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L’île des esclaves est une utopie qui transporte le spectateur sur une île antique où
l’ordre social est renversé : les maîtres deviennent esclaves et les esclaves
deviennent maîtres.Ce renversement de rang vise à amuser le spectateur mais aussi
à me faire réfléchir :Les maîtres méritent-ils vraiment d’être des maîtres ? Quelle est
la raison d’être des inégalités sociales ? Maîtres et esclaves peuvent-il s’aimer ?Il
s’agit d’une comédie sociale qui souligne les tensions entre l’aristocratie et les
domestiques.Marivaux atténue cependant la violence de sa critique sociale par la
distanciation via l’utopie, et le comique farces que, cette pièce étant ponctuée par les
plaisanteries grivoises d’Arlequin
Marivaux
Originaire de la noblesse normande, Pierre Carlet Chamblain de Marivaux, dit
Marivaux n’exerça jamais sa charge d’avocat car il préféra composer une œuvre
variée : romans,chroniques, poèmes, et surtout comédies.
Après sa ruine provoquée par la banqueroute de Law en 1720, il s’inspire des
comédies italiennes, dont il apprécie le jeu très corporel pour révolutionner la
comédie sentimentale.Il excelle dans la peinture des sentiments où il met en scène la
surprise de l’amour dans un style subtil et raffiné que l’on appellera le
marivaudage.La surprise de l’amour (1722), Le jeu de l’amour et du hasard (1730) ou
encore Les Fausses confidences (1737) comptent parmi ses plus célèbres comédies
de l’amour.Mais Marivaux dote ses pièces d’une réflexion sur les préjugés et
l’organisation sociale.Dans sa comédie sociale L’île des esclaves (1725), les
réflexions politiques du dramaturge sont particulièrement explicites.Dans divers
journaux, Marivaux développe également une œuvre philosophique complémentaire
à sa création théâtrale.Ses réflexions se retrouvent également dans ses romans
d’apprentissages (La Vie de Marianne, Le paysan parvenu), où se joue la tension
entre l’ordre social et le désir amoureux.Marivaux est aujourd’hui l’un des
dramaturges les plus joués en France
Résumé
Scène I
La scène se passe sur un rivage en Grèce antique.L’aristocrate Iphicrate est
désespéré car il vient de réchapper du naufrage de son navire, et craint de ne plus
revoir Athènes. Son valet Arlequin, rescapé avec lui, se réjouit d’apprendre par son
maître qu’ils ont échoué sur l’île des esclaves où les maîtres sont mis en
esclavage.La relation entre le maître et le serviteur s’inverse déjà.
Scène II
Alors qu’Iphicrate s’apprête à tuer Arlequin, il est surpris par des habitants de l’île.
Trivelin, qui dirige l’île des esclaves, intervertit les rôles entre le maître et
l’esclave,afin de corriger l’orgueil des maîtres et fonder une société plus égalitaire.
Iphicrate s’afflige tandis qu’Arlequin se réjouit de cette inversion des rôles.
Scène III
Euphrosine et son esclave Cléanthis sont deux autres rescapées du
naufrage.Cléanthis souhaite battre son ancienne maîtresse par colère et
ressentiment, mais Trivelin la réfrène : « "Doucement, point de vengeance." »Trivelin
invite alors Cléanthis à dresser le portrait d’Euphrosine. Cléanthis caricature son
ancienne maîtresse en mondaine superficielle : «" C’est Madame, toujours vaine ou
coquette" ».
Scène IV
Trivelin demande à Euphrosine de reconnaître la justesse du portrait établi
parCléanthis, en échange d’une libération plus rapide, ce qu’Euphrosine accepte
après des hésitations.
Scène V
Arlequin se réjouit de son nouveau statut de maître. Trivelin l’invite à dresser le
portraitd’Iphicrate; il esquisse alors le portrait satirique d’ « un ridicule ». Iphicrate finit
par admettre la justesse de ce portrait, en espérant retrouver rapidement son ancien
statut.
Scène VI
Arlequin et Cléanthis veulent incarner leur rôle de maîtres en s’entretenant sur
l’amour à la manière des aristocrates. Mais leurs discours galants tournent à la
parodie de la galanterie. Arlequin condamne alors l’hypocrisie mondaine : «" Nous
sommes aussi bouffons quenos patrons ; mais nous sommes plus sages." »Se met
en place un chassé-croisé amoureux et social : Arlequin demande à
Cléanthisd’arranger son union avec Euphrosine ; tandis que Cléanthis demande à
Arlequin d’arranger son union avec Iphicrate.
Scène VII
Cléanthis ordonne à Euphrosine d’aimer Arlequin, « homme franc » dont l’honnêteté
s’oppose à l’hypocrisie mondaine.
Scène VIII
Arlequin tente maladroitement de séduire Euphrosine, engendrant un contraste
plaisant entre son nouveau statut de maître et son langage populaire : « "c’est que je
vous aime, et je ne sais comment vous le dire." » Euphrosine, accablée, l’exhorte à
la laisser tranquille : « "Ne persécute point une infortunée, parce que tu peux la
persécuter impunément." » La jeune aristocrate déchuereste supérieure au parvenu
incapable de s’exprimer.
Scène IX
Arlequin demande à Iphicrate d’aimer Cléanthis. L’ancien maître, révolté, l’exhorte à
la clémence.Arlequin, ému, le rappelle à son égoïsme passé : « "Tu veux que je
partage ton affliction, et jamais tu n’as partagé la mienne." ». Puis, il accède à sa
demande de libération, soulignant sa supériorité morale : « "moi, je n’aurai point le
courage d’être heureux à tes dépens." » Iphicrate confesse alors : « "je ne méritais
pas d’être ton maître. "»Arlequin procède à l’échange des tenues.
Scène X
Maîtres et esclaves sont réunis.Arlequin invite Cléanthis à l’imiter car il pense que les
maîtres se sont remis en question.Elle prononce alors une tirade dénonçant
l’immoralité des puissants qui osent demander la clémence à ceux qu’ils
opprimaient.Émue par les aveux d’Euphrosine, Cléanthis lui rend sa liberté : « "Si
vous m’avez fait souffrir, tant pis pour vous, je ne veux pas avoir à me reprocher la
même chose, je vous rends la liberté" ».Euphrosine lui répond comme à une égale.
Scène XI
Trivelin se réjouit car « "la paix est conclue, la vertu a arrangé tout cela" ». Sa tirade
finale décrit avec philosophie la différence des conditions comme une épreuve.Il
annonce qu’un navire emmènera bientôt les personnages à Athènes.La pièce
s’achève sur une scène dansée et chantée à l’italienne, où des esclaves célèbrent
leur libération : « "La vertu seule a droit de plaire" » .Quels sont les personnages
dans L’île des esclaves ? Iphicrate : Iphicrate est le maître d’Arlequin, décrit par ce
dernier comme un galantridicule. En grec, son nom signifie « celui qui gouverne par
la force ». Avant d’être désarmé par Trivelin, il n’hésite en effet pas à utiliser son
épée contre Arlequin.
Arlequin : Arlequin est un personnage traditionnel de la commedia dell’arte. Fidèle à
cette filiation, l’esclave d’Iphicrate est un personnage bouffon, comique et porté sur la
bouteille.Il donne lieu à des scènes farcesques. Euphrosine : Euphrosine est la
maîtresse de Cléanthis. Elle est décrite par son esclave comme « une vaine
minaudière et coquette ». Cette femme narcissique voue à culte à l’apparence. Elle
se montre cruelle avec son esclave qu’elle accable de quolibets.Cléanthis : L’esclave
d’Euphrosine est animée par une soif vengeresse envers son ancienne maîtresse.
Ce personnage un peu plus profond qu’Arlequin révèle la dure condition des
esclaves (et donc des domestiques au XVIIIème siècle). Elle finit néanmoins à
pardonner à sa maîtresse. Trivelin : Trivelin, un habitant de l’île des esclaves, est
chargé de faire respecter les règles de l’île aux nouveaux arrivants. Il agit comme un
metteur en scène, distribuant les rôles et les costumes aux autres personnages. Son
but est de donner « un cours d’humanité » aux maîtres en les invitant à reconnaître
leurs torts et à s’amender. C’est un personnage juste qui prône la fraternité et
l’adoucissement des mœurs.
Les Lumières. La comédie en un acte (11 scènes) de Marivaux est marquée par un
thème socio-politique : la critique de l'ordre social et de la hiérarchie religieuse. Elle
s'inscrit à la fois dans le théâtre de Marivaux - avec le jeu du travestissement et le
thème de l'amour - et dans la pensée du 18°s.
Les personnages principaux :
- Iphicrate, général athénien. En grec, son prénom renvoie à son ordre social et
signifie celui qui gouverne par la force.
- Arlequin, esclave d'Iphicrate. C'est un personnage célèbre de la commedia dell'arte.
Son ton est très familier. Dans la pièce, il change momentanément de statut pour
devenir le maître d'Iphicrate. Peu rancunier, il pardonne ses excès à son maître.
Pour lui, rien ne porte à conséquences.
- Lesage et son Turcaret, pour l'inversement des rôles des personnages et la satire
de la société.
L'argument qui tue sur L'Ile des esclaves :"Marivaux remet en cause la société qui
fausse les rapports humains"
Les citations importantes :
"Je veux être un homme de bien ; n'est-ce pas là un beau projet ?" (Arlequin)
"Vous avez été leurs maîtres, et vous avez mal agi ; ils sont devenus les vôtres et ils
vous pardonnent ; faites vos réflexions là-dessus. La différence des conditions n’est
qu’une épreuve que les dieux font sur nous." (Arlequin)
"Il ne vous fera pas de révérences penchées ; vous ne lui trouverez point de
contenance ridicule, d’airs évaporés : ce n’est point une tête légère, un petit badin,
un petit perfide, un joli volage, un aimable indiscret ; ce n’est point tout cela ; ces
grâces-là lui manquent à la vérité ; ce n’est qu’un homme franc, qu’un homme simple
dans ses manières, qui n’a pas l’esprit de se donner des airs ; qui vous dira qu’il
vous aime, seulement parce que cela sera vrai ; enfin ce n’est qu’un bon cœur, voilà
tout ; et cela est fâcheux, cela ne pique point." (Cléanthis)
- L'utopie :L'île des esclaves est une utopie sociale qui rappelle le motif de l'île
paradisiaque de Thomas More. Dans L'utopie, l'écrivain y décrit un endroit où les
hommes vivent en harmonie, sans conflits d'intérêts ni injustices. Bien sûr, il s'agit
d'un mythe qui n'a rien de réel. D'ailleurs, une utopie signifie « endroit qui n'existe
nulle part » étymologiquement. L'île des esclaves est une utopie en ceci qu'il propose
une inversion des rôles esclaves-maîtres, possible nulle part ailleurs. Cependant, il
n'abolit pas le concept de la servitude. Ce n'est donc pas un monde idéal que nous
propose Marivaux, mais un exemple de société qui présente un nouvel ordre social
au rapport de domination inversée.
- L'exotisme : ce n'est pas le thème le plus important, mais l'exotisme du décor (la
mer, les rochers) rappelle le caractère transitoire et utopique de l'île. L'île renvoie
aussi au goût du 18ème siècle pour l'exotisme, que l'on retrouve par exemple chez
Voltaire ou Montesquieu.
On évitera de dire que L'Ile des esclaves n'est qu'une mascarade qui finit bien. Si
tout rentre dans l'ordre à la fin de la pièce, c'est que Marivaux est moins réformateur
que moraliste. Cependant, derrière le jeu joyeux d'Arlequin et la fantaisie des
situations, la pièce repose sur des tensions profondes : entre la vérité et l'apparence,
la lucidité et l'illusion, les hommes et les femmes, et surtout entre les maîtres et leurs
valets, qui sont parfois traités de façon bien cruelle.