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Sartre

« L’homme est condamné à être libre »


Vocabulaire
 Existentialisme : courant philosophique qui
place l’existence humaine au cœur de la
réflexion et ce qui en découle la liberté et la
responsabilité.
 Essence : la nature, fixe et général, d’un être.
 Déterminisme : théorie selon laquelle tout ce
qui se produit s’inscrit dans une chaîne
nécessaire de causes et d’effets.
Ce que l’auteur défend
 La liberté est un dépassement de la « situation » dans laquelle
chaque homme est « jeté dans le monde » avec la naissance.
 Qu’est-ce que cette situation ? Ce sont toutes les conditions –
sociales, historiques, sexuelles, politiques économiques, culturelles,
symboliques – dans lesquelles l’existence de l’individu s’inscrit en
amont de tout choix.
 Ainsi, naître femme noire en France : il s’agit d’un donné qui ne
relève pas d’un choix Ce n’est pas davantage l’effet ou la
conséquence d’une nature humaine donnée une fois pour toutes
et que l’existence n’aurait qu’à accomplir, à dérouler comme si tout
était écrit d’avance.
 En effet, dans un monde où Dieu n’existe pas, ou dans un monde
sans Dieu, rien ni personne ne peut décider avant ma naissance,
du sens de mon existence. Par sens, il faut comprendre à la fois ce
vers quoi mon existence tend – sa finalité – comme ce qu’elle
signifie.
Après Sartre, Dostoïevski
 Sartre débute ainsi son passage par la reprise de la célèbre
formule de Dostoïevski : « Si Dieu n’existe pas, tout est
permis ». Là où le romancier voyait avec crainte les
conséquences d’une humanité détachée des limites qui, de
par l’existence de Dieu, accompagnaient les actions
humaines, en fixaient le cadre, par la distinction entre le
permis et le défendu, Sartre renverse le sens de la
proposition. Oui, tout est permis maintenant que Dieu n’existe
pas. C’est-à-dire qu’enfin l’homme acquiert une liberté
absolue. Mais cette liberté a pour corollaire la
responsabilité. L’autonomie de l’homme qui ne reçoit plus
d’un autre être les normes morales auxquelles il devait obéir
sous peine de sanctions, n’est pas la porte ouverte à tous les
débordements.
Ce à quoi le texte s’oppose
 Dans ce texte, Sartre s’oppose aux
philosophes de l’essence, athées ou non,
notamment Aristote qui défendent l’idée que
l’homme doit réaliser une nature.
 Pour Sartre, il n’y a ni nature à réaliser ni
valeurs absolues à respecter. D’où viendraient
en effet de telles valeurs puisque Dieu n’existe
pas ? Notamment d’où viendrait le Bien, le Mal
puisque celui qui aurait pu les concevoir
n’existe pas ?
L’existence précède l’essence
 En présence d’un Dieu, l’homme peut concevoir que ce qu’il est et
que ce lui arrive est l’expression d’une intention, d’un projet divins.
Un tel projet se fixant dans une essence que l’homme ne ferait que
réaliser.
 Exemple : je suis née pauvre parce que un dieu voulait que 1/ je
paie une faute commise dans une vie antérieure ; 2/ pour me mettre
à l’épreuve ; 3/ parce qu’il a de grands projets pour moi etc. En
pensant ainsi, exister signifie accomplir en tant que créature la
volonté d’un autre ; c’est effectuer une essence qui précède mon
existence.
 Or de deux choses l’une : soit je possède une essence et dans ce
cas là, l’essence précède l’existence. Mon existence n’est alors que
l’accomplissement de mon essence. Soit, il n’y a pas de
transcendance divine qui justifie une telle essence. Dès lors, mon
essence, c’est-à-dire ce que je suis, ma nature, n’est pas écrite par
avance. Il n’y a encore rien de fixe, de déterminer, de général, qui
m’enferme dans quelque nature que ce soit.
L’existentialisme est un
humanisme
 En défendant une telle conception existentialiste donc de
l’existence, Sartre libère aussi « l’homme » de toutes les définitions
génériques traditionnelles : l’homme comme animal rationnel,
l’homme en général, etc. Car parler de l’homme ainsi c’est
l’enfermer dans une essence. Et donc attendre que l’homme
accomplisse sa nature en mettant en œuvre sa raison, ou en
réalisant une certaine idée de l’homme, celle de l’humanisme par
exemple. En ce sens-là, l’existentialisme n’est pas un humanisme
traditionnel car l’homme, en général, ça n’existe pas ! Le concept
ou l’essence de l’homme – mais aussi de la femme (la fameuse
féminité) ne sont qu’une fiction. Il n’existe pas l’Homme ou la
Femme mais simplement des individus concrets, pris dans des
situations uniques. Individus délivrés de toute essence que leur
existence aurait pour but de réaliser, même à leur insu. Pour
paraphraser Simone de Beauvoir, on ne naît pas homme, on le
devient !
Mais alors que suis-je ?
 Si rien ni personne ne vient définir en amont de tout
acte ce qu’est l’homme, alors deux questions se
posent : qu’est-ce que l’homme ? Et que peut-il faire ?
 A la première question, Sartre répond que l’homme
est pure liberté. Il n’est que ce qu’il se fait. Il est la
résultante de ses actes, de ses choix, de la manière
dont il projettera toutes les possibilité de son être
dans le monde. Aucun déterminisme, c’est-à-dire
aucun enchaînement de causes et d’effets physiques,
historiques, sociaux ou psychiques ne sera la cause
de ce qu’il deviendra. Pas plus qu’il n’est une
créature, l’homme n’est un coupe-papier.
Le coupe-papier
 Dans un passage célèbre de
L’existentialisme est un humanisme,
son maître ouvrage, Sartre prend cet
exemple pour rendre sensible la
différence entre un homme et une
chose.
L’homme n’est pas un coupe-
papier !

 "Lorsqu'on considère un objet fabriqué, comme par exemple un livre ou un coupe-papier, cet objet a été fabriqué
par un artisan qui s'est inspiré d'un concept; il s'est référé au concept de coupe-papier, et également à une
technique de production préalable qui fait partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi, le
coupe-papier est à la fois un objet qui se produit d'une certaine manière et qui, d'autre part, a une utilité définie,
et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi l'objet va servir.
Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l'essence -c'est-à-dire l'ensemble des recettes et des qualités qui
permettent de le produire et de le définir- précède l'existence; et ainsi la présence, en face de moi, de tel coupe-
papier ou de tel livre est déterminée. (…)
 Lorsque nous concevons un Dieu créateur, ce Dieu est assimilé la plupart du temps à un artisan supérieur; (…)
le concept d'homme, dans l'esprit de Dieu, est assimilable au concept de coupe-papier dans l'esprit de
l'industriel; et Dieu produit l'homme suivant des techniques et une conception, exactement comme
l'artisan fabrique un coupe-papier suivant une définition et une technique. Ainsi l'homme individuel
réalise un certain concept qui est dans l'entendement divin. Au 18e siècle, dans l'athéisme des philosophes,
la notion de Dieu est supprimée, mais non pas pour autant l'idée que l'essence précède l'existence. (…) L'homme
est possesseur d'une nature humaine; cette nature humaine, qui est le concept humain, se retrouve chez tous
les hommes, ce qui signifie que chaque homme est un exemple particulier d'un concept universel,
l'homme (…).
 L'existentialisme athée, que je représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins
un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept
et que cet être c'est l'homme, ou, comme le dit Heidegger, la réalité humaine. Qu'est-ce que signifie ici que
l'existence précède l'essence? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le
monde, et qu'il se définit après. (…)"
Tout est permis…?!
 Que signifie alors « tout est permis » ? La permission n’est
pas entendre ici dans un sens moral. Il ne s’agit pas de
découvrir que l’individu pourrait désormais faire tout ce que
bon lui semble, y compris nuire à autrui. Non. La formule est
à entendre en un sens existentiel. L’homme, nous dit Sartre,
est une possibilité indéfinie, il possède la capacité de
dépasser toutes les conditions. S’il n’y ni Dieu, ni valeurs
éternelles, ni quelque déterminisme qui soit qui contraignent
l’homme, le poussant à être ou à faire quelque chose, il ne
reste qu’une chose : la responsabilité humaine. L’homme est
toujours responsables de tous ses actes. Cette responsabilité
ne souffre aucune exception. Elle n’est même pas abolie par
l’Occupation !
L’homme est délaissé
 Si Dieu n’existe pas, l’homme est seul. Seul
avec les autres hommes, qui sont aussi seuls
que lui. Il n’y a rien à attendre d’autre, rien à
attendre de qui que ce soit d’autre. Rien à quoi
s’accrocher. Dans un monde déserté par la
transcendance, l’homme livré à lui-même ; il
est comme abandonné. Dès lors que va-il faire
? Que va-t-il faire de la découverte de sa
liberté ?
Adieu les excuses !
 Adieu les excuses. L’homme ne peut plus faire
porter à un autre le chapeau de ce qui arrive
dans sa vie. Il ne peut plus dire, si j’ai raté ma
vie, c’est parce que…Il ne peut plus dire, Dieu
a voulu que…Ou si je n’étais pas née femme
alors…Finie, l’irresponsabilité qui accompagne
la croyance en une transcendance de Dieu
ou des valeurs éternelles.
L’homme est liberté
 Sartre ne cesse de le clamer : « L’homme est libre, l’homme
est liberté ». Il est ce qu’il se fait. La vérité d’un homme
individuelle. L’Homme n’est pas pécheur ou courageux ou
mauvais. En outre, cette vérité est provisoire. En effet ce que
l’homme est se modifie sans cesse au fur et à mesure du
temps, des choix, des actes. Elle est changeante et varie au
gré des circonstances et des aspects que prennent son
existence. L’essence d’un homme est dès lors provisoire
puisqu’elle dépend exclusivement de ce qui précède :
l’existence. C’est pourquoi Sartre peut dire : « L’existence
précède l’essence ». Ce n’est qu’une fois que les « jeux sont
faits », une fois mort donc, que l’on peut dire ce que fut tel ou
tel individu. Avec la mort, l’existence achève son pouvoir
transformateur de l’individu.
L’homme est à l’origine des valeurs
 Mais alors, deuxième question qu’est-ce que
l’homme peut faire ? Va-t-il se dispenser de suivre
des valeurs ? Et si non, au nom de quelles
valeurs va-t-il se comporter ? C’est simple :c’est
de lui-même que l’homme tire les valeurs qu’il
va suivre. Il les invente. Elles sont ses
créations. De la même façon qu’il est
responsable de son existence, l’homme devient
responsable des valeurs qu’il aura choisi de
suivre et des conséquences qui en découleront. Il
devra en rendre compte devant les autres
hommes.
La liberté : quel fardeau !
 Mais alors, la liberté est un fardeau. L’homme ne effet
ne choisit pas d’être libre. Il l’est. Il ne conquiert pas
liberté contre les circonstances qui forment sa
situation. Il exerce au contraire cette liberté native en
dépit du contexte. Pour bien faire comprendre cette
idée radicale, Sartre déclarera à propos de la vie sous
le régime de Vichy : « On a jamais été aussi libres
que sous l’Occupation ! » Remarquable paradoxe.
 Toute la question est de savoir ce l’homme va faire de
cette liberté première qui lui est échue. Va-t-il faire
preuve de mauvaise foi ? C’est-à-dire va-t-il jouer sa
vie comme un acteur joue un rôle ? Comme un
garçon de café joue à être garçon-de-café.
Le garçon de café ou de la
mauvaise foi
 « La mauvaise foi consiste à
faire comme si nous n’étions
pas libres, elle désigne une
tentative pour se masquer à
soi-même notre liberté. Ainsi
de l’exemple du garçon de
café qui joue à être garçon de
café, à se fondre dans ce rôle
comme si il n’était plus que
ça : comme le rappelle
Sartre, ses gestes sont
automatisés, un peu trop
appuyés, machiniques. Il
mime le garçon de café,
oubliant d’être lui-même, un
homme avant tout. »
« L’homme est condamné à être
libre »
 Mais la liberté ne peut disparaître, elle peut
seulement se masquer à soi-même de manière
temporaire : pour Sartre, la liberté est là, toujours
là. Elle est définitive. L’homme ne peut donc pas
renoncer à sa liberté. Il est dès lors « condamné à
être libre ».
 Cette formulation paradoxale constitue la thèse
de l’auteur. L’homme ne peut pas plus échapper à
sa liberté, qu’un prisonnier ne peut échapper à sa
condamnation. Le paradoxe repose en effet sur
une analogie, c’est-à-dire une identité de rapport.
La liberté est à l’homme ce que la condamnation
est au prisonnier : une servitude.
La liberté métaphysique
 On pourrait qualifier de « métaphysique » cette conception
de la liberté. Métaphysique car c’est une conception de la
liberté qui défend la singularité de l’existence humaine
dans l’ordre de la nature.
 Si tout dans la nature obéit à des lois de la nature, à des
lois physico-chimiques – c’est-à-dire à des régularités
objectives, observables et mesurables qui s’imposent
nécessairement – l’homme, en revanche, - possède parce
qu’il a une raison, parce qu’il pense, parce qu’il possède une
conscience – peut se soustraire d’un tel déterminisme dès
lors qu’il en a la volonté. De même, si tout dans la nature
possède un être ou une essence, qui détermine ce qu’il est
ou peut faire, l’homme lui est d’abord une existence. Même
en se retranchant derrière la mauvaise foi, l’homme ne pas
ne pas être libre. La liberté ne s’ajoute à l’essence, elle est ce
qui caractérise l’essence.
Liberté et nécessité
 Une question fondamentale se pose néanmoins :
cette liberté métaphysique qui postule le
dépassement de la nécessité, existe-t-elle ou n’est-
elle que l’expression de l’irrésistible désir que l’être
humain a de croire qu’il possède une place à part
dans la nature et qu’il est, à la différence des autres
êtres vivants, maître de son existence ? Notre désir
même d’être libre ne s’enracine-t-il pas dans des
forces naturelles dont nous ignorons le jeu en nous ?
Ce n’est en effet pas parce que nous tenons à la
liberté, que nous y croyons, c’est-à-dire que nous
tenons pour vrai qu’elle existe qu’elle est réelle. D’où
la question : la liberté n’est-elle une illusion ?
La liberté se dit en plusieurs sens

 Toutefois, la liberté métaphysique n’est pas la


seule forme de la liberté. Il existe aussi une
liberté politique dont le paradoxe foncier est
qu’elle est rendue possible par la loi, comme si
l’homme ne pouvait être libre sans limitation
de cette liberté même. Ou comme si la limite
est la condition de possibilité de l’existence de
la liberté dans la sphère publique. Nous y
reviendrons dans le chapitre sur l’Etat.

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