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EAF BLANC N°1

1re partie de l’épreuve : exposé sur un des textes du descriptif (explication linéaire) et question de
grammaire

OBJET D'ÉTUDE : La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle


Œuvre intégrale : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791
Parcours associé : « Écrire et combattre pour l’égalité »
Textes de
l’œuvre intégrale 1- Préambule
2- Articles 7 à 11
3- Extrait du postambule, de « Femme, réveille-toi » à « il est en votre pouvoir de
les affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir. »

Textes du 4- Voltaire, « Femmes, soyez soumises à vos maris », Mélanges, pamphlets et


parcours associé œuvres polémiques, 1759-1768, de « L'abbé de Châteauneuf la rencontra un
jour toute rouge de colère » à « elle n'a pas prétendu que l'union formât un
esclavage. »
5- Mercier, le tableau de Paris, 1751-1788 de « Si l’on défend point aux
femmes » à « l’homme voudrait inspirer exclusivement. »

OBJET D'ÉTUDE Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle


Œuvre intégrale : Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731
Parcours associé : Personnages en marge, plaisirs du romanesque
Textes de
l’œuvre intégrale 6- Première partie, de « J’avais marqué le temps de mon départ »à « tous ses
malheurs et les miens. »
7- Première partie, de « il demeura quelque temps » à « la grande porte de la
rue.»
8- Seconde partie, de « pardonnez » à « la mort sur sa fosse. »

Texte du 9- Flaubert, Madame Bovary, Partie II, chapitre 9, 1857, de « D’abord, ce fut
parcours associé comme un étourdissement » à « sans trouble »

QUESTIONS DE GRAMMAIRE
1- La relation au sein de la phrase complexe (juxtaposition, coordination, subordination)
2- La négation
3- L’interrogation

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Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
Œuvre intégrale : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
(du "préambule" au "postambule"), 1791
Parcours : Écrire et combattre pour l'égalité

Préambule
Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées

en Assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la

femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont

résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la

5 femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social,

leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes,

et ceux du pouvoir des hommes, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute

institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées

désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la

10 Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.

En conséquence, le sexe supérieur, en beauté comme en courage, dans les souffrances

maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les Droits

suivants de la Femme et de la Citoyenne.

Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791.

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Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
Œuvre intégrale : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
(du "préambule" au "postambule"), 1791
Parcours : Écrire et combattre pour l'égalité

VII

Nulle femme n'est exceptée ; elle est accusée, arrêtée et détenue dans les cas déterminés par la
Loi. Les femmes obéissent comme les hommes à cette Loi rigoureuse.

VIII

La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être
puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée
5 aux femmes.

IX

Toute femme étant déclarée coupable, toute rigueur est exercée par la Loi.

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes fondamentales ; la femme a le droit de
monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune : pourvu que ses
manifestations ne troublent pas l'ordre public établi par la Loi.

XI

10 La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la
femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfants. Toute Citoyenne
peut donc dire librement : « Je suis mère d'un enfant qui vous appartient », sans qu'un préjugé
barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas
déterminés par la Loi.

Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791

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Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
Œuvre intégrale : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
(du "préambule" au "postambule"), 1791
Parcours : Écrire et combattre pour l'égalité

Postambule

Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers ; reconnais tes
droits. Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de
superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et
de l'usurpation. L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes
5 pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. O femmes !
Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez
recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles
de corruption vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que
vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l'homme ; la réclamation de votre
10 patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature. Qu'auriez-vous à redouter pour une si belle
entreprise ? Le bon mot du législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs
français, correcteurs de cette morale longtemps accrochée aux branches de la politique, mais
qui n'est plus de saison, ne vous répètent : femmes, qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ?
Tout, auriez-vous à répondre. S'ils s'obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette
15 inconséquence en contradiction avec leurs principes, opposez courageusement la force de la
raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la
philosophie ; déployez toute l'énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux,
non serviles adorateurs rampant à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de
l'Etre suprême. Quelles que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de
20 les affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir.

Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791

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Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
Parcours : Écrire et combattre pour l'égalité

L'abbé de Châteauneuf la rencontra un jour toute rouge de colère.


« Qu'avez-vous donc, madame ? » lui dit-il.
– J'ai ouvert par hasard, répondit-elle, un livre qui traînait dans mon cabinet ; c'est, je crois, quelque recueil
de lettres ; j'y ai vu ces paroles : Femmes, soyez soumises à vos maris ; j'ai jeté le livre.
5 – Comment, madame ! Savez-vous bien que ce sont les Épîtres de saint Paul ?
– Il ne m'importe de qui elles sont ; l'auteur est très impoli. Jamais Monsieur le maréchal ne m'a écrit dans
ce style ; je suis persuadée que votre saint Paul était un homme très difficile à vivre. Était-il marié ?
– Oui, madame.
– Il fallait que sa femme fût une bien bonne créature : si j'avais été la femme d'un pareil homme, je lui
10 aurais fait voir du pays. Soyez soumises à vos maris ! Encore s'il s'était contenté de dire : Soyez douces,
complaisantes, attentives, économes, je dirais : voilà un homme qui sait vivre ; et pourquoi soumises, s'il
vous plaît ? Quand j'épousai M. de Grancey, nous nous promîmes d'être fidèles : je n'ai pas trop gardé ma
parole, ni lui la sienne ; mais ni lui ni moi ne promîmes d'obéir. Sommes-nous donc des esclaves ? N’est-
ce pas assez qu’un homme, après m'avoir épousée, ait le droit de me donner une maladie de neuf mois, qui
15 quelquefois est mortelle ? N'est-ce pas assez que je mette au jour avec de très grandes douleurs un enfant
qui pourra me plaider quand il sera majeur ? Ne suffit-il pas que je sois sujette tous les mois à des
incommodités très désagréables pour une femme de qualité, et que, pour comble, la suppression d'une de
ces douze maladies par an soit capable de me donner la mort sans qu'on vienne me dire encore: Obéissez?
Certainement la nature ne l'a pas dit ; elle nous a fait des organes différents de ceux des hommes ; mais en
20 nous rendant nécessaires les uns aux autres, elle n'a pas prétendu que l'union formât un esclavage.

Voltaire « Femmes, soyez soumises à vos maris » in Mélanges, pamphlets et œuvres


polémiques, 1759-1768

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Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
Parcours : Écrire et combattre pour l'égalité

Si l’on défend point aux femmes la musique, la peinture, le dessin, pourquoi leur interdirait-on la
littérature ? ce serait dans l’homme une jalousie honteuse que de repousser la femme dans l’ignorance, qui
est un véritable défaut avilissant. Quand un être sensible a reçu de la nature une imagination vive, comment
lui ravir le droit d’en disposer à son gré ?
5 Mais voici le danger. L’homme redoute toujours dans la femme une supériorité quelconque; il veut
qu’elle jouisse que de la moitié de son être. Il chérit la modestie de la femme ; disons mieux, son humilité,
comme le plus beau de tous ses traits ; et comme la femme a plus d’esprit naturel que l’homme, celui-ci
n’aime point cette facilité de voir, cette pénétration. Il craint qu’elle n’aperçoive en lui tous ses vices et
surtout ses défauts.
10 Dès que les femmes publient leurs ouvrages, elles ont d’abord contre elles la plus grande partie de
leur sexe, et bientôt presque tous les hommes. L’homme aimera mieux toujours la beauté d’une femme que
son esprit ; car tout le monde peut jouir de celui-ci.
L’homme voudra bien que la femme possède assez d’esprit pour l’entendre, mais point qu’elle
s’élève trop, jusqu’à vouloir rivaliser vers lui et montrer égalité de talent ; tandis que l’homme exige pour
15 son propre compte un tribut journalier d’admiration. […]
Ainsi, à travers tous les compliments dont l’homme accable une femme, il craint ses succès, il craint
que sa fierté n’en augmente et ne mette un double prix à ses regards. L’homme veut subjuguer la femme
tout entière, et ne lui permet une célébrité particulière que quand c’est lui qui l’annonce et qui la confirme.
Il consent bien qu’elle ait de la réputation, pourvu qu’on l’en croie le premier juge et le plus proche
20 appréciateur.

Louis Sébastien Mercier, Le Tableau de Paris (1781-1788).

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Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
Œuvre intégrale : Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731
Parcours associé : Personnages en marge, plaisirs du romanesque

J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! Que ne le marquais-je un jour
plus tôt ! J’aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je
devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s’appelait Tiberge, nous vîmes
arriver le coche d’Arras, et nous le suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures descendent.
5 Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent
aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour pendant qu’un homme
d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur s’empressait pour faire tirer son
équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à la
différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde
10 admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport.
J’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté
alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu’elle fût encore
moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui
l’amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit
15 ingénument qu’elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L’amour me rendait
déjà si éclairé, depuis un moment qu’il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme
un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une manière qui lui fit comprendre mes
sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi.
C’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant
20 au plaisir qui s’était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens.

Abbé Prévost, Manon Lescaut, Première partie, 1731.

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Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIème siècle
Œuvre intégrale : Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731
Parcours : Personnages en marge, plaisirs du romanesque

Il demeura quelque temps à me considérer sans me répondre. Comme je n’en avais pas à perdre, je
repris la parole pour lui dire que j’étais fort touché de toutes ses bontés, mais que, la liberté étant le plus
cher de tous les biens, surtout pour moi à qui on la ravissait injustement, j’étais résolu de me la procurer
cette nuit même, à quelque prix que ce fût ; et de peur qu’il ne lui prît envie d’élever la voix pour appeler
5 du secours, je lui fis voir une honnête raison de silence, que je tenais sous mon juste-au-corps.
- Un pistolet ! me dit-il. Quoi ! mon fils, vous voulez m’ôter la vie, pour reconnaître la
considération que j’ai eue pour vous ?
- À Dieu ne plaise, lui répondis-je. Vous avez trop d’esprit et de raison pour me mettre dans cette
nécessité ; mais je veux être libre, et j’y suis si résolu que, si mon projet manque par votre faute, c’est fait
10 de vous absolument.
- Mais, mon cher fils, reprit-il d’un air pâle et effrayé, que vous ai-je fait ?quelle raison avez-
vous de vouloir ma mort ?
- Eh non ! répliquai-je avec impatience. Je n’ai pas dessein de vous tuer si vous voulez vivre.
Ouvrez-moi la porte, et je suis le meilleur de vos amis.
15 J’aperçus les clefs qui étaient sur sa table. Je les pris et je le priai de me suivre, en faisant le moins
de bruit qu’il pourrait. Il fut obligé de s’y résoudre. À mesure que nous avancions et qu’il ouvrait une porte,
il me répétait avec un soupir :
- Ah ! mon fils, ah ! qui l’aurait cru ?
- Point de bruit, mon père, répétais-je de mon côté à tout moment.
20 Enfin nous arrivâmes à une espèce de barrière, qui est avant la grande porte de la rue.
Abbé Prévost, Manon Lescaut, première partie, 1731.

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Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIème siècle
Œuvre intégrale : Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731
Parcours : Personnages en marge, plaisirs du romanesque

Pardonnez si j’achève en peu de mots un récit qui me tue. Je vous raconte un malheur qui n’eut
jamais d’exemple ; toute ma vie est destinée à pleurer. Mais quoique je le porte sans cesse dans ma mémoire,
mon âme semble reculer d’horreur chaque fois que j’entreprends de l’exprimer. Nous avions passé
tranquillement une partie de la nuit. Je croyais ma chère maîtresse endormie, et je n’osais pousser le moindre
5 souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. Je m’aperçus, dès le point du jour, en touchant ses mains,
qu’elle les avait froides et tremblantes ; je les approchai de mon sein pour les échauffer. Elle sentit ce
mouvement, et, faisant un effort pour saisir les miennes, elle me dit d’une voix faible qu’elle se croyait à
sa dernière heure. Je ne pris d’abord ce discours que pour un langage ordinaire de l’infortune, et je n’y
répondis que par les tendres consolations de l’amour. Mais ses soupirs fréquents, son silence à mes
10 interrogations, le serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes, me firent
connaître que la fin de ses malheurs approchait.
N’exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières
expressions. Je la perdis ; je reçus d’elle des marques d’amour au moment même qu’elle expirait : c’est tout
ce que la force de vous apprendre de ce fatal et déplorable évènement.
15 Mon âme ne suivit pas la sienne. Le ciel ne me trouva sans doute point assez rigoureusement puni ;
il a voulu que j’aie traîné depuis une vie languissante et misérable. Je renonce volontairement à la mener
jamais plus heureuse.
Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma chère
Manon. Mon dessein était d’y mourir ; mais je fis réflexion, au commencement du second jour, que son
20 corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je formai la résolution de
l’enterrer et d’attendre la mort sur sa fosse.

Abbé Prévost, Manon Lescaut, deuxième partie, 1731.

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Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
Parcours associé : Personnages en marge, plaisirs du romanesque

D’abord, ce fut comme un étourdissement ; elle voyait les arbres, les chemins, les fossés,
Rodolphe, et elle sentait encore l’étreinte de ses bras, tandis que le feuillage frémissait et que
les joncs sifflaient.
Mais, en s’apercevant dans la glace, elle s’étonna de son visage. Jamais elle n’avait eu
5 les yeux si grands, si noirs, ni d’une telle profondeur. Quelque chose de subtil épandu sur sa
personne la transfigurait.
Elle se répétait : « J’ai un amant ! un amant ! » se délectant à cette idée comme à celle
d’une autre puberté qui lui serait survenue. Elle allait donc posséder enfin ces joies de l’amour,
cette fièvre du bonheur dont elle avait désespéré.
10 Elle entrait dans quelque chose de merveilleux où tout serait passion, extase, délire ; une
immensité bleuâtre l’entourait, les sommets du sentiment étincelaient sous sa pensée, et
l’existence ordinaire n’apparaissait qu’au loin, tout en bas, dans l’ombre, entre les intervalles
de ces hauteurs.
Alors elle se rappela les héroïnes des livres qu’elle avait lus, et la légion lyrique de ces
15 femmes adultères se mit à chanter dans sa mémoire avec des voix de sœurs qui la charmaient.
Elle devenait elle-même comme une partie véritable de ces imaginations et réalisait la longue
rêverie de sa jeunesse, en se considérant dans ce type d’amoureuse qu’elle avait tant envié.
D’ailleurs, Emma éprouvait une satisfaction de vengeance. N’avait-elle pas assez souffert !
Mais elle triomphait maintenant, et l’amour, si longtemps contenu, jaillissait tout entier avec
20 des bouillonnements joyeux. Elle le savourait sans remords, sans inquiétude, sans trouble.

Gustave Flaubert, Madame Bovary, Partie II, chapitre 9, 1857.

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