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Littérature d’idées

Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791


Explication linéaire du Préambule

INTRODUCTION
Présentation et situation de l’extrait:
En1791, Olympe de Gouges publie sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, deux
ans après celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, un texte fondateur mais qui
semble avoir « oublié » les femmes. L’autrice va s’efforcer de prendre appui sur une réécriture de ce
texte mais en le modifiant dans une visée argumentative et démonstrative pour rappeler que la
femme a une place tout aussi légitime dans la construction de la société.
L’extrait étudié, « Préambule », se situe après deux premiers textes qui ressemblent à des dédicaces,
la première à la reine, la seconde aux hommes interrogés dans leur capacité à être juste.
Lecture
Mouvements du texte
1er mouvement, de « Les mères » à « assemblée nationale »: Une redéfinition audacieuse de
l!assemblée nationale
2ème mouvement, de « Considérant » à « au bonheur de tous. »: La présentation des objectifs de
cette nouvelle assemblée nationale
3ème mouvement, de « En conséquence » à « citoyenne »: Conclusion sur les enjeux de la
légitimité féminine
PROBLEMATIQUE (ou projet de lecture)
Nous verrons comment ODG parvient à revendiquer les droits des femmes à partir d!une
réécriture bien personnelle.

ANALYSE LINEAIRE
I – Une redéfinition audacieuse de l!assemblée nationale
Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées
en Assemblée nationale.
OdG féminise dès le début les expressions utilisées par les députés de l!Assemblée
nationale qui ont rédigé la DDHC:
- Les « représentants » deviennent les « représentantes » : montre que les femmes ont été
oubliées des discussions, et que le mot « Homme » n!est pas universel mais il a été pris au sens
masculin dans la réalité.
- L!auteure utilise le nom féminin «nation» au lieu du nom masculin «peuple»
- Elle détaille qui sont ces femmes dans une énumération de noms (« les mères, les filles, et les
sœurs ») appartenant au champ lexical de la famille. Les femmes apparaissent ainsi soudées et
solidaires, elle constitue une sororité forte qui doit compter dans la société.
+ oubli volontaire de l’autrice: celui de « l’épouse », qui mentionnerait la condition servile de la
femme sous l’autorité légale de son mari, ce que O de G rejette farouchement en choisissant
notamment de ne pas remarier après son veuvage.
- Enfin, la réécriture par le verbe « demandent » souligne une première injustice. Il rappelle la
dynamique dans laquelle la femme doit s’inscrire pour réclamer ce qui est une évidence au masculin
puisque dans la Déclaration d’origine, les hommes sont simplement « constitués » en assemblée
sans avoir besoin de recourir à une action quelconque.
➢ Par ces différents moyens, l!auteure veut donner aux femmes une place et un rôle dans la
nouvelle société qui est en train d’émerger. En 1789, les femmes ne sont en effet pas encore des
« citoyennes» au sens légal et politique.

2ème mouvement: La présentation des objectifs de cette nouvelle assemblée nationale


Considérant que l!ignorance, l!oubli ou le mépris des droits de la femme sont les seules causes des
malheurs publics et de la corruption des gouvernements, [elles] ont résolu d!exposer dans une
déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette
déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse
leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des
hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient
plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes
simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, des bonnes mœurs, et au
bonheur de tous.
Cette longue phrase complexe (qui contient plusieurs propositions) reprend la logique du préambule
de la DDHC en l!appliquant à la situation des femmes dans une formulation tr s structur e.
Tout d’abord, la proposition principale « [elles] ont résolu d’exposer dans une déclaration
solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la femme » explique le projet de l’assemblée
des femmes: celui de proposer un discours sur les droits fondamentaux.
Avant cela, le début de la phrase « Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la
femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements », imité
de la DDHC, explique les raisons, les motivations de ce projet.
Ensuite, les trois propositions subordonnées circonstancielles de but, introduites par la répétition de
la conjonction de subordination « afin que », concentrent l’attention sur l’objectif à atteindre:
l’installation pérenne (= permanente) de la légitimité des femmes en tant que citoyenne.
Par ailleurs, le champ lexical du domaine politique, « gouvernements », « droits », « corps social »,
« actes du pouvoir », « institution politique », « citoyennes », « Constitution » instaurent un cadre
qui fait que le sérieux et la gravité du sujet deviennent indiscutables.
Ainsi, le ton très solennel et très déterminé de cette phrase est à souligner : les adverbes et locutions
adverbiales insistent sur le caractère universel et définitif de cette déclaration:
« constamment », « sans cesse », « à chaque instant », « toute (institution) », « toujours ».
Le GN « les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme » s!oppose à « l!ignorance, le mépris
ou l!oubli des droits de la femme » : rythme ternaire avec 3 adjectifs de sens positifs VS 3 noms qui
renvoient à l!obscurantisme. O de G présente ici implicitement une image dépréciative de la France
de l’époque qui met en garde contre un paradoxe ironique. Ce siècle des Lumières qui entend
éclairer les esprits notamment par un partage égalitaire des savoirs, plongerait finalement le pays
dans une nouvelle obscurité en créant de nouvelles inégalités par le genre.
Pour autant, l’autrice n’incrimine pas directement les hommes parce qu’il lui important,
stratégiquement et idéologiquement, de respecter son idée fondamentale d’une égalité des genres:
les hommes et les femmes ont besoin d’avancer et de construire ensemble la société.
Ainsi, la fin de la phrase fait référence à la perspective du « bonheur de tous », expression qui
s’inscrit en antithèse avec les « malheurs publics » du début de la phrase. Il s!agit donc de renverser
la situation grâce à cette DDFC qui introduit les femmes en toute légitimité dans la sphère politique,
afin de passer du « malheur » au « bonheur ».


3ème mouvement: Conclusion sur les enjeux de la légitimité féminine
En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles,
reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les Droits suivants de la
femme et de la citoyenne.
La dernière phrase du préambule s’ouvre par le connecteur logique « en conséquence » qui installe
immédiatement un style juridique propre à la DDHC, et conservé ici intentionnellement par OdG.
La périphrase « le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles »
qui désigne les femmes permet à l’autrice de jouer avec ironie et un humour subversif / provocateur
sur l’opposition stéréotypée « sexe fort »// « sexe faible » dans un retournement de situation qui
conclut cette fois à l’avantage des femmes. Cette justification de la supériorité des femmes par les
arguments utilisés habituellement par les hommes pour légitimer leur supériorité fait preuve de
créativité tout en installant la femme et ses attributs naturels, beauté et courage, comme autant de
qualités biologiques originelles.
De plus, la mention particulière « dans les souffrances maternelles » est peut-être ajoutée pour
rappeler aux hommes la spécificité biologique de la femme et sa situation concrète: c’est bien elle
qui donne naissance à l’homme au sens humain, sans distinction. Au XVIII ème siècle, et même
encore aujourd’hui mais plus rarement, une femme peut souffrir à en mourir lors du travail
d’accouchement. Le minimum serait donc la gratitude à leur accorder, avant la reconnaissance de sa
force et de son endurance qui légitiment à nouveau sa démarche et la revendication des droits
énoncés dans les articles qui suivent.
Les deux seuls verbes « reconnaît et déclare » sont utilisés en groupement binaire et conjugués au
présent d’énonciation avec une valeur performative (d’action, de performance). Pour Olympe de
Gouges, cette simple phrase doit suffire à provoquer dans la réalité l’égalité des sexes et ce sont les
femmes qui déclarent cette égalité. L’autrice utilise donc un ton péremptoire (autoritaire) pour
affirmer ses idées et elle utilise l’expression de la DDHC (et qui est chère à certains philosophes
déistes des Lumières, « l’Être suprême » pour invoquer à ses côtés le plus prestigieux des témoins,
la loi naturelle supérieure à tous les humains.

CONCLUSION
Nous avons vu comment Olympe de Gouges reprenait la structure et les propos majeurs de la
DDHC en réécrivant un préambule nettement inspiré de celui de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen.
On aurait pu penser qu!il s!agirait d!une simple féminisation de ce premier texte, mais le geste
d!Olympe de Gouges est beaucoup plus audacieux et politique.
Ce nouveau « Préambule » permet à l’autrice de revendiquer, par la voix des femmes elles-mêmes,
leur place dans l!espace public et à l’aide de procédés stylistiques accompagnés d’une formulation
rigoureusement et habilement structurée, elle légitime sa requête.
En quelques expressions révélant son talent d’écrivaine et sa créativité, elle parvient à accuser
implicitement une société inégalitaire et à en proposer une nouvelle, fondée sur les principes mêmes
des Lumières et de la Révolution.
L’autorité et la force de caractère qui apparaissent dans ces quelques lignes sont déjà annonciatrices
des slogans féministes des années 1970 comme « Ne me libérez pas, je m’en charge. ».

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