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Œuvre suivie:

J.P. Sartre, L'existentialisme est un humanisme

(Notions abordées : Liberté, Devoir, Art)

I. Liberté
II. Subjectivité et intersubjectivité
III. Morale
IV. Critiques et Réponses

L'existentialisme est un humanisme est un ouvrage publié en 1946 à partir d'une conférence
donnée à Paris en 1945 par Jean-Paul Sartre, soit deux ans après la parution de L'Etre et le
néant. Cette conférence porte principalement sur des questions morales et a pour but de
vulgariser la philosophie sartrienne au-delà du public philosophe. Sartre est ici amené à définir
sa doctrine, l'existentialisme, comme reposant sur la notion d'une liberté absolue de l'homme.

I. Liberté

A. L'existence précède l'essence

Nous pourrions résumer la thèse majeure de l'existentialisme par cette phrase : chez l'homme
« l'existence précède l'essence » (p.26). Qu'est-ce à dire ? L'existence d'un être ne concerne
que sa présence réelle dans le monde. Par exemple, mon vélo existe tandis que la licorne
n'existe pas. Mais l'essence d'un être c'est sa nature, sa définition, ce qui le caractérise en
propre. Ainsi l'essence de la licorne est d'avoir un corps proche de celui du cheval mais avec
un corne en haut du front en plus. Pourquoi donc dire que chez l'homme, l'existence précède
l'essence ? Sartre oppose ainsi le monde humain au monde des choses chez qui au contraire
« l'essence (...) précède l'existence » (p.27). Il prend l'exemple du coupe-papier, qui, comme
son nom l'indique d'ailleurs, est fait pour couper du papier. C'est-à-dire que l'artisan qui
produit cet objet, le produit dans ce but précis déterminé à l'avance. Je ne fais exister cet objet
que pour remplir une certaine fonction que je lui attribue en amont. Et Sartre va jusqu'à
considérer que dans une conception religieuse qui pense l'homme comme un être créé par
Dieu, on retrouve cette vision technique selon laquelle l'essence précéderait l'existence de
l'homme. En effet, Dieu en créant, sait ce qu'il crée. « Ainsi, le concept d'homme, dans l'esprit
de Dieu, est assimilable au concept de coupe-papier dans l'esprit de l'industriel ; et Dieu
produit l'homme suivant des techniques et une conception, exactement comme l'artisan
fabrique un coupe-papier suivant une définition et une technique. »(p.28). Sartre critique donc
cette position théorique qui considère toujours l'homme comme prédéterminé par une essence,
une nature humaine. En effet, même chez les philosophes athées, on continue à retrouver les
notions de « nature humaine » (p.28). Or, selon Sartre, si Dieu n'existe pas, il n'existe pas non
plus d'essence, de nature humaine, en tout cas pas avant que l'homme ne se soit fait lui-même.
En effet, si l'existence précède l'essence, dans le cas de l'homme, c'est qu'il n'est jamais
déterminé a priori comme étant ceci ou cela, mais qu'il ne peut être caractérisé qu' a posteriori,
une fois existant, agissant. C'est pourquoi : « L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il
n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se
sera fait. » (p.29) Cela signifie que l'homme a la liberté de se choisir, de se construire comme
l'homme qu'il veut être, il n'est pas déterminé par une essence qui lui collerait à la peau malgré
lui.

B. Une nature humaine ?

Sartre donc critique la notion d'une prétendue nature humaine universelle qui définirait
l'ensemble des hommes au-delà de leurs différences singulières et accidentelles (comme par
exemple, le fait d'être bourgeois ou prolétaire, érudit ou inculte etc), l'idée selon laquelle ils
posséderaient tous un socle commun de propriétés, de qualités de base (p.28). Cependant,
Sartre consent à parler de « condition » humaine (p.59) en désignant par là l'ensemble des
limites a priori qui dessinent la situation de l'homme dans le monde. Qu'est-ce à dire ? Il s'agit
d'affirmer non pas que les hommes soient semblables, mais que le cadre dans lequel ils ont à
vivre est semblable, malgré les différences historiques et culturelles. Ainsi, qu'importe la
place qu'occupe un homme dans une société, qu'il soit dominant ou exploité, il y a une
constante : vivre dans le monde, au milieu d'autres hommes, dans un environnement organisé
par le travail, et être mortel (p.60). Ces limites sont à la fois objectives, en ce qu'elles se
rencontrent partout et s'imposent aux hommes, et en même temps subjectives en ce qu'elles
sont vécues par chacun, et que chacun a alors à se déterminer par rapport à elles, à se choisir,
à se construire par rapport à elles. Il s'agit donc d'affirmer que nous sommes tous a priori dans
une même condition humaine, mais que nous aurons chacun notre projet existentiel, personnel
par rapport à cette condition. La notion sartrienne de « projet » (étymologiquement : jeter en
avant) implique donc que chaque homme est engagé dans une certaine direction.

C. Vision de l'histoire

Dès lors que les hommes sont libres, on ne peut prévoir leur action, leur devenir avec
certitude. Bien qu'adhérant aux valeurs du communisme, Sartre prend ici ses distances avec
la pensée marxiste de l'histoire. En effet, Marx considère la révolution prolétarienne,
paradoxalement à la fois comme un but vers lequel il faut tendre (registre prescriptif), et en
même temps comme une fin nécessaire de l'histoire, c'est-à-dire comme un événement qui ne
pourrait pas ne pas avoir lieu (registre descriptif). C'est de cette seconde proposition que Sartre
se détache ici puisqu'il ne saurait rien affirmer de nécessaire dans l'histoire des hommes dès
lors que ceux-ci sont absolument libres. En effet, je ne peux qu'affirmer que je veux la
révolution prolétarienne et que je ferai tout pour qu'elle advienne, mais je ne peux pas
prétendre savoir ce qui arrivera à l'avenir, après ma mort, ce que les hommes feront et
décideront à l'avenir puisque chacun d'entre eux est libre et donc imprévisible. Je peux donc
m'engager concrètement dans un parti où je connais mes camarades et compte sur eux et où
je joue un rôle actif, mais je ne peux pas affirmer que la Révolution triomphera par delà ma
mort et mon action individuelle car : « je dois me borner à ce que je vois ; je ne puis pas être
sûr que des camarades de lutte reprendront mon travail après ma mort pour le porter à un
maximum de perfection, étant donné que ces hommes sont libres et qu'ils décideront demain
de ce que sera l'homme ; demain, après ma mort, des hommes peuvent décider d'établir le
fascisme, et les autres peuvent être assez lâches et désemparés pour les laisser faire ; à ce
moment-là, le fascisme sera la vérité humaine, et tant pis pour nous ; en réalité, les choses
seront telles que l'homme aura décidé qu'elles soient. » (p.50)

II. Subjectivité et intersubjectivité

D'abord, Sartre reprend à son compte le cogito cartésien. Il reconnaît dans le « Je pense donc
je suis » la première vérité incontestable. Cependant, là où chez Descartes, cette seule et
première certitude de ma propre existence conduit au solipsisme (c'est-à-dire au fait de douter
de l'existence des autres sujets hors de moi), elle repose au contraire chez Sartre sur la base
de l'intersubjectivité. En effet, pour Sartre, on ne saurait douter de l'existence d'autrui. C'est
d'ailleurs ce qu'il écrit dans L'Etre et le néant en considérant qu'au fond, personne n'est
vraiment solipsiste (sous-entendu pas même Descartes) étant donné que le solipsisme est une
attitude théorique artificielle et intenable, qui demande un grand effort mais qui ne convainc
vraiment personne. Au contraire, Sartre pose que le moment du cogito n'est pas simplement
le moment de la révélation de ma seule propre subjectivité mais qu'il est aussi celui de la
découverte de l'intersubjectivité. Autrement dit, ma propre existence est dépendante de celle
des autres (là où au contraire Descartes pensait comme possible ma propre existence
indépendamment de celle des autres, c'est-à-dire pensait comme possible le fait que j'existe
quand bien même tous les autres n'existeraient pas). Pour Sartre donc, je ne peux être sans
autrui. « Ainsi, l'homme qui s'atteint directement par le cogito découvre aussi tous les autres,
et il les découvre comme la condition de son existence. Il se rend compte qu'il ne peut rien
être ( au sens où l'on dit qu'on est spirituel, ou qu'on est méchant, ou qu'on est jaloux) sauf si
les autres le reconnaissent comme tel. Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que
je passe par l'autre. L'autre est indispensable à mon existence, aussi bien d'ailleurs qu'à la
connaissance que j'ai de moi. » (p.58-59). Ainsi, ce monde que je découvre en me découvrant
et en découvrant autrui toujours face à moi, est celui de l'intersubjectivité.

III. Morale

A. Responsabilité individuelle

Il faut bien noter le lien entre les notions de liberté et celle de responsabilité chez Sartre. Si
je suis absolument libre, alors je suis nécessairement responsable de tous mes actes, puisque
je n'ai pas d'alibi, de déterminisme pouvant m'excuser. C'est la première conséquence de
l'existentialisme athée : si je ne suis pas créé et prédéterminé par Dieu, et que je me construis
librement moi-même, alors je suis du même coup responsable de l'homme que je suis. Je ne
peux plus me défendre en prétendant que je suis ainsi car c'est mon destin, car Dieu m'a fait
ainsi, ni même que j'agis ainsi car je suis emporté par une passion violente ou par mon
inconscient : je suis dramatiquement libre, c'est-à-dire que tous mes actes me sont imputables
et que je n'ai pas d'excuse. Or ce point est particulièrement difficile à accepter pour la société.
« Et au fond, c'est ce que les gens souhaitent penser : si vous naissez lâches, vous serez
parfaitement tranquilles, vous n'y pouvez rien, vous serez lâches toute votre vie, quoi que vous
fassiez ; si vous naissez héros, vous serez aussi parfaitement tranquilles, vous serez héros
toute votre vie, vous boirez comme un héros, vous mangerez comme un héros. Ce que dit
l'existentialiste, c'est que le lâche se fait lâche, que le héros se fait héros ; il y a toujours une
possibilité pour le lâche de ne plus être lâche, et pour le héros de cesser d'être un héros. »
(p.55-56) Ce qu'affirme Sartre c'est que nous sommes responsables de ce que nous sommes,
le lâche est responsable de sa lâcheté. Il s'inscrit donc en rupture avec le naturalisme de Zola
qui dépeint le déterminisme de l'hérédité et du milieu, et son influence sur les caractères de
ses personnages (ex : famille des Rougon-Macquart). Au contraire Sartre refuse de déterminer
les hommes par leur présupposées dispositions naturelles, héréditaires, leurs tempéraments
mais par leurs actes. « ce qui fait la lâcheté, c'est l'acte de renoncer ou de céder, un
tempérament ce n'est pas un acte ; le lâche est défini à partir de l'acte qu'il a fait. » (p.55).
Mon acte engage donc ma responsabilité.

B. Je suis responsable de l'humanité

Bien plus, Sartre va jusqu'à affirmer que par mon acte, je n'engage pas que ma responsabilité
mais celle de toute l'humanité. Qu'est-ce à dire ? (cf. p.31 : « Et quand nous disons que
l'homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l'homme est responsable
de sa stricte individualité, mais qu'il est responsable de tous les hommes. »). Il s'agit pour
Sartre de se rendre compte de la portée de mon acte en pensant son universalisation. Dans
mon action individuelle, je n'affirme donc pas simplement ce que je veux pour moi, mais
j'affirme en même temps par là-même ce que je pense être bon pour tous. « Quand nous disons
que l'homme se choisit, nous entendons que chacun d'entre nous se choisit, mais par là nous
voulons dire aussi qu'en se choisissant il choisit tous les hommes. En effet, il n'est pas un de
nos actes qui, en créant l'homme que nous voulons être, ne crée en même temps une image de
l'homme tel que nous estimons qu'il doit être. Choisir d'être ceci ou cela, c'est affirmer en
même temps la valeur de ce que nous choisissons (...) » (p. 31-32). Ma responsabilité engage
donc l'humanité entière. Exemple : « Si je suis ouvrier, et si je choisis d'adhérer à un syndicat
chrétien plutôt que d'être communiste, si, par cette adhésion, je veux indiquer que la
résignation est au fond la solution qui convient à l'homme, que le royaume de l'homme n'est
pas sur la terre, je n'engage pas seulement mon cas : je veux être résigné pour tous, par
conséquent ma démarche a engagé l'humanité tout entière. » (p.32). En ce sens, on pourrait
penser à un rapprochement entre la morale de Sartre et celle de Kant sur la notion
d'universalité. En effet, la morale kantienne exige d'agir toujours comme si la maxime de mon
action devait être érigée en loi universelle. (C'est-à-dire qu'il faut que chacune de mes actions
puisse faire l'objet d'une maxime universelle. C'est pourquoi il n'est pas moral de mentir, selon
Kant, et ce dans n'importe quelle situation car : je ne peux pas vouloir que le mensonge
devienne la norme universelle. Je voudrais pouvoir mentir simplement dans cette situation
tandis que je continue à reconnaître le mensonge comme étant à bannir, et ne l'accepterais pas
de la part des autres : c'est donc immoral.) On retrouve cette notion d'universalisation de mon
acte chez Sartre. En effet, l'existentialisme exige pour chacun de mes actes de se demander :
« qu'arriverait-il si tout le monde en faisait autant ? » (p.34). Donc en agissant, je ne fais pas
que choisir pour moi seul, j'affirme en même temps la valeur universelle de mon choix.

C. Angoisse, délaissement et désespoir

. L'angoisse :

Ma responsabilité vis-à-vis de l'humanité entière me fait éprouver le sentiment d'angoisse.


Celui qui ne connaît pas l'angoisse est celui qui fuit sa responsabilité par la mauvaise foi,
c'est-à-dire celui qui ment en répondant à cette question : « mais si tout le monde faisait
comme vous ? » par cette réponse de mauvaise foi : « tout le monde ne fait pas comme ça »
(p.34). Cet homme nie sa responsabilité à l'égard de l'humanité en minimisant la portée de
son acte individuel. Et par là, il se garde aussi implicitement le droit de faire ce qu'il ne
supporterait pas que les autres fassent. (Sartre propose à la fin du livre deux figures de la
mauvaise foi : celles du lâche et du salaud. (p.70). Les lâches sont ceux qui se masquent leur
responsabilité et leur liberté totale en ayant recours aux prétextes d'ordre, de commandement
hiérarchique par exemple, ou encore en s'appuyant sur l'excuse d'une passion (comme torrent
dévastateur), ou sur un tempérament fixé, déterminé, ou sur des signes qui seraient inscrits
dans le monde et leur montreraient la voie. Les salauds sont ceux qui se masquent l'absolue
contingence de leur existence et pensent leur vie comme nécessaire et allant de soi. Le lâche
et le salaud sont donc deux anti-modèles dans la construction authentique de soi.)
L'angoisse est donc ce sentiment de prise de conscience de la portée universelle de mon acte :
« je suis obligé à chaque instant de faire des actes exemplaires. Tout se passe comme si, pour
tout homme, toute l'humanité avait les yeux fixés sur ce qu'il fait et se réglait sur ce qu'il fait.
Et chaque homme doit se dire : suis-je bien celui qui a le droit d'agir de telle sorte que
l'humanité se règle sur mes actes ? Et s'il ne se dit pas cela, c'est qu'il se masque l'angoisse. »
(p.35-36). C'est donc ma responsabilité à l'égard de l'humanité qui serait source d'angoisse.
Cependant, l'angoisse ici décrite par Sartre n'est pas celle qui conduirait à l'immobilité, à
l'inaction ou encore au quiétisme (doctrine spirituelle prônant le renoncement, la passivité, le
fait de s'en remettre à Dieu). Au contraire, l'angoisse fait partie de l'action même, il s'agit de
l'angoisse que connaissent tous ceux qui ont des responsabilités, les chefs décisionnaires par
exemple. « Lorsque , par exemple, un chef militaire prend la responsabilité d'une attaque et
envoie un certain nombre d'hommes à la mort, il choisit de le faire, et au fond il choisit seul.
Sans doute il y a des ordres qui viennent d'en haut, mais ils sont trop larges et une
interprétation s'impose, qui vient de lui, et de cette interprétation dépend la vie de dix ou
quatorze ou vingt hommes. Il ne peut pas ne pas avoir, dans la décision qu'il prend, une
certaine angoisse. Tous les chefs connaissent cette angoisse. Cela ne les empêche pas d'agir,
au contraire, c'est la condition même de leur action (…). » (p.36)

. Le délaissement :

Le délaissement désigne la situation de l'homme face à l'absence de Dieu. La notion de


délaissement nous invite à considérer les conséquences morales de l'inexistence de Dieu.
Sartre commence par critiquer un certain type de morale laïque qui « voudrait supprimer Dieu
avec le moins de frais possible » (p.37). Ce qu'il reproche à cette entreprise c'est de vouloir
garder exactement la même morale mais en supprimant simplement la notion de Dieu. Cela
reviendrait à affirmer que les mêmes valeurs perdurent, mais qu'elles ne sont simplement plus
dictées par Dieu mais qu'elles résident dans un ciel intelligible. Sartre résume ainsi cette
morale laïque : « rien ne sera changé si Dieu n'existe pas » (p.38). L'existentialisme au
contraire affirme un renversement moral si Dieu n'existe pas : « L'existentialiste, au contraire,
pense qu'il est très gênant que Dieu n'existe pas, car avec lui disparaît toute possibilité de
trouver des valeurs dans un ciel intelligible ; il ne peut plus y avoir de bien a priori, puisqu'il
n'y a pas de conscience infinie et parfaite pour le penser ; il n'est écrit nulle part que le bien
existe, qu'il faut être honnête, qu'il ne faut pas mentir, puisque précisément nous sommes sur
un plan où il y a seulement des hommes. » (p.38-39). A partir du moment où Dieu n'existe pas,
on ne peut plus se référer à une morale unique, parfaite et préétablie qui guiderait notre action.
Ainsi, Sartre fait référence à la fameuse phrase de Dostoïevski (dans Les frères Karamazov) :
« Si Dieu n'existe pas, tout est permis ». Ainsi, le délaissement signifie non seulement que
l'homme soit délaissé par l'absence de Dieu mais du même coup aussi par l'absence de valeurs
données et figées. Dire que l'homme est dans une situation de délaissement, c'est dire que :
« Nous sommes seuls, sans excuses. » (p.39). Ainsi, l'homme est condamné à inventer ses
valeurs, à se construire, à choisir sa morale, à faire des choix seul mais au nom de tous, bref :
« l'homme est condamné à être libre »(p.39). C'est-à-dire que l'homme ne peut pas ne pas être
libre, il n'a certes pas choisi de venir au monde, mais à partir du moment où il existe, il est
absolument libre et par conséquent responsable de tout ce qu'il fait.
Problème : N'y a-t-il pas tout de même des limites à notre liberté et notre responsabilité ? Par
exemple, ne suis-je pas moins responsable si j'obéis à des ordres, si je suis des conseils, si
j'interprète des signes ?
Réponse de Sartre : - les ordres sont toujours assez larges, vagues et me laissent la possibilité
de les interpréter (cf. l'exemple du chef d'armée, p. 36)
- Demander un conseil à quelqu'un, c'est d'abord choisir le conseiller. Je
choisis de demander conseil à un instituteur ou à un prêtre, à un prêtre résistant ou à un prêtre
collaborationniste (je sais déjà à ce moment ce qu'il me dira, donc choisir le conseiller c'est
choisir) (Cf. p.45)
- Si j'agis selon des signes qui se révèlent à moi, ce n'est quand même
que moi qui interprète ces signes, leur donne un sens. (Cf. p.46-47).
Cet état de délaissement amène Sartre à critiquer plusieurs morales traditionnelles. Nous y
reviendrons.

. Le désespoir :

Contrairement à ce que l'on pourrait supposer, le désespoir n'est pas une notion pessimiste
chez Sartre. Il est plutôt à entendre comme une négation d'un espoir démesuré et irrationnel.
Ainsi le désespoir se réduit chez Sartre à cette idée : « nous nous bornerons à compter sur ce
qui dépend de notre volonté, ou sur l'ensemble des probabilités qui rendent notre action
possible » (p.47). On peut rapprocher cette notion sartrienne de désespoir du précepte stoïcien
selon lequel nous ne devons désirer que ce qui dépend de nous ( et sous-entendu ne pas désirer,
espérer ce qui ne dépend pas de nous). Sartre fait ainsi référence à Descartes qui, dans sa
morale par provision, reprend le précepte stoïcien : « Se vaincre plutôt soi-même que le
monde » (p.48). Sartre reprend à son compte cette maxime cartésienne en l'expliquant ainsi :
« agir sans espoir » (p.48). Cela ne veut pas dire par exemple que le communiste qu'est Sartre
ne souhaite pas que la révolution prolétarienne aboutisse. Cela veut simplement dire que, pour
qu'elle aboutisse, Sartre ne compte que sur lui-même et sur ses compagnons de lutte concrets
qu'il connaît, avec qui il travaille et il ne nourrit aucun espoir sur le devenir de cette lutte après
sa mort, par des hommes qu'il ne connaît pas. Tout simplement parce qu'alors il s'agirait
d'espérer quelque chose sur lequel je n'ai aucune prise.

D. Les différentes morales

Sartre est amené à critiquer plusieurs morales traditionnelles pour montrer qu'elles ne nous
aident en rien à faire des choix concrets. Pour cela, il va prendre le cas de conscience réel que
lui soumet un de ses étudiants. Celui-ci vient lui demander conseil pour savoir ce qu'il devrait
faire dans sa situation que voici : (p.41-42) la situation se passe pendant la Seconde Guerre
Mondiale, son père est brouillé avec sa mère et son frère aîné a été tué à la guerre par les
Allemands. Il est tiraillé entre son envie de venger son frère et donc de partir s'engager dans
les Forces Françaises Libres, et son envie de rester auprès de sa mère et de l'aider à vivre.
C'est-à-dire soit l'abandonner et risquer de mourir, ce qui la ferait sombrer dans le désespoir,
soit rester s'occuper d'elle. C'est-à-dire encore soit partir mais sans savoir si son action
aboutirait, soit certes, se limiter à une action de moindre ampleur mais qui aurait un effet
concret sur un individu au moins.

. La morale chrétienne :

La morale chrétienne incite à aimer son prochain. Mais dans ce cas-ci, qui doit-il considérer
comme son prochain ? Son frère, le combattant qu'il faut venger ? Ou sa mère ? La morale
chrétienne en l'occurrence ne nous donne pas de réponse.

. La morale kantienne :

La morale kantienne exige de traiter autrui jamais seulement comme un moyen mais toujours
aussi comme une fin (c'est-à-dire jamais comme un simple outil, instrument à mon service,
mais toujours aussi comme une fin en soi, comme quelqu'un qui se donne à lui-même ses
propres buts, comme une personne douée de volonté propre). Mais dans ce cas, dit Sartre, « si
je demeure auprès de ma mère, je la traiterai comme fin et non comme moyen, mais de ce fait
même, je risque de traiter comme moyen ceux qui combattent autour de moi ; et
réciproquement si je vais rejoindre ceux qui combattent je les traiterai comme fin, et de ce
fait je risque de traiter ma mère comme moyen. » (p.43). Nous retomberions donc sur le même
problème que posait la morale chrétienne : la morale kantienne ne nous aiderait pas dans ce
cas-ci à guider notre action.
De plus, Sartre reproche à la morale kantienne son caractère trop abstrait, formel. Kant en
effet formule un impératif catégorique du devoir, au nom de l'universalité de la loi morale. Il
s'agirait selon Kant d'agir toujours de façon à ce que la maxime de mon action puisse être
érigée comme règle universelle, il s'agit de toujours considérer autrui non seulement comme
moyen mais aussi et toujours comme une fin, et il s'agit enfin toujours d'agir non par
inclination, penchant sensible ou intérêt mais par devoir (par obéissance à la loi morale en
moi). C'est au nom de son abstraction que Sartre critique la morale kantienne : « Nous pensons,
au contraire, que des principes trop abstraits échouent pour définir l'action. » (p.71) Sartre
considère que l'homme est toujours pris dans une situation concrète, unique, et que par
conséquent une morale donnée, abstraite et figée ne serait d'aucun secours dans ces cas
concrets. « Le contenu est toujours concret, et par conséquent imprévisible ; il y a toujours
invention. »(p.71). Nous reviendrons sur cette notion d'une morale de l'invention.

. La morale du sentiment (ou de l'instinct)

Ce qu'on pourrait appeler du nom de « morale du sentiment » est cette solution proposée par
l'élève lui-même de Sartre : « au fond, ce qui compte, c'est le sentiment ; je devrais choisir ce
qui me pousse vraiment dans une certaine direction. Si je sens que j'aime assez ma mère pour
lui sacrifier tout le reste – mon désir de vengeance, mon désir d'action, mon désir d'aventures
– je reste auprès d'elle. Si, au contraire, je sens que mon amour pour ma mère n'est pas
suffisant, je pars. » (p.44) Le problème que note Sartre dans cette solution, c'est de savoir
comment déterminer la valeur d'un sentiment. Il sous-entend que ce qui fait la valeur du
sentiment de son élève pour sa mère c'est précisément le fait qu'il reste pour elle, et rien d'autre.
« Je puis dire : j'aime assez tel ami pour lui sacrifier telle somme d'argent ; je ne puis le dire
que si je l'ai fait. Je puis dire : j'aime assez ma mère pour rester auprès d'elle, si je suis resté
auprès d'elle. Je ne puis déterminer la valeur de cette affection que si, précisément, j'ai fait
un acte qui l'entérine et qui la définit. Or, comme je demande à cette affection de justifier mon
acte, je me trouve entraîné dans un cercle vicieux. »(p.44). Ainsi, cette morale semble encore
impuissante à nous guider dans nos choix selon Sartre. En effet, je prétends agir selon mes
sentiments instinctifs, mais ne sont-ce pas plutôt mes actions concrètes qui me font connaître
et prendre conscience de l'intensité de mes sentiments ? Encore une fois chez Sartre, je ne me
définis que par mes actes. Il n'y a pas de notion de sentiment non actualisé, en puissance. Tout
l'amour que j'ai pour ma mère c'est celui que j'exprime par mes actes, rien d'autre. Il n'y a pas
de virtualité du sentiment. Voilà pourquoi cette morale échoue encore selon Sartre à guider
dans l'action.

. La morale de l'invention

La solution finalement retenue par Sartre consiste à comparer la morale à l'esthétique, le


choix moral à la construction d'une œuvre d'art. (p.64-66). Il ne s'agit pas de proposer une
morale esthétique, au sens où elle prendrait en compte la beauté des actes. Mais il s'agit de
dire que la morale, dès lors qu'elle ne repose plus sur un commandement divin ou un ensemble
de préceptes préétablis, figés, exige une invention, une créativité qu'on peut comparer à
l'inventivité artistique. « Ceci dit, a-t-on jamais reproché à un artiste qui fait un tableau de
ne pas s'inspirer des règles établies a priori ? A-t-on jamais dit quel est le tableau qu'il doit
faire ? Il est bien entendu qu'il n'y a pas de tableau défini à faire, que l'artiste s'engage dans
la construction de son tableau, et que le tableau à faire c'est précisément le tableau qu'il aura
fait ; il est bien entendu qu'il n'y a pas de valeurs esthétiques a priori, mais qu'il y a des valeurs
qui se voient ensuite dans la cohérence du tableau, dans les rapports qu'il y a entre la volonté
de création et le résultat. Personne ne peut dire ce que sera la peinture de demain ; on ne
peut juger la peinture qu'une fois faite. Quel rapport cela a-t-il avec la morale ? Nous sommes
dans la même situation créatrice. » (p.65) Ou encore : « Ce qu'il y a de commun entre l'art et
la morale, c'est que, dans les deux cas, nous avons création et invention. Nous ne pouvons
pas décider a priori de ce qu'il y a à faire. » (p.66). Ce rapprochement entre l'art et la morale
n'a pas pour but d'affirmer que l'action bonne doit être belle, que l'action morale doit viser la
beauté. Non, cette comparaison est plutôt centrée sur le mode opératoire de l'art et de la
morale : leur mode de création. Il s'agirait de considérer ici que l'artiste (contrairement peut-
être à l'artisan) n'est pas soumis à une règle, à des maximes définissant la beauté, définissant
par avance ce que son œuvre devrait être. Tout comme l'action morale n'est pas une simple
conformité avec des règles morales déjà posées a priori. Dans les deux cas, faire un choix
moral, ou créer une œuvre relèverait de l'invention proprement neuve et personnelle. Ce qui
expliquerait, non pas qu'on ne puisse rien juger ou désapprouver moralement, mais qu'on ne
puisse le faire qu' a posteriori, en jugeant de la cohérence de différents actes entre eux, tout
comme on juge le résultat final d'un tableau et non chaque trait de pinceau.
Cela implique également que, si la morale ne repose pas pour Sartre sur des règles pures a
priori abstraites, elle ne se manifeste que dans et par les actes concrets. Or, nous l'avons vu,
Sartre refuse de penser des possibles non réalisés, comme des sentiments non exprimés, des
talents non révélés. « il n'y a de réalité que dans l'action (…) l'homme n'est rien d'autre que
son projet, il n'existe que dans la mesure où il se réalise, il n'est donc rien d'autre que
l'ensemble de ses actes, rien d'autre que sa vie. D'après ceci, nous pouvons comprendre
pourquoi notre doctrine fait horreur à un certain nombre de gens. Car souvent ils n'ont qu'une
seule manière de supporter leur misère, c'est de penser : « Les circonstances ont été contre
moi, je valais beaucoup mieux que ce que j'ai été ; bien sûr, je n'ai pas eu de grand amour, ou
de grande amitié, mais c'est parce que je n'ai pas rencontré un homme ou une femme qui en
fussent dignes, je n'ai pas écrit de très bons livres, c'est parce que je n'ai pas eu de loisirs
pour le faire ; je n'ai pas eu d'enfants à qui me dévouer, c'est parce que je n'ai pas trouvé
l'homme avec lequel j'aurais pu faire ma vie. Sont restées donc, chez moi, inemployées et
entièrement viables, une foule de dispositions, d'inclinations, de possibilités qui me donnent
une valeur que la simple série de mes actes ne permet pas d'inférer. » Or, en réalité, pour
l'existentialiste, il n'y a pas d'amour autre que celui qui se construit, il n'y a pas de possibilité
d'amour autre que celle qui se manifeste dans un amour ; il n'y a pas de génie autre que celui
qui s'exprime dans des œuvres d'art : le génie de Proust c'est la totalité des œuvres de Proust ;
le génie de Racine c'est la série de ses tragédies, en dehors de cela il n'y a rien ; pourquoi
attribuer à Racine la possibilité d'écrire une nouvelle tragédie, puisque précisément il ne l'a
pas écrite ? Un homme s'engage dans sa vie, dessine sa figure, et en dehors de cette figure il
n'y a rien. Evidemment, cette pensée peut paraître dure à quelqu'un qui n'a pas réussi sa vie.
Mais d'autre part, elle dispose les gens à comprendre que seule compte la réalité, que les
rêves, les attentes, les espoirs permettent seulement de définir un homme comme rêve déçu,
comme espoirs avortés, comme attentes inutiles ; c'est-à-dire que ça les définit en négatif et
non en positif (...) » (p.52-53). Ce passage est long mais très éclairant sur la morale sartrienne
qui n'est rien d'autre qu'une morale d'action, d'engagement. Cet extrait met aussi en lumière
les raisons de la résistance du public à admettre cette morale : elle est dure car elle n'admet
pas d'excuse, elle n'admet pas de « ce n'est pas de ma faute ».

E. L'humanisme

En déclarant que l'existentialisme est un humanisme, Sartre prend soin de préciser de quel
humanisme il s'agit. En effet, il distingue deux types d'humanisme. D'abord, l'humanisme qu'il
rejette et critique est celui qui consiste à prendre l'homme comme fin et valeur supérieure.
(Exemple p.74 : dire « l'homme est épatant » à propos du fait que l'homme est capable de
construire des avions, alors que je n'ai pas moi-même construit d'avions mais que je
bénéficierai quand même de cet honneur.) Ce que Sartre conteste c'est l'idée selon laquelle
nous pourrions en tant qu'hommes, porter un jugement universel sur l'homme. Etant nous-
mêmes inclus dans le groupe que nous voulons juger, ce jugement n'aurait pas de valeur et
risquerait de pêcher par sa partialité, c'est pourquoi Sartre écrit que seul un être comme le
chien ou le cheval (c'est-à-dire non pas des hommes) pourraient juger l'homme dans son
ensemble. Au contraire l'humanisme dont se réclame Sartre ne considère pas l'homme comme
la fin, la valeur suprême, l'être supérieur au sein de la nature à qui il faudrait vouer un culte
et vanter les mérites. L'humanisme existentialiste repose simplement sur l'idée selon laquelle
l'homme est délaissé, sans Dieu, sans transcendance divine, et que c'est à lui de se transcender
vers des buts hors de lui, de se dépasser. Cet humanisme repose sur l'idée selon laquelle
l'homme est maître et responsable de lui-même (p.74-77). Sartre finit son ouvrage en précisant
donc que le but de l'existentialisme n'est pas tant de démontrer l'inexistence de Dieu que de
penser les conséquences morales d'un tel délaissement : « Non pas que nous croyions que
Dieu existe, mais nous pensons que le problème n'est pas celui de son existence ; il faut que
l'homme se retrouve lui-même et se persuade que rien ne peut le sauver de lui-même » (p.77).

IV.Critiques et Réponses

Ce texte très court de Sartre est pour lui l'occasion de répondre à un certain nombre
d'objections et de critiques qui, pour la plupart ne lui sont pas adressées par des philosophes.
Ces critiques lui viennent globalement de deux côtés : les catholiques et les communistes.
A. La critique catholique

– Les catholiques reprochent d'abord à Sartre de dépeindre du sordide, de la laideur,


dans ses œuvres littéraires notamment. Ce faisant, il véhiculerait, selon eux, une vision
pessimiste de l'homme. A cela, il répond qu'il n'est pas pessimiste car il n'est en rien
fataliste. En effet, contrairement à Zola par exemple qui dépeint des caractères tout
aussi laids et sordides, Sartre ne condamne pas les hommes à un destin, à un
déterminisme implacable. Etant donné que l'homme se fait lui-même et qu'il n'est que
ce qu'il se fait, l'homme a toujours la possibilité de changer, de se réformer par ses
actes. C'est donc une vision optimiste du devenir que nous propose Sartre puisque : « il
y a toujours une possibilité pour le lâche de ne plus être lâche » (p.55). Au contraire, il
renverse ce reproche de pessimisme contre ce qu'il nomme la sagesse des nations, c'est-
à-dire un ensemble de proverbes sombres et désabusés sur la nature humaine. Par
exemple : « charité bien ordonnée commence par soi-même » ou encore « oignez
vilain il vous poindra, poignez vilain il vous oindra »(p.24). Ce que Sartre veut montrer
par là c'est que ces dictons populaires sont extrêmement pessimistes et définissent la
nature humaine comme égoïste et cynique, tandis que l'existentialisme qu'il soutient
est bien plus optimiste et humaniste.
– Une autre objection consiste à dire que les valeurs morales ne sont finalement pas
sérieuses étant donné que nous les choisissons nous-mêmes (et qu'elles ne nous sont
pas imposées par Dieu). Sartre répond à cela (p.73-74) en montrant d'abord que sans
Dieu, nous sommes bien obligés d'inventer nous-mêmes nos valeurs, et que d'autre part
inventer les valeurs ne signifie rien d'autre que donner un sens à la vie a posteriori (ce
qui sous-entend que la vie n'ait pas de sens a priori). Notre invention des valeurs et le
sens que nous conférons à la vie se fait donc par l'action, l'engagement concret.
– D'autre part, l'une des critiques adressées à Sartre sur son absence de préceptes moraux
déterminés et sur son absence de Dieu comme juge suprême consiste à le taxer
d'anarchisme en disant « alors vous pouvez faire n'importe quoi »(p.62). Sartre choisit
de répondre à cette objection de manière purement logique. En effet, il affirme qu'il est
certes possible de choisir, mais pas n'importe quoi car il y a bien une chose qui est
impossible, c'est de « ne pas choisir ». Car en refusant de choisir, je choisis de ne pas
choisir, nous serions donc condamnés à la liberté c'est-à-dire au choix.

B. La critique communiste

– Une des critiques communistes consiste à taxer Sartre de pessimisme en s'appuyant


sur son concept de désespoir. En effet, le désespoir ne consiste pas, comme pourraient
l'interpréter à tort les critiques communistes, dans la résignation, dans le fait de
considérer toute action impossible, tout changement comme voué à l'échec. Il s'agit
pour Sartre simplement de limiter raisonnablement son espoir, de n'espérer que ce qu'il
sait être en son pouvoir. Ce désespoir ne conduit donc pas à sombrer dans le
pessimisme et l'inaction, au contraire, il apporte la lucidité à l'engagement concret. (A
ce propos, Sartre se réfère à la doctrine stoïcienne, reprise par Descartes dans sa morale
provisoire).
– D'autre part, un des points de départ de la philosophie sartrienne que les communistes
remettent en cause est le cogito. En effet, le cogito est chez Descartes une expérience
purement personnelle qui mène au solipsisme c'est à dire à l'enfermement dans la
certitude de ma seule existence au détriment de celle d'autrui. On comprend donc bien
que d'un point de vue communiste, le cogito soit perçu comme un acte coupant
l'individu de la communauté. (p.22). Pourtant Sartre défend son héritage cartésien,
d'une part sur le plan de la valeur de la vérité : cette première certitude de soi est
nécessaire à la constitution d'un monde de connaissance (et d'objets probables par
rapport à une certitude absolue) (p.57). Et d'autre part chez Sartre la découverte de soi
est dépendante de celle d'autrui. Je ne peux pas être sans autrui car autrui me constitue
dans mon être (p.59).
– Enfin, Sartre adresse lui-même une critique au déterminisme matérialiste qui nie la
subjectivité humaine. Il lui reproche sa tendance à considérer les hommes comme des
choses c'est-à-dire comme des êtres dont on peut prévoir les réactions déterminées.
C'est donc face à ce déterminisme qui nie la subjectivité humaine que Sartre
revendique pleinement son héritage cartésien : il reconnaît à Descartes d'avoir montré
la dignité de l'homme et sa différence d'avec la chose (res cogitans/res extensa).

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