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L’Existentialisme est un humanisme est un ouvrage très bref qui vise à résumer la pensée
existentialiste présentée trois ans plus tôt dans L’Être et le néant. Tout en répondant aux critiques et
aux objections qui lui ont été faites, Sartre explique dans cette conférence d’une cinquantaine de
pages la substance de la pensée existentialiste. L’homme naît libre et est condamné à le rester. En
d’autres termes, à sa naissance, l’homme n’a aucune raison d’être et c’est au cours de son existence
que peu à peu, il se construit et détermine ses propres buts : il est donc à la fois entièrement libre et
totalement responsable.
1. Introduction
La pensée de Jean-Paul Sartre se développe dans deux contextes très particuliers : celui de la Seconde
Guerre mondiale, puis celui de la Guerre Froide. Ces moments historiques extrêmes obligent les
intellectuels à se positionner au sein des différents débats de société qui animent ces deux époques.
Pourquoi le fascisme ? Voilà la question principale qui préoccupe les esprits dans ce contexte. Dans la
seconde moitié du XXe siècle, il faudra cette fois-ci répondre à la question : libéralisme ou
communisme ?
Comment, alors, définir qui nous sommes ? L’homme se fait en faisant, nous dit Sartre. Autrement
dit, c’est en faisant des projets que nous nous construisons peu à peu. Chaque projet que nous
réalisons est une pierre apportée à l’édifice qu’est notre existence, et c’est ainsi que se forme notre
essence.
Si nous n’avons pas de destin préétabli, alors nous sommes totalement libres, c’est-à-dire que nous
avons toujours le choix. S’il n’y a pas de Dieu pour nous guider, développe Sartre, tout ce que nous
faisons nous revient entièrement. Même quand nous décidons de ne pas choisir, nous faisons un
choix. De ce fait, nous sommes totalement responsables de nos actes, puisqu’ils sont toujours le fruit
de notre décision. Cette liberté combinée à la responsabilité provoque ce que Sartre appelle «
l’angoisse ». L’angoisse est le sentiment que nous ressentons face à cette liberté totale, puisque
lorsque nous faisons un choix, nous seuls pourrons en assumer les conséquences, à la fois pour nous-
mêmes et pour les autres. En effet, lorsque nous prenons une décision, nous pensons toujours
prendre la bonne décision, tant pour nous que pour l’humanité tout entière car en choisissant nous
nous demandons : « Que se passerait-il si tout le monde faisait comme moi ? » Cette immense
responsabilité provoque l’angoisse. Nous sommes condamnés à être libres : condamnés, car nous ne
demandons pas à être libres, et libres car nous avons toujours le choix.
L’existentialisme, enfin, est un humanisme. Que signifie cette phrase ? L’existentialisme est le propre
de l’homme. C’est la définition de l’être humain que d’être totalement libre, c’est son caractère
humain qui le rend libre. Par conséquent, seul l’homme est entièrement libre.
Tout d’abord, Sartre répond au déterminisme chrétien. Pour les chrétiens, il existe un Dieu créateur,
un « artisan du monde ». Un artisan, explique Sartre, fabrique un coupe-papier en lui donnant un but
précis : il servira à couper le papier. Si Dieu est un artisan supérieur, d’une autre ampleur, alors il crée
les Hommes de la même manière que l’artisan crée le coupe-papier, en leur donnant un but. La vie
d’un Homme est donc déterminée à l’avance par un Dieu créateur. C’est ce que Sartre appelle le
déterminisme chrétien, et en affirmant que l’Homme est totalement libre, il se positionne contre
cette argumentation.
Jean-Paul Sartre présente ensuite le déterminisme athée. Les penseurs du XVIIIe siècle, les penseurs
de la Révolution française, ont éliminé le Dieu chrétien de leur système de pensée. Diderot et Voltaire
sont athées et pourtant, explique Sartre, leur pensée reste déterministe. Pourquoi ? Pour ces
penseurs, c’est la nature qui détermine l’Homme. L’être humain est un être naturel et il suit ainsi
logiquement le cours de la nature, il est soumis à ce qu’on appelle le déterminisme naturel. D’autre
part, l’homme est un être raisonnable, c’est-à-dire qu’il est doté de raison, et c’est ce qui fait sa
particularité. La Raison est donc l’essence de l’Homme : tous les êtres humains sont doués de Raison,
et c’est là leur essence, qui précède l’existence. Avant même qu’il naisse, on sait qu’un être humain
sera raisonnable en ce sens. Pour Sartre, cette philosophie ne va pas au bout des conséquences de
l’athéisme. En effet, s’il n’y a pas de Dieu, alors il ne doit pas y avoir de chemin préétabli, et l’Homme
ne peut donc pas être destiné à être un être raisonnable avant tout. S’il n’y a pas de grand artisan,
alors l’homme est totalement libre de donner son propre sens à sa vie.
Enfin, Sartre s’oppose au déterminisme marxiste. D’après Marx, l’Histoire a un sens bien établi :
l’Homme avance vers plus de liberté, vers plus d’égalité, vers un monde plus juste et progresse sans
cesse. L’Humanité s’améliore donc sans cesse et doit s’approcher d’un idéal. Comment expliquer,
dans ce cas-là, le fascisme, la Seconde Guerre mondiale ? Ces événements vont dans le sens inverse
de l’Histoire. Ce sont d’immenses bonds en arrière en plein progrès de l’Humanité. « XXe siècle,
l’Homme fut au plus bas » écrivait René Char. Pour Sartre, c’est le fait que l’Homme soit libre et
responsable de ses actes qui explique la possibilité du fascisme. Si l’Homme est libre et l’Histoire non
déterminée, dépourvue de sens particulier, alors l’Humanité peut tout à fait décider de laisser le
fascisme. Elle en sera responsable.
4. Réponse aux objections et aux critiques d’une philosophie « pessimiste »
La conférence L’Existentialisme est un humanisme a deux fonctions. D’une part, c’est un court texte
qui résume la pensée existentialiste présentée dans L’Être et le néant trois ans plus tôt. D’autre part,
le texte répond aux objections faites à l’existentialisme depuis la présentation de ce courant de
pensée. La conférence peut donc également être lue depuis cet angle-ci, celui de la défense d’une
pensée face aux contre-arguments qu’on lui a objectés.
Sartre répond avant tout à ceux qui dénoncent une philosophie quiétiste. Qu’est-ce que le
quiétisme ? C’est le fait de se taire et de ne pas agir, de ne pas s’engager face au monde. Beaucoup
ont dénoncé le caractère pessimiste de l’existentialisme. En effet, en affirmant que l’Histoire n’a pas
de sens prédéterminé, Sartre suggère que l’Humanité peut tout à fait tomber dans le fascisme.
Puisqu’on ne peut espérer que l’Humanité aille sans cesse vers le progrès, diront certains, alors cela
signifie que je dois me taire, et ne rien faire. Sartre répond à cet argument en expliquant qu’au
contraire, puisque l’Histoire n’a pas de sens, alors je dois m’engager pour essayer de lui donner mon
propre sens. Il est au contraire optimiste de penser que je peux suivre ma morale et m’engager par
mes actes, même si je ne peux espérer que l’Humanité s’améliore de façon certaine. Voilà la réponse
de Sartre à l’objection du quiétisme pessimiste.
5. Conclusion
L’impact de ce texte dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale fut d’une grande ampleur,
puisque l’existentialisme rend les êtres humains responsables du fascisme. En affirmant que l’Homme
est libre, il démontre qu’il est seul responsable de ses actes et qu’il doit en assumer les
conséquences. Aujourd’hui, la réception de l’existentialisme reste la même : il est à la fois rassurant
pour le lecteur de découvrir qu’il est totalement libre. D’un autre côté, les conséquences
philosophiques sont dures à porter : nous sommes les seuls responsables de nous-mêmes et de
l’Histoire de l’Humanité.
6. Critique
Le principal adversaire théorique de Jean-Paul Sartre se nomme Pierre Bourdieu. Sociologue de la
seconde moitié du XXe siècle, Bourdieu écrit son œuvre fondatrice, Les Héritiers, en 1964. L’idée clé
de cet ouvrage est celle de la reproduction sociale : dans une certaine mesure, nous sommes
disposés à la naissance par notre milieu social et par les capitaux socioculturels de notre famille. Nous
sommes tous des héritiers de nos familles et le resterons, ce qui implique un ensemble de
dispositions à notre portée, plus ou moins large. Nous naissons toujours dans un milieu qui
conditionnera notre trajectoire.
Le concept de « la distinction », qui donnera son titre à un autre ouvrage majeur de Bourdieu paru en
1979, renvoie à la volonté de se démarquer par rapport à son milieu social de naissance. Ceux qui
auront réussi à monter les échelons pourront donc en partie se distinguer par rapport à leur milieu
d’origine, mais jamais complètement, puisque dans les classes sociales plus élevées, on reconnaîtra
leurs origines modestes par certaines pratiques ou certains réflexes comportementaux que l’on
n’efface que difficilement. D’un autre côté, l’individu ne sera plus totalement reconnu dans son milieu
social d’origine, car ses pratiques copieront celles de la classe sociale plus élevée. Pour Bourdieu
donc, l’individu est et sera toujours déterminé par sa classe sociale d’origine et ne peut s’en affranchir
totalement.
En d’autres termes, l’individu ne naît pas libre de ses mouvements, il portera toujours la marque des
comportements sociaux de son milieu d’origine. L’individu ne fait pas un choix libre, il reproduit des
schémas sociaux. On voit donc bien comment la théorie bourdieusienne peut entrer en débat avec
celle de Sartre, pour qui l’individu est totalement libre et indéterminé.