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LE SYLPHE

Vous vous plaignez à tort de mon silence, madame, et ce


n' est pas _assez pour accuser les gens de paresse d 'e tre une fois
sorti d~ la sienne. Que je vous er~nuierais ·si mon exactitude
vous fo'rçait quelquefois à m' écrire.J À peine avez-vous le temps
de penser. Considérez, peut-etre ne l'àvez-vous jamais fait, qu'il
n'y a pas d'oisiveté -au monde plus occupée que la votre. Le
tumulte de Paris qui ne vous laisse pas le loisir de former une
idée nette, les plaisirs qui se succèdent sans cesse, la compagnie
ri.ombreuse dont le mélange amuse toujours, quelque ridicule
qu'il puisse etre, les façons de nos honnetes gens, l'imperti-
nence et la fadeur de nos petits-maitres, tant de cour que de
ville, contraste bizarre qui dans · le grand nombre se trouve
to~jours réuni, les aventures qui anivent, et qui fournissent
perpétuellement des occasions de médisance, les occupations de
creur, qui divertissent, meme quand elles n 'intéressent pas,
le tem ps de la toilette si agréablemen t rem pli par nos j eunes
sénateurs, le plaisir toujours varié que donne la coquetterie,
le jeu qui occupe quand la désertion d'un amant ou les
égards pour les bienséances laissent des moments à perdre,
eh ! com1nen t, dans cet embarras, pourriez-vous quelquefois
songer à moi? Vous me reprochez mon gout pour la
soli rude : si vous saviez combien j'ai été agréablement occu-
pée dans la mi enne, vous viendriez ave e moi prendre part à
mes amusements, quelque peu réels qu'ils soient peut-etre.
Vous vous rnoquerez de moi, sans doute, quand je vous
avouerai que ces plaisirs que je vous van te tant- ne sont que
des songes. Oui, 1nadame, ce sont des songes, mais il en est
60 SYLPHES ET SYLPHIDES

dont l'illusion est pour nous un bonheur réel, et dont le flat-


teur souvenir contribue plus à notre félicité que ces plaisirs
d'habitude qui reviennent sans cesse et qui nous pèsent au
milieu meme du désir que nous avons de les bien gouter.
Vous savez que de tout temps j'ai souhaité avec ardeur de
voir un de ces esprits élémentaires connus parmi nous sous le
n om de sylphes.
J'ai toujours èru que ce n ' était point dans le fracas des villes
qu'ils aimaient à se produire, et, le pourrez-vous croire, voilà
l'idée qui m'entrairiait si souvent à la campagne et me faisait <.
rejeter si fièrernent les conteurs de fleurettes. Peut-etre, sans
l'envie quej'avais d'etre digne de l'amour d'un sylphe, aurais-
j e succombé ; car il yen a de jolis de ces conteurs-là.
Je ne me repens point de ma sévérité, puisqu 'elle m' a
conduite à mon but. C'est un songe : je ne vous dan nerai
mon av~nture qué sur ce pied-là, il faut ménager votre _incré-
dulité. Cependant, si e' était un songe, je me souvieùdrais de
m'etre endormie avant que q.e l'avoir commencé ; j'aurais
senti mon réveil, et puis, quelle apparence qu'un songe efr t
autant de suite qu'il y en a dans ce que je Vçlis vous
raconter ? Comment aurais-je si bien retenu les discours du
sylphe? Il n'est pas nature! que j'aie pensé ce que vous allez
entendre: toutes les idées que vous y trouverez n e m 'ont
j amais été fam-ili~res.
Oh ! assurémer t, je n'ai pas revé. Vous en croirez, au reste,
ce qu'il vous plaira, quant à moi, je ne me servirai pas de ces
mots : Il me semblait, ]e croyais voir. J e dirai : J 'étais, ]e voyais.
Finissons ce préambule.
J'étais, un des derniers jours de la semaine passée, retitée
dans ma chambre. La nuit était ch aude, j'étais cou chée
d'une façon modeste pour quelqu'un qui se croit seul, mais
qui ne l 'au rait pas été si j 'eusse cru avoir des spectateurs.
Ennuyée d ~une compagnie provinciale qui m 'avait obsédée
toute la journée, j e ch erchais quelque d éclo1nmagemen t
d an s un livre de· morale, lorsque j 'entendis prononcer
I ,Il, ! Vl.l' II 11, 01 J S()1'J(;g JJg M 111 r. DE R*** 6

-
di. tin ctc •nu~1,1, qt1 oi qt1 c; ; d c nd bas, et avec un soupir «O
Dit~" I q\u cl •appa~ I H
,<'S p~trolr.. 11H· ~lltpl'i rc11t , c l, quhtant rnon livre,je tachai,
t\\al~r{~ l:, l'ri\y<·\11' qui co1n1nc11çait à rne saisir, de preter un e
ore illc· :,ttc·ntivc .
N ,1\tc·ndan 1 plns ric n dan s rna chambre, je crus m'etre
1

tn 1np~c· < 1 n 'itni\ginai que rn on esprit distrait m'avai t rendu


prfsc~nt cr (tll<" jc vc nais dc lire : cependant, il n'y avait pas
d'appat<·n .t C1' 1'i l d(\t. se t.ro uver avec de la morale. D 'ail1eurs,
ctans ~e ,nortltn 1, jc n e rcvais à rien qui y put convenir. J' étais
C"I\ ·on· pl< nK .e <h,ns ccs réflexions lorsque j'entendis plus
ciist it r"t nH~l t quc la premjère fois : «6 mortels ! Etes-vous
faits pour lilr ss "derl »
uclqut flat te use que fut cette exclamation, elle redoubla
1na p,ut\ et., rcn t.ra ut. précipitammen t dans mon lit,je me mis
Ie- cl r;q) s\1r 1a tete, demi-morte et dans l' état affreux où peu t
se: t.rouv<'r \lnc I'f: rnme p eureuse.
- Ah I crn , lle:, s' écria-t-on alors, pourquoi vous déro ber à
111a V\tc ? Qu · craignez-vous de quelqu'un qui vous adore et
qui, n1alhcurcusen1en t pour lui, est si respectueux qu'il n'ose
<·n1 ploycr la vioJence pour vous voir? Répondez-moi du
n1oins, ne 111<~ttcz pas mon amour au désespoir.
- I Iélas I rcpds-:je d'une voix étouffée, que pourraisje
répond re dans I' é tat où une aventure si surprenan te me
n: dui t ?
_ M:lis qu, pouvez-vous craindre avec moi? réplique-t-on.
Je vous ai d "jà dit que je vous adore . Rassurez-vous, je ne me
,nontrcrai pas, et. quoique rna vue put b annir la crainte de
votrc- fune, jc ne vcux pas vous exposer encore à la surprise
qll <:llc vous causcrait.
1

Rc-1ni sc uu pcu par cc~s paro les, je relève douc en1ent 1non
drap , Je vis qu'il ne s'agissa it que d'une déclara tion d'an1our,
c-t jc 1n<· ~nuvjn s quc j'en avais sou tenu p lus d'une avec fierté .
Jc u'ai p:u; }' fun e faib le, e t j c crus d'aill eurs n'avoir rien à
rcdout<· r d'un e- avc·nLure qui o n11ncnçait de cette sorte.
62
SYLPHES ET SYLPHIDES

Cependant, on était amoureux, j'étais seule· et dans un état


où j'avais tout à craindre de quelqu'un d'entreprenant età
qui je supposais plus de force qu 'à un homme.
Cette réflexion m'inquiéta. Je vis tout d'un coup le risque
que je courais, et le vis avec d'autant plus de peur que je ne
trouvais pas de moyen de le prévenir. Voilà d~ ces facheuses
occasions où la vertu ne sauve de rien.
J'i1naginai aussi que e' était un esprit qui me parlait, et
d 'a bord je le jugeai impalpable. Cep.endant cet esprit était
sensible, il m'aimait : qu'est-ce qui l'aurait empeché dl
prendre un corps ?
Ces différentes idées me tenaient dans une irrésolution qui
n e finissait pas, lorsque ia voix repren.a nt:
- Je sais tout ce qui se passe dans votre ame, ma belle
'. com tesse, je serai respectueux. Nous ne sorrimes entrepre-
n ants que quand nous sommes aimés.
_ Bon, dis-je en 1noi-meme, je ne crois pas que je te mette
jamais à portée de me manquer de respect.
- .- N'en répondez pas, çlit la voix, nous sommes des amants
un peu dangereux, nous savons tout ce qui se passe dans le
creur d'une femme. Elle ne s_a urait former de dés_irs que nous
ne satisfassions, nous entrons dans tous ses caprices, nous
vieillissons ses rivales et nous augmentons ses charmes. Nous
connaissons toutes ses fa1blesses~ et quand elle pousse un
soupir d'amour, que la nature dans un moment de distraction
se trouve la plus forte, nous le saisissons : en un mot, la plus
légère idée de tentation devient, par nos soins, tentatlon
violente et bientot satisfaite.
i. Avouez que si les hommes avaient notre science, il n'y
· aur ait pas une femme qui leur éch_appat. Ajoutez à cela que
no tre invisibilité est, contre les maris jaloux ou les mères ridi-
cules, d'une ressource merveilleuse: point de précautions
pour prévenir les leurs, p oin t d!yeux surveillan ts qu'on ne
trom pc avec ce secre t. Mai~; de grace, ajouta-t-il, cessez de
1

vou t; cacher à mes yeux : ceLLc co!Ylplaisance ne vous engage à


LE SYLPHE OU SONGE DE Mmc DE R,...*
li 63
f: • .

rnen, pmsque vous ne me verrez que quand vous le voudrez et


,i

~qu~ vos sentiments pour moi dépendent uniquement de vous.


A ces mots, je me montrai, et l'esprit, car e' en était un, fit à
111a vt.ie_u~ cri qui pensa m~ fair.e {entrer sous le drap. J e me
rassura1 pourtant.
- Ah ( s' écria-t-il en me voyaÌit, -que de beautés ! Quel
dommage gu;elles fussent destinées à un vil mortel ! Il est
impossible qu'elles m'échappent, .
_ Quoi ! Vous croyez, lui dis:je, que je ne vous échappera1
pas?
- Oui, sans doute, je le crois.
_ J~/ trouve, repris:je, bien de · la présomption dans cette
idée.
t Vous vous trompez, il y en a beaucoup moins que de
-
I connaissance de votre cceur. Toutes les femmes ont la m eme
l façon de penser, les mernes inouvements, les memes désirs, la
l rùeme vanité et, à peu de chose près, les memes réflexions, et
! èes réflexions, toujours faibles quand il s'agit de combattre le
j . 1.
,; penc11c1.n t.
'· - Mais la vertu, lùi dis:ie, croyez-vous qu'elle soit inutile ?
- Elle ne devrait pas l'etre, reprit-il, et cependantj'imagin e
que vous lui donnez peu d'exercice.
- C' est trop mal penser de nous, repris:ie, de nous ero ire
incapables de la moindre réflexjon.
- Non, répondit-il, je crois que vous réfléchissez, mais que
votre cceur, plus vif et plus prompt, échappe à la réflexion et
vous détermine plutòt pour le sentiment que pour la raison.
Ce n'est pasque vous ne pensiez assez bien pour connaitre ce
qu'il faut éviter : il s' élève des combats dans votre cceur, vous
les soutenez pendant quelque temps, et vous succ01nbez enfin
avec cette consolation que, si votre cceur s'était trouvé moins
fort que vous, vous auriez remporté la victoire.
- Croyez-vous donc, reprisje, que nous ne puissions ja1nais
vaincre notre penchant? Sommes-nous si cruellement esclaves
de nos passions que rien ne puisse les réprimer ?
--:-fìf
. , I
i
.

64 SYLPHES ET SYLT'I-IIDES

- Cet article serait, répondit-il, d'une trop langue discus-


sion. Je crois qu 'il n 'est pas impossible de trouver des femmes
vertueuses, mais, autant que J··en a1· pu J·uger par votre
commerce, la vertu n'est pas ce qui vous amuse le plus: Vou:
savez qu'il en faut avoir, et il me semble que vous Ane ced~z a
cette nécessité qu'à regret. Une chose qui me paralt autonse~
mon sentiment est la tristesse et la mauvaise humeur qui
règnent sur le visage d'une femme vertueuse, d 'une . prude,
de ces personnes qui se son t fait de la vertu par orgue1l, pour
avoir le plaisir d'insulter aux faiblesses de leur sexe. Il est d~
temps où elles paient ce plaisir bien chèrement et qu 'elles
voudraient pouvoir y renoncer. Mais comment faire? C'est
une vertu affichée qu'il faut soutenir, elles en gémissent en
secret. Toujours tentées, elles se feraient bientòt un délice de
la tentation qui les tourmente si elles pouvaient etre sures que
leurs faibksses fussent ignorées. Leurs crieries perpétuelles
con tre les plaisirs prouvent moins la haine qu 'elles leur
portent que le tegret qu'elles ont de s'en etre privées par une
vanité mal entendue . .t\joutez à cela qu 'il est rare qu 'une jolie
femme soit prude ou qu'une prude soitjolie femme, ce qui la
condamne à se tenir justement à cette vertu que personne
ri'ose attaquer, et qui est sans cesse chagrine du repos dans
lequel on la laisse languir.
- Mais pensez-vous, lui dis-je, que toutes les femmes soient
prudes?
,- L~s hommes, répondit-il, seraient bien malheureux s'il
n y avait que des femmes de ce caractère.
~ -~ Cependant, repris:je, ils veulent que nous soyons
vertueuses.
\• \
- C'est, dit-il, un raffinement de gout chez etLx d d · ,
I
eurs se' d ucnons
· l' aneantissement
- d'une eh · 1e evoir a
b .. ose qui eur a tant
coute a eta nr dans votre ame et qui vous . d b' .
A - , _ A

. . '
vous en d1s1ez,1 n on cette venu farouche sie. , 1en1 quo1 que
• • 11 _
gnmace, mais celle que J''imagine et que . qui n en est que la
.
· d . ' Je ne prns vous
i pem re, parce qucJe n'en ai pas encore tsouvé de cette sorte ...

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LE SYLPHE OU SONGE DE Mmc DE R*** 65
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- Qu' est-ce donc, lui demandai:ie, que les homm e s appellent
vertu? ,, . · ,..
- La résistance que vous opposez à leurs desirs, et qui n ai t
de votre attention sur vos devoirs.
_ Et quels sont-ils, repris-:je, ces devoirs ? .
_ Ils étaient immenses, répliqua-t-il. Mais camme vous le:
abrégez chaque jour, je crois qu'il ne vous en restera pl~s a
observer. Aujourd'hui, ils ne consistent plus que dans la bien-
séance, encore n' est-elle pas exactement suivie.
- Ce dérangement durera-t-il longtemps? lui demandai:ie ,
- Taµt, répondit-il, que les femmes croiront la vertu idéale e t
le plaisfr réel, etje ne vois pas d'apparence qu'elles changent de
façon de penser. D'ailleurs, il n'y a point de femme qui n 'ait
quelque faible_, et ce faible, quelque bien déguisé qu 'il soit,
n'échappe jamais à la recherche opiniatre de l'amant. L a volup-
tueuse se rend au plaisir des sens ; la délicate, au charrne de
sentir son ccelir occupé ; la curieuse, au désir d e s'instruire ; il
en couterait trop à l'indolente pour refuser ; la vaine perdrait
trop si ses ~ppas étaient ignorés, elle veut lire dans la fureur
des désirs d'un amant l'impression qu'elle peut faire sur les
hommes; l'avare cède au vil amour des présents; l 'ambi-
tieuse, aux conque tes éclatantes et la coquette, à l'habitude
de se rendre.
- Vous etes bien savant, lui dis:j e .
- C'est, répondit-il, que j'ai voyagé de bonne heure . Mais
ne commencez-vous pas à vous endormir ? Cette grande envie
de philosopher ne sied pas dans cette rencontre, etje suis sur
qu'attuellement vous me prenez pour un sylphe des plus
novices. Qui sait si mal profiter de moments aussi doux que
ceux qu e je passe auprès de vous, ne mérite pas qu'on les lui
donne. Un sylphe amoureux parler morale ! En bonn e foi me
pardonnerez-vous d 'avoir si mal employé mon temps?
- J e ne sais pas, repris-je, quel autre usage vous en voudriez
faire. Vous m'avez piquée, et je serai bien aise de vous prou-
ver qu'il y a de la vertu.
,,
66 SYLPHES ET SYLPHIDES

- C' est-à-dire, répondit-il en rian t, que vous n 'en aurez que


par contradiction. Je ne doute cependant pas que vous n'en
aye z, et si je ne vous ai pas dit là-dessus tout ce que je pense,
e' e st qu'une aussi belle personne que vous offre tant de
choses à louer, qu'on n'a pas auprès d'elle le temps de vanter
celle-là.
- Je ne vous pardonne pourtant pas de l'avoir oubliée, lui
dis:je. Vous m'aimez : je vous en ferai bien repentir.
- Ma belte comtesse, répondit-il, on dit à une belle qu 'elle .
a d es agréments, parce qu'en le lui répétant souvent, c'e'st
une façon polie de l' exhorter à en faire usage ; mais ira-t-on la
faire souvenir de sa vertu quand il est de notre intérèt qu'elle
l'oublie? Au reste, point de menaces, toutes ces finesses sont
b o nnes avec les hommes, mais songez que vous ne pc-ùvez me
tromper. Cela est embarrassant, etje ne m'étohne pas de vous
voir rever: un arr1ant qui sait tout ce qu'on pense, qui pénètre
tout, avec lequel on n'a aucune ressource, est quelque chose
de bien incommode.
- En ce cas, répondis:je, je puis ne point essuyer cette
fatigue : je ne vous aimerai pas.
- Vous n'en ferez rien, dit-il. Pour éviter de m'aimer il
faudrait que vous me disiez bien sérieusement de cesser 'de
vous voir. Qui plus est, il ~audrait le vouloir, et c' es-= ce que
vous n e voudrez pas. Cuneuse camme vous I' etes, vous ne
pourrez jamais vou~ empecher de voir la _fin de cette aven-
tur e. Vous etes précisément avec moi dans le cas où sont
tou tes les fernm es dans les commencemen ts d'une passi on.
Elles savent
. que pour n e pas succomber il faudrait ftnr, · mais·
1~ pass:on pla1t, el_le echauffe le c~ur, éteint les réflexions. La
A ,

seduc??n est cont1nuelle, le retour sqr soi-meme moinentané .


le _Pli1s1T red~uble, la vertu disparait, l'amant reste : commen~
fuir . Et assurement vous ne fuirez pas.
, - Vo~s. me_ paraissez un peu trop sur d e votre con u e te
re po~~lSj e : Je_ v~udrais un am ant plus respectueux e( don~
, les desirs plus t1m1des m e ménageassent d avantage.
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LE SYLPHE OU SONCE DE Mmc DE R***
67
- C' est-à-dire, interrompit-il
. ' que vous voud ·
perd 1sse un temps qui m, est pre,. . J . nez que je
c1eux. e ne su1s . f . ,
- Les ferrimes, sans doute n . point a1t a cela.
' e vous Y ont po1nt a ,.
- Non , assurémei1 t , r epnt-1
· .1. ccoutume.
- ;t vous avez plu partout où vous avez adressé vos vceux ì
- artout, non, répliqua-t-il. J'ai été souvent obligé de eh~ -
ger de forme pou f; · · n
,. . r me aire a1mer. La première p ersonne qui
me ~lut etait,u~e ~eune innocente ·qui avait encore peur des
espnt~. J ~ m av1sa1 d: l~i parler la nuit, je pensai la faire
moun__r.. J eus beaµ 1~1 dir~ que j'étais un esprit aérien, que
nous, enons beau~,. . b1en fans : 1'énumération que je lui fis de
n~~/ ~onn~s quahtes ne la rendit que plus craintive, et si je
n ava1s, pns la figu~e de son m~itre de musique, j'étais perdu.
Celle a laquelle Je m 'adressai ~ensuite était une dame de
gra..nde condition, fort ignorante, . qui ne comprit rien non
plus aux substances célestes, et qui ne voulut p as imaginer
que je pusse etre un corps solide. Cette idée me fit auprès
d'elle un tort considérable. Ne pouvant la vaincre malgré elle-
meme je crus qu'en prenant la ressemblance d'un fort
aimable homme qui l'aimait, je pourrais la ramener : je perdis
mon temps. Enfin, ne sachant plus que faire, je me mis à son
service et me travestis si bien qu'elle ne m'aurait jamais pris
pour un esprit élémentaire : et voyez la bizarrerie, je réussis !
En Espagne, je trouvai une fem1ne qui, après m ' avoir vu, ne
voulut pas de moi et me préféra son amant.Je n'ai pas encore
eu ce chagrin en France. Le détail de mes aventures serait
trop long. Je ne dois cependànt pas . oublier une fe1nme
savante, dont les !études avaient eu pour principal objet
l'astronomie e t la physique . J e la vis et lui dis qui j 'étais ) e ne
l'effrayai p as, mais, quoique avec des efforts incroyables, Je n ~
la persuadai point. « Comment, disait-elle, est-il possible, ~1 ~
; •
• t
1

vous e tes d ans votre région, matièr e corporelle, que notre ai~ l . ~

ne vous ait point étouffé en descendant p armi nous ? ~t si :m


votre etre n' est qu'un composé de vapeurs fines 91:11 n e
peuvent r ésister aux impressions de l 'air et que le m oindre
SYLPHES ET SYLPHIDES
68

vent peut dissoudre, à quoi pouvez-vo~s etre b_on ici ? >~ ~oin
de réfuter cet argument par des d1scours, Je la pna1 de
1
n 'admettre aux preuves. Elle y consentit, déterminée sans
doute par le peu de risque qu'elle crut y c__ourir, ou, sup~osé
qu'il y en eut, par le plaisir d'avoir trouve dans la phys1que
élevée quelque chose d'extraordinaire que tout le monde ne
sut pas. Jessayai donc de la convaincre, mais dans le _temps
que je devais espérer qu'elle cédait à la force de me~ ra1s~ns:
«Ah! Dieu l quel songe ! » s' écria-t-elle. Avez-vous Jama1s vu .
d'incrédulité plus opiniatre? Je ne me rebutai pas d'abor8.
mais, voyant qu'à quelque heure et de quelque façon que je
lui parlasse, elle s'obstinait, ainsi que vous le ferez sans doute,
à rne traiter dc chimère et de songe, je tn'ennuyai de lui
donner matière à rever et la quittai, quoiqu' elle me fit espé-
rer une conversion prochaine. Mais vous, ajouta-t-il, ne seriez-
vous pas aussi incrédule ?
- Je ne serais pas du moins si curieuse, lui répondis-je. Je
suis persuadée que je reve, mais, contente du plaisir que ce
songe me donne,je ne veux pas savoir s'il pòurrait etre vérité.
Et moi, reprit l'esprit, je sens que tout devient trop vérité
auprès de vous. Je ne veux plus m'exposer au danger de voir
vos charmes. Je pars assez malheureux pour n'avoir pu me
faire ai:11er de _:1ous, je vais me dérober aux rigueurs que votre
cruaute me prepare.
- Que vous etes impatient ! Comment voulez-vous que Je
vous aime ? Sais-je seulernent ce que vous etes ?
Avez-vous eu, répliqua-t-il, la curiosité de le demander ?
- Hélas ! répondis-je, j'ai craint de vous facher en vous le
dem_and~nt. Cette ~eur et c~lle que vous ne fussiez pis qu 'un
es~:1t m ont contra1nte. Mais, puisque vous me le pern1 ettez,
qu etes-vous? .
- Vous, <lit-il, qui croyez-vous que je sois ?
- Je vous crois, ~epris-je, e_sprit, démon ou magicien. l\11ais,
sous quelque espece que Je vous imagine, je vous cro1s
quelque chose de fort aimable et de fort singulier.
E OU SONGE DE M'nc DE R** *
LE SYLPH

. ·-?réponditl'esprit. ,..
- Voudriez-vous n1e von . . Répondez , de grace' à ines
- Non, dis-je, il n'est pas temps.
questions, qu' etes-vous ?
- Je suis un sylphe. sylph e !
U sylphe \ in'écriai-je avec tran~por~, un ;>
- n L aimenez-vous .
Oui charmartte com tesse . es ·1 1 'en
- .. , . d Dieu I Mais vous me tro1npez, I r
- S1Je les a1m~ , gran ,· les mortels peuvent
est point, ou s'1l en es.t, qu est-ce que . . céleste
pour votre bonheur, et comment une essence auss1 ;>
que la v6tre peut-elle descendre au ~ommerce des hommes . -
_ Notre félicité, dit-il, nous ennu1e quand nous ne la parta
georis avec personne, et tout notre soin est de chercher
quelque objet aimable qui mérite de nous attac~er. / . .
_ Mais, interrompis-:je, j'ai lu que les sylph1des eta1ent s1
belles. Pourquoi ...
_ Je vous entends, dit-il, pourquoi ne nous pas attacher
C:onstamment à elles ? Nous_ ne les touchons pas assez , elles
nous voient trbp et ce n'estjamais que par raison et pour ne
pas laisser perdre la race des sylphes qu' elles nous accorden t
quelques faveurs. La meme considération nous détermine, et,
comme vous voyez, cela ne doit pas former entre n o us des
liens fort tendres: c'est à peu près agir com1ne vo u s autres
humains quand vous etes mariés.
Nous cherch ons des femmes qui nous tirent de notre
léthargie, ca mme elles cherchent de leur c6té d es hommes
qui les dédommagent de l'ennui que nous leur causons.
Toutes ces ch oses son t réglées entre n ous, e t n ous n ous lais-
sons de part et d' autre aller à notre p enchant sans jalou sie et
sans mauvaise humeur. Vous revez, ajouta-t-il : avo u ez qu e
c'est une ch ose gracieuse que d'avoir un sylphe pou r am an t.
Il n'est point, camm e j e vou s l' ai dit, de fantaisie qu e n ous ne
satisfassions, d e biens do nt n ous n e comblion s ce qu e nous
aimons. Plus esclaves qu' amants, nous sommes soun1is à
toutes ses volontés, incommod es dans un point seul em ent.. .
- Quel est-il ? demandai-je brusqu em ent.
70 SYLPHES ET SYLPHIDES

- Nous exigeons de la constance, et je veux bien vous aver-


tir que la mort la plus cruelle suit toujours avec nous la
1noindre apparence d 'infidélité.
- Miséricorde ! m 'écriai-je, je renonce à vous pour jamais.
L'esprit, à ce discours, fit un édat de rire qui me fit remar-
quer la simplicité de ma peur.
- Vous riez, mon sylphe ? lui dis-je.
- Je ris, repartit-il, de ce qu 'il n 'y a point de femmes qui n ~
se révoltent sur cet artide, et qui n 'aiment mieux renoncer a ·
tous les avantages que notre possession leur assure qu 'à leut
inconstance naturelle.
_ Vous vous trompez, lui dis-je: ne voulant point etre incons-
tante, je n 'ai rien à redouter, et cependant l'idée de .q.e le
pouvoir devenir sans risque m 'afflige sensiblement. Vous croi-
rez toujours ne devoir mon attachement pour vous qu'à la
crainte du chatiment, vous m'en aimerez moins.
Pouvez-vous le croire ? répondit-il. Si nous sommes genants
pour les femmes di~simulées, parce que nous savons tout ce
qu 'elles pensent, celles qui ?nt le ccrur bon et droit doivent
! .
e tre charmées que rien ne nous échappe. Nous leur ten ons
compte de ces délicatesses de l'ame, de ces sentiments fins que
la stupidité et l'indolence des hommes n 'aperçoivent pas, et
plus nous connaissons leur amour, plus leur bonheur est
parfait. Ne croyez cependant pas que la condition que je
propose soit si terrible. Les sylphes sont à tous égards si fort au-
dessus des hommes qu'iJ s'en faut bien que ce soit un supplice
de les aimer constamment. J'imagine que l 'ennui d'une habi-
tude où le ccrur languit est la seule chose qui détermine une
femme vers l'inconstance: elle ne voit plus dans un amant ces
dési~s tumu~tu~u~, lesq~els, s~it qu 'elle les rebutat, soit qu 'elle
vo~lut les sat1sfa1re, ~ am~sa~ent_ également. Ce n 'est plus
qu un homme ennuye qm s excite par bienséance, qui dit
nonchalatnment qu 'il ai~e, qui le prouve avec plus d 'embar-
ras en core, et dont le VIsag·e muet et glace~ n'a'd · · ,
~ 1 e Jama1s a
p ersuader ce que sa bouche prononce Que 11cera e
· une 1emJne
LE SYLPHE OU SONGE DE Mme DE R***
71
en pareil cas ? Par un honneur . .
va1n et mal e t d
e 11e le reste de sa J·eunesse d . n en u, passera-t-
ans un 11en qu· f .
bonheur? Elle change et fait b" O . ~ ne an plus son
, 11 h ien. n lui fa1t un crime de
qu e e -e ange la première . e' est qu' Il . ce
' ' e e sent plus viv
q~e- les ho~mes, et qu' elle n 'à pas de temps à p: i;:tr:t
D a1lleurs, e est souvent par bo~ té pour celui qu'elle a a· ~ :
ell 1 · 1 · .. 1 ime .
~ e von anguir aupres d' ellf sans pouvoir se résoudre à la
quitte ~, parce qu'il craint de se déshonorer. Elle lui fournit
u~ ? re texte et se charge du crirr!e. C' est un procédé bien
~~nereu~ et que les hommes ne m ériten t pas, car ils ont
l 1mpert1nence d e s'en facher.
, -/ L~s sylph~s, l~i d em an daij e, n e so nt donc pas sujets à
1 e?"n~1 e t ~u d egou t? Ils son t sans doute aussi constants qu'ils
ex1gent qu o n le soit pour eux?
- Du moins, r ép ondic-il, quand ils changent, c'est si subite-
rnent qu 'on n 'a pas le temps de s'en d~fier : on les voit encore
amoureu.,x un qu art d'heure avanc qu 'ils disp araissent.
- Mais quelqu 'u n qui s'en défierait e t qui changerait avant
eux? lui disje.
- Oubliez-vous que ...
- Ah ! j e m 'en souviens ! Vous etes de cruelles gens de nous
priver d e to utes n os r essources.
- Quand, rep artit-il, vous n'auriez p oint l'objet d e la mort
devant le s yeux, vous ne voudriez point changer. Le m eilleur
moyen d 'empecher une femme d 'e tre inconstante est de n e
lui pas donner le temps d'appuyer sur un caprice. Mais ce
soiri serait trop fatigant pour les humains, et ce n' est qu 'aux
sylphes qu 'il appartiene de savoir employer tous les instants et
de prévenir ces fa.n taisies momen tanées qui naissent dans
votre cceur.
- Je crois, lui dis:je, qu'avec ces talents heureux que vous
attribuez aux sylphes, on peut encore se dégouter d'eux. Il est
bon de nous laisser désirer quelquefois. Il est des temps où
nos réflexions sur qos plaisirs nous amusent plus que tous les
empressemen ts d'un amant. D'ailleurs, vous avouerez que d es
.,,. ._ ...

sYLPHES ET sYLPHIDES
72
, f . t et ce serait assez pour m' empecher
· perpetuels anguen , , . . .
s01ns , . 1 certitude de ne vous desirer Jama1s
de vous desirer que a
vainement. · . . · ·1 · d t
Ce sen'timent est assei s1nguher, repartlt-1 , et Je o~ e
qu'il soit vrai. Croyez qu'avec nous on n'a pas le temps de faire
ces réflexions : vous devenez sylphides par no~e comm,erce,
et, participant à notre substance, le soin de rep~n~re a nos
empressements devient aussi léger pour votis qu 11 1 est pour
elles. . ,.,
_ Vous savez lever toutes les difficultés, lui dis-je. Mais,
quand vous quittez une femme, lui reste-t-il quelque essence
de vous?
- Quelquefois, par bonté, répondit-il, nous lui en enlevons
une partie; par malice souvent nous la lui laissons tout
entière.
- Ce procédé n'est pas bon, repris-je.
- Je conviens, dit-il, que nous pourrions nous dispenser de
' .' laisser après nous des désirs que nous seuls pouvons éteindre
'· mais nous ne connaissons que cela pour etre regrettés, et
c'est un plaisir qui nous touche. Vous revez !
- Il est vrai, dis-je, je reve que je connais dans le monde
nombre de femmes sylphides.
- Oh I vraiment, me d,it..il, comme_c' est à la cour que nous
faisons nos plus grands coups, il n'est pas difficile d'y n~con-
naitre nos traces mais il me semble que cette espèce de
malice ne vous effraye pas tant que la mort sur laquelle vous
vous etes tantot técriée. Elle a pourtant des inconvénients.
- ]e les crains, mais je puis les éviter .
. - En, ne m'~imant . ?~s, dit le sylphe; vous n'y gagnerez
nen : e est auss1 la pun1non de celles qui nous résistent.
- Eh_! grand Dieu, m' écriai-je, de quel coté fuir ?
I. - La1ssons tout ce badinage, reprit le sylphe.
I _- ~hl as~urément, nous le laisserons, me récriai:je tout
effrayee. Pomt de commerce, monsieur le démon. Si vous
vouhez m'engager à vous donner l'immortalité, il fallait me

.' : \~
' :
-~
\,
LE S"'r'LPHE OU SONGE DE Mme DE R*** '73

cacher la perversité de votre caractère e t les nsques qui


suivent les engagements qu'on prend ave_c vous. , . .
_ Expliquons-nous, répondit-il. J~ vo1s __ 9:1~, l espnt 1~m~u
des reveries que le comte de Gabahs a deb1tees, vous cr O} ez
que vous pouvez nous donner l'immortali té e' est-à-dir~ que
vous faites ce que la nature n'a pas jugé à p r op os de faire. Je
p ense encore que , selon ces belles idées, vo us nous croyez
sournis aux faibles lumières de vos sages, e t qu e nous descen-
dons à leurs évocations. Quelle apparence qu 'une essence
supérieure à cell,e de l 'homme ait besoin d ' etre instru i te par
lui ~t puisse etre forcée à lui obéir ! Pour l'immortali té que
vou-s· prétendez pouvoir n ous don ner, cette imagin ation est
encore ridicule, puisqu 'il est à p résumer qu 'u n cornmerce
fréquent avec une substan ce inférieure avi lirait la n.6tre, loin
de lui donner de n ouvelles forces.
- J e vois, lui répon dis-je, que j'ai été trop crédule, mais je
n ' en suis pas plus disposée à vous aimer : je vous crains.
-- Rassurez-vous, reprit-il. Quanc à la mort dont je vous ai
menacée, nous n 'en venons pas coujours à certe extrémité .
Souvent nous chan geons nous-memes, et vou s pouvez alors
rentrer dans vos droits, mais nous ne voulons pas plus qu 'on
nous prévienne que vous-memes quan d vous etes engagées :
ce sont des affronts que vous ne pardonnez poin t, et no tre
vanité est aussi sensible que la votre. Quan t à l' au tre chati-
rnent, à moins que vous ne me le demandiez vou s-1neme, je
vous l'épargnerai. Voyez, consultez-vous, con gédiez-moi bien
_sétieusement ou acceptez les conditions que je vous propose.
- Comment voulez-vous, répondis-je, que je puisse assurer
de ma tendresse quelqu'un que j e ne connais p as, que je n'ai
pas vu ? Je ne désavoue pas que vous n e m e plaisiez déjà un
peu, mais si malheureusement vous n 'étiez qu ' un gnome"' .. .
- N'en dites point de 1n al, interrompit le sylphe. Il est vrai
qu'ils ne sont pas d'une figure avantageuse, mais ils ne laissent

* Esprits habitan ts d e la terre, gardien s des crésors.

____________________ _..
SYLPHES ET SYLPHIDES

pas de nous déro ber bien des con A

ce que les financiers sont parmi lesh:tes. Ils sont p~rmi nous
que votre sexe considère le m . Tmmes, e~ ce n est pasce
nous enlèvent nos sylphides. o1ns. ous les JOurs meme ils

- Comment, lui den:1andai-:je, une espèce aussi su érieure


qu~ la l~ur ~s~-elle sensible aux présents ? p
- Oui, dit-~l; elles prennent des gnornes pour donner à
l~urs ama~ts et q~and ce soin n e les obligerait pas à
repondre a la pass1on de ces esprits hideux, elles sont .
femelles, par conséquent capricieÙses. Le changement lés
amuse, et la bizarrerie de leur gout est pour elles un plaisir
d'autant plus touchant qu'il peut leur. etre reproché . Mais,
ma belle comtesse , ne voudrez-vous point me faire des ques-
tions plus intéressantes, et votre cur'iosité s 'arretera-t-elle
toujours sur d'aussi petits objets que ceux sur lesquels je l'ai
satisfaite ? Ne me permettrez-vous donc point de me
montrer?
_ Ah ! mon sylphe, m'écriai:je, que je crains votre
présence !
_ Que ne la souhaitez-vous ! dit-il en soupitant.
J e ne répondis moi-merne que par un soupir. En ce
moment une lueur extraordinaire remplit ma chambre, et je
vis au chevet de mon lit le plus bel homme qu'il soit possible
d'imaginer : des traits majestueux et l'ajustement le plus
galant et le plus noble. Sa vue m'étonna, mais ne m'effraya
pas.
_ Eh bien ! dit-il en se jetant à genoux devant moi avec, un
air plein d'amour et de respect, eh bien ! chqrmante
com tesse, pourriez-vous me jurer fidélité ? .
_ Oui, mon cher, mon aimable sylphe, m'écriai-:je, je vous
jure une ardeur éternelle, je ne redoute plus que votre
inconstance. Mais comment ai:ie pu mériter ?...

1. Comprendre : elles acceptent des cadeaux des gnomes pour les donner à
le urs a mants.
. I
~.
j,

LE SYLPHE OU SDNGE DE Mme DE R***


~ 75

- Vo~e rriépris pour les hommes et la passion secrète que


vous av1ez pour nous, me dit-il, ont déterminé la mienne ; elle
est plus tendre que vous ne pensez. Je pouvais vous susciter
un songe et me rendre heureux 'malgré vous mais j e pense
avec plus de délicatesse et n'ai voulu rien devoir qu'à votre
cceur.
I-Iélas ! je rriontrai peut-etre dans ce m om ent trop de
faiblesse à mon sylphe, mais je l'adorais.
- Que vous etes charmant ! lui dis:je m ais que je serais
malh eureuse si vous n'étiez qu'une illusion ! Est-il bien vrai
que_... Ah !.. . vous etes palpable !
~f'en étais là, madame, avec mon sylphe, et je n e sais ce qui
serait arrivé de mon égarement et de ses transports si ma
femrne de chambre, qui entra dans le moment, ne l'eut pas
effrayé. Il s'envola. Je l'ai ;depuis vainement rappelé . Son
indifférence pour moi me fait penser que ce n'est qu'une
agréàble illusion qui s'est présentée à mon esprit. Mais n 'est-il
pas do:mmage que ce ne soit qu'un songe ?

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