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Explication linéaire3 = COLETTE, les vrilles de la vigne.

Faire parler les animaux, employer l’animal pour dire une vérité du monde , l’éclairer de manière ,
semble-t-il plus vraie , plus naturelle , sincère , tel semble être le pari de COLETTE (la dernière fois on
s’en souvient c’était avec brio La FONTAINE qui nous avait proposé une telle leçon de vie). Le texte
est un échange entre Toby- Chien et COLETTE, à bâtons rompus … nous surprenons cette
conversation au moment où Toby-Chien relève une remarque de COLETTE sur son supposé
désintérêt pour la musique. Le texte est une célébration de la musique. Le texte se décompose en
trois mouvements : ligne 1 à ligne 5 incluse= Toby-Chien s’installe pour réfléchir ; deuxième
mouvement : ligne 6 à 11= Toby-Chien offre une première tentative de définition de la musique,
encore bien théorique et générale ; dernier mouvement : ligne 12 à la fin du texte= Toby-Chien
procède par métaphores pour atteindre une définition de la musique. En quoi cet extrait, fondé sur
un échange entre Toby-Chien et COLETTE, met-il en place une réflexion sur les pouvoirs d’évocation
du langage, appliqués à une tentative de définition de la musique ? en quoi le premier mouvement
met-il en place la figure du sage ? en quoi le deuxième mouvement insiste-il sur une définition
métaphysique de la musique ? en quoi le dernier mouvement adopte -il un point de vue plus
sensualiste ?

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Mouvement1 :

Le cadre d’évocation est rapidement esquissé dès le début de l’extrait ; le lecteur a le sentiment de
se trouver dans une scène qui a commencé bien avant le début de la lecture (in media res) , ce qui
renforce la théâtralité du propos et convoque aussi le naturel . la spontanéité de Toby-Chien renforce
sa présence en tant qu’interlocuteur privilégié de COLETTE. Dès lors rien de surprenant à ce qu’il
devienne le partenaire privilégié pour cet échange peu ordinaire. Ce qui peut créer l’effet de surprise
est le thème de la proposition subordonnée relative « le petit bull que j’interviewais » , comme s’il
était convenu de tous temps que les humains entretinssent des dialogues philosophiques avec leurs
animaux de compagnie. Plus surprenante est la réponse apportée par Toby-Chien qui semble récuser
les propos qu’on lui suppose avoir tenus : »ne me dites pas que je n’aime pas la musique »
:l’injonctive , à valeur d’empêchement , traduit la colère feinte de l’animal qui entend bien faire
partager ses goûts musicaux et qui considère qu’il peut encore franchir une limite , à savoir proposer
une définition de la musique ; ce que justifie sa remarque suivante « personne n’est fixé là-dessus , et
moi-même… » , non seulement Toby-Chien , par effet de comique , d’ironie , se rattache à la
communauté des hommes , mais il met en avant une idée encore plus étrange , à savoir que lui-
même aurait plus de difficulté à donner une définition , considéré ses qualités singulières.

Le deuxième paragraphe nous fournit l’explication de cette étrange proposition ; COLETTE laisse de
côté le discours de Toby-Chien, pour preuve les points de suspension et s’engage dans une
description de notre nouvel amateur de musique. COLETTE se fait ici portraitiste , le temps d’un
paragraphe : il est intéressant de noter que le talent de portraitiste est une introduction à la critique
musicale que nous allons suivre par la suite , de la part de Toby-Chien…COLETTE insiste sur des
éléments qui peuvent nous faire sourire , que l’on peut trouver charmants = la description débute
par une séquence durative , encadrée par deux verbes au passé simple qui ont pour fonction de
poser de manière furtive le cadre de la description « il s’ »interrompit et rêva un instant » :il est
nécessaire de quitter l’univers des hommes , chargé de toutes les contingences , il faut s’élever pour
trouver le calme propice à la réflexion. Intéressante est la manière dont Toby-Chien est décrit : « son
bref menton appuyé sur ses pattes de devant  , trois plis pensifs rayaient son mufle bringé , sa lèvre
noire et laquée pendait amère , son front puissant et bossué , «  nous ne pouvons que nous étonner
de la manière amusée avec laquelle Toby-Chien est croqué par COLETTE, c’est une véritable
trouvaille lexicale , la superposition des adjectifs , des remarques physiques , ne vise qu’un seul but =
le faire se rapprocher de l’humain ; le pari est tenu : COLETTE l’avoue elle-même « je fus frappé pour
la première fois par sa ressemblance avec Beethoven ». la référence est puissante et permet à Toby-
Chien de reprendre l’initiative de la parole.

Deuxième mouvement :

Toby-Chien va tenter de définir ce qu’est la musique ; pour ce faire il reprend à son compte une
formule que d’aucuns emploient dans la vie ordinaire , mais il va la rendre déroutante , par
l’opposition sémantique qu’il va créer entre les termes « aimer » et « redouter » : « j’aime la
musique, car je la redoute » le lien logique qui semble prévaloir entre les deux propositions renforce
l’incompréhension , accentue l’étrangeté du propos , voire rend encore plus difficile une définition
immédiate de ce à quoi peut correspondre ce goût que l’on peut professer envers la musique . Ceci
est d’autant plus étonnant que ces paroles, dignes de la sibylle de Cumes, renforce l’étrangeté du
propos plutôt que la dissiper. En effet, craignant que l’interlocuteur n’y comprenne rien, Toby-Chien
se dépêche de définir le terme « redouter » : malheureux que nous sommes :il ne le définit pas, il le
remplace par un synonyme, et revient au point de départ « craindre, c’est presque toujours aimer »,
bel exemple de tautologie ; ou d’esprit casuistique. Dans tous les cas nous n’avançons guère.

Toby-Chien pressent que son auditoire a quelques difficultés à le suivre : aussi prend-il soin de
préciser dès le début : « si je précise , je vais bafouiller » ; Toby-Chien joue avec son
interlocuteur :pour preuve , la remarque glissée en incises , qui trahit la coquetterie de Toby-Chien
« une modestie charmante » autrement avec un souvenir d’orgueil , destiné à emprisonner
l’interlocuteur dans les impasses du langage.(cf étymologie de « charme » = poison).Toby-Chien
fournit , après celle de COLETTE, un portrait de lui-même : bien entendu , il ne s’agit pas de
reprendre le portrait physique ; Toby-Chien s’attaque à son portrait moral , dans la logique de ce qui
vient d’être rapidement exprimé au sujet de sa « modestie charmante » : il surenchérit « vous ne
saurez jamais ce que souffre une âme compliquée comme la mienne , obligée de se traduire par un
vocabulaire de cinq cents mots » =belle démonstration d’immodestie canine ! effet de comique
assuré ! et invitation à réfléchir à la difficulté de traduire le goût pour la musique / la musique en un
vocabulaire restreint. De crainte que nous n’ayons pas saisi la subtilité de Toby-Chien, son humour , il
renforce sa remarque par l’oxymore « illettré sensitif » = dès lors tout semble nous indiquer que
définir la musique s’avère être un exercice qui repose davantage sur notre capacité sensible que sur
notre intellect , considéré n bien sûr , que nous ayons développé cette sensibilité à un certain niveau
(il est entendu que Toby-Chien a exercé sa sensibilité et qu’il s’est éloigné de ce à quoi elle pouvait
correspondre lorsqu’il est né). Dans les cas , nous assistons ici à l’éternel débat entre l’acquis et
l’inné. Par ailleurs, Toby-Chien adopte une posture philosophique dans la dernière phrase de ce
mouvement : il nous fait partager ce beau moment de réflexion pascalienne : « la musique augmente
ma misère » : le lecteur se souvient de l’extrait concernant le « roseau pensant » « esprits curieux ,
allez le chercher ) ou l’extrait sur « grandeur et misère de l’homme «(deuxième recherche pour les
curieux !) : ce qui est intéressant dans les propos de Toby-Chien est cette réflexion qui gagne en
hauteur , désormais les jeux sont clairs ; Toby-Chien ne nous convie pas à une discussion , du type
« j’aime / j’aime pas » , bien au contraire il ne se moque pas de son interlocuteur et entend bien le
projeter dans une discussion de plus haut degré. Dès lors la musique , par sa grandeur , est supposée
renforcée le caractère misérable de l’homme (dernier extrait à lire : le mystère des deux infinis :
l’homme , de l’ordre de l’infiniment petit prend conscience de sa petitesse en s’observant par
rapport à l’infiniment grand qu’est l’Univers). Idée reprise dans la deuxième partie de la phrase :
certes la musique permet d’envisager , grâce aux pouvoirs de suggestion , « des jardins enchantés » ,
« des palais lumineux » , = en soi tout ce qui pourrait donner l’idée que nous atteignions aisément
l’Idéal mais prudence , la musique ouvre aussi en vous « des grottes où frissonne l’inconnaissable » :
l’expérience que nous nous apprêtons à faire de cet inconnaissable , de cet indéfinissable , augment
notre misère parce qu’elle nous conduit à nous réévaluer , malgré nous.

Troisième mouvement :

Toby-Chien vient de nous donner une belle leçon de Métaphysique. Craignant que cette définition ne
reste trop abstraite, il se lance dans une réflexion sensualiste, en trois temps, telle une partition
musicale :

Premier temps il nous donne à entendre les vents « vent d’ouest rauque, enroué de la pluie » *
« bise d’est agressive et coupante dans la cheminée » , dernier moment , « la bave mijotante de la
bûche humide qui bout le long du chenet «  et qui « imite la mouche prise dans une toile
d’araignée »= ce à quoi il nous convie est bien une appropriation de la définition par les sens , par les
effets d’analogie qu’il crée entre les éléments de la nature : cette correspondance est source de
plaisirs et facilite la perception de ce que l’on nomme « musique »= en effet le lecteur peut établir
une métaphore musicale entre ces différents termes :il en ressort que leur point commun est ce qui
définit la musique.

Deuxième temps il nous propose d’entendre la plainte du « mélèze que peigne le vent et qui
gémit » ; craignant que la métaphore ne fonctionne pas (on peut craindre un mauvais lecteur), Toby-
Chien propose un exemple extrait de la vie ordinaire , c’est comme si «tu me [tirais] les cheveux » , ;
mais comme le lecteur est peu sympathique , ou parce que tout simplement il ne comprend pas
grand-chose à la métaphysique , et encore moins aux exemples végétaux , Toby-Chien s’appuie sur
des souvenirs plus ordinaires, plus triviaux ; c’est comme si il s’agissait d’un oiseau , chevelure
ébouriffée , obsédé par le souvenir d’un air de music-hall et qui crie « Yvette ! Yvette ! »le lecteur
perçoit ici toute l’ironie de COLETTE, tout l’humour aussi , elle s’amuse à croiser les univers de
référence , les sujets de bon ton avec les sujets plus frivoles : en ce sens nous sommes bien plongés ,
à travers les réflexions de Toby-Chien dans la modernité du début du XXs.

Dernier temps :nous retrouvons l’image du crapaud , cher à la poésie symboliste (souvenez-vous de


CORBIERE) : l’alliance du laid et du beau : imaginons ce crapaud obscur(d’une obscure origine : est-ce
un crapaud ou un être merveilleux , tel celui des contes de fées) / qui égoutte de seconde en seconde
sa note liquide (quel usage splendide de la métaphore lorsqu’il s’agit de désigner la bave) , note qui
devient une « perle de cristal que l’on peut ouïr rouler entre l’herbe et s’y figer ? Nous avons bien
quitté le champ de la représentation purement physique, nous sommes bien plongés dans cet
univers de la rêverie revendiqué dès la ligne 3 (rappel = il s’interrompit et rêva un instant) . la
dernière phrase résonne , tel un signe d’aveu : nous ne pouvons attribuer aux choses une origine trop
physique , il faut laisser un espace à la rêverie « je ne puis croire à une autre origine de la rosée
étincelante ! » la négative tire un trait sur les conceptions tristes de la vie , Toby-Chien nous convie à
nous réenchanter devant les éléments les plus simples de l’Univers.

Conclusion :
La réflexion initiée par Toby-Chien , sur la musique est une invitation à réfléchir à la nature des
choses (tel que nous l’enseignait Epicure) . Seul moyen de poursuivre la célébration du monde.

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