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Michel Raskine, à l’occasion de sa mise en scène de la pièce de Jean-Luc Lagarce, déclare : « La famille nous
constitue. On n’y échappe pas. On y est comme condamné ». Partagez-vous ce point de vue de Michel Raskine
concernant Juste la fin du monde ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur Juste la fin du monde, sur
les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé et sur votre culture personnelle.
Problématique : ce sujet pose le problème de l’interaction de la famille avec l’individu : entrave ? ou émancipation ?
La famille est-elle le lieu de la tragédie ?
I- Dans la pièce de Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, on peut dire qu’il y a une emprise et un
déterminisme familiaux
III. La famille, on n’y est pas condamné, on y est « comme » condamné. La famille est quand même un lieu de
refuge. La véritable condamnation est ailleurs.
1. La famille est un lieu de refuge
-La mère est un centre autour duquel gravitent les personnages, une sorte de repère, elle a un caractère immuable (« Je
ne change pas, j’ai toujours été ainsi », I, 8).
-Elle a la maîtrise de l’histoire passée : elle connaît ses enfants, leurs attentes comme en atteste sa tirade de la scène 8.
Elle sait les percer à jour (« Tu étais à peine arrivé tu pensais déjà que tu avais commis une erreur et tu aurais voulu
aussitôt repartir, ne me dis rien, ne me dis pas le contraire », I, 8).
-Elle n’a pas de prénom et est uniquement définie par sa fonction maternelle. Elle a tissé avec Louis un lien au-delà du
langage (« elle me caresse une seule fois la joue, doucement comme pour m’expliquer qu’elle me pardonne je ne sais
quels crimes », II, 1).
-Elle connaît et accepte le fonctionnement de la comédie familiale dont chaque membre est un tricheur (« je sais
comment se passera et s’est toujours passé », I, 8).
[Dans la pièce de Wajdi Mouawad, Incendies, au-delà des épreuves, des abandons, tortures et inceste, le lien familial
que Nawal tisse dans les lettres adressées à ses enfants forme un dénouement positif et heureux : « Rien n’est plus
beau que d’être ensemble ».]
2. Pour Louis, la famille n’a rien d’une prison, elle n’est qu’un lieu de passage : il en est parti, il y revient, il en
repart.
-Sa mère ne s’y trompe pas (« Tu ne vas pas traîner très longtemps auprès de nous », I, 8)
-Mais pour lui ce mouvement incessant d’allées et venues n’est là que pour vaincre son angoisse. Ce voyage est
comme une course à la mort : « Je me suis enfui. Je visite le monde. Je veux devenir voyageur, errer (...) courir devant
la Mort » (I, 10). Ce retour dans la famille sur ses traces préfigure un nouveau départ, un départ sans retour comme le
précise le début de l’épilogue : « après, ce que je fais, je pars. Je ne reviens plus jamais. Je meurs quelques mois plus
tard. »
[Contrairement au personnage de la pièce de Camus Le Malentendu, qui trouvera la mort au sein de sa famille, tué par
la main de celle qui l’a enfanté.]
3. Ce à quoi « on est condamné », c’est la mort.
-Le processus de la mort est enclenché avant le retour de Louis dans sa famille et se produira dans un hors champ
lorsque Louis aura quitté les siens. La mort ouvre et clôt la pièce, déclenche la crise personnelle du prologue : la
prostration de Louis suivie de son projet de retour, avec ce désir d’annoncer sa mort, et cette envie d’être entouré, de
ne pas mourir seul. Mais il ne parviendra pas à révéler son secret, à le raconter aux autres et sera condamné à mourir
dans la solitude comme l’annonçait son rêve d’abandon à la scène I, 5. Il ne parviendra pas à mettre des mots, à «
hurler une bonne fois » pour se libérer, et sera condamné à l’impossible cri et donc au silence. Il gardera pour lui sa
douleur et son angoisse, et cela lui laissera le goût amer du regret (« Ce sont des oublis comme ça que je regretterai »)
-Pourtant ne trouve-t-il pas une certaine forme de libération ?
- d’une part dans ce retour et ce départ : accomplir le retour dans sa famille semble lui permettre de se libérer
de l’entrave d’un temps circulaire du ressassement, de l’obsession (cf. la didascalie initiale « un dimanche, ou bien
encore durant près d’une année entière »). Partir sans but loin des siens («je pars. », épilogue), semble lui permettre de
se libérer de l’entrave de l’attachement dans cette marche solitaire et quasi rimbaldienne, la nuit le long de la voie
ferrée « à égale distance du ciel et de la terre ».
- d’autre part, dans le prologue et l’épilogue, dans ces lieux qui échappent à la famille, à l’espace et au temps :
c’est dans cette parole monologuée, dans cet espace purement théâtral, que Louis peut se livrer, être lui-même et
libérer son cri qui à défaut de résonner pour les siens peut résonner pour le spectateur.