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Lecture linéaire n°5 : Épitre aux femmes - Constance Pipelet

Constance Pipelet (Constance de Théis) est née en 1767 à Nantes et est morte en 1845 à Paris. Elle
était noble. Elle est poète et femme de lettres française de bonne éducation. Elle se fait connaître à
18 ans par ses poèmes et est alors appelée la « Boileau des femmes » car elle fait une satire des
hommes. Cet épitre aux femmes est une réponse à Écouchard, qui incitait les femmes de lettres à
rester dans l’ombre. Elle utilise la forme de l’épitre (lettre qui est publiée), genre utilisé par les
hommes, pour lui répondre, ce qui est provocateur. Cette lettre contient des remarques satiriques sur
le comportement des hommes.
• Vers 1 à 8 → Constance Pipelet fait parler le Sage
• Vers 9 à 20 → la réponse de l’autrice au Sage et, à travers lui, aux hommes
• Vers 21 à 24 → l’autrice attaque les arguments des hommes, qu’elle trouve illégitimes
Comme Constance Pipelet, dans cet extrait de l’épitre aux femmes, réclame-t-elle la liberté
d’expression de celles-ci ainsi que la possibilité des faire carrière dans les lettres ?

• Constance Pipelet fait parler le Sage

➢ « Écoutons cependant ce que nous dit le sage : »


On sent dès le début l’ironie de CP car en introduisant un personnage nommé sage, on s’attend à ce
que l’argumentation qui suit soit imparable (sage étymologie latine : celui qui sait). Elle met en
place un dialogue fictif dans lequel elle va répondre à des critiques imaginaires, elle les devance.
C’est un discours efficace. En utilisant un présent de l’impératif, CP montre une certaine supériorité
des femmes. L’emploi de l’adverbe « cependant » laisse entendre que quelque chose précède, qui
est certainement l’opposition, l’autre point de vue.
➢ « Femmes, est-ce bien vous qui parlez d’esclavage ? »
Le sage apostrophe ici toutes les femmes, comme on peut le voir par le pluriel du nom “femme”. Le
sage pose cette question rhétorique comme si cela était une aberration et crée ici un renversement
qui est inhabituel, il place l’homme en victime d’un tyran : la femme.
➢ « Vous, dont le seul regard peut nous subjuguer tous,
Vous, qui nous enchaînez tremblants à vos genoux !
Vos attraits, vos pleurs fins, vos perfides caresses,
Ne suffisent-ils pas à vous rendre maîtresses ? »
Dans ces 4 vers, le sage reproche aux femmes d’utiliser leurs charmes pour obtenir ce qu’elles
veulent. On observe une gradation : « Vos attraits, vos pleurs fins, vos perfides caresses », ainsi
qu’une anaphore. Les femmes sont accusées d’être sournoises. Le sage a recours à une hyperbole -
un seul regard peut provoquer l’esclavage – qui contient une antithèse, opposant seul et tous. Il
dresse le portrait de l’homme, inférieur à la femme, tremblant, misérable. Le 6 e vers contient une
interro-négative rhétorique. On réduit ici la femme à sa séduction, or, CP le fait en maîtrisant l’art
poétique.
➢ « Eh ! Qu’avez-vous besoin de moyens superflus ?
Vous nous tyrannisez ; que vous faut-il de plus ? »
Le vers 7 commence par une interjection, traduisant l’agacement du sage. Il désigne ensuite la
liberté d’expression comme un moyen superflu, ce qui est ironique car elle est bien plus importante
que la séduction. La fonction syntaxique du vers 8 est très importante. En effet, vous, qui désigne la
femme y est sujet et nous, qui désigne l’homme y est complément d’objet. Ainsi, dans la bouche de
l’homme, la femme est dominante et l’homme dominé. La coupe à l’hémistiche met en valeur
« tyrannisez ».
CP coupe le sage pour montrer que son argumentation est pauvre et qu’il ne peut donc par la tenir.
Elle réduit ainsi à néant la position adverse en nous la faisant entendre. C’est un tour de force : elle
décrédibilise l’argumentation adverse pou ensuite répondre à cet homme et faire entendre la voix
des femmes.
• La réponse de l’autrice au Sage et, à travers lui, aux hommes

➢ « Ce qu’il nous faut de plus ? Un pouvoir légitime.


La ruse est le recours d’un être qu’on opprime. »
On observe la construction du dialogue au vers 9 : CP reprend le vers précédent. En parlant de
« pouvoir légitime », CP entend un pouvoir encadré par la loi, elle veut des droits. Sa réponse est
lapidaire : en un hémistiche, elle dit tout. Dans le vers 10, elle explique que la ruse des femmes est
la conséquence de l’attitude des hommes. Alors qu’ODG condamne cette ruse, CP la justifie. Ce
vers est au présent de vérité générale, c’est presque une maxime. En utilisant « être qu’on opprime »
et en ne disant pas femme, CP porte la voix de tous les opprimés. Elle présente la ruse comme le
seul levier de la femme. Elle fait ainsi d’une pierre deux coups.
➢ « Cessez de nous forcer à ces indignes soins ;
Laissez-nous plus de droits, et vous en perdrez moins. »
CP utilise dans ces deux vers un présent de l’impératif. Elle explique que la femme ne mérite pas de
s’abaisser à ces attraits et à la ruse. Le vers 12 contient une antithèse entre « plus » et « moins ». CP
rassure l’homme, en disant que si il lui donne des droits, elle ne lui en retirera pas et que la femme
ne veut pas être supérieure à l’homme mais son égale. Elle déduit que l’homme à peur de la femme
car sinon il lui laisserait les mêmes droits.
➢ « Oui, sans doute, à nos pieds notre fierté vous brave,
Un tyran qu’on soumet doit devenir esclave. »
Le vers 13 a une tonalité ironique. CP parle de la condition féminine dans son intégralité et comme
un groupe comme on peut le voir aux adjectifs possessifs « nos » et « notre ». Le vers 14 est une
référence à la dialectique du maître et de l’esclave d’Hegel, issue de la Phénoménologie de l’Esprit,
dans laquelle il explique que l’esclave accède à l’objet en travaillant tandis que le maître est passif.
Ce conflit entre 2 hommes est inhérent à la condition humaine car il y en a toujours un qui domine.
➢ « Mais ce cruel moyen de nous venger, hélas !
Nous coûte bien des pleurs que vous ne voyez pas. »
« que vous ne voyez pas » complète « pleurs », c’est une proposition subordonnée complétive. Le
fait que l’homme se fasse passer pour une victime fait souffrir la femme.
➢ « Il est temps que la paix, enfin, nous soit offerte,
De l’étude, des arts, la carrière est ouverte, »
Le début du vers 17 marque un tournant dans le texte et permet de rassembler ses idées pour revenir
au sujet principal. En employant le mot paix, CP sous-entend qu’une guerre existe entre les hommes
et les femmes. Cette guerre ne devrait pas exister car ils viennent tous deux de la nature. Dans le 18 e
vers, CP fait une antéposition du complément du nom par rapport au sujet, ce qui permet de mettre
en avant le but de l’autrice qui veut une parfaite égalité dans les domaines de l’étude et des arts.
➢ « Hommes, nous y volons : c’est là que l’univers
Jugera si nos mains doivent porter des fers. »
C’est seulement au début du 18e vers que CP adresse son texte avec « Hommes ». Le nom est mis
au pluriel, montrant qu’elle s’adresse à la communauté masculine dans son ensemble. L’emploi du
verbe voler montre la détermination de CP à user de ce droit. L’usage du présent de l’indicatif
indique que cette action est imminente. À la suite de la coupure à l’hémistiche, on trouve l’emphase
« c’est là que » qui met en valeur l’hyperbole qui suit, où CP prend l’univers à témoin. On retrouve
ici une métaphore de l’esclavage à travers les fers. Elle rappelle la petitesse de l’Homme par rapport
à l’univers.
Ce deuxième mouvement répond à l’homme en lui disant que la ruse est une échappatoire. CP dit
aux hommes d’être plus justes et ainsi la femme n’usera plus de celle-ci.

• l’autrice attaque les arguments des hommes, qu’elle trouve illégitimes

Le 3e mouvement commence après un blanc typographique, montrant que les mouvements 1 et 2


vont ensemble, tandis que le 3 reprend les arguments.
➢ « Mais déjà mille voix ont blâmé notre audace ;
On s’étonne, on murmure, on s’agite, on menace ; »
Le mouvement commence avec la conjonction de coordination à valeur adversative « mais », qui
met en avant les limites de sa pensée. Le verbe est ensuite conjugué au passé composé, ce qui
montre que ce n’est pas la première tentative des femmes de rétablir leurs droits. Par l’emploi de
l’hyperbole « mille voix », CP montre qu’elles ont de nombreux adversaires. On retrouve dans le
vers 22 une gradation. L’alexandrin est séparé en 4, avec 3 syllabes pour chaque groupe de mots, ce
qui donne au vers une musicalité et une plus grande rapidité de lecture qui traduit la menace à
l’encontre des femmes.
➢ « On veut nous arracher la plume et les pinceaux ;
Chacun a contre nous sa chanson, ses bons mots ; »
Le pronom personnel « on » est anonyme, nous ne savons pas de qui il s’agit, CP fait ainsi une
généralisation des hommes. Elle emploie le verbe « arracher », qui témoigne de la violence des
hommes. Elle réalise une métaphore avec la plume et le pinceau, qui sont des moyens d’action.
Dans le vers 24, « chanson » et « bons mots » participent à la décrédibilisation des hommes et
montrent que leurs arguments ne sont pas valables. Les déterminant possessifs « sa » et « ses »
montrent sue les hommes ont des opinions (subjectif) mais pas d’arguments (rationnel). Comme
leurs opinions leurs sont propres, elles sont souvent injustes.
➢ « L’un, ignorant et sot, vient, avec ironie,
Nous citer de Molière un vers qu’il estropie ;
L’autre, vain par système et jaloux par métier,
Dit d’un air dédaigneux : « Elle a son teinturier ».
« L’un » et « l’autre » sont des exemples, qui nous rappellent que nous sommes dans un texte
argumentatif. Ces exemples sont mis en place des vers 25 à 29. Il y a 2 exemples dont le partage est
équitable : chacun en 2 vers. Ces exemples sont des idées de foule qui arrivent ne sont pas précis.
Le premier, « l'un » et non instruit est bête, sa bêtise est mise en action : il est pédant, il cité Molière
en se trompant. CP montre sa bêtise , il ne sait pas citer ses Classiques, c'est un exemple très
pertinent car Molière au 17e siècle et très récent pour l'époque de constance pipelet au 18 e.Ne pas
connaître Molière quand on appartient à ce milieu est impensable. De plus il vient avec ironie,ce qui
montre qu'il se moque d'elle. Le deuxième, « l’autre » est prétentieux est jaloux. Là encore, CP fait
le portrait péjoratif d'un homme car les 2 hommes ont des défauts, des tares. L'homme ne veut pas
reconnaître le talent de la femme et sous entend que quelqu’un écrit pour elle.
➢ « De jeunes gens à peine échappés du collège
Discutent hardiment nos droits, leur privilège ;
Et les arrêts dictés par la fatuité,
La mode, l’ignorance, et la futilité,
Répétés en écho par ces juges imberbes,
Après deux ou trois jours sont passés en proverbes. »
« jeunes gens » vers 29 et « imberbes » vers 33 montrent que les femmes sont jugées par des gens
sans expérience, sans sagesse. Le déterminant possessif nos s'oppose au déterminant possessif leur,
Ce qui montre que les droits des femmes deviennent des privilèges des hommes. Les jugements
deviennent des proverbes car ils sont « répétés en écho », les hommes se passent les mots sans
même y réfléchir. Sévère viennent discréditer les hommes qui sont vus comme de pâles imitateurs,
qui n'ont aucune réflexion. CP déplore que les arrêts de ces hommes deviennent des sagesses
populaires et que ces hommes soient vus comme sages. « Après 2 ou 3 jours »Ces proverbe se
répandent très rapidement : il est plus facile de lancer une rumeur que de l'arrêter.

• Conclusion :

Ce texte est une épître satirique qui dénonce le fait que les femmes n'aient pas le droit de s'exprimer
dans les lettres et dans les arts, que cet exercice soit réservé à l'homme. CP invective non seulement
les hommes mais porte une réflexion plus générale en expliquant les raisons pour lesquelles les
femmes ont recourt à la ruse pour se défendre. La fin de l'extrait se fait plus virulente contre les
hommes, qui sont vus comme de sombres ignares, n'ayant aucun argument valable. Leur
comportement est donc considéré comme scandaleux et indigne. C'est extrait peut nous rappeler les
écrits d'ODG et notamment le passage du postambule évoquant l'emploi de la ruse par la femme.

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