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Lectures linéaires

Préambule
1 Les mères, les filles, les soeurs, représentantes de la Nation, demandent d’être
2 constituées en Assemblée nationale.
3 Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules
4 causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu
5 d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de
6 la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du
7 corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du
8 pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant
9 comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les
10 réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et
11 incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, des bonnes moeurs, et
12 au bonheur de tous.
13 En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances
14 maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les
15 droits suivants de la femme et de la citoyenne.
16
Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne,
« Préambule », 1791

Eléments d’analyse du texte du Préambule


Présentation
Un préambule
Olympe de Gouges, née 1748, est connue comme écrivaine de romans, pièces de théâtre et
pamphlets et comme femme politique ayant combattu contre la tyrannie, l’esclavage et pour la
cause des femmes. Elle est considérée comme l’une des pionnières du féminisme français et
c’est en raison de ses prises position qu’elle meurt guillotinée en 1793. Sa « Déclaration des
droits de la femme et de la citoyenne » est une réponse à la « Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen » dont elle conteste l’universalisme en dénonçant l’exclusion des
femmes de la représentation nationale. Notre texte suit l’adresse à la Reine qu’elle exhorte
ainsi : « défendez ce sexe malheureux, et vous aurez bientôt pour vous une moitié du
royaume, et le tiers au moins de l’autre » et il précède la « Déclaration des droits de la femme
et de la citoyenne » proprement dite. « Les droits de la femme » est un texte court et
polémique qui s’adresse à ceux qui ont le pouvoir - les hommes - et prétendent lutter pour
l’égalité en oubliant la moitié de la population. Sa stratégie argumentative repose sur la
réfutation de la thèse d’une inégalité des sexes qui serait naturelle, donc voulue par Dieu.
Nous verrons à travers cette analyse linéaire qu’Olympe de Gouge, dans son préambule de la
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, rédige un plaidoyer engagé et par là même
un texte argumentatif convaincant.
Dans ce premier paragraphe qui constitue le premier mouvement, il est question
de l’appel à l’union politique des femmes. Le ton solennel du préambule est obtenu par les
phrases déclaratives qui jouent sur des procédés d’emphase grâce aux accumulations de noms et
d’adjectifs : « les mères, les filles, les soeurs », « les droits inaliénables et sacrés de la femme. ».
Olympe de Gouges se veut plus grave lorsqu’elle énonce les droits de la femme et de la citoyenne. La
figure de style à repérer est l’énumération (ou accumulation). Ici les « mères, les filles et les soeurs »
sont désignées comme représentantes de la Nation, les hommes sont donc dès la première phrase
écartés de la revendication. En désignant les femmes par « les mères, les filles, les soeurs » elle met en
valeur les liens naturels, du sang (à l’exclusion du mariage qui peut être un lien social imposé et
contestable), qui les unissent aux concepteurs du texte de la Déclaration et en font leurs égales par
nature. Cette énumération crée un e ffet d’appel et d’interpellation, un effet d’appel global, appel
à toutes les femmes, nommées par leurs liens familiaux, un appel insistant sur la solidarité :
les mères, les filles et les sœurs constituent une seule et unique famille des femmes. Olympe
de Gouges défend le droit des femmes à une représentation politique égale à celle des hommes : « les
mères, les filles, les soeurs […] demandent d’être constituées en Assemblée Nationale ». Elle souhaite
obtenir le même droit à l’égalité qui constitue le premier article de la Déclaration. Le recours au
groupe ternaire (mères/filles/soeurs) permet de légitimer sa revendication en rappelant également les
liens qui unissent les hommes et les femmes. Enfin, O de Gouges appelle à une reprise des actions
révolutionnaires qui ont amené à la chute de la monarchie absolue, remettre les femmes au
centre des débats puisqu’elles étaient totalement absentes des premières AG
révolutionnaires.

Dans le deuxième paragraphe constituant notre deuxième mouvement, O. de Gouges


fait un état des lieux catastrophique de la situation des femmes et de toute la société. Le
paragraphe s’ouvre sur l’expression « considérant que », une expression qui introduit un
état des lieux. Elle est une formule très marquée par le droit et la rhétorique. D’ailleurs, l a
figure de style qui la suit est une gradation : « l’ignorance, l’oubli, le mépris » des droits de la femme.
Olympe de Gouges montre ainsi aux hommes que, sous la portée apparemment universelle de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, se cache un oubli total voire un mépris des femmes
et souligne l’injustice de la condition féminine. La femme n’est reconnue que par rapport au statut
qu’elle possède dans la sphère familiale. Elle est considérée comme une fille, une mère, une épouse
mais jamais comme une femme à part entière. En effet, dans les mentalités de l’époque, les femmes
ont avant tout le destin d’être mère. L’oubli et le mépris, selon elle, constituent les « seules causes des
malheurs publics et de la corruption des gouvernements ». Indirectement, Olympe de Gouges accuse
les hommes d’être responsables des problèmes rencontrés par la France et son gouvernement. Pour
elle, les difficultés qui ont mené à la Révolution proviennent de l’exclusion des femmes de la
politique.
Aussi, dans l’expression « corruption des gouvernements », elle inclue les gouvernements
révolutionnaires et accuse donc l’état et ses représentants en place depuis seulement deux ans
d’être déjà corrompus. Olympe de Gouges indique qu’elle présentera dans sa déclaration les
droits inaliénables et sacrés de la femme. L’utilisation des adjectifs énumérés « naturels » «
inaliénables » et «sacrés » indique que nul ne peut contester ces droits. Dans sa déclaration,
elle les détaille et les liste : droit à la liberté, droit à la propriété, droit à l’emploi, etc. «
Constamment » est un adverbe de manière et « tous » est un adjectif indéfini qui désigne
l’ensemble des individus dans un contexte sans aucune exception. D’abord cette déclaration
doit selon elle être constamment présente à tous les membres du corps social. L’adverbe «
constamment » et l’adjectif indéfini « tous » indiquent qu’aucun membre de la société ne doit
être exclu. Ensuite elle souhaite que les actes du pouvoir des femmes mais aussi ceux du
pouvoir des hommes soient plus respectés. De plus, l’emploi de la métaphore médicale
« corps sociale » et du nom « réclamation » présuppose que les femmes seront entendues et
agiront pour le bien de l’ensemble du corps politique et social. Olympe de Gouges n’exclut
donc pas les hommes dans sa déclaration, elle souhaite d’ailleurs que celle-ci possède une
portée universelle. L’autrice rappelle par l’emploi de l’expression « maintien des bonnes
moeurs » que les femmes sont garantes du maintien des bonnes moeurs dans la société, dans
les domaines de la morale et de l’intégrité physique. Quant à l’emploi de énumération, de la
gradation et de l’hyperbole dans « Constitution, bonnes moeurs, bonheur de tous », elle
suggère une emportée lyrique montrant l’implication sans détours de O. de Gouges. Enfin, ce
paragraphe donne à lire trois buts : les devoirs et droits des femmes « constamment » visible
aux yeux de tous, ne jamais donc oublier, les pouvoir des hommes et des femmes comparés et
respectés. « à chaque instant » et les « réclamations » des femmes seront entendues pour
assurer le bonheur commun. Ainsi, cette deuxième phrase est longue, complète et très
structurée. Elle relève du style oratoire et a pour objectif de convaincre un auditoire complexe
: l’ensemble des hommes et des femmes est visé avec des statuts si différents.
Le troisième paragraphe constituant le dernier mouvement présente les enjeux,
ce vers quoi il faut aller comme le montre l’emploi de la locution adverbiale « en
conséquence ». O. de Gouges s’oriente donc vers l’unification de toutes les femmes
contre l’injustice qu’elles subissent. Ainsi, la périphrase utilisée par l’autrice pour désigner la
femme est : « le sexe supérieur ». L’homme considère la femme comme étant le « sexe faible », c’est
pourquoi Olympe de Gouges la présente comme le « sexe supérieur » en raison de sa beauté mais
surtout par le courage dont elle fait preuve face aux « souffrances maternelles ». Ici l’autrice parle de
l’accouchement, ou du deuil d’un enfant, situation qu’elle a personnellement vécue puisqu’elle a perdu
sa fille en bas âge, elle sous-entend également la bravoure des femmes durant la Révolution française.
Par la périphrase « le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles »,
Olympe de Gouges revendique donc la supériorité de la femme et lui confère l’image d’une figure
maternelle dont la beauté est supérieure à celle de l’homme. Elle semble mener une vie exemplaire
faite de souffrances et de sacrifices, une vie de Sainte. Elle proclame d’ailleurs les droits de la femme
et de la citoyenne en s’attribuant la protection de l’Etre suprême, c’est-à-dire de Dieu lui-même.
D’abord elle s’appuie sur un argument politique et historique : « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des
droits de la femme sont les seules causes des malheurs publics. ». Ainsi l’homme ne peut espérer
atteindre le bonheur politique s’il ne laisse pas à la femme toute la place qu’elle mérite, en effet elles
sont à la fois « mères », « filles » et « soeurs ». Ensuite elle affirme la supériorité du sexe féminin,
supériorité liée aux « souffrances maternelles » et rappelle la dignité de son sexe, sur tous les plans : «
un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles » (voir avant-propos), « le sexe supérieur en beauté
comme en courage ».

En conclusion, nous pouvons dire que ce texte constitue un plaidoyer engagé en faveur du droit
des femmes à une représentation politique. Dans ce préambule, l’autrice défend l’idée que l’inégalité
entre hommes et femmes cause le malheur de la Nation. Comme les femmes sont des représentantes
de cette Nation, pourquoi ne pourraient-elles pas faire partie de l’Assemblée Nationale ? Olympe de
Gouges dénonce ici l’exclusion de la femme de la sphère politique.
Aussi, Olympe de Gouges rédige un texte argumentatif convaincant. Nous pouvons d’ailleurs y
retrouver les quatre moments d’un discours rhétorique classique : d’abord l’exorde, c’est à dire la
capture de l’attention, ensuite l’exposition des faits puis l’argumentation (définition du point à
débattre, exposé des arguments) et enfin la péroraison (c’est-à-dire la conclusion et le couronnement,
appel ultime à la sensibilité).

Extrait du Postambule
Femme, réveille-toi ; Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits.
Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de
mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation.
L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers.
Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne.
Ô femmes ! femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez
recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de
corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous
reste-t-il donc ? la conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine fondée
sur les sages décrets de la nature ; qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? le bon mot
du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos législateurs français, correcteurs de cette
morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous
répètent : femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à répondre.
S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs
principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ;
réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et
vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de
partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous
oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir.

Introduction
De son vrai nom Marie Gouze, Olympe de Gouges est née le 7 mai 1748 à Montauban.
Grande femme de lettres françaises et politique, elle est considérée comme l’une des
pionnières du féminisme français. Olympe fit de son parcours de vie un combat contre la
tyrannie, l’esclavagisme et la cause des femmes.
Et loin de s’arrêter là, elle demande également que le mariage religieux soit remplacé par un
mariage civil ; de prendre en compte les enfants issus d’autres liaisons ; que les enfants
naturels aient un statut équitable; que soient créées des maternités pour les accouchements,
des ateliers nationaux pour les chômeurs et des foyers pour les mendiants.
Par quels moyens rhétoriques et argumentatifs l’autrice encourage-t-elle les femmes à se
battre pour leurs droits ?

Lecture linéaire texte 3


Première partie : Exhortation à un réveil urgent des femmes / appel aux femmes à prendre
conscience de leur condition d’aliénée

Femme, réveille-toi

Appel énergique à une prise de conscience des femmes grâce à la métaphore du réveil : les femmes
doivent sortir du sommeil de la résignation pour s’éveiller à la lutte. Le ton de ce postambule est
injonctif, à travers l’impératif présent « réveille-toi » renforcé par la familiarité du tutoiement et à
travers l’interpellation initiale de la destinatrice « femme ». Ce dernier mot au singulier est le terme
générique désignant l’ensemble des femmes mais il suggère également la communauté de condition
de toutes les femmes quelle que soit leur origine sociale. Ce début de texte est à mettre en parallèle
avec le début de Les droits de la femme : « Homme, es-tu capable d’être juste ? ». Sa tonalité
injonctive et son ton polémique cherchent de la même façon à capter l’attention du lecteur ou de la
lectrice en l’apostrophant vivement. Cependant, celui adressé aux hommes constituait une accusation
et s’inscrivait dans le genre épidictique du blâme, tandis que celui-ci s’inscrit dans le genre
délibératif qui engage à faire un choix politique et peut être qualifié d’exorde (introduction) selon la
nomenclature canonique antique.

le tocsin1 de la raison se fait entendre dans tout l’univers.

La métaphore de la cloche qui sonne pour alerter d’un danger est utilisée pour avertir que la raison, ce
grand principe des philosophes des Lumières, est en train de gagner inéluctablement du terrain.
L’hyperbole « dans tout l’univers » fait comprendre que les hommes ne peuvent échapper à cet
avertissement.

reconnais tes droits.

Nouvel impératif qui pousse à la prise de conscience et montre qu’Olympe de Gouges compte sur la
rationalité des femmes plus que sur leurs émotions auxquelles elles sont traditionnellement renvoyées.
Il est à noter que l’autrice ne s’intègre pas à ce collectif qui doit « se réveiller » : elle semble ainsi se
concevoir comme échappant aux déterminismes du genre en se plaçant dans une posture à la fois
neutre et omnisciente, la posture d’un professeur ou celle de la nature dont elle rappelle plusieurs fois
l’autorité fondamentale.

Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition


et de mensonges.

L’hyperbole « le puissant empire de la nature » suivie de l’accumulation de termes négatifs


désignant l’obscurantisme et l’oppression constituent une valorisation du processus révolutionnaire
face à l’Ancien Régime.

Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation2.


L’allégorie du flambeau qui éloigne l’obscurité fait clairement référence à celle des Lumières et
insiste, avec l’antithèse entre « vérité » et « sottise », sur l’effet libérateur de la Révolution.

L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers.

Attention « l’homme esclave » ici ne parle pas des esclaves noirs mais des hommes opprimés par le
pouvoir tyrannique des rois et la société d’ordres inégalitaire.
La deuxième partie de phrase avec « aux tiennes » nous permet de comprendre que « homme »
désignait bien les individus de sexe masculin dans la première partie. En effet, les femmes ont été
indispensables pour conquérir la liberté, processus de libération concrétisé par la métaphore « briser
ses fers », puisqu’elles ont participé à la Révolution jusque dans la rue. Cependant le déterminant
possessif de la 3° personne « ses » employé à deux reprises, qui s’oppose au pronom de la deuxième
personne « aux tiennes », accuse en filigrane les hommes d’avoir utilisé la lutte des femmes à leur seul
avantage.

Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne.

L’asyndète (juxtaposition de deux propositions), renforcée par l’antithèse entre « libre » et « injuste
», reprend finement la rhétorique révolutionnaire pour mettre les hommes soi-disant progressistes
devant leurs contradictions. On peut à nouveau penser ici à l’initiale de Les droits de la femme : «
Homme, es-tu capable d’être juste ? ».

Ô femmes ! femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ?

Nouvelle interpellation mais cette fois au pluriel : « femmes ». Olympe passe au collectif solidaire -
dans lequel elle ne s’inclut toujours pas - et s’enflamme avec l’interjection initiale, la ponctuation
exclamative et la reprise anaphorique de « femmes ». Cette expressivité traduit son enthousiasme
pour la cause des femmes, mais aussi l’urgence à la défendre. Et c’est bien ce qu’exprime la question
rhétorique suivante qui reprend les fils métaphoriques de la lumière contre l’ombre et du réveil, à
travers l’adjectif « aveugles ».

2° partie : Démonstration de l’injustice du sort des femmes

Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ?
Ici commence la deuxième partie qui contient la démonstration que les femmes ont été trompées par
la Révolution.
Deuxième question rhétorique d’une série de cinq, cette interrogation est en fait l’affirmation d’une
thèse : les femmes n’ont tiré aucun avantage de la Révolution.

Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé.

Cette phrase courte et nominale, comportant un effet de rime intérieure (« marqué / signalé») et un
parallélisme de construction, instaure comme un dialogue dont Olympe formule elle-même les
réponses sur un ton didactique. On peut également penser à la démarche socratique qui « accouchait
» les esprits par des questions d’apparence simple afin de les conduire pas à pas à la vérité.

Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes.

La négation restrictive « ne que » montre à quel point le pouvoir des femmes a été restreint par le
passé et qu’il n’a été permis que par un défaut, « la faiblesse », des hommes et non par une volonté
active de leur part.

Votre empire3 est détruit ; que vous reste-t-il donc ?

« empire » développe le réseau lexical du pouvoir initié avec « régné » à la phrase précédente et la
métaphore de la destruction territoriale (qui joue avec le double sens du terme « empire ») pousse à
faire le bilan de ces pertes.

La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les
sages décrets4 de la nature.

Ces pertes sont colossales : il ne reste rien si ce n’est la certitude d’avoir été flouées et le combat à
mener pour l’égalité. Ici encore les phrases nominales assènent sèchement le constat. On peut penser
au pamphlet de l’abbé Sieyès « Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? » (1789) où celui-ci montrait que le
peuple, qui constituait la majorité démographique de la France, n’était absolument rien sur le plan
politique et aspirait par conséquent à devenir quelque chose. Pour Olympe, les femmes ne sont rien
alors qu’elles sont la moitié de l’humanité : elles aspirent donc à devenir enfin quelque chose.
« Les sages décrets de la nature » sont ceux sur lesquels l’autrice a attiré l’attention des hommes dans
« Les droits de la femme » : la nature n’offre aucun exemple de domination mâle, c’est donc elle qui
nous commande d’être égaux en droits.

Qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise5 ?

La « si belle entreprise » est « la réclamation de votre patrimoine » : l’hyperbole met en évidence


l’enthousiasme de l’autrice pour cette cause, enthousiasme qu’elle veut communicatif et dénué de peur
(« redouter »).

Le bon mot du législateur des noces de Cana6 ?

« Le bon mot » est ici ironique et est cité dans la phrase suivante. Les noces de Cana est une référence
religieuse à un épisode raconté dans l’Evangile de Saint Jean. Invité avec sa mère et ses disciples à
une noce située dans la petite ville de Cana, Jesus répond à la vierge qui lui signale qu’il n’y a plus de
vin : « Que me veux-tu, femme ? Mon heure n’est pas encore venue » ou bien dans une autre
traduction : « Qu’y a-t-il de commun entre toi et moi ? ». Un peu plus tard, il fait remplir six jarres
d’eau et, par miracle, en transforme le contenu en vin. La phrase a souvent été utilisée pour prouver la
misogynie du Christ et de la religion chrétienne. On peut aussi l’interpréter d’une autre manière :
Jesus, fils de Dieu, s’apprête
à accomplir son premier miracle en changeant l’eau en vin et révèle par cette phrase la différence
radicale entre sa propre nature divine et la nature humaine de sa mère.
Craignez-vous que nos législateurs français, correcteurs de cette morale longtemps accrochée
aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison7, ne vous répètent : « Femmes, qu’y
a-t-il de commun entre vous et nous ? »

Un nouveau mot « craignez » fait référence à la peur qu’Olympe conjure et tente de désamorcer. Le «
bon mot » n’est plus celui du Christ mais celui des députés, débarrassés du joug religieux (« cette
morale ») qui « n’est plus de saison » après la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ici, avec le
déterminant possessif «nos législateurs », Olympe s’inclut exceptionnellement : elle aussi est sous le
coup de la loi dictée par les hommes.
Entre guillemets, elle reprend les paroles bibliques en les mettant au pluriel afin de questionner les
similitudes entre hommes et femmes et de reprendre la thématique développée dans « Les droits des
femmes » : l’examen des rôles des femelles et des mâles dans la nature.

« Tout », auriez-vous à répondre.

Ces rôles sont tout à fait partagés dans la nature, qui ne fait pas de différence, d’où le «tout»
globalisant qu’elle suggère en réponse à sa propre question.

3° partie : Résister à l’opposition des hommes.

S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence8 en contradiction avec leurs
principes, opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité,
réunissez-vous sous les étendards de la philosophie, déployez toute l’énergie de votre caractère,
et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles9 adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers
de partager avec vous les trésors de l’Être suprême.

Dans cette dernière partie, Olympe envisage la probable résistance des hommes et encourage les
femmes à désobéir pacifiquement.
La proposition subordonnée hypothétique initiale témoigne de l’absence d’illusion qu’Olympe se
fait à propos des hommes à propos desquels c’est la deuxième fois qu’elle utilise le mot « faiblesse ».
Elle sait la domination masculine si puissamment ancrée dans les mentalités et l’histoire que « les
principes » révolutionnaires ne suffisent pas à la déloger. C’est pourquoi il faudra que les femmes
agissent, ce qui explique la présence des trois verbes à l’impératif :
« opposez ; réunissez-vous et déployez toute l’énergie ». Olympe propose un programme ambitieux
dans une longue phrase faite de propositions juxtaposées comme autant d’échelons à gravir : résister,
s’unir puis conquérir.
Mais la force des femmes n’est pas physique et leur autorité ne repose pas sur la violence. Il ne s’agit
donc pas de prendre les armes au sens propre mais de lutter pacifiquement avec les armes de la «
raison », principe qui a guidé toute la réflexion des Lumières, ce que souligne la métaphore guerrière
des «étendards de la philosophie ». La raison doit donc à la fois guider la lutte, et soutenir la réflexion
pour que les femmes sortent de leur passivité, de leur acceptation résignée.
Cette raison, l’autrice refuse d’en envisager l’échec puisque la réponse à l’hypothèse du début de
phrase, au lieu d’être, selon la règle de la concordance des temps, au conditionnel (« S’ils
s’obstinaient...vous opposeriez… »), est posée au futur, pour formuler la certitude de la victoire, et
introduite par la conjonction «et » qui prend ici valeur de conséquence inéluctable : « et vous verrez
bientôt… ».
De plus, le verbe « voir » s’oppose ici à l’aveuglement évoqué initialement dans le texte. Les adjectifs
péjoratifs « orgueilleux, serviles, rampants » font état des rapports de domination qu’il ne s’agit pas
pour Olympe d’inverser mais d’annihiler grâce à l’égalité que suggère le verbe « partager ».

Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir10 ;
vous n’avez qu’à le vouloir.
La dernière phrase développe l’idée, très moderne, que pour se débarrasser d’un tyran, il suffit de
désobéir. Les mots relatifs à l’entrave « barrières ; oppose » sont contre-balancés par le verbe «
affranchir » qui évoque à la fois le franchissement des barrières et l’affranchissement des esclaves,
donc l’idée de libération.
Cette dernière phrase consacre l’alliance du « vouloir » et du « pouvoir » : personne d’autres qu’elles-
mêmes ne les affranchira. On peut ici penser à ce slogan du MLF (Mouvement de Libération des
Femmes) : «Ne me libérez pas, je m’en charge. ».
Conclusion
Cet extrait développe un triple blâme.
● D’abord, il vise les pouvoirs de l’Ancien Régime, notamment la religion, qui se sont employés à
maintenir les femmes dans la soumission.
● Puis, les révolutionnaires sont accusés d’avoir trahi les idéaux mêmes pour lesquels ils se sont
battus.
● Enfin, les femmes elles-mêmes n’échappent pas à la critique, coupables de s’être laissées enfermer
dans leur image d’infériorité, d’en avoir joué sous l’ancien régime, et d’avoir peur aujourd’hui de
revendiquer des droits pourtant légitimes.
Ce texte offre aussi un parfait exemple de l’art d’argumenter. Il associe en effet le fait de
convaincre et celui de persuader. D’un côté, Olympe de Gouges construit un raisonnement solide,
faisant appel à la «raison », terme-clé de ce siècle des Lumières. Parallèlement, elle élabore un texte
injonctif, fortement modalisé par tous les procédés d’écriture propre à inciter les femmes à ne plus
accepter le sort que les hommes
continuent à vouloir leur réserver.
Rappelons que les choix politiques de cette femme, engagée, l’ont conduite à mourir sur la
guillotine…

Texte de la lecture linéaire 18


Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791.

Les articles de la Déclaration


1 Article 1 : La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions
2 sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
3 Article 2 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et
4 imprescriptibles de la Femme et de l’Homme. Ces droits sont : la liberté, la propriété, la
5 sûreté, et surtout la résistance à l’oppression.
6 Article 3 : Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, qui
7 n’est que la réunion de la femme et de l’homme : nul corps, nul individu, ne peut
8 exercer d’autorité qui n’en émane expressément.
9 Article 4 : La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ;
10 ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie
perpétuelle que l’homme lui oppose : ces bornes doivent être réformées par les lois de
11 la nature et de la raison.
12 Article 5 : Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la
13 société ; tout ce qui n’est pas défendu par ces lois, sages et divines, ne peut être
14 empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elles n’ordonnent pas.
15 Article 6 : La loi doit être l’expression de la volonté générale : toutes les Citoyennes et
16 Citoyens doivent concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation
17 ; elle doit être la même pour tous ; toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant
18 égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et
19 emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs
20 vertus et de leurs talents.
21

Les articles de déclaration


Olympes de Gouges, de son vrai nom Marie Gouze née en 1748 et meurt guillotinée en 1793, est une
femme de lettre qui a milité pour la condition de la femme et l’abolition de l’esclavage. Elle est une
femme des Lumières. Elle a également participé à la Révolution française en promouvant l’égalité
entre l’homme et la femme. Cette écrivaine féministe écrit plusieurs oeuvres parmi lesquelles son
oeuvre pour laquelle elle se fait le plus connaitre est la Déclarations des droits de la femme et de la
citoyenne publié en 1791. En effet, l’écrivaine réécrit la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 pour souligner que les femmes en sont écartées. Nous allons étudier ici les six
premiers articles de cette Déclaration des droits de la femme.
Mon projet de lecture consiste à montrer comment cette réécriture féministe de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen promeut-elle l’égalité entre les hommes et les femmes ?
Pour mener à terme ce projet de lecture, l’analyse se subdivise en trois mouvements allant de cette
liberté naturelle entre les sexes soulignée par Olympe de Gouges aux fondements de la nation qui ne
peut exclure la femme. Enfin, dans le troisième mouvement, nous verrons que la Constitution promeut
la justice et la liberté pour les deux sexes.

1. La liberté et l’égalité entre les sexes sont inscrites dans la nature : (article 1 et 2)
- Le premier article montre que « la femme nait libre et demeure égale à l’homme en droits »
- Le présent de l’indicatif a une valeur de présent de vérité générale : il énonce des principes d’égalité
qui se veulent permanents. Le présent souligne également que l’auteur appelle à des changements qui
souffriraient d’attendre.
- Selon olympe de Gouges, l’égalité entre les sexes est naturelle mais elle a été altérée par les lois
humaines. Elle souhaite donc que ces lois reconnaissent et protègent l’égalité naturelle entre les sexes.
- les noms singuliers introduits par des articles définis à valeur générale: « La femme », «l’homme »
présuppose que la visée universaliste du texte. Olympe de Gouges détourne cet article pour en faire un
combat féministe où la femme lutte pour obtenir les mêmes droits que les hommes. Elle réduit ainsi le
substantif « homme » de la DDHC de 1789 au genre masculin. Quant à la femme, elle devient sujet de
la phrase : « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ». « Olympe de Gouges
reprend néanmoins à l’identique la suite de l’article 1, qui reconnaît les distinctions sociales : « Les
distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. ». Une société peut donc
demeurer égalitaire malgré l’existence d’inégalités sociales, tant que les personnes les plus favorisées
concourent au bon fonctionnement de la société (« l’utilité commune« ). Cet article initial est donc une
réécriture de l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Mais
Olympe de Gouges y donne une place à la femme. Sa réécriture est audacieuse car l’auteure montre
que le substantif « homme » dans la DDHC de 1789, censé désigner le genre humain dans son
ensemble, mais participe en réalité du caractère invisible des femmes de la sphère publique.
- Le deuxième article réécrit également l’article 2 de la DDHC de 1789, auquel est ajoutée la mention
de la femme. En mentionnant la femme avant l’homme («de la femme et de l’homme »), l’auteure
témoigne du combat des femmes pour être reconnues. Olympe de Gouges pose comme fondement de
la société la défense « des droits naturels et imprescriptibles de la femme et de l’homme ». Les deux
adjectifs (« naturels et imprescriptibles » ) insistent sur le caractère naturel de ces droits
- L’énumération montre les droits en question : « sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la
résistance à l’oppression. ». En accordant aux femmes un droit de résistance à l’oppression, Olympe
de Gouges légitime le combat des femmes pour l’égalité entre les sexes.
2 – L’homme et la femme sont au fondement de la nation égalitaire (article3)
- L’article 3 porte sur la nation : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement en la nation
». - Il s’agit d’une reprise de l’article 3 de la DDHC de 1789. Le pouvoir n’appartient plus à un
souverain, mais à l’ensemble des individus, considérés comme une Nation.
- La souveraineté est ainsi détenue par la communauté entière, et non plus par des groupes (« nul corps
») ou des personnes (« nul individu ») défendant leurs propres intérêts. Une proposition subordonnée
relative qui : « la nation, qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme » précise la définition de
la nation
- La militante rappelle ainsi que les femmes ne doivent pas être écartées de la nation. La conjonction
de coordination « et », qui supprime toute hiérarchisation, exprime cette égalité entre les sexes. La
négation restrictive « ne…que » exclut toute définition de la Nation qui n’inclurait pas les femmes.
3- La justice et la liberté pour les deux sexes
- l’article 4 définit «La liberté et la justice», qui «consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui;
ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme
lui oppose». Il s’agit d’une réécriture ironique de l’article 4 de la DDHC de 1789 dans cette dernière la
liberté des uns s’achève là où commence celle des autres. Olympe de Gouges réécrit cet article avec
une ironie grinçante puisqu’elle énonce que la liberté de la femme est bornée par la liberté de
l’homme. Ce texte est contestataire car il souligne que La tyrannie est représentée ici par un genre : ici
le genre masculin qui opprime les femmes. L’hyperbole «tyrannie perpétuelle» assimile même cette
oppression à un règne très long.
- Pour Olympe de Gouges, la Constitution doit rendre à la femme sa liberté naturelle («rendre tout ce
qui appartient à autrui » ).
- Cette définition suggère encore une fois que la liberté de la femme est naturelle. La Constitution ne
ferait que restaurer une égalité naturelle corrompue par la société. Olympe de Gouges s’appuie sur
deux arguments d’autorité : « les lois de la nature» et celles de la «raison », censées être
incontestables. L’enchaîne de ces deux arguments est fluide, il est assuré par épanadiplose. La
reprise de cette expression légitime la démarche d’Olympe de Gouges qui entend simplement
faire respecter les lois de la nature et de la raison.
- L’article 5 précise les limitations du droit à la liberté : il s’agit des lois qui «défendent toutes actions
nuisibles à la société ». Le substantif « femmes » n’apparaît pas dans cet article 5 : Olympe de Gouges
ne défend pas seulement les femmes, mais tout les membres de la société. Les lois sont d’ailleurs «
sages et divines ». Ces adjectifs élogieux qui ne figurent pas dans la DDHC de 1789 montrent que la
sacralité du pouvoir ne réside plus en la personne du roi, mais dans les lois qui retranscrivent celles de
la nature et de la raison. Si ces lois interdisent les comportements nuisibles, elles offrent également
une grande liberté : « nul peut être contraint à faire ce qu’elles n’ordonnent pas. » Les lois représentent
donc la condition de la liberté, et pas seulement une liste d’interdits.
- Mais pour que ces lois soient «sages et divines», il y a une condition énoncée dans l’article 6 : «La
loi doit être l’expression de la volonté générale.». Olympe de Gouges réécrit subtilement l’article 6 de
la DDHC de 1789 en modifiant le groupe verbal « La loi est » par «La loi doit être ».
- L’auteure affirme ainsi que la constitution de 1789 se contredit et doit être réformée. Elle n’est pas
encore l’émanation de la volonté générale puisqu’elle exclut les femmes. Olympe de Gouges modifie
également la suite de l’article en ajoutant la présence des femmes au sein de la nation «toutes les
citoyennes et tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa
formation.». En antéposant le nom féminin, elle exprime une prise de pouvoirs des femmes sur les
hommes.
- Cet article jette les fondements de la démocratie représentative où chacun s’exprime. Comme dans la
DDHC de 1789, la loi est désignée comme en «formation », c’est-à-dire qu’elle est le fruit du débat,
qu’elle peut évoluer, qu’elle n’est pas figée, d’où l’espoir d’Olympe de Gouges de modifier les lois en
faveur des femmes.
- Les modifications opérées par Olympe de Gouges sur la Déclaration de 1789 consistent également en
suppressions : le fait que la loi protège et punisse ne figure plus dans cette déclaration, comme pour ne
pas insister sur ce que les lois ont de contraignantes.
- Elle conserve en revanche le principe fondamental d’égalité devant la loi, «toutes les citoyennes et
tous les citoyens, étant égaux à ses yeux ». De nouveau la présence de «citoyennes » est un ajout
contestataire. La suite de cet article affirme le droit pour les femmes et les hommes d’être «
admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autre distinction
que celle de leurs vertus et de leurs talents. ». Olympe de Gouges expose une conception distributive
de la justice qui doit répartir les places et dignités en fonction du mérite de chacun. Elle exprime
également sa légitimité, en tant que femme, à publier et à débattre dans le domaine politique. Mais elle
affirme bien-sûr ce même droit pour toutes les femmes. Cette nouvelle société se veut donc fondée sur
le mérite, et non plus sur la naissance ou le sexe. Elle milite pour que la mobilité sociale (fait de
changer de classe sociale) soit possible aussi bien pour les femmes que pour les hommes.
Conclusion
Nous avons montré en quoi cette réécriture féministe de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen promeut l’égalité entre les hommes et les femmes. Olympe de Gouges procède à des
modifications subtiles, souvent de l’ordre du détail, mais qui contestent fortement les prétentions
égalitaristes de la Déclaration des droits de l’Homme et de Citoyen de 1789. L’écrivaine n’a de cesse
de reprocher à la Constitution d’avoir occulté les femmes, qu’elle place au coeur de cette réécriture.
Ce faisant, les principes révolutionnaires sont d’autant mieux mis en oeuvre, car ils ne se limitent à
aucun individu. Il se dégage de ces articles l’enthousiasme d’une révolutionnaire qui maîtrise les
subtilités du langage juridique, et aspire à prolonger la Révolution.
Le postambule s’adresse aux femmes pour leur insuffler l’énergie et l’enthousiasme de défendre cette
nouvelle constitution qui va dans leur intérêt.

Lecture linéaire
Chapitre 19 de Candide
« Le nègre de Surinam»
En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus
que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce
pauvre homme la jambe gauche et la main droite. "Eh, mon Dieu ! lui dit Candide
en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? - J'attends
mon maître, monsieur Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. - Est-
ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ? - Oui, monsieur, dit le nègre,
c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois
l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt,
on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe :
je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en
Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de
Guinée, elle me disait : "Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils
te feront vivre heureux ; tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs,
et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère." Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait
leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes, les perroquets
sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont
converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam,
blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous
sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en
user avec ses parents d'une manière plus horrible.

- Ô Pangloss ! s'écria Candide, tu n'avais pas deviné cette abomination ; c'en est
fait, il faudra qu'à la fin je renonce à ton optimisme. - Qu'est-ce qu'optimisme ?
disait Cacambo. - Hélas ! dit Candide, c'est la rage de soutenir que tout est bien
quand on est mal." Et il versait des larmes en regardant son nègre, et, en pleurant, il
entra dans le Surinam.

Fétiche: objet de culte censé être chargé d’une puissance surnaturelle

BIOGRAPHIE

Voltaire (1694-1778)
Le nom de Voltaire est un pseudonyme ; l’homme s’appelait en réalité François Marie Arouet, et
aurait composé son nom d’emprunt sur l’anagramme du nom « Arouet L(e) J(eune) » : AROVETLI (le
u est devenu v et le j un i selon l’écriture latine).
Malgré une santé fragile, Voltaire a bénéficié d’une longévité remarquable qui couvre presque
l’ensemble de son siècle : né en 1694, il meurt en effet en 1778, au moment où le mouvement des
Lumières, qui a atteint son apogée, laisse la place à une nouvelle ère historique dans la pensée
occidentale.
Voltaire est issu d’une famille bourgeoise aisée : son père, descendant d’une famille de drapiers,
bénéficie d’une charge de notaire. De cette origine, Voltaire tire à la fois une partie de sa fortune et le
sens de l’argent, une bonne éducation reçue chez les Jésuites, et le sentiment d’une revanche à prendre
sur la noblesse, à laquelle il n’appartient pas.
À l’instigation de son père et contre son gré, le jeune Voltaire entreprend des études de droit. Mais ses
frasques autant que ses talents littéraires l’en détournent. Au collège Louis-le-Grand où il a fait ses
études, le jeune Voltaire s’est fait des relations sûres dans le monde ; il est ainsi admis très jeune dans
les cercles parisiens où son esprit vif et satirique fait merveille. Son extraction bourgeoise ne gêne en
rien ces fréquentations. Il fréquente notamment la société libertine du Temple, où il achève l’éducation
de son esprit.
Pour des insolences à l’égard du pouvoir, Voltaire est emprisonné à la Bastille. Il y séjourne pendant
onze mois, qu’il met à profit pour écrire : il achève sa tragédie OEdipe et commence La Henriade,
poème épique. La représentation d’OEdipe est un succès ; Voltaire va rapidement s’imposer comme le
dramaturge le plus célèbre de son temps pour le genre tragique, même si, au XVIIIe siècle, c’est sa
poésie dramatique qui lui vaut sa plus grande notoriété et lui attire tous les succès. Même si cet
attachement à la poésie et au théâtre a assuré à Voltaire son succès en son temps et sa première
postérité, son oeuvre se distingue par une très grande variété de genres : pièces de théâtre, poèmes,
mais aussi oeuvres en prose argumentatives ou narratives. Il est notamment l’inventeur du conte
philosophique, qui reste attaché à son nom, Micromégas, Zadig, Candide, L’Ingénu sont parmi les plus
célèbres dans un vaste ensemble.
À la suite d’une querelle avec un Grand du Royaume, Voltaire est à nouveau emprisonné à la Bastille,
puis exilé en Angleterre. Cet épisode est fondamental dans sa vie : d’abord parce que le jeune homme
prend conscience de l’écart social qui le sépare des Grands et qu’il n’avait jusqu’alors pas eu à subir ;
ensuite, et surtout parce que son séjour de l’autre côté de la Manche l’amène à découvrir un autre
régime politique, la monarchie parlementaire, et des esprits qu’il ne connaissait pas et qui auront sur
lui et sur son oeuvre une très grande influence. C’est en Angleterre que Voltaire devient un «
philosophe des Lumières ». Son séjour en Angleterre permet aussi à Voltaire de découvrir et d’admirer
des penseurs et des scientifiques de ce pays. Il diffuse ainsi la pensée de Bacon, philosophe anglais de
la Renaissance, et de Locke, philosophe du XVII e siècle ; il propage aussi les théories scientifiques.
C’est enfin à lui que le public français doit le premier contact avec le théâtre de Shakespeare.
À partir de 1746, Voltaire se lie avec Frédéric II de Prusse ; ce dernier fait partie des souverains
européens qui se déclarent partisans des Lumières. Le philosophe français rêve d’une collaboration
avec le prince qui lui permettrait de réaliser le modèle du « despote éclairé », celui d’un prince régnant
selon ses principes philosophiques. Invité par Frédéric II, Voltaire se rend à Berlin où il est d’abord
accueilli avec les honneurs, en juillet 1750. Mais cette relation tourne court : irrité de voir Voltaire
s’immiscer dans les décisions de l’État, Frédéric II se lasse du philosophe qui prend le chemin du
retour dans des conditions périlleuses, après deux ans et demi de séjour.
Recherchant une tranquillité que ses relations houleuses avec les gouvernements ne lui permettent pas,
Voltaire s’établit en Suisse, et achète en 1758 le château de Ferney, où il résidera jusqu’à la fin de ses
jours, transformant un domaine modeste en exploitation opulente et en centre intellectuel d’où sa
pensée et ses écrits rayonnent à travers l’Europe entière.
Voltaire a consacré une grande partie de son oeuvre, de son énergie et de sa vie à combattre le
fanatisme. S’il ne déclare aucune hostilité à la religion en tant que telle, il manifeste un
anticléricalisme combatif, issu des pratiques superstitieuses qu’il observe et des conflits de religion qui
ont secoué la France depuis deux cents ans. « L’infâme » est une expression par laquelle Voltaire
désigne la superstition et l’obscurantisme religieux ; cette expression concentre son hostilité et résume
son combat contre le fanatisme.
En 1762, Voltaire prend position dans l’affaire Calas : un protestant, injustement accusé du meurtre de
son fils, est exécuté. Alerté par sa famille, Voltaire s’informe et se lance dans un combat qui aboutit en
1765 à la réhabilitation de Calas. Cette affaire est la plus connue de celles dans lesquelles Voltaire
s’est impliqué.

ÉLÉMENTS D’ANALYSE
Extrait du chapitre 19, Candide de Voltaire
Un conte philosophique
Candide est un conte philosophique en prose où Voltaire critique la vision du philosophe Leibniz et sa
théorie de l’optimisme. D’après Leibniz, dans la vie, le mal est toujours compensé par le bien. Tout se
passe pour le mieux « dans le meilleur des mondes possibles». Voltaire va donc faire vivre à Candide
une série de malheurs au-delà de ce qu’il est possible de supporter.
Candide est une oeuvre vaste, qui traite de nombreux sujets philosophiques de l’époque des Lumières :
la religion et le fanatisme, la liberté politique et la tyrannie, la connaissance et l’obscurantisme, le
bonheur et la fatalité, la liberté et l’esclavage.
C’est un extrait du chapitre 19 du conte que nous allons étudier. Candide, arrivant près du Surinam,
ville de Guyane hollandaise, rencontre l’esclave noir du négociant Vanderdendur qui a perdu sa jambe
et sa main à cause de son statut d’esclave.
Nous allons voir en quoi ce texte argumentatif dénonce l’esclavage.
Nous pouvons identifier 4 mouvements dans le texte que nous allons étudier.
D’abord nous verrons la rencontre avec l’esclave, ensuite la description de l’esclavage, puis le
réquisitoire contre l’esclavage et enfin la critique de l’Optimisme par l’auteur.
Premier mouvement
D’abord l’esclave est décrit dans une position de faiblesse voire d’infériorité puisqu’il est « étendu par
terre ». Sa position le rend vulnérable, il est sous-entendu également qu’il est hors de la ville, donc à
l’écart. Nous pouvons relever le champ lexical de la misère avec la présence du nom « moitié », le
verbe « manquait » et l’adjectif « étendu ». L’utilisation de la négation restrictive « n’ayant plus que la
moitié » accentue cette misère.
En effet, ses vêtements sont déchirés (il n’a plus que la moitié de son habit) et il porte un caleçon de
toile bleue. Il est également à souligner qu’à l’époque, la toile était utilisée pour envelopper la
marchandise. La position et la description de l’esclave suscitent la pitié. La mutilation de cet homme
qualifié de « pauvre » (« il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite »)
déclenche chez le lecteur une vive émotion. Nous pouvons également percevoir la compassion de
Candide à travers les paroles qu’il prononce : d’abord par l’utilisation de l’interjection « Eh » et de
l’apostrophe « Mon Dieu ! », ensuite il qualifie l’état du nègre par l’adjectif péjoratif « horrible ». La
tonalité de ce premier mouvement est donc fortement pathétique.
— —Deuxième mouvement
Les sonorités du nom du maître « Vanderdendur » permettent d’entendre « vendeur à la dent dure », ce
qui correspond à une attitude agressive. Ce qui renvoie bien à l’attitude du maître, au comportement
sans compassion que nous décrit l’esclave puisqu’il est prêt à lui ôter une jambe pour le punir. De
plus, celui-ci est présenté comme « le fameux négociant » qui doit certainement sa richesse et sa
célébrité à l’exploitation des esclaves. Ici Voltaire vise précisément les hollandais, qu’il considère
comme les organisateurs de ce trafic d’hommes. Le nom « Vanderdendur » n’est pas sans rappeler le
nom d’un éditeur, Van Duren qui a trompé et volé Voltaire.
La conclusion de l’esclave apparait comme un couperet : « c’est à ce prix que vous mangez du sucre
en Europe ». Les deux situations précédemment exposées aboutissent à la même possibilité pour les
Européens : « manger du sucre ». C’est grâce à l’horreur que subissent chaque jour les esclaves que les
Européens peuvent s’offrir ce plaisir, ce luxe : manger du sucre. L’utilisation du pronom personnel «
vous » montre que Voltaire s’adresse aux lecteurs et par là même tente de les culpabiliser, d’éveiller
leur conscience sur leurs propres actes et de dénoncer l’esclavage.
— —Troisième mouvement
Par l’utilisation du discours direct, l’esclavage est présenté par la mère de manière méliorative, nous
pouvons le voir grâce aux termes utilisés : « vivre heureux », « nos seigneurs », « fortune », «
honneur». Il y a un décalage entre les aspirations de la mère et ce vers quoi elle pousse son fils. Elle
présente l’esclavage comme un honneur pour son fils qui le conduira au bonheur mais qui impliquera
également celui de ses parents « tu fais par-là la fortune de ton père et de ta mère ».
Pourtant la misère est également soulignée ici : la misère intellectuelle des parents qui ne connaissent
pas la situation réelle des esclaves et y conduisent leur fils et la misère sociale, représentée par la
nécessité de vendre leur fils « dix écus patagons ». L’interjection « Hélas » indique la déception de
l’esclave. La « fortune » promise n’est pas au rendez-vous.
Ici l’esclave joue sur le mot « fortune » qui possède un double sens : il signifie « richesse » matérielle
mais aussi « bonheur ». Le ton est ironique puisqu’il indique qu’il a peut-être permis la richesse de ses
parents mais certainement pas son bonheur. Avec l’aide d’une hyperbole, il se compare même aux
animaux tels que « les chiens, les singes et les perroquets », animaux proches de l’homme qui sont,
selon lui, « mille fois moins malheureux que nous ».
Dans le troisième mouvement, les mots qui désignent les religieux sont : fétiches et prêcheurs, ces
deux termes permettent d’éviter la censure. L’esclave débute son raisonnement par une affirmation des
fétiches hollandais (les religieux), une généralité (utilisation du présent de vérité générale) : « nous
sommes tous enfants d’Adam, blancs et
noirs », il continue par une déduction « si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de
germains » et enfin il termine par une opposition « or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec
ses parents d’une manière plus horrible ». Il souligne ici le décalage entre les paroles des esclavagistes
et leurs actes. C’est l’hypocrisie des hollandais qui est ici dénoncée. Alors qu’ils affirment l’égalité
entre tous les hommes, ils condamnent les Noirs à l’esclavage.
— —Dernier mouvement
Jusqu’ici Pangloss enseignait à Candide l’Optimisme : « dans la vie, le mal est toujours compensé par
le bien », or Candide ne peut trouver des éléments positifs dans l’esclavage, après ce qu’il vient
d’entendre de la bouche d’un esclave lui-même. Il nomme d’ailleurs l’esclavage « abomination ».
C’est pourquoi il renonce à l’Optimisme et le signifie à Pangloss « je renonce à ton optimisme ».
Nous pouvons remarquer que Candide est envahi par la compassion. Le sort de l’esclave le fait
pleurer, nous retrouvons d’ailleurs dans la même phrase : « versait des larmes » et « en pleurant ».
L’esclave devient le sien « son nègre ».
Dans le dernier mouvement, la définition de l’optimisme selon Candide est donnée : « c’est la rage de
soutenir que tout est bien quand on est mal ». Voltaire tourne la définition de l’optimisme en dérision,
d’abord par la question naïve de Cacambo « qu’est-ce qu’optimisme ? » (Optimisme est utilisé sans
article ici), ensuite par l’utilisation de l’antithèse entre le « bien » et le « mal » ; enfin il utilise le nom
« rage » pour souligner le caractère absurde de la philosophie Leibnizienne. Sa définition de
l’optimisme est donc ironique.

Conclusion
L’extrait présenté ici propose l’exemple d’une atteinte aux droits de l’homme et à la liberté : la traite
négrière. La rencontre de l’esclave Cacambo est un choc pour Candide, qui redécouvre la réalité du
malheur après avoir visité l’Eldorado.
L’étude de ce texte nous montre que c’est Voltaire qui s’exprime à travers l’esclave. En effet Voltaire
dénonce l’esclavage et il le fait avec ironie, comme lorsqu’il évoque la religion. L’évocation de la
mutilation des nègres suscite un sentiment de révolte et d’indignation chez le lecteur. Ce texte est un
parfait exemple du combat de Voltaire contre l’intolérance et l’injustice et c’est bien aussi dans le but
de combattre pour l’égalité qu’il écrit Candide.

EXTRAIT

Histoire comique des États et Empires du Soleil


Le narrateur, « Cyrano », voyage dans les Etats et Empires du Soleil. Il y rencontre une société
d’oiseaux très bien organisée. Une pie vient de lui expliquer pourquoi elle aime bien les hommes : ils
l’ont élevée et nourrie.

Le gouvernement du bonheur.

Elle achevait ceci, quand nous fûmes interrompus par l’arrivée d’un aigle qui se vint asseoir entre les
rameaux d’un arbre assez proche du mien. Je voulus me lever pour me mettre à genoux devant lui,
croyant que ce fût le roi, si ma pie de sa patte ne m’eût contenu en mon assiette. « Pensiez-vous donc,
me dit-elle, que ce grand aigle fut notre souverain ? C’est une imagination de vous autres hommes, qui
à cause que vous laissez commander aux plus grands, aux plus forts et aux plus cruels de vos
compagnons, avez sottement cru, jugeant de toutes choses par vous, que l’aigle nous devait
commander.
« Mais notre politique est bien autre ; car nous ne choisissons pour notre roi que le plus faible, le plus
doux, et le plus pacifique ; encore le changeons nous tous les six mois, et nous le prenons faible, afin
que le moindre à qui il aurait fait quelque tort, se pût venger de lui. Nous le choisissons doux, afin
qu’il ne haïsse ni ne se fasse haïr de personne, et nous voulons qu’il soit d’une humeur pacifique, pour
éviter la guerre, le canal de toutes les injustices.
« Chaque semaine, il tient les États, où tout le monde est reçu à se plaindre de lui. S’il se rencontre
seulement trois oiseaux mal satisfaits de son gouvernement, il en est dépossédé, et l’on procède à une
nouvelle élection.
« Pendant la journée que durent les États, notre roi est monté au sommet d’un grand if sur le bord d’un
étang, les pieds et les ailes liés. Tous les oiseaux l’un après l’autre passent par-devant lui ; et si
quelqu’un d’eux le sait coupable du dernier supplice, il le peut jeter à l’eau. Mais il faut que sur-le-
champ il justifie la raison qu’il en a eue, autrement il est condamné à la mort triste. »
Les Nouvelles oeuvres de Monsieur de Cyrano de Bergerac. Contenant l’Histoire comique des Etats et
Empires du Soleil, plusieurs lettres et autres pièces divertissantes, 1662, Cyrano de Bergerac.

SUITE EXTRAIT

Historique comique des États et Empires du Soleil


[…] Je ne pus m’empêcher de l’interrompre pour lui demander ce qu’elle entendait par le mot triste et
voici ce qu’elle me répliqua : La mort triste
« Quand le crime d’un coupable est jugé si énorme, que la mort est trop peu de chose pour l’expier, on
tâche d’en choisir une qui contienne la douleur de plusieurs, et l’on y procède de cette façon : « Ceux
d’entre nous qui ont la voix la plus mélancolique et la plus funèbre, sont délégués vers le coupable
qu’on porte sur un funeste cyprès. Là ces tristes musiciens s’amassent autour de lui, et lui remplissent
l’âme par l’oreille de chansons si lugubres et si tragiques, que l’amertume de son chagrin
désordonnant l’économie de ses organes et lui pressant le coeur, il se consume à vue d’oeil, et meurt
suffoqué de tristesse.
« Toutefois un tel spectacle n’arrive guère ; car comme nos rois sont fort doux, ils n’obligent jamais
personne à vouloir pour se venger encourir une mort si cruelle.
« Celui qui règne à présent est une colombe dont l’humeur est si pacifique, que l’autre jour qu’il fallait
accorder deux moineaux, on eut toutes les peines du monde à lui faire comprendre ce que c’était
qu’inimitié. »
ÉLÉMENTS D’ANALYSE

Extrait de L’Histoire comique des États et Empires du


Soleil, Cyrano de Bergerac, 1662
L’Histoire comique des États et Empires du Soleil est un roman utopique qui critique la société du
souverain du temps de Cyrano (Louis XIV). Celui-ci raconte l’histoire d’un homme qui voyage sur le
soleil.
Dans l’extrait que nous allons étudier, le narrateur, qui voyage sur le soleil, découvre la République
des Oiseaux, dont la pie lui explique le fonctionnement.
La phrase nominale « Le gouvernement du bonheur » affiche d’emblée une volonté didactique et
argumentative. On y retrouve deux thématiques qui peuvent sembler antithétiques : la politique avec le
terme gouvernement et les sentiments intimes avec la notion de « bonheur ». Le texte s’ouvre par une
appréciation méliorative du narrateur.
Dès le début du texte, la pie et l’homme dialoguent. C’est une figure de style : la personnification. La
pie parle la même langue que l’homme puisqu’ils dialoguent, celle-ci est donc personnifiée. L’aigle est
également personnifié par le biais du verbe d’action « se vint asseoir ».
Le registre de cet extrait est merveilleux. D’abord l’histoire se déroule dans les « États et Empires du
Soleil », étoile inexplorable du fait de son extrême chaleur, ici plus précisément sur « les rameaux
d’un arbre ». Le narrateur humain est en présence d’une pie et d’un aigle. La pie et l’homme
dialoguent. Le lecteur est donc plongé immédiatement dans la fiction.
L’intention spontanée du narrateur lorsqu’il rencontre l’aigle est de s’agenouiller devant lui. En effet
l’aigle est un symbole traditionnel de l’empire et de la force. Cette intention est exprimée par le verbe
de volonté « je voulus », le narrateur en donne clairement l’explication « croyant que ce fut le roi ». Le
participe présent « croyant » montre d’emblée l’erreur du narrateur.
L’expression « ne m’eut contenu dans mon assiette » signifie « m’a fait rester à ma place »
La présence des guillemets et de l’incise contenant le verbe de déclaration indique que le récit fait
place au discours direct.
En bonne oratrice, la pie attise l’intérêt de son destinataire par le recours à une question rhétorique qui
lui permet de lancer sa longue interprétation. Cette question montre également la surprise de la pie
face au comportement du narrateur.
Le champ lexical de l’erreur de jugement et du manque de lucidité se retrouve dans les termes : «
imagination », « cru » et « jugeant ». En effet la pie répond à sa question rhétorique en affichant son
mépris sans détour : par l’apostrophe « vous autres hommes » qui a une connotation péjorative, par
l’utilisation de l’adverbe insultant « sottement ». Par ailleurs nous pouvons noter que le pronom
personnel ne renvoie plus seulement à Cyrano mais le rend représentatif du genre humain. Le narrateur
critique ensuite explicitement :
— Le roi de France, par la gradation en rythme ternaire constituée de trois superlatifs : « aux plus
grands, aux plus forts, aux plus cruels ». Ce dernier adjectif souligne le manque de justice du
gouvernement français
— L’ethnocentrisme, par l’expression « jugeant de toutes choses par vous »
— La loi du plus fort et de la soumission servile des Hommes, par « que vous vous laissez commander
aux plus grands, aux plus forts et aux plus cruels… »
« Mais », au début du deuxième paragraphe, est une conjonction de coordination. Elle exprime
l’opposition. Elle est employée également pour changer de paragraphe et exprimer une nouvelle idée,
un argument clair : « notre politique est bien autre ».
Ici la conjonction « Mais » est renforcée par l’utilisation de l’adverbe d’insistance « bien », ce qui
différencie nettement le gouvernement français de celui des États du Soleil. Il s’agit de montrer à quel
point les deux systèmes politiques sont opposés.
Pour mieux opposer les deux systèmes, la pie reprend la même structure de phrase mais remplace
chaque adjectif par son antonyme. Il s’agit ici d’un parallélisme antithétique de la présentation du roi :
d’un côté « plus grands », « plus forts », plus cruels » et de l’autre « plus faible », plus doux », « plus
pacifique ». Le contraste est d’autant plus frappant du fait de la proximité de ces deux propositions.
À noter que « car » annonce l’explication de la cause, de l’origine de cette différence absolue. Les
termes qui soulignent le pouvoir du peuple sont « nous le choisissons », « le changeons nous », « nous
le prenons ». Même si l’on parle de « roi », on comprend alors qu’il s’agit d’une démocratie
républicaine.
Le mandat de « six mois » du roi est une critique indirecte adressée à la monarchie absolue de droit
divin où le roi ne perd son titre qu’à sa mort.
La pie explique l’adjectif « faible » prévoyant la question du narrateur (ici porte-parole du lecteur
étonné) grâce à la proposition subordonnée circonstancielle de but introduite par « afin que ».
L’explication est surprenante car elle annonce la vulnérabilité du roi, la possibilité de se venger de lui,
et contraste alors avec l’aspect intouchable du roi français. Le droit est donné de se venger qui que
nous soyons (« le moindre ») et quelque minime qu’ait été le mal qu’il a pu commettre (« quelque tort
») qui est d’ailleurs évoqué au conditionnel passé pour souligner l’hypothèse, l’irréel « aurait fait ».
Il y a deux figures de style dans la fin de la phrase :
— Une métaphore en apposition « canal de toutes les injustices »
— Une hyperbole : « toutes les injustices »
On perçoit d’abord un objectif moral : aucun sentiment négatif ne doit émaner du roi ou être tourné
vers lui. L’objectif premier ici est en réalité « d’éviter la guerre ». L’hyperbole « de toutes les
injustices » relevée précédemment montre un aspect utopique : supprimer la guerre ferait disparaître le
moindre souci d’équité dans le monde. Le pacifisme est donc lié à la justice et crée ainsi un
gouvernement idéal.
Le titre « gouvernement du bonheur » trouve ici son explication.
La pie enchaine avec des exemples concrets. Nous sommes en présence d’une structure argumentative
efficace : d’abord elle pose une question rhétorique à laquelle elle apporte une réponse, ensuite une
nouvelle idée est exprimée (changement de paragraphe et emploi du mot de liaison « mais »), puis il y
a un nouveau paragraphe qui présente des exemples concrets pour étayer l’argument précédent.
La pie décrit précisément le fonctionnement du gouvernement. D’abord une assemblée est convoquée
dans la proposition « il tient ses états » (le jugement royal fait donc partie intégrante de la politique
intérieure de la République du Soleil) ainsi que sa périodicité « chaque semaine ». L’importance de
chaque individu est une nouvelle fois mise en valeur par l’expression globalisante « tout le monde » ;
Chaque citoyen a la possibilité de dire ce qu’il pense du roi, très régulièrement. La justice est la même
pour tous, le roi subit la justice également. Il écoute les plaintes et les critiques de tous les citoyens à
son égard.
C’est le système démocratique qui est clairement évoqué ici avec la référence à une « élection ». Sur
tout un peuple, si « trois » sont « mal satisfaits », le roi est « destitué » de son « gouvernement ». Une
nouvelle fois l’accent est mis sur le pouvoir du peuple (désigné ici par le pronom indéfini « on »). La
faible marge d’erreur du roi est présente dans l’adverbe « seulement » et l’adjectif numéral « trois ».
La description du positionnement du roi par les compléments circonstanciels de lieu « au sommet d’un
grand if sur le bord d’un étang » et le complément circonstanciel de manière « les pieds et les ailes liés
» permet de visualiser la scène et nous indique que le roi est privé de liberté du fait de ses liens, il est
exposé au jugement de ses sujets.
Nous assistons donc ici à la désacralisation de la personne du roi et à la démystification du pouvoir du
roi, qui n’est d’ailleurs jamais désigné avec la majuscule traditionnellement employée pour les
monarques européens.
Un if est un arbre qui peut mesurer jusque 20 m de haut pour les plus grandes espèces.
Le Roi est placé stratégiquement en haut d’un if qui est, pour les Chrétiens, le lien entre le ciel et la
terre du fait notamment de sa longévité.
N’importe quel citoyen peut juger le roi coupable et le mettre à mort immédiatement. L’expression
globalisante « tous les oiseaux » montre une fois encore qu’aucun citoyen n’est mis de côté. C’est une
société ordonnée et respectueuse qui est présentée « l’un après l’autre ». Un seul sujet du royaume
peut accuser le roi du « dernier supplice ».
Il s’agit ici d’une critique implicite du système judiciaire français. L’insistance sur la probité exigée de
tous les juges sous-entend l’arbitraire de la justice contemporaine. Seuls les grands de ce monde
peuvent juger les autres, le peuple ne peut que subir. Les jugements sont souvent liés aux intérêts
personnels et perdent de vue la pure justice.
Le citoyen est soumis à une obligation (« il faut ») de « justifier la raison » de son acte « sur-le-champ
».
Dans le cas contraire, l’injustice du citoyen est punie, il est condamné à une « une mort triste».
Les juges doivent être justes envers le roi. La justice n’est pas salie par les intérêts personnels. Tous
les citoyens apprennent à être aussi justes et aussi raisonnables que le roi.
Notons que la « mort triste » est une peine inconnue des Hommes et paraît obscure. La «mort triste
semble être un pléonasme qui fait surgir des questions : la mort peut-elle ne pas être triste ?
Y aurait-il des formes de mort plus tristes que les autres ?
L’extrait présenté ici articule l’imaginaire et la réalité, la narration et la réflexion, il a la fonction de
l’apologue : par le détour de la fable, l’auteur rêve à un monde meilleur et critique le monde réel.
Cyrano de Bergerac critique alors le gouvernement de son époque et l’ethnocentrisme. C’est pourquoi
il nous présente l’utopie d’une république où tous les Hommes sont égaux, où chaque citoyen a autant
de poids que le roi.
Nous remarquons que la liberté de pensée et la force contestataire qui passent dans le texte de Cyrano
de Bergerac sont celles d’un libertin du XVII e siècle, d’un précurseur des Lumières mais qui ne parvint
pas à faire publier ses utopies de son vivant.
Ce recours à des animaux personnifiés afin de critiquer indirectement la société contemporaine, le
pouvoir royal et la justice, fait évidemment penser aux Fables de La Fontaine.

EXTRAIT

Le Mariage de Figaro, Acte III, scène 16


BARTHOLO - Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable.
MARCELINE, s’échauffant par degrés - Oui, déplorable, et plus qu’on ne croit ! Je n’entends pas
nier mes fautes ; ce jour les a trop bien prouvées ! mais qu’il est dur de les expier après trente ans
d’une vie modeste ! J’étais née, moi, pour être sage, et je la suis devenue sitôt qu’on m’a permis d’user
de ma raison. Mais dans l’âge des illusions, de l’inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous
assiègent pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d’ennemis
rassemblés ? Tel nous juge ici sévèrement, qui, peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées !

FIGARO - Les plus coupables sont les moins généreux ; c’est la règle.

MARCELINE, vivement - Hommes plus qu’ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos
passions, vos victimes ! C’est vous qu’il faut punir des erreurs de notre jeunesse ; vous et vos
magistrats, si vains du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence,
tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul état pour les malheureuses filles ? Elles avaient un droit
naturel à toute la parure des femmes : on y laisse former mille ouvriers de l’autre sexe.

FIGARO, en colère - Ils font broder jusqu’aux soldats !

MARCELINE, exaltée - Dans les rangs même plus élevés, les femmes n’obtiennent de vous qu’une
considération dérisoire ; leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures
pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! Ah ! sous tous les aspects, votre conduite avec
nous fait horreur ou pitié !

FIGARO - Elle a raison !

LE COMTE, à part - Que trop raison !

BRID’OISON - Elle a, mon-on Dieu, raison !

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (1784), acte III, scène 16

BIOGRAPHIE

Pierre-Augustin de Beaumarchais, homme d’affaires et de


théâtre
Né en 1732, mort en 1799, Beaumarchais a traversé le siècle ; son oeuvre reflète aussi bien sa vie que
les préoccupations politiques de son temps. Le dramaturge a connu plusieurs régimes politiques et sa
carrière personnelle d’homme d’affaires a fait qu’il a été impliqué dans la vie économique et politique
du XVIIIe siècle. Pour bien comprendre les enjeux du Mariage de Figaro, il convient de situer la pièce
aussi bien dans la vie de son auteur que dans l’histoire des idées et de la politique au XVIII e siècle.
Cela est d’autant plus important que la pièce est généralement considérée comme l’un des signes
avant-coureurs de la Révolution française.
Un enfant choyé
Né dans une famille assez aisée en 1732, sous le règne de Louis XV, Pierre-Augustin Caron est fils
d’un horloger cultivé qui favorise l’éducation de son fils. L’enfant, seul garçon au milieu de cinq
soeurs, grandit dans un climat féminin. Mis en pension à dix ans non loin de Paris, il rentre en 1745
chez son père comme apprenti horloger. L’adolescent lit beaucoup, Molière, Voltaire, ou le romancier
anglais Richardson.
Comme Chérubin, il aime la musique et les séductions amoureuses. « Caron fils », comme on le
désigne alors, se distingue par sa grande intelligence et ses talents d’inventeur : en 1753, il imagine un
système d’horlogerie qui permet de renforcer la précision des montres tout en réduisant leur taille.
Mais son invention lui est volée par un autre horloger : il s’en suivra un procès, qui donne lieu à des
polémiques dans les journaux. Caron présente son invention en 1754 devant l’Académie des Sciences.
Reconnu comme le seul inventeur de ce système, Caron bénéficie d’une certaine renommée qui lui
permet d’obtenir de prestigieuses commandes, celles de madame de Pompadour, favorite de Louis
XV, ainsi que de la famille royale. À 22 ans, Caron jouit déjà d’une certaine aura dans Paris et gagne
beaucoup d’argent.
La noblesse et les lettres
En 1757, un riche mariage lui permet de prendre le nom de Beaumarchais, qui appartient à sa nouvelle
épouse. Mais à peine marié, Beaumarchais se retrouve veuf. S’ensuit un interminable procès avec la
famille de son épouse ; c’est le début de nombreux procès qui jalonneront sa vie.
Pendant les années 1758-1763, Beaumarchais gravite dans le monde des affaires et fréquente le milieu
des financiers ; on pourrait appliquer à ce que fut alors sa vie une des répliques de Suzanne : « de
l’intrigue et de l’argent, te voilà dans ta sphère ! »
En 1761 il achète la charge, purement honorifique, de « secrétaire du roi », qui l’anoblit. Il acquiert
d’autres charges qui lui confèrent une assise sociale et financière. En 1763, il compose sa première
pièce d’envergure, Eugénie, un drame larmoyant, genre que le public de l’époque apprécie. La pièce
sera créée en 1767 au Théâtre-Français (ancien nom de la Comédie-Française), avec un certain succès.
Beaumarchais poursuit ses activités dans les sphères du négoce, se rend en Espagne, traite des affaires,
épouse une riche veuve qui meurt en 1770, laissant Beaumarchais dans la gêne. Malgré l’achat de
charges, des mariages avantageux et des premiers succès littéraires, au seuil de ses quarante ans,
Beaumarchais vit toujours dans une certaine instabilité sentimentale et matérielle.
Déboires et succès
Depuis la fin des années 1750, Beaumarchais a connu un certain nombre de procès pour faire valoir
ses droits. On peut comprendre la thématique judiciaire du Mariage de Figaro à travers cette
expérience personnelle, constante de toute une vie. À mesure qu’il vieillit, Beaumarchais a pu
observer les moeurs de ses contemporains et ses productions littéraires en témoignent.
Dans les années 1770, Beaumarchais est agent secret, missionné par le roi pour empêcher l’impression
de libelles contre la Du Barry ou contre la stérilité du jeune Louis XVI qui n’a pas encore d’enfants. Il
voyage en Angleterre, et mène une vie romanesque. En 1772, il imagine un opéra-comique, genre
alors en vogue qui mêle théâtre et chansons. C’est Le Barbier de Séville. Mais l’ouvrage est refusé.
Beaumarchais transforme son opéra-comique en comédie et la propose à la Comédie-Française qui la
reçoit, puis ajourne la représentation de la pièce. Beaumarchais, toujours en procès, dénonce la
corruption du juge qui a accepté des «cadeaux» (autrement dit des pots-de-vin) pendant l’instruction
du procès.
L’affaire devient politique, Voltaire se rallie à la cause de Beaumarchais qui finit par gagner. Le 28
janvier 1775, la première du Barbier de Séville est un échec. Trop d’allusions à ses propres
mésaventures ?
Beaumarchais réduit la pièce à quatre actes et la publie avec une lettre modérée sur la chute du Barbier
de Séville.
Le temps du Mariage
Parallèlement à ses activités d’espion, de négociant et plus généralement d’homme d’affaires,
Beaumarchais s’intéresse à la condition des auteurs et s’indigne que ces derniers ne soient pas
considérés à leur juste valeur. En juillet 1777, il fonde la Société des Auteurs, ancêtre de la SACEM
qui verse aux auteurs des droits sur leurs oeuvres. Il traite également avec les Américains en lutte pour
leur indépendance et leur vend des armes. L’année 1778 voit enfin son triomphe dans un procès qui
durait depuis près de dix ans. À 46 ans, Beaumarchais achève la rédaction du Mariage de Figaro. La
pièce, lue à la Comédie-Française en 1781, est accueillie favorablement.
Mais le roi la censure, jugeant dangereux les propos qu’elle contient. Beaumarchais se bat pour faire
jouer sa pièce, mais la pièce sera censurée six fois, bien qu’elle ait connu une première représentation
privée en 1783. Créée le 27 avril 1784, elle rencontre un véritable triomphe et suscite de nombreuses
polémiques. En 1785, la pièce est reprise avec un très grand succès et la reine Marie-Antoinette joue le
rôle de Rosine dans son domaine de Trianon. Le succès du Mariage de Figaro dépasse les frontières :
en 1786, Mozart s’empare de la pièce de Beaumarchais et crée Les Noces de Figaro à Vienne.
Beaumarchais compose l’opéra oriental Tarare sur une musique de Salieri.
À la veille de la Révolution, Beaumarchais est un dramaturge célèbre, il a d’importantes
responsabilités et une expérience assez grande des procès, des déboires et des revers de fortune.
Derniers feux
La Mère coupable, dernier volet de la trilogie qui vient après Le Barbier de Séville et Le Mariage de
Figaro, est représentée le 26 juin 1792 et rencontre un succès d’estime.
L’attitude de Beaumarchais dans les années 1790 est ambiguë. Accusé d’être « accapareur d’armes »,
il émigre en Hollande, tandis qu’en France d’anciens ennemis complotent contre lui. Il mène alors une
vie errante qui le conduit de Hollande en Angleterre, avec des retours en France et de nouveaux
départs. Il revient définitivement en 1796 à Paris et connaît ses derniers triomphes au théâtre,
notamment lors d’une reprise de La Mère coupable, en 1797. Les derniers écrits de Beaumarchais se
tournent vers Voltaire et l’esprit des Lumières auquel il rend un dernier hommage.
Beaumarchais meurt à soixante-sept ans, à Paris, le 18 mai 1799.
ÉLÉMENTS D’ANALYSE

Extrait du Mariage de Figaro, Acte III, scène 16


Dans Le Mariage de Figaro, Beaumarchais dénonce les inégalités dans la société, qu’elles soient entre
les classes sociales ou entre les sexes.
Au cours de la pièce, nous apprenons que Marceline a eu un enfant lorsqu’elle était jeune avec
Bartholo, qui n’a jamais voulu l’épouser et l’a toujours méprisée.
Marceline souhaite épouser Figaro, celui-ci s’étant engagé à le faire s’il était dans l’incapacité de
rembourser ses dettes. Lors du procès pour dettes intenté à l’encontre de Figaro, juste avant cet extrait,
c’est un véritable coup de théâtre qui s’est produit : Figaro vient d’apprendre qu’il est le fils illégitime
de Bartholo et de Marceline.
Bartholo vient de refuser de se marier à Marceline parce qu’elle a eu selon lui une « jeunesse
déplorable ».
Nous pouvons observer que Marceline prononce un véritable discours argumentatif en trois temps,
interrompu par les répliques de Figaro, du Comte et du juge Brid’oison. Le mot repris par Marceline
est « déplorable ». Alors que Batholo l’utilisait pour souligner son immoralité, elle le reprend pour lui
donner son sens initial : « pitoyable ».
Sa réaction est vive, la didascalie « s’échauffant par degrés » et l’utilisation de trois phrases
exclamatives à la suite le prouvent. « Je n’entends pas nier mes fautes » est une litote qui indique
qu’elle reconnait ses fautes. La deuxième partie de la phrase souligne sa position de victime : elle est
face à un homme qui la méprise (Bartholo) et elle vient d’apprendre que l’homme qu’elle allait
épouser n’est autre que son fils.
« mais qu’il est dur de les expier après trente ans d’une vie modeste » : Ici Marceline indique qu’elle a
déjà réparé ses erreurs par « trente ans de vie modeste », et qu’il est donc inutile de rajouter encore à
sa peine. Au début de sa première réplique, elle utilise la première personne du singulier « je » pour
ensuite utiliser la première personne du pluriel « nous » Elle commence par évoquer son expérience
personnelle en utilisant la première personne du singulier pour ensuite l’élargir et parler à la première
personne du pluriel ; elle parle ainsi au nom de toutes les femmes. « J’étais née, moi, pour être sage, et
je la suis devenue sitôt qu’on m’a permis d’user de ma raison » : Marceline sous-entend que son erreur
n’est pas due à un manque de sagesse mais au fait qu’elle n’a pas été autorisée à l’utiliser. Elle n’a pas
pu accéder à l’éducation qui lui aurait permis de s’affranchir et de ne pas tomber sous le joug des
séducteurs « qui vous assiègent ». Le terme « raison » est une référence directe aux Lumières. « Tel
nous juge ici sévèrement, qui, peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées ! » est une hyperbole. « Les
plus coupables sont les moins généreux ; c’est la règle. » : Figaro commente la réplique de Marceline
en utilisant une maxime au présent de vérité générale qui vient confirmer les dires de Marceline.
Le ton est particulièrement accusateur dans la deuxième réplique de Marceline. D’abord elle s’adresse
aux hommes en les apostrophant « hommes » ; elle utilise le terme péjoratif « ingrats » amplifié par le
comparatif « plus que ». Le pronom personnel « vous » est utilisé à plusieurs reprises, et mis en valeur
par le présentatif « C’est ». Les hommes sont donc bien les accusés et le terme « victime » qui
innocente les femmes confirme cette idée.
En effet les femmes sont présentées comme les victimes des hommes et les magistrats sont présentés
ici comme leurs complices.
Nous pouvons remarquer également le champ lexical de la justice avec l’utilisation des termes :
«victimes », « erreurs », « magistrats », « droit » , « juger », « coupable ».
« Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes : on y laisse former mille ouvriers de
l’autre sexe. ». C’est une hyperbole. Ici Marceline accuse les magistrats d’avoir enlevé « aux
misérables filles » leur droit « naturel » et d’avoir autorisé les hommes à occuper des emplois réservés
aux femmes, comme la broderie par exemple. En effet, il était réservé aux femmes de s’occuper de
leur parure, ce n’est plus le cas. Au XVIII e siècle, les hommes se forment à ces métiers, privant ainsi
les femmes de leur moyen de subsistance. C’est ce que va confirmer Figaro, « avec colère » dans son
intervention suivante. Le fait qu’il
indique que ce sont des soldats qui brodent souligne l’étrangeté de la situation. Les didascalies («
s’échauffant par degrés », « vivement », « exaltée »), les nombreuses phrases
exclamatives, les interjections « Ah ! », les questions rhétoriques montrent que la colère monte chez
Marceline. « traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes » est à la fois un
parallélisme et un paradoxe. Cette formule, devenue célèbre, souligne par un parallélisme le paradoxe
de la condition féminine.
Les propos de Marceline sont approuvés trois fois de suite. Il s’agit ici du comique de répétition. Les
trois personnages approuvent les propos de Marceline à leur façon. D’abord Figaro lui donne raison
puisque lui aussi vient d’être la victime de son géniteur et de son
ingratitude. Ensuite l’approbation du compte est surprenante puisque c’est LE séducteur de la pièce
qui fait la cour à toutes les femmes qui l’entourent, peu importe leur condition sociale. Enfin
Brid’oison qui incarne la justice reconnait ses torts en invoquant Dieu.
Le comique de répétition présent dans ces trois interventions souligne le ridicule de l’auditoire de
Marceline et ne met pas en valeur la parole des hommes en général.

Conclusion
Nous avons pu observer que Marceline prononce un véritable discours argumentatif qui dénonce la
condition féminine sous l’Ancien Régime. Le théâtre comique est donc efficace pour combattre
l’inégalité Dans ce passage, Beaumarchais fait de Marceline la porte-parole des femmes séduites puis
abandonnées par les hommes.
Celui-ci n’est d’ailleurs pas sans rappeler le postambule ou certains articles de la Déclaration
d’Olympe de Gouges (article 11 par exemple : « Toute citoyenne peut donc dire librement, je suis
mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité »). Il
faut savoir que cette scène a été censurée lors de sa création. En 1784, les acteurs de la Comédie
Française eux-mêmes demandent que Beaumarchais coupe ce passage qu’ils jugent trop provocateur.
Les différentes formes de l’argumentation
L’argumentation directe
L’essai
L’essai est caractérisé par une littérature en prose, argumentative où la présence de l’auteur est
nettement marquée par l’utilisation de la première personne. L’essai est le plus souvent une écriture
personnelle à travers laquelle l’auteur livre une réflexion, voire ses impressions. Les sujets traités sont
essentiellement d’ordre philosophique, moral, politique, artistique et parfois religieux. L’auteur
s’efforce, à travers l’essai, de convaincre ses destinataires du bien-fondé de ses positions.
On considère que c’est Montaigne (1533-1592) qui crée le genre en intitulant son oeuvre Essais. Dans
cette oeuvre répartie en trois livres, il analyse notamment les faiblesses de la nature humaine et ses
imperfections ; il confronte les civilisations et réfléchit sur la notion de barbarie…
Autres exemples : Les Pensées, 1670, Pascal ; Emile ou l’Education, 1762, Rousseau.
Voici les différents types d’essais qui existent :
— —Le pamphlet
Le pamphlet est un récit court à visée critique ou satirique dont la violence du style permet d’attaquer
une institution ou un personnage public.
Exemple : Montesquieu, dans De l’Esprit des lois, XV, 5, 1748, attaque la thèse esclavagiste.
— —Le traité
Le traité est un texte didactique à dominante démonstrative et s’apparente à l’analyse d’un sujet précis.
Exemple : Traité sur la tolérance, 1763, Voltaire dénonce l’injustice et le fanatisme.
— —Le discours
Proche du traité, le discours est aussi un genre à visée didactique. Par exemple, Discours sur l’origine
et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755, essai philosophique dans lequel Rousseau
s’interroge sur les fondements de la civilisation.
— —Le manifeste
Le manifeste est un texte qui constitue une déclaration dans laquelle des personnes détaillent leurs
objectifs. Par exemple : Dans le Manifeste du surréalisme, 1924, Breton présente la démarche
artistique et littéraire de ce courant.
— —La lettre
La lettre est en général adressée à un destinataire réel que l’on veut convaincre. Elle est souvent
propice au débat dans la mesure où elle implique une réponse. Elle peut aussi prendre la forme d’une
lettre ouverte, publiée, s’adressant ainsi au plus grand nombre. Par exemple, « J’accuse » de Zola est
une lettre adressée au président Félix Faure, publiée le 13 janvier 1898 dans le journal L’Aurore, pour
dénoncer l’injustice concernant l’ « affaire Dreyfus ».
L’argumentation indirecte
1. Le dialogue
Le dialogue est avant tout un échange d’idées et d’opinions qui implique dans la plupart des cas une
démarche délibérative. Les premiers dialogues remontent à l’Antiquité où Platon mettait en scène
Socrate et ses disciples dans une quête de vérité.
Au XVIIIe siècle, il fait office de genre à part entière grâce aux oeuvres de Diderot : Le Supplément au
voyage de Bougainville, 1772, dialogue philosophique ; Le neveu de Rameau, 1762, roman dialogué
qui aborde les thèmes de la morale, de l’argent, de l’honnêteté.
2. L’apologue
L’apologue, du grec « apologus » (=petit récit), est un récit allégorique, plus ou moins court, en vers
ou en prose, à visée morale (implicite ou explicite). La fonction première de l’apologue est de divertir
au moyen d’un récit plaisant censé susciter la curiosité du lecteur et de livrer un enseignement moral.
Il existe différents types d’apologue :
— —La fable
La fable, du latin « fabula » (= propos, récit), est un petit récit, le plus souvent rédigé en vers, terminé
par une morale et qui mêle divertissement et réflexion critique. Les premières fables remonteraient à
l’Antiquité grecque avec l’esclave phrygien Esope (VIe siècle av. J-C) qui retranscrivait sous forme de
petits récits moraux des scènes de la vie quotidienne. Le fabuliste le plus célèbre demeure La Fontaine
(1621-1695) qui, avec ses Fables, réécrit en vers les fables d’Esope. L’une des fonctions de la fable est
de transporter le lecteur dans un univers imaginaire où il peut s’identifier à la situation évoquée et y
réfléchir. Les fables sont des récits symboliques dont les personnages sont généralement des animaux
ou des personnages humains stéréotypés et permettant une transposition dans le monde réel.
Les animaux permettent une transposition des comportements et des caractères : la cruauté est
symbolisée par le loup, la ruse par le renard, la puissance par le lion, l’innocence par l’agneau… La
fable comporte une morale qui peut se situer avant ou après le récit : si elle le précède, elle fait office
d’introduction.
— —Le conte
Proche de la fable, le conte vient d’une tradition orale et populaire. Le conte se définit comme un récit
merveilleux qui fait preuve d’une grande simplicité dans le récit, mais qui est très riche en symboles
qui sont à décrypter.
— Le conte traditionnel met en scène des fées, des sorcières, de la magie, des animaux qui parlent et
où les objets peuvent se métamorphoser. Auteurs : Perrault (1628-1703), les frères Grimm (XIX e
siècle), Andersen (1805-1875).
— Le conte philosophique soulève une réflexion critique à travers un récit merveilleux. Au XVIII e
siècle, il sert à remettre en cause les institutions, à critiquer la tradition et à dénoncer les abus. Les
personnages sont stéréotypés et confrontés à des situations difficiles. Les événements se rapportent à
la société du XVIIIe siècle : guerres, intolérance, fanatisme, esclavage, torture…
— —L’utopie
L’utopie propose de réfléchir sur des idées nouvelles dans les domaines politiques, sociaux ou
moraux ; elle propose une critique du monde réel.

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