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Gargantua, Rabelais, Texte 11

Eléments pour l’introduction :


Présentation auteur, œuvre, situation de l’extrait :
Rabelais, grand auteur humaniste du XVIème siècle (pendant Renaissance). Avide de culture, d’abord prêtre
puis médecin et écrivain. Œuvres : Pantagruel (1532),Gargantua (vers 1535 puis 1542 pour la seconde édition
que nous lisons), Le Tiers livre, Le Quart livre, Le Cinquième livre. Originalité de ses romans : une apparence
souvent grotesque mais une critique implicite jamais très loin.
Gargantua : Péripéties et exploits d’un géant nommé Gargantua, lui-même père de Pantagruel ; ses années
d’apprentissage et ses exploits guerriers. C’est aussi un éloge de la culture humaniste.
Extrait étudié issu du Chapitre LVII: Les sept derniers chapitres de Gargantua sont consacrés à l’abbaye de
Thélème. La guerre contre Picrochole s’étant achevée, il s’agit à présent pour Grandgousier de récompenser
les « vainqueurs gargantuistes » en leur offrant « les ornements de sa vaisselle », « un million deux cent mille
écus comptant » de ses coffres, et à perpétuité « ses châteaux et terres proches» : La Roche-Clermault à
Ponocrates, Le Coudray à Gymnaste, Montpensier à Eudémon, et ainsi de suite (p. 285-287). Au début du
chapitre LII, le récit s’attarde sur le cas de Frère Jean, qui refuse successivement les abbayes de Seuilly, de
Saint-Paul de Bourgueil, de Saumur, et à qui revient finalement le droit de fonder une abbaye « à [s]on idée »
(p. 288). La fondation de l’abbaye de Thélème semble constituer ainsi l’ultime étape de l’apprentissage
humaniste de Gargantua, et s’inscrire dans le sillage des chapitres sur l’éducation. Le passage étudié évoque
les conditions de vie parfaite des Thélémites.
Projet de lecture : En quoi l’abbaye de Thélème constitue-t-elle une utopie humaniste ?
Mouvements :
1/ l.1-5 : Un mode de vie idéal
2/ l. 5-18 : Des valeurs idéales
3/ l. 19-23 : Un idéal amoureux
Citations + procédés Analyses
1/ l.1-5 : Un mode de vie idéal
« non selon des lois, statuts ou règles, Le mode de vie des Thélémites repose d’abord et
mais selon leur volonté et libre arbitre» = avant tout sur la liberté, ce qui peut sembler
énumération et antithèse qui oppose un paradoxal dans une abbaye. Etymologiquement, le
cadre contraignant à la liberté nom de Thélème signifie « libre volonté ». C’est un
fonctionnement contraire à celui des autres abbayes
où la règle est l’obéissance, où la mixité est interdite
« Ils se levaient quand bon leur semblait, Les contours d’une vie heureuse et équilibrée sont
buvaient, mangeaient, travaillaient, ici définis : ils s’écartent, là encore, de ceux d’une
dormaient quand l’envie leur en venait » = abbaye traditionnelle : ce n’est pas le travail ou la
énumération de verbes à l’imparfait (valeur prière qui guide la vie des T. Le mode de vie des T.
d’habitude) + parallélisme de construction repose sur la quête du Bien et la satisfaction des
avec conjonction de subordination désirs. On retrouve les principes humanistes de soin
« quand » du corps (mangeait, buvait, dormait) et de l’esprit
(travaillait). Le registre est celui de la louange :
épidictique
« nul ne » x2, « ni » x3 = multiplication des  la règle est totalement niée au nom de la liberté.
négations des actions contraintes (encore une fois c’est contre les principes des
abbayes normales)
« Ainsi l’avait voulu Gargantua » = phrase Le rôle majeur de Gargantua est souligné : il
simple qui met en valeur le sujet postposé incarne le modèle du bon prince.
et en position forte en fin de phrase
« Fais ce que tu voudras » = formule Le paradoxe revient à adopter librement cette règle
paradoxale : l’impératif et le verbe du refus de la règle. Cette devise s’oppose aux
« vouloir » s’opposent. commandements de la religion.
Bilan mouvement 1 : Le principe majeur de l’abbaye de T. est clairement exposé : contrairement
à toute autre abbaye, les habitants y vivent librement. La liberté est le principe fondamental qui
régit toute la vie en communauté
2/ l.5-18 : des valeurs idéales
« les gens libres, bien nés et bien Le narrateur expose la vie en communauté et met en
instruits », « un instinct, un valeur la dynamique humaniste qui crée des personnes de
aiguillon », « les actions vertueuses haute valeur morale. Cette grande élévation morale est
«, « détournent du résumée, symbolisée par une qualité : l’honneur. La
vice » , « honneur » = importance du morale naturelle de Thélème ne semble pourtant
lexique de la morale qui domine accessible qu’aux « gens libres et bien nés » c’est-à-dire
celui du mal + mise en valeur du aux gens bons naturellement, qui font preuve de charité,
thème par l’adverbe d’intensité mais qui bénéficient aussi d’une naissance privilégiée.
« bien » qui est répété L’abbaye semble donc réservée aux nobles et ne
concernerait qu’une élite
ont par nature un instinct, un Principe humaniste énoncé ici. L’humaniste a foi en
aiguillon, qui les pousse toujours vers l’homme : une fois correctement instruit l’humain ne peut
les actions vertueuses et les écarte aller que vers le bien et la vertu, vers « l’honneur » d’où
du vice. Ils nommaient cet instinct: l’importance d’une bonne éducation.
honneur. 2 Antithèses
« Quand une vile et contraignante Le refus de la règle va jusqu’à la lutte contre une
sujétion les abaisse et les asservit, ils éventuelle oppression. Tous ces éléments réaffirment la
utilisent ce noble penchant, par volonté absolue des T. de conserver et promouvoir leur
lequel ils tendent librement vers la liberté. La liberté est associée au thème du Bien : le vœu
vertu, pour se libérer du joug de la d’obéissance est rejeté. Mais une obligation apparaît : ne
servitude » = lexique de pas empiéter sur les droits de ses semblables. Ce sont
l’assujettissement connoté l’exercice du pouvoir et l’esprit de justice qui sont
négativement et qui vient s’opposer interrogés.
par antithèse au lexique de la liberté
connoté positivement + métaphore
du « joug » qui symbolise cet
asservissement.
« car toujours l’homme entreprend ce Le propos est explicité et généralisé. R. évoque ici une
qui lui est défendu et convoite ce qui situation paradoxale : l’homme en veut toujours plus. D’un
lui est refusé » = connecteur point de vue philosophique, on comprend que la liberté
logique + usage du présent de n’est jamais définitivement acquise. R. défend ici la liberté,
vérité générale, renforcé par mais il met aussi en garde contre les menaces qui
l’adverbe « toujours » // maxime pourraient la mettre en danger.

Avec un louable esprit d’émulation La liberté donne des droits mais incite aussi à vouloir le
inspiré par cette liberté, tous bien d’autrui ; ce n’est donc pas seulement une question
redoublaient d’efforts pour faire ce d’agreement égoïste, mais cela sert aussi à la
qu’ils voyaient plaire à un seul communauté, par l’esprit altruiste (rendu harmonieux par
Lexique mélioratif + assonance en l’assonance en « ai ») qui en découle.
« ai »
« Si l’un ou l’une disait : « Buvons », Le règne de la bonne humeur et de la bonne entente
tous buvaient. Si l’on disait : « Jouons renvoie à une forme d’épicurisme (morale qui se
», tous jouaient. Si l’on disait : « propose la recherche exclusive du plaisir). La vie à
Allons nous amuser dans les champs Thélème se caractérise par des élans symétriques : la
», tous y allaient. » = parallélisme de cohérence est totale, l’accord entre les habitants
construction : usage répété de la parfait. Les activités sont réduites au seul plaisir :
proposition subordonnée l’utopie est manifeste. Etymologiquement, « utopie »
hypothétique suivie d’une renvoie à un lieu parfait qui n’existe pas.
proposition principale + verbes L’individu appartient à la communauté et s’y épanouit
utilisés en polyptote + les sujets parfaitement. chacun se met au service de cette
passent du singulier au pluriel communauté et des autres ; un idéal humain est ici défini.
 l’entrainement du corps, cher aux humanistes est
évoqué à travers les activités ludiques menées à
l’extérieur « dans les champs
« Ils étaient si bien instruits que tous Rappel de l’importance de l’instruction pour les
savaient lire, écrire, chanter, jouer humanistes qui a pour conséquence un savoir important et
d’harmonieux instruments, parler cinq diversifié
ou six langues dans lesquelles ils -> Le savoir et la culture constituent bien le cœur de la vie
composaient en vers ou en prose » = des T ; en écho avec la deuxième éducation de G., cette
gradation de verbes à l’infinitif qui page développe un idéal d’éducation intellectuelle et
renvoient à des pratiques culturelle. Les Thélémites ont ainsi des activités variées et
intellectuelles et culturelles variées raffinées. Chaque savoir faire est plus impressionnant
« Si bien que » : conjonction de encore que le précédent ; L’abbaye de T. est un concentré
subordination introduit une du royaume idéal.
subordonnée circonstancielle de Une critique de la noblesse du XVIème siècle qui passe
conséquence son temps dans l’oisiveté, les plaisirs se dessine
implicitement
Bilan mouvement 2 : A travers les Thélémites Rabelais défend un idéal humaniste, fait de
savoirs et d’harmonie. Il défend une conception libre et optimiste de la nature humaine,
ouverte au savoir et à la culture.
3/ l. 19-23 : un idéal amoureux
« aussi » adverbe Qui introduit une nouvelle conséquence à la liberté
et la bonne éducation : les relations amoureuses
«quand le temps était venu de quitter La liberté des T. est totale : elle s’affirme même
l’abbaye » = proposition sub circ de dans le fait de vivre ailleurs et autrement. Ce n’est
temps qui annonce une nouvelle étape + pas le cas des autres moines qui lorsqu’ils ont
verbe de mouvement prononcé leurs vœux restent à vie dans leur
monastère
« chacun emmenait l’une des dames …  Là encore, T. se distingue des abbayes
Puis ils se mariaient. …et s’aimaient à la ordinaires : hommes et femmes se côtoient. Le vœu
fin de leur vie comme au jour de leurs de chasteté n’existe plus. Rabelais nous livre sa
noces. » = lexique de l’amour + lexique qui vision du couple, soudé d’abord par une amitié
renvoie à l’unité et à la pérennité du couple fidèle, qui débouche sur un mariage heureux et un
amour durable. R. propose une vision idéalisée de
l’amour et du mariage.
celle qui l’avait choisi pour fidèle ami = un Et ce d’autant que les dames ont leur mot à
verbe au plus que parfait à valeur dire puisqu’elles ont préalablement également choisi
d’antériorité et à la voix active leur futur conjoint
« Puis ils se mariaient » phrase très courte Le mariage devient simple et évident
Et, s’ils avaient bien vécu à Thélème, dans L’amour et l’amitié sont proches et forment le socle
la fidélité et l’amitié, ils continuaient ainsi de la pérennité des sentiments, et du respect du
durant leur mariage, et s’aimaient à la fin sacrement. Tout comme en matière d’éduction il est
de leur vie comme au jour de leurs noces. nécessaire de se comprendre, en amour il est
Champ lexical des sentiments nécessaire de bien se connaître. La liberté de
comparaison Thélème débouche donc sur des relations
interpersonnelles durables en amour aussi. C’est
réellement un monde parfait, utopique
Bilan mouvement 3 : R. propose ici un éloge de l’amour conçu comme l’accomplissement et
un bonheur durable pour les Thélémites.
Conclusion
La place de cet extrait, en toute fin du roman (chapitre LVII) en fait un passage clé dans l’œuvre. Ce
dénouement renvoie à un idéal humaniste vers lequel tend tout le roman. Notre extrait expose le
fonctionnement d’une utopie humaniste. C’est un monde libre, où le savoir et la culture tiennent une
place majeure, où la vie en communauté et l’harmonie semble parfaite. L’auteur nous montre son
attachement aux valeurs humanistes de confiance en l’homme naturellement bon, et l’importance de
l’éducation, bien qu’il semble limiter son utopie à la noblesse. A travers cette utopie, Rabelais évoque
implicitement les défaillances du système monacal (il a lui-même été moine) et propose un idéal de vie
en communauté, qui loin de se conformer aux abbayes, peut être étendu à l’ensemble de la société.
Nous pouvons alors penser à la société utopique décrite par Thomas More intitulé justement Utopia

Plan possible de commentaire composé


I Une description idyllique,
1) La liberté, clé de ce mode de vie
2) un éloge de la vie à Thélème
II un ordre contraire à tous les ordres : une critique en creux
1) Une abbaye inversée ( y compris réservation aux gens bien nés)
2) L’amour possible et idéalisé
III une proposition de mode de vie idéal humaniste et utopiste
1) L’importance de l’éducation (corps et esprit) qui permet utopie
2) Altruisme et souci des autres et Lutte contre instincts de domination qui permet utopie

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