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23/11/23, 18:07 Une histoire au présent - La pratique des discours de vérité : droit et psychiatrie au xixe siècle - CNRS Éditions

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CNRS
Éditions
Une histoire au présent | Damien Boquet, Blaise Dufal, Pauline
Labey

La pratique des
discours de vérité :
droit et psychiatrie
e
au xix siècle
Laurence Guignard
p. 183-202

Texte intégral
1 L’objet de Juger la folie (1791-1880)1, tel qu’il a émergé
presque vingt ans après la publication de Surveiller et punir,
mais avant celle des Anormaux ou du Pouvoir psychiatrique,

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est de toute évidence marqué par l’œuvre de Michel Foucault,


dans sa forme, son questionnement et les concepts mobilisés.
Un dialogue avec l’œuvre de Foucault s’y est instauré, marqué
par l’humilité, mais aussi par une récurrente velléité
d’émancipation qui m’a à plusieurs reprises conduite à laisser
les ouvrages du maître sur les rayonnages, à la faveur de ceux
d’historiens, puisqu’une histoire sociale et culturelle de la
justice était alors particulièrement vivace, de juristes ou de
psychiatres et, plus encore, des différents corpus de sources
qui ont constitué la chair de ce livre2. Il a imposé aussi de
réfléchir à ce que peut être un travail d’histoire inscrit dans
une perspective si nettement foucaldienne.
2 Cette étude est née d’un premier travail de maîtrise, consacré
aux supplices publics parisiens du xixe siècle, thématique
suggérée par Alain Corbin qui invitait ses étudiants à lire
Foucault, même s’il nous mettait aussi en garde contre
certaines réticences académiques. Déjà lectrice assidue de
Surveiller et punir, j’y avais abordé le lent déclin des supplices
et la résistance de la peine capitale, la montée des seuils de
sensibilité à l’égard de la violence exhibée, mais je m’étais
surtout intéressée à la forte prégnance du discours de la peine
dans la liturgie des exécutions capitales. Cette perspective
donnait au supplice le sens d’une réintégration morale et
même sociale du condamné, fonctionnant suivant le modèle,
très présent dans la doctrine juridique jusqu’aux années 1880,
de l’expiation des fautes. Un double problème en avait
émergé : celui de la limite de ce modèle expiatoire borné par
l’antique irresponsabilité pénale des déments et furieux3,
question d’autant plus problématique qu’elle se voit
renouvelée au xixe siècle par le développement de la
psychiatrie, et celui de la logique interne de ce modèle de
responsabilité définie comme le produit d’un « sujet kantien »,
guidé par une volonté libre4. Sur ces deux points, le système
pénal du xixe siècle se transforme profondément en
introduisant, avec les médecins experts, de nouveaux concepts
médicaux dans les prétoires et en fondant les peines judiciaires
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sur un examen de l’intériorité morale des inculpés de plus en


plus individualisé, deux éléments majeurs qui traduisent le
procès de subjectivation de la justice mis en évidence par
Michel Foucault dans Surveiller et punir. Double problème qui
se condense finalement en un seul : celui du contact complexe
entre droit et psychiatrie, c’est-à-dire entre deux régimes de
véridiction, confrontés ou plutôt réunis dans une enceinte où
doit être produite une décision légitime concernant un
individu : la peine judiciaire.
3 Cet objet renvoie à deux pans majeurs de l’œuvre de Michel
Foucault : d’une part la transformation, au cours du xixe siècle,
des caractères du pouvoir originairement juridique et
souverain en un pouvoir de normalisation, pouvoir
disciplinaire qui tend à dépasser en l’englobant l’activité
pénale. Le second, resté longtemps moins visible dans mon
cheminement, réside dans l’histoire de la subjectivité et
l’émergence d’une psychologie qui devient un important levier
d’une activité judiciaire nouveau style. C’est à partir de cette
âme moderne que se met en place un « examen » du
psychisme des inculpés autour duquel droit et psychiatrie
peuvent se nouer5. Dans ces deux dimensions, le premier
e
xix siècle apparaît comme une période peu connue et
intéressante en ce qu’elle est celle des premières et décisives
compromissions.
4 À partir de ce questionnement auquel Foucault apportait des
outils de pensée puissants, j’ai recherché le plus possible le
classicisme dans la méthode et la délimitation de corpus
d’archives consistants. Les séries d’archives judiciaires m’ont
permis de saisir au fil des procédures la marche de cette
intrication du judiciaire et du psychiatrique ainsi que son
impact sur les parcours individuels. Je me suis intéressée à la
fois au jeu concret des principes très abstraits que sont la
liberté morale, la responsabilité ou l’aliénation mentale,
incarnées dans la manière dont on a jugé les individus, dans
l’évolution de la frontière judiciaire séparant irresponsables et
responsables, dans les procédures mobilisées pour cet examen,
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mais aussi, en une histoire plus intellectuelle, à la manière


dont ces évolutions « subjectivantes » ont été pensées dans
une sphère juridique initialement très « objectivante6 ».
5 Rétrospectivement, parmi l’ensemble des résultats, trois points
paraissent s’enrichir particulièrement des questionnements
foucaldiens, tout en éclairant certainement, en retour, l’œuvre
de Michel Foucault. Le premier s’intéresse au corpus juridique
et conduit à se demander comment le droit post
révolutionnaire a pu tolérer une telle déchéance de principes
aussi cruciaux pour lui que la volonté libre ou la responsabilité
morale et à la manière dont s’est effectuée, du côté des juristes,
cette « entrée de l’âme sur la scène de la justice pénale7 ». Le
deuxième concerne le lieu d’exercice du pouvoir qu’est le
tribunal, ici les cours d’assises, où s’applique une subtile
combinatoire de discours de vérité, variable dans le temps,
visant à produire de la légitimité. Le troisième pan a trait à la
mise en place de cet examen de l’intériorité largement appuyé,
dans un premier temps, non sur la psychiatrie, comme on
pourrait s’y attendre, mais sur les conceptions spiritualistes de
l’homme défendues par des philosophes comme Maine de
Biran ou Victor Cousin dominant le champ intellectuel
jusqu’aux années 1860 et formant la matrice juridique et
judiciaire des mutations du sujet8.

Le travail du droit
6 Michel Foucault s’est peu intéressé directement au droit bien
qu’il l’ait incessamment côtoyé. Mario Sbriccoli évoque même,
concernant Surveiller et punir, une « élision du juridique9 ». Si
le droit échappe aux préoccupations du philosophe, c’est en
raison du statut du discours juridique qui reste hétérogène au
pouvoir disciplinaire10. Le droit appartient en effet à l’appareil
d’État et à sa souveraineté alors que ce qui intéresse Foucault,
ce sont les rapports de pouvoir, le pouvoir abordé non dans
son principe mais suivant ses points d’action, c’est-à-dire les
corps. Ce seront donc la prison, l’armée, l’école, davantage que
l’activité juridique, qui retiendront son attention11. Foucault
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formule pourtant, dans le même texte, une interprétation


générale de l’évolution du droit entre le milieu du xviiie siècle et
le xixe siècle, et renverse l’analyse classique de ce que l’on
appelle ordinairement l’humanitarisme pénal : si l’on entend
bien, ce n’est pas la pensée juridique qui change les modalités
d’exercice du pouvoir mais, au contraire, c’est la
transformation des technologies de pouvoir qui se trouve à
l’origine des mutations de la pénalité et qui explique son
humanisation à partir de la Révolution française. Loin d’être
une origine, les formulations juridiques ne sont plus, dès lors,
qu’une sorte d’effet. Mais la critique foucaldienne du droit va
encore au-delà. Dans les premiers cours de l’année 1975-1976,
Il faut défendre la société, il définit quelques-unes des règles
de sa méthode, insistant sur l’importance des rapports entre
droit, pouvoir et discours de vérité12. S’il décrit le droit de la
souveraineté, démocratisée au xixe siècle, comme un appareil
destiné à « masquer les procédés13 » des mécanismes de
discipline, il lui attribue également une place fondamentale, et
paradoxale, dans les mutations des technologies de pouvoir ou
dans le mouvement de sortie du droit qui caractérise le pouvoir
disciplinaire :
« Je crois que le processus qui a rendu fondamentalement
possible le discours des sciences humaines, c’est la
juxtaposition, l’affrontement de deux mécanismes et de deux
types de discours absolument hétérogènes : d’un côté,
l’organisation du droit autour de la souveraineté et, de l’autre
côté, la mécanique des coercitions exercées par les disciplines.
Que de nos jours le pouvoir s’exerce à la fois à travers ce droit
et ces techniques, que ces techniques de la discipline, que ces
discours nés de la discipline envahissent le droit, que les
procédés de la normalisation colonisent de plus en plus les
procédures de la loi, c’est je crois ce qui peut expliquer le
fonctionnement global de ce que j’appellerai une “société de
normalisation”14. »

7 D’où l’intérêt de chercher à saisir selon quelles modalités


s’instaurent les échanges entre les sciences de l’homme, en
l’occurrence la psychiatrie, et le droit, et comment le droit les
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conceptualise. Si la causalité ainsi établie donne


corrélativement « une matrice commune à l’histoire du droit
pénal et à celle des sciences humaines15 », elle n’efface pas en
effet les différences fondamentales qui séparent le droit de la
science de l’homme, ni les rapports complexes régissant ces
types de savoirs différents.
8 L’apport des historiens ou anthropologues du droit,
notamment de Clifford Geertz ou Yan Thomas, est ici précieux
pour parvenir à caractériser plus précisément le droit dans ses
procédés et ses fonctions, et dans ses rapports avec d’autres
formes de savoirs. Ces deux auteurs ont insisté sur « le
phénomène de représentation16 » propre au droit, sur le rôle de
la fiction juridique établissant, écrit Yan Thomas, « l’écart
fondamental […] entre le droit et le monde, entre la vie et
l’organisation juridique de la vie17 », où se révèlent aussi des
interrogations anthropologiques fondamentales. Fonction
essentielle dont les implications sociales sont fortes puisque
cette science de la norme génère des effets sociaux bien
concrets, agissant sur le réel suivant une procédure judiciaire
spécifique de réduction des faits qui permet de les soumettre à
des règles abstraites. Cette appréhension forte du rôle social du
droit m’a paradoxalement conduite dans le cours de mon
travail à rebrousser le chemin effectué par Foucault, et à
m’engager dans une lecture minutieuse du corpus juridique
pour comprendre par quelles logiques le droit a pu
progressivement se dessaisir de certaines de ses prérogatives
pour tendre « à subordonner l’arbitrairement et librement
construit au sociologiquement et biologiquement
constatable18 ».
9 En dépit de l’hostilité spontanée des juristes à toute idée de
changement, qui les incite à occulter les évolutions et la part
d’échanges avec la société, le droit bouge néanmoins – et
considérablement en ces domaines – suivant des modalités
particulières, principalement marquées par la lenteur et la
prudence, mais aussi par l’exigence de production d’une
cohérence intellectuelle forte. Les lieux d’élaboration de ce
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qu’on peut appeler, classiquement, une pensée juridique sont


connus : les débats législatifs, la doctrine largement écrite par
des universitaires et quelques praticiens, la jurisprudence, que
ce soit celle de la Cour de cassation ou le produit foisonnant de
l’activité judiciaire. En revanche, son contenu l’est moins pour
le xixe siècle, y compris des historiens du droit19. On y constate
une période de latence post révolutionnaire au cours de
laquelle le droit s’identifie largement à la loi, puis, après 1830,
la renaissance de débats doctrinaux de haute tenue qui
conceptualisent des notions fondamentales comme la
responsabilité ou la culpabilité20. Cette intense activité de
théorisation débouche sur l’élaboration d’une pensée juridique
vivante, structurée, cohérente. On y trouve une théorie de la
peine largement inspirée de la philosophie d’Emmanuel Kant,
fondée sur le sujet classique, autonome et doté d’une volonté
libre. Le crime s’enracine dans la faute morale, commise en
conscience et soumise au libre arbitre. La définition de la
responsabilité pénale en découle, reposant sur l’intention et la
conscience de l’acte commis et la conscience morale : la
connaissance du bien et du mal qu’il revêt.
10 Dans ce contexte intellectuel, la question de l’irresponsabilité
pénale et de la démence suscite d’importants développements
qui éclairent les mécanismes de l’immixtion de la psychiatrie
dans le droit. Les juristes manifestent un grand intérêt pour les
écrits médicaux comme en témoignent les notes de bas de page
ou les comptes rendus d’ouvrages médicaux dans les revues de
droit, sans pour autant renoncer à maintenir la frontière de la
technicité médicale. Même le célèbre juriste Joseph Ortolan
qui veut étendre le plus possible le champ des juristes finit
cependant par butter sur sa dimension technique de la
médecine. S’il déplace la valeur du diagnostic médical en
affirmant que « ce qu’il importe de savoir, ce n’est pas
précisément si l’agent avait au moment de l’acte telle ou telle
maladie mentale, mais plutôt quel a été l’effet produit par la
maladie mentale sur ses facultés21 », il concède que « le
criminaliste ne peut plus se borner aux enseignements de la
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psychologie et de la physiologie, il lui faut recourir à ceux de la


médecine légale ou judiciaire qui étudient dans l’homme les
défectuosités ou les altérations dont il peut être frappé22 »,
terre étrangère qui suppose le recourt à l’expert23. Dans leur
effort pour définir juridiquement la démence ou l’aliénation
mentale, les auteurs effectuent un travail de tri et de mise en
compatibilité du droit et des hypothèses médicales, admettant
certaines notions, en discutant d’autres et en ignorant une
grande partie. On peut suivre le fil de cet effort destiné à
apporter juridiquement des réponses à des « problèmes » qui
émanent de la médecine mais qui, en s’y incorporant,
modifient en retour le droit. Le cœur des mutations concerne
l’altération de cette volonté libre supposée présider aux actes
et l’émergence de variations graduées dans l’exercice des
facultés de l’âme (affectivité, volonté, intelligence). L’abolition
complète évoquée par l’article 64 n’en est plus alors qu’une
possibilité parmi d’autres.
11 Sur le plan théorique, les auteurs s’appuient d’abord sur des
définitions juridiques anciennes de la folie, avec ses sous-
catégories : fureur, imbécillité, démence que les auteurs vont
rechercher dans le droit romain ou chez les jurisconsultes
d’Ancien Régime comme Jousse ou Muyard de Vouglans. Ils
utilisent des concepts philosophiques également anciens :
« Un fou est un corps inorganisé, un monstre dans la nature
qui ne remplit pas la destination humaine », écrit Merlin
en 182324, ou « un automate animé25 », selon Legraverend
en 1830. C’est donc initialement l’oblitération de la volonté qui
caractérise l’irresponsabilité pénale26, correspondant d’ailleurs
à cette « paradoxale manifestation du non être27 » qu’est la
déraison décrite dans l’Histoire de la folie à l’âge classique.
12 À cette antique classification, les traités de droit pénal
substituent progressivement la nosologie qui domine la
première période de la psychiatrie, celle d’Étienne Esquirol,
élève de Philippe Pinel et promoteur des nouvelles conceptions
de l’aliénation mentale : idiotisme, démence, manie,
monomanie. La médicalisation du vocabulaire est patente dès
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les années 1830, néanmoins le transfert des notions ne va pas


sans poser problème. Les juristes les intègrent le mieux
possible jusqu’à désigner très précisément le point
problématique – le « cas limite », pour faire à nouveau
référence au travail de Yan Thomas28 – à partir duquel la
théorie peut se stabiliser. Certaines entités morbides sont
débattues, réfutées, remodelées. La jeune médecine mentale
propose en effet des formes diversifiées d’altération de la
raison qui heurtent la définition classique du sujet : aliénations
ponctuelles ou partielles des facultés de l’âme, lues et
comprises par les juristes comme par les médecins dans les
termes de la psychologie morale. Fortement, voire violemment
débattues, ces propositions, qui autorisent la graduation de la
conscience et de la liberté morale, sont admises dans les
années 1830 par certains juristes. Les célèbres Hélie et
Chauveau reconnaissent ainsi qu’« il p [eut] y avoir absence de
raison, absence de la connaissance du bien et du mal
relativement à certains objets, sans que vis-à-vis des autres il y
eut altération sensible des facultés intellectuelles29 ».
L’irresponsabilité pénale doit alors s’imposer, mais dans la
seule mesure où le crime est lié à l’objet du délire ponctuel ou
partiel.
13 Introduisant une brèche majeure dans l’anthropologie du code
pénal, ces concessions préfigurent l’introduction d’une
responsabilité pénale graduée en rupture avec l’histoire du
concept et ouvrent juridiquement la porte à une généralisation
de l’intervention des médecins spéciaux en justice, car qui
pourra désormais se targuer d’être absolument fou ou sain
d’esprit ? La monomanie elle-même, aliénation partielle aux
symptômes extrêmement localisés — parfois le seul penchant à
l’homicide ou au vol – s’insère dans le corpus juridique qui la
conserve longtemps après sa mort médicale puisqu’on la
trouve encore à la fin du XIXe siècle chez Émile Garçon30, alors
qu’elle disparaît du corpus médical dès les années 1850. La
responsabilité sociale, l’anormalité psychique et, surtout, la
dangerosité, concept neuf et voué à un bel avenir pour une
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justice qui prétend désormais protéger la société, n’auront plus


qu’à se substituer à ces conceptions graduées déjà en place.
14 À côté de ces débats qui suscitent des publications
nombreuses, des pans entiers de la réflexion médicale restent
purement et simplement absents des ouvrages doctrinaux : il
s’agit de tout ce qui concerne le déterminisme biologique qui,
de la phrénologie à la dégénérescence, enracine les
comportements dans les corps et dissout la notion même de
volonté. La présence sociale, pourtant très massive, de ces
théories ne suffit pas à assurer leur pénétration dans le corpus
juridique, montrant la dynamique juridique de tri des concepts
qui parvient jusqu’aux années 1880 à les contenir hors de
l’institution judiciaire, tant l’attachement au sujet classique
constitue un point majeur de résistance du droit invalidant
toute forme d’échange avec certaines thématiques. L’aliénation
mentale ne peut qu’être le fruit d’une maladie et non d’une
organisation physiologique donnée à la naissance.

La pratique judiciaire de la vérité


15 À ce travail de conceptualisation théorique correspond un
exercice de classement des individus qui se pratique au sein
des tribunaux. L’analyse des pratiques judiciaires montre que
les mêmes types d’évolutions s’y traduisent suivant des
modalités qui ne s’éclairent cependant que partiellement. Les
dossiers d’instruction des deux cent cinquante-quatre cas de
mon corpus judiciaire31, réunissant pièces d’enquête et
jugements, permettent de saisir l’évolution des procédures
d’enquête et de décision, et surtout celle des énoncés présidant
aux verdicts, avec très certainement de mon côté de désir de
préciser, à partir de l’activité régulière de plusieurs cours
d’assises, les mécanismes et les rythmes chronologiques des
thèses foucaldiennes. Une histoire plus mouvementée que celle
de la doctrine s’y dévoile, même si le jeu institutionnel parvient
néanmoins à assurer la production d’un système de catégories
cohérent, y compris dans ses variations32.

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16 Sur la question de la santé mentale, l’enquête judiciaire


apparaît comme un jeu à trois, réunissant différentes formes
de preuves dont la convergence permettra de constituer une
décision légitime. L’interrogatoire de personnalité mené par le
juge d’instruction apporte ainsi une preuve judiciaire à
caractère moral, les témoignages une preuve sociale et les
expertises une preuve scientifique. Dans ce trio, où se
produisent des avis souvent divergents, l’expertise gagne en
fréquence, en qualité, en autorité mais sans pour autant se
substituer aux autres formes de preuves : une première phase
de gonflement de l’enquête morale sous toutes ses formes, qui
d’ailleurs correspond au mouvement général d’amélioration de
la qualité des instructions, précède ainsi l’essor des expertises
médicolégales, comme si le développement des incertitudes
avait incité les magistrats à mobiliser l’ensemble des moyens
dont ils disposaient33.
17 L’attention au lent ressassement qui émane des dossiers,
induit par la récurrence des actes de procédure, montre que s’y
opère un véritable travail judiciaire orientant les discours,
délimitant les catégories et rendant possible une évolution
globale des manières de juger. Elle permet de dégager une
histoire des formes discursives dominantes qui produisent les
faits et les sujets. Dans la multitude foisonnante de ces
singularités qui ont également retenu l’attention de Michel
Foucault, avec Pierre Rivière ou Herculine Barbin, imposant le
détour indispensable des études de cas – Jules Rousse,
Théodore Durant34 –, la mise en série permet d’établir des
inflexions d’autant plus essentielles qu’elles ne sont
déterminées par aucun texte normatif. Il en sort une
chronologie fine de l’évolution des modes d’appréciation et de
compréhension des actes criminels où se succèdent, suivant un
rythme assez rapide, différentes phases qui transparaissent
également de l’évolution statistique. Autant de variations de la
compréhension du mal en une époque où les schémas
interprétatifs généraux se sont considérablement affaissés. Les
ruptures qui y apparaissent offrent une chronologie
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extrêmement nette : des paliers, ou des basculements,


davantage qu’un lent glissement, comme si l’essentiel du
travail se faisait dans un premier temps souterrainement ou
hors institution, avant que de nouveaux énoncés surgissent,
brusquement dominants. Face à un « problème », un mode de
réponse rhétorique semble emporter soudain l’adhésion.
18 Une première période correspond à une poussée des
interrogations sur l’état mental des criminels, inaugurée par
des médecins parisiens autour de l’affaire de la monomanie
homicide, dont Michel Foucault a donné une analyse
fondamentale dans Les anormaux35. Dans ces folies partielles,
seules la volonté ou l’affectivité se troublent sans pour autant
que l’intelligence ou la conscience soient affectées. Dans le cas
extrême de la monomanie homicide, l’aliénation de la volonté
est compatible avec la conscience morale du crime et produit
des actes inexplicables, des « crimes-folie », auxquels manque
pour être vraiment des crimes devant la justice l’élément
central qu’est le motif rationnel. Les médecins experts
susceptibles d’apporter leur diagnostic deviennent alors, selon
la formule de Foucault, « des spécialistes du motif36 ». Sans
motif, sans volonté, ces actes devraient échapper au système
pénal, si la conscience ne leur donnait au contraire la
consistance d’un crime. La question suscite dans les
années 1820 un virulent débat à la fois médico-judiciaire et
interne au corps médical, qui pèse sur la pratique pénale37.
Rétifs aux débats scientifiques qui fragilisent la légitimité des
verdicts, les magistrats en effet se raidissent aussitôt et, si la
controverse fait rage autour d’une série d’affaires criminelles
retentissantes, ils obtiennent dans un premier temps la
condamnation systématique des inculpés38. L’accroissement
du nombre de cas où s’est posée la question de la démence
atteste cependant du développement des incertitudes qui
prélude à l’ouverture conceptuelle. En effet, les années 1830
apparaissent comme un temps d’essor maîtrisé des
conceptions médicales devant les tribunaux, alors que la
doctrine s’ouvre aux idées nouvelles et que le vocabulaire
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médical pénètre la rhétorique judiciaire39. Les acquittements


pour monomanie sont rendus possibles dans les cas où la
relation entre médecins et magistrats n’est pas conflictuelle. À
Rennes Théodore Durand (1835), Mérillon (1835) ou Péchot
(1836), accusés tous trois d’homicide volontaire, sont ainsi
acquittés purement et simplement et, semble-t-il, non
internés40. Entre 1820 et 1836, s’est donc imposée une
première forme de pathologisation du crime qui, appliquée à la
lettre du code, permet d’acquitter des accusés pourtant
conscients d’un geste qu’ils n’ont pu réprimer, et bien qu’ils
n’aient donné aucun signe antérieur d’aliénation mentale et
que la preuve même de la pathologie demeure furtive41. C’est
l’étrangeté des actes qui suggère l’irrationalité et, parfois,
l’absence de motif qui rend possible l’acquittement. Dans cette
perspective, les positions de Faustin Hélie et Adolphe
Chauveau publiées en 1837 concernant les folies partielles
apparaissent davantage comme l’aboutissement d’une
évolution que comme une autorisation à qualifier et juger des
faits42.
19 L’année 1836 marque une rupture dont la synchronie des
différentes cours d’assises étudiées est révélatrice. On voit
réapparaître une argumentation classique qui, au nom de la
liberté humaine dans le mal, défend une conception très
poussée de la responsabilité pénale et pèse sur le nombre de
cas et d’acquittements. Avant que la doctrine de la
dégénérescence se déploie, on perçoit en justice la résurgence
d’une ancienne figure : celle de la perversité. Plus qu’à une
nature mauvaise du criminel, le concept renvoie à l’ancienne
conception de l’amour du mal, fruit d’une récidive dans le
péché du relaps. Elle se mâtine de notions neuves, notamment
celle du danger inhérent à certaines personnalités et surtout
neutralise la compassion que pouvait susciter la maladie
mentale. L’argumentation s’appuie sur une psychologie morale
également classique qui traque les vices et les passions et
décrit des inculpés dominés, par exemple, par « l’instinct du
mal et le besoin de destruction43 », ou qui considère que les
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crimes sans motif ne sont « autres que la satisfaction donnée à


des penchants vicieux44 ». Elle vient soutenir une justice
devenue bien plus répressive après 1836, marquée par le virage
conservateur de la monarchie de Juillet, où l’attentat de
Fieschi, l’affaire Lacenaire et peut-être Pierre Rivière jouent
certainement un rôle décisif. L’évolution de la politique
judiciaire apparaît comme un élément d’un durcissement plus
général soutenu par un discours réactionnaire qui pèse sur le
traitement judiciaire de la responsabilité pénale ainsi que sur
la qualité des dossiers d’instructions : moins d’affaires
interrogeant la santé mentale, moins d’investigations, moins
d’acquittements.
20 À partir de 1855, s’ouvre une nouvelle époque où se
manifestent les premiers signes d’une inflexion durable :
l’accroissement du nombre de cas dans le corpus, la confiance
accrue à l’égard des médecins qui bénéficient d’un nouveau
statut d’experts en justice, la collaboration plus étroite et
pacifiée entre médecins et magistrats, autant d’éléments qui
annoncent directement la mise en place d’un pouvoir de
normalisation. Certains dossiers permettent de constater cette
collaboration accrue, comme par exemple celui d’Hermel
en 1865 à Versailles, où l’on voit le docteur Lucas, directeur de
Bicêtre, recueillir des aveux de l’inculpé et les placer aussitôt
au profit de l’instruction45. L’intensification de l’activité
médicale en justice ne provoque pas cependant
d’accroissement formel du nombre des acquittements, comme
cela avait été le cas dans les années 1830, car une nouvelle
préoccupation vient contenir la compassion pour les malades :
celle du danger et bientôt de la supposée dangerosité des
inculpés. Là aussi, les causes de l’inflexion sont complexes. Sur
le plan général, la libéralisation de l’Empire altère les
anciennes intransigeances. La nouvelle position sociale des
médecins modifie également les rapports de force puisque
ceux-ci deviennent, après la loi de 1838 sur les asiles, les
maîtres des asiles publics et se trouvent désormais en position
d’administrer par l’internement le désordre de la maladie
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mentale. Accoutumés au problème des comportements


violents, ils sont cependant les premiers à réclamer, dès 1847,
des institutions spécialisées réservées aux « fous criminels »
ou aux « demi-fous », mi prisons mi asiles46.

La matrice d’une nouvelle subjectivité


21 Ces mutations attestent le développement d’un examen de
l’intériorité des criminels qui traduit l’évolution des
conceptions du sujet, évoquée à plusieurs reprises par Michel
Foucault, notamment dans sa conférence donnée à Rio de
Janeiro en 1974, « La vérité et les formes juridiques ». Il y a
mentionné le rôle central « des pratiques juridiques ou plus
précisément des pratiques judiciaires », les plus importantes
écrit-il, « parmi les pratiques sociales dont l’analyse historique
permet de localiser l’émergence de nouvelles formes de
subjectivité47 ». C’est à cette fonction de production d’un
discours de vérité sur le sujet de connaissance, opéré dans le
cadre de l’enquête et des jugements des tribunaux d’assises,
qu’il faut maintenant s’intéresser.
22 Au cours de l’évolution qui voit les regards judiciaires se
concentrer sur la personnalité du criminel et les peines
judiciaires de plus en plus individualisées s’indexer sur le
« psychisme » des inculpés, la question de l’aliénation mentale
joue un rôle de matrice parce qu’elle entraîne directement
l’intervention d’experts dont l’activité induit indirectement la
transformation de l’ensemble du système. C’est le cas d’abord
sur un mode mineur dans le cadre d’un processus
d’individualisation des peines – en 1832 avec la loi sur les
circonstances atténuantes dans le cadre d’une justice qui reste
objective, puis à la fin du siècle avec une nouvelle théorie de la
culpabilité qui se fonde en grande partie sur la personnalité
(formalisée chez Raymond Saleilles en particulier48) – et plus
radicalement par l’introduction dans le corpus juridique d’une
responsabilité pénale graduée sous l’impulsion des psychiatres
qui la réclament collectivement au moins depuis 186349. Elle
entérine l’abandon d’un élément majeur du droit pénal
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classique, lié à l’intégrité du libre arbitre, et la rupture avec la


conception millénaire de l’irresponsabilité pénale des déments.
23 On date généralement cette transformation de la célèbre
circulaire du ministère de la Justice Chaumié en 1905,
fréquemment évoquée par les juristes, mais aussi par Michel
Foucault dans Les anormaux50. Adressée aux procureurs
généraux, celle-ci invite les experts psychiatres à rechercher
dans quelles mesures l’accusé peut révéler « des anomalies
physiques, psychiques ou mentales », ne relevant pas de
l’aliénation mentale au sens de l’article 64, mais justiciables
d’une « responsabilité atténuée51 ». Il faut en réalité l’inscrire
dans une temporalité plus longue puisqu’elle est précédée par
un travail jurisprudentiel antérieur d’une vingtaine d’années et
suivie, près d’un siècle plus tard, par son introduction dans la
loi. Un arrêt de la Cour de cassation de 1885 admet en effet la
gradation de la responsabilité pénale et permet déjà de punir
des malades mentaux. En voici la formulation :
« Il n’y a pas violation de l’article 64 du Code pénal dans un
arrêt qui condamne le prévenu, tout en constatant pour
justifier la modération de la peine qu’il ne jouit pas de la
somme ordinaire de jugement que caractérise un complet
discernement des choses et qu’il y a en lui un certain défaut
d’équilibre qui, sans annuler sa responsabilité, permet
cependant de la considérer comme limitée52. »

24 La réforme du Code pénal de 1994 voit finalement ce nouveau


principe, entré par la petite porte de la pensée juridique,
s’inscrire dans le corpus légal du Code. Il marque le terme
d’une évolution ancienne dont le basculement fondamental se
situe bien dans les années 1880, lorsqu’émerge la théorie de la
défense sociale53. Les transformations de la doctrine pénale qui
s’effectuent alors en direction d’une justice où dominent les
préoccupations sociales se conjuguent avec des conceptions
très biologiques de la maladie mentale comme la
dégénérescence. Mon travail permet de montrer que c’est
cependant en amont, et dans le cadre de la justice rétributive,
morale, du premier xixe siècle, que s’est effectué chez les
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juristes un travail fondamental de « subjectivation » de


l’activité judiciaire sur lequel on veut maintenant se pencher.
25 Elle s’appuie sur la psychologie morale qui forme chez les élites
du premier xixe siècle une grille de lecture acquise notamment
au fil des années de lycée. Elle est largement héritée de
l’Ancien Régime avec une forte influence allemande :
Heinroth, Wolf mais aussi française du côté de Bossuet ou
Fénelon et relayée au xixe siècle par l’école spiritualiste
dominante sous la monarchie de Juillet, de Maine de Biran ou
Auguste Comte54. Ce socle fort et très structuré permet de lire
l’âme en termes de facultés morales et suivant la nomenclature
des passions, et de mesurer ainsi l’investissement moral des
actes commis. Le rouage qui conduit à introduire cette
psychologie en justice est une notion tout aussi ancienne que
centrale, formant une référence peu contestable et peu
débattue : celle de la faute. La justice morale du premier
e
xix siècle punit donc des fautes. Les auteurs de doctrine

proposent, à partir des années 1830, de mesurer finement la


culpabilité des inculpés à partir de l’estimation de l’intensité de
la faute commise, en examinant la volonté, la conscience, etc.
C’est ce rouage qui permet de passer d’une justice objective à
une justice subjective, d’une culpabilité/intention matérielle à
une culpabilité/volonté morale graduée. On retrouve ces
notions directement réinvesties dans les traités de droit, par
exemple chez Hélie et Chauveau :
« Les nuances de la culpabilité, écrivent-ils, sont infinies ; il
faut que la peine, souple et variée, puisse grandir et se
proportionner avec elles. C’est à la loi de donner des degrés à
ses peines, au juge à les graduer d’après la sensibilité qu’il
rencontre dans l’agent55 ? »

26 Le glissement s’effectue peut-être plus subtilement encore chez


Pellegrino Rossi, tête de file de l’école néoclassique, qui évoque
non plus seulement la gradation de la culpabilité mais
directement celle du libre arbitre, donc de la responsabilité :
« La peine, écrit-il, doit se proportionner à la moralité de l’acte,
[…] mais aussi à celle de l’agent. […] On doit par conséquent
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prendre en considération tous les autres faits personnels qui


peuvent affaiblir ou faire disparaître la culpabilité de l’auteur
de l’acte matériel56. »
27 C’est enfin l’éminent juriste Joseph Elzéar Ortolan qui pousse
le plus loin cet effort de théorisation et peaufine la cohérence
du système en distinguant nettement culpabilité et
responsabilité pénale :
« Il nous faut rechercher dans la personne de l’agent quelles
sont les conditions de nature à constituer en lui l’imputabilité,
la responsabilité, ou à influer sur les divers degrés de
culpabilité. […] Il suffit de se reporter au rôle que joue, dans les
conditions de l’imputabilité et de la culpabilité, chacune des
facultés de l’âme57. »

28 À partir des années 1830, certains auteurs réclament donc une


subjectivation des procédures de jugement au nom d’une
punition plus exacte et proportionnée de la faute, aux
antipodes donc de la défense sociale par ses principes, mais
précurseur dans ses méthodes. La proposition suscite
d’ailleurs, parfois chez les mêmes auteurs, certaines réserves
également très argumentées qui seront réemployées à la fin du
siècle. Chauveau et Hélie modèrent ainsi ces nouvelles
ambitions judiciaires :
« La justice humaine a-t-elle les moyens de saisir avec
certitude l’intention. Peut-elle remonter dans tous les cas et
avec certitude jusqu’à la loi morale ? Enfin, même en
supposant ces nuages dissipés, ne sera-t-elle pas inhabile
encore à traduire dans une peine exactement correspondante
la criminalité de l’acte inculpé ? Il ne suffit pas que la justice se
proclame une mission, il faut qu’elle puisse l’accomplir ; et,
suivant l’aveu de M. Rossi lui-même (t. III, p. 102), faute de
quantités certaines et de données fixes le problème est encore à
résoudre58. »

29 Dans les années 1880 les juristes qui tentent de fonder une
théorie de la peine reposant sur une nouvelle responsabilité
pénale sociale auront les mêmes formes de prévention59.
Gabriel Tarde, dans son introduction à l’ouvrage de Raymond
Saleilles, évoque ainsi « les moralistes nouveaux qui, malgré
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leurs convictions religieuses, commencent à rompre l’antique


association d’idées établie entre liberté et responsabilité60 », et
Raymond Saleilles, lui-même, assimile non sans ironie « la
question de savoir si l’acte concret a été un acte fait en état de
liberté morale » à « une question de psychologie morale
précédée d’un problème de métaphysique pure61 ». Il réclame
une adaptation des peines aux criminels suivant des critères et
des objectifs différents : « Ce que nous proposons, c’est une
individualisation de la peine faite d’après le tempérament de
l’agent et ses chances de retour au bien62. » Une peine projetée
donc vers l’avenir du condamné et non vers son passé
coupable.
30 L’analyse de l’activité judiciaire m’a permis de dégager les
traductions pratiques de cette évolution, sans qu’il soit
possible d’établir un lien véritable de causalité entre les deux
mais plutôt une conjonction, un travail de la pensée juridique
effectué en plusieurs lieux. Lors de l’affaire Jules Rousse, un
réquisitoire d’expertise de 1855 atteste ainsi par exemple des
efforts précoces d’investigation sur l’intériorité des inculpés
menés par les magistrats. Le procureur y sollicite des médecins
experts sur des points précis et nombreux et non plus sur la
seule conclusion de responsabilité et de démence. On a là un
programme d’expertise mentale pionnier, biomédical, moral,
psychologique et intellectuel. Il propose de :
« Rechercher les cas de folie ou de monomanie qui se seraient
produites dans la famille de Jules Rousse, branches paternelle
et maternelle.
(Causes prédisposantes)
Quelle était la santé de l’inculpé ? Son tempérament ? Ses
dispositions maladives ? (Hérédité)
A-t-il quelques tendances à l’épilepsie, ou affections
nerveuses ?
(Phénomènes pathologiques à constater)
Quels étaient son caractère et ses mœurs ?
Constater quelle a été son éducation dans la famille ? Qui l’a
élevé ?
Qui l’a entouré ? Quelles ont été ses lectures ?

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Quels étaient ses principes religieux ? Pratiquait-il ? (rayé :


Depuis combien de temps ne s’était-il pas rapproché du
tribunal de la pénitence.)
Quelle est son intelligence ? Sa sagacité ? Sa force de
caractère ? Sa manière d’être intellectuelle ? Adoptait-il une
idée exclusivement à toute autre ?
Était-il avare ou économe ? Ambitieux ?
Avait-il des amis ? Quels étaient ces amis et sa conduite avec
eux ? Était-il expansif ?
A-t-il jamais frappé ses domestiques ? Était-il Barbare envers
les animaux ?
Quels étaient ses penchants ? Vices secrets ? Propensions ?
Pour les femmes, rapports intimes avec elles ? Etc.63 »
31 On trouve dans ce document bien des aspects du pouvoir
disciplinaire de contrôle des corps décrit par Foucault mais,
surtout, une part importante de psychologie, au sens moderne
du terme. L’expertise psychiatrique dans les années 1860
sollicite de la part des inculpés un récit de soi à caractère
biographique, « le récit des détails de sa vie64 », dira un
inculpé, qui échappe pour une part au strict domaine de
compétence des médecins. L’enfance, la vie sociale, la
sexualité, les comportements de cruauté en sont autant de
points de cristallisation et produisent un sujet psychique,
construit dans un temps biographique, susceptible d’apporter
l’explication du crime et des caractères d’une personnalité
déterminante pour l’avenir.

Conclusion
32 Au cours de cette histoire des pratiques judiciaires nouées
autour de la question de la folie criminelle, je crois, au fond,
que j’ai cherché à donner corps à ce « pouvoir » selon Michel
Foucault, dont on a beaucoup dit qu’il était sans visage, d’en
faire une histoire concrète, d’en dégager des scansions
chronologiques bien plus rythmées que ce à quoi on aurait pu
s’attendre. Partie du judiciaire, j’ai voulu réfléchir aux
mécanismes de production du droit dans ses échanges avec les
idées des premiers aliénistes, en une forme d’histoire
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intellectuelle des discours de vérité parce qu’il me semblait, et


suivant en cela Michel Foucault, que ces discours constituaient
l’armature rhétorique des procédures judiciaires qui en sont,
en quelque sorte, les effets sociaux, infléchissant directement
les parcours individuels.
33 La question initiale de l’irresponsabilité et de la frontière
séparant fous et criminels s’est déplacée pour aboutir à tout
autre chose, car cette histoire de la rencontre entre droit et
psychiatrie en croise une autre, celle d’un système judiciaire
qui individualise ses peines en fonction de l’intériorité morale,
puis psychique, des inculpés et manifeste en cela la mutation
des formes et des points de prise du pouvoir. Cette dernière
étape est donc une histoire du sujet de connaissance et de
l’émergence d’un sujet psychique, qui retentit non seulement
dans les discours savants et dans les pratiques pénales mais
aussi dans la manière dont les individus, à partir des
années 1860, sont interrogés par les experts, les psychologues
et les magistrats et deviennent eux-mêmes capables de dire ce
qu’ils sont, en s’appuyant largement sur une expérience
nouvelle de la biographie. Cette étape ramène à un
questionnement formalisé très tôt par Foucault, peut être
même dès son travail consacré à l’Anthropologie d’un point de
vue pragmatique d’Emmanuel Kant65. Il constitue le point
d’attache d’un grand nombre de développements ultérieurs,
lesquels, au regard de ces quelques résultats et du grand
chantier collectif mené depuis Surveiller et punir, m’inspirent
principalement un immense sentiment de modestie tant à
l’égard de l’amplitude des analyses que de la précision d’une
immense érudition.

Notes
1. Guignard L., Juger la folie. La folie criminelle aux Assises (1791-1880),
Paris, PUF, 2010.
2. La réflexion s’est également nourrie des intenses débats publics
concernant la réforme pénale qui ont jalonné la période dont témoignent
des rapports parlementaires consacrés à l’irresponsabilité pénale et à la
dangerosité : par exemple le rapport Burgelin, Santé, justice et
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dangerosité : pour une meilleure prévention de la récidive, juill. 2005, ou


le rapport Garraud, Réponses à la dangerosité, 2008. Il a également
bénéficié d’autres éclairages émanant d’historiens, puisant eux-aussi aux
sources foucaldiennes : on peut mentionner, notamment, un important
colloque consacré aux enquêtes judiciaires Farcy J.-C., Kalifa D., Luc J.-N.
(dir.), L’enquête judiciaire en Europe au xixe siècle, Paris, Créaphis, 2007 ;
et le colloque de Genève consacré à Surveiller et punir, qui marque un
premier bilan de l’héritage du texte en histoire ou en sociologie : Cicchini
M. et Porret M. (dir.), Les sphères du pénal avec Michel Foucault,
Lausanne, Antipodes, 2007 ; ou, plus récemment, Kalifa D., « Enquête et
“culture de l’enquête” au xixe siècle », Romantisme, no 149-3, 2010, p. 3-
23 ; Malandain G., L’introuvable complot. Attentat, enquête et rumeur
dans la France de la Restauration, Paris, Éd. de l’Ehess, 2011.
3. Elle est formalisée dans l’article 64 du Code pénal de 1810 : « Il n’y a ni
crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de
l’action. »
4. La bibliographie des travaux historiques est succincte sur cette
thématique, il faut renvoyer aux travaux de juristes, philosophes du droit
ou philosophes : Debuyst C., Digneff F. et Pires Alvaro P., Histoire des
savoirs sur le crime et la peine, Bruxelles, Larcier, 1998, 2 vol. ; Goyard-
Fabre S., « Kant et l’idée pure du droit », Archives de philosophie du droit,
no 26, 1981, p. 135-155 ; Gros F., « Les quatre foyers de sens de la peine »,
dans Antoine Garapon, François Gros et Thierry Pech, Et ce sera justice.
Punir en démocratie, Paris, Odile Jacob, 2001, p. 13-137 ; Léauté J. (dir.),
La responsabilité pénale, travaux du colloque de philosophie pénale (12-21
janvier 1959), Paris, Dalloz, 1961 ; Thomas Y., « Acte, agent, société. Sur
l’homme coupable dans la pensée juridique romaine », Archives de
philosophie du droit, no 22, 1977, p. 63-85 ; Villey M., « Esquisse historique
sur le mot responsable », Archives de philosophie du droit, no 22, 1977,
p. 45-59 ; Id., « La pensée moderne et le système juridique actuel », Leçons
d’histoire de la philosophie du droit, Paris, Dalloz, [1961] 2002, p. 51-69 ;
Id., préface à Emmanuel Kant, Métaphysique des mœurs, première partie,
Doctrine du droit, Paris, J. Vrin, 1993.
5. Ces aspects sont abordés dans Foucault M., Surveiller et punir.
Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, notamment p. 187 ; Id., Les
anormaux. Cours au Collège de France, 1974-1975, éd. par V. Marchetti et
A. Salomoni, Paris, Gallimard/Seuil, 1999 ; Id., « La vérité et les formes
juridiques. Conférences à l’université pontificale catholique de Rio de
Janeiro du 21 au 25 mai 1973 » [1974], Dits et écrits, éd. par D. Defert et F.
Ewald, Paris Gallimard, 2001, vol. I, p. 1406-1514 (notamment p. 1410).
6. C’est le cas de l’organisation juridique du Code pénal de 1810 qui
s’intéresse exclusivement à la qualification des faits et ne laisse aux
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magistrats qu’une marge de manœuvre très limitée en termes de définition


de la peine.
7. Foucault M., Surveiller et punir…, op. cit., p. 28.
8. Azouvi F., « Notes en marge d’un livre », dans Renaud Barbaras (dir.), no
spécial « Maine de Biran », Les études philosophiques, no 2, 2000, p. 149-
153 ; Goldstein J., The Post-Revolutionary Self : Politics and Psyche in
France, 1750-1850, Cambridge, Harvard University Press, 2005 ; Leterrier
S.-A., L’institution des sciences morales. L’Académie des sciences morales
et politiques, Paris, L’Harmattan, 1995 ; Swain G., Le sujet de la folie, Paris,
Gallimard, 1997.
9. Sbriccoli M., « L’histoire, le droit, la prison. Notes pour une discussion
sur l’œuvre de Michel Foucault », dans Philippe Artières et al. (dir.),
Surveiller et punir de Michel Foucault. Regards critiques (1975-1979),
Paris, Presses universitaires de Caen, 2010, p. 323-349 ; voir aussi Ewald
F., « Une expérience foucaldienne : les principes généraux du droit », dans
Jean Piel (dir.), no spécial « Michel Foucault : du monde entier », Critique,
no 471-472, 1986, p. 786-793.
10. Voir, dans ce volume, l’article de Julien Dubouloz.
11. « Plutôt que d’orienter la recherche sur le pouvoir du côté de l’édifice
juridique de la souveraineté, du côté des appareils d’État, du côté des
idéologies qui l’accompagnent, je crois qu’il faut orienter l’analyse du
pouvoir du côté de la domination (et non pas de la souveraineté), du côté
des opérateurs matériels, du côté des formes d’assujettissement, du côté
des connexions et utilisations des systèmes locaux de cet assujettissement
et du côté, enfin, des dispositifs de savoir », Foucault M., Il faut défendre la
société. Cours au Collège de France, 1975-1976, éd. par M. Bertiani et A.
Fontana, Paris, Gallimard/Seuil, 1997, p. 30.
12. « Mon problème [écrit-il] serait en quelque sorte celui-ci : quelles sont
les règles de droit que les relations de pouvoir mettent en œuvre pour
produire des discours de vérité ? Ou encore : quel est donc ce type de
pouvoir qui est susceptible de produire des discours de vérité qui sont, dans
une société comme la nôtre, dotés d’effets si puissants ? », ibid., p. 22.
13. Ibid., p. 33.
14. Ibid., p. 35. Ce rapport entre pouvoir, droit et vérité s’organise d’une
façon très particulière. Voir le cours du 14 juillet 1976.
15. Evrard F., Michel Foucault et l’histoire du sujet en Occident, Paris,
Bertrand Lacoste, 1995, p. 80.
16. Geertz C., Savoir local, savoir global. Les lieux du savoir, trad. par D.
Paulme, Paris, Puf, [1983] 1986, p. 215.

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17. Thomas Y., « La division des sexes en droit romain », dans Georges
Duby et Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, vol. I,
L’Antiquité, Paris, Plon, 1991, p. 103-156, ici p. 134.
18. Madero M., « Penser la tradition juridique occidentale. Une lecture de
Yan Thomas », Annales. Histoire, Sciences Sociales, no 67-1, 2012, p. 103-
133, ici p. 120.
19. On peut néanmoins mentionner les travaux suivants : Latour B., La
fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’État, Paris, La
Découverte, 2002 ; Goyard-Fabre S., « Le procès, révélateur du droit »,
Revue de la recherche juridique, no 1, 1983, p. 143-154 ; no spécial « Le
procès », Archives de philosophie du droit, 39, 1994 ; no spécial, « La
création du droit par les juges », Archives de philosophie du droit, 50,
2007. Pour une réflexion plus historique, voir le dossier « La science
juridique entre politique et sciences humaines (xixe-xxe siècles) », Revue
d’histoire des sciences humaines, no 4-1, 2001, ainsi que Stora-Lamarre A.,
Halpérin J.-L. et Audren F. (dir.), La République et son droit (1870-1930),
Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2011.
20. Dont les occurrences comme substantifs sont alors nouvelles.
21. Ortolan J. L. E., Éléments de droit pénal. Pénalité – juridictions –
procédure, suivant la science rationnelle, la législation positive et la
jurisprudence, avec les données de nos statistiques criminelles, Paris, E.
Plon, 1855, p. 126.
22. Ibid., p. 125.
23. La pratique judiciaire de l’expertise est ancienne et ne pose pas de
problème de principe tant que les doctrines des experts conviennent aux
conceptions des magistrats. Voir, notamment, sur cette question Porret M.,
Sur la scène du crime - Pratique pénale, enquête et expertises judiciaires à
Genève (xviiie-xixe siècle), Montréal, Presses de l’université de Montréal,
2009 ; Id., « La médecine légale entre doctrine et pratique », Revue
d’histoire des sciences humaines, no 22-1, 2010, p. 3-15 ; Rabier C., Fields of
Expertise : A Comparative History Procedures in Paris and London, 1600
to Present, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2007.
24. Merlin P.-A., Répertoire universel de jurisprudence, Paris, 1825-1828,
vol. III, p. 486.
25. Legraverend J.-M., Traité de législation criminelle en France, Paris,
[1816] 1830, p. 465.
26. On en retrouve l’expression dans la jurisprudence : « Il ne suffit pas
qu’un homme ait des instincts bizarres. […] Il doit être tout à fait privé
d’intelligence et ne jouir que d’une volonté quasi animale », Arrêt de la

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Cour de cassation de janvier 1817, affaire Chaussepied, éd. Devilleneuve L.


M. et Gilbert P., Jurisprudence du xixe siècle, Paris, 1851, no 633.
27. Foucault M., Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard,
1972, p. 163.
28. La logique juridique ne procède pas par généralisation, mais plutôt par
des procédés de « stabilisation de l’exceptionnel », Thomas Y., « L’extrême
et l’ordinaire. Remarques sur le cas médiéval de la communauté disparue »,
dans Jacques Revel et Jean-Claude Passeron (dir.), Penser par cas, Paris,
Éd. de l’Ehess, 2005, p. 45-73, ici p. 46.
29. Chauveau A. et Hélie F., Théorie du Code pénal, Paris, E. Legrand et
Descauriet, 1837, p. 218.
30. Garçon E., Code pénal annoté, Paris, L. Larose et L. Tenin, 1911, vol. I,
p. 173 : « Certains criminalistes ont recherché si la folie partielle et la
monomanie ne justifient que les actes qui se rattachent à cette monomanie.
La médecine a rejeté ces distinctions. En tout cas, les juristes n’ont pas
compétence à résoudre ces controverses purement médicales et leurs
dissertations restent sans autorité. »
31. Ce travail a abordé la pratique judiciaire de trois cours d’assises sur la
question de l’aliénation mentale : Versailles, Rennes et Pau entre 1821 et
1865. Sur la méthodologie suivie, je renvoie à ma publication, Guignard L.,
Juger la folie…, op. cit.
32. Voir l’ouvrage très éclairant de Douglas M., Comment pensent les
institutions, Paris, La Découverte, 1999.
33. Kalifa D., « Enquête et “culture de l’enquête” au xixe siècle »,
Romantisme, no 149-3, 2010, p. 4-23. L’auteur y évoque « l’immense
inflation des savoirs (et de pratiques) herméneutiques, indiciaires,
inductifs, “décryptifs”, que le xixe siècle produit en continu ».
34. Guignard L., « Folie ou passion ? Étude sur une enquête criminelle :
Jules Rousse (acquittement d’un monomane, 1855) », Revue d’histoire du
e
xix siècle, juillet 2008, p. 37-57, en ligne, http://rh19.revues.org/2602?

lang=en ; Id., « Aliénation mentale, irresponsabilité pénale et dangerosité


sociale face à la justice du xixe siècle. Étude d’un cas de fureur (Théodore
Durand) », Crime, Histoire, Société, no 10-2, 2006, p. 83-100, en ligne,
http://chs.revues.org/index219.html.
35. Foucault M., Les anormaux…, op. cit., notamment le cours du 5 février
1975.
36. Foucault M., « L’évolution de la notion d’individu dangereux dans la
psychiatrie légale », Déviance et Société, no 5-4, 1981, p. 403-422, ici p. 412.

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37. Sur l’affaire de la monomanie homicide : Pedron A., « Le crime et la


folie. Trois causes célèbres de la monomanie homicide et la naissance de la
psychiatrie médicolégale (1824-1830) », thèse, Paris, 1984 ; Goldstein J.,
Consoler et classifier. L’essor de la psychiatrie française, Paris, Les
empêcheurs de penser en rond, 1997.
38. Guignard L., « Antoine Léger, assassin, violeur et anthropophage
(1824) », L’Histoire, juin 2013.
39. C’est évidemment vrai très tôt du côté des avocats qui utilisent
l’argument à l’envi, mais aussi dans les textes des magistrats comme en
témoigne la série des comptes rendus des présidents d’assises (Archives
nationales, BB20).
40. Guignard L., « Aliénation mentale… », art. cit.
41. Castel R., L’ordre psychiatrique. L’âge d’or de l’aliénisme, Paris, Éd. de
Minuit, 1976, apporte aussi des analyses éclairantes à ce mouvement de
médicalisation du crime.
42. Voir infra, note 30.
43. AD Seine-et-Oise, 2U1850-5, Versailles, 1851.
44. Molinier V., « De la monomanie envisagée sous le rapport de
l’application de la loi pénale », Revue de législation et de jurisprudence,
no 46, 1853, p. 266.
45. Guignard L., « Sonder l’âme des criminels : expertise mentale et justice
subjective au tournant des années 1860 », Revue d’histoire des sciences
humaines, no 22-1, 2010, p. 99-117.
46. Guignard L., « Prémices de la dangerosité : les “hommes dangereux”
aux Assises avant la Défense sociale (1860-1880) », dans Laurence
Guignard, Hervé Guillemain et Stéphane Tison (dir.), Expériences de la
folie. Criminels, soldats, patients en psychiatrie (xixe-xxe siècle), Rennes,
Presses universitaires de Rennes, 2013. Voir aussi, dans le même volume,
les travaux de Jean-Christophe Coffin et Véronique Fau-Vincenti.
47. Foucault M., « La vérité et les formes juridiques… », art. cit., p. 1408.
48. Saleilles R., L’individualisation de la peine : étude de criminalité
sociale, Paris, F. Alcan, 1898.
49. Par exemple lors des débats de la Société médico-psychologique sur la
responsabilité partielle de 1863, qui apparaît comme un véritable manifeste
en faveur de la responsabilité graduée. Les textes sont publiés dans les
Annales médico-psychologiques, 4e série, no 1, mars 1863.
50. Foucault M., Les anormaux…, op. cit., p. 23, cours du 8 janvier 1975.
51. Circulaire du garde des Sceaux Chaumié, 12 déc. 1905.

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52. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation rendus en matière


criminelle, t. 90, année 1885, éd. Paris, 1887, p. 285, no 170.
53. Sanchez J.-L., « Les lois Bérenger (lois du 14 août 1885 et du 26 mars
1891) », no spécial « Criminologie et droit pénal », Criminocorpus, revue
hypermédia. Histoire de la criminologie, 3, 2005 en ligne,
http://criminocorpus.revues.org/132 ; Stora-Lamarre A., « Du sursis à
l’exécution des peines. Les fondements doctrinaux de la loi du 26 mars
1891 », dans Benoît Garnot (dir.), Ordre moral et délinquance de
l’Antiquité au xxe siècle, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, p. 225-
232 ; Schnapper B., « Le sénateur Bérenger et les progrès de la répression
pénale en France (1870-1914) », Voies nouvelles en histoire du droit. La
justice, la famille, la répression pénale, xvie-xxe siècles, Paris, Puf, 1991,
p. 353-375.
54. Vidal F., Les sciences de l’âme, xvie-xviiie siècle, Paris, Honoré
Champion, 2006 ; Leterrier S.-A., L’institution des sciences morales, op.
cit.
55. Chauveau A. et Hélie F., Théorie du Code pénal, op. cit., p. 88.
56. Rossi P., Traité de droit pénal, Paris, 1829, p. 234-235.
57. Ortolan J. L. E., Éléments de droit pénal…, op. cit., p. 103.
58. Chauveau A. et Hélie F., Théorie du Code pénal, op. cit., p. 85-86.
59. Par exemple chez Gabriel Tarde, son élève, Raymond Saleilles ou Lévy-
Bruhl. Voir Tarde G., Philosophie pénale, Lyon, Storck, 1890, notamment
chap. 3, « Théorie de la responsabilité », où il propose « une responsabilité
morale fondée sur l’identité personnelle et la similitude sociale ».
60. Saleilles R., L’individualisation de la peine…, op. cit., p. IV.
61. Ibid., p. 75.
62. Ibid., p. 43.
63. AD Basses-Pyrénées, Dossier de procédure, Réquisitoire du parquet aux
docteurs Degranges et Laffargue, 1854, 2 U 969 (affaire Jules Rousse,
assassin de sa belle-mère, il sera acquitté pour monomanie).
64. AD Seine-et-Oise, Dossier de procédure, 2 U 492, 1863 (affaire
Gendron).
65. Michel Foucault travaille à la rédaction d’une préface de l’ouvrage
en 1959 et 1960, qui ne sera finalement publiée qu’en 2008 : Kant E.,
Anthropologie d’un point de vue pragmatique, précédé de Introduction à
l’« Anthropologie », Michel Foucault, Paris, J. Vrin, 2008.

Auteur

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Laurence Guignard
Du même auteur

Expériences de la folie, Presses


universitaires de Rennes, 2013
Corps et machines à l'âge
industriel, Presses universitaires
de Rennes, 2011
Enfermement et suicide sous la
IIIe République : le paradigme de
la discipline in Enfermements.
Volume II, Éditions de la
Sorbonne, 2015
Tous les textes
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sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Référence électronique du chapitre


GUIGNARD, Laurence. La pratique des discours de vérité : droit et
psychiatrie au xixe siècle In : Une histoire au présent : Les historiens et
Michel Foucault [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2013 (généré le 23
novembre 2023). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/editionscnrs/24052>. ISBN :
9782271129987. DOI : https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.24052.

Référence électronique du livre


BOQUET, Damien (dir.) ; DUFAL, Blaise (dir.) ; et LABEY, Pauline (dir.).
Une histoire au présent : Les historiens et Michel Foucault. Nouvelle
édition [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2013 (généré le 23 novembre
2023). Disponible sur Internet :

https://books.openedition.org/editionscnrs/24052 28/29
23/11/23, 18:07 Une histoire au présent - La pratique des discours de vérité : droit et psychiatrie au xixe siècle - CNRS Éditions

<http://books.openedition.org/editionscnrs/23990>. ISBN :
9782271129987. DOI : https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.23990.
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Une histoire au présent


Les historiens et Michel Foucault

Ce livre est cité par


Anheim, Étienne. (2014) Clément VI au travail. DOI:
10.4000/books.psorbonne.26484
Gorge, Hélène. (2018) Michel Foucault et la consommation. DOI:
10.3917/ems.roux.2018.01.0022

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