Lagarce tient le propos suivant : « J'entrepris de ne
raconter que ma propre impuissance à raconter... […]. Et naturellement, cette impuissance, je fus impuissant à la raconter... ». Dans quelle mesure ce propos éclaire-t-il votre lecture de Juste la fin du monde ? « Je voulais seulement dire » déclare Antoine dans la seconde partie de Juste la fin du monde. À travers son personnage, Jean-Luc Lagarce met en relief la difficulté de communication entre pairs. Cela est d’ailleurs observable dans la famille dépeinte par le dramaturge. Le personnage principal, Louis, y est amené à annoncer une tragique nouvelle à ses proches, mais sa volonté reste vaine. Le langage pudique de l’auteur traduit les crises avec lesquelles sont aux prises les personnages, et plus largement notre difficulté à communiquer. Dans une autre des pièces de Lagarce, Ici ou ailleurs, un personnage tient le propos suivant : « J'entrepris de ne raconter que ma propre impuissance à raconter... […]. Et naturellement, cette impuissance, je fus impuissant à la raconter... ». Cette impuissance du langage paradoxale pour le genre théâtral qui s’illustre pourtant par sa capacité à dire, nous amène à nous demander comment Juste la fin du monde met en scène, à travers l’impuissance à s’exprimer, des personnages en crise. Nous verrons que la teneur autobiographique de la pièce trahit la crise personnelle de l’auteur par le biais de celle de Louis, mais qu’au-delà de cela, la mise en lumière de liens familiaux compliqués traduit la crise de la communication que chacun peut traverser un jour.
I L’impuissance de Louis à communiquer, reflet de la crise personnelle de
l’auteur. A Louis, un personnage en crise qui ne parvient à parler que dans la solitude. Prologue « Plus tard, l’année d’après- J’allais mourir à mon tour » : seul le spectateur sait, à travers l’introspection, la réalité de la tragédie de Louis, les autres membres de la famille semblent être restés sur la crise du départ de la maison familiale, il y a dix ans.
B L’écriture de Lagarce révélatrice de sa crise.
Extrait de son journal : « Dimanche de Pâques en famille. Effrayant. Les armes aux yeux. Et eux qui ne veulent jamais rien voir. Et un jour il faudra leur dire que je suis en train de mourir ».
C Le théâtre comme un miroir qui se veut révélateur ou comment dire à travers
l’art. Difficulté de l’auteur à parler de sa tragédie à ses proches. La création comme remède à l’impuissance de la communication.
Transition : Si les personnages de Lagarce semblent révéler son impuissance à
communiquer, ils sont aussi le miroir du drame familial où parler pour ne rien dire et taire ce qu’il faudrait dire semble être le mécanisme révélateur de la crise de la communication.
II Des liens familiaux compliqués, une famille en crise.
A La figure de la mère, symbole du déni à l’origine des non-dit : « Tu as fait un bon voyage ? Je ne t’ai pas demandé ? »
B Suzanne, reflet de la mise à l’écart du passé, le silence contre la parole.
« Lorsque j’étais trop petite ou lorsque je n’existait pas encore ».
C L’agressivité d’Antoine, la souffrance qui résulte de la crise du langage.
Antoine « Vous êtes terribles, tous, avec moi ».
Pour conclure, Lagarce, en mettant en scène « l’impuissance à raconter »,
semble chercher à montrer, à défaut de pouvoir dire. L’incapacité et le manque de courage de Louis témoignent de sa crise personnelle. Il repart comme il est venu, avec son secret, laissant sa famille en crise, à son image. Et pourtant la pièce semble nous dire l’essentiel dans les maladresses de langage, les sous- entendus ou les mal-entendus. Cette réflexion nous amène à nous interroger ce qu’aurait été la pièce si Louis était parvenu à dire, les crises auraient-elles vraiment été résolues ?