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Juste la fin du monde,


Lagarce, partie 1 scène 8 :
analyse
Commenter • Par Amélie Vioux

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Voici une lecture linéaire de la scène 8 de la partie I


de Juste la fin du monde de Jean -Luc Lagarce.

L’extrait commenté ici va de « La Mère : « Ce qu’ils


veulent, ce qu’ils voudraient, c’est que tu les encourages
peut-être… » jusqu’à la fin de la scène.

Juste la fin du monde, partie 1,


scène 8, introduction
Jean-Luc Lagarce est un dramaturge et metteur en
scène contemporain décédé prématurément en 1995, à
l’âge de 38 ans.

Son oeuvre, aujourd’hui traduite dans une douzaine de


langue, a rencontré un succès posthume.

L »intrigue de Juste la fin du monde, écrite en 1990,


repose sur le retour dans sa famille de Louis, 34 ans,
pour annoncer sa maladie et sa mort prochaine.

Néanmoins, des tensions apparaissent entre chaque


membre de la famille et Louis ne parvient finalement pas
à évoquer sa maladie. (Voir la fiche de lecture pour le
bac sur Juste la fin du monde de Lagarce)

Dans la partie 1 scène 8, la Mère dialogue seule avec


Louis. Dans une longue tirade, elle anticipe sur le
scénario qui pourrait se jouer au départ de Louis.

Problématique
Dans quelle mesure cette scène est-elle un combat à
fleuret moucheté entre la Mère et Louis ?

Plan de lecture linéaire


Dans une première partie, de « ce qu’ils veulent, ce
qu’ils voudraient » à « que tu t’en soucies« , la Mère
encourage Louis à reprendre sa place d’aîné.

Dans une deuxième partie, de « Ils voudraient tous les


deux que tu sois plus là » à la fin de la scène, un subtil
combat verbal se déclenche entre la Mère et Louis.

I – La Mère encourage Louis à


reprendre sa place d’aîné
A – Vis-à-vis de Suzanne
(de « ce qu’ils veulent, ce qu’ils
voudraient » à « que tu t’en soucies »)
La scène 8 de la première partie est constituée d’une
très longue tirade de la Mère à Louis. Dans l’extrait
étudié, la Mère indique ses attentes envers Louis.

Elle utilise la figure de l’épanorthose (figure de style qui


consiste à corriger ou nuancer un mot) pour passer de
l’indicatif au conditionnel (« ce qu’ils veulent, ce qu’ils
voudraient »).

Cette correction par le conditionnel montre la


dérréalisation du discours : sa demande entre dans le
domaine de l’imaginaire.

La Mère n’exprime pas directement ses propres


sentiments. Elle parle pour Antoine et Suzanne, évoqués
à travers le pronom personnel « ils » : « ce qu’ils
voudraient » .

Son discours est d’emblée placé sous le signe de


l‘incertitude et de l’hésitation, avec la figure de style de
l’épanorthose, le modalisateur « peut-être » et la
question entre deux tirets qui vient rompre la fluidité du
discours : » – Est-ce qu’ils ne manquent pas toujours de
ça, qu’on les encourage ? – » .

En « Mère », elle ramène Louis à son rôle de frère aîné


(34 ans contre 32 ans pour Antoine) à travers le champ
lexical du droit (« que tu leur interdises », « que tu les
autorises », « que tu leur dises ») qui montre la position
d’autorité que Louis n’a pas voulu endosser dans la
famille.

Elle imagine ainsi un scénario familial où Louis


reprendrait sa place d’aîné.

Ce passage est syntaxiquement structuré par un


enchaînement de propositions subordonnées
conjonctives dépendant de la proposition principale
(« Ce qu’ils veulent, ce qu’ils voudraient c’est que …. »).

Ces propositions subordonnées conjonctives


ressemblent aux fils que la Mère tisse autour de ses
enfants pour mieux les contrôler : « que tu les
encourages » , « que tu les autorises » , « que tu leur
interdises » , « que tu dises » , etc.

La majuscule à « Mère » fait d’ailleurs d’elle la figure


dominante de cette famille matriarcale.

La Mère souhaite que Louis invite Suzanne à lui rendre


visite.

Paradoxalement, elle autorise Louis à être insincère


dans son discours : « – même si ce n’est pas vrai, un
mensonge qu’est-ce que ça fait ? Juste une promesse
qu’on fait en sachant qu’on ne la tiendra pas ».

Cette phrase peut être comprise comme un


commentaire métathéâtral ( = sur le théâtre) car elle
donne la définition d’une pièce de théâtre, qui n’est
qu’une représentation : « même si ce n’est pas vrai, un
mensonge, qu’est-ce que ça fait ? »

La position de la Mère est dominante ici : elle agit


comme un metteur en scène qui indique à Louis que
dire et comment jouer.

Mais elle cherche surtout à retisser les liens familiaux et


commence par Suzanne.

La parole de la Mère est marquée par le chiasme « que


tu dises à Suzanne de venir, parfois, / deux ou trois fois
l’an, / te rendre visite / qu’elle pourra /qu’elle pourrait te
rendre visite… ».

Le chiasme correspond à la stratégie arachnéenne de la


Mère qui enferme ses enfants dans une parole
cocon, et qui essaie de ramener Louis dans son giron.

La parenthèse de la Mère au présent de l’indicatif


« (nous ne savons pas où tu vis) » rompt son discours et
résonne comme un reproche.

B – Vis-à-vis d’Antoine
(de « Que tu lui donnes à lui, Antoine » à
« C’est un garçon qui imagine si peu,
cela me fait souffrir »)
Elle poursuit avec Antoine en suggérant qu’il a usurpé
la place de l’aîné en se sentant « responsable » d’elle
et de Suzanne.

Elle encourage donc Louis a reprendre sa place


d’aîné, activant ainsi une forme de rivalité fraternelle
classique dans la tragédie grecque.

Ce topos de la rivalité fraternelle est ironique car la


Mère montre par le champ lexical de l’illusion
qu’Antoine rêve un pouvoir qu’il n’a jamais réellement
détenu : « sentiment », « il ne l’a jamais été », « Il a
toujours cru », « a toujours voulu le croire », « il se
voulait », « l’illusion » .

La Mère est celle qui défait l’illusion, va derrière les


masques pour montrer le vrai visage et la vraie place de
chacun : « il ne l’a jamais été », « un rôle qui n’est pas le
sien ».

Elle voit derrière les apparences et domine la situation


: « je sais cela mieux que quiconque » .

La Mère est celle qui perce l’inconscient des enfants


comme le suggère la gradation « devoir/douleur/crime »
qui révèle les pulsions inconscientes (« crime » ) derrière
l’ordre moral (« un devoir » ) : « et rien ne lui semble
autant un devoir dans sa vie / et une douleur aussi et
une sorte de crime pour voler un rôle qui n’est pas le
sien » .

On relève dans ce passage un vocabulaire théâtral :


« voler un rôle » , « tu lui donnes l’illusion » ,
« imaginer » .

Ce vocabulaire souligne que la maison familiale est


une scène de théâtre où l’illusion a dominé durant
l’absence de Louis.

Mais alors qu’elle démasque les autres, La Mère se


masque elle-même. Ne se cache-t-elle en effet pas
derrière le point de vue d’Antoine pour accuser Louis de
son absence : «qu’il pourrait à son tour (…)
m’abandonner, commettre une lâcheté comme celle-là (à
ses yeux, j’en suis certaine, c’en est une) » ? Elle
semble accuser Louis indirectement de la « lâcheté ».

II – Un combat verbal entre Louis


et la Mère
( de « Ils voudraient tous les deux que tu
sois plus là » à « c’est beaucoup de
temps »)
La Mère utilise la voix de ses enfants pour ramener son
fils dans son giron : « Ils voudraient tous les deux que tu
sois plus là » .

Lagarce met en évidence ici l’écart entre le langage et


la vérité. En effet, la Mère utilise une voie détournée
pour faire entendre sa vraie voix : derrière le « Ils
voudraient« , c’est sans doute le « je veux » qui est tapi.
Le langage masque l’inconscient, la vérité intérieure.

Elle met ainsi en scène une saynète de vie quotidienne


familiale où la succession de verbes à l’infinitif
cherchent à émouvoir Louis « qu’ils puissent te joindre,
t’appeler, se quereller avec toi et se réconcilier ».

Le polyptote de la deuxième personne du singulier


« t » , « toi » cherche à placer Louis au centre de cette
nouvelle famille.

Dans cette strophe, la Mère fait un portrait indirect de


Louis en décrivant les frères aînés comme : » absents
ou étranges » « des tricheurs à part entière ».

Ce portrait négatif fait émerger des tensions qui ne


sont pas toujours exprimées.

La répétition du syntagme « à leur tour » suggère qu’un


rééquilibrage est nécessaire. Cette tirade culpabilise
donc Louis comme le souligne le vocabulaire juridique :
« Tu serais un peu responsable« , « ils en auraient le
droit« , « pourraient en abuser » .

La question « Petit sourire ? » prononcée par la Mère


fonctionne comme une didascalie interne. Elle suppose
que Louis a souri, mais l’adjectif « petit » minore ce
sourire et suggère qu’il n’est peut-être qu’une
perception subjective de la Mère, d’autant plus que le
point d’interrogation montre un caractère incertain et
évanescent.

Nous ne sommes pas loin ici des tropismes de Nathalie


Sarraute, définis comme ces mouvements et
impressions indéfinissables, rapides, qui révèlent
l’intériorité des personnages.

La réponse de Louis « Juste le petit sourire » crée un


effet d’écho avec le titre de la pièce Juste la fin du
monde.

Ce parallélisme entre le « sourire » et « la fin du


monde » suggère la mélancolie de Louis face à un
destin inexorable qui rend dérisoires ces conflits
familiaux.

Le verbe « J’écoutais » à l’imparfait souligne la distance


intérieure de Louis.

Il faut noter que Louis a commencé sa réplique par le


mot-phrase négatif « Non. » qui suggère un refus aux
demandes de la mère. On peut voir là une certaine
insolence. Le spectateur assiste à un combat verbal à
fleuret moucheté.

La Mère ne veut pas céder de terrain et reprend Louis


avec autorité, réaffirmant sa posture matriarcale:
« C’est ce que je dis ».

Puis elle pose une question inattendue : « Tu as quel


âge / quel âge est-ce que tu as aujourd’hui ? ».

La structure en chiasme ABBA révèle encore une fois la


volonté d’enfermer et de dominer son enfant : « Tu as
quel âge / quel âge est-ce que tu as aujourd’hui ? ».

Cette question est blessante car elle montre que la mise


au monde de Louis fut un événement sans importance,
comme effacé de sa mémoire.

On ne peut écarter l’hypothèse de l’oubli mais il peut


aussi s’agir d’une parole destinée à blesser Louis car
elle le renvoie à une forme d’inexistence qui fait écho
avec la maladie qui va le faire disparaître.

Louis est bien entendu choqué comme le montre les


deux phrases interrogatives « Moi ? / Tu
demandes ? » qui accentuent l’incongruité de la
question. Le combat à bas bruit continue.

Alors que Louis répond (« J’ai trente-quatre ans »), la


Mère envisage cet âge comme une durée (« Trente-
quatre années », « C’est beaucoup de temps ? » )
comme pour suggérer la longueur passée entre la
naissance et le présent.

Elle ramène la naissance de Louis à son propre


accouchement « Pour moi aussi, cela fait trente-quatre
années » . Par cette phrase, qui est une évidence, elle
accentue la distance avec son fils.

Sa désinvolture blessante à l’égard de Louis sonne


comme un règlement de compte. Sa question finale (« je
ne me rends pas compte / c’est beaucoup de temps ? »
) peut être vue comme culpabilisante car elle renvoie
Louis à sa longue absence.

Juste la fin du monde, partie I


scène 8, conclusion
La tirade de la Mère prend la forme d’un long soliloque
ininterrompu dans lequel elle imagine un nouveau
scénario familial, où Louis reprendrait sa place d’aîné.

Tout en souhaitant ramener Louis dans son giron, La


Mère fait remonter à la surface les tensions et tient un
discours culpabilisant qui finit en combat à fleuret
moucheté avec Louis.

Jean-Luc Lagarce crée ici des effets d’échos avec le


théâtre de Nathalie Sarraute. Il semble donner une
représentation scénique des tropismes de Sarraute,
ces « mouvements indéfinissables qui glissent très
rapidement aux limites de notre conscience » et qui
constituent « la source secrète de notre existence »
(Préface de l’Ère des soupçons de Nathalie Sarraute).

Tu étudies Juste la fin du monde


? Regarde aussi :
♦ Juste la fin du monde, prologue (lecture linéaire)
♦ Juste la fin du monde, partie 1 scène 1 (lecture
linéaire)
♦ Juste la fin du monde, partie 1 scène 2 (lecture
linéaire)
♦ Juste la fin du monde, partie 1 scène 3 (lecture
linéaire)
♦ Juste la fin du monde, partie 1 scène 9 (lecture
linéaire)
♦ Juste la fin du monde, partie 1 scène 10 (lecture
linéaire)
♦ Juste la fin du monde, partie 2 scène 1 (lecture
linéaire)
♦ Juste la fin du monde, partie 2 scène 2 (lecture
linéaire)
♦ Juste la fin du monde, partie 2 scène 3 (lecture
linéaire)
♦ Juste la fin du monde, épilogue (lecture linéaire)

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