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Analyse de la scène 1 de Juste la fin du monde

Introduction :

Jean-Luc Lagarce, dramaturge et metteur en scène, publie la pièce Juste la fin du monde en 1990,
dans laquelle le personnage de Louis décide de retourner chez lui, après des années d'absence pour
annoncer à sa famille sa mort prochaine et irrémédiable. L’extrait soumis à notre étude est la scène
d’exposition de l'œuvre. Cette scène d'exposition est d’abord un mélange de présentations et de
retrouvailles, notamment parce que Louis n'a jamais rencontré Catherine, sa belle-sœur. Mais ce sont
aussi des présentations pour le public, qui devine dans ces conventions, des liens distendus par le poids de
l'absence et des non-dits. Dans ces retrouvailles, tout est sensible et sujet à interprétation. On peut ainsi se
demander en quoi cette scène d’exposition dévoile les problèmes de communication au sein de la famille.
Pour répondre à ceci, nous allons d’abord analyser la présentation maladroite de Catherine à Louis.
Ensuite, nous étudierons le malaise qui s’instaure entre les personnages.

I. Une scène de de présentation maladroite de Catherine à Louis

SUZANNE.-C’est Catherine.
Elle est Catherine.
Catherine c’est Louis.
Voilà Louis.
ANTOINE. -Suzanne, s’il te plaît, tu le laisses avancer, laisse-le avancer. = tournure présentative →
introduction de Catherine à Louis mais aussi au spectateur → répétition → structure en chiasme révélé
par la disposition du texte en vers + effet de rimes. Répétition de Catherine 3x = rythme ternaire +
Chiasme* = entremêlement de Catherine et Louis = confusion et superposition car au même niveau car
étrangers tous les deux à la famille.
tu le laisses avancer, laisse-le avancer. → polyptote car présent de l’indicatif puis présent de l’impératif +
épanorthose = la dimension injonctive sous entendue d’abord puis explicite ensuite, Antoine apparaît
comme chef de famille, il donne des ordres : hiérarchie qui s’instaure, pas de didascalies. Elles sont
intégrées dans les répliques des personnages : importance accordée au langage : théâtre de la parole. Les
caractères des personnages transparaissent dans les répliques et servent l’exposition : Suzanne apparaît
comme hyper dynamique, vive, énergique, étouffante, prend les choses en main = elle cache les failles de
la famille. Antoine autoritaire. Catherine = apaise, bienveillante envers Suzanne, douce.
ANTOINE.-On dirait un épagneul = un chien, comparaison de Suzanne à un chien, animalisation de
Suzanne témoigne d’une violence, froideur → Antoine cherche à étouffer l'excitation de Suzanne =
annoncer l’agressivité de ce dernier, traduit son l’agacement face à sa sœur et la jalousie envers le
nouveau venu, parabole du retour du fils prodigue.
LA MERE.-Ne me dis pas ça, ce que je viens d’entendre, c’est vrai, j’oubliais, ne me dites pas ça, ils ne
se connaissent pas. Louis tu ne connais pas Catherine ?
Tu ne dis pas ça, vous ne vous connaissez pas, jamais rencontrés, jamais ? → confusion, phrase floue,
juxtaposition de 6 propositions et polyptote des verbes “dire “ et “connaître” + répétitions, épanorthose +
impératif négatif = autorité de la mère mais phrase maladroite : on ne comprend pas d’abord sur quoi
porte sa réplique : l’insulte d’Antoine envers sa sœur, malentendu, quiproquo car le plus important vient à
la fin de sa phrase. Phrases interrogatives très familières, pas d’inversion sujet verbe = témoigne de la
surprise de la mère + de l’atmosphère étrange qui règne dans cette famille + aphérèse* + insistance sur
l’adverbe négatif “jamais”. Louis muet depuis le début, c’est sa mère qui parle pour lui et lui interdit la
parole alors qu’il est venu annoncer sa mort et donc parler ⇒ réplique de la mère de mauvais augure.
ANTOINE.-Comment veux-tu ? Tu sais très bien.
Malaise : reproche larvé d’Antoine
LOUIS.-Je suis très content. Première réplique de Louis qui ne prend pas en compte la précédente
réplique d’Antoine, comme s’il ne l’avait pas entendu + Effet comique : car répond “je suis content” au
reproche larvé de son frère. En fait sa réplique est un écho à la première réplique de Catherine : “elle est
contente”. Catherine et Louis se comprennent.
CATHERINE.-Oui, moi aussi, bien sûr, moi aussi. Catherine. Répétition, bégaiement. Comique de
répétition : à nouveau présentation de Catherine. Comique qui porte un certain malaise, porteur de
tragique, de l’incommunicabilité entre les êtres comme chez Ionesco.

II. Gêne et confusion, malaise qui s’instaure

SUZANNE.-Tu lui serres la main ?


Pas d’inversion sujet verbe : surprise de Suzanne
LOUIS.-Louis. Suzanne l’a dit, elle vient de le dire.
Décalage de réponse, les répliques ne se répondent pas comme si il ne l’avait pas entendu. Louis n’entend
pas les répliques d’Antoine, de sa mère, omet volontairement les reproches de ces derniers ⇒ dans sa
bulle : entremêlement des conversations : incommunicabilité, dialogue de sourds. Louis essaie de faire le
lien avec le noyau familial en se référant à Suzanne.
SUZANNE.-Tu lui serres la main, il lui serre la main. Tu ne vas tout de même pas lui serrer la main ? Ils
ne vont pas se serrer la main, on dirait des étrangers.
Il ne change pas, je le voyais tout à fait ainsi, tu ne changes pas, il ne change pas, comme ça que je
l’imagine, il ne change pas, Louis, et avec elle, Catherine, elle, tu te trouveras, vous vous trouverez sans
problème, elle est la même, vous allez vous trouver. Polyptote, épanorthose : changement de destinataire
de la parole, passage du présent au futur. La parole ne semble plus adressée à Louis ou aux autres mais à
elle-même = soliloque = Suzanne enferrée, enfermée dans son discours = se parle à elle -même. “il”: 3°
personne en présence de Louis : on oublie que Louis est ici, la distance est là malgré sa présence.
Ressassement, discours redondant, aucun but.
Catherine. : la tirade de Suzanne se termine par le prénom Catherine, ressassé depuis le début : malaise :
dialogue qui tourne à vide. Les personnages parlent tout seuls = soliloque
ANTOINE.-Suzanne, ils se voient pour la première fois !
LOUIS.-Je vous embrasse, elle a raison, pardon, je suis très heureux, vous permettez ?
SUZANNE.-Tu vois ce que je disais, il faut leur dire.
Exclamation d’Antoine = agacement et agressivité, reproche larvé envers Louis, anomalie.
Louis ignore une nouvelle fois la réplique de son frère. Il répond à l’injonction de Suzanne.
Maladroitement. Assonance en [on] : forme de bégaiement + Commentaire extérieur de Suzanne,
spectatrice du duo Louis-Catherine : pronom personnel de troisième personne du pluriel : Catherine et
Louis = couple à part, Suzanne : un personnage envahissant : étouffant.

Conclusion :

Dans cette première scène, les présentations font aussi office d’exposition : le spectateur en apprend
plus sur les personnages et sur l’intrigue. Mais tout passe sous le discours, dans les gestes, les
sous-entendus, les réactions surjouées et les effets d’ironie. Dès le début de la pièce, Lagarce nous fait
ressentir le poids du passé et des non-dits, et nous laisse même déjà entendre que peut-être, le silence final
est inéluctable. Cette scène d’exposition glaciale s’oppose aux retrouvailles chaleureuses attendues dans
une famille et annonce l'échec de Louis, venu dire adieu à une famille qui ne sait pas lui dire bonjour.

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