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Synthèse sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de

Gouges

L’œuvre au programme est la Déclaration en elle-même, du Préambule au Postambule.


Cependant vous ne pouvez vous dispenser de la lecture des textes parus en brochure le 14
septembre 1791 en même temps que l’œuvre au programme pour contextualiser celle-ci. Le
choix de restreindre le programme à la Déclaration proprement dite semble nous inviter à
aborder cette œuvre dans la perspective, littéraire, de la réécriture, du pastiche de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Donner sens à cette réécriture me semble
d’abord passer par éclairer ses enjeux par le contexte d’écriture, puis d’examiner comment le
pastiche fonctionne à la fois en référence à des principes communs et en opposition au texte
d’origine. Enfin le combat mené par Olympe de Gouges passe par une réécriture qui donne à
son texte un caractère hybride et singulier en même temps qu’elle se charge de doter la parole
féminine d’une autorité liée au maniement de l’éloquence. Ainsi nous pourrons répondre à la
question posée au début de l’approche de cette œuvre : pourquoi choisir la réécriture de la
DDHC ? Comment ce choix permet-il à Olympe de Gouges de dépasser la simple
revendication pour constituer un véritable combat, un appel à une autre révolution ?

I Le contexte d’écriture éclaire les enjeux de l’œuvre


Il est évident que cette œuvre ne peut s'appréhender sans éclairer ses enjeux par
le contexte d'écriture.
1) Dans la continuité de la Révolution
Le 26 août 1789 l'Assemblée nationale adopte la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen qui énonce le droits fondamentaux de l'être humain : le droit à la liberté, l'égalité de
tous devant le loi et le principe de souveraineté populaire, principe par lequel la nation, et non
plus le roi, est dépositaire du pouvoir.
Après l'épisode fâcheux de la fuite du Roi arrêté à Varennes, ce dernier accepte la Constitution
le 14 septembre 1791, jour où Olympe de Gouges publie la Déclaration des droits de la
femme et de la citoyenne. Pour Olympe de Gouges, que Louis XVI prête serment à la
Constitution donne une place au Roi dans la construction du nouveau régime, ce qui importe à
l'auteure favorable à une monarchie constitutionnelle. Par conséquent c'est dans une sorte
d'enthousiasme qu'elle publie une brochure contenant la Déclaration des droits de la femme et
de la citoyenne.
Le choix de réécrire la DDHC, texte fondateur du nouveau régime, témoigne bien qu'elle se
situe dans la continuité de la Révolution et ce d'autant plus qu'elle reprend exactement la
structure de la DDHC qui présente un Préambule et 17 articles, et que le Préambule et la
plupart des articles sont excessivement proches du modèle qu'elle imite. Elle ajoute cependant
à cette structure un Postambule, qui n'est pas présent dans la DDHC. On peut déjà penser
que ce Postambule joue un rôle non négligeable pour donner à la DDFC la dimension d'un
texte de combat, absente de la DDHC.
2) Écrire pour un combat encore à venir
Si Olympe de Gouges prête allégeance à toutes les valeurs prônées par la DDHC, elle est
cependant consciente qu'il reste une révolution à faire : celle qui sortira la femme de son
éternelle dépendance à l'homme. Ainsi si la révolution exigée par cette femme se place dans
la continuité de la révolution politique engagée, elle la remet en même temps en cause. Pour
elle la Révolution ne pourra vraiment aboutir qu'à condition que les droits des femmes soient
reconnus. Réécrire la DDHC dans ce contexte, c'est une manière de revenir à un texte
fondateur du nouveau régime et de remettre en cause sa légitimité. Olympe de Gouges est
donc perpétuellement dans une relation de continuité et de rupture avec la Révolution.
Réécrire la DDHC constitue pour une part un rejet polémique d'un texte qui ignore la sort des
femmes.
Dans ce contexte, non sans provocation, Olympe de Gouges présente le changement de
société qu'elle réclame comme à venir. Elle souligne à quel point son texte voit plus loin que la
DDHC en s'attelant à réintégrer la moitié de la population dans la vie de la nation. A plusieurs
reprises, elle souligne l'urgence de sa prise de parole en même temps qu'elle témoigne de sa
conviction que les choses doivent changer en affirmant qu'elles changeront un jour ou l'autre :
« Dans cette sorte d’antithèse, que de remarques n’ai-je point à offrir ! je n’ai qu’un moment
pour les faire, mais ce moment fixera l’attention de la postérité la plus reculée. » Si les
hommes ont délaissé cette matière glorieuse, ce qui lui permet de dire qu'elle « laisse aux
hommes à venir la gloire de traiter cette matière », elle s'en est emparée et cherche à les
contraindre à engager cette nouvelle révolution. Il serait dommage que la société s'arrêtât en
si bon chemin.
On voit bien à quel point le geste même de réécrire la DDHC et de la transformer
en DDFC est une manière de combattre pour l'égalité des femmes, de remettre en cause
l'Ancien Régime et les bases trop timides du nouveau régime.

II La question de la réécriture proprement dite de la DDHC

L’œuvre s’inscrit donc dans des principes philosophiques communs à la DDHC


qui engagent une certaine vision de l’individu et de la société. Mais elle cherche à faire
sentir la nécessité d’aller jusqu’au bout de ces principes en s’engageant pour l’égalité
entre les hommes et les femmes.
1) Les principes communs et le pastiche
La DDFC, tout comme la DDHC, s’inscrit dans une pensée des Lumières, qui renoue
avec une pensée humaniste. Le combat mené est celui de la raison.
La pensée politique des rédacteurs de la Déclaration est très imprégnée par la
philosophie du « droit naturel », notamment celle de l’Anglais John Locke, mais aussi par
l’humanisme et l’individualisme des Lumières françaises fondés sur l’universalisme de la
raison et l’idée d’égalité des hommes (https://www.youtube.com/watch?v=U8qjsknCyVs =
vidéo très utile pour bien comprendre l’articulation droits naturels et contrat social au centre de
la DDHC comme de la DDFC). L’affirmation de la liberté des individus et la place accordée à la
loi, expression de la « volonté générale » au sein d’un « contrat social », témoignent de
l’influence de Rousseau1. On y trouve également les idées de Voltaire en faveur de la liberté
de conscience2 et la nécessité d’un régime fondé sur la séparation des pouvoirs garantissant
contre l’arbitraire exprimée par Montesquieu 3. Le rationalisme irrigue, grâce à l’Encyclopédie

1 La philosophie politique de Rousseau est bâtie autour de l'idée que l'Homme est naturellement bon et que la société le
corrompt. Par « naturellement bon », Rousseau entend que l'être humain à l'état de nature a peu de désirs, de sorte qu'il
est plus farouche que méchant. Ce sont les interactions avec les autres individus qui rendent les êtres humains
« méchants » et conduisent à l'accroissement des inégalités. Pour retrouver une bonté naturelle, l'homme doit avoir
recours à l'artifice du contrat social et être gouverné par des lois découlant de la volonté générale exprimée par le peuple.
Pour Rousseau, contrairement à ce que pense par exemple Diderot, la volonté générale n'est pas universelle, elle est
propre à un État, à un corps politique particulier. Rousseau est le premier à conférer la souveraineté au peuple. En cela,
on peut dire que c'est un des penseurs de la démocratie (et notamment de la démocratie directe) même s'il est favorable à
ce qu'il nomme l'aristocratie élective ou le gouvernement tempéré dans le domaine du pouvoir exécutif. (extrait de
l’article Wikipédia sur Rousseau)
2 Voltaire est de tous les philosophes des Lumières celui qui a fait du combat du combat contre l’intolérance une de ses
grandes priorités et ce combat passe par l’affirmation très forte de la liberté de penser. Un discours de Robespierre
(https://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_de_Robespierre/Sur_la_libert%C3%A9_de_la_presse#cite_ref-1 ) sur la
liberté de la presse est marqué par la pensée voltairienne.
3 Le fameux principe de séparation des pouvoirs formulé dans De l’esprit des lois. Au chapitre IV du livre XI,
Montesquieu définit le principe général du contrôle du pouvoir par le pouvoir
(https://fr.wikisource.org/wiki/Esprit_des_lois_(1777)/L11/C4 ) puis au chapitre VI du même livre il définit les trois
pouvoirs qu’il convient de séparer :
« Il y a, dans chaque état, trois sortes de pouvoirs ; la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent
du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.
Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui
sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit, la sûreté, prévient les
invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance
de juger ; et l’autre, simplement la puissance exécutrice de l’état.
notamment, la pensée des élites de 1789. L’influence de l’Italien Beccaria (fondateur du droit
pénal) est également lisible dans la Déclaration.
Enfin, cette dernière s’inspire de grands modèles tels que l’Habeas Corpus de 1649 et la
Déclaration des droits de 1689 pour l’Angleterre et de la Constitution américaine de 1787
(source https://eduscol.education.fr/document/25273/download )
Ces références, Olympe de Gouges les fait siennes en reprenant le texte de DDHC.
Elle insiste en particulier sur le fait que l’égalité entre les hommes et les femmes relève de la
nature et que les droits auxquels celle-ci aspire sont naturels, c’est-à-dire qu’ils lui sont
reconnus de fait dès la naissance et non institués par la société. Cette idée nous paraît
aujourd’hui plutôt évidente mais après des siècles d’Ancien Régime fondé sur une inégalité à
la naissance entre les nobles et le peuple, cette idée était à proprement parler révolutionnaire.
Dans l’Exhortation aux hommes qui précède notre œuvre, elle insiste sur le fait que la nature
est un modèle d’équilibre et non de soumission d’un sexe à un autre : « parcours la nature
dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses,
l’exemple de cet empire tyrannique. » Elle met l’homme au défi de trouver dans la nature une
espèce aussi tyrannique que l’homme avec sa compagne. En même temps elle l’accuse
d’orgueil de prétendre à la grandeur à laquelle seule la nature, c’est-à-dire à travers elle un
créateur, peut prétendre. Puis elle ajoute : « cherche, fouille et distingue, si tu le peux, les
sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils
coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel. »
Cela a pour conséquence que la DDFC peut se lire comme une féminisation de la
DDHC. Olympe de Gouges suit de très près ce texte qui repose sur des principes qu’elle
respecte et elle se contente bien souvent de substituer « femme » à « homme ».
Ainsi elle affirme avec force que les droits de la femme sont « naturels, inaliénables et
sacrés », au même titre que ceux de l’homme, selon le même principe d’universelle égalité
des individus. Il est important alors pour elle de se contenter de substituer à « de l’homme » le
GN prépositionnel symétrique « de la femme » dans le Préambule et de déclarer ensuite dans
l’article Premier que « la femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ». Ensuite
seulement elle pourra les associer à l’article II mais il est important de proclamer la femme
comme un être humain qui a les mêmes droits naturels que l’homme. Enfin elle ne cesse de
souligner à quel point son œuvre cherche le bien commun, et notamment à corriger les
mœurs, associant comme le texte d’origine le bien-être de l’individu, le respect de sa liberté
naturelle, à l’institution d’un contrat social sain et raisonné.
On pourrait trouver contradictoire qu’elle dédicace son œuvre à la Reine, alors qu’elle
remet en cause les inégalités consacrées par l’Ancien Régime. Mais cette dédicace s’adresse
à une Reine, désignée dans le texte comme « celle que le hasard a élevée à une place
éminente », c’est-à-dire que rien ne fait d’elle un être supérieur, seule sa position sociale est
supérieure. Et parce qu’elle est femme avant d’être reine, elle est invitée à se soucier du droit
des femmes et à utiliser le pouvoir qu’elle détient en tant que reine pour faire reconnaître leurs

La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté
: et, pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel, qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.
Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la
puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse
des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.
Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative, et de
l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le
juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.
Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois
pouvoirs ; celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des
particuliers.
Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré ; parce que le prince, qui a les deux premiers
pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il
règne un affreux despotisme. »
droits. Nulle contradiction mais au contraire l’affirmation d’un désir d’une égalité sociale en
s’adressant directement à la Reine, en lui dédicaçant cette Déclaration au féminin.

2) Une réécriture qui n’est pas qu’une féminisation du texte de la DDHC


Mais il serait réducteur de n’envisager la DDFC que comme une féminisation de la
DDHC. Si la DDHC reconnaît des droits enfin acquis, la DDFC est davantage dans la
revendication et réclame des droits qui lui sont refusés. Il s’agit davantage d’une œuvre de
combat que la DDHC.
Sa lutte contre « la tyrannie » de l’homme à l’article IV s’inscrit dans la continuité de la
lutte des Lumières et de la DDHC contre tout pouvoir tyrannique qui ne tire sa raison d’être
que d’un intérêt personnel et non du souci de l’intérêt collectif. D’où l’insistance dans cet article
IV sur le fait qu’il s’agit de suivre « les lois de la nature et de la raison », insistance absente de
la DDHC, à lire en regard de l’ajout de l’adverbe « surtout » dans le syntagme coordonné « et
surtout la résistance à l’oppression » à l’article II. La raison, qui est à la source des progrès
dans l’héritage des Lumières, guide l’homme et doit se suppléer à son orgueil et sa soif de
pouvoir, et ce pour le bien commun. Elle doit l’inviter à reconnaître les droits naturels de la
femme. Cet héritage des Lumières est donc ce qui impose un combat contre l’obscure
tyrannie de l’homme et ce qui impose à la société d’aller plus loin dans le changement de
société en réformant ce qui légitime l’inégalité entre les hommes et les femmes: « ces bornes
doivent être réformés ».
Si l’article III reprend exactement le début de l’article III de la DDHC « Le principe de
souveraineté réside essentiellement dans la nation », faisant même allégeance à l’héritage
des Lumières et notamment de Rousseau évoqué précédemment, c’est pour ensuite définir
avec force la nation comme « la réunion de la femme et de l’homme ». Il s’agit bien ici de
redéfinir la nation, et donc de remettre en cause la DDHC dans sa reconnaissance exclusive
d’une souveraineté nationale masculine. Cet article III peut même s’interpréter comme la
réclamation d’un droit de vote pour les femmes (voir cours de l’explication de texte n°6).
Tantôt elle féminise les phrases en remplaçant « homme » par « femme » (articles I, IV,
VII), revendiquant des droits pour la femme, tantôt elle affirme l’égalité de la femme et de
l’homme en coordonnant « homme et femme » (articles II, VI, XIV), tantôt enfin elle s’écarte de
la DDHC pour réclamer des droits spécifiques ou révéler de façon frappante les injustices dont
la femme est la victime : « La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir
également celui de monter à la tribune. » (article X) ; « La Constitution est nulle, si la majorité
des individus qui composent la nation, n’a pas coopéré à sa rédaction. » (article XVI) ; « Les
propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés » (article XVII).
Ainsi les principes communs sont aussi à l’origine d’une revendication qui remet en
cause la légitimité d’un nouveau régime qui ignorerait les droits de la femme. Il s’agit bien
d’inscrire l’égalité des hommes et des femmes dans un changement de société qui doit être
plus audacieux. La DDFC cherche à aller plus loin que la DDHC dans le renversement de
l’Ancien Régime en tirant jusqu’au bout les conséquences sociales et politiques de la
reconnaissance d’une égalité naturelle des individus, reconnaissance à laquelle la femme a
autant le droit que l’homme. Le principe du pastiche est de faire référence à un texte qui a
autorité et auquel l’auteure elle-même reconnaît une forme d’autorité pour mieux mettre en
évidence ses manques, sa faiblesse. La DDFC se constitue alors comme un texte de combat
pour le droit des femmes déterminant pour l’avènement d’une société juste.

III Un texte hybride au service d’un combat pour la femme

En tant que texte de combat la DDFC est un texte hybride dans la mesure où la
réécriture de la DDHC précède un discours original qui vient prolonger cette réécriture,
dans la mesure aussi où la DDFC oscille davantage que la DDHC entre principes
généraux et exemples concrets et dans la mesure où elle oscille de même entre registre
pathétique et polémique, se démarquant du didactisme 4 de la DDHC pour se faire plus
polémique, formulant au passage des sentences qui ont vocation à marquer les esprits.

1) La singularité du Postambule : la mise en scène de la parole ou l’inscription de ce


texte dans un ensemble qui permet à Olympe de Gouges d’assumer sa prise de parole.
Le pastiche de la DDHC prépare la mise en scène d’une parole féminine dans le
Postambule. On ne peut réduire en effet la DDFC à une réécriture de la DDHC dans la mesure
où cette dernière présente un Postambule absent de la DDHC. Pour bien comprendre la
portée de cet ajout, il faut considérer la structure de l’œuvre.
Le Préambule mime le Préambule de la DDHC. Je colle ici une courte analyse du rôle du
Préambule de la DDHC :
« Quelle est la signification du préambule ?

Les « représentants du peuple français », par une déclaration solennelle, énoncent les «
principes simples et incontestables » qui seront les fondements de l’organisation juridique et
politique née de la Révolution. Dans la partition entre « droits de l’homme » et « droits du
citoyen », ce sont les premiers qui sont au cœur du préambule. Ces droits sont « naturels »
(donnés par la nature, ils préexistent logiquement à toute société organisée), « inaliénables »
(on ne peut pas les perdre) et « sacrés » (inviolables). La connotation religieuse du dernier
mot pouvait rassurer ceux qui considéraient ces droits comme octroyés par Dieu. La référence
discrète aux « devoirs » rappelle que certains constituants avaient demandé, en vain,
l’adjonction à la déclaration des droits, d’une déclaration des devoirs. La Déclaration ne
proclame pas des principes nouveaux : elle rappelle des droits dont il faut empêcher «
l’ignorance, l’oubli ou le mépris ». Ce texte est ainsi conforme à l’optimisme rationaliste des
Lumières : chaque homme peut trouver en lui ces vérités car il est doué de raison. L’invocation
déiste de « l’Être suprême », présenté comme simple spectateur et non comme source de la
Déclaration, est la marque du compromis passé entre libres penseurs et députés attachés à la
référence religieuse. La Déclaration définit les principes directeurs et les limites de l’action des
pouvoirs institués : leurs actes pourront « être à chaque instant comparés avec le but de toute
institution politique » qui est le respect et la garantie des droits, condition de réalisation du «
bonheur de tous 1 ». Ainsi affleure l’idée d’un contrôle des pouvoirs législatif et exécutif.
1. Cette référence rappelle la Déclaration d’indépendance américaine de 1776 faisant de « la
recherche du bonheur » un droit naturel. »
(source : https://eduscol.education.fr/document/25273/download )
Cette analyse peut s’appliquer au Préambule de la DDFC avec une différence non
négligeable. En effet la Déclaration d’Olympe de Gouges, contrairement à la DDHC, proclame
des principes nouveaux en proclamant l’égalité entre l’homme et la femme.
Ce Préambule est logiquement suivi d’une réécriture des articles de la DDHC qui se
situent dans la continuité de cette réclamation de droits nouveaux pour la femme.
La réécriture de la DDHC proprement dite s’arrête là. Mais elle est prolongée par un
Postambule qui se présente comme une exhortation aux femmes, symétrique à l’exhortation
aux hommes qui précède la Déclaration dans la brochure. Ce postambule se présente comme
un discours qui met en scène l’auteure à la tribune. La réécriture de la DDHC qui précède
donne légitimité à cette prise de parole d’une citoyenne qui s’adresse logiquement aux
femmes puis à l’Assemblée qui était enjointe au tout début du texte de proclamer la DDFC.
C’est en tant que citoyenne qu’Olympe de Gouges s’exprime et non seulement en tant que
femme, une citoyenne soucieuse du bien commun autant que du droit des femmes, une
citoyenne qui justifie son intérêt pour le droit des femmes par son intérêt pour le bien commun,
par sa volonté de participer à la construction d’une société meilleure. Elle inscrit cette réflexion
dans une réflexion plus globale, faisant référence à l’ensemble de ses « ouvrages politiques »

4 Un texte didactique est un texte qui cherche à instruire par un exposé méthodique et rigoureux, qui cherche expliciter les
notions qu’il aborde. Un dictionnaire est un ouvrage didactique. La DDHC dans une large a un aspect didactique : elle
explicite méthodiquement quels sont les droits de l’homme sur lesquels la nation va fonder la Constitution.
à la fin de l’avant-dernier paragraphe du Postambule. Elle fait de la reconnaissance des droits
de la femme une condition pour que la Révolution récolte les fruits qu’elle appelle de ses
vœux, soit la fin de la corruption des mœurs et du règne du vice. Parlant du commerce des
femmes qui réglait les rapports sociaux sous l’Ancien Régime, elle plaide pour qu’il n’ait plus
aucun crédit : «S’il en avait encore, la Révolution serait perdue, et sous de nouveaux rapports,
nous serions toujours corrompus ». La question de la corruption des mœurs est dans son
développement liée à l’inégalité entre les hommes et les femmes, qui poussent les femmes au
vice, n’ayant d’autre choix pour « faire fortune ».
Sa prise de parole prend sa légitimité dans la reconnaissance préalable des droits de la
femme dans la réécriture proprement dite de la DDHC. Elle demande à ses multiples
interlocuteurs de reconnaître ces droits.
Elle appelle les femmes à réagir et cherche par des tournures injonctives, interrogatives
et des formules sentencieuses et péremptoires à les inciter à combattre avec énergie :
« Femme, réveille-toi ; […] reconnais tes droits. »
« Ô femmes ! femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? ».
« Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les
affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir. »
Elle cesse ensuite les adresses directes pour parler de la Révolution et utilise des
tournures impersonnelles pour interroger la société dans son ensemble « Quelles lois reste-t-il
donc à faire pour extirper le vice jusque dans la racine ? ». Elle utilise ensuite le pronom
indéfini « on » pour envisager l’action possible de la société : « on peut la préparer par
l’éducation nationale, par la restauration des mœurs et par les conventions conjugales. » A
travers cette tournure impersonnelle (il reste) et ce « on », c’est bien la société dans son
ensemble qu’elle interpelle et l’Assemblée nationale en particulier en tant qu’émanation de la
souveraineté populaire. Dans une sorte de fausse concession provocante, elle admet que la
gloire d’une vraie Révolution reviendra aux hommes du futur pour inciter ceux à qui elle
s’adresse à agir dès maintenant.
Elle met ici des outils de l’éloquence au service d’un appel au combat et à l’action
politique qui se fait entendre dans le Postambule avec la légitimité acquise par les articles et le
Préambule qui précédent. Elle se met ainsi en scène en tant que citoyenne à la tribune, mise
en scène qui rend sa prise de parole vivante et marquante et qui cherche à remédier au fait
que la tribune publique lui soit dans les faits interdite.

2) Oscillation entre principes généraux et cas concrets


Les rapports entre le Préambule et les articles d’une part et le Postambule d’autre part
peuvent s’analyser aussi comme une oscillation entre principes généraux et cas concrets.
En effet d’un côté le Préambule et les articles définissent l’égalité homme-femme
comme un principe général en en faisant une évidence mathématique : les femmes constituent
la moitié de l’humanité. Olympe de Gouges le rappelle à plusieurs reprises : « la nation, qui
n’est que la réunion de la femme et de l’homme » (article III) ; « […] la Constitution est nulle, si
la majorité des individus qui composent la nation, n’a pas coopéré à sa rédaction » (article
XVI). L’article I définit l’égalité entre les hommes et les femmes comme étant naturelle en lui
donnant son origine dans la naissance et en faisant de la reconnaissance de l’égalité de la
femme la condition à la préservation de sa liberté naturelle dans la reformulation de l’article I
de la DDHC en « La femme naît libre et demeure égale à l’homme. » Cet article I se prolonge
dans l’article XIV qui aborde la question de la contribution des femmes à l’impôt public dans la
mesure où elles ont leur mot à dire pour la gestion de cet impôt « par l’admission d’un partage
égal » : « Les citoyennes ne peuvent y adhérer que par l’admission d’un partage égal, non
seulement dans la fortune, mais encore dans l’administration publique, et de déterminer la
quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée de l’impôt. » L’égalité de la femme face à la loi
est réitérée et la DDFC insiste même sur la nécessité qu’elle soit punie sans égard pour son
sexe lorsqu’elle se rend coupable d’un acte répréhensible (articles VII, VIII et IX). Elle
revendique le droit à la liberté d’expression, notamment celle de déclarer le père de son enfant
(articles X et XI). L’article VI réclame pour elle l’égal accès aux fonctions publiques. Enfin
l’article XVII tire les conséquences des principes précédents pour reconnaître celui de son
droit à la propriété et du partage des fortunes entre l’homme et la femme.
Ces principes généraux s’articulent à des cas concrets développés dans le Postambule.
Elle y dresse en effet un tableau de la condition féminine dans une société qui ne reconnaît
pas les principes énoncés dans les articles et le Préambule.
Elle commence par peindre la dépravation des mœurs de la femme qui était proche des
hommes de pouvoir sous l’Ancien Régime, donc de la femme noble : une femme dépravée au
pouvoir illusoire. Pour avoir un semblant de pouvoir et se faire une place dans la société qui ne
leur en reconnaissait aucun, la femme n’avait d’autre choix que l’intrigue amoureuse et la
dissimulation : « Elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus
irréprochable ne leur résistait pas. » ; elle exerçait une « administration indigne », tout cela
participant d’un « effroyable tableau », la contrainte exercée sur elle entraînant la
dissimulation, le vice.
Puis elle évoque la femme modeste qui est une femme exploitée, souvent victime des nobles
qui profitent de sa crédulité pour la séduire, l’engrosser et la laisser seule avec son enfant, en
butte à la misère et au déshonneur : « Mais celle qui est née d’une famille pauvre, avec du
mérite et des vertus, quel est son lot ? La pauvreté et l’opprobre. » Ainsi Olympe de Gouges
évoque l’injustice qui prive les femmes, à compétences égales, d’emplois dans
l’administration : « Si elle n’excelle pas précisément en musique ou en peinture, elle ne peut
être admise à aucune fonction publique, quand elle en aurait toute la capacité. »
Ce tableau concret de la condition des femmes contraste de manière choquante avec
les principes édictés précédemment et donne lieu à des propositions concrètes d’action pour
rendre ces principes vivants et respectés : le partage des fortunes, l’accès à la fonction
publique et la réforme du contrat social entre l’homme et la femme, le mariage étant un contrat
social caduc car il ne considère par l’homme et la femme comme égaux. On peut prendre
l’exemple de l’accession aux fonctions publiques pour se rendre compte du lien entre les
articles et le Postambule. Dans l’article VI, le principe d’égalité d’accès aux fonctions publiques
est énoncé : « toutes les citoyennes et tous les citoyens, étant égaux à ses yeux [ceux de la
loi], doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon
leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents ». Il
s’agit de l’énoncé d’un principe général. Ce principe est confronté dans le Postambule au
tableau de la condition féminine pour constater qu’une femme, même « avec du mérite et de la
vertu » « ne peut être admise à aucune fonction publique ». La conclusion à tirer de cette
confrontation de la réalité aux principes énoncés dans l’article VI est la nécessité de faire des
lois sur « l’administration publique », lois particulières et non plus principes généraux, lois
visant à établir une société qui prenne en compte les principes généraux d’égalité. Lois
associées à une action politique, matière des « ouvrages politiques » d’Olympe de Gouges.
Cet exemple permet de montrer à quelle point la portée du Postambule est bien plus grande
du fait des articles qui précèdent tandis que les articles qui précèdent et affirment des
principes généraux sont enrichis d’un programme qu’on pourrait dire politique pour combattre
l’inégalité.
L’oscillation entre principes généraux et narration de cas concrets permet donc
d’orienter l’œuvre vers l’action politique.

3) Oscillation entre un registre pathétique et polémique


Une autre oscillation, entre registre pathétique et polémique permet de donner une
portée plus grande à l’œuvre et de légitimer le combat. La volonté de combattre se nourrit du
tableau pathétique du sort malheureux de la femme.
Il est en effet notable que l’auteure prend la parole en tant que femme sensible à la
souffrance des femmes et sensible à sa propre souffrance de femme. On pourrait au passage
faire remarquer que dès les articles elle mentionne le droit des femmes à déclarer le père de
leur enfant, et que la question des bâtards revient encore dans le Postambule, comme un
motif récurrent, pour souligner l’injustice dont ils sont les victimes du fait que leur mère non
mariée n’a aucun droit. Cette injustice, Olympe de Gouges la connaît bien puisqu’elle se
déclare fille naturelle non reconnue d’un noble, Jean-Jacques Lefranc de Pompignan. La
détermination qu’elle a à combattre l’inégalité dont elle se sent la victime du fait de sa
biographie et surtout en tant que femme est liée dans le texte à l’expression d’une souffrance.
En effet, régulièrement le texte oscille entre un registre pathétique et un registre polémique,
l’un semblant justifier l’autre. Je vous renvoie en particulier à l’étude de la fin du Postambule
(explication de texte n°8) qui part du tableau pathétique de femmes abandonnées par leurs
amants pour proposer des changements concrets de société et s’insurger contre l’injustice
faite aux femmes. On peut montrer la surenchère pathétique au tout début de l’extrait de
l’explication n°8 qui s’oppose à la succession de subordonnées hypothétiques qui toutes
constituent des condamnations du comportement inhumain de l’homme.

4) L’art de la formule sentencieuse


L’énergie déployée pour faire entendre ses idées et mener un combat politique donne
lieu à la formulation de propos sentencieux qui sont construits pour marquer les esprits. On
pourra étudier ici les formules sentencieuses restées célèbres dans l’histoire du texte, ces
formules qui ont comme une existence possible hors du texte, qui ouvrent un champ du
possible :
« la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également le droit de monter à la
tribune » = formule au présent de vérité générale, article défini « la » à valeur généralisante,
parallélisme de construction, qui crée un rythme binaire appuyé sur une première proposition
qui s’avère être un alexandrin blanc et une seconde qui amplifie ce rythme ; formule
sentencieuse qui est d’autant plus restée en mémoire qu’elle illustre de manière tragique le
destin d’Olympe de Gouges, monter sur l‘échafaud pour avoir osé dire ce qu’elle pensait de
Robespierre.
« le mariage est le tombeau de la confiance et de l’amour » = formule au présent de vérité
générale, article défini « le » à valeur généralisante, travail sur le rythme 3/4/4/4 ; coordination
de deux éléments « de la confiance et de l’amour » qui semble fermer la proposition sans qu’il
n’y ait rien à ajouter (effet de clôture du rythme binaire de la coordination).
Moins célèbre mais tout aussi efficace : « Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu »
Ou encore : « Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? » = alexandrin blanc lui aussi
L’éloquence de son discours joue ici aussi sur l’émotion produite par ces énoncés,
émotion par ailleurs exploitée pour légitimer son combat.

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