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Séquence : La Littérature d’idées du XVIe au XXIe siècle

Parcours : « Écrire et combattre pour l’égalité »

Explication de texte : Texte 1, corrigé


Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges, 1791,
Du Préambule à l’article II,
5

DÉCLARATION DES DROITS DE LA FEMME ET DE LA CITOYENNE

Á décréter par l’assemblée nationale dans ses dernières séances ou dans celle de la prochaine législature.

Préambule.

10 Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en assemblée
nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes
des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, [elles] ont résolu d’exposer dans une
déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration,
constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs
15 devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque
instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les
réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent
toujours au maintien de la constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.

En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles,
20 reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les Droits suivants de la Femme
et de la Citoyenne

1
Corrigé explication de texte Déclaration d’Olympe de Gouges : texte 1

Le 26 août 1789, les membres de la toute jeune Assemblée Nationale, constituée à l’occasion du
25 Serment du jeu de Paume (le 20 juin de la même année), proclamaient dans la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen que « tous les hommes naissent libres et égaux en droit ». Ils proclamaient
ainsi l’adhésion du nouvel État français à un principe qui avait entraîné l’abolition des privilèges d’Ancien
Régime (la nuit du 4 août).
Pourtant, lorsque la femme de lettres Olympe de Gouges prend la plume en 1792 et publie sa
30 Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, c’est pour mettre les auteurs de ce texte fondateur
devant leurs contradictions. En effet, cette proclamation égalitaire servait depuis lors de vitrine
constitutionnelle à une société qui ne l’était en rien. L’adoption du suffrage censitaire en 1790 opposait
les citoyens actifs, contribuant à l’impôt à l’écrasante majorité des autres, spectateurs de la vie publique :
outre les pauvres incapables de payer le cens, les noirs (esclaves ou « libres de couleur »), les étrangers,
35 et bien sûr les femmes.
C’est l’exclusion hors de la sphère publique de ces dernières et leur relégation à l’univers
domestique qu’Olympe de Gouges dénonce spécifiquement dans ce texte ; elle prend donc la parole au
nom d’un groupe démographique conséquent qui rassemble la moitié de la Nation.

40 [Lecture]

1- (l. 1-5) : Après le titre, et une proposition liminaire informant sur la destination du texte, la
première phrase du « Préambule » formule d’emblée, et sans ambages, la fonction de cette
Déclaration qui est de porter une revendication.
2- (l. 5-12) : La deuxième phrase du préambule est une longue période1 qui, tout en demeurant
45 très proche de l’original, parvient à justifier le caractère vertueux de l’égalité entre les sexes.
3- (l. 13-15) : Enfin, le dernier paragraphe est une péroraison qui assure la transition entre le
« Préambule » et les articles de la Déclaration en tirant les conclusions logiques des
arguments qui le précèdent.

Aussi allons-nous voir en quoi2 le texte d’Olympe de Gouges (OG), constitue une réécriture3
50 parodique de La Déclaration des Droits de l’homme de 1789.

En effet, on définit par parodie, (étymologiquement un contre chant, para odè) une parole
qui reprend de manière perceptible certains éléments d’un original, de manière à ce qu’ils
soient immédiatement associés par le destinataire, mais en y intégrant assez de modifications
pour porter implicitement un autre discours, satirique ou contestataire, qui prenne pour cible
l’original. Il s’agit donc d’une forme amplement polyphonique4. Dans une large mesure faire
l’explication de texte de la Déclaration d’OG, c’est aussi commenter la Déclaration de 1789, mais
en tenant toutefois compte de la voix d’OG qui se superpose au texte original.

l. 1 : Titre : OG reprend et modifie ostensiblement le titre du document original. « L’Homme » de la


Déclaration originale était en effet entendu dans son sens étymologique5 d’individu de l’espèce humaine.
Dans cette vision andro-centrée du genre humain, où l’individu masculin constituait la norme et le

1
On appelait en rhétorique des phrases particulièrement longue, souvent construites par subordination, qui avaient le
mérite de donner beaucoup d’ampleur à la pensée, mais qui reposaient sur un équilibre fragile à l’oral.
5 2
Introduit une interrogation indirecte.
3
On peut également parler de détournement.
4
On parle de polyphonie lorsqu’on peut identifier plusieurs voix ou personnes qui parlent (poly, plusieurs, phonè, la
voix) dans un même discours.
5
homo, hominem en latin donne à la fois « homme » et « humain » en français moderne, tandis que vir, viri, qui
10 désignait l’individu de sexe masculin, donne viril.
2
55 modèle de l’universalisme des Lumières, « l’homme et le citoyen » embrassaient génériquement la
femme et la citoyenne. Or, les femmes étant de fait exclues de la citoyenneté, OG conteste le caractère
prétendument inclusif de cette Déclaration : le recours au masculin neutre, ou masculin générique,
contribuant en effet davantage à invisibiliser les femmes et leurs revendications plutôt qu’à les intégrer
équitablement dans la communauté nationale.
60 Dans sa réécriture de la Déclaration, l’autrice pratique le pastiche6, en réemployant les codes et les
marqueurs stylistiques de l’original : l’emploi du singulier suggère une construction archétypale et
rhétorique de nature fictionnelle relevant de la création théorique d’une persona juridique propre à une
démocratie représentative, là où le pluriel aurait eu une dimension davantage concrète : en figurant une
collection d’individus à la place d’un modèle d’individus, le pluriel aurait suggéré une fiction de démocratie
65 directe.
Encore une fois sur le modèle de l’original, la conjonction de coordination « et », loin d’être
anecdotique, marque bien la distinction entre deux statuts juridiques, dont les droits et les devoirs ne
coïncident pas : l’homme d’une part et le citoyen d’autre part, ou dans le cas de cette réécriture parodique
la femme et la citoyenne.
70
En effet, l’original affichait l’ambition d’allouer des droits universels et inconditionnels à n’importe
quel individu de l’espèce humaine, indépendamment de son appartenance à la citoyenneté
nationale, qui elle s’accompagnait de droits et de devoirs spécifiques et conditionnels. Cela a pu
être interprété, par Sieyès notamment, comme une distinction entre « citoyenneté passive », qui a
pour vertu d’accorder des droits aux enfants, aux étrangers, ainsi qu’aux femmes, et « citoyenneté
active » qui participe à la construction des lois. Ce clivage est particulièrement rendu patent par le
suffrage censitaire instauré en 1792, qui soumet la citoyenneté active à une condition de
contribution pécuniaire. Mais les femmes se voient de toute façon exclues sans considération de
ressources. Autrement dit, là où l’original instaurait une distinction qui avait pour but initial
d’intégrer les non-citoyens dans un régime juridique équitable, le titre d’OG dénonce
l’exclusion des femmes et de la citoyenneté, et le reste du texte affirme son projet de faire
coïncider « la femme » et « la citoyenne ».

l. 2 : Après le titre un énoncé prescriptif à l’infinitif de valeur injonctive, qui en parodiant la procédure
des organes législatifs affiche sa finalité politique, une ambition qui, elle, est à prendre au sérieux.

Dans le texte d’OG, on est forcé de remarquer le volume pris par les paratextes7 par rapport à la
Déclaration elle-même8 qui est constituée d’articles, censés avoir valeur de droit. C’est que la mise
en place de cette parole juridique, son énonciation, est peut-être plus importante que son
énoncé lui-même pour comprendre ses revendications. On peut parler d’un acte constitutionnel9
qui se met en scène.

75 l. 3 : « Préambule » : reprend l’intitulé de l’original, le préambule est un court texte introductif qui
prépare la mise en marche du discours10. Encore plus que pour le titre, les modifications apportées au
texte de 1789, sont rares ; OG a voulu que le lien avec l’original soit évident, et ainsi mieux dénoncer son
6
Pastiche : ouvrage qui travaille à l’imitation du style d’un auteur, d’un genre ou d’une époque.
7
Ensemble des éléments textuels qui accompagnent une œuvre écrite (titre, dédicace, préface, notes, etc.), ce sont
15 les entours du texte.
8
Tous les paratextes que rassemblent vos éditions sont : la dédicace « Á la Reine», une apostrophe aux hommes,
intitulée « Les droits de la femme », le « Préambule », le « Postambule », et enfin la « Forme du contrat social de
l’homme et de la femme » qui se veut une parodie de Rousseau : ne sont au programme que les éléments mis en
gras.
20 9
La Constitution est le premier texte de loi promulgué lorsque l’on fonde un nouveau régime (monarchique,
républicain). Il s’agit d’un ensemble de règles fondamentales qui prescrivent les principes fondateurs et le mode de
fonctionnement du gouvernement.
10
pre : « avant » + ambulare : « marcher », comme dans « déambuler » (marcher sans but précis), « ambulatoire »
(service hospitalier dont on sort sur ses deux pieds), « somnambule » (quelqu’un qui marche dans son sommeil,
25 somnus).
3
inefficacité. Le principal changement tient au fait que, désormais, ce sont les femmes qui prennent la
parole pour porter une revendication dont elles seraient les bénéficiaires directes, mais pas
80 nécessairement exclusives, puisque cette inclusion serait supposée avoir des retombées vertueuses sur
l’ensemble de la société ; c’est l’un des arguments principaux du « Préambule ».

Á certains endroits du texte le changement par rapport à l’original tient simplement à


l’apparition de la désinence « e » marqueur grammatical de l’accord au féminin. C’est en
effet le paradoxe de cette langue, qu’il faille que les femmes occupent exclusivement une fonction
syntaxique pour n’être pas invisibilisées par la grammaire qui confond masculin et neutre. Le
texte d’OG fait en effet échos aux débats récents sur l’écriture dite « inclusive », sur lesquels on
ne vous demande évidemment pas de prendre position.

l. 4 : Ce « Préambule » est ouvert par une énumération : « Les mères, les filles, les sœurs ». OG
85 considère en premier lieu « la femme » dans ses liens familiaux, privés : le singulier du titre cédant la place
au pluriel, OG figure une multitude porteuse d’une légitimité évoquant une forme de démocratie directe.
Cette énumération éveille l’imagination du lecteur qui peut se figurer la célèbre « marche des femmes »
sur Versailles (5 octobre 1789), tandis qu’on peut également y voir une gradation vers l’égalité : « sœurs ».
Ce n’est pas la femme, prise isolément, ni même l’épouse, considérée par rapport à l’homme, qui
90 prennent la parole dans le texte d’OG, mais des femmes envisagées dans leurs liens de solidarité avec
les autres membres du corps social ; liens constitutifs de la Nation, source exclusive de la
souveraineté politique selon l’article 3 de la Déclaration de 1789. OG commence donc par convoquer un
imaginaire social qui est porteur d’un grand pouvoir symbolique, et promeut la vision d’un politique indexé
sur le social. On voit qu’elle peint les femmes dans leurs liens réciproques, les unes par rapport aux
95 autres, mais qui peuvent aussi être à la fois relatifs aux hommes et exclusifs de ces derniers, comme pour
les impliquer sans les désigner, en les ignorant souverainement.
Cette collection d’individus privés se trouve constituée en persona juridique qui porte une
revendication. En effet, « les représentantes de la Nation, demandent d’être constituées en Assemblée
Nationale », là où dans l’original « Les représentants de la Nation » se déclaraient tout simplement
100 « constitués en Assemblée Nationale. Il y a ici une asymétrie révélatrice d’un rapport de domination.

l.5-6: « Considérant que […] corruption des gouvernements ». OG part du même constat que l’original, et
ne fait que remplacer « homme », et sa supposée universalité, par « femme ». Cette quasi-citation de la
Déclaration de 1789, porte la trace d’une nouvelle conception du politique, qui était celle des
105 révolutionnaires de 89, et selon laquelle la finalité de toute association politique, est le bonheur du plus
grand nombre. Le « malheur » (l. 5) est donc naturellement son contre-modèle. L’accès à ce bonheur
étant supposé garanti par des droits, violer ces droits revient à détourner l’institution politique de sa finalité.
Lorsque Olympe de Gouges affirme que les dérèglements « publics » (l.6) sont dans leur intégralité
causés par le viol quotidien du droit des femmes, son propos se veut ouvertement excessif. Il n’est pas à
110 prendre strictement au pied de la lettre, bien qu’il ne soit pas tout à fait dénué de sérieux. Mais il sert avant
tout une intention polémique ; c’est-à-dire qu’il cherche à provoquer, faire réagir, qui vise à rouvrir la
discussion sur les droits bafoués des femmes.

l. 6-7 : « [elles] ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et
115 sacrés de la femme ». Proposition principale de cette longue phrase qui occupe la quasi-totalité du
paragraphe. OG y énonce la fonction principale de cette « Déclaration » par la métaphore visuelle
« exposer », qui permet de comprendre ce que prendre la parole pour proclamer des droits veut dire. Il
s’agit de révéler au grand jour ces droits afin qu’ils ne puissent être ignorés ou niés de personnes.
L’étymologie latine du verbe déclarer, dont le nom commun « déclaration » est dérivé, renvoie déjà au
120 motif de la lumière : de + clarare peut-être reformulé par exposer à la lumière, rendre visible de part en
part, et partage la même racine que clair, clarté, clarifier.

4
l. 6-11 : Ouvre alors la litanie des « afin que », locutions conjonctives introduisant trois subordonnées
conjonctives en fonction de complément circonstanciel de but11 ; tout comme l’original, OG justifie les
fins qui motivent l’acte politique de déclarer des droits. L’anaphore (le fait de répéter un même mot, ou
125 groupe de mots, en tête de phrase, de proposition, ou de vers), en plus de conférer une certaine force au
discours en suggérant une forme de martèlement, renvoie à un style oral qui use volontiers de ces
marqueurs notables qui soutiennent l’attention de l’interlocuteur.
OG conserve ici encore la majorité du texte original, à ceci près qu’elle remplace le « pouvoir
législatif » (Déclaration de 1789) par le « pouvoir des femmes », et le « pouvoir exécutif » par le
130 « pouvoir des hommes », suggérant à l’intérieur du corps social une séparation et un équilibre des
pouvoirs entre les sexes que les institutions politiques auraient à charge d’organiser : à la condition
évidemment que les deux y soient représentés.
Elle ajoute également l. 11 « des bonnes mœurs » ; le rôle politique de la femme est en effet
traditionnellement associé au domaine privé, c’est-à-dire celui des mœurs12. OG semble anticiper la
135 contestation de ceux qui considèrent que la domestication des femmes, c’est-à-dire leur soumission aux
hommes et leur enfermement dans la sphère privée, est la condition sine qua non des bonnes mœurs.
Non, semble-t-elle dire, liberté politique des femmes ne signifie pas dérèglement moral de la société. Il ne
faut pas oublier qu’elle fut elle-même attaquée pour ses mœurs considérées assez libres pour son époque
(cf. biographie).
140
l. 13-15 : La locution adverbiale « En conséquence », est un connecteur logique qui ouvre la péroraison13
conclusive en affichant de manière ostensible la logique de son texte. La périphrase14 (l. 13), « le sexe
supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles », affirme la supériorité de la
femme en variant sur les périphrases conventionnelles « le beau sexe » ou « le sexe faible ». Cette
145 supériorité affirmée des femmes, se veut encore une fois polémique en procédant à une inversion des
valeurs dominantes : l’évocation des souffrances de la maternité place les femmes au principe même du
peuple souverain, puisque ce sont elles qui donnent naissance, et partant éduquent dans leur jeune âge,
les futurs citoyens. Ce faisant, elle construit une image élogieuse du genre féminin qui s’appuie malgré tout
sur des stéréotypes fréquents qui tendent à réduire les femmes à des agréments esthétiques, voués à
150 satisfaire la concupiscence des hommes, ou encore à la reproduction de l’espèce.

Conclusion : Ainsi, par des changements restreints du texte de 1789, Olympe de Gouges parvient à porter
son message de contestation qu’un lecteur de 1792 ne pouvait manquer d’associer au contexte politique
de l’époque. Au moment où est publiée La Déclaration d’OG, un débat avait commencé d’être évoqué à
155 l’Assemblée Nationale, qui divisait les parlementaires : celui du « droit de cité » des femmes. S’il avait
donné lieu à l’exposé de positions divergentes, entre un Condorcet et un Talleyrand par exemple, la
question pouvait cependant paraître assez secondaire et dérisoire devant les menaces permanentes que
devait affronter le nouveau gouvernement : l’anarchie populaire, les dissensions internes sur la nouvelle
forme de régime à inventer, les puissances monarchistes étrangères. Finalement, le consensus s’imposa,
160 et la question fut tranchée. Le 30 octobre 1793, les femmes sont définitivement exclues de la cité, et de sa
vie politique, 4 jours après la décapitation d’Olympe de Gouges. Le débat restera clos en France dans les
milieux institutionnels jusqu’en 1944, où les femmes se voient enfin reconnaître le droit de voter et d’être
éligibles, mais l’opinion publique fut alors essentiellement influencée par un mouvement venu d’outre-
Manche : celui dit des « suffragettes ».

30 11
Susceptible de tomber en question de grammaire.
12
Ensemble de comportements propres à un groupe humain ou à un individu et considérés dans leurs rapports avec
une morale collective.
13
En rhétorique, on appelle « péroraison » l’étape finale d’un discours qui a pour fonction de récapituler et de tirer la
conclusion d’un raisonnement, en désignant parfois le destinataire du discours.
35 14
Manière de désigner indirectement, figure dans laquelle on substitue au terme propre et unique (mot commun usuel
ou nom propre) une expression imagée ou descriptive qui le définit ou l'évoque de manière allusive.
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