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Contextualisation :
Unité du passage :
• thématique : le titre place d’emblée le poème dans une thématique qui se poursuit sur
trois poèmes et qui était déjà en germe dans « Zone » (vers 34, 65-66, 69, 77-78, etc,) et
qui s'oppose dès le premier poème à la thématique de l'eau, très présente également.
• forme choisie : homogénéité de la forme : cinq quintils => mise en valeur de l'impair +
mélange avec le nombre pair à travers les octosyllabes // alternance régulière des rimes
plates => facture plutôt classique.
Titre :
– 1er titre choisi = « Le Pyrée » => connotation mythologique et sacrée : Pyrée =
« Lieu, autel, petit temple où les prêtres mazdéens (religion fondée par Zoroastre en Perse)
entretenaient un feu sacré »
– titre retenu : « Le Brasier » => moins directement religieux mais connotation sacrée
quand même surtout chez les mystiques.
=> sens figuré : le brasier de l'amour et des passions car il s'agit au sens propre
d'un feu de charbons ardents (famille de ardeur > ardere = brûler en latin)
Dédicace :
Paul Napoléon Roinard est un peintre et poète de la génération symboliste ; il avait invité
Apollinaire en 19O8 à faire une conférence sur la "Phalange nouvelle" des jeunes poètes
=> passage de relais de l'ancienne à la nouvelle génération ?
3e strophe : la plainte amorcée par le végétal rappelle au poète (ou bien était-ce
l'inverse ?) sa propre douleur => strophe à tonalité élégiaque à
travers l'expression d'une mélancolie douloureuse.
– vers 11 : phrase de type interrogatif assez énigmatique, qui prend néanmoins sens
par référence au vers 4 => thématique du deuil sans qu'on sache s'il s'agit d'un
deuil suite à des décès ou des ruptures amoureuses
– l'association du verbe avoir avec un COD qui renvoie aux « têtes » met en valeur le
désir de possession inhérent à l'amour, au moins dans sa dimension passionnelle
– vers 12 : anaphore du pronom interrogatif qui insiste sur la localisation alors que la
question porte avant tout sur le temps qui passe. Cette deuxième question peut être
considérée comme rhétorique puisque chacun sait que la jeunesse, une fois
passée, ne peut revenir
– associer une divinité à la jeunesse donne de l'importance à cette période révolue
mais pose peut-être aussi la question de savoir si cette importance est justifiée
autrement que dans notre souvenir.
– vers 13 : reprise du verbe « devenir » (vers 7) mais passage du futur au passé
composé => confirme la tonalité mélancolique, c'est-à-dire tournée vers le passé
– antithèse entre le début et la fin du vers : « amour » / « mauvais » qui explique en
termes simples la nécessité de la purification.
– vers 14 : phrase injonctive qui confirme la nécessité précédente et explicite le titre,
lui-même mis en valeur par la perturbation de l'ordre des mots (CCL en début de
proposition)
– motif de la renaissance dans le feu (qui reprend celui du Phénix dans « Zone »)
mais exploité de manière étonnante puisque ici c'est le feu lui-même qui renaît à
partir de lui-même => reprend le vers 2 dans le sens où le feu est aussi à l'intérieur
du poète
– + la paronymie déjà évoquée au vers 5 montre peut-être que c'est en partie au
moins, des amours malheureuses qu'il faut se purifier.
– vers 15 : motif du soleil qui rappelle le dernier vers énigmatique de « Zone », et qui
renvoie évidemment au feu et aux « étoiles » du vers 6.
– après les nombreuses évocations corporelles, la purification concerne aussi la
partie évanescente quoique éternelle de la personne. La métaphore du
déshabillement reprend le thème de la purification en mode mineur, plus doux. Il y
a donc déjà une élévation.
4e strophe : La purification prend une tonalité sacrificielle qui lui donne sa pleine et
entière valeur. Contraste avec la fin de la strophe précédente : âme / corps.
– vers 16:répétition des « flammes » qui désormais sont végétalisées, ce qui permet
de mieux comprendre la plainte du vers 10.
– paysagé évoqué qui présente de manière visuelle la tension douloureuse qui anime
le poète entre l'horizontalité de la plaine (l'aspect terrestre, matériel de la vie) et la
verticalité ascensionnelle des flammes (aspect céleste, spirituel de l'existence).
– vers 17 : l'utilisation du déterminant possessif est ambigu : implique-t-il le lecteur ou
les femmes perdues ?
– la métaphore qui associe le cœur a des citrons évoque à la fois l'acidité
désagréable et la fructification, donc la capacité à engendrer une nouvelle vie =>
toujours une tension entre la douleur physique et émotionnelle et son dépassement
dans la création poétique
N.B. Les citronniers étaient déjà évoqués dans « Zone »
– le choix du verbe « pendent » renvoie à la fois à la pesanteur terrestre et au champ
lexical de la mort qui va se poursuivre dans les vers suivants.
– vers 18 : violence de l'image qui évoque la barbarie des païens, la guerre et le
sacrifice + variation sur « les têtes de mort » du vers 4 avec une nuance de
meurtre.
=> sparagmos : sparagma, atos, n : action de déchirer, mise en lambeaux, fait
d'être déchiré, fragment, morceau = rite dionysiaque (sur un animal, ensuite
mangé) + légende d'Orphée + rites chamaniques ancestraux => plongée au cœur
de l'inconscient collectif ?
Orphée = poète mythique de Thrace, fils de la muse Calliope, il savait par les accents de sa
lyre charmer les animaux sauvages et parvenait à émouvoir les êtres inanimés. Musicien
génial, poète fondateur, inventeur de la lyre à 7 cordes, héros actif (expédition des
Argonautes)... Orphée est une figure éminemment positive, dont le destin est d'autant plus
tragique : sa femme, Eurydice, lors de leur mariage, fut mordue au mollet par un serpent.
Elle mourut et descendit au royaume des Enfers. Orphée put, après avoir endormi de sa
musique magique Cerbère le monstrueux chien à trois têtes qui en gardait l'entrée, et les
terribles Euménides, approcher le dieu Hadès. Il parvint, grâce à sa musique, à le faire
fléchir, et celui-ci le laissa repartir avec sa bien-aimée à une condition : elle le suivrait et 'il
ne devrait ni se retourner ni lui parler tant qu'ils ne seraient pas revenus tous deux dans le
monde des vivants. Mais au moment de sortir des Enfers, Orphée, inquiet de son silence,
ne put s'empêcher de se retourner vers Eurydice et celle-ci lui fut retirée définitivement.
Orphée se montra par la suite inconsolable. Les Bacchantes ou Ménades (prêtresses de
Dionysos) en éprouvèrent un vif dépit et le déchiquetèrent. Sa tête, jetée dans le fleuve
Hébros, vint se déposer, tout en continuant à se lamenter, sur les rivages de l'île de
Lesbos, terre de la Poésie. Les Muses, éplorées, recueillirent les membres pour les
enterrer au pied du mont Olympe, à Leibèthres.
Conclusion :
– D'après Apollinaire, ce poème est l'un de ses meilleurs avec « Les Fiançailles ».
– Un poème pivot dans le trajet du poète qui part de Zone jusqu'à Vendémiaire, c'est-
à-dire qui s'achemine dans une quête douloureuse au début mais qui aboutit à une
extase poétique indéniable. Dans ce trajet, « Le Brasier » représente l'étape de la
calcination, c'est-à-dire l'élimination par le feu de toutes ses passions et pulsions.
– Mélange de sacrifice christique et de rituel sacrificiel païen.
– Légende du phénix, oiseau fabuleux, doué d'une longévité exceptionnelle puisqu'il
a le pouvoir de renaître après s'être consumé sous l'effet de sa propre chaleur. Il
symbolise donc le cycle de la mort et de la résurrection. Chez les Chrétiens, cet
oiseau mythique évoque bien sûr la figure du Christ, mais également le feu créateur
et destructeur qui en consumant, purifie et permet la régénération.