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org/editionscnrs/13740
Essai de définition
Hermès, une revue pionnière
Les travaux actuels sur l’espace public
Articulation des textes présentés
Dominique Wolton
Les contradictions de l'espace public médiatisé
1 - La tyrannie de l'événement
2 - Le « bocal » médiatique
3 - Une communication sans interdits
4 - La standardisation
5 - La personnalisation
6 - L'identification action-communication
7 - Le thème de la transparence
8 - L'irénisme* communicationnel
9 - Le « village global »
10 - Un espace public sans frontières
Peter Dahlgren
L'espace public et les médias : une nouvelle ère ?
Les configurations institutionnelles : une nouvelle ère médiatique
Le domaine de la production du sens
Thierry Paquot
L’espace de la parole
Le café un lieu d’inclusion et d’exclusion
Les discussions alimentées par la presse naissante
Un lieu convivial qui amplifie la parole publique
Bernard Floris
Espace public et sphère économique
L'espace public symbolique
Un espace public inégal et conflictuel
Les rapports de l'espace public et de l'économie
L’irruption hégémonique du marché et de l'entreprise dans l'espace public
L'espace public soumis à l'économie de marché
L'espace public renouvelé par l'économie solidaire ?
Solidarité, équité et débat public
Économie et espace public réconciliés
Au-delà de l'économisme
Étienne Tassin
Espace commun ou espace public ?
Présentation générale
L’espace public : un concept clef de la démocratie
Éric Dacheux
p. 5-12
2 Cet astérisque renvoie, dans l’ensemble des textes, à des définitions présentées dans
le glossaire (...)
2Le concept d’espace public soulève de nombreuses difficultés. La première est liée
au succès même de ce concept. Il est utilisé par les chercheurs pour appréhender la
vie sociale, mais ce travail de recherche est, à son tour, repris par les acteurs
sociaux pour modifier la réalité sociale. Un exemple ? La Commission européenne
lors de la préparation du Livre Blanc* 2 sur la gouvernance (1999) a mis sur pied une
sous-commission « Espace public européen ». Décision qui a eu des effets matériels
et symboliques venant modifier la réalité analysée. Dès lors, plus qu’un écart
classique entre usage public et usage scientifique d’un concept, on assiste à un
enchevêtrement de sens. Le même terme renvoie, chez les acteurs comme chez les
chercheurs, à des acceptions différentes se recoupant partiellement : l’ensemble des
espaces non domestiques, les lieux physiques où se rassemble un public, les
espaces médiatiques où se déploie le débat politique, les instances démocratiques
soumises au principe de publicité, etc. La seconde difficulté, étroitement liée à la
première, tient à l’ambiguïté du concept d’espace public. Tout d’abord, ce terme
rend compte d’une réalité sociale historique concrète, mais renvoie à une
conception normative* de la vie démocratique. Ensuite, il fait référence à un concept
unique, mais s’incarne dans des réalités extraordinairement diverses (télévision,
place publique, etc.). Cette double ambiguïté explique pourquoi de nombreux
chercheurs remettent en cause l’intérêt de ce concept : certains parce qu’ils
n’adhèrent pas aux valeurs libérales sous-tendant cette notion (Bourdieu, par
exemple), d’autres parce qu’ils doutent de l’existence concrète, historique, d’un
espace public3. Malgré ces critiques, le concept d’espace public irrigue l’ensemble
des sciences humaines et sociales. Ce qui autorise un dialogue transdisciplinaire sur
ce thème, mais qui, en même temps, génère de nombreuses incompréhensions
puisque, d’une discipline à l’autre, le sens se déplace légèrement, si bien que
l’historien, l’architecte ou le philosophe qui parlent d’espace public n’évoquent pas
tout à fait la même chose. Il convient donc de définir, ici, ce que nous entendons par
« espace public » non pour imposer un sens, une définition « légitime », mais pour
faciliter la compréhension, donc la critique, des propos tenus.
3Nous nous intéressons, dans cet ouvrage, à l’espace public en tant que fondement
de la démocratie4. Une telle acception de l’espace public renvoie, à travers le
concept de « communauté politique », à celle d’un lien social qui ne se noue pas
seulement dans des solidarités primaires (propres à un groupe culturel particulier,
un village breton, par exemple), mais qui se construit également dans des
solidarités secondaires (entre individus appartenant à des groupes culturels
différents, comme c’est le cas pour un État-nation, comme la France). Les prémices
de cette acception politique de la notion d'espace public se trouvent dans deux
textes d'Emmanuel Kant parus en 1784. Dans le premier, « Idée d'une histoire
universelle au point de vue cosmopolitique », Kant affirme que : « Chez l'homme (en
tant que seule créature raisonnable sur terre) les dispositions naturelles qui visent à
l'usage de sa raison ne devaient être développées complètement que dans l'espèce,
mais non dans l'individu ». C'est pourquoi, afin d'atteindre le « dessein suprême de
la nature », à savoir établir une « constitution civile parfaitement juste », l'homme
doit être libre de raisonner publiquement avec ses semblables. C'est, en tout cas, la
thèse qu'il défend dans Réponse à la question, qu'est-ce que les Lumières. En effet,
l'individu « ne peut s'arracher tout seul à la minorité [...]. En revanche, la possibilité
qu'un public s'éclaire de lui-même est plus réelle ; cela est même à peu près
inévitable pourvu qu'on lui en laisse la liberté ». Cet usage public de la raison qui
permet aux hommes de se dégager « eux-mêmes peu à peu de leur grossièreté »
influe sur « la mentalité du peuple (ce qui le rend peu à peu plus apte à agir
librement) et finalement sur les principes même du gouvernement [...] ». L'espace
public moderne, issu des Lumières, serait donc un espace de médiation entre l'État
et la sphère privée où les citoyens délibèrent publiquement des questions
politiques.
and Po (...)
La première, libérale, est axée sur les droits individuels. Toutes les idées sont
équivalentes et doivent être respectées. En conséquence, pour éviter qu’une idée
s’impose aux autres, l’espace public doit être neutre. Ce n’est pas le lieu du
débat public, mais l’espace où la somme des opinions individuelles devient
l’opinion publique perceptible par tous.
La seconde, républicaine, est basée sur le devoir de participation politique.
Chaque citoyen peut et doit participer à la définition de l’intérêt général par son
engagement dans l’espace public. C’est la participation de chacun qui renforce la
démocratie.
La troisième est systémique. Elle met l'accent sur la division de nos sociétés
complexes en sous-systèmes se régulant indépendamment des citoyens. Chaque
système est autopoïétique* et obéit à une logique qui le distingue et le sépare
des autres (la logique de profit sépare le système économique du système
administratif par exemple).
8Hannah Arendt, de son côté, interroge elle aussi, le brouillage public/privé, mais à
partir d’une analyse historique : celle de l’espace public antique. Selon elle, l’espace
public n’est donc pas né au XVII siècle comme le soutient Habermas, mais deux
e
Essai de définition
9Dans une vision synthétique qui tient compte des travaux d’Habermas, d’Arendt et
de Sennett, nous pouvons donner une première définition : l’espace public est, tout
à la fois :
1. Le lieu de légitimation du politique. C’est par l’espace public que les citoyens ont
accès aux informations politiques, qu’ils peuvent débattre et se forger une
opinion et qu’ils choisissent les personnes qui exerceront le pouvoir politique.
C’est par l’espace public que les citoyens se sentent non seulement destinataires
du droit, mais aussi auteurs de ce droit.
2. Le fondement de la communauté politique. L’espace public est un espace
symbolique qui permet de relier entre eux des individus appartenant à des
communautés ethniques ou religieuses diverses afin de former une communauté
politique commune.
3. Une scène d’apparition du politique. C’est sur l’espace public que les acteurs
politiques se mettent en scène et où les problèmes publics deviennent visibles et
sensibles.
traditions et c (...)
10 SMITH, A., « L’espace public européen : une vue trop aérienne », Critique
Internationale, n 2, 199 (...)
o
passionnés d’un débat d’opinion mêlant étroitement raison et émotions. Mais ces
interactions peuvent se traduire non plus par des discours, mais par des gestes
politiques concrets (rassemblements, marches, barrages, etc.) ou des engagements
durables comme l’illustre le militantisme associatif. C’est ce que rappelle le
quatrième texte, proposé par Bernard Floris, qui étudie les rapports entre espace
public et sphère économique à l’aide d’initiatives militantes (commerce équitable,
système d’échanges locaux, etc.) regroupées sous le terme « d’économie solidaire ».
Cet « Essentiel » se termine par un article d’Étienne Tassin qui, en philosophe,
propose une distinction qui a fait date entre « espace commun » et « espace
public ». Le premier réunit, en les liant, les membres d’une même communauté, le
second relie, sans les lier, les membres de communautés différentes et fonde ainsi
une communauté politique. Pas de démocratie sans distance nous rappelle ainsi le
philosophe. Puisse cet « Essentiel » permettre au lecteur de prendre ses distances
critiques avec les visions démoniaques ou les représentations angéliques de la
démocratie contemporaine.
12 1. On trouvera des références explicites à cette problématique dans les articles
suivants :
3J'ai suffisamment insisté ailleurs 13 sur le fait que la communication n'est pas
antinomique avec la démocratie de masse mais qu'elle en est au contraire une
condition structurelle, pour qu'il soit nécessaire d'y revenir. Je voudrais plutôt
examiner ici un certain nombre de contradictions liées au fonctionnement de cet
espace public élargi, caractéristique de la démocratie de masse. Moins, pour
remettre en cause son rôle et son statut, que pour analyser les dysfonctionnements
consécutifs à son avènement.
5L'espace public médiatisé est un des lieux symboliques, parfois le seul, où peut se
gérer cette caractéristique contradictoire des sociétés actuelles.
6C'est également un espace dans lequel la presse écrite et les médias audiovisuels
jouent un rôle considérable en termes d'information et de communication. Non
seulement parce qu'ils sont nombreux, libres et en concurrence, mais aussi parce
que l'élargissement du champ de la politique leur confère un rôle central, tant pour
la production que la diffusion de l'information. Les sociétés ouvertes doivent
disposer d'un moyen de relation à l'autre : c'est la fonction de l'information, récit
d'un monde qui élargit sans cesse ses frontières, mais qui s'adresse à une
communauté bien particulière beaucoup plus réduite et en général, nationale. Les
sociétés ne peuvent s'ouvrir les unes sur les autres qu'à la condition de conserver
leur identité. Communication et identité ne sont donc pas antagonistes, mais
substantiellement liées. La communication peut multiplier la diffusion
d'informations de plus en plus nombreuses, venant de tous les coins du monde,
uniquement parce qu'il existe simultanément des communautés restreintes de
réception et d'interprétation de ces informations.
7Enfin, c'est un espace public marqué par la présence des sondages. Ceux-ci
construisent une représentation constante de l'opinion publique. L'information des
médias sur les événements d'une part, et l'information des sondages sur l'état de
l'opinion d'autre part sont la condition de fonctionnement de l'espace public élargi
de la démocratie de masse. On y retrouve les caractéristiques de la société
individualiste de masse avec la gestion de trois paramètres souvent contradictoires :
la liberté et la pluralité de l'information ; la valorisation de l'individu ; une société
marquée par le nombre et la standardisation.
1 - La tyrannie de l'événement
9Le premier paradoxe est « la réduction » de toutes les échelles de temps à celle de
l'événement. C'est l'impérialisme du news, de l'instant et du direct. Le temps de
l'information est littéralement réduit à la seule durée de l'instant. Il n'existe que ce
qui surgit. Le triomphe de l'information est la conséquence d'un double
changement : l'élargissement du champ de la politique, lié à la victoire de la
démocratie et les fantastiques progrès sur le plan technique, sur la production, la
diffusion et la réception de l'information. Toute la difficulté vient de ce double
changement, politique et technique, l'un n'étant évidemment pas sans rapport avec
l'autre. Le changement technique dans l'information a permis de réaliser les rêves
les plus audacieux en donnant au citoyen le moyen de savoir ce qui se passe le plus
rapidement et le plus complètement possible – quasiment partout en direct.
10Résultat ? Le direct qui était hier à la fois l'horizon de l'information et son idéal
devient le pain quotidien, l'ordinaire. L'effet de ce changement de proportion sur la
chaîne de l'information est considérable car le direct apparaît en quelque sorte
comme le standard, dont l'effet est encore renforcé par le poids de l'image. La
chronologie de l'information est aujourd'hui étalonnée par rapport « au direct » alors
même que de très nombreuses situations d'informations ne justifient pas un tel
rythme ni une telle échelle de temps, ni surtout une telle échelle de compréhension.
Si le direct s'impose pour certains événements, il ne peut s'imposer comme la norme
et l'idéal de l'information. La domination d'un modèle de l'information marqué par
l'urgence et l'événement a nécessairement un impact très lourd sur toute la
conception de l'information : l'honnêteté d'une émission se jugerait simplement au
fait d'être « en direct ». La valorisation de l'instant est déjà très forte puisque tout ce
qui est neuf et nouveau est privilégié, tout ce qui est lent et complexe a tendance à
être évacué. Quel événement peut durer plus d'une semaine dans les médias ? Tout
ce qui dure trop longtemps lasse et n'attire plus l'attention. Il y a évidemment une
contradiction entre la rapidité de l'information, la simplification qui en résulte et la
complexité de l'histoire et des problèmes de société.
11La contradiction croissante entre la logique de l'information événementielle et le
rythme du fonctionnement de la société résulte assez directement du triomphe de
l'information. Mais la politique, et encore moins la société ne vivent au simple
rythme de l'événement et du direct. La démocratie nie le temps qu'il lui a fallu pour
advenir.
2 - Le « bocal » médiatique
12La victoire de l'information aurait dû rapprocher les journalistes, les hommes
politiques, et en général les élites, du reste de la société. En effet, l'omniprésence
des médias et des sondages permet de « tout savoir sur tout ». Pourtant, « la classe
médiatique, intellectuelle et politique » n'est pas plus proche des problèmes de
société qu'hier, même si elle a très exactement le sentiment inverse. En effet, cette
connaissance élargie de la réalité est très « médiatisée », c'est-à-dire liée à des
informations, et dépend de moins en moins de l'expérience. À cet éloignement
inévitable de l'expérience s'ajoutent les biais qu'introduisent les journalistes et les
médias dans l'appréhension de la réalité. Il y a une « connaissance » de la réalité qui
demande du temps, et une certaine expérimentation, les deux étant en quelque
sorte antinomiques avec le schéma rationnel de l'information qui domine dans nos
sociétés, avec la logique de l'événement, l'instantané des sondages, la sécheresse
des statistiques et la distance des enquêtes.
13En d'autres termes, il n'y a pas de lien direct entre appartenir â la même élite
culturelle, aujourd'hui plus nombreuse et plus « mélangée » qu'hier, et connaître
mieux la réalité, même si l'on en est mieux informé. Non seulement l'usage des
mêmes informations et des mêmes données tend à développer une vision identique
du monde, mais surtout l'existence d'une « communauté des élites » aboutit à un
processus d'auto-légitimation. Les élites ont moins le sentiment de tout savoir que
de savoir l'essentiel, d'autant qu'elles voyagent beaucoup plus que la moyenne des
autres catégories sociales et culturelles et qu'à l'étranger, elles rencontrent le plus
souvent des populations qui ont des caractéristiques socio-culturelles identiques.
Contrairement à ce que l'on n'aurait pu penser, l'omniprésence de l'information ne
donne pas aux élites le sentiment d'une réalité de plus en plus complexe, elle crée
exactement le sentiment inverse.
14Le risque de coupure est également renforcé par l'effet de saturation que le public
peut avoir à l'égard d'un flot continu d'informations. Le paradigme dominant
de l'information news conduit à une consommation accélérée d'information qui
s'accompagne d'un phénomène inévitable de rejet. Au bout d'un moment personne
ne peut vivre sous « le bombardement médiatique ». La réaction à l'égard de la
saturation d'information conduit à rejeter en même temps les médias et « la classe
médiatico-intellectuello-politique ». L'ouverture de l'espace public aboutit à l'effet
paradoxal de refermement des différents composants de l'élite politique, culturelle
et scientifique sur elle-même, alors que de bonne foi cette élite pense mieux
intégrer les différents paramètres de la réalité.
17Il n'y a pas d'espace public sans règles, et sans respect de certains principes
d'intérêt public. Le premier concerne l'équilibre à maintenir entre les médias publics
et les médias privés et entre les médias généralistes et les médias thématiques,
justement pour éviter de trop gros déséquilibres de communication au sein de
l'espace public. II est à la fois difficile de reconnaître que l'espace public est le lieu
central de la démocratie, en termes d'émission et de discussion de messages et ne
pas admettre l'impérieuse nécessité d'un minimum de réglementation en ce qui
concerne son fonctionnement et notamment pour les médias. Pourquoi l'idée de
l'intérêt général disparaît-elle au moment où l’on reconnaît le rôle déterminant des
médias et de l'opinion publique dans l'espace public ?
4 - La standardisation
19La multiplication des échanges, au sens où un plus grand nombre d'acteurs
s'exprime sur un plus grand nombre de sujets, impose que les uns et les autres
utilisent partiellement les mêmes codes. Ce code, c'est celui du discours laïc et
rationnel dominant dans l'espace public démocratique, et très largement marqué par
le discours politique. C'est en effet à travers les catégories politiques que les acteurs
appréhendent le monde, construisent leurs discours et leurs oppositions. C'est
parce que les uns et les autres utilisent plus ou moins le même langage politique,
même s'ils le font au travers de discours conflictuels, qu'existe ce minimum
d'intercompréhension que l'on observe dans les démocraties pluralistes. Le prix à
payer à l'élargissement de l'espace public est donc la prédominance du discours
politique, le seul compris par tous. Mais cette « unification », toute partielle et
simple condition d'une communication possible, conduit inévitablement à un certain
appauvrissement, car le code politique appliqué à la plupart des sujets de société
est nécessairement réducteur. Les exemples, sans doute les plus notoires de cet
envahissement du discours politique, concernent la manière dont la mort, la
sexualité, les manipulations génétiques, la religion, sont aujourd'hui abordées sur le
même mode que l'économie, les élections, la fiscalité... Comme si l'existence d'un
autre type de discours avait quelque chose d'insupportable.
5 - La personnalisation
21L'élargissement de l'espace public et le rôle croissant des médias accentuent les
phénomènes de personnalisation. Certes, il n'y a pas de politique sans
personnalisation, et c'est ce qui en fait finalement sa grandeur, mais il faut
néanmoins admettre que la généralisation de la communication médiatisée, à
destination d'un grand public, accentue encore ce processus. Même si c'est à cette
condition qu'une bonne partie du public peut comprendre des questions
nécessairement techniques, et ardues de la société moderne. La complexité et la
technicité de nombreux dossiers s'accommodent mal de ce traitement personnalisé
de la politique. La plupart du temps, il n'y a pas de concordance entre l'existence
d'un problème, le temps nécessaire à son émergence dans l'espace public, la prise
de conscience qu'en ont les citoyens et la rapidité avec laquelle il est traité dans les
médias, avant de ressortir du cercle de lumière médiatique. Ramener la politique à
une question humaine a l'avantage de rappeler son caractère « solutionnable » mais
a l'inconvénient de l'inscrire dans le calendrier des échéances électorales
pratiquement jamais adéquat à leur solution. Il y a non seulement un risque de jeu
de miroir, d'identification croisée, mais aussi « de perte de définition » dans un tel
mécanisme. Ce que l'on gagne en personnalisation et en temps court, on le perd en
compréhension de la complexité et de la durée des problèmes.
6 - L'identification action-communication
22En politique, l'action est inséparable de la communication, surtout en démocratie,
où les hommes politiques doivent expliquer leur décision pour gagner les élections,
ou leur réélection. De toutes façons, une bonne partie de l'action devient
indissociable d'une stratégie de communication pour obtenir l'acquiescement du
plus grand nombre. Et chacun sait bien depuis longtemps que « parler c'est agir »,
notamment en politique, et progressivement cette assimilation entre communication
et action se renforce comme on le voit dans le rôle que joue la télévision dans la
politique. Les hommes politiques, après avoir cru utiliser la télévision à leur profit
pour séduire les citoyens, ont compris qu'il ne leur suffisait pas de parler pour
convaincre et que celui qui contrôlait les « tuyaux » ne contrôlait pas forcément les
opinions publiques et encore moins les votes. Bref, il y avait une autonomie, souvent
étonnante de la part des récepteurs que l'on a pourtant longtemps crus passifs et
manipulables ! Mais les hommes politiques ont aussi compris, à l'inverse, que sans
communication, ils n'ont aucune chance de se faire comprendre. Si l'attitude à
l'égard du processus de communication a changé en passant d'une idée simple « il
suffit de parler pour convaincre » à l'idée plus complexe « il faut en tous cas parler
et c'est le public qui se fera sa propre idée », ce qui n'a pas changé c'est
l'importance de la communication.
23La part de la communication dans l'action ne cesse de croître avec le risque d'un
renversement du rapport entre les deux, au profit cette fois de la communication.
D'autant que les médias ne cessent de faire pression pour que les hommes
politiques se justifient, s'expliquent, « au nom du droit des citoyens à savoir ». En
outre, dans un système de communication où le rôle des sondages, comme capteurs
partiels de l'opinion publique ne cesse d'augmenter, les hommes politiques ont
beaucoup plus qu'hier tendance, quoi qu'ils disent, à modifier leur image et leur
discours en fonction des informations que leur apportent les sondages. Ils ont beau
rappeler la nécessité de ne pas confondre sondages et élections, ils sont enclins,
dans une démocratie de masse où par nature ils ne « voient » ni le public ni ses
réactions, à considérer les sondages comme de bons indicateurs.
7 - Le thème de la transparence
26Il résulte de la place croissante accordée à la communication et des deux
mouvements complémentaires qui lui sont liés.
28L'idée simple est que médias plus sondages donnent une assez bonne visibilité de
la réalité sociale et de ses différents composants. Surtout, médias et sondages sont
considérés comme des capteurs essentiels des problèmes à venir, alors même que
la plupart du temps ils ne font qu'enregistrer ce qui survient et n'ont pas vocation à
une fonction anticipatrice. Et c'est là que réside la contradiction. Médias et sondages
produisent plutôt les informations sur ce qui arrive, même si l’on espère
confusément trouver également dans leur information, une anticipation des
problèmes à venir. Anticipation qu'ils n'apportent pas souvent car tel n'est pas le
rôle. Même s'ils avaient cette fonction anticipatrice, il n'est pas certain que les
responsables politiques prendraient ces anticipations pour certaines, car il y a déjà
suffisamment de problèmes à gérer pour ne pas avoir à s'encombrer avec ceux qui
ne se posent pas encore de manière aiguë ! Si chacun admet que l'information des
médias et des sondages ne constitue pas une anticipation, mais la plupart du temps
une photographie de l'instant, chacun souhaite y voir, cependant une dimension
anticipatrice, sans pour autant s'y sentir lié ! Cette ambiguïté est encore renforcée
par le poids des chiffres. On souhaite en effet implicitement que les sondages, par
le simple fait qu'ils sont chiffrés, donneront une vision complémentaire, et parfois
plus rigoureuse de l'information fournie par les médias.
29En se calquant sur le modèle de la politique, – le caractère plus ou moins
représentatif de ce qui est avancé –, l'information risque de perdre ce qui est sa
force, et sa légitimité : faire le récit de l'histoire. De toute façon, la représentativité
en politique est très différente de celle qui prévaut dans les sondages, car en
politique chacun par le vote donne ultérieurement sa décision. Par contre on ne vote
pas pour la plus grande partie des phénomènes de société abordés aujourd'hui par
ces sondages. Et l'information qu'ils apportent est inéluctablement renforcée par la
légitimité qui en démocratie entoure tout ce qui est « représentatif ». À ceci près
qu'ici il n'y a pas la contre-épreuve de l'élection. Le risque est donc que les
sondages apparaissent comme une sorte de complément ou de forme dérivée de la
légitimité politique, sans en avoir la signification. Risque d'autant plus grand que le
nombre de problèmes entrant dans la sphère politique ne cesse de s'accroître et
donc de légitimer cette dimension de représentativité liée à la politique.
31Car il n'y a pas de continuité entre la vision de la société fournie par les médias,
les sondages et la politique, même si les trois parlent évidemment de la même
réalité. Il est souhaitable de conserver cette hétérogénéité de représentation. Plus la
politique envahit l'ensemble de la société, et plus la communication joue un rôle
important dans cette même société, plus il faut faire cohabiter des représentations
différentes de la société pour éviter une fausse homogénéité, donc une fausse
transparence. Le prix à payer de cette fausse transparence serait le surgissement de
conflits d'autant plus inexplicables, qu' a priori, le dispositif réunissant la politique,
les sondages et les médias aurait dû permettre de voir l'essentiel.
8 - L'irénisme* communicationnel
32La démocratie suppose un langage partiellement commun pour que les
oppositions idéologiques se jouent sur un mode communicationnel et non sur celui
de la violence physique. Le passage de la violence à l'affrontement, plus ou moins
argumenté, constitue d'ailleurs un signe de maturité politique et l'on mesure en
général le développement de la démocratie à l'entrée d'un nombre croissant
d'aspects de la réalité sociale dans l'espace public. C'est-à-dire dans un espace où
les mots remplacent les coups. Le risque est évidemment de confondre la dimension
communicationnelle nécessaire à l'affrontement politique avec un consensus
politique. De confondre l'acceptation d'un code commun de communication avec un
consensus. Parler la même langue n'implique nullement être d'accord. Ceci chacun
le savait tant que l'espace politique était étroit. Dès lors qu'il s'élargit, avec une
tendance à traiter tous les problèmes de société dans l'espace public et donc à
généraliser ce vocabulaire commun minimum, la tentation est grande de confondre
partiellement le langage commun nécessaire à la communication politique, avec un
accord sur le fond des problèmes.
9 - Le « village global »
35Le changement essentiel, dans le domaine de la communication en cinquante ans,
résulte dans la mondialisation des techniques de communication. Hier, seules les
agences de presse avaient une couverture partiellement « mondiale » des
événements. Aujourd'hui, grâce à l'alliance de l'informatique, des
télécommunications et de l'audiovisuel n'importe quel événement jugé important au
bout du monde peut être couvert. Les satellites ont encore accentué cette
possibilité, généralisant une information en temps réel. Du point de
vue technique, nous ne sommes pas loin du village global dont parlait Marshall Mac
Luhan. Mais plus il est facile de communiquer d'un point de vue technique, plus on
s'aperçoit de la différence de nature entre technique de communication et contenu
de la communication.
36Il ne s'agit pas de « voir » ou de connaître les événements du monde pour savoir,
encore faut-il s'y intéresser. Et non seulement personne ne s'intéresse à tout, mais
plus il est facile de produire et de diffuser de l'information, plus on réalise que les
conditions de réception sont difficiles et limitées. À l'ouverture de la communication
s'oppose la fermeture de la réception. Hier, les limites de la communication venaient
des contraintes de production et de diffusion et l'on s'inquiétait peu des conditions
de réception, d'autant que le volume d'information était limité.
39Il n'y a pas de compréhension sans une certaine durée : il faut du temps,
beaucoup de temps pour comprendre, un temps en tout cas plus long que le temps
de la production, de la diffusion et de la réception de l'information. Un écart se
creuse donc entre la rapidité de « information et la nécessaire lenteur de sa
compréhension ». La deuxième condition est le partage de valeurs communes pour
décoder et « comprendre » à peu près de la même manière les informations que l'on
reçoit. Le problème principal pour l'avenir de la communication, réside dans la
redécouverte de la complexité des facteurs mobilisés dans ce que l'on appelle d'un
terme général « la réception ».
46Autrement dit soit l'on souscrit au modèle démocratique initial ; et l'on voit dans
le mouvement quasiment synchronique, d'un nombre croissant de problèmes
débattus dans un espace public lui-même sans cesse élargi, avec des processus de
communication eux-mêmes de plus en plus nombreux, la condition d'un « bon
modèle de fonctionnement politique ».
48On assiste donc à un changement du point de vue normatif dans les relations
entre communication et action. Si hier les deux étaient normativement liés au
modèle démocratique, force est de reconnaître que la victoire du modèle
démocratique, et donc de la communication oblige au contraire à les disjoindre.
D'autant plus les différencier au plan normatif, qu'ils sont liés sur le plan
fonctionnel. C'est pour préserver les conditions de fonctionnement d'un espace
public élargi au sein d'une démocratie de masse largement médiatisée qu'il est
souhaitable de maintenir, plus que par le passé, une différence de nature entre
information, communication et action politique.
3Les chaînes publiques ont toujours joué un rôle mineur aux États-Unis dans un
système presque totalement commercial. En Europe occidentale, les chaînes de
service public ont vu leurs conditions historiques d'existence se désagréger à
grande vitesse, ce qui a conduit bien des pays à capituler devant les impératifs
commerciaux, l'État contribuant à ces changements au lieu de leur résister. L'espace
public moderne semble alors être redevenu « l'espace public de représentation » de
l'époque médiévale, époque durant laquelle les élites se donnaient en spectacle aux
masses, tout en utilisant les lieux publics pour communiquer entre elles.
4Le progrès politique ne consiste certes pas à défendre contre les privatisations les
monopoles actuellement financés par l'État. Ceux-ci se sont souvent avérés élitistes,
vulnérables à l'intervention de l'État et de plus, languissants. Il s'agirait plutôt de
jeter les bases d'un système de radio et de télévision répondant à l'intérêt public,
libéré à la fois de l'intervention étatique et des nécessités de la commercialisation,
système qui, en respectant la diversité des informations, des opinions et des formes
d'expression, favoriserait l'exercice actif de la citoyenneté 15.
7Toutes ces réflexions ne font que confirmer l'importance des thèses d’Habermas
sur la responsabilité des médias modernes face au déclin de l'espace public.
Évidemment, ce message est bien connu. C'est celui que les théoriciens critiques
n'ont cessé de répéter depuis des années. Sur le statut politique et culturel des
médias, une même logique est à l'œuvre, et depuis fort longtemps. Ce qui était vrai
au début des années 1960, l'est toujours aujourd'hui, à ceci près que la situation a
empiré. Devant ce sombre tableau, il semble qu'il ne nous reste alors plus qu'à
procéder à quelques retouches. Il faut, en somme, le remettre à jour, de temps en
temps ; le compléter de données plus récentes sur les structures, les messages ou
les publics. Pourtant, il y a un danger à s'en tenir à cette condamnation globale. Elle
risque de mener à une vision déformée, si on ne tient pas compte des tensions et
des contradictions internes aux médias, si on ignore les fissures et les craquements
qui s'y manifestent.
10Sur le front intérieur, l'État doit faire face à la diminution de ses marges de
manœuvre administratives et politiques, et à une inertie parlementaire que traduit la
convergence croissante des programmes des différents partis.
11Lorsque des initiatives politiques majeures connaissent le succès – dans les États-
Unis de Reagan, dans la Grande-Bretagne du thatchérisme des années 1980 – il en
résulte des traumatismes sociaux dont les milieux populaires font les frais. On voit
alors se dessiner les contours d'une « société des deux tiers » : une sorte
d'écrémage social instaure un système qui, en gros, semble ne bénéficier qu'aux
deux tiers de la population. Le tiers résiduel est sacrifié, rejeté peu à peu dans une
classe de sous citoyens. Les partis politiques tombent en discrédit et l'on constate
un recul – compréhensible – de la participation politique. Rappelons que Reagan
n'accède au pouvoir que par le soutien d'un quart des électeurs. Dans une telle
situation, le pouvoir fait l'objet d'une contestation passive. Une telle passivité de la
sphère publique n'a jamais été observée depuis trente ans.
12Avec l'adoption croissante d'une logique commerciale par les médias, on peut
observer la mise en place progressive d'un clivage des publics à partir de leurs
caractéristiques démographiques, et d'une évaluation de leurs capacités de
consommation. Le journalisme d'information se construit désormais différemment
selon les divers groupes visés, en fonction de stratégies de marché. Le processus
est certainement complexe, mais en gros, il a tendance à reproduire la polarisation
de classe ci - dessus évoquée. On peut parler d'un recul général des médias de
qualité, de ceux qui prétendaient constituer un forum national, à l'instar de l'ex-
service public européen.
13Le conditionnement actif d'une information sur mesure pour des publics
spécifiques est particulièrement visible, lorsqu'il s'agit du radio-journalisme
américain. Il sévit aussi à la télévision et dans la presse écrite. La qualité de la
presse aux États-Unis est ainsi fortement affectée par le déclin de la culture
littéraire dans les nouvelles générations de lecteurs, déclin dont les effets
retentissent sur l'ensemble de l'industrie. De nouvelles initiatives donnent
l'impression d'inverser la tendance à la fragmentation. On peut ainsi parler du
succès d'un nouveau quotidien américain d'envergure nationale : « USA today ».
Pourtant, l'impact de ce type d'initiative sur la participation politique reste
négligeable. Le déclin de tout espace public viable pour la politique nationale
semble irréversible.
17L'un des traits les plus significatifs de ces mouvements est qu'ils rattachent
souvent les expériences de la vie quotidienne, surtout celles de la sphère privée
(famille, quartier) à une vision normative qu'ils traduisent en interventions
politiques. Un des principaux facteurs de leur réussite vient de ce qu'ils disposent
d'une technologie informatique et de communication obtenue à des prix abordables.
À l’aide d'ordinateurs de bureau, d'imprimantes et de fax, ils réussissent à assurer
les multiples tâches d'organisation, d'information et de débat, qui leur incombent.
Ceci aurait été impensable il y a quelques décennies. Ainsi, la lettre d'information a-
t-elle pu devenir un médium efficace, et à bon marché. Les divisions s'estompent
entre la lettre d'information, le prospectus et le journal. Par ailleurs, la possibilité de
produire un livre dans la semaine suivant le dépôt du manuscrit, a déjà commencé à
estomper les frontières entre le journalisme et l'édition.
18En fait, nous assistons à l'émergence d'une pluralité dynamique d'espaces publics
alternatifs17, dans un mouvement complémentaire et inverse de celui qui mène à la
fragmentation des publics des médias dominants. Ce serait commettre une erreur
que d'exagérer l'importance de ces mouvements, car les États et les grandes
entreprises sont certainement mieux rôdés que ceux-ci à l'utilisation des nouveaux
médias. Mais, ce serait une erreur tout aussi grave que de les ignorer.
19En effet, si nous procédons maintenant à la synthèse des quatre éléments de notre
configuration : crise de l'État, fragmentation des publics, nouveaux mouvements
sociaux, disponibilité des nouvelles technologies de communication, nous pouvons
commencer à entrevoir de nouvelles conditions historiques pour l'existence d'un
espace public. II suffit que deux de ces éléments entrent en contact pour que
surgissent d'intéressants points de tension. Par exemple, les médias dominants ne
cessent de délégitimer les nouveaux mouvements sociaux qu'ils assimilent à une
menace pour le système (parallèlement aux efforts juridiques visant à pénaliser
certaines formes d'action politique extraparlementaires).
21On peut voir, avec l'exemple de Greenpeace, avec quelle adresse certains
mouvements parviennent à se servir des médias dominants, ce qui suggère un
nouveau type de rapports entre les uns et les autres. Les médias propres à ces
mouvements tendent en effet de plus en plus souvent à servir de sources
d'information pour les grands médias. Ainsi, ces mouvements, grâce à leurs médias
commencent-ils à entrer en compétition avec les organisations plus établies qui
servaient jusqu'ici de « sources », en faisant pression pour obtenir plus d'espace et
de temps pour leurs nouvelles dans les principaux médias. Il s'agit peut-être là d'un
premier signe de la division de l'espace public. Les médias des mouvements
alternatifs, liés aux expériences et aux interprétations de la vie quotidienne de leurs
membres, sont de plus en plus capables d'imposer leurs versions de la réalité
politique aux médias dominants. Ceci permet à la fois de diffuser et de légitimer un
spectre plus large de points de vue et d'informations.
22Si cette interprétation est correcte, nous pourrions bien assister ici à des
changements historiques, parallèles à ceux qu'avait décrits Habermas. Pour ce
dernier, les luttes politiques menées par les classes bourgeoises montantes contre
les pouvoirs de l'État avaient abouti à créer un nouvel espace public, espace qui était
entré en déclin avant de finalement se désintégrer, faisant place à ce que J.
Habermas désigne comme la « reféodalisation » du pouvoir social sous l'État-
providence. Certes, ces nouveaux mouvements ne sont pas près de dissoudre ou de
supplanter le pouvoir concentré par des médias liés aux États et aux regroupements
industriels. Pourtant leurs médias alternatifs pourraient très bien parvenir à
rééquilibrer le système dominant de communications. Si tel était le cas, cet espace
public à deux voix serait en tout cas un reflet de la transformation des relations
sociales de pouvoir.
24Lorsque l'appareil est plus répressif et qu'il se trouve soudainement relâché, nous
assistons à l'explosion de médias alternatifs (dans les républiques Baltes, par
exemple), bien que ceux-ci ne disposent pas des ressources financières et
technologiques dont bénéficient les mouvements sociaux à l'Ouest. Avec la relative –
et peut-être provisoire – stabilité politique observable aujourd'hui, notamment en
Hongrie, en Pologne et en Tchécoslovaquie, la politisation atteint son niveau le plus
élevé. Une « normalisation » est accomplie. Notons pourtant que la conversion aux
modèles démocratiques occidentaux s'accompagne d'importants investissements
occidentaux dans le domaine des médias. Inévitablement, de nouveaux rapports
vont s'établir entre médias alternatifs et médias dominants, luttes dont, une fois de
plus, la sphère publique constituera l'enjeu.
Le domaine de la production du sens
25Parler en termes de configurations institutionnelles, c'est s'intéresser à l'espace
public au niveau macro-social des structures. En comprendre la dynamique
nécessite cependant que l'on se tourne vers les processus et les conditions de la
production du sens : des sujets combinent leurs expériences et leur réflexion pour
produire du sens (politique ou autre). Pour rendre compte d'une telle production, il
faut tenir compte de trois facteurs : les interactions entre les membres du public,
l'interface entre médias et public, les produits médiatiques eux-mêmes.
19 Voir Dewey (1927), puis Carey (1989), et Rosen (1986) pour la discussion relative à
la pertinence (...)
20 Cf. Allor (1989) et les réponses qui lui sont faites dans le même numéro, ainsi que
Erni (1989).
21 Pour un rapide survol de cette littérature abondante, ainsi que des synthèses sur les
problèmes mé (...)
L’espace de la parole
Thierry Paquot
p. 31-33
1« Les paroles s'envolent, les écrits restent » a-t-on coutume d'affirmer... Rien n'est
moins sûr. Il y a des mots qui frappent pour la vie, qui blessent et qui guérissent,
qui tourmentent et qui caressent. Tout dépend de qui parle et d'où il parle.
Réfléchissant sur le rapport complexe entre le lieu (son architecture, son
environnement, construit ou non) et l'impact de la parole (entendue à la fois
comme médium, médiat*, média et médiation...) je prendrai l’exemple du café, au
milieu du XIX siècle. L'esprit frondeur, l'élaboration d'utopies, la contestation de
e
l'ordre social, l'examen des réformes à apporter, tout cela caractérise la culture
populaire des faubourgs. La rue et ses estaminets constituent un espace public,
sélectif et ségrégatif, au sein duquel se construit le sens commun du discours
démocratique de l'époque. Les travaux des historiens (M. Agulhon, G. Duveau, J.-M.
Goulemot, etc.) des philosophes (W. Benjamin, R. Caillois, etc.) des romanciers et
témoins de l’époque serviront de corpus à notre réflexion.
3Le café est donc un lieu d'intégration et d'exclusion à la fois. Mais la voix qui
s'élève dans ce nouveau temple des Idées n'est pas une parole improvisée : c'est un
commentaire. Cette voix lit et apprécie les arguments de l'auteur d'un texte, d'un
texte imprimé. En effet, sans la presse écrite pas de café de ce genre. Même la
chanson qui réchauffe les cœurs découragés par le labeur du jour est aussi un texte
qui exprime une opinion :
« Rare est le blé, lourd le chômage. Que sont tes fils ? Chair à canon.
César banquette à Trianon. Il jouit. Souffre ! Ah ! quel partage. Les Jacques au son
du beffroi De leur seigneur réglaient le compte... »
5La presse est essentiellement une presse d'opinion, contrairement à ce que nous
connaissons de plus en plus actuellement. Le Globe de Pierre Leroux – inventeur du
mot « socialisme » – est racheté par les Saint-Simoniens en 1830. Enfantin demande
à Michel Chevalier d'y collaborer : « A nous, Michel ; vieux voltairien, arrive ! Ta
chambre est prête au troisième, tu logeras avec tes frères Lerminier et Leroux, sous
l'aile de votre père Margerin et tu vas nous tailler des croupières à tous ces
bourgeois en moustache, à tous ces tribuns en jabots, à tous ces pairs en
manchette... Tu es de la pâte dont sont pétris les prophètes. » Le Globe est un
instrument de combat, de propagande. Il s'agit de convaincre les lecteurs de la
véracité des thèses saint-simoniennes. C'est clair, net et précis. Pas de doute quant
à la finalité de l'opération, les devises placées sous le titre sont explicites : « Toutes
les institutions sociales doivent avoir pour but l'amélioration du sort moral,
physique et intellectuel de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ; tous les
privilèges de la naissance, sans exception, seront abolis ; à chacun selon sa
capacité, à chaque capacité selon ses œuvres. »
6Une telle profession de foi est quotidienne, comme une prière d'une religion
nouvelle. Le journal s'ajoute aux prédications et aux missions que les Saint-
Simoniens effectuent sans relâche, c'est même pour eux le principal moyen de
diffusion de leurs idéaux. Et dans les cafés, direz-vous ? Résonnent les propos du
café de commerce, commerce dans son sens figuré aussi... C'est là que l'opinion se
forge, cette opinion tant raillée par P.-J. Proudhon qui dans ses Carnets note :
« L'opinion c'est quelque chose de vague, d'insaisissable, de fantastique, créé un
matin par les cancans des coulisses, les bavardages des journalistes, les fantaisies
d'un orateur. – L'opinion, c'est le désespoir des cervelles humaines », cette opinion
qui dérange, qui mobilise, qui casse ou réactive les ressorts du militantisme. Le café
sentirait-il le soufre ? Certainement, c'est pourquoi tant de policiers en civil s'y
rendent pour espionner pour surveiller, pas seulement le degré d'alcoolémie des
piliers de bar, mais pour entendre l'air de la révolte, les propos doux-amers des
« classes dangereuses », pour mesurer l'ampleur d'une rumeur, pour prévenir d'un
mécontentement populaire qui gronde si fort qu'il ne tardera pas à éclater sur le
pavé des rues et à se faire entendre dans un autre quartier, dans une autre cité.
7Dans les romans de l'époque, les comploteurs se retrouvent secrètement dans une
auberge. C'est l'anonymat de la foule qui protège le chaland. Les idéalistes y rêvent
à haute voix et font rêver les autres consommateurs. Parfois c'est l'alcool qui gagne.
La parole devient pâteuse, hésitante, bafouillante, répétitive, inarticulée, agressive et
pleurnicharde à la fois. C'est alors une parole sans mémoire, qui entre par une
oreille et sort par l'autre, fuyante, aérienne. Cette parole ne compte pas, elle dit
seulement le désarroi, la peur, l'isolement ou bien plus simplement la fatigue,
l'épuisement, le refus de retourner coucher dans son taudis, de préférer l'ambiance
chaleureuse du groupe, du groupe qui ne juge pas, qui écoute, qui écoute et qui
trinque avec. C'est là une autre forme de sociabilité. Mais revenons à la parole
pédagogique, celle qui éclaire la nuit des prolétaires, elle rebondit d'une lecture du
journal, aux propos de l'atelier, d'une discussion de café à la réunion publique de
quartier. Celle-là trouve dans les cafés des chambres d'écho inestimables. Une idée
s'y trouve démultipliée dans son audience, dans sa validité, dans sa légitimité.
Paris, 1989.
soustraits à l'espace public. Dans cette période, le champ économique est pour
l’essentiel soustrait à l’autorité de l'État, période où, comme l'a remarqué Maurice
Godelier avec d'autres, les fonctions économiques et politiques, auparavant mêlées,
se séparent dans deux structures sociales différentes, l'économique passant
presque totalement dans le domaine privé avec le capitalisme libéral. L'État ne se
mêle pas du fonctionnement des entreprises et du marché dans cette période du
« laissez faire ». La vie de l'entreprise et de ses membres est donc du seul ressort
des propriétaires. On sait de quelle manière ceux-ci ont largement usé de cette
« liberté » et en usent encore aujourd'hui sous d'autres cieux : travail des enfants,
horaires illimités, salaires de misère, licenciements discrétionnaires, interdiction des
syndicats, répression, etc.
12On peut ajouter que la recherche de la proximité des relations d'échange est une
caractéristique profonde de ces expériences. Jürgen Habermas a remarqué combien
l'éloignement spatial et vécu entre les usagers et la bureaucratie des services
publics était une des raisons fortes de l'instrumentalisation de la communication. Le
« médium du pouvoir » condense la relation communicationnelle du monde vécu en
règles impersonnelles et aveugles du sous-système politique. En conséquence,
l'espace public est déconnecté de la vie réelle et le débat est remplacé par les
dispositifs réglementaires. Il semblerait que les politiques de « décentralisation »
restent un vain mot si elles ne sont pas relayées par un immense déplacement vers
le terrain concret des rapports avec les usagers et les citoyens.
13Ici l'alternative est claire : ou bien des experts et des sondeurs continuent
d'analyser les besoins sociaux à travers des technologies de plus en plus pointues,
ou bien l'information sociale vient des intéressés eux-mêmes, et les échanges
argumentatifs redeviennent le seul moyen de l'interaction dans un espace public
renouvelé et diversifié. L'espace public est à ce prix qu'il nécessite la multiplication
des choix débattus à proximité des demandes sociales. Sans parler ici de
démocratie directe (et sans oublier les problèmes que Jean-Jacques Rousseau avait
posés dans Le Contrat social à propos des risques de toute démocratie
représentative), force est de constater que l’économie solidaire met à jour la
nécessité d'une démocratie participative dont les relations de proximité entre
décision et action sont consubstantielles.
Économie et espace public réconciliés
14On peut classer les différentes expériences d'économie solidaire en trois types :
les premières proposent des initiatives d'échanges équitables de biens et de services
commerciaux ou non commerciaux ; les secondes tentent de concevoir des
entreprises où les relations de travail sont relativement transversales ; les troisièmes
visent à combler les manques ou à étendre les prérogatives des services publics ou
des collectivités locales. À chaque fois on retrouve cependant trois mêmes
caractéristiques : d'une part, il n'y a pas recherche de profit mais volonté d'échange
équitable ou de solidarité, d'autre part, les objectifs et le fonctionnement sont
décidés à partir de débats entre toutes les parties et avec la volonté de parvenir à un
consensus prenant en compte la totalité des intérêts en présence, et enfin on
cherche soit à combler des manques dans l'offre de biens et de services d'utilité
sociale, soit on travaille à une réinsertion dynamique des populations en grande
difficulté sociale. Les expériences mentionnées dans la deuxième partie partent
toutes par obligation d'un espace public partiel ou local dans la mesure où elles
sont circonscrites à des espaces sociaux eux-mêmes spécifiques, et tant que
l'économie solidaire n'accédera pas à une légitimité universelle. On ne discutera pas
cependant ici du problème de la pertinence d'espaces publics partiels non inclus
dans un espace public de même nature. Autrement dit, si la sphère bourgeoise
censitaire du XIX siècle ne pouvait finalement être comprise comme un véritable
e
8Mettre l'accent sur l'espace public comme espace de distanciation, c'est reconnaître
en lui à la fois une forme de société et un régime politique qui tendent à
désamorcer d'un même mouvement et la tendance fusionnelle de la communauté, et
la représentation organiciste de la société qu'elle présuppose. Mais c'est, on le sait,
inscrire dans la communauté quelque chose comme son désaveu, la soumettre au
risque de son éclatement, de son éparpillement, par où la société politique ne peut
plus se laisser penser comme communauté mais comme simple agrégation de
particules atomiques. Penser l'articulation de l'espace public à la communauté
reviendrait alors à saisir dans l'espacement ou la distanciation, ce qui peut affranchir
la compréhension de la communauté sociale et politique de son présupposé
organiciste sans la priver du lien communautaire dont le défaut la vouerait à la
dissociation. Bref, l'affranchir du paradigme spatial centripète/centrifuge qui
commande sa représentation.
La maisonnée ou la cité
27 1. La vie privée, idiosyncrasique, est une vie « idiote » en ce qu'elle est privée non
pas de comm (...)
13L'espace est public quand il n'est plus commun, quand il ne se donne plus dans
une communauté tendanciellement proximale. Aussi nous faut-il le comprendre non
comme celui de l'apprivoisement ou du dé-loignement qui tient uni ce que la
distance sépare, mais au contraire comme ce qui se déploie entre, comme ce qui, dit
Hannah Arendt, inter homines est, ce qui sépare les individus, les tient dans une
extériorité des uns aux autres et dans une extériorité de chacun à l'ensemble. Bref,
penser l'espace comme ajointement d'intervalles et non comme relation de distance.
Non plus espace extensif, mais jeu des séparations liantes et de liens séparateurs.
Le problème est moins celui de la distance qui sépare que celui du lien qui unit dans
la séparation. D'une certaine façon, ce qu'il y a de commun dans l'espace public, est
la dimension intervallaire dans laquelle nous nous rapportons les uns aux autres et,
de là, à nous-mêmes.
17Le monde n'est commun que d'être institué symboliquement comme commun
dans la parole, dans l'articulation des topoï, des lieux communs et des discours, par
lesquels les langues se rencontrent, s'agencent et dans lesquels se marquent leur
irréductible différence autant que la communauté de monde qui rend la parole
possible et sensée. Dans l'ordre de l'agir, cette institution symbolique doit aussi se
comprendre comme institution politique d'un espace public au sein duquel
s'ajointent les mondes vécus et les communautés particulières qui se reconnaissent
en eux. Une pluralité de communautés ne devient la communauté d'une pluralité
que par l'institution d'un topos des topoï sous la forme d'un espace public
intervallaire qui connecte les lieux particuliers, non pour donner naissance à un
être-en-commun mais à un « vivre ensemble ». L'espace public ne peut être un
simple espace commun, si nous entendons par là l'espace d'un être-en-commun. Si
nous pensons ensemble le caractère phénoménal du monde tel qu'il se livre sous la
forme du doke moï qui dit ce qu'il me semble être, et la dimension fondamentale de
pluralité qui exige l'institution d'un domaine public, on comprend alors que public
signifie moins commun que visible. Le domaine public est cet espace de visibilité,
lieu de l'apparition du monde : non pas ce sans quoi le monde ne serait pas, mais ce
sans quoi il ne pourrait apparaître comme monde commun. Aussi le sens ultime du
« vivre ensemble » politique ne peut-il se saisir depuis la question de l'être-en-
commun, question de la communauté, mais depuis celle de l'apparaître commun
des êtres, question de la polis, du domaine public de visibilité.
19L'espace public n'est jamais du côté des convictions, toujours du côté de ce qui se
présente à la pluralité des jugements publics. La polis exige un espace public et
l'institution du citoyen comme juge, comme elle exige une scène publique et
l'institution du citoyen comme acteur. Aussi la visibilité est-elle le seul critère de
l'action politique. Que la publicité – et non la communauté – soit le principe de la
politique signifie en effet que le sens de l'agir politique et du vivre-ensemble ne
s'apprécie pas au regard des motivations, par définitions privées, ou des résultats
escomptés, par définition imprévisibles, mais toujours au regard des paroles qui se
disent et des actes qui s'accomplissent publiquement, s'offrant ainsi au jugement du
public. Le problème politique n'est pas celui du bien commun, mais celui du bien
public. Ou encore : politiquement, seul le bien public est un bien commun.
20Qu'est-ce qu'un bien public ? Il faut ici reprendre l'articulation de l'espace public
au monde commun. Le domaine public n'est pas le monde commun. Mais le monde
commun est ce en vue de quoi l'espace prend sens. Il nous faut comprendre que le
monde commun est la condition de possibilité d'une polis, de l'institution d'un
espace public et, en même temps, que c'est seulement l'institution de cet espace qui
rend possible un monde commun, que c'est seulement à condition d'un domaine
public que le monde peut être commun. En cette circularité énigmatique réside
peut-être la signification de la communauté politique. Elle indique que toute
politique – toute activité humaine qui s'ordonne à l'auto-institution indéfiniment
reconduite de l'apparaître commun des êtres, de leur espace de publicité – a le
monde comme condition et comme enjeu. Elle prend sens de ce qu'elle fait
apparaître entre les hommes un monde commun, qu'elle lui donne un lieu ou, plus
exactement, lui donne lieu. La politique est ce par quoi le monde a lieu. Le bien
public, qui n'est l'apanage d'aucune communauté particulière, ne peut consister
dans l'affirmation et la préservation d'une prétendue identité communautaire : il est
la préservation de l'espace politique d'apparition et de visibilité qui donne lieu à un
monde commun. Liberté, égalité et justice en sont les conditions de possibilité.
21En ce sens, toute politique est une politique du « cosmos », une cosmopolitique,
non pas au sens d'une mondialisation des rapports humains ou de l'institution d'une
société universelle (ce qui obéirait encore au principe communautaire), mais au sens
où les Républiques sont les lieux d'un monde commun. C'est aussi pourquoi
certaine « politique » peut également être ce par quoi le monde commun n'a plus
lieu, ce par quoi il n'y a plus, pour nous, lieu d'être au monde ou du monde, Ainsi de
la « politique » coloniale ou impériale, qui est une culture de la communauté au lieu
d'être une politique de la publicité. Hannah Arendt nous a aussi appris comment
l'élimination de l'espace public entreprise dans les systèmes totalitaires ou
dictatoriaux était en réalité une destruction du monde commun, l'entreprise d'une
désolation – loneliness –, d'une éradication de l'homme de tout sol, et donc
l'effacement de ce qui lie les hommes, par suppression des intervalles mondains et
des lieux communs. Les « politiques acosmiques » procèdent d'une récusation du
monde commun qui résulte du fantasme communautaire, et procèdent à la
destruction de l'espace public au nom d'une fusion de la pluralité en un corps
organique, sous couvert de restitution d'une identité nationale, raciale, culturelle ou
confessionnelle menacée. Ces entreprises qui menacent toujours devraient nous
faire prendre conscience que l'espace public n'est ni le lieu ni le mode de
façonnement d'un être-commun, qu'il n'est pas le principe d'une identification
communautaire. II est le lieu institué d'un vivre-ensemble qui lie la pluralité des
communautés particulières, qui fait accéder les mondes vécus à une visibilité
politique et qui, maintenant les lieux communs dans leurs intervalles et leurs
connexions, donne existence à un monde commun.
Glossaire
p. 48
5Euzein : les Grecs distinguaient le « zein », la vie en commun à tous les animaux,
de « eu zein » le bien vivre (la vie bonne dans des institutions justes dit Aristote)
réservée à la communauté des hommes.
11Livre Blanc : ouvrage rédigé par la Commission européenne qui présente les
grandes lignes d’action pour l’avenir dans un domaine particulier (gouvernance de
l’Union européenne, politique de communication, etc.)
12Médiat (adjectif) : qui n'a rapport à une chose que moyennant un intermédiaire (le
contraire « d’immédiat », sans intermédiaire).
15Polemos : mot grec signifiant « guerre », c’est l’une des racines du mot
« polémique ». Cf. apeiron.
16Polis : ce terme désigne la cité-État (Athènes, par exemple). Pour J.-P. Vernant
(voir bibliographie de l’introduction), la polis connaîtra, par étapes multiples, trois
évolutions majeures : la promotion d’une parole politique critique, la publicité
donnée aux manifestations sociales et aux productions de l’esprit, l’apparition d’un
lien social horizontal entre des citoyens définis comme égaux.
18Res publica : terme d’origine latine signifiant « chose publique » sur lequel sera
forgé le mot « république ».