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REPUBLIQUE DU CAMEROUN REPUBLIC OF CAMEROON

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ET SCIENCES HUMAINES FACULTY OF ARTS LETTERS

DEPARTEMENT DE LANGUE ET
LITTERATURE FRANCAISES
SPECIALITE :
LITTERATURE FRANCAISE
NIVEAU IV TRAVAUX DIRIGES

UE : LITTERATURE ET EPISTEMOLOGIE 

SUJET : Le principe de la coopération textuelle dans

Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce.

PRESENTE PAR :

YINA-NGOLO ADJIBERA BAILO 19D7983FL


MABLAKE Félix-Malloum 19D7980FL
WANGA Lazare 19D7993FL

ENSEIGNANT  Dr DEZOMBE Paul

Année Académique 2019-2020

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PLAN DU TRAVAIL

Introduction
I. Interférences génériques
II. Diversités des sujets abordés
a. Le thème du retour
b. Le thème de communication
c. Le thème de la solitude
III. Style et la langue

Conclusion
Bibliographie.

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INTRODUCTION

Selon les théoriciens de l’intertextualité, le texte littéraire est tissé d’autres textes. Ils
sont présents en lui à des niveaux variables, sous des formes plus ou moins reconnaissables.
Ainsi, le texte peut être le fruit des lectures antérieures. Il peut être le morceau de codes, des
formules, des modèles rythmiques, des fragments de style et de langue dont seul le lecteur
est en mesure d’établir les rapports entre les textes. D’où la notion de coopération textuelle.
Le présent travail est une lecture de Juste la fin du monde, une pièce qui aborde la question
de l’absence du fils et de son retour auprès de sa famille. La pièce s’inspire non seulement
de la parabole du Fils prodigue mais aussi du mythe de Caïn et d’Abel. Antoine s’offusque
du retour de son frère qu’il jalouse, il ne veut pas que Suzanne se réjouisse de sa visite.
Selon Antoine, Louis ne mérite pas qu’on l’accueille avec joie ; il a failli à ses
responsabilités et a mené une existence qu’Antoine n’a jamais connue. Les rapports entre la
mère et Antoine sont difficiles, d’autant plus que Louis est le fils favori. La pièce est
également dominée par les thèmes du retour, de la difficulté de communication entre les
hommes, de la solitude. Enfin, face à la mort inéluctable, le personnage cherche à
rassembler des éléments de sa vie et à donner de la cohésion à son existence. Nous
évoquerons essentiellement les questions d’interférences textuelles, des diversités des sujets
abordés et du style et la langue dans cette pièce, avant de déboucher sur une conclusion.

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I. Interférences génériques
La pièce mélange différents genres. Ainsi, certaines scènes sont comiques, d’autres
tragiques. Le passé est aussi au cœur de l’histoire et empêche Louis de parler de sa mort
prochaine. Les réalités banales sont évoquées par la famille de Louis, le travail, la maison,
les enfants. Ces réalités empêchent le héros de parler de sa maladie. La situation est absurde.
La difficulté est dans la parole. Louis semble maîtriser la langue, la parole. Les autres
personnages non. Ils disent d’ailleurs à Louis qu’ils ne savaient pas comment lui dire les
choses. L’auteur multiplie les références à la difficulté d’échanger, de partager ; rien jamais
ici ne se dit facilement. Les mots changent ainsi souvent des formes.
Les modalités du discours (argumentatif et injonctif) choix du registre (lyrisme
chez Suzanne, pathétique chez Antoine) constituent des moyens pour accentuer les
reproches, isoler un peu plus Louis dans le cercle de la famille. A noter aussi les hésitations,
la recherche du mot exact, les brouillages énonciatifs, les variations pronominales
caractérisent ces discours, autant de prises de parole sans consentement.
L’incommunicabilité règne. Les personnages reprochent à Louis son ‘’ soi-disant’’ malheur.
Antoine, surtout, reproche à son frère de se complaire dans son rôle de victime. Dès lors, il
est impossible à Louis d’expliquer qu’il est malade et va mourir puisque cela serait pris
comme une stratégie pour continuer de jouer à la victime. Le doute se met ainsi à planer sur
la maladie de Louis. Le spectateur n’y croit que parce que Louis lui a dit au début. Mais est-
ce vrai ? Ou, est-il un menteur ? Antoine est-il clairvoyant ou jaloux ? Le doute règne. Le
théâtre de Lagarce peut se définir comme une dramaturgie statique, qui réduit l’action au
minimum pour laisser entièrement place à une parole en mouvement permanent. Cet
exercice incessant qui retravaille la parole permet au lecteur et spectateur d’assister en direct
à la création des personnages et au mouvement de leur pensée afin de s’élaborer. C’est grâce
à leurs paroles que les personnages se reconstruisent tout au long de la pièce, et c’est
également au sein de leur langage que se jouent les rapports familiaux. Dans le théâtre de la
pièce de Lagarce, la parole est le sujet et le centre de toute l’action dramatique, il n’y a pas
de véritables péripéties qui font avancer l’histoire vers un dénouement, mais on suit plutôt
des évolutions discursives de chaque personnage en quête de soi et en quête des autres. La
parole peut être considérée comme un personnage à part entière, car elle est au centre de la
pièce et au centre de relation entre les personnages. Pour autant, si les personnages

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s’expriment énormément et dans de longues répliques, leur discours ne permet pas d’agir. Ils
restent immobiles et bloqués dans le mutisme.
De plus, on peut questionner la nature des discours des personnages. Il y a bien sûr
des dialogues, mais ils ne caractérisent pas l’ensemble des répliques. Les dialogues sont le
plus souvent le lieu de l’opposition, de la tension entre les personnages, ils mettent en scène
des reproches, et les non-dits entre les membres de la famille. Il peut y avoir du discours
argumentatif, quand les personnages se défendent ou accusent la parole de l’autre. Mais ce
qui fait surtout la particularité de l’écriture de Lagarce, c’est que malgré le fait que l’on soit
au théâtre, l’auteur insert énormément de récit dans les paroles de ses personnages. Les
répliques des personnages sont marquées par la narration. Il n’y a pas énormément de
dialogues mais bien plus de moments où la parole se pose et raconte. La parole des
personnages est envahie par le récit, les personnages racontent des histoires, se rappellent
des souvenirs du passé ou citent des paroles dites par d’autres personnages, comme la mère
qui cite les expressions du père absent : « chic », « qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente »,
« on disait qu’on partait en vacances » c’est le retour de Louis qui déclenche ses besoins et
ses désirs de se remémorer la vie passée. Il y a toujours une sorte de mise abyme de la parole
qui raconte et qui précise presque à chaque fois qu’elle raconte. C’est comme si les
personnages se mettaient eux-mêmes en scènes entrain de raconter.
On tend régulièrement à rassembler l’œuvre dramatique de Jean-Luc Lagarce autour
de certains traits caractéristiques d’ensemble : un théâtre de la parole, plus épique que
dramatique, centré sur la difficulté du dire qui rend souvent opaque le récit derrière le
ressassement. Inversement, en peu d’années, Lagarce a manifesté une capacité à se
renouveler et à expérimenter malgré certaines redites favorisées par l’absence des
réécritures. On peut néanmoins repérer des axes directeurs pluriels permettant d’organiser et
de structurer l’ensemble des œuvres de l’œuvre.
Juste la fin du monde (1990) se situe au croisement de ces différentes perspectives.
Typique d’un théâtre du discours presque dépourvu d’action, l’œuvre est généralement
située dans le prolongement de Retour à la citadelle (1984) et de Derniers remords avant
l’oubli (1987). Elle annonce par ailleurs J’étais dans la maison et j’attendais que la pluie
vienne (1994) qui reprend la thématique du retour du fils dans sa famille mais d’un autre
point de vue et surtout Le pays lointain (1995), étant donné l’absence de toute lecture
publique, représentions ou édition de Juste la fin du monde, en était la réécriture et

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l’accomplissement. Imaginons que Lagarce ait vécu : qui sait s’il aurait voulu, après Le pays
lointain, redonner éditorialement ou scéniquement sa place à une œuvre désormais presque
entièrement absorbée dans une autre ?
Pourtant, par un trait assez singulier et peu mis en évidence, Juste la fin du monde
doit être mise en rapport avec les deux œuvres qui la précèdent dans l’écriture, d’esprit a
priori bien différent : Music-hall, écrit en 1989, et Histoire d’amour (derniers chapitres) écrit
vraisemblablement entre la fin de 1989 et le début de 1990. Ce sont les seules œuvres où,
formellement, Lagarce fait usage d’une écriture qu’on peut dire en Versets, avec de
fréquents retours à la ligne non matérialisés par la majuscule ou par l’alinéa. Même si, dans
la plupart des cas, le vers tient sur l’espace de la ligne, on évitera de parler de vers libres
dans la mesure où ils constituent de courts paragraphes quand ils dépassent la ligne. Certes,
dès Carthage encore ou Noce, on trouve des répliques le plus souvent longues organisées en
paragraphes ; mais il s’agit alors d’une structuration avant tout logique, le discours entendu à
la radio dans Carthage encore cohérent, avec la structure syntaxique. Le terme de
paragraphe est alors plus satisfaisant que celui de verset. En revanche, à partir de Music-
hall 1, Lagarce se permet des retours à la ligne qui, dans la longue et tardive postérité du
verset claudélien, constituent, par leurs fréquences, une rythmique verbale singulière. Certes,
à l’inverse de Claudel, Lagarce n’a pas laissé de texte critique où il s’expliquerait sur ces
choix dispositionnels du texte ; rien n’indique, par exemple qu’il faille marquer une
interruption en fin de verset ou respirer. Il paraît néanmoins évident que la disposition
engendre une compréhension et une appropriation spécifiques du texte, d’abord lors de la
lecture individuelle dans le mouvement de l’œil, contraint à un mouvement spécifique,
ensuite dans la restitution à voix haute par l’acteur, nécessairement influencé et guidé au
moment de l’apprentissage du texte.
Ce type d’écriture en versets aura une pérennité plus limitée qu’il ne paraît : si on
retrouve, de Nous les héros du pays lointain en passant par J’étais dans la maison…, des
retours à la ligne réguliers dans les interventions des personnages, ils n’ont plus la fréquence
qu’ils avaient dans Les Trois pièces (1989-1990). Même lorsqu’il reprend le texte de Juste la
fin du monde dans Le pays lointain, Lagarce simplifie son principe d’écriture.
De manière synthétique, on pourrait donc distinguer trois régimes principaux
d’écriture chez Lagarce, en fonction des modalités des retours à la ligne au sein des
répliques :

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- Un principe d’articulation essentiellement logique, emprunté à l’écriture en prose,
jusqu’à Derniers remords avant l’oubli ;
- Un régime d’écriture spécifique faisant système à partir de Music-hall, organisé sur
les versets ;
- Une valorisation expressive ponctuelle à partir de Nous les héros.
On pourrait encore affiner ce découpage, mais il paraît indubitable que Lagarce n’est
jamais allé aussi loin dans l’exploration de ce régime spécifique d’écriture que dans Juste la
fin du monde où la très grande majorité des vers tient sur une à deux lignes. Comment
Lagarce en est-il venu à ce type d’écriture ? Quel sens faut-il lui donner ? Les brouillons
conservés peuvent nous aider à le comprendre.
Depuis Les Prétendants écrits en 1988,Lagarce disposait d’une machine à écrire
électronique permettant une présentation justifiée de son texte. Cette donnée matérielle, a
vraisemblablement joué un rôle dans les nouvelles dispositions de son texte sur l’espace de
la page à partir de la pièce suivante, d’autant qu’il adopte une présentation singulière pour
un texte de théâtre : il isole toujours les noms des personnages, notés à gauche de la page, de
leurs interventions qui s’occupent, plus à droite, les 3/4 de la largeur en une sorte de colonne
non matérialisée. Contrairement à la pratique claudélienne, cette disposition formelle ne
s’impose pas de manière spontanée et généralisée dans le mouvement même de l’écriture :
pour Music-hall, on dispose d’une première en prose avant la version en versets. C’est
différent pour Histoire d’amour (derniers chapitres), d’emblée écrite en versets. Mais cette
œuvre est une variation sur l’Histoire d’amour (repérages) qui était écrite en prose.
Pour Juste la fin du monde, la perspective est plus complexe. Un brouillon de
monologue non repris, attribué à « LUI » et sans doute écrit au début de 1989, fait déjà
usage de retours à la ligne réguliers en cours de phrase, alors même que la présentation du
texte n’est pas justifiée. La première version encore inachevée de Juste la fin du monde dont
on dispose écrite lors du premier semestre de 1990 pendant son séjour à Berlin, est
essentiellement rédigée en prose, selon le principe d’articulation logique en paragraphes déjà
connu pour les répliques longues tendant au soliloque. Cependant, quelques passages
adoptent la disposition en versets : c’est le cas de la première scène qui deviendra le
prologue de la version éditée. Son texte, plus court que dans la version définitive, c’est déjà
formé d’une seule phrase qui s’organise en neuf versets de taille très variable allant d’un mot
à neuf lignes. Le second monologue à la scène 6, poursuit cette exploration dans des versets

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n’excédant jamais six lignes. En revanche, on revient à une structuration davantage logique
dans le troisième monologue de la scène 11, alors que c’est le soliloque de la mère à la scène
8 qui, vers la fin, opte pour une disposition en versets.
Première versets, p14-15 :
Ce qu’ils veulent, ce qu’ils voudraient, c’est que tu les encourage(s), peut-être, que leur
interdise(s) ou que tu les autorise(s), que tu dises à Suzanne de venir te rendre visite, ou
qu’elle pourra, ou pourrait encore, qu’elle pourra, si l’envie lui vient de rendre visite, qu’elle
peut aller là où tu vis qu’elle peut bouger et partir et revenir encore.
Il corrige « Je ne crois pas avoir jamais connu leur père sans une voiture, avant même que
nous. » Par ailleurs, dans l’ensemble de cette première version, on note un soin particulier,
apporté à la présentation des interventions longues avec la constitution de paragraphes tantôt
marquées par un simple retour à la ligne, tantôt par un saut de ligne. De surcroit, le texte
dactylographie comporte des corrections manuscrites ; on voit ponctuellement apparaitre des
crochets ouverts qui indiquent des retours à la ligne supplémentaires au moment de la
lecture de son texte. Ces crochets interviennent d’abord entre des phrases voire semblent
contraindre Lagarce à changer la ponctuation pour commencer une nouvelle phrase mais
non en trouve à cinq reprises au sein de phrases dans la scène 8 de la première partie, signe
du statut particulier ainsi accordé au soliloque de la mère.
La seconde version inachevée de Juste la fin du monde, ce jeu ponctuel sur une
disposition en versets qui valorise certains monologues ou soliloques se poursuit et
s’intensifie dans la seconde version toujours inachevée, accompagnant à présent le
mouvement d’écrire par amplification qui est le processus créateur regulier chez Lagarce. Le
début du prologue le manifeste clairement.
Début du prologue
1re version
Après, l’année d’après-j’allais mourir à mon tour-
j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai,
l’année d’après,
de nombreux mois que j’attendais à ne rien faire, à tricher, à ne plus savoir,
de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini,
l’année d’après(…)
2ème version
Plus tard. L’année d’après-j’allais mourir à mon tour-

8
J’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai,
L’année d’après
De nombreux mois que j’attendais à ne rien faire, à tricher et ne plus savoir,
De nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini,
L’année d’après(…)
Cette scène commence à troubler sa rythmique spécifique avec les retours à la ligne
qui marquent la logique syntaxique et sémantique, tout en donnant à voir les relances du
discours et la réception des linéaments de la pensée des personnages avec différents plans
contrapuntiques. On passe ainsi de neuf à treize versets dans le prologue. Cependant, seul le
début de cette scène est véritablement retravaillé dans cet esprit et dans la suite du texte, ces
retours à la ligne restent rares : le monologue suivant de Louis, ou les soliloques de Suzanne,
Catherine, la mère et Antoine en tirent occasionnellement partie. On dispose néanmoins de
versions successives des p.30-32 de la seconde version qui témoignent, au moment de
l’ « intermède », du développement des effets de disposition, y compris pour des répliques
assez courtes. P.31
1re version de la p.31
Suzanne :
Ce n’était pas si loin, et il aurait pu venir nous voir plus souvent,
De tragique plus souvent, et rien de tragique non plus, pas de drames ou de trahissions, c’est
là que je ne comprends pas, ou ne peut pas comprendre.
2ème version de la p.31
Suzanne :
Oui. Ce n’était pas si loin, et il aurait pu venir nous voir plus souvent, et ne rien de
tragique, non plus, pas de drames, des trahissions, c’est là que je ne comprends pas, ou ne
peux pas comprendre.
Pourtant, il serait trop simple de présenter le mouvement de l’écriture de Lagarce
comme une généralisation de cette disposition : on également trouver des moments où il
parait y renoncer. P.32
1re version de la p.32
Catherine :
Les autres. Je n’entends plus personne, vous vous disputez, je ne me trompe pas, on
entendait Antoine s’énerver, c’est maintenant s’il n’y avait plus personne et que nous nous
soyons perdus les uns les autres, égarés je ne sais pas.
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2ème version de la p.32
Catherine :
Eux, les autres. Je n’entends plus personne, vous vous disputez, je ne me trompe pas,
on entendait Antoine s’énerver, et c’est maintenant comme si tout le monde était parti et que
nous soyons perdus.
Il faudra attendre la version définitive de Juste la fin du monde, la troisième version
reconnue dans l’ensemble des archives textuelles de cette œuvre, pour que l’intervention de
Catherine donc le texte ne change pratiquement pas trouve sa disposition en versets.
Pourtant, dès que Lagarce entreprend, à une date indéterminée, ce qu’il appelle
d’abord une « seconde version » de Juste la fin du monde, qui deviendra Le Pays lointain, il
revient à un usage simplement ponctuel des effets de disposition même dans le début du
« prologue », déjà inscrit dans une forme dialoguée.
Par les italiques, comme par les incises signalées par des parenthèses ou des tirets
déjà habituelles chez Lagarce, il trouve un équivalent partiel, dans la ponctuation noire, à ce
qu’apportaient ou confortaient les retours à la ligne dans la ponctuation blanche. En même
temps, il renonce, dans ce passage réécrit, à la densité de la version de 1990, avec son
unique phrase ou son imprécision frustrante et passionnante. L’année d’après quoi ? Pour
dire plus explicitement les choses, l’histoire, la famille et les règlements de compte,
l’homosexualité, perdant aussi sans doute au passage la force classique de la litote, de
l’implicite et du non-dit, d’une poésie presque racinienne, visant à l’universel, de la
précédente version.
On le sait, l’échec de juste la fin du monde en 1990 auprès de ses destinataires a marqué
très profondément le dramaturge qui renonce à l’écriture dramatique pour plusieurs années.
Ces traumatismes se mesurent jusqu’au choix du monde d’écriture : cette œuvre, la
continuité de Music-hall et d’Histoire d’amour (Derniers chapitres), offraient un nouveau
visage à l’écriture lagarcienne, une rythmique donnant corps aux pulsions énonciatives de
ses personnages qui, par la suite, a dû lui paraitre comme une préciosité poétique finalement
anecdotique. Pourtant, elle contribue aujourd’hui certainement à la fascination
contemporaine pour ce texte, aujourd’hui davantage lu, étudié et joué que Le Pays lointain,
accomplissement testamentaire de l’œuvre lagarcienne.

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II. Diversités des sujets abordés
Le titre Juste la fin du monde montre bien qu’il y a un problème au sein de la pièce,
qui sera au cœur de la tragédie mais la négation de ce titre qui est d’ailleurs l’expression
usuelle « ce n’est pas la fin du monde » signifie ce n’est pas si grave, ça va aller. Cependant,
les différents thèmes que nous aborderons, nous donneront une piste d’interprétation pour
mieux comprendre l’histoire de la pièce.
a. Le thème du retour.
Le prologue de la pièce Juste la fin du monde annonce le retour du personnage Louis
dans la maison de son enfance après des années d’absence, et qui s’est donné pour mission
de prévenir sa famille de sa mort imminente. Cette action incarne la matrice et donne une
dynamique à la pièce, c’est cette décision du personnage qui est à l’origine de toute la pièce.
Il s’agit bien d’une œuvre qui évoque la thématique du retour, mais ce retour s’incarne de
différentes manières tout au long de la pièce. En effet, il y a déjà le retour physique de
Louis, qui revient sur les lieux de son enfance et qui fait le trajet entre sa vie actuelle et la
vie qu’il a laissée derrière lui. Mais à travers ce retour physique, c’est bien évidemment un
retour sur son passé que le personnage effectue dans une sorte de quête identitaire, comme
une sorte de derniers adieux à sa vie passé, tel qu’il l’énonce au tout début de la pièce : « Je
décidai de retourner les voir, revenir sur mes pas, aller sur mes traces et faire le voyage ».
Les « traces » et les « pas » sont autant d’expressions imagées pour désigner le passé et
l’enfance du personnage. Le personnage de Louis est ainsi profondément marqué par le
mouvement, tandis que les autres membres de la famille, restaient au point de départ, n’ont
jamais avancé et sont restés statiques. Enfin, nous pourront analyser le fait que la thématique
du retour sur soi s’incarne concrètement dans l’écriture de Lagarce, faite des répétitions, des
retours et de corrections perpétuelles.
Ce retour constitue de postulat de base de l’intrigue : le personnage Louis revient
dans sa famille pour annoncer qu’il va mourir. Pourtant après avoir lu la pièce, nous serons
peut-être peu convaincu par ce résumé, car si on lu la pièce en entière on s’aperçoit qu’à
aucun moment Louis ne réussira à formuler cette annonce. Toutefois, ce retour physique est
déclencheur de l’action dramatique, s’accompagne d’un retour sur le passé du personnage,
sur sa vie antérieure, son enfance. En effet, le personnage revient sur les « traces » de son
existence, face à sa mort annoncée, il ressent le besoin de retrouver sa famille comme une

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sorte d’adieu. Il ressent le besoin de se confronter aux souvenirs perdus à sa vie passée pour
mieux comprendre qui il est et où il va, même s’il n’y a aucun espoir de futur. Il souhaite
peut-être réparer les erreurs de son passé en renouant avec ses proches. En effet, tout au long
de la pièce, on sent de la rancœur chez sa sœur mais surtout chez son frère Antoine qui
reproche à Louis sa trop longue absence. Ces personnages n’ont jamais véritablement
compris qui était Louis, et ils ne comprennent pas pourquoi il se sent différent, voire moins
aimé ou mal aimé. Et pourtant face à ses proches, Louis ne peut pas parler de sa maladie ni
de son avenir. Il n’en est pas capable, il ne trouve pas les mots. Cette incapacité à dire gagne
tous les membres de la famille qui ne réussissent pas à communiquer entre eux. On peut
affirmer que la dramaturgie de Lagrce est, la plupart du temps, rétrospective et ne laisse que
peu de place au présent ou au futur des personnages. C’est comme si leur passé les
immobilisait dans leurs actions pour les obliger à se souvenir de leur vie antérieure. Dans
cette dramaturgie du retour, la généalogie et l’inscription au sein d’une famille est vécue
difficilement pour les personnages, qui ne parviennent pas à en sortir. Pour se construire
individuellement, le personnage de Louis a dû très tôt quitter la maison familial ce qui lui a
permis de prendre son envol, mais ce n’est pas le cas de sa sœur Suzanne, qui est restée
toute sa vie bloquée dans la maison, et qui semble aspirer à d’autres choses mais ne peut rien
faire pour faire évoluer la situation. Les personnages semblent se contenter de ce qu’ils ont,
et c’est le cas de Suzanne dans la scène trois de la première partie où elle raconte son
quotidien dans une tirade : « J’habite toujours ici avec elle. Je voudrais partir mais ce n’est
guère possible. Je ne sais comment l’expliquer, comment le dire, alors je le dis pas. Elle
enchaîne un peu plus loin « Je ne pars pas, je reste, je vis où j’ai toujours vécu mais je ne
suis pas mal.» Dans cette tirade, Suzanne exprime un désir de s’émanciper à l’instar de
Louis, mais elle reste persuadée que la place qu’elle occupe auprès de sa mère lui convient
et qu’elle ne peut pas obtenir autre chose de mieux. Le texte est aussi énormément marqué
par l’évocation des souvenirs. Etant donné qu’il n’y a pas d’action, ce sont les paroles des
personnages qui permettent de faire revivre les souvenirs des moments heureux. Le dialogue
est sans cesse interrompu par des citations ou des passages dédiés aux souvenirs, qui laissent
finalement peu de place aux conversations du moment présent. C’est surtout de la mère qui
est génératrice de nombreux souvenirs de la pièce. Elle essaie de rapprocher ses enfants vers
le souvenir de leur enfance passée ensemble, comme pour essayer de les unir au sein d’une
même histoire de vie. La mère évoque des citations du père absent de la pièce, et ces phrases

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toutes faites deviennent comme des stéréotypes des dimanches et de la vie de famille. Enfin,
pour définir la place qu’occupe cette obsession du retour dans le passé au sein des pièces de
Jean-Luc Lagarce, Jean-Pierre Thibaudat tient le propos suivant : « Les pièces s’ouvrent à
l’heure du retour : contentieux de l’absence, comptes non réglés, temps passé et perdu. C’est
l’heure des bilans ». Cette citation montre l’importance des non-dits qui se sont accumulés
au sein de la famille avec le temps.
Depuis que Louis est parti de la famille, son frère et sa sœur ressentent le besoin de
s’expliquer avec lui et de comprendre pourquoi il les abandonnait, ou du moins laissés sans
nouvelles.
b. Le thème de communication
La particularité du théâtre de Lagarce c’est cette impossibilité et incapacité des
personnages à dire ce qu’ils pensent et même à communiquer entre eux.
L’incommunicabilité est un thème récurrent dans le théâtre contemporain et a déjà été
abordé chez Ionesco ou Beckett, qui mettent en scène des dialogues vides et absurdes. Ce
rappel d’histoire littéraire permet de percevoir la continuité des thèmes abordés dans le
théâtre contemporain. Chez Lagarce, elle s’accompagne d’un besoin incessant des
personnages de répéter et de formuler ce qu’ils sont en train de dire, sans jamais arriver au
bout de leur pensée véritable. Tous les personnages semblent rencontrer des difficultés dans
le fait de s’adresser à l’autre, comme si cet autre gênait, ou comme si les personnages ne
parvenaient pas à exprimer leurs idées face au regard extérieur. Tous les personnages
semblent solitaires que les autres c’est Louis, le fils ainé  qui revient dans sa famille après de
longues années d’absence. Ce retour n’est pas anodin et inattendu, il est motivé par une
raison précise qu’on apprend au tout début de la pièce, dans le monologue du prologue :
Louis souhaite informer sa famille qu’il est malade (la maladie n’est pas définie, ni
explicitée) et qu’il va bientôt mourir. Cette situation correspond le plus souvent au résumé
de cette pièce, il s’agit de l’événement qui déclenche le retour de Louis et qui débute
l’histoire. Pour autant dans le texte il n’est question à aucun moment de cet aveu, car le
personnage de Louis ne réussit pas à l’exprimer à ses proches. L’annonce de cette nouvelle,
qui fonde la matrice de l’intrigue, est en réalité passée sous silence. Ce retour au sein de sa
famille s’avère donc un échec pour Louis, ou du moins l’échec de son discours face aux
autres. Il a la volonté de renouer avec le dialogue familial, mais il n’y parvient pas. Le
metteur en scène Jean-Paul décrit ces topos, qui reviennent souvent dans la dramaturgie de

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Lagarce par les propos suivant : « La presque totalité de ses fables consiste en ceci : quelque
chose doit arriver, se dérouler, quelque chose est planifié. Et ce quelque chose ne se produit
pas ; il y a échec. » Ce qu’il nomme échec c’est bien l’échec de la parole et de la
communication entre les personnages. S’ils n’arrivent pas à dialoguer entre eux, les
personnages de Juste la fin du monde sont surtout incapables de parler ou de dire et
d’énoncer à haute voix, ce qu’ils pensent au fond d’eux. Ils ne réussissent pas à trouver les
mots justes, ils sont sans cesse confrontés à l’interprétation et au jugement de l’autre. Dans
la scène 2 de la deuxième partie de Juste la fin du monde, on peut observer la fragilité du
personnage d’Antoine et la souffrance que l’acte même de communiquer lui procure :
 ANTOINE :
Je disais seulement,
Je voulais seulement dire
Et ce n’était pas en pensant mal,
Je disais seulement,
Je voulais seulement dire…
Je suis fatigué, je ne sais plus pourquoi, je suis toujours
Fatigué,
Je suis fatigué, je ne sais dire. 
La dernière phrase «  Je ne sais pas dire » révèle l’état de l’ensemble des
personnages de la pièce. Antoine ne réussit pas à se faire comprendre par le reste de la
famille, il est fatigué de chercher sans fin le mot adéquat à sa pensée et qui sera accepté par
les autres, sans le blesser.
Dans une étude de texte, il faudra bien prendre en compte la part de non-dits des
personnages. Il faut essayer de déchiffrer chaque parole pour y déceler une douleur ou un
sentiment que le personnage souhaite exprimer, mais qu’il n’y arrive pas. On pourra
également projeter un extrait du film de Xavier Dolan, pour montrer que le personnage qui
illustre le mieux cette difficulté à s’exprimer et à trouver les bons mots est le personnage de
Catherine. C’est le personnage qui se rapproche le plus de Louis, c’est elle qui semble le
comprendre, sans le brusquer. C’est un personnage calme, à l’opposé de son époux Antoine
ou de la sœur Suzanne. Elle semble très soucieuse, presque effacée, et reste en retrait par
rapport au reste de la famille, tout comme Louis. C’est surtout elle, Catherine, qui
comprendra ce qu’a voulu annoncer Louis à sa famille, en vain.

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c. Le thème de la solitude
Ce qu’on peut dire à propos du personnage de Louis, c’est que ce personnage est
marqué par la solitude. Cette solitude et cet isolement, qu’il provoque de son plein gré
constitue une sorte de protection par rapport au regard et au jugement des autres. Les
interventions de Louis sont plus longues lorsque le personnage s’exprime par monologues
que lorsqu’il dialogue avec les autres personnages, où il se montre plutôt réservé et en retrait
par rapport à ce qu’il se dit. Cela montre que Louis a plus de facilité à se retrouver et à
s’exprimer lorsqu’il est seul, plutôt qu’en communauté. Les textes les plus importants et qui
correspondent aux extraits emblématiques de l’œuvre sont le prologue et l’épilogue. Ce sont
deux monologues de Louis qui ouvrent et referment la parole théâtrale de cette œuvre. Dans
le prologue, Louis ressent le besoin d’annoncer lui-même le diagnostic de sa maladie, il
souhaite maîtriser sa parole et les informations qui le concernent. Il n’aurait pas supporté
que quelqu’un d’autre apprenne la nouvelle le concernant avant qu’il ne fasse lui-même.
C’est au sein du prologue qu’il explique sa volonté : « seulement dire, ma mort prochaine et
irrémédiable, l’annoncer moi-même, en être l’unique messager ». Plus tard, il rajoute : «me
donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion d’être responsable de moi-même et
d’être, jusqu’à cette extrémité, mon propre maître ». Le seul orgueil de Louis c’est d’avoir
une totale maîtrise sur l’annonce de sa maladie et sur sa propre mort. Le terme :
« messager » que Lagarce lui attribue ici possède une connotation presque mythique, il se
présente en quelque sorte le messager des dieux, et c’est en cela qu’il se situe en dehors des
autres, et même au-dessus. Ainsi, le monologue de Louis présente le personnage comme
obsédé par le pouvoir qu’il a sur sa propre vie. Pourtant, tout au long de la pièce Louis se
sent comme étranger à sa propre famille. C’est d’ailleurs comme ça que le perçoit sa sœur
Suzanne, qui ne l’a jamais vraiment connu, et qui s’est construit une image de lui à travers
les cartes postales qu’il lui envoyait. C’est en cela que Louis reste toujours en dehors du
cercle familial, comme déjà une sorte de fantôme qui semble flotter au-dessus des autres
vivants. Cet isolement est amplifié par les non-dits, les sous-entendit et le silence
qu’entretienne chaque personnage dans leurs répliques respectives. Personne ne sait dire
vraiment les choses, et le malaise qui relie chaque membre de la famille s’intensifie pour
terminer en apothéose par des réactions plus violentes, et par le départ précipité de Louis.
Cette résolution de la pièce n’en est pas une en réalité, car Louis n’avouera jamais l’objet de

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sa venue et les non-dits triompheront. Dans le texte, il y a également une autre absence qui
pèse sur les personnages, c’est celle du père, qui est certainement mort. Le père ne réapparait
qu’à travers les souvenirs qu’expose la mère, qui reprend mot pour mot ses expressions
comme des citations, comme par exemple à la scène 4 de la première partie ou la mère les
dimanches en famille : « Qu’il neige, qu’il vente, il disait les choses comme ça, des phrases
pour chaque situation de l’existence, « Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente », tous les
dimanches, on allait se promener ».
Cette absence rappelle l’absence de Louis, les deux aînés masculins de la famille
sont donc peu présents au sein de la famille, c’est qui crée une entente et un manque. Il y a
une tendance de la critique à assimiler à cette pièce et à son intrigue une dimension
autobiographique, dans laquelle, Louis serait une sorte d’alter-ego de l’auteur et sa maladie
serait le Sida, comme Lagarce. On retrouve d’ailleurs le même schéma familial, Louis et
Lagarce ont tous les deux une sœur et un frère. Toutefois, ce rapprochement entre l’histoire
et la vie personnelle de l’auteur est à prendre avec précaution, car Lagarce n’a jamais
revendiqué s’être inspiré de sa propre expérience pour écrire ses pièces de théâtre. Si le
théâtre de Lagarce souhaite réaffirmer la place de l’intime, il ne touche pas une certaine
intimité mais tend plutôt vers l’universalité.
Louis se sent étranger à sa famille retrouvée. Il est silencieux et solitaire. C’est lui
qui ouvre et clos la pièce. Il est donc « son seul maître »
Suzanne lui fait une série de reproches :
- son absence compensée par des « lettres », « des petits mots », « deux phrases »,
« des lettres elliptiques » ;
- sa fuite inexpliquée, (« tu nous as faussé compagnie ») ;
- sa correspondance sélective (son « don  de l’écriture » ; « jamais, nous concernant, tu
ne te sers de cette qualité ») ;
- son manque d’affection, son indifférence ou son insouciance : ses cartes peuvent être
lues « par tous les regards » ;
- son mépris (« tu ne nous en juges pas dignes ») ;
Les reproches de la mère.
- Reproche implicite de la longue absence de Louis (les autres ont « la possibilité
enfin » de lui parler).

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- Sentiment d’être un étranger, s’ils ne te connaissent pas, ou mal »). « tu ne les
comprends pas »
- Brièveté de la visité de Louis (« le peu de temps que tu leur donnais » et « la peur »
qu’il leur inspire.
- Regret même de la visite (Louis passé de « repartir » à peine arrivé)
- Maladresse et « brutalité » des autres à cause de cette brièveté même (« ils auront
peur de peu de temps… ce sera mal dit ou dit trop vite »).
Discours d’Antoine :
- Culpabilité de la famille à cause du départ de Louis (« Nous nous sommes fait du
mal à notre tour ») et du qu’en dira-t-on qui « nous rendait responsables tous
ensemble » et plus particulièrement d’Antoine : « c’était de ma faute ».
- Soupçon de jalousie («  on devait m’aimer trop »)
- Complaisance de Louis à l’égard « de son malheur »
- Abandon de ses responsabilités de frère aîné « lorsque tu nous abandonnas »
- Médiocrité de la vie d’Antoine par rapport à Louis « il ne m’arrive jamais rien ».

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III. style et la langue
Lorsqu’on étudie de plus près Juste la fin du monde, on retrouve généralement le
dramaturge qu’est Lagarce dans un genre du théâtre contemporain que l’on appelle parfois le
théâtre de la parole. La lecture de la pièce de Lagarce nous montre de manière évidente la
suprématie de la parole et du langage sur l’action véritable. C’est la parole et le langage
utilisé par les personnages qui dominent l’action théâtrale et entraîne les spectateurs et les
lecteurs dans les méandres de la pensée en train de se construire. Toutefois, si le théâtre de
Lagarce donne toute sa place à la parole, il reflète pourtant la difficulté qu’ont les êtres
humains à communiquer entre eux et à dire leurs pensées dès lors qu’ils sont confrontés aux
autres.
Le théâtre de Lagarce se distingue par une écriture poétique singulière et plus
littéraire que le langage théâtral classique. Aujourd’hui, ce qui fascine dans la pièce Juste la
fin du monde et ce qui permet de la considérer comme la pièce la plus réussie de Lagarce,
c’est cette écriture particulière et cette recherche des mots les plus justes et les plus
révélateurs des pensées et des émotions, des personnages. Cette recherche et cette esthétique
du langage théâtral passe par la nécessité qu’éprouve Lagarce d’écrire, mais montre aussi
l’importance qu’il accède à l’écriture et à la retranscription de la parole. C’est ainsi que le
langage ou plutôt la transcription littéraire de la parole est au centre de l’écriture
lagarcienne. On peut caractériser le théâtre de Lagarce comme un théâtre littéraire, mais il
faut faire attention à ne pas le réduire à cette définition. Pour autant la pièce Juste la fin du
monde tel que nous la connaissons aujourd’hui a d’abord était pensée comme un roman
ayant pour titre Les adieux. De plus, les répliques des personnages sont marquées par le récit
plutôt que le dialogue. Ainsi on peut soumettre l’idée que cette pièce de théâtre s’inscrit
dans une influence romanesque. Si la parole des personnages dans Juste la fin du monde est
très écrite, elle imite pourtant ou mieux la parole orale dans toute ses caractéristiques :
l’hésitation, la répétions etc. La mise en voix du texte est compréhensible et ne pose pas de
problème. L’étude de la langue dans le théâtre de Lagarce peut se faire en s’appuyant sur
l’oralité de la pièce. Les répliques des personnages tentent le plus possible de se rapprocher
du langage orale.

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Cette oralité se marque par un certain rythme, elle s’incarne aussi par la longueur des
répliques et par la disposition des mots sur la page, qui forme une sorte de poème. En
analysant la disposition graphique, on peut se demander pourquoi l’auteur a voulu mettre en
valeur telle phrase ou tel groupe de mots, et le plus souvent au sein de la réplique, l’idée
principale que souhaite exprimer le personnage arrive au bout d’un certain temps de
réflexion et de recherche des mots justes. C’est une écriture qui s’étend comme un fil et qui
est sinueuse. Les personnages tâtonnent, empruntent différents chemins pour arriver au
sujet dont ils veulent parler. C’est le cas par exemple de la réplique de Catherine dans la
scène 2 de la première partie :
La plus grande a huit ans
On dit, mais je ne me rends pas compte,
Je ne suis pas la mieux placée,
Tout le monde dit ça,
Je ne sais pas,
On dit et je ne veux pas les contredire, qu’elle ressemble à
Antoine.
Les répliques des personnages sont longues, il y a peu de place pour un véritable
dialogue, qui apparait plutôt comme une suite de monologues en décalage, dans lesquels les
personnages ne se répondent pas vraiment, et qui isolent chacune de leurs paroles. C’est
comme si leurs paroles incessantes les empêchaient réellement de se comprendre. Il est
intéressant dès lors de faire écouter ou de demander de lire des passages de Juste la fin du
monde. Pour entrer dans l’écriture de Lagarce, il parait important de passer par l’oralité, et
donc par la lecture ou par l’écoute. Il s’agit avant tout d’une langue parlée.
On retrouve cette même dynamique dans l’écriture de Lagarce, qui essaie de mimer
la pensée en train de créer. Les personnages ne se contentent pas de l’à peu près, ils n’ont
pas envie que leurs propos soient mal interprétés, c’est pour cela qu’ils rectifient sans arrêt
leurs paroles pour pouvoir mieux coller à ce qu’ils ont envie de dire. Cette recherche de la
perfection s’incarne dans l’écriture par des longues phrases sinueuses, qui se recroisent et se
répètent, tout en avançant patiemment vers une élaboration juste de la pensée en train de se
faire. Lagarce donc l’art de la répétition, mais sans être une simple redite d’une phrase
précédente. Même si les mêmes expressions sont constamment reprises, elles subissent des
variations plus ou moins importantes. Cette technique donne l’impression d’un éternel
recommencement, avec toutefois de légères modifications. Cette forme de répétition mais
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aussi de correction est, en fait, une figure de style définie, qu’il semble nécessaire de
montrer comme caractéristique principale de l’écriture de Lagarce : l’épanorthose. C’est une
figure de pensée qui consiste à revenir sur ce que l’on vient de dire, soit pour nuancer le
propos, soit au contraire pour le réexposer avec plus d’énergie et de précision. L’étymologie
du mot désigne la correction, il s’agit donc non pas de réitérer les mêmes propos, mais de les
reprendre pour les retravailler. L’épanorthose est un procédé stylistique récurrent mais dans
le théâtre de Lagarce il s’agit d’une épanorthose avant tout déceptive. Malgré une recherche
frénétique de la vérité et du mot juste, les personnages sont toujours déçus par leur prise de
parole et ils ne réussissent jamais à exprimer correctement le mouvement de leur pensée. Les
personnages cherchent en permanence à se corriger, à reprendre leurs propos pour ajouter
une nuance ou une nouvelle information, qui ne changent que très peu l’idée précédente.
C’est comme s’ils rayaient tout ce qu’ils disaient, qu’ils se corrigeaient, mais s’ils laissaient
apparaitre leurs natures, comme pour montrer le chemin effectué par leur pensée. Juste la fin
du monde est une pièce qui met en scène le drame de la parole et du langage. Les
personnages perdent de l’énergie à chercher infiniment les mots justes, et à force de vouloir
la perfection formelle, ils s’épuisent et entrent en tension avec l’autre. Cette impossibilité à
trouver les mots justes montre en réalité qu’il n’y a pas de coïncidence immédiate entre la
pensée, les idées, et le langage utilisé. La recherche des personnages est donc dès le début
posée comme vaine et inutile. Derrière chaque réplique, il faut alors chercher les non-dits et
les sous-entendus, dont l’écriture de Lagarce est remplie. C’est un ne écriture de l’implicite,
qui associe une sorte de secret au cœur même de l’écriture. Les personnages ne disent jamais
ce qu’ils pensent véritablement, et le lecteur-spectateur se doit être attentif aux moindres
détails.

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Conclusion
Somme toute, il convient de noter que notre travail portant sur la coopération
textuelle dans Juste la fin du monde de Lagarce est loin d’être exhaustif. Il ne s’agit pas
d’une lecture facile, il faut beaucoup de temps et d’étude avant de parvenir à comprendre
toutes interférences génériques, les diversités des sujets abordés, et toutes les subtilités du
style et de langue de l’auteur. Néanmoins la perception des éléments textuels n’est pas
impossible. Lagarce n’a pas recours à une langue si compliquée que ça, c’est juste qu’il la
torture et la répète à l’infini pour en montrer toutes les subtilités. Nous avons essayé de
démontrer l’écriture poétique et audacieuse de l’auteur. Nous avons cherché toutes les
différentes thématiques qu’il est possible d’aborder. Tout d’abord nous avons étudié la
thématique du retour, retour physique du héros Louis dans sa famille. Et ensuite, nous avons
analysé l’impossibilité à dire et à communiquer qui se traduit par une langue sinueuse et
répétitive, dans laquelle les personnages semblent s’exprimer par de longs monologues que
par de véritables dialogues. Puis la thématique de la solitude. Enfin, nous avons essayé de
démontrer le style et la langue utilisés dans Juste la fin du monde.

Bibliographie
 LAGARCE, Jean-Luc, Juste la fin du monde, Besançon, Les Solitaires Intempestifs,
1999. Imprimé.
 JOUBERT Clara. «Lagarce dans l’enseignement secondaire : intérêt pédagogique et
pistes de réflexion autour de Juste la fin du monde » Mémoire présenté pour
l’obtention du grade de Master. Université de Franche-Comté, 2018. Imprimé.
 SERMON Julie. « L’effet-figure : états troublés du personnage contemporain (Jean-
Luc Lagarce, Philippe Minyana, Valère Novarina, Noëlle Renaude) ». Thèse de
Doctorat, Université Paris- III Sorbonne Nouvelle Institut d’Etudes Théâtrales. 2004.
Imprimé
 LECROART Pascal. « Juste la fin du monde, de Lagarce à Dolan » Skén&graphie.
5 (2018). Web (consulté le 28 avril 2020.

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 THIBAUDAT Jean-Pierre, Le roman de Jean-Luc Lagarce. Besançon, Les Solitaires
Intempestifs, 2017. Imprimé.

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