Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Gouges
1 La philosophie politique de Rousseau est bâtie autour de l'idée que l'Homme est naturellement bon et que la société le
corrompt. Par « naturellement bon », Rousseau entend que l'être humain à l'état de nature a peu de désirs, de sorte qu'il
est plus farouche que méchant. Ce sont les interactions avec les autres individus qui rendent les êtres humains
« méchants » et conduisent à l'accroissement des inégalités. Pour retrouver une bonté naturelle, l'homme doit avoir
recours à l'artifice du contrat social et être gouverné par des lois découlant de la volonté générale exprimée par le peuple.
Pour Rousseau, contrairement à ce que pense par exemple Diderot, la volonté générale n'est pas universelle, elle est
propre à un État, à un corps politique particulier. Rousseau est le premier à conférer la souveraineté au peuple. En cela,
on peut dire que c'est un des penseurs de la démocratie (et notamment de la démocratie directe) même s'il est favorable à
ce qu'il nomme l'aristocratie élective ou le gouvernement tempéré dans le domaine du pouvoir exécutif. (extrait de
l’article Wikipédia sur Rousseau)
2 Voltaire est de tous les philosophes des Lumières celui qui a fait du combat du combat contre l’intolérance une de ses
grandes priorités et ce combat passe par l’affirmation très forte de la liberté de penser. Un discours de Robespierre
(https://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_de_Robespierre/Sur_la_libert%C3%A9_de_la_presse#cite_ref-1 ) sur la
liberté de la presse est marqué par la pensée voltairienne.
3 Le fameux principe de séparation des pouvoirs formulé dans De l’esprit des lois. Au chapitre IV du livre XI,
Montesquieu définit le principe général du contrôle du pouvoir par le pouvoir
(https://fr.wikisource.org/wiki/Esprit_des_lois_(1777)/L11/C4 ) puis au chapitre VI du même livre il définit les trois
pouvoirs qu’il convient de séparer :
« Il y a, dans chaque état, trois sortes de pouvoirs ; la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent
du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.
Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui
sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit, la sûreté, prévient les
invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance
de juger ; et l’autre, simplement la puissance exécutrice de l’état.
notamment, la pensée des élites de 1789. L’influence de l’Italien Beccaria (fondateur du droit
pénal) est également lisible dans la Déclaration.
Enfin, cette dernière s’inspire de grands modèles tels que l’Habeas Corpus de 1649 et la
Déclaration des droits de 1689 pour l’Angleterre et de la Constitution américaine de 1787
(source https://eduscol.education.fr/document/25273/download )
Ces références, Olympe de Gouges les fait siennes en reprenant le texte de DDHC.
Elle insiste en particulier sur le fait que l’égalité entre les hommes et les femmes relève de la
nature et que les droits auxquels celle-ci aspire sont naturels, c’est-à-dire qu’ils lui sont
reconnus de fait dès la naissance et non institués par la société. Cette idée nous paraît
aujourd’hui plutôt évidente mais après des siècles d’Ancien Régime fondé sur une inégalité à
la naissance entre les nobles et le peuple, cette idée était à proprement parler révolutionnaire.
Dans l’Exhortation aux hommes qui précède notre œuvre, elle insiste sur le fait que la nature
est un modèle d’équilibre et non de soumission d’un sexe à un autre : « parcours la nature
dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses,
l’exemple de cet empire tyrannique. » Elle met l’homme au défi de trouver dans la nature une
espèce aussi tyrannique que l’homme avec sa compagne. En même temps elle l’accuse
d’orgueil de prétendre à la grandeur à laquelle seule la nature, c’est-à-dire à travers elle un
créateur, peut prétendre. Puis elle ajoute : « cherche, fouille et distingue, si tu le peux, les
sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils
coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel. »
Cela a pour conséquence que la DDFC peut se lire comme une féminisation de la
DDHC. Olympe de Gouges suit de très près ce texte qui repose sur des principes qu’elle
respecte et elle se contente bien souvent de substituer « femme » à « homme ».
Ainsi elle affirme avec force que les droits de la femme sont « naturels, inaliénables et
sacrés », au même titre que ceux de l’homme, selon le même principe d’universelle égalité
des individus. Il est important alors pour elle de se contenter de substituer à « de l’homme » le
GN prépositionnel symétrique « de la femme » dans le Préambule et de déclarer ensuite dans
l’article Premier que « la femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ». Ensuite
seulement elle pourra les associer à l’article II mais il est important de proclamer la femme
comme un être humain qui a les mêmes droits naturels que l’homme. Enfin elle ne cesse de
souligner à quel point son œuvre cherche le bien commun, et notamment à corriger les
mœurs, associant comme le texte d’origine le bien-être de l’individu, le respect de sa liberté
naturelle, à l’institution d’un contrat social sain et raisonné.
On pourrait trouver contradictoire qu’elle dédicace son œuvre à la Reine, alors qu’elle
remet en cause les inégalités consacrées par l’Ancien Régime. Mais cette dédicace s’adresse
à une Reine, désignée dans le texte comme « celle que le hasard a élevée à une place
éminente », c’est-à-dire que rien ne fait d’elle un être supérieur, seule sa position sociale est
supérieure. Et parce qu’elle est femme avant d’être reine, elle est invitée à se soucier du droit
des femmes et à utiliser le pouvoir qu’elle détient en tant que reine pour faire reconnaître leurs
La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté
: et, pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel, qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.
Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la
puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse
des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.
Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative, et de
l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le
juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.
Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois
pouvoirs ; celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des
particuliers.
Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré ; parce que le prince, qui a les deux premiers
pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il
règne un affreux despotisme. »
droits. Nulle contradiction mais au contraire l’affirmation d’un désir d’une égalité sociale en
s’adressant directement à la Reine, en lui dédicaçant cette Déclaration au féminin.
En tant que texte de combat la DDFC est un texte hybride dans la mesure où la
réécriture de la DDHC précède un discours original qui vient prolonger cette réécriture,
dans la mesure aussi où la DDFC oscille davantage que la DDHC entre principes
généraux et exemples concrets et dans la mesure où elle oscille de même entre registre
pathétique et polémique, se démarquant du didactisme 4 de la DDHC pour se faire plus
polémique, formulant au passage des sentences qui ont vocation à marquer les esprits.
Les « représentants du peuple français », par une déclaration solennelle, énoncent les «
principes simples et incontestables » qui seront les fondements de l’organisation juridique et
politique née de la Révolution. Dans la partition entre « droits de l’homme » et « droits du
citoyen », ce sont les premiers qui sont au cœur du préambule. Ces droits sont « naturels »
(donnés par la nature, ils préexistent logiquement à toute société organisée), « inaliénables »
(on ne peut pas les perdre) et « sacrés » (inviolables). La connotation religieuse du dernier
mot pouvait rassurer ceux qui considéraient ces droits comme octroyés par Dieu. La référence
discrète aux « devoirs » rappelle que certains constituants avaient demandé, en vain,
l’adjonction à la déclaration des droits, d’une déclaration des devoirs. La Déclaration ne
proclame pas des principes nouveaux : elle rappelle des droits dont il faut empêcher «
l’ignorance, l’oubli ou le mépris ». Ce texte est ainsi conforme à l’optimisme rationaliste des
Lumières : chaque homme peut trouver en lui ces vérités car il est doué de raison. L’invocation
déiste de « l’Être suprême », présenté comme simple spectateur et non comme source de la
Déclaration, est la marque du compromis passé entre libres penseurs et députés attachés à la
référence religieuse. La Déclaration définit les principes directeurs et les limites de l’action des
pouvoirs institués : leurs actes pourront « être à chaque instant comparés avec le but de toute
institution politique » qui est le respect et la garantie des droits, condition de réalisation du «
bonheur de tous 1 ». Ainsi affleure l’idée d’un contrôle des pouvoirs législatif et exécutif.
1. Cette référence rappelle la Déclaration d’indépendance américaine de 1776 faisant de « la
recherche du bonheur » un droit naturel. »
(source : https://eduscol.education.fr/document/25273/download )
Cette analyse peut s’appliquer au Préambule de la DDFC avec une différence non
négligeable. En effet la Déclaration d’Olympe de Gouges, contrairement à la DDHC, proclame
des principes nouveaux en proclamant l’égalité entre l’homme et la femme.
Ce Préambule est logiquement suivi d’une réécriture des articles de la DDHC qui se
situent dans la continuité de cette réclamation de droits nouveaux pour la femme.
La réécriture de la DDHC proprement dite s’arrête là. Mais elle est prolongée par un
Postambule qui se présente comme une exhortation aux femmes, symétrique à l’exhortation
aux hommes qui précède la Déclaration dans la brochure. Ce postambule se présente comme
un discours qui met en scène l’auteure à la tribune. La réécriture de la DDHC qui précède
donne légitimité à cette prise de parole d’une citoyenne qui s’adresse logiquement aux
femmes puis à l’Assemblée qui était enjointe au tout début du texte de proclamer la DDFC.
C’est en tant que citoyenne qu’Olympe de Gouges s’exprime et non seulement en tant que
femme, une citoyenne soucieuse du bien commun autant que du droit des femmes, une
citoyenne qui justifie son intérêt pour le droit des femmes par son intérêt pour le bien commun,
par sa volonté de participer à la construction d’une société meilleure. Elle inscrit cette réflexion
dans une réflexion plus globale, faisant référence à l’ensemble de ses « ouvrages politiques »
4 Un texte didactique est un texte qui cherche à instruire par un exposé méthodique et rigoureux, qui cherche expliciter les
notions qu’il aborde. Un dictionnaire est un ouvrage didactique. La DDHC dans une large a un aspect didactique : elle
explicite méthodiquement quels sont les droits de l’homme sur lesquels la nation va fonder la Constitution.
à la fin de l’avant-dernier paragraphe du Postambule. Elle fait de la reconnaissance des droits
de la femme une condition pour que la Révolution récolte les fruits qu’elle appelle de ses
vœux, soit la fin de la corruption des mœurs et du règne du vice. Parlant du commerce des
femmes qui réglait les rapports sociaux sous l’Ancien Régime, elle plaide pour qu’il n’ait plus
aucun crédit : «S’il en avait encore, la Révolution serait perdue, et sous de nouveaux rapports,
nous serions toujours corrompus ». La question de la corruption des mœurs est dans son
développement liée à l’inégalité entre les hommes et les femmes, qui poussent les femmes au
vice, n’ayant d’autre choix pour « faire fortune ».
Sa prise de parole prend sa légitimité dans la reconnaissance préalable des droits de la
femme dans la réécriture proprement dite de la DDHC. Elle demande à ses multiples
interlocuteurs de reconnaître ces droits.
Elle appelle les femmes à réagir et cherche par des tournures injonctives, interrogatives
et des formules sentencieuses et péremptoires à les inciter à combattre avec énergie :
« Femme, réveille-toi ; […] reconnais tes droits. »
« Ô femmes ! femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? ».
« Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les
affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir. »
Elle cesse ensuite les adresses directes pour parler de la Révolution et utilise des
tournures impersonnelles pour interroger la société dans son ensemble « Quelles lois reste-t-il
donc à faire pour extirper le vice jusque dans la racine ? ». Elle utilise ensuite le pronom
indéfini « on » pour envisager l’action possible de la société : « on peut la préparer par
l’éducation nationale, par la restauration des mœurs et par les conventions conjugales. » A
travers cette tournure impersonnelle (il reste) et ce « on », c’est bien la société dans son
ensemble qu’elle interpelle et l’Assemblée nationale en particulier en tant qu’émanation de la
souveraineté populaire. Dans une sorte de fausse concession provocante, elle admet que la
gloire d’une vraie Révolution reviendra aux hommes du futur pour inciter ceux à qui elle
s’adresse à agir dès maintenant.
Elle met ici des outils de l’éloquence au service d’un appel au combat et à l’action
politique qui se fait entendre dans le Postambule avec la légitimité acquise par les articles et le
Préambule qui précédent. Elle se met ainsi en scène en tant que citoyenne à la tribune, mise
en scène qui rend sa prise de parole vivante et marquante et qui cherche à remédier au fait
que la tribune publique lui soit dans les faits interdite.