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Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Texte 10 - Juste la fin du monde – Jean-Luc Lagarce


Parcours : crise personnelle, crise familiale

1 SUZANNE. - C’est Catherine.


Elle est Catherine.
Catherine, c’est Louis.
Voilà Louis.
5 Catherine.
ANTOINE. - Suzanne, s’il te plaît, tu le laisses avancer, laisse-le avancer.
CATHERINE. - Elle est contente.
ANTOINE. - On dirait un épagneul.
LA MERE. - Ne me dis pas ça, ce que je viens d’entendre, c’est vrai, j’oubliais, ne me dites pas
10 ça, ils ne se connaissent pas.
Louis, tu ne connais pas Catherine ? Tu ne dis pas ça, vous ne vous connaissez pas, jamais
rencontrés, jamais ?
ANTOINE. - Comment veux-tu ? Tu sais très bien.
LOUIS. - Je suis très content.
15 CATHERINE. - Oui, moi aussi, bien sûr, moi aussi.
Catherine.
SUZANNE. - Tu lui serres la main ?
LOUIS. – Louis.
Suzanne l’a dit, elle vient de le dire.
20 SUZANNE. - Tu lui serres la main, il lui serre la main. Tu ne vas tout de même pas lui serrer la
main ? Ils ne vont pas se serrer la main, on dirait des étrangers.
Il ne change pas, je le voyais tout à fait ainsi,
tu ne changes pas,
il ne change pas, comme ça que je l’imagine, il ne change pas, Louis,
25 et avec elle, Catherine, elle, tu te trouveras, vous vous trouverez sans problème, elle est la
même, vous allez vous trouver.
Ne lui serre pas la main, embrasse-la.
Catherine.
ANTOINE. - Suzanne, ils se voient pour la première fois !
30 LOUIS. - Je vous embrasse, elle a raison, pardon, je suis très heureux, vous permettez ?
SUZANNE. - Tu vois ce que je disais, il faut leur dire.
Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Texte 11 - Juste la fin du monde – Jean-Luc Lagarce


Parcours : crise personnelle, crise familiale

1 Parfois, tu nous envoyais des lettres,


parfois tu nous envoies des lettres,
ce ne sont pas des lettres, qu’est-ce que c’est ?
de petits mots, juste des petits mots, une ou deux phrases, rien, comment est-ce qu’on dit ?
5
elliptiques.
« Parfois, tu nous envoyais des lettres elliptiques. »
Je pensais, lorsque tu es parti
(ce que j’ai pensé lorsque tu es parti),
lorsque j’étais enfant et lorsque tu nous a faussé compagnie (là que ça commence),
10 je pensais que ton métier, ce que tu faisais ou allais faire dans la vie,
ce que tu souhaitais faire dans la vie,
je pensais que ton métier était d’écrire (serait d’écrire)
ou que, de toute façon
- et nous éprouvons les uns les autres, ici, tu le sais, tu ne peux pas ne pas le savoir, une
15 certaine forme d’admiration, c’est le terme exact, une certaine forme d’admiration pour toi à
cause de ça -,
ou que, de toute façon,
si tu en avais la nécessité,
si tu en éprouvais la nécessité,
20 si tu en avais, soudain, l’obligation ou le désir, tu saurais écrire,
te servir de ça pour te sortir d’un mauvais pas ou avancer
plus encore.
Mais jamais, nous concernant,
jamais tu ne te sers de cette possibilité, de ce don (on dit comme ça, c’est une sorte de don, je
25 crois, tu ris)
jamais, nous concernant, tu ne te sers de cette qualité
- c’est le mot et un drôle de mot puisqu’il s’agit de toi -
jamais tu ne sers de cette qualité que tu possèdes, avec nous, pour nous.
Tu ne nous en donnes pas la preuve, tu ne nous en juges pas dignes.
30 C’est pour les autres.
Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Texte 12 - Juste la fin du monde – Jean-Luc Lagarce


Parcours : crise personnelle, crise familiale

1 LOUIS. – Cela joint l’utile à l’agréable.


ANTOINE. – C’est cela, voilà exactement,
comment est-ce qu’on dit ?
« d’une pierre deux coups ».
5
SUZANNE. – Ce que tu peux être désagréable,
je ne comprends pas ça,
tu es désagréable, tu vois comme tu lui parles,
tu es désagréable, ce n’est pas imaginable.
ANTOINE – Moi ?
10 C’est de moi ?
Je suis désagréable ?
SUZANNE. – Tu ne te rends même pas compte,
tu es désagréable, c’est invraisemblable,
tu ne t’entends pas, tu t’entendrais….
15 ANTOINE. – Qu’est-ce que c’est encore que ça ?
Elle est impossible aujourd’hui, ce que je disais,
je ne sais pas ce qu’elle a après moi,
je ne sais pas ce que tu as après moi,
tu es différente.
20 Si c’est Louis, la présence de Louis,
je ne sais pas, j’essaie de comprendre,
si c’est Louis,
Catherine, je ne sais pas,
je ne disais rien,
peut-être que j’ai cessé tout à fait de comprendre,
25
Catherine, aide-moi,
je ne disais rien,
on règle le départ de Louis,
il veut partir,
30 je l’accompagne, je dis qu’on l’accompagne, je n’ai rien dit de plus,
qu’est-ce que j’ai dit de plus ?
Je n’ai rien dit de désagréable,
pourquoi est-ce que je dirais quelque chose de désagréable,
qu’est-ce qu’il y a de désagréable à cela,
35 y a-t-il quelque chose de désagréable à ce que je dis ?
Louis ! Ce que tu en penses,
j’ai dit quelque chose de désagréable ?

40 Ne me regardez pas tous comme ça !

CATHERINE. – Elle ne te dit rien de mal,


tu es un peu brutal, on ne peut rien te dire,
tu ne te rends pas compte,
45
parfois tu es un peu brutal,
elle voulait juste te faire remarquer.
ANTOINE. – Je suis un peu brutal ?
Pourquoi tu dis ça ?
Non.
Je ne suis pas brutal.
Vous êtes terribles, tous, avec moi.
Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Texte 13 - Phèdre (1677) – Racine


Parcours : crise personnelle, crise familiale

Phèdre est amoureuse d'Hippolyte le fils de son époux Thésée. Pour protéger Phèdre, sa nourrice et confidente
Oenone dit à Thésée que c'est Hippolyte qui est amoureux et qu'il a tenté de séduire Phèdre. Lorsque Hippolyte va
vers son père, il n'a pas connaissance du mensonge. C'est avec surprise qu'il se voit chassé et maudit par son père.

Acte IV, scène 2, Thésée, Hippolyte

Thésée

1 Perfide, oses-tu bien te montrer devant moi ?


Monstre, qu'a trop longtemps épargné le tonnerre,
Reste impur des brigands dont j'ai purgé la terre,
Après que le transport d'un amour plein d'horreur
5 Jusqu'au lit de ton père a porté sa fureur,
Tu m'oses présenter une tête ennemie !
Tu parais dans les lieux pleins de ton infamie,
Et ne vas pas chercher, sous un ciel inconnu,
Des pays où mon nom ne soit pas parvenu !
10 Fuis, traître ! Ne viens point braver ici ma haine,
Et tenter un courroux que je retiens à peine,
C'est bien assez pour moi de l'opprobre éternel
D'avoir pu mettre au jour un fils si criminel,
Sans que ta mort encor, honteuse à ma mémoire,
15 De mes nobles travaux vienne souiller la gloire.
Fuis ; et si tu ne veux qu'un châtiment soudain
T'ajoute aux scélérats qu'a punis cette main,
Prends garde que jamais l'astre qui nous éclaire
Ne te voie en ces lieux mettre un pied téméraire.
20
Fuis, dis-je ; et sans retour précipitant tes pas,
De ton horrible aspect purge tous mes Etats.
Et toi, Neptune, et toi, si jadis mon courage
D'infâmes assassins nettoya ton rivage,
Souviens-toi que pour prix de mes efforts heureux
25 Tu promis d'exaucer le premier de mes vœux.
Dans les longues rigueurs d'une prison cruelle
Je n'ai point imploré ta puissance immortelle.
Avare du secours que j'attends de tes soins,
Mes vœux t'ont réservé pour de plus grands besoins :
30 Je t'implore aujourd'hui. Venge un malheureux père.
J'abandonne ce traître à toute ta colère ;
Etouffe dans son sang ses désirs effrontés :
Thésée à tes fureurs connaîtra tes bontés.

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