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« 

L'existence précède l'essence » : par cette formule qui, à première vue, semble bien énigmatique,
Jean-Paul Sartre signe toute sa philosophie. C'est dans sa conférence, L'existentialisme est un
humanisme, prononcée après la Deuxième Guerre mondiale, que Sartre présente de façon claire et
relativement simple cette philosophie qu'il a appelée « existentialisme » et dont il est un des
principaux initiateurs. Cette doctrine est centrée sur l'existence humaine et tente de définir l'homme
d'une façon foncièrement différente des philosophes classiques. L'être humain n'a pas une essence
qui serait fixe et indépassable, mais, bien au contraire, il ne cesse de se dépasser lui-même.
En quoi consiste plus précisément l'existence humaine pour Sartre ? Pourquoi, alors qu'il définit
l'homme d'une façon inédite, peut-il affirmer que sa philosophie est un « humanisme » ?
1. Présentation générale
a. L'auteur : Jean-Paul Sartre (1905-1980)

Jean-Paul Sartre est une figure essentielle du XXe siècle. Il eut une place importante non seulement
dans la philosophie, mais aussi dans la littérature et la vie politique. Son oeuvre est en effet
multiforme :

- une oeuvre littéraire : à la fois romancier (La Nausée) et dramaturge (Les Mouches, Huis clos), il
fut d'abord rendu célèbre par des ouvrages jugés scandaleux ;

- une oeuvre philosophique : L'Etre et le Néant, écrit en 1943, est le grand ouvrage, très technique,
où Sartre expose sa philosophie ;
- une oeuvre d'intellectuel engagé : en 1945, il fonda Les Temps modernes, une revue réunissant
plusieurs grands intellectuels et prenant position sur les problèmes du monde actuel.

b. Les conditions d'écriture de L'existentialisme est un humanisme


L'existentialisme est un humanisme est le texte publié en 1946 d'une conférence prononcée en
octobre 1945. Cette conférence eut à l'époque beaucoup de succès et elle permit de faire connaître
les thèses de Sartre dans le grand public. Deux ans plus tôt, Sartre avait déjà exposé la doctrine de
l'existentialisme dans L'Etre et le Néant, mais ce gros ouvrage était d'un abord bien difficile pour un
public de non spécialistes. Au contraire, il a ici la volonté de s'adresser à tout le monde et
de vulgariser sa pensée, même s'il faut pour cela la simplifier.
Un autre objectif de cette conférence est pour Sartre de répondre aux nombreuses critiques que
les principes de sa philosophie innovante avaient suscitées. En effet, les Catholiques
conservateurs d'une part, et les marxistes d'autre part, avaient accusé Sartre d'avoir développé une
pensée dégradant l'homme : les chrétiens reprochaient à Sartre d'avoir revendiqué une
philosophie athée et un monde sans Dieu, et les communistes de prôner une
vision conservatrice et non engagée de l'existence.
c. Le plan de l'ouvrage
L'ouvrage est structuré autour de la volonté de défendre l'existentialisme : après avoir exposé les
principales critiques adressées à l'existentialisme, il s'agit de présenter les concepts
fondamentaux de la philosophie et de revendiquer le qualificatif d'humaniste.
• p. 21-25 : exposé des principales critiques faites à l'existentialisme (marxistes et catholiques)
• p. 25-33 : définition de l'existentialisme

• p. 33-50 : caractérisation des principaux concepts de l'existentialisme (angoisse,


délaissement, désespoir)
• p. 50-56 : conséquences morales de l'existentialisme

• p. 56-74 : réponses à la critique de subjectivisme

• p. 74-78 : définition de l'existentialisme comme humanisme.

2. En quoi l'existentialisme est-il un humanisme ?


a. Qu'est-ce que l'existentialisme ?

L'existentialisme - ou plutôt la « philosophie de l'existence », comme préfère l'appeler Sartre - est


un mouvement philosophique né après la Seconde Guerre mondiale. Cette doctrine a été inspirée de
la philosophie de deux auteurs allemands que Sartre a beaucoup étudiés : Husserl et Heidegger, qui
ont fondé la « phénoménologie » et qui ont cherché déjà à décrire les phénomènes de la
conscience.

L'existentialisme de Sartre est une pensée qui a pour but de décrire les structures de l'existence.
Loin de se fonder sur des définitions déjà toutes faites de l'être humain, cette philosophie
prétend partir d'expériences concrètes. Elle mène une réflexion sur l'existence humaine et
considère que la liberté est une notion fondamentale pour penser la vie humaine. Sartre donne
ainsi cette définition de l'existentialisme au début de son texte :

« une doctrine qui rend la vie humaine possible et qui, par ailleurs, déclare que toute vérité et toute
action impliquent un milieu et une subjectivité humaine » (p. 23).

En effet, il s'agit de « partir de la subjectivité » (p. 26), c'est-à-dire de la conscience de soi et non
pas de définir l'homme de façon substantielle (comme une substance, ou une essence).

b. « L'existence précède l'essence »

Cette phrase est très connue et résume à elle seule la thèse sartrienne. Pour saisir ce qu'elle signifie,
il faut comprendre que Sartre entend ici s'opposer radicalement à la philosophie classique. Pour
la tradition philosophique, « l'essence précède l'existence » : de Platon jusqu'à Descartes et
même Kant, les philosophes ont affirmé que ce qui était premier était l'essence et que l'existence
était seulement seconde.

L'essence est ce qui constitue la nature d'un être, ce qu'est véritablement cet être. L'existence,
au contraire, désigne le fait d'être ici et maintenant dans un espace déterminé, propre à chacun.
• Affirmer que l'essence est antérieure à l'existence, c'est dire que pour faire exister un être,
pour lui donner une présence effective et actuelle, il faut, avant de le fabriquer, en avoir
une idée et envisager un concept de ce qu'il sera. De la même façon que l'artisan s'inspire
du concept préexistant de coupe-papier pour fabriquer cet objet, Dieu, pour les philosophes
classiques, est comme un « artisan supérieur » (p. 27) qui conçoit l'homme dans son
entendement avant de le créer et de l'amener à l'existence.
Il y aurait donc une nature humaine abstraite : chaque existence individuelle et concrète
ne serait qu'un échantillon contingent d'une essence universelle de l'Homme.
 
• Pour l'existentialisme, « l'existence précède l'essence » : Sartre reproche aux philosophes de
n'avoir pas interrogé l'existence comme telle et d'avoir oublié l'historicité de l'homme. Il
affirme en effet la nécessité d'inverser le rapport traditionnel entre essence et existence.
L'existentialisme refuse de considérer que l'homme a une essence fixe et déterminée.
L'homme, à sa naissance, se caractérise d'abord par une indétermination totale (« il n'est
d'abord rien », p. 29) : il n'existe pas une fois pour toutes, mais c'est lui qui a à faire ce qu'il
est. Il ne naît pas tout fait, mais il reste toujours à réaliser. C'est à l'homme de se faire, de
devenir lui-même, par ses décisions et ses actions et en usant de sa pleine liberté.
Il n'y a donc pas de nature humaine, pour Sartre. C'est à chacun de réaliser, dans une époque
et un lieu déterminés, sa propre histoire qui ne peut être fixée d'avance. L'homme construit
donc son existence à chaque instant en choisissant sa vie et en la réalisant in situ :

« l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et [...] il se définit après » (p.
29).

En d'autres termes, l'homme n'est pas créé, mais il se crée par son activité subjective.
c. L'humanisme existentialiste

Ne se contentant pas de proposer une définition claire de l'existentialisme, Sartre affirme que cette
philosophie est un « humanisme ». Qu'est-ce donc que l'humanisme ? Là encore, il faut comprendre
que Sartre s'oppose au sens classique du terme :
• L'humanisme classique : c'est un mouvement littéraire et philosophique apparu à
la Renaissance et qui affirme la valeur de l'homme en tant qu'homme. Au XVe et
XVIe siècles, des philosophes comme Erasme, Rabelais, Montaigne, défendent ainsi
la dignité de l'homme et montrent qu'il tient une place éminente au sein de l'univers.
 
• L'humanisme existentialiste : Sartre refuse ce sens classique de l'humanisme qu'il
considère comme « absurde » (p. 75). Pour Sartre, en effet, il n'y a ni valeurs absolues ni
moralité pré-existante définissant l'homme d'une façon fixe.
L'humanisme existentialiste affirme au contraire que l'homme n'a pas une essence figée,
mais qu'il se fait à chaque instant : c'est dans cette liberté que réside sa dignité. Seul
l'homme possède des valeurs et peut les poser. Ces valeurs ne lui sont pas soumises de
l'extérieur, mais c'est lui qui les fonde.
3. Les principaux concepts de l'existentialisme
a. Une morale de l'engagement et une philosophie de l'action
L'existentialisme n'est pas un refus de l'action, comme ses adversaires communistes l'ont prétendu.
Au contraire, cette pensée se fonde sur l'action - et plus encore sur l'action qu'il s'agit de réaliser
ici et maintenant, en fonction de la situation vécue par chaque homme.
En effet, Sartre affirme qu'« il n'y a de réalité que dans l'action » (p. 51) : ce n'est que par rapport
à ses actes effectifs que l'on peut définir l'homme. Seule l'action peut réaliser l'être humain.
Sartre refuse ce qu'il appelle péjorativement le « quiétisme », c'est-à-dire toute attitude qui aurait
pour idéal la contemplation et l'inaction. Il privilégie en effet l'acte sur la puissance et fait de sa
pensée une philosophie de l'effectivité.
 
La principale conséquence de cette vision du monde est l'affirmation de la totale responsabilité de
l'homme : l'homme est entièrement responsable de ce qu'il est. Il doit aller jusqu'au bout de sa
liberté et ne pas rejeter en dehors de lui (dans un prétendu destin par exemple) ce qui ne dépend
que de son pouvoir de choix.

b. L'angoisse, le délaissement et le désespoir

Sartre esquisse les grands traits caractérisant la condition humaine et attribue à l'existentialisme
athée trois grands principes :
• L'angoisse : lorsque Sartre affirme que « l'homme est angoisse » (p. 33), il considère que
c'est là un sentiment existentiel fondamental qui ne peut se réduire à un état pathologique.
L'angoisse est le vertige de la liberté se découvrant elle-même. L'homme se rendant
compte que sa liberté lui confère un pouvoir infini est saisi d'une angoisse qui, si elle est
vécue authentiquement, le mènera à l'action responsable. Il ne doit pas se masquer dans la
« mauvaise foi » cette angoisse fondamentale. Par elle, l'homme s'aperçoit qu'il est au
fondement de ses propres actes et a donc le sentiment douloureux, mais aussi
épanouissant, de sa propre liberté.
 
• Le délaissement : dramatisant les implications de l'athéisme, Sartre affirme que l'homme est
nécessairement « délaissé ». Il tire ainsi les conséquences du principe athée « Dieu n'existe
pas ». En effet, s'il n'y pas de dieu à l'origine de son existence, l'homme est donc seul et c'est
à lui d'assumer le poids de sa responsabilité. L'homme est totalement livré à lui-même et
il est l'unique instigateur de ses actes. C'est ainsi que Sartre peut affirmer que « l'homme
est condamné à être libre » (p. 39) : il n'y a pas de déterminisme et l'homme ne peut
refuser la liberté qui constitue son être.
 
• Le désespoir : Sartre montre que l'homme ne peut pas compter sur des possibles qui seraient
donnés à l'avance, car le possible ne préexiste pas au réel. On ne peut pas savoir d'avance
ce qui va se passer et il est donc vain de compter sur un vague espoir.
c. L'homme est transcendance et dépassement

Sartre propose dans L'existentialisme est un humanisme une nouvelle définition de l'homme.


L'homme est « dépassement », affirme-t-il :
« l'homme est constamment hors de lui-même, c'est en se projetant et en se perdant hors de lui qu'il
fait exister l'homme » (p. 76).

L'homme ne se définit pas par un ensemble de qualités fixes et immuables : ce qui le caractérise, ce
n'est pas ce qu'il est, mais ce qu'il peut être. Par conséquent, l'homme est un projet, toujours
tourné vers un avenir qu'il peut seul réaliser. C'est finalement ce que signifie le mot « ex-
sistence » : être littéralement hors de soi et ne jamais coïncider ni avec soi-même, ni avec le monde.
Sartre parle donc ainsi de transcendance : l'homme est toujours au-delà (comme le signifie le
préfixe latin trans-) de lui-même. Il ne cesse à chaque instant d'inventer lui-même l'existence qui
seule peut le réaliser.

« L’Existentialisme est un humanisme » de Jean Paul Sartres


Fiche

Titre : L'existentialisme est un humanisme


Auteur : Jean-Paul Sartre
Date de publication : 1946

Contexte :

L'essai "L'existentialisme est un humanisme" a été publié en 1946 par Sartre en réponse à des
critiques et à des malentendus autour de son concept d'existentialisme.
À l'époque, la France était en période d'après-guerre et les mouvements philosophiques et
intellectuels étaient en pleine effervescence.

Principaux concepts :
Liberté : Sartre considère que l'homme est libre de choisir ses actions et ses valeurs, mais qu'il est
également responsable des conséquences de ses choix.
Responsabilité individuelle : Selon Sartre, chaque individu est responsable de ses actions et de leurs
conséquences, en tant qu'expression de sa liberté.
Existence avant essence : Sartre rejette l'idée d'une nature humaine fixe et préétablie, affirmant que
l'existence précède l'essence. Cela signifie que les individus sont libres de créer leur propre
signification et leurs propres valeurs.
Engagement : Sartre insiste sur l'importance de l'engagement actif dans le monde, de la prise de
responsabilité de ses choix et de ses actions, plutôt que de se complaire dans la passivité ou la
mauvaise foi.
Mauvaise foi : Sartre critique la mauvaise foi, qui est le refus de reconnaître sa propre liberté et de
prendre la responsabilité de ses actions. Cela peut se manifester sous différentes formes, comme les
excuses, les rôles sociaux ou les croyances qui permettent d'échapper à la responsabilité de nos
choix.

Principales idées :
L'existentialisme de Sartre est centré sur la liberté et la responsabilité individuelle, affirmant que
chaque individu est libre de créer sa propre signification et ses propres valeurs.
Sartre insiste sur l'importance de l'engagement actif dans le monde, de la prise de responsabilité de
ses choix et de ses actions, plutôt que de se complaire dans la passivité ou la mauvaise foi.
Il rejette l'idée d'une nature humaine fixe et préétablie, affirmant que l'existence précède l'essence,
ce qui signifie que les individus sont libres de définir leur propre identité et de donner un sens à leur
existence.
Sartre critique également la mauvaise foi, qui est le refus de reconnaître sa propre liberté et de
prendre la responsabilité de ses actions, soulignant l'importance de faire preuve d'authenticité dans
nos choix et nos actions.

Conclusion :
"L'existentialisme est un humanisme" de Sartre est un essai philosophique majeur qui met en avant
la liberté, la responsabilité individuelle et l'importance de l'engagement actif dans le monde. Sartre
rejette l'idée d'une nature humaine fixe et préétablie, insistant sur la primauté de l'existence sur
l'essence et la nécessité de reconnaître notre liberté et de prendre la responsabilité de nos choix.

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