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La littérature d’idées et la presse du XVIe au XVIIIe – Parcours : Ecrire et combattre pour l’égalité

LA DECLARATION DE LA FEMME ET DE LA CITOYENNE, Olympe de Gouges, 1791

ETUDE LINEAIRE n° 7 : Les « hommes de couleur »

Eléments d’introduction

Le texte est extrait du postambule, après la Forme du contrat social de l’homme et de la femme où l’autrice prend position en faveur du partage des biens entre les
hommes et les femmes, au sein du mariage et de leur succession. Mais au-delà de ses combats féministes, Olympe de Gouges est une humaniste qui milite également
pour la cause des Noir(e)s, ce qu’elle a déjà fait notamment dans sa pièce Zamore et Mirza. En dénonçant la condition des esclaves, l’extrait soumis à notre étude
établit un lien étroit entre les hommes de couleur et les femmes, unis dans le même asservissement contre-nature.

La défense des droits des hommes noirs opprimés par les colons fait écho au sort injuste des femmes privées de droits civiques. Cette analogie transparait dans deux
phrases qui précèdent notre extrait : « Cette chaine d’union fraternelle offrira d’abord le désordre, mais par la suite, elle produira à la fin un ensemble parfait » (l. 249-
251), « Le préjugé tombe, les mœurs s’épurent, et la nature reprend tous ses droits. » (l. 256-257). Ces deux énoncés évoquent dans des termes équivalents les conflits
nés des conditions inégalitaires des femmes puis l’ordre qui vient de lois réparatrices : ils pourraient s’appliquer également aux propos de l’autrice sur les violences
envers les Noirs, que seule l’égalité devant la loi pourra enrayer.

En outre, l’extrait soumis à notre étude est introduit par « Il est bien nécessaire que je dise quelques mots sur [...] » (l. 259). Cette expression forme une transition
entre la condamnation de la condition de la femme dont il a été question jusque-là et celle de la condition de l’esclave que l’autrice va désormais aborder.

Enfin, Gouges s’appuie sur le même argument pour dénoncer les inégalités subies par les femmes et par les « hommes de couleur » : celui de la nature. En effet, dès
Les Droits de la femme, elle ordonne à l’homme de constater l’égalité des sexes dans la nature, afin de prouver que la tyrannie qu’il impose à la femme est contre-
nature. De même, dans notre extrait, l’autrice rappelle que l’inégalité imposée par les colons s’oppose aux lois naturelles.

Trois mouvements composent cet extrait :


⎯ De « Il était bien nécessaire » à « l’Amérique» : rappel du contexte historique, l’insurrection de Saint-Domingue suite à la publication du décret du 15 mai
1791.
⎯ De « Les colons prétendent » à « vers l’Amérique » : par leur inhumanité et leur cruauté contre-nature, les colons sont les premiers responsables de ce
désordre et de ces violences.
⎯ De « Une main divine » à « plus effroyables »: les valeurs de la République, en particulier la liberté et l’égalité devant la loi, doivent guider les hommes dans
leurs combats contre toutes les injustices et formes d’inégalité.
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Problématique : nous observerons comment Olympes De Gouges, avec beaucoup de cohérence, introduit dans son œuvre un autre combat pour l’égalité :
celui des colons et « les hommes de couleurs ».

Analyse linéaire
Premier mouvement :
texte analyse
Il était bien nécessaire que je dise quelques « bien nécessaire » renforcement de l’adjectif par l’adverbe « bien », « je » pronom pers. : souligne
mots sur les troubles que cause, dit-on, le l’importance du sujet et l’implication de l’autrice.
décret en faveur des hommes de couleur1,
dans nos îles. C'est là où la nature frémit « le décret en faveur des hommes de couleur » comme souvent dans la DDFC, l’autrice se permet des
d'horreur ; c'est là où la raison et digressions sur l’actualité. Son œuvre est à la fois intemporelle (avec des propositions universelles pour
l’égalité : le contrat social par ex. ou la déclaration des droits de la Femme) et circonstanciée (liée aux
l'humanité n'ont pas encore touché les
circonstances, s’appuyant sur l’actualité) > la vivacité de son propos est renforcée par ces aller-retours entre
âmes endurcies ; c'est là surtout où la ce qui se passe en France à ce moment-là et ce qu’elle demande pour l’avenir de tous les citoyen(ne)s +
division et la discorde agitent leurs
habitants. ATTENTION « hommes de couleur » = les métisses, pas tous les esclaves.

« dit-on » : pronom indéfini qui renvoie à l’incertitude du propos et tient à distance la cause « des troubles ».
De Gouges ne partage pas ce point de vue (pour elle ce n’est pas le décret qui cause des troubles mais la
violence de l’esclavage). Elle le présente comme un « qu’en dira-t-on », une rumeur, des propos mal assumés.

La répétition ternaire (= 3 fois) du groupe présentatif « c’est là où » forme une anaphore qui, associée à une
présentation chaotique des colonies, crée d’emblée un effet de dramatisation.
En effet, on trouve le champ lexical du chaos : « troubles » « division », « discorde », « agitent » + hyperbole
« frémir d’horreur » qui s’oppose aux idéaux des Lumières « la nature », « la raison », « l’humanité »
Il n'est pas difficile de deviner les L’identification des auteurs (dit-« on ») se précise : « les instigateurs de ces fermentations incendiaires »
instigateurs de ces fermentations début de la métaphore filée de l’incendie qui se poursuit ensuite et qui va souligner l’escalade de la violence.
incendiaires : il y en a dans le sein même « Dans le sein même de l’Assemblée nationale » : les inégalités entre les races sont, comme les inégalités
de l'Assemblée nationale. entre les sexes, sont entretenues au sein même de l’Assemblée et malgré la Révolution et la DDHC, Gouges le
rappelle encore.

Deuxième mouvement :
Les colons prétendent régner en despotes Antithèse entre les deux GN « les despotes » et « les pères et les frères » qui renvoient tous les deux à « les
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sur des hommes dont ils sont les pères et colons » et permettent de conclure à « la méconnaissance des droits de la nature ». De Gouges reprend, en
les frères ; et méconnaissant les droits de la toute logique, l’argument de la nature déjà évoqué dans l’exhortation aux hommes ou encore le contrat
nature, ils en poursuivent la source jusque social. Elle l’applique à la discrimination raciale cette fois.
dans la plus petite teinte de leur sang.
Deux termes qui évoquent l’ancien régime : « régner » , « despotes » + le verbe « poursuivre » qui désigne
clairement les colons comme les agresseurs et non l’inverse comme certains voudraient le faire croire (cf doc
joint sur les événements de Saint Domingue)

« la plus petite teinte de leur sang » : le sang est en principe toujours de la même couleur mais
l’hyperbole (la moindre petite) souligne que les colons y recherche « la moindre petite teinte » de
différence.

Ces colons inhumains disent : « Notre sang Double sens du mot « sang », l’autrice exploite la polysémie (les différents sens) du mot qui est répété 3
circule dans leurs veines, mais nous le fois dans le passage : le sang = ce qui crée des liens entre personnes de mêmes parents mais aussi celui qu’on
répandrons tout5, s'il le faut, pour assouvir fait couler quand on persécute les esclaves.
notre cupidité ou notre aveugle ambition. » En donnant accès à leurs paroles rapportées au discours direct, l’autrice met en lumière leurs honteuses
aspirations, soulignées par les termes dépréciatifs « cupidité » et « aveugle ambition », placés en fin de
phrase dans un effet de chute, faisant des esclavagistes des hommes avides de pouvoir jusqu’à la déraison.
C'est dans ces lieux les plus près de la « ces lieux les plus près de la nature » : les colonies sont considérées comme des territoires plus sauvages que
nature que le père méconnait le fils ; sourd ceux d’Europes, plus primitif (cela se discute mais c’est la pensée de l’époque)
aux cris du sang, il en étouffe tous les
charmes. Champ lexical de l’infanticide (infanticide = meurtre de son enfant) : « le père » / « le fils » / « les cris » / « le
sang » / « étouffe » qui est désigné comme un crime contre-nature.

Que peut-on espérer de la résistance qu'on Ce n’est pas une question réthorique : De gouges se propose d’analyser les conséquence du non respect des
lui oppose ? droits de la nature.

La contraindre avec violence, c'est la « contraindre » « violence » « terrible » « calamités » : vocabulaire très disphorique (= negatif, qui évoque
rendre terrible, la laisser encore dans les des choses négatives).
fers, c'est acheminer toutes les calamités « Vers l’Amérique » : la chute de la phrase apporte une réflexion politique intéressante : la violence
vers l'Amérique. engendrera des troubles pour tout le continent. La force de ces mots vient qu’ils résonnent encore
aujourd’hui car l’Amérique reste confrontée à des violences racistes et montre à quel point De Gouges a une
vision juste de l’avenir.
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Troisième mouvement :
Une main divine semble répandre partout
l'apanage de l'homme, la liberté ; la loi Champ lexical de la justice (cela annonce le pouvoir legislatif qui fait les lois et qui est évoqué plus bas) :
seule a le droit de réprimer cette liberté, si « loi », « droit », « décret », « réprimer ».
elle dégénère en licence8 ; mais elle doit
être égale pour tous, c'est elle surtout qui Cette phrase rappelle les premiers articles de la Déclaration : Sur le plan formel, l’emploi du présent de vérité
doit renfermer9 l'Assemblée nationale dans générale donne aux articles comme à la phrase de cet extrait la même universalité. Dans les deux textes, la
son décret, dicté par la prudence et par la valeur première à laquelle l’homme doit accéder est la liberté. Alors qu’il s’agit du premier droit inaliénable
justice. de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, cette valeur est exprimée de manière solennelle
puisqu’elle émane de la « main divine » et qu’elle constitue « l’apanage de l’homme ». Cette « main divine »
fait écho à l’expression « sous les auspices de l'Être suprême » qui précède la mention de l’article premier.
Dans les premiers articles comme dans cet extrait, la liberté est indissociable de l’égalité. Ainsi, l’expression
« égaux en droits » de l’article premier trouve son équivalence dans celle employée par Olympe de Gouges :
« elle doit être égale pour tous » (l. 280).

Puisse-t-elle agir de même pour l'état de la Le souhait final exprimé par le subjonctif présent « puisse-t-elle agir » associé à la modalité exclamative
France, et se rendre aussi attentive sur les traduit l’espoir de l’autrice en une République plus juste qui saura être favorable aux esclaves et à toutes les
nouveaux abus, comme elle l'a été sur les catégories opprimées.
anciens.
Mon opinion serait encore de « Mon opinion » nouvelle marque de l’implication de l’autrice qui s’exprime en son nom et sans détour.
raccommoder le pouvoir exécutif avec le Gouges demande un équilibre plus juste entre les deux pouvoirs car son constat est que les faits ne suivent
pouvoir législatif, car il me semble que l'un pas les lois, comme elle l’exprime dans le parallélisme qui souligne leur opposition « l'un est tout, et que
est tout, et que l'autre n'est rien ; d'où l'autre n'est rien ».
naitra, malheureusement peut-être, la perte la conclusion de sa phrase vise à alerter le lecteur et à le faire réfléchir au-delà de la lecture du texte : « la
perte de l’empire français » (l’empire = les colonies) clôt son discours sur une vision alarmante pour le lecteur
de l'empire français.
de l’époque et l’abandonne face au choix de laisser ou non advenir cet avenir.
Je considère ces deux pouvoirs comme Rappel des mots du préambule à la DDFC > cela souligne la cohérence des discours de De Gouges
l'homme et la femme qui doivent être unis,
mais égaux en force et en vertu, pour faire
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un bon ménage.

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