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LES OBSEQUES DE LA LIONNE - La Fontaine

 INTRO :

La tradition de la fable est née avec Esope dans la Grèce antique, puis Phèdre, Latin
de la Rome antique, mais elle reste un genre mineur. C’est Jean de la Fontaine qui, au
17ème siècle, lui confère une place majeure en l’associant au genre poétique. A travers
chacune de ses fables, L.F , qui fréquente les Grands, réfléchit au pouvoir, à la Cour,
aux travers des hommes et aux rapports sociaux.

La fables « Les obsèques de la lionne » appartient au second recueil des Fables de la


Fontaine, publiée en 1678.
Dans cet apologue audacieux, L.F mêle récit de fiction mettant en scène des animaux
et commentaires critiques, suivant la double visée : instruire et plaire.

Les Obs. de la Lionne = longue fable en 4 mouvements :


- Vers 1 à 16 : une situation : mort de la reine et affliction gnrle lors des obs.
- Vers 17 à 23 : discours du fabuliste : définition de la Cour
- Vers 24 à 51 : le cas du cerf
- Vers 52 à 55 : morale sur l’habilité des courtisans

 PROJET de LECTURE : comment est menée la satire du courtisan flatteur ?


Découpage pour explication à l’oral : soit 17 à 43, soit 33 à 55

 EXPLICATION :

 Du vers 17 au vers 23 : discours du fabuliste / définition de la cour


(en alexandrins = 12 syllabes) (précédemment octosyllabes)

 Prise de position du fabuliste :


- Dès le début est posée la fonction explicative du narrateur « je définis la cour un
pays où les gens » - emploi du présent de vérité générale
- « un pays où » marque une posture distanciée, un éloignement, un regard
surplombant / ce qui suppose qu’il n’en fait pas partie
- Le « pays » suppose un tout, un monde clos sur lui-même, avec ses codes :
désigne la cour comme un microcosme
- La caractéristique majeure des gens de cour est l’absence d’identité fixe
- Accumulations d’antithèses :
 « tristes » / « gais »
 « prêts à tout », « à tout indifférents » => opposition soulignée par le chiasme
(figure de rhétorique consistant à inverser deux groupes de mots » /
disposition en ordre inverse de deux phrases syntaxiquement identiques,
formant une antithèse ou constituant un parallèle)
 être / « paraître » : double opposition en début et fin de vers entre « sont » et
« paraître » + rime entre les deux verbes qui se moulent sur les désirs du
Prince : « sont ce qu’il plaît au Prince » . Il s’agit avant tout ce plaire = servilité
du courtisan
 Rectification : « ou s’ils ne peuvent » « tâchent au moins » permet de
souligner leur adaptabilité et leurs stratégies => « tâchent de » suppose un
travail pour dissimuler et faire semblant.
 Cette idée de plasticité, de mouvance du courtisan est mimée par trois
enjambements : vers 17-18, 18-19, 19-20. Les courtisans semblent échapper à
une identité fixe, ils ne sont qu’une image miroitante
 Idée de fluctuation rassemblée dans deux métaphores lancées par l’anaphore
« peuple » (répétition d’un mot en tête de plusieurs pour obtenir un effet de
renforcement ou de symétrie) : image du « caméléon », animal dont la
couleur change en fonction de son environnement pour mieux s’y dissimuler
+ image du singe
 L’animalisation des courtisans porte une charge dépréciative très forte. Ce qui
était apparemment une fonction explicative « je définis la cour », devient une
fonction modalisante (le sujet a une attitude qui permet de déterminer le
sujet qu’il énonce) et porte une dénonciation sévère
 L. F poursuit avec une image de l’imitation et de la duplication et fait de la
cour qqch de monstrueux : « un esprit » (celui du roi), « mille corps » (les
courtisans comme une hydre)
 Il clôt sa définition par « c’est bien là » et le rappel de « les gens » provoque
un effet de boucle, de chute, par la réification 
 « simples ressorts » parle d’humains réduits à une mécanique (animaux-
machines de Descartes). Chaque courtisan est un élément d’un système.

 Du vers 24 au vers 51 :


- le vers 24 assure la liaison avec la narration initiale, après la digression du
discours « revenir à notre affaire », implication du lecteur par « notre »
- Le fabuliste isole un cas, celui du cerf, qui détonne et se place en opposition
avec l’affliction générale décrite au début de la fable « ne pleura point » repris
par « bref, il ne pleura point »
- L.F apporte une raison : « le vengeait »
- Justification issue de son histoire personnelle : « Jadis » « étranglé sa femme et
son fils » => violence et souffrance ; l’enjambement souligne la cruauté mais L.F
passe rapidement « Bref » => rappelle l’impératif de rythme et de l’art de
l’essentiel de l’apologue (petit récit visant essentiellement à illustrer une leçon
morale)
- Le fabuliste semble porter un jugement qui disculpe le cerf par l’interrogation
« comment eut-il pu faire ? »
Implication implicite du lecteur
- Enchaînement de 4 paroles : celles du flatteur, du roi, du cerf, paroles
enchâssées de la reine qui créent une dramatisation de l’histoire

 Dénonciation du cerf auprès du roi par un flatteur (anonyme dans la fable)


Les paroles du flatteur sont rapportées au discours narrativisé « alla dire » et
au discours indirect « soutint qu’il »
Peut-être un mensonge « rire » (« ne pleura point » n’équivaut pas à « rire »)
Insistance sur la gravité de l’acte du cerf => « rire » devient un affront dans
ces circonstances
L’intention du flatteur n’est pas explicitée : il s’agit de nuire au cerf, et/ou
surtout, de se faire bien voir du roi.

Fonction explicative : le narrateur met en perspective cette scène dans un


cadre culturel par référence au roi Salomon, célèbre par son sens de la
justice ; manière de légitimer la décision du lion et de justifier la stratégie
argumentative du cerf par son ignorance : « n’avait pas accoutumé de lire »
veut dire « ne connaît pas Salomon »

 Parole punitive du lion : sa parole a presque une valeur performative (dire


revient à un acte = utiliser un verbe ou un mot qui par son énonciation,
exécute l’action qu’il exprime. Ex « Je te pardonne ») car c’est une mise à
mort
Discours direct « lui dit »
L’apostrophe « Chétif hôte des bois » lui rappelle sa place d’inférieur par
rapport au lion, sa petitesse « chétif » et son éloignement de la cour « hôte
des bois »
Il y a une riche dimension symbolique, ambivalente, du motif du cerf, dans
l’histoire culturelle : présent dans les mythes celtes et indiens, monture des
saints dans la religion chrétienne et musulmane, passeur associé au Christ au
17ème , symbole d’innocence et de martyre, associé au pouvoir royal, désigne
la force, ici en opposition à la noblesse représentée par le roi
Le lion lui rappelle ses griefs « tu ris » « tu ne suis pas ces gémissantes voix »
Le cerf se distingue par son attitude.
Il y a donc formulation d’une punition : il sera mis à mort.
Pas de procès, seulement un jugement : pose une sentence.
Le roi se refuse à s’abaisser pour mettre à mort ce « profane » : opposition
en chiasme (figure de rhétorique visant à inverser deux groupes de mots :
blanc bonnet et bonnet blanc) : « membres profanes » et « sacrés ongles »
=> « ongles » rappelle l’anthropomorphisation des animaux de la fable
Il fait appel à ceux qui le servent « loups » => représentent la violence avec
différents impératifs « Venez » « Vengez » « Immolez »
Le cerf est identifié comme un « traître »

 Défense du cerf par un mensonge


Il va justifier son attitude et son rire : « est passé » « superflue »
Hypocrisie : « digne » et flatterie
Se présente comme un visionnaire : le temps de la désolation est révolu
Il décrit sa vision par une prosopopée (on fait parler et agir une personne que
l’on évoque) comme une apparition biblique « m’est apparue » « couchée
entre des fleurs » et restitue son dialogue avec la reine : passage à
l’octosyllabe
Restitution en discours enchâssé du propos de la reine « m’a-t-elle dit »
souligne sa proximité et sa bienveillance à son égard, par le terme « ami ».
C’est sur ordre de la reine qu’il ne pleure pas => présence d’impératifs
« garde » « ne t’oblige à des larmes »
Dimension lyrique :
« Champs Elyséens » « mille charmes » « saints comme moi » « plaisir »
montrent un état heureux de la reine
Il y a des allitérations en « m » et des assonances « a » (répétition des
consonnes/voyelles dans une suite de mots rapprochés)

Le cerf devient courtisan (même s’il ne vit pas à la cour mais au fond des bois)
Être courtisan est un état d’esprit
Ce mensonge va renverser la situation : « à peine…que » et « la chose »
désignent le récit du cerf, en montrent le pouvoir
« On se mit à crier » => pronom indéfini qui désigne le groupe anonyme,
toutes les voix s’élèvent « miracle, apothéose »
Dimension mystique « apparue » « Champs Elyséens » « Saints comme moi »
« miracle, apothéose »
La chute de l’histoire est menée sans détail : retournement total de la
situation « bien loin de » « cadeau » s’opposent à la mise à mort promise au
début : dénouement inattendu

Morale en 4 vers : système hypothétique, causes et conséquences « amusez,


flattez, payez » / « ils goberont »
Décrit des techniques flatteuses des courtisans, (mensonges, flatteries) et leur
efficacité « goberont la part » => terme péjoratif
Mais la naïveté du roi est nuancée car le fabuliste prend la précaution de
montrer la force de résistance du souverain : « quelque indignation dans leur
cœur soit rempli », c’est la force du discours flatteur, l’efficacité redoutable de
la flatterie bien menée qui permet le triomphe : celle de cerf plus habile
surpasse celle du flatteur délétère du vers 28
« Vous serez leur ami » est la conséquence ultime introduite en parataxe
(juxtaposition de propositions sans mot de liaison) = « et vous serez leur
ami » : point culminant de la fable et aboutissement de la stratégie du
courtisan
L.F montre le chemin utilisé par les courtisans pour gagner sécurité et
protection
Le fabuliste dévoile les mécanismes de la Cour, ne préconise pas la voie
retenue par le cerf mais en analyse le fonctionnement
Morale implicite : au souverain de se garder des discours flatteurs ?

 CONCLUSION :

- Art de la fable :
*entremêle, comme dans tout apologue, narration et visée didactique : discours
(narration, déroulement d’une scénette, discours à deux reprises du fabuliste) 
*introduit variété discours narrativisé, indirect, direct, pour rendre dynamique et
vivant l’apologue
- L.F se fait témoin, observateur de la Cour ; il apporte dans cette fable un visage
du courtisan efficace et habile ; il montre dans les fables différents types de
courtisans : celui qui malhabile, en fait trop « flatteur excessif » et échoue, et
celui qui sait mettre à propos silence ou mensonge, comme dans La Cour du Lion
- Écho chez L.B qui présente l’image du caméléon de la Cour « couleurs
changeantes » et s’interroge « qui peut définir la Cour ? »

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