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Origines et

évolution du
droit pénal en
France
Julien Lacabanne

Julien Lacabanne est doctorant en droit et science


politique. Il est diplômé des facultés de Toulouse, Nantes
et Montpellier. Il a travaillé en collaboration avec les
Universités de Paris Descartes, du Luxembourg et du
Québec à Montréal. On lui doit des travaux sur le
consociationalisme dont une publication préfacée par
Arend Lijphart et Franz Clément. Il est également
spécialiste des questions de protection sociale et
notamment de l’assurance vieillesse.

Julien Lacabanne is a Law and Political Science PhD


student. He holds degrees of Toulouse, Nantes and
Montpellier Universities (with honors). He worked with
the Universities of Paris Descartes, Luxembourg and
Québec in Montréal. He published an Introduction to
consociational democracy prefaced by Arend Lijphart and
Franz Clément.
Julien Lacabanne - 2018

Dès lors que l’on retrouve une trace de vie en société, on trouve des traces de règles pénales.
Mais alors, jusqu’où peut-on remonter pour atteindre les premières manifestations du droit pénal? Et
bien en vérité, jusqu’aux origines du monde. À partir du moment où il y a eu une organisation sociale,
est apparue l’organisation d’une justice qui avait pour objet de faire respecter des règles permettant
aux individus de vivre ensemble. C’est donc à partir de ce moment, à l’instant même où sont nés les
premiers groupes sociaux, que vont apparaître les premières manifestations du droit pénal. Les
premières traces de justice pénale se sont, d’abord et pendant longtemps, incarnées par ce que l’on
appelait la « justice privée ». Cette justice a dans un premier temps assuré le respect de la norme. Elle
s’exerçait au sein d’une famille (au sens de l’époque de la famille polynucléaire élargie et nombreuse).
L’autorité sur la famille était confiée au pater familias qui détenait le pouvoir d’exercer la justice
(faire respecter l’ordre ; une justice donc privée voire domestique). Cette justice privée était exercée de
façon différente en fonction des personnes impliquées dans le litige. Tout d’abord, première
hypothèse, si l’auteur de l’infraction et la victime appartenaient à la même famille, la justice était
rendue par le paterfamilias qui décidait seul des sanctions à appliquer. En effet, dans les sociétés
primitives, le paterfamilias avait tout pouvoir pour rendre la justice et pour apprécier quelles sanctions
seraient le mieux appropriées (la peine de mort était une sanction particulièrement courante).
Deuxièmement, seconde hypothèse, si l’auteur de l’infraction et la victime n’appartenaient pas à la
même famille, la situation devenait plus délicate car on se trouvait en présence de deux paterfamilias
distincts aptes à sanctionner. L’Histoire du droit pénal montre que dans les cas où l’auteur de
l’infraction et la victime appartenaient à des familles différentes, on avait recours à ce qu’on appelle la
« vengeance privée » (sorte de guerre entre les deux familles). Les issues étaient diverses. Par 1
exemple, faute de combattants, une des deux familles pouvait mettre fin au conflit. Dans ce cas, il était
fréquent que la famille de l’auteur de l’infraction remette ce dernier à la famille de la victime ; laquelle
en faisait ce qu’elle voulait. Tout ceci nous permet donc de constater qu’à l’époque, la justice n’était
pas très élaborée et particulièrement cruelle.

Petit à petit, c’est l’Église (le pouvoir religieux) qui va essayer de tempérer la cruauté de cette justice.
Pour atténuer ce surplus de cruauté, l’Église va prendre deux grandes initiatives. Tout d’abord, il va y
avoir la détermination de certains lieux dans lesquels la justice privée ne pourra plus intervenir
(églises, monastères, couvents). Cela signifiait que la personne qui se réfugiait dans ces lieux était
protégée par le pouvoir de l’Église. Cette première initiative est sans doute la base de ce que l’on
appelle aujourd’hui le « droit d’asile » qui permet, et ce de manière constitutionnelle en France, de
placer une personne sous la protection d’un État. On va ainsi voir se mettre en place des juridictions
ecclésiastiques. Ensuite, deuxième initiative, l’Église va instituer des moments pendant lesquels la
justice privée ne pourra plus s’exercer. Quels sont ces moments ? En vérité, ce sont tous les moments
de fête : naissance, mariage, fêtes religieuses mais également les instants de deuil.

Sous cette influence de limites, progressivement, c’est le pouvoir qui va s’intéresser à la justice pénale.
Progressivement donc, le pouvoir va se rapprocher de la justice en considérant que c’est un moyen de
faire respecter l’ordre établi sur tout le territoire (moyen d’assoir l’autorité publique). La prise en main
de la justice pénale par le pouvoir a été un moyen de fonder son autorité. La justice est donc devenue
totalement publique et à la veille de la Révolution, nous trouvons dans l’histoire de notre droit pénal,
les premiers textes, les premiers écris. Car, ne l’oublions pas, les premières manifestations du droit
pénal sont orales ; la tradition écrite ne verra le jour qu’en 1670 avec les premières grandes
ordonnances de Colbert ; desquelles découlera le droit pénal moderne. L’évolution du droit pénal nous

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Origines et évolution du droit pénal en France

enseigne une chose essentielle : au fil du temps, nous sommes passés de la justice privée (la
« Vendetta ») à la juste sanction.

A] La naissance du droit pénal moderne :


Historiquement, on date l’apparition du droit pénal dit « moderne » vers la fin du XVIIIème
siècle ; c’est-à-dire juste après la Révolution française de 1789. Pour comprendre pourquoi ce droit
pénal moderne s’est constitué, pourquoi on a eu besoin de le codifier, il nous faudra étudier quelle était
l’essence de ce droit pénal et comprendre son évolution ; de la fin de la Révolution aux codifications
napoléoniennes.

1) Le droit pénal à la fin de l’Ancien Régime :

Au XVIème et XVIIème siècles, le droit pénal est placé sous l’autorité de l’État. Ce droit, organise le
procédé, le fonctionnement et le mécanisme de la justice pénal. À la fin de l’ancien régime le droit
pénal présente trois traits caractéristiques. Tout d’abord, il se caractérisait par « l’arbitraire du juge ».
Ensuite, il s’illustrait par une « particulière cruauté de la sanction ». Enfin, ce droit pénal était
marqué par « l’inégalité des personnes ».

L’arbitraire du juge découlait à l’époque de la conception que le pouvoir royal avait du droit pénal à
travers lequel il voyait la possibilité de sanctionner les infractions commises. À l’époque, le pouvoir
royal considérait que le droit pénal devait reposer sur des textes très généraux qui avaient pour seule
fonction de déléguer le pouvoir du Roi au juge pour l’exercice de la justice. Il n’existait à l’époque, en
droit pénal, que deux articles. Le premier disposait que : « Il appartient au juge, sur délégation du
2 pouvoir royal, de déterminer les infractions qui portent atteinte à l’autorité et à la souveraineté de
l’État » ; on voit donc que cet article donnait une liberté quasi-totale au juge pour apprécier les
infractions. Autrement dit, dans l’Ancien Régime, le juge fait ce qu’il veut en fonction de ses propres
convictions. On constate également, à l’époque, qu’il y a une assimilation totale entre la règle morale
et la règle pénale (tout ce qui est contraire à la morale chrétienne va être constitutif d’infractions
pénales). Le second article tiré de l’ordonnance criminel disposait que « Lorsque le juge a caractérisé
l’infraction, celui-ci a toute liberté pour prononcer une peine exemplaire ». Autrement dit, le juge
n’applique pas une sanction déterminée, il l’invente carrément ; la sanction est donc laissée à sa seule
imagination.

À l’époque, comme la prison n’existait pas (en tout cas pas de manière généralisée), la sanction avait
pour objectif de faire souffrir l’auteur de l’infraction. Le juge dans son arrêt de condamnation
énonçait, et ce de manière très précise, comment devait se dérouler l’exécution de la sanction. Souvent
la sanction, qui se résumait par des châtiments corporels, était particulièrement cruelle (ex  certains
membre du corps de l’auteur de l’infraction étaient amputés, brûlés, sauvagement arrachés, etc…).
D’ailleurs, il n’y a pas que la sanction qui était cruelle : tout le procès pénal était habité par cette
cruauté. En effet, avant que le juge statue sur la responsabilité, toute personne soumise à un procès
pénal était soumise à une « question préparatoire ». En fait, le juge avait déjà imaginé des mesures
pour obtenir un aveu. Cette question préparatoire n’était rien d’autre qu’un supplice corporel qui, dans
la majorité des cas, incitait vivement la personne « interrogée » à avouer l’infraction pour laquelle on
la soupçonnait ; et ce même si elle était totalement innocente.

Parmi les grands classiques de la question préparatoire, on pouvait trouver ce que l’on appelait la
« question de l’eau » qui consistait à faire avaler de force, à une personne accusée, une certaine
quantité d’eau. Certains avaient droit à la variante classique qu’était la « question à l’huile » et qui

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consistait à faire chauffer de l’huile pour y plonger une partie du corps de l’accusé. Après la question
préparatoire, c’est-à-dire après que l’aveu ait été obtenu, on passait à la phase décisive du procès et la
nature de la condamnation était imaginée par le juge.

Condamnation de Ravaillac (assassin d’Henri IV) jugé par le parlement de Paris


« Il (Ravaillac) sera tenaillé aux mamelles, aux bras et aux cuisses ; ensuite, il sera jeté sur ces
parties du plomb fondu et de l’huile bouillante ; la main droite qui a tenu l’instrument du crime
sera coupée et brûlée ; son corps sera attaché sur quatre chevaux et les chevaux seront lancés au
galop ; enfin le corps sera consumé au feu, réduit en cendre et jeté au vent ».

Quant à l’inégalité de la répression enfin, elle se manifeste à plusieurs égards. D’abord, il y a une
« inégalité de classe » car on voit très bien que, à l’époque, la justice n’est pas rendue de la même
manière selon que la personne poursuivie est noble, clerc ou roturier (justice de classe qui reproduit les
inégalités sociales). La deuxième inégalité est une « inégalité géographique » puisqu’on constate que
les parlements de l’époque n’ont pas la même interprétation de la sanction. Par exemple, l’inégalité se
manifeste par le fait que l’on n’est pas jugé de la même manière au parlement de Paris et au parlement
de Toulouse dans la mesure où les pratiques de la sanction sont locales. Enfin, la troisième et dernière
inégalité, s’illustre par l’application des règles de procédures. Ces règles ne sont pas similairement
appliquées en fonction du parlement qui jugera l’affaire.

L’affaire Calas
Il s’agit d’un commerçant toulousain (le Sieur Calas), vendeur de tissus et issu d’une famille
particulièrement connue dans la ville rose. Calas, protestant de longue date, a été accusé
d’avoir tué son fils retrouvé pendu au motif que ce dernier voulait se convertir à la religion 3
catholique. Ce sont des rumeurs excessives de personnes connaissant bien la famille Calas qui
vont déclencher l’ouverture d’une procédure ainsi que le report de tous les soupçons sur le
père de famille. Effectivement, à Toulouse, il était de coutume d’admettre qu’une rumeur
valait un quart de preuve ; ainsi avec quatre rumeurs on obtenait une preuve complète et avec
une preuve on faisait un coupable (si l’affaire Calas avait été portée devant le parlement de
Bordeaux, ces rumeurs n’auraient eu aucune importance). Calas jugé, sera condamné à mort
par l’intermédiaire du « supplice de la roue ».

Après la mise à mort du Sieur Calas, Voltaire se saisit de l’affaire pour dénoncer la justice de l’Ancien
Régime (justice qui, selon le philosophe des Lumières, n’en est pas une). Voltaire va se déchainer en
s’appuyant sur l’affaire Calas, et ce à tel point qu’il démontrera que le père Calas n’était en vérité pour
rien dans les faits qui lui étaient reprochés ; ce qui permettra à la famille Calas d’être réhabilitée.
Voltaire part donc en guerre avec d’autres grands philosophes des lumières contre la justice de
l’Ancien Régime. Tout cela va durer jusqu’à une date fondamentale en matière pénal : 1764 date à
laquelle un avocat italien, Beccaria, va imaginer une nouvelle forme de justice qu’il développera dans
un ouvrage (un traité) intitulé : Des délits et des peines. Ce traité va être diffusé dans tous les pays et
va recevoir un accueil triomphal car il va apporter une solution aux maux de l’Ancien Régime et il va
permettre aux révolutionnaires, quelques temps plus tard, de proposer une véritable réforme du droit
pénal.

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2) Le droit pénal intermédiaire :

Ce droit intermédiaire apparait avec la Révolution française de 1789. C’est durant cette période
que va être profondément réformée la justice ; réforme largement appuyée sur les idées de Beccaria.

Le traité (Des délits et des peines) de Beccaria est, il est bien juste de le dire, une œuvre magistrale
qui est d’ailleurs toujours le pilier du droit pénal actuel. Beccaria observe les justices pénales de
l’époque en Europe et va les comparer. De cette analyse par comparaison, Beccaria constate que les
principaux défauts de cette justice se résument par la liberté totale laissée au juge (le juge a trop de
pouvoirs). Beccaria en conclut alors que si on veut améliorer le droit pénal, il faut encadrer les
pouvoirs du juge voire les supprimer. Autrement dit, il faut demander au juge d’appliquer la norme et
non pas de la créer ou de l’inventer. Il faut supprimer le pouvoir du juge pour ne plus se contenter des
ordonnances criminelles qui laissent toute liberté au juge pénal.

Ce constat fait pas Beccaria a été également fait par les grands philosophes des Lumières. En effet,
tous dénoncent mais peu nombreux sont ceux qui proposent des alternatives au fonctionnement en
vigueur ; ce qui est souvent le cas des gens qui critiquent puisque « la critique est aisée mais l’art est
difficile ». Voltaire, Rousseau et Diderot ne s’étaient contentés que de la critique ; seul Beccaria a su
proposer un remède en émettant l’idée de remplacer le pouvoir du juge par le pouvoir de la Loi : « ce
n’est pas le juge qui doit définir les infractions, il ne doit pas imaginer la sanction. Infractions et
sanctions ne peuvent être prévues que par la volonté générale : celle du peuple en corps » (et la
manifestation du peuple en corps c’est la Loi). Ainsi, c’est Beccaria qui va proposer que soit adopté le
principe de la « légalité des délits et des peines » : « Le droit pénal doit s’organiser sur le fondement
du principe de la légalité des délits et des peines » dit-il. Mais quel est véritablement la signification
de ce principe dit de la légalité des délits et des peines ? Ce principe signifie simplement qu’il ne peut
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pas y avoir d’infractions sans loi. Autrement dit, c’est la loi qui dit quel comportement est ou n’est pas
une infraction et mérite donc ou non une sanction. Ce principe signifie également qu’il ne peut pas y
avoir de sanctions sans loi. Avec ce principe, il en est donc fini de la cruauté et de l’arbitraire des
peines. C’est une révolution dans le monde juridique puisqu’on propose un autre système. Beccaria, à
travers son ouvrage, propose donc cette possibilité.

Pour les révolutionnaires, la justice d’Ancien Régime était la justice à abattre ; cela se comprend
d’ailleurs quand on sait que cette justice n’était en rien un modèle d’égalité. Les révolutionnaires
voient en Beccaria la possibilité de sortir des vices de la justice d’Ancien Régime. Dans la Déclaration
des droits de l’Homme et du Citoyen, on trouve à l’article 8, une consécration du principe de la
légalité des délits et des peines : « Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi promulguée
antérieurement à l’infraction et légalement appliquée ». La loi est donc dans l’esprit des
révolutionnaires générale et abstraite. Autrement dit, toutes les personnes commettant les mêmes faits
sur le territoire seront donc jugées de la même façon. Ce principe va même servir de fondement au
premier Code pénal (celui de 1791). En effet, Il va y avoir l’écriture de textes définissant des
infractions et des peines qui doivent être obligatoirement reconnues et appliquées par les juges. Dans
ce Code pénal de 1791, l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen est repris à
l’identique en son article 1. L’idée de Beccaria a donc fait son chemin et a initié des changements.
Toutefois, ce Code de 1791 va légèrement plus loin puisqu’il précise explicitement l’abolition des
châtiments corporels. De plus, est créée pour la première fois en 1793 la sanction d’emprisonnement
(peine privative de liberté qui n’existait pas avant). Ce sera désormais la sanction de référence en
matière pénal. En 1793 d’ailleurs, est construite la première prison en France. Souvent, on présente la
Bastille comme une prison mais en vérité c’était uniquement un lieu de garde dans lequel, l’on gardait
les condamnées en attendant l’exécution de leur supplice.

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Cependant, malgré l’invention de la peine de prison, la peine de mort existe encore même si on met un
point d’honneur à la voir exécutée sans atteinte à l’intégrité du corps humain et encore moins à la
dignité de la personne. Une longue réflexion va donc être faite pour trouver le moyen d’ôter la vie
sans que pour autant il y ait des châtiments corporels. C’est finalement au cours de cette même année
1793 que le docteur Joseph Ignace Guillotin invente la guillotine ; dorénavant donc, tout condamné à
mort aura la tête tranchée.

3) L’œuvre de Napoléon :

Arrivé au pouvoir, Napoléon Bonaparte lance l’idée selon laquelle le droit français doit être
codifié. Il charge donc différentes commissions de réfléchir à la codification (une commission pour le
code civil [promulgué en 1804], une commission pour le Code de commerce [promulgué en 1807],
une commission pour le Code de procédure civile [promulgué en 1807], une commission pour le Code
pénal [promulgué en 1810] et une commission pour le Code d’instruction criminelle [promulgué en
1808]). Il faut savoir que Napoléon a présidé en permanence les deux commissions de droit pénal. Le
Code pénal et le Code de procédures pénales ont été promulgués à des dates différentes mais ils sont
entrés en application au même moment ; et ce pour la simple et bonne raison que l’un ne peut se passer
du contenu de l’autre.

Le premier Code de droit pénal qui sera promulgué, c’est celui d’instruction criminelle (1808). Dès sa
promulgation, on va mettre en place toute l’organisation du procès pénal ; c’est-à-dire toutes les règles
relatives à la phase d’enquête, la phase d’instruction. L’objectif sera en vérité double. Tout d’abord, il
faut protéger par le procès pénal l’ordre public. Deuxièmement, il faut protéger les libertés
individuelles de celui qui sera poursuivi. On est donc déjà très loin des méthodes judiciaires de
l’Ancien Régime. En effet, on veut assurer par le procès les droits de la défense et donc permettre à la
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personne poursuivie de se défendre. Ce que l’on veut éviter par-dessus tout, c’est de sanctionner un
innocent ; crainte qui suit le principe selon lequel « Il vaut mieux cent coupables en liberté qu’un seul
innocent en prison ». Ce code d’instruction criminelle va verrouiller le procès pénal pour éviter les
dérapages liés à l’arbitraire du juge. Ce code est resté en vigueur jusqu’en 1958 ; date à laquelle il est
remplacé par celui de procédure pénale (on ne touche pas aux objectifs, on ne touche pas à la finalité
mais on modernise le procès).

La seconde codification napoléonienne du droit pénal intervient avec le code pénal (1810). On
remarque alors que les rédacteurs ont commencé par codifier la procédure. Cela s’explique tout
simplement par le fait qu’on ne peut pas juger une infraction en dehors d’un procès (il y a donc une
logique). Ce Code pénal reprend le principe fondateur du droit pénal moderne. Le Code pénal de 1810
consacre en son article 1 le principe de la légalité des délits et des peines. Toutefois, on redonne un
peu de pouvoir au juge en lui permettant, dans un cadre fixé par la loi, de déterminer le niveau de la
sanction. Par exemple, il y avait dans le Code de 1810, un article qui définissait le vol et un autre
article qui en définissait la sanction : « Le vol est passible de 1 à 5 ans d’emprisonnement ». Cela veut
dire que dans cette fourchette le juge avait la possibilité de choisir une peine d’emprisonnement
comprise entre 1 an et 5 ans ; pas plus, pas moins. Dorénavant également, la fixation de la sanction se
fait en fonction de la personnalité de l’auteur : délinquant primaire ou récidiviste ? On pense bien
qu’entre les deux, le tarif de la sanction pénale du récidiviste sera plus élevé que celui du délinquant
primaire. Le juge individualise donc la sanction en fonction des conditions de l’infraction et de la
personnalité de l’auteur.

Cela étant, et c’est là que l’on voit la personnalité de Napoléon, on réintroduit dans ces Codes certains
supplices corporels : « pour certains, ce n’est pas une mauvaise chose » dit l’Empereur. Par exemple,
les condamnés recevant une peine d’emprisonnement supérieure à 15 années devaient être marqués au

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fer rouge ; tout le monde connaissait ainsi leur passé carcéral. Autre exemple, l’infraction de parricide
(meurtre des père et mère) était punie de la peine de la mort mais avant, on coupait la main qui avait
commis le crime.

Ce code de 1810 restera en vigueur jusqu’en 1994 ; date à laquelle un grande réforme va être
entreprise pour réformer le code pénal. Le Code pénal va être ainsi profondément rénové et assorti de
nouveaux principes. Toutefois, on conserve la base et le principe de la légalité des délits et des peines
fonde encore aujourd’hui notre Code pénal.

B] Les transformations du droit pénal moderne :


Deux grandes écoles de pensée vont longtemps réfléchir à la façon dont les règles pénales vont
pouvoir évoluer. La première, c’est l’école positiviste italienne qui va permettre l’apparition d’idées
nouvelles. La seconde école de pensée, c’est celle française de la défense sociale qui intervient encore
de nos jours. Toutes deux auront une grande influence sur le législateur.

1) L’école positiviste italienne :

L’école positiviste italienne est née de l’initiative du médecin Cesare Lombroso (médecin légiste)
qui s’est intéressé de très près aux travaux criminels et aux travaux de Beccaria. Il va publier au milieu
du XIXème siècle un ouvrage intitulé l’Homme criminel et dans lequel il va analyser le crime (compris
ici au sens de l’ensemble des infractions). En effet, dans un traité de plus de mille pages, le médecin
Lombroso va répondre à deux grandes questions d’importance pour la société de l’époque : « pourquoi
certains commettent des infractions ? » ; et « que faire quand l’infraction est commise ? ».
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Le médecin Lombroso ne se contente pas de recherches scientifiques, il forme également des élèves
pour composer son école et l’assister dans son travail. Le postulat auquel croit fortement l’école
positiviste, c’est que le crime (donc l’infraction) est le résultat d’un certain nombre de causes ; des
causes personnelles mais aussi des causses extérieures à l’auteur de l’infraction. Quant aux causes
personnelles tout d’abord, l’école positiviste affirme qu’il existe des individus qui naissent avec ce que
le médecin Lombroso appelle le « chromosome du crime » ; autrement dit, comme l’auteur de
l’infraction est forcément « porteur » de ce « chromosome du crime », il n’est pas responsable de son
acte : ce n’est que le résultat de la fatalité. Ce « mauvais » assemblage chromosomique fait que
certains seront portés sur le vice, sur la malice, sur le fait de commettre des infractions, etc… Quant
aux causes extérieures ensuite, l’école positivistes italienne les définit comme le « milieu » dans lequel
vie l’auteur de l’infraction (milieu social, professionnel et familial) ; autrement dit, le milieu influe sur
le comportement de l’individu. On le voit donc, les positivistes ont conclu que lorsqu’un individu
commet une infraction, il ne la choisit pas mais il la subit. Cela veut dire que si ce n’est pas de sa
faute, on ne peut pas engager sa responsabilité.

Mais alors que juger si l’on ne peut mettre en cause la responsabilité de l’auteur de l’infraction ? En
vérité, les positivistes vont baser la sanction sur la dangerosité de l’individu : est-il dangereux ou non
pour la société ? En fonction de son niveau de dangerosité, on adaptera les sanctions. Cette méthode
est une grande première car personne auparavant n’avait pensé à associer sanction et dangerosité. Par
conséquent, disent les positivistes, il faut prévoir des sanctions nouvelles qui vont permettre de
protéger la société contre le danger que représente l’auteur de l’infraction. Lombroso considérait que
l’individu porteur de l’anomalie chromosomique, était repérable grâce à la forme de son crâne :
technique dite de la « craniologie ». A partir de cette méthode, les positivistes bâtissent une
classification des délinquants en fonction de leur degré de dangerosité. Au sommet de la pyramide,

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on trouve, le « criminel né » ; autrement dit, celui qui n’a pas eu de chance puisqu’il est porteur d’un
caractère délictueux. Comme il se trouve au sommet de la pyramide, il est le plus dangereux ; celui
qu’il faut physiquement éliminer. Ainsi, ce « criminel-né », et ce dès la première infraction, se verra
imposer la peine de mort. Ensuite, au deuxième étage de la classification, on trouve « l’aliéné » ; ou
plus simplement, celui qui ne se rend pas compte de ce qu’il fait. Pour « l’aliéné », les positivistes
proposent un placement en établissement spécialisé afin de l’éloigner de la société ; sorte de
neutralisation de l’individu. En troisième position sur l’échelle de dangerosité, on trouve le « criminel
professionnel » ; celui qui est programmé pour commettre des infractions : sorte de récidiviste
incorrigible. Les positivistes constatent que cet individu n’est pas fait pour vivre dans la société
puisqu’il ne respecte pas les règles. Ils inventent donc la possibilité d’exil (ce que l’on appelait la
« transportation ») qui correspond au fait de mettre l’individu en dehors de la société ; l’éloigner du
lieu de l’infraction. Au quatrième niveau de la classification, il y a le « criminel occasionnel ». Celui-
ci n’est pas très dangereux puisque qu’on pense que son infraction résulte d’une question de
circonstances et qu’il ne recommencera pas. Étant moins dangereux que les autres, on lui accorde un
« sursis » pour l’exécution de la sanction. Cela signifie que le criminel occasionnel sera condamné à
une sanction qu’il n’exécutera pas s’il ne commet pas d’autres infractions. Dernière catégorie enfin,
celle pour laquelle les positivistes ont la plus grande affection : celle du « criminel passionnel ». Ce
dernier, quel que soit l’acte commis, n’est pas considéré comme dangereux puisque après tout, « les
passions font faire des fautes ». Il faut donc le protéger et l’éloigner en lui interdisant de séjourner
dans le lieu où il a commis l’infraction : ce que l’on appelle « l’interdiction de séjour ».

Si l’on observe le droit pénal français, on constate qu’il reprend certaines dispositions de l’école
positivistes italienne. En 1855, dans le Code pénal français, est introduite une nouvelle sanction pour
les condamnées : c’est « la réclusion criminelle à perpétuité ». À la même époque, on invente
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l’exécution de la peine par transportation : les condamnées à perpétuité vont être envoyés dans des
bagnes d’outre-mer ; ce que l’on appelle la « relégation ». C’est d’ailleurs par l’envoi de bagnards que
s’est construite la Guyane française ; bagnards qui avaient pour mission de faire vivre ces iles
éloignées de la métropole (ex  construction de route). Toutefois, comme les voyages en mer
prenaient plusieurs mois à l’époque, il arrivait fréquemment que certains condamnés meurent en route.
La deuxième idée positiviste qui a été reprise par le législateur français, c’est celle du sursis. En effet,
pour tous les délinquants condamnés à des peines de moins de 5 ans d’emprisonnement, un sursis peut
être prononcé. Autre illustration de l’influence de l’école positiviste sur le droit français ; c’est la
création d’une juridiction nouvelle : le « tribunal pour enfant » (juridiction spécialisée pour les
mineurs). En effet, pour les positivistes, le mineur a encore une personnalité en évolution ; il faut donc
une peine individualisée et une juridiction spécialisée. Enfin, l’interdiction de séjour a également été
transposée en droit français.

Cette influence de l’école positiviste sera importante en France jusqu’au milieu du XX ème siècle.
Cependant, la considération portée aux travaux des positivistes va s’éteindre brutalement. En effet,
après près de cent ans d’existence, l’école positiviste italienne organise un congrès dans son pays natal
sur le thème de la délinquance. Lors de ce congrès, les positivistes vont expliquer, une nouvelle fois,
leur analyse de la délinquance par la craniologie. Or dans la salle ce jour-là, certains sont assez
réticents aux idées positivistes et vont tenter de montrer publiquement que les thèses inventées par le
médecin Lombroso ne sont pas scientifiquement valables. Pour renverser complétement les thèses
positivistes, on va faire analyser devant l’auditoire un crane apporté de l’extérieur par les ennemis des
thèses positivistes ; l’objectif étant de savoir si le crane analysé appartenait à un délinquant ou non. Le
crane est mesuré, étudié, analysé et les positivistes en concluent qu’il s’agit bien d’un crane porteur
des malformations du « criminel né ». Le seul problème, et cela va discréditer l’ensemble des théories

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Origines et évolution du droit pénal en France

positivistes, c’est que le crane en question était celui de Beccaria. Ainsi, à partir de cet événement, la
craniologie s’effondre et une nouvelle école de pensée va venir remplacer celle des positivistes : c’est
l’école française de la défense sociale.

2) L’école de la défense sociale :

L’école française de la défense sociale va remplacer immédiatement l’école positiviste et va se


développer sous l’influence du magistrat Français Marc Ancel. Marc Ancel va revenir à une
conception beaucoup plus classique de l’infraction. En effet, on revient à l’idée que lorsqu’une
personne commet une infraction, il faut chercher si elle a commis une faute, si elle peut assumer les
conséquences de sa faute et si elle peut supporter une sanction. Mais, l’intérêt de l’école française de la
défense sociale c’est de s’intéresser à la sanction. L’idée va être qu’on ne peut appliquer à deux
délinquants différents la même peine pour la même infraction ; il n’y a pas de sanction unique.
Autrement dit, on adapte la sanction à chaque individu ; on poursuit donc l’œuvre d’individualisation.

L’idée d’individualisation va conduire à des réformes de notre Code pénal. En effet, par exemple, on
crée le « contrôle judiciaire » des personnes que l’on ne peut pas laisser en totale liberté. En 1994, la
réforme du Code pénal est inspirée de l’école française de la défense sociale. La principale
caractéristique de cette école va être de supprimer les minimas en matière de sanction ; on redonne
donc du pouvoir au juge. Ainsi, depuis 1994, lorsqu’on regarde les sanctions dans le Code pénal, on
constate que les minimas ont disparu. Autrement dit, le juge évalue la durée de la sanction ; durée
comprise entre un jour et le maximum légal.

C’est également l’école française de la défense sociale qui a été à l’origine de la réforme du Code de
procédure pénale avec l’introduction de la spécialisation des magistrats. Tout un mouvement c’est
8 donc mis en marche avec l’idée que l’individu est responsable de ces actes et qu’il faut individualiser
les peines.

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