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Objet d’étude : La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle

Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791.

Explication linéaire nº3


« Postambule »

1 Femme, réveille-toi ; le tocsin1 de la raison se fait entendre dans tout l’univers ;


reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de
fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les
nuages de la sottise et de l’usurpation 2. L’homme esclave a multiplié́ ses forces, a eu besoin
5 de recourir aux tiennes pour briser ses fers3. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa
compagne. Ô femmes ! femmes, quand cesserez- vous d’être aveugles ? Quels sont les
avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain
plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné́ que sur la faiblesse des
hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? la conviction des injustices de
10 l’homme. La réclamation de votre patrimoine 4, fondée sur les sages décrets5 de la nature ;
qu’auriez-vous à̀ redouter pour une si belle entreprise6 ? le bon mot du législateur des noces
de Cana7 ? Craignez-vous que nos législateurs français, correcteurs de cette morale,
longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison 8, ne vous
répètent : femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à̀ répondre.
15 S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec
leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de
supériorité́ ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de
votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, nos serviles adorateurs rampants à
vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être suprême. Quelles que soient
20 les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à̀
le vouloir.

1 Tocsin: sonnerie de cloche destinée à donner l’alerte en cas d’un danger (incendie, catastrophe naturelle, guerre…)
2 Usurpation: fait de s’attribuer quelque chose de façon illégitime, sans y avoir droit.
3 Pour briser ses fers: pour se libérer.
4 Votre patrimoine : ce qui vous appartient.
5 Décrets : lois incontournables
6 Entreprise : ici projet.
7 Noces de Cana : lors d’un mariage à Cana, Jésus rabroue sa mère, qui craint que les invités ne manquent de vin, en lui

disant : « Femme, que me veux-tu ? ». « le bon mot » fait référence à cet épisode.
8 Qui n’est plus de saison : qui n’est plus d’actualité car la Révolution a posé les bases de la laïcité et de la dissociation

entre Église et État.


Objet d’étude : La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle

INTRODUCTION
• Présenter brièvement l’auteur et son œuvre :
o Femme de lettres qui s’inscrit dans le courant des Lumières. Œuvre marquée par son
engagement et lutte pour les droits de la femme mais aussi contre l’esclavage (cf
Zamore et Mirza par exemple).
o Elle rédige en 1791 La Déclaration… et apparaît précurseur dans la lutte pour l’égalité
des droits, homme/femme ...
• Extrait au début du postambule, juste après les articles de La Déclaration.
Cet extrait entretient des échos avec le passage intitulé qui précède la Déclaration elle-même
(« Homme, es-tu capable d’être juste ? »). En effet, les deux textes sont d’abord introduits par
une apostrophe interpellant directement les destinataires. Gouges use de la même tonalité
polémique pour que les femmes cessent d’accepter passivement l’injustice de leur situation.
Elle crée ainsi un effet d’écho entre les deux textes, l’un appelant une prise de conscience des
hommes et l’autre, des femmes.
• Piste de lecture : Texte virulent dans lequel Olympe de Gouges engagent les femmes à être
maîtresses de leur destin et à combattre pour leurs droits. Appel à l’union !

• 3 mouvements.
o 1ère: de « Femme » à « compagne » : Gouges invite la femme à prendre conscience que
l’homme bafoue ses droits
o 2ème: de « Ô femmes » à « répondre » : un triste constat sur la situation des femmes
malgré la Révolution.
o 3ème: de « s’ils s’obstinaient » à « vouloir » : appel au soulèvement, à la révolte mais
aussi un message d’espoir

MVT 1

• « Femme, réveille-toi » : apostrophe. Prise à partie d’autant plus forte que le verbe qui suit est
à l’impératif. La formule « réveille-toi » sous-entend une critique de la femme qui aurait une
part de responsabilité dans la situation qui est la sienne.
• Tutoiement qui traduit familiarité
• « le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers » : métaphore qui évoque les idées
des Lumières qui ont triomphé lors de la Révolution, l’Ancien Régime assimilé à une période
de long sommeil (dont la femme doit sortir !)
• « reconnais tes droits » : autre emploi de l’impératif. L’injonction faite aux femmes est
légitime. Le verbe « reconnait » suppose que ces droits existent et que la femme n’a plus qu’à
les prendre.
• Texte virulent dès les premières lignes : on est dans un pamphlet (texte court et virulent qui
s’attaque à une personne, une institution…)
• 3 propositions juxtaposées (parataxe) , phrase injonctive mais rythme posé.

• « Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de


superstition et de mensonges » : emploi de la négation avec adverbe « plus » qui montre que
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cette époque est révolue. L’énumération de ces termes péjoratifs souligne l’obscurantisme
dans lequel vivaient les hommes et marque l’importance de ce changement.

• « Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation » :


métaphore « flambeau de la vérité », référence directe aux Lumières qui viennent éclairer
l’homme pour le faire sortir de l’obscurantisme marqué par la métaphore « les nuages de la
sottise et de l’usurpation ». Donc antithèse entre ces deux métaphores.

• « L’homme esclave a multiplié́ ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses
fers. » : hyperbole ? « L’homme esclave »
« L’homme esclave », « briser ses fers », « Devenu libre » : la référence à l’esclavage est
importante et montre combien l’homme aussi était opprimé. Le rôle de la femme dans
l’accession de l’homme à la liberté a été primordial. L’expression « avoir besoin » montre
combien l’homme lui doit.
Importance des possessifs : · « ses », tiennes », « ses » qui cependant ne traduisent pas de
proximité, de rapprochement entre les 2 sexes.

• Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. » . Emploi du participe passé traduit
ici une action achevée : la liberté est gagnée pour l’homme. Le passé composé « est devenu »:
montre une action qui est encore actuelle dans le présent (renforcé par l’emploi de ce verbe
d’état).
« compagne » : étymologie : com/panis : insiste ici encore sur le rôle de la femme avec qui il
doit partager.

• « devenu libre » « devenu injuste » : parallélisme qui dévoile combien l’homme est ingrat et
égoïste puisqu’il n’a pas partagé son émancipation gagnée lors de la Révolution avec les
femmes. Cette dernière phrase apparait donc comme un acte d’accusation !

Cette ouverture se présente comme une incitation à l’action ; la femme doit être actrice de ce combat
puisque l’homme n’a rien fait pour elle !

MVT 2

• « Ô femmes ! femmes, quand cesserez- vous d’être aveugles ? » : Pour motiver les femmes à
être actrice de ce mouvement, Olympe de Gouges use de nombreux procédés oratoires :
double apostrophe, phrase exclamative, question oratoire. Répétition du mot « femme »
marque un certain désespoir… !! Gouges semble accuser les femmes de ne pas être dans
l’action.
• Emploi du pluriel (singulier dans le 1er mouvement): Gouges les encourage donc à une révolte
commune. Cet emploi du pluriel : jusqu’à la fin du texte.
• « Ô » : cette interjection apporte un ton emphatique, presque poétique (ou souligne son
désespoir ?!).
• « quand cesserez- vous d’être aveugles ? » : cette première (d’une longue liste !) question
oratoire renvoie à la première phrase, au sommeil et à la lumière portée par la Révolution.
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Cette question est provocatrice ! Gouges rend les femmes responsables de leur servitude. Par
la provocation elle veut les inciter à prendre conscience de leur « malheur ».

Le passage qui suit est construit comme un jeu de questions/réponses, un dialogue fictif entre
Gouges et les femmes.

• « Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ? Un mépris plus
marqué, un dédain plus signalé.» : Question oratoire qui traduit une certaine ironie avec
l’emploi du mot « avantage » connoté positivement.
Sa réponse se construit sur un parallélisme qui expose finalement un recul dans l’accès à
l’égalité, recul souligné par l’adverbe « plus » (superlatif) : « Un mépris plus marqué, un dédain
plus signalé ». L’utilisation d’une phrase nominale marque une réponse d’autant plus
cinglante.

• « Dans les siècles de corruption vous n’avez régné́ que sur la faiblesse des hommes. » : (La
périphrase « siècles de corruption » fait référence à l’Ancien Régime.)
Gouges est très violente avec les femmes qui apparaissent comme des reines « régné »,
« empire » (critique d’autant plus fortes que l’Ancien Régime n’est représenté que
péjorativement), elle les accuse de n’avoir su jouer que de séduction. La négation restrictive
« ne… que » met en avant cette accusation.

• « Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? la conviction des injustices de
l’homme. » :
Cette question rhétorique n’appelle qu’une seule réponse : « rien ! » L’emploi du présent
apparait ici comme un cruel constat et marque l’urgence d’agir.

• « La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ; qu’auriez-
vous à̀ redouter pour une si belle entreprise ? » : Cette nouvelle question rhétorique est une
invitation à réclamer ce que la nature leur a donné. La sagesse de la nature (ses sages décrets
donc ses sages lois) s’oppose à l’injustice de l’homme. C’est un argument d’autorité puisque
l’homme ne peut être supérieur à la nature.
Ici l’accusation semble s’adoucir. Gouges utilise des adjectifs positifs pour évoquer les droits
des femmes : »sages », « belles » et l’emploi de l’adverbe d’intensité « si » marque une
tonalité presque lyrique.
• « le bon mot du législateur des noces de Cana ? » : périphrase qui désigne les paroles du
Christ. + périphrase pour désigner Jésus, ainsi assimilé aux législateurs de l’Assemblée
Nationale. Ironie très marquée voire mépris du Christ.

• « Craignez-vous que nos législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps


accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent » :
Gouges souligne encore que le changement est là, la Révolution doit marquer une étape
nouvelle pour les femmes. Référence au temps avec adverbe « longtemps » et « plus de
saison » : marque une rupture entre l’avant et l’après Révolution.
« cette morale » fait référence à la morale religieuse et non laïque. La métaphore « accrochée
aux branches de la politique » la compare à une plante ou un animal.
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• « femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? » : rappelle la phrase de Jésus : «
Femme, que me veux-tu ? ». La Révolution n’a rien changé pour les femmes car les législateurs
de la Révolution se contentent de reprendre (« répètent ») ce qui se dit depuis les noces de
Cana. Oppression de la religion qui régissait l’Ancien Régime.

• « Tout, auriez-vous à̀ répondre ». : Cette réponse est faite à la dernière question oratoire «
femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? ». Elle est brève et cinglante ! l’adverbe
« tout » renforce l’idée que la femme ne doit pas avoir de limites dans les droits qu’elle
réclame. Le conditionnel a valeur de conseil, de souhait : « auriez » montre la réponse
suggérée, voulue par Gouges

Dans ce dialogue fictif, Gouges tente de détruire les réticences des femmes à regarder leur mauvais
sort en face, et les engage à lutter pour l’égalité.

MVT 3
Longue phrase complexe construite avec plusieurs juxtaposées.

• « S’ils s’obstinaient » : p. sub. Circ. D’hypothèse. Gouges imagine les obstacles que les
hommes pourraient opposer.

• « dans leur faiblesse » : homme présenté comme un être faible, presque irresponsable. De
nombreux expressions le désignent de manière péjorative : « faiblesse », « inconséquence »,
« vaines prétentions », « orgueilleux ». À l’inverse, la femme est évoquée avec un vocabulaire
mélioratif « courageusement », « force », « énergie ».

• Dans les propositions juxtaposées suivantes, Gouges appelle à l’action avec l’emploi des
impératifs « opposez » « réunissez-vous » « déployez »

• A l’obscurantisme, Gouges oppose l’esprit des Lumières : champ lexical de la sagesse et de la


raison est du côté des femmes: « force de la raison », « étendards de la philosophie » (rappel
de l’étymologie du mot : amour/raison). Le combat se gagne donc en utilisant une arme :
l’intelligence !!!

• L’emploi du futur avec « vous verrez » pour souligner une certitude que l’adverbe « bientôt »
vient renforcer. Message d’espoir, Gouges annonce une ère nouvelle dans laquelle hommes
(encore une fois bien humilié « servile », « rampants » ) et femmes vivraient en harmonie :
« fiers de partager »

• « les trésors de l’Être suprême. » Référence à l’Être Suprême une fois de plus (rappeler qu’il
est assimilé à la nature)

• « Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir
; vous n’avez qu’à̀ le vouloir ».
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P. sub de concession/opposition (à revoir :/) dans laquelle Gouges montre la contradiction


(des barrières mais oui on peut les faire tomber !)
Les verbes « vouloir » et « pouvoir » se font écho : si les femmes le veulent, elles peuvent !
Une fois de plus, Gouges ne les place pas comme victimes mais presque comme des accusées !
La négation « ne…que » le souligne.

CONCLUSION
Dans ce texte Gouges engage les femmes à se soulever et à briser les chaînes qui les enferment dans
leur condition d’êtres subalternes. La femme doit être actrice de son avenir et vaincre cette résistance
intérieure pour s’émanciper et obtenir l’égalité.
Ouverture : Les textes de Gouges ont souvent une tonalité didactique. L’éducation est en effet en
enjeu important dans ce siècle des Lumières puisqu’elle permet de développer une connaissance du
monde et fait de l’homme un individu éclairé.
• Rousseau, Émile ou De l’Éducation (1762) (très moderne à l’époque car : épanouissement libre
et naturelle de l’enfant, pas très moderne : classe sociale élevée, les hommes…)
• Condorcet proche de Gouges (et bien plus progressiste que Rousseau… !) dans Cinq Mémoires
sur l’instruction publique (1791), s’engagera pour l’instruction des femmes.

Distribuer cet extrait de Cinq Mémoires sur l’instruction publique (1791)

VI. Il est nécessaire que les femmes partagent l'instruction donnée aux hommes.

1 ̊ Pour qu'elles puissent surveiller celle de leurs enfants.

L'instruction publique, pour être digne de ce nom, doit s'étendre à la généralité́ des citoyens, et il est
impossible que les enfants en profitent, si, bornés aux leçons qu'ils reçoivent d'un maître commun, ils
n'ont pas un instituteur domestique qui puisse veiller sur leurs études dans l'intervalle des leçons, les
préparer à les recevoir, leur en faciliter l'intelligence, suppléer enfin à ce qu'un moment d'absence ou
de dis- traction a pu leur faire perdre. Or, de qui les enfants des citoyens pauvres pourraient-ils
recevoir ces secours, si ce n'est de leurs mères, qui, vouées aux soins de leur famille, ou livrées à des
travaux sédentaires, semblent appelées à remplir ce devoir ; tandis que les travaux des hommes, qui,
presque toujours, les occupent au dehors, ne leur per- mettraient pas de s'y consacrer ? Il serait donc
impossible d'établir dans l'instruction cette égalité́ nécessaire au maintien des droits des hommes, et
sans laquelle on ne pourrait même y employer légitimement ni les revenus des propriétés nationales,
ni une partie du produit des contributions politiques, si, en faisant parcourir aux femmes au moins
les premiers degrés de l'instruction commune, on ne les mettait en état de surveiller celle de leurs
enfants.

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