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SYNTHESE SUR LA DECLARATION D’OLYMPE DE GOUGES

I. Un plaidoyer féministe
Le féminisme est un courant de pensée qui a pour but d’émanciper les
femmes en leur accordant les mêmes droits et le même statut que les
hommes dans la société. Il a pris la forme d’un mouvement social et
Au XVIIIe siècle, les voix de femmes sont politique actif à partir du XIXe siècle en Angleterre et aux Etats-Unis. Le
rares dans la littérature et dans l’espace terme « féminisme » est attesté en 1871 dans l'univers médical, sous
un angle étonnant : la perte des caractères virils. Le mot figure ensuite
public. Les femmes, considérées comme des
dans un essai du romancier Alexandre Dumas fils, datant de 1872,
mineures et privées de tout droit politique, intitulé L'Homme-femme. Un traité moral au titre pour le moins
trouvent en Olympe de Gouges une femme intriguant, qui se penche sur la question de la femme adultère. Dumas
engagée au service de leur cause. La DDFC est évoque à deux reprises, et de façon péjorative les "féministes", qui
défendent l'égalité de la femme et de l'homme. L'auteur souligne
bien un des premiers textes féministes en d'ailleurs que pour lui ce terme est un néologisme.
France.

Une voix de femme au service des femmes


Le « je » au féminin
La voix d'Olympe de Gouges s'exprime explicitement par deux fois dans l'ensemble de l'œuvre.
 Dans la Dédicace à la Reine : l'autrice n'hésite pas à s’adresser à la souveraine d'égale à égale, en
négligeant ouvertement tous les codes de déférence qu’un sujet doit manifester. En employant le
mot « Madame » et en insistant sur sa volonté de lui parler « franchement », sans adopter le langage
habituel et la flagornerie des courtisans, elle s'affirme comme un individu libre d'exprimer ses idées.
En procédant ainsi, elle prétend parler à la reine de femme à femme, et ignorer la distance sociale
qui les sépare.
 Dans le Contrat social de l'homme et de la femme : non seulement elle s'adresse clairement à ses
détracteurs potentiels, qu'elle identifie et interpelle en termes peu flatteurs: «les tartufes, les
bégueules, le clergé toute la séquelle infernale », mais elle évoque également- comme preuve de
l'injustice régnante à l'égard des femmes - son cas personnel : aux prises avec un cocher qui veut lui
faire payer la course qu'elle vient de faire à un prix exorbitant, elle porte l'affaire au tribunal où elle
tombe sur un magistrat qui la traite avec mépris et condamne à payer au cocher la somme que celui-
ci lui réclame.
Olympe de Gouges donne donc d'elle-même une image de femme indépendante, pleine d'audace et de
fougue, qu'elle fonde sur des actes.

Une nouvelle mission pour la Reine: soutenir la cause des femmes

 La position d'Olympe de Gouges à l'égard de Marie-Antoinette reflète bien la personnalité de


l'écrivaine. Consciente du caractère inédit de sa démarche quand elle fait hommage à la reine de
cette «singulière production» , elle invoque plusieurs types d'arguments pour rallier La souveraine à
la cause féministe. Elle commence par lui rappeler qu'elle fut son alliée dans les heures sombres.
Olympe de Gouges a en effet défendu la reine quand celle-ci a été fortement accusée de trahison.
 Ensuite, et c'est sans doute la démarche la plus originale, elle lui propose une nouvelle mission qui
lui donnera l'occasion de changer son image auprès du peuple français. Telle une conseillère
politique, Olympe de Gouges a parfaitement compris que la politique était aussi une affaire d'image.
Elle rappelle à la reine qu'elle n'aura rien à gagner à défendre les aristocrates en exil, mais qu'elle
trouvera un bénéfice énorme à œuvrer pour l'égalité entre les femmes et les hommes.

Ses arguments sont d'ordre moral:


«On ne vous fera jamais un crime de travailler à la restauration des mœurs [...].»
Mais aussi d'ordre politique :
« Cette révolution ne s'opérera que quand toutes les femmes seront pénétrées de leur déplorable sort.»
Et d'ordre affectif:
« Soutenez, Madame, une si belle cause ; défendez ce sexe malheureux [...]. »
 S'adressant à la reine de femme à femme - «songez que vous êtes mère et épouse » -, c'est à la prise de
conscience d'une communauté de destin qu'Olympe de Gouges veut amener son interlocutrice. Elle va
encore plus loin en lui proposant de devenir la cheffe de file du combat des femmes, l'écartant ainsi du
rôle apolitique qui est Le sien entant que souveraine. En multipliant les encouragements ( «soutenez»,
«défendez», «croyez-moi») dans son discours, elle transforme la reine en actrice politique de premier
plan, telle une héroïne des temps modernes: «Voilà, Madame, voilà par quels exploits vous devez vous
signaler et employer votre crédit. »

 Au-delà de la Reine, son interlocutrice, c'est une relation de sororité (mot forgé sur «sœur»), en écho à
la fraternité (mot forgé sur «frère») généralement convoquée dans le discours humaniste, qu'Olympe
de Gouges tente d'établir avec toutes les femmes.

Vers une nouvelle condition féminine


Femmes du passé, femmes du futur

Olympe de Gouges dresse un tableau de la condition féminine à travers trois catégories de femmes. Les deux
premières sont à ses yeux à dépasser, au profit de la femme du futur.

 La femme des élites sociales est une femme dépravée au pouvoir illusoire. L'autrice insiste sur les
artifices dont usent les femmes de l'aristocratie pour jouir d'un semblant de pouvoir. Le portrait n'est
guère élogieux. « Passons maintenant à l’effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société.»
Olympe de Gouges fait allusion aux intrigues amoureuses menées par les femmes pour se faire une
place dans une société qui ne leur était pas favorable: « Elles ont eu recours à toutes les ressources
de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. » . Ce tableau n'est pas sans rappeler
celui que fait Choderlos de Laclos dans son roman épistolaire Les Liaisons dangereuses (1782). Pour
Olympe de Gouges, ce pouvoir exercé par les femmes sur les hommes, sous la forme d'une
«administration nocturne» est indigne. Ça n'est qu'un pis-aller qui contraint les femmes à faire usage
de leur corps pour influer sur la société. L'autrice ne condamne pas la liberté sexuelle mais, à ses
yeux, faire de la politique ne devrait rien avoir à faire avec le corps et la sexualité.

 La femme des milieux modestes est une femme exploitée, souvent victime des nobles qui profitent
de sa crédulité pour la séduire, l'engrosser et la laisser seule avec son enfant, en butte à La misère et
au déshonneur. « Mais celle qui est née d’une famille pauvre, avec du mérite et des vertus, quel est
son lot ? La pauvreté et l’opprobre. » Olympe de Gouges évoque aussi l'injustice qui prive les femmes,
à compétences égales, d'emplois dans l'administration : «Si elle n'excelle pas précisément en
musique ou en peinture, elle ne peut être admise à aucune fonction publique, quand elle en aurait
toute la capacité. » Les seules qualifications qui leur sont reconnues sont la musique et la peinture.

 La femme du futur, à l'inverse des deux figures précédentes, est une femme libre, indépendante et
l'égale des hommes, comme le montrent tous les articles de la Déclaration qui la dessinent en creux.
Elle aura le droit d'aller à l'école, de voter, d'être élue, de s'exprimer en public librement, de postuler
à tous les emplois selon ses capacités, de gérer son patrimoine, d'exercer son autorité sur ses
enfants. Olympe de Gouges fait aussi l'éloge de toutes ses potentialités — « déployez toute l'énergie
de votre caractère» -et n'hésite pas à renverser le préjugé qui fait des femmes le sexe faible en le
qualifiant de «sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances maternelles. »
L'égalité homme-femme, une évidence mathématique
 L'égalité entre Les hommes et les femmes est fondée sur l'évidence mathématique : les femmes
constituent la moitié de l'humanité. L'écrivaine le rappelle avec efficacité à plusieurs reprises: «vous
aurez bientôt pour vous une moitié du royaume, et le tiers au moins de l'autre», explique-t-elle à la
reine dans sa dédicace. On retrouve la même idée à l'article XVI de sa Déclaration:

« La Constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la nation, n'a pas coopéré à sa
rédaction. »

 L'article XIV rappelle quant à lui la stricte égalité dans la gestion des biens, dans l'accès à la fonction
publique, et devant l'impôt, entre hommes et femmes: «l'admission d’un partage égal, non
seulement dans la fortune, mais encore dans l'administration publique, et de déterminer la quotité,
l'assiette, le recouvrement et la durée de l'impôt. »

 Même si Olympe de Gouges est consciente que les choses ne changeront pas en un jour, elle propose
d'œuvrer immédiatement à faire advenir cette femme du futur notamment grâce à l'instruction.

« Si tenter de donner à mon sexe une consistance honorable et Juste, est considéré dans ce moment comme
un paradoxe de ma part, et comme tenter l'impossible, je laisse aux hommes à venir la gloire de traiter cette
matière; mais, en attendant, on peut la préparer par l'éducation nationale, par la restauration des mœurs et
par les conventions conjugales. »

II. Un texte de circonstance: écrire pour combattre


On appelle littérature de circonstances, des œuvres écrites dans l'urgence de circonstances qui imposent
à l'écrivain de mettre sa plume au service d'une cause. C'est le cas de la Déclaration des droits de la femme
et de la citoyenne. Olympe de Gouges, bien que privée de toute réelle participation politique à La Révolution
française, comme toutes les femmes, ne peut s'empêcher d'intervenir dans le débat politique.

Un texte engagé et humaniste

Les fondements philosophiques et juridiques de la Déclaration :

 Dans la lignée de La philosophie des Lumières, Olympe de Gouges s'appuie sur des arguments
philosophiques pour justifier la revendication de l'égalité entre les sexes. ° Elle invoque en premier
lieu le droit naturel. Fondé sur l'idée d'une nature humaine unique et non sur la réalité sociale dans
laquelle vit chaque individu, le droit naturel est réputé universellement valable. La nature devient le
modèle de l'équilibre et non de la soumission d'un Sexe à l'autre. Dans l'Exhortation qu'elle adresse
aux hommes, Olympe de Gouges incite chacun à s'inspirer de ce modèle: « parcours la nature dans
toute sa grandeur » (1. 4-5, p. 23). Bien qu'elle ne donne pas d'exemple précis, l'autrice suggère que
chez les animaux, le mâle et la femelle vivent dans le partage des rôles:
«Cherche, fouille et distingue, si tu le peux, les sexes dans l'administration de la nature. Partout tu les
trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d'œuvre immortel.»

 Elle se situe ainsi dans la lignée de Rousseau, pour qui la société seule est génératrice d'inégalité et
d'injustice. La foi dans la raison et le progrès, héritée des Lumières, est également un argument
majeur brandi par l'autrice pour justifier son combat, Olympe de Gouges rappelle avec ironie que la
femme est également un être de raison, qui à ce titre n'a pas à obéir à des hommes «despotes»:
« Dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l'ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur
un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles [...]. »
 Quant au progrès, sans lequel toute aspiration au bonheur est impossible, il vise l'amélioration des
conditions de vie de tous, et plus particulièrement ici du couple:

« Mais combien il [le texte du nouveau contrat social] offrira aux sages de moyens moraux pour arriver à la
perfectibilité d’un gouvernement heureux!»

 L'autrice va jusqu'à formuler le projet Le combat de Beaumarchais pour l’égalité sociale


d’une société fondée sur l’égalité Peu de temps avant le texte d'Olympe de Gouges, en 1778,
sociale, affirmant que la reine n’est à sa Beaumarchais, dans Le Mariage de Figaro, évoque le hasard d'être
place que par « hasard », et qu’elle, né riche ou pauvre, noble ou simple barbier, dans le célèbre
monologue de Figaro qui défie le comte Almaviva par ces paroles :
Olympe de Gouges, pourrait occuper «Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier!
cette même place et vice versa. Nul Qu'avez-vous fait pour tant de biens? Vous vous êtes donné la
n’étant assigné, selon elle, par le destin peine de naître, et rien de plus.»
à être reine ou suivante.

Prolonger La Révolution en faveur des femmes

 En réécrivant la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Olympe de Gouges entend


prolonger l'œuvre de la Révolution en l'élargissant au combat pour l'égalité en faveur des
femmes. Pour donner plus de force à son texte, elle reprend le format de la Déclaration des droits de
l'homme (hypotexte) de 1789 : sa Déclaration (hypertexte) compte le même nombre d'articles,
disposés dans le même ordre, avec une formulation syntaxique et lexicale globale très similaire.

 Mais tout l'intérêt et l'audace de son texte réside dans les différences qu'il apporte.

Dans les articles II, VI et XIV, elle féminise les phrases en remplaçant systématiquement les mots
«homme(s)» ou «citoyen(s)» par le groupe nominal coordonné «l'homme et la femme », ou «citoyen et
citoyenne ». Par ce procédé, l'égalité est affirmée simplement et efficacement.

Dans les articles |, IV et XII elle substitue au mot «homme(s) » le mot «femme(s)». Le ton est bien plus celui
d'une revendication en faveur de la condition féminine, car il s'agit pour elle de faire entendre la voix des
femmes.

Dans les articles X, XI, XII, XVI elle va plus loin en s'écartant nettement de leur modèle de 1789 pour réclamer
des droits spécifiques ou révéler de façon flagrante les injustices faites aux femmes. C'est dans ces articles
qu'on trouve les formules les plus percutantes de son texte: «La femme a le droit de monter sur l’échafaud;
elle doit avoir également celui de monter à la tribune » (art. X) . Ou encore: «La Constitution est nulle, si la
majorité des individus qui composent la nation, n'a pas coopéré à sa rédaction » (art. XVI).

L’intersectionnalité des causes

 A son combat majeur qui vise à accorder aux femmes les mêmes droits que les hommes, Olympe de
Gouges associe des luttes secondaires. C'est le principe de l'intersectionnalité des causes, selon
lequel plusieurs formes de discrimination ou d’injustice peuvent s'entrecroiser dans une société, et
parfois toucher les mêmes individus, comme une femme victime de sexisme et de racisme par
exemple.

 Ainsi, Olympe de Gouges milite pour une union conjugale libre dans laquelle les conjoints sont
strictement égaux dans la gestion des biens du ménage et dans l'autorité sur les enfants. Elle
considère qu'il faut également améliorer le statut des prostituées, autoriser le mariage des prêtres
et surtout lutter contre l'esclavage et la discrimination envers les personnes noires.
La rhétorique de l'engagement

Résolue à convaincre ses lecteurs comme ses adversaires, Olympe de Gouges utilise des procédés d'écriture
variés qui relèvent de La rhétorique, cet art de s'exprimer, pour les engager au combat.

La rhétorique de la volonté ou de l’invective

 L'autrice ne cesse d'entrer dans un dialogue avec ses lecteurs par la mise en scène d'interlocuteurs
multiples: la reine, les hommes, les femmes, ses accusateurs. Avec ces interlocuteurs, l'écriture se
fait orale, vivante, que ce soit dans le but de susciter l'énergie et la volonté du combat chez les
victimes, ou dans le but de susciter le sentiment de culpabilité chez les dominants.
 Olympe de Gouges multiplie par ailleurs les impératifs et d'autres tournures injonctives ou
interrogatives qui doivent déclencher à la fois le sursaut moral et le combat.

« Homme, es-tu capable d’être juste ? »


« Femme, réveille-toi ; [...] reconnais tes droits. »
« Ô femmes ! femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles? »

La rhétorique de l'émotion

 Olympe de Gouges peint des tableaux pathétiques pour révéler les injustices dont sont victimes les
esclaves ou les femmes:
« Une jeune personne sans expérience, séduite par un homme qu'elle aime, abandonnera ses parents pour le
suivre; l'ingrat la laissera après quelques années, et plus elle aura vieilli avec lui, plus son inconstance sera
inhumaine; si elle a des enfants, il l’abandonnera de même. »

 Elle use également de procédés de balancement, de parallélismes ou de chiasmes percutants : «l'une


est sans cesse prise pour exemple, et l'autre est éternellement l'exécration du genre humain », «tout
a été soumis à la cupidité et à l'ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la
Révolution, respectable et méprisé.»

La violence de l'écriture pamphlétaire


L'objectif du pamphlet est de détruire l'adversaire et sa cause en les discréditant de façon agressive. Les
cibles privilégiées d'Olympe de : Gouges dans son texte sont les hommes dans leur ensemble:
« L'homme seul s'est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et
dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l'ignorance la plus crasse, [...] il prétend jouir de la
Révolution, et réclamer ses droits à l'égalité, pour ne rien dire de plus. »

 Dans le passage ci-dessus, tout est fait pour exagérer la position de domination des hommes sur Les
femmes: le vocabulaire y est extrêmement dévalorisant, voire insultant (« dégénéré »), l'hyperbole
négative («l'ignorance la plus crasse »). Les mots ne sont pas trop forts pour crier à l'injustice de ces
siècles d'«exception» d'un homme seul tyran de la nature.
L'INTERTEXTUALITÉ «Tout III. Genre de l’œuvre
texte est un intertexte;
d'autres textes sont présents
en lui à des niveaux variables »,
écrit Roland Barthes. Un autre Si la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est passée
critique littéraire, Gérard inaperçue en 1791, elle vaudra à Olympe de Gouges d'entrer
Genette, restreint symboliquement, en octobre 2016, dans la salle des quatre colonnes de
l'intertextualité « à la présence
effective d'un texte dans un
l’Assemblée Nationale. Comment l’œuvre de 1791 at-elle permis cette
autre », comme chez Olympe revanche? De quels atouts dispose-t-elle pour nous rejoindre encore
de Gouges, le texte de 1789 aujourd’hui ?
étant l'hypotexte et celui de
1791 l'hypertexte. 1. Brièveté et discontinuité
- L'attrait du fragment

Chez Pascal, la discontinuité des Pensées s'explique par L'ÉCRITURE DISCONTINUE En 1572, Montaigne (1533-
l’inachèvement de l'œuvre. Mais nombreux sont les 1592) commence à écrire ses Essais (1588). Suivant le fil
auteurs qui adoptent volontairement formes directeur d'une étude de soi, il passe d'un sujet à un autre
sans ordre apparent, écrit «à sauts et à gambades. C'est
fragmentaires. Alors qu'on pourrait penser que cette un art, comme dit Platon, léger, volage, démoniaque ».
discontinuité est en contradiction avec le principe d’une Au xvii siècle, La Rochefoucauld avec ses Maximes et La
œuvre littéraire construite, elle s'avère un « art », un Bruyère ses Caractères, adoptent, eux aussi, la forme
moyen d’expression spécifique, aussi puissant que discontinue.
séduisant, comme en témoigne Montaigne.

- Le choix d'Olympe de Gouges


Olympe de Gouges écrit des lettres, des pamphlets qu’elle placarde, des pièces de théâtre qui, à leur
manière, sont aussi une parole éclatée en répliques. Quant au texte qu’elle dédie à Marie-Antoinette en
1791, de la lettre à la reine au « Contrat social de l'Homme et la Femme» en passant par la Déclaration
proprement dite, il s’avère lui aussi un assemblage hétérogène. Dans quelle mesure ce choix contribue-t-il
au succès actuel du texte ? Quelles significations peut-on lui donner ? Les significations possibles de ce
choix :

La discontinuité chez Olympe de Gouges, la brièveté et la précipitation des pièces réunies semblent un écho
des troubles révolutionnaires. Sans doute est-il en effet difficile d'écrire de façon suivie quand la société et
les institutions ont éclaté. Pour l'auteure, le temps n’est pas à l'essai construit mais à a parole placardée, au
texte qui frappe. La diversité des tonalités protège le lecteur ou la lectrice de l'ennui. La brièveté des
fragments les rend accessibles à tous et ne s'agit-il pas de défendre l'égalité ?

De plus, la concision des formules accroche l'attention et mémoire. Il est en effet difficile d'oublier les
aphorismes lapidaires tels que celui de l'article X : «la femme a le droit de monter sur l’échafaud; elle doit
avoir également celui de monter à la tribune». Le pastiche est un autre moyen de frapper les destinataires.

2. Art du pastiche, art du détournement


- La Déclaration de 1791 : un pastiche du texte de 1789 LE PASTICHE
En s'inspirant de Beaumarchais pour écrire en 1786 Le Mariage inattendu de En peinture, au cinéma ou en
Chérubin, Olympe de Gouges a montré son goût pour le pastiche. En 1791, du littérature, le pastiche, de
préambule à l’article XVII, elle calque ligne à ligne la Déclaration promulguée l'italien pasticclo, « pâté » et
le 26 août 1789. Tantôt elle remplace un mot par un autre, principalement «situation embrouillée »,
consiste à imiter un auteur sans
«homme» par «femme» bien sûr; tantôt elle ajoute un complément tel «les chercher ni à s'approprier son
bonnes mœurs» dans le préambule; et souvent il lui arrive de reprendre telles œuvre (le plagiat) ni à le
quelles des propositions, voire des phrases entières. La lecture devient alors ridiculiser (la parodie).
nécessairement un repérage et une interprétation des différences. Dans ce
« pasticcio », on lit deux textes en un, la Déclaration de 1791 ne se comprenant qu'en regard de celle de
1789.
- Le détournement
Mais, pour expliquer la force du texte d’'Olympe de Gouges, on doit ajouter au pastiche un détournement
aussi éclairant que ludique. En introduisant un minimum de modifications dans le texte d’origine
(l’hypotexte), l'auteure parvient à dénoncer l'abus de pouvoir des hommes et à écrire un texte dont la portée
est bien différente. Le détournement tient à un jeu sur la polysémie du mot «homme», à un glissement au
sein de son champ sémantique. Tandis que la Déclaration de 1789 retient le sens, universel, d’«être
humain», Olympe de Gouges le restreint au masculin , et peut, ainsi, lui substituer le mot «femme». Pastiche
et détournement donnent de la force à une œuvre qui, par certains aspects, s'apparente à un discours.
3. Discours ou lettre ouverte
- La parole publique
Les États Généraux réunis en 1789 ont libéré la parole, si bien que le discours, autrefois l'apanage des
religieux, s’est démocratisé. Olympe de Gouges entend les orateurs (Sieyès, Mirabeau, Robespierre...) qui
se succèdent et déploient l’art de la rhétorique.
- Un discours révolutionnaire
Si les propos d'Olympe de Gouges semblent de ceux qu'on imagine volontiers affichés ou distribués, ils
peuvent aussi bien être clamés devant un public et, pourquoi pas, à la tribune (article X). «Femme, réveille-
toi », lance-t-elle au début du postambule. Elle affectionne le style oral : apostrophes qui interpellent
vigoureusement et personnellement (le singulier), lexique redondant comme pour frapper un auditoire,
interrogations rhétoriques et jeu de rythmes.

LA LETTRE OUVERTE La lettre ouverte, affichée, chantée (Le Déserteur de Boris Vian) ou publiée dans la presse (J'accuse... ! de
Zola), est un texte engagé adressé à une ou plusieurs personnes désignées mais, en réalité, destiné à un public large. à LE « BEL
ESPRIT » Fantaisie et jeu sur le langage occupent une place importante au siècle des Lumières. Chez l'auteure révolutionnaire,
le choix du pastiche et Le jeu sur Le mot «homme » Sont une des dernières manifestations de l'esthétique ludique des Lumières.

- Une lettre ouverte


Mais l'accès à la tribune est réservé aux hommes. Aussi qualifierait-on plutôt de «lettre ouverte», cette
œuvre dédiée à la reine. L'adresse aux femmes au début du postambule élargit le champ des destinataires.
Marie-Antoinette est plus une caution qu'une lectrice, et Olympe de Gouges cherche à fédérer les femmes
sans les heurter.

4. Pamphlet et manifeste à la fin du siècle des Lumières

- L'héritage du siècle des Lumières


Sous Louis XV et Louis XVI, le modèle à imiter est le philosophe qui se laisse éclairer par la raison et se veut
libre. Le Dieu des chrétiens, prisonnier de dogmes jugés trop pesants, est, chez de nombreux écrivains,
remplacé par un principe créateur. L'Être suprême, mentionné dans le préambule des deux déclarations et
dont la célébration sera inscrite au calendrier en 1794, figure déjà en 1758 sous la plume de d’Alembert, un
des grands noms des Lumières.

Les notions d' « égalité», de «contrat», la défense des libertés, la lutte contre l'esclavage à laquelle contribue
Olympe de Gouges sont des combats déjà menés durant plusieurs décennies par les philosophes
Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau.
LE PAMPHLET
Le pamphlet, quels que soient sa cible, son genre et sa longueur, est un écrit de circonstance, produit « sous la pression d'une
vérité urgente et libératrice », afin de dénoncer, au nom de la vérité, une «imposture ». L'auteur(e), conscient{e) des risques
pris, cherche à arracher ses contemporains à leur indifférence.
LE MANIFESTE
Le manifeste est une déclaration écrite avec solennité pour présenter, une position, un programme.

- La force du pamphlet
Olympe de Gouges, au cœur des événements révolutionnaires, multiplie lettres et affiches pour dénoncer
les abus. Sa Déclaration des droits de la femme est à lire dans ce contexte à la fois historique et biographique.
Souvent seule contre tous = voire toutes -, elle assumera les risques de ses combats jusque sur l'échafaud.
L'auteure n'hésite pas à s’en prendre à l'autorité des hommes. Aux « vaines prétentions de supériorité» de
ces derniers, à leur «préjugé barbare », Olympe de Gouges oppose la vraie supériorité des femmes, ren
beauté comme en courage». « Devenu libre, [l'homme] est devenu injuste envers sa compagne », qui s’est
pourtant battue pour le libérer des fers de l'Ancien Régime, Le combat de l’auteure se présente comme une
réponse juste au mépris des hommes.

- Un manifeste en faveur des femmes


Les différents jeux formels et la dimension pamphlétaire de l'œuvre ne doivent pas nous faire oublier qu'il
s’agit avant tout d'une déclaration, c'est-à-dire d’un manifeste en faveur de l'égalité des sexes. Par petites
touches, l’auteure présente la condition des femmes et demande pour elles un accès à l'éducation et à la
propriété, la liberté d'expression, le droit d'exercer des charges publiques et de prendre des décisions
concernant leurs enfants,
Ainsi, déployant différents procédés littéraires pour nous toucher, le texte d'Olympe de Gouges, bien que
fruit de circonstances particulières, montre que la Déclaration promulguée en 1789 doit prendre un sens
universel, En cela, elle nous rejoint aujourd’hui dans nos luttes contre toutes les formes d'inégalités.

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