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TEXTE 3

Olympe de GOUGES (1748-1793)


Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), Préambule et articles I à III.

Introduction :
En 1791, constatant que les femmes sont les grandes oubliées de la Révolution, Olympe de
Gouges publie la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Il s'agit d'un pastiche
critique de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclamée deux ans plus tôt, le
26 août 1789.
Dans le préambule, l'autrice s’adresse aux membres de l’Assemblée nationale et réaffirme la
nécessaire égalité entre les sexes afin que les droits des femmes, qu’elle définit comme
citoyennes, soient respectés (cf la mention qui suit le titre : « À décréter par l’Assemblée
nationale dans ses dernières séances ou dans celle de la prochaine législature »).

Mouvements :
*l. 1-2 : une requête solennelle
*l. 2-10 : l'exposé des causes et des buts de la déclaration
*l. 11-13 : une conclusion faisant l'éloge des femmes
*l. 14-22 : les trois premiers articles, réécrits au féminin

Enjeu du texte :
Comment Olympe de Gouges lutte-t-elle pour l'égalité entre les femmes et les hommes à
travers ce texte ?

I. l. 1-2 : une requête solennelle


Le préambule débute par une requête, au présent d’actualité (« demandent »), ce qui ancre de
nouveau la démarche dans une actualité immédiate : les femmes, par l’intermédiaire d'OdG
qui se fait leur porte-parole, réclament le droit de légiférer (en se constituant en « Assemblée
nationale »). L’énumération de termes féminins (l.1) renvoyant à des liens familiaux, a
plusieurs buts :
- elle sert d’une part à mettre l’accent sur leur statut de dépendance actuelle vis-à-vis des
hommes (elles sont les « mères », les « filles », les « sœurs » d’un homme). Notons que seuls
les liens de filiation directe sont mentionnés, à l'exclusion du mariage. Les femmes peuvent
donc exister indépendamment de leur mari.
- d’autre part, à révéler leur poids numérique (elles sont bien elles aussi les « représentantes
de la nation »)
- enfin, à souligner, avec une légère ironie, la restriction de leur pouvoir à la sphère
domestique et familiale.
Cette première phrase permet d’ancrer le texte dans son contexte d’énonciation, sa visée, sa
destination et de poser la déclaration comme une requête qui ne souffre pas de contestation.

II. l. 2-10 : un exposé des causes et des buts de la déclaration qui détourne la DDHC
*l. 2-3 :
- La locution conjonctive « considérant que » introduit une proposition circonstancielle de
cause qui donne une explication : OdG va exposer les raisons motivant sa décision.
- Elle reprend la proposition de la DDHC en remplaçant le mot « homme » par le mot
« femme ».
On sent ainsi un vif reproche fait à la DDHC. Malgré un universalisme de façade, le mot
« homme » désignant au départ l’être humain en général (en latin homo = être humain), donc
les hommes et les femmes, elle est accusée de négliger la moitié de l’humanité, c'est-à-dire les
femmes. Pour OdG, la DDHC privent les femmes de leurs droits, comme le montre
l'énumération de trois termes à connotation négative, voire polémique : « l’ignorance, l’oubli
ou le mépris des droits de la femme », qui forment une gradation du moins au plus grave, de
l’involontaire au volontaire.
- Cette négligence aura des conséquences négatives pour les Français : des « malheurs
publics » et « la corruption des gouvernements ».
- Ce sera même la « seule cause » de tout cela : hyperbole puisque bien évidemment le non-
respect des droits de l’homme est aussi une cause de malheur. Le pastiche devient une
caricature et l’attaque est assez violente.

*l. 3-4 :
- Dans la proposition principale, elle indique ce que les femmes « ont résolu d’exposer » : le
verbe est conjugué au passé composé qui a une valeur d’action accomplie : manière de
suggérer que la décision est prise, que les femmes ne changeront pas d’avis = une façon de
s’imposer.
- OdG utilise les mêmes adjectifs pour qualifier les droits des femmes que ceux utilisés dans
la DDHC : « inaliénables, naturels et sacrés » = des droits qu’on ne peut pas leur refuser
(puisqu’elles les ont dès leur naissance) ni leur confisquer, leur ôter (sens d’« inaliénable » =
qui ne peut être ôté), auxquels on doit un respect absolu.
On peut donc comprendre que cette DDFC veut compléter la DDHC, réparer l’oubli ou la
négligence des femmes dont fait preuve celle-ci pour permettre aux Français de ne pas subir
ces conséquences = une manière de souligner sans nuances la légèreté des députés qui ont
négligé la moitié de la nation dans leur Déclaration…

*l. 5-10 : anaphore de la locution conjonctive de but « afin que », introduisant trois
proposition subordonnées circonstancielles de but
- 1ère PSCB : reprise sans modification des termes du préambule de la DDHC
Le but est le même que celui que se donne la DDHC. L'utilisation d’un adverbe et d’une
locution adverbiale de même sens : « constamment » et « sans cesse » = validité permanente
des deux Déclarations. L’adjectif « tous » indique la portée universelle de cette déclaration
comme de la précédente.
Néanmoins, on peut percevoir une certaine ironie dans cette reprise, puisque, justement, OdG
sous-entend que la moitié des membres du corps social, les femmes, ont été oubliées. Sous la
plume d'OdG, ce « tous » qui englobe femmes mais aussi hommes rappelle aux hommes que
celles-ci jouissent aussi de « droits » (ceux qu’on leur dénie et que la DDFC énumèrera = les
mêmes que pour les hommes) et que ceux-ci ont aussi des « devoirs » envers elles (avec
lesquels ils prennent des libertés).

- 2e PSCB : « les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif » est remplacé par
« les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes ».
La DDHC doit permettre aux citoyens de « comparer » les actes du pouvoir législatif (=
chargé de voter les lois) et ceux du pouvoir exécutif (= chargé d’exécuter les lois) au « but de
toute institution politique » = le bonheur des citoyens
N.B. Avec la Constitution de 1791, le pouvoir n'est plus de droit divin mais relève de la
souveraineté de la Nation incarnée par la personne du Roi. Celui-ci détient le « pouvoir
exécutif suprême » alors que c’est l’Assemblée nationale qui vote les lois.
=> une manière pour l’Assemblée de jeter le doute sur l’action du roi ?
La DDFC doit permettre aux citoyens de comparer « les actes du pouvoir des femmes et ceux
du pouvoir des hommes »
=> Dans les deux cas, idée que les citoyens et les citoyennes ont un droit de regard sur la
manière dont ils sont gouvernés (par opposition au temps où le roi tenait son pouvoir de Dieu
et l’imposait sans discussion possible) et dans le second cas, que hommes et femmes
politiques doivent, les unes autant que les autres, œuvrer pour le bien de la nation : pas de
passe-droit pour les femmes.
=> Concernant la DDFC : une manière de suggérer que les uns et les autres pourraient se
compléter et que, peut-être, « les actes du pouvoir des hommes » ne seraient pas forcément
compatibles avec le « but de toute institution politique » ?

- 3e PSCB : Les « réclamations » (plaintes adressées aux autorités) sont cette fois-ci celles des
« citoyennes » = référence aux droits spécifiques des femmes = souci d’égalité (toujours dans
l’idée que les hommes les ont oubliées dans leur DDHC). L'adjectif « fondées » indique que
la DDHC et la DDFC sont vus comme la référence en matière de droits. L’adverbe «
désormais » indique que cette base n’existait pas avant (référence au fait qu’en France, les lois
n’étaient pas les mêmes pour tous = droit coutumier dans une grande moitié nord de la
France, droit écrit dans le sud). Toutes et tous devront désormais se référer à la DDHC et
DDFC et le droit coutumier va peu à peu disparaître.
Ajout de « bonnes mœurs » (= ensemble des règles imposées par la morale). L’ajout peut
suggérer que seule la femme peut contribuer à une société plus morale, plus vertueuse.
Femme plus concernée par prostitution, bâtardise, problèmes de couple (adultère, divorce) ?
Cf le texte « Forme du contrat social de l'homme et de la femme », p. 33-39.

III. l. 11-13 : une conclusion faisant l'éloge des femmes


- La locution adverbiale « en conséquence » introduit la conclusion logique à ce qui vient
d’être dit.
- OdG continue de parler au nom des femmes ; les femmes sont désignées par une périphrase
qui, avec « supérieur », s’oppose à la manière dont elles sont traditionnellement désignées («
le sexe faible » alors que les hommes sont « le sexe fort ») mais aussi, avec « beauté »,
reprend l’idée contenue dans « beau sexe », autre périphrase qui les désigne habituellement).
Cette périphrase contient l’idée d’une supériorité sur le plan moral, le « courage » étant un
trait de caractère positif et traditionnellement apanage des hommes. C'est aussi un rappel aux
hommes de la capacité qu’ont les femmes de donner la vie. Les femmes sont ainsi valorisées
et héroïsées.
- La DDFC est proclamée, comme la DDHC « sous les auspices de l’Être suprême », notion
inventée par les révolutionnaires pour ménager à la fois ceux qui refusent toute référence aux
religions existantes et ceux qui croient en une divinité. Cette référence renforce son autorité.

IV. trois premiers articles, réécrits au féminin


- La première phrase de l'article évoque clairement l'égalité entre la femme et l'homme. La
deuxième phrase, reprise telle quelle à la DDHC précise ce qu'est la méritocratie : les femmes
doivent donc y être incluses.
- Dans le deuxième article, les « droits [...] de l'homme » deviennent ceux « de la femme et de
l'homme ». OdG adopte un ton polémique en ajoutant l'adverbe « surtout » devant l'expression
« la résistance à l'oppression » pour mieux critiquer la domination masculine, vue comme
l'oppression du sexe féminin.
- Dans le troisième article est ajoutée une relative qui précise ce qu'est la nation : « qui n'est
que la réunion de la femme et de l'homme ».
Ces premiers articles indiquent clairement la volonté que l'universalisme de la
Révolution française en soit vraiment un, incluant tous les êtres humains, hommes et femmes.
OdG utilise ainsi d’abord les moyens de la conviction avec un préambule construit
logiquement, qui permet de justifier le bien-fondé de sa requête en montrant que
l’entérinement de cette déclaration permettra une plus grande clarté juridique, et une meilleure
harmonie, sociale et morale, à l’échelle collective. Elle use donc d’articulations logiques et
d’un lexique juridique pour asseoir le caractère officiel de sa demande. Mais elle utilise aussi
les moyens de la persuasion en condamnant le mépris dont les femmes sont injustement
l’objet, elles qui pourtant ne déméritent pas en courage et en grandeur par rapport aux
hommes. Cette ambiguïté de tons, entre la logique neutre et l’engagement affectif, est
d’ailleurs une des caractéristiques de l’œuvre tout entière.

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