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GEOMETRIE DES POLYNOMES ET ALGEBRE LINEAIRE

JÉRÔME DÉGOT

1. Introduction
L’objectif de cet article est de présenter quelques résultats de géométrie des polynômes que
l’on prouve dans le cadre de l’algèbre linéaire.
On entend par géométrie des polynômes la branche des mathématiques qui étudie les liens
entre racines et coefficients d’un polynôme. Il est donc naturel de considérer des polynômes à
coefficients dans un corps algébriquement clos. Dans cet article tous les polynômes considérés
seront à coefficients complexes.
Pour une introduction classique à la géométrie des polynômes je renvoie le lecteur à mon
précédent article paru dans les RMS voir [4] et [5].
La démarche que nous suivrons consiste à associer à un polynôme à coefficients complexes
une matrice (du type matrice compagnon) puis en utilisant des résultats de calcul matriciel d’en
déduire des propriétés sur les racines du polynôme d’origine.
Pour toute matrice A = (ai,j ) ∈ Mn (C) on note A sa matrice conjuguée i.e. A = (ai,j ) et
on pose A∗ = tA la matrice adjointe de A. Pour (λ1 , ..., λn ) ∈ Cn , on note Diag(λ1 , ..., λn )
la matrice de Mn (C) diagonale à coefficients diagonaux λ1 , ..., λn . On dit qu’une matrice A ∈
Mn (C) est normale lorsqu’elle commute avec sa matrice adjointe i.e. AA∗ = A∗ A, qu’elle est
unitaire si AA∗ = In . On note Un (C) le sous-groupe de GLn (C) formé des matrices unitaires.
Le théorème spectral affirme que pour toute matrice A normale il existe une matrice unitaire U
et (λ1 , ..., λn ) ∈ Cn tels que : A = U ∗ Diag(λ1 , ..., λn ) U .
Pour toute matrice A ∈ Mn (C) on note Sp(A) l’ensemble de ses valeurs propres et pour
P ∈ C[X] on note Z(P ) l’ensemble de ses racines.

2. Théorème de Bauer-Fike et distance de Hausdorff


On munit l’espace Cn de sa structure hermitienne définie, pour tout (x1 , ..., xn ) et (y1 , ..., yn ) ∈
Cn ,
par :
v
n
X
u n
uX
h(x1 , ..., xn ), (y1 , ..., yn )i = xi yi et k(x1 , ..., xn )k2 = t |xi |2
i=1 i=1

Pour toute matrice M ∈ Mn (C) on pose :


kM Xk2
kM k2 = sup
X∈Cn \{0} kXk2

Définition 1 (Distance de Hausdorff). Soit A et B deux parties finies et non vides du plan
complexe, on pose
 
0
h(A, B) = max min 0
|z − z |
z∈A z ∈B

Théorème 1 (Bauer-Fike). Soit A une matrice complexe, d’ordre n, diagonalisable et P une


matrice inversible telle que A = P −1 Diag(λ1 , ..., λn ) P . Soit B une matrice complexe d’ordre n,
pour toute valeur propre µ de B il existe une valeur propre λi de A telle que
|µ − λi | 6 Cond(P ) kA − Bk2 où Cond(P ) = kP k2 kP −1 k2
1
2 JÉRÔME DÉGOT

Preuve. Soit µ une valeur propre de B, si µ ∈ {λ1 , ..., λn } le résultat est immédiat. Sinon
det(B − µI) = 0 donc :
0 = det(P ) det(B − µI) det(P −1 )
= det(P AP −1 + P (B − A)P −1 − µI)
= det(P AP −1 − µI) det((P AP −1 − µI)−1 P (B − A)P −1 + I)

On en déduit que −1 est valeur propre de la matrice (P AP −1 − µI)−1 P (B − A)P −1 et donc


1 6 k(P AP −1 − µI)−1 P (B − A)P −1 k2
6 k(P AP −1 − µI)−1 k2 kP k2 kB − Ak2 kP −1 k2
= k(P AP −1 − µI)−1 k2 Cond(P ) kB − Ak2
Par ailleurs P AP −1 − µI = Diag(λ1 − µ, ..., λn − µ) donc :
1 1
k(P AP −1 − µI)−1 k2 = max =
i∈{1,...,n} |λi − µ| mini∈{1,...,n} |λi − µ|
On en déduit le résultat. 
Corollaire. Soit A une matrice complexe, d’ordre n, normale et B une matrice complexe d’ordre
n. On a :
h(Sp(B), Sp(A)) 6 kB − Ak2
Preuve. D’après le théorème spectral il existe une matrice unitaire U telle que A = U ∗ DU . Pour
tout µ ∈ Sp(B) en utilisant le théorème 1, on a :
min |λ − µ| 6 Cond(U ) kB − Ak2 comme U est unitaire Cond(U ) = 1
λ∈Sp(A)

ce qui conclut la preuve. 


Définition 2 (P -compression).
Pn Soit (e1 , ..., en ) une base orthonormée de Cn , A ∈ L(Cn ) tel que
Aei = zi ei . Soit v = i=1 αi ei tel que kvk = 1. Posons H = v ⊥ et P la projection orthogonale
sur H. On appelle P -compression de A l’opérateur : A0 = P ◦ A|H ∈ L(H).
Théorème 2. Le polynôme caractéristique de A0 est :
Xn Y
χA0 (z) = |αi |2 (z − zj )
i=1 j6=i

Preuve. Considérons (v1 , ..., vn−1 ) une base orthonormée de H et z un nombre complexe différent
de z1 ,...,zn . Pour tout i ∈ {1, ..., n} on a (A − zIn )ei = (z − zi )ei on en déduit (A − zIn )−1 ei =
1
ei donc
zi − z
n n
X αi X
h(A − zIn )−1 v, vi = h ei , αi e i i
zi − z
i=1 i=1
n
X |αi |2
=
zi − z
i=1

Le coefficient d’indice (n, n) de la matrice de l’endomorphisme (A−zId)−1 dans la base (v1 , ..., vn−1 , v)
vaut :
det(A0 − zIdH ) −χA0 (z)
h(A − zIn )−1 v, vi = = Qn
det(A − zIdCn ) i=1 (z − zi )
n n 2 n
Y X |αi | X Y
On en déduit χA0 (z) = (z − zi ) × = |αi |2 (z − zj ). 
z − zi
i=1 i=1 i=1 j6=i
GEOMETRIE DES POLYNOMES ET ALGEBRE LINEAIRE 3

Théorème 3. Soit P un polynôme à coefficients complexes, non constant, ayant toutes ses
racines dans le disque unité, on a :

h(Z(P 0 ), Z(P )) 6 1

Preuve. Posons Z(P ) = {z1 , ..., zn } et considérons un endomorphisme f ∈ L(Cn ) de spectre


{z1 , ..., zn } tel que (e1 , ..., en ) soit une base orthonormée de vecteurs propres de f . Posons v =
n
1 X
√ ei puis complétons v en (v1 , ..., vn−1 , v) une base orthonormée de Cn . Dans la base
n
i=1
(v1 , ..., vn−1 , v) la matrice A de f s’écrit :
  n
An x 1X
A= où ζ = hf (v), vi = zi
y∗ ζ n
i=1
 
An 0
En exploitant le fait que f est normal, on prouve que kxk2 = kyk2 . On pose : B = .
0 ζ
D’après le théorème de Bauer-Fike :

h(Sp(B), Sp(A))2 6 kB − Ak22 = kxk22


n−1
X
= |hf (v), vi i|2
i=1
= kf (v)k22 − |hf (v), vi|2
n
1X 2
= |zi | − |ζ|2
n
i=1
n 
1 X 
= |zi |2 − |ζ|2
n
i=1
n n
1 X 1X
= |zi − ζ|2 car ζ = zi .
n n
i=1 i=1

Par construction Z(P ) = Sp(A) et le théorème 2 implique Z(P 0 ) = Sp(An ). On en déduit :

h(Z(P 0 ), Z(P )) 6 h(Sp(B), Sp(A))


v
u n
u1 X
6 t |zi − ζ|2
n
i=1
v
u n
u1 X
= inf t |zi − α|2
α∈C n
i=1

6 1 car, pour tout i, |zi | 6 1

d’où le résultat. 

Remarques. – La distance de Hausdorff que l’on utilise ici n’est pas la plus classique, il
s’agit de la version non symétrique de celle-ci.
– On peut aussi prouver le résultat à l’aide du théorème de Gauss-Lucas.
– Avec les mêmes hypothèses montrer que : h(Z(P ), Z(P 0 )) 6 1 est beaucoup plus délicat
puisqu’il s’agit de la conjecture de Sendov (non démontrée à ce jour).
4 JÉRÔME DÉGOT

3. Matrice D-compagnon
3.1. Matrice diagonale compagnon. Soit P un polynôme à coefficients complexes de degré
n > 2, on écrit :
n
Y n
X
P (z) = an (z − zk ) = ak z k
k=1 k=0

Définition 3. Notons D la matrice Diag(z1 , ..., zn−1 ) et J la matrice carrée d’ordre n − 1 dont
tous les coefficients valent 1. On note DC(P ) la matrice de Mn−1 (C) définie par :
 1  zn
DC(P ) := D In−1 − J + J
n n
Théorème 4 (Cheung-Ng[2]). L’ensemble des valeurs propres de la matrice DC(P ) est l’en-
semble des racines du polynôme dérivé P 0 , valeurs propres et racines étant comptées avec leur
ordre de multiplicité.
Preuve. Calculons le polynôme caractéristique de DC(P ), on note Ei = (0, · · · , 0, 1, 0, · · · , 0) ∈
Cn−1 et U = (1, . . . , 1) ∈ Cn−1 . On a
1 zn
χDC(P ) (X) = det[(zi Ei − zi U + U − XEi )16i6n ]
n n
zn − z i
= det[(zi − X)Ei + U )16i6n ]
n
= det[(z1 − X)E1 , . . . , (zn−1 − X)En−1 ] +
n−1
X zn − z i
det[(z1 − X)E1 , . . . , U, . . . , (zn−1 − X)En−1 ]
n
i=1
n−1
X z n − zi
= (z1 − X) · · · (zn−1 − X) + (z1 − X) · · · (zn−1 − X)
n(zi − X)
i=1
n−1
!
1 X zn − X
= (z1 − X) · · · (zn−1 − X) 1 +
n zi − X
i=1
= λP 0 avec λ ∈ C∗
ce qui prouve le théorème. 

3.2. Disques de Gerschgorin et ovales de Cassini. Soit i ∈ {1, ..., n} et k 6= i, posons



z − n − 1 zi − 1 zk 6 n − 2 |zi − zk |
n o
Gki = z ∈ C ;

n n n
et pour i, j ∈ {1, ..., n}, i, j 6= k :
 2
k
n n − 1 1 n − 1 1 n − 2 o
Ci,j = z ∈ C ; z − zi − zk z − zj − zk 6 |zi − zk ||zj − zk |
n n n n n
Théorème 5. L’ensemble des zéros de P 0 est inclus dans chacun des ensembles
[n [n
k k
Gi et Ci,j où 16k6n
i=1 i,j=1
i6=k , j6=k

Preuve. On applique le théorème précédent et des résultats classiques d’algèbre linéaire. Pour
n
X
une matrice carrée A = (ai,j ) d’ordre n > 2, notons pour i ∈ {1, ..., n} : Ri (A) = |ai,j |. Alors
j=1
j6=i
GEOMETRIE DES POLYNOMES ET ALGEBRE LINEAIRE 5

toutes les valeurs propres de A sont contenues dans


n
[ n
[
G= Gi et dans C= Ci,j
i=1 i,j=1
i6=j

où Gi = {z ∈ C ; |z − ai,i | 6 Ri (A)} et Ci,j = {z ∈ C ; |z − ai,i ||z − aj,j | 6 Ri (A)Rj (A)}.




4. Le théorème de Cheung et Ng
Théorème 6 (Cheung-Ng[2]). Soient z1 ,...,zn les racines d’un polynôme complexe de degré n
noté P et w1 ,...,wn−1 les racines de son polynôme dérivé P 0 . On considère les matrices D, J et
DC(P ) introduites au théorème 4, pour tout k ∈ N∗ :
n−1
k
X  
|wi |2k 6 tr DC(P )k DC(P )
i=1

En particulier. – Si l’on choisit k = 1, on obtient :


n−1
n 2 n
X
2 1 X n−2X 2
|wi | 6 2 zi + |zi |
n n
i=1 i=1 i=1

cette inégalité fut conjecturée par Schoenberg [13] en 1986 puis démontrée indépendamment
par Pereira [11] et par Malamud [10] en 2003.
– Si l’on choisit k = 2 et que l’on suppose que ni=1 zi = 0 alors :
P

n−1 n n
!2
X
4 n−4X 4 2 X 2
|wi | 6 |zi | + 2 |zi |
n n
i=1 i=1 i=1

cette inégalité fut conjecturée par De Bruin et Sharma [3] en 1999 puis démontrée par
Cheung et Ng [2].
Preuve. Commençons par un lemme.
Lemme. Soit C une matrice complexe d’ordre m telle qu’il existe une matrice définie positive
S vérifiant C = S −1 C ∗ S. Pour tout entier k on a :
m  
X k
|λi (C)|2k 6 tr C k C
i=1

où les λi (C) sont les valeurs propres complexes de C comptées avec leur ordre de multiplicité.
Preuve du
√ Lemme. Comme
√ √ la matrice S est définie positive, il existe une unique matrice définie
positive S telle que S S = S, on a :
k
CkC = C k S −1 (C ∗ )k S
√ −1 √ −1 ∗ k √ √
= Ck S S (C ) S S qui est semblable à
√ k √ −1 √ −1 ∗ k √
∼ SC S S (C ) S
√ k √ −1 √ k √ −1 ∗
= SC S SC S

Selon une inégalité de Schur [14], pour toute matrice A, carrée d’ordre n, on a :
n
X
|λi (A)|2 6 tr(AA∗ )
i=1
6 JÉRÔME DÉGOT

On en déduit :

  √ √ −1 √ k √ −1 ∗ 
k
tr C k C = tr SC k S SC S
m
X √ √ −1
> |λi ( SC k S )|2
i=1
m
X
= |λi (C k )|2
i=1
m
X
= |λi (C)|2k
i=1

ce qui prouve le lemme. 

Posons D = Diag(z1 , ..., zn−1 ), on a :

1 −1 1 1
(In−1 − J) DC(P )∗ (In−1 − J) = (In−1 + J)DC(P )∗ (In−1 − J)
n n n
 1 zn  1
= (In−1 + J) (In−1 − J)D + J (In−1 − J)
n n n
1 zn
= D(In−1 − J) + J
n n
= DC(P )

Comme la matrice (In−1 − n1 J) est définie positive on peut appliquer le lemme à DC(P ), on
obtient le résultat avecP
le théorème 4. Le cas particulier k = 1 est immédiat.
Supposons k = 2 et ni=1 zi = 0, on a :

n−1
2
X  
|wi |4 6 tr DC(P )2 DC(P )
i=1

on vérifie que JDJ = −zn J puis que J DC(P ) = JD + zn J on en déduit que :

1 2 1 zn z2
DC(P )2 = D2 − D J − DJD + JD + n J
n n n n

2
donc DC(P )2 DC(P ) est égal à

h 1 2 1 zn z 2 ih 2 1 2 1 zn z2 i
D2 − D J − DJD + JD + n J D − D J − DJD + JD + n J
n n n n n n n n

On calcule la trace de la matrice précédente en remarquant que pour toutes matrices diagonales
D et D0 on a : tr(DJ) = tr(D) et tr(DJD0 J) = tr(D) tr(D0 ) et avec l’égalité classique tr(AB) =
GEOMETRIE DES POLYNOMES ET ALGEBRE LINEAIRE 7

tr(BA), on obtient :
 2
 1   2 1 |zn |2
tr DC(P )2 DC(P ) = tr |D|4 + 2 tr D2 tr D + 2 (tr |D|2 )2 + 2 |tr(D) |2
 
n n n
4 2
 
|zn | (n − 1) −1 4
 1 4
 zn 2

+ + 2Re tr |D| − tr |D| + tr D|D|
n2 n n n
 2 
zn 1  z n (n − 1)
tr D2 + 2 tr D|D|2 tr D − 2
  
+2Re tr D|D|
n n n2
 2
z 2n |zn |4 (n − 1)

z n (n − 1) 2
 zn 2
 2
−2Re tr D + 2 tr |D| tr(D) + 2 tr(D) +
n2 n n n2
n−4 1 1 n2 − 4n + 2
tr |D|4 + 2 |tr D2 |2 + 2 (tr |D|2 )2 + |zn |4
  
=
n  n n n2
zn 2 2 |zn |2
tr |D|2
 
+2Re 2
tr D + 2 2
car tr(D) = −zn
n n
Avec les inégalités :
 2
|zn |2

zn 2 2
2
|tr D2 |2 6 tr |D|2
  
Re tr D 6 tr |D| et
n2 n2
on en déduit :
n
 2
 n−4X 4 2 
tr DC(P )2 DC(P ) |zi | + 2 (tr |D|2 )2 + 2|zn |2 tr |D|2 + |zn |4
 
6
n n
i=1
n n
!2
n−4X 4 2 X 2
= |zi | + 2 |zi |
n n
i=1 i=1

ce qui conclut la preuve. 


Remarque. On peut prouver que l’inégalité est exacte si et seulement si z1 ,...,zn sont sur une
droite passant par l’origine.

5. Un peu d’algèbre linéaire


Nous introduisons ici quelques résultats d’algèbre linéaire qui seront utiles au prochain para-
graphe.

5.1. Théorème d’entrelacement de Cauchy-Poincaré.


Théorème 7 (Cauchy-Poincaré). Soit A une matrice auto-adjointe (i.e. A = A∗ ), A1 la matrice
déduite de A en supprimant sa dernière ligne et sa dernière colonne. Notons λ1 6 · · · 6 λn les
valeurs propres de A et µ1 6 · · · 6 µn−1 celles de A1 . On a :
λ1 6 µ1 6 λ2 6 · · · 6 µn−1 6 λn
Preuve. Rappelons que si les polynômes réels f (x) et g(x) ont toutes leurs racines réelles λ1 6
λ2 6 · · · 6 λn et µ1 6 · · · 6 µn−1 , on dit qu’ils sont entrelacés si :
λ1 6 µ1 6 λ2 6 · · · 6 µn−1 6 λn
On peut prouver le lemme (cf [12]).
Lemme. Les polynômes f et g sont entrelacés si et seulement si pour tout α ∈ R le polynôme
f + αg est a racines réelles.
8 JÉRÔME DÉGOT

A1 c
Soit α ∈ R, la matrice A s’écrit A = par multilinéarité du déterminant, on a :
c∗ d
     
A1 − xIn−1 c A1 − xIn−1 c A1 − xIn−1 c
det = det + det
c∗ d−x+α c∗ d−x 0 α
le déterminant de gauche est le polynôme caractéristique d’une matrice hermitienne il est donc
à racine réelles, on en déduit l’entrelacement cherché.

5.2. Diagonale d’une matrice normale sous l’action du groupe unitaire. Soit A une
matrice normale, on pose :
U (A) = {U ∗ AU : U ∈ Un (C)} et
diag(U (A)) = {diag(B) ; B ∈ U (A)} ⊂ Cn
où si B = (bi,j ) ∈ Mn (C) on note diag(B) le n-uplet (b1,1 , ..., bn,n ) de ses coefficients diagonaux.
Théorème 8. Soit A ∈ Mn (C) une matrice normale de spectre {λ1 , ..., λn }. On a :
diag(U (A)) ⊂ Conv{(λσ(1) , . . . , λσ(n) ) ; σ ∈ Sn }
où Sn désigne le groupe des permutations de {1, . . . , n}.
Preuve. Soit x = (x1 , . . . , xn ) ∈ diag(U (A)), il existe une matrice U ∈ Un (C) telle que
diag(U ∗ AU ) = (x1 , . . . , xn )
D’après le théorème spectral, il existe V ∈ Un (C) telle que : A = V ∗ Diag(λ1 , ..., λn ) V . On en
déduit :
diag((V U )∗ Diag(λ1 , . . . , λn )V U ) = (x1 , . . . , xn )
Posons V U = (wi,j ), on a :
   
n λ1 x1
|wi,j |2 λj ⇐⇒ M  ...  =  ... 
X
∀i ∈ {1, . . . , n} ; xi =
   
j=1 λn xn
où M = (|wi,j |2 ) on vérifie que la matrice M est doublement stochastique et donc d’après le
théorème de Birkhoff- von Neumann est combinaison convexe de matrices de permutation ce qui
conclut la preuve. 
Remarque. L’égalité
 est fausse
 en générale, en effet diag(U (A)) peut ne pas être convexe, la
1 1 0
1
matrice A =  1 0 1  en fournit un exemple.
2 0 1 1
5.3. Les ”Compound matrices” et la formule de Binet-Cauchy. Nous utiliserons par
la suite la notion de ”Compound matrices” dont nous donnerons seulement la définition et les
principales propriétés. Le lecteur désirant en savoir plus pourra se reporter au livre d’Aitken[1]
(chapitre V).
Définition 4. Soit A une matrice carrée d’ordre n à coefficients complexes, on note : A ji11 ,...,i p

,...,jp
la matrice p×p déduite de A en sélectionnant les lignes d’indices i1 , ..., ip et les colonnes  d’indices
j1 , ..., jp . On définit la p-ième ”compound” matrice de A comme la matrice d’orde np notée A(p)
dont les coefficients sont les déterminants des matrices A ji11 ,...,j ,...,ip 
p
que l’on range selon l’ordre
lexicographique. C’est-à-dire :
  
(p) i1 , ..., ip
A := det A
j1 , ..., jp ((i1 ,...,ip ),(j1 ,...,jp ))∈Ip,n ×Ip,n

où Ip,n = {(i1 , ..., ip ) : 1 6 i1 < i2 < · · · < ip 6 n} muni de l’ordre lexicographique.
GEOMETRIE DES POLYNOMES ET ALGEBRE LINEAIRE 9

De la définition on déduit immédiatement les propriétés qui suivent.


Proposition. Pour toute matrice carrée A d’ordre n et p ∈ {1, ..., n}.
(i) A(1) = A et A(n) = (det A)
(ii) (A(p) )∗ = (A∗ )(p)
(iii) Pour (p)
n
 une matrice diagonale D = Diag(λ1 , ..., λn ), D est une matrice diagonale d’ordre
p dont les éléments diagonaux sont λi1 · · · λip .

(iv) Si A est triangulaire supérieure (resp. inférieure) alors A(p) est triangulaire supérieure
(resp. inférieure).
Beaucoup des propriétés les plus importantes concernant les ”Compound matrices” se dé-
duisent de la formule de Binet et Cauchy.
Théorème 9. Soient A et B deux matrices à coefficients complexes d’ordre n et p ∈ {1, ..., n},
on a :
(AB)(p) = A(p) B (p)
Preuve. Soit 1 6 i1 < · · · < ip 6 n et 1 6 j1 < · · · < jp 6 n, on a :
     
i1 , ..., ip i1 , ..., ip 1, ..., n
(AB) =A B
j1 , ..., jp 1, ..., n j1 , ..., jp
En utilisant la formule de Binet-Cauchy on obtient :
    i , ..., i   k , ..., k 
 i1 , ..., ip  X 1 p 1 p
det (AB) = det A det B
j1 , ..., jp k1 , ..., kp j1 , ..., jp
16k1 <···<kp 6n

ce qui prouve que : (AB)(p) = A(p) B (p) . 


Au prochain paragraphe, nous utiliserons les conséquences suivantes du théorème.
Corollaire. Soit A une matrice carrée d’ordre n et p ∈ {1, ..., n}.
(i) Si A est normale alors A(p) est normale.
(ii) Si le spectre de A est {λ1 , ..., λn }, le spectre de A(p) vaut :
 
Sp A(p) = {λi1 · · · λip : (i1 , ..., ip ) ∈ Ip,n }

6. Généralisation du théorème de Gauss-Lucas


Le théorème de Gauss-Lucas affirme que les zéros de la dérivée P 0 d’un polynôme P appar-
tiennent à l’enveloppe convexe des zéros de P . Dans ce paragraphe on prouve une généralisation
de ce résultat.
Soit P un polynôme à coefficients complexes, de degré n, on note λ1 ,...,λn ses racines (éven-
tuellement multiples) et µ1 ,...,µn−1 celles de sa dérivée P 0 . D’après le théorème de Gauss-Lucas,
pour tout i ∈ {1, ..., n − 1} :
µi ∈ Conv{λ1 , ..., λn }
Dans [9], Malamud prouve la généralisation suivante.
Théorème 10 (Malamud). Avec les notations précédentes, pour tout k ∈ {1, ..., n − 1} et tout
k-uplet d’entiers (i1 , ..., ik ) tel que 1 6 i1 < i2 < · · · < ik 6 n − 1, on a
µi1 µi2 · · · µik ∈ Conv{λj1 λj2 · · · λjk : 1 6 j1 < j2 < · · · < jk 6 n}
Preuve. Nous aurons besoin d’un lemme.
Lemme. Il existe une matrice normale A de spectre {λ1 , ..., λn } telle que la matrice A1 déduite
de A en supprimant sa dernière ligne et sa dernière colonne soit de spectre {µ1 , ..., µn−1 }.
10 JÉRÔME DÉGOT

η kl
Preuve du lemme. Posons η = exp 2πi

n et U = (uk,l ) ∈ Un (C) où uk,l = √ n
. Soit f l’en-
n ∗
domorphisme de C de représentation matricielle U Diag{λ1 , ..., λn }U dans la base canonique
(e1 , ..., en ) de Cn . Enfin on pose :
n
X
vk = η kl el pour tout 16k6n
l=1
et A la matrice de f dans la base orthonormée (v1 , ..., vn ). De façon immédiate la matrice A est
normale de spectre {λ1 , ..., λn }. En appliquant le théorème 2 on trouve que :
n
1 XY 1
χA1 (z) = (z − zl ) = P 0 (z)
n n
k=1 l6=k

et l’on en déduit le lemme. 


Par un théorème de Schur [14] il existe une matrice unitaire V1 ∈ Un−1 (C) telle que V1∗ A1 V1
est triangulaire supérieure. On définit la matrice U1 = (u1i,j ) par
 1
1 vi,j si i 6 n − 1 et j 6 n − 1
ui,j :=
δi,j sinon
La matrice B := U1∗ AU1 est normale avec Sp(B) = {λ1 , ..., λn } et µ1 ,...,µn−1 appartiennent à la
diagonale de B. On déduit du théorème 8 que pour tout i ∈ {1, ..., n − 1} :
µi ∈ Conv{λ1 , ..., λn }
ce qui constitue le théorème de Gauss-Lucas.
Soit p ∈ {1, ..., n}, la matrice B (p) est normale de spectre : {λi1 · · · λip : (i1 , ..., ip ) ∈ Ip,n } les
éléments diagonaux de B (p) sont les déterminants des matrices
 
i1 , ..., ip
B où (i1 , ..., ip ) ∈ Ip,n
i1 , ..., ip
Comme la matrice B1 est triangulaire supérieure de diagonale (µ1 , ..., µn−1 ), les nombres com-
plexes :
µi1 . . . µip avec 1 6 i1 < · · · < ip 6 n − 1
sont des termes diagonaux de B (p) , on conclut grâce au théorème 8. 

Références
[1] A.C. Aitken, Determinants and matrices, 1956, Oliver & Boyd,Edinburgh.
[2] W.S. Cheung and T.W. Ng, A companion matrix approach to the study of zeros and critical points of a
polynomial, J. Math. Anal. Appl., 319 (2006), pp. 690-707.
[3] N.G. de Bruin, A. Sharma, On a Schoenberg-type Conjecture, J. Comput. Appl. Math. 105 (1999).
[4] J. Dégot, Géométrie des polynômes (première partie), RMS, Vol. 119, n◦ 4, (2008-2009).
[5] J. Dégot, Géométrie des polynômes (Deuxième partie), RMS, Vol. 120, n◦ 1, octobre 2009.
[6] S. M. Malamud, Inverse spectral problem for normal matrices and the Gauss-Lucas theorem, Trans. A.M.S.
357 (2004), pp.4043-4064.
[7] A. W. Marshall and I. Olkin, Inequalities :Theory of Majorization and its Applications, Academic Press, New
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[8] Morris Marden, Geometry of polynomials. A.M.S. Mathematical Surveys, 3rd edition 1985.
[9] S.M. Malamud, Inverse spectral problem for normal matrices and the Gauss- Lucas theorem, Transaction of
the American Mathematical Society, vol. 357, pp. 4043-4064, (2004).
[10] S.M. Malamud, An analog of the Poincaré Separation Theorem for Normal Matrices and the Gauss-Lucas
Theorem, Functional analysis and its applications 37 (2003).
[11] R.Pereira, Differentiators and the Geometry of polynomials, J. Math. Anal. Appl. 285 (2003).
[12] Q. I. Rahman and G. Schmeisser, Analytic theory of polynomials, London Mathematical Society Monographs.
New Series, vol. 26, The Clarendon Press Oxford University Press, Oxford, 2002.
GEOMETRIE DES POLYNOMES ET ALGEBRE LINEAIRE 11

[13] I. J. Schoenberg (1986), “A conjectured analogue of Rolle’s theorem for polynomials with real and complex
coefficients”, AMMo 93, 8–13.
[14] I. Schur, Uber die charakteristischen Wurzeln einer linearen Substitution mit einer Anwendung auf die Theorie
der Integralgleichungen, Mathematische Annalen, 66, (1909), no.4, pp. 488-510.

Jérôme Dégot, Lycée Louis-le-Grand, 123 rue St Jacques, 75 005 Paris


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