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Marreau Lola

Fiche de lecture – Tzvetan Todorov, L’Esprit des Lumières


La description de l’auteur :

Tzvetan Todorov, né le 1er mars 1939 à Sofia et mort le 7 février 2017 à Paris, est un historien des
idées et essayiste français d'origine bulgare. L’Esprit des Lumières a été publié en 2006.
Synopsis : Après la fin des utopies, sur quel socle intellectuel et moral pouvons-nous bâtir notre vie
commune ? Pour Tzvetan Todorov, il n’y en a qu’un : le versant humaniste des Lumières. Ce petit
essai majeur ne se contente pas de dégager une synthèse limpide des grandes lignes de ce courant de
pensée : il le confronte aux évènements tragiques du XIXème et du XXème siècle avant d’interroger sa
pertinence face aux défis de notre temps.

Résumé de l’oeuvre :

I. Le projet

Le projet des Lumières est difficile à catégoriser en raison des sources très diverses des idées et des
nombreux débats qui traversent ce courant.
Trois idées se trouvent à la base de ce projet :
 L’autonomie consiste en le rejet de toute autorité extérieure. Ainsi, la société est libérée du joug
de la religion, la tolérance est de mise. La première autonomie conquise est celle de la
connaissance, qui prend sa source dans la raison et l’expérience individuelle et qui ouvre la voie
à l’épanouissement de la science. L’exigence d’autonomie engendre également une laïcisation de
la société : politique, justice, école, etc.
 La finalité humaine de nos actes : la pensée des Lumière est anthropocentriste. L’objectif est le
bonheur de l’individu
 L’universalité : tout homme possède des droits inaliénables. Les hommes doivent donc être
égaux en droits. L’universalité nous procure un intérêt pour les autres sociétés.
Nous pouvons dresser un constat de ce projet. Tout d’abord, l’esprit des Lumières semble avoir
vaincu ses adversaires, l’idéal a été accepté. Mais les promesses du passé ne correspondent pas à la
réalité contemporaine. « Toute lecture rigidement optimiste de l’histoire relève de l’illusion ». La
perfectibilité humaine engendre le bien tout autant que le mal, par exemple une amélioration
technique peut avoir des effets néfastes. Pour appliquer les idées des Lumières aujourd’hui, il faut
refonder ce courant en le critiquant.

II. Rejets et détournements

La pensée des Lumières a été condamnée par les autorités ecclésiastiques et civiles sur ses valeurs
même. Mais ce sont surtout les détournements des Lumières qui sont critiqués, les extrêmes de cette
pensée sont combattus.
Un des reproches fait aux Lumières est de favoriser le colonialisme, les européens se croyant
porteurs des valeurs universelles. En effet, le colonialisme se défend en se réclamant conforme aux
idées des Lumières mais il ne reflète en réalité qu’un nationalisme, une souveraineté populaire sans
limite.
Un autre reproche est d’avoir favorisé l’émergence des totalitarismes, en rejetant les notions de bien
ou mal divin. L’homme décide alors ce qui est bon ou mauvais et peut donc juger bon « qu’un
groupe d’hommes soit anéanti ». Régime totalitaire et démocratique ont donc les mêmes fondements.
Mais dans la pratique, la société communiste bafoue les principes des Lumières. Le scientisme,
ennemi des Lumières, justifie la violence des régimes nazi ou communistes.
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La morale chrétienne, elle, rejette sur le fond la morale des Lumières. Mais cette dernière s’appuie
potentiellement sur un consensus de toute l’humanité. De plus, « la volonté du peuple est autonome,
pas arbitraire », la morale des Lumières propose un droit reposant sur les principes de justice.
Au final, aujourd’hui comme hier, les Lumières doivent combattre rejets et détournements.

III. Autonomie

« La maxime de penser par soi-même est les lumières ». Cela pose la question de la légitimité du
pouvoir, si l’individu pense par lui-même. Rousseau propose alors que le peuple puisse reprendre son
pouvoir qu’il a oublié au Roi.
Le peuple acquiert son autonomie, mais il vit toujours en société, même si toute vie en société n’est
pas souhaitable. De plus, une extrême autonomie comme Sade la décrit n’est pas réelle, la négation
des autres entraine une autonégation, l’homme naît et vit avec les autres et non seul.
L’autonomie individuelle et collective peuvent tout de même s’affronter. On le voit dans
l’oppression des populations des régimes totalitaires et aujourd’hui dans le sens inverse, certains
individus menacent la souveraineté populaire. Des exemples actuels sont l’importance de certains
financiers et le terrorisme, ou encore l’exercice de nouvelle force contre l’autonomie : médias et
fatalité de la machine économique. L’argent a alors le pouvoir
L’opinion publique menace également la liberté de l’individu. L’individu est conditionné par
l’information qu’il reçoit, c’est-à-dire la mode, ce qui est dans l’air du temps.
Les Lumières favorisent le développement d’un esprit critique pour contrer ces menaces, mais toute
critique doit s’accompagner d’une contrepartie positive pour ne pas sombrer dans le scepticisme.

IV. Laïcité

Pouvoir temporel et pouvoir spirituel menace chacun l’autonomie de l’autre. Église et État cherchent
à se dominer l’un l’autre durant tout le Moyen-Âge et chacun « règne sans partage sur son
territoire ». La Réforme permet à l’individu de limiter le pouvoir religieux et politique, il devient
interlocuteur direct de Dieu.
Puis institutions publiques et traditions religieuses se séparent de plus en plus, notamment avec la
distinction entre délit et péché de Beccaria. Aujourd’hui, la conduite de l’individu se répartit entre
trois sphères : privée, légale et entre les deux, une zone publique. Cet équilibre entre sphères est
fragile et divers selon les pays.
Un autre danger pour l’autonomie de l’individu est l’institution d’une religion d’État à la place de la
religion chrétienne. Le pouvoir politique contrôle alors l’instruction, l’information, instituant une
tyrannie. Cette religion dépasse l’ancienne, elle concerne toute la vie terrestre des individus. On peut
citer en exemple de ces religions d’État le nazisme, le communisme, le fascisme. Le pouvoir
politique se dote du privilège du sacré aux dépends de la religion traditionnelle, laïcité et liberté
individuelle sont éliminés.
La laïcité est remise en cause en occident par le fondamentalisme islamiste, la loi religieuse fait son
retour. En particulier, les libertés individuelles des femmes sont alors bafouées. De nombreuses voix
se lèvent (des femmes musulmanes notamment) pour défendre l’égalité des sexes.
On trouve également le détournement de la laïcité : les démocraties libérales contemporaines
banniraient tout sacré. En réalité, de nombreuses choses restent sacrées dans toutes les sphères (la vie
humaine, l’intégrité du corps, etc.), sans quoi toutes les opinions auraient la même valeur.

V. Vérité

Il faut distinguer le discours qui cherche à promouvoir le bien de celui qui cherche à établir le vrai.
Enseigner des croyances, des valeurs et enseigner la science sont donc deux choses bien différentes.
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Condorcet privilégie « l’instruction publique » à « l’éducation nationale », l’instruction enseigne des


faits, des informations objectives. Un bon gouvernement qui utilise l’instruction est paradoxal : il
donne les moyens aux citoyens de s’en émanciper. L’État ne doit pas participer à l’établissement de
la vérité mais seulement donner les moyens de l’obtenir.
L’autonomie des citoyens et la vie politique sont menacées par le scientisme et le moralisme.
Le scientisme dit que l’ensemble des choses sont connaissables et que nous pouvons en déduire le
bien, la loi naturelle est la seule légitime. A l’époques des Lumières, les philosophes s’affrontent sur
le scientisme. Aujourd’hui, le scientisme prend d’autres formes (certaines ayant été compromises par
les régimes totalitaires) : il suffirait d’avoir les bonnes informations pour prendre les bonnes
décisions. Or, la connaissance n’emprunte pas nécessairement le chemin de la science et « trop
d’informations tue l’information ».
« Le moralisme règne lorsque le bien domine le vrai ». Un exemple en France est l’inscription du
rôle positif de la colonisation française dans les programmes scolaires et donc dans la loi, la vérité
résulte d’un vote (de l’Assemblée en l’occurrence). Or, cela réduit la complexité de l’histoire à une
extrême simplicité. Un député n’est pas légitime pour juger l’histoire, ce n’est pas une affaire de
volonté mais de vérité. « La puissance publique n’a pas droit de décider où réside la vérité ».
Un troisième danger est le rejet de la notion de vérité pratiqué par les régimes totalitaires. Mais
aujourd’hui on voit ce danger dans les démocraties. Aux États-Unis par exemple, la théorie de
l’évolution et les mythes bibliques de la création peuvent être mis au même niveau. L’homme
politique peut également sacrifier la vérité sur l’autel de l’utilité comme le montre de nombreux
autres exemples au États-Unis (Irak, Guantanamo, environnement, etc.). Or, « le souci de vérité est
constitutif de l’espace démocratique […] il ne faut pas jouer avec la vérité ».

VI. Humanité

« Est bon ce qui sert à accroître le bien-être des hommes ». L’homme n’est plus seulement un
moyen, Kant le traite comme fin dans sa célèbre maxime.
L’homme cherche les clés du bonheur. Il est d’abord à trouver chez les autres, par l’amour. Certains
veulent que l’État soit en charge de procurer du bonheur aux individus mais dans nos démocraties,
l’État doit seulement enlever les obstacles au bonheur et non l’assurer. La religion combat ce
recentrage sur l’homme et dans le même temps, d’autres individus cherchent le bonheur sans aucune
régulation de leurs désirs.
Aujourd’hui, la pensée des Lumière est détournée : la finalité n’est plus humaine mais disparait, « on
dirait que si une chose est possible, elle doit devenir réelle ». Cela semble se vérifier dans la
politique, certains homme politiques utilisent leur pouvoir de manière à le conserver comme le
montre le référendum sur la constitution européenne en 2005 en France.
Le mouvement qui consiste à transformer un but en moyen se retrouve dans l’art avant son apparition
dans d’autres domaine. Au XVIIIème siècle, des peintres peignent seulement pour la beauté de leur
œuvre, c’est « l’art pour l’art ». Mais cela représente un danger lorsque ce mouvement se traduit
dans les sciences ou en politique, que la finalité humaine est oubliée.

VII. Universalité

Tous les hommes ont droit à la même égalité, l’État doit donc donner aux citoyens une égalité devant
la loi selon Rousseau. Aujourd’hui encore, l’exigence d’égalité est d’actualité. Les penseurs des
Lumières condamnent également l’esclavage.
L’universalité se caractérise par le fait d’appartenir au genre humain avant d’appartenir à son pays.
La généralisation « produit le critère de justice », Kant fonde sa morale là-dessus. Selon certains
auteurs, il existe des droits naturels, se rapprochant des principes de morale.
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Mais certains États rejettent encore les droits de l’homme, en appliquant par exemple la peine de
mort alors qu’elle imite l’assassinat. Une autre de ces transgressions est la torture : en Algérie, aux
temps du nazisme, dans les prisons. Elle est même revendiquée au nom de la sécurité, alors qu’elle
bafoue les droits de l’homme et la loi.
Dans l’autre extrême, si les droits de l’homme sont le repère incontestable, le bien domine trop sur le
vrai. Droit et morale ne doivent pas être confondu. Si un pays s’octroie un droit d’ingérence, tout
comme pour la torture, « le moyen utilisé annule la fin recherchée ». « On ne peut atteindre une fin
noble par des moyens ignobles ».
Malgré tout, même si on reconnaît la différence de l’autre, nous sommes liés dans une commune
humanité, « l’égalité des droits n’est pas négociable ».

VIII. Les Lumières et l’Europe

L’esprit des Lumières apparait à travers les époques et les pays. On retrouve ainsi la tolérance
religieuse en Inde, en Chine, l’autonomie du pouvoir politique ou de la connaissance, l’universalité.
Ces recommandations sont plus ou moins respectées dans le temps selon les pays.
Mais le mouvement des Lumières s’accélère bel et bien en Europe. Cela est liée au fait que l’Europe
soit relativement unie et que les penseurs aient beaucoup voyagé entre les différents pays d’Europe.
L’éclatement de l’Europe en de nombreux pays en fait sa force : ils sont reliés par le commerce et la
politique mais créent un espace de liberté. La pluralité permet la critique des idées émanant de
chaque pays par les autres pays.
La difficulté est de tenir compte de cette pluralité à l’échelle d’un pays lorsqu’il est question de
former un espace politique. Selon Rousseau, la volonté générale permet de prendre en compte les
différences alors que la volonté de tous est dans la pratique inaccessible. L’individu doit se détacher
de sa partialité et penser pour l’intérêt général, se mettre à la place des autres individus.
L’Europe peut aujourd’hui se construire à partir des idées des Lumières. Elle garderait sa diversité
mais se rassemblerait autour de principes communs comme l’examen de l’histoire nationale à partir
de points de vue étrangers. L’Europe est distincte des autres espaces par sa capacité à intégrer les
différences. Enfin, elle est indubitablement liée aux Lumières : « sans l’Europe, pas de Lumières ;
mais aussi : sans les Lumières, pas d’Europe ».

Au final, il est nécessaire de « garder vivant l’esprit des Lumières », qui permet de combattre ses
adversaires (obscurantisme, autoritarisme, etc.) et ses détournements comme le scientisme ou
l’individualisme.

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