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Séance 3 : Une structure complexe et signifiante

➔ Une fiction qui n’en est pas une :


La pièce de Lagarce fait partie du cycle dramatique du « fils prodigue », composé de quatre pièces
écrites entre 1984 et 1995, avec Retour à la citadelle (1984), J’étais dans ma maison et J’attendais
que la pluie vienne (1994) et Le Pays lointain (1995).
(Le « fils prodigue » est une parabole racontée dans la Bible. Elle narre l’histoire du fils cadet d’une
famille qui revient après avoir dilapidé, une année durant, toute la fortune de son père. Celui-ci
l’accueille pourtant les bras ouverts, sans que l’aîné ne comprenne pourquoi. Son père, qui salue la
repentance du fils égaré et revenu à eux lui dit alors : « il faut festoyer et se réjouir, car ton frère que
voici était mort, et il est revenu à la vie ».)
Juste la fin du monde, comme les autres pièces de cette tétralogie, marque l’histoire du théâtre par
la portée narrative et intime de Louis, sorte de double de l’auteur. L’histoire n’est pas à proprement
parler autobiographique, mais on peut l’assimiler au courant de l’autofiction qui marque la
littérature du XXe siècle, et qui se caractérise par un récit mêlant la fiction et l’inspiration
autobiographique.

➔ Un accueil discret avant le succès :


Jean-Luc Lagarce achève l’écriture de Juste la fin du monde en 1990. Son texte, novateur tant par
son langage que par son propos, sera refusé par tous les comités de lecture auquel l’auteur l’envoie.
À la suite de cet échec, Lagarce arrête d’écrire pendant deux ans, hormis quelques articles et textes
courts. Son texte ne sera publié qu’en 1999 dans la maison d’édition qu’il a lui-même créée, les
Solitaires intempestifs.
La première représentation théâtrale date de 1999, dans une mise en scène de Joël Jouanneau.
Aujourd’hui, cette pièce connaît un succès mondial. Traduite dans près de vingt langues, elle est
entrée au répertoire de la Comédie-Française en 2008, mise en scène par Michel Raskine et
récompensée par le Molière du meilleur spectacle (l’équivalent des Césars pour le cinéma) ; la
même année et jusqu’en 2010, elle est proposée pour l’épreuve théâtrale du baccalauréat. En 2012,
les agrégations de lettres modernes, de lettres classiques et de grammaire, l’inscrivent à leur
programme. Lagarce est actuellement l’un des dramaturges contemporains les plus joués dans
le monde.

➔ Une mise en scène de la crise :


Lorsque Louis entame le prologue, il avoue d’emblée qu’il va mourir, annonçant ainsi la crise
personnelle qu’il traverse. Il exprime cette perspective avec un calme étonnant (cette acceptation
est-elle si sereine ?) mais sa mère l’accable, se moquant de son petit sourire et de « cette façon si
habile et détestable d’être paisible en toutes circonstances ». Face à la famille qu’il vient de prévenir
de sa mort prochaine, la crise personnelle devient familiale, et chaque dialogue se mue en
querelles et en non-dits explosifs.

La crise est un sujet particulièrement intéressant au théâtre, car elle provoque des situations dotées
d’une forte portée dramaturgique, autant tragique que comique. En effet, toute pièce de théâtre
se développe à partir d’un conflit. Le nœud de l’action se forme quand les projets des personnages
principaux se heurtent à des obstacles. Le théâtre est « un affrontement d’individus » censés
convaincre, se défendre ou attaquer. L’objectif est de faire progresser l’action dramatique au gré
des divers affrontements.

Ici la crise tragique est triple : personnelle (impuissance face à la mort et la maladie non nommée
et mortelle, solitude totale du personnage qui subit le discours accusateur des autres), familiale, et
de l’incommunicabilité.

➔ La structure :
La pièce est encadrée par un prologue qui annonce sa situation, son projet, et par un épilogue (en
prosopopée : procédé d’écriture qui consiste à faire parler et agir un être inanimé, un animal, une
personne absente ou morte). Ici, Louis prend la parole alors qu’il est déjà mort : « Je meurs quelques
mois plus tard,/une année tout au plus ». Louis y annonce son échec ; il voulait « dire » mais il n’a
pas su, ou pas pu.
Entre ces deux interventions, la pièce est construite en deux parties séparées par un intermède.
(À l’origine, il s’agit d’un divertissement intercalé entre les actes d’une pièce). Ici, l’intermède n’a
pas vraiment une fonction « divertissante » mais fonctionne plus comme un intermédiaire entre deux
moments de tension intense.

La structure est irrégulière : 11 scènes dans la 1re partie, 3 scènes dans la 2ème, et grande
brièveté des 9 saynètes de l’intermède :

Le prologue propose une fausse annonce en créant l’attente d’un réconfort, d’une réconciliation
qui ne viendra pas.

Les deux parties présentent une absence d’action :


1re partie : Arrivée de Louis, 34 ans, un dimanche dans la maison de sa mère, pour annoncer à la
famille qu’il va mourir. Il a été absent longtemps, et après les banalités d’usage et quelques
évocations du passé familial, les tensions sous-jacentes surgissent, en particulier l’animosité de son
frère Antoine. Les reproches de son absence prolongée sont de plus en plus explicites.
Intermède : Les personnages ont du mal à se comprendre. Suzanne reproche à son frère d’avoir
été absent, Antoine dit à sa sœur qu’elle n’a jamais été malheureuse. Les malentendus dominent.
2ème partie : Elle s’ouvre sur un soliloque* de Louis qui assure vouloir partir et révéler son secret
à sa famille. Lors d’une scène familiale, Suzanne essaie de retenir son frère jusqu’au lendemain.
La colère, l’amertume d’Antoine envers son aîné explose, il devient violent, avant de s’excuser et
de décider de ramener Louis à la gare. Il propose, dans un soliloque de la dernière scène, une
réflexion touchante sur l’amour porté à Louis.

L’épilogue : Ce qui devrait être un dénouement est absent et substitue un autre récit, le regret du
cri. (Échec ?)
*soliloque : c’est une longue réplique ininterrompue d’un personnage qui est seul à parler mais
n’est pas seul sur scène. Dans un monologue, le personnage est seul en scène et se parle à lui-
même.

À retenir :

➔ L’histoire de Juste la fin du monde


- - N’est qu’en partie autobiographique.
- - Reprend un schéma utilisé par Lagarce dans de nombreuses pièces.
- - Met en avant le langage plutôt que l’action, comme souvent dans le théâtre du XXe siècle.
➔ La composition
- - N’est pas celle d’une intrigue linéaire (les scènes = des blocs de parole autonomes).
- - Présente une forte unité thématique en offrant une galerie de portraits de Louis.
- - Relève davantage d’une écriture poétique que d’une écriture dramatique.
➔ La crise du langage
- - Apparaît à travers les multiples répétitions des personnages et la recherche constante mais
vaine du mot juste.
- - Se manifeste dans la manière dont les uns parlent trop, les autres pas assez.
- - Se traduit par des dialogues selon le cas :
• artificiels car paralysés par les conventions sociales
• entravés par les affects des personnages
• établis dans un monde irréel et enfantin

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