrouvera, au moment de sa libération, sous la sur-
veillance pour deux ans encore. C'est une conséquence de l'idée que
la surveillance est elle-même une peine restrictive de la liberté,

ne pouvant peser que sur les individus qui sans elle seraient
libres, et du principe que deux peines ne sauraient s'effectuer en
même temps, lorsque l'exécution de l'une est incompatible avec
celle de l'autre. La cour suprême l'a décidé deux fois dans la même
affaire : une première fois, par arrêt de la chambre criminelle du
5 septembre 1840, cassant une décision de la cour de Paris ; une se-
conde fois, par arrêt des chambres réunies du 19 mai 1841, cassant la
décision de la cour d'Orléans qui, sur le renvoi, s'était prononcée
comme la cour de Paris
IV. Dans quels cas etpour quelle durée le renvoi sous la sur-
veillance est encouru. —400. A ce point, de vue, la législation de 1810
n'a reçu de modifications qu'en 1874. Mais, sous l'une et l'autre des
tleuxpériodes qui se sont ainsi succédé, il faut distinguer suivant que
la surveillance de la haute police a le caractère de peine accessoire,
ou celui de peine complémentaire, ou celui de peine principale 3.
1° Des cas où le renvoi sous la surveillance est une peine acces-
soire.— 401. En cette qualité, la mise en surveillance de la haute po-
lice était attachée par les articles 47 et 48 du Code pénal de 1810 aux
peines des travaux forcés à temps, de la réclusion et du bannissement.'

1. AIT. de cass. du 16 nov. 1856, rapporté par BLANCHE, I, n° 227, p. 277.


2.. Ces diverses décisions sont rapportées par BLANCHE, I, n° 204.
3. Pour le sens de ces mots, se reporter ci-dessus, aux nos 271-274.
292 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Lors de la révision de 1832, l'article 47 l'étendit à la peine de la dé-
tention.
Les condamnés aux. travaux forcés à temps, à la réclusion et à la
détention l'encouraient pour toute la vie. Les condamnés au bannis-
sement l'encouraient pour un temps égal à celui de la peine princi-
pale.
402. Sous ee rapport,'la mise en surveillance de la haute police a
reçu de la loi du 23 janvier 1874 des modifications profondes.
Elle est encore de plein droit la conséquence des condamnations aux
peines criminelles temporaires (art. 46, §2, et 47, § 1).
-Mais, tout d'abord, elle ne l'est plus pour la vie. La loi nouvelle a
fixé un maximum qui ne pourra être dépassé dans aucun cas, celui de
vingt années (art. 46, § 1). Elle l'applique à la surveillance qui suit
les condamnations aux travaux forcés à temps, à la détention et à la
réclusion (art. 46, § 2 ), en conservant à la surveillance qui suit le
bannissement son ancienne durée (art. 47, § 1).
De plus et surtout, elle est devenue une peine accessoire d'une na-
ture toute particulière. Auparavant, elle était, comme toute peine ac-
cessoire, non seulement la conséquence virtuelle et tacite, mais la
conséquence nécessaire des peines principales auxquelles on l'aval
ajoutée. Or il y avait souvent dans cette aveugle rigueur excès ou
injustice. La surveillance a pour objet de soumettre à des mesures
préventives les hommes réputés dangereux à raison des crimes qu'ils
ont commis. Mais ces crimes ne sont pas tous les mêmes, ni ces cri-
minels tous également redoutables : les crimes d'ordre politique ne
témoignent pas ordinairement d'une perversité comparable à celle
que dénotent les crimes de droit commun; les crimes de même ordre
sont de natures diverses, puisqu'ils sont frappés de peines diffé-
rentes; les crimes de même nature sont de gravité inégale, puis-
que le juge peut faire varier la peine dans les limites d'un, maximum
et d'un minimum. Il y avait donc beaucoup de distinctions à faire là
où les lois de 1810 et de 1832 avaient établi une règle unique et ab-
solue, et ces distinctions devaient être laissées à l'appréciation dn
juge qui, mieux que la loi, sait à quel point tel coupable sera en ren-
trant dans la société un homme dangereuxi.
S'inspirant de ces considérations, la loi de 1874 n'a laissé à la mise
en surveillance son caractère accessoire que sous cette réserve :
1. MM. CiiAUVEAU et F. HÉLIE avaient signalé l'urgence de cette réforme, (I,
il" 111),
RENVOI SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE. 203

«
néanmoins l'arrêt ou le jugement de condamnation pourra ré-
duire la durée de la surveillance ou même déclarer que les con-
damnés n'y seront pas soumis-» (art. 46, § 3, 47, § 1). Ainsi,
maintenant, en matière criminelle, la mise en surveillance a ce ca-
ractère singulier d'être une peine à la fois accessoire et facultative.
Et, comme il était à craindre que le juge n'oubliât le droit si im-
portant qui lui était conféré, la loi l'oblige à y porter son attention,
en statuant que « si l'arrêt ou le jugement ne contient pas dispense
ou réduction de la surveillance, mention sera faite, à peine de nul-
lité, qu'il en a été délibéré » (art. 47, § 2) 1.
403. Le Code de 1810 était muet sur les condamnés aux peines per-
pétuelles. On avait sans doute pensé que pour eux, destinés à ne ja-
mais recouvrer la liberté, la surveillance de la haute police n'avait pas
de raison d'être. Mais on avait oublié qu'ils peuvent obtenir une com-
mutation substituant à leur peine perpétuelle une des peines tem-
poraires indiquées dans les articles 47 et 48. A la vérité, il était pro-
bable que les lettres de grâce ne rendraient temporaire la peine
commuée qu'en lui adjoignant la surveillance. Mais enfin, en l'absence
de cette réserve, que fallait-il décider? Les uns 2, prenant le texte à

1. La cour de cassation a déjà fréquemment appliqué et précisé cette règle.


Elle a cassé les arrêts qui l'avaientméconnue; mais elle ne les a cassésqu'au point
de vue de la surveillance, et en ne donnant pouvoir qu'à cet égard à la cour de
renvoi. Ainsi, par un premier arrêt, du 4 avril 1874 (Dali. 1874, I, 328) et d'autres
en grand nombre, elle a cassé des arrêts de cours d'assises pour n'avoir pas fait
la mention ordonnée par l'art. 47. Ce n'est pas qu'elle exige une formule conforme
au texte de l'art. 47; il suffit qu'il ressorte des dispositions de l'arrêt qu'il y a
eu au sujet de la surveillance une délibération spéciale; c'est ce que déclare un
arrêt du 3 septembre 1874 (Bull. cr. 79, p. 475). Mais il faut du moins que cette
délibération spéciale ait eu lieu, d'après les indications de l'arrêt; et, le 11 fé-
vrier 1875 (Dali., 1875, I, 395), la cour suprême a cassé un arrêt de cour d'assises
Qui avait fixé
au maximum la durée de la surveillance, on se bornant à viser l'art. 46
et à faire mention d'une délibération générale. Enfin, quand même le condamné se
trouverait déjà, par suite d'une condamnation antérieure à la loi de 1874, soumis
Pour la vie à la surveillance, l'arrêt portant une nouvelle condamnation criminelle
devrait contenir la constatation d'une délibération spéciale sur la surveillance attacbée
à la nouvelle peine. En effet, le condamné y a intérêt pour le cas où il obtiendrait
la remise par voie de grâce de la surveillance antérieurement encourue : en l'ab-
sence d'une délibération à la suite de laquelle peut-être la surveillance attachée
a sa dernière peine aurait été supprimée ou réduite, il serait de plein droit sous
celle surveillance pour vingt années. C'est ce que la cour de cassation a déclaré
par ses arrêts du 18 nov. 1875 (Dali. 1876, I, 192) et du 28 sept. 1876 (Sir. 1876,
1, 487).
2. CHAUVEAU et F. HÉLIE, I, n° 112; — BOITARD, n» 105; — TBÉHHÏIEN, I,p. 247
294 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
la lettre et faisant remarquer que la surveillance n'était l'accessoire que
des condamnations aux travaux forcés à temps, à la détention, etc.,
pensaient qu'elle ne pouvait juridiquement être infligée dans l'espèce;
que l'omission commise par la loi, non réparée dans les lettres de
grâce, devenait irréparable. Les autresd, répondaient que la surveil-
lance était moins l'accessoire des condamnations que des peines elles-
mêmes. Ils avaient raison ; il en était, à cet égard, de la surveillance
comme des autres peines accessoires : si, antérieurement à la loi du
31 mai 1854, une condamnation aux travaux forcés à perpétuité, dont
la conséquence était la mort civile, mais non la dégradation civique
ni l'interdiction légale, avant d'être exécutée avait été suivie d'une
commutation convertissant la peine prononcée en celle des travaux
forcés à temps, aurait-on pu soutenir, en s'attachant aux termes des
articles 28 et 29 du Code pénal, que la dégradation civique et l'inter-
diction légale, en l'absence d'une condamnation formelle aux travaux
forcés à temps, étaient inapplicables? Et d'ailleurs, il me semble qile
toute condamnation à une peine perpétuelle contient virtuellement
en elle telle condamnation à une peine inférieure que le chef de
l'État jugera devoir lui substituer, que c'est précisément pour cela cpie
le gouvernement peut remplacer celle-là par cette dernière sans vio-
ler le principe de la séparation des pouvoirs, et que, dans l'espèce,
il peut, en commuant la peine prononcée, ajouter à celle qu'il lui sub-
stitue la surveillance de la haute police.
C'était en ce dernier sens que décidait la jurisprudence 2.
C'est aussi en ce sens que la loi du 23 janvier 1874, faisant cesser
toute controverse, a formellement statué dans l'article 46, § 4 : « toul
condamné à des peines perpétuelles, qui obtiendra commutation de
sa peine, sera, s'il n'en est autrement disposé par la décision gra-
cieuse, de plein droit sous la surveillance de la haute police pendant
vingt ans. »
2° Des cas où le renvoi sous la surveillance est une peine complé-
mentaire. — 404. En cette qualité, la surveillance de la haute police
était l'objet des articles 49 et 50 du Code pénal de 1810. La loi du
23 janvier 1874 a laissé intact le texte de ces dispositions. Elle ne les

1. BLANCHE, I, n° 200; — BERTAULD, p. 269.


2. Tribun, de la Seine, 29 juillet 1852 (Sir., 52, II, 551); — Paris, 9 février
1855 (Sir., 55,11, 111.) — Ces décisions étaient d'autant plus remarquables qu'elles
étaient intervenues à propos de commutations de la peine de mort prononcée par
des conseils de guerre.
RENVOI SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE. 295

a modifiées, au fond, que d'une manière indirecte et sur un point :


l'article 46, § 1 déclare que jamais la durée de la surveillance
ne pourra excéder vingt années ; ce maximum s'impose par conséquent
aux juges -dans les cas où antérieurement ils auraient pu prononcer
cette peine pour la vie. Sous tous les autres rapports, les articles 49
et 50 sont demeurés ce qu'ils étaient; les quelques difficultés aux-
quelles ils donnent lieu n'ont pas été résolues par voie législative.
405. Comme peine complémentaire, le renvoi sous la surveillance
de la haute police est ordonné ou permis en matière correctionnelle

ou, plus exactement, dans certains cas où le juge prononce des peines
correctionnelles.
II est attaché, non pas précisément à ces peines, mais à des crimes
ou délits qui révèlent en leurs auteurs, d'après la loi, des hommes
dangereux et à surveiller.
N'étant pas la conséquence tacite et nécessaire d'autres peines, il
doit être formellement prononcé par le juge. A défaut d'une disposi-
tion spéciale du jugement ou de l'arrêt, le ministère public devra re-
courir en appel ou en cassation pour faire réparer cet oubli; à défaut
de recours du ministère public dans les délais légaux, le condamné
ne sera pas soumis à la surveillance.
Le renvoi sous la surveillance ne peut frapper le coupable sans
avoir été judiciairement prononcé; mais, du reste, il est tantôt obliga-
toire, comme le sont d'ordinaire les peines édictées par la loi, tantôt
facultatif.
406. Aux termes de l'article 49, il est obligatoire envers ceux qui
seront condamnés pour crimes ou délits intéressant la sûreté de l'État.
Ces faits sont prévus dans les articles 75 à 108 du Code pénal 1.
On comprend que les condamnés pour délits intéressant la sûreté
de l'État (les délits de police correctionnelle de cette nature, prévus
dans les articles 75 à 108, sont d'ailleurs très rares) soient considérés
par la loi comme dangereux pour la sûreté publique et, n'étant frap-
pés que de peines correctionnelles, soient en outre assujettis à la sur-
veillance. Mais pourquoi faire un devoir aux juges de prononcer le

1. La loi du 24 mai 1834, sur la détention d'armes ou munitions de guerre, forme


en outre une législation à part qui permet, en punition de certains délits, le
renvoi sous la surveillance de la haute police pour deux ans au plus, sans mini-
mum (art. 4), et, en punition de certains crimes, au cas de circonstances atté-
nuantes, le renvoi sous la surveillance pour un temps qui ne pourra excéder le
maximum de la durée de l'emprisonnement prononcé par la loi (art. 11).
296 DROIT PÉNAL. - SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

renvoi sous la surveillance envers les condamnés pour crimes intéres-


sant la sûreté de l'État? Ces crimes sont punis, dans les articles 75
à 108, soit delà déportation qui, dans le système de la loi, n'entraîne
pas la surveillance, soit des travaux .forcés à temps et surtout de la
détention et du bannissement, peines qui, d'après les textes précédents,
emportent par elles-mêmes la surveillance. Pourquoi exiger comme
peine complémentaire une mesure qui est déjà l'accessoire de la peine
principale? Je crois, en effet, que, jusqu'en 1832, cette disposition de
l'article 49 fit double emploi avec les articles 47 et 48. Mais, depuis
que l'article 463 du Code pénal, modifié lors de la révision de 1832,
permet de prononcer pour crimes des peines'correctionnelles à raison
des circonstances atténuantes de la cause, elle a une portée spéciale.
Voilà donc une catégorie de condamnés qui devront être soumis,
par arrêt ou jugement, à la surveillance de la haute police. Mais pour
quelle durée? La loi ne le dit pas. Un auteur, s'attachant aux mots
« la même surveillance » qu'emploie l'article 49, a pensé qu'il s'agissait
d'une surveillance de même durée que la surveillance réglementée
dans l'article précédent; que, par conséquent, les juges devaient la
prononcer pour un temps égal à celui de la peine principale !. D'autres
remarquant que les mots « la même surveillance » ont été employés.
aussi par l'article 48, en concluent avec raison qu'ils n'indiquent pas
un renvoi de l'article 49 à l'article 48 ; mais ils décident ensuite, sans
aucun motif, que ces mots indiquent un renvoi de l'article 49 à l'ar-
ticle 47 et que par conséquent les juges doivent prononcer la surveil-
lance pour la vie 2 (depuis la loi de 1874, ce serait pour vingt ans.).
D'autres enfin, reconnaissant que la loi est muette sur ce point, laissent
plein pouvoir au juge; aucune limite ne lui est imposée; avant la loi
de 1874, il pouvait, sans y être obligé, prononcer la surveillance pour
la vie; depuis, il peut, sans y être obligé davantage, la prononcer
pour vingt ans 3. Cette opinion est la plus sûre. Le rédacteur de l'ar-
ticle 49, en parlant de « la même surveillance », a eu simplement en
vue la surveillance dont il traitait, qui était l'objet de ses prescriptions
depuis l'article 44, qu'il avait définie dans ce texte, en un mot la sur-
veillance de la haute police; il s'est préoccupé de la nature, non de la
durée de la peine; il n'a renvoyé ni à l'article 48, ni à l'article 47.
L'article 48 en fournit la preuve : les expressions dont il s'agit y sont

1. CARNOT, Code pénal, art. 49.


2. CHAIJVEAU et F. HÉLIE, I, n° 115; — TRÉBUTIËN, 1, p. 248.
3. BOITARU, n° 108; — BLANCHE, I, n° 230; — BEHTAULD, p. 269.
BENVOI SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE. 297

aussi; leur sens est-il celui d'un renvoi quant à la durée de la peine au
texte précédent? évidemment non, puisque l'article 48 détermine lui-
même cette durée et la détermine tout autrement que ne l'a fait l'ar-
ticle 47.
407. D'après l'article 50, hors les cas déterminés par les articles
précédents, c'est-à-dire en matière de simples délits n'intéressant pas
la sûreté de l'État, le juge doit se référer aux dipositions particulières
de la loi. Ces dispositions sont assez nombreuses. Quelques-unes or-
donnent au juge de prononcer la surveillance comme complément
d'une peine correctionnelle, par exemple les articles 57, 58, 271, etc. ;
la plupart se bornent à lui en conférer le pouvoir, par exemple les
articles 67, 246, 305-307, 401, etc.
Dans ces divers cas, la loi fixe elle-même la durée minimum et la
durée maximum de la surveillance.
408. On vient de voir que le renvoi sous la surveillance, dans les
cas où il est une peine complémentaire, a souvent un minimum et
quelquefois est obligatoire. Mais, depuis 1832, cela ne doit pas s'en-
tendre sans un tempérament considérable qui tient à l'institution des
circonstances atténuantes. Depuis la loi de révision de 1832, l'ar-
ticle 463 du Code pénal, dans son dernier paragraphe, permet au juge
qui constate l'existence dans la cause de circonstances atténuantes, de
réduire l'emprisonnement et l'amende correctionnels, si impératifs
que soient les termes de la loi, non seulement au-dessous de leur
minimum, mais même au taux des peines de simple police; en dernière
analyse, il l'autorise à substituer à l'emprisonnement édicté par la loi
une simple amende d'un franc. Il est vrai qu'il ne dit rien du renvoi
sous la surveillance. Mais l'esprit de la loi est trop clair pour ne pas
suppléer cette omission; le tribunal qui a recule pouvoir de sup-
primer l'emprisonnement n'est pas demeuré astreint à prononcer le
minimum de la surveillance, ni même à prononcer quoi que ce soit
de cette peine. C'est
ce que les tribunaux et les cours comprirent très
bien, dès la mise
en vigueur de la loi de 1832. La chambre criminelle
de la cour de cassation, cependant, s'attacha, pendant plusieurs,
années, aux termes de l'article 463 et cassa les décisions qui avaient
ainsi entendu le texte 1. Mais, au contraire, la cour suprême, en
chambres réunies, admit cette interprétation dans plusieurs arrêts

1- Arrêt du 8 mars 1833 et arrêts suivants, dont les derniers sont de 1837 et de
1838, cités
par BLANCHE, I, p. 246.
298 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
solennels 1 ; et la chambre criminelle, depuis un arrêt du 26 avril 1839
concernant la remise entière de la surveillance, et un autre arrêt du
9 septembre 1853 concernant la réduction de sa durée au-dessous
du minimum légal 3, s'est ralliée à cette jurisprudence.
Ainsi, les articles 49 et 50 et ceux auxquels ce dernier renvoie ne
sont pleinement applicables que dans les cas où les sentences judi-
ciaires sont muettes sur les circonstances atténuantes; ils peuvent être
écartés par les juges qui admettent les circonstances atténuantes et
les constatent expressément dans leurs jugements 3.
3° Des cas où le renvoi sous la surveillance est une peine princi-
pale. — 409. En cette qualité, le renvoi sous la surveillance est établi
par la loi dans les articles 100 et 213, 108, 138 et 144, 271 du Code
pénal : soit contre les individus qui ont fait partie de bandes séditieuses
ou rebelles, mais se sont soumis à l'autorité sans résistance; soit
contre ceux qui ont participé aux crimes de complots, de fausse mon-
naie ou d'autres faux, mais ont eux-mêmes dénoncé ces crimes et fait
connaître ou arrêter leurs complices; soit contre les vagabonds âgés
de moins de seize ans; en un mot, contre des individus à qui, par
suite de considérations diverses, remise est faite de l'expiation, mais
qui peuvent être supposés dangereux pour la sûreté publique.
Dans les deux premiers articles, la condamnation est facultative
pour les juges; elle a un minimum de cinq ans, un maximum de dis
ans.
Dans les trois articles suivants, la condamnation est encore faculta-
tive; quant à la durée de la peine, avant la loi de 1874, les juges
avaient un pouvoir illimité; maintenant ils ne peuvent la prononcer
que pour vingt ans au plus, sans être astreints à un minimum.
Dans le dernier, la condamnation est obligatoire; les vagabonds mi-
neurs de seize ans doivent être renvoyés sous la surveillance jusqu'à
l'âge de vingt ans accomplis.
Mais toutes ces dispositions doivent se combiner, comme dans les
cas où la peine est complémentaire, avec l'article 463 du Code pénal.
La dernière, depuis la loi du 5 août 1850, ne paraît guère applicable-;

1. Arrêts du 2 janv. 1836, du 26 juin 1838, du 24 nov. 1838, cités par BLANCHE
eod. loc.
2. Cités par BLANCHE, eod. loc.
3. Une autre question est celle de savoir si la règle du non cumul des peines
au cas de plusieurs délits (art. 365 C. inst. cr.) est applicable à la surveillance de
la haute police. V. ci-dessous, au liv. III, le titre 1, cliap. i,
RENVOI SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE. 299
mieux que le juge acquitte le jeune vagabond et l'envoie dans
il vaut

une maison pénitentiaire.


Comment le renvoi sous la surveillance peut finir.—410.
V.
Les causes d'extinction des peines à examiner ici sont : l'arrivée du
terme assigné par le jugement ou l'arrêt, l'amnistie, la réhabilita-
tion, la grâce et la prescription.
1° Du terme.

411. Avant la loi de 1874, le renvoi sous la surveil-
lance était souvent perpétuel ; on a vu que, d'après l'article 46, § 1
de cette loi, il est toujours temporaire. L'arrivée du terme ne met fin

aux peines privatives de la liberté que si elles ont pu être effective-


ment subies; le temps pendant lequel le condamné se serait soustrait
à l'exécution du châtiment ne serait pas compté pour la durée de sa
peine. Il n'en est pas de même pour le renvoi sous la surveillance de
la liante police. Cette peine, consistant en un droit conféré parle juge

au gouvernement sur le condamné, s'exécute légalement d'une manière


continue, sans qu'il y ait à considérer si le gouvernement exerce ou
non son droit. Qu'un individu renvoyé sous la surveillance parvienne
à s'affranchir de toute mesure restrictive de sa liberté, il n'en subit

pas moins sa peine, d'après la loi. Le cours n'en sera suspendu que
s'il vient à être condamné pour rupture de banl.
2° De l'amnistie.
— 412. Elle anéantit la condamnation avec toutes
ses conséquences pénales. Elle met fin, par conséquent, au renvoi
sous la surveillance de la haute police.
3° De la réhabilitation. —413. Sans effacer la condamnation, elle
fait également cesser toutes les incapacités qui en sont résultées, le
renvoi sous la surveillance comme les autres (art. 634, C. Inst. cr.)
4° De la grâce. —414. Il faut distinguer entre la. grâce portant sur
une peine principale dont la surveillance de la haute police est l'ac-
cessoire, et la grâce portant directement sur la surveillance elle-
même.
415. Dans le premier cas, la remise de la peine principale n'en-
traîne pas celle de la peine accessoire. Ainsi les condamnés aux peines
des travaux forcés à temps, de la détention, de la réclusion et du
bannissement qui obtiennent leur grâce n'en demeurent pas moins
assujetis à la surveillance. Et cela n'a jamais été mis en doute.
Quant aux condamnés aux peines perpétuelles, avant la loi de 1874,
si par extraordinaire ils avaient été graciés sans réserve formelle, se

1. Se reporter ci-dessus, au n° 399.


1100 DROIT PENAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
seraient-ils trouvés exempts de la surveillance? On s'était posé cette
question, analogue à celle qui naissait de la commutation d'une peine
perpétuelle en une peine temporaire 1; et généralement on pensait
que ces condamnés, n'ayant été soumis à la surveillance ni par leur
condamnation ni par les lettres de grâce, en devaient être exempts.
J'aurais admis l'opinion contraire; car, selon moi, la loi n'a gardé le
silence sur les condamnés aux peines perpétuelles qu'à raison de lu
perpétuité même de leur peine; elle a considéré qu'ils ne seraient
jamais rendus à la liberté; par conséquent on se fût conformé à son
esprit en soumettant ces condamnés à la surveillance toutes les fois
que, malgré les prévisions légales, leur peine eût pris fin.
Quoi qu'il en soit, c'est ce que la loi du 23 janvier 1874 a décidé,
en termes exprès, dans l'article 46, § 4 : « tout condamné à des pei-
nes perpétuelles qui obtiendra remise de sa peine, sera, s'il n'en est
autrement disposé par la décision gracieuse, de plein droit sous la
surveillance delà haute police pendant vingt ans. »
416. Il est rationnel que la surveillance ne soit pas supprimée par
voie de conséquence, au cas où la peine dont elle est l'accessoire est
seule remise; il en est d'elle comme delà dégradation civique et de
certaines autres incapacités : elle est destinée à succéder à l'expiation
à titre de garantie pour l'avenir. Mais faut-il aller plus loin et dire
que la surveillance ne pourra même pas être l'objet d'une grâce spé-
ciale? Certainement non; ce serait une règle funeste. Lorsque le
condamné, lors de sa libération, paraît digne de recouvrer une liberté
pleine et entière, pourquoi ne la lui accorder qu'avec des restric-
tions? pourquoi des entraves à qui pourrait se mouvoir sans danger
pour la sûreté publique? De même, si l'on n'a pas cru devoir l'en
affranchir dès le premier jour, pourquoi ne pas le faire après une
épreuve satisfaisante? On objectera que la voie de la réhabilitation lui
est ouverte. Mais c'est une voie longue à parcourir (art. 620, C.
Inst. cr.), et les mesures de police dont, le surveillé sera l'objet, en le
signalant à la défiance générale, lui créeront bien des difficultés, bien
des périls. Ainsi, clans une bonne législation, la surveillance de la
haute police ne doit pas nécessairement s'attacher, après la libération,
à tous ceux qui dans le principe y ont été condamnés 2. Et cela est vrai
de la peine complémentaire comme de la peine accessoire; et rien ne
s'oppose non plus à la remise de la peine principale.
1. Se reporter ci-dessus au n° 403,
2. C'était l'opinion de MM. CIHAUVEAU et F. HÉLIE, (n° II I
RENVOI SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE. 301
Cependant, jusqu'en 1874, on considéra que la loi ne permettait
pas d'appliquer la grâce à la surveillance de la haute police. L'article
634 du Code d'instruction criminelle n'autorisait que la réhabilitation.
11 y avait donc en ce point une réforme importante à faire.

Elle a été réalisée par la loi du 23 janvier 1874. Aux termes du


nouvelarticle 48, « la surveillance pourra être remise ou réduite par-
mie de grâce; elle pourra être suspendue par mesure adminis-
trative. *»

5° De la prescription. — 417. La prescription d'une peine est son


extinction par un certain laps de temps écoulé sans qu'elle ait été
exécutée (C.Inst. cr., art. 635 ets.).S'applique-t-elle au renvoi sous la
surveillance de la haute police ? Sur cette question comme relative-
ment à la grâce, les lois de 1810 et de 1832 étaient restées muettes,
etla loi de 1874, au contraire, s'est expliquée. De même que pour la
grâce, il faut distinguer suivant qu'il s'agit delà prescription par voie
de conséquence ou par voie directe.
418. Tout d'abord, le renvoi sous la surveillance de la haute police est-
il directement et par lui-même prescriptible? Evidemment
non, puisque
la prescription d'une peine résulte de son inexécution prolongée
pen-
dant un certain temps, et que le renvoi sous la surveillance, à raison
de sa nature particulière 2, est réputé s'exécuter
en l'absence même
des mesures qu'il autorise le gouvernement à prendre 3.
419. Maintenant, quels sont, en ce qui concerne le renvoi sous la
surveillance, les effets de la prescription de la peine principale?
Depuis 1808, il existe au Code d'instruction criminelle
une disposi-
tion, l'article 635, §§ 2 et 3, prévoyant cette hypothèse et disant
: « Néan-
moins, le condamné ne pourra résider dans le département où de-
meuraient, soit celui sur lequel ou contre la propriété duquel le
crime aurait été commis, soit ses héritiers directs.
— Le gouver-
' nenent pourra assigner au condamné le lieu de son domicile. » Et
ces mesures sont applicables à tous ceux cjui ont prescrit une peine

I Je rappelle que, depuis la loi du 30 mai 1854j notre législation


a largement
introduit le droit de grâce dans le système des incapacités qui survivent à l'exé-
cution ou à la remise de la peine, ou même qui en accompagnent l'exécution. Se
reporter, ci-dessus, aux nra 371 et 372. C'est qu'en effet l'on a compris que la grâce
est un puissant moyen d'encourager les condamnés au repentir, de faciliter leur
reclassement dans la société.
2. Se reporter ci-dessus,
au n° 411.
Arr. de cassa, du 31 janvier 1834. Comp. BLANCHE, I, n<> 209; Arr. de
Douai du 8 —
mars 1875 (Dali. 1876, II, 142).
302 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
criminelle, qu'elle soit temporaire ou perpétuelle, comme le montre
le rapprochement des deux premiers paragraphes du texte.
420. Mais le condamné qui a prescrit une peine principale entraî-
nant accessoirement la surveillance proprement dite (travaux forcés
à temps, détention, réclusion, bannissement) est-il affranchi de cette
surveillance ?
En premier lieu, voici quel est, en présence des dispositions du
Code, d'instruction criminelle qui viennent d'être rappelées, l'inté-
rêt de la question : aujourd'hui, comme sous l'empire de la lai de
1832, si le condamné demeure assujetti à la surveillance, le gouvor-
nemeni aura le choix entre l'application de l'article 635 du Code d'ins-
truction criminelle et celle de l'article 44 du Code pénal.
Comment la question est-elle résolue? Avant la loi de 1874, bien
qu'aucun texte n'eût statué formellement sur ce point, et malgré des
dissidences 4, on décidait généralement que la prescription de la peine
principale n'entraînait pas celle de la surveillance. Et l'on avait rai-
son. C'était en vain que, dans l'opinion opposée, l'on se prévalait de
la généralité de l'article 635 du Code d'instruction criminelle appli-
quant la prescription aux « peines portées par les arrêts ou jugements
rendus en matière criminelle ». Tout d'abord il est douteux que les
peines accessoires soient au nombre des peines « portées par les arrêts
ou jugements ». Et surtout il est inadmissible que l'article 635 em-
brasse même les incapacités destinées, à titre de garanties sociales, à
suivre l'expiation, telles que la dégradation civique, l'interdiction de
certains droits civiques, civils et de famille, l'incapacité de donner
et de recevoir qui a succédé à la mort civile, la surveillance de la
haute police. Il est inadmissible que l'extinction de la peine par la
prescription ait plus d'effet que la grâce, en ait plus que l'exécution
même de la peine,
Aussi est-ce en ce sens que la loi du 23 janvier 1874, prévoyant la
question, l'a résolue. Le nouvel article 48, §§ 2 et 4, du Code pénal
porte : « La prescription de la peine ne relève pas le condamné de U
surveillance à laquelle il est soumis. La surveillance ne produit
son effet que du jour où la prescription est accomplie, »
421. Au cas de prescription des peines perpétuelles, il existait, avant
la loi de 1874, une autre difficulté analogue à celles qui naissaient de
la commutation et de la remise de ces peines. La loi du 23 janvier

1. V. notamment, en sens contraire, BLANCHE, I, n° 208.


RENVOI SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE" POLICE. 303
1874 s'est également expliquée à cet égard en termes exprès, dans les
paragraphes 3 et 4 du nouvel article 48 : « En cas de prescription
d'une peine perpétuelle, le condamné sera de plein droit sous la sur-
veillance de la haute police pendant vingt années. La surveillance
ne produit son effet que du jour où la prescription est accomplie. »
422. La loi du 23 janvier 1874 a-t-elle abrogé les paragraphes 2 et
3 de l'article 635 du Code d'Instruction criminelle? Je ne le crois pas
et jusqu'ici j'ai supposé qu'il n'en était rien. Comme on l'a fait re-
marquer dans les travaux préparatoires de celte loi, le condamné qui
a prescrit sa peine ne mérite aucune faveur. Le gouvernement aura
donc le droit de substituer l'assignation de résidence aux mesures au-
torisées par l'article 44 du Code pénal. Je ne pense pas non plus que
le droit dont il s'agit soit limité à une durée de vingt ans, ni que le
gouvernement puisse y renoncer par une grâce proprement dite; seu-
lement il est libre d'en user ou non, à son gré. Quant à la sanction, il
me semble que, sous l'empire du Code de 1810, elle était dans l'an-
cien'article 45 qui permettait une détention administrative indéfinie, et
que, depuis la loi de 1832, elle est dans le nouvel article45 qui porte
la peine d'emprisonnement 1.

1. Pour l'application au renvoi sous la surveillance de la haute police des


règles sur la rétroactivité et la non-rétroactivité en matière pénale, application
très intéressante à raison des nombreuses variations que le renvoi sous la surveil-
lance de la haute police a épouvées, voir, ci-dessous, la troisième partie, titre lor
du Traité
CHAPITRE IV

D'UNE PEINE SPÉCIALE AUX MATIÈRES DE SIMPLE POLICE,

CODE PÉN. ART. 464. Les peines de police sont : l'emprisonnement,


l'amende et la confiscation de certains objets saisis.
ART. 465. L'emprisonnement, pour contravention de police, m
pourra être moindre d'un jour, ni excéder cinq jours, selon Us
classes, distinctions et cas ci-après spécifiés.
Les jours d'emprisonnement sont des jours complets de vingt-quatre
heures.

423. Une seule peine est spéciale aux matières de simple police:
c'est l'emprisonnement d'une nature particulière que portent les
articles 464 et 465 du Code pénal. L'amende et la confiscation de
certains objets, que l'article 464 présente comme des peines de simple
police, sont mises aussi par l'article 11 au nombre des peines com-
munes aux matières criminelles et aux matières correctionnelles;
elles sont donc applicables en toute matière et seront l'objet du cha-
pitre suivant. Il est vrai que l'amende a un maximum particulier
lorsqu'elle est prononcée pour contravention de simple police; mais
sa nature n'en est pas modifiée.

PEINE DE L'EMPRISONNEMENT DE SIMPLE POLICE.

424. L'emprisonnement, considéré comme peine de simple police


diffère à trois points de vue de l'emprisonnement envisagé comme peine
correctionnelle.
1° Aux termes de l'article 465, il a un minimum d'un jour et un
maximum de cinq jours.
EMPRISONNEMENT DE SIMPLE POLICE. 305
Mais cette différence, bien qu'elle soit seule indiquée formelle-
ment dans le texte, n'est pas essentielle ; car, au cas de circonstances
atténuantes (art. 463 in fine C. pén.), l'emprisonnement de police
correctionnelle peut être abaissé au-dessous de son minimum légal,
qui est de six jours (art. 40, C. pén.), jusqu'à un jour, sans cesser
d'être l'emprisonnement correctionnel.
Il en est de la durée de l'emprisonnement comme du taux de
l'amende : ni l'un ni l'autre n'est un trait tout à fait caractéristique de
la nature de la peine ; et c'est pourquoi, généralement, on ne distingue
pas l'amende de police correctionnelle de l'amende de simple police.
Il y a cependant, sous ce rapport, un point certain : c'est que, en
matière de simple police, l'emprisonnement ne pourrait excéder cinq
jours, ni l'amende quinze francs.
Le paragraphe 2 de l'article 465 rappelle une règle déjà inscrite
dans l'article 40.
2° Si l'on rapproche l'article 465 de l'article 40, on voit que l'em-
prisonnement de simple police, à la différence de l'emprisonnement
correctionnel, n'emporte pas l'obligation du travail.
3° L'emprisonnement de simple police est subi, soit dans les pri-

sons dites cantonales, établies dans les chefs-lieux de canton, soit


dan,? les prisons dites municipales, établies clans les communes im-
portantes, soit dans les maisons A'arrêt. Les maisons cantonales ou
municipales seraient impropres à l'exécution de l'emprisonnement
correctionnel.
CHAPITRE V

DES PEINES ET DES AUTRES CONDAMNATIONS QUI PEUVENT


ÊTRE PRONONCÉES POUR CRIMES, DÉLITS OU CONTRA-
VENTIONS, ET DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE.

425. Si l'on met à part la publicité des condamnations, on remar-


quera que les peines et autres condamnations dont il s'agit ici ont ce
caractère commun, non seulement d'être applicables en toute matière,
mais de frapper le condamné dans ses biens, d'être, en un mot et dans
un sens large, des peines et condamnations pécuniaires.
Elles sont au nombre de cinq : 1° l'amende ; 2° la confiscation spé-
ciale; 3° la condamnation aux restitutions; 4° la condamnation aux
dommages-intérêts; 5" la condamnation aux frais.
Mais l'amende et la confiscation sont encore de véritables peines,
tandis que les condamnations aux restitutions, aux dommages-intérêts
et aux frais n'ont point de caractère pénal et se réfèrent, non plus à
la responsabilité pénale, mais à la responsabilité civile directe. Elles
doivent donc former deux groupes distincts 1.
D'un autre côté, cependant, certaines garanties d'exécution concer-
nent à la fois les condamnations à l'amende et les condamnations aux
restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais, à raison de leur
commune nature de condamnations pécuniaires.
Enfin, il me semble que la théorie de la responsabilité civile indi-
recte, à laquelle le Code pénal touche d'une manière incidente dans les
articles 73 et 74, et qui se rattache étroitement aux restitutions, dom-
mages-intérêts et frais, trouvera sa place naturelle à la suite de ces
matières.
Ces observations motivent la division du chapitre.

1. Celte distinction est bien en relief clans le Code belge de 1867. Comp.,au
livre I, la section VI du chapitre n et le chapitre m.
PUBLICITÉ DES CONDAMNATIONS. 307

SECTION 1. — PEINES APPLICABLES EN TOUTE MATIÈRE.

§ 1. — Publicité des condamnations.

CODE 36. Tous arrêts qui porteront la peine de mort,


PÉN. ART.
des travaux forcés à perpétuité et à temps, la déportation, la déten-
tion, la réclusion, la dégradation civique et le bannissement
seront imprimés par extrait.
Ils seront affichés dans la ville centrale du département, dans
celle où l'arrêt aura été rendu, dans la commune du lieu où le délit
aura été commis, dans celle où se fera l'exécution, et dans celle du
domicile du condamné.

I. De la publicité des condamnations considérée comme peine : en matière cri-


minelle, en matière correctionnelle, en matière de simple police.
— II. De la
publicité des condamnations considérée comme réparation civile.
— III. De
l'article 1036 du Code de procédure civile.

I. De la publicité des condamnations considérée comme


peine. — 426. L'article 36 du Gode pénal a pour objet la publicité
extérieure des condamnations criminelles, publicité ajoutée à celle
de l'audience. On remarquera
que cette publicité est obligatoire. On
remarquera aussi qu'elle a lieu au moyen d'affiches rapportant les
arrêts par extraits imprimés.
En matière correctionnelle, il n'existe pas de disposition générale
analogue à celle do l'article 36. Les condamnations n'ont pas assez
d'importance et sont trop nombreuses. Mais, dans certains cas où des
mesures de ce genre sont particulièrement utiles, quelques articles
du Code pénal et plusieurs lois spéciales permettent
aux tribunaux,
sans l'ordonner, de déclarer que leurs jugements seront rendus pu-
blics, soit par affiche, soit
par insertion dans les journaux, soit à la
fois de l'une et de l'autre manière, et le plus souvent
aux frais des
condamnés.
C'est ce que font, par exemple, l'article 423 (§ 3) du Code pénal et
la loi du 27
mars 1851 (art. 6) relatifs à certaines fraudes et trom-
peries dans les ventes de marchandises ;
— la loi du 5 juillet 1844
(art, 49) sur les brevets d'invention
; — la loi du 23 juin 1857 (art. 13)
308 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL-DES PEINES,

sur les marques de fabrique et de commerce; — la loi du 19 dé-


cembre 1850 (art. 5) relative au délit d'usure; —la loi du 26 mai 1819
(art. 26) relative à la poursuite et au jugement des crimes et délits
commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publicité.
En matière de simple police, il est plus rare encore que la loi per-
mette de donner à la condamnation une publicité extérieure. On en
voit un exemple dans l'article 10 du Code de procédure civile, aux
termes duquel les parties qui, devant le juge de paix, manquent de
respect à la justice et, après un premier avertissement, retombent dans
la même faute, peuvent être condamnées à une amende de 10 francs
au plus, avec affiches du jugement dans les communes du canton.
II. De la publicité des condamnations considérée comme ré-
paration civile. —427. Les insertions ou affiches des jugements
peuvent aussi être ordonnées par les tribunaux à titre de réparation
civile. Mais alors ce ne sont pas des peines. Par conséquent, c'est sur
la demande des parties lésées, non sur les réquisitions du ministère
public, c'est en vertu du principe général inscrit dans l'article 1382
du Gode civil, non par application de dispositions pénales, c'est en
cas d'acquittement comme en cas de condamnation qu'elles pourront
être accordées.
III. De la publicité des décisions judiciaires autorisée par
l'article 1036 du Code de procédure civile. — 428. « Les tribu-
naux, suivant la gravité des circonstances, pourront, dans les
causes dont ils seront saisis, prononcer, même d'office, des injonc-
tions, supprimer des écrits, les déclarer calomnieux, et ordonner
l'impression et l'affiche de leurs jugements. » Cet article donne
lieu à deux questions. La première est de savoir s'il concerne les
tribunaux répressifs comme les tribunaux civils. Je le crois; car je ne
vois pas sur quoi se fonderait une distinction de cette nature. La se-
conde question est de savoir si la faculté d'ordonner l'impression et
l'affiche de leurs jugements que l'article 1036 confère aux tribunaux
est absolue, sans limitation d'aucune sorte. Je ne le crois pas. De
l'ensemble du texte il me paraît résulter que le droit de prononcer
l'impression et l'affiche des jugements n'est que le corollaire du
droit de prononcer des injonctions, de supprimer des écrits et de les
déclarer calomnieux; et, d'autre part, ces droits ne se réfèrent pas au
fond même des causes, ils ont simplement en- vue la répression des
actes blâmables que les parties pourraient commettrej clans le cours
du procès, soit l'une envers l'autre, soit envers la justice. Si cette
PUBLICITÉ DES CONDAMNATIONS. 309
interprétation est exacte, la cour de cassation a très justement re-
connu aux tribunaux le pouvoir d'ordonner la suppression des mé-
moires écrits et versés au procès et l'insertion du jugement dans les
journaux 1. Mais elle a eu tort de maintenir un arrêt ordonnant pure-
ment et simplement qu'il serait affiché, sans s'appuyer sur aucun texte
(dans l'espèce, le texte visé l'avait été par erreur) ; elle a eu tort de le
maintenir en vertu de l'article 1036, quand rien d'analogue aux faits
prévus par cette disposition ne s'était passé dans le cours du procès 2.
En donnant pour motif que « la mesure d'intérêt public que l'article
1036 permet d'ordonner n'est pas prononcée à titré de peine, mais
comme une réparation du scandale public produit par le fait de la
partie condamnée», elle a commis une confusion : sans doute la
publicité du jugement revêt ce caractère quand le jugement prononce
les injonctions, ordonne les suppressions d'écrits dont parle le texte ;
mais la publicité du jugement est une peine proprement dite, lorsque
le scandale qu'elle a pour but de r'éparer résulte du délit même qui a
été l'objet de la poursuite et de la sentence. La décision de la cour
suprême est donc fondée sur une erreur, et la conséquence en est
d'ajouter aux textes qui autorisent expressément, en matière de police
correctionnelle ou de simple police, clans certains cas limitativement
déterminés, la publicité des jugements, une disposition générale qui
l'autorise dans tous les cas ; ce qui est mettre la loi en contradiction
avec elle-même.

§ 2. De l'amende et de la confiscation spéciale.

CODE PÉN. ART. 11 L'amende et la confiscation spéciale, soit


du corps du délit, quand la propriété en appartient au condamné,
soit des choses produites par le délit, soit de celles qui ont servi ou
qui ont été destinées à le commettre, sont des peines commîmes aux
matières criminelles et correctionnelles.
ART. 46.4. Les peines de police sont:... l'amende et la confiscation
de certains objets saisis.
ART. 466. Les amendes pour contraventions pourront être pro-
noncées depuis un franc jusqu'à quinze francs inclusivement,

1. Arr. du 28 juillet 1870 (Sir. 1871, 1, 263).


2. Arr. du 16 mai 1873 (Sir. 1873, 1, 235).
310 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
selon les distinctions et classes ci-après spécifiées, et seront appli-
quées du profit de la commune où la contravention aura été com-
mise.
ART. 470. Les tribunaux de police pourront aussi, dans les cas
déterminés par la loi, prononcer la confiscation, soit des choses
saisies en contravention, soit des choses produites par la contra-
vention, soit des matières ou des instruments qui ont servi ou étaient
destinés à la commettre.

I. PEINE DE L'AMENDE.

I. Définition; précédents; à qui appartient la créance qui naît dé l'amende; à qui


en est attribué le bénéfice. — II. Quelle est la quotité de l'amende, soit en ma-
tière de simple police, soit en matière correctionnelle ou criminelle. — III. Ca-
ractère pénal de l'amende; conséquences qui en dérivent.—Particularitésque
présentent, à cet égard, certaines lois fiscales ; question de savoir si Ces lois ont
considéré l'amende comme une réparation civile. — IV. L'amende édictée dans
des lois non pénales, comme le Code civil, conserve-t-elle son caractère de
peine?

I. Définition de l'amende; précédents, etc. 429. L'amende'



est une peine consistant en l'obligation de payer une somme d'argent.
Dans notre ancienne France, elle fut de bonne heure en usagé 5, et
devint une des peines les plus fréquentes et les plus arbitraires. Con-
servée dans la législation intermédiaire, elle a été maintenue par le
Code pénal. Et c'est avec raison; car elle convient fort bien aux in-
fractions légères et à certains délits 3.
Elle est rare en matière de crimes, où elle ne se rencontre jamais
que jointe à une autre peine: ainsi dans les espèces prévues par les
articles 164, 172, 174, 437 du Code pénal. En matière de délits, au
contraire, elle est souvent appliquée, mais ordinairement aussi comme
peine complémentaire. Elle est bien plus fréquente encore en matière
de contraventions de simple police ; et là, dans la plupart des cas,
elle est une peine principale.

1. Le mot amende a pour étymologie a menda (sans tache); il indique, l'idée


d'une mesure destinée à corriger le coupable; il aurait pu servir, comme le mot
peine, dé terme générique.
2. Se reporter ci-dessus, aux nos 12 et 19.
3. Sur les règles rationnelles et sur l'historique de cette peine, voy. ORTOLAN, II.
n°s 1398-1404; CIUUVEAU et F. HÉLIE, I, nos 125-128.
PEINE DE L'AMENDE. 311

La créance qui en résulte appartient eii principe à l'État. Mais


l'État n'en retient le profit que dans les cas assez rares où elle est
prononcée en matière criminelle; l'amende prononcée en matière
correctionnelle est allouée au département; l'amende prononcée en
matière de simple police est réservée par l'article 466 du Code pénal
à la commune où la contravention a été commise. Au reste, dans
nombre de cas, par exception à ces règles générales, l'amende reçoit
d'autres destinations qui sont très diverses. Elle est attribuée, en tout
ou en partie : soit à la commune dans laquelle le délit a été constaté,
bien qu'il s'agisse d'un délit de police correctionnelle (comme le
décide, par exemple, l'article 8 de la loi du 27 mars 1851 sur la ré-
pression de certaines fraudes dans la vente des marchandises) ; soit à
des établissements de bienfaisance (par ex. art. 53 du décret du
12 décembre 1806 sur le service du pilotage); soit, à titre de répara-
tion, aux parties intéressées (par ex. art. 2 de la loi du 15 ventôse
an XIII concernant l'indemité que les entrepreneurs de voitures
publiques et messageries devaient payer aux maîtres des relais de
poste dont ils n'employaient pas les chevaux) ; soit, à titre de récom-
pense, aux agents qui ont constaté le délit (par ex. art* 10 et 19 de
la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse) ; soit même aux
dénonciateurs (par ex., art. 2 de la loi du 13 fructidor an V relative
à l'exploitation, à la fabrication et à la vente des poudres et sal-
pêtres).
H. Quelle est la quotité de l'amende - 430. En matière de
simple police, aux termes de l'article 466 du Code pénal, l'amende a
un minimum d'un franc, un maximum de quinze-francs. Mais sou-
vent, dans ces limites, la loi fixe axec plus de précision un autre
minimum et un autre maximum. C'est ce qu'elle a fait dans les articles
471 à 482 du Code pénal.
En matière correctionnelle ou criminelle, le minimum général est
de seize francs. Mais ordinairement un minimum particulier est dé-
terminé par chaque texte d'une manière différente poiir chaque délit.
Il peut d'ailleurs être abaissé jusqu'à un franc, d'après l'article 463
du Code pénal, au cas de circonstances atténuantes, à moins que-
l'amende ne soit prononcée par une loi spéciale n'admettant pas l'ap-
plication de cette règle. Quant au maximum, rien de général ; il varie
suivant les délits.
Tantôt la loi fixe la quotité de l'amende à une certaine somme
d'argent; tantôt elle la fait proportionnelle au bénéfice illicite ou au
312 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
dommage résultant du délit, ce qui oblige le juge à une estimation
préalable.
Il arrive quelquefois que la loi prononce l'amende sans dire quelle
en sera la quotité. Laisse-t-elle alors au juge plein pouvoir de la
déterminer lui-même? Non; car la peine serait arbitraire. D'après
l'opinion générale et la jurisprudence, le juge ne doit jamais pro-
noncer qu'une amende de simple police; mais il a la faculté de se
mouvoir entre le minimum et le maximum de cette amende *. Il me
semblerait plus juridique de faire la distinction suivante : si l'on peut
discerner à quelle catégorie d'infractions appartient le fait dont il
s'agit, le juge doit prononcer le minimum de seize francs ou celui
d'un franc, suivant que le fait est un crime ou un délit ou bien une
contravention de simple police ; s'il est impossible de classer le fait,
le juge doit le considérer comme une simple contravention, et, afin
d'éviter tout arbitraire, ne prononcer que le minimum de l'amende
de police, un franc.
Enfin, d'autres fois, la loi fixe le maximum sans rien dire du
minimum. Selon moi, par l'indication du maximum on connaît la
classe du délit et par conséquent le minimum. Dans l'opinion générale,
il est encore permis au juge de descendre à l'amende de simple
police.
III. Caractère pénal de l'amende; conséquences. —Particu-
larités que présentent, à cet égard, certaines lois spéciales;
question de savoir si, dans ces lois, l'amende a le caractère de
réparation civile. — 431. Que l'amende soit une peine proprement
dite, c'est chose évidente, puisque les articles 9, 11 et 464 du Code le
déclarent de la manière la plus formelle.
Les règles propres aux peines lui sont donc applicables. Celles qui
vont suivre sont les plus intéressantes :
1° L'amende ne peut être prononcée qu'en vertu d'un texte de loi
l'édictant en vue d'un délit déterminé ; car toute peine doit être
légale 2 ;
2° Lorsque plusieurs individus ont commis en même temps le même

1. La cour de cassation a rendu en ce sens de nombreux arrêts statuant tous


sur l'exercice illégal de la médecine qui, aux termes de l'article 35 de la loi
du 19 ventôse an XI, est puni « d'une amende pécuniaire envers les hospices ».
Voy. surtout les arrêts du 28 août 1832 (Sir. 32, I, 572), du 12 nov. 1841 (Sir. 42,
I, 943); voy. aussi l'arrêt de Bordeaux du 24 juill. 1845, (Sir. 46, II, 266).
2. Se reporter ci-dessus, au n03 125-128.
PEINE DE L'AMENDE. 313

délit, le juge doit prononcer contre chacun d'eux une amende dis-
tincte ; car toute peine doit être individuelle1
.
Toutefois, cette règle reçoit- des tempéraments qui en limitent et
précisent l'étendue. Il peut arriver que plusieurs personnes soient
frappées collectivement d'une seule amende.
Il en sera ainsi lorsque le délit aura été commis par une société
formant une personne civile, c'est-à-dire par quelqu'un agissant en
son nom, sans participation personnelle des membres dont elle est
composée3
.
Il en sera de même lorsque la loi aura déterminé l'amende sans se
préoccuper du nombre des délinquants, en s'attachant à la gravité
matérielle du fait, ou à l'importance du bénéfice illicite qui en résulte
pour son auteur, ou bien à l'intérêt social que présente la répression.
On le reconnaîtra d'ordinaire à cette particularité qu'elle prévoit le
délit en s'exprimant ainsi : tel fait donnera lieu à une amende... au
lieu de le prévoir comme d'habitude en ces termes : tout individu
qui... sera puni d'une amende... On dit alors, dans des décisions de
jurisprudence, que l'amende est réelle plutôt que personnelle, qu'elle
frappe le fait plutôt que les auteurs mêmes du fait. Les articles 144,
192,194 du Code forestier en fournissent des exemples 3. C'est égale-
ment le cas de l'article 19 de la loi du 28 avril 1816 sur les contri-
butions indirectes. Seulement, ici, pour décider qu'il n'était dû qu'une
amende collective, la cour de cassation a donné en outre comme motif
que « d'après leur nature, les amendes en matière fiscale sont moins
une peine que la réparation du préjudice causé à l'État par la fraude »,
affirmation dont l'exactitude est fort contestable, comme on le verra
plus loin 4.
3° L'amende ne peut être prononcée qu'envers un individu morale-
ment et pénalement responsable ; car toute peine ne doit atteindre
qu'un coupable s.

1. Voy.les arrêts cités, avec indication des espèces qui en ont été l'objet, par
BLANCHE, I, n° 279. Voy.
en outre un arrêt de cass. du 11 juillet. 1873 (Sir. 1874.
I, 45).
2. Voy. les arrêts de cass. du 6 août 1839 et du 14 déc. 1848 rapportés par
BLANCHE,
n° 280.
3. Voy. sur l'application de ces textes, les arr. de cass. du 24 av. 1828, du
10 av. 1835, du 23 août 1834 rapportés
par BLANCHE, I, n° 282.
4. Voy. un arr. do cass. du 19 août 1836 rapporté par BLANCHE (I, n« 283), et un
autre arr. de cass. du 4 déc. 1863 (Sir. 64, I, 197).
5. Se reporter ci-dessus, aux n°s 179, 180, 189, 199, 203, 204, 210, 226, 227.
314 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
4° L'amende ne doit être prononcée qu'envers le délinquant; car
toute peine doit être personnelle.
D'où les deux conséquences qui suivent.
A. L'amende ne peut être prononcée contre les héritiers du délin-
quant. Donc, si le délinquant est mort avant d'avoir été condamné,
toute condamnation est désormais impossible. Si, frappé d'une con-
damnation, le délinquant est mort avant qu'elle fût irrévocable, sa
condamnation doit être réputée non avenue l.
Mais, si le délinquant est mort.alors que sa condamnation avait
acquis force de chose jugée d'une manière définitive, ses héritiers
devront payer l'amende prononcée contre lui. Car la condamnation a
créé une obligation pécuniaire à la charge de son patrimoine
(art. 2092 G. civ.), obligation qui a été transmise avec ce patrimoine
aux héritiers 2.
B. L'amende ne peut être prononcée contre les personnes, étran-
gères au délit, qui ne sont que civilement responsables. Ces personnes,
indiquées notamment dans l'article 1384 du Code civil, sont à la
vérité tenues des restitutions, dommages intérêts et frais encourus pour
faits délictueux par ceux qui étaient sous leur surveillance, mais ne
sauraient être frappées des peines attachées aux mêmes faits a.
Le caractère pénal de l'amende a été reconnu et appliqué, à ce
.
point de vue, parle Code forestier, dans son article 206 : « Les maris,
pères, mères et tuteurs et en général tous maîtres et commettants
sont civilement responsables des délits et contraventions commis par
leurs femmes, enfants mineurs et pupilles, demeurant avec eux et non
mariés, ouvriers, voituriers et autres subordonnés, sauf tout recours
de droit. Cette responsabilité sera réglée conformément au paragraphe
dernier de l'article 1384 du Code civil, et s'étendra aux restitutions,
dommages intérêts etfrais, sans toutefois donner lieu à la contrainte
par corps, si ce n'est dans le cas prévu par l'article 46. » Il en est
de même pour les délits de pêche fluviale, aux termes de l'article 74
de la loi du 15 avril 1829 4. Ces dispositions sont d'autant plus
1. Voy. les arrêts de cass. du 28 messidor an VIII et du 9 déc. 1813 rapportés par
BLANCHE, I, n° 299. Voy. aussi un arrêt de Besançon du 21 déc. 1854 (Sir 55,11,181).
2. Voy. pour la discussion qui eut lieu sur ce point au conseil d'État, et qui a
rendu certaine la pensée de la loi, LOCRÉ, XXV, p. 118; BLANCHE, I, n° .300.
3. Voy. les nombreux arrêts indiqués avec leurs espèces par BLANCHE, I,
n» 285. Ajout, les arr. de cass. du 9 juin 1832 (Sir. 32, I, 74-1), du 28 sept. 1838,
(Sir. 39, I. 445), du25 fév. 1842 (Sir. 42, I, 431).
4. 11 en est de même encore pour les délits de chasse : art. 28 de la loi du
3 mai 1844.
PEINE DK L'AMENDE. 315
remarquables que le sens eh a été indiqué par le législateur de la
manière la plus précise. Sous l'empire de l'ordonnance de 1669 qui,,
dans l'article 13 de son titre XIX, déclarait les pères et mères civile-
ment responsables des condamnations rendues en matière forestière,
il était passé en jurisprudence que leur responsabilité s'étendait même
aux amendes, lorsqu'il s'agissait de délits commis dans les bois de
l'Etat. C'est précisément pour mettre fin à cette jurisprudence que
l'article 206 a été rédigé sans faire mention de l'amende. Le rappor-
teur, Favard de Langlade, s'en est expliqué : « L'amende est une véri-
table peine ; elle ne saurait donc atteindre celui qui ne s'est pas rendu
coupable... Si, du reste, les pères, mères, maîtres, etc. sont complices
des délits commis par leurs subordonnés, il est un moyen bien simple
de leur faire supporter l'amende ; il ne s'agit que de les traduire en
justice pour cause de complicité. »
432. Telles sont les plus importantes conséquences du principe que
l'amende est une véritable peine i. La loi les a-t-elle toujours exacte^
ment observées ? Il faut le présumer ; et, s'il arrive que, dans un texte,
quelqu'une d'elles semble avoir été méconnue, il faut se garder d'ad-
mettre cette exception sans un examen sévère.
Ainsi, par exemple, l'article 9 de l'arrêté du 27 prairial au IX, sur
les défenses faites aux entrepreneurs de voitures de transporter les
lettres et journaux, porte que » les' maîtres de poste, les entrepreneurs
de voitures libres et messageries sont personnellement responsables
des contraventions de leurs postillons, conducteurs, porteurs et cour-
riers, sauf leur recours »; ainsi encore, l'article 45 du Gode forestier
constitue les adjudicataires découpes de bois responsables de tout délit
forestier commis dans leurs ventes et à l'ouïe de la cognée, si leurs
facteurs ou gardes-ventes n'en font leurs rapports à l'agent forestier
dans le délai de cinq jours; et l'article 46 les constitue responsables
des amendes encourues pour délits et contraventions commis soit dans
la vente, soit à l'ouïe de la cognée, par les facteurs, gardes-ventes,
ouvriers, bûcherons, voituriers et tous leurs autres employés 2.

1. On trouvera ci-dessous, au Livre III, titre I, dans la théorie du non cumul


des peines, une autre application de la même idée; on verra en même temps les
exceptions que la jurisprudence y apporte en matière fiscale. Une autre application
encore, avec une restriction semblable, se rencontrera dans le commentaire du
Code d'instruction criminelle, à propos de la règle que la transaction ne peut
éteindre les obligations pénales.
2. Voy. plusieurs autres lois rapportées par SOUEDAT, Traité général de la res-
ponsabilité, II, p. 26 et s.
316 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Est-ce à dire que ces lois, dérogeant à l'une des règles précédem-
ment indiquées, prononcent l'amende contre les personnes civilement
responsables? Non. La responsabilité qu'elles imposent subsidiaire-
ment, quant aux amendes, à des individus qui ne sont pas les auteurs
des délits prévus, n'est pas la responsabilité civile, mais bien la res-
ponsabilité pénale ; les individus dont il s'agit sont coupables d'un
défaut de surveillance érigé lui-même en délitd.
433. Jusqu'ici, les auteurs et la jurisprudence sont d'accord pour
maintenir le principe avec toutes ses conséquences.
Mais des dissentiments sont nés sur l'interprétation de trois textes
relatifs à des matières fiscales. Le premier est l'article 20 du titre xni
de la loi du 6-22 août 1791 sur les douanes, qui porte : « Les pro-
priétaires des marchandises seront responsables civilement du fait
de leurs facteurs, agents, serviteurs et domestiques en ce qui con-
cerne les droits, confiscations, amendes et dépens. » Le deuxième est
l'article 8 du titre m du décret du 4 germinal an II qui, après avoir
frappé d'une amende les conducteurs de messageries et voitures pu-
bliques coupables de certaines contraventions aux lois de douanes,
ajoute que « les fermiers ou régisseurs intéressés seront solidaires
avec les conducteurs pour cette amende. » Le troisième est l'ar-
ticle 35 du décret du 1er germinal an XIII sur les droits réunis,
ainsi conçu : « Les propriétaires des marchandises seront responsa-
bles du fait de leurs facteurs, agents ou domestiques en ce qui con-
cerne les droits, confiscations, amendes et dépens. »
Quel est le sens de ces dispositions ? En résulte-t-il que, pour les
délits de douanes et de contributions indirectes, la responsabilité
pénale s'étend, quant aux amendes, aux maîtres et commettants pro-
priétaires des marchandises et aux fermiers ou régisseurs, de même
qu'elle s'étend, pour les délits de postes, aux entrepreneurs de voi-
tures et messageries, de même qu'elle s'étend, en matière de délits
forestiers, aux adjudicataires des coupes de bois ? Ou bien, au con-
traire, est-ce l'amende qui se convertit en réparation civile et devient
pour les maîtres et commettants, fermiers ou régisseurs une charge
delà responsabilité civile, comme les dommages intérêts et les frais?
434. Je pense que la première interprétation, la seule qui soit con-
forme aux principes, la seule qui mette en harmonie les lois de 1791,

1. BLANCHE (I, n°s 287, 4°, 5°, 6», 293, 294) cite ou rapporte les arrêts de cass.
du 5 mars 1855 et du 28 fev. 1856 en matière de postes, ceux du 20 sept. 1832,
du 16 nov. 1833, du 8 mai 1835, du 23 avril 1836 en matière de forêts.
PEINE DE L'AMENDE. 317

de l'an II et de l'an XIII avec les textes analogues précédemment


rapportés, est de beaucoup la plus sûre. Ce n'est pas qu'il me paraisse
exact de dire, comme le font d'éminents criminalistes 1, que la loi
suppose une sorte de complicité de la part des personnes sur qui elle
fait retomber l'amende. S'il en était ainsi, elle les frapperait, non pas
seulement de l'amende, mais aussi, par application de l'article 59 du
Code pénal, des autres peines que les auteurs des délits ont pu encourir,
telles que l'emprisonnement, les travaux forcés, la surveillance de la
haute police (loi du 22 ventôse an XII relative aux douanes, titre V,
art. 26 ; décret du 12 octobre 1810 relatif à la répression de la fraude
en matière de douanes, art. 15-19). Et d'ailleurs, les faits de compli-
cité ayant été déterminés dans les articles 60 à 62 du Code pénal, il
n'est permis de considérer comme complices que ceux à la charge de
qui ces faits ont été judiciairement établis. Mais, à défaut de complicité,
il est du moins certain que les maîtres et commettants propriétaires
des marchandises, les fermiers ou régisseurs ont commis une faute,
celle de n'avoir pas surveillé leurs agents, faute d'autant plus grave
qu'elle leur est souvent profitable. Or il n'est contraire à aucun prin-
cipe de droit 2 d'ériger en délits certaines omissions ou négligences.
C'est précisément ce qu'ont fait l'article 9 de l'arrêté de prairial an IX
et les articles 45 et 46 du Code forestier. C'est sans doute aussi ce
qu'ont entendu faire les lois de 1791, de l'an II et de l'an XIII. Elles
ne contiennent donc point d'exception au caractère pénal de l'amende.
Elles ne dérogent même pas à la règle que toute peine doit être per-
sonnelle 3. Les maîtres et commettants, fermiers ou régisseurs dont
il s'agit sont pénalement responsables parce qu'ils sont personnelle-
ment coupables, non d'avoir commis le délit, mais de l'avoir laissé
commettre.
435. Néanmoins, c'est la seconde interprétation que la jurispru-
dence a admise. La cour de cassation est d'avis que la responsabilité
des maîtres et commettants propriétaires des marchandises, des
fermiers ou régisseurs n'est pas une responsabilité pénale, même en
ce qui regarde l'amende ; elle estime que c'est l'amende, au contraire,
qui cesse d'être une peine, dans l'espèce, pour prendre le caractère
de réparation civile.

1. CHAUVEAU et F. HÉLIE. I, n° 130. SOURDAT, Traité général de la respon-


sabilité, I, n° 80.
2. Se reporter, ci-dessus,
aux n°s 110, 199, 201. Voy. aussi les n°s 100 et 101.
3. Comme lo disent CIIAUYEAU et F. HÉLIE, I, n" 130; SOUHDAT, I, n° 80:
318 DROIT PÉNAL. — SYSTEME GÉNÉRAL DES PEINES.
La cour de cassation a-t-elle du moins restreint cette exception aux
termes dans lesquels les lois de 1791, de l'an II et de l'an XIII l'ont,
suivant elle, introduite? A certains points de vue oui, à d'autres non.
Ainsi, quand il s'agit de savoir si l'amende peut être prononcée,
après la mort du délinquant, contre ses héritiers, elle affirme que « en
matière de contravention aux lois fiscales, comme dans toutes les
autres matières, les amendes ont un caractère pénal ; qu'elles sont
personnelles ; que l'action s'en éteint donc par le décès du contreve-
nant, lorsqu'il a lieu avant que la condamnation ait été prononcée » '.
Mais, d'autre part, elle décide que les père et mère du délinquant
mineur peuvent être poursuivis et condamnés civilement à l'amende
comme aux dommages intérêts et aux frais, affirmant alors que « en
matière de douanes et de contributions indirectes, l'amende n'a pas
le caractère d'une peine proprement dite; qu'elle doit être considérée
comme une réparation civile du préjudice causé à l'État par les effets
de la fraude ; que, par conséquent, les personnes civilement respon-
sables en sont tenues.»
Et cela, elle ne l'admet pas seulement dans le cas où les.auteurs du
délit peuvent être eu fait réputés les agents ou les préposés de leurs
pères et mères propriétaires des marchandises, fermiers ou régis-
seurs 2, auquel cas elle applique exactement les lois de 1791, de l'an II
et de l'an XIII; elle l'admet même alors que les rapports de maîtres à
préposés n'existent pas entre les pères et mères et les délinquants
mineurs, en se fondant uniquement sur les articles 74 du Code pénal
et 1384 du Code civil 3.
436. Contre cette jurisprudence une objection vient tout d'abord à
l'esprit; c'est que deux affirmations contraires sur le sens d'un texte,
suivant les applications qu'il s'agit d'en faire, l'adoption ou la néga-
tion d'un principe, suivant que l'on se trouve en face de telle ou telle
de ses conséquences, constituent une interprétation bien hésitante.
Quoi qu'il en soit, sur quelles raisons la cour de cassation s'appuie-
l-elle, avec l'approbation de plusieurs criminalistes4, pour faire de
l'amende une réparation civile, en matière fiscale, et pour en rendre

1. Voy. les arrêts de cass. du 28 messidor an VIII et du 9 déc. 1813 rapportés par
1

BLANCHE, I, n" 299. Voy. aussi un arr. de Besançon du 21 déc. 1854 (Sir. 55, II, 181).
2. Arr. du 6 juin 1811, rapporté par BLANCHE, I, n° 290, p. 360.
3. Voy. nolammentlcs arrêts du 18 mars 1842 (Sir. 42, 1,465), du 13 mars 184*
(S. 44, I, 366), du 30 nov. 1869 (S. 70, I, 115); ce dernier est le plus important de
tous, parce qu'il casse un jugement fortement motivé du tribunal de Mulhouse.
A:BLANCHE, 1, n°s 295, 296; TRÉBUTIEN, 1, p. 260, 261; BEHTAULD, 13° leçon.
PEINE DE L'AMENDE. 319
responsables à ce [titre les pères et mères absolument étrangers au
délit commis par leurs enfants ? Elle donne, en premier lieu, un sens
qu'ils n'ont pas aux termes d'un arrêté du Directoire du 27 thermidor
an IV et à l'économie générale de la loi du 28 avril 1816 sur les
douanes. De plus, elle se prévaut, bien à tort, comme on le verra plus
loin, de ce que les tribunaux civils peuvent être compétents en ces
matières. Mais surtout, et c'est en ceci seulement qu'elle fait un rai-
sonnement sérieux, elle tire argument des termes de l'article 20 du
titre XIII de la loi du 22 août 1791 et de l'article 56 du titre V de la
loi du 28 avril 1816, qui sont l'un et l'autre relatifs aux douanes. Le
premier porte : « les propriétaires des marchandises seront responsa-
bles civilement du fait de leurs facteurs... en ce qui concerne les
droits, confiscations, amendes et dépens. » Le second (aujourd'hui
abrogé) disait : « Les crimes prévus par les deux articles précédents
seront poursuivis, jugés et punis, ainsi que le prescrit la loi du
20 décembre 1815, et il sera en même temps statué sur les condam-
nations civiles en résultant, telles que confiscation, amende, dom-
mages-intérêts. » N'est-il pas évident, dit un des auteurs qui soutien-
nent l'interprétation de la jurisprudence 4, que ces dispositions
attribuent à l'amendé, en matière fiscale, un caractère particulier,
celui d'une réparation civile ?
Que ce soit le sens apparent de ces textes, je ne le nie pas ; mais
que ce soit leur sens évident, c'est trop dire ; et je crois que ce n'est
pas leur sens véritable. Je pense que les expressions employées dans
l'article 20 de la loi de 1791 et dans l'article 56 de la loi de 1816 (que
je n'écarte pas du débat, bien qu'il soit abrogé) n'ont pas ici leur
signification ordinaire et technique ; il me semble que l'on a entendu
parler de responsabilité pécuniaire, de condamnations pécuniaires,
on les opposant à la responsabilité et aux condamnations corporelles ;
que l'on a simplement voulu joindre, à ce titre, la confiscation et
l'amende aux droits et dépens, pour les faire peser tous à la fois sur
les propriétaires des marchandises, mais sans intention de convertir
en véritables réparations civiles les peines de la confiscation et de
l'amende, sans attacher une si grande importance aux formules. C'est
d'autant plus vraisemblable que, dans l'article 8 du titre III du décret
du A germinal
an II, également relatif aux douanes 2, on se borne à
dire que les fermiers
ou régisseurs seront solidaires avec les conduc-
1. BLANCHE, I, n° 296.
2. Se reporter ci-dessus,
au n° 433.
320 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
teurs pour l'amende, et que, dans l'article 35 du décret du 1er germi-
nal an XIII sur les droits réunis, identique pour le reste à l'article
20 de la loi de 1791, le mot civilement n'est pas reproduit ni la res-
ponsabilité des propriétaires des marchandises qualifiée.
Ainsi, sur les quatre textes qui forment la base du système de la
jurisprudence, l'un, qui est l'article 8 du décret de germinal an II, ne
contient pas un mot qui le justifie ; et cela est si vrai que le plus con-
sidérable des alliés de la jurisprudence * reconnaît formellement que
cet article parle de responsabilité pénale ; un second, qui est l'article 35
du décret de germinal an XIII, ne renferme également aucune
expression caractéristique. En présence de ces deux textes, les deux
autres perdent beaucoup de la signification particulière que la thèse
contraire prétend leur attribuer.
Que leur en restera-t-il si on les rapproche de l'article 9 du décret
du 27 prairial an IX et des articles 45 et 46 du Code forestier, rap-
portés plus haut, et qui, la cour de cassation en convient, établissent
une responsabilité pénale? Pourquoi les amendes auraient-elles en
matière de contributions indirectes et de douanes un autre caractère
qu'en matière de forêts et de postes ?
Au reste, il me semble difficile de comprendre comment des
amendes, ordinairement fixes elle plus souvent très fortes, jointes aux
droits, jointes à la confiscation des marchandises saisies, entraînant
par conséquent pour celui qu'elles atteignent une perte pécuniaire
considérable, peuvent être envisagées comme une juste réparation du
dommage minime que le délit a causé à l'État. Tout au contraire,
l'amende en ces matières me paraît être une peine par excellence et
des plus énergiques, dont le but est de prévenir les fraudes, en
obligeant les propriétaires de marchandises à comparer le risque
énorme que la contravention leur fera courir au faible sacrifice que
leur imposerait l'observation de la loi.
En dernier lieu, si le texte de l'article 22 de la loi de 1791, le seul
en vigueur qui parle de'responsabilité civile, doit l'emporter sur toutes
ces considérations, il n'en résulte en somme qu'une exception au
principe certain que l'amende est une peine, et rien n'autorise à
étendre cette exception hors du texte où elle a été introduite, Or elle
concerne uniquement les maîtres et commettants propriétaires de
marchandises dont les agents ou employés ont commis dés fraudes,

1. BLANCHE, I, n° 291.
PEINE DE L'AMENDE. 321

en matière de douanes. Il n'est donc pas juridique de l'étendre aux


pères et mères ou autres personnes civilement responsables, lorsque
leur situation par rapport aux délinquants n'a rien de commun avec
celle que prévoit la loi de 1791 i.
IV. Si l'amende édictée dans les lois non pénales y conserve
son caractère de peine. — 436 bis. L'amende se rencontre dans
un certain nombre de dispositions appartenant aux Codes civil, de
procédure civile, de commerce, ou dans des lois spéciales non pé-
nales 2. Doit-on, là encore, la considérer comme une peine? Je rap-
pelle que, selon moi, le trait distinctif de la peine est d'être exclusi-
vement une mesure d'ordre public, que les particuliers ne peuvent
réclamer et que les juges prononcent, soit d'office, après avoir été
légalement saisis, soit sur les réquisitions de fonctionnaires spéciaux '>'.
Si l'on n'adopte pas ce critérium, on demeurera incertain et hésitant

en face de la question dont il s'agit 4. Si on l'admet, on décidera que


l'amende n'est autre chose qu'une peine toutes les fois qu'elle doit
rester en dehors des conclusions des parties intéressées ; et, si l'on ne
trouve pas un seul cas où il n'en soit ainsi, on en conclura que l'a-
mende est toujours une peine. Il est vrai que l'amende édictée dans
des lois non pénales sera prononcée par un juge civil. Mais qu'im-
porte! Les juges civils ne sont-ils pas quelquefois compétents pour
infliger de véritables peines? L'article 308 du Code civil, par exem-
ple, ne leur donne-t-il pas le pouvoir de condamner la femme adul-
tère à l'emprisonnement? Entre autres conséquences, il résulte de
cette doctrine que l'amende ne peut être prononcée contre les
1. La jurisprudence sur le caractère de l'amende en matière de douanes et de
contributions indirectes qui vient d'être exposée cl critiquée a inspiré une préten-
tion plus étonnante encore : ou a voulu en conclure que les procès de douanes
aboutissant à des condamnations à l'amende étaient des matières civiles et ne
donnaient pas lieu à la contrainte par corps qu'édicté l'art. 1 de la loi du
22 juillet 1867. Cette prétention était absolument inadmissible, puisque l'amende,
lût-elle une réparation civile, serait du moins une réparation due à raison d'un fait
délictueux, et que l'art. 3 de la loi de 1867 la garantirait à ce titre par la contrainte
corporelle, Aussi cette prétention a-t-elle été repoussée par un arrêt d'Amiens du 16
mai 1868 (S. 68, II, 139). Cet arrêt est fort important : il ne s'appuie pas seulement
sur le motif décisif qui vient d'être indiqué, il reconnaît en outre le caractère pé-
nal de l'amende prononcée en matières de douanes, et résume bien les aspects divers
souslesquels cette sorte d'amende est considérée par la jurisprudence tantôt comme
une peine, tantôt comme une réparation civile.
2. Par ex. art. 50, 53,192 C. civ. ; art.56, 213, 246, 263, 374, 390, etc. C. pr.
civ.; art. 68 C. com.; art. 13, 53, L. du 25 vent, an XI sur le notariat.
3. Se reporter ci-dessus
au n0' 259.
4. Voy., en effet, SOUHDAI, I, n" 87 qualer,
21
322 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
héritiers de celui qui l'a encourue, à moins d'une djsposjtjqn de loi
formelle l.

II. PEINE BE LA CONFISCATION.

II s'agit, non de la confiscation générale, qui est abolie, mais de la confiscation


spéciale. — I. Définition. — II. Quels objets peuvent être confisqu es. — III. Ca-
ractère de la confiscation : tantôt elle est simplement une peine; tantôt elle est à
la fois une peine et surtout une mesure d'ordre public; tantôt elle n'a que ce
dernier caractère; conséquences.

437. La confiscation établie dans nos lois actuelles n'est plus la


confiscation générale, c'est-à-dire la dévolution à l'État, à titre de
succession, de l'universalité ou d'une quote-part des biens du con-
damné. Abolie par l'Assemblée constituante, en 1790, rétablie dans
le Code pénal de 1810, la confiscation générale a été définitivement
supprimée par l'article 66 de la Charte de 1814; car celte abrogation
a été maintenue, depuis, par l'article 57 de la Charte de 183.0 et par
rticle 12 de la Constitution du 4 novembre 1848. Il s'agit donc, ici,
de la confiscation spéciale, c'est-à-dire de la confiscation appliquée à
des objets particuliers. C'est d'ailleurs ce que montrent clairement les
articles 11, 464 et 470 du Gode pénal; c'est aussi ce qui ressort des
textes du même Code et des autres lois qui prononcent la confiscation
pour un assez grand nombre de délits comme une mesure tantôt
obligatoire, tantôt facultative.
I. Définition. — 438. La confiscation consiste dans le transfert
à l'Etat de la propriété des objets confisqués.
Mais quelquefois l'État n'acquiert ces. objets qu'en vue d'une cer-
taine destination qu'ils ont reçue de la loi. C'est ainsi que l'article
180 du Code pénal, l'article 4 de la loi du 3 mai 1844 sur la police de
la chasse, etc., les attribuent à des établissements de bienfaisance;
ou bien que l'article 429 du Code pénal, l'article 49 de. la loi du
5 juillet 1844 sur les brevets d'invention, etc., prescrivent de les
remettre à la partie lésée, à titre de réparation du dommage qu'elle
a souffert.

1. En ce sens, arr. de Nancy, du 30 août 1844 (S. 44,11, 630).


L'art. 76 de la loi du 28 av. 1816, en matière de timbre, eT l'art. 11 de la loi
de finances du 25 juin 1841, au cas de simulation dans, un traité de transmission
d'office, mettent expressément l'amende à la charge des héritiers du. délinquant
prédécédé.
PEINE DE LA CONFISCATION. 323
Parfois aussi, les objets confisqués doivent être détruits. C'est, par
exemple, ce que les articles 423 et 477 du Code pénal ordonnent, pour
les faux poids, les fausses mesures, les écrits ou gravures contraires
aux bonnes moeurs; l'article 16 de la loi du 3 mai 1844 pour les en-
gins de chasse prohibés; l'article 5 de la loi du 27 mars 1851 pour
les substances falsifiées ou corrompues et nuisibles à la santé.
II. Quels objets peuvent être confisqués. — 439. Les objets
qui peuvent être confisqués sont, d'après les articles 11 et 470, de
trois sortes.
Ie Les choses qui forment le « corps du délit » 1 aux termes de
l'article 11, ou les « choses saisies en contravention », suivant l'ex-
pression de l'article 470. Appartiennent à cette catégorie, par exem-
ple : les grains, vins ou boissons dont les fonctionnaires indiqués
dans l'article 176 du Code pénal ont fait illégalement le commerce;
les armes prohibées que l'article 314, §2, défend, de porter; les mar-
chandises sur la nature, la qualité ou la quantité desquelles il y a eu
tromperie (art.323) ; les faux poids ou fausses mesures saisis dans
des magasins ou marchés.
2° Les « choses produites par le délit ». Appartiennent à cette ca-
tégorie, par exemple : les présents au moyen desquels ont été cor-
rompus de faux témoins ou des fonctionnaires publics (art. 364, 180) ;
les recettes qu'un entrepreneur de spectacles a obtenues par des re-
présentations illicites (art. 428).
Souvent les mômes objets sont à la fois choses formant le corps du
délit et choses produites par le délit. lien est ainsi, par exemple :
des armes fabriquées malgré la prohibition de la loi (art. 314, § 1) ;
des substances falsifiées (art. 1 et 5 de la loi du 27 mars 1851); des
marchandises fabriquées en contrefaçon d'un brevet d'invention
(art. 40 et 49 de la loi du 5 juillet 1844).
3° Les « choses qui ont serti ou qui ont été destinées à commettre
le délit ». Appartiennent à cette catégorie, par exemple : les instru-
ments et appareils employés ou destinés au service des jeux ou des
loteries que prohibe l'article 410 du Code pénal; les armes et engins
avec lesquels a été commis un délit de chasse (art. 16, loi du 3 mai
1844).
440. Tels sont les objets qui peuvent être confisqués. Mais ce n'est

1. Les mots corps du délit, en un autre sens, désignent l'élément matériel du


délit, c'est-à-dire le degré d'accomplissement physique nécessaire pour que le fait
soit punissable. Se reporter, ci-dessus, au n" 132.
324 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,

pas à dire qu'ils doivent toujours l'être, quel que soit le délit. Les
articles 11 et 470 contiennent des règles générales que le législateur
a tracées en quelque sorte pour lui-même. Quant aux juges, ils con-
sulteront, pour chaque délit, le texte qui le prévoit, et ne prononce-
ront la confiscation que si ce texte l'ordonne ou l'autorise et clans les
limites qu'il a posées.
441. C'est l'objet même désigné par la loi qui doit être confisqué.
La valeur n'en peut être demandée au condamné, s'il est détérioré ou
n'a pas été saisi, ni offerte par le condamné qui désire le conserver.
Autrement, la peine serait dénaturée 4.
Cependant cette règle souffre quelques exceptions. Ainsi, d'après
l'article 3 de la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse, au cas
où les armes et engins qui ont servi à commettre le délit n'auront pas
été saisis, le délinquant sera condamné à les représenter ou à en
payer la valeur.
III. Quel est le caractère de la confiscation; règles qui en dé-
rivent. — 442. En droit rationnel, on conçoit que la confiscation
puisse avoir pour but, soit de frapper uniquement le coupable à
titre de peine, soit de le punir et en même temps de retirer du com-
merce, par mesure de police, certaines choses dont la possession
est illicite ou qui sont en elles-mêmes nuisibles, soit d'obtenir
simplement la suppression de ces choses. Eh bien, si l'on consi-
dère la nature des objets divers que, d'après les textes ci-dessus
indiqués, la confiscation peut atteindre, on reconnaîtra que nos
lois lui ont effectivement assigné tour à tour l'un ou l'autre de
ces trois rôles, bien que la qualification de peine soit la seule qu'elles
lui aient donnée (art. 11 et 464); on reconnaîtra qu'en réalité elle a
tantôt le caractère de peine, tantôt avec, ce caractère celui de mesure
de police remise aux soins du pouvoir judiciaire, tantôt ce dernier
caractère seul. Et, si l'on admet que tel a été l'esprit de la loi, je
pense que l'on pourra concilier entre eux des textes qui paraissent
discordants et suppléer à certaines lacunes; car la loi ne s'est pas
toujours expliquée sur la confiscation d'une manière formelle, et des
difficultés en sont résultées.
443. Tout d'abord, une règle générale domine toutes les espèces :
quels que soient le but et le caractère de la confiscation, elle ne peut
jamais être prononcée que par les tribunaux, dans les cas prévus par
1. Arr. de cass. du 23 mai 1823, cité par BLANCHE, I, n° 75,
— Arr. de cass.
du 11 juin 1840 (Sir. 40, I, 968) et du 14 août 1871 (Sir. 71, I, 116).
PEINE DE LA CONFISCATION. 225
la loi, relativement aux objets désignés par elle, et à. l'occasion d'un
délit constaté. Lorsqu'elle est une-peine, c'est évident; lorsqu'elle est
une mesure de police, ce n'est pas moins certain; tous les textes la
concernant montrent bien qu'elle ne peut être ordonnée que par la
justice et à raison d'un fait délictueux 1.
444. Mais, à d'autres points de vue, il faut, pour discerner les règles
de la confiscation, distinguer deux catégories d'hypothèses : 1° celles
où la confiscation n'est qu'une peine ; 2° celles où elle est en même
temps ou seulement une mesure de police.
I. 445. La confiscation n'est qu'une peine lorsque les objets qu'elle
peut atteindre n'offrent par eux-mêmes rien de dangereux ni d'illicite.
C'est le caractère de la confiscation appliquée, par exemple : aux
grains, vins ou boissons dont certains fonctionnaires ont fait le com-
merce malgré la prohibition de la loi (art. 176, C. pén.) ; aux mar-
chandises sur la nature, la qualité ou la quantité desquelles il y a eu
tromperie (art. 423) ; aux présents qui ont eu pour but de corrompre
un fonctionnaire public ou un témoin (art.180, 364); aux recettes
illégalement obtenues par un entrepreneur de spectacles (art. 428).
Dans ces cas, les règles propres aux peines doivent recevoir leur
application, et notamment :
1° La confiscation ne peut être prononcée que si l'inculpé est déclaré
coupable et condamné ; elle est prononcée comme peine complémen-
taire 2.
2° Si le délinquant est mort avant d'avoir été condamné, la confis-
cation ne peut être prononcée contre ses héritiers ; s'il est mort alors
que sa condamnation n'était pas encore irrévocable, cette condamna-
tion est non avenue pour eux. Mais si, au moment de sa mort, sa con-
damnation était passée en force de chose définitivement jugée, la
confiscation sera poursuivie contre ses héritiers, parce qu'il est mort
après avoir perdu la propriété des objets confisqués.
3° La confiscation n'atteint pas lès personnes qui ne sont que civi-
lement responsables 3. Si l'article 20 du titre XIII de la loi du

1. En ce sens, V. notamment les arr. de cassât, du 18 mai 1844, (Sir. 44, I, 621),
du 15 nov. 1844 (S. 45, I, 392), du 24 mars 1848 (S. 48, I, 579), du 6 mai 1854
(S. 54, I, 592), du 10 fév. 1854 (S. 54, I, 400), du 18 juin 1856 (S. I, 765), qui ont
nié la légalité de la confiscation, soit parce qu'il n'y avait pas eu de délit, soit
parce qu'il s'agissait de remèdes secrets ou bien d'objets provenant d'un vol ou
achetés avec le produit du.vol.
2. Arr. de cassât, du 28 sept. 1850 (Sir. 51, I, 458).
3. Arr. de cassât, du 6 juin 1850 (Sir. 50,1, 815). .
326 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
22 août 1791 sur les douanes et l'article 35 du décret du 1er ger-
minal an XIII, concernant les droits réunis, l'édictent contre les pro-
priétaires des marchandises, au cas de fraude, c'est que ces per-
sonnes encourent une responsabilité pénale, comme on l'a vu ; ou du
moins c'est à titre d'exception, et cette exception doit être restreinte
dans les termes des textes qui font établie 1.
4° Dans le cas où la confiscation porte sur le corps du délit, elle ne
peut être prononcée que si l'objet dont il s'agit appartient au con-
damné (art. 11, C. pénal).
II. 446. La confiscation est à la fois une peine et une mesure de
police, lorsque les objets qu'elle peut atteindre sont par eux-mêmes
nuisibles, dangereux pour la sûreté ou pour l'honnêteté publique ;
ou bien lorsque la possession en est illicite, soit dans les mains du
délinquant, soit d'une manière absolue 2. Tel est le double caractère
de la confiscation appliquée, par exemple : aux denrées alimentaires
et boissons falsifiées contenant des mixtions nuisibles à la santé (art. 1
et 5 de la loi du 27 mars 1851, et art. 1 de 1a loi du 5 mars 1855);
aux armes prohibées (art. 314, C. pén.); aux faux poids et fausses
mesures (art. 481) ; aux livres ou images contraires aux bonnes moeurs
(art. 287 et 477) ; aux marchandises prohibées à l'entrée (I. du
22 août 1791) ; aux ouvrages marqués de faux poinçons (1. du 19 bru-
maire an VI).
La confiscation est une simple mesure de police, lorsqu'elle peut
atteindre des objets nuisibles, de nature a être employés pour com-
mettre des délits, mais dont le propriétaire est inconnu. C'est le
caractère de la confiscation qui est ordonnée à l'égard des armes,
engins ,ou autres instruments de. chasse abandonnés par des délin-
quants restés inconnus, aux-termes .de l'article 16, § 4, de la loi d'u
3 mai 1844.
1. Il faut, en effet, appliquer à la confiscation tout ce qui a été dit sur l'amende,
ci-dessusi, au n°s 433-436.
2. En pareil cas, BLANCHE (I, n° 68) exprime la même idée sous cette forme : « Il
faut, eu outre, remarquer que la confiscation spéciale est une peine d'une nature
particulière. Elle affecte bien plus la chose que la personne ; et, s'il peut m'être per-
mis de matérialiser ainsi ma pensée, elle punit plus la chose qu'elle adjuge à
l'Étal que l'accusé- ou le prévenu qu'elle ne frappe qu'indirectement, et qu'elle
n'atteint même pas, si la chose ne lui appartient point. » Je ne crois pas qu'il soit
exa-ct de qualifier de peine une mesure qui frappe une chose; à ce point de vue,
l'a confiscation n'a rien de. pénal. De plus, le savant auteur, en s'exprimant d'une
manière si générale, ne prend pas garde que, dans nombre de cas aussi, la confis-
cation est une véritable peine- sans aucun mélange d'autre- caractère ; que, dans ces
cas, c'est bien la personne et non la chose qui est punie;
PEINE DE LA CONFISCATION. 327
Dans ces derniers cas, l'élément pénal de la confiscation est absent;
dans ceux qui précèdent, bien que présent, il est le moins important
et doit s'effacer. Dans tous, par conséquent, les règles propres aux
peines rie soiit plus applicables, et notamment :
1° La Confiscation, pourvu que le délit matériel ait été constaté,
peut être prô rioncée, non seulement envers le délinquant condamné,
mais même s'il est acquitté ou absous. L'article 49 de la loi du
5 juillet 1844 sur les brevets d'invention l'ordonne en termes exprès.
L'article 14 de la loi du 23 juin 1857 sur les marques de fabrique
et de co mmerce le permet aussi d'une manière formelle. L'article 23
du titre X de la loi dû 22 août 1791 sur les -douanes déclare que, si
le procès-verbal dé Saisie est nul pour vice de forme, la peine d'a-
mende ne pourra être prononcée, mais que la confiscation des mar-
chandises prohibées à l'entrée n'en sera pas moins poursuivie *.
L'article 109 de là loi du 19 brumaire an VI, sur la garantie des
matières d'or et d'argent, dit queues ouvrages marqués de faux poin-
çons seront confisqués dans tous les cas 2. Les articles 34 et 38 du
décret du lor germinal an XIII, sur la fabrication des poudres de
guerre, contiennent une disposition semblable 3. Enfin, ce que ces lois
énoncent expressément, il faut aussi lé décider en l'absence d'un texte
formel, puisque c'est la nécessité des choses qui l'exige 4.
2° II faut aller plus loin et admettre que la confiscation peut être
prononcée même au cas où le délinquant est inconnu, toujours à la
condition que le délit soit constant. L'article 16, §-4, de la loi du
3 mai 1844 sur la police de lâchasse, fait une application de cette idée.
Mais comment le juge sera-t-il saisi, en l'absence de tout, accusé ou
prévenu ? Le même article 16 de la loi de 1844, après avoir dit que
« les armés, engins ou autres instruments de chasse, abandonnés par
les délinquants restés inconnus, seront saisis et déposés au greffe du
tribunal compétent », ajoute : « La confiscation et, s'il y a lieù,_la
1. Cette disposition, si claire d'ailleurs, a été interprétée eh ce sens par un Cer-
1

tain n'ombre d'a'rrêts cités par BLANCHE, I, n° 81.


2. Applications d'ans les arrêts cités par BLANCHE, I, n» 81.
3. Arr. de Toulouse du 16 nov. 1849 (S. 50, II, 609.)
4. Arr. du 3 janv. 1857, rapporté in-extenso par BLANCHE (p. 108 et 109), faisant
application de cette l'ègïé' à là loi du 27 maïs 1851, à propos dé vinaigres falsifiés et
contenant des mixitions nuisiblesi à la santé. H1 est l'Ccorihù, dans lés considérants de
cet arrêt', que, dans certaines hypothèses, la confiscation doit être ordonnée non plus
c oihme Une petite, triais' comme une mesuré de précaution. — En même sens, àrr.
du 12 juill. 1860, rapp. en abrégé par BLANCHE p. 110; 12 mars 1869
— Bourges,
(Sir. 70,11,22).
328 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
destruction en seront ordonnées sur le vu du procès-verbal. » Il
résulte de là que, dans ce cas, le juge sera saisi par le réquisitoire
du ministère public 1. Dans les espèces analogues, on procédera de
la même manière. — Si le délit a été commis en des matières où une
administration a l'exercice de l'action publique, il faut admettre que
la demande sera adressée au tribunal par voie de requête 2.
3° La confiscation peut être prononcée, même après la mort de l'in-
culpé, contre ses héritiers 3.
4° Elle peut être prononcée contre les personnes qui ne sont que
civilement responsables.
5° Au cas où elle porte sur le corps du délit, elle peut être pro-
noncée alors même que l'objet dont il s'agit n'appartient pas au con-
damné, malgréla formule générale de l'article 11 du Code pénal *.
447. La distiction qui vient d'être analysée permet, comme on l'a
vu s, de préciser la portée d'une restriction que fait l'article 11 en
n'autorisant la confiscation du corps du délit que « quand la pro-
priété en appartient au condamné ». Dans ce texte, la loi se réfère
à la confiscation prononcée simplement à titre de peine. II serait évi- '
demment inique, alors, de frapper un tiers étranger au délit, peut*
être même victime de ce délit et propriétaire de la chose qui en a
été l'objet ; par exemple, il serait inique, au cas où il s'agit de pro-
duits fabriqués en contrefaçon d'un brevet d'invention, de les confis-
quer entre les mains d'un acheteur auquel on ne peut attribuer ni
l'une ni l'autre des qualités indiquées dans l'article 49 de la loi du

1. Cependant un arrêt de cassation du 21 juillet 1848 (rapporté par BLANCHE


n° 83 ) a nié la légalité de cette procédure en se fondant sur l'article 182 du Code
d'inst. crim. Mais, comme la cour suprême le fait observer elle-même dans un autre
arrêt, du 8 juillet 1841, les dispositions de l'article 182 sur la manière de saisir
les tribunaux correctionnels ne sont pas conçues dans des termes restrictifs. En
effet, cet article n'a pas prévu le cas extraordinaire dont il s'agit. La loi restera-
t-clle inobservée par respect pour un texte de procédure qui n'a rien de formelle-
ment prohibitif? Enfin, ne peut-on pas estimer que l'article 16 de la loi de 1844
a précisément autorisé une procédure omise par le Code d'instruct. crim. ?
2. C'est ce qu'a décidé un arrêt de cassation du 8 juillet 1841 (rapporté par
BLANCHE, n° 83, p. 112) en matière de contravention au décret du 1er germina an 1

XIII, sur la fabrication des poudres de guerre.


3. Arr. du 9 déc. 1813, rapporté par BLANCHE, p. 102.
4. Telles sont les conséquences, en sens inverse, soit du caractère pénal de la
confiscation, soit de son caractère de mesure d'ordre public, qui devaient être
exposées ici. J'examinerai plus loin, dans la théorie du non cumul des peines et
dans celle des circonstances atténuantes, si cette distinction doit aussi avoir de
l'influence à ces deux points do vue.
5. Comparer les nos 445 4° et 446 5».
PEINE DE LA CONFISCATION. 329

5 juillet 1844 ; ou bien, au cas de vol, d'escroquerie, d'abus de con-


fiance, de confisquer les choses ainsi détournées. Mais, lorsque la con-
fiscation est ordonnée comme mesure d'ordre public, il importe peu
desavoir qui en est propriétaire, et le texte de l'article 11 doit céder
devant la force des choses.
Il est vrai que l'article 5 de la loi du '27 mars 1851 sur la répression
de certaines fraudes dans la vente des marchandises renvoie, pour la
confiscation des substances alimentaires falsifiées, même lorsqu'elles
contiennent des mixtions nuisibles à la santé, aux articles 423 et 477
du Code pénal qui distinguent, suivant qu'elles appartiennent ou non
au délinquant. Mais, outre que cette disposition des articles 423 et 477
ne se comprend pas, il faut considérer que le même article 5 renvoie
aussi à l'article 481 du Code qui, pour la confiscation des faux poids
et fausses mesures, est absolu ; d'où l'on est autorisé à conclure que
la loi du 27 mars 1851 n'a pas entendu reproduire une distinction si

peu rationnelle. Elle le montre bien, d'ailleurs, dans la suite de son


article 5, en ordonnant la destruction des objets confisqués, s'ils sont
nuisibles ou impropres à un usage alimentaire ou médical.
On remarquera, du reste, que les objets produits par le délit et les
objets qui ont servi ou ont été destinés à le commettre pourront tou-
jours être confisqués, quel qu'en soit le propriétaire.

SECTION II.—CONDAMNATIONS PÉCUNIAIRES NON PÉNALES;


DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE DIRECTE.

Notion de la responsabilité civile et de l'action civile, de la responsabilité directe


et de la responsabilité indirecte; indication des trois chefs de la responsabilité
civile.

448. Il arrive souvent que le délit intéresse à la fois la société, blessée


dans quelqu'une de
ses lois, et un individu qui en a directement souf-
fert. Il donne lieu alors à deux sortes de responsabilité, à la responsa-
Mité pénale et à la responsabilité civile. La première est l'obligation
de répondre à l'accusation criminelle et, au'cas de condamnation,
d'expier
par une peine le délit commis. La seconde est l'obligation de
répondre à la demande
en réparation du dommage qui a été causé.
La responsabilité civile est soumise, en principe, aux mêmes condi-
tions
que la responsabilité pénale, conditions qni ont été examinées
330 DROIT PÉNAL. - SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

dans la théorie générale du délit 1. Mais cette assimilation ne saurait


être absolue. S'il est vrai de dire que le défaut complet d'intelli-
gence ou de liberté exempte dé la responsabilité civile comme de la
responsabilité pénale le fou, l'enfant, la personne dominée par Une
contrainte irrésistible, il serait inexact, au contraire, d'affirmer que
tel degré d'intelligence ou de liberté, insuffisant pour faire encourir
la responsabilité pénale, l'est aussi pour engager la responsabilité
civile. Ainsi le mineur de seize ails acquitté pour avoir agi sans dis-
cernement pourra être condamné aux réparations civiles. En général,
toute faute, punissable ou non, sera une cause de responsabilité civile,
Le délit qui cause à un particulier quelque dommage, engendrant
deux sortes de responsabilité, étonne également naissance à dem
actions : à l'action publique et à l'action civile. L'action publique est
exercée au nom de la société, contre le délinquant seul et non contre
ses héritiers, le plus souvent devant les tribunaux de répression, par
des fonctionnaires spéciaux, en vue d'une condamnation pénale. L'ac-
tion civile, qui a pour objet la réparation du dommage privé, appar-
tient à l'individu lésé, non seulement contre le délinquant, mais aussi
contre ses héritiers, et peut être portée soit isolément devant les tri-
bunaux civils, soit, conjointement avec l'action publique, devant les
tribunaux de répression. (Art. 1, 2 et 3 C. Inst. crim.)
La responsabilité civile est directe ou indirecte, suivant qu'on la
considère comme pesant, sur l'auteur même du dommage ou sur
d'autres personnes qui auraient dû surveiller l'auteur du dommage
et ne l'ont pas fait. Il s'agit ici de la responsabilité directe.
La responsabilité civile a trois chefs, tantôt réunis, tantôt séparés:
1° les restitutions de choses dont la partie lésée a été dépossédée;
2° les dommages-intérêts qui lui sont dus à titre d'indemnités; 3eles
frais du procès.

I. RESTITUTIONS ET DOMirAGES-INTÉRÊTS.

10. La condamnation aux peines établies par lu


CODE PÉN. ART.
M est toujours prononcée sans préjudice des restitutions et des
dommages-intérêts qui peuvent être dus aux parties.
ART. 51. Quand il y aura lien à restitution, h coupable pbutrt

\. Se" reporter ci-dessus; aux n°s 177 é( suiv.


RESTITUTIONS ET DOMMAGES-INTÉRÊTS 331

être condamné, en outre, envers la partie lésée, si elle le requiert,


à des indemnités dont la détermination est laissée à la justice de
la cour ou du tribunal, lorsque la loi ne les aura pas réglées, sans
que la cour ou le tribunal puisse, du consentement même delà partie
Usée, en prononcer l'application à une oeuvre quelconque.

Délimitation du sujet qui doit être actuellement traité.I. Des restitutions. Elles

ne peuvent être prononcées que relativement à des choses retrouvées en nature. —
Elles doivent être prononcées, soit sur la demande de la partie lésée, soit d'of-
fice.
— II. Des dommages-intérêts. Ils peuvent être accordés soit en outre,
soit en l'absence des restitutions. — Ils ne peuvent jamais être accordés que sur
la demande .de la partie lésée. — En quoi ils peuvent consister. — La partie
lésée en a toujours la libre disposition.

448 bis. J'ai dit que l'action civile peut être portée ou bien isolé-
ment devant les tribunaux civils, ou bien, conjointement avec l'action
publique, devant les tribunaux de répression.
C'est ce dernier cas que les articles 10 et 51 du Code pénal ont
prévu; c'est alors, en effet, qu'il s'établit un lien entre la peine et
les condamnations civiles.
Il ne faut pas croire pour cela que la réparation du dommage privé
ne soit jamais accordée parles tribunaux de répression quesi l'inculpé
est frappé d'une peine. Elle peut être prononcée même au cas d'abso-
lution ou d'acquittement, suivant des règles qui appartiennent à la
procédure criminelle.
supposerai, avec les articles 10 et 51, que
Mais, cette réserve faite, je
l'auteur présumé du délit a été condamné ; et, renvoyant à l'explica-
tion du Code d'instruction criminelle tout ce qui, bien que relatif aux
réparations civiles, est étranger aux deux textes actuels, je me bor-
nerai au commentaire de ces dispositions 1.
I. Des restitutions. — 449. Les restitutions ont pour cause le
droit de propriété ou de possession reconnu à la partie lésée sur les
choses, à elle soustraites par suite du délit, qui ont été retrouvées en
nature et qui ont été mises sous la main delà justice.
Si les choses soustraites n'ont pas été retrouvées ou n'existent plus
dans leur individualité, ou bien encore si elles ont été cédées à un

ne traiterai-je pas ici des réparations qui peuvent être


1. A plus forte raison
partie civile à l'individu qu'elle a poursuivi à tort. C'est
dues, à l'inverse, par la
uniquement matière de procédure. Ici, les dommages-intérêtsdoivent être exa-
minés comme objet de condamilations complémentaires et civiles infligées au
coupable.
332 DROIT PÉNAL — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
tiers contre qui la revendication n'est plus possible, le délinquant sera
condamné à en payer la valeur à titre de dommages-intérêts, et la
partie lésée n'aura plus, à la place de son droit de propriété ou de.
possession, qu'un droit de créance 1.
450. Mais, si aucun de ces obstacles ne s'oppose aux restitutions,
il est d'ordre public qu'elles soient ordonnées dans tous les cas où l'on
connaît la personne à qui elles doivent être faites; et, à défaut d'inter-
vention ou de conclusions de cette personne au procès, elles seront
prononcées d'office. C'est ce qui ressort de l'article 51, qui ne subor-
donne à une requête de la partie lésée que la condamnation am
dommages-intérêts.
Les restitutions pourront d'ailleurs être différées ou n'être accor-
dées qu'à certaines conditions, à raison des nécessités de la procédure
(art. 360 m fineet474, §§ 2 et 3, C. inst. crim.).
II. Des dommages-intérêts. —451. Les dommages-intérêts ont
leur principe dans le préjudice matériel ou moral causé par le délita ,

la partie lésée, et dans l'obligation de le réparer, loi naturelle que


les articles 1382 et 1383 du Code civil ont confirmée en termes exprès.
Ce préjudice a pu s'ajoutera la dépossession, comme si, par suite
d'un vol ou d'un abus de confiance, une personne a été privée de la
jouissance d'une chose dont elle aurait tiré profit. Dans ce cas, ans
restitutions, le juge ajoutera des dommages-intérêts. C'est l'hypothèse
formellement prévue par l'article 51.
Mais souvent aussi un mal aura été souffert sans qu'il y ait eu dé-
possession, et des dommages-intérêts seront dus sans qu'il y ait lieu
à restitution. Par exemple, il s'agit de coups ou blessures qui ont
causé un préjudice matériel ou moral, ou bien d'un attentat à la
pudeur, de calomnies ou d'injures, qui ont causé un préjudice pure-
ment moral. De plus, comme on vient de le voir, il peut se faire que
la restitution soit impossible. Est-ce que, dans ces cas, une condam-
nation à des dommages-intérêts sera refusée? Évidemment non. Ce-
pendant l'article 51 ne paraît-il pas-restreindre l'allocation des dom-
mages-intérêts au cas où il y a lieu à restitution? Oui, mais c'est par
suite d'un défaut de rédaction, comme le montre la discussion dont
l'article 51 fut l'objet, au conseil d'État, dans la séance du 15 juillet
1809 2. On craignit que, au cas de restitutions, dans le silence de la
loi, les dommages-intérêts ne parussent être incompatibles et faire
1. Arr. de cass. du 6 juin 1815 rapporté par BLANCHE, n° 242.
2. LOCRÉ, XXIX, p. 168.
RESTITUTIONS ET DOMMAGES-INTÉRÊTS. 333
double emploi avec elles. On crut donc devoir s'expliquer à cet égard;
mais on le fit au moyen d'une formule qui, en supprimant le doute
pour le cas dont il s'agit, l'a fait naître pour celui où il n'est ques-
tion que des dommages-intérêts. En somme, si le texte est obscur,
'la pensée du législateur ne l'est pas : il a voulu dire que des in-
demnités pourraient être obtenues alors même qu'elles s'ajou-
teraicnt à des restitutions ; d'où il suit qn'elles pourront l'être aussi
et à plus forte raison si elles sont la seule réparation demandée.
452. Tandis que les restitutions doivent être, s'il y a lieu, pronon-
cées d'office, les dommages-intérêts ne seront accordés que sur la
demande formelle de la partie lésée; il faut qu'elle les requière,
suivant l'expression de l'article 51, et l'on verra, dans l'étude de la
procédure pénale, que, pour exercer son droit, elle doit se constituer,
au procès, partie civile. On a blâmé cette exigence de la loi; on a
soutenu que la condamnation aux dommages-intérêts était d'ordre
public au même titre que les restitutions; on a demandé qu'elle fût
toujours prononcée, sans que l'intervention de la partie lésée fût
nécessaire 1. On aurait eu raison, si une condamnation de cette na-
ture devait toujours avoir l'agrément de la partie lésée, et si la quo-
tité des dommages-intérêts pouvait toujours être fixée sans son con-

cours. Mais, dans bien des cas, la victime du délit serait offensée par
l'offre d'une réparation pécuniaire, et la justice serait fort embarrassée
d'évaluer seule le montant de celle qu'elle croirait due. Si donc il est
! vrai de dire que la condamnation aux dommages-intérêts, à certains
égards, est d'ordre public, elle est bien plus encore d'intérêt privé,
et la règle posée par le Code me paraît, en somme, la plus sûre 2.

1. BONNEVILLE, Des Diverses institutions complémentaires du systèmepénitentiaire


livrc.I, De la réparation civile. t

2. M. BONNEVILLE citait, à l'appui de sa thèse, le Code d'instruction criminelle au-


trichien de 1803 qui, dans son article 522, avait donné pouvoir au juge de décider,
parla sentence de condamnation, quelle somme devrait le délinquant pour indem-
nité, en l'absence même d'une demande de la partie lésée. Mais le Code d'instruc-
tion criminelle de 1850 (art. 4 et 401) substitua à cette règle celle de notre loi.
Puis le Code de 1853 revint à la condamnation d'office. Enfin.le dernier Code, ce-
lui de 1873, admet le système suivant, dans
ses articles 4, 365 et 366 : le dommage
résultant d'un délit doit être constaté d'office; mais il n'est statué sur ce dom-
mage et sur la réparation qui en est due en même temps que sur les poursuites
criminelles qu'à la condition d'une demande de la partie civile au procès et après
M débat contradictoire entre elle et l'inculpé; la partie civile peut- d'ailleurs
renoncer à la poursuite de son droit à tout moment, même durant les débats.
(Me d'instruction criminelle autrichien traduit et annoté par MM. Bertrand
et Lyon-Caen).
334 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Cette règle en a d'ailleurs pour conséquence une autre : c'est que
la condamnation ne doit pas être supérieure au montant de la de-
mande.
453.. Les dommages-intérêts consistent ordinairement en une in-
demnité pécuniaire, dont la détermination, aux termes de l'article 51,
est laissée à la justice de la cour ou du tribunal, lorsque la loi ne l'a
pas réglée. Mais, souvent aussi, les tribunaux ordonnent, à titre de
réparation, envers la partie lésée, la publication dans lés journaux ou
l'affiche de la condamnation, et la jurisprudence admet qu'ils en ont
le droit, la loi leur ayant donné à cet égard plein pouvoir.
454. Lorsque la partie lésée obtient une indemnité pécuniaire, elle
est libre d'en faire l'usage qui lui convient. Si, comme il arrive assez
fréquemment, elle a demandé dans ses conclusions que les dommages-
intérêts fussent affectés par le jugement à une oeuvre de bienfaisance,
les juges ont dû s'abstenir d'une déclaration de cette sorte; sinon ils
ont commis un excès de pouvoir; leur décision, sur ce point, est annu-
lable et ne lie en aucune façon la partie même qui l'a provoquée,
L'article 51 contient, à ce sujet, une disposition expresse. On eu a
donné la raison, au conseil d'État, dans la séance du 25 juillet l809:
c'est que, d'ordinaire, en renonçant ainsi au bénéfice de la réparation
qui lui est due, la partie lésée obéit à une fausse honte ou à une déli-
catesse excessive, et que, d'autre part, les juges, à raison de celte
destination particulière, pourraient être tentés de prononcer une in-
demnité plus forte que ne le comporte le dommage réellement souffert.

II. FRAIS OU DÉPENS.

La partie qui succombera sera con-


CODE D'INST. CRIM., ART. 1(32.
damnée aux frais, même envers la partie publique. Les dépens
seront liquidés par le jugement.

Notion des frais ou dépens. — Précédents.


— Pour la théorie générale, renvoi,
Caractère de la condamnation aux frais; conséquences.
-
455. En matière pénale comme en matière civile, tout procès donne
lieu à des dépenses, telles que,, par exemple, celles que nécessitent
I. LOCRÉ, XXIX, p. 168
FRAIS-QU DÉPENS. 335
les enquêtes, les expertises, la rédaction des jugements. Qui doit les
supporter?
Bans notre ancienne. France, on distinguait suivant que l'État, et
l'inculpé étaient seuls en cause pu qu'une partie civile, était intervenue.
Au premier cas, l'État1 les assumait en entier, si l'accusé était insol-
vable, soit que l'accusé eût été renvoyé des poursuites, soit même
qu'il eût été condamné, aussi bien celles que l'accusé avait occasionnées
par sa défense que les autres; et,.si l'accusé était solvable, on, ne
laissait à sa charge que celles qui avaient été faites en sa faveur, pour
sa. défense.
Au second cas, la partie civile devait toujours en, faire
l'avance; l'accusé était-il acquitté, elle les supportait d'une'manière
:

définitive; l'accusé était-il condamné, elle avait recours contre lui 2.


L'assemblée Constituante, par la loi des 20-27 septembre 1790, mit
les frais à, la charge de l'État sans aucune restriction. Elle pensait que
l'État avait le devoir de rendre, la justice et d'en supporter toutes les
dépenses..
Une loi du 18 germinal an VII inaugura l'application d'un système
différent, consistant en cette distinction : l'État ne doit que l'organisa-
tion et l'entretien de tribunaux prêts à rendre justice ; quant aux frais
particuliers de chaque procès, il est juste qu'ils restent à la charge de
la partie qui succombe, car elle en est, la, cause.

Ce système fut adopté par le Code d'instruction criminelle et établi


dans ses articles 162, 194 et 368.
Mais, depuis, il a été altéré au détriment de la partie civile par un
décret du 18 juin 1811, auquel la jurisprudence a reconnu force de
loi; et, s'il est vrai que, lors de la révision de 1832, ce décret a été
répudié en principe, il n'a effectivement subi qu'une abrogation p;\r-r
tielle, au moins d'après la jurisprudence.
45,6. Ce n'est, pas ici le lieu d'exposer la théorie générale, des frais
ou dépens,, théorie très complexe, qui appartient à la procédure
pénale, et dont l'intelligence suppose connues un assez grand nombre
de règles de cette procédure. Aussi bien le Code pénal ne parle-t-il
des frais
que d'une manière incidente, à propos, des .moyens d'exécu-
tion des condamnations pécuniaires, dans les articles 52 et 5.5.
Je ne réchercherai donc pas maintenant à qui, de l'État, de l'inculpé

t. C'est-à-dire le roi ou les seigneurs (Ordonn. de 1670, lit. XXV, art. 17,
lit. XX.VIII, art. 7).
2. JOUSSE, II, p. 303 et 338.
336 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

ou de la partie civile incombe la charge des frais au cas d'absolution


ou d'acquittement, soit en matière de simple police ou de police cor-
rectionnelle, soit en matière criminelle. L'hypothèse actuelle est uni-
quement celle où la condamnation aux frais a frappé l'inculpé à la suite
d'une sentence le déclarant coupable et lui infligeant une peine. Je ne
dirai même pas toutes les règles relatives à cette hypothèse ; je me bor-
nerai, pour le moment, à préciser le caractère de la condamnation aux
frais et à examiner si elle peut atteindre les héritiers du condamné.
457. Une distinction, à cet égard, est nécessaire.
Lorsque la condamnation aux frais a été prononcée directement
contre l'inculpé au profil de l'Etat, ce qui a lieu en matière criminelle
et dans tout procès poursuivi sans le concours d'une partie civile, elle
a un double caractère : elle est une condamnation civile, mais essen-
tiellement accessoire à une condamnation pénale. Par conséquent, si
le condamné meurt après que sa condamnation est passée en force
de chose définitivement jugée, la condamnation aux frais, étant une
condamnation civile, doit être supportée par ses héritiers. Au reste, ,
la même décision s'imposerait si cette condamnation était considérée
comme pénale, parce que, du moins, elle serait pécuniaire et soumise
à la règle qui régit la condamnation à l'amende. Mais, si le condamné
meurt avant que la condamnation principale soit devenue irrévocable,
la condamnation aux frais, à raison de son caractère de condamnation
accessoire, est non avenue pour les héritiers.
Lorsque la condamnation aux frais a été prononcée indirectement
contre l'inculpé et directement contre la partie civile avec droit de
recours contre lui, ce qui a lieu en matière de simple police ou de
police correctionnelle quand la personne lésée est intervenue au
procès, elle est purement et simplement une condamnation civile.
Par conséquent, non seulement elle doit être supportée par les héri-
tiers du condamné dans le cas où elle est devenue irrévocable avant
sa mort ; mais en outre, au cas où il est prédécédé, elle se trouve acquise
envers eux; car elle aurait même pu être obtenue contre eux, comme
complément d'une condamnation a des dommages-intérêts ou pour en
tenir lieu, si l'inculpé était mort avant d'avoir été condamné; ils
pourront d'ailleurs l'attaquer par la voie de l'appel ou du recours en
cassation 1.

1. Pour des développements plus étendus, voy. SOUBDAT, Traité général de lu


responsabilité, I, ncs 92-99.
GARANTIES DES CONDAMNATIONS PÉCUNIAIRES. 337

SECTION III. — GARANTIES DE L EXECUTION DES CONDAMNA-


TIONS A L'AMENDE, AUX RESTITUTIONS, AUX DOMMAGES-
INTÉRÊTS ET AUX FRAIS.

458. Les condamnations pécuniaires à l'amende, aux restitutions,


c'est-à-dire à la valeur des choses qui ont été soustraites et n'ont
pas été restituées en nature, aux dommages-intérêts et aux frais font
naître, au profit de l'État ou de la partie lésée, une obligation civile
analogue aux obligations ordinaires. Celte dette a donc pour gage les
biens du condamné, en vertu du principe général inscrit dans l'article
2092'du Code civil; et, à défaut de paiement volontaire, l'exécution
en sera procurée par les moyens que le droit commun fournit à tout
créancier : saisie et vente des biens du débiteur (art. 583-625; 673-
717 du Code deprocéd. civ.). Mais, en outre, elle est munie de sûretés
particulières qui en rendent le recouvrement plus probable. Ce sont :
1° des hypothèques et, pour les frais dus à l'Etat, un privilège ; 2° la
contrainte par corps; 3° la solidarité.

§ 1. Hypothèques et privilège.

CODE CIV. ART. 2123.


— En cas de concurrence de l'amende avec les
CODEPÉN. ART. 54.
restitutions et les dommages-intérêts, sur les biens insuffisants dît,
condamné, ces dernières condamnations obtiendront la préférence
(en matière de crimes et de délits).
CODE PÉN. ART. 468. —Encas d'insuffisance des biens, lesrestitu-
lions el les indemnités dues à la partie lésée sont préférées à l'amende
(en matière de contraventions).
CODE CIV. ART. 2098.
LOI DU 5 SEPT. 1807, RELATIVE AU MODE DE RECOUVREMENT DES
FRAIS'DE JUSTICE AU PROFIT DU TRÉSOR PURLIC.

Danger auquel sont exposés les créanciers de l'amende et des réparations civiles,
quand les biens du condamné sont insuffisants pour payer toutes ses dettes. Ga-
rantie résultant des hypothèques judiciaires pour l'amende et pour les restitutions, les
dommages-intérêts et les frais dus à la partie civile. Garantie résultant du privi-
22
338 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
loge établi par la loi du 5 septembre 1807 pour les frais dus au Trésor. Classe-
ment do toutes ces créances entre elles.

459. Il peut arriver que le condamné n'ait pas assez de biens


pour s'acquitter à la fois de l'amende et des réparations civiles ; il
peut même se faire qu'il ait d'autres obligations et qu'il soit d'autant
moins solvable. La loi a-t-elle laissé cette situation sous l'empire du
droit commun, c'est-à-dire a-t-elle attribué à chacun des créanciers
une part des biens du débiteur proportionnelle à sa créance, confor-
mément à l'article 2093 du Code civil? S'il en était ainsi, l'amende et
les réparations civiles, de même que les autres dettes, ne seraient pas
entièrement payées. Mais non, des garanties leur ont été accordées.
L'État, pour l'amende, la partie civile, pour ses restitutions, dom-
mages-intérêts et frais, ne subiront pas, sur le prix des biens du con-
damné, le concours des autres créanciers dont le droit personnel sera
demeuré seul et sans appui et que l'on nomme chirographaire.s. Car
eux seront des créanciers hypothécaires : ils auront, d'après l'article
2123 du Code civil, comme tous les titulaires de créances constatées
par jugement, une hypothèque sur les immeubles présents et à venir
du condamné. A la condition d'être inscrite sur des registres publics,
cette hypothèque s'attachera si bien aux immeubles grevés qu'elle les
suivra même entre les mains des tiers acquéreurs (art. 2114,
2166 C. civ.) ; puis, après la vente des dits immeubles, elle donnera
à l'État et à la partie civile le droit d'être payés par préférence aux
créanciers chirographaires (art. 2094), et, s'il y a autres créanciers
hypothécaires, par préférence à ceux d'entre eux dont l'inscription
sera postérieure (art. 2134).
Quant à l'ordre respectif dans lequel seront payées l'amende et les
indemnités dues à la partie civile, les articles 54 et 468 du Code pénal,
faisant exception à l'article 2134 du Code civil, décident que l'amende
sera payée la dernière, quel que soit l'ordre des inscriptions hypo-
thécaires. Et cette priorité n'appartient pas seulement aux restitutions
et dommages intérêts, elle s'étend aussi aux frais ou dépens, bien que
le texte ne les mentionne point; on s'accorde à penser que le silence du
texte en ce qui les concerne provient d'une simple inadvertance et
que l'esprit de la loi doit y suppléer; on peut même ajouter qu'il n'est
pas inexact de comprendre les frais dans les dommages-intérêts.
Les frais dus à l'État ont une garantie meilleure encore : un privi-
lège, droit réel plus fort que l'hypothèque-(art. 2094, 2095 C. civ.),
HYPOTHÈQUES ET PRIVILÈGE. 339

leur est accordé par une loi du 5 septembre 1807, relative au recou-
vrement des frais de justice au profit du trésor public. Par conséquent
ils primeront les créances de la partie civile. Ce privilège porte à la
fois sur les meubles et les immeubles du condamné. Son rang, par
rapport aux autres privilèges grevant les meubles, est fixé par l'arti-
cle 2 de la loi de 1807 ; son rang, par rapport aux autres privilèges
et aux hypothèques établis sur les immeubles, est fixé par l'article 4 de
la même loi. Toutefois, il n'a ce rang que s'il a été inscrit dans les
doux mois à dater du jour du jugement de condamnation.
En résumé, les créances nées d'un délit sont classées entre elles dans
l'ordre suivant : l° les frais dus à l'État; 2° les restitutions, dommages-
intérêts et frais dus à la partie civile; 3° l'amende due à l'État '.

§ 2. Contrainte par corps.

CODEPÉN. ART. 52. L'exécution des condamnations à l'amende,


aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais pourra être


poursuivie par ta voie de la contrainte par corps (en matière de
crimes et de délits).
ART. 467.
— La contrainte par corps a lieu pour le paiement de'
l'amende (en matière de contraventions).
ART. 469. —.Les restitutions, indemnités et frais entraîneront la
contrainte par corps (en matière de contraventions).
Loi DU 22 JUILLET 1867. ART. 1. —La contrainte par corps est
supprimée en matière commerciale, civile et contre les étrangers.
ART. 2.
— Elle est maintenue en matière criminelle, correction-
nelle et de simple police.
ART. 3 A 19.

1. Danger auquel est exposé le créancier de l'amende ou des réparations civiles par
suite de la mauvaise volonté du condamné. Historique de la contrainte par corps;
loi du 22 juillet 1867. — IL Pour quelles créances, ou quelles matières, à quelles

Une loi du 18 germinal an Vil (art. 5) plaçait les indemnités dues aux parties
1.
lésées avant les frais adjugés à la République. Mais ce texte a été abrogé par la loi
du 5 septembre 1807. Toutefois, BONNEYILLE (des Diverses institutions complémen-
taires du régime pénitentiaire, p. 5-i et s.) est d'avis contraire, et, en tout cas,
demande que la* priorité soit restituée aux créances dues à la partie civile à l'égard
des frais dus à l'Étal, comme elle leur a été accordée à l'égard de l'amende.
340 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES
conditions, dans quelles formes la contrainte par corps est applicable. —
111. Quelle en est la durée. — IV. Si elle a lieu de plein droit. — Y. Quel en
est le caractère ; en quels lieux elle s'effectue; comment elle prend lin. -
VI. Restrictions et tempéraments que souffre la règle générale.

I. Notion, utilité, historique de la contrainte par corps. —


460. L'hypothèse où intervient la contrainte par corps est celle-ci :
le condamné à l'amende ou aux réparations civiles refuse de s'acquit-
ter et n'a pas de biens apparents sur lesquels on puisse pratiquer des
saisies; mais il y a lieu de lui supposer des ressources cachées. Le
moyen le plus efficace d'obtenir qu'il emploie ces ressources au paie-
ment de sa dette a été de tout temps l'emprisonnement. C'est ce que
l'on appelle la contrainte par corps.
Elle existait dans l'ordonnance de 1670 (lit. XIII, art. 29). Elle fut
maintenue dans les lois de l'Assemblée constituante : loi du 22 juillet
1791 (tit. I, art. 26; tit II, art. 41); loi du 28 sept. 1791 (lit. II,
art. 5). Elle fut conservée par le Code pénal de 1810 (art. 52, 53, 467,
469). Elle fut organisée par une loi du 17 avril 1832, que modifia un
décret du 13 décembre 1848.
Jusqu'en 1867, elle fut appliquée non seulement aux condamnations
pécuniaires prononcées pour délits, mais même en matière civile et
en matière commerciale.
La dernière loi, celle du 22 juillet 1867, ne l'a laissée subsister
qu'en matière criminelle. On a pensé qu'il n'était pas d'une sévérité
excessive d'employer celte voie d'exécution pour les obligations qui
prennent leur source dans un fait délictueux 1.
II. Pour quelles créances, en quelles matières, à quelles
conditions, dans quelles formes la contrainte pai corps est
applicable. — 461. La contrainte par corps garantit l'exécution des
condamnations aux amendes, aux restitutions, aux dommages-intérêts
et aux frais, comme le décident les articles 52, 467 et i69 du Code
pénal. La loi de 1867 (§ 3, art. 2) l'avait supprimée pour le paiement
des irais dus à l'Etat ; mais elle a été rétablie à cet égard par une
loi du 19 décembre 1871.
462. La contrainte par corps est applicable en toute matière cri-
minelle, c'est-à-dire quelle qu'ait été la cause, crime, délit ou con-
travention, de la condamnation pécuniaire dont il s'agit d'assurer

l.Voy. le passage de l'exposé des motifs que rapportent CHAUVEAU et F. HKLIE, I,


n° 183.
CONTRAINTE PAR CORPS. 341

l'efficacité, et quelle qu'ait été la peine prononcée. Les articles 2, 3


et 4 de la loi du 22 juillet 1867 le déclarent en termes formels et avec
insistance.
Néanmoins, il peut se présenter un cas particulier de nature à
rendre l'observation de cette règle assez difficile. C'est celui, où un
individu condamné à mort ou à une peine perpétuelle vient à obtenir sa
grâce ou une commutation, ou bien se trouve libéré par la prescrip-
tion; sera-t-il soumis à la contrainte par corps"? Cette question doit
être décomposée et remplacée par les deux suivantes.
1° Lorsque la cour d'assises frappe de la peine de mort ou d'une
peine perpétuelle, peut-elle, en prévision du cas où cette sen-
tence ne recevrait pas son exécution, statuer sur la contrainte par
corps et en fixer éventuellement la durée? Non, suivant la jurispru-
dence constante de la cour de cassation. D'une part, dit la cour su-
prême, condamner à une peine perpétuelle et statuer sur la contrainte
par corps sont choses inconciliables ; d'autre part, il n'appartient pas
à la cour d'assises de prévoir la commutation de peine 1. Parmi les
auteurs, les uns approuvent cette manière de voir 2, les autres la
combattent 3. Avec les premiers, j'inclinerais à trouver un peu étrange
un arrêt de cour d'assises prononçant en premier lieu la peine de
mort ou une peine perpétuelle, et ensuite statuant.sur la contrainte
par corps en vue de l'inexécution possible de la peine prononcée.
Mais, avec les seconds, je ne vois rien dans la loi qui interdise une
pareille décision; au fond, elle n'est en aucune manière incompa-
tible avec les condamnations à mort ou aux peines perpétuelles,
.
puisque ces condamnations peuvent n'être pas exécutées ; et c'est à
tort que la cour suprême s'appuie en outre sur l'article 40 de la loi
du. 17 avril 1832 : quand même ce texte serait encore en vigueur à
cet égard, comme elle le prétend, elle ne saurait y puiser un argu-
ment, car il est entièrement muet sur la difficulté dont il s'agit. Quoi
qu'il en soit, telle est la solution bien arrêtée que la première ques-
tion a reçue de la jurisprudence.

1. V.les nombreux arrêts cités par BLANCHE, I, noa386,3S7. D'autres arrêts les ont
suivis en 1861, 1862, 1863. Depuis la loi de 1867, la cour de cassation a persisté
dans cette jurisprudence par des arrêts rendus en 1874, 1875, 1876, 1877. Sa. der-
nière décision, à l'heure actuelle, est du 13 jauv. 1879 (Dali. 79, table, V° Cont.
p. corps.)
2. CHAUVEAU et F. HÉLIE, 1, n° 108 bis.
3. BLANCHE, I, n° 388 ; SOURDAT, Traité général de la Responsabilité, I,
n° 208 bis.
342 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
2° Si donc le condamné, après avoir recouvré sa liberté, refuse de
satisfaire aux condamnations pécuniaires prononcées contre lui, son
créancier se trouvera en présence d'une loi qui lui confère en prin-
cipe le droit d'user de la contrainte par corps et d'un arrêt qui,,
muet sur la durée de cette contrainte, le laisse en réalité désarmé.
Eh bien, alors, ne pourra-t-il pas s'adresser par. voie de requête à la
justice, pour obtenir cette fixation de la durée de la contrainte qui est
nécessaire à l'exercice de son droit? Rien ne s'y oppose, il me semble
La situation est analogue à celle qui résulterait d'une omission invo-
lontaire commise dans l'arrêt; et l'on s'accorde à reconnaître,la cour
de cassation l'admet elle-même 1, que, dans ce cas, les parties intéres-
sées peuvent requérir après coup de la juridiction qui a rendu la sen-
tence une fixation de la durée de la contrainte. On objecte que l'on
ne saura à quelle juridiction s'adresser, que la cour d'assises d'où
émane l'arrêt n'existe plus ordinairement quand survient la décision
gracieuse, et qu'aucune loi n'autorise une autre cour à connaître de
l'exécution d'un arrêt qui lui est étranger 2. Mais je pense qu'il ne
serait pas illégal de recourir à la procédure usitée pour l'application
de l'article 518 du Code d'Instruction criminelle. Il s'agit là de cons-
tater l'identité d'un individu condamné, évadé et repris. D'après le
texte, cette constatation sera faite par la cour qui aura prononcé la
peine; et, d'après la jurisprudence, si cette cour n'existe plus, la
cour de cassation en désignera une autre par voie de règlement de
juges 3. Pourquoi ne suivrait-on pas ici les mêmes règles? Les deux
questions ne sont-elles pas de même nature?
463. Lorsque l'on sait que la contrainte par corps assure l'exécu-
tion des condamnations pécuniaires prononcées pour faits délictueux,
on connaît par là même une des conditions auxquelles elle est appli-
cable. C'est qu'il y ait eu constatation d'un délit de droit pénal, crime,
délit ou contravention, comme source des créances garanties. Par
conséquent, si l'auteur d'un fait illicite et dommageable a été acquitté,
ou bien s'il a été absous à raison du caractère non délictueux de l'acte
(art. 364, C. Inst. cr.), le fait par lui commis se trouvant n'être qu'un
délit ou quasi délit de droit civil, les réparations qui en sont ducs
n'entraîneront pas la contrainte par corps 4.
1. AIT. du 12 juin 1857 rapporté par BLANCHE, I, n° 369.
2. SOURDAT, I, n° 208 bis.'
3. Voy. F. HÉLIE, Traité de l'instruction criminelle, VIII, n° 4089.
4. Voy BLANCHE, I, n°s 359-361, elles arrêts qu'il cite ou rapporte. Ajoutez : Cass.,
S nov. 1878 (Dali. 79, f, 387).
CONTRAINTE PAR CORPS. 343
De plus, aux termes de l'article 5 de la loi de 1867, il faut que cette
constatation émane d'une juridiction criminelle.
Mais d'ailleurs, il n'est pas absolumentnécessaire que la constata-
tion du délit par l'autorité compétente ait eu pour conséquence une
condamnation pénale; il suffit qu'elle ait entraîné une condamnation
civile. C'est ce qui arrive quelquefois. Ainsi, notamment, lorsque la
partie lésée interjette appel d'une décision du tribunal correctionnel
qui a prononcé l'acquittement du prévenu, tandis que le ministère
public accepte le jugement, la cour ne peut statuer que sur les inté-
rêts civils de l'appelant, d'après l'article 202 du Code d'Instruction
criminelle; quand même elle reconnaîtrait la culpabilité du prévenu,
elle ne peut le frapper d'une peine; et néanmoins, si elle prononce
une condamnation civile, elle doit la fonder sur la constatation du
délit. Ainsi encore, lorsque le même individu a commis deux ou plu-
sieurs délits, il n'est condamné qu'à la peine encourue pour le plus grave
d'entre eux, en vertu de la règle inscrite dans l'article 365 du Code
d'Instruction criminelle; et cependant il peut, être condamné en outre
aux réparations civiles qui dérivent des autres, et par conséquent ces
derniers doivent être aussi constatés. Eh bien, ces condamnation^
civiles qui ont leur cause dans des délits impunis, mais reconnus,
seront garanties par la contrainte corporelle 1.
Il n'est pas nécessaire non plus que la condamnation aux répara-
tions civiles pour faits délictueux ait été prononcée par un tribunal de
répression ; la contrainte par corps s'y attache également lorsqu'elle
émane d'un tribunal civil, pourvu que le caractère délictueux du
fait ait été reconnu par la juridiction criminelle (art. 5, loi de 1867) 2.
464. La procédure concernant la contrainte par corps est réglée
dans les articles 3, 4 et 6 de la loi du 22 juillet 1867. Un comman-
dement est fait au condamné, soit à la requête du receveur de l'enregis-
trement et des domaines agissant au nom de l'État créancier de l'a-
mende ou des frais, soit à la requête de la partie lésée créancière
des frais, restitutions ou dommages-intérêts. Si le jugement de con-
damnation n'a pas été précédemment signifié au débiteur, le com-
mandement doit, porter en tête un extrait de ce jugement contenant
le nom des parties et le dispositif. Cinq jours après, sur le vu du
commandement et sur la demande du receveur de l'enregistrement
ou de la partie lésée, le procureur de la République adressera les
1. Comp. BLANCHE, I, n° 363. Voy. les arrêts qu'il cite, ou rapporte.
2. AIT. de cass. du 9 juin 1869 (Sir., 69, I, 349).
314 DROIT PÉNAL. SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

réquisitions nécessaires aux agents de la force publique et aux autres


fonctionnaires chargés de l'exécution des mandements de justice. Si
le débiteur est déjà détenu, il suffira de le recommander pour le
maintenir en état de détention, et la recommandation pourra être
ordonnée immédiatement. Lorsque la contrainte a lieu à la requête et
dans l'intérêt des particuliers, ils sont obligés de pourvoir à l'alimen-
tation des détenus en se conformant aux prescriptions de la loi.
III. Durée de la contrainte par corps. — 465. Après avoir or-
ganisé et éprouvé trois, systèmes divers et fort compliqués, dans le
Code de 1810 (art. 53, 467 et 469), dans la loi du 17 avril 1832 et
dans le décret du 13 décembre 1848, notre législation, s'adoucissant
et se simplifiant à cet égard de plus en plus, en est arrivée aux dis-
positions que contiennent les articles 9 et 10 de la loi du 22 juillet 1867.
Art. 9. « La durée de la contrainte par corps est réglée ainsi qu'il
suit : de deux jours à vingt jours, lorsque l'amende et les autres
condamnations n'excèdent pas cinquante francs; — de vingt jours à
quarante jours, lorsqu'elles sont supérieures à cinquante francs et
qu'elles n'excèdent pas cent francs; —de quarante jours à soixante
jours,lorsqu'elles sont supérieures àcent francs et qu'elles n'excèdent
pas deux cents francs; — de deux mois à quatre mois, lorsqu'elles sont
supérieures à deux cents francs et qu'elles n'excèdent pas cinq cents
francs; — de quatre mois à huit mois, lorsqu'elles sont supérieures
à cinq cents francs et qu'elles n'excèdent pas deux mille francs; —
d'un an à deux ans, lorsqu'elles s'élèvent à plus de deux mille francs.
— En matière de simple police, la durée de la contrainte par corps

ne pourra excéder cinq jours. »


Ainsi, pour les condamnés qui ne justifient pas de leur insolvabi-
lité, la contrainte par corps a un minimum de deux jours, un maxi-
mum de deux ans, et la loi en a gradué la durée suivant une échelle
correspondant à la quotité de l'amende et des autres condamnations
réunies.
.

Art. 10. « Les condamnés qui justifient de leur insolvabilité, sui-


vant l'article 420 du Code d'Instruction criminelle, sont mis en liberté
après avoir subi la contrainte pendant la moitié de la durée fixée par
le jugement..»
IV. Si la contrainte par corps est encourue de plein droit;
intervention des tribunaux. —466. La contrainte par corps est
attachée par.la loi elle-même aux condamnations pécuniaires pronon-
cées pour faits délictueux ; tous les textes le montrent avec évidence.
CONTRAINTE PAR CORPS. 345
Par conséquent, si la loi en déterminait également la durée, comme
elle l'avait fait, pour certains cas, en 1832 et en 1848, le pouvoir
judiciaire n'aurait aucunement à intervenir. Mais la loi de 1867 a
confié ce rôle aux juges. Ils doivent donc, sinon prononcer la con-
trainte par corps, du moins dire le temps pendant lequel elle sera
appliquée.
Si le tribunal peut dès le principe opérer la liquidation des frais,
dommages-intérêts et autres dettes, et l'insérer dans le jugement qui
porte ces condamnations, dans ce même jugement il fixera la durée
de la contrainte par corps. Si la liquidation n'a pu avoir lieu à ce
moment, la durée de la contrainte par corps ne saurait être non plus
déterminée dès maintenant d'une manière hypothétique et éventuelle.
Elle doit être renvoyée à une décision postérieure. C'est ainsi,
du moins, que la jurisprudence a interprété les lois de 1832 et de
1867 1.
Lorsque le tribunal de première instance aura manqué au devoir qui
lui incombe de fixer la durée de la contrainte par corps, l'omission pour-
ra être réparée en appel. A défaut, l'annulation de la sentence, sur ce
chef spécial seulement, pourra être requise et obtenue de la cour su-
prême. Si la décision imparfaite est devenue irrévocable, on admet que
la partie intéressée peut demander, par voie de réquisition ou de re-
quête,, à la juridiction même d'où émane cette décision qu'elle la com-
plète en fixant la durée de la contrainte par corps 2.
467. Ainsi, le principe que la contrainte par corps est encourue de
plein droit ne rend pas inutile en ce qui la concerne toute interven-
tion judiciaire. Il a néanmoins quelques conséquences. 11 en résulte
que le juge a le pouvoir de fixer la durée de la contrainte même en
l'absence de conclusions de la partie intéressée 3, même sur l'appel
du prévenu 4.
V. Caractère de la contrainte par corps; comment elle prend
fin ; en quels lieux elle s'effectue.
— 468. La contrainte par corps

1. Voy. BLANCHE, 1, nos 379, 380, 385, et les arrêts qu'il cite. Ajoutez : arr. decass.
du 20 die. 1861 (Bull. crim. 66, n° 280, p. 455); du 28 déc. 1872, (Bull, crim.,
77, n° 331,.p. 563).
2. Entre autres arrêts, voirl'arr. decass. du 12 juin 1859 que rapporte BLANCHE
1, n° 369.
3. Arr. de cass. rapporté par BLANCHE, I, n° 365.
4. Arr. do cass. rapporté par BLANCHE, I, n° 366. Ajouter : arr. de cass. du
9 janv. 1869 (Dali. 69, I, 280).
346 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
n'est pas une peine, puisque nulle part la loi ne l'a ainsi qualifiée ;
c'est, une simple voie d'exécution des condamnations pécuniaires pro-
noncées pour faits délictueux.
C'est évident, lorsqu'elle garantit le recouvrement des restitutions,
dommages-intérêts ou frais.
Ce n'est pas moins certain, lorsqu'elle a pour but le paiement de
l'amende. Elle n'est pas alors une peine corporelle substituée à une
peine pécuniaire inexécutée. Dans ce cas, toutefois, il est vrai qu'elle
présente une grande analogie avec la peine d'emprisonnement ; et
l'on conçoit que, lors des travaux préparatoires, des orateurs aient été
entraînés à quelques confusions et à des équivoques de langage *. On
a même formellement enseigné, en se fondant 'sur des dispositions
de la loi mal interprétées, qu'elle est une peine 2. Mais c'est une
erreur, comme le conseil d'État l'a depuis longtemps déclaré et dé-
montré-dans un avis du 15 novembre 1832 3. Non, la contrainte par
corps n'est pas une peine ; les règles certaines qui vont suivre en sont
à la fois des conséquences et des preuves.
469. C'est parce que la contrainte par corps n'est pas une peine
que l'exécution en est remise, comme on l'a déjà vu, soit au receveur
de l'enregistrement agissant au nom de l'État, soit à la partie lésée;
le procureur de la République n'intervient qu'à titre d'auxiliaire,
pour faciliter l'arrestation du condamné; s'il s'agissait d'une peine,
il aurait un tout autre rôle. Et, comme le but de la contrainte par
corps est de vaincre la mauvaise volonté d'un débiteur qui est soup-
çonné de se dire faussement insolvable, si vraiment son insolvabilité
n'est pas douteuse, le receveur de l'enregistrement, sans y être obligé,
fera bien, dans l'intérêt du Trésor, de ne pas réclamer son incarcé-
ration ou d'y mettre fin avant le terme des délais légaux.
470. C'est parce que la contrainte par corps n'est pas une peine
qu'elle n'aura pas lieu ou prendra fin, si le débiteur donne une cau-
tion (art. 11, loi de 1867).
C'est pourquoi, encore, elle n'aura pas lieu ou prendra fin, lors-
qu'elle sera encourue dans l'intérêt d'un particulier, si ce dernier ne
consigne pas ou cesse de fournir les aliments du débiteur (art. 6 et 7,
loi de 1867).

1. V. le passage de l'exposé des motifs delà loi de 1867 rapporté par CIIAUVEAU
et F. HÉME, I, n° 183.
2. SOURDAT, Traité général de la responsabilité, I, n° 212 septiès.
3. V. CHADVEAU et F, HÉLIE, I, p. 195.
CONTRAINTE PAR CORPS. 347

C'est pourquoi, en dernier lieu, elle prendra fin, si le condamné


justifie de son insolvabilité (art. 10, loi de 1867).
Il est vrai que, dans ce dernier cas, la mise en liberté n'est pas
immédiate ; et l'on en tire argument, dans l'opinion contraire : pour-
quoi, dit-on, infliger une incarcération d'une durée fixe à un homme
vraiment insolvable, si l'on ne veut pas substituer à sa peine pécu-
niaire une peine corporelle? Cette objection est sérieuse ; et c'est en
ce point que la contrainte par corps offre beaucoup de ressemblance
avec la peine d'emprisonnement. Néanmoins elles ne se confondent
pas. L'incarcération d'une certaine durée se comprend comme moyen
d'épreuve ; elle sert à assurer que l'insolvabilité prétendue n'est pas
mensongère. Et encore n'est-elle pas entièrement probante ; qu'on le
remarque bien, en effet, les justifications dont se contente la loi
de 1867 dans son article 10 ne sont pas décisives ; elles font présumer
plutôt qu'elles ne prouvent l'insolvabilité.
Il est vrai également que les individus soumis à la contrainte par
corps, puis élargis, ne doivent plus être incarcérés pour la même
dette ni pour condamnations antérieures, à moins que ces condamna-
tions n'entraînent par leur quotité une contrainte plus longue que
celle qu'ils ont subie et qui, dans ce dernier cas, leur est toujours
comptée pour la durée de la nouvelle incarcération (art. 8 et 12, loi
de 1867). De là aussi l'on a tiré argument, pour soutenir que la con-
trainte corporelle a été appliquée à titre de peine en remplacement
de la peine pécuniaire ; voilà pourquoi, dit-on, elle ne peut être
reprise au cas d'un retour de solvabilité du débiteur : la peine a été
subie. Mais ce raisonnement, comme le précédent, est inexact. Il n'y
a ici qu'une simple mesure d'humanité, qui n'existait pas dans l'ar-
ticle 53 du Code pénal et n'a été introduite que par la loi de 1832.
Et en effet, si la contrainte'par corps avait fait office de peine, elle
aurait libéré le débiteur. Or elle ne l'a pas libéré ; s'il devient solva-
ble, il pourra être de nouveau poursuivi, sinon par voie de contrainte
corporelle, du moins par les voies ordinaires.
Enfin, une réponse commune peut être faite aux deux objections
qui viennent d'être examinées : c'est que la double règle consistant,
d'une part en un temps d'épreuve imposé même à celui qui justifie de
son insolvabilité suivant l'article 420 du Code d'Instruclioncriminelle,
d'autre part en la défense d'exercer une seconde fois la contrainte à
l'égard du condamné élargi, s'applique aux condamnés à des répara-
tions civiles comme aux condamnés à l'amende; et cependant, quant
348 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
à eux, il est absolument impossible de reconnaître à la contrainte par
corps un caractère pénal ; cette double règle s'explique donc par des
considérations étrangères au caractère de la contrainte.
471. Puisque la contrainte par corps n'est pas une peine, elle
devrait s'effectuer dans des établissements spéciaux; mais il n'en
existe pas, et ce sont nécessairement, les maisons d'arrêt qui en tien-
nent lieu.
472. Il était important, au point de vue' doctrinal et pour bien
préciser notre système de législation en cette matière, de définir le
vrai caractère de la contrainte par corps. Mais pratiquement, la loi
de 1867 étant largement explicite, cette question se trouve à peu près
sans intérêt.
VI. Restrictions et tempéraments. — 473. Dans ses articles 13
à 17, la loi du 22 juillet 1867, comme les lois précédentes, a admis
des restrictions et des tempéraments à la règle générale que toutes
condamnations pécuniaires pour faits délictueux sont garanties par la
contrainte corporelle.
Les individus âgés de moins de seize ans accomplis à l'époque des
faits qui ont motivé les poursuites sont entièrement soustraits à la
contrainte par corps ; ceux qui ont commencé leur soixantième année
ne la subissent que pour la moitié de la durée fixée par le jugement
(art. 13 et 14).
Elle ne peut être exercée contre le débiteur au profit : 1° de son
conjoint ; 2° de ses ascendants, descendants, frères ou soeurs; 3°de
son oncle ou de sa tante, de son grand-oncle ou de sa grand'tante, de
son neveu ou de sa nièce, de son petit-neveu ou de sa petite-nièce,
ni de ses alliés au même degré (art. 15).
Elle ne peut être exercée simultanémentcontre le mari et la femme,
même pour des dettes différentes (art. 16).
Si la loi est violée, la cour suprême casse, sur ce point, la décision
rendue.
Ces faveurs, accordées à l'âge, ou fondées sur des raisons de con-
venances et de paix domestique, ou motivées par un sentiment, d'hu-
manité et par des intérêts de famille, se justifient d'elles-mêmes.

§ 3. Solidarité.

CODE PÉN. ART. 55. — Tous les individus condamnés pour un


SOLIDARITÉ. 349

même crime ou pour un même délit seront tenus solidairement des


amendes, des restitutions, des dommages-intérêts et des frais.

I, Danger,, auquel eût été exposé, sans une intervention spéciale de la loi, le
créancier des restitutions, dommages-intérêts ou frais, lorsque plusieurs individus
ont concouru au préjudice par lui souffert; secours insuffisant qu'il eût trouvé
dans l'application judiciaire des principes généraux consacrés par les articles 1382
et 1383 du Code civil ; garantie spéciale que l'article 55 du Gode pénal lui accorde
en matière de crimes ou de délits. — II. Caractère et justification, en ce qui
concerne les condamnations civiles, de la solidarité établie par l'article 55. —
III. Cette solidarité s'applique aussi aux condamnations à l'amende ; critique de
la loi à ce point de vue. — IV. A quelles matières cette solidarité doit être
restreinte. — V. Dans quels cas et à quelles conditions elle existe.

I. Utilité, pour le créancier des restitutions, dommages-inté-


rêts ou frais, de la solidarité établie par l'article 55 du Code
pénal. — 474. Il peut arriver que plusieurs individus aient concouru
au même délit, et, par conséquent, soient condamnés conjointement
aux restitutions, dommages-intérêts ou frais. Si, dans ce cas, le créan-
cier n'avait eu pour lui que le droit commun, il eût été exposé au
danger de trouver quelqu'un de ses débiteurs insolvable et, pour la
part de ce débiteur, de n'être pas payé, alors même que les autres
auraient pu lui donner satisfaction entière.
C'est qu'en effet, en règle générale, quand plusieurs personnes
ont assumé une même dette à raison du même fait, la dette, bien que
dérivant d'un titre unique et portant sur un seul objet, bien que
nommée pour cela dette conjointe, se divise entre les débiteurs de
manière à former autant d'obligations séparées et indépendantes ; et
la conséquence en est que, si l'un des débiteurs devient insolvable,
les autres n'en souffrent point, la perte est pour le créancier.
Pour les obligations qui prennent leur source dans les contrats,
cette situation peut être modifiée, soit par une convention spéciale
passée entre le créancier et les débiteurs, soit par la volonté formelle
de la loi, l'une ou l'autre transformant la dette simplement conjointe
en une dette solidaire (art. 1202, C. civ.). Lorsqu'il en est ainsi, le
créancier, tout d'abord, a le droit de demander le paiement intégral
de la dette à l'un quelconque de ses débiteurs, sauf le recours de
celui-là contre ses coobligés (art. 1200, 1213, 1214 C. civ.); et, de
350 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
plus, les débiteurs ont mandat de se représenter les uns les autres
dans leurs rapports avec le créancier (art. 1203 à 1207 C. civ.), de
sorte que les poursuites exercées contre l'un d'eux produiront leurs
effets contre tous.
Pour les obligations nées des délits de droit pénal, des délits ou
quasi-délits de droit civil, à l'égard desquelles une convention relative
à la solidarité ne se conçoit pas, la loi pouvait aussi intervenir et
décider qu'elles seraient garanties par cette solidarité, si favorable
au créancier. Toutefois, en l'absence même d'une disposition de loi
particulière, la situation n'aurait pas toujours été sans remède. Voici
comment. D'une part, il est un principe rationnel, que les articles 1382
et 1383 du Gode civil ont consacré en termes exprès : c'est que le
dommage résultant d'un fait illicite quelconque de l'homme doit être
pleinement réparé par son auteur. D'un autre côté, lorsque plusieurs
individus ont participé à l'accomplissement d'un fait illicite et dom-
mageable de telle sorte que la- part qu'y a eue chacun d'eux soit
impossible à déterminer, ce qui est le cas le plus fréquent, chacun
doit être réputé l'avoir commis pour le tout. De la combinaison de ces
deux idées il résulte que tous les codélinquants peuvent être.indivi-
duellement condamnés par le juge à une réparation pleine et entière.
Mais ce secours eût été insuffisant; car il n'eût été possible que dans
le cas où la part des divers coupables serait demeurée nécessairement
indistincte ; de plus, il eût fallu une déclaration expresse du juge ;
et enfin, ces condamnations pour le tout, n'étant pas des condamna-
tions solidaires dans le sens des articles 1200, 1203 à 1207 du Code
civil, n'auraient pas produit les effets de la solidarité proprement
dite qui s'expliquent par un mandat mutuel imposé aux codébi-
,
leurs.
475. La loi a laissé sous l'empire du droit commun, tel qu'il vient
d'être précisé, les dommages nés des délits ou quasi-délits de droit
civil et ceux qui ont leur source dans les contraventions de simple
police 1. Au contraire, pour les dommages causés par des délits de
droit pénal plus graves, consistant en des crimes ou en des délits de
police correctionnelle, elle est intervenue : l'article 55 du Code pénal
déclare que tous les individus condamnés pour un même crime ou
pour un même délit seront tenus solidairement des restitutions, des
dommages-intérêts et des frais.

1. Je reviendrai sur ce point ci-dessous, aux n°s 479 et 480.


SOLIDARITÉ. 351

II. Caractère et justification, en ce qui concerne les condam-


nations civiles, de la solidarité établie par l'article 55. — 476.
Bien que l'article 55 du Code pénal paraisse fort clair, il a donné lieu
à des interprétations diverses. Des auteurs nient qu'il ait en vue ia
solidarité proprement dite, celle qui est organisée dans les arti-
cles 1203 et suivants du Code civil. Ils raisonnent de deux manières"
différentes.
Suivant les uns, la loi a établi de plein droit, sans qu'une décision
du juge soit nécessaire et sans qu'il y ait à considérer la part de cha-
cun des codélinquants dans le délit, la règle d'équité que le juge au-
rait pu tirer lui-même, dans la plupart des cas, du principe consacré
par les articles 1382 et 1383 du Code civil. Mais elle n'a pas fait plus ;
en se servant du mot solidairement, elle n'a pas parlé de la solida-
rité proprement dite, mais seulement de l'obligation pour le tout
{in solidum). Et pourquoi ? C'est que, dit-on, la dette véritablement
solidaire suppose l'unité de cause et de lien, tandis que l'engagement
solidaire dont il est question dans l'article 55 ne suppose ni l'un ni
l'autre : « La cause.qui en est le principe n'est pas la même pour
chacun de ceux qui ont. concouru à l'acte; ils sont engagés non à
raison d'une cause unique et commune, mais à raison des actes indi-
viduels qu'ils ont personnellement exécutés et dont la réunion a
causé le dommage. L'unité de lien n'existe pas davantage. Le lien
qui unit l'un n'est pas celui qui unit l'autre. Chacun des condamnés
est tenu à cause de l'obligation particulière qui dérive de sa partici-
pation individuelle au crime ou au délit. Il est obligé pour le tout,
indépendamment de ses coobligés, et comme si ces derniers étaient
enus chacun à raison d'une obligation distincte de la sienne 1.
»
Cette opinion est inadmissible. Lorsque la loi, usant de la faculté
qu'elle s'est réservée dans l'article 1202 du Code civil, prononce dans
tel ou tel cas la solidarité, rien n'autorise àprétendre qu'elle a parlé
d'autre chose que de la solidarité proprement dite. Aussi, pour le
prétendre, ici, se fonde-t-on sur des motifs erronés : il n'est pas
exact de dire que la cause de l'obligation est différente pour chacun
des obligés ; car cette cause est le délit auquel ils ont tous concouru ;
et, s'il est vrai que, malgré l'unité de cause et d'obligation, il y a
autant de liens que de débiteurs, cette particularité est précisément
l'un des traits de la solidarité, loin de lui être contraire.

I. BLANCHE, 1, n° 414.
352 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Suivant les autres, il s'agit bien de la solidarité. Mais, dans les
hypothèses où la solidarité dérive de la loi, elle est tantôt parfaite,
tantôt imparfaite, selon que les divers débiteurs peuvent être ou non
considérés comme ayant mandat mutuel de se représenter les uns les
autres dans leurs rapports avec le créancier. Au cas de solidarité
parfaite, tous les effets énumérés dans les articles 1203 à 1207 du
Code civil pourront se produire. Au cas de solidarité imparfaite, il y
aura simplement obligation pour chacun des débiteurs de payer la
dette en entier. Et l'hypothèse prévue dans l'article 55 est de celles
où la solidarité n'est qu'imparfaite d. Cette opinion n'est pas plus ad-
missible que la précédente. Elle se réfute par la même observation :
la loi n'a organisé qu'une sorte de solidarité dans les articles 1200 à '

1216 du Code civil; elle ne peut se référer qu'à celle-là, partout où


elle établit des obligations solidaires. On ne saurait dire que tantôt
les débiteurs ont mandat de se représenter les uns les autres, tantôt
ne l'ont pas. Il n'existe dans la loi aucune règle qui soit à cet égard
un critérium, aucune règle qui puisse servir de base à cette distinc-
tion. Le mandat existe toujours. Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'il
est plus ou moins équitable et que, en l'imposant, la loi s'est montré
plus ou moins rigoureuse.
De là je conclus que l'obligation solidaire à laquelle sont tenus les
codélinquants, en ce qui concerne les restitutions, les dommages-
intérêts et les frais, est une obligation proprement et parfaitement
solidaire..
477. Et cette sévérité de la loi pour les débiteurs des réparations
civiles se justifie fort bien. Lorsque plusieurs individus ont concouru
au même délit, quelle que soil leur part dans le dommage qui en est
résulté, que cette part soit indéterminée ou distincte, il est rationnel
qu'ils soient également unis dans la réparation et que les uns, à
défaut des autres, la procurent entière ; il est juste que le créancier
ne perde pas une partie de sa créance par suite de l'insolvabilité de
tel ou tel d'entre eux, et que sa situation ne soit pas, à l'égard de
celui qui est solvable, pire qu'elle ne serait si celui-là était le seul
auteur du méfait.
III. La solidarité s'applique aussi aux condamnations à
l'amendé; critique de la loi à ce point de vue. — 478. La loi est

1. MOURLON, Répétitions écrites, II, n°s 1258 et s. ; AUBRY ET RAU, Cours


de droit civil, III, § 398.
SOLIDARITÉ. 353
allée plus loin. Elle a décidé que les individus condamnés pour un
même crime ou pour un même délit seraient aussi solidairement res-
ponsables des amendes. En cela, d'après quelques auteurs dont je par-
tage le sentiment 1 elle a tout à la fois méconnu l'une des conditions
essentielles de la solidarité et le caractère pénal de l'amende. L'obli-
gation solidaire est une obligation unique mise à la charge de plu-
sieurs débiteurs et pesant en totalité sur chacun d'eux dans leurs rap-
ports avec le créancier. On comprend donc bien que ce caractère af-
fecte l'obligation unique relative aux.restitutions, celle des dommages-
intérêts, celle des frais. Mais, imprimé aux obligations diverses et
distinctes qui résultent des diverses condamnations à l'amende, il ne
se conçoit pas. Exiger de l'un de deux condamnés qu'il paie les deux
amendes,, ce n'est pas l'obliger simplement à faire au créancier
l'avance de la totalité d'une dette dont il ne doit supporter finalement
qu'une partie, c'est en réalité l'obliger à faire l'avance d'une dette
qui lui est tout à fait étrangère. Au fond, ce que la loi a établi quant à
l'amende, sous le nom de solidarité, C'est le cautionnement solidaire
et forcé de chacun des condamnés par l'autre (art. 2011, 2021 C. civ.).
Peu importerait d'ailleurs, s'il ne s'agissait que d'obligations civiles ;
on aurait pu aller jusque-là. Mais les amendes sont des peines. Par
conséquent la loi fait subir à l'un des condamnés la peine de l'autre.
En vain dira-t-on qu'elle lui accorde un recours ; s'il a dû payer les
deux amendes, c'est que l'autre condamné était insolvable; et,
comme il est probable que son insolvabilité ne cessera jamais, ce
droit de recours sera le plus souvent illusoire. Si l'on insiste, fai-
sant observer que les deux amendes ont la même cause, à savoir le
délit auquel ont participé les deux condamnes, je répondrai que ce
n'est pas une raison pour infliger à l'un non seulement sa peine, mais
aussi celle de son complice. S'il survivait seul, ajouterait-on à son
temps d'emprisonnement celui que son complice avait à subir 2 ?
Toutefois, dans les cas assez rares où l'amende est colleclive au lieu
d'être individuelle (par exemple, dans les articles 144, 192, 194 du
Code forestier), cette critique ne serait plus exacte ; dans ces cas, sans
cesser d'être une peine, l'amende est assimilée quant au paiement aux
répartitions civiles.
Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, la loi est formelle, et les règles de la

1. Entre autres, ORTOLAN, II, n° 1584.


2, Aussi le Code belge de 1867 a-t-il supprimé cotte anomalie. Voir les art. 39 et
50.
23
354 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
solidarité devront s'appliquer aux condamnations à l'amende comme
aux autres condamnations pécuniaires.
IV. A quelles matières la solidarité établie par l'article 55
doit être restreinte. — 479. La solidarité établie par l'article 55 du
Code pénal est applicable à toutes les condamnations prononcées en
matière de crimes ou de délits, sans qu'il y ait à distinguer suivant que
ces crimes ou délits sont prévus par le Code pénal ou par d'autres
lois i.
Mais elle ne doit pas être étendue aux condamnations prononcées
en matière de contraventions de simple police. En effet, lorsque la
joi, qui a réservé un quatrième livre du Gode aux contraventions de
simple police, parle des crimes et des délits dans les trois premiers
livres, elle prend ces mots dans leur sens le plus étroit, celui que leur
a attribué, dès le début, l'article lor; le mot délits ne se réfère qu'aux
délits de police correctionnelle. Aussi, d'ordinaire, si elle veut assi-
miler en quelque point les contraventions aux crimes et aux délits, a-
t-elle recours à une disposition spéciale et formelle. C'est ce qu'elle a
fait, par exemple, en ce qui concerne les circonstances attenuantes
(art. 463,483, § 2). C'est aussi ce qu'elle a fait en ce qui touche le clas-
sement de l'amende et des réparations dues à la partie lésée (art. 54 et
468) et pour la contrainte par corps (art. 52 et 53, 467 et. 469). Quant
à la solidarité, aucun texte du livre iv ne correspond à l'article 55.
Sans doute il n'est pas impossible que certaines règles posées à pro-
pos des crimes et des délits soient également applicables aux contra-
ventions de simple police, et c'est ainsi que l'irresponsabilité par
suite de démence ou de contrainte (art. 64) est générale. Mais il faut,
pour admettre une telle extension, quelque motif plausible. Or ici,
loin d'être autorisé à étendre-la disposition de l'article 55, on doit la
restreindre ; car c'est une disposition exceptionnelle. Au reste, cette
interprétation restrictive semble bien conforme à l'esprit de la légis-
lation actuelle : les contraventions de simple police donnaient lieu à la
solidarité, aux termes de la loi du 22 juillet 1791 (titre II, art. 42);
l'article 55 du Code de 1810, en les omettant, les a exclues; le légis-
lateur aura pensé que les dommages résultant de si légères infrac-
tions n'avaient pas assez d'importance pour être l'objet d'une déroga-
tion aux principes généraux 2.

1. Arr.decass. du 5 déc. 1872 (llull. crim. t. 77, p. 517).


2. L'article 50 du Code belge de 1867 établit la solidarité en toute matière.
SOLIDARITÉ. 355
Cependant une objection est possible en ce qui regarde les frais :
l'article 156 du décret du 18 juin 1811 ayant imposé la solidarité,
quant à eux, aux auteurs et complices du même fait, on peut soutenir
qu'il l'a établie en toute matière 1. Mais il est plus sûr de décider que
ce décret n'a pas entendu déroger à l'article 55 du Code pénal et qu'il
doit être interprété par cette disposition.
Ainsi le droit commun, tel qu'il résulte des articles 1382 et 1383
du Code civil, est seul applicable en matière de contraventions. Au
cas, mais seulement au cas où le juge estimera qu'il est impossible de
déterminer la part de chacun des contrevenants dans le dommage
causé par l'infraction, il aura le droit de condamner chacun d'eux,
comme auteur pour le tout, à la réparation totale. Mais il faudra qu'il
le déclare en termes formels; et le créancier pourra bien demandera
l'un quelconque des condamnés le paiement intégral, mais il ne jouira
pas des avantages conférés par les articles 1206 et 1207 du Code
civil, parce que l'obligation ne sera pas solidaire 2.
480. A plus forte raison le droit commun qui vient d'être rappelé
est-il seul applicable aux dommages résultant de délits ou de quasi-
délits de droit civil 3.

1. C'est ce que décide la jurisprudence. V. arr. de cass. du 12 mai 1849 (Sir. 49,
1,008); arr. de cass. du 20 mars 1868 (Bull, cr., 73, p. 125); arr. de cass. du
22 juin 1871 (Bull, cr., 76, p. 114).
2..BLANCHE (I, n° 438), étant d'avis que l'article 55 est une application des prin-
cipes généraux, ne l'étend pas beaucoup en décidant qu'il se réfère, même aux
dommages résultant de contraventions. Cependant il l'étend encore, puisqu'il
admet ainsi que l'obligation au paiement intégral existera, en matière de contra-
ventions comme en toute autre matière, de plein droit et dans tous les cas.
Des arrêts ont décidé que le juge a le droit de condamner pour le tout chacun
des contrevenants. Ces décisions sont fondées avec raison sur les principes géné-
raux et non sur l'article 55. (Voir cepend. les arr. de cass. du 20 mars 1868 et du
22 juin 1871, au Bull. crim. 73, p. 155, et 76, p. 114). D'autres'arrêts ont formelle-
ment écarté l'application de l'article 55, notamment l'arr. de cass. du 12 mai 1849
cité ci-dessus. C'est à tort que l'on cite aussi en ce sens un arr. de cass. du
3 av. 1869 (Sir. 70, 1, 259); car cet arrêt porte non sur une contravention de
simple police, mais sur un délit non intentionnel, et rien ne prouve que le mot
délit, dans l'article 55, n'embrasse pas les délits non intentionnels comme les délits
proprement dits.
3. Aussi les nombreux arrêts de la cour de cassation qui ont maintenu des déci-
sions prononçant la solidarité pour les dommages qui résultent de quasi-délits sont-
ils fondés sur les principes généraux et non sur l'article 55. Voy. notamment les
arr. du 8 nov. 1836, du 12 juill. 1837, du 12 mai 1839, du 29 déc. 1852, du
4 mai 1859 (Sir. 59, 1, 377), du 3 mai 1865 (Sir. 65, 1, 251), du 25 juill. 1870 (Sir,
72, 1, 122), du 23 mars 1S75 (Sir. 75, 1, 155).
356 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
V. Dans quels cas ou à quelles conditions existe la solidarité.
481. 1° La solidarité que l'article 55 a établie n'existe que dans le

cas où plusieurs individus ont participé au même fait. Si donc il
s'agissait de faits différents, quand même ils auraient été compris dans
la même instance, il n'y aurait pas solidarité *.
Mais on peut dire que les condamnés ont été jugés pour le même
fait, lorsqu'ils l'ont été pour des délits connexes, en vertu des
articles 226 et 227 du'Code d'instruction criminelle; car ces faits
« sont dépendants les uns des autres et ne forment à vrai dire que
les parties d'un même tout »
482. 2° La solidarité établie par l'article 55 n'existe que si les in-
dividus qui ont participé au même fait en ont été reconnus coupables.
Il n'est pas nécessaire, d'ailleurs, qu'ils aient été condamnés à une
peine ; il suffit, et c'est ce que signifie simplement, l'article 55 en par-
lant de « condamnés », que, reconnus coupables du même crime ou
du même délit, ils aient été condamnés aux restitutions, aux domma-
ges-intérêts ou aux frais. C'est ce qui peut arriver, par exemple,
dans les cas prévus aux articles 105 et 138 du Code pénal, ou bien
par application des articles 66 du Code pénal, 202 et 365 du Code
d'instruction criminelle 3.
Mais, s'ils sont acquittés, alors même qu'il subsisterait un délit ou
quasi-délit de droit civil donnant lieu à des réparations, on n'est
plus dans les termes de l'article 55; puisqu'il n'y a ni crime ni
délit, il ne saurait être question de solidarité proprement dite; les
juges peuvent seulement condamner pour le tout chacun des auteurs
du dommage, en vertu des principesgénéraux consacrés par les arti-
cles 1382 et 1383 du Code civil.
483. 3° Des auteurs enseignent qu'une troisième condition doit
être ajoutée à celles qui viennent d'être examinées : c'est que les con-
damnations aient eu lieu dans la même instance, par le même juge-
ment. « Car l'article 55 suppose évidemment une poursuite simulta-
née, et il serait impossible d'admettre que la condition d'un cou-

1. Cette règle, si clairement indiquée dans l'article 55, a été maintes fois consacrée
par la cour de cassation. Aux arrêts rapportés par BLANCHE (I, n° 433) ajout.,
entre autres, les arr. du 10 nov. 1855, du 13 mars 1863, du 23 janv. 1868, du
17 janv. 1873, du 19 juin 1875 (Bullet. cr. 60, p. 554; 68, p. 140; 73, p. 27 ; 78, p.
23; 80, p. 375).
2. Aux arrêts cités par BLANCHE (I, n° 419), ajout, ceux du 5 janv. 1866, du
20 mars 1868, du 30 janv. 1873 (Bull.er., 71, p. 8; 73, p. 125; 78. p. 53).
3. V. BLANCHE, I, n° 421.
SOLIDARITÉ. 357
damné, pût être aggravée, après son jugement, par la condamnation
postérieure de ses complicesl. »
En principe, il nie semble que rien n'autorise à interpréter ainsi
le silence de l'article 55. Tout au contraire, il y aurait lieu de s'éton-
ner si la participation au môme .délit avait des effets différents sui-
vant qu'elle a donné lieu à un seul et même jugement ou à des juge-
ments successifs 2.
Toutefois, en ce qui concerne les frais, la solution proposée est
juste. La séparation des instances a occasionné des frais plus consi-
dérables; les condamnés ne doivent pas répondre de ce surcroît de dé-
penses; et, les procès ayant été distincts, les frais doivent l'être aussi.
La solidarité ne doit lier les condamnés que pour les frais des actes
de poursuite qui leur ont été communs 3.
484. Telles sont les conditions exigées pour que l'article 55 soit
applicable. Lorsque ces conditions seront remplies, il y aura toujours
solidarité.
Ainsi, puisqu'il n'est pas nécessaire que les codélinquants, recon-
nus coupables du même crime ou du même délit, soient frappés d'une
peine, à plus forte raison la solidarité obligera-t-elle ceux qui auront
été condamnés à des peines différentes ou inégales. Que l'un d'eux
soit condamné à 100 francs d'amende et l'autre à 1000 francs, peu
importe. Il serait même sans intérêt que l'un d'eux eût encouru une
peine plus forte à raison de sa qualité de récidiviste 4.
Peu importe encore que les parts des codélinquants dans les resti-
tutions, dommages-intérêts ou frais aient été déterminées par le juge-
ment et faites inégales.
Il n'est pas nécessaire non plus que les condamnations civiles dont
parle l'article 55 aient été prononcées par un tribunal de répression.
C'est évident lorsque la partie lésée a porté son action devant un tri-
bunal civil, après la constatation du crime ou du délit par un tribunal
criminel. Il faut l'admettre aussi lorsque le tribunal civil a été seul
saisi : l'article 3 du Code d'instruction criminelle, en autorisant les
tribunaux de cet ordre à connaître des dommages causés par les cri-

1. CHAUVEAU et F. HÉLIE, I, n« 134, p. 219, 220; SOURDAT, I, n° 156.


2. En ce sens BLANCHE, I, n» 431.
3. C'est la distinction que fait expressément le Codé belge de 1867 dans son
art. 50 §§ 2 et 4, en donnant d'ailleurs dans le § 3 un pouvoir d'appréciation au
juge.
4. Comp. BLANCHE, I, n»;435,
358 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

mes ou délits, les a par là même autorisés à constater ces crimes ou


délits au point de vue des dommages; et si en effet ils en ont re-
connu l'existence, cela suffit, en présence de la généralité des termes
de l'article 55, pour que les obligations civiles nées du jugement
soient solidaires 4.
Enfin, la solidarité établie par l'article 55 est une solidarité légale,
qui s'impose de plein droit sans que les juges aient à la prononcer.
Ce n'est pas qu'il leur soit défendu de le faire, s'ils le croient conve-
nable, et dans la pratique ils le font souvent. Mais ce n'est pas néces-
saire 2.

SECTION IV. — DE LA RESPONSABILITE CIVILE INDIRECTE.

CODE PÉN. ART. 73. Les aubergistes et hôteliers convaincus d'avoir


logé, plus de vingt-quatre heiores, quelqu'un qui, pendant son séjour,
aurait commis un crime ou un délit, seront civilement responsables
des restitutions, des indemnités et des frais adjugés à ceux à qui ce
crime ou ce délit aurait causé quelque dommage, faute par eux
d'avoir inscrit sur leur registre le nom, la profession et le domicile
du coupable ; sans préjudice de leur responsabilité dans le cas des
articles 1952 et 1953 du Code civil.
ART. 74. Dans les autres cas de responsabilité civile qui pourron
se présenter dans les affaires criminelles, correctionnelles ou de po-
lice, les cours et tribunaux devant qui ces affaires seront portées se
conformeront aux dispositions du Code civil, livre III, titre JV,
chapitre IL

I. Notions préliminaires : responsabilité pénale et responsabilité civile; responsa-


bilité civile directe, responsabilité civile indirecte; c'est de cette dernière qu'il
est ici question. — II. Quelles personnes sont civilement responsables des faits
d'autrui; dans quelles mesures elles le sont. — III. Quelles condamnations peuvent
être poursuivies contre les personnes civilement responsables. — IV. Quelles ga-
ranties d'exécution sont accordées contre ces personnes. — V. Si les personnes
civilement responsables ont un recours contre les auteurs du dommage.

1. V. BLANCHE, I, nos 424, 425. En sens contraire, SOURDAT, I, n° 163.


2. V. BLANCHE, I, n° 428. ;Aux arrêts qu'il rapporte ajout. les arr. de cass. du
1er août 1866 (Sir. 66,1, 396), et du 19fév.l867 (Sir. 67,1, 172), qui, toutefois, ne
statuent pas précisément sur la question.
RESPONSABILITÉ CIVILE. 359
I. Notions préliminaires : de quelle responsabilité il est ici
question. — 485. On sait qu'il existe, au cas où un délit a causé
quelque dommage, deux sortes de responsabilités : la responsabilité
pénale et la responsabilité civile 1.
La responsabilité pénale est d'ordinaire directe ou nulle, c'est-à-
dire qu'elle est uniquement encourue par l'auteur du délit. Cepen-
dant, quelquefois, certaines personnes, à raison de leurs rapports
avec l'auteur du délit et des devoirs impérieux de surveillance qu'el-
les avaient sur lui,-encourent, à l'occasion de son fait, une responsa-
bilité pénale indirecte qui met à leur charge des confiscations ou des
amendes. C'est ce que décident les articles 9 de l'arrêté du 27 prai-
rial an IX, 45 et 46 du Code forestier 2. C'est aussi le sens, selon
moi, de l'article 20 du titre xni de la loi du 6-22 août 1791 sur les
douanes, de l'article 8 du titre m du décret du 4 germinal an II éga-
lement relatif aux douanes, et de l'article 35 du décret du 1er germi-
nal an XIII, sur les droits réunis 3.
La responsabilité civile n'est pas aussi rigoureusement person-
nelle. Car il est moins grave d'imposer la réparation du dommage
que d'infliger une peine à un tiers qui, sans être l'auteur du délit, y a
néanmoins indirectement contribué par sa négligence. C'est pourquoi,
en matière de responsabilité civile, une assez large place est faite par
la loi, après la responsabilité directe, qui pèse sur l'auteur même
du fait, à la responsabilité indirecte, qui est encourue par un certain
nombre d'autres personnes.
La responsabilité civile directe a élé organisée, au Code pénal*,
dans les articles 51 à 55 qui viennent d'être commentés.
La responsabilité civile indirecte est l'objet, au même Code, des
articles 73 et 74 4.
Comme la responsabilité civile directe et bien davantage encore,
la responsabilité civile indirecte n'est qu'une matière acces-
soire dans une loi pénale. Aussi l'article 74 renvoie-t-il au Code civil.

1. Se reporter ci-dessus, au n° 448.


2. Se reporter ci-dessus, au n» 432. Voir aussi d'autres textes statuant de même in-
diqués par SOUKDAT, Traité général de la responsabilité, nos 781 et s.
3. Se reporter ci-dessus, aux nos 453-436.
4. Habituellement, quand on parle de responsabilité civile, c'est uniquement de la
responsabilité civile indirecte qu'il s'agit; et, de même, les personnes civilement
responsables sont les personnes civilement responsables des faits d'autrui, ou, en
d'autres termes, les personnes qui ne sont que civilement responsables.
360 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Jtussi, de même, dois-je me borner, dans ce Traité, à une théorie.
.sommaire.
II. Quelles personnes sont civilement responsables des faits
d'autrui; dans quelle mesure elles le sont. — 486. La règle
générale à laquelle se rattachent, comme des applications, les divers
cas de responsabilité civile qui vont être énumérés est posée dans le
paragraphe 1 de l'article 1384 du Code civil : « On est responsable
non seulement du dommage qne l'on cause par son propre fait,
mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes
dont on doit répondre. » Cette règle dérive elle-même du principe su-
périeur inscrit dans l'article 1383 : «Chacun est responsable du, dom-
mage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa
négligence ou par son imprudence. » Car la responsabilité encourue
pour le fait d'une personne que l'on doit surveiller (ce qui est le sens des
mots dont on doit répondre) a sa cause dans un manquement à ce
devoir, c'est-à-dire dans une négligence.
Toutefois, ces deux dispositions ne sont pas purement et simple-
ment le corollaire l'une de l'autre. En premier lieu, le principe
formulé dans l'article 1383 n'a pas pour seule conséquence, en ma-
tière de responsabilité civile indirecte, la règle que contient l'arti-
cle 1384 ; il a une portée plus large ; il nous rend responsables du
dommage causé par le fait des personnes sur lesquelles nous avons
sinon le devoir strict et légal de surveillance dont parle l'article l384,
du moins une certaine autorité, et que par conséquent nous pouvons
et devons empêcher de nuire. Par exemple, il permettrait d'attaquer
en réparation du dommage commis par un fou la personne qui en
avait la garde. De même, à défaut d'un texte spécial, les circonstances
du fait pourraient le rendre applicable envers le mari pour le dom-
mage causé par sa femme. Mais, d'autre part, le principe de l'article
1383 et les conséquences qui en découlent, en dehors de l'article 1384
et de plusieurs autres dispositions, ne peuvent être utilement invo-
qués par le demandeur que s'il établit une faute à la charge du défen-
deur ; tandis que, dans le cas où la partie lésée peut s'appuyer sur
l'article 1384 ou sur quelque disposition qui s'y rattache, il lui suffit
de démontrer qu'il existait entre le défendeur et l'auteur du dom-
mage un des rapports qui entraînent légalement le devoir de surveil-
lance; et dès lors elle a en sa faveur une présomption de faute com-
mise par son adversaire, présomption légale et souvent même pré-
somption absolue, c'est-à-dire inattaquable.
RESPONSABILITÉ CIVILE. 361

De là il résulte que les cas de responsabilité civile régis par l'ar-


ticle 1383 sont illimités, tandis que les applications de l'article 1384,
au contraire, sont en nombre restreint, n'existent qu'en vertu de textes
formels et peuvent être énumérées. Je passerai rapidement en revue
les plus intéressantes.
487. 1° Aux termes de l'article 138-1, §§ 2 et 4, « le père, et lanière,
après le décès du mari, sont responsables du dommage causé par
leurs enfants mineurs habitant avec eux: — les instituteurs et les
artisans du dommage causé par leurs Élèves et apprentis pendant le
temps qu'ils sont sous leur surveillance ».
Les pères et mères, instituteurs et artisans sont soumis à une res-
ponsabilité particulière à cause du devoir de direction et de surveil-
lance qui leur incombe envers leurs enfants, leurs élèves ou leurs
apprentis, et parce qu'ils sont présumés y avoir failli. Aussi n'encou-
rent-ils cette responsabilité que si l'auteur du dommage est mineur l
et si, au moment où il commettait le fait dommageable, ils l'avaient
ou devaient l'avoir sous leur garde. C'est pour la même raison que
l'article 1384, § 5 les décharge de cette responsabilité, s'ils prouvent
que, malgré leur vigilance, ils n'ont pu empêcher le délit.
En ce qui concerne la responsabilité des père et mère, on remar-
quera que l'article 1384 ne distingue pas suivant que l'enfant mineur
habitant avec eux est ou non émancipé. Cependant, si l'émancipation
résulte du mariage, il faut décider qu'elle met fin à la responsabilité
des père et mère, même lorsque le mineur marié demeure avec eux;
car il a cessé d'être sous leur surveillance. Cette distinction, d'ail-
leurs, se rencontre dans un certain -nombre de textes qui contiennent
des applications de l'article 1384 : dans l'article 7 du titre 2 de la
loi du 28 septembre 1791 sur la police r,urale, dans l'article 206 du
Code forestier, dans l'article 28 de la loi du 3 mai 1844 sur la police
de la chasse.
On admet généralement que les tuteurs ont une responsabilité
identique à celle des père et mère pour les actes de leurs pupilles
habitant avec eux. Si l'article 1384 n'en dit rien, plusieurs textes de
lois spéciales le déclarent en termes exprès : ce sont ceux qui vien-
nent d'être indiqués; c'est aussi l'article 74 de la loi du 15 avril 1829

1. Bien que la condition de minorité ne soit expressément exigée que de la part


(les enfants pour engager la responsabilité des pères et mères, il faut reconnaître
que, dans la pensée de la loi, elle doit exister aussi dans la personne des élèves et
(les apprentis pour engager la responsabilité des instituteurs et des artisans.
362 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

sur la pèche fluviale; et, l'autorité du tuteur étant tout à fait ana-
logue à celle des père et mère, il y a lieu de penser que ces textes
sont des applications d'une règle implicitement contenue dans l'ar-
ticle 1384.
Le mari, au contraire, n'est pas de plein droit responsable du fait
de sa femme; car au silence de l'article 1384 s'ajoute cette raison
que la puissance maritale n'est pas de même nature que la puissance
paternelle. Il faut donc, à cet égard, considérer comme exceptionnels
trois des textes précités qui, à côté de la responsabilité du tuteur,
établissent aussi celle du mari '.
488. 2° Aux termes de l'article 1384, § 3, « les maîtres et les com-
mettants sont responsables du dommage causé par leurs domes-
tiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont em-
ployés ».
La responsabilité des maîtres et commettants est moins étendue,
mais plus rigoureuse que celle des pères et mères, instituteurs et
artisans.
D'une part, en effet, ils ne sont responsables que des dommages
commis par leurs domestiques et préposés à l'occasion de leur ser-
vice. Par exemple, si un domestique, en conduisant une voiture de
son maître, renverse un passant par méchanceté ou par imprudence,
ou bien si un préposé détourne les marchandises qu'il était chargé
de recevoir au nom de son commettant, le maître et le commettant
seront responsables; ils ne le seront pas si leur domestique ou pré-
posé, dans une rixe, commet un meurtre.
Mais, d'autre part, les maîtres et commettants ne sont pas admis
à prouver qu'ils n'ont pu empêcher le fait dommageable. Car, alors
même, ils sont en faute d'avoir fait un mauvais choix dans la personne
du domestique ou préposé.
C'est en ce double sens qu'il faut entendre les applications de la
responsabilité des maîtres et commettants qui se rencontrent dans
l'article 7 du titre 2 de la loi du 28 septembre 1791 sur la police
rurale, dans l'article 74 de la loi du 15 avril 1829 sur la pêche flu-
viale et dans l'article 28 de la loi du 3 mai 1844 sur la police de la
chasse. L'article 206 du Code forestier, au contraire, permet aux
maîtres et commettants de se disculper.
La responsabilité des commettants, telle qu'elle vient d'être dé-
1. Pour plus de développements, voir BLANCHE, II, nos 377-384 et 390; SOURDAT,II,
n°s 810 et s.
RESPONSABILITÉ CIVILE. 363
finie, s'applique, en principe et sauf exception, aux administrations
publiques 1.
489. 3° Aux termes des articles 1953 et 1954 du Code civil, « les
aubergistes ou hôteliers sont responsables du vol oit du dommage
des effets du voyageur, soit que le vol ait été fait ou que le dom-
mage ait été causé par les domestiques et préposés de l'hôtellerie,
ou par des étrangers allant et venant dans l'hôtellerie; — ils ne
sont pas responsables des vols faits avec force armée ou autre force
majeure ».
Comme on le voit, la responsabilité que l'article 1953 du Code ci-
vil impose aux hôteliers ou aubergistes n'est pas seulement celle des
maîtres et commettants; elle s'étend aux actes des étrangers allant et
venant dans l'hôtellerie. Elle est donc très onéreuse. Elle est fondée
sur la nécessité où sont les voyageurs de loger dans les hôtelleries et
de se confier à la foi %du maître pour la garde de leurs effets. Elle a
aussi pour but d'empêcher que des associations ne se forment entre les
hôteliers et les voleurs.
Les voituriers par terre et par eau sont assujettis, pour la garde et
la conservation des choses qui leur sont confiées, aux mêmes obliga-
tions que les aubergistes (art. 1782, C. civ.) 2.
490. 4° L'article 73 du Code pénal met une autre responsabilité h
la charge des aubergistes, des hôteliers et généralement de tous les
logeurs. Tout d'abord ils doivent, d'après l'article 475, n° 2 du même
Code, et sous peine d'une amende de six à dix francs, inscrire sur un
registre les noms, qualités, domicile habituel, dates d'entrée et de sortie
de toute personne qui couche ou passe une nuit dans leur maison. De
plus, d'après l'article 73, à défaut de cette formalité et dans le cas où
'a personne à l'égard de qui elle aurait dû être remplie et ne l'a pas
été a logé chez eux pendant plus de vingt-quatre heures, si cette per-

sonne, durant ce temps, a commis un crime ou un délit, ils en sont


civilement responsables. On a considéré qu'ils sont coupables d'une
négligence facile à éviter et dont les suites peuvent être fort graves,
parce qu'elle fait perdre la trace des malfaiteurs, favorise leur impu-
nité et .contribue à rendre irréparable le dommage qu'ils ont causé 3.

1. Pour plus de développements sur la responsabilité des maîtres et commettants


voir BLANCHE, II, n 05 387 et s. ; SOURDAT, II, n°s 881 et s.
1 Pour les développements relatifs a cette responsabilité dos aubergistes et des
voituriers, voir BLANCHE, K, n°s 396, 397; SOURDAT, II, n°s 930 et s.
3. Voir, pour l'exposé des motifs, CHAUYEAU et F. HÉUE, I, p. 581 ; SOURDAT, II,
n°s 931, 934.
364 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Des auteurs, néanmoins, dont le sentiment me paraît juste, estiment
que cette disposition est d'une rigueur excessive. Elle assimile, en effet,
pour son étendue, la responsabilité des hôteliers ou aubergistes à celle
des pères et mères, des instituteurs et artisans, des maîtres et com-
mettants, bien que cette responsabilité ne puisse être exactement rat-
tachée au principe de l'article 1384 : les hôteliers ou aubergistes sont
en faute ; mais leur faute n'est pas d'avoir négligé un devoir de direction
et de surveillance envers l'auteur du délit.
491. Telles sont les personnes civilement responsables 1. Il esta
peine besoin de faire remarquer que leurs obligations se transmettent
à leurs héritiers.
III. Quelles condamnations peuvent être poursuivies contre
les personnes civilement responsables. — 492. Les condamnations
qui peuvent être poursuivies contre les personnes civilement respon-
sables sont les condamnations purement civile, comme l'indique le
nom même de la responsabilité dont il s'agit : condamnations aux resti-
tutions et aux dommages-intérêts, condamnations aux frais ou. dé-
pens que le procès a.occasionnés 2.
Les condamnations à l'amende, ayant un caractère pénal, ne de-
vraient jamais être prononcées ni poursuivies contre les personnes qui
ne sont que civilement responsables. Si, aux termes de quelques textes
et dans certains cas, elles sont formellement étendues à certaines per-
sonnes qui d'ordinaire ne sont que civilement responsables (art. 9 de
l'arrêté du 27 prairial an IX, art. 45 et 46 du Code forestier, art. 20du
titre XIII de la loi du 22 août 1791, art. 8 du titre III du décret du
4 germinal an II, art. 35 du décret du 1er germinal an XIII, etc.), c'est
que, comme je pense l'avoir démontré, dans ces cas, la responsabilité
de ces personnes, tout indirecte qu'elle soit encore, devient pénale; et
par conséquent il ne serait pas juridique de transformer, dans les
mêmes cas, l'amende en une réparation civile, afin de l'étendre, hors
des termes de la loi, aux autres personnes civilement responsables,

1. Il y a d'autres cas de responsabilité civile qui tiennent de moins près aux


art. 73 et 74 du Code pénal. Voir BLANCHE, II, n°s398 et 399; SOURDAT, II, n°s 1156
et suivants.
11 suffit, ici, de signaler incidemment la responsabilité civile que la loi du
10 vendiémiaire an IV (titre IV) a mise à la charge des communes. En effet, si elle
se rattache au principe inscrit dans l'article 1383 du Code civil, elle est du moins
très différente, sous tous les-rapports, soit de celle qu'a organisée l'art. 1384 du
Code civil, soit de celle qu'a établie l'article 73 du Code pénal.
2. Se reporter ci-dessus, auxnos 448 et suiv.
RESPONSABILITÉ CIVILE. 3C5
C'est,néanmoins, ce que fait la jurisprudence, en matière de douanes
et de contributions indirectes 1.
Que dire des confiscations? Il faut distinguer suivant que, dans l'es-
pèce, la confiscation est purement et simplement une peine, ou bien
présente à la fois ou seulement le caractère d'une mesure de police 2.
Au premier cas, les personnes civilement responsables ne doivent pas
être poursuivies; au second cas, au contraire, elles peuvent être mises
en cause.
IV. Quelles garanties d'exécution sont accordées contre les
personnes civilement responsables. —493. Rien ne s'oppose à l'ap-
plication des garanties qui résultent des hypothèques judiciaires et du
privilège conféré à l'État par la loi du 5 septembre 1807 3..
La voie rigoureuse de la contrainte par corps, au contraire, n'est
pas ouverte contre les personnes civilement responsables. Il résulte de
l'ensemble des dispositions de la loi du 22 juillet 1867 '', comme il ré-
sultait des lois précédentes, que la contrainte par corps a été établie
uniquement pour les auteurs mêmes du dommage. Quelques lois ont
pris soin de le déclarer en termes formels : par exemple, la loi du
3 mai 1844 sur la police de la chasse (art. 28), le Code forestier

(art. 206); c'est un principe général qu'elles ont appliqué 5. Toutefois


on conçoit que, dans certains cas, le législateur ait cru devoir étendre
cette mesure de coercition aux personnes civilement responsables ; c'est
ce qu'il a fait, par exemple, dans l'article 46 du Code forestier; et l'on
n'en sera pas étonné si l'on se rappelle que les adjudicataires de coupes
de bois sont même grevés, quant à l'amende, d'une responsabilité pé-
nale.
Que dire de la solidarité? Les personnes civilement responsables
pourront être obligées pour le tout, en vertu du principe général con-
sacré dans les articles 1382 et 1383 du Code civil, comme les auteurs
directs du dommage. Mais elles ne seront pas pour cela tenues de la
solidarité véritable qu'a établie l'article 55 du Code pénal 6. Quant à
cette solidarité, comme elle ne peut résulter que d'une disposition

I. Se reporter ci-dessus, aux nM 432-436.


2- Se reporter ci-dessus, aux nos 442 et suiv.
3. Se reporter ci-dessus, au n° 459.
4- Se reporter ci-dessus, aux nos 46I-4G4.
5. Voir application judiciaire de cette règle : avant la loi de 1867, dans un arr.
de cass. du 11 fév. 1843 (Sir., 43, 1, 6G2) depuis cette loi, dans un arr. de cass. du
;
8 av. 1875 (Dali., 77, 1, 508).
6. Se reporter ci-dessus, aux n°s 474-477.
366 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
explicite, et que d'ailleurs les motifs qui l'ont fait instituer pour les
individus directement responsables ne. sauraient s'appliquer aux per-
sonnes dont la responsabilité est indirecte, elle ne doit pas, en géné-
ral et dans le silence de la loi, être étendue à ces personnes. Elle
ne peut l'être qu'en vertu d'un texte formel, tel que l'article 156 du
décret du 18 juin 1811 en ce qui concerne les frais. Dans le cas môme
où ces personnes encourent une responsabilité pénale quant à IV
mende, elles ne doivent être considérées comme solidairement obli-
gées que si la loi l'a expressément déclaré. C'est ce qu'ont fait, par
exemple, le décret du 4 germinal an II (titre III, art. 8) sur les douanes 1

et la loi du 12 juillet. 1875 (art. 19) sur la liberté de l'enseignement


supérieur 2.
V. Si les personnes civilement responsables ont un recours
contre les auteurs du dommage. — 494. Il faut, en premier lieu,
distinguer suivant que l'auteur du dommage n'est pas responsable de
ses actes (c'est, par exemple, un fou, un enfant) ou qu'il en est res-
ponsable.
Dans la première hypothèse, aucun recours n'est possible. En réalité
la personne civilement responsable est seule obligée.
Dans la seconde hypothèse, il faut faire de nouvelles distinctions,
Ou bien l'auteur du dommage est seul en faute, ou du moins ne peut
établir aucune participation dans sa faute de la part du demandeur (ce-
lui-ci n'en a pas moins été condamné envers la partie lésée, parce que
vis-à-vis d'elle, dans l'espèce, la loi ne lui permettait pas de se dis-
culper). En ce cas, le recours pour le tout est dé droit; l'article 1251
3° du Code civil est même applicable : la personne civilement res-
ponsable est subrogée dans tous les droits de la partie qu'elle a in-
demnisée, et, par conséquent, acquiert, s'il y a lieu, une action soli-
daire en vertu de l'article 55 du Code pénal. Les articles 8 du titre II
de la loi du 28 septembre 1791 sur la police rurale, 206 du Code fores-
tier, 28 delà loi du 3 mai 1844sur la police de la chasse font de cette
règle des applications formelles.
Ou bien l'auteur du dommage et la personne civilement responsable
se trouvent tous deux en faute, et les tribunaux ont fixé la part qui in-

1. Se reporter ci-dessus, au n» 433.


2. Comp. SOURDAT, II, n° 763. Toutefois le même auteur enseigne l'opinion con-
traire, au tome I, n° 154. -— Si BLANCHE (II, n° 393) applique l'article 55 aux per-
sonnes civilement responsables, c'est qu'il a adopté une interprétation particulière
de ce texte. (Se reporter ci-dessus, au n° 476.)
RESPONSABILITÉ CIVILE. 367

combe à chacun dans les réparations. En ce cas, la personne civile-


ment responsable qui a payé la dette entière a un droit de recours
partiel.
Ou bien la personne civilement responsable est seule en faute, l'au-
teur du dommage ayant prouvé qu'il n'a agi que sur son ordre et sous
sa direction. En ce cas, aucun recours n'est admissible; comme dans
la première hypothèse, la personne civilement responsable est seule
obligée, et môme sa responsabilité devientdirecte et principale, absorbe
et efface celle de l'auteur du dommage 1.

1. Comp. et voir pour plus de développements SOURDAT, II, n°s 768-774; 840, 880
et 881. 907-909.
TITRE III

DE L'EXÉCUTIONDES PEINES PRIVATIVES DE LA.LIBERTÉ


OU EXPOSÉ DU SYSTÈME PÉNITENTIAIRE i

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

495. Après avoir tracé le tableau général des peines, je me propose


de revenir sur celles qui consistent en une privation plus ou moins
longue ou rigoureuse de la liberté (je négligerai toutefois l'emprison-
nement de simple police). J'en ai dit, au titre précédent, la nature
et la durée ; il me reste à en examiner le mode d'exécution. .
Cette étude n'aura pas seulement pour résultat de donner une en-
tière connaissance des peines privatives de la liberté ; elle mettra en
lumière un vice de notre législation criminelle qu'il importe au plus
haut point de signaler : la mauvaise organisation du système péniten-
tiaire, qui détruit en partie l'efficacité du système pénal.
Le Code pénal actuel, malgré de nombreux défauts, dont plusieurs
ont été déjà indiqués, est très supérieur aux lois de notre ancienne
France. Il atteint bien mieux l'un des principaux buts de la peine, la
justice dans l'expiation. D'autre part, comme instrument de protection
sociale par l'intimidation, il n'est pas moins puissant. On sait en effet,
dans quel esprit il fut conçu en 1810 2, et la révision de 1832 en a
tempéré., mais non effacé les rigueurs. Cependant il est loin de pro-
duire tous les bienfaits qu'il promet; car le nombre des délits, consi-
déré clans son ensemble, n'a pas diminué, et. celui des récidives s'est
1. En qualifiant de pénitenliaii'e le système des modes suivant lesquels s'exécu*
tent les peines privatives de la liberté, je prends ce mot dans son acception la plus
large. En un sens plus étroit, il s'applique seulement aux modes d'exécution des
peines organisés en vue de l'amendement moral des détenus.
2. Se reporter ci-dessus, aux n°s 47 et 48.
EXÉCUTION DES PEINES.
— OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES. 369

accru dans des "proportions étonnantes. C'est ce qui ressort des


Comptes de l'administration de la justice criminelle, qui, depuis
1825, chaque année, sont présentés au chef de l'État.
496. Voici d'abord le tableau de la criminalité générale 1 :

1° Nombre des individus traduits devant les cours d'assises.


1826 à 1830 en moyenne par an 7130 accusés.
1831 à 1850 7471
1851 à 1860 6243
1861 à 1865 4550
1866 à 1869 4468
1872 par an 5498
1873 5284
1874 5228
1875 4791
1876 4764

2° Nombre des individus traduits devant les tribunaux correctionnels


1826 à 1830 en moyenne par an 178 021 prévenus
1831 à 1850 202 983
1851 à 1860 226 282
1861 à 1865 172 020
1866 â 1869 177 766
1872 par an 185 487
1873 192 910
1874 203109
1875 192 261
1876 199 061

3° Nombre des individus traduits devant les tribunaux de simple police.


1826 à 1830 en moyenne par an 134112 inculpés
1S31 à 1850 214 445
1851 à 1860 496 782
1861 à 1865 538 440
1866 à 1869 475 222
1872 par an 450 549
1873 509 921
-1874 536110
1875 545 480
1876 513112

Du rapprochement des deux périodes extrêmes il résulte en appa-

1. Les chiffres concernant les années 1826 à 1865 sont empruntés aux Eléments
de droit pénal (I, p. 295 à 297) de M. OHTOLAN. — Les années 1870 et 1871, ayant
été anormales, sont écartées,
24
370 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

rence que le nombre des crimes s'est considérablement abaissé; que


celui des délits, au contraire, présente une augmentation sensible,
et que celui des contraventions a pris un accroissement énorme. Mais
ces variations s'expliquent, en ce qui concerne les affaires de cours
d'assises, par la loi du 13 mai 1863, qui a transformé en délits un
certain nombre de crimes. Elles tiennent, quant aux affaires correc-
tionnelles, à cette même loi de 1863, puis aux lois du 23 janvier 1873
sur l'ivresse publique, du 26 juillet 1873 (modificative de l'article
401 du Code pénal) sur les fraudes envers les restaurateurs, et du
1er août 1874 sur la conscription des chevaux et des mulets, qui ont
créé des incriminations nouvelles. Elles sont dues, relativement aux
contraventions de simple police, en partie à la vigilance de plus en
plus attentive de la police judiciaire, en partie aux lois spéciales
et aux arrêtés des administrations qui se sont beaucoup multipliés.
La seule loi du 23 janvier 1873 sur l'ivresse publique a donné lieu,
par an, à environ 100 000 poursuites. La criminalité générale est
donc restée en réalité à peu près stationnaire.
497. La récidive, au contraire, a suivi une progression rapide et a
pris une très grande importance. Sur ce point, bien que les statisti-
ques remontent à 1828, nous n'avons d'indications complètes que
depuis l'adoption du système des casiers judiciaires, inventé par
M. Bonneville de Marsangy, et institué, en 1850, par une circulaire du
6 novembre ainsi conçue : « il sera établi au greffe de chaque tri-
bunal civil un casier destiné aux renseignementsjudiciaires ; le greffier y
classera par ordre alphabétique les bulletins individuels constatant,
à l'égard de tout individu né dans l'arrondissement, toutes les con-
damnations encourues par lui. » Or on trouve dans les Comptes
généraux de la justice-criminelle les éléments du tableau suivant :
Accusés 1 Prévenus 1
récidivistes. récidivistes.
1851 à 1855 en moyenne par an 32 pour 100 21 pour 100
1856 à 1860 36 27
1861 à 1865 38 31
1866 à 1870 41 36
1872 par an 47 36
1873 48 36
1874 47 38
1875 48 '38
1876 47 38

1. Par accusés ou prévenus récidivistes, on entend, ici, non pas seulement ceux
dont la récidive est une cause d'aggravation- légale de leur peine, mais générale-
ment tous ceux qui ont été frappés d'une condamnation antérieure.
EXÉCUTION DES PEINES. — OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES. 371
Ainsi, durant les années 1872 à 1876, la proportion des récidives,
parmi les prévenus, a dépassé le tiers, et, parmi les accusés, a presque
atteint la moitié. Et si l'on considère, non plus les prévenus ni les
accusés, mais les condamnés écroués dans les prisons, on trouve des
chiffres bien plus affligeants encore. D'après la Statistique des pri-
sons de l'année 1876 (p. XLI), les détenus en [état de récidive étaient,
dans les maisons centrales : pour les hommes, au nombre de 12 443
sur 15825; pour les femmes, au nombre de 1745 sur 3625.
498. Si donc l'état général de la criminalité demeure stationnaire,
c'est par suite d'un double courant en sens inverse : les crimes et
délits commis pour la première fois sont en décroissance, tandis que
les récidives suivent une marche ascendante.
Quelles peuvent être les causes de ce phénomène? Attribuer la pro-
gression des récidives aux vices de notre civilisation i, c'est, il me
semble, commettre une erreur : cette cause agirait, si elle était réelle,
sur la première criminalité comme sur la récidive. L'attribuer aux
défauts de notre système pénitentiaire, c'est, comme on le verra, indi-
quer une partie de la vérité, mais non la vérité tout entière; car il
est évident que les défauts de ce système n'ont pas augmenté, depuis
1851, au même degré que la récidive. Peut-être est-il permis de sup-
poser en outre que les juges et les directeurs des prisons, gagnés
par l'adoucissement général.des moeurs, ont de plus en plus usé d'in-
dulgence, les uns dans la condamnation, les autres dans la mise à exé-
cution de la peine, en sorte que la répression aurait progressivement
perdu de son efficacité. Quoi qu'il en soit, s'il est difficile de rendre
compte du rapide accroissement des récidives, il ne l'est pas d'expli-
quer les récidives elles-mêmes. Elles ont trois causes premières : tout
d'abord l'attrait du mal, qui exerce sur certains hommes une puis-
sance particulière et qui, après une première chute, en détermine
naturellement de nouvelles; puis, comme on va s'en convaincre, le
régime corrupteur de la prison et l'absence de précautions au moment
où à la prison succède la liberté. D'où les causes immédiates du fléau :
dispositions criminelles qui animent les libérés ; répulsion qu'ils in-
spirent, défaut de travail et misère.
En résumé, au point de vue de l'amélioration des condamnés par
le châtiment, c'est vainement que notre système pénal actuel est su-
périeur à celui de l'ancienne France, et ce serait vainement que par

1. V. le rapport de M. BÉBENGER, dans le Journal officiel des 27 et 28 août 1874.


372 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

de nouvelles réformes on le rendrait parfait. L'organisation défec-


tueuse du système pénitentiaire, pour une part considérable du moins,
en a paralysé et en paralysera toujours les bons effets. En d'autres
termes, si notre législation criminelle, comme moyen de protection
sociale par l'intimidation, ne peut être sérieusement critiquée, elle
est tout à fait insuffisante, au contraire, comme moyen de protection
sociale par l'amendement des condamnés.
Voilà pourquoi il importe beaucoup de connaître notre système
pénitentiaire, les essais d'amélioration dont il a été l'objet et les
réformes que la doctrine propose d'y apporter dans l'avenir.
499. Les institutions du système pénitentiaire sont de deux sortes.
Les unes sont les établissements destinés à l'exécution des peines : ce
sont les principales. Les autres ont pour but, soit d'assurer le fonction-
nement des premières, soit de faciliter pour les détenus le passage de
la prison à la liberté, soit de suivre les libérés, afin de prévenir les
récidives : ce sont les institutions complémentaires.
CHAPITRE I

DES INSTITUTIONS PRINCIPALES DU SYSTEME PENITENTIAIRE

SECTION 1. — DANS QUELS ÉTABLISSEMENTS ET SUIVANT QUELS


MODES S'EXÉCUTENT ACTUELLE M ENT LES PEINES PRIVATIVES
DE LA LIBERTÉ i.

OBSERVATION GÉNÉRALE

500. Deux pouvoirs différents se partagent l'administration des


établissements pénitentiaires. Ceux où s'exécutent les travaux forcés
et la déportation relèvent du ministère de la marine. Ceux où s'exécu-
tent la détention, la réclusion et l'emprisonnement, ceux aussi qui
sont consacrés à l'éducation des mineurs de seize ans condamnés ou
acquittés, dépendent du ministère de l'intérieur. On estime générale-
ment que cette division a des inconvénients et devrait cesser, que
tous les services devraient être réunis dans les mains d'un même
ministère, et que ce ministère devrait être, non celui de l'intérieur,
mais celui de la justice.

I. MODE D'EXÉCUTION DES TRAVAUX FORCÉS : TRANSPORTATION AUX COLONIES 2.

I.Organisation générale et effectif des colonies au point de


vue de la transportation. — 501. Les actes du 21 février 1851, du

1. Les éléments de cette étude ont été fournis principalement par le rapport de
M. D'HAUSSONVILLE publié, en 1875, sous la forme d'un livre intitulé: Les établis-
sements pénitentiaires en France et aux colonies, par les Comptes généraux de la
justice criminelle et par la Statistique des prisons.
2. V. ci-dessus (n°s 300-303) ce qui a déjà été dit de l'historique, de la nature et
de la durée des travaux forcés.
374 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
27 mars 1852 et du 30 mai 1854 assignèrent d'abord à l'exécution
des travaux forcés la Guyane française. Mais ce pays est généralement
si insalubre que, malgré son étendue, il devint de bonne heure in-
suffisant. Un décret du 2 septembre 1863 ordonna qu'on fît l'essai
de la Nouvelle-Calédonie, et, [depuis 1867, la Guyane ne reçoit plus
que les individus de race africaine ou asiatique : ceux qui ont été
condamnés aux travaux forcés par les tribunaux de l'Algérie ; ceux
qui ont été condamnés, soit aux travaux forcés, soit à la réclusion
(décret du 30 août 1853) par les tribunaux de la Guyane, de la Mar-
tinique, de la Guadeloupe et de la Réunion.
Aussi l'effectif des transportés, après être resté longtemps plus
considérable à la Guyane qu'à la Nouvelle-Calédonie, y est-il main-
tenant moindre. Au 31 décembre 1870, il était encore de 5544 indi-
vidus à la Guyane et seulement de 2608 à la Nouvelle-Calédonie. Au
31 décembre 1875, au contraire, il s'était élevé à 6449 individus à la
Nouvelle-Calédonie et abaissé à 4056 à la Guyane 1.
A cette date, l'effectif total était donc de 10 705 transportés. Si l'on
compare ce chiffre à celui de l'année 1870, on trouve un accroisse-
ment important de la population pénale de nos colonies. Mais il pro-
vient surtout de la suppression, en 1873, du bagne de Toulon, et au
transfèrement à la Nouvelle-Calédonie des 1500 forçats qu'il conte-
nait 2.
502. Si l'on se reporte au 31 décembre 1875, voici l'aspect que
présentent les deux colonies.
A la Guyane, les condamnés sont répartis entre cinq établisse-
ments : 1° un pénitencier flottant, consistant en un navire qui sta-
tionne dans la rade de Cayenne et reçoit les hommes nécessaires au
service du port ; 2° le pénitencier de Cayenne, qui est le dépôt des
indisciplinés et des hommes employés aux travaux publics intéressant
la ville de Cayenne; 3° tes îles du Salut, où les forçats fabriquent
eux-mêmes, dans des ateliers, les objets de toute sorte qui peuvent
être utiles à la colonie pénale ; 4° et 5° Kourou et Saint-Laurent du
Maroni, qui sont deux pénitenciers affectés à la colonisation agricole.
Le premier est une sorte de ferme modèle. Le second est devenu le

1. V. une Notice officielle sur la transportation, dans le Bulletin de la Société gé-


nérale des prisons de 1878. p. 390 et 499.
2. Les condamnés aux travaux forcés, maintenant, sont d'abord conduits dans la
prison de Saint-Martin de Ré. C'est de là qu'ils sont, quelque temps après, trans-
portés aux colonies.
EXÉCUTION DES PEINES. — TRANSPORTATION. 375
centre des essais de colonisation, après bien des mécomptes infligés
par le climat du pays.
A la Nouvelle-Calédonie, les condamnés sont, les uns répartis entre
des établissements nombreux, les autres dispersés, par groupes plus
nombreux encore, sur divers points de l'île, en vue d'étendre active-
ment la colonisation. Les principaux pénitenciers sont au nombre de
quatre : 1° le pénitencier de l'île Nou, dans la baie de Nouméa, ser-
vant de dépôt provisoire aux forçats récemment arrivés d'Europe et
de résidence à ceux qui exécutent des travaux publics à Nouméa et
dans les environs; 2° le pénitencier agricole d'Ourail; 3° celui de
Canala; 4° celui de Bourail, le plus important de tous. Parmi les
camps de travailleurs, le plus intéressant est celui de la baie de
Prony.
Au reste, dans les deux colonies, une portion de l'effectif est em-
ployée, hors des pénitenciers, au service des particuliers et des ad-
ministrations publiques : marine, génie, artillerie, gendarmerie, im-
primerie, approvisionnements et subsistances.
503. Par application de la loi du 30 mai 1854, la population d'ori-
gine pénale se trouve divisée en plusieurs catégories. La loi de 1854,
en effet, dans ses articles 1 à 6, déjà connus, a partagé d'abord les
condamnés en deux grandes classes : ceux qui sont en cours de peine
et ceux qui, à l'expiration de leur peine, sont astreints pour la vie
ou pour un certain temps à résider dans la colonie. De plus, elle a
organisé le mode d'exécution de la peine en vue de coloniser les ter-
ritoires où sont situés les établissements pénitentiaires, d'y fixer les
libérés qui auraient le droit de revenir en France, enfin de moraliser
et de reclasser dans une société nouvelle tous les malheureux que le
crime a conduits dans ces lointains pays. Les textes qui ont cet objet
sont les articles 11 à 14, auxquels il faut ajouter les arrêtés des gou-
verneurs de la Guyane et de la Nouvelle-Calédonie, qui tiennent lieu
du règlement d'administration publique annoncé par l'article 14 de
la loi. De l'ensemble de ces actes légistatifs ou administratifs il ré-
sulte qu'il faut distinguer dans la population d'origine pénale quatre
catégories : 1° les condamnés en cours de peine employés aux travaux
publics; 2° les condamnés en cours de peine autorisés à travailler
pour le compte des habitants;-3° les condamnés et les libérés qui ont
obtenu des concessions; 4° les libérés demeurés à la charge de
l'État.
376 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
II. Travail, discipline, instruction, religion, colonisation. —
1° Des condamnés en cours de peine employés aux travaux publics.
504. Il n'y a rien de plus à dire de ceux qui sont attachés aux

services publics de la colonie. Quant aux condamnés répartis entre
les pénitenciers et les camps de travailleurs, ils sont affectés aux
travaux concernant les établissements pénitentiaires et aux travaux
préparatoires de la colonisation : ils construisent les cases pour leur
logement, les prisons, les casernes, les hôpitaux, les bâtiments de
l'administration, les magasins des vivres et du matériel, les églises,
les habitations des aumôniers et des instituteurs; ils réparent les
embarcations de la flotille pénitentiaire; ils fabriquent les vêtements,
outils, etc. à l'usage des transportés; ils font les défrichements,
percent les routes, établissent les conduites d'eau et les télégraphes ;
ils entretiennent la propreté dans les villes de Cayenne et de Nou-
méa; enfin, dans la saison des grands travaux agricoles, ils sont mis
à la disposition des colons.
505. D'après la loi, les condamnés aux travaux forcés n'ont droit
à aucun pécule. Néanmoins, afin d'obtenir d'eux un meilleur travail
et de les mettre en état de se préparer pour le jour de leur libération
quelques ressources, des rémunérations leur sont accordées. Elles
sont inégales suivant leur habileté ou le degré présumé de leur amen-
dement moral. A ce point de vue, à la Guyane, ils sont divisés en
quatre classes : les contre-maîtres, les aides contre-maîtres, les ou-
vriers et les manoeuvres. Les trois premières classes seules reçoivent
un salaire. A la Nouvelle-Calédonie, les condamnés sont aussi divisés
en quatre classes, mais d'après leur moralité; le salaire est réservé aux
deux premières. Dans l'une et l'autre colonie, une caisse centrale a été
créée, où chacun des condamnés a son compte ; elle sert en même temps
de caisse d'épargne pour les dépôts volontaires et pour les envois d'ar-
gent que peuvent faire, après autorisation, les familles des transportés.
506. Quant au régime disciplinaire, il faut remarquer que les for-
çats vivent en commun. Durant le jour, il n'en saurait être autre-
ment, puisqu'ils sont employés à des travaux publics le plus souvent
extérieurs. En les divisant en classes d'après leur moralité, on a es-
sayé de remédier à cet inconvénient; mais ce système est fondé sur
des présomptions très incertaines et n'aboutit d'ailleurs qu'à sou-
mettre les condamnés dans leur travail à des règles plus ou moins
rigoureuses. Pendant la nuit, ils couchent dans des cases où la sur-
veillance est insuffisante.
EXÉCUTION DES PEINES.
— TRANSPORTATION. 377

507. A la Guyane, chaque pénitencier est desservi par un ou deux


prêtres, suivant l'importance de l'établissement. Depuis l'année 1873,
où la Compagnie de Jésus s'est retirée, ces prêtres appartiennent à
l'ordre du Saint-Esprit.
Au 31 décembre 1870, il y avait, à la Guyane, 39 soeurs de cha-
rité : 31, appartenant à l'ordre de Saint-Paul de Chartres, étaient
employées au service des hôpitaux; 8, appartenant à l'ordre de Saint-
Joseph de Cluny, formaient, à Saint-Laurent du Maroni, une com-
munauté qui servait de lieu de dépôt pour les femmes transportées.
Mais la population musulmane, qui est nombreuse, n'avait point de
ministres de son culte.
Deux écoles ont été créées, mais seulement pour les enfants : l'une,
pour les filles, à Saint-Laurent du Maroni, est confiée à la commu-
nauté des soeurs; l'autre, après avoir été dirigée, jusque vers la fin
de 1874, par 3 frères de Ploërmel, est maintenant dans les mains
d'instituteurs laïques. Au 31 décembre 1875, les écoles n'avaient
pour élèves que 19 garçons et 18 filles.
508. A la Nouvelle-Calédonie, des aumôniers catholiques sont atta-
chés à chaque pénitencier. Un pasteur protestant, assisté d'un insti-
tuteur coadjuteur, donne ses soins à ses coreligionnaires, qui n'étaient,
en 1875, qu'au nombre de 148.
A Bourail, comme au Maroni, une communauté de soeurs apparte-
nant à l'ordre de Saint-Joseph de Cluny reçoit les femmes en-
voyées de France.
Des écoles sont ouvertes à l'île Nou, à Bourail, à Ourail et à Canala.
A Bourail et à Canala, les instituteurs laïques ont été remplacés par
des frères maristes. Le nombre des élèves est peu considérable. Des
cours d'adultes existent pour les condamnés.
Quatre bibliothèques ont été établies à l'île Nou, à Bourail, à Ou-
rail et à Canala. Le nombre des volumes mis en lecture, en 1875,
s'est élevé à 17861.
2° Des condamnés en cours de peine admis à des engagements par
les particuliers. 509. Cette situation est faite, en vertu de l'article 11

de la loi de 1854, à ceux qui, n'étant pas capables de recevoir une
concession de terre, ont mérité cependant qu'on les récompensât de
leur bonne conduite passée et qu'on les encourageât pour l'avenir.
Elle a été, dans les deux colonies, l'objet d'une réglementation minu-
tieuse.
A la Guyane, en vertu d'un arrêté pris par le gouverneur le 16 dé-
378 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
cembre 1859, et modifié, depuis, dans certaines de ses dispositions,
l'engagiste est tenu de nourrir, vêtir et loger l'engagé. Les engage-
ments sont conclus pour deux ans.
A la Nouvelle-Calédonie, en vertu d'un arrêté pris par le gouver-
neur le 27 octobre 1870, modifié le 12 octobre 1873, les engagements
ont également lieu pour deux ans. Le prix de l'engagement est de
6 francs par mois, dont 4 sont payés à l'engagé et 2 remis à l'adminis-
tration pour être versés à son pécule. La nourriture de l'engagé
est à la charge de l'engagiste. Les engagés doivent rentrer chaque
soir au pénitencier ou au camp auquel ils appartiennent.
3° Des concessionnaires.
— 510. D'après les articles 11 et 13 de la
loi de 1854, deux catégories d'individus peuvent obtenir des conces-
sions de terres : 1 ° les condamnés en cours de peine qui l'ont mérité
par leur travail, leur bonne conduite et leur repentir; 2° les libérés,
astreints ou non à la résidence dans la colonie.
Mais entre eux il y a cette différence que, pour les condamnés en
cours de peine, les concessions ne peuvent être que provisoires,, tan-
dis que, pour les libérés, elles sont provisoires ou définitives, suivant
que l'aura décidé l'administration.
511. A la Guyane, après des essais de défrichement et de coloni-
sation'étendus qui ont été paralysés par l'insalubrité du climat, tous
les concessionnaires sont établis aux environs du pénitencier de
Saint-Laurent du Maroni, et se livrent principalement à l'élève du
bétail et à la culture de la vanille et de la canne à sucre. Une usine à
sucre a été créée dans le même lieu. Au 31 décembre 1875, cet éta-
blissement était en pleine voie de prospérité.
Néanmoins, la population des concessionnaires avait diminué avec
l'ensemble de la population d'origine pénale. Le nombre total des
hommes, femmes et enfants vivant sur les concessions était, au 31 dé-
cembre 1870, de 917 personnes; il se trouvait réduit, au 31 dé-
cembre 1875, à 576 personnes.
C'est la différence relative aux enfants qui est la plus sensible. Les
enfants, en effet, au delà de cinq ou six ans, supportent plus difficile-
ment que les adultes le climat de la colonie.
Les ménages, de même, étaient devenus plus rares. D'ailleurs, de
1871 à 1875, 12 femmes seulement avaient été transportées à la
Guyane. Il existait 209 ménages au 31 décembre 1870 ; il n'en restait
que 135 au 31 décembre 1875.
512. A la Nouvelle-Calédonie, les concessions, n'étant pas limitées
EXÉCUTION DES PEINES.
— TRANSPORTATION. 379
(
par les inégalités du climat, se développent librement. Au centre de
Bourail se sont ajoutés ceux d'Ourail et de Canala. Le premier est
néanmoins demeuré le plus important. Au 31 décembre 1875,430hec-
tares étaient en culture dans les concessions ; la population des con-
cessionnaires, qui était, à la fin de 1870, de 111 individus, s'était élevée
à 369 personnes, sur lesquelles 140 ménages avec 36 enfants nés dans
la colonie.
Les cultures sont plus variées qu'en Guyane. Parmi elles, celle
de la canne à sucre a aussi jusqu'à présent tenu le premier rang.
Bourail, comme le Maroni, a une usine à sucre. Toutefois, cette
industrie, qui paraissait d'abord devoir prospérer, a été atteinte par
divers fléaux et sérieusement compromise.
513. Le succès de la colonisation ne tient pas seulement à l'exten-
sion des concessions de terres ; il dépend aussi beaucoup du dévelop-
pement des familles; ce sont là deux éléments presque inséparables.
Or l'administration s'est bornée jusqu'ici à provoquer chez les
femmes condamnées aux travaux forcés ou à la réclusion un courant
de transportation volontaire dans les colonies pénales; et, bien
que
de 1871 à 1875 elle y ait mieux réussi que les années précédentes,
en déterminant 152 femmes à prendre ce parti, bien qu'elle ait auto-
risé aussi des femmes de condamnés à rejoindre leurs maris, le nom-
bre des femmes est encore très insuffisant.
4° Des libérés demeurés à la charge de l'État.
— 514. Si la trans-
portation avait produit, au point de vue de l'amendement moral et
de la colonisation, les effets que l'on en attendait, la plupart des
libérés seraient concessionnaires ou du moins engagés au service des
particuliers. Malheureusement, au contraire, beaucoup sont'restés
plus ou moins à la charge de l'État. Comment expliquer cela? C'est
que, tout d'abord, ceux qui n'ont pas été condamnés à la résidence
perpétuelle sont impropres à la colonisation : les yeux fixés vers
l'époque du retour, ils ne s'attachent pas au nouveau sol. De plus, il
n'y aura jamais qu'un petit nombre d'individus, dans cette population
d'origine pénale, qui auront l'intelligence, l'instruction, l'énergie né-
cessaires pour fonder et faire prospérer des entreprises agricoles.
Enfin il faut tenir compte de ceux qui jamais ne reviendront
au bien.
Que fait l'administration des libérés restés à sa charge? Elle leur
facilite autant que possible des engagements chez les particuliers. Ces
engagements sont dédaignés à la Guyane, recherchés à la Nouvelle-
Calédonie. Elle les admet dans les établissements pénitentiaires, où
380 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
ils sont assujettis au travail. Elle a des asiles pour ceux qui sont
faibles ou âgés, des hôpitaux pour les malades, des punitions inces-
santes pour les incorrigibles.

II. — DE LA DEPORTATION 1.

514. L'article 4 de la loi du 8 juin 1850 avait désigné, comme lieux


de déportation, la vallée de Waïthau et l'île de Noukahiva, dans l'ar-
chipel des îles Marquises. La loi du 23 mars 1872 a déclaré : par son
article 2, la presqu'île Ducos, dans la Nouvelle-Calédonie, lieu de
déportation dans une enceinte fortifiée; par son article 3, l'île des
Pins et, en cas d'insuffisance, l'île Mare, dépendances delà Nouvelle-
Calédonie, lieu de déportation simple.
515. La loi du 23 mars 1872, dans ses articles 4 et 5, indique le
régime auquel doivent être, en principe, soumis les déportés : c'est,
dans l'enceinte fortifiée qui les enferme ou dans le lieu qui leur est
assigné, une aussi grande liberté que le comportent les nécessités de
la surveillance; l'administration doit se borner à prévenir les éva-
sions et à maintenir le bon ordre; le travail n'est pas obligatoire.
La loi du 25 mars 1873 réglemente ce régime et détermine les con-
ditions d'existence faites aux déportés. — Elle confère au gouverneur
le pouvoir d'arrêter, en conseil et sauf l'approbation postérieure des
ministres de la marine et de la justice, les mesures destinées à pré-
venir les évasions et à garantir l'ordre et la sécurité dans la colonie
(art. 1). — Elle constitue les conseils de guerre juges des crimes ou
délits commis par les déportés; elle indique à quelle époque et com-
ment seront exécutées les peines (art. 2 à 6). — Afin d'encourager les
déportés au travail, elle organise un système de concessions qui, pro-
visoires et révocables pendant cinq ans, ne peuvent, quand elles sont
devenues définitives, être retirées qu'en cas d'évasion (art. 9 à 12). —
Dans le but de favoriser la reconstitution de la famille, elle donne
aux femmes et aux enfants des condamnés qui exercent une industrie
ou exploitent une concession la faculté d'aller les rejoindre aux frais
de l'État; elle les fait participer, dans une certaine mesure, aux con-
cessions accordées, ou même elle les leur transmet; elle modifie au
profit des femmes les dispositions du Code civil relatives à la capacité

1. Y. ci-dessus (nos 307-313) ce qui a déjà été dit de l'historique, de la nature et


de la durée de la déportation.
EXÉCUTION DES PEINES. MAISONS CENTRALES. 381

successorale (art. 7, 8,11 à 14). —En vue d'exciter dans l'âme des
déportés l'ardeur au travail, le sentiment de l'honneur et le désir de
la réhabilitation, elle rend à certains d'entre eux l'exercice des droits
civils et fait espérer à tous, comme récompense, la restitution des
droits dont ils sont privés par la dégradation civique (art. 16); elle
donne même au gouverneur le pouvoir d'autoriser les condamnés qui
se seront fait remarquer par leur bonne conduite à s'établir hors du
territoire affecté à la déportation (art. 15).

III. — DE LA DÉTENTION l.

516. La peine de la détention a été subie successivement dans un


quartier de la prison du Mont-Saint-Michel, dans la citadelle de Doul-
lens, dans des quartiers spéciaux des maisons centrales de Clairvaux
et de Nîmes, dans la citadelle de Corte, au fort de l'île Sainte-Mar-
guerite. En 1876, elle recevait son exécution dans les établissements
de Belle-Isle et de Thouars 2.
Les condamnés à la détention ne sont pas assujettis au travail ;
s'ils en demandent, ils ont droit aux cinq dixièmes du produit.
Ils jouissent d'une assez grande liberté de communications, réglée
par des décrets du 25 mai 1872 et du 23 mai 1873, et par un arrêté
du 26 mai 1873.

IV. — MODE D'EXÉCUTION DE LA RÉCLUSION ET DE L'EMPRISONNEMENT DE PLUS


D'UN AN : MAISONS CENTRALES

I. Organisation générale et effectif des maisons centrales.


517. Les maisons centrales ont été créées par un décret du 16
juin 1810; elles appartiennent à l'État.
Les ordonnances du 2 avril 1817 et du 6 juin 1830 les ont consti-
tuées : 1° maisons de force pour les individus des deux sexes con-
damnés à la peine de la réclusion et pour les femmes condamnés aux
travaux forcés, conformément aux articles 21 et 16 du Code pénal;
,2° maisons de correction, en exécution de l'article 40 du Code pénal,

pour les condamnés à un emprisonnement de plus d'un an 3.

1. V. ci-dessus (n05 315-317) ce qui a déjà été dit de la détention.


2. Statistique des prisons de 1876, p. CXXIII.
3. Cornp. ci-dessus, n° 375.
382 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Le nombre des maisons centrales a varié. Au 31 décembre 1876, la
France et la Corse 1 avaient 22 prisons de cette nature : 16 affectées aux
hommes (Clairvaux, Fontevrault, Loos, Nîmes, Poissy, Melun, Eysses,
Gaillon, Beaulieu, Aniane, Riom, Embrun, Albertville, Casabianda,
Castelluccio, Chiavari); 6 affectées aux femmes (Auberive, Cadillac,
Clermont, Doullens, Montpellier, Rennes).
La population des maisons centrales était, au 31 décembre 1876,de :

Hommes 15 825
Femmes 3 625
Au total 19 4502.

Elle se décomposait ainsi :

MAISONS AFFECTEES AUX HOMMES MAISONS AFFECTÉES AUX FEMMES


CONDAMNÉS CONDAMNÉES
à l'emprisonnement... 11464 à l'emprisonnement 2002
à la réclusion 4 326 à la réclusion 370
aux travaux forcés 33 aux travaux forcés 1253
à la détention 1 3625~
à la déportation3 1
15 825

L'effectif moyen des maisons centrales affectées aux hommes est


le suivant: Clairvaux contient2141 détenus; Fontevrault, 1718; Loos,
1333; Nîmes, 1231 ; Poissy, 1125 ; Melun, 1062; Eysses, 1034; Gail-
lon 991 ; Chiavari, 853 ; Beaulieu, 799 ; Aniane 779 ; Casabianda, 760;
Riom 692; Embrun 496 ; Albertville 465 ; Castelluccio 427.
L'effectif moyen des maisons centrales affectées aux femmes est
le suivant : Clermont contient 821 détenues; Rennes 747; Auberive
767; Montpellier, 530; Doullens, 513; Cadillac, 427.
Or, dans l'opinion générale des publicistes qui ont étudié les
questions pénitentiaires, une prison ne devrait pas avoir plus de 400
habitants 4.

1. Je ne dirai rien des établissements de l'Algérie, bien qu'il en soit aussi rendu
compte dans la Statistique des prisons (V. la statistique de 1876, p. LXXXIII.)
2. La population moyenne, dans le cours de l'année 1876, fut de 15910 hommes,
de 3605 femmes au total de 19 515 détenus.
3. C'était par suite de circonstances accidentelles que des condamnés aux travaux
forcés, à la détention et à. la déportation se trouvaient dans les maisons centrales.
i. Le directeur de l'administration pénitentiaire faisait connaître, en 1879 (Statis-
EXÉCUTION DES PEINES. 383
— MAISONS CENTRALES.
518. On vient de voir que les maisons centrales affectées aux
hommes reçoivent lés condamnés à la réclusion et les condamnés à
l'emprisonnement de plus d'un an, et que les maisons centrales des-
tinées aux femmes reçoivent, en outre, le plus grand nombre des con-
damnées aux travaux forcés. Ces diverses catégories de détenus sont-
elles placées dans des maisons distinctes? Jusqu'en 1876, chaque
maison les réunit toutes ensemble. A cette date, le directeur de l'ad-
ministration pénitentiairei faisait connaître que, désormais, les mai-
sons centrales affectées aux hommes et situées en France seraient de
deux classes : les unes exclusivement maisons de force pour les con-
damnés à la réclusion (Aniane, Beaulieu, Melun, Riom); les autres
exclusivement maisons de correction pour les condamnés à l'empri-
sonnement (Albertville, Clairvaux, Embrun, Eysses, Fontevrault,
Gaillon, Loos, Nîmes et Poissy). Mais aucun changement n'était an-
noncé pour les trois pénitenciers de la Corse ni pour les six maisons
réservées aux femmes. Cette réforme devrait s'achever. Elle donnerait
satisfaction au Code pénal et à l'esprit public : il serait juste que les
peines des travaux forcés, de la réclusion et de l'emprisonnement de
plus d'un an, de gravité si inégale, fussent subies dans des établisse-
ments différents.
A-t-on, du moins, obéi aux ordonnances du 2 avril 1817 et du 6 juin
1830, qui avaient prescrit la séparation des diverses catégories
de détenns, dans chaque maison, par quartiers? Pas davantage. L'in-
térêt de l'organisation du travail a amené dans les ateliers la confusion,
qui s'est ensuite étendue aux préaux et aux dortoirs. Tous les détenus
sont mêlés et soumis au même traitement ; il n'y a de règles diverses
que pour la répartition du produit de leur travail.
Il convient que la réforme commencée soit accomplie. Mais ce n'est
pas qu'elle doive produire sur les détenus un effet d'amendement bien
sensible, de même qu'il faut se garder de croire très pernicieux le
mélange des condamnés aux travaux forcés et à la réclusion avec les
condamnés à l'emprisonnement. Les premiers n'ont pas sur les autres
l'influence corruptrice que l'on est tout d'abord disposé à leur attri-
buer. En effet, les crimes sont fréquemment inspirés par des passions
violentes et de courte durée, taudis que les délits punis d'emprisonne-

tique des prisons de 1876), que deux maisons nouvelles avaient été construites : celle
de Landerneau en 1877, celle de Thouars en 1878.
1. Statistique des prisons de 1876, p. XIX.
384 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

ment sont dus pour la plupart à de mauvaises habitudes, à des vices


invétérés. Aussi l'élément correctionnel est-il en réalité le plus re-
belle à la correction, le plus indiscipliné, comme le font remarquer
les directeurs des maisons centrales. Aussi, de même, la proportion
des récidivistes est-elle beaucoup plus forte chez les condamnés à
l'emprisonnement que chez les autres. Au 31 décembre 1876l, elle
était de 80 pour 100 (hommes) et de 68 pour 100 (femmes) parmi
les condamnés à l'emprisonnement, de 68 pour 100 (hommes) et de
59 pour 100 (femmes) parmi les condamnés à la réclusion ou aux tra-
vaux forcés. Par conséquent, le seul système de séparation efficace
serait le système radical consistant à isoler les détenus les uns des
autres; lui seul mettrait obstacle au contact vraiment redoutable,
c'est-à-dire au contact des individus corrompus et corrupteurs et des
individus chez qui, même après leur chute, subsiste encore le senti-
ment du bien et du mal.
519. Tel est le premier aspect des maisons centrales. Les deux
principaux traits qu'elles présentent sont : 1° l'entassement dans
chaque maison d'un trop grand nombre de prisonniers ; 2° la promis-
cuité des détenus, quelle que soit la peine qu'ils ont encourue, quel
que soit le degré d'immoralité où ils sont tombés.
II. Travail. — 520. Les maisons centrales sont soumises au système
de l'entreprise générale ou au système de la régie. Au premier cas,
l'entrepreneur assume toutes les charges :il doit entretenir la maison,
veiller aux besoins des prisonniers, leur fournir du travail et leur
payer une rétribution. Aussi a-t-il droit au produit entier du travail
des détenus ; et, de plus, il reçoit de l'État, par jour et par détenu,
une indemnité dont la moyenne est de 30 à 35 centimes. Au second
cas, c'est l'État qui suffit aux dépenses et perçoit les revenus de la
maison. Il peut se faire aussi que la régie et l'entreprise soient com-
binées : l'État passe des marchés spéciaux avec un ou plusieurs trai-
tants qui exploitent, moyennant un certain prix, telle ou telle indus-
trie et s'approprient en partie le produit du travail des détenus.
Au 31 décembre 1876, sur les dix-neuf maisons centrales de la
France, quinze étaient données à l'entreprise, quatre (Melun, Clair-
vaux, Gaillon, Fontevrault) étaient sous le système de l'entreprise et
de la régie combinées. Les trois maisons centrales de la Corse, for-
mant des pénitenciers agricoles, étaient en régie pure.

1. Statistique des prisons de 1876, p. XLII.


EXÉCUTION DES PEINES. — MAISONS CENTRALES. 385

Quel que soit le meilleur des deux systèmes au point de vue écono-
mique, il est certain que la régie est bien supérieure à l'entreprise
au point de vue pénitentiaire. Celle-ci, comme on le verra, a plusieurs
inconvénients. Le premier est d'introduire dans la prison des per-
sonnes étrangères à l'esprit qui doit y régner et de donner l'impor-
tance principale, aux yeux des détenus, non pas au directeur, mais à
l'entrepreneur, personnage dont l'intérêt personnel seul dicte la con-
duite. « Toutes les mesures nouvelles, toutes les réformes que l'ad-
ministration voudra introduire dans un but. de moralisation trouveront
en lui un adversaire, si elles contrarient ses espérances de lucre *. »
521. « Le travail, dans les prisons, doit avoir un double but : celui
de donner à la peine un caractère moral et réformateur ; celui de faci-

3.
liter la rentrée du détenu dans la vie honnête, en lui préparant pour
le lendemain de la libération des moyens d'existence 2. »
Dans ce double but, il faut, en premier, lieu, que le travail soit
constant et régulier. A cet égard, il ne paraît pas que l'on ait des
critiques sérieuses à faire. S'il est vrai que, dans le cours de
l'année 1876,13 hommes sur 100 et 8 femmes sur 100 en moyenne
ont été inoccupés, le rapport du directeur de l'administration péni-
tentiaire en indique les causes, et, parmi elles, le chômage a eu peu
d'importance
Il faut, en second lieu, assurer un pécule aux détenus pour le jour,
de leur sortie. L'a-t-on fait d'une manière satisfaisante? Laissant de
côté les articles 15 et 16 du Code pénal qui n'accordent rien aux con-
damnés à la peine des travaux forcés, écartant aussi les articles 21 et
41 du même Code qui ne déterminent pas assez clairement les droits
des condamnés à la réclusion ou à l'emprisonnement, les ordonnances
du 2 avril 1817 et du 27 décembre 1843, commentées par une circu-
laire du 25 mars 1852, ont réglementé cette matière. Sur le produit
du travail des détenus ou sur la rémunération qui leur est payée par
les entrepreneurs, une partie est distraite pour les besoins des pri-
sons, l'autre est attribuée aux détenus et varie suivant la gravité de
leurpeine: elle est des 3/10 pour les condamnés aux travaux forcés, des
4/10 pour les condamnés à la réclusion, des 5/10 pour les condamnés
à l'emprisonnement de plus d'un an. Puis ce pécule est divisé en deux.
parties égales. L'une est mise à la disposition du détenu dans le cours

1. D'HAUSSONVILLE, Les Etablissements pénitentiaires, p. 236.


2. D'HAUSSONVILLE,Ibid., p. 250.
3. Statistique des prisons de 1876, p. LXVIII.
25
386 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
de sa peine; l'autre est réservée pour le jour de sa sortie. Toutefois,
les récidivistes sont frappés de retenues qui peuvent absorber les 9/10
de leur pécule, et les individus faibles ou malades sont incapables de
s'en créer un de quelque importance. En somme, en 1876 *, sur 6155
hommes libérés des maisons centrales : 143 n'avaient aucun pécule,
à leur sortie, et reçurent des secours de l'administration; 2076 ne pu-
rent que pourvoir à leurs frais d'habillement et de route; 2219, par
conséquent, se trouvèrent sans ressources; 1495 avaient droit, arrivés
à leur résidence, à un pécule insuffisant de 20 à 60 francs; 945 avaient
droit à un pécule de 60 à 100 francs; 1496 avaient droit à un pécule
de plus de 100 francs.
Cette organisation n'est donc pas entièrement satisfaisante.
Il faut, en troisième lieu, que les détenus, au moment de leur li-
bération, aient un métier qui les fasse vivre. A ce point de vue, l'or-
ganisation du travail est tout à fait défectueuse, et cela tient au
régime de l'entreprise. L'entrepreneur, cherchant naturellement à
élever ses gains au maximum, a recours, comme tout industriel, à
l'extrême division du travail. Il en résulte, en général, que chaque
détenu n'a acquis que des connaissances restreintes et en trouve
difficilement l'emploi. Si les maisons centrales étaient en régie, l'État
devrait s'efforcer de former des ouvriers, en leur enseignant un mé-
tier dans toutes ses parties. C'est ce qui a- lieu en Belgique. Le ren-
dement du travail serait moins grand, il est vrai ; mais le sacrifice
pécuniaire serait largement compensé par le résultat moral.
III. Discipline. — 522. Les dispositions relatives au régime disci-
plinaire des maisons centrales ont été prises par un arrêté ministériel
du 10 mai 1839. De plus, chaque maison centrale a son règlement
particulier» qui est arrêté par le préfet.
Le trait le plus caractéristique du régime disciplinaire, ce qui en
constitue le vice capital, c'est la promiscuité : à de rares exceptions
près, tous les condamnés enfermés dans une même maison sont con-
fondus ensemble.
Durant le jour, ils sont réunis, soit dans les ateliers pour le travail,
soit au réfectoire pour leurs repas, soit au préau pour la promenade.
Le règlement du 10 mai 1839 leur prescrit le silence absolu. Mais, en
fait, ce qui est prohibé, c'est la conversation habituelle, ce qui est

1. Statistique des prisons de 1876, p. LXXII.


EXÉCUTION DES PEINES.
- MAISONS CENTRALES. 387
puni, c'est la conversation bruyante. Il serait chimérique d'espérer
obtenir le silence absolu et prévenir toutes communications1. Toute-
fois, on impose l'ordre extérieur; les actes de violence sont très rares
de la part de ces hommes animés de mauvaises passions et armés
pour leur travail d'instruments dangereux'2.
La nuit, la promiscuité devient plus complète encore. Les détenus
sont, en effet, couchés côte à côte, par de longues files, dans des lits
que sépare seulement un espace de quelques pieds ; et, tandis que,
dans le jour, la surveillance est incessante, là elle n'est qu'intermit-
tente et ne s'exerce que par des rondes de gardiens. Les détenus sont
donc livrés à eux-mêmes. D'où les désordres les plus déplorables. On
n'a pas même atténué ce mal, à l'exemple de ce que la Belgique a
fait dans nombre de ses prisons, en isolant matériellement les lits
par des cloisons en fer 3,
523. L'autorité disciplinaire est tout entière aux mains du direc-
teur. Dans les maisons affectées aux hommes, il est secondé par Un
personnel laïque et par un aumônier. Dans les maisons affectées aux
femmes, sous son autorité, la surveillance est confiée à des religieuses
appartenant aux ordres de Marie-Joseph et de la Sagesse. Ces reli-
gieuses tiennent les prisons dans un état de propreté admirable et
acquièrent sur les détenues un grand ascendant moral. Aussi les réci-
dives sont-elles moins fréquentes de la part des femmes sorties des
maisons centrales que de la part des hommes libérés des mêmes
prisons.
Le seul contrôle auquel soit soumis le directeur consiste dans la
visite annuelle de l'un des inspecteurs généraux des prisons. Une or-
donnance du 5 novembre 1847 avait bien prescrit la formation de
commissions de surveillance près des maisons centrales; mais elle est
demeurée lettre morte.
Les punitions disciplinaires sont déterminées par le règlement de
1839. Elles sont prononcées par un prétoire de justice disciplinaire,
en vertu d'un arrête du 8 juin 1842. Le directeur, assisté de l'inspec-
teur de la prison et de l'instituteur, après avoir pris connaissance du
rapport écrit des gardiens et écouté les explications des détenus in-
culpés, statue d'une manière solennelle en présence des autres pri-

1. Voy. D'HAUSSONVILLE, Les Établissements pénitentiaires, p, 209.


2. Voy. ld., ibid, Ibid., p. 216.
3. Voy. Id., ibid, Ibid., p. 210.
388 DROIT PÉNAL. — SYSTEME GÉNÉRAL DES PEINES.
sonniers 1. Cette institution, paraît-il, a sur les détenus une influence
morale importante 2.
IV. Religion et instruction. — 524. Le culte catholique est par-
tout établi ; toute maison centrale a sa chapelle et son aumônier. Le
service des cultes dissidents, au contraire, était, en 1873, très défec-
tueux. Des améliorations le concernant ont été signalées, en 1879,
par le directeur de l'administration pénitentiaire:!.
Mais l'organisation des maisons centrales oppose des obstacles de
toute nature aux efforts de l'aumônier comme à ceux du directeur en
vue de l'amendement moral des condamnés. La population delà plu-
part de ces maisons est beaucoup trop nombreuse. Les entretiens de
l'aumônier avec les détenus sont rendus difficiles, à l'atelier, par
l'entrepreneur, qui voit en eux une cause de trouble dans le travail,
impossibles au préau par le mauvais esprit des camarades qui en
seraient témoins.
525. D'après un décret du 25 septembre 1819, l'instruction donnée
dans les maisons centrales doit comprendre la lecture, l'écriture et
les premiers éléments du calcul. Chaque maison centrale d'hommes a
un instituteur; dans les maisons affectées aux femmes, le service est
fait par les religieuses. L'école est facultative. Aussi le nombre des
détenus qui la fréquentaient, au 31 décembre 1876, n'était-il que de
23 pour 100 chez les hommes et de 26 pour 100 chez les femmes 4.
L'école devrait être obligatoire ; mais ce ne serait possible que si la
population de chaque prison était moins nombreuse.
A l'école est annexée une bibliothèque. La lecture est permise aux
détenus les dimanches, les jours de fête et tons les jours pendant la
promenade.
V. Mesures exceptionnelles. — 526. L'administration a essayé
de quelques mesures exceptionnelles, en vue de faire cesser partielle-
ment la promiscuité. Elle a établi dans certaines maisons des quar-
tiers déjeunes adultes, dans d'autres des quartiers de préservation et
d'amendement, dans d'autres enfin des quartiers cellulaires.
On appelle jeunes adultes, dans la langue pénitentiaire, les ma-

1. Voyez, à la page L de lu Statistique des prisons de 1870, le nombre et la répar-


tition des infractions qui ont été jugées par ce tribunal disciplinaire dans le cours do
l'année 1870, et, à la page LII, la nature, le nombre et la répartition des punitions.
2. D'HAUSSONYILLE, Les Etablissements pénitentiaires, p. 218.
3. Statistique des prisons de l876, p. XXXVIII.
4. Statistique desprisons de 1876, p. XLV. Voyez, à la page LXXVIII, les résultais
d? ! instruction de nuée aux condamnés dans le cours de l'année 1870.
EXÉCUTION DES PEINES.
— MAISONS CENTRALES. 339

jeurs de 16 ans mineurs de 21 ans. On a pensé avec raison qu'il


serait bon, à tous les points de vue, de les séparer des autres détenus.
Les quartiers d'amendement et de préservation ont été créés,
depuis plusieurs années, pour recevoir les détenus qui, par leurs
antécédents ou par leurs témoignages de repentir, permettent d'es-
pérer cet amendement moral auquel on est obligé de renoncer pour
la masse des condamnés. Au 31 décembre 1876 1, les détenus placés
dans les quartiers d'amendement et de préservation étaient au nom-
bre de 623 hommes sur 15 825 et de 63 femmes sur 3625.
Un certain nombre de maisons centrales ont été agrandies par
l'adjonction d'un quartier spécial, pourvu d'un certain nombre de
cellules. Dans ces cellules sont enfermés des détenus de six catégo-
ries différentes 2, dont je n'indiquerai que les deux plus remarquables.
1° H y a quelquefois, parmi les condamnés, des hommes à qui
leur éducation ou toute autre cause rend la promiscuité avec le reste
des détenus intolérable ; sur leur demande, ils peuvent être mis en
cellule. 2° Il y en a d'autres, d'un caractère tout différent, qui,
séduits par les perspectives de liberté relative qu'offre la transpor-
tation, commettent des crimes dans la prison afin de se faire con-
damner aux travaux forcés. Pour obvier à ce danger, une circulaire
du 23 juillet 1853 a prescrit de les retenir dans une maison centrale
et de leur faire subir leur peine en cellule 3.
Enfin, dans quelques maisons centrales (Fontevrault, Clairvaux), on
a tenté d'appliquer un certain nombre de condamnés à des travaux
agricoles, aux environs de la prison 4.
Toutes ces mesures sont bonnes en elles-mêmes et devraient être
généralisées clans la mesure du possible. Mais ce sont de bien faibles
palliatifs à un état de choses qui, au point de vue de la moralisation
des condamnés, est déplorable.

V. — MODE D'EXÉCUTION DE L'EMPRISONNEMENT D'UN AN OU MOINS :


MAISONS DÉPARTEMENTALES.

.
I. Organisation générale et effectif des maisons départe-
1. Statistique des prisons de 1870, p. LXXXI.
2. Voy. D'HAUSSONVILLE, Les Établissements pénitentiaires, p. 220.
3. Cette mesure n'est pas légale. On projet de loi destiné à la rendre régulière a
été déposé par le gouvernement le 20 mars 1879. Voy. le Journal officiel du 5 avril
1879.
4. Voy. ORTOLAN, II, p. 144.
390 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

mentales. — 527. Les maisons départementales, au nombre de 380


environ, sont établies dans les chefs-lieux de département et d'arron-
dissement. A l'origine, elles faisaient partie, comme les maisons cen-
trales, du domaine de l'État. Un décret du 9 avril 1811 en transféra
la propriété aux départements où elles étaient situées. Cette mesure
eut des conséquences fâcheuses : les départements, qui devaient
désormais administrer ces maisons et subvenir à leurs dépenses, le
firent avec un zèle si inégal, que l'égalité même de la peine en fut
singulièrement altérée. Depuis, la loi de finances du 5 mai 1855 a
restitué à l'État l'administration des maisons départementales, à la
condition d'en supporter les dépenses d'entretien ; mais la propriété
en est demeurée aux départements, avec la charge des dépenses de
construction et de grosses réparations, que la loi du 27 juillet 1867 a
rendues purement facultatives. De là il résulte que, si l'État veut in-
troduire dans les maisons départementales des réformes nécessitant
des constructions ou de nouveaux aménagements, les départements
peuvent s'y refuser. C'est une des principales causes du triste état où
sont la plupart des maisons départementales.
528. La population des maisons départementales était, au 31 dé-
cembre 1876, de :

Hommes 20250
Femmes 4520
Au total... 247701

La statistique de 18762 répartit cette population entre 15 catégories


de personnes. Si, dans un tableau un peu différent, on néglige
celles qui ont le moins d'importance en réunissant celles qui ont
beaucoup d'affinité, on trouve encore les 11 catégories suivantes :
1° les adultes (majeurs de 16 ans) prévenus, c'est-à-dire inculpés d'un
délit de police correctionnelle; 2° les adultes accusés, c'est-à-dire
inculpés d'un crime ; 3° les adultes condamnés à un emprisonnement
d'un an ou moins et subissant leur peine (ils étaient, au 31 décembre
1876, dans la proportion de 60,64 pour 1003); 4° les adultes con-
damnés à une peine quelconque et attendant, soit le résultat de leur

1. La population moyenne, dans Je cours de l'année 1876, a été de 18251 hommes,


de 4649 femmes, au total de 22 900 individus.
2. Statistique des prisons de 1876, p. ccv.
3. Statistique des prisons de 1876, p. ccvn.
EXÉCUTION DES PEINES. DÉPARTEMENTALES.
— MAISONS 391
appel ou de leur pourvoi, soit leur transfèrement au lieu d'exécution
de leur peine ; 5° les adultes détenus pour dettes envers l'État ou
envers des particuliers ; 6° les adultes détenus par mesure adminis-
trative; 7° les mineurs de 16 ans prévenus d'un délit ; 8° les mineurs
de 16 ans accusés d'un crime; 9" les mineurs de 16 ans condamnés à
six mois ou moins d'emprisonnement et subissant leur peine (loi du
5 août 1850, art. 2); 10° les mineurs de 16 ans condamnés à une
peine quelconque et attendant, soit le résultat de leur appel ou de
leur pourvoi, soit leur transfèrement; 11° les enfants ou jeunes gens
incarcérés par voie de correction paternelle.
529. Aux termes des articles 603 et 604 du Code d'instruction cri-
minelle et de l'article 2 de la loi du 5 août Ï850, chaque département
devrait avoir trois sortes de maisons : les prisons proprement dites ou
maisons de correction pour les condamnés ; les maisons d'arrêt pour
les prévenus; les maisons de justice pour les accusés. Chacune devrait
être divisée en deux quartiers, l'un pour les hommes, l'autre pour
les femmes. De plus, les maisons d'arrêt et de justice devraient avoir
un troisième quartier pour lès mineurs de 16 ans, prévenus, accusés
et condamnés à six mois au moins d'emprisonnement. (La loi ne dit
pas où il faut placer les individus condamnés à d'autres peines et at-
tendant leur destination définitive.) Ces règles sont-elles observées?
Dans quelques villes, en effet, on trouve une maison de correction,
une maison d'arrêt et une maison de justice 1. Dans un plus grand
nombre, la même maison reçoit les prévenus et les accusés, une autre
servant de prison pour peine. Dans la plupart, il n'existe qu'une
maison pour toutes les catégories de détenus qui viennent d'être énu-
mérées.
Mais, dans ce cas, ces catégories sont-elles au moins séparées par
quartiers ? Pour obéir à l'esprit de la loi en substituant la distinction
des quartiers à celle des maisons, et tenir compte de la différence des
sexes, il faudrait au moins huit quartiers : deux pour les adultes
prévenus, deux pour les adultes accusés, deux pour les adultes
condamnés, deux pour les mineurs de seize ans, prévenus, accusés et
comdamnés à six mois ou moins d'emprisonnement. Or il y a toujours
deux quartiers, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes. Mais,
le plus généralement, on se borne à cette séparation élémentaire.
Dans un tiers des maisons à peu près, on ne tient pas compté de l'âge

1. Etencore fait-on, là, bien des exceptions aux prescriptionslégales, par voie de
simples mesures administratives. (Voy. ORTOLAN, II, n° 1538.)
392 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,

et l'on a six quartiers : deux pour les prévenus, deux pour les ac-
cusés, deux pour les condamnés. Dans un petit nombre de maisons
seulement on se conforme entièrement à la loid.
Pourrait-on faire mieux en se tenant dans le même système? Non,
parce que les deux tiers environ des maisons actuelles n'ont pas été
aménagées dans ce but lors de leur création. Les unes sont d'anciens
couvents, d'autres ont été élevées ou réparées, sous la monarchie de
1830, en vue du régime cellulaire, d'autres enfin ont été construites
sans plan bien arrêté.
Mais on ne saurait beaucoup regretter que le système de la sépara-
tion par quartiers n'ait pas été réalisé ; car, au. point de vue péniten-
tiaire, il est tout à fait insuffisant. Comme je l'ai déjà fait observer à
l'égard des maisons centrales, ce ne sont pas les catégories qui agis-
sent les unes sur les autres, mais les individus ; et par conséquent, ce
qu'il faut séparer, ce n'est pas telle catégorie de telle autre, c'est,
dans toute catégorie, l'innocent du coupable, le coupable repentant du
coupable endurci, le coupable par entraînement des passions du cou-
pable par habitude ou calcul. De telles séparations ne peuvent être
effectuées qu'au moyen du système cellulaire.
Il faut remarquer, d'ailleurs, que le système cellulaire est appliqué
dans quelques maisons départementales de la Seine : à Mazas pour
les prévenus, à la Conciergerie pour les accusés, à la Santé pour cer-
taines catégories arbitraires de condamnés, et dans un quartier de la
maison départementale de Tours 2. C'est le résultat minime d'efforts
considérables qui ont été faits, sous la monarchie de 1830, pour éta-
blir le régime cellulaire dans toute la France.
530. En ce qui concerne l'exécution de l'emprisonnement d'un an
DU moins, il importe de
considérer la durée de la peine. Or, parmi
les 15 021 individus qui, au 31 décembre 1876, avaient à subir l'em-
prisonnement dans les maisons départementales, 2657 devaient y
rester un mois ou moins, 2171 d'un à deux mois, 2537 de deux à
trois mois, 7526 de trois mois à un an, 130 plus d'un an. Ainsi, la
moitié seulement devait être enfermée pendant plus de trois mois.
531. Les conclusions à tirer dès maintenant de l'organisation des
maisons départementales sont les suivantes : 1° Quel que soit le sys-
tème d'emprisonnement mis en usage, on ne peut, à l'égard d'un
grand nombre de condamnés, espérer l'amendement moral; car, dans
1. Comp. ORTOLAN, II, p. 147.
2. Voy. D'HAUSSONVILLE, Les Etablissements pénitentiaires, p. 93.
EXÉCUTION DES PEINES. — MAISONS DÉPARTEMENTALES. 393

l'opinion la plus répandue, il ne faut pas moins de six mois pour que
les efforts de moralisation commencent à produire quelque effet ; on
doit se borner à prévenir la contagion. — 2° Il est difficile de régler
le travail d'une manière satisfaisante dans des maisons où un quart à
peu près de la population (au 31 décembre 1876, 6153 sur 24 770
détenus) se compose d'individus qui, n'étant pas définitivement jugés,
n'y sont pas soumis. — 3° Le mélange des éléments corrompus et
corrupteurs avec les éléments encore sains existe dans les maisons
départementales comme dans les maisons centrales, là même où les
divisions par quartiers "ont été réalisées.—4° Le dualisme de l'État
et du département aggrave encore cette situation.
II. Travail. — 532. L'entreprise est le seul système qui soit en
usage dans les maisons départementales; aucune n'est en régie. C'est
une nouvelle cause d'infériorité de ces établissements comparés aux
maisons centrales. L'entrepreneur, en compensation des charges que
l'on connaît, reçoit d'abord de l'État, par détenu, un prix de journée
qui varie, suivant les départements, de 36 centimes à 1 fr. 02 cen-
times. Il perçoit, en outre, une partie du produit donné par le travail
des détenus : 5/10 sur le travail des condamnés, 3/10 sur le travail
des accusés et des prévenus.
L'organisation du travail, malgré les progrès effectués depuis 1855,
est encore très défectueuse. Au 31 décembre 1876, sur 24 770 dé-
tenus, 13 247 seulement étaient occupés. Cela tient aux causes géné-
rales qui ont été précédemment indiquées.
D'après les ordonnances du 2 avril 1817 et du 27 décembre 1843,
la part accordée anx condamnés sur le produit de leur travail est des
5/10. Mais les récidivistes subissent des réductions qui peuvent ne
leur laisser que 1/10. Comme dans les maisons centrales, le pécule
se divise en pécule disponible et pécule de réserve.
A leur sortie, les libérés des maisons départementales ne peuvent
avoir les ressources et le métier qui leur seraient nécessaires; ils ont
été détenus trop peu de temps et dans de trop mauvaises conditions.
III. Discipline. — 533. A la tête du service, dans chaque maison
se "trouve placé un directeur ou un gardien chef, suivant l'imporLance
de la maison. Des gardiens sont sous ses ordres. Le quartier des
femmes est confié, dans les petites prisons, à une surveillante laïque,
ordinairement à la femme du gardien chef; dans les prisons plus
considérables, aux soeurs de Marie-Joseph. Cet effectif n'est pas assez
nombreux pour avoir une action morale sur les détenus.
394 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
Le contrôle 1 s'exerce par les visites annuelles des inspecteurs gé-
néraux et par celles des directeurs départementaux, dont la création
remonte à un décret du 15 août 1856. Le directeur départemental
est, dans l'intérieur d'un ou de deux départements, le directeur de la
maison départementale la plus importante, ou bien le directeur de la
maison centrale la plus voisine.
De plus, les articles 611, 612 et 613 du Code d'instruction crimi-
nelle prescrivent des visites aux préfets, sous-préfets, présidents
d'assises, juges d'instruction et maires ; mais ces visites ont rarement
lieu. Les maires ont même un droit de police, dont ils n'usent pas.
Enfin, des commissions de surveillance avaient été créées par une
ordonnance de 1819; mais peu d'entre elles exercent leurs attribu-
tions.
534. Le régime disciplinaire est déterminé par un règlement gé-
néral de 1841 et par le règlement particulier émané du préfet. Il n'est
pas et ne peut pas être le même pour tous les détenus.
Tout d'abord, les accusés et les prévenus, soit qu'ils aient ou non
un quartier séparé, ne portent pas le costume pénal, ne sont pas as-
sujettis au travail, communiquent avec leurs défenseurs ou d'autres
personnes, ont la faculté, dans certaines limites, de faire venir à leurs
frais des vivres du dehors, et enfin l'autorisation de la pistole, c'est-à-
dire la permission d'occuper, moyennant un prix, une chambre parti-
culière. Mais beaucoup ne peuvent pas profiter de ces derniers avan-
tages.
Les individus soumis à la contrainte par corps, en vertu de la loi
du 22 juillet 1867, jouissent aussi d'un régime distinct. Les détenus
pour dettes envers l'État ont pour prérogatives la dispense du costume
pénal et celle du travail. Les détenus pour dettes envers les particu-
liers sont assimilés aux prévenus ; leur alimentation est aux frais de
leurs créanciers.
Les détenus politiques, en vertu d'un règlement qui fut fait,
en 1867, pour la prison de Sainte-Pélagie, puis appliqué aux autres
maisons départementales, sont également l'objet de faveurs qui ren-
dent leur situation analogue à celle des prévenus. Au reste, l'admi-
nistration n'a pas de règles précises qui lui fassent reconnaître ou
dénier la qualité de détenus politiques.

1. Les prisons du département de la Seine, soumises à l'autorité unique du pré-


fet de police, sont affranchies de tout contrôle. (Voy. D'HAUSSONVILLE,ies Etablis-
sements pénitentiaires, p. 146 et s.)
EXÉCUTION DES PEINES.
— MAISONS DÉPARTEMENTALES. 395
faveurs s'étendent même à des détenus de droit commun. C'est
Ces
fort arbitraire, mais en partie justifié par la promiscuité actuelle des
prisons.
Enfin, le régime général des condamnés subissant leur peine est le
suivant : soumission au costume pénal, au travail, au bon ordre dans
lesmouvements, au respect envers les gardiens, au silence.
Le vice capital est la promiscuité, avec tous les désordres qui en
sont la suite ; et, dans les maisons départementales, il est plus grave
encore que dans les maisons centrales, parce que la surveillance y
est insuffisante même pendant le jour.
IV. Religion et instruction. 535. Chaque maison départe-

mentale a un aumônier ou un pasteur. Mais les chapelles sont souvent
mal installées, les instructions du règlement de 1841, relatives
au
service religieux, irrégulièrement observées. Les aumôniers ne peu-
vent entretenir les détenus ni à l'atelier où ils rencontrent l'hostilité
de l'entrepreneur, ni au préau où ils n'obtiendraient même "pas le
res-
pect extérieur que leur assure dans les maisons centrales une disci-
pline plus sévère.
Quaat à l'instruction, elle était, en 1869, à peu près nulle. Il n'y
avait que neuf instituteurs pour toutes les maisons départementales.
Malgré ses efforts, l'administration, au 31 décembre 1876 4, n'avait
encore pu créer que 45 écoles pour les hommes et 10 pour les
femmes. Elles étaient fréquentées par 1457 hommes et 157 femmes.

VI.
— MESURES DE CORRECTION ET MODES D'EXÉCUTION DES PEINES PROPRES AUX
JEUNES DÉTENUS : ÉTABLISSEMENTS D'ÉDUCATION CORRECTIONNELLE

la loi du 5 août 1850 sur l'éducation et le pa-


I. Analyse de
tronage des jeunes détenus.
— 536. On sait que, d'après l'article
66 du Code pénal, les mineurs de seize ans, reconnus coupables,-mais
acquittés comme ayant agi sans discernement, peuvent être remis à
leurs parents ou retenus être élevés les soins de l'adminis-
pour par
tration jusqu'à l'accomplissement de leur vingtième année; que, dans
ce dernier cas, ils doivent être envoyés dans une maison de correction
distincte des prisons proprement dites. On sait aussi
que, d'après
l'article 67, les mineurs de seize
ans déclarés coupables avec discer-

1.Statistique des prisons de 1876, p. ccxv. Voy. à la page suivante, les résultats
obtenus dans le
cours de l'année 1876.
396 DROIT PÉNAL. - SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,

nement peuvent être condamnés à un emprisonnement dont le maxi-


mum est de vingt ans 1. Jusqu'en 1850, à part quelques exceptions
qui seront indiquées plus loin, l'article 66 demeura lettre morte : les
mineurs acquittés furent enfermés dans les maisons départementales
et le plus souvent confondus avec les autres détenus. A plus forte
raison les mineurs condamnés durent-ils subir leur peine de la même
manière que les adultes.
537. Cet état de choses a été profondément modifié par la loi du
5 août 1850 sur Véducation et le patronage des jeunes détenus. Cette
loi fait les distinctions suivantes :
Pour les jeunes garçons, ils sont d'abord divisés en mineurs acquittés
et mineurs condamnés. Puis ceux-ci forment trois catégories, suivant
qu'ils ont été condamnés à six mois de prison ou moins, à plus de
six mois jusqu'à deux ans, à plus de deux ans. Enfin, tous doivent,
être répartis entre trois sortes d'établissements : — 1° Des colonies
pénitentiaires agricoles doivent être affectées aux jeunes détenus
acquittés en vertu de l'article 66 du Code pénal et non remis à leurs
parents (art. 3). Ces colonies doivent également recevoir les jeunes
détenus condamnés à un emprisonnement de plus de six mois, mais
n'excédant pas deux ans (art. 4, § 1), à la condition que, pendant les
trois premiers mois, ils soient enfermés dans un quartier distinct et
appliqués à des travaux sédentaires, et ne soient admis, à l'expiration
de ce terme, aux travaux agricoles de la colonie qu'à raison de leur
bonne conduite (art. 4, § 2 et § 3). —2° Les mineurs de seize ans, con-
damnés à un emprisonnement de six mois ou moins seront enfermés
dans les maisons d'arrêt ou de justice, où un quartier spécial leur
sera affecté. Avec eux et dans ce quartier seront placés les jeunes
prévenus ou accusés et les jeunes détenus par voie de correction pa-
ternelle (art. 2 combiné avec l'art. 4). —3° Les mineurs condamnés à
un emprisonnement de plus de deux années doivent être conduits et
élevés dans des colonies correctionnelles (art. 10, § 1 et art. 11).
Avec eux doivent être envoyés clans les mêmes colonies les jeunes
détenus des colonies pénitentiaires qui auront été déclarés insubor-
donnés (art. 10, § 2).
Quant aux jeunes filles, on ne fait aucune de ces"distinctions. Des
maisons pénitentiaires doivent recevoir : l°Les mineures détenues
par voie de correction paternelle ; 2° les jeunes filles de moins de

1. Se reporter ci-dessus, aux noa 214, 227 et 228.


EXÉCUTION DES PEINES. — JEUNES DÉTENUS. 397

seize ans acquittées comme ayant agi sans discernement et non re-
mises à leurs parents; 3° les jeunes filles de moins de seize ans con-
damnées à l'emprisonnement pour un temps quelconque.
II.Organisation générale et effectif des établissements d'é-
ducation correctionnelle. —538. Les dispositions de la loi de 1850
ont été exécutées à certains points de vue d'une manière incomplète,
sous d'autres rapports avec des améliorations et des correctifs.
539. Aujourd'hui, la population des jeunes garçons est répartie
entre quatre sortes d'établissements.
1° Les maisons départementales reçoivent les prévenus, les accusés,

ceux qui ont été condamnés à six mois ou moins d'emprisonnement


et une partie des mineurs détenus par voie de correction paternelle.
Mais un certain nombre d'entre elles seulement ont pour eux le quar-
tier distinct que prescrit l'article 2 de la loi de 1850.
2» Des colonies pénitentiaires agricoles ont été fondées conformé-

ment à la loi de 1850. Elles reçoivent les mineurs de seize ans ac-
quittés et ceux qui ont été condamnés à plus de six mois jusqu'à deux
ans d'emprisonnement. Mais ces derniers, contrairement à la loi de
1850 (art. 4, § 2 et § 3), dont la disposition à cet égard n'était pas
bien rationnelle, sont immédiatement assimilés aux autres. De plus,
ces mêmes colonies reçoivent la plus grande partie des mineurs con-
damnés à un emprisonnement de plus de deux ans, sans qu'on leur
applique l'article 11 de la loi de 1850. En effet, les colonies correc-
tionnelles dont parle l'article 10 de cette loi n'ont pas été créées.
Pendant longtemps, les condamnés à qui elles étaient destinées ont été
retenus dans les colonies pénitentiaires. Depuis quelques années seu-
lement, l'administration a ouvert pour eux, non pas des colonies,
mais des quartiers correctionnels annexés à certaines prisons dépar-
tementales.
Conformément à l'article 5 de la loi de 1850, parmi les colonies
pénitentiaires, les unes sont des colonies publiques, les autres des
colonies privées. Les premières appartiennent à l'État, qui est

propriétaire des bâtiments, propriétaire ou simple locataire des terres
exploitées, qui emploie à cultiver ces terres les jeunes détenus, dont
l'entretien est tout entier à sa charge, qui nomme et salarie tous les
employés, et qui recueille tous les bénéfices de l'entreprise. Tout
compte fait des dépenses et des produits, il se trouve que chaque dé-
tenu coûte à l'État 1 franc par jour. — Les colonies privées ont été
fondées soit par de simples particuliers, soit et plus généralement par
398 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
des ecclésiastiques ou des congrégations. Elles appartiennent à leurs
fondateurs, qui assument toutes les charges concernant les jeunes
détenus. En compensation, en outre des produits de l'entreprise, les
directeurs reçoivent de l'État, par chaque détenu, un prix de journée
variable, mais en général s'élevant à 75 centimes. Les directeurs doi-
vent être agréés par le gouvernement, leurs employés ou auxiliaires
par le préfet. Enfin, l'État se réserve un droit de surveillance et de
contrôle sur les établissements privés, qui reçoivent annuellement la
visite des inspecteurs généraux et des inspecteurs départementaux, et
peuvent toujours être supprimés, en cas de désordres ou d'inexécution
des conditions.
3° Depuis quelques années, des établissements d'éducation correc-
tionnelle distincts des colonies pénitentiaires tendent à se fonder sous
le nom d'écoles de réforme. Ils seraient spécialement affectés aux
enfants de moins de treize ans, catégorie de jeunes détenus qui forme
plus du tiers de l'effectif des colonies pénitentiaires. « On comprend
que ces enfants, à raison de leur jeune âge et des soins de toute sorte
qui leur ont manqué, réclament une sollicitude de tous les instants,
et qu'il importe surtout de ne pas les confondre avec des jeunes gens
plus corrompus, dont le contact, les incitations et les exemples pour-
raient exercer sur leur moral une action des plus pernicieuses 1. »
4° Quelques quartiers correctionnels ont été annexés à certaines
maisons départementales. Ils reçoivent une partie des mineurs con-
damnés à un emprisonnement de plus de deux ans ou exclus des colo-
nies pénitentiaires comme insubordonnés.
540. Aujourd'hui, la population des jeunes filles détenues est placée
presque tout entière dans des maisons pénitentiaires privées, sou-
mises aux conditions qui viennent d'être indiquées pour les colonies
pénitentiaires de même nature.
Avant 1876, il existait en outre trois maisons pénitentiaires pu-
bliques. Cette année-là, deux d'entre elles ont été suprimées 2.
541. L'organisation générale des établissements d'éducation cor-
rectionnelle suscite dès à présent une observation. Dans les colonies
ou maisons pénitentiaires, aucune distinction de régime, de traite-
ment, de discipline, n'est faite entre les individus acquittés et les

1. Statistique des prisons de 1876, p. CXLV et suiv. On trouvera là les détails


d'organisation relatifs à ces établissements.
2. Statistique des prisons, p. CXLVII.
EXECUTION DES PEINES. DÉTENUS.
— JEUNES 399
individus condamnés,. Il n'en résulte pas d'influence sérieuse de
ceux-ci sur les premiers, disent les directeurs. Cela se comprend; car
la seule différence qui soit entre ces deux catégories de coupables,
c'est que les uns sont réputés avoir agi sans discernement, les
autres avec discernement; et cette différence, résultant d'apprécia-
tions peu sûres, émanées de juges très divers, n'établit pas entre
eux, quant à la moralité, une séparation bien marquée. Mais la con-
fusion dont il s'agit présente deux inconvénients d'une autre nature.
En premier lieu, il est toujours d'un fâcheux effet sur l'esprit public
que les individus acquittés soient placés dans les mêmes établissements
et traités de la même manière que les condamnés. De plus, les con-
damnés, dont la peine est ordinairement assez courte, recouvrent
souvent leur liberté avant les acquittés, ce qui peut inspirer à ces
derniers des réflexions funestes. Pourquoi n'autoriserait-on pas les
juges, par une disposition additionnelle à la loi de 1850, à faire
suivre la peine d'un certain temps de séjour dans l'établissement pé-
tentiaire, au même titre que celui des acquittés? Mieux encore, pourquoi
les condamnés ne subiraient-ils pas tout d'abord leur peine dans des
maisons distinctes? On peut ajouter que, si le mélange des condamnés
avec les acquittés n'offre pas un grand péril, celui des adolescents avec
les enfants est fort dangereux au contraire ; mais on semble vou-
loir mettre fin à cet inconvénientpar la création des écoles de réforme.
542. Au 21 décembre 1876, le nombre des établissements d'éduca-
tion correctionnelle (non compris les quartiers qui sont affectés aux
mineurs de seize ans dans certaines maisons départementales) était
de 61 : pour les garçons 38, pour les filles 23. Ils se décomposaient
ainsi :

Quartiers correctionnels.. 5
Établissements publics
Colonies pénitentiaires... 5
Jeunes garçons
Colonies pénitentiaires... 27
Établissements privés. École de réforme I1
Quartier annexé à une prison départementale. 1
Jeunes filles..
Maisons pénitentiaires privées 22

La population enfermée dans ces établissements était de 9774 indi-


vidus : 7803 garçons, 1971 filles 2.

1. La Statistique des prisons de 1876, publiée en 1879, signalait la création en


1877 d'une autre école de réforme (p. CXLVI, en note).
2. La Statistique des prisons de 1876 (p. CLI) montrait, dans un tableau, com-
ment cet effectif était réparti entre les divers établissements.
400 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
III. Travail, discipline, instruction et religion. — 543. Il faut
distinguer entre les diverses catégories d'établissements d'éducation
correctionnelle ; ils sont trop variés pour avoir les mêmes méthodes
et donner les mêmes résultats. Il faut séparer d'abord ceux qui sont
affectés aux jeunes garçons de ceux qui sont destinés aux jeunes filles;
puis, parmi les premiers, il faut examiner successivement les quartiers
correctionnels, les colonies publiques, les colonies privées et les écoles
de réforme.
Établissements affectés aux jeunes garçons. — 544. 1° Dans les
quartiers correctionnels annexés à certaines prisons départementales
(cinq quartiers dont l'effectif, au 31 décembre 1876, était de 396 con-
damnés), les jeunes détenus reçoivent une éducation industrielle.
Comme ils sont peu nombreux, il est facile de les surveiller et de leur
donner avec soin l'instruction primaire et religieuse.
20 Dans les colonies pénitentiaires publiques (cinq colonies dont
l'effectif, au 31 décembre 1876, était de 1834 individus), les jeunes
détenus reçoivent une éducation agricole, c est-à-dire qu'ils sont ap-
pliqués aux travaux de l'agriculture et aux industries qui s'y ratta-
chent. On estime généralement que c'est trop absolu. Parmi eux,
beaucoup sont originaires des villes et y retourneront; le métier
qu'ils auront appris leur sera inutile. Il faudrait que chaque colonie
fût mi-partie agricole, mi-partie industrielle, ou bien qu'il y eût des
colonies agricoles et des colonies industrielles.
Ces colonies sont toutes en régie et bien conduites.
En principe, les jeunes détenus n'ont point de pécule. C'est par
exception et à titre de récompense que le règlement du 10 avril 1869
permet de leur accorder des rétributions pécuniaires qui leur sont
remises après leur libération et à leur majorité.
Ils vivent en commun; la nature de leurs travaux en fait une néces-
sité, et d'ailleurs, à leur âge, la vie commune a moins d'inconvénients
que d'avantages. Mais ils devraient coucher dans des cellules et non
dans des dortoirs, où la surveillance est insuffisante. C'est là le vice
le plus grave de ces établissements.
L'effectif de chacune de ces colonies est trop élevé. Aux termes du
règlement de 1869, ilne devrait être que de300 individus. Ce chiffre,
qui est lui-même trop fort, est partout dépassé. Il en résulte que le
directeur et les autres membres du personnel de la colonie ne peuvent
exercer sur les détenus qu'une influence générale, tandis qu'ils de-
vraient avoir pour chacun d'eux des soins particuliers.
EXÉCUTION DES PEINES. DÉTENUS.
— JEUNES 401

L'enseignement aussi est défectueux. Chacune des colonies n'a


qu'un instituteur. De plus, il arrive souvent que l'instruction est sa-
crifiée aux nécessités de l'exploitation agricole 1.
A chaque colonie est attaché un aumônier.
3° Dans les colonies pénitentiaires privées (28 colonies dont l'effec-
if, au 31 décembre 1876, était de 5573 individus, moins le nombre
d'enfants placés clans la maison de réforme), c'est, aussi l'éducation
agricole qui est donnée aux jeunes détenus.
Les colonies privées ont été fondées, les unes dans une pensée de
bienfaisance, les autres dans un but de spéculation. Aussi, bien que
le règlement général de 1869- leur soit applicable, sont-elles admi-
nistrées suivant des systèmes fort divers et produisent-elles des résul-
tats très différents. Cependant les régimes pratiqués peuvent se ra-
mener à deux : celui de la discipline militaire dans les établissements
laiques, celui de la discipline religieuse dans les établissements fon-
dés par des congrégations. Quant aux résultats, quelques-unes de ces
colonies en donnent d'excellents, la plupart de médiocres et plusieurs
de mauvais. Treize fois déjà, le gouvernement a dû faire usage du
droit de suppression que lui a réservé la loi du 5 août 1850.
Au premier rang des colonies privées, l'opinion publique a placé la
colonie laïque de Metlray (Indre-et-Loire), dont la réputation est eu-
ropéenne et qui a servi de modèle à un certain nombre d'établisse-
ments de même nature créés à l'étranger. Elle a été fondée par
M. Demetz, avant 1850. La vie commune a été adoptée dans cette co-
lonie, comme dans les autres. Mais, pour obvier aux inconvénients
qui y sont naturellement attachés, la colonie est divisée en plusieurs
groupes auxquels M. Demetz a donné le nom de familles. Chacun de
ces groupes, confié à la garde d'un surveillant éprouvé qui se nomme
le père de famille, a une existence propre et individuelle.
La colonie du Val d'Yèvre (Cher) a été fondée par M. Charles Lucas.
Elle est antérieure à 1850, comme celle de Mettray. L'organisation en
est un peu différente et peut-être moins parfaite. Néanmoins, elle a
été longtemps aussi un type de colonie pénitentiaire privée, et devait
être citée comme telle. Depuis quelques années, elle a été cédée à
l'État et transformée en colonie publique.
Parmi les colonies dirigées par les congrégations religieuses, plu-

1. Cependant cet enseignement, paraît-il, n'est pas saris résultats. V. dans la Sta-
tstique des prisons de 1876, les tableaux qui sont aux pages CLXXIX et CLXX.
26
402 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
sieurs également sont remarquables. Telle est, en première ligne, celle
de Cîteaux (Côte-d'Or), antérieure, elle encore, à 1850. On y a combiné
avec habileté la discipline militaire et la discipline religieuse. Après
elle, viennent celle de la Grande Trappe et celle de Fontgombault
(Indre).
Dans la plupart des autres colonies, on sacrifie trop l'éducation des
enfants au succès agricole de l'établissement ; l'idée de spéculation
domine celle de charité. Peut-être aussi l'indemnité allouée par l'État
est-elle insuffisante ; car il est notoire que les colonies privées sont
loin d'être prospères 1.
4° Dans les écoles de réforme, on se propose de consacrer princi-
palement ses soins à l'éducation morale et à l'instruction des enfants,
dans l'espoir d'effacer entièrement les premières et funestes impres-
sions qu'ils ont reçues. Aussi l'administration veut-elle que l'ensei-
gnement scolaire et l'enseignement religieux occupent Une partie du
temps bien plus grande que dans les autres établissements péniten-
tiaires 2.
Etablissements affectés aux jeunes filles. — 545. Il n'y a rien de
particulier à dire du seul établissement public qui ait été conservé.
C'est un quartier correctionnel annexé à la prison départementale de
Nevers. Au 31 décembre 1876, il contenait 38 jeunes filles.
Dans les maisons pénitentiaires (22 maisons, dont l'effectif, au
31 décembre 1876, était de 1933 jeunes filles), qui sont toutes des éta-
blissements privés régis par des communautés religieuses, l'éducation
morale et l'instruction religieuse sont données avec beaucoup de zèle;
avec plus de succès, d'ailleurs, dans les communautés non cloîtrées
que dans les couvents. Mais l'instruction primaire y est négligée et le
travail mal conduit. On ne sait pas généralement faire des détenues
de bonnes ouvrières, capables, une fois libérées, de gagner leur vie et
pourvues du pécule nécessaire 3.
1. V. pour les résultats de l'enseignement dans les colonies privées, les tableau*
frai sont aux pages CLXIX et CLX de la Statistique des prisons de 1876. On y consta-
tera l'infériorité générale des colonies privées envers les colonies publiques.
2. Statistique des prisons de 1876, p. CXLVIII.
3. V. D'HÀUSSONVILLE, Les établissements pénitentiaires, p. 469 et suiv.
EXÉCUTION DES PEINES.
— HISTORIQUE DÈS ESSAIS DE RÉFORME. 403

SECTION 2.
— ESSAIS DE RÉFORME DES MODES SUIVANT LESQUELS
S'EXÉCUTENT LES PEINES PRIVATIVES DE LA LIBERTÉ

I. — HISTORIQUE DES ESSAIS DE REFORME.

546. L'idée que la peine doit autant que possible servir à cor-
riger le coupable ne s'est fait jour que vers la fin du XVIIIe siècle.
Depuis, elle a parcouru quatre phases.
Première phase. — 547. En vertu d'édits de 1773 et de 1775, une
maison de force fut fondée à Gand, dans les États de Flandre, avec
une organisation nouvelle : on y instituait la séparation cellulaire des
détenus pendant la nuit, en les soumettant pendant le jour au travail.
L'Angleterre, à la même époque, sous l'inspiration de Howard, de
Blackstone et de Bentham, faisait plus. En 1776, le principe de l'em-
prisonnement solitaire (solitarij confinement) y était décrété; de 1790
à 1807, il y était appliqué aux peines de longue durée dans le péni-
tencier de Glocester.
De là, le système de la séparation cellulaire continue fut transporté
par Franklin en Amérique, et l'on en fit un premier essai, vers 1794,
dans une des prisons de Philadelphie.
En France, on eut connaissance de ces innovations par Howard, qui
y vint trois fois de 1777 à 1787, et en étudia les prisons; par Ben-
tham qui proposa sans succès à l'Assemblée législative de créer lui-
même une prison modèle; par le duc de la Rochefoucauld-Lian^
court qui, dans un voyage en Amérique, avait visité la prison récem-
ment fondée à Philadelphie 1. Mais on y fut peu sensible; on se borna,
dans les Codes de 1808 et de 1810, d'une part à prescrire la réparti-
tion des condamnés, suivant leur peine, entre les bagnes, les maisons
de force et les maisons de correction; d'autre part, à ordonner la sé-
paration des condamnés et des inculpés, à qui devaient être réservées
les maisons d'arrêt et de justice; et encore la loi ne fut-elle que partiel-
lement observée.
Deuxième phase. — 548. De 1814 à 1853, la France entra dans la
voie ouverte par la Flandre, l'Angleterne et l'Amérique, y fit un pre-

1. Il en rendit compte dans un ouvrage intitulé Des prisons de Philadelphie, pal


m Européen, 1796.
404 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
mier pas, s'arrêta aussitôt, puis, sous une impulsion nouvelle, s'y
avança si loin qu'elle fut sur le point de réaliser une réforme radicale
et complète de notre système pénitentiaire-.
549. La Restauration débuta par une ordonnance du 9 septembre
1814, décrétant la création à Paris d'une prison d'essai sur le modèle
de celle de Philadelphie. Mais ce projet n'eut pas de suite, et l'on
s'appliqua simplement à améliorer ce qui existait. Dans ce but furent
rendues deux ordonnances : celle du 2 avril 1817, qui organisa
les maisons centrales; celle du 9 avril 1819, en vertu de laquelle se
forma une Société royale des prisons qui.rendit de grands services
et s'éteignit en 1829 et furent instituées des commissions de surveil-
lance auprès des maisons départementales.
A l'étranger, cependant, s'accomplissaient des progrès plus sé-
rieux. Des pénitenciers (on nommait ainsi les établissements cellu-
laires disposés en vue de l'amendement des condamnés) se fondaient
dans divers pays. En Angleterre, en 1822, c'était le pénitencier de
Milbanck, destiné à remplacer celui de Glocester. En Suisse, c'étaient
les pénitenciers de Genève en 1825, de Lausanne en 1829, de Berne
en 1830. Ils étaient tous basés sur la séparation individuelle durant
la nuit, avec travaux et exercices communs pendant le jour. En Amé-
rique, deux pénitenciers furent créés qui devaient devenir célèbres :
celui d'Auburn, dans l'État de New-Yorck, en 1823; celui de Cherry
Hill, à Philadelphie, en 1829; l'ancienne prison que le duc de Laro-
chefoucauld avait vue était délaissée: Dans le pénitencier d'Auburn",
on appliqua le système de la séparation cellulaire durant la nuit avec
travail en commun sous la loi du silence pendant le jour. Dans celui
de Philadelphie, on mit en pratique l'isolement absolu de jour et de
nuit, avec travail solitaire. Ces deux établissements furent l'objet de
visites, d'études et d'écrits nombreux. Ils servirent de modèles, et
bientôt les esprits et les législations se partagèrent entre le système
d'Auburn et le système de Philadelphie. Dans le même temps, Li-
vingstone proposait à la Louisiane des projets de lois pénales et de
lois disciplinaires des prisons que des publications faisaient, partout
connaître.
Cette agitation finit par gagner la France. A la veille de la révolu-
tion de 1830, des hommes éminents y prenaient une part active.
Parmi eux se distinguait surtout par ses ouvrages 1 M. Charles Lucas,

1. Du système pénitentiaire en.Europe et aux Etats-Unis, 1828 à 1830.


EXÉCUTION DES PEINES.
— HISTORIQUE DES ESSAIS DE RÉFORME. 405
qui fut un des premiers et devait rester l'un des principaux promoteurs
de la réforme pénitentiaire dans notre pays.
549. Le gouvernement de juillet 1830 intervint et donna à plu-'
sieurs personnes mission officielle d'aller en Amérique étudier les
pénitenciers d'Auburn et de Philadelphie : en 1831, à MM. de Beau-
mont et de Tocqueville ; en 1839, à M. Blouet, architecte, et à M. De-
metz, qui, la même année, fonda la colonie de Mettray. Les obser-
vations recueillies furent publiées 1. Des missions semblables partirent
de l'Angleterre et de la Prusse, et consignèrent également dans des
écrits leurs appréciations. En même temps, les divers gouverne-
ments d'Europe faisaient mutuellement visiter leurs prisons par des
commissaires.
Enfin des publicistes, parmi lesquels M. Charles Lucas, fondateur
de la colonie du Val d'Yèvre, devenu inspecteur général des prisons,
et M. Bérenger (de la Drôme), conseiller à la Cour de cassation, tous
deux membres de l'Institut, ajoutaient aux missions officielles leurs
travaux particuliers3.
Ainsi éclairé par une longue et sérieuse enquête, le gouvernement
présenta, dans la session de 1840, un projet de loi sur le régime pé-
nitentiaire, embrassant toutes les peines de droit commun privatives de
la liberté et reposant sur le système d'Auburn. La Chambre des dé-
putés ayant trouvé ce système insuffisant, le gouvernement, l'année
suivante, présenta un autre projet qui avait pour base le système de
Philadelphie, mais avec des améliorations destinées à le rendre plus
humain et plus bienfaisant. Ce projet, appuyé comme le premier
par un rapport de M. de Tocqueville, fut adopté le 18 mai 1843. La
Chambre des pairs, immédiatement saisie, ne voulut en délibérer
qu'après avoir consulté les corps judiciaires et les préfets. La Cour de
cassation, la plupart des cours d'appel et des préfets, émirent un avis
favorable. Pareil assentiment fut obtenu d'une commission extraTpar-
lementaire nommée par le ministre de l'intérieur et composée des
hommes les plus compétents. Après quatre années de nouvelles
études, en 1847, le projet de loi qu'avait voté la Chambre des députés

1. Du système pénitentiaire aux Etats-Unis, et de son application en France, par


— Rapports sur les pénitenciers des
G; DE ISEAUMONÏ et A. DE TOCQUEVILLE, 1833.
Etats-Unis, par DEMETZ et BLOUET, 1837.
2. De la réforme des prisons et de la théorie de l'emprisonnement, par Cn. LUCAS,
1836 et 1838.
— Des moyens propres à généraliser en France le système péniten-
tiaire, par BÉRENGER, 1837.
406 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

reparut, amendé par la commission de la Chambre des pairs et sou-


tenu par son rapporteur, M. Bérenger.
Il est probable que la Chambre haute l'aurait adopté dans la session
suivante, si les événements politiques l'avaient permis. Mais la révo-
lution de février 1848 survint et arrêta ce magnifique mouvement de
tant d'esprits généreux qui, depuis vingt ans, concouraient avec pas-
sion à l'une des plus belles conquêtes sociales des temps modernes.
Toutefois, de si grands efforts n'avaient pas été sans quelques résul
tats. Le gouvernement, escomptant le succès de son projet, avait fondé
à Paris deux maisons cellulaires : celle de la Roquette pour les jeunes
détenus, et celle de Mazas pour les prévenus et les accusés. Dans des
circulaires du 2 octobre 1836 et du 9 août 1841, il avait invité les
départements à réparer ou à construire leurs prisons suivant le sys-
tème cellulaire ; des travaux avaient été commencés en ce sens ; dans
une circulaire du 20 août 1849, le ministre de l'intérieur, M. Dufaure,
en autorisa la continuation; de sorte que, au mois d'août 1852,
47 maisons départementales, contenant 4850 cellules, étaient bâties et
occupées, et 15 autres étaient en voie de construction.
Mais, le 17 août 1853, le ministre de l'intérieur, M. de Persigny,
mit entièrement fin, du moins pour vingt ans, à la réforme du système
pénitentiaire par la cellule. Dans une circulaire aux préfets, il déclara
que le gouvernement renonçait à ce régime d'emprisonnement de
création trop dispendieuse et trop lente, pour s'en tenir à celui de la
séparation par quartiers. Ce fut à peine si l'on put sauver les prisons
cellulaires de la Roquette et de Mazas, et achever celles de la Santé et
de la préfecture de police qui étaient commencées.
Au reste, la monarchie de 1830 ne s'était pas uniquement préoc-
cupée du système cellulaire. Elle avait aussi continué l'amélioration
de l'état de choses existant. A l'ordonnance du 2 avril 1817 elle avait
ajouté celles du 6 juin 1830 et du 27 décembre 1843, relatives aux
maisons centrales' ; par une ordonnance du 5 novembre 1847, elle
avait attaché à chaque maison centrale une commission de surveil-
lance. De plus, elle avait encouragé des particuliers à fonder les co-
lonies agricoles de Meltray, du Val d'Vèvre et de Cîteaux, et préparé
ainsi le vote de la loi du 5 août 1850 sur l'éducation et le patronage
des jeunes détenus.
En résumé, la France, après être devenue le centre des Ira-

1. Se reporter cHie_ssus, aux n° 47p et suiv.


EXÉCUTION DES PEINES. HISTORIQUE DES ESSAIS DE RÉFORME. 407

vaux scientifiques et législatifs tendant à la réforme pénitentiaire,
avait, par suite des événements politiques, perdu presque tout le
fruit de son labeur. A l'étranger, au contraire, les doctrines, dis-
cutées encore aux congrès pénitentiaires de Francfort-sûr-le-Mein et
\
de Bruxelles, en 1846 et 1847 avaient été mises en pratique. La
plupart des États d'Europe avaient fait construire des prisons cellu-
laires. L'Angleterre avait, depuis 1838, une législation dont la cel-
lule était le point de départ et, depuis 1842, un pénitencier modèle,
celui de Pentonville. La Belgique avait déjà construit sept prisons
cellulaires ; elle en élevait une autre, celle de Louvain, qui devait
devenir le type le plus parfait du système.
Troisième phase.— 550. Elle correspond à peu près au second
Empire. Elle est caractérisée, en France, par l'abandon du système
cellulaire 2, même dans les maisons construites en vue de ce système
et par le retour aux prescriptions des Codes de 1808 et de 1810, des
ordonnances de 1817, de 1830 et de 1843. On s'appliqua à mieux
exécuter ces prescriptions : la séparation des catégories par quartiers
fut en partie réalisée; celle des sexes, pour laquelle ce mode est in-
suffisant, fut établie au moyen de prisons distinctes ; l'organisation
du travail fut améliorée ; la surveillance des maisons centrales af-
fectées aux femmes fut confiée à des religieuses. D'autre part, l'État
reprit l'administration des maisons départementales. Ce furent là des
efforts sérieux, de réels progrès; et cependant on sait combien notre
système pénitentiaire est demeuré défectueux. C'est que l'on n'avait
pas attaqué ce qui en est le vice capital, la promiscuité. Mais, d'ail-
leurs, il est juste d'ajouter que plusieurs prisons cellulaires furen,
maintenues, que les conséquences de la loi du 5 août 1850 se déve-
loppèrent, que la transportation dans de lointaines colonies fut sub-
stituée aux bagnes par la loi du 30 mai 1854.
A l'étranger, durant cette période, la plupart des établissements
cellulaires antérieurement créés restèrent debout, et d'autres même
furent fondés en Allemagne, en Prusse, en Suède, en Norwège, en
Danemark, en Hollande, en Italie, La loi belge du 4 mars 1870, le
code pénal de l'Allemagne du Nord, dans son article 22, posèrent le
principe de l'emprisonnement cellulaire de jour et de nuit.

1. ORTOLAN (II, p. 103 et suiv.) donne les résolutions prises par ces congrès.
2. Il demeura néanmoins un sujet d'étude. M. BÉRENGER, notamment, y consacr
à l'Académie des sciences morales et politiques, des lectures qu'il, réunit enf
en un ouvrage intitulé : De la répression pénale-, deses formes et de ses effe*
408 DROIT PÉNAL. - SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.

Quatrième phase. — 551. Vers la fin de l'Empire, on sembla com-


prendre que l'on avait fait fausse route et que des améliorations de
détail à un système vicieux en lui-même sont impuissantes envers la
récidive. Un projet relatif au patronage, mis à l'étude à la suite d'un
rapport présenté, le 6 octobre 1869, par le ministre de l'intérieur,
M. de Forcade, venait de réveiller la question pénitentiaire, quand
survint la révolution du 4 septembre 1870.
Mais, cette fois, le temps d'arrêt fut de courte durée. Sur l'initiative
d'un député, M. d'Haussonville, l'Assemblée nationale nomma, le
25 mars 1872, une commission de dix-neuf députés (qui s'adjoignit
elle-même dix-neuf membres choisis en dehors de l'Assemblée), afin
de procéder à une enquête sur le régime des prisons et de lui sou-
mettre toutes les propositions qu'elle jugerait de nature à l'améliorer.
Cette commission comprenait des hommes versés dans la science
pénitentiaire, notamment MM. Charles Lucas, Demetz, Bonneville de
Marsangy, Bérenger (de la Drôme), fils de l'ancien membre de l'In-
stitut. Elle ajouta aux travaux de ses devanciers des recherches per-
sonnelles considérables, prenant l'avis de la Cour de cassation, des
cours d'appel et des préfets, faisant visiter par plusieurs de ses
membres les prisons de l'Allemagne, de la Belgique, de la Hollande,
de la Suisse, de l'Italie, de l'Angleterre, où se tenait, en juillet 1872,
un congrès pénitentiaire, et les établissements de France et de
Corse. M. d'Haussonville fut chargé du rapport sur les résultats de
l'enquête 1. M. Bérenger fit le rapport sur les améliorations propo-
sées 2. Ces nouveaux efforts ont eu enfin pour résultat le triomphe
du principe de la séparation individuelle. Il a été établi, pour les
inculpés et pour les condamnés à la peine d'un an et un jour d'em-
prisonnement, dans une loi du 5 juin 1875.
L'impulsion donnée à la réforme pénitentiaire par la loi de 1875
a été maintenue par des institutions issues de cette loi elle-même :
un Conseil supérieur des prisons qu'elle édictait, une Société géné-
rale des prisons qui s'est ensuite formée à l'image de l'ancienne So-
ciété royale.
Les pays étrangers, de leur côté, avancent de plus en plus dans la
voie où plusieurs sont entrés depuis si longtemps. A son tour, l'Italie

1. V. le Journal officiel,
n° du 21 avril 1874 et n°« suiv. Ce rapport forme aussi
un livre intitulé : Les établissements pénitentiaires en France et aux colonies, 1875.
2. V. le Journal officiel, numéros des 27 et 28 août 1874.
EXÉCUTION DES PEINES
— LOI DU 5 JUIN 1875. 409

a posé dans son nouveau projet de code pénal le principe de l'empri-


sonnement cellulaire. Dans le projet de code portugais, il forme la
base même de la législation pénale. Enfin, le dernier congrès péniten-
tiaire, celui de Stockholm, qui s'est tenu au mois d'août 1878, vient
de l'affirmer encore une fois de la. manière la plus solennelle.

II, — LOI DU 5 JUIN 1875 SUR LA RÉFORME DES PRISONS DÉPARTEMENTALES.

I. Quellesprisons ont été l'objet de la réforme, et quel prin-


cipe en a été la base. — 552. La commission d'enquête reconnut
que toutes les parties de notre système pénitentiaire avaient besoin
d'améliorations, mais elle pensa que l'état des finances n'en permettait
pas une refonte générale; elle se borna donc à demander la réforme
des prisons départementales, qui était la plus urgente.
Le vice essentiel de ces maisons étant la réunion et la vie en com-
mun des détenus, le remède était l'institution de l'emprisonnement
cellulaire ou, suivant l'expression du jour, de la séparation indivi-
duelle. La commission ne pouvait pas hésiter à proposer ce système
qui, de 1830 à 1853, avait eu tous les suffrages, et qui, d'après de
nombreuses enquêtes, avait fait ses preuves en Amérique et en Europe,
surtout dans l'exécution des peines de courte durée.
Et ce fut la séparation continue de jour et de nuit qu'elle demanda,
non pas seulement l'isolement durant la nuit avec le travail en corn"
mun sous la loi du silence pendant le jour. Car, alors même que les
communications verbales ou par signes pourraient être absolument
empêchées, ce qui n'est pas, il faut encore éviter que les détenus se
connaissent; s'ils se sont vus, ils se retrouveront après leur libération,
et ceux qui voudraient mener une vie honnête seront exposés à des
obsessions irrésistibles. Ce n'est pas à dire, toutefois, que chaque dé-
tenu sera isolé du monde entier et enfermé dans la cellule comme
dans une tombe. Tel était, à l'origine, le système' de Philadephie. On.
a reconnu qu'il est trop dur, même dans l'exécution des courtes
peines, et partout on l'a abandonné. Le système cellulaire, tel qu'il
est pratiqué depuis longtemps clans divers États d'Europe, est tout
autre. L'homme en cellule, rigoureusement mis à l'abri du contact de
ses codétenns, doit avoir des communications aussi fréquentes que
possible avec toutes les influences moralisatrices du dehors : avec le
personnel de la prison (directeur, aumônier, instituteur, médecin,
410 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
gardiens, contre-maîtres) ; avec les membres.des commissions de sur-
veillance et des sociétés de patronage dont il sera question plus loin;
avec ceux de ses parents en qui l'on peut avoir confiance. Il doit avoir
du travail, qui lui sera offert s'il est inculpé, qui lui sera imposé s'il
est condamné. Il doit jouir d'un exercice journalier d'une durée suf-
fisante, au grand air.
Ainsi tempéré, le système cellulaire triompha des objections qu'il
avait rencontrées de tout temps, que le rapport de M. Bérenger avait
prévues, et qui furent reproduites dans la discussion 1. En effet : 1° La
statistique de nos maisons départementales, comparée à celle des
établissements de môme nature où se pratique la séparation indivi-
duelle, démontre que dans ces derniers les cas de maladie, de mort,
de folie ou de suicide ne sont pas plus fréquents que dans les autres,
que par conséquent l'isolement n'est pas d'une rigueur excessive. À
la vérité, pour les récidivistes d'habitude, il est beaucoup plus dur
que la vie collective. Mais c'est une qualité précieuse en un régime de
prison, loin d'être un défaut, que de laisser dans l'esprit des libérés
l'impression de la crainte; ils ne s'exposeront pas à rentrer dans la
cellule avec l'insouciance qu'ils montrent quand il s'agit pour eux de
retourner au milieu de leurs camarades. —2° Le travail, absolument
nécessaire aux détenus en cellule, peut.leur être procuré. Il est orga-
nisé dans les prisons étrangères, selon le témoignage réitéré des
commissaires chargés de visiter ces prisons. A Paris, dans la maison
de la Santé où un quartier cellulaire est affecté à l'exécution des
courtes peines, seize métiers différents sont en pleine activité. Il en
est de même à Mazas, dans des conditions cependant bien défavo-
rables, puisque cette maison reçoit surtout les accusés et les pré-
venus, qui ne sont pas astreints au travail. — 3° Si la solitude ab-
solue et prolongée peut affaiblir le ressort de l'âme humaine et rendre
inféconds les enseignements moraux, il n'en est pas de même d'un
isolement de courte durée, interrompu par les visites des gardiens,
des contre-maîtres, de l'instituteur, de l'aumônier, du directeur, des
parents et des personnes appartenant aux commissions de surveillance
ou de patronage, visites qui seront réelles et efficaces, lorsque la popu-
lation des maisons départementales étant bien répartie entre ces
maisons qui sont nombreuses, chacune d'elles aura un effectif peu
considérable.

I, V, au Journal officiel, les séances des 19 et 20 mai, 2 au 5 juin 1875,


EXÉCUTION DES PEINES.
— LOI DU 5 JUIN 1875. 411
Les objections écartées, voici quels sont les avantages du système
cellulaire appliqué aux maisons départementales : 1° Il est le seul
moyen de procurer à l'inculpé réputé innocent l'isolement qui lui est
absolument dû par la société. — 2° Il est le seul moyen de réaliser
les séparations nécessaires, c'est-à-dire d'éviter le contact des indivi-
dus vicieux, véritables ferments de corruption, et de ceux qui, malgré
leur faute,, peuvent être ramenés au bien. — 3° Il est le seul moyen
d'empêcher que la prison n'offre aux malfaiteurs des facilités parti-
culières pour se concerter en vue de nouvelles entreprises délic-
tueuses. — 4° Les prisonniers ne s'étant pas vus, ne s'étant pas
connus, le libéré devenu honnête homme sera désormais à l'abri
des sollicitations et des menaces de ceux qui auront passé dans la
même prison sans se corriger. — 5° Ces derniers garderont le souve-
nir salutaire d'un isolement beaucoup plus pénible que la vie com-
mune. —
6° Enfin, le système cellulaire se prête à l'amendement mo-
ral des condamnés dans la faible mesure où il est permis de le tenter
sur des individus que l'on ne gardera que quelques mois (neuf mois
au plus, comme on va bientôt le voir).
II. A quels détenus là réforme a été appliquée.
— 553. On a
tout d'abord accordé le bénéfice du nouveau système à tous ceux qui
n'ont pas encore été jugés ; à leur égard, c'était pur devoir social. On

».
l'a fait dans l'article premier : « Les inculpés, prévenus et accusés
seront à l'avenir individuellement séparés pendant le jour et la
nuit.
554. Quant aux condamnés, il était impossible, à raison de l'état des
finances, d'appliquer le nouveau système à tous ceux qui ont été
frappés d'emprisonnement. Il fallait donc lui poser des limites. On y
a soumis, en premier lieu, la population des maisons départementales
telle qu'elle se trouvait déterminée par les ordonnances de 1817 et de
1830. On l'a étendu, ensuite, aux individus qui ont été condamnés à
un an et un jour d'emprisonnement et sont ainsi devenus passibles
d'une aggravation de peine, au cas de récidive (art. 57 et 58 du Code
pénal) ; on a pensé que le régime cellulaire aurait sur eux un meilleur
effet,,que celui des maisons centrales. On l'a, enfin, offert comme une
faveur 1 aux autres condamnés. Ce sont les articles 2 et 3 de la loi qui

1. V. au sujet de ce caractère de l'emprissonnement cellulaire accordé aux indi-


vidus frappés d'un emprisonnement de plus d'un an et un jour, les observations de
M. GARRAUD dans la Revue critique de légis lation et de jurisprudence, 1877
p. 482 et suiv.
412 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
circonscrivent ainsi l'étendue d'application du système cellulaire :
l'
« Seront soumis à emprisonnement individuel les condamnés à
l'emprisonnement d'un an et un jour et au-dessous. Ils subiront
leurs peines dans les maisons de correction départementales. —
Les condamnés à un emprisonnement de plus d'un an et un jour
pourront, sur leur demande, être soumis au régime de l'emprison-
nement individuel. Ils seront, dans ce cas, maintenus dans les
maisons de correction départementales jusqu'à l'expiration de
leur peine, sauf décision contraire prise par l'administration, sur
l'avis de la commission de surveillance de la prison. »
III. Réduction de la durée de la peine subie en cellule. —
555. Le nouveau système avait un inconvénient relatif, celui de rendre
l'emprisonnement encouru pour les délits les moins graves et subi
dans les maisons départementales plus rigoureux que la détention
infligée dans les maisons centrales. Pour y remédier, on a suivi
l'exemple donné par les législations étrangères : on a réduit la durée
de la peine. C'est l'objet de l'article 4 : « La durée des peines, sous le
régime de l'emprisonnement individuel, sera de plein droit réduite
d'un quart. » Ainsi, les tribunaux continueront à appliquer, comme
auparavant, la loi pénale; puis, après la condamnation, surviendra la
loi sur l'exécution de la peine, et, par une opération purement mathé-
matique, la durée de la peine se trouvera abrégée d'un quart à rai-
son du temps passé en cellule. Toutefois, « la réduction ne s'opérera
pas sur les peines de trois mois et au-dessous », parce que, jusque
là, l'isolemeut n'a pas acquis un degré de rigueur suffisant pour qu'il
y ait lieu d'en tenir compte. Et, de même, « elle ne profitera, dans
le cas prévu par l'article 3, qu'aux condamnés ayant passé trois
mois consécutifs dans l'isolement et dans la proportion du temps
qu'ilsy auront passé ». Le dernier membre de cette phrase signifie
que, pour l'isolement volontaire, les trois mois une lois accomplis
apporteront leur contingent dans le calcul de réduction de la peine,
et il faut en dire autant de l'isolement forcé. En résumé, le maxi-
mum de durée ne sera jamais, pour les peines subies nécessairement
en cellule, que de neuf mois.
IV. Disposition destinée à assurer l'exécution de la loi sui-
vant son esprit. — 556. L'article 5 est le dernier qui soit relatif à
l'organisation du système cellulaire. Il contient une garantie donnée
aux adversaires de la loi. Comme ils manifestaient la crainte que la
loi ne fût appliquée dans un esprit différent de celui qui l'avait in-
EXÉCUTION DES PEINES.
— LOI DU 5 JUIN 1875.
413
spirée, on leur répondit de la manière suivante : ce Un règlement
d'administration publique fixera les conditions d'organisation du
travail, et déterminera le-régime intérieur des maisons consacrées à
l'application de l'emprisonnement individuel. »
V. Quels sont les moyens d'exécution de la loi.
— 557. La
commission avait constaté, dans les rapports de MM. d'Haussonville et
Bérenger, que la situation créée aux départements et à l'État par le
décret de 1811 et par la loi du 25 mai 1855 1 rendait difficile, pres-
que impossible toute réorganisation des maisons départementales.
Elle en avait conclu que la propriété de ces maisons devait être
restituée à l'État. Mais quand il s'agit d'en venir à la pratique, elle
n'osa pas proposer une mesure si radicale. D'après son projet (art. 6,
7, 8 à 11), les départements étaient seulement mis dans l'obligation
de faire les constructions ou réparations nécessaires à l'application
du nouveau régime et de contribuer avec l'État aux dépenses de ces
travaux. Ce projet lui-même fut repoussé par le ministre des finances,
qui évalua à 100 millions le coût des 18 000 cellules à ajouter aux
7500 cellules existantes, et déclara que le Trésor ne pouvait s'enga-
ger dans de telles dépenses. En vain la commission fit-elle observer
que ces dépenses ne seraient pas faites en une fois, mais se réparti-
raient sur une vingtaine d'années au moins ; le ministre persista
dans sa résistance. La commission céda, afin de sauver le principe
de la loi qui, après tant d'efforts prodigués depuis 1830, était encore
sur le point de succomber. C'est ainsi que l'on s'est borné aux moyens
d'exécution tout à fait insuffisants qui sont indiqués dans les articles
6, 7 et 8 : « A l'avenir, la reconstruction ou l'appropriation des
prisons départementales ne pourra avoir lieu qu'en vue de l'ap-
plication du régime prescrit par la présente loi. Les projets, plans
et devis seront soumis à l'approbation du ministre de l'intérieur, et
les travaux seront exécutés sous son contrôle. — Des subventions
pourront être accordées par l'Etat, suivant les ressources du budget,
pour venir en aide aux départements, dans les dépenses de recon-
struction et d'appropriation. Il sera tenu compte, dans cette fixation,
de l'étendue des sacrifices précédemment faits par eux pour leurs
prisons, de la situation de leurs finances, et du produit du centime
départemental. Elles ne pourront en aucun cas dépasser la moitié
de la dépense pour les départements dont le centime est inférieur à

1. Se reporter ci-dessus, au n° 527.


414 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
20000 francs, le tiers pour ceux dont le centime est supérieur à
20 000 francs, mais inférieur à 40 000 francs, le quart pour ceux
dont le centime est supérieur à 40 000 francs. Le nouveau régime
pénitentiaire sera appliqué au fur et à mesure de la transforma-
tion des prisons. » Ainsi, les départements ne sont nullement obligés
de reconstruire ou de réparer leurs prisons en vue d'appliquer le sys-
tème cellulaire ; ils doivent seulement, s'ils veulent bien faire des
travaux, les diriger en ce sens. Par contre, l'État ne s'est pas engagé,
à prendre sa part des dépenses ; il est simplement autorisé à venir en
aide aux départements au moyen de subventions et dans une certaine
mesure.
VI. Du conseil supérieur des prisons.
— 558. Afin de consti-
tuer un gardien fidèle et actif du nouveau principe, il fut dit, dans
l'article 9 et dernier : * Un conseil supérieur des prisons, pris parmi
les hommes s'étant notoirement occupés des questions pénitentiaires,
est institué auprès du ministre de l'intérieur, pour veiller, d'ac-
cord avec lui, à l'exécution de la présente loi. Sa composition et
ses attributions seront réglées par un décret du Président de la Ré-
publique, D Ce conseil a été établi par un décret du 3 novembre 1875.

III. — THÉORIES DE RÉFORME GÉNÉRALE.

559. L'innovation décrétée par la loi du 5 juin 1875 pourrait être


le point de départ d'une réforme générale embrassant, non pas les co-
lonies ou maisons pénitentiaires, auxquelles suffiraient des améliora-
tions, ni les établissements affectés à la déportation ou à la détention,
qui ne donnent lieu à aucune critique sérieuse, mais ceux où sont mis
à exécution l'emprisonnement de plus d'un an et un jour, la réclusion
et les travaux forcés; Cette réorganisation devrait-elle avoir aussi pour
unique base la prison cellulaire, comme le décidait le projet de loi
voté par la Chambre des députés, le 18 mai 1843? C'est ce que je
vais examiner, dans une étude aussi brève que possible, où je passerai
en revue les divers systèmes qui ont été préconisés et pour la plu-
part éprouvés comme modes d'exécution des peines de longue durée.
Ces systèmes sont au nombre de six : 1° la vie commune, employée
à des travaux de colonisation, dans de lointains pays; 2° le même ré-
gime dans des pénitenciers agricoles situés en France, en Corse ou
en Algérie ; 3" le système d'Auburn ; 4° le système de la vie cellulaire
EXÉCUTION DES PEINES. THÉORIES DE RÉFORME GÉNÉRALE. 415

continue; 5° le système anglais actuel, consistant en une série d'é-
preuves graduées jusqu'à la libération; 6° un système analogue ré-
sultant delà vie cellulaire et de la libération préparatoire combinées.

1° De la transportation aux colonies.

560. L'Angleterre a fait de la transportation une expérience qui


permet d'en juger la valeur comme mode général d'exécution des
longues peines 1. La voici en quelques mots. De 1718 à 1776, l'Angle-
terre transporta aux Antilles et en Amérique tous les individus frappés
d'un emprisonnement de plus de trois ans. Elle les livrait à des arma-
teurs, qui les emmenaient et les cédaient a prix d'argent aux planteurs,
pour le temps de leur peine. Ces éléments impurs contribuèrent à
jeter les bases de la grandeur de l'Amérique. Mais la colonie, devenue
forte, coupa court à la transportation en se séparant de la métropole.
De 1788 à 1868, l'Angleterre transporta ses condamnés en Australie.
Après de grandes difficultés, le succès vint, avec l'émigration libre, et
grandit très vite. Mais, dès l'année 1837, la nouvelle colonie, en voie
de prospérité, éleva des plaintes contre la transportation. L'Angleterre
instruite par les leçons d'un passé récent, y fit droit. Elle restreignit
la transportation, successivement et de plus en plus, en 1837,
en 1847, en 1853, en 1857, en 1864, en modifiant chaque fois
son système pénitentiaire. En 1868, après quatre-vingts ans, elle y
renonça.
Ainsi, la transportation peut, durant un certain temps, faire le
fond du système pénitentiaire d'un peuple, à deux conditions. Il faut,
que ce peuple ait pour colonies des continents ou des îles aussi
grandes que des continents. Il faut que dans ces colonies afflue une
population d'émigrants assez nombreuse pour former à la nouvelle so-
ciété des cadres puissants, pour donner du travail aux condamnés
repentants durant le cours et à l'expiration de leur peine, à ceux
d'entre eux du moins qui sont incapables d'exploiter des concessions
de terre, et enfin pour les recevoir et les confondre tous en elle. Le
problème du reclassement des libérés se trouve ainsi résolu en partie;

1. L'histoire de la transportation anglaise a été racontée clans plusieurs ouvrages,


notamment dans une Etude sur la question des peines, de M. MICHAUX, actuellement
direcleur des colonies au ministère de la marine, et pour qui la transportation est
le meilleur mode d'exécution des peines privatives de la.liberté. Voy. aussi la Co-
Ionisation pénale de l'Angleterre en Australie, par M. DE BLOSSEVILLE.
416 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,

en partie seulement, car il reste toujours une forte part de ces élé-
ments dont l'assimilation est impossible. Mais il arrive invariable-
ment, après un temps plus ou moins long, que la nouvelle société,
se sentant en état de se suffire elle-même, n'ayant plus besoin des
transportés, leur ferme ses portes.
Dès lors il serait chimérique à nous de songer à la transportation
comme base du système pénitentiaire., La France n'obtiendrait même
pas le succès relatif et passager qu'a eu l'Angleterre.
561. La transportation, chez nous, n'est appelée à remplir qu'un
rôle accessoire.
Elle pourra demeurer ce qu'elle est aujourd'hui, le mode d'exécu-
tion des travaux forcés. Et encore, dans cette mesure restreinte, pour
qu'elle produise de bons résultats, faudra-t-il que la Nouvelle-Calé-
donie (l'avenir de la Guyane est bien douteux) reçoive en plus grande
abondance des colons volontaires, que les transportés y soient tous
retenus à jamais, et enfin que l'on y transfère des femmes condamnées
en nombre suffisant pour fonder des familles, en même temps que l'on
y conduirait, avec leur consentement, les femmes et les enfants des
condamnés qui les demanderaient et seraient en état de les nourrir.
Au reste, même ainsi améliorée, la transportation présentera toujours
un inconvénient fort grave. La plupart des condamnés aux travaux
forcés, sans affection pour le sol natal, séduits par les perspectives
trompeuses d'un changement d'existence et d'une liberté relative,
estiment la transportation moins dure que la réclusion. Il se commet
même un certain nombre de crimes, dans les maisons centrales, en
vue d'une condamnation aux travaux forcés 1. De là il résulLe que
l'échelle des châtiments est renversée ; dans l'esprit des condamnés,
la peine la plus haute est la moins rigoureuse; un tel système péni-
tentiaire est une excitation à la récidive 2.

1. De même il arrive assez souvent que les détenus des maisons départementales
envient le sort des réclusionnaires, parce que les maisons centrales sont mieux or-
ganisées.
2. Le gouvernement a déposé, le 20 mars 1879, sur le bureau de la Chambre des
députés, un projet de loi ainsi conçu : « Lorsque, à raison d'un crime commis dans
une prison par un détenu, la peine des travaux forcés à temps ou à perpétuité est
appliquée, la cour d'assises ordonnera que celte peine sera exécutée dans une mai-
son centrale, pendant la durée qu'elle déterminera et qui ne pourra être inférieure
au temps de réclusion ou d'emprisonnement que le détenu avait à subir au moment
du crime. Les mesures édictées par l'article 614 du Code d'instuclion criminelle
pourront lui être appliquées sans qu'il puisseétre soumis pendant plus d'une année
à l'emprisonnement cellulaire. » (Journal officiel du 5 avril 1879.)
EXÉCUTION DES PEINES. THÉORIES DE RÉFORME GÉNÉRALE. 417

La transportation pourrait aussi, dans un système pénitentiaire dif-
férent du système actuel, constituer le dernier terme de la peine in-
fligée aux grands criminels non condamnés à mort; elle n'aurait lieu
qu'après un long emprisonnement cellulaire.
Peut-être, enfin, pourrait-elle être également un moyen de débar-
rasser la France des récidivistes incorrigibles.

2° Dés pénitenciers agricoles 1.

562. Des pénitenciers seraient établis dans les régions de France,


de Corse et d'Algérie où des territoires étendus sont demeurés incul-
tes. Les condamnés y seraient employés aux travaux des champs, dont
l'influence moralisatrice a été éprouvée sur les jeunes détenus des co-
lonies agricoles. Après s'être amendés, ils obtiendraient, aux alen-
tours des pénitenciers, des concessions de terre et y fonderaient des
familles. Ce serait de la colonisation à l'intérieur. Mais un tel système
ne résiste pas au premier examen. Il aurait, à un plus haut degré
encore, tous les défauts de la transportation. Moins durable qu'elle,
aussi fécond en mirages et en déceptions, il ne serait pas seulement
le renversement de l'échelle des peines, il ferait du crime et de la
peine un moyen de parvenir. Les établissements agricoles ne peuvent
occuper, dans le système pénitentiaire, qu'une place très secondaire ;
elle sera marquée plus loin 2.

3° Du système d'Auburn.

563. On sait que le système d'Auburn est celui de l'emprisonne-


ment, avec séparation cellulaire des détenus pendant la nuit, et travail
en commun, dans des ateliers, sous la loi du silence, pendant le jour.
Il est encore pratiqué, même pour les peines de longue durée, dans
quelques États de l'Allemagne, en Italie et en Belgique, surtout dans
la prison de Gand 3. Mais les nombreuses enquêtes qui ont été faites,
à diverses époques, sur les maisons de ce genre ont démontré que l'o-

1. Ce système a été indiqué par un député, M. BOUCHET, dans la discussion de la


loi du 5 juin 1875.
2. Les pénitenciers agricoles 'de la Corse, qui d'ailleurs, par suite de circon-
stances particulières.ont assez mal réussi, emploient les condamnés aux travaux des
champs, mais sans leur promettre les avantages inhérents au système qui vient d'être
examiné.
3. Il l'est aussi à Paris, dans un quartier de la prison de la Santé.
27
418 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
bligation du silence ne peut être sérieusement imposée sans un moyen
dégradant pour les condamnés et qui nous répugne, le fouet, le seul
châtiment qui suive immédiatement la faute et qui puisse se répéter
aussi souvent que la faute elle-même. De plus, si l'on parvenait à
soumettre les détenus au silence, on leur infligerait un supplice non
moins dur que la solitude absolue. Enfin, l'on n'atteindrait pas entiè-
rement le but : le silence n'empêcherait pas les détenus de se voir,
de se connaître, de communiquer entre eux par signes et par gestes,
d'agir par là dès maintenant les uns sur les autres, et de se retrouver
après leur libération 1. Ainsi la loi du silence, alors même qu'elle ré-
gnerait vraiment dans les prisons, ce qui est presque impossible, ne
serait pas un obstacle à la contagion. Il faut ajouter, d'autre part,
que la réunion des condamnés dans les ateliers et dans les préaux
rendrait difficile, comme aujourd'hui, l'intervention des agents mora-
lisateurs^ tels que le directeur, l'aumônier, les commissions de sur-
veillance et les sociétés de patronage.

4» De l'emprisonnement cellulaire continu.

564. Le système de l'isolement continu de nuit et de jour au moyen


de la cellule est repoussé, pour l'exécution des longues peines, par
un certain nombre de législations qui l'ont adopté pour les peines de
courte durée. Ainsi, la Suisse ne l'admet que jusqu'à douze mois ; la
Hollande, la Suède et le Hanovre jusqu'à deux ans. Le code de l'Alle-
magne du Nord, dans son article 22, en a posé le principe, mais en
ajoutant que la durée n'en pourrait excéder trois ans, si ce n'est avec
le consentement du condamné. Même règle en Autriche. Le Dane-
mark le prolonge jusqu'à trois ans et six mois; la Norvège, jusqu'à
quatre ans 2. D'après l'article 13 du projet de code pénal italien, les
condamnés, soumis d'abord à la cellule, obtiennent ensuite, s'ils le
méritent, le travail en commun sous la loi du silence. Enfin la Bel- •
gique, dans un quartier cellulaire de la maison de Gand, et surtout
dans celle de Louvain, l'applique à toutes les peines, avec un ma-
ximum de dix ans 3.

1. V. le rapport de M. D'HAUSSONYILLE, Les établissements pénitentiaires, p. 206


et suiv.
2. V. les déclarations de M. STEVENS, au congrès de Stockholm, dans la Science
pénitentiaire au congrès de Stockholm, de MM. DESPORTES et LEFEBURE, p. 57.
3. Il est aussi appliqué dans un quartier de la maison de la Santé et dans celle
de Mazas, à Paris.
EXÉCUTION DES PEINES. THÉORIES DE RÉFORME GÉNÉRALE. 419

565. Les objections que soulève le système cellulaire, quand il s'a-
git simplement d'en faire le mode d'exécution des courtes peines 1, se
reproduisent avec bien plus de force à l'égard des peines de longue
durée. Cependant quelques-unes, dans l'opinion des deux rapporteurs
de la commission d'enquête qui a fait voter la loi du 5 juin 1875, et
d'après le témoignage précis des chiffres qu'ils ont donnés, sont ré-
solues par les faits : le régime cellulaire ne serait pas plus funeste à
la santé ni à la raison des détenus que la vie collective. Or on en con-
naît les précieux avantages : répression plus sévère, intimidation
plus grande, suppression de tout contact corrupteur des détenus les
uns avec les autres, suppression de tout lien de camaraderie qui unirait
malgré eux, après leur libération, les hommes repentants auxincorrigi-
Mes. Mais, au point de vue de l'amendementmoral des condamnés, ce ré-
gime donne lieu à de sérieuses critiques. C'est qu'en effet il est abso-
lument impropre à préparer les condamnés à la vie libre, comme l'a
dit M. Bérenger dans les termes suivants : « N'est-il pas à craindre
qu'un isolement prolongé, au lieu de fortifier l'âme, ne la rende fai-
ble, morne, inerte, ne l'amène à la prostration? Et alors, où sera l'ef-
ficacité des enseignements moraux, s'ils s'adressent à une âme inca-
pable de les comprendre? Et puis, est-ce en ôtant au condamné
l'habitude et jusqu' à l'occasion de la lutte qu'on prétend le fortifier
contre les tentations de la liberté? Ne comprend-on pas que, dans le
milieu factice qu'on lui crée, sa force s'épuise, et qu'on le livre sans
défense à la récidive au lieu de l'en préserver? » Tel est le côté dé-
fectueux de ce système pratiqué d'une manière absolue et exclusive. Il
est vrai que les Belges croient à son efficacité et à la diminution des
récidives de la part des libérés de la maison de Louvain; mais il ne
paraît pas qu'ils aient des documents précis pour en faire la preuve.

5° Du système consistant en épreuves graduées que pratiquent l'Angleterre et


l'Irlande 3.

566. Le système anglais actuel est né des résistances de l'Australie


à la transportation. Il a été introduit et successivement développé par
les'bills de 1837, de 1847, de 1853, de 1857 et de 1864, au furet à me-
sure des restrictions que recevaient les envois aux colonies. Gomme
autrefois, l'Angleterre a trois peines principales : l'emprisonnementde

1. Se reporter ci-dessus, au n° 552.


2. Comp. ORTOLAN, ,11, n° 1517.
420 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,

courte durée pour les petits délits, la servitude pénale pour les délits
graves, la mort pour les grands crimes. C'est la servitude pénale qui,
substituée à la transportation, fait le fond de son système pénitentiaire.
Elle se compose d'une série d'épreuves graduées qui sont les suivantes :
1° Les condamnés sont soumis à un emprisonnement cellulaire de
neuf mois, dans un certain nombre de pénitenciers dont les principaux
sont ceux de Perth en Ecosse, de Milbanck et de Pentonville en Angle-
terre. Cet emprisonnement, paraît-il, est moins un instrument de mo-
ralisation qu'un moyen d'observation et de discipline; il sert à dompter
et assouplir le caractère des condamnés en vue de la seconde épreuve. '
2° Les condamnés sont transférés dans un établissement de travaux

publics, à Portland, Portsmouth, Chatam, etc., où ils vont su-
bir la servitude pénale proprement dite, organisée de manière à les
conduire, s'il est possible, à l'amendement moral. Dans ce but, les
détenus, séparés durant la nuit, mais réunis pour des travaux com-
muns pendant le jour, sont divisés en quatre classes ou catégories,
correspondant a leur degré de moralité. Chacun d'eux, après être
entré dans la quatrième classe, peut s'élever successivement jusqu'à
la première, en obtenant des marques de bonne conduite : au maxi-
mum, par mois, trois pour la discipline, trois pour le travail, trois
pour l'école. A l'inverse, l'inconduite, selon la gravité et la fréquence
des fautes, fait perdre des marques, puis redescendre dans une classe
inférieure, et enfin revenir à la prison cellulaire. Ainsi, cette insti-
tution des marques permet de constater en quelque sorte jour par jour
le degré d'amendement des détenus; elle leur fait comprendre que
leur sort dépend d'eux. — 3° Les condamnés de la première classe
qui ont gagné le nombre de marques nécessaire sont aptes à recevoir,
à titre de récompense, la libération préparatoire. Ils sortent de la
prison, munis d'un billet de liberté (ticket ofleave). La liberté qu'ils
acquièrent ainsi est révocable, subordonnée à la condition d'une
bonne conduite. Donnent-ils des sujets de plainte, ils sont ramenés aux
travaux publics. Traversent-ils avec succès cette dernière épreuve, ils
arrivent, au moment de l'expiration de leur peine, à la liberté défini-
tive. La libération préparatoire souleva d'abord des critiques très
vives; mais c'était au temps où le système des marques durant la pé-
riode de servitude pénale n'existait pas encore; et, d'ailleurs, afin de
rassurer l'opinion, les bills de 1864, 1869 et 1871 ont soumis les por-
teurs de tickets à des mesures qui ont quelque analogie avec notre sur-
veillance de la haute police.
EXÉCUTION DES PEINES. THÉORIES DE RÉFORME GÉNÉRALE. 421

Ce système a été complété, en 1856, en Irlande, sur l'initiative du
directeur des prisons de ce pays, lejcapitaine sir Walter Crofton, par
l'institution des maisons intermédiaires. Ces maisons offrent aux con-
damnés en état de libération préparatoire un asile où ils doivent ren-
trer chaque nuit, et, en cas de chômage, un refuge où ils trouvent une
hospitalité temporaire. Ainsi perfectionné, le système anglais prend
le nom de système irlandais. L'Angleterre et l'Irlande, paraît-il, s'ap-
plaudissent des résultats qu'il a donnés.

6° Du système consistant en épreuves graduées, que proposent des publicistes


français 1.

567. Plusieurs publicistes français proposent un système qui con-


sisterait en phases successives ou épreuves graduées, comme le
système anglais, mais qui s'en distinguerait par la substitution de
l'emprisonnement cellulaire à la servitude pénale. Il serait une com-
binaison de l'emprisonnement cellulaire pur, prolongé pendant la
moitié de la durée de la peine, et de la libération préparatoire ac-
cordée vers la fin, séparés l'un de l'autre par une période intermé-
diaire, celle de l'admission dans la classe des détenus amendés. La
peine aurait donc trois phases.
Première phase : emprisonnement cellulaire 2. — 568. L'empri-
sonnement cellulaire serait infligé aux condamnés pendant la moitié
de la durée de leur peine, qui d'ailleurs serait réduite dans des pro-
portions considérables et suivant une progression analogue à celle
qu'a établie la loi belge du 4 mars 18703. On estime que la servir

1. Notamment ORTOLAN, II, n°5 1426-1490; — BONNEVILLE DE MARSANGY, Institu-


tions complémentairesdu système pénitentiaire, p. 201-274; — BÉRENGER, Rapport,
passim; — Les conclusions du congrès de Stockholm sont aussi très voisines de ce
système.
2. Sur ce point, voir principalement ORTOLAN, II, nos 1426-1484.
3. Loi belge du 4 mars 1870 : « Les condamnés aux travaux forcés, à la déten-
tion, à la réclusion et à l'emprisonnement seront, pour autant que l'état des prisons
le permettra, soumis au régime de la séparation. Dans ce cas, la durée des peines
prononcées par les cours et tribunaux sera réduite dans la proportion suivante : des
3/12 pour la première année; des 4/12 pour les deuxième, troisième, quatrième,
cinquième années; des5/12 pour les sixième, septième, huitième, neuvième années;
des 7/12 pour les treizième et quatorzième années; des 8/12 pour les quinzième et
seizième années; des 9/12 pour les dix-septième, dix-huitième, dix-neuvième et
vingtième années. Los condamnés aux travaux forcés à perpétuité et les condamnés
à la détention perpétuelle ne pourront être contraints à subir le régime de la sépa-
ration que pendant les dix premières années de leur captivité. »
422 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
tude pénale, malgré toutes les mesures prises en vue de l'amende-
ment des condamnés, et bien que très supérieure au régime d'Auburn,
a encore quelques inconvénients graves : les condamnés se voient, se
connaissent, peuvent dès maintenant agir les uns sur les autres et
plus tard se retrouver. La séparation cellulaire seule est de nature à
supprimer tout contact pernicieux. Il vrai que, s'il est prolongé, ce
régime devient très rigoureux. Mais on s'appliquerait à le rendre
supportable : les commnnications fréquentes des détenus avec le di-
recteur, avec les gardiens contre-maîtres, avec l'aumônier, avec l'in-
stituteur, avec les membres des conseils de surveillance et des sociétés
de patronage, avec leurs parents, s'il était possible, en adouciraient
les rigueurs ; le travail en serait la distraction constante ; le classe-
ment parmi les amendés et la libération anticipée en seraient l'espé-
rance, Sans doute encore la vie collective, quand elle est surveillée
et bien dirigée, sert de préparation à la vie libre ; mais la libération
préparatoire y suppléerait.
569, Le travail serait conduit pas l'administration elle-même, avec
ses agents servant d'intermédiaires et, au besoin, de contre-maîtres. Ce
serait lé système de la régie substitué à celui de l'entreprise. Toute
pensée de spéculation en serait écartée. On s'appliquerait à enseigner
à chaque détenu un métier destiné à devenir pour lui, après sa libé-
ration, un moyen d'existence. A la vérité, l'État n'aurait, dans une
telle organisation, que de la peine sans profit pécuniaire ; mais quel
ne serait pas le profit moral !
Du produit donné par le travail on ferait quatre parts. — La pre-
mière constituerait la masse de réserve. Nécesaire à tous les détenus,
devant être égale pour tous ceux qui subissent la même peine, sans
distinction des faibles et des forts, des malades et des valides, elle
,
serait formée au moyen de prélèvements fixes, d'autant plus considé-
rables que la durée de la peine serait plus brève. Elle s'arrêterait au
maximum de deux cents francs. — La seconde part serait affectée au
pécule disponible, c'est-à-dire accordée aux détenus dans le cours
même de leur peine, à titre de récompense. Elle consisterait, par
conséquent, pour chacun, en un tant pour 100 sur le gain de son tra-
vail. Elle ne pourrait cependant pas s'élever au-dessus d'un certain
maximum. — La troisième part serait employée en réparations of-
fertes aux personnes lésées. — La quatrième demeurerait à l'État,
pour couvrir en faible partie ses dépenses.
570. L'émulation serait développée chez les détenus par l'espoir
EXÉCUTION DES PEINES. THÉORIES DE RÉFORME GÉNÉRALE. 423

d'entrer, après cette première phase, dans la classe des amendés et
d'obenir ainsi un notable adoucissement de leur peine. Aux termes
de l'article 22 du règlement général des prisons du 30 octobre 1841,
chaque condamné doit avoir un compte moral, ouvert au moyen d'un
bulletin individuel, sur lequel le directeur ou le gardien chef, l'au-
mônier, l'instituteur et les membres de la commission de surveillance
doivent inscrire leurs observations et avis. Ces comptes moraux se-
raient tenus avec soin ; ils correspondraient aux marques du système
anglais et serviraient à mesurer la marche de l'amendement des
détenus ; ils aboutiraient à un ,tableau sur lequel seraient portés '
comme amendés, après avoir subi la moitié de la durée de leur peine,
les détenus dont les notes auraient été satisfaisantes1. A l'inverse, les
détenus qui auraient eu une mauvaise conduite non seulement de-
meureraient assujettis pendant toute la durée de leur peine au ré-
gime de la cellule, mais auraient à souffrir un temps de prison sup-
plémentaire, soit par une prolongation directe de leur peine, soit
par la déduction, dans le calcul de sa durée, des jours de punition
qu'ils auraient encourus.
Deuxième phase : inscription au tableau des amendés. —
571. Les détenus inscrits au tableau d'amendement auraient une
situation meilleure. Ils seraient admis à recevoir dans leur cellule
des commandes de travail venues du dehors, et de plus fortes grati-
fications leur seraient réservées. Ils pourraient même être placés
hors de la prison, chez un maître, patron ou propriétaire, qui pren-
drait en location leur travail. De ces relations naîtraient pour eux le
désir et l'espoir d'être employés, après leur libération, par les per-
sonnes qui auraient ainsi mis leur bonne volonté à l'épreuve.
Troisième phase : libération préparatoire. — 572. La libéra-
tion préparatoire serait accordée aux détenus amendés après un
temps d'expiation qui serait, suivant M. Bonneville de Marsangy 2,
des 5/6 de la peine pour les condamnés aux travaux forcés à temps,
des 4/5 pour les condamnés à la réclusion, des 3/4 pour les condamnés
à l'emprisonnement.
Le principe de la libération préparatoire est, depuis longtemps
déjà, connu et même éprouvé en France. Dès l'année 1832, le 3 dé-
1. V. BONNEVILLE DE MARSANGY, Des diverses institutions complémentaires du sys-
tème pénitentiaire, p. 144-146.
2. Sur la libération préparatoire, il faut consulter surtout BONNEVILLE DE MAR-
SANGY, Des diverses institutions complémentaires du système pénitentiaire, p. 201-
724; De l'amélioration de la loi criminelle, I, p. 593-624; II, p. 28-173.
424 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
cembre, une circulaire ministérielle le recommandait à l'égard des
jeunes détenus, et, quelques années plus tard, on l'appliqua aux mi-
neurs de seize ans enfermés à la Roquette. L'expérience avait lieu à
Paris, par conséquent dans des conditions bien défavorables. Elle
eut cependant un plein succès. Et comme la prison de la Roquette
était alors une maison cellulaire, il faut remarquer qu'un premier
essai du système exposé ici fut fait à cette époque. Au reste, la pra-
tique de la libération préparatoire pour les jeunes détenus se répan-
dit ailleurs et fut notamment admise à Lyon, à Rouen, à Strasbourg.
Partout elle donna de bons résultats. Aussi le projet de loi voté par
la Chambre des députés en 1843 avait-il un article 28 ainsi conçu :
« Les enfants condamnés en vertu de l'article 69 du Code pénal et
ceux détenus en vertu de l'article 66 pourront être placés en appren-
tissage, soit chez des cultivateurs, des artisans ou des industriels,
soit dans des établissements spéciaux, avec la réserve expresse pour
l'administration du droit d'ordonner leur réintégration dans les mai-
sons spécifiées par l'article 26. » Depuis, cette disposition a été re-
prise ; elle forme l'article 9 de la loi du 5 août 1850 : « Les jeunes
détenus des colonies pénitentiaires peuvent obtenir, à titre d'é-
preuve et sous des conditions déterminées par un règlement d'ad-
ministrationpublique, d'être placés provisoirement hors de la colo-
nie. » On peut même dire que le principe de la libération prépara-
toire a été étendu aux transportés et aux déportés ; car les concessions
de terres et les engagements autorisés par les articles 11 et 12 de la
loi du 30 mai 1854 pour les premiers, l'établissement hors du ter-
ritoire de la déportation permis, pour les seconds, par l'article 15
de la loi du 25 mars 1873, ne sont pas autre chose qu'une sorte délibé-
ration préparatoire.
Il ne serait donc pas téméraire d'appliquer aussi la libération pré-
paratoire aux détenus qui auraient subi l'emprisonnement cellulaire
durant la plus grande partie de leur peine, et qui seraient jugés
dignes de cette faveur. Au reste, on ne l'accorderait qu'à deux con-
ditions : 1° Il faudrait qu'une personne honorable, s'intéressant au
condamné, se portât caution pour lui, c'est-à-dire s'engageât à lui
procurer du travail et à surveiller sa conduite; 2° le libéré serait tenu
de ne point quitter la commune qui 'lui aurait été assignée comme
lieu de résidence. De plus, et ceci est de l'essence même de l'institu-
tion, l'administration garderait le droit d'ordonner à toute époque la
réintégration du libéré dans la prison.
EXÉCUTION DES PEINES. THÉORIES DE RÉFORME GÉNÉRALE. 425

Ainsi organisée, la libération préparatoire serait un puissant
moyen d'exciter à l'amendement les détenus, et ensuite d'éprouver à
l'air libre, pendant un certain temps, les libérés, avant de les rendre
entièrement à eux-mêmes.
Considérations générales. — 573. Tel est, dans ses grandes lignes,
le système que proposent plusieurs publicistes français. Il nécessite-
rait certainement de grandes dépenses et ne pourrait réussir que par
un effort dévoué et constant de toutes les personnes appelées aie mettre
en pratique. Mais s'il était appliqué dans ces conditions, et si ensuite
venaient s'y ajouter les institutions complémentaires qui vont suivre,
il y a lieu de penser qu'il tarirait en partie deux des sources pre-
mières de la récidive, c'est-à-dire la corruption dans la prison et le
passage subit de la prison à la liberté. Les causes dérivées et immé-
diates du mal, répulsion des honnêtes gens, défaut de travail et misère,
en seraient d'autant diminuées. Le jour de sa rentrée définitive dans
la société, le libéré, pourvu d'un livret qui lui aurait été accordé
comme suprême récompense de sa bonne conduite durant le temps de
sa libération préparatoire, muni de quelques ressources pécuniaires,
sachant un métier, appuyé par les personnes qui l'auraient déjà sou-
tenu, inspirant par conséquent moins de défiance, trouverait plus aisé-
ment de l'ouvrage, serait moins exposé aux tentations de la faim et
retomberait moins souvent dans le crime.
574. Ce système embrasserait les trois peines de l'emprisonnement,
de la réclusion et des travaux forcés, qui, au fond, se résument en
une, la privation de la liberté. La peine, étant unique, aurait un
seul nom, celui d'emprisonnement. Mais comme elle varierait de
gravité et de durée suivant la nature des délits, elle serait, comme
les délits, de trois classes : il y aurait l'emprisonnement de simple
police, l'emprisonnement pour délits et l'emprisonnement pour
crimes, auxquels correspondraient trois sortes de prisons portant les
mêmes dénominations; car ces distinctions ont une influence morale
importante sur les esprits.
Toutefois, quant à l'emprisonnement à perpétuité, comme on ne
pourrait sans cruauté l'infliger dans toute sa rigueur, il serait subi
pendant un certain temps, puis commué en une transportation aux
colonies. La transportation serait ainsi l'équivalent de la libération
préparatoire et pourrait conduire à la grâce. Dans ce nouveau rôle,
elle ne saurait être considérée comme moins exemplaire que certaines
peines inférieures.
CHAPITRE II

DES INSTITUTIONS ACCESSOIRES OU COMPLEMENTAIRES


LU SYSTÈME PÉNITENTIAIRE

575. Les institutions accessoires du système pénitentiaire sont de


trois sortes : l°les commissions de surveillance, dont la fonction est
de contrôler le régime des établissements où les peines sont exécutées;
2° le patronage des libérés, qui sert à faciliter aux individus animés
de bonnes intentions le passage de la prison à la vie libre; 3° la sur-
veillance de la haute police, qui suit, après leur libération, les indi-
vidus réputés dangereux.
.

I. — DES COMMISSIONS DE SURVEILLANCE.

576. Aux termes d'une ordonnance du 5 novembre 1847, à chaque


maison centrale doit être attachée une commission de surveillance,
composée du préfet, président, du premier président de la cour, du
procureur général, du président du tribunal civil, du procureur près
ce tribunal, de deux membres du conseil général, de deux membres
du conseil d'arrondissement, du maire de la commune.
Aux termes d'une ordonnance du 9 avril 1819, une commission de
surveillance doit être instituée près de chaque maison départementale.
Le préfet en est le président; le premier président de la cour et
le procureur général, dans les villes où siège une cour d'appel, le
président du tribunal civil et le procureur près ce tribunal, dans les
autres villes, en sont membres de droit; les autres membres doivent
être choisis par le préfet.
Aux termes des articles 8 et 18 de la loi du 5 août 1850, un con-
seil de surveillance doit être formé près de chaque colonie ou maison
pénitentiaire de jeunes détenus. Pour les colonies de jeunes garçons,
EXÉCUTION DES PEINES.— COMMISSIONS DE SURVEILLANCE. 427

ce conseil est- composé d'un délégué du préfet, d'un ecclésiastique


désigné par l'évêque du diocèse, de deux délégués du conseil général
et d'un membre du tribunal civil élu par ses collègues. Pour les
maisons de jeunes filles, il se compose d'un ecclésiastique désigné
par l'évêque et de quatre dames désignées par le préfet.
577. Lors de l'enquête parlementaire, il fut constaté que l'ordon-
nance du 5 novembre 1847 était demeurée lettre morte. Celle
du 9 avril 1819 avait été entravée dans son exécution par des causes
diverses, notamment par la création des directeurs départementaux,
qui avait été une cause de découragement ou de conflits pour les
commissions des maisons départementales; en sorte que dix de ces
commissions seulement répondirent au questionnaire qui leur avai'
été adressé. Les commissions concernant les colonies et maisons péni-
tentiaires étaient, au moins nominalement, en fonction.
A cette époque, deux circulaires, l'une du 20 mars 1870, l'autre
du 20 juin 1872, venaient de prescrire la réorganisation des com-
missions de surveillance. Il faudrait, en effet, qu'elles fussent réta-
blies. Il y a une difficulté concernant celles qui ont été instituées près
des maisons départementales; elle tient à la coexistence des directeurs
départementaux, qui ont un rôle semblable; on pourrait l'écarter par
une délimitation précise des attributions des uns et des autres.
Les commissions de surveillance rendraient des services même dans
l'état de choses actuel. Elles auraient bien plus d'utilité encore si l'on
adoptait le système de l'emprisonnement cellulaire combiné avec la
libération préparatoire. On sait, en effet, que ce régime ne peut pro-
duire de bons résultats que si l'administration se prête à entourer
les détenus d'influences bienfaisantes. Les commissions de surveil-
lance veilleraient à empêcher les abus; elles visiteraient les prison-
niers, leur donneraient des encouragements, noteraient leurs dispo-
sitions et leurs progrès, contribueraient à établir leurs comptes
moraux, à décider leur inscription au tableau des amendés et leur
libération préparatoire; elles se consulteraient avec les sociétés de
patronage pour trouver aux détenus amendés des maîtres et du
travail.

II. — DU PATRONAGE DES LIBÉRÉS.

578. Le système pénitentiaire actuel, plus propre à corrompre


qu'à corriger les détenus durant leur emprisonnement, les rend subi-
428 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES,
tement à la liberté, et souvent alors les jette dénués de tout par les
villes et les campagnes 1. C'est une grande imprudence. Le patro-
nage y mettrait fin.
579. En Angleterre, le patronage est admirablement organisé 2. En
France, on ne s'en est préoccupé d'abord qu'en faveur des jeunes libérés
et au temps où s'agitait la question pénitentiaire. En 1833, une asso-
ciation se fonda à Paris, sous le nom de Société pour le patronage
des jeunes libérés du département de la Seine, et sous la présidence
de Bérenger (de la Drôme). Elle existe encore. En outre de son
budget, elle reçoit de l'État une subvention pour chaque libéré dont
elle assume la surveillance. Elle a obtenu un plein succès. Après s'être
trouvée, au début, en présence d'un chiffre de 75 pour 100 de réci-
dives, elle l'a progressivementabaissé jusqu'à 5 pour 100. Des sociétés
semblables se sont établies.à Lyon, à Strasbourg, à Bordeaux, à Rouen,
à Fontevrault, à Toulouse, à Marseille 3, etc. Aussi la loi du 5 août
1850 a-t-elle consacré le principe du patronage dans son article 19 :
« Les jeunes détenus sont, à l'époque de leur -libération, placés sous
» patronage de l'assistance publique,pendanttrois années au moins. »
Elle a même ajouté, dans son article 21, qu'un règlement d'administra-
tion publique en déterminerait le mode. Mais ces dispositions sont
assez négligées dans la pratique, et le règlement annoncé n'a pas été
fait''. En 1876, sur2258 jeunes garçons et jeunes filles sortis des pri-
sons et établissements pénitentiaires, 39 seulement furent confiés à
des sociétés de patronage ou à des institutions d'assistance 6. Il est
vrai que 484 furent placés par les soins des directeurs ou directrices
comme ouvriers, ouvrières, domestiques, etc. Quoi qu'il en soit, le
plus grand nombre rentrèrent dans leurs familles, ce qui pour beau-
coup était revenir au foyer de corruption d'où ils avaient été tempo-
rairement éloignés.

1. V. les tableaux que donne la Statistique des prisons de 1876 aux pages LXXVII,
CLXXXVI et CLXXXIX.
Le nombre des libérés, en 1876, a été de 7366 individus sortis des maisons cen-
trales, de 2258 individus sortis des établissements d'éducation correctionnelle; de
17,8128 individus sortis des maisons départemeulales.
2. V. D'HAUSSONVILLE, Les établissements pénitentiaires, p. 516 et suiv. —RIBOT,
Revue des deux Mondes, numéro du 15 février 1873,
3. V. D'HAUSSONVILLE, Les établissemetits pénitentiaires, p. 514.
4. V. D'HAUSSONVILLE, Les établissements pénitentiaires, p. 513.
5. V. dans la Statistique des prisons de 1876, les tableaux qui sont aux pages
CLXXXVI et CLXXXIX.
EXÉCUTION DES PEINES.
— PATRONAGE DES LIBÉRÉS. 429
Quant au patronage des libérés adultes, aucune loi n'en a fait
mention, et la charité privée elle-même, pendant longtemps, s'en est
tenue éloignée. A peine avait-elle ouvert, çà et là, à certaines caté-
gories de libérés quelques refuges ou asiles, et fondé pour les femmes
ou les jeunes filles des institutions de bienfaisance aussi restreintes
dans leur cercle d'action que peu nombreuses 1. Mais, depuis 1869,
cette longue inertie a pris fin. A cette époque, a été créée par le pasteur
Robin la Société"de patronage pour les libérés protestants. Deux ans
après; M. de Lamarque fondait la Société générale de patronage des
libérés, qui, par un décret du 4 novembre 1875, a été reconnue
comme établissement d'utilité publique. L'impulsion était donnée.
Depuis, des sociétés de patronage se sont formées ou sont en voie de
se former par toute la France 2.
Le gouvernement seconde ces efforts de l'initiative-privée par des
circulaires où il invite les commissions de surveillance des prisons
à se constituer en même temps sociétés de patronage en s'adjoignant
d'autres membres 3 ; aux encouragements il ajoute quelques secours
pécuniaires.
580. Le patronage est une institution bienfaisante, quel que soit
le régime pénitentiaire en usage, puisque déjà, dans ces dernières
années, il a donné de bons résultats. Mais combien ne serait-il pas
plus efficace s'il venait à la suite de l'emprisonnement cellulaire et
de la libération préparatoire, auxquels il semble si intimement lié !
Au reste, il devrait être différent suivant qu'il s'appliquerait aux
jeunes libérés ou aux adultes. Pour les premiers, dont la chute est
due le plus souvent, soit au défaut d'éducation ou même aux mau-
vais exemples reçus dans leur famille, soit à l'abandon et à la misère,
et qui vont retrouver les mêmes écueils, il serait une continuation
des soins qui leur ont été donnés durant leur internement, une
sorte de tutelle. Quant aux libérés adultes, il faudrait distinguer,
parmi eux (et le nouveau système pénitentiaire le permettrait), ceux
qui sortent de prison avec l'intention de marcher dans la voie du

1. V. au Bulletin de la Société générale des prisons du 27 aodt 1877, l'énuméra-


tion que M. LEFÉBURE en fait dans un rapport sur le patronage des adultes.
2. M. F. DESPORTES, au congrès de Stockholm, a déclaré que les sociétés for-
mées étaient au nombre de trente (La science pénitentiaire au congrès de Stockholm,
p. 234).
3. V. les circulaires et instructions ministérielles du 15 octobre 1875, du ler juin
1876, du 10 juin 1877, dans le Bulletin de la Société générale desprisons du 27 août
1877, p. 84 et suiv.
430 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
bien; eux seuls seraient secourus par le patronage. De plus, il ne les
secourrait pas comme les jeunes libérés en les couvrant de sa protec-
tion et de sa sollicitude; il s'attacherait simplement à écarter d'eux
les obstacles particuliers que leur suscite leur qualité de libérés, dans
les premiers temps de la sortie de prison. Ce serait facile envers ceux
qui auraient subi avec succès l'épreuve de la libération préparatoire, et
même envers ceux qui, sans avoir obtenu cette faveur, auraient été
classés parmi les détenus amendés ; car les uns et les' autres seraient
entrés déjà en relation avec des personnes du dehors qui devien-
draient pour eux un appui ; pour les autres, il y aurait plus de diffi-
cultés, mais elles ne seraient pas insurmontables. Ainsi les sociétés de
patronage, dont les membres auraient accès dans les prisons et comp-
teraient parmi les influences moralisatrices placées près des détenus,
auraient pour mission principale de s'entremettre en faveur des libérés,
afin d'éloigner d'eux le mauvais vouloir. Elles seraient également
chargées du soin de surveiller l'emploi de la masse de réserve ménagée
aux libérés par l'administration; car ce pécule ne doit pas être laissé
à la disposition des libérés, qui seraient tentés de le dépenser folle-
ment et tomberaient presque aussitôt dans la misère. Enfin, au cas
d'insuffisance du pécule, les sociétés de patronage pourraient encore
accorder aux libérés de légers secours. A cet effet, elles auraient un
budget alimenté par les dons des particuliers et par les subventions
de l'État.
581. Le patronage, même bien organisé, ne saurait suffire à tous les
besoins; il se trouvera toujours, parmi les libérés animés de bonnes
intentions, un certain nombre d'individus demeurés sans travail, sans
ressources. Ne pourrait-on pas créer pour eux, en Algérie, des colo-
nies agricoles qui leur serviraient de refuge 1?

III. — DE LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE 2.

582. Avant la loi du 23 janvier 1874, le régime de la surveillance


de lahaute police était celui qu'avait institué la loi de revision de 1832;
car le décret du 24 octobre 1870 l'avait rétabli. Ce régime avait

1. V. ORTOLAN, II, n" 1493.


2. V. ci-dessus, pour l'ensemble dos règles concernant la surveillance de la haute
police, les n°s 388-422, et, spécialement pour le mode d'exécution de cette peine,
les n»« 390-395.
EXÉCUTION DES PEINES.
— SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE. 431
soulevé des critiques aussi justes que vives l. Pour les libérés sortis
de prison avec de mauvais desseins, il manquait d'efficacité : le droit
de choisir leur résidence était une invitation à se rendre là où ils
espéraient trouver des complices dé nouveaux désordres; la faculté
de se déplacer sans cesse n'était autre chose que la liberté du vaga-
bondage avec toutes ses conséquences. Pour les libérés qui sortaient
de prison avec de bonnes intentions, il formait lui-même un obstacle
insurmontable à leur reclassement dans la société. Les rigueurs qu'on
lui reprochait, à ce point de vue, étaient surtout les suivantes : 1° La
feuille de route, marquée de la lettre C, avec laquelle les libérés de-
vaient se rendre à leur résidence, les signalait d'abord, durant leur
voyage, comme des repris de justice; 2° la loi que l'administration
imposait aux surveillés du même lieu de se présenter de temps en
temps, le même jour, soit à la mairie, soit au bureau du commissaire
de police, pour faire constater leur présence, avait un double incon-
vénient : celui de faire de nouveau connaître, et cette fois à toute la
population de la localité où ils devaient vivre, leurs antécédents, et
celui de les mettre en rapport les uns avec les autres ; 3° les procédés
des autorités subalternes achevaient de divulguer leur qualité, et, en
leur faisant perdre toute confiance de la part des habitants, leur en
levaient toute possibilité de travail.
583. Tel était le mal. Parmi les remèdes suggérés, le plus radical étai t
a suppression complète de la surveillance. Il fut proposé, mais sans
Wccès, lors de la discussion de la loi de 1874. Un autre consistait à
distinguer entre les libérés amendés et ceux qui, ne s'étant pas cor-
rigés dans la prison, sont à bon droit réputés dangereux. Ceux-là
auraient été exempts de toute surveillance ; pour ceux-ci, il eût fallu
rétablir les rigueurs du premier et du second Empire. Mais dans
l'étal de choses actuel, où l'on ne peut fonder que sur de vagues pré-
somptions des degrés divers de moralité parmi les détenus, un tel
système était impraticable. Les auteurs de la loi du 23 janvier 1874,
du décret du 30 août 1875 qui l'a complétée, et d'une circulaire
du 5 novembre 1875 explicative de ces actes, se sont arrêtés au main-
tien et à l'amélioration de la loi de 1832. En principe, une règle com-
mune est imposée à tous ceux qui d'après la loi encourent le renvoi
sous la surveillance, règle plus sévère à certains égards, plus douce à

1. Sur ce point, V. surtout BONNEVILLE DE MARSANGY, Des diverses institutions


complémentaires du régime pénitentiaire, p. 327-522.
432 DROIT PÉNAL. — SYSTÈME GÉNÉRAL DES PEINES.
d'autres points de vue que la précédente; puis la justice et l'adminis-
tration sont autorisées à user soit d'exceptions, soit de tempéraments
à cette règle.
584. Comme sous l'empire, de la loi de 1832, les surveillés ont.le
droit de choisir et de changer le lieu de leur résidence. Mais ils doi-
vent, quinze 'jours avant leur libération, indiquer celui qu'ils ont
choisi, afin que l'administration puisse examiner s'il n'existe pas
quelque raison de l'interdire; et, de plus, ils ne pourront le quitter
à moins de motifs exceptionnels, qu'après l'avoir habité pendant six
mois. Voilà comment on a tenté de rendre la surveillance plus efficace.
D'autre part, on a essayé d'en atténuer les inconvénients en la rendant
temporaire, avec un maximum de vingt ans, là où elle était perpé-
tuelle; en décidant que la feuille de route délivrée aux libérés pour se
rendre au lieu de leur résidence ne porterait plus la lettre C, mais une
autre indication de nature à n'être comprise, on l'a cru du moins, que
des autorités et de la police ; enfin, en dispensant les surveillés, arrivés
au lieu de leur résidence, de quelques-unes des formalités anté-
rieures. Tel est le nouveau régime. On a pensé qu'il conciliait les
nécessités de la sécurité publique avec les droits de la liberté indivi-
duelle. N'est-ce pas une illusion?
585. Les exceptions et tempéraments que la règle peut recevoir
méritent plus de confiance. Tout d'abord, les juges ont le pouvoir
d'abréger la durée légale de la surveillance ou même d'en exempter
absolument ceux envers qui elle serait, dans leur opinion, une mesure
funeste. De plus, si la surveillance a été ordonnée ou maintenue, ce
ne sera plus d'une manière irrévocable. Désormais, elle pourra être
remise ou réduite par voie de grâce, suspendue par mesure adminis-
trative. Il sera donc possible de tenir compte de l'amendement moral
des condamnés.
586. Sile système de l'emprisonnement cellulaire combiné avec la
libération préparatoire était adopté, que deviendrait la surveillance
de la haute police? Assurément les individus qui auraient passé par
la libération préparatoire et même ceux qui auraient été simplement
portés sur le tableau des amendés devraient en être entièrement
exempts; et ce ne serait pas un des moindres bienfaits du nouveau
régime. Quant aux libérés non amendés, lequel vaudrait le mieux, de
s'en tenir au système des lois de 1832 et de 1874, ou de revenir,
comme on l'a conseillé 1, au principe de la résidence forcée qu'ont ap-
1. BONNEVILLE DE MARSANGY, Des diverses institutions complémentaires du sys-
EXÉCUTION DES PEINES.
— SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE. 433
pliqué les lois de 1810 et de 1851? Je crois, après les expériences
réitérées qui ont été faites des deux modes de surveillance, que le
moins mauvais est le mode actuel, dont le trait caractéristique est de
laisser aux surveillés une certaine liberté de se mouvoir. La loi de
1874, plus sévère que celle de 1832, mais bien plus douce encore que
celles de 1810 et de 1851, me paraît préférable à ces lois dracon-
niennes. Assigner au surveillé un lieu de résidence où souvent il ne
trouvera pas de travail et d'où cependant il ne devra jamais sortir,
c'est le réduire, dans bien des cas, à la rupture de ban ou à la mort.
Dans l'opinion contraire, on a bien dû prévoir les dangers de la ré-
sidence forcée. Que propose-t-on pour y remédier? Il est impossible,
dit-on, de l'indiquer d'une manière générale; on prendra des mesures
différentes selon les individus et les localitésl. Réponsebien vague à une
question fort embarrassante. On ajoute que le gouvernement pourrait
créer pour les libérés sans ressources une déportation en Algérie, que
là il leur serait plus facile de se régénérer, que ce serait pour eux un
véritable bienfait 3. Mais c'est là principalement le défaut du système. -
Après être parti de l'idée que rien ne sera trop dur pour les libérés
dangereux, voici qu'on propose de faire pour eux autant que pour les li-
bérés amendés ; car c'est à ces derniers, et à eux seuls, dans le cas où,
1

malgré leurs efforts et ceux des sociétés de patronage, ils ne trouve-


raient pas de travail en France, que devraient s'ouvrir les colonies
algériennes. Et d'ailleurs l'Algérie souffrirait peut-être des colonies
de libérés amendés, mais non la présence d'hommes dangereux,
expulsés de France.

tème pénitentiaire, p. 436, suiv. Cet auteur, il est vrai, écrivait sous l'empire de la
loi de 1832. Aurait-il trouve suffisantes les nouvelles sévérités de la loi de 1874?
1. V. BONNEVILLE DE MARSANGY, loc. cit., p. 516 et suiv.
2. V. BONNEVILLE DE MARSANGY, loc. cit., p. 441 et suiv.

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