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Dissertation

« Selon vous, la DDFC ne s’adresse-t-elle qu’aux femmes ? »

Type de plan adapté : interrogation totale  plan dialectique ( débat : thèse / antithèse / + si possible :synthèse)

« Femme, j’ai le droit de parler des femmes », dit Louise Michel dans ses Mémoires, soulignant que selon
elle, sa légitimité sur la question des femmes est indissociable de son expérience personnelle. Avant et pendant la
Révolution française, Olympe de Gouges a pris de nombreuses fois la plume pour diffuser les idées
révolutionnaires, sur les planches du théâtre et sur les murs de la ville. En 1791, alors que le roi s'apprête à ratifier
la Constitution, Olympe de Gouges réécrit son texte fondateur, la Déclaration des droits de l'Homme et du
Citoyen, avec une revendication claire : réintroduire les femmes comme les égales des hommes dans l'ordre social
que la nouvelle Constitution établit. Olympe de Gouges entend en effet dénoncer l'hypocrisie des
révolutionnaires de l'Assemblée: en dépit de la participation en parole et en actes des femmes à la Révolution et
derrière un prétendu universalisme, la Constitution prévoit d'instaurer une société très inégalitaire. Les femmes
demeurent exclues des droits économiques et politiques, rangées, comme les esclaves et les handicapés, dans la
catégorie de « citoyens passifs ». La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne qu'elle rédige alors
reprend le texte initial tantôt mot à mot, tantôt en y introduisant des variations qui donnent au texte des accents
d'hommage autant que de contestation. Nous pouvons nous demander à qui s'adresse ce texte. S'il s'adresse
spécifiquement aux femmes, comme nous le verrons dans une première partie, puisqu'il défend leurs droits et
les interpelle pour les exhorter au combat, nous verrons, dans une deuxième partie, que la DDFC est un texte
universel, qui s'adresse également aux hommes mais aussi à l'humanité tout entière.

Dans un premier temps, le DDFC s'adresse essentiellement aux femmes, puisqu'il s'agit d'une œuvre
réécrivant la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et destinée à donner aux femmes les
droits dont elles sont toujours privées.
D'abord, on peut dire que certains passages de l'œuvre s'adressent directement aux femmes, dont
Olympe de Gouges veut porter la parole, afin que ces dernières ne restent pas les oubliées de la Révolution . Le
Préambule de la Déclaration commence d'ailleurs ainsi : « Les mères, les filles, les sœurs, les représentantes de la
Nation demandent à être constituées en Assemblée nationale ». En pastichant la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen, Olympe de Gouges réintègre les femmes dans l'espace juridique, et montre leur volonté
d'être prises en compte, par l'emploi du verbe « demandent », qui a une valeur performative (=valeur d'action).
Les femmes veulent devenir actrices de leur destin politique et social, à travers la voix d'Olympe de Gouges.
L'autrice peut aussi s'adresser aux femmes de manière véhémente, comme on peut le lire dans le Postambule de
l'œuvre, débutant par l'apostrophe « Femme, réveille-toi ». Le singulier traduit une adresse à toute la
communauté des femmes, qu'elle accuse de se complaire dans un esclavage subi mais progressivement accepté.
L'impératif polémique dans « réveille-toi » et « reconnais tes droits » traduit la volonté de l'autrice de pousser les
femmes au combat contre l'injustice de leur condition. Elle emploie de même plusieurs interrogations rhétoriques
dans ce texte, qui agissent comme des reproches et des arguments destinés à convaincre les femmes d'agir : « il
est en votre pouvoir de les affranchir (les barrières), vous n'avez qu'à le vouloir ». Ce texte rappelle le Discours sur
l'éducation des femmes de Laclos, écrit en 1783, qui utilise la même analogie entre la femme et l'esclave, et
enjoint les femmes à se libérer d'un asservissement dont elles sont en partie responsables. Olympe de Gouges les
interpelle, leur parle et les pousse à réagir.
Ensuite, on peut constater que l'autrice se place sous la protection de la Reine de France, première
femme de France sur le plan politique : le texte liminaire de l'œuvre est une adresse à la Reine. Olympe de
Gouges espère en effet que Marie-Antoinette pourra l'aider à promouvoir sa Déclaration. Elle s'adresse à elle avec
respect, en lui assurant son soutien, mais avec fermeté, en lui demandant d'agir pour le bien de la nation, et non
seulement pour servir les intérêts de la noblesse. Elle veut impliquer la Reine en tant que femme, «mère et
épouse », plus susceptible d'avoir de l'empathie, de comprendre le combat des femmes : « Il n'appartient qu'à
celle que le hasard a élevée à une place éminente, de donner du poids à l'essor des droits de la femme, et d'en
accélérer le succès ».
Elle lui assure ainsi le respect des femmes, et une gloire issue non pas du crime mais de la vertu : «
Soutenez, Madame, une si belle cause; défendez ce sexe malheureux, et vous aurez bientôt pour vous une moitié
du royaume, et le tiers au moins de l'autre ». Marie-Antoinette ne l'aura sans doute pas entre les mains, et ne
défendra pas le texte. Néanmoins cette dédicace est un plaidoyer en faveur des droits des femmes et du peuple,
destiné également à favoriser le succès de la Déclaration.
La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne s'adresse enfin aux femmes, en tant que texte
de loi porteur de nouveaux droits pour celles-ci. Le texte de la DE déclaration féminise la DDHC: il s'agit d'un
pastiche, ou d'une réécriture, dont l'hypotexte est la Déclaration de 1789, texte fondamental issu de la
Révolution. Olympe de Gouges en reprend le Préambule, dont elle modifie certains passages. Elle remplace en
effet systématiquement « homme » par « femme » : en jouant sur l'ambigüité du mot « homme » (être humain /
être masculin). Elle montre aux hommes que, sous la portée censément universelle de la Déclaration, se cache un
oubli total des femmes. En désignant les femmes par « les mères, les filles, les sœurs », elle souligne les liens
naturels, du sang qui les unissent aux concepteurs du texte et en font leurs égales selon la nature. Dans les
articles, elle associe systématiquement l'homme et la femme, le citoyen et la citoyenne (articles 1, 2, 3, 6, 13) et
revendique ainsi l'égalité (le terme intervient en 1, 6, 13). Il s'agit surtout de montrer que le mot Nation n'a pas de
sens s'il est amputé de la moitié de ses membres, que la représentativité et la légitimité de la première
déclaration sont donc nulles. C'est pourquoi l'autrice rajoute la définition de Nation comme « réunion de la
femme et de l'homme » (3) et surtout la dernière ligne de l'article 16 : « la constitution est nulle si la majorité des
individus qui composent la Nation n'a pas coopéré à la rédaction ». La revendication d'égalité se porte
évidemment sur le plan politique : le droit de vote et celui d'être élue (6), et celui de faire entendre son opinion
(10). Elle souligne que la Constitution garantit un équilibre entre droits et devoirs : si la femme peut monter sur
l'échafaud, elle doit pouvoir monter à la tribune (10) ; si elle verse des contributions, elle a droit au travail et à un
salaire. Certains articles s'adressent exclusivement aux femmes, comme l'article 11 qui est réécrit et détourné par
Olympe de Gouges pour proclamer le droit des mères à déclarer les enfants nés hors mariages. Ceci est
particulièrement polémique pour l'époque car cela implique que la femme peut revendiquer une grossesse hors
mariage et que la faute morale de l'adultère n'incombe pas à elle seule. Cet article peut rappeler la situation de
Marceline dans Le Mariage de Figaro, abandonnée par Bartholo avec un enfant, et privée de moyens de
subsistance. Dans plusieurs tirades, elle condamne les hommes et revendique le droit, pour les femmes, de
pouvoir vivre de leur travail. Il s’agit ainsi pour cette auteure de prendre la parole en tant que femme et de
défendre un point de vue féminin.

Les femmes sont donc les premières destinatrices du texte, puisque celui-ci porte leur parole et leurs
revendications légitimes. Cependant, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ne s'adresse pas
qu'aux femmes : elle s'adresse aussi aux hommes et à l'humanité en général, dont Olympe de Gouges défend
les droits.

D'abord, la DDFC est avant tout un texte de loi, à l'époque où des hommes font la loi. En tant que
Déclaration de droits, elle est écrite et destinée à être votée par l'Assemblée nationale. Ses destinataires sont
donc les parlementaires. Pour les convaincre d'étudier son texte, elle pastiche la Déclaration des droits de
l'homme, l'hypotexte, afin de confronter ses rédacteurs à leurs propres principes. Elle ne renie d'ailleurs pas ces
principes, auxquels elle adhère : l’universalisme, la recherche du bonheur, l’égalité entre les individus, la liberté
d’expression. Elle les revendique et réclame qu'ils soient strictement appliqués à l'ensemble de la population, et
non aux seuls hommes. La réécriture fonctionne alors comme un piège tout prêt à se refermer sur ses adversaires
: s'ils critiquent son texte sur le fond, comme sur la forme, ils prennent le risque de fragiliser le leur.
Ensuite, l'œuvre s'adresse aux hommes pour les accuser de ne pas laisser de place politique aux femmes.
L'apostrophe « Homme es-tu capable d'être au juste » au début de la section « Les droits de la femme », est une
attaque véhémente contre le pouvoir injuste des hommes qualifié d'empire tyrannique ». Par une série
d'impératifs, elle impose aux hommes d'observer la nature pour y chercher d'autres traces d'une supériorité
naturelle du masculin sur le féminin. Elle conclut son texte par un portrait péjoratif de l'homme, assimilé à un
despote, alors qu'il revendique des droits à l'égalité en pleine période révolutionnaire. Il s'agit d'un réquisitoire
polémique, véhément, à l'adresse des hommes dont Olympe de Gouges souligne les abus de pouvoir. On trouve
aussi dans les articles quelques revendications spécifiques et quelques attaques contre les hommes : une
revendication de dignité et de reconnaissance en dernière phrase du Préambule : « le sexe supérieur en beauté
comme en courage dans les souffrances maternelles ». Dans l'article 4, elle montre que les hommes sont
responsables de l'asservissement des femmes : « l'exercice des droits naturels de la femme n'a de bornes que la
tyrannie perpétuelle que l'homme lui impose ». Dans l'article 11, Olympe de Gouges fait allusion aux naissances
illégitimes et au refus de reconnaissance des enfants par les pères (pour préserver une réputation ou un héritage)
qui condamnaient beaucoup de femmes au déshonneur ou à la misère. Ce texte habilement polémique, en
parodiant la Déclaration de 1789, met les hommes en face de leurs contradictions, et les prend à leur propre
logique: comment l'Homme universel peut-il exclure la Femme ?
Enfin, Olympe de Gouges utilise les lois de la nature pour dénoncer toutes les inégalités, et s'adresse ainsi
à l'humanité dans son ensemble. Olympe de Gouges fonde en effet son argumentaire sur « la loi de nature et de
la raison » (valeurs héritées des Lumières). Dans son adresse à « l'Homme », elle considère d'ailleurs que la loi de
la nature a été arbitrairement bafouée par les hommes qui ont fait des discriminations là où la nature n’en fait
pas. Elle considère donc que son plaidoyer se fonde sur une loi immatérielle et universelle, qui dépasse les
juridictions humaines et historiques. L'objectif d'Olympe de Gouges est de permettre « le bonheur de tous »,
plaidant donc pour le progrès, la concorde et la paix de l'humanité tout entière. De plus, Olympe de Gouges
élargit son plaidoyer aux droits d'autres catégories de personnes, et pas seulement les femmes. En effet, dans la
dernière partie, « Forme du contrat social », elle évoque le partage équitable de l'héritage en défendant les droits
des enfants illégitimes. Elle défend également le droit des esclaves en réclamant pour eux un droit à la liberté et
la filiation, s'inscrivant ainsi dans un débat qui a traversé tout le siècle des Lumières : « Les colons prétendent
régner en despotes sur des hommes dont ils sont les pères et les frères : et méconnaissant les droits de la nature,
ils en poursuivent la source jusque dans la plus petite teinte de leur sang ». Elle fait ici référence aux
discriminations entre les différents types d’« hommes de couleur », en fonction de leur part de sang noir. Olympe
de Gouges fait référence à l'ignorance des droits de la nature par les hommes blancs, qui les conduisent à
maltraiter leurs frères de couleur. En cela, elle se rapproche des thèses de Condorcet, Voltaire ou Montesquieu,
qui ont remis en doute la légitimité morale de l'esclavage, en dénonçant sa barbarie, son injustice et son cynisme
marchand, sous des formes littéraires variées. La DDFC dépasse la seule cause féminine et prend fait et cause
pour tous les oubliés de la Révolution, qui n’est légitime que si elle est universelle.

Pour conclure, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d'Olympe de Gouges est une œuvre
protéiforme, s'insérant dans une brochure composée de textes de diverses natures mais partageant une même
visée argumentative : obtenir l'égalité des droits économiques et politiques entre les hommes et les femmes. Ce
format peut être lu et diffusé rapidement, et il s'adresse à des destinataires différents : les femmes, en tant que
communauté de citoyennes ou en tant qu'individu, lorsque le texte s'adresse spécifiquement à la reine de
France ; les hommes, qu'elle attaque pour leur inaction en faveur de la libération des femmes dans une période
de revendication de droits et d’égalité ; les parlementaires, à qui elle présente un texte destiné à être adopté par
l'Assemblée. L'œuvre s'intègre plus largement dans un plaidoyer humaniste qui défend les valeurs des Lumières
(liberté, égalité, justice, bonheur, solidarité) en élargissant sa défense à tous les opprimés à qui leurs droits
naturels ont été retirés de manière arbitraire. Leur objectif commun, qui unit hommes et femmes, est de corriger
une époque corrompue dans laquelle, selon Choderlos de Laclos, « les vices se sont changés en mœurs ». Ce
qu’Olympe de Gouges dénonce fera écho dans une large communauté d’écrivains, qui ont su lire et écrire à leur
tour en faveur des femmes, comme son ami Nicolas Condorcet, ou Benoîte Groult, grâce à laquelle nous avons
redécouvert son œuvre.

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