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Objet d'étude : La poésie du XIX au XXIe siècle

« À une passante », Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, « Tableaux parisiens », XCIII 1861.

À une passante

1 La rue assourdissante autour de moi hurlait.


Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

5 Agile et noble, avec sa jambe de statue.


Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté


10
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! Trop tard ! Jamais peut-être !


Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, « Tableaux parisiens »,


XCIII 1861.

Introduction du commentaire composé.

En 1857 Baudelaire publie pour la première fois, Les Fleurs du Mal. A cette époque, Paris
connait de profonds changements initiés par le Baron Haussman. La ville se transforme sous le
regard du poète et c’est dans ce contexte qu’une nouvelle édition des Fleurs du Mal, remaniée
après le procès, est publiée en 1861. Baudelaire ajoute à son recueil une section, « Tableaux
Parisiens », et y évoque dans un Paris en pleine mutation, des êtres marginaux évoluant dans un
espace urbain bouillonnant. Dans ce sonnet Baudelaire se remémore sa rencontre avec une belle
jeune femme dans les rues de la capitale. Nous nous demanderons dès lors comment ce rendez-
vous manqué incarne à la fois la recherche de l’idéal baudelairien et la victoire du spleen. Nous
verrons dans un premier temps que cette passante révèle l’idéal, puis dans un second temps, nous
montrerons que cette rencontre conduit le poète vers un spleen inévitable.

ANALYSE LINÉAIRE.
Piste de lecture : Comment Baudelaire renouvelle-t-il le topos de la rencontre amoureuse ?
Comment cette rencontre traduit-elle l’idéal baudelairien ?
Mouvements :
1e strophe : L’apparition de la passante
2e strophe : La fascination/Les émotions du poète
3e et 4e strophes : La chute : l’expression du désespoir ou Un amour impossible.

Correction de l’analyse linéaire (réalisée à partir de la page internet suivante) :


Objet d'étude : La poésie du XIX au XXIe siècle

https://jpeuxpasjaibacdefrancais.wordpress.com/2020/11/05/explication-lineaire-n4-a-une-
passante-charles-baudelaire/

MOUVEMENT 1 : L’apparition de la passante (v 1 à 5)


• Nous pouvons constater que le premier vers n’est pas consacré à la description de la
passante mais à Paris. Cet alexandrin se caractérise par une allitération en r et en s :
« « La rue assourdissante autour de moi hurlait » qui rend audible le bruit de la ville.
• La personnification permise par le verbe de parole « hurlait » peint une rue bruyante,
hostile. Ces sonorités peuvent également annoncer l’arrivée fracassante de la femme
et le futur coup de foudre. Baudelaire fait le choix de l’originalité en la faisant
apparaître au milieu du brouhaha et de l’effervescence parisienne.
• Pourtant, elle semble arrêter le temps comme le suggère l’énumération du vers 2 :
« Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, »
• Les adjectifs qualificatifs qui la désignent mettent en évidence sa grâce : « longue,
mince ».
• L’oxymore : « douleur majestueuse » révèle que Baudelaire est attiré par cette femme
par, ce que ce qui émane d’elle, ce mélange de beauté et de souffrance, fait écho aux
deux sentiments qui l’animent : le spleen et l’idéal.
• Le vers 2 retarde l’arrivée de la passante puisque le verbe de mouvement : « passa » et
le sujet : « Une femme » ne figurent que dans le vers qui suit. Il y a, ainsi, un effet
d’attente. Le lecteur, comme le poète, aperçoit, d’abord, une silhouette qui se précise
petit à petit. Effectivement, la description de la passante épouse le regard du poète qui
l’observe de loin et va, par la suite, la contempler de près.
• L’hyperbole : « d’une main fastueuse » (v 3) appartient au champ lexical de la noblesse
qu’il est possible de noter dans le sonnet : « majestueuse » (v 2), « fastueuse » (v 3),
« noble (v 5). Son élégance est notable dans le vers 4 : « Soulevant, balançant le feston
et l’ourlet ». La toilette de la passante paraît danser, impression renforcée par le
rythme du vers puisqu’il est construit sur quatre temps de trois syllabes : « Soulevant
(3) / Balançant (3) / le feston (3) et l’ourlet («3) ».
• L’allitération en s : « soulevant /balançant / feston » accentue plus encore cette
dimension musicale en mimant le froissement du tissu. La phrase qui décrit la passante
occupe quatre vers et se termine dans le vers 5 où la métaphore : « avec sa jambe de
statue » suggère que sa beauté est si parfaite qu’elle est l’œuvre d’un sculpteur.

MOUVEMENT 2 : La fascination du poète (v 6 à 8)


• Le poète intervient au vers 6 grâce au pronom personnel : « Moi », isolé par la virgule, au
début du vers.
• L’adjectif « crispé » rend compte de sa paralysie, de son trouble intense. Il s’oppose à la
comparaison : « comme un extravagant » créant une antiphrase.
• Métaphore de l’œil : « Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan ». Chez la passante, des
forces contradictoires cohabitent : la douceur et la violence. D’apparence calme, cette
femme peut également représenter un danger. L’adjectif livide peut également renvoyer à
la froideur de cette femme.
• Cette opposition se poursuit dans le vers suivant, construit sur un parallélisme et une
antithèse : « La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. ». Le côté ambivalent de cette
femme est ainsi souligné. Ici on retrouve les deux visions baudelairiennes de la femme qui
tend à la fois vers l’idéal mais aussi vers la douleur.

MOUVEMENT 3 : Un amour impossible (v 9 à 14)


Objet d'étude : La poésie du XIX au XXIe siècle

• Cette rencontre est à l’origine d’un coup de foudre, l’espoir d’un idéal pour le poète et
nous le distinguons dans le vers 9 via le substantif : « Un éclair ».
• Cependant, il laisse rapidement place à l’obscurité, au spleen. Les points de suspension
marquent une ellipse temporelle : « Un éclair … puis la nuit ! » et montrent que le départ
de la femme plonge le poète dans le désespoir.
• Ces points de suspension témoignent aussi de la fugacité de la rencontre qui n’a duré que
quelques instants.
• L’adjectif qualificatif : « Fugitive beauté » (v 8) n’est d’ailleurs pas choisi au hasard puisqu’il
exprime cette rapidité.
• Effectivement, le contre rejet : « Fugitive beauté / Dont le regard m’a fait soudainement
renaître » accentue la fuite de la passante.
• Elle incarne, cependant, un idéal amoureux pour le poète qui utilise le verbe : « renaître »
(v 10) afin de rendre compte de cette deuxième naissance offerte par la femme.
• Toutefois, la phrase interro-négative : « ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? » (v 11)
nous indique que les retrouvailles avec la passante ne peuvent être envisagées que dans la
mort.
• Baudelaire montre que l’amour est impossible dans cette ville bruyante et hostile. La
gradation et la ponctuation expressive du vers 12 : « Ailleurs, bien loin d’ici ! Trop tard !
Jamais peut-être ! » insistent plus encore sur l’improbabilité de cet amour.
• L’énumération d’adverbes sous-entend parfaitement l’idée de fatalité. « Ailleurs », en
premier lieu, laisse imaginer une autre rencontre. « Bien loin » éloigne les chances de
revoir la passante. « Trop tard » et « jamais peut-être » révèlent la fatalité de cet amour.
• En outre, le chiasme du vers 13 grâce à la double négation : lexicale (« ignore ») et totale
(« ne sais ») : « Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais » montre que les destinations du
poète et de la passante ne sont pas les mêmes et que les chances de se croiser à nouveau
sont inexistantes.
• Le poème s’achève par une concetto (dernier vers dans un sonnet qui constitue une chute)
et l’utilisation du verbe aimer au subjonctif plus-que parfait, mode du possible: « ô toi que
j’eusse aimée » qui traduit le fait que Baudelaire aurait pu aimer cette femme mais que cet
amour est voué à l’échec.

Conclusion
Cette rencontre originale est source d’un espoir d’idéal mais la ville rend impossible ce rendez-
vous amoureux. La femme apparait ainsi comme une allégorie de l’idéal, mais cet absolu est
impossible à atteindre.
Le poète se retrouve donc confronté à sa solitude, en proie au spleen car cette rencontre n’aura
jamais lieu.

Ouverture :
Apollinaire dans « Sous le Pont Mirabeau » présente une métaphore lyrique sur la fuite du temps
et de l’amour.
La femme dans les Fleurs du Mal est source fait tendre le poète vers l’idéal ou vers le spleen. Dans
« L’invitation au voyage », Baudelaire imagine un voyage idéal loin de la ville. Mais ce voyage reste
hypothétique.
Objet d'étude : La poésie du XIX au XXIe siècle

Le Pont Mirabeau L'amour s'en va comme cette eau courante


L'amour s'en va
Sous le pont Mirabeau coule la Seine Comme la vie est lente
Et nos amours Et comme l'Espérance est violente
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Les mains dans les mains restons face à face Ni les amours reviennent
Tandis que sous Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure Apollinaire, Alcools (1912)

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