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Explication de texte rédigée 

: Sartre, extrait de l’existentialisme


est un humanisme.
Le texte que nous étudions est un extrait de l’Existentialisme est un
humanisme, essai philosophique de J.P Sartre écrit en 1946. L’existentialisme de
Sartre est un courant de philosophie assez particulier, dans le sens où il se
construit sur le postulat de la non-existence de Dieu, sur une position athée donc.
Or ce texte, en dehors du fait qu’il se fonde sur la non-existence de Dieu a pour
thème central le concept de la liberté. Traditionnellement, la liberté est entendue
comme l’absence de toute contrainte, de toute règle, qui viendrait nous
empercher d’agir. Une conception plus fine de la liberté consisterait à ajouter
qu’elle réside surtout dans la capacité de faire un choix le plus intelligent
possible. Quel est donc le rapport entre l’athéisme et la liberté ? Pourquoi est ce
que Sartre lie intimement ces concepts ? Car en effet selon l’auteur, c’est parce
que Dieu n’existe pas que nous sommes libres, et il va plus loin : c’est parce que
Dieu n’existe pas que nous sommes, paradoxalement, « condamnés à être
libres ». Aussi, pour savoir comment penser cette liberté humaine, nous allons
suivre les différents moments qui permettent à l’auteur d’élaborer sa thèse en
proposant une explication linéaire de sa pensée. Dans un premier temps, en nous
attachant aux lignes 1 à 4, nous verrons quelles conséquences directes nous
devons tirer du postulat athée. Ensuite, jusqu’à la fin du premier paragraphe,
nous porterons notre attention sur la signification de l’idée selon laquelle
« l’existence précède l’essence » et ses liens avec le concept de nature
humaine, pour ensuite, conclure avec le texte sur ce paradoxe étonnant selon
lequel du coup, nous serions comme «  condamnés à être libres ».

La thèse de Sartre commence donc en se construisant sur la réflexion de


Dostoïevski : « Si Dieu n’existait pas, tout serait permis », et il précise tout de
suite qu’il s’agit du point de départ de sa philosophie, l’existentialisme. Mais
qu’est ce qui lie ces deux points ? Déjà, avec la modernité et la laïcisation
progressive des sociétés, notamment française, l’idée que Dieu n’existe pas est
acceptable et devient intellectuellement et philosophiquement valable. Aussi, si

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Dieu n’existe pas, pourquoi est-ce que pour autant tout serait permis ? C’est que
traditionnellement, la religion est ce qui nous donne des modèles d’actions, des
façons de faire, qui permettent le vivre ensemble et une vie que l’on considère
comme « bonne » ou « vertueuse ». Par exemple, le Décalogue reprend certains
commandements divins « tu ne tueras point », « tu ne convoiteras pas la femme
de ton voisin » etc, qui donnent des repères aux hommes sur la façon dont ils
doivent se comporter. L’existence de Dieu serait donc la garantie d’une vie où
tout n’est justement pas permis, ce qui semble davantage souhaitable que la
perspective inverse. Car s’il n’existe pas, comme l’affirme Sartre, nous pouvons
alors « tout faire » parce que Dieu ne sera plus là pour récompenser ou punir la
justice et l’injustice. Si nous volons par exemple, nous n’avons plus à craindre le
châtiment divin et alors rien ne ne pousserait ou ne nous obligerait à bien nous
comporter.
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L’homme serait ainsi « délaissé », donc en quelque sorte seul au monde,
sans Dieu. Car les figures divines ont aussi pour rôle de « consoler » l’homme.
La religion rassure, en répondant à des questions que l’homme ne peut résoudre
seul, ni avec les sciences ou ni parfois même avec la philosophie : pourquoi
existons nous ? Y a t’il une vie après la mort ? Que devons nous faire ? Ce qu’on
appelle des « questions existentielles », qui portent sur le sens même de nos
existences donc, sont des questions auxquelles la présence de Dieu répond. Dieu
rassure. L’homme aurait donc tendance à « s’accrocher » à Dieu, et donc à
chercher dans son existence non seulement des réponses, mais aussi des
« excuses » (l. 4 ). Car si Dieu existe, c’est qu’il a créé les Hommes et la Terre, et
donc qu’il existe une nature humaine telle que pensée par Dieu. Si nous sommes
ainsi, c’est parce que Dieu nous a créé de cette façon. Par exemple, si nous avons
tendance à faire des mauvaises actions, à « pêcher », c’est parce que Adam et Eve
ont pêché et que telle est notre nature. Voici ce que l’auteur appelle une
« excuse » : nous ne portons pas la responsabilité ni de nos existences ni de nos
vies, et les conduites que nous adoptons ne dépendent pas non plus de nous parce
que nous les tirons directement des préceptes religieux.
1 Ceci est un changement de « sous-partie » au sein d’une grande partie. Je change d’idée centrale,
donc je mets en avant un nouveau point, donc changement de paragraphe

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Dans ce premier moment du texte, Sartre met donc en avant les
conséquences de la non-existence de Dieu : tout serait permis parce que nous ne
serions, à priori, plus obligés à rien. Sans menace de punition ou promesse de
récompense nous indiquant la conduite à tenir, nous pourrions tout faire, y
compris le mal. L’homme existentialiste est donc un homme seul, face à lui
même. Mais en quoi ce constat d’une forme de solitude existentielle conduit-elle
à formuler cette thèse phare de l’existentialisme selon laquelle « l’existence
précède l’essence » ?

Aussi la suite du premier paragraphe consiste principalement à expliquer


ce que signifie l’expression « l’existence précède l’essence » et son importance
pour penser la liberté. Que veut-elle dire ? L’essence d’une chose, c’est ce qui
permet de la définir, de comprendre exactement ce qu’elle est , c’est, en quelque
sorte, la nature de la chose. Par exemple, l’essence d’une table, c’est d’être un
meuble à pied qui permet de poser des choses. Pour la table, l’essence vient avant
l’existence, car pour fabriquer la table, il a d’abord fallu penser et définir la table
avant ( penser au pied, à la stabilité du plateau etc ). Dans un autre extrait de
l’Existentialisme est un humanisme, Sartre prend un autre exemple, celui du
coupe-papier, qu’il faut penser avant de créer aussi. Mais l’homme n’est
justement pas un objet, mais bien un sujet, lui, il vit avant de pouvoir être définit,
et aussi, il n’aurait pas été créé par un artisan / Dieu. Pour l’auteur donc, il n’y
pas de nature humaine, non seulement parce que nous n’avons pas été créés, mais
aussi parce que nous existons librement.
Penser qu’il n’y a pas de nature humaine, c’est penser, comme le fait
Sartre, qu’ « il n’y a pas de déterminisme ». Le déterminisme est l’idée selon
laquelle tous les phénomènes sont soumis à la causalité telle que les mêmes
causes ont toujours les mêmes effets, comme le montre la gravité par exemple.
Mais ce n’est pas ce déterminisme physique que nie l’auteur, mais un
déterminisme sociologique davantage, qui montrerait par exemple que le choix
de l’orientation d’un élève relève non pas seulement d’un choix personnel, mais

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d’un ensemble complexe de conditions de vie, de cadre socio-culturels, financier,
etc. Et ce qu’il nie avant tout, c’est un déterminisme lié à une nature
originellement divine, qui fige la façon dont nous pouvons vivre. Aussi, ce n’est
plus seulement pour nos actes que tout est permis, mais aussi pour ce que nous
sommes : nous pouvons êtres tout ce que nous voulons, à mesure que nous
existons, que nous choisissons, que nous grandissons. L’existence, alors, précède
l’essence, au sens où nous nous définissons nous mêmes à mesure que nous
vivons. Il s’agit là, de toute évidence, d’une condition libre, puisque nous avons
définit en introduction la liberté comme la capacité à faire des choix. Si Dieu
n’existe pas, si nous n’avons pas de nature figée et que nous ne sommes pas
déterminés par quoi que ce soit, alors, effectivement, nous sommes
fondamentalement libres.
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Nous devons aussi, si nous sommes libres, trouver en dehors de Dieu
« des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite ». Les valeurs sont les
principes qui dirigent nos actions, ce qu’on pense être bien ou mal, et les ordres
sont les consignes que nous suivons et qui sont données par une autorité
supérieure. En fin de compte, suivre les ordres de quelqu’un d’autre, même Dieu
ici, serait faire preuve d’hétéronomie, c’est-à-dire que l’on tire ailleurs qu’en
nous et qu’en notre intelligence les lois que l’on suit, un peu à la façon d’un
enfant qui suit ce que lui disent ses parents. Être libre, ce serait donc, en plus de
ne pas avoir de nature déjà fixée, ne plus tirer nos principes et nos valeurs de
quelqu’un d’autre, même si ce quelqu’un d’autre est Dieu. Néanmoins, même si
cette pensée est légitime et cohérente, au sens où l’autonomie est une condition
qui semble essentielle de la liberté, on peut aussi penser que tous les croyants ne
sont pas hétéronomes et qu’ils sont aussi capables de réfléchir à la raison pour
laquelle ils adoptent ces valeurs religieuses sans qu’ils perdent pour autant en
liberté.

Ainsi, si « l’existence [de l’homme ] précède [son] essence », c’est donc


que l’homme est fondamentalement libre, et qu’il sera en mesure de se construire

2 Changement de sous partie car nouvelle idée dans le texte qui correspond à une nouvelle phrase

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à mesure de ces choix et de ses décisions. Pourquoi alors si cette liberté est
l’exercice d’un choix autonome et non déterminé, pouvons nous y être
condamnés ? N’est il pas entièrement paradoxal de lier ainsi ces deux idées ?

Dans le dernier paragraphe du texte, Sartre met en avant une idée


hautement paradoxale, selon laquelle donc la liberté serait une forme de
condamnation. Cela peut paraître assez surprenant, d’abord parce que le début du
texte semble présenter la liberté comme quelque chose d’essentiel à une vie
digne, et ensuite parce que la liberté est traditionnellement considérée comme un
bien positif, que beaucoup recherchent. Mais si la liberté est une forme de
condamnation, c’est parce que « nous sommes seuls ». Sans Dieu rassurant, sans
conduite claire et donnée à suivre, nous sommes en effet et manifestement seuls
face à nous-mêmes, à nos décisions et à nos choix. Il serait ainsi intéressant de
contextualiser un peu notre extrait, paru en 1946, très rapidement après la
seconde guerre mondiale, et donc contemporain des crimes nazis et de la
collaboration. Si, par exemple, certaines personnes ont obéi aux nazis, pour
Sartre, il s’agissait d’un choix de leur part, et non d’une obligation, d’un
déterminisme etc. Il faut ainsi selon lui reconnaître que lorsque nous faisons
quelque chose, nous le faisons en toute autonomie. Nous n’avons d’autres choix
que de vivre, d’exister, de prendre des décisions, nous sommes alors
« condamnés » à l’existence. Non seulement nous n’avons pas choisi de vivre,
mais nous ne choisissons pas non plus le fait d’être libres : puisque nous n’avons
pas de nature, notre nature est, peut-être paradoxalement, d’être libres et seuls.
Nous sommes alors « jeté[s] dans le monde, […] responsable[s] ». Celui
qui se cache derrière des excuses, des conditions de vie, se déresponsabilise à la
façon d’un enfant. Selon l’auteur, être libre c’est donc, de fait, devoir porter la
responsabilité entière et sans condition de ce que nous faisons de nous-mêmes,
sous peine de faire preuve de ce qu’il appelle, ailleurs dans son œuvre, la
« mauvaise-foi ». Il s’agit de l’idée selon laquelle lorsque l’on se cache derrière
des excuses, nous nous voilons la face pour ne pas nous mettre en faute. Par
exemple, si quelqu’un n’est pas devenu un artiste célèbre, et qu’il répond que ce

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n’est pas de sa faute parce qu’il n’était pas dans les bons milieux, il fait preuve,
pour Sartre, de mauvaise foi, parce qu’il lui n’a pas assez persévéré par exemple.
Se donner des excuses, c’est nier la dimension absolue de la liberté que nous
avons, c’est peut-être aussi ne pas tout à fait la comprendre. Si la responsabilité
est en effet une dimension fondamentale de la liberté, et qu’elle en découle
directement, il faut peut-être aussi questionner un peu cette idée de ne plus avoir
d’excuses. Les travaux importants de la sociologies, tels que présentés par
Bourdieu par exemple, sont postérieurs à l’ouvrage de Sartre et montrent que, de
manière inconscientes, des déterminismes pèsent sur l’individu et sur ne serait-ce
que les possibles choix qui s’offrent à lui. Par exemple, si un élève ne parvient
pas à l’ENA, ce n’est pas toujours faute de travail personnel, mais sans doute
aussi faute d’un accès qui est en dehors de ses pouvoirs. Aussi, si la
responsabilité ne peut être niée, elle est doit être nuancée par la quantité de
liberté dont un individu peut faire preuve, notamment à la lumière des derniers
travaux sociologiques.

Dans l’introduction, nous nous sommes demandés dans quelle mesure la


non existence de Dieu permettait à l’auteur d’affirmer la liberté de l’homme, et
pourquoi est-ce qu’il en venait à dire que nous étions « condamnés à être libres ».
Si Dieu n’existe pas , nous n’avons pas de nature humaine figée qui dicterait nos
façons d’être et nos choix d’actions. Nous sommes alors libres au sens où nous
sommes alors maîtres de nos décisions. Il s’agit d’une condamnation, car nous ne
pouvons faire autrement : nous sommes obligés d’être responsables de nous-
mêmes. La liberté est donc au centre de la doctrine existentialiste de Sartre,
notamment dans un contexte où il était essentiel de déterminer la part de la
responsabilité individuelle de chacun. Si certaines dimensions de notre extrait
doivent être nuancés, notamment par la sociologie contemporaine, la portée du
texte et ses enjeux sont cruciaux : même si notre liberté peut être angoissante, et
elle l’est, nous devons y faire face pour penser notre moralité et la portée de nos
actions.

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