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I. Un plaidoyer féministe
Le féminisme est un courant de pensée qui a pour but d’émanciper les
femmes en leur accordant les mêmes droits et le même statut que les
hommes dans la société. Il a pris la forme d’un mouvement social et
Au XVIIIe siècle, les voix de femmes sont politique actif à partir du XIXe siècle en Angleterre et aux Etats-Unis. Le
rares dans la littérature et dans l’espace terme « féminisme » est attesté en 1871 dans l'univers médical, sous
un angle étonnant : la perte des caractères virils. Le mot figure ensuite
public. Les femmes, considérées comme des
dans un essai du romancier Alexandre Dumas fils, datant de 1872,
mineures et privées de tout droit politique, intitulé L'Homme-femme. Un traité moral au titre pour le moins
trouvent en Olympe de Gouges une femme intriguant, qui se penche sur la question de la femme adultère. Dumas
engagée au service de leur cause. La DDFC est évoque à deux reprises, et de façon péjorative les "féministes", qui
défendent l'égalité de la femme et de l'homme. L'auteur souligne
bien un des premiers textes féministes en d'ailleurs que pour lui ce terme est un néologisme.
France.
Au-delà de la Reine, son interlocutrice, c'est une relation de sororité (mot forgé sur «sœur»), en écho à
la fraternité (mot forgé sur «frère») généralement convoquée dans le discours humaniste, qu'Olympe
de Gouges tente d'établir avec toutes les femmes.
Olympe de Gouges dresse un tableau de la condition féminine à travers trois catégories de femmes. Les deux
premières sont à ses yeux à dépasser, au profit de la femme du futur.
La femme des élites sociales est une femme dépravée au pouvoir illusoire. L'autrice insiste sur les
artifices dont usent les femmes de l'aristocratie pour jouir d'un semblant de pouvoir. Le portrait n'est
guère élogieux. « Passons maintenant à l’effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société.»
Olympe de Gouges fait allusion aux intrigues amoureuses menées par les femmes pour se faire une
place dans une société qui ne leur était pas favorable: « Elles ont eu recours à toutes les ressources
de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. » . Ce tableau n'est pas sans rappeler
celui que fait Choderlos de Laclos dans son roman épistolaire Les Liaisons dangereuses (1782). Pour
Olympe de Gouges, ce pouvoir exercé par les femmes sur les hommes, sous la forme d'une
«administration nocturne» est indigne. Ça n'est qu'un pis-aller qui contraint les femmes à faire usage
de leur corps pour influer sur la société. L'autrice ne condamne pas la liberté sexuelle mais, à ses
yeux, faire de la politique ne devrait rien avoir à faire avec le corps et la sexualité.
La femme des milieux modestes est une femme exploitée, souvent victime des nobles qui profitent
de sa crédulité pour la séduire, l'engrosser et la laisser seule avec son enfant, en butte à La misère et
au déshonneur. « Mais celle qui est née d’une famille pauvre, avec du mérite et des vertus, quel est
son lot ? La pauvreté et l’opprobre. » Olympe de Gouges évoque aussi l'injustice qui prive les femmes,
à compétences égales, d'emplois dans l'administration : «Si elle n'excelle pas précisément en
musique ou en peinture, elle ne peut être admise à aucune fonction publique, quand elle en aurait
toute la capacité. » Les seules qualifications qui leur sont reconnues sont la musique et la peinture.
La femme du futur, à l'inverse des deux figures précédentes, est une femme libre, indépendante et
l'égale des hommes, comme le montrent tous les articles de la Déclaration qui la dessinent en creux.
Elle aura le droit d'aller à l'école, de voter, d'être élue, de s'exprimer en public librement, de postuler
à tous les emplois selon ses capacités, de gérer son patrimoine, d'exercer son autorité sur ses
enfants. Olympe de Gouges fait aussi l'éloge de toutes ses potentialités — « déployez toute l'énergie
de votre caractère» -et n'hésite pas à renverser le préjugé qui fait des femmes le sexe faible en le
qualifiant de «sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances maternelles. »
L'égalité homme-femme, une évidence mathématique
L'égalité entre Les hommes et les femmes est fondée sur l'évidence mathématique : les femmes
constituent la moitié de l'humanité. L'écrivaine le rappelle avec efficacité à plusieurs reprises: «vous
aurez bientôt pour vous une moitié du royaume, et le tiers au moins de l'autre», explique-t-elle à la
reine dans sa dédicace. On retrouve la même idée à l'article XVI de sa Déclaration:
« La Constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la nation, n'a pas coopéré à sa
rédaction. »
L'article XIV rappelle quant à lui la stricte égalité dans la gestion des biens, dans l'accès à la fonction
publique, et devant l'impôt, entre hommes et femmes: «l'admission d’un partage égal, non
seulement dans la fortune, mais encore dans l'administration publique, et de déterminer la quotité,
l'assiette, le recouvrement et la durée de l'impôt. »
Même si Olympe de Gouges est consciente que les choses ne changeront pas en un jour, elle propose
d'œuvrer immédiatement à faire advenir cette femme du futur notamment grâce à l'instruction.
« Si tenter de donner à mon sexe une consistance honorable et Juste, est considéré dans ce moment comme
un paradoxe de ma part, et comme tenter l'impossible, je laisse aux hommes à venir la gloire de traiter cette
matière; mais, en attendant, on peut la préparer par l'éducation nationale, par la restauration des mœurs et
par les conventions conjugales. »
Dans la lignée de La philosophie des Lumières, Olympe de Gouges s'appuie sur des arguments
philosophiques pour justifier la revendication de l'égalité entre les sexes. ° Elle invoque en premier
lieu le droit naturel. Fondé sur l'idée d'une nature humaine unique et non sur la réalité sociale dans
laquelle vit chaque individu, le droit naturel est réputé universellement valable. La nature devient le
modèle de l'équilibre et non de la soumission d'un Sexe à l'autre. Dans l'Exhortation qu'elle adresse
aux hommes, Olympe de Gouges incite chacun à s'inspirer de ce modèle: « parcours la nature dans
toute sa grandeur » (1. 4-5, p. 23). Bien qu'elle ne donne pas d'exemple précis, l'autrice suggère que
chez les animaux, le mâle et la femelle vivent dans le partage des rôles:
«Cherche, fouille et distingue, si tu le peux, les sexes dans l'administration de la nature. Partout tu les
trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d'œuvre immortel.»
Elle se situe ainsi dans la lignée de Rousseau, pour qui la société seule est génératrice d'inégalité et
d'injustice. La foi dans la raison et le progrès, héritée des Lumières, est également un argument
majeur brandi par l'autrice pour justifier son combat, Olympe de Gouges rappelle avec ironie que la
femme est également un être de raison, qui à ce titre n'a pas à obéir à des hommes «despotes»:
« Dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l'ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur
un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles [...]. »
Quant au progrès, sans lequel toute aspiration au bonheur est impossible, il vise l'amélioration des
conditions de vie de tous, et plus particulièrement ici du couple:
« Mais combien il [le texte du nouveau contrat social] offrira aux sages de moyens moraux pour arriver à la
perfectibilité d’un gouvernement heureux!»
Mais tout l'intérêt et l'audace de son texte réside dans les différences qu'il apporte.
Dans les articles II, VI et XIV, elle féminise les phrases en remplaçant systématiquement les mots
«homme(s)» ou «citoyen(s)» par le groupe nominal coordonné «l'homme et la femme », ou «citoyen et
citoyenne ». Par ce procédé, l'égalité est affirmée simplement et efficacement.
Dans les articles |, IV et XII elle substitue au mot «homme(s) » le mot «femme(s)». Le ton est bien plus celui
d'une revendication en faveur de la condition féminine, car il s'agit pour elle de faire entendre la voix des
femmes.
Dans les articles X, XI, XII, XVI elle va plus loin en s'écartant nettement de leur modèle de 1789 pour réclamer
des droits spécifiques ou révéler de façon flagrante les injustices faites aux femmes. C'est dans ces articles
qu'on trouve les formules les plus percutantes de son texte: «La femme a le droit de monter sur l’échafaud;
elle doit avoir également celui de monter à la tribune » (art. X) . Ou encore: «La Constitution est nulle, si la
majorité des individus qui composent la nation, n'a pas coopéré à sa rédaction » (art. XVI).
A son combat majeur qui vise à accorder aux femmes les mêmes droits que les hommes, Olympe de
Gouges associe des luttes secondaires. C'est le principe de l'intersectionnalité des causes, selon
lequel plusieurs formes de discrimination ou d’injustice peuvent s'entrecroiser dans une société, et
parfois toucher les mêmes individus, comme une femme victime de sexisme et de racisme par
exemple.
Ainsi, Olympe de Gouges milite pour une union conjugale libre dans laquelle les conjoints sont
strictement égaux dans la gestion des biens du ménage et dans l'autorité sur les enfants. Elle
considère qu'il faut également améliorer le statut des prostituées, autoriser le mariage des prêtres
et surtout lutter contre l'esclavage et la discrimination envers les personnes noires.
La rhétorique de l'engagement
Résolue à convaincre ses lecteurs comme ses adversaires, Olympe de Gouges utilise des procédés d'écriture
variés qui relèvent de La rhétorique, cet art de s'exprimer, pour les engager au combat.
L'autrice ne cesse d'entrer dans un dialogue avec ses lecteurs par la mise en scène d'interlocuteurs
multiples: la reine, les hommes, les femmes, ses accusateurs. Avec ces interlocuteurs, l'écriture se
fait orale, vivante, que ce soit dans le but de susciter l'énergie et la volonté du combat chez les
victimes, ou dans le but de susciter le sentiment de culpabilité chez les dominants.
Olympe de Gouges multiplie par ailleurs les impératifs et d'autres tournures injonctives ou
interrogatives qui doivent déclencher à la fois le sursaut moral et le combat.
La rhétorique de l'émotion
Olympe de Gouges peint des tableaux pathétiques pour révéler les injustices dont sont victimes les
esclaves ou les femmes:
« Une jeune personne sans expérience, séduite par un homme qu'elle aime, abandonnera ses parents pour le
suivre; l'ingrat la laissera après quelques années, et plus elle aura vieilli avec lui, plus son inconstance sera
inhumaine; si elle a des enfants, il l’abandonnera de même. »
Dans le passage ci-dessus, tout est fait pour exagérer la position de domination des hommes sur Les
femmes: le vocabulaire y est extrêmement dévalorisant, voire insultant (« dégénéré »), l'hyperbole
négative («l'ignorance la plus crasse »). Les mots ne sont pas trop forts pour crier à l'injustice de ces
siècles d'«exception» d'un homme seul tyran de la nature.
L'INTERTEXTUALITÉ «Tout III. Genre de l’œuvre
texte est un intertexte;
d'autres textes sont présents
en lui à des niveaux variables »,
écrit Roland Barthes. Un autre Si la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est passée
critique littéraire, Gérard inaperçue en 1791, elle vaudra à Olympe de Gouges d'entrer
Genette, restreint symboliquement, en octobre 2016, dans la salle des quatre colonnes de
l'intertextualité « à la présence
effective d'un texte dans un
l’Assemblée Nationale. Comment l’œuvre de 1791 at-elle permis cette
autre », comme chez Olympe revanche? De quels atouts dispose-t-elle pour nous rejoindre encore
de Gouges, le texte de 1789 aujourd’hui ?
étant l'hypotexte et celui de
1791 l'hypertexte. 1. Brièveté et discontinuité
- L'attrait du fragment
Chez Pascal, la discontinuité des Pensées s'explique par L'ÉCRITURE DISCONTINUE En 1572, Montaigne (1533-
l’inachèvement de l'œuvre. Mais nombreux sont les 1592) commence à écrire ses Essais (1588). Suivant le fil
auteurs qui adoptent volontairement formes directeur d'une étude de soi, il passe d'un sujet à un autre
sans ordre apparent, écrit «à sauts et à gambades. C'est
fragmentaires. Alors qu'on pourrait penser que cette un art, comme dit Platon, léger, volage, démoniaque ».
discontinuité est en contradiction avec le principe d’une Au xvii siècle, La Rochefoucauld avec ses Maximes et La
œuvre littéraire construite, elle s'avère un « art », un Bruyère ses Caractères, adoptent, eux aussi, la forme
moyen d’expression spécifique, aussi puissant que discontinue.
séduisant, comme en témoigne Montaigne.
La discontinuité chez Olympe de Gouges, la brièveté et la précipitation des pièces réunies semblent un écho
des troubles révolutionnaires. Sans doute est-il en effet difficile d'écrire de façon suivie quand la société et
les institutions ont éclaté. Pour l'auteure, le temps n’est pas à l'essai construit mais à a parole placardée, au
texte qui frappe. La diversité des tonalités protège le lecteur ou la lectrice de l'ennui. La brièveté des
fragments les rend accessibles à tous et ne s'agit-il pas de défendre l'égalité ?
De plus, la concision des formules accroche l'attention et mémoire. Il est en effet difficile d'oublier les
aphorismes lapidaires tels que celui de l'article X : «la femme a le droit de monter sur l’échafaud; elle doit
avoir également celui de monter à la tribune». Le pastiche est un autre moyen de frapper les destinataires.
LA LETTRE OUVERTE La lettre ouverte, affichée, chantée (Le Déserteur de Boris Vian) ou publiée dans la presse (J'accuse... ! de
Zola), est un texte engagé adressé à une ou plusieurs personnes désignées mais, en réalité, destiné à un public large. à LE « BEL
ESPRIT » Fantaisie et jeu sur le langage occupent une place importante au siècle des Lumières. Chez l'auteure révolutionnaire,
le choix du pastiche et Le jeu sur Le mot «homme » Sont une des dernières manifestations de l'esthétique ludique des Lumières.
Les notions d' « égalité», de «contrat», la défense des libertés, la lutte contre l'esclavage à laquelle contribue
Olympe de Gouges sont des combats déjà menés durant plusieurs décennies par les philosophes
Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau.
LE PAMPHLET
Le pamphlet, quels que soient sa cible, son genre et sa longueur, est un écrit de circonstance, produit « sous la pression d'une
vérité urgente et libératrice », afin de dénoncer, au nom de la vérité, une «imposture ». L'auteur(e), conscient{e) des risques
pris, cherche à arracher ses contemporains à leur indifférence.
LE MANIFESTE
Le manifeste est une déclaration écrite avec solennité pour présenter, une position, un programme.
- La force du pamphlet
Olympe de Gouges, au cœur des événements révolutionnaires, multiplie lettres et affiches pour dénoncer
les abus. Sa Déclaration des droits de la femme est à lire dans ce contexte à la fois historique et biographique.
Souvent seule contre tous = voire toutes -, elle assumera les risques de ses combats jusque sur l'échafaud.
L'auteure n'hésite pas à s’en prendre à l'autorité des hommes. Aux « vaines prétentions de supériorité» de
ces derniers, à leur «préjugé barbare », Olympe de Gouges oppose la vraie supériorité des femmes, ren
beauté comme en courage». « Devenu libre, [l'homme] est devenu injuste envers sa compagne », qui s’est
pourtant battue pour le libérer des fers de l'Ancien Régime, Le combat de l’auteure se présente comme une
réponse juste au mépris des hommes.