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La religion du

PROGRÈS
Esquisse d’une généalogie du progressisme

TAK
PIERRE-ANDRÉ TAGUIEFF

La religion du Progrès
Esquisse d’une généalogie
du progressisme

TAK
Table des matières

Préface

Introduction

I. Progrès et foi dans l’avenir

II. Le concept classique de progrès : essai de définition

III. Mythe, « religion séculière », utopie : trois approches de l’idée de progrès

IV. Le sens « progressiste » de l’Histoire et son effacement

V. Pour conclure : perspectives. Orientations post-progressistes : développement


durable, décroissance, méliorisme

L’humanité peut-elle se passer de mythes ?

Bibliographie sommaire
Au lecteur

Ce texte de conférence reprend des analyses présentées d’une façon plus déve-
loppée dans quatre de mes livres : L’Effacement de l’avenir, Paris, Galilée, 2000 ;
Résister au bougisme. Démocratie forte contre mondialisation techno-marchande, Paris,
Mille et nuits, 2001, Le Sens du progrès. Une approche historique et philosophique,
Paris, Flammarion, 2004 (rééd., Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2006) ; Les
Contre-Réactionnaires. Le progressisme entre illusion et imposture, Paris, Denoël, 2007.
Ce texte a servi de base à une conférence prononcée au Grand Orient de France, à
Paris, le 22 février 2007. • PIERRE-ANDRÉ TAGUIEFF

© Pierre-André Taguieff, 2012 / tak.fr


Préface

Un discours unique s’entend depuis plusieurs années à l’approche des élections


présidentielles dans les démocraties occidentales : le discours appelant au « chan-
gement ». Il s’agit d’un mot magique, dont la seule invocation suffit à remplir
les âmes. Moins peut-être les âmes simples, dont l’existence est aujourd’hui rési-
duelle, que les âmes formatées, qui sont légion.

Les acteurs politiques supposent donc, en se présentant comme « les candidats du


changement », que la majorité des citoyens de leur nation aspirent au « change-
ment ». Le désir de « changement » irait ainsi de soi. L’invocation du mot « chan-
gement » serait dotée d’une efficacité symbolique telle qu’elle rassemblerait les
citoyens autour de son énonciateur. L’offre de « changement » est présumée « cli-
vante », alors même qu’on observe un consensus croissant autour de l’impératif
de « changement ». Un stratège politique ordinaire va tout faire pour s’approprier
la promesse de « changement ». Il va se présenter comme l’incarnation du « chan-
gement », excluant ses rivaux et ses adversaires de « l’Empire du Bien » où il s’est
installé.

On observe, en effet, que chaque candidat s’efforce de monopoliser l’usage du


mot magique pour désigner le cœur de son propre programme politique, tout en
rejetant ses concurrents dans l’enfer du non-changement ou de l’anti-changement,
où rôdent « l’immobilisme » et le « conservatisme », soumis eux-mêmes à la ten-
tation permanente de la « réaction ». L’opposition entre les partisans déclarés du
« changement » et les autres (« archaïques », « passéistes », etc.) est bien sûr cal-
quée sur celle des « progressistes » et des « réactionnaires », les « conservateurs »
étant censés résister par nature au « changement », donc voués à devenir un jour
« réactionnaires ».

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la religion du progrès

Ce que nos contemporains pressés ont oublié, c’est qu’un changement peut être
« heureux » ou « malheureux », pour parler comme Saint-Simon en 18141, le même
qui plaçait « l’âge d’or du genre humain » non plus dans un lointain passé mais
dans l’avenir. Or, pour frayer la voie à l’âge d’or de l’avenir, il convient de s’assu-
rer d’une convergence permanente des « changements heureux ». Il faut donc, dès
maintenant, que les « changements » soient « heureux ». Cet oubli de l’indétermi-
nation de tout changement est ce sur quoi repose le culte récent du « changement »
comme tel. Cette évaluation positive aveugle est un effet de la frénésie du « nou-
veau », autre caractéristique de l’esprit moderne, aujourd’hui hypertrophié dans
ses tendances au mobilisme et à la néophilie2. Rechercher le nouveau à tout prix,
désirer et aimer la nouveauté comme telle, c’est là une attitude qui favorise l’érec-
tion du « changement » en méthode de salut. Le consommateur entraîné désire
changer de produits consommables. Ce « désir de changement » s’applique aux
élites dirigeantes comme aux produits « bio ». Un changement de président suffit
à satisfaire provisoirement la demande démocratique. Jusqu’à la prochaine fois.

Mais l’imaginaire politique n’est pas totalement dénué de mémoire. Des résidus
mnésiques persistent, et les prestigieux héritages de mots ou d’idées de l’âge des
Lumières se manifestent sous des formes relativement désublimées. Ledit « chan-
gement », essentialisé comme un mouvement bon en lui-même, est toujours en-
core perçu comme une promesse de bonheur ou de justice, de liberté ou de solida-
rité, d’amour fraternel ou de paix universelle. Bref, il est chargé des fins dernières
qu’on rencontrait dans les théories classiques du progrès, chez Condorcet ou chez
Saint-Simon. Ces fins ultimes dont l’accomplissement supposé possible dessine
les contours de l’insaisissable « monde meilleur » tant espéré par les masses incré-
dules en principe. Le terme de « changement » ne peut en effet avoir d’autre conte-
nu que ce « monde meilleur » que tous les leaders politiques modernes promettent
à leur public, surtout avant de prendre le pouvoir, et, bien sûr, pour pouvoir le
prendre. La bonne nouvelle, régulièrement annoncée avec l’émotion requise, est
connue : le « changement » est possible et désirable. On peut donc sans crainte

1. L’Œuvre d’Henri de Saint-Simon, textes choisis avec une introduction par Célestin Bouglé, Paris,
Félix Alcan, 1925, p. 109. Le passage se trouve dans De la réorganisation de la société européenne
(1814).
2. Pierre-André Taguieff, L’Effacement de l’avenir, Paris, Galilée, 2000, pp. 121 sq.

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« aller de l’avant », se mettre en marche « vers un monde meilleur », objet de la


vertu d’espérance platement sécularisée. Il reste à choisir l’itinéraire et la vitesse la
mieux appropriée pour atteindre le « monde meilleur ».

Début septembre 2012, le président-candidat Obama, osant avouer publiquement


qu’« il nous faudra plus que quelques années », choisit de s’installer dans la du-
rée en empruntant un long chemin - « un chemin plus difficile pour un meilleur
avenir », résume le New York Times. L’ex-candidat Hollande, héritier de l’impa-
tience soixante-huitarde, a choisi la voie rapide : « Le changement c’est mainte-
nant ». Formule creuse, fabriquée par un publicitaire, qui contredit l’idée même
d’un programme politique crédible, impliquant une succession d’étapes. Il est vrai
que la plupart des politiques sont tentés de jouer, en démagogues cyniques, sur le
« tout est possible » et « tout de suite ». La question est de savoir si les citoyens sont
toujours prêts à croire au miracle. On constate, à considérer le succès des grands
meetings de campagne et des spectacles politiques télévisuels, que la magie poli-
tique continue d’opérer. Ce qui est sûr, c’est que la rhétorique du « changement »
est devenue le principal instrument symbolique du réenchantement politique du
monde. On pourrait s’étonner, au passage, du fait que la force de séduction des
promesses progressistes ne se soit pas dissipée après plus de deux siècles d’usages
démagogiques.

Le culte contemporain du « Changement », qu’on trouve dans l’espace politique


comme dans l’espace publicitaire, représente la dernière figure prise par le sys-
tème des croyances progressistes. Pour le dire d’un mot, ce culte rendu au dieu
« Changement » est le degré zéro de la « religion du Progrès », aujourd’hui mori-
bonde. La religion des Modernes, cet ensemble de promesses « progressistes » qui
a conquis le monde, semble avoir atteint son moment ultime : le « changisme »
est son dernier avatar. Un piteux avatar. Car il se réduit à un usage immodéré
d’un mot vide mais sonore. Le progrès devenu un « idée morte3 », il reste un mot,
« changement », où s’entend encore son chant de sirène. C’est pourquoi il n’est pas
dénué d’intérêt d’esquisser une généalogie et un examen critique de ce qui fut le

3. William Pfaff, « Du progrès : réflexions sur une idée morte », tr. fr. Jean-Pierre Bardos,
Commentaire, n° 74, été 1996, pp. 385-392.

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principal mode de réenchantement du monde à l’âge moderne, supposé désen-


chanté et désenchanteur : la « religion du Progrès ».

Pierre-André Taguieff, septembre 2012

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Introduction

On a de bonnes raisons de soutenir la thèse qu’aujourd’hui, au moins dans le


monde des élites occidentales, la foi naïve dans « le Progrès » (avec une majuscule)
n’est plus qu’une survivance, due à la force d’inertie des représentations sociales.
La foi en la nécessité du Progrès a constitué le cœur de ce qu’on appelait volontiers,
au XIXe siècle, la « religion du Progrès ». Au début du XXIe siècle, la « religion du
Progrès » a certes conservé de fidèles croyants, auxquels il faut ajouter le cercle en
extension de ses nostalgiques, mais, quel que soit le nombre de ses adeptes, elle ne
nourrit plus la pensée vivante, comme elle l’a fait à l’aube de la modernité. Elle est
depuis longtemps un héritage dont on a oublié l’origine et la genèse. À l’époque
de la modernité finissante, la « religion du Progrès » relève désormais des lieux
de mémoire. Elle fait légitimement l’objet de commémorations ou d’expositions
officielles, où l’on célèbre indistinctement la modernité et les Lumières, comme si
l’âge moderne se confondait avec l’âge de raison du genre humain. Elle se survit
à travers des clichés, des lieux communs, des refrains idéologiques. En outre, le
nombre des déçus du progrès ne cesse d’augmenter. Ils se montrent sensibles aux
dénonciations des « dégâts du progrès », voire aux imprécations visant le « progrès
meurtrier », pour reprendre l’expression rendue célèbre par Eugen Drewermann4.

Cependant, les usages politiques des croyances progressistes continuent de domi-


ner la compétition politique dans les sociétés démocratiques de type pluraliste.
Philosophiquement disqualifié, ou pour le moins fortement contesté, le progres-
sisme s’est en même temps mondialisé, sous la forme d’une vulgate réduite à un
ensemble de bons sentiments, de poncifs et de slogans fabriqués avec un petit
nombre de termes vagues et d’expressions figées, par lesquels on célèbre indis-
tinctement la « modernisation », l’« industrialisation », le « développement » ou la

4. Voir Eugen Drewermann, Le Progrès meurtrier. La destruction de la nature et de l’être humain à la


lumière de l’héritage du christianisme [1981], tr. fr. Stefan Kaempfer, Paris, Stock, 1993.

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« croissance ». Ce progressisme diffus, d’une grande pauvreté conceptuelle, fonc-


tionne comme un code culturel dans lequel puisent notamment les professionnels
de la politique pour confectionner leurs messages minimalistes et consensuels. Le
langage politique français contemporain en témoigne : on vante « l’envie d’avan-
cer », on affirme que « les Français veulent aller de l’avant », qu’il faut se mettre
à « la reconquête de l’espérance », on appelle à « préparer l’avenir » ou à « mettre
la France en mouvement », on célèbre le « changement », le « goût de l’avenir »
ou les « désirs d’avenir », on se demande « comment adapter la France au monde
qui bouge », ou plus simplement « comment faire bouger la France » ou « faire
avancer les choses ». À cet égard, le langage de la droite ne diffère pas de celui de
la gauche. C’est le langage progressiste, qui fonctionne comme langage commun,
et ce, au-delà des frontières du politique, comme l’illustre ce slogan publicitaire en
faveur du système d’exploitation Linux, slogan lancé par IBM au printemps 2004 :
« Linux, c’est le progrès, Le futur est ouvert », ou encore ce slogan d’IKEA, diffusé
en octobre-novembre 2006, montrant que les stratèges publicitaires ont su prendre
le train en marche : « Oui au changement, votez IKEA » (variante : « Osez le chan-
gement, votez IKEA »). Le discours publicitaire est un discours de type progres-
siste, mais qui varie sur le degré zéro du progressisme, en se réduisant à l’éloge du
changement pour le changement, bref, à ce que j’ai appelé le « bougisme5 ».

Tel est le paradoxe qui engage à pousser la réflexion sur les avatars du progres-
sisme, terme équivoque, puisque renvoyant à la fois à l’un des principaux héri-
tages de la « philosophie des Lumières », aux présuppositions des modernes « phi-
losophies de l’Histoire » qui se sont épanouies à partir de la fin du XVIIIe siècle,
à une idéologie ou à une « religion séculière » solidement installée au XIXe siècle,
avant d’être instrumentalisée par le totalitarisme communiste-stalinien au XXe, et,
pour finir, à une thématique dans laquelle puise toujours largement la rhétorique
politique occidentale, aujourd’hui mondialement diffusée. Ces multiples accep-
tions du terme constituent des traces ou des héritages d’une évolution historique
qu’on peut rapidement reconstruire.

5. Voir Pierre-André Taguieff, L’Effacement de l’avenir, Paris, Galilée, 2000 ; Id., Résister au
« bougisme ». Démocratie forte contre mondialisation techno-marchande, Paris, Mille et une nuits, 2001.

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la religion du progrès

Le progressisme s’est d’abord constitué en philosophie du monde moderne ordon-


né au progrès des sciences et des techniques, il s’est développé ensuite comme phi-
losophie de l’Histoire, il a pris rapidement la forme, dans l’évolutionnisme social,
d’une sorte de religion laïque centrée sur la thèse du « progrès de la civilisation »,
pour se figer enfin en une idéologie dont les ressources symboliques n’ont cessé
d’être exploitées par tous les camps politiques. Ce qu’on appelle la crise du pro-
grès pourrait bien n’être que le symptôme d’une « crise globale de la civilisation
occidentale6 », en ce que celle-ci, après avoir lié son destin à la foi dans le progrès, a
été saisie par le doute, jusqu’à se montrer incrédule face aux dogmes progressistes.
On peut voir dans cette incrédulité croissante une manière de tourner la page de la
modernité, époque dominée par l’optimisme progressiste.

Les diagnostics de la « crise de l’idée de progrès » ou de la « crise du progrès » ne


datent certes pas de la fin du XXe siècle. Au milieu du XIXe siècle, Schopenhauer,
s’adressant à ses contemporains, caractérisait ironiquement ce qu’il pensait n’être
qu’une illusion passagère : « Le progrès, c’est là votre chimère, il est le rêve du XIXe
siècle comme la résurrection des morts était celui du Xe, chaque âge a le sien. »
Avec Baudelaire, Nietzsche est l’un des premiers penseurs à avoir dénoncé le pro-
grès comme une imposture. Le premier formule en 1857 ce diagnostic : « L’homme
civilisé invente la philosophie du progrès pour se consoler de son abdication et
de sa déchéance7. » Le second lance en 1888 : « Le “progrès” n’est qu’une idée
moderne, donc une idée fausse8. »

Mais en ne pouvant plus croire au progrès inéluctable et intrinsèquement positif,


sans effets pervers, l’homme de la modernité tardive, soit l’époque qui est la nôtre,
souffre non seulement d’être privé de croyances fortes, mais encore, d’une façon
plus inquiétante, d’être privé de croyances, de celles qui nourrissent l’espérance.
D’où sa tentation de se contenter d’une version routinisée du progressisme, dont

6. Voir Leo Strauss, « Progrès ou retour ? », in L. Strauss, La Renaissance du rationalisme politique


classique, conférences et essais réunis et présentés par Thomas L. Pangle [1989], tr. fr. Pierre
Guglielmina, Paris, Gallimard, 1993, pp. 316 sq.
7. Charles Baudelaire, « Notes nouvelles sur Edgar Poe », in Baudelaire, Œuvres complètes, Paris,
Robert Laffont, 1980, p. 593.
8. Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, § 4, tr. fr. Jean-Claude Hémery, in F. Nietzsche, Œuvres
philosophiques complètes, Paris, Gallimard, 1974, t. VIII, p. 162.

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la religion du progrès

on peut faire usage sans y croire, et sans y penser. Le progressisme se transforme


ainsi en un conformisme idéologique.

Au-delà des sarcasmes anti-progrès de ces penseurs et poètes minoritaires, il faut


souligner que la première grande vague de scepticisme à l’égard de la foi dans le
Progrès est observable à la fin du XIXe siècle en Europe de l’Ouest. Elle fut illustrée
en France, par exemple, par des auteurs aussi différents que Charles Renouvier
ou Charles Péguy9. Une seconde grande vague est observable dans les années qui
suivent la Première Guerre mondiale, en Allemagne autant qu’en France, où le
Valéry de la maturité comme le jeune Drieu la Rochelle, désormais incrédules à
l’égard des dogmes progressistes, se sont mis à penser le déclin ou la décadence
de l’Europe.

Mais les éléments de ces diagnostics ne se sont diffusés, au-delà du cercle formé
par des penseurs, qu’à la fin du XXe siècle, à la faveur d’une prise de conscience de
plus en plus vive de la « crise de l’environnement » et de la réalité inquiétante des
problèmes écologiques, commencée au début des années 197010. Le progrès tech-
nologique paraissait désormais plus destructeur et menaçant que prometteur et
salvateur. Tout se passe comme si l’on était passé de la croyance à une « évolution
créatrice11 » à l’évidence d’une « évolution destructrice12 » portée par la civilisation
technologique. La mise en question du productivisme a conduit à celle du promé-
théisme technoscientifique, faisant perdre son évidence à la foi dans le Progrès.
La fin des certitudes progressistes a provoqué soit la résignation et la fuite dans la
vie privée – domaine de l’individualisme hédoniste et du « présentisme » –, soit
un profond désarroi, traduit par le sentiment d’un effacement de l’avenir qu’on

9. Pour la seule pensée de langue française, voir Charles Renouvier, La Philosophie critique de
l’histoire, Paris, Leroux, 1897, t. IV ; Id., Les Derniers Entretiens [1904], recueillis par Louis Prat,
Paris, Vrin, 1930 ; Dominique Parodi, « L’idée du progrès universel » (1900), in D. Parodi, Du
positivisme à l’idéalisme. Études critiques – Philosophies d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Vrin, 1930, pp.
160-182 ; Georges Friedmann, La Crise du progrès. Esquisse d’histoire des idées, 1895-1935, Paris,
Gallimard, 1936. Sur la critique, par Charles Péguy, de la « théorie du progrès » (notamment
entre 1901 et 1913), voir mon livre Le Sens du progrès. Une approche historique et philosophique, Paris,
Flammarion, 2004, pp. 290-292.
10. Voir mon livre L’Effacement de l’avenir, Paris, Galilée, 2000, pp. 21-32.
11. Henri Bergson, L’Évolution créatrice, Paris, Félix Alcan, 1907.
12. Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Paris, Le Seuil,
2002, p. 145.

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la religion du progrès

trouve au cœur du nihilisme contemporain. Sa tonalité affective pourrait être ainsi


exprimée : « Si nous ne pouvons plus rien espérer, à quoi bon vivre ? ».

Le malaise s’est inscrit dans les usages lexicaux ordinaires. Il en va ainsi de l’ex-
pression de plus en plus souvent utilisée dans les milieux écologistes : le « progrès
humain », expression dont l’emploi implique l’existence de formes inhumaines ou
déshumanisantes de progrès. La quête contemporaine, aussi naïve qu’elle puisse
paraître, d’un « progrès humain », est dotée d’une valeur d’indice : en présup-
posant que les figures observables du « progrès » sont – parfois, souvent ou tou-
jours – inhumaines ou anti-humaines (pensées par exemple selon le schème du
retournement du progrès contre l’humanité de l’homme), ou encore destructrices
de l’environnement, cette quête fait signe vers une figure possible du progrès qui
ne menacerait pas l’essence de l’homme, que celle-ci soit conçue de façon substan-
tialiste (comme « nature humaine ») ou non.

Supposons donc d’entrée de jeu que l’exigence de progrès puisse se réaliser d’une
façon non « progressiste » ou « postprogressiste », par-delà les illusions mortelles
et les effets pervers ou déshumanisants du « progressisme ». J’y reviendrai dans la
dernière partie de cette conférence, lorsque je m’efforcerai de définir ce que j’ap-
pelle le « méliorisme ».

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I. Progrès et foi dans l’avenir

Croire au Progrès, c’est croire qu’il est vrai de dire que le monde ne cesse de deve-
nir meilleur, que l’humanité s’améliore en même temps que ses conditions de vie,
que l’amélioration n’a pas de limites et que le processus d’ensemble continuera
sans fin. Croire au Progrès, c’est donc pouvoir espérer, en croyant avoir de bonnes
raisons de le pouvoir. Chez les Modernes, la foi dans le Progrès, imaginé comme la
somme de tous les progrès, constitue le fondement de la confiance dans un avenir
meilleur, cette orientation vers le futur constituant le principal caractère distinctif
de la conception moderne de la temporalité13. Ce que Michelet résume d’une for-
mule : « Nous, croyants de l’avenir, qui mettons la foi dans l’espoir14. » En outre,
dans la perspective progressiste, donc pour les Modernes, espérer, c’est prévoir et
prédire. Il s’ensuit que l’histoire du futur peut s’écrire tout autant que l’histoire
du passé. Il y aurait donc des « lois du progrès » qu’il suffirait de connaître pour
justifier rétrospectivement comme nécessaires tous les événements du passé dans
leurs enchaînements et pour prédire les situations futures vers lesquelles l’huma-
nité avancerait nécessairement.

On retrouve la thèse centrale de l’historicisme au sens fort, tel qu’il a été analysé
et récusé par Karl Popper15. Dans la « dixième époque » de sa fameuse Esquisse
d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1793), où il se propose d’écrire

13. Voir Krzysztof Pomian, L’Ordre du temps, Paris, Gallimard, 1984 (puis 1990), pp. 115 sq., 391
sq. ; Id., « La crise de l’avenir », Le Débat, n° 7, décembre 1980, pp. 5-17 (repris in K. Pomian, Sur
l’histoire, Paris, Gallimard, 1999, pp. 233-262) ; Reinhart Koselleck, Le Futur passé. Contribution à la
sémantique des temps historiques 1979, tr. fr. J. Hoock et M.-C. Hoock, Paris, Éditions de l’École des
hautes études en sciences sociales, 1990 ; Pierre-André Taguieff, L’Effacement de l’avenir, op. cit.,
passim ; Id., Le Sens du progrès, op. cit., pp. 75 sq., 135 sq.
14. Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », 1952, t. I, p. 512.
15. Karl R. Popper, Misère de l’historicisme [1944-1945], tr. fr. H. Rousseau, Paris, Plon, 1956. Voir
aussi Friedrich A. Hayek, La Constitution de la liberté [1960], tr. fr. Raoul Audouin et Jacques
Garello (avec la collaboration de Guy Millière), Paris, Éditions Litec, 1994, pp. 39 sq.

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la religion du progrès

une histoire du futur inévitablement meilleur (« Des progrès futurs de l’esprit


humain »), Condorcet passe insensiblement de la « prévision rationnelle » à la
prophétie historique, dessinant avec l’éloquence de l’émotion l’âge d’or à venir :

« Il arrivera donc, ce moment où le soleil n’éclairera plus, sur la terre, que des
hommes libres, et ne reconnaissant d’autre maître que leur raison ; où les tyrans
et les esclaves, les prêtres et leurs stupides ou hypocrites instruments n’existeront
plus que dans l’histoire ou sur les théâtres ; où l’on ne s’en occupera plus que pour
plaindre leurs victimes et leurs dupes, pour s’entretenir, par l’horreur de leurs
excès, dans une utile vigilance, pour savoir reconnaître et étouffer, sous le poids
de la raison, les premiers germes de la superstition et de la tyrannie, si jamais ils
osaient reparaître16. » Cette volonté d’être optimiste malgré tout et ce parti pris en
faveur d’un avenir meilleur ne dérivent pas d’un savoir vérifié, ils s’y ajoutent. Si
l’idée de progrès peut être considérée pour l’essentiel comme une invention de la
civilisation occidentale moderne, on ne peut éviter de relever le fait qu’elle y a joué
le rôle d’une foi mobilisatrice.

Le philosophe Antoine Augustin Cournot, en 1872, avait bien aperçu cette dimen-
sion : « Aucune idée, parmi celles qui se réfèrent à l’ordre des faits naturels, ne tient
de plus près à la famille des idées religieuses que l’idée de progrès, et n’est plus
propre à devenir le principe d’une sorte de foi religieuse pour ceux qui n’en ont
plus d’autre17. » En 1929, l’historien Christopher Dawson, dans son livre intitulé
Progrès et religion, supposant justement que le progrès « fut, en fait, la foi agissante
de notre civilisation », ajoutait cette remarque particulièrement perspicace : « C’est
un rouage si capital de l’esprit moderne, que toute critique à son égard est consi-
dérée presque comme un sacrilège18. » Soumettre la thèse du progrès global et
nécessaire à l’examen critique, cette autre invention de la modernité occidentale,
cela équivaudrait à commettre un « sacrilège », à montrer de l’irrespect à l’égard

16. Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès
de l’esprit humain, suivi de Fragment sur l’Atlantide, introduction, chronologie et bibliographie par
Alain Pons, Paris, GF-Flammarion, 1988, p. 271.
17. Antoine Augustin Cournot, Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps
modernes [1872], Paris, Boivin, 1934 [2 vol.], t. II, p. 353.
18. Christopher Dawson, Progrès et religion. Une enquête historique [1929], tr. fr. Pierre Belperron,
Paris, Plon, 1935, p. 2.

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la religion du progrès

d’un domaine revêtu d’un caractère sacré, bref, à le profaner. Critiquer l’évidence
du Progrès, même après l’expérience dévoilante de la Première Guerre mondiale
– première expérience d’une néo-barbarie technicisée –, ce serait blasphémer, man-
quer de respect vis-à-vis d’une « vérité » sacrée et outrager la communauté de
ceux qui croient au dogme du Progrès, supposé révélé par l’Histoire, mais jamais
réfutable par les faits historiques. Prenons le recours du mot « sacrilège » comme
l’indice d’un problème relevé par l’historien : celui que pose le fonctionnement
religieux, quasi-religieux ou para-religieux de l’idée de progrès.

L’idée de progrès n’a commencé à prendre l’allure d’une configuration idéolo-


gique, marquée par une orientation vers l’Histoire, qu’au cours de la seconde moi-
tié du XVIIIe siècle, lorsque des penseurs tels que Turgot puis Condorcet en France,
Herder puis Kant et Fichte en Allemagne, l’ont inscrite dans de grands récits appe-
lés « philosophies de l’Histoire », genre auquel la philosophie hégélienne a ensuite
donné sa forme canonique. Avant que ne se banalise l’affirmation du Progrès (avec
une majuscule) comme unique moteur de l’Histoire, ceux que nous reconnaissons
rétrospectivement comme les premiers penseurs du progrès affirmaient plus mo-
destement les « perfectionnements » ou les « progrès » de l’esprit humain, de la
raison ou des facultés humaines19. Dès le titre de son Esquisse d’un tableau historique
des progrès de l’esprit humain, Condorcet lui-même emploie le mot « progrès » au
pluriel, et, dans ce texte justement célèbre, fait volontiers référence aux « progrès
de la raison ». L’inscription de la « foi au Progrès » (Leroux) dans la « religion de
l’Humanité » ne s’accomplira pleinement que dans la première moitié du XIXe
siècle.

Pris absolument (« le progrès »), précise Émile Littré dans son Dictionnaire de la
langue française (publié de 1859 à 1872), le terme progrès « se dit du mouvement
progressif de la civilisation, des institutions politiques20. » Mais son acception pre-
mière demeure le « mouvement en avant21 », qui dérive de son origine étymo-

19. Voir Jean Dagen, L’Histoire de l’esprit humain dans la pensée française de Fontenelle à Condorcet,
Paris, Klincksieck, 1977, p. 17 ; Dominique Lecourt, L’Avenir du progrès, Paris, Textuel,, 1997, pp.
23-24.
20. Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, réimpression, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1958,
t. VI, art. « Progrès », p. 488.
21. Ibid., p. 487.

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la religion du progrès

logique : le terme latin « progressus » – marche (en avant), mouvement en avant,


action d’avancer – de « progredi » – avancer, aller ou marcher en avant. Il faut noter
ici que, dans l’Encyclopédie (qui commence à paraître en 1751), l’article « Progrès »
ne fait que mentionner cette acception du terme, sans en enregistrer le sens « pro-
gressiste » ou « perfectibiliste » : « Progrès, s.m. (Gram.), mouvement en avant ; le
progrès du soleil dans l’écliptique ; le progrès du feu ; le progrès de cette racine.
Il se prend aussi au figuré, et l’on dit faire des progrès rapides dans un art, dans
une science22. » Un siècle plus tard, l’idéologie progressiste s’était imposée en tant
qu’idéologie dominante. Dans l’article « Progrès » de son Grand Dictionnaire uni-
versel du XIXe siècle (publié de 1866 à 187623), Pierre Larousse précise que « ce mot,
qui signifie marche en avant, désigne d’une façon toute spéciale, dans le langage
philosophique, la marche du genre humain vers sa perfection, vers son bonheur »,
et ajoute avec l’autorité de celui qui sait ou croit savoir : « L’humanité est perfec-
tible et elle va incessamment du moins bien au mieux, de l’ignorance à la science,
de la barbarie à la civilisation24. » L’enthousiasme progressiste est à son comble
chez Larousse : « Le monde est en marche vers le bien. La foi à la loi du progrès
est la vraie foi de notre âge. C’est là une croyance qui trouve peu d’incrédules. Le
progrès n’est pas seulement dans l’individu ; mais il est encore, et par suite, dans
le genre humain. Il est la loi même de l’espèce. Nous devons tenir pour la véritable
foi cette foi au progrès qui soutient notre marche. Croyons au progrès, sans le scin-
der ; au progrès un, dans lequel tous les progrès se tiennent. C’est la foi de notre
âge et c’est la bonne25. »

22. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers [1751-1765], éd. Alain
Pons, Paris, GF-Flammarion, 1986, vol. 2, p. 284.
23. Quinze volumes furent publiés de 1866 à 1876, suivis par deux Suppléments, le premier en
1878, le second en 1890. Né en 1817, Larousse est mort le 3 janvier 1875, après avoir consacré
sa vie à la construction de son monumental dictionnaire, véritable hymne au Progrès : les trois
derniers volumes de son dictionnaire (tomes XIII/juillet 1875, XIV/avril 1876 et XV/septembre
1876) sont donc posthumes. Sur cet admirable possédé des « idées progressistes » que fut Pierre
Larousse, continuateur au XIXe siècle du travail des encyclopédistes, voir André Rétif, Pierre
Larousse et son œuvre, Paris, Larousse, 1975 ; Jean-Yves Mollier et Pascal Ory, Pierre Larousse et son
temps, Paris, Larousse, 1995.
24. Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Paris, 1875, t. XIII, art. « Progrès ».
25. Ibid.

17
la religion du progrès

Marcher vers la perfection du savoir, c’est donc en même temps marcher vers le
bien et vers le bonheur. Dans l’évolution du genre humain, toutes les bonnes choses
se tiennent et avancent ensemble : tel est le postulat de la rhétorique progressiste,
mis en évidence par Albert Hirschman26. Le subtil économiste de Princeton oppose
ainsi le « tempérament progressiste » à la manière « réactionnaire » de penser :
« Contrairement au réactionnaire, toujours imbu du “jeu à somme nulle” et du
“ceci tuera cela”, le progressiste reste persuadé à jamais que “tous les biens vont
de pair27”. » La pensée progressiste est tout entière fondée sur la thèse de l’interac-
tion heureuse ou du soutien réciproque des progrès scientifiques, des innovations
techniques, des « avancées sociales » ou des « réformes allant dans le bon sens ».
Tel est le dogme du cercle vertueux de toutes les formes de progrès. Ce principe de
synergie des progrès, qu’exprime la maxime générale « Un progrès en amène un
autre28 », est au cœur de l’optimisme progressiste. C’est pourquoi les théoriciens
du progrès n’ont cessé de célébrer la science comme une œuvre de philanthropie,
réalisant les idéaux moraux en même temps qu’elle perçait les secrets de l’univers.
En 1887, le naturaliste John Lubbock en fait cet éloge immodéré : « La science ne
nous a pas seulement révélé d’infinis espaces, peuplés d’innombrables mondes
[…], elle a fait mieux encore : elle s’est, comme un grand archange de miséricorde,
dévouée au service de l’homme. Elle a travaillé […] à étendre le bonheur sur la
terre29. »

Au XIXe siècle, la perfectibilité prend un sens restrictif : au lieu de désigner une


égale capacité de progresser et de dégénérer, donc une indétermination fonda-
mentale de la nature humaine, elle est entendue comme aptitude à progresser
propre au genre humain, et, en conséquence, perd l’ambiguïté qu’elle tenait de

26. Voir Albert O. Hirschman, Deux siècles de rhétorique réactionnaire [1991], tr. fr. Pierre Andler,
Paris, Fayard, 1991, pp. 240-243.
27. Ibid., pp. 241-242.
28. Voir Marc Angenot, L’Utopie collectiviste. Le grand récit socialiste sous la Deuxième Internationale,
Paris, PUF, 1993, p. 304.
29. John Lubbock, The Pleasures of Life [1887-1889], fin du chap. IX. Science (tr. fr. C. L. [sur la 30e
éd. anglaise] : Le Bonheur de vivre, Paris, Félix Alcan, 1891 ; passage cité par L. Le Chevallier,
L’Idéal moral, Paris, Librairie d’Éducation nationale, s. d. [1902 ?], p. 18).

18
la religion du progrès

sa première conceptualisation par Rousseau et par Grimm30. Souvent attribué à


Rousseau, le mot « perfectibilité » avait vraisemblablement été employé (orale-
ment) dès 1750 par Turgot31. Dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inéga-
lité parmi les hommes (1755), Rousseau définit certes la perfectibilité comme la « fa-
culté de se perfectionner », faculté qui distingue l’homme des animaux32. « Faculté
de se rendre plus parfait », écrit Grimm en février 1755. Mais cette même faculté
explique aussi pourquoi l’homme peut dégénérer, au point de tomber « plus bas »
que les animaux. Car « les bêtes », dénuées de la perfectibilité, ont en conséquence
« l’avantage de ne point dégénérer33 ». La « perfectibilité », au XIXe siècle, a été ré-
duite à la faculté d’auto-perfectionnement de l’homme, naturalisée en tant qu’ins-
tinct ou tendance irrépressible.

30. Voir Florence Lotterie, « Les Lumières contre le progrès ? La naissance de l’idée de
perfectibilité », Dix-huitième Siècle, n° 30, 1998, pp. 383-396 ; Id., Progrès et perfectibilité. Un dilemme
des Lumières françaises (1755-1814), Oxford, Voltaire Foundation, ouvrage à paraître en juin 2006 ;
Bertrand Binoche, « Les équivoques de la perfectibilité », in B. Binoche (dir.), L’Homme perfectible,
Seyssel, Éditions Champ Vallon, 2004, pp. 13 sq.
31. Jochen Schlobach, art. « Progrès », in Michel Delon (dir.), Dictionnaire européen des Lumières,
Paris, PUF, 1997, [pp. 905-909], p. 908.
32. Voir Jean-Louis Labussière, « J.-J. Rousseau et la perfectibilité : de l’individu à l’espèce », in
Bertrand Binoche (dir.), op. cit., pp. 91-113 ; Tzvetan Todorov, L’Esprit des Lumières, Paris, Robert
Laffont, 2006, pp. 20-23.
33. Friedrich M. Grimm, Correspondance littéraire, philosophique et critique, février 1755, Paris,
Garnier, 1867, t. II, p. 492.

19
II. Le concept classique de progrès : essai de définition

Il faut souligner le fait que c’est seulement au cours du XIXe siècle – et plutôt
dans sa seconde moitié - que le mot « progrès » se banalise, en s’imposant face à
ses concurrents : il remplace alors les termes de « perfectionnement » et de « per-
fectibilité » (dont le contenu conceptuel est réduit, j’y insiste, à la « capacité de
progresser »), tout en gagnant de nouveaux voisins lexicaux (« évolution », « déve-
loppement », suivi plus tard par « croissance », etc.). Et il est de plus en plus sou-
vent employé absolument, sous la forme « le progrès », nouveauté sémantique par
rapport aux usages courants de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe, usages
qu’on peut illustrer par le fameux discours de Turgot : Tableau philosophique des pro-
grès successifs de l’esprit humain (1750), auquel fait écho le non moins fameux essai
de Condorcet : Esquisse d’un tableau des progrès de l’esprit humain (1793).

On notera que, plutôt que l’espèce humaine ou le genre humain, c’est « l’esprit
humain » que les philosophes des Lumières érigent en sujet universel auquel le
Progrès est attribué. Les médecins eugénistes (avant la lettre) des Lumières, quant
à eux, veulent indiquer les moyens d’« améliorer » ou de « perfectionner » l’es-
pèce humaine, de la « rendre parfaite » ou « plus parfaite » : Charles Augustin
Vandermonde, Essai sur la manière de perfectionner l’espèce humaine (1756) – lu de
près par Diderot qui s’en est inspiré pour le Supplément au Voyage de Bougainville
–, ou Jacques-André Millot, L’Art d’améliorer et de perfectionner les hommes, au moral
comme au physique (1801).

Il faut citer aussi l’ouvrage d’un autre médecin « progressiste », Robert le jeune,
exposant un programme de type eugéniste : l’Essai sur la mégalanthropogénésie qui,
paru en 1801, prétend fournir les moyens de fabriquer des grands hommes à vo-
lonté. Ce que désire le Dr Robert, c’est se rendre utile à sa patrie, la France, en
énonçant cette vérité biopolitique fondamentale : « Les plus beaux couples, et les
plus parfaits à tous égards, donnent à l’État une postérité mieux conditionnée de

20
la religion du progrès

corps et d’esprit34 » Condorcet et Cabanis ne sont pas en reste quant au projet de


« perfectionnement » du genre humain, dans ses facultés physiques, intellectuelles
et morales. On peut illustrer les usages pré-progressistes du terme de « progrès »
dans le langage politique, chez Robespierre par exemple, par des expressions telles
que « les progrès de la raison humaine35 », « les progrès de la liberté36 », ou des
énoncés tels que « les peuples de l’Europe ont fait des progrès étonnants dans ce
qu’on appelle les arts et les sciences, et ils semblent dans l’ignorance des premières
notions de la morale publique37 ».

Si l’on considère la notion de progrès telle qu’elle fonctionne dans les textes « pro-
gressistes » du XIXe siècle et du XXe, il apparaît qu’elle peut s’analyser en trois
composantes : elle enveloppe d’abord l’idée d’un changement ou d’une transfor-
mation (donc d’un mouvement ou d’un processus), ensuite celle d’une direction
(ledit changement a un « sens », il est orienté vers un terme, une fin, un « ce vers
quoi »), et, enfin, celle d’une valeur ou d’un ensemble de valeurs (jugées positives
ou bonnes en elles-mêmes), dont la réalisation s’opérerait progressivement dans et
par le processus ou au cours du changement. Il y a progrès lorsque le changement
est pensé comme un changement en mieux ou lorsque la transformation est évaluée
comme une transformation vers le mieux. Voilà qui présuppose un sujet évaluateur,
par rapport auquel le progrès existe : c’est là reconnaître que la notion de progrès
est relative et subjective. Elle dépend à la fois de ce qui est posé comme le « bien »
ou la valeur par rapport auquel le changement est évalué, et du jugement porté
par un sujet pour lequel il y a changement en mieux, voire marche vers un état
final se confondant avec un point de perfection. Pour qu’il y ait progrès, il faut
donc que le changement ait à la fois un sens et une valeur. Le jugement de progrès

34. Louis-Joseph-Marie Robert, Essai sur la mégalanthropogénésie, ou l’art de faire des enfants d’esprit
qui deviennent de grands hommes, suivi du meilleur mode de génération, Paris, chez Debray, 1801; 2e
éd., considérablement augmentée, et qui ne ressemble à la première que par le titre, Paris, Le
Normant, 1803, vol. 1, p. 17.
35. Robespierre, « Gouverner la République » (discours à la Convention, 10 mai 1793), in
Robespierre, Discours sur la religion, la République, l’esclavage, La Tour d’Aigues, Éditions de
l’Aube, 2006, p. 77.
36. Robespierre, « Sur la propriété, suivi du projet de déclaration des droits de l’homme et du
citoyen » (24 avril 1793), in Robespierre, op. cit., p. 67.
37. Robespierre, « Sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes
républicains » (7 mai 1794), in Robespierre, op. cit., p. 9.

21
la religion du progrès

n’est pas de l’ordre du constatif, mais de l’évaluatif. Plus précisément, le jugement


de progrès brouille les frontières entre le descriptif, le normatif et le prescriptif.

Il faut en outre distinguer entre deux types d’usages du mot « progrès », suivant
que ce dernier est spécifié (« le progrès de ») ou pris absolument (« le progrès ») :
d’une part, l’usage spécifié, lorsque le terme apparaît dans l’expression « progrès
de » (quelque chose ou quelqu’un), en référence à « une succession de faits qui se
déroulent à l’intérieur d’un domaine particulier pour lequel on dispose de critères
explicites et précis d’évaluation38 » ; d’autre part, le mot « progrès » employé abso-
lument, dans l’expression « le progrès » (ou « le Progrès » avec une majuscule),
pour désigner « la croyance que les événements de l’histoire se déroulent selon
une ligne de perfection croissante39 ». Et une ligne unique. On peut affirmer qu’il
y a, en tel ou tel domaine, « progrès de », sans pour autant faire preuve de « pro-
gressisme », c’est-à-dire sans postuler l’existence d’un « progrès de la civilisation »,
d’un « progrès global de l’humanité » ou du « Progrès dans l’Histoire ». Le dogme
progressiste apparaît lorsqu’on passe de l’hypothèse à la thèse, en affirmant « que
l’histoire de l’humanité évolue suivant un modèle […], que ce modèle constitue
en changements irréversibles dans une seule direction, et que cette direction est
toujours positive40».

Le sens « progressiste » du concept de progrès se marque donc à ce que le mot


« progrès » est employé absolument et enveloppe explicitement une évaluation :
il désigne alors le progrès général ou global, le « Progrès » avec une majuscule,
bref, le progrès tout court, considéré à la fois « comme un bilan positif de l’histoire
passée » et comme « une sorte de prophétie concernant l’avenir41». La thèse du
progrès général implique la croyance que l’histoire de l’humanité est fondamen-
talement un long processus d’amélioration ou de perfectionnement, affectant la
condition humaine, la nature humaine ou l’ordre social. Cette thèse appartient à

38. Evandro Agazzi, « Sciences de la vie, image de l’homme et progrès », in Evandro Agazzi,
Gilbert Hottois, Axel Kahn et al., Biologie moderne et visions de l’humanité, Bruxelles, Éditions De
Boeck Université, 2004, p. 47.
39. Ibid.
40. Sidney Pollard, The Idea of Progress : History and Society, Londres, C. A. Watts, 1968, p. 9.
41. Evandro Agazzi, ibid.

22
la religion du progrès

la « sphère des évaluations ultimes », pour parler comme Max Weber42. Telle est
la base de l’optimisme historique des modernes, du moins de ceux qui, largement
majoritaires depuis la fin du XVIIIe siècle, croient au progrès universel et néces-
saire, automatique et infaillible.

Au cœur de l’idée moderne de progrès, il y a la conviction que tout ordre de suc-


cession, dès lors qu’il concerne le monde humain (en particulier dans la période
dite moderne), est un processus ou un mouvement d’amélioration. Il s’agit là bien
sûr d’un sophisme, d’un sophisme ordinaire constitutif de la mentalité propre-
ment moderne, dont Louis Weber, en 1913, a donné la formule : « Post hoc, ergo
melius hoc43» – « Après cela, donc mieux (ou meilleur) que cela ». Ce qui peut être
ainsi traduit, en explicitant les principales présuppositions de la formule : tout
changement est un progrès, une transformation orientée vers le mieux. Une telle
proposition est fausse : tout changement n’est pas un perfectionnement ni une
amélioration.

La représentation d’un progrès illimité, unique et unilinéaire a permis aux


Modernes de définir ce qu’il est convenu d’appeler le « sens de l’Histoire », affirmé
par Herder en 1774, dans Une autre philosophie de l’histoire : « Le monde se dirige
vers quelque chose de grand ! [Il] devient […] le théâtre d’une intention direc-
trice sur terre44 ! » Ceux qui veulent interpréter substantiellement le mouvement
finalisé qu’est le progrès, disons le « ce vers quoi » il est censé aller (« le mieux »),
déterminent a priori un état final conçu comme la réalisation pleine et entière d’un
idéal transcendant, ou encore une situation ultime de perfection. C’est dans cette
tentative de définir le terme du processus progressif que surgit la dimension uto-
pique (les fictions de l’homme parfait et de la société parfaite), inséparable ici de la
dimension subjective, comme l’a bien aperçu Georg Simmel :

42. Max Weber, Essais sur la théorie de la science [1922 et 1951], tr. fr. Julien Freund, Paris, Plon, 1965,
p. 462.
43. Louis Weber, Le Rythme du progrès. Étude sociologique, Paris, Félix Alcan, 1913, pp. 22-24. La
formule de Weber est construite sur le modèle du sophisme bien connu : « Post hoc, ergo propter
hoc » (« Après cela, donc à cause de cela »).
44. Voir mon livre Le Sens du progrès, op. cit., p. 86.

23
la religion du progrès

« La notion de progrès suppose celle d’un état final ; cette dernière notion une fois
définie, dans l’absolu et dans l’abstrait, on peut déterminer si tel ou tel change-
ment va dans le sens de la réalisation de cet état final ou s’il correspond à un mou-
vement dans la direction de cet état final. Dans ce cas, on parlera de “progrès”. [...]
Le fait d’interpréter tel changement historique comme un progrès ou non dépend
d’un idéal, dont la valeur n’émane en aucune façon des enchaînements historiques
réels, mais est au contraire imposée à la réalité historique par la subjectivité de
l’observateur45. »

C’est en imaginant ce qui doit être, ce qui selon nous constitue l’idéal humain
ou social, que l’on donne sa pleine signification au progrès, processus historique
par lequel se réalise l’idéal imaginé, avec ou sans notre aide. Ce qui est sûr, c’est
que toute conceptualisation du progrès implique une évaluation, engage des juge-
ments de valeur, donc du subjectif, et qu’en conséquence la thèse du progrès n’est
pas simplement inférable de l’observation des phénomènes historiques saisis dans
leur successivité.

45. Georg Simmel, Les Problèmes de la philosophie de l’histoire. Une étude d’épistémologie [1892], tr. fr.
Raymond Boudon (d’après la 3e éd. allemande, 1907), Paris, PUF, 1984, pp. 219-220.

24
III. Mythe, « religion séculière », utopie : trois
approches de l’idée de progrès

Ce qu’il est convenu d’appeler l’idée de progrès relève à la fois du mythe, du reli-
gieux (plus exactement de la « religion séculière ») et de l’utopie. Du mythe, tout
d’abord, mais d’une certaine catégorie de mythes, les mythes modernes, grands
récits sur l’Histoire, privilégiant l’orientation vers le futur et recourant au « fiction-
nement » de la science, en tant que que savoir et pouvoir46. Des mythes qui sont
toujours, selon des proportions variables, scientistes et politiques47. Ils paraissent
constituer des variations sur la figure de Prométhée telle qu’elle a émergé à la
Renaissance48, pour devenir « une sorte d’emblème caractéristique de l’époque49
», et donner un nom mythique à l’auto-compréhension du projet des Temps mo-
dernes : le « prométhéisme50 ».

L’idée de progrès relève ensuite du religieux, mais d’une religiosité du second type,
d’une « nouvelle » religiosité se déployant dans la modernité hors des religions
constituées, en concurrence avec elles et souvent contre elles, une néo-religiosité

46. Pour une approche féconde des mythes modernes, voir Ernst Cassirer, Le Mythe de l’État
[1946], tr. fr. Bertrand Vergely, Paris, Gallimard, 1993 ; Hans Blumenberg, La Raison du mythe
[2001], tr. fr. Stéphane Dirschauer, Paris, Gallimard, 2005.
47. Voir Serge Latouche, La Mégamachine. Raison technoscientifique, raison économique et mythe du
progrès [1994], nouvelle édition actualisée, Paris, La Découverte, 2004, pp. 125-178.
48. Voir Louis Séchan, Le Mythe de Prométhée, Paris, PUF, 1951, pp. 16-18.
49. Hans Blumenberg, op. cit., p. 47. Le philosophe ajoute aussitôt cette restriction : « À tout le
moins comme appel à des hardiesses dans la formulation de soi des Temps modernes » (ibid.).
Voir aussi ibid., p. 155.
50. Prométhée est le bienfaiteur de l’humanité et le libre accusateur de Zeus dans la tragédie
attribuée à Eschyle, Prométhée enchaîné, et devient le fondateur de la civilisation dans le Protagoras
de Platon. Voir Dominique Lecourt, Prométhée, Faust, Frankenstein. Fondements imaginaires de
l’éthique, Paris, Synthélabo, coll. « Les empêcheurs de penser en rond », 1996. Sur les différentes
figures de Prométhée dans la culture grecque ancienne (bienfaiteur, fondateur et agent
provocateur), voir Pietro Pucci, « Prométhée, d’Hésiode à Platon », Communications, n° 78, 2005,
pp. 51-70.

25
la religion du progrès

supposant à la fois le processus de sécularisation, impliquant « l’affaiblissement


de la signification de la religion organisée comme moyen de contrôle social51 »,
et le réinvestissement d’éléments du symbolisme chrétien (millénarisme, notion
de Providence, eschatologie52). Encore faut-il ne pas oublier le contenu essentiel
de ces configurations néo-religieuses, qu’une formule héritée du XIXe siècle suf-
fit à résumer : « religion de l’avenir » (au sens du génitif objectif), ensemble de
croyances tournées vers l’avenir qu’on espère ou qu’on suppose meilleur que le
présent et le passé. Hugo notait que « croire au progrès », c’est « prier vers l’infini53
». Ces religiosités dites « séculières » sont souvent présentées – depuis la fin du
XXe siècle – comme des formes de resacralisation ou de réenchantement du monde
surgissant « après » (ou à l’époque de) la « sortie de la religion ». Une « religion
séculière », précise Raymond Aron qui introduisit cette catégorie analytique dans
son article séminal de 1944 (« L’avenir des religions séculières54 »), avant d’y reve-
nir dans divers ouvrages ultérieurs55, est une « doctrine de salut collectif » fondée
sur la sacralisation de l’Histoire et l’absolutisation d’un bon principe, s’opposant
de façon manichéenne à son contraire satanique. Dans l’article de 1944, consa-
cré à la construction d’un modèle d’intelligibilité unitaire des grandes idéologies
politiques, Aron formulait cette définition : « Je propose d’appeler “religions sécu-
lières” les doctrines qui prennent dans les âmes de nos contemporains la place de la
foi évanouie et situent ici-bas, dans le lointain de l’avenir, sous la forme d’un ordre

51. Voir Howard Becker, « Säkularisierungsprozesse. Idealtypische Analyse mit


besonderer Brücksichtigung der durch Bevölkerungsbewegung hervorgerufenen
Persönlichkeitsveränderung », Kölner Vierteljahreshefte für Soziologie, Munich et Leipzig, 1932, pp.
283-294, 450-463. Pour une problématisation de la notion, voir Karel Dobbelaere, Secularization : A
Multi-Dimensional Concept, Londres, Sage Publications, 1981.
52. Pour une généalogie de l’idée normative de perfection et du concept moderne de
perfectibilité, voir John Passmore, The Perfectibility of Man, New York, Charles Scribner’s Sons,
1970.
53. Victor Hugo, William Shakespeare, acte II, scène VI, v. 1. Voir Myriam Roman, « “Ce cri que
nous jetons souvent” : le progrès selon Hugo », Romantisme, n° 108, 2000, pp. 75-90.
54. Raymond Aron, « L’avenir des religions séculières », La France libre, juillet et août 1944 ; repris
dans L’Âge des empires et l’avenir de la France, Paris, 1945, pp. 287-318, puis dans Commentaire, n°
28-29, février 1985, pp. 369-383.
55. Raymond Aron, L’Opium des intellectuels, Paris, Calmann-Lévy, 1955 ; Id., Les Désillusions du
progrès. Essai sur la dialectique de la modernité, Paris, Calmann-Lévy, 1969.

26
la religion du progrès

social à créer, le salut de l’humanité56. » L’idée de progrès relève enfin de l’utopie,


mais d’une espèce d’utopie propre à la modernité scientifique et technique, disons
l’utopie technicienne et scientiste57, visant, dans ses formes radicales, la fabrication
future de la société parfaite et de l’homme nouveau. Cette forme d’utopie tra-
duit deux grandes aspirations qui se sont articulées dans l’imaginaire moderne :
la quête de la puissance et celle du bonheur (impliquant celle de la santé), fondées
l’une et l’autre sur les « progrès » de la science et de la technique58. Cette vision
proprement moderne, originellement théorisée par Francis Bacon (1605), postule
que le savoir est un pouvoir59. Elle est à l’origine des utopies révolutionnaires et
eugénistes de la « régénération » de l’homme60. Ce qui ne l’empêche nullement

56. Raymond Aron, art. cit., 1985, p. 370. Pour élargir le champ, voir Marc Angenot, « Religions
séculières : pour l’histoire d’un concept », Discours social/Social Discourse, nouvelle série, vol. XX,
2004, pp. 5-108 ; Emilio Gentile, La Religion fasciste. La sacralisation de la politique dans l’Italie fasciste
[1993], tr. fr. Julien Gayrard, Paris, Perrin, 2002, pp. 305-352 (postface à l’édition française) ; Id.,
Les Religions de la politique. Entre démocraties et totalitarismes [2001], tr. fr. Anna Colao, Paris, le
Seuil, 2005.
57. Voir Pierre-André Taguieff, Du progrès. Biographie d’une utopie moderne, Paris, Librio, 2001.
Auguste Comte a affirmé avec force la thèse selon laquelle l’idée de progrès n’a pu surgir qu’à
partir d’une réflexion sur les progrès du savoir et des techniques propres à la science moderne.
Voir A. Comte, Cours de philosophie positive, t. IV [1839], 47e leçon, Paris, Schleicher, 1908, p. 123.
Pour des éclaircissements, voir Augusto Del Noce, « Considérations sur l’irréligion occidentale »
(1963), in A. Del Noce, L’Irréligion occidentale, tr. fr. Philippe Baillet, Paris, FAC-éditions, 1995, pp.
260-261 ; Pierre-André Taguieff, L’Effacement de l’avenir, op. cit., pp. 350-357 ; Id., Le Sens du progrès,
op. cit., pp. 138-139, 160-161.
58. Voir Lucien Sfez, La Santé parfaite. Critique d’une nouvelle utopie, Paris, Le Seuil, 1995 ; Id., Le
Rêve biotechnologique, Paris, PUF, 2001.
59. Voir Francis Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs [1605], tr. fr., avant-propos et notes
par Michèle Le Dœuff, Paris, Gallimard, 1991. Sur le tournant baconien, voir John B. Bury, The
Idea of Progress : An Inquiry into its Origin and Growth, Londres, Macmillan, 1920 (nouvelle éd.,
1932 ), rééd., New York, Dover Publications, 1955, pp. 50-51 ; Robert Nisbet, History of the Idea
of Progress, New Brunswick (USA) et Londres, Transaction Publishers, 1994, pp. 112-115 ; Paolo
Rossi, Naufragi senza spettatore. L’idea di progresso, Bologne, il Mulino, 1995 ; Dominique Bourg,
Nature et technique. Essai sur l’idée de progrès, Paris, Hatier, 1997, pp. 15-19 ; Pierre-André Taguieff,
Le Sens du progrès, op. cit., pp. 148-153.
60. Voir Bronislaw Baczko, « L’utopie et l’idée de l’histoire-progrès », Revue des sciences humaines,
n° 155, juillet-septembre 1974, t. 39, pp. 473-491 ; Id., Lumières de l’utopie, Paris, Payot, 1978 (2e éd.
augmentée, 2001), pp. 153-232 ; Mona Ozouf, L’Homme régénéré. Essai sur la Révolution française,
Paris, Gallimard, 1989, pp. 116-157, 211-239 ; Anne Carol, Histoire de l’eugénisme en France. Les
médecins et la procréation XIXe-XXe siècle, Paris, Le Seuil, 1995, pp. 17 sq., 87 sq. ; Pierre-André
Taguieff, Le Sens du progrès, op. cit., pp. 225-258.

27
la religion du progrès

d’être mue par une inspiration pélagienne (au sens où, pour le moine Pélage61, le
péché originel n’aurait vicié en l’homme ni la volonté ni l’intellect) : les sciences
et les techniques recèleraient la promesse d’une levée de la malédiction divine, et
permettraient de restaurer l’Eden62. Cioran a caractérisé d’une formule sugges-
tive l’utopie technicienne des Modernes : « Refaire l’Eden avec les moyens de la
chute63. » Progressisme et utopisme s’y entrecroisent : faut-il rappeler que Bacon fut
aussi l’auteur d’une utopie, La Nouvelle Atlantide (New Atlantis, 1627, posthume) ?

Georges Sorel, dans une brève présentation de son livre Les Illusions du progrès
(1908), a justement insisté sur les affinités entre les utopies futuristes à finalité
eudémoniste et l’idée de progrès : « À la fin du XVIIIe siècle, les classes élevées
croyaient que le plus naturel emploi de l’intelligence consistait à inventer des plans
de société future propres à assurer le bonheur de l’humanité, et que la science était
capable de rendre facile l’application de ces plans64. » Ce qui est ici postulé, c’est
que, par la possession de la science, l’homme s’est rendu omnipotent. Aux yeux
de l’homme prométhéen, rien n’est impossible. Ou plus exactement, l’impossible
est le grand défi à relever. Le progressiste et eugéniste convaincu qu’était George
Bernard Shaw a ainsi résumé sa philosophie prométhéenne du « pourquoi pas » :
« Certains voient la réalité, et disent “Pourquoi ?” Moi, je rêve de l’impossible, et
je dis “Pourquoi pas65 ?” »

Esquissée par Bacon au début du XVIIe siècle, repensée à la fin du même siècle par
Leibniz (qui théorise l’idée d’un « progrès perpétuel » ou « sans fin »), et vulgarisée
par Fontenelle, la conception du progrès pris au sens absolu (« le Progrès ») sup-
pose que l’esprit humain, la nature humaine et les sociétés humaines bénéficient
d’un processus d’amélioration ou de perfectionnement général, dont le schème est

61. Contemporain de saint Augustin, au tournant du IVe et du Ve siècle après J.C.


62. Voir Dominique Bourg, « Les origines religieuses de l’idée de progrès », in D. Bourg, Jean-
Michel Besnier (dir.), Peut-on encore croire au progrès ?, op. cit., pp. 21, 31-34.
63. Voir Cioran, Histoire et utopie, Paris, Gallimard, 1960.
64. Georges Sorel, « Les illusions du progrès », La Petite République, 12 juin 1908 ; article reproduit
dans Michel Charzat (dir.), Georges Sorel, Paris, Cahiers de l’Herne, n° 53, 1986, p. 285.
65. G. B. Shaw, cité par Bob Kennedy.

28
la religion du progrès

celui d’un progrès linéaire, cumulatif, continu, nécessaire, irréversible et indéfini66. C’est
au cours des XVIIe et XVIIIe siècles que la catégorie de progrès a été construite à
partir de ces six traits distinctifs, dont la mise en relation dans le « grand récit »
de l’émancipation humaine au cours de l’histoire constitue un propre de la pensée
moderne67. L’histoire de la Civilisation (au singulier) a été pensée comme l’histoire
du Progrès (avec majuscule). Mais c’est le spectacle du « progrès matériel », rendu
possible par la conjonction de la science moderne, de la technique et de l’industrie,
qui a fourni les plus puissants motifs d’y croire. L’évidence du progrès technique
a joué un rôle décisif dans la mise en place des croyances progressistes. À com-
mencer par le progrès des armes : comment contester que, de l’arc et de la flèche
au fusil et à la balle, puis au canon et au blindé, enfin aux bombes à grande puis-
sance, il y a eu amélioration des instruments de guerre, donc progrès technique ?
Bien entendu, ce « progrès » est équivoque, et l’on peut l’interpréter comme une
terrible « régression » ou comme un mode inédit de « barbarisation ». Le progrès
technique n’implique pas un progrès éthique.

Il est une seconde source, d’ordre théologico-religieux, de la vision du Progrès


dans l’Histoire, à savoir : la sécularisation de l’histoire du salut. Il convient de rap-
peler brièvement la conception classique de la sécularisation des doctrines chré-
tiennes, telle que Karl Löwith l’a exposée dans son livre pionnier de 1949, Meaning
in History68. Il s’agit là de l’entreprise la plus ambitieuse d’une généalogie théo-
logico-religieuse de l’idée de progrès : loin de se réduire au modèle de la « sécu-
larisation de la Providence », l’interprétation de Löwith est fondée sur le schème
d’une historicisation de l’attente eschatologique telle qu’elle fut formulée au XIIe

66. La thèse d’un perfectionnement sans fin (infini, indéfini) ou d’un « progrès perpétuel » est
clairement exposée dans les dernières lignes d’un court texte de Gottfried Wilhelm Leibniz,
« De la production originelle des choses prise à sa racine » (1697), in G. W. Leibniz, Opuscules
philosophiques choisis, tr. fr. Paul Schrecker, Paris, Vrin, 1962, p. 92. Du même Leibniz, voir aussi Les
Principes de la nature et de la grâce fondés en raison [1714], éd. André Robinet, Paris, PUF, 1954, § 18,
p. 65.
67. Voir Pierre-André Taguieff, Le Sens du progrès, op. cit., pp. 110-114.
68. Karl Löwith, Meaning in History : The Theological Implications of the Philosophy of History,
Chicago, The University of Chicago Press, 1949 ; tr. fr. Marie-Christine Challiol-Gillet et al. :
Histoire et Salut. Les présupposés théologiques de la philosophie de l’histoire, Paris, Gallimard, 2002.

29
la religion du progrès

siècle par Joachim de Flore69. Löwith a eu le mérite de mettre en discussion la thèse


selon laquelle, de Joachim de Flore à Lessing, Hegel et bien d’autres penseurs, un
« historicisme théologique » s’était peu à peu imposé dans la culture européenne,
à partir du XVIIe siècle, jusqu’à imposer son schéma trinitaire dans le champ des
philosophies de l’Histoire comme dans celui des idéologies politiques modernes70.
La modernité se caractérise globalement, selon Löwith, par la sécularisation du
christianisme qui, en déplaçant le salut dans l’Histoire, a fait surgir la foi en l’His-
toire, qui se confond avec la « religion du progrès ». Après l’historien britannique
John B. Bury71, Löwith pose que « la foi en un progrès immanent et illimité a rem-
placé de plus en plus la foi dans la Providence d’un Dieu supra-mondain72 ». Les
philosophies modernes de l’Histoire ne seraient que des formes sécularisées de
l’Histoire chrétienne du salut ou de l’eschatologie chrétienne. C’est dans la philo-
sophie de l’Histoire de Voltaire, le premier peut-être à penser l’Histoire autant en
philosophe qu’en historien, que la volonté de l’homme et sa prévoyance (sa faculté
de prévision rationnelle) tendent à remplacer la volonté de Dieu et la Providence.

L’hypothèse interprétative de la sécularisation des catégories joachimites semble


s’appliquer parfaitement à l’esquisse faite en 1780 par Lessing, dans L’Éducation
du genre humain, d’une histoire de l’humanité, où est promise la venue de l’« âge
de la perfection », de « l’Évangile éternel ». Lessing se fonde sur une analogie qui
permet de penser l’éducation progressive du genre humain comme l’histoire de
la révélation : « Ce que l’éducation est pour l’individu, la révélation l’est pour le
genre humain73. » L’humanité serait donc en marche vers sa perfection morale.
Cette marche continue de l’humanité vers le Troisième Âge, selon Lessing, pren-

69. Les théoriciens de la « sécularisation », lorsqu’ils esquissent une généalogie de l’idée de


progrès ou des modernes « philosophies de l’Histoire », se réfèrent ordinairement à Saint
Augustin et surtout à Joachim de Flore. Voir Karl Löwith, Meaning in History, op. cit., pp. 145-
159, 208-213 ; Mircea Eliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963, pp. 220-222 ; Éric Voegelin,
La Nouvelle Science du politique. Une introduction [1952], tr. fr. Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Le
Seuil, 2000, pp. 128 sq., 160 sq. ; Henri de Lubac, La Postérité spirituelle de Joachim de Flore, Paris, P.
Lethielleux, 1979-1981, 2 vol.
70. Voir Jean-Claude Monod, op. cit.
71. John Bagnell Bury, The Idea of Progress : An Inquiry into its Origin and Growth, op. cit., pp. 22, 73.
72. Karl Löwith, Histoire et Salut, op. cit., p. 88 (trad. modifiée).
73. Gotthold Ephraïm Lessing, L’Éducation du genre humain [1780], § 1, tr. fr. Pierre Grappin
[modifiée], Paris, Aubier-Montaigne, 1946, p. 91.

30
la religion du progrès

dra du temps, car elle constitue un processus progressif, supposant un passage


nécessaire à travers des étapes successives, imaginées sur le modèle des âges de la
vie. Il s’ensuit que la sagesse implique de savoir attendre, comme Lessing le sou-
ligne en 1780 dans ce passage de style prophétique :

« Il viendra certainement cet âge de la perfection où l’homme, à mesure que son


esprit se convaincra davantage de l’approche d’un avenir toujours meilleur, n’aura
cependant plus besoin de demander à cet avenir les mobiles de ses actes ; car
alors, il fera le bien parce que c’est le bien, et non pas pour la raison qu’il s’accom-
pagne de certaines récompenses. [...]. Il viendra certainement le temps du nouvel
Évangile, de l’Évangile éternel, qui, même dans les livres de la Nouvelle Alliance,
est promis aux hommes ! Peut-être même que certains rêveurs enthousiastes, au
XIIIe et au XIVe siècle, avaient été illuminés par quelques rayons de ce nouvel
Évangile éternel ; leur seule erreur fut de croire que son temps était tout proche.
Leur division du monde en trois âges n’était peut-être pas une vaine chimère [...].
Disons, pour remplacer leurs expressions par les miennes, qu’ils ne connaissaient
qu’un seul plan d’éducation universelle du genre humain. Mais ils précipitèrent
ce plan ; ils crurent que leurs contemporains, lesquels étaient encore à peine sortis
de l’enfance, pouvaient, sans préparation, sans avoir été élevés à la lumière, d’un
coup, devenir des hommes, dignes de connaître ce qu’ils appelaient le troisième
âge. C’est justement pour cela que ce sont des rêveurs. Souvent un rêveur perce du
regard le mystère de l’avenir, mais il ne sait pas attendre74. »

Mal dénommée, « l’idée de progrès » ou « l’idéologie du progrès » doit être redéfi-


nie, soit comme une religion séculière parmi d’autres (disons, « le progressisme »),
soit comme la condition de possibilité de toutes les religions séculières de l’âge
moderne ou de l’Occident moderne, voire le noyau de la « religion occidentale
moderne », dont le « développement » serait la principale figure depuis la fin du

74. G. E. Lessing, op. cit., §§ 85-90, pp. 129, 131.

31
la religion du progrès

XXe siècle75. C’est dans cette dernière perspective qu’on peut élaborer un modèle
d’intelligibilité du progressisme : celui-ci fonctionne comme la proto-religion sécu-
lière ou la matrice des religions séculières, inséparable de ses dimensions à la fois
mythiques et utopiques.

75. Voir les hésitations de Gilbert Rist dans son important ouvrage : Le Développement. Histoire
d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, pp. 40-46 (le « développement »
comme élément de la religion moderne »), 47-80 (« Les métamorphoses d’un mythe occidental »,
où il est question (p. 66) de « l’idéologie du progrès » qui, « à partir de la fin du XVIIe siècle, […]
acquiert une position dominante »). Le philosophe Jean-François Lyotard affirmait en 1988 : « Ce
progrès aujourd’hui se poursuit, sous le nom plus honteux de développement. Mais il est devenu
impossible de légitimer le développement par la promesse d’une émancipation de l’humanité
tout entière. Cette promesse n’a pas été tenue. » (Le Postmoderne expliqué aux enfants, Paris, Galilée,
1988, p. 135).

32
IV. Le sens « progressiste » de l’Histoire et son
effacement

Au centre du croire progressiste, il y a une conviction absolue, qui relève d’un


type de certitude que la vision dogmatique de la science moderne a transformé en
mode puissant de légitimation. Cette conviction peut se décrire dans son conte-
nu comme une croyance au progrès global et automatique, impliquant que tous les
ordres de progrès (scientifique, technique, social, économique, politique, juri-
dique, moral) s’enchaînent nécessairement et harmonieusement, ou encore que
tous les « progrès » vont de pair et avancent de conserve, comme par l’effet d’un
irrépressible et magique cercle vertueux. En 1793, dans son Esquisse, Condorcet en
a donné la formule : « La nature a indissolublement uni les progrès des lumières et
ceux de la liberté, de la vertu, du respect pour les droits naturels de l’homme76 » ;
ou encore : « La nature lie, par une chaîne indissoluble, la vérité, le bonheur et la
vertu77. » Aussitôt apparaît le caractère gnostique ou néo-gnostique de la croyance
au Progrès (avec une majuscule). Car le croyant gnostique croit qu’il sait, alors que
le croyant religieux sait qu’il croit78. Le terme « gnose » est ici employé au sens que
lui a donné Éric Voegelin, dans sa tentative de reconceptualiser les configurations
idéologiques qu’il avait précédemment qualifiées de « religions politiques ». La
gnose est à la fois savoir de la chute ici-bas et moyen d’y échapper, instrument de
la délivrance. La « gnose politique moderne » qu’est le progressisme reste un sa-
voir qui sauve79. Mais, comme l’avait bien aperçu Berdiaeff dans son essai de 1923,

76. Condorcet, op. cit., introduction, p. 86.


77. Condorcet, op. cit., Dixième époque, p. 286. Voir Pierre-André Taguieff, Le Sens du progrès, op.
cit., pp. 174-179.
78. Alain Besançon, Les Origines intellectuelles du léninisme, Paris, Calmann-Lévy, 1977, p. 15.
79. Voir Éric Voegelin, La Nouvelle Science du politique, op. cit., pp. 160-258 ; Id., Science, politique et
gnose [1959], tr. fr. Marc de Launay, Paris, Bayard, 2004, pp. 9-68 ; Id., « La religion des modernes.
Les mouvements gnostiques de notre temps » [1960], tr. fr. Françoise Manent, Commentaire, n° 41,
printemps 1988, pp. 318-327.

33
la religion du progrès

Le Sens de l’Histoire, la métaphysique progressiste de l’Histoire enveloppe une « di-


vinisation du futur, aux dépens du passé et du présent80 ». Il y a là une manière
d’instrumentaliser la vertu d’espérance, d’idéologiser l’espoir en le réduisant à
une passion consolatrice, trompeuse et maîtresse d’illusion. Empruntant au jeune
Marx sa critique de la religion comme « opium du peuple », Ortega y Gasset affir-
mait en 1935 : « Le progressisme, en plaçant la vérité dans un vague lendemain, a
été l’opium qui a abruti l’humanité81.» Sous le regard critique/démystificateur, la
« religion du progrès » ne peut être que l’opium des peuples modernes.

La foi dans le Progrès (disons : la foi progressiste) enveloppe la certitude que l’amé-
lioration générale du monde pour l’homme a eu lieu et continuera d’avoir lieu.
Elle implique de croire à la promesse de l’amélioration générale de la condition
humaine. Promesse assurément rassurante. Le problème, c’est que « la promesse
n’a pas été tenue82». Ou, du moins, qu’elle a été tenue de façon très insatisfaisante,
avec nombre d’effets pervers. Ou encore, qu’elle a été trop bien tenue, en dévoi-
lant sa véritable logique, qu’on peut qualifier de « totalitaire », s’il est vrai que
« les systèmes totalitaires, avec leurs ambitions grandioses de forger une société
radicalement nouvelle, intégrée par un retour aux valeurs traditionnelles ou, au
contraire, par l’appel de la modernité, ont fini par créer des “enfers sur terre83” ».
Faut-il rappeler que le totalitarisme communiste-stalinien se légitimait au nom du
Progrès ? Un chantre de la « jeunesse du monde » et de « l’avenir radieux », Paul
Vaillant-Couturier, lançait en 1932 : « Qui est contre l’URSS est contre le progrès
humain. » Trois ans plus tard, Staline, à l’apogée de la misère et de la terreur en
Russie, n’hésitait pas à célébrer les « progrès » accomplis sous sa direction éclai-
rée : « La vie est devenue meilleure, camarades. La vie est devenue plus joyeuse.
Et quand on vit gaiement, le travail marche bien84. »

80. Nicolas Berdiaeff, Le Sens de l’histoire. Essai d’une philosophie de la destinée humaine [1923], tr. fr.
S. Jankélévitch, Paris, Aubier-Montaigne, 1948, p. 169.
81. José Ortega y Gasset, « L’histoire en tant que système » (1935), in J. Ortega y Gasset, Idées et
croyances, tr. fr. Jean Babelon, Paris, Stock, 1945, pp. 71-72.
82. Jean-François Lyotard, Le Potsmoderne expliqué aux enfants, op. cit., p. 135.
83. Juan J. Linz, « Épilogues », in Guy Hermet (dir.), Totalitarismes, Paris, Economica, 1984, p. 246.
84. Joseph Staline, Pour une vie belle et joyeuse, Paris, 1935, p. 17. Voir Cornelius Castoriadis, La
Montée de l’insignifiance, op. cit., p. 226.

34
V. Pour conclure : perspectives. Orientations post-
progressistes : développement durable, décroissance,
méliorisme

Que nous le voulions ou non, nous sommes les héritiers de cette forme moderne
de prométhéisme qu’est le progressisme. Que faire de cet héritage, dès lors qu’on
en reconnaît les effets négatifs, voire les conséquences catastrophiques ? Deux
voies peuvent être suivies. On peut choisir de le rejeter totalement dans les « pou-
belles de l’Histoire » ou bien s’engager dans la tâche d’identifier et de repenser,
dans le vaste héritage laissé par les trois derniers siècles, quelque chose comme
une exigence de progrès qui ne se confondrait pas avec ses réalisations historiques
répulsives. C’est la deuxième voie qu’on suivra.

Dans l’héritage des croyances progressistes, ébranlées par la découverte, durant


le court mais terrible XXe siècle, d’une barbarie « scientifisée » et technicisée, dont
les principales conséquences sont les massacres de masse et la dévastation de la
planète, il convient donc de faire un tri, il s’agit de distinguer entre ce qui est mort
et ce qui est vivant.

Ce qui est mort, c’est la thèse nécessitariste du progrès « automatique » et global,


illimité, indépendant de la volonté des hommes85, et ce qui est vivant ou poten-

85. C’est cette conception nécessitariste du Progrès dans l’Histoire qu’on peut appeler
« progressisme ». Sur la longue agonie de la foi dans le progrès, voir Georges Canguilhem, « La
décadence de l’idée de progrès », Revue de métaphysique et de morale, 92e année, n° 4, octobre-
décembre 1987, pp. 437-454.

35
la religion du progrès

tiellement vivant, c’est l’interprétation « mélioriste86» du progrès comme exigence


morale et raison d’agir, sous la condition de substituer à l’unité fictive du Progrès
une multiplicité de progrès partiels, contingents, révisables, liés à des choix démo-
cratiques, dépendant donc de la volonté des hommes. Il n’y a pas à se lamenter de
voir la « religion du progrès » en miettes. Celles-ci sont moins porteuses d’illusion
que le méta-récit triomphaliste qui les articulait par un tour de force rhétorique.
Dans les dernières lignes de L’Opium des intellectuels, Aron notait que « les reli-
gions séculières se dissolvent en opinions dès lors que l’on renonce au dogme87».
Le philosophe britannique James Sully, en 1877, employait le terme « méliorisme »
pour désigner « une conception pratique qui se trouve comme moyen terme entre
les extrêmes de l’optimisme et du pessimisme88». Ni optimisme progressiste, ni
pessimisme de la résignation. Ce que j’appelle « méliorisme » désigne, dans cette
perspective, une réinterprétation possible du progrès, pensé comme une exigence
politique et morale par-delà toutes les formes de sa naturalisation (en termes de
« lois de l’Histoire » ou d’évolution globale naturelle et nécessaire), sous la condi-
tion de reconnaître qu’il n’échappe pas à l’indétermination, à la contingence et à
l’imprévisibilité caractérisant les séries événementielles. Si le « progrès » a un ave-
nir, c’est à la triple condition d’être « déglobalisé », « défatalisé » et « désutopisé ».
L’idée de progrès perd dès lors l’unité et l’unicité qui la constituaient en dogme.
Nous ne pouvons plus nous croire embarqués confortablement dans le vaisseau
unique se dirigeant à grande vitesse vers le meilleur des mondes, quoi que nous
fassions.

86. J’emprunte le terme « méliorisme » (« meliorism ») au philosophe britannique James Sully


qui, l’ayant lui-même emprunté à George Eliot, l’a défini dans son livre Le Pessimisme. Histoire
et critique [1877], tr. fr. A. Bertrand et P. Gérard, Paris, Germer Baillière, 1882, p. 378. Le terme
« meliorist » est utilisé par George Bernard Shaw en 1903, dans Le Bréviaire du révolutionnaire,
inclus dans L’Homme et le Surhomme (tr. fr. Augustin et Henriette Hamon, Paris, Éditions
Montaigne, 1931, p. 249). J’ai redéfini le terme d’une façon sensiblement différente dans mes
travaux sur l’idée de progrès, au cours des années 1990. Voir Pierre-André Taguieff, « Critiques
du progrès et pensées de la décadence. Essai de clarification des visions de l’histoire », Mil neuf
cent. Revue d’histoire intellectuelle, n° 14, 1996, pp. 17-18 ; Id., L’Effacement de l’avenir, op. cit., pp. 286-
287 ; Id., Le Sens du progrès, op. cit., pp. 312-313, 320-331.
87. Raymond Aron, L’Opium des intellectuels, Paris, Calmann-Lévy, 1955, p. 334.
88. James Sully, Le Pessimisme, op. cit., p. 378. Sully définissait ainsi le contenu du « méliorisme » :
« La foi qui n’affirme pas simplement notre pouvoir de diminuer le mal (…) mais aussi notre
habileté à accroître la somme du bien positif. » (Ibid.).

36
la religion du progrès

1. Être mélioriste, c’est d’abord affirmer la valeur des choix faits par des citoyens
libres et responsables, ou plus exactement, responsables parce que libres. Ces der-
niers doivent se préoccuper des effets à long terme de leurs actions. La responsabi-
lité enveloppe le souci de l’avenir, dont on trouve le motif au cœur de la définition
standard du « développement durable » (« sustainable development »), esquissant un
programme d’action conditionnel : « Le développement durable, c’est s’efforcer de
répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations
futures de satisfaire les leurs89. » On sait que la Conférence de Rio sur l’environ-
nement et le développement (juin 1992) a fait entrer l’expression séduisante mais
problématique de « développement durable » dans le vocabulaire politique et mé-
diatique ordinaire90. La réalisation de ce programme d’action se heurte à une dif-
ficulté de principe, qui réside dans la contradiction inhérente à la formule même
de « développement durable », oxymore involontaire. Pour surmonter dans l’ima-
ginaire la tension entre les deux visées (la développementiste et la « durabiliste »),
certains idéologues font appel à l’utopie d’un « autre développement », formée sur
le modèle de l’utopie « altermondialiste » d’une « autre mondialisation », suppo-
sée « possible ». Mais l’invocation magique d’un « alter-développement » ne peut
convaincre que les « alter-développementistes » convaincus.

2. Être mélioriste, c’est ensuite poser un impératif de préservation dans l’esprit


de la vertu de prudence : ni vouloir préserver ou restaurer à tout prix, ni dési-

89. Rapport Brundtland, Notre avenir à tous, Montréal, Éditions du Fleuve, 1987. Pour une
présentation d’ensemble, voir Herman Daly, Beyond Growth : The Economics of Sustainable
Development, Boston, Beacon Press, 1996 ; Sylvie Brunel, Le Développement durable, Paris, PUF,
2004. Pour une discussion critique, voir Dominique Bourg, Quel avenir pour le développement
durable ?, Paris, Le Pommier, 2002 ; Id., « Développement durable », in Sylvie Mesure et Patrick
Savidan (dir.), Le Dictionnaire des sciences humaines, Paris, PUF, 2006, pp. 271-272 ; Marie-Claude
Smouts (dir.), Le Développement durable. Les termes du débat, Paris, Armand Colin, 2005. Pour une
critique radicale aboutissant à une récusation, voir Serge Latouche, Survivre au développement.
De la décolonisation de l’imaginaire économique à la construction d’une société alternative, Paris, Mille
et une nuits, 2004, pp. 51-68. L’économiste Serge Latouche en est venu à défendre le projet
normatif de la « société de décroissance », impliquant une rupture avec la société de marché, son
consumérisme et son productivisme, et la construction d’une « société autonome et économe ».
Voir Serge Latouche, « Décroissance », in Sylvie Mesure et Patrick Savidan (dir.), Le Dictionnaire
des sciences humaines, op. cit., pp. 242-244.
90. Plutôt que par « soutenable » ou « durable », on devrait traduire « sustainable » par
« supportable », comme le remarque le sociologue Alain Gras (Fragilité de la puissance, op. cit.,
2003, p. 107).

37
la religion du progrès

rer transformer sans limites, mais conserver ce qui mérite de l’être, après inven-
taire, évaluation et tri. C’est ce que j’appelle conservatisme critique. Ce qui n’exclut
point de vouloir améliorer, dans la mesure du possible, ce qui nous paraît devoir
l’être. Sans faire violence à la nature, ni à la dignité humaine. Il s’agit d’épargner le
monde, sans le sacraliser, plutôt que de le re-fabriquer selon les variations de nos
désirs, sans souci des conséquences de nos actions.

De nouveaux utopistes, qui méritent d’être qualifiés de « postmodernes » (en dé-


pit de leur militantisme néo-gauchiste), cherchent des raisons d’espérer dans la
« sortie du développement » et attendent désormais le salut d’une « décroissance
conviviale », assurant certes la « survie » de l’humanité aujourd’hui menacée,
mais garantissant aussi une « vie plus agréable91 » dans une « société plus harmo-
nieuse92». Dans cette vague anti-progressiste radicale, prescrivant la « décroissance
durable », se fait jour un discours militant de rupture qui n’est pas dénué de reli-
giosité. À l’utopisme d’un nouveau monde « post-développementiste » possible
s’ajoute l’annonce messianique de l’entrée imminente dans le nouveau monde.

Certains de nos contemporains, haïssant leur époque, se retrouvent dans une si-
tuation comparable à celle des Romains de la fin de la République, dont le malaise
était ainsi exprimé par Tite-Live : « Nous ne pouvons plus supporter ni nos vices
ni leurs remèdes93». Mais le désespoir n’est pas plus un programme d’action que
les remèdes utopistes faisant oublier le réel. Ce sont là des refuges et des drogues.
Face à l’avenir, il ne s’agit pas de s’en détourner, il faut avoir le courage de considé-
rer qu’il dépend désormais, à certains égards, de notre liberté de choix, ou plutôt,
dans une perspective moins naïvement volontariste, qu’il doit dépendre pour une
part essentielle des décisions que nous prenons et prendrons, des choix que nous
ferons face aux possibilités qu’offrent l’évolution technologique dans le contexte
planétaire de l’économie de marché. Celle-ci n’a guère de concurrente sérieuse, en
dépit des critiques aussi virulentes que récurrentes dont elle fait l’objet. Il convient
d’en penser les limites, sans la diaboliser. Et de s’efforcer de lui imposer des règles.

91. Voir Serge Latouche, op. cit., pp. 90-105.


92. Voir Michel Bernard, Vincent Cheynet, Bruno Clémentin (sous la coordination de), Objectif
décroissance. Vers une société harmonieuse, Paris-Lyon-Montréal, Parangon, 2003.
93. Cité par Jacques Ellul, Le Bluff technologique, Paris, Hachette, 1988, p. 95.

38
la religion du progrès

Sans illusions excessives. Mais n’est-il pas permis de rêver dans le sens d’un idéa-
lisme moral ? Rêvons donc, en poseur de normes : cessant d’être un dominateur
à qui tout est permis, l’homme doit devenir responsable de ses actes et de leurs
conséquences à long terme, donc des choix qui déterminent ces actes. La respon-
sabilité pour l’avenir lie inséparablement éthique et politique, en redéfinissant
l’image métaphysique de l’humain.

Sur les ruines de l’arrogance progressiste pourrait naître un pluralisme mélioriste


qui tordrait le cou à la prétention globalisante des programmes enfermant l’avenir
dans quelques formules et engageant à pratiquer la « table rase », à la manière du
progressisme prométhéen qui s’est installé au XIXe siècle. La redéfinition pluraliste
de l’exigence de progrès que nous avons esquissée est la seule compatible avec
l’impératif d’autolimitation, qui suppose l’exercice de la phronèsis, de la sagesse
pratique.

39
L’humanité peut-elle se passer de mythes ?

Dans Les Origines du totalitarisme, en 1951, Hannah Arendt s’adressait à ses lec-
teurs, Modernes tardifs, à demi-désenchantés, pour les prévenir qu’ils allaient de-
voir apprendre à vivre « dans la pénible prise de conscience que rien ne leur a été
promis, aucun âge messianique, aucune société sans classes, aucun paradis après
la mort94». Arendt incitait ses contemporains à aller jusqu’au bout du processus
de sécularisation désillusionnée, c’est-à-dire à abandonner sans reste les consola-
tions fournies par les promesses de bonheur et reconnaître que nous n’avons plus
aucune raison de penser que l’avenir sera meilleur.

En 1957, à la fin de son essai « La société industrielle et la guerre », Raymond


Aron ne se contentait pas de faire ce constat : « Nous avons perdu le goût des
prophéties », qui revenait à congédier l’optimisme industrialiste de Saint-Simon
et d’Auguste Comte autant que l’optimisme catastrophique de Marx. Il ajoutait
cette incitation normative : « N’oublions pas le devoir de l’espérance95. » Quinze
ans plus tôt, au début de 1943, il refusait de déduire de la démythisation l’efface-
ment de l’espérance : « La fin des mythes ne doit pas être la fin de l’espérance96. »
L’espérance peut se fixer sur des fins dernières fort diverses, dont la réalisation im-
plique soit une rupture totale (de la révolution bolchevique à la décroissance), soit
une transformation continue sur le mode du « progrès en pente douce » (Hugo).
Choisir aujourd’hui la voie du développement durable, c’est parier ou espérer que
le « progrès humain » résultera d’une série de limitations apportées au progrès
déshumanisant, destructeur des conditions d’une vie proprement humaine. Ce

94. Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, 3e éd., New York, Harcourt, 1968, p. 436.
95. Raymond Aron, « La société industrielle et la guerre » (conférence, 25 octobre 1957), in R.
Aron, La Société industrielle et la guerre, suivi d’un Tableau de la diplomatie mondiale en 1958, Paris,
Plon, 1959, p. 82.
96. Raymond Aron, « Du pessimisme historique » (La France libre, mars 1943), repris in R. Aron,
L’Homme contre les tyrans, Paris, Gallimard, 1946, p. 260.

40
la religion du progrès

serait « redonner du sens au progrès97», en échappant à la fois à l’enivrement qui


aveugle et à l’effroi qui fatalise le pire, et ainsi paralyse.

Il n’est cependant pas interdit de se demander si l’espérance ne serait pas une fai-
blesse autant qu’une lâcheté, comme le suggérait Spengler98. On peut envisager,
avec le courage requis, de vivre sans le confort de l’espérance, sans les illusions
consolantes qu’il suscite. Mais les humains, postmodernes compris, peuvent-ils
totalement se passer d’espérance ? La désillusion radicale a-t-elle un avenir ? En
1887, Durkheim avait répondu à la question : « La vue du néant nous est un sup-
plice intolérable ; et comme il s’offre partout à nous, le seul moyen que nous ayons
d’y échapper est de vivre dans l’avenir99. » Il y a de bonnes raisons de croire que
la passion de l’avenir restera au cœur de la pathologie des Modernes, même à
l’époque de la modernité finissante. L’avenir de l’illusion progressiste semble être
ainsi assuré. En ce sens, l’avenir a de l’avenir.

97. Nicolas Hulot, op. cit., p. 55.


98. Oswald Spengler, L’Homme et la technique [1931], tr. fr. Anatole A. Petrowsky, Paris, Gallimard,
1958, p. 179 : « L’espérance est lâcheté. » Henry de Montherlant lançait en écho : « L’espérance
est la volonté des faibles ». Mais la faiblesse consciente d’elle-même n’est-elle pas un propre de
l’homme ?
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