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COMMENT CETTE ŒUVRE ILLUSTRE-T-ELLE UNE CRISE PERSONNELE ET FAMILIALE

A TRAVERS UNE CRISE DU LANGAGE ?

Plan

I) Crise personnelles des personnages

1) 1 crise fixe
2) 1 crise en mouvement
3) Des identités fluctuantes (qui varient)

II) Crise familiale

1) Les retrouvailles ont semé la panique


2) Violence dans un huis clos
3) Tonalité tragique au sein de la famille

III) Crise de la parole

1) Crise du langage
2) Crise de la communication
3) Le pouvoir du silence

I)

1) Une crise fixe

Louis en tant que personne statique choisit le silence plutôt que la parole. Même s’il veut annoncer sa mort
au début de l’œuvre il ne le fait pas car il veut que les autres membres de sa famille puissent parler comme
s’il n’allait pas mourir. En effet, annoncer sa mort aurait biaisé le retour car on ne peut pas s’énerver contre
un mourant. Ainsi Louis même si c’est le personnage principal, choisit de garder le même statut au cours de
la pièce : celui du protagoniste mourant silencieux qui écoute pour entendre l’autre.

Le retour de Louis représente aussi le retour du fils prodigue car Louis est admiré par sa famille. Cela le
limite à l’image de l’enfant avec un don celui de l’écriture, « ce don » qui ne se sent pas aimé, qui est seul
et qui est abandonné. Même si la solitude est son choix. Par conséquent, il s’agit du retour de la victime, du
voyageur de la « bonté même ». C’est cette image qu’incarne Louis au cours de l’œuvre et c’est pour cela
que Catherine Brun dit que « Louis est une figure intouchable ».

Largarce insiste sur le paradoxe que crée Louis lorsqu’il parle de sa solitude. Notamment, dans la scène 5
de la 1ère partie au cours de laquelle Louis fait son 2 ème monologue. Dans ce monologue il exprime ce
paradoxe : il souffre car il est seul mais il s’est isolé « on m’abandonna, car je demande l’abandon » il le
redit différemment plus tard : « on m’abandonna toujours…. Parce qu’on ne saurait m’atteindre, me
toucher ». Grâce à ce passage on note que les raisons de cette solitude sont : Tout d’abord, il n’est pas en
présence physique de sa famille, il a mis de la distance entre eux et lui. Enfin, Il éprouve un sentiment de
solitude quel que soit le nombre de personnes qui l’entourent. Cependant, la crise est visible car non
seulement il prend conscience de ce paradoxe mais il ne dit même pas pourquoi il recherche cette
solitude qui pourtant le fait souffrir « je n’aime personne et je suis solitaire ». L’homosexualité de Louis qui
est l’un des non-dits de la pièce autour duquel tournent certains des échanges est sans doute la cause de
cette volonté d’éloignement. S’éloigner, c’est échapper au jugement de l’autre, c’est se protéger. On peut le
comprendre dans une relation familiale qui peut être pleine d’attente, de tabous et de déceptions. Louis
adopte donc une position fixe loin de sa famille pour plus de 12 ans.

En effet, cet éloignement a fait que Louis sait qu’il est déjà mort pour les autres car il s’est isolé même si
sa famille ne sait pas encore la nouvelle. Son départ les a forcés à l’aimer, sans le voir, comme l’on ferait
d’un défunt. C’est pour cela qu’au cours de la pièce on a l’impression qu’il est là sans être là. Notamment
pendant l’ « Intermède » lorsque tout le monde le cherche mais il ne répond pas.

2) Une crise en mouvement

Antoine est 1 des seuls personnages en mouvement dans toute la pièce. En effet, les personnages ont du
mal à être dans le présent, d’où l’abondance du passé composé, ou du futur. Car on contemple toujours un
autre temps, les souvenirs ou l’anticipation de l’avenir.

Dans la scène 3 de la 2ème partie Antoine parvient à faire une tirade. C’est une partie clé de l’œuvre car pour
la 1ère fois, l’un des personnages est dans le présent en train de parler à quelqu’un en face de lui, ici Louis

Antoine veut toujours fuir, il ne reste jamais en place. Il est opposé à son frère Louis, silencieux et statique.
Antoine est bruyant, il parle bcp car il n’arrive pas comme son frère à rester dans le silence.

Antoine est une personne qui ne supporte pas d’être figé sous l’étiquette du frère brutale d’où ses
répliques : « brutal », je ne voulais pas être brutal, je ne suis pas un homme brutal, ce n’est pas vrai, c’est
vous qui imaginez cela, lorsque Catherine lui dit « tu es un peu brutal {…} parfois tu es un peu brutal » or
ses actions et son langage le sont notamment quand il dit à Louis « Tu me touches : je te tue. »

Le théâtre c’est l’art de montrer. La représentation cinématographique de la pièce par Xavier Dolan par
exemple permet d’illustrer d’avantage le mouvement d’Antoine qui s’oppose à la fixité de Louis par les
paroles et les gestes.

Louis ne bouge pas beaucoup il marche lentement et son visage reste la plupart du temps figé.

Antoine parle fort il touche les autres personnages il bouge constamment dans tous les sens et menace
même de frapper Louis.

3) Des identités fluctuantes

Les identités des personnages sont fluctuantes, elles s’enrichissent d’une pièce à une autre.

Alors que Louis incarne la figure d’Ulysse qui doit reconquérir Ithaque Suzanne et Antoine ont évolué sans
lui. Louis ne les connait plus. « Suzanne ne sait pas qui tu es » et Antoine dit : « il y a longtemps que tu ne
me connais plus / tu ne sais pas qui je suis »

Suzanne ressent une certaine fascination envers Louis, son retour lui rappelle la médiocrité et la banalité de
sa vie. L’absence de Louis la déçoit. Elle dit : « Je voulais être heureuse et l’être avec toi ». Elle donne bcp
d’importance à une relation qui au final n’existe pas car elle n’a jamais connu son frère et il ne la connait
pas. La mère explique dans la scène 8 que Suzanne sera « triste à cause de ces deux ou trois mots » de
Louis.

Antoine en l’absence de son frère ainé et de leur père ressent le besoin de prendre la position de la figure
masculine dominante, du bouc émissaire de la famille. Mais il échoue, Antoine est « dur » et « brutal quand
il parle de » Louis « ou silencieux et refusant d’ouvrir la bouche ». Ainsi, Antoine ressent de + en + de
rancœur envers son frère car il doit prendre une position de contrôle au sein de la famille qu’il ne sait pas
gérer. Il s’agit donc d’une crise personnelle identitaire chez Antoine car les
rôles familiaux ont été prédéfinis Antoine refuse les étiquettes.

Malgré sa fixité l’état d’esprit de Louis n’est pas fixe il fluctue, notamment lorsqu’il se trouve face à la
mort.

Dans la scène 10 de la 1ère partie Louis traverse plusieurs étapes psychologiques face à la mort :

Il est égocentrique

Il est haineux et veut prendre le contrôle de sa mort. Il veut avoir le choix de mourir. « je veux » « elle est
ma décision » « je décide de tout ».

Il ne veut pas que sa famille le regrette donc il se sacrifie « je me sacrifie ».

Il est dans le déni car il veut fuir la mort en voyageant.

La mort le rattrape et il l’accepte « Je perds. J’ai perdu. »

Ce rapport à la vie et à la mort est universel. Par ailleurs, dans cette scène Louis parle de lui-même comme
s’il était déjà mort et il est en train de faire son propre deuil. On pourrait dire qu’il suit les étapes du deuil
de Kübler Ross (1969) : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation.
Cette mort annoncée est aussi mise en avant dans l’intermède lorsque tout le monde l’appelle mais il ne
répond pas. C’est comme s’il était là sans être là car il est déjà mort.

II)

1) Les retrouvailles ont semé la crise

La pièce de Lagarce reprend la thématique du fils prodigue de la Bible qu’il a déjà développé dans d'autres
pièces. En effet, Louis incarne la figure du fils prodigue. Cela est à l’origine de la crise familiale car
lorsqu’il revient il est déjà déraciné de sa famille est de son lieu de naissance.

Dans la scène 3 de la 2ème partie le personnage de Louis comprend qu’il est déjà mort pour les autres car il
s’est isolé même si sa famille ne sait pas encore la nouvelle. Or, Louis se rend compte qu’ils sont
devenus étrangers les 1 aux autres. Il est un revenant, il revient du côté des vivants avec paradoxalement, la
mission de dire qu’il va mourir

Le fils prodigue est l’ainé de la famille donc lorsqu’il revient les autres personnages se concentrent
sur ce fils qui s’est métamorphosé en une sorte d’idole.

Louis se « plante » au centre de la famille ce qui crée inévitablement un déséquilibre familial et donc des
conflits. Les autres personnages savent que Louis ne reviendra pas après encore 12 ans donc c’est leur seule
chance pour dire tout ce qu’ils ont sur le cœur, toutes les choses non dites qu'ils gardaient jusque-là pour
eux.

Le retour de Louis vient bouleverser l’équilibre familial et réveiller les souffrances de chaque membre de la
famille

Une des grandes clés de lecture de cette pièce est le fait qu’il n’y a pas de déséquilibre entre les
personnages. Il y a un équilibre des forces entre Louis et sa famille car tout le monde est à la fois victime et
coupable. Les lecteurs ne peuvent pas prendre parti car personne n'incarne le rôle du gentil ou du méchant.
Cela rajoute une complexité à la pièce et à la crise familiale, puisqu’on ne peut pas mettre la faute sur une
seule personne.

2) Violence dans un huis clos

La violence psychologique dans la pièce est la + visible dans le conflit entre les 2 frères ennemis : Louis et
Antoine. Le retour du fil prodigue pour Antoine est le retour du frère aîné rival, il réactive les complexes
les passions et la jalousie. En effet les deux frères s’opposent dans une hiérarchie morale.

Tirade émotive d’Antoine dans la 2ème partie, scène 3 :

Antoine dénonce le manque d’authenticité de leur rapport. En effet chacun joue un rôle. Ainsi, Louis
a créé des rapports de force et a donné ces rôles.

Ce qui a obligé Antoine à être spectateur de sa souffrance car il n’a pas le droit de souffrir.

Louis joue le rôle du mal-aimé, de la victime. Il est dans une certaine posture un certain texte, le
silence et un certain genre théâtral, la tragédie. « C’est lui l’homme malheureux »

À cause de Louis, Antoine s’est senti coupable d’une faute inconnue.

En tant que porte-parole contre le fils aîné il étend ce sentiment à toute la famille « tu nous accables ».

Cette relation fraternelle sans père nous rappelle les frères d’Œdipe : Polynice et Étéocle. Le combat entre
ces 2 personnages était inévitable sachant qu’il n’y avait pas une figure de l’autorité paternelle pour les
séparer comme pour Antoine et Louis.

La violence verbale est omniprésente chez chaque personnage mais surtout dans le dialogue d’Antoine et
Suzanne.

En effet, ils utilisent de mots familiers lorsqu’ils se disputent : « Ta gueule, Suzanne. » « Merde, merde et
merde encore ! ». Mais aussi des menaces « Tu me touches : je te tue. » et la répétition de mots qui exprime
leur souffrance : « impuissance », « le renoncement » et « l’abandon ».

Ce choix de langage est minutieux car Lagarce souhaite dépeindre l’image d’une famille populaire qui subit
une crise.

Chez Xavier Dolan les gros plans, le travail sur la lumière et les couleurs qui évoluent dans le film créent
un contraste et une rupture entre les personnages pour exprimer la complexité des relations familiales et la
crise familiale.

3) Tonalité tragique au sein de la famille

La pièce de Jean-Luc Lagarce n’est pas une tragédie en revanche on retrouve certaines caractéristiques
propres à la tragédie qui témoignent de la crise familiale.

Le prénom de Louis est porté par trois générations d’hommes ce qui donne une dimension
héréditaire à cette histoire familiale. La tension entre les 2 frères rappelle aussi les tragédies classiques.

Le drame se traduit par 2 choses. D’une part, l’incommunicabilité et d’autre part le départ de Louis

L’intermède par exemple montre l’incommunicabilité car il s’agit avant tout d’une scène d’angoisse qui
illustre la peur de la perte de l’autre. Notamment lorsque la mère crie Louis et il ne répond pas. La scène 8
de 1ère partie met en valeur l’incapacité de parler, car la mère parle pour ne rien dire. Il semblerait que tout
le monde soit capable de parler à propos de quelqu’un d’autre d’une manière lucide.

Le départ de Louis est aussi tragique car dans la pièce Dieu n’est pas présent il n’y a donc pas de
fatalité divine. Louis a créé son propre malheur sans aucune justification. Il y a du tragique dans l’absence
de tragique. Cela révolte la mère, Suzanne et son frère. Ils vont tenter de comprendre Louis mais échouent.
De plus contrairement aux pièces tragiques il n’y a pas eu d’événement traumatique au sein de la famille
qui a pu pousser Louis à partir.
Au cours de la pièce tout est manipulé et anticipé. Ainsi toute l’action est déjà annoncée - En effet, les
personnages parlent très rarement au présent ils se positionnent toujours dans le passé ou le futur.

III)

1) Crise du langage

Les personnages sont incapables de trouver les mots exacts d’où l’abondance d’épanorthose, le travail de
répétition, de correction, de précision avec les parenthèses qui tentent de dire. C’est pourtant ce que Louis
fait pendant toute la pièce mais échoue car il n’y a pas de dénouement concret à la pièce. Ces procédés
littéraires créent de la tension et témoignent de la recherche des personnages de tendre vers la perfection de
dire. Alors que le « mot juste » n’existe pas.

Néanmoins, les épanorthoses ne rendent pas leur propos plus clair. Au contraire elles le complexifient.

Par exemple, dans la tirade d’Antoine, 2 ème partie, scène 3, les répétitions font émerger le tragique du
personnage.

Dans son œuvre Lagarce prouve qu’il n’y a pas assez de mots dans la langue française pour exprimer avec
exactitude ce que l’on ressent. En outre, nous sommes tous dans des approximations quand on parle. Ce
manque de précision est à l’origine de la crise de la parole.

Phèdre de Racine énonce clairement le chaos « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement ». C’est cette
notion de la parole que Lagarce déconstruit car il énonce le chaos mais à travers un langage à la fois
complexe et simple. Eugène Ionesco a le même rapport au langage que le dramaturge. Il montre
l’absurdité de la logique de la parole. Notamment, dans La Cantatrice Chauve où un langage courant et
banal explose.

2) Crise de la communication

Le langage chez Lagarce n’est pas adéquat pour se parler et se comprendre surtout en famille. Ainsi, Le
dramaturge illustre l’incommunicabilité des tabous familiaux et les non-dits.

Dans la pièce, les personnages ont du mal à se parler. « On s’entend mal » . D’où les monologues
ou les quasi-monologues. En effet, dans la pièce, il y a deux types de paroles monologiques : le vrai
monologue et le pseudo-monologue. Il faut donc toujours se demander s’il s’agit d’une tirade, d’un pseudo-
monologue ou d’un monologue.

Par exemple après la tirade d’Antoine devant Louis on ne sait pas si Louis l’a réellement écouté car il ne
réagit pas comme un frère. Il ne le prend pas dans ses bras. Cela rajoute donc une dimension tragique à la
scène.

C’est une des clés du texte. On ne connait jamais le statut de la parole, si la personne qui parle est entendue,
si la personne parle à elle-même ou si les mots ont suffi pour communiquer. C’est le drame de la
communication

Les personnages vont rompre avec le 4 ème mur pour communiquer avec le public au lieu de communiquer
entre eux.

Par exemple dans l’épilogue Louis s’adresse au public. Il brise l’illusion du 4ème mur en s’adressant
directement au spectateur. Lagarce rompt la dimension mimétique du théâtre.

De plus, dans sa tirade Antoine qui est devant les 3 autres femmes de la famille qui sont restées
muettes, dit « ceux-là » à la place de « celles-là ». Donc il ne peut qu'être en train de désigner le public.
Ainsi il semble que les personnages arrivent à communiquer mieux avec le public qu’entre eux.

3) Le pouvoir du silence
Le langage de Lagarce dans Juste La Fin du Monde est contemporain car Louis qui parle le - a le pouvoir
ce qui renverse le stéréotype théâtral qui donne le pouvoir et l’autorité à celui qui parle le + . Sachant que le
théâtre est l’espace de la parole absolue. Ici le silence a le pouvoir. « Le silence soit plus criant encore que
le cri même » (Annie Colognat)

Louis est riche de son silence « La bonté même » car il n’est jamais violent. Mais c’est ce manque de
réaction qui crée le drame. Son silence a pour but de laisser les autres mieux parler mais elle provoque de la
colère et de la confusion chez les autres personnages. Louis ne fait rien, ne dit rien donc on ne sait pas ce
qu’il ressent on a juste notre perception.

Selon Sylvian Diaz le silence incarne « L’échec du langage ». Si c’est le cas alors le silence de Louis est
un échec dans la mesure où il est venu pour parler mais ne dit rien. Par ailleurs, dans la scène 5, Louis a
une prise de conscience qu’il était déjà, d’une certaine manière, mort et qu’annoncer sa mort pour de vrai
allait bouleverser cet équilibre donc il choisit le silence plutôt que la parole.

CONCLUSION
Ainsi, Juste la Fin du Monde met en scène une crise personnelle, celle de Louis. En revanche, son retour
vient bouleverser l’équilibre familial et provoque une crise personnelle chez chaque personnage. En outre,
cela déclenche une crise familiale qui est à la fois violente et tragique. Le drame se traduit par une crise du
langage qui montre le pouvoir du silence dans la pièce. Par ailleurs, le style minimaliste, postmoderne et
absurde de Lagarce illustre son rapport à la parole. Or le théâtre est le genre littéraire de la parole absolue
donc c’est cette dernière qui pose les jalons de la crise personnelle et familiale. Tant que la parole est en
crise, les personnages sont enfermés dans l’incommunicabilité. Néanmoins, on peut se demander s’il peut y
avoir du théâtre sans la parole dans la mesure où pour Louis, le silence est le plus grand atout.

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