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Sujet : La pièce de Jean-Luc Lagarce, « Juste la fin du monde » vous semble-t-elle mettre en scène un
moment de crise ?
La première raison qui peut nous faire dire que la crise n’a pas
vraiment lieu est qu’il n’y pas de véritable dénouement. En tous les
cas, ce qui devait constituer le nœud dramatique (le bouleversement
qu’aurait constitué l’annonce de la mort prochaine de Louis) ne se
produit pas puisque Louis repart sans avoir rien dit : « vers la fin de la
journée, / sans avoir rien dit de ce qui me tenait à cœur / sans avoir
jamais osé faire tout ce mal, / je repris la route ». Dans un sens, il ne
s’est rien passé ; dans un sens, Louis était déjà mort dès le début, donc
il ne s’est rien passé.
Ce qu’ont vécu les personnages c’est en fait la répétition,
l’éternel retour d’un déséquilibre qui les mine depuis toujours. Les
personnages savent que la vie va continuer. Dans la longue tirade
d’Antoine, à la fin de la pièce, quand il tâche de faire la généalogie de
sa relation avec Louis, les adverbes, « toujours », « encore »,
reviennent sans cesse. Et c’est ce qui lui permet de prévoir ce qui va
se passer : « lorsque tu me quitteras encore, que tu me laisseras, / je
serai moins encore…. Avec juste le ressentiment, / le ressentiment
contre moi-même ».
En réalité, les personnages ne sont pas en proie à une crise mais
sont pris dans le cercle infernal et éternel du ressentiment et de la
culpabilité. Ce conflit intérieur sans issue, sans dénouement possible,
ce mélange permanent de haine et d’amour les mine, les condamne
à la maladresse, au silence, à l’impuissance. Les thèmes du silence, de
l’impossibilité à dire sont des leitmotivs de la pièce : « tout est mal dit
ou trop vite dit ».