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Le Malade imaginaire, acte 1 scène 5 : lecture linéaire

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Par Amélie Vioux

Voici une analyse linéaire de l’acte I scène 5 du Malade imaginaire de Molière. La


scène est étudiée en intégralité.

Le Malade imaginaire, acte I scène 5, introduction


Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière est l’un des plus grands dramaturges français.

Il est célébré pour ses comédies de mœurs qui dénoncent les vices et les travers
humains, souvent incarnés par un noble dont le comportement met en péril sa maison.
Molière représente ainsi souvent le désordre social provoqué par l’excès des passions.

Le Malade Imaginaire met en scène Argan, un noble hypocondriaque et tyrannique


qu’exploitent des médecins charlatans, et qui veut forcer sa fille Angélique à se marier
avec un jeune médecin. (voir la fiche de lecture pour le bac de français du Malade
imaginaire de Molière)

C’est justement dans la scène 5 de l’acte I qu’Argan annonce le projet de mariage qui
déclenche toute l’intrigue de la pièce.

Problématique
Comment le projet de mariage décidé par le tyrannique Argan provoque-t-il la tristesse
de sa fille Angélique et la résistance comique de sa servante Toinette ?

Plan de lecture linéaire (acte I scène 5 en intégralité)


Dans une première partie, du début de la scène à « "entendu une autre" », Argan et
Angélique vantent le futur époux dans un quiproquo comique.

Puis, dans une seconde partie, de « "Quoi ! monsieur "» à la fin de la scène, Toinette
oppose une résistance acharnée et comique au mariage décidé par Argan.

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I – Un quiproquo comique au sujet du mariage d’Angélique

(Du début de la scène à «"vous avez parlé d’une personne, et que j’en entendu une
autre" »)

A – Argan annonce à Angélique qu’elle épousera l’homme qu’il a choisi

(Du début à « "ma parole est donnée" »)

La didascalie qui ouvre la scène (« "se met dans sa chaise" ») montre combien Argan
adopte la posture dominatrice du maître en sa demeure. Cela annonce la tyrannie du
père, qui s’adresse justement à Angélique avec un déterminant possessif : « ma fille ».

Son annonce est introduite par un effet d’attente au futur proche (« "je vais vous dire
une nouvelle" »), ce qui montre qu’Argan se donne de l’importance.

La didascalie interne « "vous riez ?"« indique que cette annonce provoque le rire
joyeux d’Angélique. C’est que dans la scène précédente, Angélique confiait à Toinette le
mariage qu’elle et Cléante envisagent. Le spectateur comprend donc déjà le quiproquo
qui va s’ensuivre.

Argan en revanche croit que sa fille se moque de lui.

Il se montre d’abord condescendant, attribuant le comportement d’Angélique à son


appartenance à la gente féminine, qu’il raille : « "Il n’y a rien de plus drôle pour les
jeunes filles." »

Cette moquerie souligne la goujaterie du père mais aussi sa vision sérieuse du


mariage qui repose sur une alliance d’intérêts et ne devrait donc susciter de joie
particulière.

En père tyrannique, il rappelle avec brutalité qu’il est seul à décider : « "je n’ai que faire
de vous demander si vous voulez bien vous marier." »

Angélique répond cependant avec soumission, en affirmant au présent de vérité


générale qu’elle ne fera que les volontés de son père : « "Je dois faire, mon père, tout ce
qu’il vous plaira de m’ordonner. "»

L’adresse respectueuse « mon père » est particulièrement affable.

L’analyse grammaticale de la phrase révèle également la soumission totale d’Angélique


qui n’apparaît que dans le « m' », complément d’objet direct du verbe « ordonner ».

Cette politesse extrême est toutefois ironique : Angélique se soumet à ce mariage car
elle croit que son père lui promet Cléante.

C’est donc très satisfait qu’Argan lui répond que « "la chose est donc conclue" ». Il est
comique qu’Argan n’ait jamais demandé l’avis d’Angélique dans ce projet de mariage. Sa
tyrannie va jusqu’à nier la volonté de sa fille.

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Le substantif « la chose« met le mariage à distance, soulignant le peu d’intérêt que
porte Argan aux réalités concrètes du mariage.

Angélique témoigne de la même obéissance absolue, avec l’hyperbole « "suivre


aveuglément toutes vos volontés." » Elle est une caricature de l’idéal de l’honnête noble,
parfaitement soumis à son père.

C’est alors qu’Argan confie le projet qu’avait la belle-mère d’Angélique, Béline : mettre
Angélique et sa sœur Louison au couvent.

En aparté, « tout bas« , la servante Toinette décrypte : « "La bonne bête a ses raisons. "»
La désignation familière et péjorative exprime le mépris de la servante pour la belle-
mère opportuniste qui aspire à s’accaparer les biens d’Argan. Béline est un archétype
de la comédie.

Les apartés de l’ingénieuse servante créent également une connivence avec les
spectateurs et participent au plaisir de la comédie.

B – Angélique et Argan vantent le futur époux dans un quiproquo


comique

(De « "Ah ! mon père, que je vous suis obligée" » à « "Qui vous l’a dit, à vous ?" »)

La soumission d’Angélique s’exprime désormais par l’éloge au père, comme l’expriment


les exclamations répétées et la tournure hyperbolique au pluriel, comme si les bontés
du père étaient infinies : « "toutes vos bontés !" » La fille se réjouit d’avoir échappé au
couvent.

L’insolente Toinette redouble cet éloge par la tournure présentative et le superlatif :


« "voilà l’action la plus sage que vous ayez faite de votre vie." » Le spectateur rit de
l’ironie de Toinette qui suggère que son maître ne prend habituellement pas de décisions
sages.

Argan annonce alors qu’il n’a « "pas encore vu la personne" », mais que tout le monde en
sera « content », ce qui peut sembler paradoxal.

Cette réplique-clef met en place le quiproquo, car Angélique croit que l’époux en question
est Cléante. D’où son renchérissement par l’adverbe « Assurément ».

Cependant, l’acceptation d’Angélique suscite la surprise d’Argan, qui s’exclame et


interroge : « "Comment ! l’as-tu vu ? "» La vivacité de cette réaction laisse déjà deviner
qu’il ne s’agit pas de Cléante.

Le spectateur se réjouit du quiproquo qui se met en place, tout en craignant la future


réaction d’Argan. On remarque également qu’Argan ne conçoit pas que l’on soit d’accord
avec lui. Comme s’il cherchait justement le conflit.

Angélique, qui se croit promise à Cléante, confie à son père qu’elle l’a déjà vu.

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Elle utilise des tournures précieuses : « "je ne feindrai point de vous dire que le hasard
nous a fait connaître il y a six jours" » . Cet amour de six jours peut sembler superficiel.
Molière se moque ici les excès de la galanterie.

Cette confession suscite cependant la perplexité d’Argan : « "Ils ne m’ont pas dit cela "».
Le pronom personnel sujet « ils » maintient habilement le quiproquo comique.

Le père néanmoins se satisfait de la situation, et amorce l’éloge de l’époux.

Angélique lui répond, et leurs voix s’entrelacent pour former une stichomythie. Argan
prononce un éloge, et Angélique renchérit : « Fort honnête. / Le plus honnête du
monde. » Se dessine ainsi le portrait de l’homme idéal.

L’alliance des voix, qui forment une harmonie alternée, souligne le quiproquo de
manière tout à fait comique.

Le quiproquo et la stichomythie sont des procédés typiques du comique farcesque, issu


de la comédie de foire dont s’inspire Molière.

La stichomythie accélère justement le rythme pour précipiter le retournement de


situation.

En effet, Angélique cesse progressivement de renchérir, pour interroger son père, car elle
ne reconnaît plus Cléante dans le portrait que son père fait de l’époux : « "Et qui sera
reçu médecin dans trois jours. / Lui, mon père ?" »

Les répétitions cessent d’exprimer l’harmonie pour souligner l’incompréhension :


« "Est-ce qu’il ne te l’a pas dit ? / Non, vraiment. Qui vous l’a dit, à vous ?" »

C – Angélique comprend que son père ne parle pas de Cléante

(De « Monsieur Purgon » à « "j’ai entendu une autre" » )

Angélique est intriguée par le fait que « Monsieur Purgon » connaisse Cléante. Son
incompréhension témoigne de la naïveté de la jeune fille, qui a sincèrement cru que son
père tyrannique avait choisi pour elle l’homme qu’elle aime.

L’onomastique participe également au comique de la réplique : « Purgon » est un


synonyme dépréciatif de « (mauvais) médecin ». Par paronomase, ce mot s’apparente
à « purger », référence aux pratiques de purification inefficaces que ce médecin inflige à
Argan.

L’évocation du médecin en plein éloge de l’époux rompt définitivement toute harmonie.

Argan répond à Angélique que l’époux est justement le neveu de Monsieur Purgon. Cette
réplique-clef brise le quiproquo, et annonce la confrontation.

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L’interrogation d’Angélique témoigne une nouvelle fois de sa naïveté et de son
incompréhension comique : « "Cléante, neveu de monsieur Purgon ?" » Si Argan est ici
ridicule par sa tyrannie, Angélique l’est par sa soumission et sa candeur.

La fille s’efface dès lors que la confrontation s’impose. Sa brève réplique « Hé ! oui. »
témoigne de sa stupéfaction. La parole et la pensée divorcent : Angélique continue à dire
qu’elle est d’accord, mais ne l’est plus.

Tandis qu’Argan, au contraire, prend toute la place par une réplique plus longue,
qu’introduit l’exclamation autoritaire « Hé bien ! ».

Le portrait qu’il dresse de l’époux, Thomas Diafoirus, est dénué du charme qui
caractérise Cléante. Le fils Diafoirus est appréhendé uniquement par sa filiation comme
en témoigne le champ lexical de la famille : « "neveu » , « fils de son beau-frère » ,
« son père" » .

Comiquement, l’avis de Thomas Diafoirius n’a pas non plus été pris en compte dans
ce projet de mariage puisque ce dernier a été conclu par Argan avec Monsieur Purgon et
Monsieur Fleurant (« "nous avons conclu ce mariage-là ce matin, Monsieur Purgon,
Monsieur Fleurant et moi" » ).

Argan déclare que le futur époux « "doit (lui) être amené par son père" » . La tournure
passive infantilise voire réifie le futur époux, annonçant déjà son immaturité et sa
soumission.

De plus, l’onomastique Diafoirus véhicule une charge comique et satirique : la « foria »


désigne en latin la diarrhée. Ce patronyme dépréciatif résonne avec le participe présent
contenu dans « Monsieur Fleurant ». Cet humour scatologique, issu de la farce
populaire, est habilement remobilisé par Molière pour énoncer une critique sociale à
l’encontre des médecins.

Malgré l’apparente médiocrité de l’époux, Argan veut hâter ce mariage, provoquant un


péril familial.

Ses exclamations constituent de véritables didascalies internes qui soulignent le trouble


d’Angélique : « "Qu’est-ce ? Vous voilà tout ébaubie !" »

En effet, celle-ci reconnaît qu’elle a été victime d’un quiproquo : « "vous avez parlé d’une
personne, et que j’ai entendu une autre." » Le parallélisme souligne l’absence de
communication entre le père et la fille.

Le caractère angélique de la fille provoque le rire, tout en soulignant l’indifférente


tyrannique du père.

Mais la servante, elle, va s’opposer frontalement au maître.

II – Toinette oppose une résistance comique au mariage décidé


par Argan

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A – Toinette tente de convaincre Argan de renoncer à ce mariage d’intérêt
avec un médecin

(De « "Quoi ! Monsieur, vous aurez fait ce dessein » à « que vous dites" »)

Toinette s’insurge comme l’exprime l’interjection interrogative et exclamative « Quoi ! »

Ses interrogations répétées manifestent sa colère face à l’annonce du mariage


: « "avec tout le bien que vous avez, vous voudriez marier votre fille avec un
médecin ?" »

La servante va jusqu’à désigner ce projet de manière moqueuse par l’oxymore


dépréciatif « "dessein burlesque" » .

L’adjectif « burlesque » permet un commentaire métathéâtral (c’est à dire un


commentaire qui fait référence au travail du dramaturge) : via son personnage, Molière
atteste en effet du registre comique de sa pièce, et assume la dimension populaire de
sa comédie de mœurs.

Toinette, la servante impertinente, est un archétype de la comédie.

Les adjectifs injurieux dans la bouche d’Argan (« "coquine, impudente" » ) donnent une
dimension farcesque à cette scène.

On observe une antithèse comique entre le rang social inférieur de la servante, et la


supériorité qu’elle affecte à l’égard de son maître.

Il est également paradoxal et plaisant que Toinette invite Argan à se calmer (« "tout
doux. "»), alors que c’est elle qui a initié les moqueries.

La subtile servante, qui connaît les extravagances du maître, met en place un


interrogatoire, et l’invite à faire parler la raison plutôt que la passion, comme en
témoigne son vocabulaire : « "raisonner », « sang-froid », « raison" ».

Argan donne une tournure argumentative à sa phrase (« "Ma raison est que », « afin
de" »), mais révèle qu’il souhaite s’entourer d’un gendre médecin uniquement pour que
ce dernier s’occupe de ses maladies imaginaires.

Ce mariage n’est en effet justifié que par l’égoïsme d’Argan comme en témoigne
l’inflation de la première personne dans sa réplique : "« Ma raison » , « me voyant » ,
« je suis » , « je veux » , « ma maladie » , « ma famille » , « me sont nécessaires » ".

Toinette poursuit son interrogatoire sur le plan de la raison, cherchant à détruire les
motivations du mariage : « "mettez la main à la conscience ; est-ce que vous êtes
malade ? "» . Cet interrogatoire renverse les hiérarchies sociales de manière comique.

L’anaphore exclamative d’Argan « "si je suis malade !" » est également comique. Cette
répétition participe à la dimension mécanique et réflexe des cris d’Argan, sorte de pantin
colérique.

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Avec ironie, Toinette reprend l’anaphore en « malade », affirmant cette fois-ci que son
maître est « plus malade » qu’il ne le pense. Bien sûr, la servante fait référence à
d’autres maladies comme la folie et l’hypocondrie. Ce jeu sur le sens du mot
« malade » accroît la complicité entre Toinette et le spectateur, tant la servante est habile
et comique.

Toujours rationnelle, Toinette argue qu’Angélique « "n’étant point malade, il n’est pas
nécessaire de lui donner un médecin." ». Le complément circonstanciel de cause
« "n’étant point malade" » souligne l’effort de Toinette pour pousser Argan à recourir à la
logique et à la raison.

Argan lui rétorque alors : « "C’est pour moi que je lui donne ce médecin" ». La tournure
emphatique (« c’est pour moi« ) met en relief l’égocentrisme du père va jusqu’à faire de
sa fille l’objet par lequel il obtient ce qu’il souhaite. Le mariage s’apparente à une vente.

Argan justifie son égoïsme par la soumission qu’« "une fille de bon naturel doit "» à son
père. Molière dénonce ici la hiérarchie sociale, structurée par le genre et les générations,
qui permet de tels excès.

Toinette tente alors un rapprochement affectif avec son maître : « "voulez-vous qu’en
amie je vous donne un conseil ?" »

Cette invitation rusée révèle l’échec de l’approche rationnelle, et annonce l’impossible


entente entre Argan et Toinette.

Argan semble amadoué puisqu’il veut bien connaître le conseil, ce qui crée un effet
d’attente.

Or ce conseil est comique car il n’en est pas un : c’est une opposition frontale : « "De ne
point songer à ce mariage-là." »

Toinette se justifie : « "votre fille n’y consentira point." » . Le futur de l’indicatif est
impertinent car il exprime la certitude de Toinette quant à l’échec du projet d’Argan.

Le tyrannique malade imaginaire exprime son incompréhension en répétant cette


réplique. De manière comique, l’idée qu’on puisse lui désobéir semble être inconcevable
pour Argan. Molière joue sur le comique de répétition dans l’affrontement entre Toinette
et son maître : "« raison » / « raison », « fille », « fille », « fille » / « consentira »,
« consentira »" .

L’anaphore ternaire en « Diafoirus », dans la justification de Toinette, insiste sur le


ridicule de ce patronyme : « "elle n’a que faire de monsieur Diafoirus, ni de son fils
Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde. " »

Ainsi, Toinette se substitue pleinement à Angélique, que la peur du père empêche de


parler. Toinette est emblématique de la servante de comédie qui se caractérise souvent
par une absence de retenue censée être propre à son absence d’éducation.

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Argan mobilise alors un second argument, toujours en rapport avec l’intérêt : «
"Monsieur Diafoirus n’a que ce fils-là pour tout héritier" ».

Le champ lexical de l’argent (« avantageux », « héritier », « lui donne tout son bien »,
« huit mille bonnes livres de rente » ) témoigne d’un autre vice d’Argan : la vénalité.

La servante dénonce le caractère potentiellement criminel d’un tel enrichissement : « "Il


faut qu’il ait tué bien des gens, pour s’être fait si riche." »

Mais Argan reste obnubilé par les « "huit mille livres de rente" » qui sont « quelque
chose » de tangible, contrairement aux sentiments, qu’il ignore. L’hypocondriaque montre
ici sa vénalité et son matérialisme.

Toinette ne peut qu’acquiescer ironiquement. Mais l’allitération en consonnes labiales


« bel et bon » laisse entendre sa colère.

La tension croissante ne peut mener qu’au conflit, que le spectateur attend, voire espère,
tant la dispute est synonyme de comique farcesque dans la comédie.

Et en effet : il se met alors en place une vive stichomythie (= des échanges verbaux vifs
et rapides).

Argan laisse éclater son orgueil en une parole qui se veut performative : « "je veux,
moi, que cela soit." » (une phrase est performative lorsque le fait de la prononcer permet
de réaliser ce qu’elle énonce). Mais Toinette s’oppose, et les répliques fusent.

Toinette accuse Argan de ne pas savoir ce qu’il dit : « On dira que vous ne songez pas à
ce que vous dites. »

B – Argan menace : Angélique devra choisir entre ce mariage forcé ou le


couvent

(De « "On dira ce qu’on voudra » à « je lui défends absolument d’en rien faire" »)

Cependant, si Toinette semble l’emporter par la maîtrise de la parole, Argan l’emporte par
sa supériorité sociale.

Ainsi, il menace Angélique au futur de l’indicatif : « "Elle le fera, ou je la mettrai dans un


couvent. "» Angélique est piégée entre deux alternatives tragiques : le mariage avec
Diafoirus ou le couvent.

Le pronom complément d’objet direct « la » (« "je la mettrai dans un couvent" » ) révèle à


quel point Argan réifie sa fille dont il dispose comme bon lui semble.

L’interrogation de Toinette (« Vous ? ») souligne la surprise de la servante devant les


excès de cette tyrannie paternelle. Cette réplique cherche aussi à faire perdre à Argan sa
crédibilité et à le piquer au vif.

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Le procédé ne manque pas de fonctionner. Les contestations de Toinette sont
répétées par Argan : « "Je ne la mettrai point dans un couvent ? » , « non ?" » . Ces
répétitions comiques prolongent la tension dramatique tout en amplifiant le plaisir du
spectateur.

De nouveau, une stichomythie oppose la servante et son maître. Les phrases


monosyllabiques, composées d’un adverbe (« Oui », « Non ») ou d’un pronom
personnel (« Moi »), vident le langage de sa substance. La scène repose sur le comique
de répétition et l’exagération jusqu’à la caricature. La scène devient farcesque.

Toinette recourt alors à un argument affectif : « "La tendresse paternelle vous


prendra." »

Cette réplique est un piège car elle amène Argan à clamer son insensibilité (« "Elle ne
me prendra point. "»), ce qui fait bien de lui un personnage moliéresque excessif,
comme l’est Alceste (dans Le Misanthrope) ou Harpagon (dans L’Avare).

Mais malgré cela, Toinette insiste : « "Mon Dieu ! je vous connais, vous êtes bon
naturellement. "»

L’invitation à la clémence suscite l’effet inverse, puisqu’Argan affirme « "avec


emportement. Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux." » Le comique de
caractère atteint son paroxysme.

C – Argan s’insurge contre les contestations de sa servante Toinette et


veut la battre

(De « "Où est-ce donc que nous sommes" » à la fin de la scène)

Jusque-là, Argan prenait la peine de converser avec Toinette, ce qui tient du comique
de situation, puisqu’elle n’est qu’une servante lui devant obéissance.

Ce n’est qu’au terme de cette longue dispute qu’il s’insurge enfin contre l’insolence de
son employée de maison : « "Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-
ce là, à une coquine de servante, de parler de la sorte devant son maître ?" »

À ces questions rhétoriques, Toinette répond habilement par un sage aphorisme au


présent de vérité générale : « "Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait, une
servante bien sensée est en droit de le redresser." » Elle justifie ses insolences par les
intérêts de son maître, qu’elle prétend défendre. L‘allitération en « s » souligne le
persiflage de la servante.

La scène bascule alors dans la farce, puisqu’Argan veut battre Toinette avec un bâton :
« "courant après Toinette. Ah ! insolente, il faut que je t’assomme." »

Les didascalies font état d’une agitation extrême qui ne peut que donner lieu à une
scène plaisante pour le spectateur : "« court après Toinette », « se sauve de lui », « court
après elle autour de la chaise », « courant et se sauvant du côté de la chaise. » "La

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chaise et le bâton sont des objets scéniques qui accentuent le comique de gestes.

La violence et les injures du maître (« "Chienne ! », « Pendarde ! « , « Carogne !" » )


créent par antithèse un contraste comique avec le discours moralisateur et protecteur
de Toinette qui s’exprime avec une tournure impersonnelle : « "Il est de mon devoir de
m’opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer." »

Toinette finit par s’affirmer comiquement comme une autorité concurrente face à
Argan : « "Je ne veux point » , « Et elle m’obéira plutôt qu’à vous." »

Argan, vaincu par l’endurance de Toinette, appelle à l’aide sa fille, ce qui est paradoxal
car il lui impose son mariage.

Mais Toinette intervient : « "moi, je la déshériterai, si elle vous obéit. "» Le comique atteint
ici son paroxysme car cette réplique exprime une inversion sociale complète. Toinette
prend littéralement la place d’Argan pour affirmer déshériter Angélique. Elle se substitue
au père.

Argan capitule et s’écroule sur sa chaise. Sa dernière réplique permet de revenir au


thème principal de la pièce : l’hypocondrie du personnage qui craint la mort : « "Voilà pour
me faire mourir." » .

Le Malade imaginaire, acte 1 scène 5, conclusion


Nous avons vu que le projet de mariage décidé par le tyrannique Argan provoque la
tristesse de sa fille Angélique et la résistance comique de sa servante Toinette.

Cette longue scène 5, dans le premier acte du Malade imaginaire est capitale car elle
pose le nœud de l’intrigue.

Si Angélique se soumet à son père, Toinette s’insurge malgré les hiérarchies sociales,
provoquant une dispute comique permettant de déployer tous les procédés
caractéristiques de la farce populaire : quiproquo, stichomythie, bastonnade.

Cependant, Molière met habilement le comique farcesque au service d’une féroce satire
sociale : l’hypocondrie d’Argan, malade imaginaire, est une véritable maladie sociale qui
menace de détruire sa famille, tandis que les médecins sont représentés comme des
charlatans.

Tu étudies Le Malade imaginaire ? Regarde aussi :


♦ Le Malade imaginaire, Molière : résumé
♦ Le Malade imaginaire, acte 1 scène 1 (analyse)
♦ Le Malade imaginaire, acte 1 scène 6 (analyse)
♦ Le Malade imaginaire, acte 1 scène 7 (analyse)
♦ Le Malade imaginaire, acte 2 scène 5 (analyse)
♦ Le Malade imaginaire, acte 2 scène 8 (analyse)
♦ Le Malade imaginaire, acte 3 scène 3 (analyse)

10/11
♦ Le Malade imaginaire, acte 3 scène 5 (analyse)
♦ Le Malade imaginaire, acte 3 scène 10 (analyse)
♦ Le Malade imaginaire, acte 3 scène 12 (analyse)
♦ Le Malade imaginaire, acte 3 scène 14 (analyse)

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