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Lausanne
LE LIVRE
D E

LIMITATION
D E

JESUS-CHRIST>

TRADUIT DU LATIÏf
de THOMAS a KEMPIS.

Approprié à toutes les Communions


Chrétiennes. Tp^ fit v.\jl

NOUVELLE EDITION,
revue & retouchée.

A LAUSANN
Chez Henri Em. Vincent , Imp. Lîb:
—•p_ .: _ LL - , —
i S o o.
AVIS

AU LECTEUR,

Où Von donne une idée générale de


cet Ouvrage.

Il est surperflu de recommander ici


un Livre connu depuis si long-tenu
Èar la pureté de sa doctrine. Cette
dition n'est faite que pour le rendre
plus commun à toutes sortes de Chré
tiens. Ils y verront les vertus & les
vices , les biens & les maux , le monde,
le Ciel & l'Enfer, les choses de l'ame,
de Dieu & de Jésus-Christ , tous le»
objets spirituels , les combats du Chré
tien , sa route, les états où il doit
passer, ses épreuves , et enfin tous les
saints mouvemens d'un cœur touché
de la grace.
La vraie science de Jésus - Christ
n'est pas la connoissance historique
de sa vie, mais la pratique de ses
vertus et la divine expérience de l'œu
vre interne de son Esprit. Et c'est ce
qu'a admirablement saisi l'Auteur de
A %
IV A T I S
ce Livre , qui négligeant , dédaignant
tout ce qui peut nourrir une vaine
curiosité , s'est uniquement attaché ,
si pn ose s'exprimer ainsi , à la
moelle & à la quintessence de la grace,
à tout ce qui peut remplir le cœur de
son ondtion & le pénétrer de l'amour
de Dieu.
Et voilà" , si nous sommes Chrétiens ,
le -tout et la pratique réelle de la vie
&. de l'exemple de J. Christ, habitant
en nous. Il est donc ici moins ques
tion de l'explication de son histoire,
que de l'exercice de ses vertus. Jésus-
Christ enseignant sur la montagne les
divins préceptes de la vie chrétienne
& l'esprit du vrai Christianisme, nous
doit faire penser qu'il est ici plus
question d'une imitation d'esprit , de
cœur & d'œuvres , que de la descrip
tion , ou d'une suite détaillée de ses
faits et de sa vie extérieure. Le style
de ce livre admirable / montre assez
qu'il «jst fait pour les simples, bien
plus que pour les savans qui s'égarent
dans la vanité de leurs pensées , eu
que pour ces oreilles faussement dé
licates qui veulent une vaine & sym-
métrique élégance là où on n'en a que
au Lecteur. r
faire , qui énerveroit la sublimité et la
douce et touchante éloquence du cœur,
qui fait le caractère propre de ce
Livre.
. Il n'y a point ici d'autre subtilité
que celle de rendre Pame moins char
nelle & plus céleste en la dégageant
de tout ce qui la courbe vers la terre ;
il n'y a point d'autre ordre que les
mouvemens d'un cœur plus touché de
Dieu , qu'assujetti aux règles pesantes
et incommodes de l'étude.
On peut néanmoins remarquer dans
le premier livre une espèce de premier
Appel de Dieu , qui par des instruc
tions proportionnées à la capacité des
commençans , veut tirer les hommes
de leurs tombeaux , comme autant de
Lazares , & les dégager de tous les
embarras du monde qui les lient & les
empêchent d'écouter & de suivre sa
vqïx. Il y appelle les uns à renoncer
à leurs voluptés , les autres à leurs
études & sciences stériles; d'autres à
leurs vaines conversations , leurs vani
tés, ambition, mollesse , emportemens,
sécurité et négligence spirituelle et à
tous leurs autres vices , sans parler, de
la. perte d'un tems précieux , tout cela
A 3
*i Avis
par une voix également douce , forte
& digne de la Sagesse & Chanté infinie
du Fils de Dieu.
Le fecond livre peut servir- à dispo
ser plus particulièrement ceux qui ,
dégagés du grossier & du sensible sont
appellés comme St. Pierre au sortir de
la cour de Caïphe , à un recueillement
intérieur , à une retraite en eux mêmes
& dans le fond de leur cœur , qui est
le lieu qu'il faut préparer à Dieu & où
il faut chercher le trésor avec pureté,
silence, paix, simplicité, & amour,
sans s'étonuer si l'on commence ici à
être mis à l'épreuve par des afflictions,
des délaissemens et des croix tant
extérieures qu'intérieures, auxquelles
on doit s'attendre. Tout cela est mar
qué presque dans le même ordre dans
ee second Livre.
Le troifieme Livre montre une ame
qui , après ces dispositions , commence
à entendre les inspirations que Dieu
lui donne, lorsque comme une autre
Samaritaine elle est sortie du sensible,
et de la vile figure du monde, pour cher
cher la source de sa vie qui est Dieu ,
qui l'honore toujours plus de ses divi
nes inspirations , pourvu qu'elle y ré
au Lecteur. vu
ponde avec fidélité , & qui fait croître
par-là en elle toutes sortes de vertus ,
qu'elle accompagne des épreuves qui
y sont assorties. Ces vertus sont l'a
mour de Dieu , l'humilité , la réfigna-
tion parfaite, la patience , la priere
continuelle , la pauvreté d'esprit , la
parfaite tranquilité , la paix spirituelle,
l'abandon total à Dieu , le renonce
ment entier à toutes choses ; la mort
au monde , & à soi ; la vie surnaturelle
de la grace et la pleine extinction de
tous mouvemens de murmure , de tous
raisonnemens humains , et de tous de-
sirs venant d'ailleurs que du Ciel.
Enfin le quatrieme & dernier Livre,
montre les mouvemens et les disposi-
sitions les plus vives d'une ame qui
aspire à recevoir l'Esprit de Jésus-
Christ , ce qui fait le véritable Chré
tien devant Dieu. On y fait une re
cherche exacte des péchés et des dé
fauts qui peuvent encore se trouver
dans le fond du cœur , y empêcher la
venue et la résidence de cet hôte
divin ; on y indique le moyen d'en être
purifié ; on y invite de la maniere la
plus affectueuse et la plus tendre à
«'attacher à Jésus-Christ par les lien»
tiii Avis
d'une foi simple & divine , seule capa
ble ici bas d'opérer notre union avec
lui.
Je me fais un devoir d'avertir que
dans ce quatrieme Livre, j'ai plutôt
paraphrasé l'Auteur, que je n'en ai
donné une Interprétation littérale. Ce
qu'il dit du Sacrement de l'Eucharis
tie n'étant pas reçu dans toutes les
communions extérieures du Christia
nisme , j'ai cru devoir généraliser ses
expressions & appliquer à l'union spi
rituelle & intérieure de Jésus - Christ
avec l'ame, ce qu'il applique dans un
sens plus particulier au Sacrement. Par
là ce Livre devient accessible à toutes
les Communions , qui y trouveront
également la manne cachée. Cette
considération, de pouvoir être utile à
tous , a fait aussi substituer dans les
autres Livres , mais très - rarement ,
quelques mots généraux pour quelques
autres plus particuliers , mais toujours
sans rien perdre de la substance de
la vérité ; il est même à remarquer que
la plupart de ces mots substitués se
trouvent dans une ancienne traduction
d'un Gothique - Français , qu'on pré
AU L I C T E D I. IX
tend (a) avoir été faite sur un Original
latin plus authentique que ceux sur les
quels on a publié les Editions &. les
traductions qui ont paru jusqu'ici.
Si après cela je ne laissois pas de dé
plaire a quelques - uns, ce ne pourra
être qu'à ceux qui sont jaloux de ce
que tous les esprits sont invités (b) à
louer le Seigneur, & à prendre occa
sion de toutes choses à célébrer ses
perfections adorables. Il me suffit d'a
voir tâché de plaire à Dieu & de contri
buer à l'édification de quantité d'ames
pieuses, à qui cela n'a été ni désagréa
ble ni inutile. Je n'en dirai pas davantage
après l'avis particulier qu'on a mis à
la tête du quatrieme Livre , & la Pré
face suivante sur tout le Traité , laquelle
est en grande partie tirée d'une An
cienne Edition, & qui est trop belle &
trop excellente pour être omise ici.
Puisse le Lecteur profiter de cet ouvra
ge pour le Salut de son Ame !
(a) Vovez la nouvelle Edition de notre Auteur
publiée à Paris en 1É92 . fous le Titre de Confo.
lation intérieure, ou le Livre de l'Imitation de
Je/us- Chriji , de Thomas Kcmpis félon fon Ori
ginal ; & la dilFertation qui eft à la tête.
Ci) PfaL 150.
P.P.
A 5
( x )

P II É F A G E.

SOMMAIRE
DELA
PREFACE.
ht. z. j. Fruits à espérer de cet Ouvrage Je
lu »art des personnes de bonne volonté,
' 4-7. ii?3*8 non de ceui qui se contentent
toit du simp'e eitérieur de la Religion Chré
tienne ,.soit d'm?« science & d'une persuasion;
stérile; gens dont Ji? nombre est grand au
jourd'hui.
JQ. 8-10. Que la Religion Chrc'fienne étant une
vertu de Dieu puissante & effective , il faut
foui être Chrétien mourir effectivement au
péché & revivre à la sainteté & à la justice ,
. même dès cette vie. 12-19. Que les subter
fuges tirés de l'imputation de la justice & des
mérites de J, Cfirist , ne signifient rien pour
ceux qui ne meurent point au péché , & qui
' ne se revêtent point de l'Esprit de Jésus-Christ
pour s'appliquer à son Imitation. 16-19. Que
Fon ne sauroit ni croire ni être en J. Christ
sans F Imitation de sa sainte vie & de ses divi
nes vertus.
EL 19-25. Qu'il ne faut se laisser détourner
de l'Imitai ion de J. Christ ni par la paresse
de la nature , ni par la considération des
difficultés de la voie, ni par les prétextes de;
notre foibj«sse& de notre impuissance , guis-
PrEface. §'. T. xr
ime Dieu a promis le secours & le don de
son Esprit tout puissant à ceux qui le deman
deront ardemment & constamment, & qui
feront leurs efforts pour imiter le Sauveur.
26. 27. Sans quoi l'on demeure dans le péché
& dans la mort.
IV. 28. 29. Quelles sont les marques infailli
bles des vrais Chrétiens , qui seuls seront
reconnus de Dieu & sauvés éternellement.

S. L-
Si ce Livre de PImttation de Jésus-
Christ, a jusqu'ici été utile à ceux
qui se sont appliqués à le lire avec
attention , j'estime qu'il ne le sera pas
moins encore désormais ; car bien que
les mœurs de ceux qui se disent Chré
tiens soient extrêmement corrom
pues aujourd'hui , Dieu néanmoins dont
la bonté ne se lasse jamais , veut bien
encore tirer de l'abîme où le grand
nombre se précipite ceux qui touchés
de leur misere , rentrant en eux-mêmes
s'amendent & implorent son secours &
sa grace. Ce doit donc être pour nous,
un motif d'encouragement , qui mal
gré la grandeur du mal doit nous in
citer à agir comme on fait dans le»
maladies périlleuses, où l'on applique
promptement les meilleurs remède*.
A 6
J1I P R E 1 A C E. §. I.
Plus nous voyons croître l'impiété, plus
nous devons chercher les moyens d'y
remédier autant qu'il est possible , & de
sauver quelques ames de tant de milliers
qui sont endurcies & qui ont du dégoût
& de l'horreur pour tout ce qui tient
à la piété. Il est vrai, hélas! & l 'expé
rience ne le prouve que trop tous les
jours, qu'il n'y a jamais eu de siecle
où les Chrétiens aient été plus corrom
pus & plus contempteurs de la piété
qu'ils le sont aujourd'hui : cela n'empê
che cependant pas que nous ne devions
espérer que Dieu en tirera toujours
quelques-uns à lui. Quelques grands
<me soient les ravages de la peste ,
tous n'en sont pas foudroyés. Il faut
espérer qu'entre le nombre infini des
faux-Chrétiens d'aprésent, il en sera
quelques uns que Dieu touchera de sa
grace pour les retirer de la corruption
du siècle , & les ramener à sa crainte
& à son amour. Dans cette foule d'im
pies, Dieu ;a toujours quelques cœurs
qui, sans consentir & sans avoir part
à l'impiété & à la licence , se conser
vent par la vertu de son bon Esprit
clans de meilleures dispositions. C'est
P R E F H C é. $. I. XIII
ce qui m'affermit dans l'espérance que
ce Livre ne sera pas entièrement
inutile.
2. Ce petit ouvrage n'est pas l'effet
de l'industrie des sages du siècle , on
n'y trouve ni le vain éclat ni les fri
voles délicatesses que les Ecrivains du
monde répandent dans leurs écrits.
Il n'y est question ni de subtilités ,
ni de profondes recherches. Il n'est
rempli ni de questions épineuses, ni de
xaisonnemens rafinés. Son style n'est
ni recherché ni élégant, comme il le
faut à présent pour aller de pair avec
les livres que Ton propose au monde
plus par ostentation &. par un motif
de vaine gloire, que par un désir d'a
vancer le salut des ames. Ce livre est
«impie ; il est sans art , sans ornement ;
& néanmoins il est si rempli d'ins
tructions salutaires , que je puis assurer
avec confiance que qui le lira avec
Un cœur sincere , ne regardant qu'à
Dieu & au salut de son aine j < çomme
il faut faire en toutes choses ) en tirera
indubitablement, des avantages qui ne
peuvent s'exprimer. .Pour ce qtù me
concerne, je puis assurer que Dieu s'ert
est souvent servi efficacement pour me
Xtr Préface. §. I.
réveiller de mon assoupissement & de
mon sommeil léthargique , & pour faire
naître dans mon cœur quelque desir
de lui obéir : j'espère qu'il pourra faire
la même grace à ceux qui le liront
avec une intention pure & simple de le
connoitre , de le craindre, de l'aimer
& de marcher saintement en sa pré
sence.
3. En effet on peut dire que les livres
pleins de l'onction de la grace sont
pour ceux qui aspirent à devenir Chré
tiens une espèce d'échellon pour s'éle
ver vers le ciel ; ils allument pour ainsi
dire en eux le feu de l'Esprit divin r
ils le raniment , quand il est prêt à
s'éteindre; ils soutiennent l'homme dans
sa foiblesse , affermissent ses pieds
èhancellans & contribuent ainsi à ses
progrès dans le chemin qui conduit à

4. Cette réflexion ne porte cepen»


dant que sur ceux qui désirent sincè
rement d'être vrais Chrétiens, car pour
fes autres qui se bornent à l'extérieur
de la piété & qui en ont renié la force ;
dont tout le Christianisme consiste dan*
l'observation des cérémonies de la Re-
Figion , il est si difficile d'arriver à leur
f r s r a c v. §. I. rr
cœur endurci & plastroné , que tout
ce qu'on peut leur présenter de plus
divin , ne fait que couler & n'entre
point ; occupés des objets périssables
d'ici bas , toutes leurs vues & tous-
leurs desirs se recourbent vers la ter
re, qui est leur centre, & le lieu où
ils ont leur trésor. D'autres , qui se
croient moins matériels, ont l'esprit si
attaché aux lettres & à l'érudition du
siecle, qu'ils ne sauraient estimer que
tes livres qui peuvent les rendre sa-
vans , éloquens , & subtils , & leur atti
rer l'admiration & la louange des hom
mes. S'il paroit quelque livre propre
à les corriger de leurs égaremens , &
à les rendre meilleurs par de sainte»
instructions , qui leur mettent devant
les yeux une maniere de vie spirituelle,
divine , & qui corresponde à la pro
fession de Chrétiens, ils le méprisent
le plus souvent & en font l'objet de
leurs dérisions sacrileges. Ce fout , dit
quelqu'un , des Spiritualités ridicules.
C'est de ces gens-là dont S. Paul (a)
dit: Ils font profejjion decutinoître Dieu,
mais ils le renient par leurs œuvres.
5. Le nombre en est grand aujour?
(a) Tit. L v. 1$,
xvi Preface. §. I.
d'hui ; nous vivons dans des tems
où l'on s'occupe de questions frivoles,
de vaines disputes, où on s'amuse à
se battre avec les impies & les liber
tins , où on perd de vue ce qui-fait
l'essence du Christianisme. On com
pose de beaux traités, les presses gé
missent sous le poids des livres ; mais
je le demande , qui pense seulement
à devenir vrai Chrétien ; ensorte que
désormais le Christianisme ne sera plus
qu'un Système, une suite de proposi
tions sèches , où le cœur ne prend rien.
Mais que dis-je , Dieu veuille qu'il ne
degénère pas en licence charnelle &
en fausse liberté, car à voir les pro
grès de l'impiété qui porte ses ravages
par tout , que n'a-t-on pas à craindre
pour l'avenir ?
6. Cela ne peut manquer d'arriver
à ceux qui avant recu la doctrine de
Jésus-Christ, ne se sont point appli
qués d'abord au (a) renoncement à eux-
ynhnes , sans lequel il est absolument
impossible que nous soyons jamais de
vrais Chrétiens & des disciples de Jé
sus-Christ. Car comme la lumiere ne
peut s'associer avec les ténèbre* , de
(a) Matth. 16, v. 24.
P R E I A C é. §. I. XYII
même l'Esprit de Christ , qui qualifie
le Chrétien , ne peut s'unir au péché
& aux desirs de la chair ; de sorte que
celui qui ne renonce pas à soi-même
& aux desirs de la chair, ne sauroit
se flatter d'avoir la vraie connoissance
de la vérité ; la liberté dont il jouit ,
bien loin d'être la liberté Chrétienne
est une pure licence , qui lui faisant
secouer tout joug légitime l'entraîne
dans toutes sortes d'excès & de désor
dres. Ce n'est pas qu'ils ne retiennent
toujours quelque apparence de piété:
car si vous en exceptez quelques Epi
curiens & Athées de profession , l'on
n'en vient jamais jusques-là que d'a
bandonner ouvertement & publique
ment toute profession deReligion. Mais
cette belle apparence & ces grimaces
seront vaines & de nulle valeur devant
celui qui ne se contente point de nos
actions extérieures , mais qui demande
le cœur. î
7. Cependant on croit calmer sa
conscience par ces menues pratiques
externes , & étouffer ainsi le sentiment
de la colere de Dieu qu'on sait être
due à ses péchés. On en vient même
à bout, mais hélas! que ce tems est
xviii Préface. §. î.
court ! & encore qui peut y réussir si
ce n'est des hommes stupides & abso
lument ignorans des grands principes
du Christianisme? Car pour ceux qui
savent en quoi consiste le pur service
de Dieu, il n'est pas possible que le
trouble ne les saisisse, s'il leur arrive
d'examiner avec un peu d'attention
leur vie & leur conduite ; car alors il
n'y a ni paroles, ni cérémonies , pour
belle apparence qu'elles aient, non pas
même celles qui sont commandées de
Dieu pour l'édification de l'Eglise , qui
puissent calmer une conscience trou
blée du sentiment de ses péchés , &
lui donner assurance devant le Juge
ment de Dieu, qui (a) nous jugera non
selon nos paroles ou selon nos cérémo
nies , mais felon nos oeuvres. Nous lisons
que Jésus-Christ ( b ) dira à ceux qui
auront jettes dehors les Diables , pro*
phêtifé €ff fait beaucoup de vertus en
Jbn Nom : Retirez - vous de moi , vous
tous qui faites le métier d'iniquité. Que
ne dira-t-il donc pas à ceux qui ne
s'étant exercés que dans quelques cé
rémonies extérieures , & non pas dans
(a ) Rom. 2. v. 6.
(b) Matth. 7. v. 3j.
P R é T A C é. g. II. XTX
la vraie piété qui est d'une utilité uni
verselle, n'auront eu soin pour le reste,
que de suivre les mouvemens de leur
ehair & les impressions du monde ?
§. II.
8. Non , la Religion Chrétienne ne
consiste pas dans un vain étalage de
paroles. Elle ne consiste pas dans
quelques cérémonies
fise de se ranger ; ou dans des paroles
qu'il faille prononcer, en des opinions
qu'il faille avoir dans la tête pour en
discourir comme l'on fait dans les scien
ces humaines. Elle est , cette sainte Re
ligion j elle est une vertu de Dieu puis
sante & efficace , par laquelle le St.
Esprit rétablit & met de nouveau dans
l'homme l'image de Dieu , & le rétablit
dans la dignité & dans la premiere per
fection d'où il est déchu par son pé
ché , afin qu'après ce rétablissement il
jouisse de l'immortalité bienheureuse.
Il ne faut pas douter que ce ne soit le
but sur lequel les Chrétiens doivent
jetter & arrêter uniquement les yeux
de leurs entendemens , & auquel ils-
doivent appliquer tous leurs sens &.
tous leurs efforts de toutes leurs. puis»
ïx Préface. §. II.
sances et de leurs affections pour y
atteindre. Autrement nous travaillerons
en vain à des bagatelles ; & tout ce que
nous ferons , ne servira qu'à nous éloi
gner de plus en plus du but qui nous
est proposé par' Dieu lui-même.
9. Je sai qu'on me repliquera que
„ ce que je dis ne se peut obtenir
„ dans cette vie , durant laquelle nous
sommes sujets à beaucoup d'infir-
mités, et si corrompus, si fragiles
„ par notre nature , qu'il est impossible
„ d'y arriver. „ Aussi ne dis-je pas que
pendant que nous sommes dans ce
corps mortel , nous puissions atteindre
jusqu'-au dégi'é d'un parfait et absolu
rétablissement dans notre premiere in
tégrité. Cela est réservé pour le siècle
•futur , où tout sera rétabli dans la der
niere . perfection. Mon intention est
.seulement d'assurer , que ce qui doit
être perfectionné dans le siecle ave
nir , doit tellement se commencer en
celui-ci , que nous continuions sans
cesse à nous en approcher de plus en
plus , et à noua avancer continuelle
ment dans la voie de Jésus-Christ.
10. Et en effet, l'Ecriture nous en
seigne clairement , que nul n'aura part
P. R I f A C I. §. II. XXT
à la résurrection glorieuse , en laquelle
se trouvera le comble de notre perfec
tion et de notre béatitude , s'il ne s'est
ici étudié à (a) mourir au pécbé , & à
vivre d'une vie nouvelle, (qui est la
premiere résurrection , ) par la con
duite de VEfprit de Jéfus-Chrifl , dont
tous les vrais Chrétiens font revêtus %
s'il n'a (b) mortifié dans ce fiecle les oeu
vres de la chair , dépouiUéle vieil homme
avec toutes fes aHions, & revêtu l'hom
me nouveau qui ejiJelon fimage de celui
qui l'a créé : s'il ne s'est enfin (c) purifié
ici de toute fouillure de chair eji d'ef-
prit. C'est pourquoi S. Paul ayant dit ,
que (d) lorfque Jéfus-Chrifi paraîtra,
nous paroîtrons auffi avec lui en gloire ,
nous exhorte immédiatement après à
faire mourir nos membres qui font fur
la terre : pour nous faire compren
dre que si nous voulons parvenir à la
perfection de la gloire , nous devons
premierement arriver à celle de la
mortification dans ce monde. Le même
Apôtre enseigne que (e) nos corps
mortels feront vivifiés par VEfprit de
(a) Rom. 6. v. 4. Chap. 8. V.14.
(é) Eph. 4. v. 22. 24. (c) 2. Cor. 7. v. t.
(d) Coloss. j. v. 4. f- (e) Rpm. 8. v. iie
xxii Préface. §. II.
Chrifl qui aura habité en nous , et y
aura fait mourir toutes nos mauvaises
affections. Et S. Jean témoigne (/) que
quiconque a cette efpérance en Jéfus-
Chrifife purifie csmme Jêfus-Chrifi ejl
pur. Nous ne nous arrêtons pas à allé
guer ici nombre de passages de l'E
criture qui nous assurent de cette vé
rité ; car il faudroit pour ainsi dire
copier nos Saints livres. Ces seules pa
roles qu'elle nous inculque souvent ,
que ( a ) les injuftes n'hériteront point
le Royaume de Dieu , & que (b) Dieu
rendra à chacun felon fes œuvres, de
vraient nous suffire , nous faire trem
bler, & nous pousser à une vraie et
sérieuse pénitence et conversion.
ii. Mais hélas ! il nous est si péni
ble et si dur d'en venir là ! notre chair
y oppose tant d'obstacles , elle use de
tant d'artifices pour éluder, que" nous
faisons tout ce que nous pouvons pour
nous en dispenser et pour rejetter ce
fâcheux fardeau ! Oue faisons-nous ce- :
pendant avec toutes nos défaites , si •
(/) i. Jean 3. v. 3. Ps. 62 v. 12. Jer. 17.
(a) I. Cor. 6.v. 9. v. jo.Matth. 16 v.27.
Apoc. 22. v. 14. Rom. 2. v. 6. 2. Cor. 3.
(Jb) Jean J4. r. 11. v. 8. Apoc. 22. v. 12.
P B é F A C S. $.11. XXIII
non de renverser l'ouvrage de notre
salut, si non de résister à la grace de
Dieu , qui veut nous sauver , mais par
les moyens qu'il a ordonnés , & par
la voie qu'il nous commande de sui
vre , et non par celle qu'il plaît à notre
chair de s'imaginer £t de choisir ? „ La
„ foi , la foi en Jéfus- Cbrijl , criera en-
„ core quelqu'un , ejl le feul moyen & la
„ feule voie qu'il lui a plu d'ordonner ".
C'est très-bien. Mais la foi fans les oeu
vres ejl une foi morte, et même une
foi de Démon dit ( a ) S." Jaques. Dieu
nous a commandé de croire en son
Fils, et nous a promis de nous don
ner la vie éternelle si nous y croyons :
Mais qui sont ces Çroyans? (b) dit
l'Apôtre, qui ne marchent point , ou ne
fe conduifent point felon la chair, mais
felon f Efprit ; ceux qui font leur grande
affaire de se conformer à la volonté de
Jésus-Christ , dans lequel ils sont in-
corporés par une vive union qui les
rend des membres vivans de son corps;
ceux (c) dont la converfion ejl celefte;
ceux qui aiment Dieu , et qui renon
cent à l'amour d'eux - mêmes et du
(a) Jaq. 2. v 19. 26. (fc) Rom. 8- V. I*
(c) Phil. 3. v. 20.
«XIV PRSFÀCt $.11.
monde ; ceux qui détestant leur vie
passée , et qui craignant d'y retomber,
veillent et sont attentifs à toutes leurs
pensées , à tous leurs desseins , à tou
tes leurs paroles , et à toutes leurs
actions; ceux qui sentant avec déplaisir
leur foiblesse , demandent sans cesse
à Dieu l'Esprit de force et de fermeté s
et qui s'appercevant de leur lâcheté et;
de leur tiédeur , implorent avec ardeur
l'Esprit de courage et de zèle : ceux'
qui ne murmurent point dans l'adver
sité , mais qui font leurs efforts pour
supporter tout avec patience; ceux
qui repassent dans leurs esprits les
bienfaits qu'ils ont reçus de Dieu,, et
lui en rendent graces j ceux qui pren
nent à tâche de sécourir leurs prochains
et de subvenir à leurs nécessités spi
rituelles & corporelles ; en un mot ,
(à) ceux qui crucifient la chair nvec tou*
tes fes affcitions & fes defirs. Voilà les
Croyans; & par conséquent l'on peut
assurer positivement , que tous ceux
qui n'ont point ces fruits de l'Esprit,
& qui ne font pas valoir le don de
leur foi en la maniere que je viens de
dire après l'Ecriture, ne sont pas du
(a) Gai. j. v. a*.
nombre
Preface §.7T. xxr
nombre des vrais croyans & des fidè
les, quelque apparence d'honêteté &
de piété qu'ils puissent avoir d'ail
leurs : car quant à ceux dans lesquels
les œuvres de la chair sont visibles ,
ils sont encore bien moins du nombre
des vrais croyans.
12. Maiô quelque Chrétien charnel
me dira encore : „ Oue pour lui , il est
„ revêtu de la justice de Jésus-Christ;
„ que l'obéissance parfaite que Jésus-
„ Christ a rendue à Dieu son Pero
en satisfaisant à la Loi , lui est im-
„ putée comme s'il l'avoit lui - même
rendue en propre personne ; en un
„ mot , qu'il est tenu pour juste par
le moyen de sa foi , si bien que tou-
n tes ses imperfections ne lui sont point
mises en compte. Ecoute , mon ami ,
„ si tu veux te tromper toi-même, tu
„ le peux aisément; Satan & le monde
te feront la main & t'applaudiront de
tout leur cœur; mais ce sera pour ton
malheur éternel. Jésus-Christ ne nous
impute point nos péchés si nous croyons
véritablement en lui : mais celui qui
croit en moi («) dit Jésus-Christ même ,
fera les œuvres que je fais : ce qui n'est
xxri P.iiiACs, §. II.
pas difficile s'il est vrai ce que dit St.
Paul, (b) que Jéfus-Cbrifi , par lequel on
peut tout, habite dans le cœur par la vraie
foi. C'est alors que toutes nos fautes
passées ne nous empêcheront point
de participer à la vertu & à l'éficace
de sa mort. Mais t'imaginer que Jésus-
Christ te tienne pour juste par impu
tation , pendant que tu t'adonnes à
l'injustice , & que tu n'as d'autres soins
que de suivre tes propres désirs qui
sont opposés à ses commandemens ,
c'est l'outrager , c'est lui insulter 3 c'est
le faire ministre du péché. Car , dis-
moi sérieusement , je te prie , où est
la personne de bon sens qui voulut
soutenir que Jésus - Christ tint pour
humble celui qui demeureroit enflé
d'orgueil ? pour libéral & pour chari
table , celui qui se défiant de la pro
vidence de Dieu, seroit plein d'avarice
& d'inhumanité? pour amateur de Dieu,
celui qui seroit rempli de soi-même &
du monde? pour adorateur de Dieu,
celui qui ne tiendroit compte de lui ?
pour une personne sainte & qui met
tout son plaisir en Dieu , celui dont
les soins journaliers ne seroient que
(*) Ephef. 3. 17. fhil. 4. ij.
Préface. $.11. xxvh
de se mettre à son aise & de contes-
ter ses propres desirs? pour recon-
noissant celui qui seroit ingrat ; ou
pour parler grossièrement, qu'il tint
pour chaste celui qui se vautreroit dans
l'impureté ? & pour sobres & tempé-
rans, ceux qui se plongent dans la gour
mandise &dans l'ivrognerie PPourrois-
tu croire ces. choses sérieusement ?
N'aurois-tu pas honte, je ne dis pas de
les publier, mais même de t'en occu
per dans le secret de ton cœur ?
13. Et comment se pourroît-il faire
que quelqu'un fut juste , & destitué de
justice tout ensemble? fut bon sans
bonté, & vertueux sans vertil? S. Jean
dit clairement que (a) celui qui fait la
juflice eji jujle comme JêfwCbriJl ejl
jujle , & que celui qui fait le péché, efi
du Diable. Il dit même que (b) c'eft pat
là que font connus & manifeflés les en-
fans de Dieu & les 'enfans du Diable,
savoir parce que les uns pratiquent la
jujlice ce que les autres le péché-
Et en vérité, je ne ne sais à quelles mar
ques l'on pourroit mieux reconnoitre
les enfans de Dieu , ou les vrais Chré
tiens , si ce n'est à ce qu'ils s'appH-
Qa) Jean 3. v. 7. 8. (6) Ib'd. v. i(.
xxrîn Préface. $.11.
quent jour & nuit à faire ce qui est
agréable à leur Pere céleste, lequel
étant juste , toute leur étude , & tout
leur soin , est de faire des choses jus
tes , par la pratique desquelles ils mon
trent qu'étant nés de lui , ils sont ses
enfans , selon cette parole de S. Jean :
(c) Si vous /avez que Bien eji jujlé, fa
chez que quiconque fait la jujiice eji né
de lui. Comment encore se pourroit-il
faire que l'on fut Chrétien sans mener
yne vie sainte , vu que les vrais Chré
tiens ont l'Esprit de Jésus-Christ ?(</)
Car quiconque n'a point Vtfprit de Je-
fus-Cbrifi, riefl point à Jéfus-Cbri/l ,
dit St. Paul : or cet Esprit étant Saint,
porte essentiellement à la Sainteté celui
en qui il réside ; étant tout puissant &
souverainement efficace, il doit produire
dans le cœur de celui où il habite les
fruits qui lui sont propres, savoir (e)
l'Amour, la charité' , la joie , la paix , la
patience , tindulgence , la bonté, la fidé
lité , la douceur , '& la tempérance ; il
doit changer l'homme entier, non-seu
lement , à l'extérieur, mais singuliere
ment au dedans , pour en faire une
(c) Jean 2. v. 29. (d) Rom. $, v. Jt
(e) 1. Jean 3.V. 5. '. .;>
P R é r A C é. §. II. XXJX
nouvelle créature , tel qu'il doit être
effectivement , s'il est vrai qu'il soit en
Jésus-Christ , selon la déclaration ex
presse de St. Paul , Si quelqu'un ejl en
Jéfus - Chrjft , il eft devenu, nouvelle
créature. 2. Cor. 5. v. 17.
14. Mais Satan & la nature cherchent
bientôt à nous endormir , à nous flater
dans nos péchés , à nous faire trans
gresser les commandemens de Dieu ;
& tout cela sous prétexte que Jésus-
Christ ne nous impute point nos pé
chés. Oui il nous les impute si nous y
persévérons : car il n'est pas mort pour
nous y laisser, mais pour nous en re
tirer réellement & en effet selon cette
parole de Saint Jean , (/>) Il eft apparu
afin qu'il ôtàt nos péchés. Ce qui ne se
doit pas entendre en ce lieu- là d'une
simple remission des péchés passés ;
mais de la tache & de la souillure du pé
ché , que J. Christ ôte des cœurs de
ceux qui croient véritablement en lui :
ce qui ne peut se faire qu'il n'y mette
& n'y établisse par le même moyen
l'amour de la justice & de la sainteté.
15. Je n'ai pas dessein de m'étendré
davantage sur cette matiere ^ qui d«-
(J>) Gai. 5. 22 : sj.
B 3
xxx Préface. §.11.
mande plutôt un livre qu'une préface.
Je n'en aurois pas même parlé si am
plement , si je n'avois cru que cela
pourroit être d'usage à certaines gens
qui se mettent si peu en peine des
bonnes œuvres , que sous prétexte que
l'on ne peut proprement rien mériter
devant Dieu par elles , ils abandon
nent la pratique de la piété, & éloi
gnent de leurs cœurs tous les soins de
vivre chrétiennement , & de faire leur
falut ( selon la parole (a) de St. Paul , )
avec crainte £5? tremblement ; ainsi que
leur vie ne le témoigne que trop. J'ai
cru aussi disposer par là le Lefteur à
recevoir de bon cœur ce petit Traité
qui ne contient que des choses très-
utiles pour régler notre vie : &, il étoit
nécessaire de montrer que nous ne
sommes pas Chrétiens si nous ne le
sommes de tout notre cœur. Et com
me le sujet de ce livre est limitation
de la Fie de Jêfw- Chrijî , il étoit , ce
me semble , à propos d'exhorter les
Chrétiens à faire leurs efforts pour la
suivre , sans se fia ter & se repaître
d'une vaine foi d'opinion, qui pourroit
les détourner de cette voie , & les tenir
Ça) Phil. 2. v. 13.
PrEface. §. II. xxxt
en arriere. Car puisque la Vie de Jésus-
Christ , ne nous a pas été proposée
pour en faire une espèce de légende,
ou pour l'admirer & en faire des ei
clamations et de beaux discours , mais
pour être imitée ; il est clair que c'est
à ce but unique que nous devons ten
dre en nous approchant de la per
fection du Sauveur le plus près qu'il
nous sera possible. Et puisque Jésus-
Christ même nous y convie, non seu
lement par ses paroles , mais même
par ses exemples & ses actions , qui
sont comme des tableaux vivans de la
vie que nous devons mener dans ce
monde en attendant sa venue glorieu
se; nous ne pouvons nous en dispen
ser sans renoncer à notre salut, et sans
déclarer que nous n'en voulons point.
Car s'il est vrai que nous désirons d'ê
tre heureux et de jouir de la vie im
mortelle et glorieuse qui nous est pro
mise en Jésus-Christ , nous ne saurions
le mieux prouver qu'en nous mettant
dans le chemin par lequel nous pou
vons & devons y arriver ; et ce che
min est , que nous croyons en Jésus-
Christ et que nous marchions comme
il a marché , selon cette parole de St.
13 4
tXXtl P R E T A C E. § IL
Jean , (a) Celui qui dit qu'il demeure en
kti , doit marcher comme il a marché
lui-même , c'est-à-dire , vivre comme il
a vécu.
16. Il est vrai qu'il y a toujours une
infinité de personnes qui se vantent de
croire en Jésus-Christ et d'être Chré
tiens. Mais voici le moyen de les con-
noître. C'est de voir, si tous leurs soins
et toute leur étude est , d'imiter Jéfm-
Chrijl de le fuivre. Voilà la marque
et le caractere essentiel de cette pro
fession excellente. Voilà la livrée par
laquelle nous montrons et faisons con~
noitre que nous sommes veritablement
ce que nous faisons dire à notre bou
che que nous sommes. Il est absolu
ment impossible que ceux qui sont
unis à Jésus Christ comme ses mem
bres , ne soient touchés du desir de lui
ressembler et de l'imiter. Car c'est en
ceci que paroit cette union admi
rable , que les membres travaillent^ à
avoir une même volonté que leur chef,
et soient conduits par le même Esprit
que lui. Où cela n'est pas, il y a un
temoignage incontestable et visible que
le membre n'est qu'une piece pourrie ,
. qui ne tient au corps que par l'exté-
(ja.) Jean 2, v. 6.
Préface. §. II. xxxm
rieur et par l'apparence, et non par
une communication réelle du sentiment
et de la vie du chef. J'en prends la
raison humaine pour juge ; elle est
assez clairvoyante pour comprendre
la force de cette vérité et la nécessité
de cette conséquence. C'est aussi pour
cela que St. Paul dit , (a) qu'il doit y
avoir en nous le même fentimcnt qu'il y
a eu en Jéfus-Cbrift , pour nous faire
comprendre, que si nous sommes les
membres de Jésus-Christ, nous devons
lui être conformes par l'uniformité des
mêmes affections et d'une même vo
lonté. Il enseigne ailleurs la même vé
rité , lorsqu'il dit , que (Z?) nous fommes
entés en Jésus- Christ , ou faits une même
plante avec lui par la reffemblance de
fa mort , aussi bien que par celie de fa
rcfurreâion : nous faisant entendre par
cette similitude, que si nous lui som
mes unis comme la greiie l'est à l'ar
bre j nous devons tellement" vivre de sa
vie , qu'il n'y uit point de dissemblance
entre la notre et la sienne ; que nous
devons mourir comme il est mort, et
ressusciter comme il est ressuscité;
mourir au poché et ressusciter dans
. (a) Phil. j. (b) Rv>m. 6. v r.
B 5
xxxit PrEface, g. II.
une vie nouvelle ; car c'est de cette
mort et de cette résurrection qu'il parle.
17. Je dis tout ceci , afin que nous ,
qui nous vantons d'être membres de
Jésus-Christ, sachions que c'est en vain
et faussement que nous nous prévalons
de cet avantage , si nous ne tâchons
par des efforts et enets réels de lui
ressembler par toute notre vie. Et en
quoi lui ressembler? Ce n'est pas par
des œuvres merveilleuses en ressusci
tant les morts ; en donnant la vue aux
aveugles; en guérissant miraculeuse
ment les malades; en jeûnant quarante
jours , et en faisant d'autres miracles
que lui et ses Apôtres ont faits pour
confirmer sa doctrine parmi les hom
mes , afin qu'elle fut recue comme di
vine et céleste ; ce qui n'est plus né
cessaire aujourd'hui , puisqu'il suffit que
ces choses l'aient été une fois pour tou
tes ; mais nous devons lui ressembler en
nous soumettant à son Esprit, en nous
laissant régir et conduire par cet Esprit,
en embrassant et imitant ses vertus ,
comme sa foi, sa chaiité , son obéis
sance, sa patience, sa constance, sa
mortification, son humilité, sa bonté,
sa douceur, son indulgence, sa sim
Préface. $.11. xxxr
plicité , sa justice , sa vérité , sa pureté,
sa persévérance , sa vigilance et son
zèle à prier et à rendre graces à Dieu ;
son mépris pour le monde , son appli
cation continuelle à considérer et à
exécuter la volonté de son Pere , et
toutes les autres vertus qu'il a eues , et
qu'il a pratiquées, non afin que nous
le sachions seulement, mai& pour nous
y engager par son exemple ; non pour
nous les imputer sans que nous en
soyons revêtus & que nous les possé
dions, mais (n) afin que nous foffrons
comme il a fait lui-même , ainsi qu'il
le dit, & St. ' Pierre après lui, (b)
afin que nous fuivions fes traces.
18. Et en effet , comment pourrions-
nous savoir que nous sommes en lui
et que nous avons part à ses graces,
si nous n'avons part à cette grace in
signe, -d'observer ses commandemens
de tout notre cœur? Par quel autre
moyen pourrions-nous & reconnoitre &
(c) nous affurer nous-mêmes que nous de
meurons en JéJ'us-Cbrift, & que Jéfus-
Chrift demeure en nous , finon en obfer-
vant fes commandemens , selon la doc-
(a) St Jean ij. v. iç. (6) I. Pïer. a. v. il.
(c) i. Jean ). v. 24.
B 6
xxxvi Préface. §. II.
trine de St. Jean , qui nous dit au
même lieu , que nom le connoiffons en
core par l'tjprit qu'il nous a donné :
parce que cet Esprit nous donne le
courage & la force de le suivre , & de
nous conformer à sa divine volonté ?
C'est aussi là le témoignage le plus sûr
de l'union que l'on a avec lui. Car comme
les enfans du monde rendent témoignage
qu'ils sont un avec le monde quand ils
«uivent ses desirs et ses affections , ses
penchans à l'estime de soi-même, à une
vie aisée & sensuelle; de même les
vrais Chrétiens n'ont pas des preuves
moins puissantes & moins convainquan
tes que celles-là, pour montrer qu'ils
sont unis à Jesus- Christ par son Es
prit , car ils suivent pas à pas leur
Sauveur , & ils se servent de sa vie
comme d'une règle très- parfaite pour
y compasser & pour conduire par elle
toute la leur.
§- III.
19. Après cela que faut-il faire sinon
prendre courage & ne point se livrer
a la paresse qui étant nuisible dans
toutes les entreprises , l'est surtout dans
Préface. §.111. xxxyii
une affaire aussi importante que celle-
ci , laquelle nous ne pouvons négliger
sans nous priver sciemment de notre
salut & de la béatitude éternelle? (a)
Cette vie est étroite & dure , je le con
fesse avec tous les Chrétiens , selon la
parole de Jésus-Christ lui-même ; car
puisque nous devons renoncer à nous-
mêmes pour suivre Jésus-Christ, & que
ce renoncement est très-fàcheux à une
chair qui ne demande que ses aises &
ses contentemens , il ne faut pas dou
ter qu'il ne soit pour nous d'un poids
très-grand. Mais quoi? Il n'y a point
d'autre chemin , c'est le seul qui mène
à la vie, quoiqu'après beaucoup de
travaux & de difficultés. L'autre voie
est belle , elle est large , elle est semée
de plaisirs ; mais , elle conduit à la mort.
Or ne vaut - il pas mieux aller par le
travail au repos , par les afflicf ions aux
joies , & par la mort à la vie , que d'al
ler au contraire par le repos au tra
vail , par les joies aux afflidtions ; &
par la vie, à la mort , vu que le der
nier sera éternel
20. Et qu'y a-t-il qui, doive nous re
tenir & nous empêcher encore de sui-
(a) Matth. 7. v. 13.
xxxviii Préface. §. HT.
vre cette voie étroite? Est-ce le mon
de avec tous ses biens & ses plaisirs ?
Il passe plus vite qu'un trait dont on
ne voit plus la trace dès qu'il est passé.
Est-ce la crainte que ce malheureux
monde ne nous déshonore, ne nous
décrie comme des gens singuliers d'une
piété ou d'une morale outrée , comme
des esprits mélancoliques , & même
fanatiques? Jésus-Christ nous apprend
que ces traitemens-là doivent faire ici
le sujet de notre joie , comme ils feront
un jour celui de notre béatitude. Est-
ce enfin la dureté & la difficulté de la
voie même ? Considérons qu'il n'y a
rien de si difficile ni de si dur, qui ne
devienne facile & qui ne s'adoucisse
lorsqu'on en continue la pratique. Est-
ce l'infirmité & la foiblesse de notre na
ture? Pensons à celui qui nous a pro
mis de nous soutenir & de nous for
tifier. Si sa bonté lui donne la volonté
de nous secourir & de nous rendre
forts , sa Toute-puissance lui en rend
l'exécution facile, pourvu que nous
l'en prions sans cesse : («) Demandez,
dit- il , & il vous fera donné: cherchez
vous trouverez, frappez à la porte,
elle vous fera ouverte< .
la) Matth. 7. t. 7.
P R E F A C é. §. III. XXXIX
Cela veut dire que nous devons faire
nos efforts; car Dieu. n'aide point les'
paresseux. S'il donne son Esprit , c'est
à ceux qui sentant leur foiblesse , &
qui s'y déplaisant , le desirent avec ar
deur, & le lui demandent avec ins
tance & longue persévérance. Mais il
ne donne rien à ceux qui ne lui de
mandent rien , ou qui cessent de lui
demander. C'est lui qui opère tout en
nous ; mais non pas pendant que nous
nous tenons les bras croisés , pour ainsi
dire; & encore moins, lorsque nous
lui résistons.
2 1 . Jésus-Christ dit, que (a) le Royau
me de Dieu foujfre violence , çff que les
violens le ravijjent. Or qui sont oes
violens ? Ceux qui étant embrasés d'un
zèle & d'un desir ardent de se confor
mer à leur Chef, se font une sainte
violence , & se contraignent eux-mê
mes ; afin que leur nature & leur chair
étant tenues de court & en bride, ne
mettent point d'obstacle à l'Esprit de
Dieu qui veut opérer en, eux. Ce sont
ceux qui se tenant tiédes, lâches , soit
à prier Dieu continuellement , soit à
lui rendre graces en tout ce qu'il lui
(a) Matth. u. v. rs.
»' P n r a c !, §. III.
plait de nous envoyer , soit à s'appli
quer a quelques œuvres de piété qui
concernent Dieu ou le prochain , s'ex
citent & s'encouragent eux-mêmes à
ces devoirs , prennent garde de se li
vrer à la nonchalance de la chair & de
se laiëser gagner par elle. Ce sont ceux
qui veillent avec soin sur toutes leurs
pensées & sur tous, leurs desirs ; qui
les repriment; qui retiennent leurs
mouvemens , qui empêchent leur éga
rement , & ( a ) qui ohjïrvent leur cœur
fur toutes chofes , puisqu'il eft la fource
de la vie , aussi bien que celle de la
mort. Ce sont en un mot , ceux qui par
l'Esprit de Jésus-Christ , (b) crucifient
tous les jours la chair avec tous Jcs de-
fir^ & toutes fes cotivoitifes. Et en vé
rité nous sommes si ennemis de Dieu
par la dépravation de notre nature ;
nous avons tant de penchant à nous
chercher nous-mêmes ; nos affections
& nos passions sont si violentes , si
impétueuses , & si fortes par une ha
bitude invétérée; notre chair nous at
tire au mal si opiniâtrement & avec
des attraits si puissans , que si nous
n'usons d'une grande violence pour
(a) Ptov. 4. v. 2$. {b/G-à.1 5. v. 24.
I

P R T. F A C E. §. III. XII
nous surmonter & pour nous vaincre,
il ne faut pas penser que le Royaume
de Dieu puisse jamais venir en nous,
ni que nous y puissions entrer.
22. Cependant il y a aujourd'hui
une infinité de personnes qui sans se
faire violence , sans se peiner, ou plu
tôt, ne se travaillant point du tout,
ne laissent pas de se vanter d'être dans
le Royaume de Dieu. Mais c'est se
tromper bien lourdement. Car puisque
(a) le Royaume de Dieu ejt jujiice , paix
& joie dans le St. Esprit , selon la pa
role de l'Apôtre, comment peut-il se
trouver avec eux , . qui laissent régner
en eux l'injustice, & qui ne sont point
dans le S. Esprit , ni le S. Esprit en
eux , comme ils le font assez voir par
une vie qui n'est pas meilleure que la
vie des infidèles
condamnent la doctrine.
23. Je sais qu'ils ont là -dessus
quantité de défaites, disant ; " Oue
», nous ne pouvons rien ; que nous se-
» rons toujours chair aussi long-tems
» que nous demeurons en cette vie ;
» que nous ne. pouvons pas faire
» de grands progrès à cau^e de la
(a) Rom. 14. v. 15.
xlii Préface. §. III.
„ grande fragilité de notre nature :
mais que Jésus -Christ suppléera à
„ tous nos défauts , & qu'il ne nous
„ imputera point nos péchés. „ Mais
ne voient-ils pas qu'en parlant de la
sorte , ou plutôt en flattant ainsi leur
chair , ils se retranchent de leur pro
pre aveu du nombre des Chrétiens?
24. Car s'ils ne peuvent obéir à
Dieu, ni faire ce qu'il nous commande,
ils n'ont pas l'Esprit de Jésus-Christ,
& (a) s'ils n'ont pas VEfprit de Jéfus-
Cbrift , ils ne font pas Chrétiens. St.
Panl dit bien , (b) que la chair ne veut
ne peut obéir à la Loi de Dieu ; mais
il ajoute aussi, que lesenfans de Dieu,
les vrais Chrétiens , ne sont pas dans
la chair , mais dans l'Esprit ; fous n'ê
tes point, dit-il , dans la chair, mais dans
VEfprit : s'il eft vrai que VEfprit de
Dieu habite en vous ; D'où il s'uit très-
évidemment que ceux qui ne peuvent
obéir à Dieu ,font en la chair : Or ceux
qui font en la chair , ( ce sont ses paro
les ) , ne peuvent plaire à Dieu. Voilà la
réponse à cette vaine défaite. Oue ces
lâches & ces timides se disent donc
plutôt à eux mêmes , si nous sommes
(a) Rom. 8- V. 9. La même . v. 7 & t.
Préface. §. Ilf. XLirt
toujours chair, nous ne serons jamais
Chrétiens , vu qu'être chair & Chré
tiens , sont des choses incompatibles ,
c'est-à-dire dans le sens qu'on en suive
les desirs et les mouvemens. Car au
reste , je ne nie pas que la chair ne
soit toujours en nous tant que nous
sommes dans ce corps mortel , qu'elle
ne nous incite au mal , et ne fasse
la guerre à l'esprit ; mais elle n'est plus
dans le Chrétien pour y vaincre; elle
n'y est plus pour se faire obéir & pour
y donner le branle à la conduite de la
vie par ses mouvemens déréglés ; car
il est constant que quiconque les suit",
ne doit pas être mis au nombre des
Chrétiens. C'est pourquoi St. Paul an-
nonce (a) la m&rt éternelle à ceux qui
vivent felon la chair après avoir dit ,
que la condamnation demeure fur eux.
25. Ouant à cette fragilité & cette
foiblesse, qu'ils allèguent à tout pro
pos pour se roidir contre ceux qui les
poussent à leur devoir, je confesse avec
eux qu'elle est grande , & qu'elle est
telle qué les meilleurs en sont quelque
fois comme accablés & abbailus par
l'action de Satan & de leur chair ; ce
(a) Rom. 8. ij. & v. i.
XLIV P R E T A C é. §. III.
q,ui les fait gémir & soupirer. Mais la
force de Dieu , lorsqu'ils s'y abandon
nent , est beaucoup plus grande; &
avec elle , je puis tout en Christ qui
me fortifie , dit (a) S. Paul. Mais si sans
l'implorer & s'y rendre , on prétend
faire de notre infirmité un rempart
pour la défense de notre corruption ,
pour nous y entretenir & nous y flater,
& pour nous donner licence à suivre
nos volontés, c'est le propre de gens
qui ne cherchent que prétextes & ocr
casions de mal faire, & d'abjurer toute
sainteté & toute justice ; ce qui ne peut
convenir aux vrais Chrétiens , dont
tout le soin n'est que de se conserver
dans la pratique des bonnes œuvres ,
parce qu'ijs savent qu'il n'est pas séant
à ceux qui font profession d'être pu
rifiés par le sang de Jésus-Christ , de
retourner aux souillures de la chair,
26. Dire au reste , que Jésus- Christ
suppléera à tous nos défauts & qu'il ne
nous imputera point les péchés auxquels
nous nous abandonnons si librement
& si volontairement après sa connois-.
sance ; c'est faire de Jésus-Christ d'a-
syle des vices , & de sa grace la nour-
(a) Phil. 4. v. 13. .
P n ï i c i. §. III. xvf
riture de l'iniquité ; ce qui est la der
niere impiété. Il nous présente sa gra
ce ; mais à condition que nous me
nions une vie pure , sainte , & digne
de lui ; & c'est pour cet effet qu'il nous
promet son Esprit , si nous le lui de
mandons avec foi. Prétendre autre
chose , c'est lui faire injure ; & si nous
nous conduisons autrement, nous nous
privons du bénéfice de la rédemption ,
nous nous en rendons entièrement in
dignes. Car ce sont ceux (a) qui mar
chent dans la lumiere que le sang de
Jésus- Christ purifie de tout péché , dit
S. Jean. Il n'y a rien à attendre pour
ceux qui demeurent dans les ténebres
& la désobéissance , que la condamna
tion & la colère de Dieu. Evang. S*
Jean 3. v. 19. 36.
27. Or je prie au nom de Dieu ceux
qui sont dans ce malheureux état, de
considérer sérieusement toutes choses,
& de penser, tout de bon à ces paro
les du Sauveur : (b) Tout homme qui
me dit , Seigneur , Seigneur , n'entrera
pas au Royaume des deux , mais celui-
là seulement qui fait la volonté de mon
(à) 1. Epjft, S. Jean 1. v. 7.
(b) Matth. 7. v. ai.
XLT1 P R E T A C E §. III.
Pere qui est aux deux. Ce ne sont pas
Les discours , ni les cérémonie's qui font
le Chrétien , l'enfant de Dieu, le fidèle,
le membre de Christ , l'élu de Dieu ,
quelque soit l'air fastueux ayec lequel
on s'arroge ces beaux titres , comme
si on en possédoit la réalité. Les mar
ques caractéristiques du Christianisme
sont les œuvres & lès fruits : L'amour,
Ça) la charité d'un cœur pur, d'une bonne
conscience , & d'une foi non feinte.
§• IV.
28. Et ce sera aussi ma conclusion ,
que la seule marque infaillible des
fideles c'est 1'Amour "& la Charité ,
sans laquelle on a beau parler de Jésus-
Christ & de l'Evangile , user des Sa-
cremens , avoir toutes les plus belles
cérémonies; tout cela n'est rien sans
la Charité ; & plût à Dieu que les
Chrétiens d'aujourd'hui les uns & les
autres ( car , hélas ! ils sont tous divi
sés entreux) , l'eussent bien pratiquée
toute leur vie jusqu'à present ! On ne
yerroit pas maintenant régner au. mi
lieu d'eux les haines, les animosités ,
fes meurtres , les cruautés , les factionsj
(a) Tim. 1. r. j. ,
Préface. §. IT. xlvu
les partialités , les trahisons , les dé
loyautés , les desirs de vengeance, &
une infinité d'autres maux. Le sang
n'auroit pas été répandu , comme il l'a
été si abondamment, & le sera encore,
si Dieu ne met un frein par sa grande
puissance aux cœurs des hommes ,
acharnés les uns contre les autres au
point qu'ils le sont , & animés à exé
cuter tout ce qu.î leur inspirent la fu
reur Jk- la violence de leurs passions ;
& si de leur côté ils ne courbent leurs
têtes criminelles sous le joug du Sei
gneur, reconnoissant humblement leurs
fautes , & recourant au remede de la
conversion pour appaiser la colere de
Dieu si justement allumée contre nous.
En un mot , nul remede si les hommes
ne se changent , & s'ils ne deviennent
doux & charitables, de durs & de cruels
qu'ils étoient.
29. Et afin que personne ne se trom
pe plus par des titres magnifiques, je
vais présenter en précis ceux à qui
seuls ils conviennent.
Les Chrétiens, sont (a) ceux qui
crucifient la chair avec ses affections et
ses convoitises.
(a) Gai. 5. v- 14.
xlviii Préface. §. III.
Les Enfans de Dieu sont ceux (b)
qui sont conduits par l'Esprit de Dieu ,
& non par l'Esprit du Diable , ou de
leurs propres desirs.
Les Fidèles, sont ceux qui ne s'ap-
pujent pas seulement sur la miséri
corde de Dieu par Jésus-Christ ; mais
qui aussi s'exercent en toutes sortes de
bonnes œuvres & qui selon la parole
de St. Pierre, (r) ajoutent à la foi la
vertu , à la vertu la science , à la science,
la tempérance , à la tempérance la pa
tience , à la patience la piété, à la piété
l'amour fraternel, à l'amour fraternel
la charité.
Les Membres de Jésus-Christ sont
ceux qui ne négligent rien de ce qui
peut les rendre conformes en cette vie
à leur Chef, autant qu'il est possible ,
sachant , qu'il ne se peut faire que le
Chef soit d'une volonté & les membres
d'une autre.
Les Elus de Dieu sont ceux qui s'é
tudient (d) à être Saints & irrépré*
hensibles devant lui en charité.
Voilà, voilà les marques par les
quelles on les peut & les doit discer-
l (b) Rom. 8- v. 14. (c) z. Pierre t. 5. 6.
(d) Ephcf. r. s. 4.
ner
Préface. §. IV. xlix
ner d'avec les infideles & les profa
nes , d'avec les en fans & les membres
du Diable , & en un mot , d'avec tou
tes sortes de faux Chrétiens. Sur quoi
écoutons le beau mot de S. Augustin :
Le méchant peut avoir le Baptême ; il
peut avoir la prophétie ; il peut recevoir
le Sacrement du Corps &f du Sang du
Seigneur; il peut être appellè Chrétien
avoir en sa bouche le nom de Christ,
il peut avoir lus autres vertus; mais
l'Amour, la Charité efi tellement pro
pre aux vrais Chrétiens , que le méchant
ne les peut avoir. Que chacun donc , dit-
il ailleurs , s'interroge soi-même touchant
ce qu'il aime , & il trouvera d'où il efi
Citoyen. S'il aime le monde & ce qui
ejl au monde , comme la chair , les ri-
cheffes , les honneurs ; il efi citoyen de
Babylone , & n'a rien de commun avec
la jufiiee ; s'il aime Dieu, il est citoyen
de Jérusalem, il est bon, il est juste ;
£«f Pon ne doit pas douter que Dieu ne
lui donne dans le grand jour la couronne
de justice. Amen.

C
f L'IMITATION

: j D E

JESUS-CHRIST,

LIVRE PREMIER.}

Contenant des avis utiles &. salutaires


pour entrer dans la vie spirituelle.

CHAPITRE PREMIER.

Qu'il faut imiter Jésus- Christ et mépri-


fer toutes les vanités du 'monde.

CeIiù qui me suit, ne marche point


dans les ténèbres , dit le Seigneur (a).
Il nous exhorte par ces paroles à sui-
(a) Jean ch. 8. v. iz.
C %
D e l' Imitation
vre toujours son exemple , si nous vou
lons être vraiement éclairés & guéris
de tout aveuglement de cœur.
Par conséquent , notre grande affaire
doit être l'étude assidue de la vie de
Jésus-Christ.
2 . La doctrine de Jésus - Christ est
au-dessus de tout ce que les Saints
enseignent. Si l'on avoit son Esprit,
on y trouveroit (a) la manne cachée &
céleste.
Mais il arrive tous les jours, qu'une
infinité de personnes écoutent les pa
roles de l'Evangile sans que leur cœur
soit touché du desir de les pratiquer.
C'est parce qu'ils n'ont point l'Esprit
de Jésus- Christ. Quiconque souhaite
d'avoir une vraie & pleine intelligence
de sa Doétrine & sur-tout de la goû
ter par le cœur, doit s'efforcer de
vivre comme lui-même a vécu.
A quoi sert d'avoir de grandes pen
sées sur la Trinité , de disputer sur ce
mystère , d'en parler avec profondeur ,
si manquant d'humilité , yous avez le
souverain malheur de déplaire à cette
Trinité Sainte ? Certainement ce ne
sont point les sublimes discours qui
(û) Apoc. 3. ?. 17.
i de J. Christ. Liv. I. Ch. i. f3
font l'homme saint & juste. C'est la vie
Chrétienne & vertueuse qui nous rend
les amis de Dieu.
J'aime bien mieux sentir mon cœur
touché d'une vraie componction que
de savoir comment il faut la définir.
Ouand vous auriez toute la Sainte
Ecriture dans votre mémoire, & que
vous sauriez toutes les belles senten
ces deff"Philosophes , dites - moi , je
vous prie , à quoi vous servirait tout
cela si vous étiez destitués de l'Amour
de Dieu & de sa grace. \
(b) Vanité des vanités ; tout est Fa-
ftité , hormis aimer Dieu & lui obéir.
Voici en quoi consiste la Souveraine
sagesse ; c'est à s'avancer vers le
Royaume du Ciel par le mépris de
toutes les choses oui sont sur la
TERRé.
4. C'est donc une chose vaine , que
de chercher les richesses périssables,
& d'y mettre sa confiance.
C'est vanité que de rechercher les
honneurs fugitifs du monde , & de vou
loir s'élever & être distingué.
C'est vanité que de courir après les
plaisirs des sens, & de désirer des
(Jbj Ecc). 1. r. 1.
C 3
54 De l'Imit. atiow
contentemens inséparables d'une pu
nition rigoureuse.
C'est vanité que de souhaiter une
longue vie , sans se mettre en peine de
bien vivre.
C'est vanité que d'appliquer ses soins
aux choses présentes , & de n'avoir
point de prévoyance pour celle de la
vie à venir.
Enfin c'est vanité que de mettre ses
affedtions à ce qui ne fait que passer,
& ne se point avaneer vers les objets
permanens & le séjour de l'éternelle
joie.
O Homme ! Pense souvent à cette
parole du Sage ; (a) L'œil ne sera ja
mais rassasié par tout ce qu'il peut voir ,
& Poreillt ne sera point assouvie en
écoutant. Bannis donc de ton cœur l'a
mour des choses visibles, & le met
tout entier aux invisibles. Car ceux qui
ont de l'attachement aux plaisirs des
sens , souillent leur conscience & per
dent la grace de Dieu.
(a) Eccl. i. v. 8.
de J. Christ. Livr. I. Chap. z. 55

CHAPITRE II.
Les humbles fentimens qu'il faut avoir
de foi-même.
1 . X Out homme désire naturellement
de savoir ; mais que sert la science sans
la crainte de Dieu ?
En vérité , un Paysan humble & qui
obéit à Dieu , vaut mieux qu'un Phi
losophe superbe, qui au lieu de se
connoitre & de se régler lui-même ,
dissipe son tems à considérer le cours
du Ciel & des Astres.
Celui qui se connoit à fond n'a que
du mépris pour soi-même , & ne peut
souffrir qu'on le joue.
Ouand j'aurois toute la science , sans
la pure charité, de quelle utilité me
seroit-elle devant un Dieu qui me ju
gera, non selon ma science , mais selon
mon amour pour lui, & selon mes
œuvres.
2. Reprime en toi le desir de
savoir beaucoup de choses ; car un
esprit trop curieux est le jouet de la
dissipation & de l'erreur.
Ceux qui ont beaucoup de science
ont aussi beaucoup d'ambition. Ils veu-
C 4
$6 D'e l' Imttatîon
lent être renommés & paroître sages,
ïl est cependant une infinité de, choses
dont la connoissance est à pure perte,
ou de peu de profit pour L salut de
l'ame.
C'est être bien insensé que de s'ap
pliquer à d'autres choses qu'à celles
qui contribuent au salut éternel.
Beaucoup de discours ne nourrissent
pas l'ame.
Il n'y a que la bonne vie qui mette
l'esprit en repos ; il n'y a que la pureté
de la conscience qui fasse que l'on se
présente avec confiance devant Dieu.
3. Plus tu sais de choses , & mieux
tu les sais; plus ta condamnation sera
rigoureuse , si tu n'as pas vécu plus
saintement.
Si tu excelles dans la connoissance
de quelque art ou de quelque science,
ne t'en enleve point; tremble plutôt
de ce que tu as plus de connoissance
que de pratique.
Lorsqu'il te viendra dans la pensée,
que tu sais beaucoup de choses , &
que tu les entends bien , pense qu'il
y en a infiniment davantage à l'égard
desquelles tu n'est qu'un ignorant.
Ne televe point dans l'opinion
de J. Christ. Livr. I. Ch. 2. 57
<3e ta sagesse ; avoue plutôt ton igno
rance. Pourquoi voudrois-tu te pré
férer à d'autres , vu qu'il en est tant
qui te dévancent & qui ont plus d'in
telligence que toi dans la loi de Dieu-?
Veux-tu apprendre une science qui te
sera fort utile? Apprends à aimer d'ê
tre inconnu, & d'être estimé moins
que rien.
4. L'instruction la plus hante et la
plus utile , est de se connoître & se
mépriser.
C'est une grande sagesse & un avan
cement signalé dans la perfection , que
de n'avoir aucune bonne opinion de
soi-même & de croire que les autres
sont bien meilleurs que nous.
Ouand tu verras quelqu'un commet
tre un péché ou un crime énorme ,
ne pense pas que tu sois meilleur que
lui ; parce que tu ne sais pas combien
de tems tu demeureras sans faire de
çhûte. Nous sommes tous fragiles ;
mais ne crois pas que persqnne soit
plus, fragile que toi. ,

C 5
38 De l' Imitation

CHAPITRE III.
// faut être attentif quand Dieu parle à
notre cœur & Je vaincre fui-méme.
Eureux celui que la vérité en
seigne par elle-même , & non point
sous l'obscurité des figures , & par des
sons qui passent ; mais telle qu'elle est
essentiellement !
Nous sommes souvent trompés par
nos opinions & par nos sentimens ,
qui ne nous donnent que des lumières
foibles et imparfaites.
A quoi bon tant de contestations
sur des choses cachées et obscures ',
,dont l'ignorance ne nous sera pas
imputée au jour du jugement de Dieu?
C'est un étrange aveuglement de
négliger ce qui est utile et néces
saire , pour nous appliquer à des cho
ses inutiles et curieuses , et même nuisi
bles et dommageables. C'est avoir des
jeux , et ne point voir.
2. Qu'avons-nouS besoin de ces fa
tras Philosophiques , tels que les gen
res où les espèces ? Celui à qui la
parole éternelle parle , n'a plus que
faire de tant d'opinions.
de J. Christ. Livr. T. Ch. 59
Cette unique Parole est la source
de tout ce qui est solide , et tout nous
renvoie à elle par un langage muet.
C'est elle aussi (a) qui eji le fouverain
principe qui nous parle. Sans elle on
ne comprend rien , on ne peut juger
de rien sainement.
Celui à qui cette Parole unique est
tout , qui ramène tout à cette unité ,
& qui voit tout en elle , aura le cœur
ferme & inébranlable , et demeurera
tranquille en son Dieu.
O mon Dieu ! vérité éternelle , fai
moi la grace que je sois une même
chose avec toi par ton amour éter
nel ! Je m'ennuie souvent de tant de
lectures &de tant de discours. Tout ce
que je cherche & que je desire ne se
trouve qu'en toi.
Oue tous les docteurs se taisent j
que toutes les creatures se tiennent
dans le silence devant toi ! Toi seul ,
mon Dieu! toi seul, daigne parler à
mon ame.
3. Plus un homme est recueilli en
lui-même & dans une innocente sim
plicité du cœur, plus ses eonnoissan-
ces s'élèvent & s'étendent avec faci-
(c) Jean. 8- v *$. .
êo De l' I m i t a t t o sr
lité , parce qu'il est éclairé d'enhaut.
Une ame pure , simple & constante,
ne se dissipe pas au dehors par une
multitude d'occupations ; ' parce que
tout ce qu'elle fait ne tend qu'à un
seul but , qui est la gloire de Dieu ;
elle n'a point d'égard à ses intérêts
et tâche d'être toujours libre de toute
propre recherche. Y a-t-il rien qui
te trouble & qui t'embarrasse davan
tage que les desirs immortifiés de ton
cœur ?
Celui qui craint Dieu, ne fait rien
au dehors que premierement il ne l'ait
réglé & disposé en dedans de lui-
même ; ne fait rien par le penchant
des inclinations vicieuses ; il range
tout sous la Loi de l'esprit & de la
droite raison.
Qu'y a-t-il de plus pénible que de
se vaincre soi-même ? Quel ouvrage
plus important? Nous devrions sans
cesse travailler à surmonter nos appe
tits & à faire de nouveaux progrès dans
'la vertu.
4. Pendant que nous sommes dans
cette vie nous n'avons point de per
fection sans mélange , & nos lumiere»
sont toujours bien obscures.
de J. Christ. Livr.l. Ch. 3. €1
L'humble connoissance de notre
néant nous conduira plus sûrement à
Dieu, que la recherche d'une science
profonde. Ce n'est pas que la science
ou la simple connoissance des choses,
soit condamnable puisqu'elle est bonne
en soi et dans l'ordre de Dieu. Mais
on doit toujours préférer une bonne
conscience .& une vie vertueuse.
Il y en a beaucoup qui se trompent
malheureusement & qui ne font pres
que point ou peu de bons fruits , parce
qu'ils ont plus de passion pour savoir
beaucoup, que de ferveur pour bien
vivre.
O ! si l'on prenoit autant de soin à
extirper les vices du cœur & à y éta
blir les vertus qu'à agiter de vaines
questions , l'on ne verroit pas tant dè
maux et de scandales parmi le peuple,
ni tant de désordres entre ceux qui
font profession d'une vie plus spiri
tuelle !
Certainement au jour du jugement
il ne nous sera pas demandé ce que
nous aurons lu , mais ce que nous au
rons fait ; il ne sera pas question de
savoir si nous avons dit de. belles cho
6s De V Imitation
ses , mais si nous en avons fait de
bonnes & de saintes.
Où sont à présent ces grands Doc
teurs & ces Savans que tu as connus
pendant leur yvie , & que leur science
rendoit si célèbres ? Leurs emplois &
leurs biens sont passés à d'autres , qui
peut-être ne pensent pas à eux. Lors
qu'ils vivoient , on les estimoit , on les
louoit , maintenant on n'en parle plus.
6. O ! que la gloire de ce monde
passe vite ! O s'ils avoient été aussi
saints, qu'ils ét oient savans, leur science
auroit fait leur bonheur loin de leur
nuire ! Combien n'est pas grand le
nombre dé ceux qui se perdent par
une science vaine , qui leur fait négli
ger le service de Dieu ? Comme ils
aiment mieux une vaine réputation que
l'humilité , ils se perdent dans la vanité
de leurs pensées.
C'est être vraiement grand & loua
ble que d'avoir un grand amour pour
Dieu & pour son prochain.
C'est être grand que d'être petit à
ses propres yeux & 'de ne faire aucun
cas de la gloire & des honneurs mon
dains.
dé J. Christ. Liv. I. Ch. 4. 63
C'est être prudent que de (a) regar
der toutes les chofes de ce monde comme
des ordures afin de gagner J. Chrift.
Et celui-là est vraiement savant , qui
sait faire la volonté de Dieu & renon
cer à la sienne propre.

CHAPITRE IV.
Il ne faut point juger légèrement , ni
avec précipitation.

I. Il ne faut pas croire tout ce qu'on


nous veut persuader, ni tout ce que
notre cœur nous suggère ; mais exami
ner toutes choses prudemment & avec
patience selon Dieu.
Hélas notre foiblesse est si grande
que lorsqu'il s'agit de notre prochain,
nous sommes plus portés à en croire et
en dire le mal que le bien.
Cependant ceux qui sont avancés
dans la perfection ne croient pas aisé»
ment tous les rapports qu'on leur fait 5
parce qu'ils savent que l'homme est
naturellement enclin au mal , et sujet
à pécher en paroles.
C'est une grande sagesse de n'être
(à) Phil. j. v. 8.


<?4 T^e l' Imiiation
point précipité dans ses actions , ni
attaché à i>on propre sens avec opi
niâtreté.
C'en est une aussi , de ne pas ajou
ter foi à tout ce qu'on nous dit , &. de
n'aller point rapporter aux autres ce
que nous avons ouï ou crû.
Prend conseil d'une personne sage &
de bonne conscience, & cherche de
recevoir plutôt l'avis & l'instruction
de celui qui est meilleur que toi , que
de suivre ta propre pensée. La bonne
vie rend l'homme divinement sage , &
lui donne de l'expérience en beaucoup
de choses. Plus on est humble de cœur
& soumis à Dieu , plus on croit en
sagesse & on jouit d'une profonde
paix.

CHAPITRE V.
Il faut lire l'Ecriture Sainte avec VEf-
prit qui l'a dictée.

i. Il faut chercher dans l'Ecriture


Sainte non l'éloquence humaine, mais
celle de la vérité. On doit la lire avec
le même Esprit qui la dictée ; et nous
y devons plutôt chercher notre édifi
de J. Christ. Liv. L Ch. 5. 65
cation , que la vaine subtilité du dis
cours.
Nous ne devons pas moins trouver
de plaisir dans la lecture des livres
de piété, quoique tout y soit simple,
que dans ceux qui sont les plus pro
fonds & les plus sublimes. 1
Ne t'arrête point à considérer si
celui qui écrit passe pour savant , ou
s'il ne l'est pas ; que le seul amour
de la vérité te porte à lire ce que tu lis.
Ne demande point qui a dit cela ;
prend garde seulement à ce qu'on
te dit.
a. Les hommes pajfent , mais la vérité
du Seigneur demeure à jamais. (*) Dieu
nous la propose en beaucoup de ma
nieres , sans regarder à la qualité de
ceux dont il se sert pour nous parler.
Souvent nous retirons peu de pro
fit de la lecture de l'Ecriture Sainte ,
parce que nous y cherchons à satisfaire
notre curiosité.
Nous voulons rechercher curieuse
ment des choses sur lesquelles il ne
faudroit que passer.
Si tu veux lire avec profit l'Ecriture,
lis-la avec humilité, avec simplicité,
(*) Ff. 38. v. 7. • .
66 De l' Imitation
& avec une intention sincère de suivre
ses instructions.
Ne désire jamais de passer pour
savant. Demande toujours d'être ins
truit.
Ecoute en silence les paroles des
Saints , et ne te rebute point des Pa
raboles et des manieres de parler figu
rées des Anciens; car ils" ne s'en sont
point servis sans sujet.

CHAPITRE VI.
Les affalions déréglées caufent un trou
ble , quije calme en leur réfifiant.

, Du moment que l'homme étend


son desir au delà des bornes que Dieu
lui a prescrites , il est rempli de trou
ble et d'inquiétude.
L'orgueilleux et l'avare n'ont jamais
de paix; mais le pauvre et l'humble
d'esprit sont dans l'élément d'une tran-
quilité admirable.
Celui qui n'est pas encore entière
ment mort à soi même se laisse tenter
et vaincre même dans les choses les
plus petites & les plus basses.
Celui dont l'ame foible et lâche,,
i>E J. Christ. Livr. I. Ch. 6. 67
penche encore vers les choses sensi
bles, trouve beaucoup de difficultés
lorsqu'il est question de s'en détacher,
aussi ne s'en détache-t-il qu'avec beau-
boup de tristesse ; & si on lui résiste
tant soit peu , il se met en colere.
2. Que s'il a satisfait sa convoitise ,
à l'instant même les remords de sa
conscience viennent le tourmenter ;
parce qu'il a suivi sa passion qui ne
lui a pas apporté la paix qu'il cher-
choit. "
C'est doncj non en contentant se6
passions , mais en les mortifiant, que
se trouve la vraie paix du cœur. Il
n'y en a point pour le cœur de l'hom
me charnel , ou occupé des choses
terrestres : mais seulement pour l'hom
me fervent , intérieur et spirituel.

CHAPITRE VII.
On ne doit point mettre fa confiance
dans les créatures , il ne faut tirer
vanité de rien & revêtir fhumilité.

1. v^Elui qui attend son bien de»


hommes ou des autres créatures , de
meure vuide du vrai bien.
$8 De l' Imitation
Que l'amour que tu dois avoir pour
imiter Jésus-Christ ne te donne point
de honte de servir les autres , et d e-
tre vû pauvre et abject en ce monde.
Ne t'appuye point sur toi - même ,
mais confie toi en Dieu seul.
Fais ce que tu peux , & Dieu secon
dera ta bonne volonté.
Ne te fonde point sur ton adresse,
ni sur l'habileté de personne ; mais sur
la grace de Dieu , qui aide les hum
bles^ qui abaisse les présomptueux.
2. Si tu as des richesses , ne t'en
glorifie point; non plus que de tes
amis s'ils sont puissans. Ne te glorifie
qu'en Dieu qui fait , qui donne tout ,
& qui désire de se donner lui-même
encore par dessus.
Ne tire point vanité de la taille et
de la beauté de ton corps , qu'une
légere maladie peut ruiner & rendre
difforme.
Fuis toute vaine complaisance en
toi-même qui seroit fondée sur ta capa
cité ou tes talens, de peur de déplaire à
Dieu de qui tu tiens tous tes dons
naturels.
3. Ne te crois jamais meilleur que
les autres, de peur que Dieu ne te
de J. Christ. Lh. I. Ch. 8. 69
regarde comme le pire de tous ; car
il voit tout ce qui est dans l'homme.
Si tu crois avoir fait de bonnes œu
vres ne t'en éleve point ; parce que
lesjugemens de Dieu sont bien diffé-
rens de ceux des hommes; et que ce
que les hommes trouvent bon, lui est
souvent très désagréable. S il y a quel-'
que bien en toi , crois qu'il y en a.
davantage dans les autres, afin que tu
demeures toujours dans l'humilité.
Tu ne perdras rien à te mettre au-
dessous de tous ; mais il est tres- dan
gereux pour toi de te préférer à un
seul. La paix demeure toujours avec
les humbles ; l'envie et la colere ré
gnent dans les cœurs des superbes.

CHAPITRE VIII.
Choifir un ami fage , fe famillarifer
peu avec le monde.

découvre pas ton cœur a tou


tes sortes de personnes , ne te commu
nique qu'avec un homme sage., et qui
craigne Dieu.
Ne te trouve que rarement avec les
jeunes gens et les personnes du monde.
J-0 D lî l' I M I t A T I 0 N
Ne flatte point les riches, et ne dé
sire point de paroitre devant les
Grands.
Aime la compagnie des humbles , -
des simples , de ceux qui vivent reli*
gieusement , et dont les mœurs sont
réglées, pour t'entretenir avec eux sur
des sujets d'édification.
Ne sois point familier avec les per- .
sonnes du sexe ; qu'il te suffise de les
recommander à Dieu , & sur-tout celles
qui sont vertueuses.
Tu ne dois chercher que la familia
rité de Dieu & de ses Anges , & nul
lement à être connu des hommes.
z. Il faut avoir de la charité pour
tout le monde , mais il n'est pas à
propos d'être familier avec tous.
Il arrive souvent qu'une personne
est en bonne réputation pendant qu'elle
se cache ; mais dès qu'elle se produit
telle qu'elle est elle déplait.
Nous nous imaginons quelquefois
que nous nous rendons agréables aux
autres en les fréquentant ; et c'est alors
au contraire que leur donnant occasion
de considérer nos défauts , nous leur
devenons odieux.
de J. Christ. Liv. I. Ch. 9. 71

CHAPITRE IX.
De île la foumijfion & de hbéijfance.

1. Il est avantageux d'être sous la


puissance d'autrui , et non pas dans
l'indépendance. Il e.st bien plus sur
d'obéir que de commander.
Mais il y a beaucoup de gens qui
obéissent plutôt par nécessité que par
vertu ; et ce n'est qu'avec peine et
avec murmure qu'ils subissent le joug.
Cependant on ne trouvera jamais la
liberté de l'esprit que dans une sou
mission sincère et par le motif de l'a
mour de Dieu.
Ou'on aille où l'on voudra , on ne
trouvera point de repos que dans une
humble soumission. Beaucoup de gens
se sont trompés en imaginant que
le changement de lieu les mettroit en
repos.
2. Il est vrai que chacun se plaît a
agir selon son propre sens , et qu'on
a beaucoup d'inclination pour ceux
qui sont dans les mêmes sentimens que
nous.
Mais si l'Esprit de Dieu nous cou-.
jz De l' Imitation1
duit , nous renoncerons souvent à no
tre propre esprit pour le bien de la
paix.
Où est l'homme assez sage pour avoir
parfaitement raison en toutes choses ?
ne te fie donc pas trop à ton pro-
pre jugement ; mais écoute aussi de
bon cœur celui des autres.
Si ton avis est le meilleur et que tu
y renonces pour l'amour de Dieu , afin
de ne pas troubler les autres en rejet-
tant le leur , tu en tireras plus de
profit.
j. J'ai souvent ouï dire qu'il y avoit
plus de sûreté à écouter et à recevoir
conseil , qu'à en donner.
Il peut arriver que deux personnes
donnant des avis diff'érens , l'un et
l'autre soit bon ; mais c'est orgueil et
opiniâtreté que de ne pas vouloir se
rendre à l'avis d'autrui , lorsque l'oc
casion ou la raison le demandent.

CHAPITRE X.
Il faut éviter les entretiens frivoles , &
parler dis chofes faintes.

i. EYite, autant qu'il se peut , la


foule
de J. Chkist. Liv. I. Ch. ta. 73
foule & les compagnies du siècle. Ces
conversations où l'on ne s'entretient
que de nouvelles, sont nuisibles, même
à ceux qui ne les disent qu'avec sim
plicité ; car la vanité nous corrompt
bien vite , & nous met aisément sous
son joug.
Je voudrais m être tû en beaucoup
de rencontres , et n'avoir pas été si
souvent en compagnie.
. Mais pourquoi prenons-nous tant de
plaisir à parler & discourir ensemble.,
puisque très-rarement les conversations
finissent sans qu'on ait blessé la cons
cience? C'est que dans nos entretiens
nous cherchons de la satisfaction , et
des consolations humaines.
Notre cœur est chargé d'inquiétudes
et de soucis , et nous voulons le dé
charger et le soulager en parlant de
ce que nous aimons et désirons , aussi
bien que de ce qui nous fait de la
peine.
2. Mais hélas! nous n'y gagnons rie»
le plus souvent. Cette sorte de conso
lation extérieure est un grand obstacle
aux consolations intérieures et divines.
Veillons donc et prions , de peur
que notre tems ne se passe kiutilement.
D
74 De l' Imitation
S'il faut parler^ parlons de choses
qui puissent edifier. La mauvaise habi
tude , et notre négligence à nous avan
cer dans le bien , contribuent beau
coup à la mauvaise garde que nous
faisons de notre langue.
Il est vrai cependant que les entre
tiens sur les choses spirituelles , ne
nous avancent pas peu dans la piété ,
sur-tout lorsqu'ils se passent entre des
personnes qui n'ont qu'un même cœur
et un même esprit en Dieu.

CHAPITRE XI.
Four acquérir la paix il faut com
battre fes inclinations vicieufes.

f. .ni ocs pourrions jouir d'une grande


paix si nous voulions ne nous pas occu
per des paroles et des actions des au
tres , et de tout ce qui ne nous regarde
pas.
Comment seroit-il possible que celui
qui veut se mêler des affaires d'autrui
demeurât long-tems en paix ?
Comment y demeureroit celui qui
cherche toujours hors de lui dequoi
s'occuper , et qui rentre très-rarement
en lui-même ?
de J. Christ. Liv. L Ch. ir. 75
Heureux les simples , parce que leur
paix sera multipliée.
2. Voulez-vous savoir pourquoi il y a
eu des Saints si parfaits & si adonnés
à la contemplation des choses divines.
C'est qu'ils ont eu soin de faire mourir
en eux tous les desirs de la terre , pour
s'unir à Dieu par une application in
térieure de tout leur cœur, & se pos
séder eux-mêmes en liberté.
Nous nous occupons trop des objets
de nos passions, et nous avons trop
d'empressement pour les choses péris
sables.
Il nous arrive rarement de vaincre
tout-à-fait un de nos vices. Nous ne
sommes point enflammés du desir de
faire chaque jour des nouveaux pro
grès , et nous demeurons tièdes et né-
gligens.
3. Si nous étions absolument morts
à nous-mêmes , et libres de tout atta
chement nous pourrions goûter les biens
célestes et les délices de la contem
plation Divine. Ce qui nous en éloigne
le plus , c'est que nos passions sont
encore vives et notre cupidité forte,
& que nous ne faisons point d'efforts
pour entrer dans la voie parfaite dont
D 2
76. De l' -I m i t'a t t o n
tes Saints nous ont laissé le modèle.
S'il nous survient quelque léger su
jet d'affliction , nous en sommes abba-
tus , et nous ne pensons qua chercher
des consolations humaines.
4. Si nous avions assez de courage
pour demeurer fermes dans le combat ,
il est hors de doute que nous éprou
verions le secours d'enhaut ; car Dieu
est toujours prêt à secourir ceux qui
combattent et espèrent en sai grace,
& c'est lui - même qui nous dispense
les occasions du combat pour nous
faire remporter la victoire et pour cou
ronner le vainqueur.
Oue si nous ne faisons consister nos
progrès que dans des choses extérieu
res, notre piété sera de peu de durée.
Mettons la coignêe à la racine de l'ar
bre , afin que notre intérieur étant pu
rifié des passions , nous trouvions la
vraie paix & le repos de l'ame.
5. Nous serions bientôt parfaits si
chaque année nous déracinions seule
ment un vice de notre cœur ; aù lieu que
souvent nous trouvons que nous avons
été bien meilleurs & plus purs quand
nous commencions à nous convertir
que nous ne le sommes plusieurs an
de J. Christ. Liv. 1. Cb. 10. 77
itées après avoir fait profession de vivre
saintement.
Notre ferveur, nos progrès devroient
croître chaque jour; mais c'est beau
coup si l'on retient une partie de sa
premiere ferveur.
Si nous nous faisions violence au
commencement, nous pourrions faire
dans la suite toutes choses avec facilité
et avec joie.
On a de la peine à se défaire de ses
habitudes ; mais on en a encore beau
coup plus à agir contre sa propre vo
lonté.
Si tu ne veux pas te vaincre dans les
petites choses , comment surmonteras-
tu les grandes ?
Résiste dès les commencemens à tes
inclinations , de peur que devenant in
sensiblement plus fortes, tu ne trouves
de plus grandes difficultés à les quitter.
O ! si tu savois quelle paix tu acquer-
iois , et quelle joie tu donnerais aux
autres en t'avancant dans la vertu ! je
m'assure que tu y travaillerais avoc
plus de soin.

D 3
?8 De l' Imitation

CHAPITRE XII.
Il efi avantageux d'être affligé.

i . v^'est un bien d'avoir des afflictions


& des traverses, parce qu'elles font
rentrer l'homme en lui-même, et lui
apprennent qu'il n'est qu'un pauvre
banni , qui ne doit point mettre son
espérance aux objets de la terre.
Il nous est bon qu'on nous contre
dise quelquefois , & que l'on ait mau
vaise opinion de nous ; lors même que
nous agissons bien & avec une bonne
intention ; car tout cela sert à nous
humilier & à nous défendre de la vaine
gloire.
Lorsque les hommes nous méprisent
& qu'ils n'ont pas bonne opinion de
nous , c'est alors que nous cherchons
avec plus d'empressement le témoin
du cœur , qui est Dieu même.
2. Nous devrions nous affermir tel
lement en Dieu , qu'il ne fut pas besoin
de chercher de consolations dans les
hommes.
Lorsqu'une ame de bonne volonté
est affligée ou tentée , ou obsédée de
de J. Christ. Liv. I. Ch. iz. ?§
mauvaises pensées,elle comprend mieux
que jamais combien Dieu lui est néces
saire , & que sans lui elle ne peut faire
aucun bien. •
Cela l'oblige à s'attrister salutaire-
ment , à gémir , & à prier pour être dé
livrée de ses misères. La vie lui devient
ennuieuse , & la mort désirable ; afin
qu'étant mise en liberté elle puisse être
avec J. Christ.
Elle voit bien alors qu'il est impos
sible d'avoir une entière assurance et
de jouir d'une pleine paix , pendant
que l'on est dans ce monde.

CHAPITRE XIII.
Il efl bon d'être tenté, mais il faut
réfijïer aux tentations & demeurer
fermes*

i. J. ant que nous vivons sur cette-


terre , nous ne pouvons être sans afflic
tions & sans tentations. C'est ce qui
a fait dire à Job (a) que la vie des hom
mes fur la terre rieft qu'un train àfi
guerre de tentation.
Ainsi chacun doit veiller & prier ,
(a) Job 7. v. u
I> 4
|o De l' Imitation
de peur que le diable , qui ne som
meille jamais , (b) qui tourne fans
cejje à l'entour des hommes , cherchant
qui il pourra dévorer, ne trouve oc
casion de nous surprendre & de nous
tromper.
Il n'est personne tant parfait & saint
qu'il soit, qui n'ait quelquefois des ten
tations, et nous ne pouvons en être
tout- à- fait exempts.
2. Quoique rudes, elles sont même
souvent fort utiles, parce que c'est par
elles que l'homme est humilié , purifié
et instruit.
Tout les Saints ont passé par beau
coup d'afflictions & de tentations , &
.c'est par ce chemin qu'ils se sont
avancés.
Mais ceux qui n'ont pu les soutenir ,
eont déchus de la grace.
Nul état, tant saint qu'il soit, nul
lieu tant retiré qu'il puisse être , n'est
sans tentations et sans adversités.
3. Il n'est point d'homme qui soit
entierement exempt de tentations pen
dant qu'il vit ; parce que, né dans la
cupidité , il en porte en lui-même le
principe & la source. Dès qu'une ten
tation est passée,il en survient une autre.
{b) 1. Pier. 5. v. g.
de J. Christ. Liv. I. Ch. 13. 81
' Il y aura toujours ici bas matiere de
souffrance , parce que nous sommes
déchus de l'état de felicité.
Beaucoup de personnes voulant évi
ter les tentations ,y tombent plus dan
gereusement.
La seule fuite ire nous fait pas
vaincre; mais c'est par la patience &
par la vraie humilité que nous deve
nons plus forts que tous nos ennemis.
4. Celui qui ne veut éviter le mal que
par l'extérieur, & qui n'en arrache pas
la racine intérieure, ne sauroit faire
beaucoup de progrès ; ses tentations re
viendront, & il s'en trouvera plus mal
qu'auparavant. On les surmonte mieux
peu-à-peu , par la patience , & en se
possédant soi-même , dans l'attente du
secours de Dieu , que par nos propres
empressemens & en nous tourmentant
& traitant durement.
Demande souvent conseil lorsque tu
es tenté ; & ne traite point avec rigueur
celui qui l'est ; console le plutôt comme
tu voudrois que l'on te consolât si tu
étois tenté toi-même.
5. Le principe des dangereuses ten
tations est l'inconstance de notre cœur,
& notre peu de confiance en Dieu ; car
D 5
$s De Imitation
comme un vaisseau sans gouvernail est
jetté ça & là par les flots de la mer ,
ainsi l'homme qui se relâche & qui
abandonne ses bonnes résolutions , se
trouve tenté en diverses manieres.
Le feu éprouve l'or, & la tenta
tion l'homme juste.
Souvent nous ne connoissons pas no*
forces ; c'est la tentation qui nous dé
couvre ce que nous sommes.
Il faut veiller sur tout quand la ten
tation commence ; parce que l'ennemi
est vaincu plus facilement, lorsqu'on
le repousse & qu'on lui ferme la porte,
aussitôt qu'on l'entend frapper.
C'est pourquoi un Païen même a dit;
Rêfifle au mal dès qu'il commence ; car
Jitu le laijje invêtérer,les remèdes feraient
à tard.
D'abord il ne se présente à l'esprit
qu'une simple pensée , mais qui devient
bientôt une forte imagination ; ensuite
on y prend un plaisir sensuel , qui enfin
est suivi du consentement & du mou
vement déréglé.
Voilà comment l'ennemi entre tout
-entier, quoique peu-à-peu, lorsqu'on ne
de J. Christ. Litr. I. Ch. 13. 8j
:lui résiste pas dès le commencement ;
& plus on est lâche à résister, plus
aussi on devient foible, & l'ennemi fort.
6. Il y en a qui sont plus tentés au
commencement de leur conversion ,
d'autres vers la fin, d'autres le sont toute-
leur vie, d'autrçs ne le sont que fort
pem' v t-. .
Tout cela est dispensé selon la sa
gesse & la justice admirable de Dieu r
qui connoît les forces & la vertu des
hommes , & qui dispose de tout pour
de salitt de ses élus.
: 7. Nous ne devons donc pas perdre
,1'espérance lorsque nous sommes tentés,,
.mais -plutôt redoubler l'ardeur de nos-
prieres vers Dieu ^ afin 'qu'il lui plaise de
«ous secourir dans nospeines, & qu'ainsi
selon la parole de Saint Paul (a) il don
ne une telle iffue à la tentation , que nous
fuirions la fupporter.. .' '. •
l' Ilumilions^noùs-donc .salutairement
sous la main de Dieu dans toutes nos.
tentations & nos afflictions , car il sau
vera Cêtlx -qui ^èbiit- humbles de cœur,.
& lès élevera dan* la gloire.
•'8. Ciest par- les tentatatiom & les-
afflictions que l'on éprouve- combie»

D 6
84 De i' I m t t a t i • U
l'on est avancé dans la piété : c'est
.par elles qu'on devient digne de la
couronne promise, & que la vertu pa-
roit avec plus d'éclat. . . ;..
C'est peu que d'avoir de la dévotion
& de la ferveur quand on est sans
affliction ; mais lorsqu'au milieu des
adversités on demeure ferme , c'est La
.marque d'un grand progrès. .
Il en est qui dans les grandes tenta
tions sont préservés de chûtes, &iqui
sont très-souvent vaincus dans les plus
médiocres & les plus ordinaire*, afin,
qu'ainsi humiliés, ils ne présument rien
d'eux-mêmes dans les grandes choses!,
•n sentant & éprouvant leur foiblesse
«lans les plus petites. ; mat
- 1 1 1 1 — lu.
C H A P I T R E XIV:
Il faut éviter tes Jugemens téméraires
fur autrui, fe juger foi-mfane & fe
foumettre à Dieu. , <.<.:..,

ï. Jette les yeux, sj^rj toi-même


garde toi dejuger des actions d'autrui.
En jugeant les autres on se: travaille
«n vain ; on se trompe & l'on péehe,;
au lieu qu'en s'exarainajat & ju
de J. Christ. Liv. I. Ch. 14. 8$
geant soi-même , on fait une œuvre
,très-utile & qui profite toujours.
Nousjugeons ordinairement des cho
ses selon notre inclination ; & notre
amour propre nous empêche dejuger
équitablement.
Si Dieu ctoit toujours le pur motif
de notre intention , & le but de nos
desirs, nous ne serions pas si facile
ment troublés quand on nous résiste.
. 2. Mais souvent il est en nous un
principe secret ; il y a quelque attache
inconnue qui nous fait agir, ou des mo
tifs extérieurs qui nous déterminent.
_La plupart des hommes sont eux-
mêmes les objets de leur recherche &
de leur propre complaisance dans ce
qu'ils font , quoiqu'ils ne s'en ap per
çoivent pas. .
Ils paroissent être en paix pendant
que tout va comme ils veulent , & selon
leur sens ; mais dès qu'une chose ar
rive; autrement qu'ils ne désirent, le»
voilà tout émus & pleins de chagrin.
. Que de dissensions pour des senti-
jnens &/,desvoppinions diverses entre
des .personnes que la familiarité a ren
du amies , qu'une même ville a rendu
concitoyens , & qu'une même, religioa
a rendu frères.
86 De l' I m i t a t i o n
3. On a bien de la peine a quitter
ses vieilles habitudes & à se laisser con
duire contre sa propre lumiere;
Cependant si tu te fies plus à ta rai
son &. à ton sens qu'à la vertu de Jésus-
Christ qui demande un esprit soumis
& qui soumet tout à eller tu ne seras
jamais éclairé de Dieu.
Si elle agit en toi ,- ce ne sera que
peu & bien lentement , parce que Dieu
veut de nous une soumission entiere , &
que les flammes de notre amour pour
lui, s'élevent au-dessus de toutes les
hauteurs de notre raison.

CHAPITRE XV. ;ç

Zes bonnes œuvres doivent être faites par


amour pour la gloire de Dieu.

1. Il ne faut jamais faire le mal ni


par complaisance pour autrui , ni par
amour de qui que ce soit ; néanmoins
on peut différer une bonne œuvré où
la changer en une meilleure *selo^ le
besoin & l'utilité du prochain ; par et
moyen on ne détruit' pas cette bonne
œuvre , mais on change le bien en.
mieux.-- v.i . .. - - . m
de J. Christ. Liv. 1. Cbap. i j". tj
Les œuvres extérieures ne servent de
rien sans le vrai amour de Dieu & du
prochain ; mais tout ce qui se fait parce
divin motif est avantageux, quelque pe
tit & méprisable qu'il soit en apparence,
parce que Dieu considère plus le motif
& la volonté que l'aélion même.
2. C'est faire beaucoup que d'aimer
beaucoup. C'est faire beaucoup que de
faire bien ce que l'en fait , & on le fait
bien quand on cherche plutôt l'utilité
commune que sa propre satisfaction.
Souvent on prend pour charité ce qui
n'est que cupidité pure. Le penchant de
nature , la volonté propre , l'espérance
d'être à son aise , se mêlent aisément
dans tout ce qùe nous faisons.
3. Celui dont la charité est vraie &
parfaite ne se cherchejamais dans quoi
que ce soit ; son désir unique est que
tout se fasse pour la gloire de Dieu.
Il ne porte jamais envie à personne ,
parce qu'il ne cherche point de joie
dans la jouissance d'un bien particulier;
ainsi , il ne cherche pas son bonheur en
soi-même, mais en Dieu, au-dessus de
tous les biens créés.
Il n'attribue nul bien à la créature *
mais il rapporte tout à Dieu , qui est la
13 B i h' Imitatio*
source de tous les biens , & la fin suprê
me, où les Saints trouvent une demeure
éternelle & un repos assuré. O! qui au-
roit dans son cœur une étincelle de ce
pur amour! il verroit sans doute que
tout ce qui est dans le monde n'est que
vanité. *
CHAPITRE XVI.
Ilfaut fupporter les défauts du prochain ,
puifque nous 'avons bcfoin qu'on fup-
porte les nôtres.

i. N"ous devons supporter avec pa


tience , ce que nous ne pouvons chan
ger ni en nous-mêmes , ni dans les
autres ,jusqu'à-ce qu'il plaise à Dieu d'y
apporter le remède nécessaire.
Considère que peut-être il vaut mieux
que les choses demeurent dans l'état où
elles sont, afin que tu sois éprouvé , &
que tu t'affermisses dans la patience ,
sans laquelle toutes nos bonnes œuvres
sont bien peu de chose.
Tu" dois cependant prier Dieu qu'il
lui plaise de t'assister par sa grace , afin
que ces obstacles ne te fassent point
succomber , mais que tu les souffres pai
siblement.
dé J. Christ. Liv. 1. Cbap. 16. 89
2. Si après avoir averti le prochain
une ou deux fois , il ne veut pas se ren
dre , n'entre point en contestation avec
lui ; mais remet tout à Dieu , désirant
que sa volonté se fasse, & que son hon
neur s'avance dans tous ses serviteurs;
car il sait , lorsqu'il le veut , faire tourner
le mal en bien. Tâche d'être patient , de
supporter les .défauts des autres , & tou
tes leurs foiblesses ; car tu as toi-même
beaucoup de défauts que les autres doi
vent aussi supporter.
Si tu ne peux te rendre toi-même tel
que tu voudrois , comment prétens-tu
rendre les autres parfaits ? Nous vou
drions qu'ils* le fussent, & nous ne vou
lons pas corriger nos propres défauts.
3. Nous voulons que l'on corrige les
autres en rigueur ; mais nous ne voulons
pas que l'on nous corrige.
Leur licence nous déplaît, & cepen
dant nous ne voulons pas qu'on refuse
rien à notre volonté.
. Nous consentons qu'on reprime les
autres ; mais nous ne voulons pas qu'on
mette le frein à nos passions.
Nous n'avons donc presquejamais la
même indulgence pour notre prochain
que pour nous-mêmes, Si tous étoiant
ço De l' Imitation
parfaits , quelle occasion aurions-nous
de souffrir des autres pour l'amour
de Dieu ?
4. Mais il a plû à Dieu de laisser des
imperfections dans tous, afin que nous
apprissions à porter les fardeaux les uns
des autres (a).
Car personne n'est sans défauts ; cha
cun a son fardeau ; nul ne suffit à soi-
même.
Nous devons nous supporter mutuel
lement, nous consoler les uns les autres,;
nous aider, nous instruire nous exhorter.
Rien ne montre mieux la vertu de
l'homme , que l'adversité. Car ce ne sont
pas de fâcheuses rencontres qui ren
dent l'homme foible ; elles ne font que
montrer ce qu'il est.

CHAPITRE XVII.
Un bon Chrétien doit l'être par fa vie
par fes meeurs.
1. Il faut que tu apprennes à rompre
ta volonté en beaucoup de choses , si tjn
veux conserver la paix avec les autres.
Ce «'est pas peu , que de vivre en ce
monde sans reproche , & de persévérer
(a) Gai. 6 1 t. a.
de J. Christ. Ziv. I. Ch. 17. 91
jusqu'à la fin dans la fidélité que l'on doit
à Dieu.
Heureux celui qui après y avoir bien
vécu a terminé sa course saintement !
Si tu veuxy demeurer ferme & avan
cer dans la piété , regarde-toi comme
un exilé , qui est dans une terre étran
gere , où il ne fait que passer.
Situ désire sincerement de mener une
vie vraiment chrétienne, que l'amour
de Jésus-Christ te dispose à souffrir d'é>
tre tenu du monde pour un insensé.
2. L'habit , l'arrangement modeste des
cheveux sont peu de chose , mais refor
mer ses mœurs , mortifier ses passions,
voilà le vrai esprit de la religion & du
christianisme.
Celui qui ne cherche pas Dieu ni le
salut de son ame uniquement & pure
ment , ne trouvera qu'afflictions & an
goisses ; & celui qui ne veut pas être le
plus petit de tous & soumis à tous , ne
jouira pas long-tems de la paix.
3. Tu ès venu pour servir & non pas
pour dominer , tu ès appellé à la souf
france & au travail , & non pas aux vains
plaisirs & aux conversations vaines.
C'est ici queies hommes sont éprou
vés comme l'or l'est dans la fournaises
jj 'De l'Imitatioït
Ne te trompe pas ; personne n'est
chrétien s'il ne s'humilie de tout son
cœur pour l'amour de Dieu.

CHAPITRE XVIII.
Il faut fuivre fexemple des Saints &
le zèle des premiers Chrétiens & fuir
les tiédes de ce fiècle.

ï. Considère les vivans exemples des


Saints , qui ont été des modeles ache
vés de perfection , & tu verras que tout
ce que nous faisons n'est que peu de
chose, & presque rien en comparaison
de ce qu'ils ont fait.
Ces vrais amis de Jésus-Christ , pour
ïe servir , se sont exposés à la faim &
à la soif, au froid & à la nudité , au
travail & aux fatigues ; ils se sont dé
voués aux veilles & aux jeûnes , à la
priere & aux méditations saintes , à la
persécution & à une infinité d'oprobres.
2. Oui pourroit comprendre ^ gran
deur k. le nombre des peines qu'ont
enduré les Apôtres , les Martyrs, &
tous les autres Saints , qui ont voulu
suivre les traces de Jésus-Christ.
Ils ont haï leur vie dans ce monde,
-DE J. Christ. Liv. I. Ch. \%. 93
pour la retrouver dans le, Ciel. Quelle
tempérance ! quel renoncement n'ont
pas paru en tant de Saints personna
ges , qui ont passé leur vie dans les
déserts & dans la solitude! quelle lon
gues & dures tentations n'ont - ils pas
supporté ! Combien de fois n'ont-ils pas
été attaqués de l'ennemi '{ Quels soupira
profonds, quelles prieres à Dieu fré
quentes & ferventes! Quelle abstinence
exade & rigoureuse ! De quels zèle
n'étoient-ils pas enflammés pour faire
tous les jours de nouveaux progrès
dans les choses spirituelles ! avec quel
courage & quelle fermeté ne se sont-ils
pas fait la guerre pour dompter leurs
inclinations vicieuses! Quelle pureté,
quel désintéressement en la présence
de Dieu!
Ilstravailloientlejour, & employaient
la nuit à la priere , quoique même pen
dant le travail du jour leurs cœurs aient
été dans une élévation continuelle vers
Dieu.
3. Ils ne perdoient point de tems.
Chaque heure leur sembloit trop courte
pour penser à Dieu.
La contemplation des choses divi-


94 De l' I m i t a t i o w
nes leur étoit si chère & si douce qu'ils
oublioient les besoins du corps.
Ils renoncoient à toutes les richesses,
aux dignités, aux honneurs, aux parents.
Ils ne désiraient rien de tout ce qu'il
y a dans le monde ; à peine pouvoient- "
ils se résoudre à prendre les choses les
plus nécessaires à la vie; & quelques
besoins qu'ils en eussent , ils gémis-
soient de se voir assujettis à cette né
cessité.
Ainsi ils étoient pauvres à l'égard des
choses de la terre , mais riches en grace
& en vertu. Nécessiteux au dehofs ,
& pleins de grace & de consolation
divine au dedans. /
4. Ils étoient
mais amis familiers de Dieu. A leur
propre jugement ils n'étoient rien , à
celui du monde ils étoient méprisables ;
mais ils étoient précieux aux jeux de
Dieu , qui les aimoit comme ses' chers
enfans. Ils demeuroient avec constance
dans la vraie humilité , ils obéissoient
à leurs supérieurs avec simplicité, & ils
marchoient dans l'amour & dans la pa
tience.
Ainsi ils avançoient tous les jours
dans la vie de l'esprit , & tous les jours
ils receyoient de nouvelles graces.
de J. Christ. Dvr.h Ch. ig. , çg
Ils ont été laissés pour exemple à
ceux qui veulent vivre chrétiennement ,
& leur petit nombre doit avoir plus
de force sur nous pour nous donner du
courage , que le grand nombre des lâ
ches & des tiédes d'aujourd'hui, pour
nous porter au relâchement.
5. O que les Chrétiens des premiers
siecles ont eu de zèle & de piété !
quelle ardeur dans leurs prieres ! quel
effort de bien vivre ! quelle exactitude
dans leurs saints réglemens! avec com
bler} de respect et d'obéissance se sont-
ils soumis à la discipline de leur maître!
Ce qui nous reste de leur vie nous
assuré qu'ils étoient vraiment saints &
avancés dans la perfection.
Ils ont combattu le monde avec tant
d'ardeur & de force , qu'ils sont parve
nus à le fouler enfin à leurs pieds.
Aujourd'hui celui-là passe pour un
chrétien du premier ordre qui ne viole
pas grossièrement & au dehors les
commandemerts de Dieu, et qui pousse
sa patience jusqu'à se soumettre aujoug
extérieur de la religion que sa naissance
l'a engagé de professer.
6. Lâches èt négligens que nous som
mes ! pourquoi nous éloignons : nous
ainsi de ce premier zèle des Saints ?
96 D e. l'. Imitation
O que notre lâcheté et notre tiédeur'
est grande de ne pouvoir souffrir sans en
nui qu'on nous parle seulement de vivre
comme eux, et qu'au moindre combat ,
la vie pour ainsi dire , nous devienne
'ennuyeuse et insupportable !
Toi qui consideres les exemples des
Saints , ne t'endors pas quand il s'agit
de t'avaneer dans l'exercice des vertus
qu'ils ont pratiquées. Je prie Dieu qu'il
t'en fasse la grace.

CHAPITRE XIX.
On doit renouvelle? chaque jour fes
bonnes réfolutipns , &' exciter fon
zèle par de faims exercices. j

i . La vie d'un chrétien doit être toute


sainte ; il doit être dans le fond ce qu'il
paroit à l'extérieur. Il doit mèmej' avoir
plus de sainteté dans son intérieur,
qu'on en remarque au dehors ; parce
que c'est au cœur que Dieu regarde :
c'est pourquoi en quelque lieu, en quel-,
que état que nous soyons , nous devons
le révérer , le craindre, et. marcher en
sainteté devant lui comme font les'
Anges-
II
de J. Christ. Livr. I. Ch. i%.
Il faut renouveller chaque jour notre
sainte résolution et exciter notre zèle,
comme si nous ne commencions que
dès aujourd'hui à nous convertir.
Disons sans cesse , mon Dieu , viens à
mon aide, aie égard à mes bonnes inten
tions, & me confirme dans la sainte
obéissance que je te dois. Mon Dieu!
fais-moi la grace que ce soit aujourd'hui
que je commence sérieusement ; jusqu'à
présent ce que j'ai fait est moins que
rien. . .
2. Nous avancerons dans la piété à
proportion de la vigueur & de la fermeté
de nos résolutions ; ainsi , celui qui veut
s'avancer doit avoir beaucoup de soin
& de diligence. Que si malgré nos bon
nes résolutions nous ne laissons pas de
tomber souvent , que doit-on attendre
de ceux qui n'en font point du tout, ou
s'ils en font , qui manquent de fermeté
& de courage pour les accomplir.
Hélas ! nous sommes si inconstans que
nous oublions bientôt tous nos bons des
seins ; cependant pour peu qu'on vienne
à s*en relâcher , on en souffre toujours
du dommage.
Mais les bonnes résolutions des justes
sont plutôt fondées sur la grace de Dieu,
que sur leur propre sagesse.
98 De l' Imitation
Ouoi qu'ils entreprennent , toute leur
confiance est en lui ; car l'homme pro
pose , mais Dieu dispose ; & (a) la voie
de l'homme ne dépend pas de l homme ,
selon la parole d'un Prophête.
3. Celui qui omet quelquefois un bon
exercice par un principe de charité, ou
pour le bien du prochain , peut le re
prendre ensuite sans y avoir rien perdu;
mais si c'est par dégoût , par négligence
& pour un sujet de néant qu'on l'ait
quitté , cela est très-blâmable , & l'on
s'en trouvera mal.
, Ouand nous ferons tous les efforts
possibles, nos chûtes ne seront encore
que trop fréquentes.
Cela ne doit pas nous empêcher de
former de bonnes résolutions , sur-tout
pour nous prémunir contre nos endroits
les plus foibles.
Examinons & réglons l'intérieur de
notre arae & l'extérieur de notre vie j
car c'est de l'usage de ces deux moyens
que dépendent nos progrès.
4. Si tu ne peux pas être continuelle
ment recueilli , ne manque pas de te re
cueillir quelquefois, sur-tout au matin
& le soir. '
Regle le matin la maniere dont tu
(a) Jcr. 10. v. 2j.
de J. Chkist. Liv. I. Ch. 19. 99
passeras la journée; le soir examine
comment tu l'as passée , quel tu as été
dans tes paroles , dans tes adions & dans
tes pensées, parce que sans doute , hélas!
tu y auras fait beaucoup de fautes.
Revets-toi comme un bon soldat de
toutes les armes spirituelles , afin de
combattre contre les malices des es
prits diaboliques.
Mets un frein à ta sensualité dans
le manger & dans le boire , & par ce
moyen tu reprimeras mieux toutes les
autres inclinations de la chair. Ne de
meure jamais sans rien faire.
Lis ou écris , prie ou médite , ou fais
quelque ouvrage dont il revienne du
bien aux autres ; cependant on doit
user des exercices corporels avec dis
crétion , & tous ne doivent pas en user
d'une même maniere.
5. Ne fais point ostentation de ce que
tu as fait de bon en ton particulier; les
choses de cette nature doivent demeu
rer secrettes , & c'est le plus sûr pour toi.
Donne-toi de garde d'être paresseux
pour les fonctions publiques & com
munes, & ardent pour les particulieres;
mais lorque tu auras rempli entièrement
& avec fidélité les devoirs de ta charge
& ce qui t'a été commis : si tu as du
E 2
tco De l'Imitation
tems de reste, employe-le à rentrei* en
toi-même , & suis les mouvemens de ta
piété.
Tous ne peuvent pas s'exercer sain
tement d'une même maniere ; les uns
ont de l'attrait pour une chose , & les
autres pour une autre.
Le tems où l'on se trouve nous déter
mine souvent à des exercices qui lui
conviennent ; les uns sont propres à
des jours solemnels, & d'autres aux jours
ordinaires. Les uns conviennent dans
la tentation , d'autres lorsqu'on est pai
sible & tranquile ; les uns dans l'afflic
tion , les autres dans la joie.
6. Quand les grandes fêtes arrivent*
nous devons redoubler nos saints exer
cices; prier Dieu avec plus de ferveur ;
implorer son secours, & penser aux
moyens d'entrer un jour dans l'éter
nelle fête des Bienheureux.
Il importe alors de confirmer nos
bons desseins en nous mettant dans les
meilleures dispositions qu'il sera pos
sible, par une exacte observation de
la loi de Dieu comme si nous touchions,
au moment de la récompense que sa
grace a promise à nos travaux.
7. Que s'il tarde à nous appeller à
cet heureux & éternel moment, ne
de J. Christ. Liv. I. Ch. 20. roi
nt>us en prenons qu'à nous-mêmes , &
croyons que nous n'avons pas encore
-tout ce qu'il faut pour être dignes
d'une si grande gloire , qui ne sera ré
vélée en nous que lorsque le tems qu'il
a déterminé sera venu. Disposons nous
par une sainte vie à une mort heureu
se ; (a) Bienheureux , est-il dit dans St.
Luc , fera h fervitettr que fon Seigneur
trouvera veillant lorfqiïil viendra. Je
vous dis en vérttê qu'il rétablira fur tous ,
fes biens.

CHAPITRE XX.
De l'amour de Dieu , de la foliîude &
du ftlence.

1 Prenez un tems propre à penser


à vous-même, & considérez souvent les
graces que Dieu vous fait. Ne vous
occupez pas à des choses qui ne font
que contenter la curiosité.
Lisez des livres qui puissent toucher
& humilier votre cœur , & jamais ceux
qui ne font qu'occuper froidement l'es
prit. Vous trouvez assez de tems pour
de saintes méditations, si vous vous abs-
teuez des conversations frivoles , des,
ifi) Luc 12. v. 43, 44.
E 3
702 De l' Imitation
visites & des courses inutiles, d'une vaine
& dangereuse attention aux nouvelles
& aux bruits qui courent dans le monde.
Les plus grands Saints ont évité au
tant qu'ils ont pû les compagnies du
siecle, ayant mieux aimé demeurer seuls
h en particulier, pour y servir Dieu.
2. Cette parole d'un ancien est très-
remarquable : Toutes les fois que j'ai
éte' en compagnie , j'enfuis fortipire que
je n'étois avant d'y aller.
Il avoit raison ; l'expérience ne nous
le fait que trop sentir, sur-tout lorsque
nous avons donné beaucoup de tems à
la conversation.
Il est plus aisé de demeurer dans le
silence que de ne parler que modére
ment.
Il est plus aisé de demeurer seul que
de se tenir sur ses gardes lorsqu'on se
communique.
Que celui-là donc qui désire de s'a
vancer dans la vie spirituelle & inté
rieure se sépare de la foule , comme
faisoit Jésus-Christ.
Nul ne peut paroître dans le monde
avec sûreté, s'il n'a de l'amour pour la
retraite.
Nul ne peut bien parler , s'il n'a de
l'amour pour le silence.
se J. Christ. Livr. I. Ch. 20. 1 03
Nul ne peut être placé au premier
rang, s'il ne se tient volontiers dans le
plus bas. Nul ne peut bien commander
s'il n'a appris à bien obéir.
3. Nul ne peut avoir de joie solide,
s'il n'aie témoignage d'une bonne cons
cience ; & encore l'assurance des Saints
n'a-t-elle pas laissé d'être mêlée de
crainte devant Dieu ^ car quoiqu'ils
aient été pleins de vertu & de graee ,
ils n'en ont pas moins été dans l'humi
lité & dans une frayeur qui les rendoit
toujours circonspects.
La sécurité des méchans est le fruit
de la présomption & de l'orgueil , &
elle ne manquera pas de les tromper à
la fin.
Ne vous promettez jamais dans cette
vie une assurance exempte d'une juste
crainte , quand il vous sembleroit même-
que vous êtes un parfait chrétien , &
que vous menez une vie retirée du siecle.
4. Souvent ceux que les hommes
crqyoient les plus gens de bien , sont
tombés dans les plus grandes fautes ,
parce qu'ils présumoient trop de leurs
forces.
Et de là vient qu'il est bon aux hom
mes d'être exercés par les tentations,
& même d'en être souvent attaqués ,
E 4
io4 I>e l' Imitation
de peur que trop pleins de la bonne
opinion de leurs forces ils ne vivent
dans la sécurité , ou ne s'élèvent par
©rgueil , ou ne cherchent leurs plaisirs
dans les choses extérieures.
O qu'on Ewiroit la conscience en re
pos , si l'on ne cherchoit jamais la joie
dans les choses qui ne font que passer,
& si l'on ne s'en occupoit jamais.
O qu'on jouiroit d'une grande paix ,
si l'on retranchoit tous les soins inuti
les &. vains, pour ne penser qu'aux
choses salutaires & divines , & ne por
ter ses espérances que vers Dieu seul !
5. Nul n'est capable des consolations,
spirituelles , si premierement son cœur
n'a été affligé & brisé par des tristes
ses divines.
Sijvous voulez mettre votre ame dans
ce saint état , rentrez dans le cabinet
de votre cœur , & chassez en le tumulte
du monde, selon le conseil du Pro
phête , (a) Penfez contefiez avec vous
dans votre cœur fur vos lits , & tenez-
vous dans le Jilence.
"Vous trouverez dans la retraite la
grace de Dieu que vous aviez souvent
perdue dans le monde.
Il est vrai que la retraite est péni-,
(a) Pf. 4. y- s-
be J. Christ. Liv. /. Ch. 20. iof
blc ; mais c'est quand elle est négligée
& mal observée ; car elle devient douce
à ceux qui en font un exercice assidu.
Si dès le commencement de votre
conversion vous pouvez vous résoudre
d'y tenir & de la garder soigneusement,
elle vous sera comme une compagnie
bien chère, et vousy trouverez des plai
sirs qui feront votre consolation.
6. L'ame chrétienne est instruite d'en-
haut dans le silence , la retraite et le
repos. C'est là que Dieu lui apprend
mystères cachés de ses divines éeri-
tures.
C'est là qu'elle verse des torrens de
larmes dans lesquelles elle se lave et se
sanctifie , pour devenir d'autant plus
familiere avec son Créateur , qu'elle se
sera séparée du tumulte du siecle.
Car plus un homme s'éloigne de ses
amis et des personnes de sa con.noia-
sance , et plus aussi Dieu et ses Anges
s'approchent de lui.
Il vaut mieux se cacher et avoir soin
de son salut, que de faire des miracles,
en s'oubliant soi-même.
Il est louable à une personne vraie-
ment mortifiée de sortir peu , de fuir
les yeux des hommes , et d'éviter de
les voir.
E 5
io6 De l' Imitation,
7. Pourquoi tant souhaiter de voir
des choses qu'il ne vous est pas per
mis de posséder ? (a; Le monde pajje &
fa convoitife.
Votre légèreté vous porte à aller
faire une promenade & une visite chez
des mondains. Ou'avez-vous gagné lors
que cette heure est passée , sinon d'en
revenir avec une conscience évaporée
& même grevée & un cœur tout dis
sipé ?
Souvent l'on sort joyeux de chez soi,
& l'on n'y rentre qu'avec tristesse.
Souvent une soirée pleine de gaiété
produit le lendemain une matinée affli
geante ; car la joie charnelle s'introduit
Àateusement , mais à la fin elle tue.
Oue prétendez- vous voir ailleurs que
tous ne puissiez voir ici où vous êtes?
Le Ciel , la terre, les élémens dont
tous les corps sont composés , y sont de
vant vos jeux comme ailleurs.
Pouvez - vous voir ailleurs quelque
chose de permanent sous le,soleil ?
Vous vous imaginez peut-être que
vos desirs «eront satisfaits : mais vou*
fous trompez , et quand même vous
verriez toutes les choses qui sont au.
(a) 1. Jean %. v. 17.
*~ m J. Christ. Livr. l.Ch x\ *-
monde , leur vue ne vous profiterait de
rien.
Levez plutôt vos yeux vers le Dieu
du Ciel , & lui demandez pardon de
vos péchés & de votre lâcheté.
Laissez les choses vaines aux hom
mes vains; mais vous, ne songez qu'à
accomplir ce que Dieu demande de
vous. Entrez dans votre cabinet , fer
mez sur vous la porte , criez & appel
iez Jésus votre bién aimé.
Demeurez avec lui dans la retraite ;
car vous ne trouverez nulle part une
aussi grande paix.
Si vous n'étiez pas sorti & que vous
n'eussiez point prêté l'oreille aux con
teurs de nouvelles, vous auriez con
servé une paix durable ; car à se dis
siper, il est impossible que le cœur
puisse jamais demeurer dans la paix,
• —: rf
CHAPITRE XXL i
Il faut s'affliger de fes péchés & craiik
dre de déplaire à Dieu.

1. Si tu désires d'avancer dans 1^


piété , demeure dans une crainte per
petuelle de déplaire à Dieu , & ne te
tUmne point trop de liberté , mais, tisns
108 D E l' 1 si I TA T i o w"
tous tes sens sous une sainte discipline
sans te laisser aller à la joie des choses
vaines. Fai-toiune continuelle habitude
de la componction du cœur & tu verras
croître ta piété. '"
Le cœur contrit est une source de
biens; mais la distraction les fait perdre.
C'estune chose étonnante, que l'hom
me , qui sait fort bien qu'il est ici bas
tn exil , & que son ame est sans cesse
exposée à de mortels dangers , puisse
même une seule fois s'abandonner en
tièrement à la joie.
2. Nous sommes insensibles aux
grands maux & aux plajes dé nos ames;
parce que notre cœur est léger , & que
nous sommes lâches à considérer nos-
défauts.
Nous rions sotement & mal-à-pro
pos lorsque nous devrions fondre en
larmes.
Il n'y a point de liberté ni de joie
bien fondée si ce n'est sur la crainte
âe Dieu et sur la bonne conscience.1 '
Heureux celui qui peut franchir tous
les obstacles qui sont la source de ses
fiistractions , et se recueillir pour' exci
ter dans son cœur une compondion
-Salutaire ! ''.i
^ Heureux celui qui éloigne de soi totr
»e J. Christ. Lit). I. Ch. ai. 109
ûe qui est capable de souiller ou de
charger -sa conscience! Combats avec'
courage. Une mauvaise habitude s'efface
par une meilleure.
Si les hommes t'importunent et que
tu les quittes , ils te quitteront aussi , et
te laisseront en repos avoir soin de ton
ame.
3. Ne te mêle pas des affaires d'autrui,
et ne t'embarrasse point dans celles des
grands ; mais jette toujours l'œil sur
toi même , et prends encore plus de
soin de te corriger et de t'instruire que
d'instruire tes meilleurs amis.
Si tu n'est pas dans la faveur ou l'es
time des hommes , ne t'en chagrine
point , ne t'afflige qtte de ce que tu ne
vis pas si bien ni si sagement qu'un ser
viteur de Dieu et un vrai chrétien doit
vivre.
Il est souvent meilleur et plus sûr à
un, homme de passer sa vie sans beau
coup de consolations , que d'en avoir
surtout de celles qui viennent de la na
ture, mais si nous n'en sentons point
qui viennent des choses divines , ou que
nous n'en recevions que fort rarement ,
c'est notre faute , parce que nous ne
portons pas notre cœur à ta componc
tion ; et que. nous ne quittons pas par
no De l" ImitatioS»
faitement les choses vaines et exté
rieures.
4. Reconnois-toi indigne des conso
lations divines , & digne de beaucoup
d'afflictions & de troubles.
Ouand un homme sent une véritable
componction , tout le monde lui de
vient amer & insupportable.
Un vrai chrétien trouve toujours
assez de matiere pour affliger son amc
& pour pleurer devant Dieu.
Il en trouve en considérant le pro
chain ; parce que nul n'est ici sans mi
sère, & plus il se considere lui-même,
plus il est dans l'affliction ; & la ma
tiere de sa juste douleur & de la com
ponction de son cœur sont ses péchés
et ses vices. .--
Ce sont des ordures où nous nous
plongeons si avant , que nous avons
peine à élever notre esprit aux choses
spirituelles & célestes.
5. Je m'assure que tu prendrons plus
de soin que tu ne fais de te convertir
si tu pensois à la mort plus souvent
qu'à te flatter d'une longue vie ; et je
crois que si tu t'appliquois sérieuse
ment à la considération des peines
qu'on souffre dans l'autre , tu ne ferois
jamais tant de difficulté à porter ea ce
»e J. Christ. Liv. I. Ch. zz. 1 1 1 .
monde les croix "que Dieu t'impose ; &
que tu ne craindrois pas ainsi les ad
versités qu'il te veut faire éprouver.
Mais parce que nous n'avons pas
ces choses à cœur, & que nous nous
laissons encore entraîner aux douceurs
& aux attraits de la chair , nous de
meurons lâches & froids.
6. Souvent ce malheureux corps ne
se plaint, que parce que l'esprit est
distitué des vrais biens.
Prosterne toi donc avec humilité de
vant le Seigneur pour obtenir de lut
la grace de la componction ; dis-lui
dans les termes du Prophête, (a) Donne-
moi , mon Dieu ! à manger du pain de
larmes , & donne moi à boire une pleine
mefurts de pleurf.

CHAPITRE XXII.
On doit conji'iêrer les miferes humainet
avec un cœur touché.

i E N quelqu'endroit que tu sois y


de quelque côté que tu te tournes, tu
es misérable si tu ne te convertis à
Dieu.
Pourquoi te troubles-tu lorsque les
te) PC go. t. 6.
112 D E l' I M I T A T I O N*
choses ne t'arrivent pas comme tu vou-
drois ? Y a-t-il quelqu'un à qui tout
tourne à souhait ? ce n'est ni toi , ni
moi, ni aucun des hommes qui sont
sur la terre.
Il n'y a personne dans le monde ,
fut-il roi ou prince , qui n'ait des tra
verses & des afflictions. Oui de tous
les hommes crois-tu le plus heureux ?
c'est sans doute celui qui pour l'amour
de Dieu souffre quelque chose.
2. Les ames foibles qui ne voient que
Fécorce , disent souvent avec admira
tion , que cet homme est heureux 'vqu'il
est riche! qu'il est grand ! qu'il est puis
sant* qu'il est élevé au-dessus de* au
tres !
Mais pour toi considère les biens spi
rituels & célestes ; & tu verras que tous
ces avantages temporels ne sont qu'in-
çonstance, ce que des fardaux accablant
ou plutôt ne sont rien ; on ne les pos
sède qu'avec beaucoup d'inquiétudes
& de craintes.
Ce n'est pas l'abondance qui fait le
bonheur de l'homme; la médiocrité lui
suffit; & après tout, ce n'est qu'une
vraie misère que de vivre ici bas; aussi
plus un homme devient spirituel , plus
il trouve d'amertume dans la vie pré
dis J. Christ. Liv. I. Ch. a*. 113
sente ; parce qu'il sent & connoît les
défauts & les imperfections de la nature
corrompue. ^
Manger , boire , veiller, dormir , se
reposer travailler , & toutes les autres
nécessités auxquelles la foiblesse de
notre nature nous soumet , sont une vé
ritable misère & un poids affligeant
pour celui qui aime les choses spirituel
les , & qui voudroit de tout son cœur
devenir libre, & se voir affranchi de
tout péché.
3. L'homme intérieur souffre beau
coup des nécessités du corps; & le*
Saints ont souhaité d'en être délivrés.
Le Roi Prophête disoit; (a) Seigneur
délivre-moi des nécejfités où je me trouve.
Malheureux ceux qui ne connoissent
pas leurs misères! plus malheureux en
core ceux qui ont de l'amour pour elles
& pour cette vie corruptible !
R en est d'assez insensés qui man
quant de tout , réduit à gagner leur vie
par un travail pénible , ou à tirer une
foible subsistance de la charité d'autrui,
sont tellement attachés à cette miséra
ble vie , que s'il étoit en leur pouvoir de
ne la point perdre , ils consentiraient à

( a) Pf. 8ç. v. 17.


ii4 De l' I m i t a t i ©
n'entrer jamais dans le royaume des
Cieux.
4. O! c'est être fou & infidèle à sa
vocation, que de demeurer si attaché
aux choses de la terre ! ces malheureux
sentiront un jour avec une effroyable
terreur , combien étoit vil & méprisable
ce qu'ils ont tant aimé.
Les Saints de Dieu , les amis de Jésus-
Christ ne s'attachent pas aux objets des
sens, ils ne s'arrêtent pas à ce siècle ;
toute leur espérance , toute leur incli
nation est portée vers les biens éternels;
tous leurs désirs n'ont de rapport qu'aux
choses d'en-haut , qui sont stables , qui
sont invisibles ; de peur que l'amour des
choses visibles ne les recourbe vers la
bassesse des créatures.
Courage , mon frère , ne perds point
l'espérance de t' avancer dans la vie de
l'esprit, puisque tu en as encore letems.
5. Paresseux ! pourquoi renvoie-tu
d'un jour à l'autre l'exécution de tes
bons desseins ? Leve toi , commence dès
ce moment , & dis enfin , ( a ) Voici main
tenant le tems d'agir ; voici le tems de
combattre ; voici le tems de la conver
sion. . •
Lorsque tu te vois dans la souflran,-
(«) a Cor. C. r. a.
»e J. Chbist. Liv. I. Ch. 2z. 115
ce , sache qu'il est tems de te rendre
agréable à Dieu, Ju dois (a) pajjer par
le feu & par l'eau avant d'entrer dam It
lieu du rufraichijfement.
Si tu ne te fais violence , tu ne vain
cras jamais. Nous ne pouvons être sans
péché, sans peine, & sans douleurs,
tant que nous sommes dans ce corpî
mortel & fragile. Nous voudrions bien
être délivrés de toutes nos misères;
mais la perte que nous avons faite de
notre innocence , entraîne nécessaire
ment 4a privation de notre félicité.
Présentement il n'y a pour nous que
la patience & l'attente de la miséricor
de de Dieu , jusqu'à-ce que toutes nos
iniquités soient passées , & que ce qu'il
a de mortel en nous soit absorbé par
vie.
6. Que la fragilité de l'homme est
grande , & qu'il a de penchant pour le
vice !
Aujourd'hui tu confesses tes péchés
devant Dieu , & dès demain tu recom
menceras à les commettre.
Maintenant tu prens la résolution d'é
viter & de fuir un péché ; & tu y tombe»
un instant après , comme »L tu n'aYoi»
point pris de résolution.
(<0 Pf. «. Y. iz,
i\6 Di l' Imitation
O que nous avons sujet de nous humi
lier , étant si fragiles & si inconstans !
Notre négligence nous fait perdre en
peu de tems ce que la grace de Dieu
nous a fait acquérir avec tant de peines.
7. Hélas! que deviendrons-nous à la
fin de notre vie si nous sommes si tiè-
des au commencement ?
Malheur à nous , si nous voulons déja
nous reposer comme si nous portions
déja une main assurée sur la couronne
de vie, quoiqu'il ne paroisse en nous
nulle marque de vraie sainteté.
O que nous aurions besoin qu'on re
commença à nous instruire , & à nous
informer peu-à-peu comme des novi
ces, si au moins il y avoit lieu d'espérer
de nous quelque amendement & quel
que progrès notable dans les choses
spirituelles !

CHAPITRE XXIII.
De la méditation de la mort ; on doit s'y
préparer chaque jour-
1 . Il te reste peu de tèms à vivre ;
pense à ce que tu deviendras après la
mort.
Un homme paroît aujourd'hui ; il dis-
paroit demain , & lors qu'on ne le voit
plus, on en perd le souvenir.
de J. Christ. Liv. I. Ch. 23. 1 17
O stupidité & endurcissement du .
cœur de l'homme ! il ne pense qu'au
présent , & il ne prévoit point le ter
rible avenir.
Dirige toutes tes actions & toutes tes
pensées , comme si tu devois mourir
aujourd'hui.
Si ta conscience n'avoit rien à te re
procher , tu ne craindrois pas beaucoup
la mort.
Il vaudrait mieux éviter le péché que
de fuir la mort.
Si tu n'es pas aujourd'hui bien pré
paré comment le tseras-tu demain ?
Le jour de demain est incertain pour
toi ; d'où sais-tu que tu vivras encore
alors ?
z. A quoi sert de vivre long-tems,
puisque nous nous amendons si peu f
Hélas ! ce n'est pas la longue vie qui
fait la conversion. Le plus souvent elle
ne fait qu'augmenter le nombre de no*
péchés & nous rendre plus inexcu
sables.
Plût à Dieu qu'il y eut un seul jour
dans notre vie, où nous eussions vécu
sans péché !
. Il y a beaucoup de gens assez vains
pour compter les années depuis leur
conversion , mais l'on voit peu de fruits
de leur amendement.
n8 De l'Imitation
Si la mort est à craindre , peut être la
prolongation de la vie l'est encore da
vantage. Heureux (a) celui qui a tou
jours devant les jeux sa dernière heure ,
& qui est tousles jours disposé à mourir!
Il ne se peut que tu n'aies vu mourir
quelqu'un ; pense sans cesse qu'il te fau-
dras franchir le même pas.
3. Au matin considère que peut-être
tu ne vivras pas le soir , que si tu passe*
ce terme , ne te flatte point du lende
main.
Sois donc toujours prêt , & vis de telle
manière que si la mort te surprend, elle
te trouve préparé.
Beaucoup de gens meurent subite
ment & sans préparation; (b). Le Fils
de Vhomme viendra. , dit l'Evangile , à
Vheure que Von n'y penfera pas.
Ouand ta dernière heure sera venue,
tu penseras bien autrement de ta vie
passée , que tu ne fais maintenant ; & tu
sentiras le déplorable malheur d'avoir
été si négligent & si lâche.
Heureux & sage celui qui tâche d'être
tel toute sa vie , qu'il désire d'être au
jour de la mort.
Une vie passée dans le mépris du
(a) Ecclef. 7. v. ?.
(6) LUC 12. v. 40.
de J. Christ. Liv. I. Ch. 23. 119
monde , dans des désirs ardens de la
vertu, dans l'amour de la correélion,
dans les larmes de la pénitence, dans
le renoncement à soi-même, dans le
support de tous les maux pour l'amour
de Jésus-Christ, donne une merveilleuse
assurance de bien mourir.
Tu peux , pendant la santé, employer
saintement ta vie , mais le pourras-tu
étant malade ? il en est peu qui s'amen
dent par la maladie.
Il est aussi rare que ceux qui aiment
à courir & à voyager, puissent se sanc
tifier.
Ne t'appuye point sur tes amis ni sur
tes proches , & ne diffère point l'affaire
de ton salut pour l'amour d'eux ; les
hommes t'oublieront plutôt que tu ne
pense.
Il vaut mieux travailler toi-même de
bonne heure à ton salut , que de t'en
rapporter à ce que d'autres peuvent te
dire. »
Si tu n'as pas soin de toi-même , qui
en auras donc soin ?
Voici les momens précieux, (a) voici
lejour du falut, voici le tems favorable.
Hélas ! ô douleur ! faut-il que tu n'em-

(«) a. Cor. 6. t. z.
i20 De l'Imitatiow
ploies pas mieux le tems qui t'est donné
pour acquérir l'éternité !
Le moment viendra où tu souhaiteras
d'avoir un jour, ou même une seule
heure , pour te convertir, & je ne sais
si tu l'obtiendras.
6. Ah ! mon cher frere , quels périls ,
quelles angoisses ne pourras-tu pas évi*
ter , si tu demeures toujours dans une
sage précaution à l'égard de la moxt.
Fai tous tes efforts pour vivre de
telle sorte qu'en ce jour terrible tu aies
plus de sujet de te rejouir que de trem
bler.
Apprends maintenant^ à mourir au
monde , afin qu'alors tu commences à
vivre avec Jésus-Christ.
Mortifie maintenant ta chair , afia
qu'à la mort tu puisse te confier plei
nement en la miséricorde de Dieu.
7. Fou et insensé que tu es? je vou-
drois bien savoir pourquoi tu t'imagi
nes de vivre long-tems, toi qui n'a pas
un seul jour d'assuré?
Combien de gens cette folle ima
gination n'a-t-elle pas trompé , qui ont
été enlevés de ce monde plutôt qu'ils
ne pensoient.
N'as-tu pas souvent ouï dire : un tel
a été tué , un autre s'est noyé ; un autre
en
de Jv Christ Livr. I. Ch. 23. i2t
en tombant s'est rompu le cou ; cet au
tre est mort en mangeant ; cet autre
en jouant; le feu , le fer, la peste, les
voleurs , n'enlèvent - ils pas beaucoup
de monde ? & ceux qui échappent doi
vent-ils attendre une autre fin que la
mort. Ainsi finissent tous les hommes,
& leur vie passe comme une ombre.
3. Prétends-tu qu'on se souvienne de
toi, ou qu'on prie pour toi après ta
mort ?
Non , non, mon cher frere, fais main
tenant le plus de bien que tu peux ;
puisque tu ne sais quand tu mourras,
ni ce qui t'arrivera après ta mort.
Amasse des richesses immortelles
pendant que tu en as le tems. Ne pense
qu'à des choses vraiement salutaires ;
ne t'applique qu'aux choses de Dieu.
Fai-toi maintenant des amis en hono
rant les Saints par l'imitation de leur
vie, afin que , selon la parole de l'E
vangile, ( g?) lorsque ta vie défaudra ,
ils te reçoivent dans les tabernacles éter
nels.
9. Regarde-toi sur cette terre com- '
me un passant & un étranger , qui n'a
rien à démêler avec le monde.
Conserve ton cœur dans la vraie -
W) Luc 16. v. 9.
F
i22 De l' I m i t a t i « h
liberté , & qu'il soit toujours élevé à son
Dieu ; parce que (<?) tu n'as point ici de
cité permanente.
Adresse tous les jours à Dieu tes
prieres, tes gémissemens et tes larmes,
afin que ton ame dégagée des liens du
corps , s'envole au sortir de cette vie
dans le sein du Seigneur. Amen !

CHAPITRE XXIV.

Du jugement de Dieu , & des peines- des


mécbans.

i. v^Onsidere en chaque chose ta der


niere fin & comment tu paroîtras de
vant ce Juge sévere , à qui rien n'est
caché , qui ne se laisse point gagner
par des présens , qui ne reçoit point de
fausses excuses ; mais qui juge selon la
justice.
Pécheur malheureux & insensé, que
répondras-tu à ce Dieu qui connoit tou
tes tes iniquités?
Oue feras-tu devant lui , toi qui trem
bles quelquefois devant un homme en
colère ?
Comment ne songes-tu pas à te pré
parer pour le jugement , poux ce jour
(a) Hebr. ij. 14,
de J. Christ. Liv. I. Chap. 24. 12$
terrible , où tu n'auras ni avocat , ni
intercesseur, & où chacun sera lui-même
accablé de son propre fardeau?
C'est maintenant que ton travail te
pourra être utile ; que tes larmes pour
ront être acceptées de Dieu, & tes gé-
missemens exaucés, & que les afflictions
de ton ame peuvent te profiter & te
purifier.
2. Celui-là est dans la grande & la
salutaire école de la purification , qui
souffre de bon cœur tout ce qui lui ar
rive ; qui recevant des injures , est plus
affligé de ce que les autres sont mé
dians que de ce qu'il endure lui-même;
qui prie volontiers pour ceux qui lui sont
contraires , & qui leur pardonne de tout
son cœur les maux qu'ils lui ont faits,
qui ne differe pas à demander pardon
à ceux qu'il croit avoir tant soit peu
offensé', qui se laisse plutôt toucher
de compassion pour ceux qui font mal,
que de colère ; qui se fait violence à
soi-même & s'efforce d'assujettir la chair
à l'esprit.
Il vaut bien mieux arracher & faire
mourir ses vices en cette vie , que d'at
tendre l'effroyable expiation du siècle
avenir. .
Certainement le trop grand amouç
124 De l' Imitation
que nous avons pour la chair , nous
aveugle & nous trouble étrangement.
3. Quelle sera la matière qui entre
tiendra ce feu dévorant , sinon tes
péchés ? :
Plus tu accordes maintenant à tes
sens , plus tu seras tourmenté , puis-
qu'en multipliant tes iniquités , tu amas
ses la matière pour les flammes de
l'Enfer. . ' . ---
Chaque pécheur dans ce lieu detour-
mens sera sévèrement puni dans les
choses mêmes où il aura péché. -
Les lâches y seront en proie à un feu
dévorant ; les yvrognes & les gens de
bonne chère y endureront une cruelle
soif & une faim insupportable ; les
voluptueux & les impudiques y seront
plongés_dans le soufre & la poix bouil
lante, & les envieux, outrés de dou
leur , y feront tout retentir de leurs
horribles hurlemens.
Chaque vice y trouvera son salaire &
son tourment particulier. :.- ->-
Les cœurs hautains seront honteux
& confus pour jamais; & les avares
seront dans une disette éternelle.
Une heure de ces peines leur sera
plus insupportable que ne leur auroient
été cent années de rigouteuse pénitence
de J. Christ. Lîd. I. Ch. 24. 125
dans ce inonde ; car il n'y a nul repos ,
nulle consolation pour les damnés , au
lieu que dans ce monde on a des inter
valles pour se reposer , & pour se con
soler dans la compagnie de ses amis.
Tiens donc ton ame dans une crainte
& dans une componction salutaires,
afin qu'au jour du jugement tu puisse
paraître en assurance dan» la compa
gnie des bienheureux.
Car (a) les jujîes s'éleveront alors
avec une confiance merveilleuse contre
ceux qui les auront affligés & opprimés
en cette vie.
Alors celui qui se sera maintenant
soumis avec humilité aux jugemens des
hommes injustes, deviendra leur juge.
Alors l'humble & le pauvre seront
pleins d'assurance ; mais le superbe sera
saisi d'effroi.
5. Alors on verra que celui-là étoit
véritablement sage dans ce monde , qui
pour l'amour de Jésus- Christ , n'aura
pas refusé d'être le jouet & la dérision
des enfans du siècle.
Alors les afflictions qu'on aura sou£-
fertes avec patience seront agréables ;
& (b) toute iniquité aura la bouche
fermée.
(ai Sap. j. (*) Pf. 107.
F 5
iatf De i/Im-itati © n
Alors toute ame qui se sera consacrée
à l'obéissance de Dieu, sera pleine de
joie & l'impie sera en proie au déses
poir.
Alors le corps mortifié aura plus d'al
légresse que s'il avoit été nourri dans
les délices. Alors le vieux haillon du
pauvre deviendra lumineux, et les habits
magnifiques et éclatans des superbes se
ront obscurcis.
Alors une pauvre chaumiere sera plus
prisée que des palais tout brillans d'or.
Alors la grande patience sera plus
utile que la grande puissance.
Alors l'obéissance rendue en simpli
cité aux commandemens du Seigneur
sera plus estimée que tout le rafinement
et toute la politique dessages du siecle.
6. Ce sera alors qu'une pure et bonne
conscience donnera plus de joie qu'une
grande science ; que le mépris des ri
chesses aura plus de valeur et de prix
que tous les trésors de la terre ; que l'on
retirera plus de rafraîchissement de l'ar
deur des prieres que des mets les plus
délicats ; que le silence qu'on aura gar
dé réjouira plus que les longs entre
tiens, que les bonnes œuvres que l'on
aura faites seront plus utiles que les
bellçs paroles que l'on aura dites ; qu'une
I»e J. Christ. Liv. I. Ch. 24. 137-
rie austère et mortifiée, sera plus agréa
ble que les plaisirs et les amusemens du
siecle.
Apprends donc à souffrir patiemment
ici-bas de petits maux , pour en éviter
alors de si cruels.
Eprouve maintenant tes forces. Si tu
ne peux supporter des maux aussi légers
que sont ceux de ce monde , comment
pourras-tu souffrir les peines éternelles?
Si la moindre incommodité que tu
souffre te jette dans l'impatience et
dans le dépit , que sera-ce du feu de
l'enfer ?
Ne t'abuse point,tu ne peux avoir deux
bonheurs ni deux félicités ; tu ne peux
vivre ici dans les joies du monde , et
régner avec Jésus-Christ dans le Ciel.
7. Ouand tu aurois vécu jusqu'à ce
jour dans les délices et les plaisirs du
monde , et qu'il te faudroit présente
ment mourir, dis-moi , je te prie , à quoi
te serviroit tout cela?
Tu vois donc que toutes cbofes ne
font que vanité excepté l'amour de Dieu
& l'obéissance sans bornes à sa seule
volonté ; car celui qui aime Dieu de
tout son cœur, ne craint ni la mort, ni
les supplices, ni le jugement , ni l'en
ijsS De l' Imitation
fer ; parce que le parfait amour fait
approcher de Dieu avec confiance.
IL ne faut pas s'étonner que celui
qui prend encore plaisir à pécher re
doute la mort & le jugement.
Si l'amour de Dieu ne te peut encore
retirer du péché , que la crainte des
peines infernales te serve au moins de
frein.
Si tu n'es pas retenu par la crain
te de déplaire à Dieu , tu es en dan
ger de quitter bientôt les sentiers de
la justice & de tomber dans les pièges
du démon.

CHAPITRE XXV.
Ilfaut travailler avec ardeur à l'amen
dement de fa vie.

i. Sers Dieu, & lui obéis avec vigi


lance , et avec soin.
Pense souvent que tu es chrétien et
que tu as promis au baptême de renon
cer au monde.
Ne vis donc plus que pour Dieu, et
deviens un homme vraiment spirituel.
Travaille avec ardeur à cet ouvrage,
tu recevras bientôt la récompense de
ton travail ; il n'y aura plus pour toi,
»e J. Christ, tiv. I. Cb. 25. 129
iri plainte ni douleur. Pour un peu de
peine que tu souffres maintenant, tu
auras un repos doux et solide , et une
joie qui ne finira point.
Si tu es zélé et fidele, à faire ce que
Dieu t'a commandé , Dieu sera fidele ,
et couronnera magnifiquement tes tra
vaux.
Espere d'obtenir la couronne de gloi
re , mais ne crois pas la tenir déja, de
peur qu'une confiance téméraire ne te
plonge dans la sécurité, la nonchalan
ce ou la présomption.
2. Un jour un homme accablé de tris
tesse , et flottant entre la crainte et l'es
pérance , alla se prosterner devant
Dieu , et repassoit souvent en lui-même
ces paroles ; O fi j'étois affurc de pjrfé-
vérer jufqu'à la fin ! il entendit inté
rieurement cette divine réponse : Et fi
tu le favais , que ferois-tu ? Pu, fais dès-
à-préfent tout ce que tu ferais alors , &
tu feras en fureté.
Se sentant au même moment consolé
et fortifié par cette parole , il se remit
entièrement à la volonté de Dieu , et
les agitations de son ame cessèrent.
Dès lors il n'eut plus la curiosité de
savoir ce qu'il deviendroit , mais il s'ap
pliqua entièrement à rechercher ce que
F 5
130 De l'Imitation
Dieu vouloit de lui , et à connoître cette
volonté bonne , agréable et parfaite ,
pour commencer et finir par elle des.
oeuvres toutes saintes.
3- (a) Ajfure-toien l'Eternel & fais ce
qui efi bon , dit David , tu habiteras fur
la terre , & feras nourri de fes biens.
Une chose empêche nombre de person
nes de s'avancerdans la piété, c'est qu'ils
frémissent à l'aspect des difficultés et du
travail qu'il y a dans ce saint combat.
Mais ceux qui font de courageux ef
forts pour surmonter ce qui leur est le
plus pénible et le plus contraire , font
aussi les plus grands progrès dans la
vertu.
Plus un homme livre de combats à
la nature , et remporte de victoires sur
lui-même, et plus il fait de progrès
dans la grace.
Tous n'ont pas , il est vrai , les mê
mes forces pour se vaincre et pour
mourir à eux mêmes ; celui néanmoins
qui a un grand zèle réussira mieux à
dompter ses passions quoiqu'elles soient
en grand nombre, que ne feroit un,
autre d'un caractère plus doux et plus
modéré; mais dont le zèle & la ferveur
seroient moindres.
(<0 PC 37. v. 7.
de J. Christ. Livr.l. Cb. 25. 131
Il est deux excellens moyens de nous
corriger ; l'un , de nous faire violence
& nous soustraire aux penchans vicieux
de la nature ; l'autre, de nous empres
ser à la recherche du bien & des ver
tus qui nous manquent le plus.
Tu dois aussi tâcher sur-tout d'éviter
et de vaincre en toi les défauts qui te
déplaisent le plus dans les autres.
5. Fais ton profit de tout. Si tu vois
des personnes qui vivent d'une maniere
exemplaire , & qu'on loue en ta pré
sence , sois enflammé d'un saint desir
de les imiter ; & si tu vois de mauvais
exemples prens en occasion de te tenir
sur tes gardes, de peur que tu ne com
mettes les mêmes péchés.
Oue si tu les as déja commis , corrige-
t'en avec plus de soin.
Si tu prends garde à ce que font les
autres , les autres prennent aussi garde
à ce que tu fais.
Quel plaisir de voir des ames reli
gieuses pleines de ferveur & de piété ,
vivre comme des freres d'une maniere
sainte & bien réglée..
Mais qu'il est triste & fâcheux de voir
des personnes tièdes & déréglées , qui
ne font rien moins que ce qui est de
leur vocation.
F 6
132 De l' Imitation
O qu'il est dangereux de négliger les
devoirs essentiels de son état , & de se
mêler de choses qu'on exige point de
nous !
6. Souviens-toi des promesses & des
engagemens que tu as pris devant Dieu ;
& aie toujours devant les jeux Jésus-
Christ crucifié.
Peux-tu considérer sa vie sans être
honteux & confus de ce que jusqu'à
cette heure tu as eu si peu de soin d'y
rendre la tienne conforme , quoique
depuis long-tems tu fasses profession de
marcher dans ses voies ?
Le Chrétien qui de tout son cœur
s'occupe à méditer la vie & la passion
du Seigneur , y trouve toutes les cho
ses qui lui sont utiles & nécessaires; &
ce seroit en vain qu'il chercheroit quel
que chose de meilleur que ce qui est
en Jésus.
O ! que nous serions savans , & que
nous le serions bientôt , si Jésus crucifié
entroit bien avant dans notre cœur \
7. Le Chrétien zélé approuve et rem
plit ce que Dieu lui prescrit. Le chrétien
négligeant & le tiède sont accablés de
troubles & d'agitations qui se succè
dent , & les pressent de telle manière ,
qu'ils ne savent de quel côté se tourner.
D'une part ils sont privés des consola
be J. Christ. Liv. I. Ch. 25. 1 53
tions intérieures : de l'autre ils ne peu
vent en trouver qui viennent du dehors.
Le Chrétien déréglé est sur le bord
d'un grand précipice.
Celui qui mène une vie lâche & molle
sera toujours en peine ; parce qu'il y
aura toujours quelque chose qui ne lui
plaira pas.
8. Comment ont fait tant de saints
personnages, qui ont mené une vie très-
mortifiée pendant qu'ils étoient renfer
més dans la prison de ce corps mortel ?
Ils fréquentoient peu le monde ; ils
vivoient dans la retraite ; ils se nourris-
soient pauvrement ; un habillement rude
& grossier suffisoit pour couvrir leur
corps; ils travailloient beaucoup de leurs
mains; ils partaient peu; ils passoient les
nuits à veiller , & se levoient de grand
matin ; ils prioient sans cesse ; lisoient
& méditoient souvent la parole de Dieu ,
& se maintenoient exactement sous sa
sainte discipline.
Considere les saints Patriarches , les
Prophêtes, les Apôtres, & les vrais dis
ciples de Jésus - Christ. Vois tu comme
ils emploioient (a) les nuits à chanter les
les louanges du Seigneur?
Quelle honte pour toi , d'être négli
geant en des œuvres si saintes, lorsque
(a) PC 119. v. 63. Aft. 16, v. 25-
134 De l' Imitation
tu vois une multitude de vrais chrétiens
qui ont pris tant de plaisir en ce divin
exercice. .
9. O ! si nous n'avions d'autre affaire
qu'à louer de cœur & de bouche le
Seigneur notre Dieu! O! si nous pou
vions nous passer de manger , boire &
dormir, pour ne rien faire que chanter
ses louanges , & ne vaquer qu'à des
choses spirituelles , nous serions incom
parablement plus heureux que nous ne
sommes ; puisque les moindres néces
sités du corps nous détournent de ces
saint* exercices!
O ! si nous n'étions point assujettis
à ces nécessités , & que nous n'eussions
qu'à restaurer nos ames de la céleste
nourriture, que nous ne goûtons que
si rarement !
10. Ouand un homme est parvenu
jusqu'à ne chercher aucune consola
tion dans la créature , il commence à
goûter son Dieu , & quoiqu'il arrive ,
il est toujours content.
Alors dans la prospérité il ne s'aban
donne plus aux vaines joies , & il n'est
plus susceptible de tristesse dans les
traverses , qu'il regarde comme peu de
chose ; mais il s'abandonne tout entier
& avec confiance entre les mains du
Seigneur, qui est son tout en toutes
de J. Christ. Liv. I. Ch. 25. 137
choses, pour qui rien ne meurt, rien
ne périt ; car toutes choses vivent par
lui , & lui obéissent.
11. Souviens-toi toujours de ta fin,
& que le tems perdu ne revient plus.
Souviens- toi que tu ne seras jamais
heureux sans beaucoup de peines & de
grands soins.
Malheur à toi si tu deviens tiede ,
heureux ! si tu t'anime , & si tu prends
courage ; tu trouveras une grande paix,
& le travail te deviendra facile , parce
que la grace de Dieu & l'amour de la
vertu qu'il te donnera , adouciront le
joug du Seigneur.
L'ame fervente & courageuse est
prête à tout ; quoiqu'il soit beaucoup
plus aisé de soutenir le travail du
corps , que de combattre une violente
passion.
Si l'on ne prend pas soin d'éviter les
petits défauts , on tombera peu-à-peu
dans les plus grands.
On est toujours joyeux le soir quand
on a employé utilement la journée.
Veille donc sur toi ; anime toi ; en
courage toi ; & quoiqu'il arrive aux au
tres , ne te néglige point toi - même.
Tu ne feras de progrès , qu'à propor
tion que tu te seras fait violence.
Fin du premier Livre.
136 De l' I m i f a t i o s


-OOOOOOOOD-

L'IMITATION

D E

JESUS-CHRIST,

LIVRE SECOND.

CONTENANT
Des avertiffements pour avancer dans h
vie intérieure & spirituelle.

CHAPITRE PREMIER.

Jl faut mépriser les choses du monde


et préparer son cœur à recevoir J.
Christ, afin qu'il daigne y venir et
y faire sa demeure.

l_iE Royaume de Dieu ejl au dedans


de vous (a) dit le Seigneur. Retourne à
lui ; converti-toi ; fais divorce avec ce
malheureux monde , & ton ame trou
vera le repos,
(a) Luc 17. t. 31.
»e J. Christ. Liv. IL Ch. r. ij)r
Apprends à mépriser les choses du
dehors , & à t'appliquer à celles du
dedans, & tu verras que le royaume
de Dieu qui est en toi s'y manifestera.
Car (b) le royaume de Dieu efi la paix
& la joie du St. Efprit , qui n'est pas
donné aux impies.
Jésus-Christ viendra lui-même & te
fera goûter ses consolations , si tu lui
prépares dans ton intérieur une de
meure digne de lui.
(c) Toute la gloire &f la beauté qu'il
recherche efi dans l'interieur; & c'est
là où il prend tout son plaisir.
Il rend de fréquentes visites à l'hom
me du dedans , il le gratifie de ses en
tretiens pleins de suavité, & de ses
douces consolations ; il le comble de
sa divine paix; il entre avec lui, dans
une familiarité ravissante.
Prends donc courage, amc fidèle;
prépare ton cœur à cet Epoux céleste,
afin qu'il vienne en toi , & qu'il daigne
y demeurer.
Voici sa promesse , (d) Si quelqu'un
m'aime , il gardera ma parole , nous
viendrons à lui, & ferons tn lui notrt
demeure.
Rom. 14. t. 17. (c) Pf. 4s. Y. 14-
(rf) Jean 14. t. 23.
140 De l' Imitation
5. Jésus-Christ n'a-t-il pas été mé
prisé des hommes dans ce monde ? n'a-
t-il pas été abandonné de ses amis &
de tous ceux de sa connoissance au
milieu des opprobres & dans ses plus
grands besoins? Quoi ! Jésus- Christ a
bien voulu souffrir & être méprisé , &
tu oses te plaindre de quelqu'un ?
Il a eu beaucoup d'ennemis & de
calomniateurs ; & tu ne voudrois trou
ver que des amis & dés bienfaiteurs !
Comment seroit couronnée ta pa
tience , si elle n'étoit pas exercée ?
Comment serois-to ami & compa
gnon de Jésus - Christ , si tu est enne
mi de la croix ? si tu veux régner avec
Jésus-Christ , souffre avec Jésus-Christ ,
& pour l'amour de Jésus-Christ.
6. Si tu étois une fois entré dans l'in
térieur de Jésus ; & qu'une étincelle du
feu de son amour eut pénétré ton
cœur , tu ne te mettrois plus en peine
de ce qui pourroit t'être commode ou
incommode. Les opprobres que tu re
cevrais, te donneroient alors de la joie,
parce que l'amour de Jésus- Christ fait
que l'homme se méprise soi-même.
Celui qui aime Jésus - Christ , qui
cherche la vérité , celui qui est vraie-
ment intérieur , libre de toute affection
DE J. Christ. Liv. II. Ch. t. 141
déréglée, n'a rien qui l'empêche de s'u
nir à Dieu , de s'élever en esprit au-
dessus de soi-même & de jouir d'un
parfait repos.
- Celui qui estime les choses non selon
ce qu'on en dit , ou ce qu'on en pense
dans le monde , mais selon ce qu'elles
raient , est véritablement sage , & plus
enseigné de Dieu que des hommes.
Celui qui est renfermé dans son in
terieur & qui considère peu ce qui n'est
qu'extérieur , n'a pas besoin de cher-,
cher les lieux, ni d'attendre le tems
pour exercer son ame dans la piété.
L'homme intérieur se recueille par
faitement en lui-même , parce qu'il ne
se répand jamais tout à fait audehors.
Le travail extérieur ne le dissipe pas ,
ni les occupations de circonstance
mais il s'accommode aux choses selon
qu'elles se trouvent.
Celui qui est bien réglé au dedans ,
ne prend pas garde à la conduite sur
prenante ni aux actions mauvaises des
hommes. ,.'
: On n'a: d'occupations ni de distrac
tions que; eelles qu'on s'attire , en se
laissant toucher par les objets , & en
t'y attachant.
- 8. Si tu étois bien disposé , & que
1.42 De l' Imitation
ton cœur fut bien purifié , toutes cho
ses tourneroient à ton bien & à ton
avancement.
Mais parce que tu n'es pas encore
parfaitement mort à toi-mème,ni séparé
de tous les objets terrestres, beaucoup
de choses te déplaisent & te troublent.
Rien ne captive & ne souille plus le
cœur de l'homme que l'amour impur
que l'on a pour les créatures. Si tu
rejettes les joies & les contentemens
qui peuvent venir du dehors, tu pour
ras contempler les choses célestes , &
ressentir souvent les transports d'une
joie spirituelle & divine.

CHAPITRE IL
Dieu ne donne fes biens & fon fecours
quaux humbles.

i. Ne te mets pas en peine de savoir


qui est pour toi , ou qui est contre toi.
Prend soin seulement que Dieu soit
avec toi en tout ce que tu fais.
Aie la conscience pure et bonne, Se
Dieu saura bien te défendre ; car toute
la malice des hommes ne peut nuire à
celui qu'il plait à Dieu de protéger.
Si tu sais souffrir & te taire tu verrai
certainement le secours du Seigneur.
de J. Christ. Liv. II. Ch. 2. 145
Abandonne -toi à lui, car il sait le
tems & la maniere de te délivrer.
C'est Dieu qui aide au besoin ; c'est
lui seul qui peut nous délivrer de la
confusion & de l'opprobre ; mais il nous
est quelquefois utile que l'on connoisse
nos imperfections , & qu'on nous re
prenne ; afin d'entretenir l'humilité dans
notre cœur.
2. Un homme vraiment humilié par
la vue de ses propres défauts, appaise
facilement les autres, & satisfait sans
peine ceux qui se fâchent.
Dieu protège l'humble et le délivre ;
Dieu aime l'Humble et le console ; Dieu
s'abaisse jusqu'à l'humble pour se com
muniquer à lui ; Dieu donne une grande
grace à l'humble ; il l'élève à la gloire
après son abaissement.
Dieu revêle ses secrets à l'humble , il
l'invite , il le tire doucement à soi.
L'humble est en paix au milieu de la
confusion et des outrages , parce qu'il
est fondé sur Dieu et non sur le monde.
Ne pense pas avoir fait aucun profit
dans l'école de la vertu , si tu ne t'esti
mes le moindre et le plus imparfait
de tous.
144 De l' Imitation

CHAPITRE III.
Si tu aime la paix , tu Supporteras
tout.
I. Etablis- toi premièrement dans la
paix de Dieu, alors seulement tu pourras
pacifier les autres.
Un homme pacifique est plus utile
qu'un homme savant.
Celui qui se laisse emporter par ses
passions tourne même le bien en mal ,
et croit aisément le mal ; mais l'hom
me pacifique interprête et tourne tout
en bien.
Celui qui aime la paix , n'est point
soupçonneux , mais un esprit inquiet
et qui n'est jamais content, est tou
jours agité de soupçons ; il ne peut de
meurer en repos , ni y laisser les autres;
il dit souvent ce qu'il devroit passer
sous silence ; il omet souvent ce qu'il
devroit faire. Il examine quel est le '
devoir des autres , et il néglige le sien.
Pour toi , jette premierement la vue
sur ta propre conduite, travaille à
te corriger, et tu pourras avec plus de
droit songer à corriger les autres.
%. Tu ne manque pas de donner de
belles
de J. Christ. Liv. II. Ch. 3. 14$
belles couleurs à tes actions , ou dç
les excuser, et -tu ne veux point rece
voir les excuses des autres.
Il seroit bien plus juste que tu t'ac
cusasses toi-même , et que tu excusasses
ton frere.
. Si tu veux que l'on te supporte, il
faut aussi que tu supportes le prochain.
Vois donc combien tu es encore éloigné
de la vraie chanté & de l'humilité, qui
fait que l'on ne peut avoir de colere &
d'indignation que contre soi-même.
, Ce n'est pas une grande vertu que
de vivre en paix avec ceux qui
sont bons & doux ; naturellement on
se plait dans la compagnie de ces sorte*
de personnes , & chacun vit en paix
et en amitié avec ceux qui ont un même
sentiment que lui ; mais c'est un effet
de la grace de Dieu et la marque d'une
ame forte et courageuse de pouvoir
▼ivre en paix avec des gens rudes ,
méchans, intraitables , et d'une humeur
opposée à la nôtre et qui nous contra
rient sans cesse.
<- 3. H'v en a qui jouissent de la paix
intérieure , & qui sont aussi en paix
avec les autres hommes.
Il y en a qui . n'ont point de paix
ni avec eux-mêmes , ni avec les autre*
G
14-6 De l' Imitation
qu'ils tourmentent sans cesse , et quî
se tourmentent encore plus eux-mêmes.
Il y en a enfin qui ayant la paix en
eux-mêmes- , cherchent à la porter par
tout.
Cependant nous devons faire consis
ter notre paix tout le tems que nous
sommes dans cette misérable vie , plu
tôt à souffrir humblement qu'à ne sen
tir aucune peine.
Qt i sait le mieux souffrir , jouira de
la plus grande paix. Celui qui a cette
science , est vainqueur de soi-même ,
maître du monde , ami de JésUs-Christ,
et héritier' du ciel. '• <••<•. :
]'' ' - ' ~ - - * i 1 ' • * .i ' ..- - »..'-. -• j- —
C H A P I T R E ÎV. S
L'œil Jlmple le emtr pur élèvent
jufqu-à Dieu.

i. JUA .simplicité et la pureté sont


deux ailes spirituelles qui élèvent l'hom
me au, dessus de tous les objets de la

On doit avoir la simplicité dans les


intentions, et la pureté dans les affec
tions. La simplicité consiste à n'avoir
que Dieu seul pour objet, et ta pureté
l'embrasse et le goûte. Aucune bonne
pe J. Christ. Uv. IL Ch. 41 i4f
adtion ne te sera difficile , si ton inté
rieur est dégagé de toute affection dé
réglée.
Tu jouiras de la liberté intérieure si
toutes tes intentions se rapportent à
la volonté de Dieu , et à l'utilité du
prochain.
En vérité si ton cœur étoit droit
devant Dieu, toutes les créatures se-
roient comme un miroir y dans lequel
.tu pourrois contempler le Créateur et
la conduite que tu dois tenir ; elles te
serviroient de livre pour y puiser les
enseignemens les plus saints ; car il n'y
a point de créature , si petite et si
abjeéle qui ne nous mette devant les
yeux la bonté de Dieu.
1. Situ étois bon et pur au de dans
tu verrois et comprendrais sans peine
toutes choses , car le cœur pur pénêtre
jusques dans le Ciel et dans les enfers.
L'on comprend & l'on juge des cho
ses du dehors selon qu'on est disposé
au dedans.
S'il est quelque véritable joie dans
le monde , elle est sans doute pour le
cœur pur; et la vraie misère et le»
vrais tounnens sont réservés à la mau
vaise conscience.
Comme le fer perd sa. rouille au
G z
148 De l'Imitati»*
feu & y devient rouge et ardent , ainsi
celui qui se convertit entièrement à
Dieu , se tire de son engourdissement,
perd sa stupidité , et il est transformé en
un homme nouveau.
3. Lorsqu'on se relâche et qu'on se
ralentit, les moindres peines coûtent;
elles effraient, et l'on se tourne volon-
' lontiers du côté des consolations exté
rieures.
Mais quand on commence à se vain
cre tout de bon , et à marcher avec
«ourage dans les voies de Dieu, on ne
trouve plus de peine , où l'on trouvoit
auparavant des difficultés insurmonta-
''biefs. '

CHAPITRE V.
Il faut rentrer en foi-même , & s'occu
per entièrement de Dieu.
- t. .
: 1. Nous ne -devons pas trop nous
fier à notre propre jugement, parce
que souvent la grace et l'intelligence
nous manquent.
Nous avons bien peu de lumiere , et
le peu que nous en avons, nous le
perdons bientôt par notre négligence.
Nous sommes souvent si stupides , y
i»e J. Christ. Liv. IL Ch. 5. 14^
que nous ne sentons pas jusqu'où va
l'aveuglement de notre cœur.
Souvent nous agissons mal , et nous
nous excusons plus mal encore.
Nos passions nous font prendre feu
et nous emportent, et nous nous ima
ginons que c'est le zèle de Dieu.
Nous reprenons avec rigueur les pe
tites faute» dan* les autres , et nous
passons par dessus les nôtres qui sont
beaucoup plus grandes. ,
Nous sentons vivement et nous pe
sons avec exactitude ce que nous avons
à souffrir de la part des autre» ;
mais nous ne considérons pas ce qu'il*
ont à souffrir de nous. En vérité si
chacun vouloit bien examiner et peser
ses actions , il verroit qu'il n'a pas sujet
de juger si sévèrement le prochain.
2. L'homme intérieur préfère le soin
de son arae à tous les autres soins ; et
celui qui est eiact à se considérer Soi-
même, n'est guère tenté de parler des
autres.
On ne vivra jamais de la vie spiri
tuelle et intérieure, qu'en se tenant
dans le silence sur ce qui regarde les
autres , pour s'employer tout entier à
réfléchir sur soi-même.
Si tu foccupes entièrement de Dieu
G 3
>£o De l' Imitation
et de toi-même , tout ce qui arrive a»
dehors te touchera peu.
Où es-tu quand tu n'es pas présent
à toi même ? Ou'as-tu profité , si ayant
parcouru et scruté toutes choses tu as
négligé ton propre cœur ?
Veux-tu avoir la paix et la vraie union
avec Bieu? il faut nécessairement que
tu te détaches de tout ce qui est au
monde , pour ne jeter les jeux que
*ur toi.
Si tu veux t'avancer dan* la voie de
Dieu , dégage toi de tous soins tem
porels ; mais tu reculeras beaucoup ,
pour peu que tu t'en charges encore.
N'estime rien de grand, d'élevé,
de beau , d'aimable , que Dieu , ou ce
qui est de Dieu. Repute pour vain et
inutile tout ce que la créature peut te
donner de consolation.
L'ame qui aime Dieu , compte pour
rien tout ce qui est au-dessous de Dieu.
Un Dieu seul éternel , infini , & qui
remplit toutes choses , est la consola
tion de l'ame , & la vraie joie du eceur.
De J. Cbtrist. Livr. II. Ch. 6. ï% i
i - . i
C HAPITRE VI.
La joie pure &folide efi dans la conf-
cience.

..Un homme de bien ne cherche


de gloire que dans le témoignage d'une
bonne conscience.
Aies donc une bonne conscience , &
tu auras toujours de la joie. <
lia bonne conscience rie trouve rien
de rude & de pénible ; les choses les
plus fâcheuses redoublent sa joie ; mais
piauvaise conscience tremble tou
jours, & n'a point de repos.
Si ton coeur ne t'accuse de rien , tu
jouiras d'un repos très- doux. Ne t« re-»
jouis jamais que d'avoir fait du bien.'
Le méchant n'a jamais de véritable
joie , & ne ressent jamais de paix in-t
térieure ; car (a) il n'y a point de paix
pour les méchans , dit le Seigneur.
Que s'ils disent , nous sommes dans
la paix, les maux ne viendront point
nous troubler. Et qui seroit assez hardi
Î>our entreprendre de nous nuire ? ne
e crois pas , car la colère de Dieu se
lèvera soudain contr'eux tout ce qu'ils,
(a) $f. s 7.
G 4
if2 Dé l' Imitation
ont fait, s'éranouira , & leurs dessein*
périront.
2. Il n'est pas difficile à celui dans
le cœur duquel (b) l'amour de .Dieu est
répandu , de fie glorifier dans les afflic
tions ; car se glorifier de la sorte c'est
{'c ) fe glorifier dans la croix du Sei
gneur.
La gloire que les hommes reçoivent
& se donnent tour-à-tour passe et s'é
vanouit en un moment ; & comme elle
est mondaine , la tristesse l'accompa
gne toujours.
La gloire des vrais chrétiens est dans
leur conscience , et non pas dans la
bouche des hommes.
La joie des justes vient de Dieu ;
elle est en Dieu ; ils ne se rejouissent
que de la vérité. . . '.- "*
Celui qui est vraiment touché 'du
desir de la gloire éternelle, ne se soucie
pas de la temporelle , & celui qui re
cherche cette derniere , ou qui ne la
méprise pas de tout son cœur , demeure
convaincu par-là d'aimer peu la gloire
céleste. . .1 1
Celui qui ne se soucie ni de blâme
ni de louange, est dans une grande
tranqullitc d'esprit.' j'
(6) Rom.?. v. J.J. (t) Gai. é. Y. 14.
de J. Christ. Livr. II. Ch. 6. 153
3. L'homme dont la conscience est
pure , est content en quelque état qu'il
soit & demeure paisible quelque traite-
tement qu'on lui fasse.
Ouand on te loue , tu n'en es pa»
plus saint ; & quand on te blâme , tu
n'en es pas pire.
Tu demeures tel que tu es ; & tu ne
peux raisonnablement être estimé plus
grand que tu n'es aujugement de Dieu.
Si tu considères avec attention ce que
tu es intérieurement , tu ne te soucieras
guère de ce que les hommes pourront
dire de toi (a). Les hommes ne voient que
Vapparence ; mais Dieu connaît le fond
du cœur.
Ceux là ne considèrent que les actions
extérieures ; celui - ci pese les plus
secrettes intentions.
La marque d'une ame vraiment hum
ble, est de faire toujours bien , & de
s'estimer peu.
La marque d'une grande pureté &
d'une vraie confiance en Dieu est, de
ne point chercher de consolation dans
les créatures.
4. Celui qui ne cherche point de té
moignage des hommes, fait paroître
qw?U s'est entièrement donné à Dieu.
C») 1. Sara. 16. v. 7.
G 5
154 De l* Imitation.-
(b) Ce ritfi pas celui quife recommande
foi-même , & qui se rend bon témoigna
ge , qui eji approuvé ; mais c'efi celui que
Dieu recommande & approuve , dit St.
PauL
Marcher avec I>ieu dan» l'intérieur de
son ame , & n'être attaché à aucune de»
choses du dehors , c'est le véritable état
de l'homme intérieur.

CHAPITRE Vil.
Il faut aimer Jéfus-Chrijl lui Jiul &
fur toutes chofes-

j. Heureux celui qui comprend bien


ce que c'est que d'aimer Jesus , & de se
mépriser soi-même à cause de lui L
Cet ami ne veut point de partage, il
veut qu'on renonce à tout ce qui nous est
cher pour lui , il veut être aimé unique
ment & par dessus tout-
L'amour de la créature est trompeur
k sujet au changement ^l'amour de Jésus
est fidèle & durable. Celui qui est atta
ché aux créatures tombera avec elles,
celui qui embrasseJésus demeurera avec
lui toujours ferme & inébranlable.
Àimes-le; fais t'en un ami , tu seras
(£>) a. Coi. 10. t. iJ,
m J. Christ. Liv. II. Ch. 8. i£$
sûr qu'à tes dernieres heures , quand tu
seras abandonné du monde & de tous
ses objets , il te tiendra compagnie , &
ne permettra pas que tu périsses.
Bon gré , malgré , il faudra qu'un jour
tu sois séparé de toutes les choses du
monde.
2. Tiens-toi attaché à Jésus en ta vie
& à la mort; laisses-toi conduire à ce
fidèle ami , qui seul peut te secourir
quand tou« les autres tequitteront. Mais,
je le répête , cet ami est tel , qu'il ne
peut souffrir de rival.
Il veut seul posséder tout ton cceur T
& y être assis comme un Roi sur son
propre trône.
Si tu pouvois te tenir vide de toutes
les créatures , Jésua viendroit en toi se
substituer à elles.
Compte pour perdu tout ce que tu
donne aux hommes , & aux créatures si
Jésus-Chriat n'en est pas l'objet.
Ne te confie point , ne t'appuye poi nt
çur un roseau sujet aux secousses & à
l'inconstance des vents ; car ( a ) toute
cbair ejl comme l'herbe, & toutefa gloire
tombe comme lafleur <kfherbe.
3. Si tu n'as égard qu'à l'apparence
& à l'extérieur des hommes , tu sera»
(û) Efaic 40. v. 6.
G ê
156 De l'Imitati.o n
bientôt trompé ; car les consolations &
les avantages que tu auras cru trouvev
en eux , te deviendront très-funestes.
Si dans toutes tes démarches tu cher
ches Jésus, tu le trouveras par-tout. Si
tu te cherches toi-même , tu te trouveras
aussi toi-même , mais à ta condamna
tion & à ta perte.
Car l'homme qui ne cherche pas son
Sauveur en toutes choses, se fait plus de
mal que tout le monde & que tous ses en
nemis ne pourroient jamais lui en faire.
; ,—j
C H A P I T R E VIII.
Aime tout pour Jéfus , &f Jéfus pour lui-
même.
1 . Jjésus est-il présent ? tout va bien , &
rien ne semble difficile, mais lorsqu'il
est absent , tout est triste & tout est affli
geant.
Lorsque Jésus ne parle pas dans l'in
térieur, toute consolation qui ne vient
pas de lui est de peu d'importance
mais lors qu'il prononce une seule pa
role, on est divinement consolé. s.V^
"Voyez comment Marie Madelaine se-
leve du lieu où elle pleuroit ; aussitôt
que Marthe lui dit , (a) le Maître ejl ici y
& il t'appelle.
(a) itm 11. v. 28.
i>e J. Christ. Liv. II. Cbap. 8. 157
Heureux le tems auquel Jésus appelle
d'un état qui fait verser des pleurs, à la
joie de l'esprit!
Oue tu es sec & sans vie si Jésus n'est
en toil :..
, Oue tu es fou & vain si tu cherches
quelque autre chose que lui.
Ne perds-tu pas davantage , en agis»-
sant ainsi , que si tu perdois tout le
monde ?
2. Si tu n'as point Jésus , quels avan
tages te peut procurer tout l'univers? '
Etre séparé de Jésus c'est un enfer j
être avec Jésus c'est un parad i.
Si Jésus est avec toi , nul ennemi ne te
pourra nuire.
- .Celui qui a trouvé Jésus , a trouvé le
seul vrai trésor, & le bien au-dessus de
tout bien ; mais celui qui le perd , fait
une perte indicible ; il perd plus que
s'il perdoit tout le monde.
Celui qui vit sans Jésus est très-pau
vre ; celui qui est uni à Jésus est le plus
riche de tous.
.3. La plus grande de toutes les scien
ces , est de savoir s'entretenir avec
Jésus ; & la souveraine prudence con
siste à le savoir retenir en soi. ,
Sois humble & pacifique , tranquille
& pieux -, & iL demeurera toujours avec*
158 De l' Imitation
toi. Dès que tu veux t'évaporer à qui cé
qui est hors de toi , tu éloignes Jésus , &
tu perdras bientôt sa grace , & si tu veux
ainsi le chasser & le perdre , vers qui
prendras-tu ton refuge , & quel autre
ami trouveras-tu ?
Sans ami tu ne saurais vivre heureux ;
& si tu n'as point Jésus pour le premier
de tes amis , en quel état de tristesse &
de désolation ne se trouvera pas ton
ame? Tu commets donc une horrible
folie , si tu mets ta confiance ou ta joie
en quelqu'autre objet.
11 vaudrait mieux avoir tous les hom-
jnes à dos que d'avoir Jésus seul pour
ennemi. Préferes donc son amitié à celle
de tous les hommes , & que ton cœur le
chéx'isse par dessus toutes choses.
4. Il faut aimer tous les hommes à
cause de Jésus , mais il faut aimer Jésus
à cause de lui -même.
Il n'y a que Jésus-Christ seul qu'il faille
aimer sans réserve & sans mesure ; par
ce qu'il surpasse en bonté & en fidélité
tous ceux que l'on pourrait- avoir pour
amis. . - 1
Aimes & chéris en lui & pour lui non-
seulement tes amis , mais même tes en
nemis. Recommande- les à sa miséri
corde,, jàfin qu'il les remplisse de .sa
de J. Christ. Liv. II. Ch. S. rf$
«onnoissance & de son amour.
Ne désire jamais detrc singulière
ment aimé ou loué ; parce que cela n'ap
partient uniquement qu'à Dieu à qui
rien ne peut être comparé.
Ne souhaite en aucune manière de
posséder le cœur de personne , ni que
personne possède le tien : souhaite plu
tôt que Jésus î-egne absolument & dans
toi & dans tous les gens de bien.
5. Gardes ton intérieur pur & libre
de toute créature. Il faut que tu sois
dénué de tout , & que tu offres à Dieu
un cœur vide de toutes choses , si tu
veux être en état de contempler , de
voir & de («) goûter combien le Seigneur
efl doux.
Mais pour en venir là , il faut que 1»
grace te prévienne & te tire , afin que
dégagé de tout lien & affranchi de tout ,
tu sois uni purement avec le seul pur,
& uniquement avec celui qui doit être
l'unique Roi de ton cœur.
Car lorsque la grace de Dieu s'empa
re de l'homme , il devient capable de
tout. Et lors qu'elle se retire de lui , \\
demeure pauvre & infirme , & exposé à
tous les coups.
Cependant son ame ne doit pas s'a-:
te) Pf. v. 9-
160 De l' Imitation
battre ni se désespérer dans cet état ;
mais il doit se soumettre paisiblement à
la volonté de Dieu , & souffrir tout ce
qui lui arrive pour la gloire de Jésus-
Christ. L'été succède à l'hiver, le jour à
ta nuit , & le calme à la tempête.

CHAPITRE ÏX.
Dieu prive quelqutfois les fiens de toute
confolation pour les éprouvtr.

i. Il n'est pas difficile de mépriser


les joies & les consolations qui vien
nent des créatures , lors qu'on en recoit
de Dieu même.
Mais G'est une très-grande vertu de
pouvoir se passer des consolations di
vines & humaines ; & de vouloir bien
demeurer, pour la gloire de Dieu, dans
un état où Pame est comme exilée
de la joie de son Créateur , sans- que
l'on se cherche soi-même en quoi que
ce soit, & que l'on ait le moindre égard
au bien que l'on pourroit avoir fait.
Quelle merveille que tu sois plein de
joie & de zèle lorsque la grace t'anime ?
Il n'est personne qui ne désire ces
heureux momens. Peut-on être mené
plus doucement que lorsqu'on est poyté
de J. Christ. Liv. II. Cb. rf. têt
parla grace de Dieu? Quelle merveille
encore, que celui qui est soutenu par
le Tout-Puissant , ne sente point le far
deau dont il est chargé?
s. Nous cherchons volontiers quelque
consolation, & l'homme a beaucoup de
difficulté à se mettre dans le dénuement.
Les Saints néanmoins renoncent à tout
cela , comme l'histoire le raconte du
martyr St. Laurent, qui ayant vaincu
le monde par le mépris de tout ce qu'il
y avoit d'agréable dans le siecle , souf
frit en paix pour l'amour de Christ
d'être séparé d'un St. Evêque qu'il
aimoit ardemment , & que l'on menoit
tans lui au supplice.
: L'amour de Dieu surmonta en lui
l'amour de l'homme , &. il aima mieux
choisir le bon plaisir de Dieu , qu'une
consolation humaine.
Tu dois à cet exemple apprendre à
quitter pour l'amour de Dieu les amis
qui te sont les plus chers , & qui te
semblent même les plus nécessaires
pour ton salut.
Ne " t'afflige point lorsque quel
qu'un de tes amis t'abandonne ; car tu
sais qu'enfin il faudra que nous soyons
tous séparés les uns des autres.
Il faut combattre long-tems & cou-.
xéa Di l'Imitât l w
rageusement avant qu'on se rende maî
tre de soi & qu'on soit tout-à-fait à
Dieu.
Lorsque l'homme se laisse dominer
à l'amour propre, il se tourne facile
ment du côté des consolations humai
nes & sensibles.
Mais celui qui aime Jésus-Christ &
qui se le propose pour modele, ne y
s'arrête pas à ce genre de consolation &
en fait peu de cas ; il ne cherche point
ces douceurs sensibles ; il aspire à être
exercé d'une maniere plus vigoureuse,
& à souffrir pour l'amour de Jésus-
Christ les travaux les plu* durs et les
plus pénibles.
4. Lors donc que Dieu te fortifie de
ses divines consolations , reçois-les avec
actions de graces ; mais souviens- toi
que c'est un pur don de sa libéralité
& non pas une récompense de ton
mérite.
Ne t'éleve point alors ; ne te réjouis
pas avec excès ; ne t'enfle point de pré
somption ; mais que ce soit pour toi
un motif d'humilité ; sois plus circons
pect , plus vigilant à te conduire avec
crainte & tremblement , car le calme
ne dure pas long-tems & il fait bientôt
place aux tentation» & au trouble.
ï»é J. Chkjst. Livr. II. Ch. 9. 163
Lorsque tu es délaissé & sans conso
lations, ne perds pas courage; mai6
attends avec patience & humilité,
que Dieu te visite & te donne de nou
veau des consolations plus grandes que
celles qu'il t'a ôtées.
Ceux qui connoissent par expérience
la conduite de Dieu , ne trouvent rien
en cela d'extraordinaire, car on a vu
de tous teins cette alternative de paix
& de guerre dans les plus grands Saints
& dans les anciens Prophêtes.
5. De là vient que l'un d'entr'eux di?
soit lorsque la grace de Dieu lui étoit
présente , (a) Je m ferai jamais ébranléi
Mais pour faire voir ce qu'il avoit
éprouvé lorsque la grace s'étoit retirée,
il ajoute ; Tu as caché ton vifage , &
je fuis devenu tout éperdu.
Cependant il ne perd point courage
mais il prie avec ardeur. Je crie à
toi, Seigneur, je préfente ma prière à
mon Dieu.
Puis il remporte le fruit de sa prière ,
Dieu l'a exaucé ; tEternel m'a écouté ,
& a eu pitié de moi ; il m'eft venu fe-
courir. Mais comment ? Tu as changé ,
dit-il, mon deuil m joie > & m'as tnvù
mmé d'attégreffe.
(a) Pli jo. v. 7. S,
164 Di l' Imitation
Si cela est arrivé aux plus grands
Saints, nous ne devons pas nous dé
courager nous qui sommes sujets à
mille foiblesses , s'il nous arrive d'être
tantôt dans la ferveur , tantôt dans le
refroidissement; paree que l'esprit vient
& se retire selon son bon plaisir. C'est ce t
qui fait dire à Job, (b) Tu prends garde
à l'homme chaque matin, & tu le fon
des à tous momens.
6. En quoi donc dois-je mettre mon
espérance, sinon en la seule miséri-
«orde de Dieu & en sa grace céleste.
Bonnes compagnies , personnes sain
tes , amis fidèles , livres de piété, beaux
sermons , chants de Psaumes & de Can
tiques , tout cela est peu de chose ,
tout cela ne restaure pas le cœur lors
que je suis délaissé de la grace de mon
Dieu , & abandonné à ma pauvreté
naturelle. Je n'ai dans cet état qu'un
seul remède , qui est la patience & ne i
rien vouloir que ce que Dieu veut.
. 7. Je n'ai jamais trouvé personne ,
quelque religieux , zélé , & craignant
Dieu qu'il fut, qui ne tomba quelquefois
dans l'aridité & la sécheresse , & dont
la ferveur, ne fut sujette à se ralentir.
Il n'y a point eu de Saint, quelque
M Job 7. v. 18.
de J. Christ. Liv. IL Ch. o. 16$
élevé vers Dieu & illuminé qu'il ait été,
qui n'ait passé par la tentation avant
ou après ces graces.
Car celui-là n'est pas digne d'être
admis à une sublime contemplation ,
qui n'a pas été exercé & éprouvé par
quelque affliftion qu'il ait soufferte pour
l'amour de Dieu.
La tentation est le gage d'une conso
lation qui la suit , & ce n'est qu'à ceux
qui sont éprouvés par des tentations
que les consolations célestes sont pro
mises, (c) A celui qui vaincra , je don
nerai à manger de l arbre de vie.
8. Dieu donne quelquefois ses divi
nes consolations , afin que l'homme soit
plus fort ensuite pour supporter les ad
versités.
Mais après il permet que la tentation
vienne , de peur que l'homme ne s'éleve
à cause des graces qu'il lui a faites. '
Le Diable ne dort pas , la chair n'est
pas encore morte, par conséquent tiens-
toi toujours prêt à combattre ; parce
que tu as à droite & à gauche des en
nemis qui ne sommeillent & ne reposent
jamais.
(c) Apoc; *. t. 7.
i6S D E L' IlttlTATrOK

CHAPITRE X.
Il faut rendre grace à Dieu de fes
confolations , & fouffrir patiemment
lorsqu'on s'en voit privé.

ï. Pourquoi cherches -tu du repos


puisque tu es venu au monde pour
le travail ? Tu dois plutôt t'attendre
à voir ta patience bien exercée , qu'à
recevoir des consolations ; plutôt à
porter la croix qu'à te rejouir.
Ouel est l'homme qui ne recut volon
tiers de la consolation & de la joie
spirituelle s'il en pouvoit avoir toujours»
vu qu'elles surpassent toutes les déli
ces du monde & tous les plaisirs de la
nature ?
Car les plaisirs du monde sont ou
vains ou honteux ; mais les spirituels
sont chastes & accompagnés d'une so
lide paix , parce qu'ils sont les fruits
des vertus , & Dieu n'en fait part qu'aux
âmes pures.
Mais il n'est personne qui puisse se
promettre d'en jouir à son gré , parce
que le tems de la tentation ne tarde
pas à revenir.
Deux obstacles empêchent ces visites
fit J. Christ. Zfv.ïl. Ch. 10. i6f
du St. Esprit dans nos cœurs , une
fausse idée de notre liberté & une vaine
confiance en nous-mêmes. Dieu fait ua
grand bien à l'homme lorsqu'il lui
donne de la consolation & de la joie ,
mais l'homme fait un grand mal lorsr
que la recevant il ne la rapporte pas
entièrement à Dieu avec une humble
reconnoissance. L'une des raisons pour
quoi les dons de la grace ne peuvent
coufër dans notre ame , c'est qu'ils ren
contrent l'obstacle de notre ingratitude
envers leur Auteur, &que nous ne les
renvoyons pas à leur source céleste.
Celui qui est reconnoissant des pre
mieres graces de Dieu , en reçoit de
TiouveWes ; mais Dieu dépouille le su
perbe de ses dons & enrichit les hum
bles.
3. Je ne veux point de consolations
qui m'empêchent d'être touché du sen
timent de mes offenses.
Je ne recherche point la sublimité
des contemplations qui donnent de
l'élévation à mon ame ; car tout ce qui
est sublime , n'est pas toujours saint ;
tout ce qui est doux n'est pas toujours
bon ; tout ce que l'on desire n'est pas
toujours pur ; & tout ce que l'homme
aime , n'ost pas pour cela auné de
J)ieu.
t#8 Di l'Imitatio»
. J'embrasse de bon cœur la grace qui
me rend plus humble, plus circons
pect & plus disposé à me renoncer
moi-même. •• ,
. Celui que Dieu a enseigné en lui
donnant &. en lui ôtant successivement
ta grace, n'osera jamais s'attribuer au
cun bien ; il confessera plutôt qu'il est
pauvre et nud. (b) Rends à Dieu ce qui
eft à lui , et retiens ce qui est à toi ;
c'estrà-dire : Rends graces à Dieu, re-
connoissant que tout le bien qui est en
toi vient de sa pure grace; et ne t'at
tribue que le péché , et la peine qu'il
mérite. • .
• 4. (c) Mets-toi toujours dans le der
nier rang, et l'on te mettra au pre-
.mier;car rien ne peut être haut, qui
ne soit établi sur l'abaissement.
; £ies plus petits en eux-mêmes sont
devant Dieu les plus grands Saints ; et
plus ils sont remplis de gloire , plus ils
sont humbles de eœui\v ;K . ;
• Geux qui aiment la réfuté-, et qui
eonnpissent la grandeur de la gloire
céleste , n!as pi rent point la vaine
gloire , et quoiqu'établis en Dieai , l'or
gueil ne peut avoir entrée dans leur
cœur. Ceux qui attribuent à Dieu tout
- U>) Jflatth. Z2, v. zi. (c) Luc 14. v; 10.
.- . *é
Dé J. Christ. Liv. II. Ch. 10. 169
ce qu'Us ont reçu de bon , ne cherchent
point à (c) recevoir de gloire les uns des
autres ; mais ils ne veulent que celle
de Dieu seul.
Ils désirent souverainement que" Dieu
soit loué en eux & dans tous ses Saints ; .
c'est là l'unique but qu'ils se propo
sent.
5. Sois donc humblement reconnois-
sant des moindres graces que Dieu te.
fait , & tu en recevras de plus grandes.
Tiens même les plus petites pour des
faveurs insignes , et les plus communes
pour les dons les plus précieux. Si tu
envisages bien la dignité de celui qui-
donne, nul de ses dons ne te paroitra
petit ou peu considérable. Quel présent
venant de la main du Souverain Maître
de l'univers pourroit être petit?
Lors même qu'il châtie & qu'il donne
des coups , on les doit recevoir en le
remerciant de très-bon cœur; parce
que c'est pour notre bien éternel qu'il
dispose des choses qui nous arrivent.
Celui qui desire de demeurer dans
la grace, doit être reconnoissant lors
que Dieu la donne , & patient lorsqu'il
la retire. Qu'il prie afin que la grace
absente revienne ; qu'il soit humble , &
. Ce) Jean 5. t. 44. *
ijo De l' Imitation
qu'il veille sur lui-même de peur que
la grace présente ne l'abandonne.

CHAPITRE XI.
Du petit nombre de ceux qui aiment la
Croix de Jéfus-Chrifl éf qui renon
cent à tout pour le juivre.

i. Aujourd'hui il est encore assez de


personnes qui soupirent après la gloire
du royaume de Jésus-Christ ; mais il
en est bien peu qui desirent de porter
sa croix.
Jésus trouve aujourd'hui beaucoup
de gens qui aiment ses joies, mais peu
qui veulent ses adversités & ses afflic
tions.
Que de compagnons pour l'abon
dance de sa table ! mais que de déser
teurs dans ses tems d'abstinence & de
mortification ! Chacun veut se rejouir
avec lui, personne, ou très-peu veulent
souffrir quelque chose avec lui ou pour
l'amour de lui. Il s'en trouve assez
avec Jésus- Christ lorsqu'il rompt le
f>ain; mais peu lorsqu'il s'agit de boire
a coupe de sa passion.
Voyez le nombre d'admirateurs de
ses miracles, & le peu de se&ateurs
î>e J. Christ. Liv. IL Ch. i ï. 171
de l'ignominie & de la honte de sa
croix ! On aime Jésus durant qu'il nous
affranchit des peines; on le loue , on
le bénit , pendant qu'on reçoit de lui
de la consolation & de la joie ; mais
lorsqu'il se cache , & qu'il semble s'être
tout-à-fait retiré, on en vient aux plain
tes , & l'on tombe dans l'abattement.
2. Mais ceux qui aiment Jésus à cause ~"
de lui-même , & non pour leur propre
satisfaction, le bénissent dans les afflic
tions & dans les angoisses, comme dans
les joies & les consolations les plus
grandes. *
Et quand même Jésus ne leur en don-
neroit jamais , ils ne laisseraient pas
de le louer toujours , & de lui rendre
éternellement des aélions de graces.
3. O que l'amour de Jésus est puis
sant lorsqu'il est pur & désintéressé,
sans mélange d'amour propre , sans
égard à notre propre intérêt !
Chercher toujours des consolations,
c'est n'être que de vrais mercenaires,
& montrer qu'on aime plus soi-même
que Jésus- Christ , puisqu'on ne pense
qu'à sa propre commodité & à ses
avantages.
Oh! où trouvera- 1- on maintenant dee
H ?
J72 De l' Imitation
personnes qui veuillent servir Dieu sant
égard à la récompense.
4. A peine voit-on quelqu'un assez
spirituel pour entrer dans le parfait
dénuement.
Où trouver ce vrai pauvre (Tefprit
qui soit dégagé de tout attachement
aux créatures ? cherchez au bout du
monde cette perle sans prix.
Ce n'est rien que quelqu'un ait don
né tout son bien aux pauvres. C'est peu
qu'il ait mortifié son corps par de ru
des pénitences. Qu'il ait toute la science
du monde, qu'il connoisse tous les se
crets , il est encore fort éloigné du
but. Qu'il ait de la piété , du zèle , &
même le don des miracles, le plus
considérable lui manquera encore
Il lui manque une chose qui lui est
souverainement nécessaire. Et quelle
est cette chose ?
C'est qu'ayant renoncé à tout , il se
renonce soi-même , qu'il sorte tout en
tier hors de soi-même , qu'il ne retienne
rien de son amour propre ; & qu'après
avoir fait tout cela , il reconnoisse sin
cèrement qu'il n'a rien fait.
5. Qu'il n'estime point en lui ce que
les hommes peuvent estimer; qu'il se
regarde toujours comme un serviteur
»r. J. Christ. Liv. IL Ch. \z. rjrj
inutile , selon cette parole de la vérité
même, (a) Lorfque vous aurez fait
toutes Us cbofes qui vous auront été
commandées , dites : nousfommes des fer-
viteurs inutiles.
Celui qui se trouvera dans cet état
sera un vrai pauvre , une ame vraiment
dépouillée ; il pourra dire avec le
Prophête, (b) Je fuis feul & dénué de
tout. Cependant il n'est personne de
plus riche , personne de plus puissant ,
personne de plus libre que celui qui
sait ainsi se dénuer soi-même , aban
donner toutes choses, & prendre tou-
jours la dernière place.

CHAPITRE XII.
Il faut prendre la Croix de Jéfus-Chrifi
fi on veut fa couronne.

i. ^ette parole semble bien rude à


beaucoup de gens, & choque leurs oreil
les, (c) Renoncez à vous-mêmes , char
gez votre croix & fuivez Jéfus. Mais
en voici une autre beaucoup plus ter
rible, (d) AHez maudits , au feu éternel.
Ceux qui aiment maintenant enten-
(a) Luc 17. v. 10. (6) Pf 2J. v. ié.
(0 Matth. 16. v. 24. (d; Matth. 2Ç. v. 4»,
H 3
T^4 L' I M I T A T I O S
dre parler de la croix , & qui l'embras
sent de tout leur cœur , ne craindront
point alors de s'entendre condamner
-au feu éternel.
Lorsque le Seigneur viendrajuger les
hommes , la croix sera le signe auguste
qui les discernera. Alors ceux qui se
seront soumis à elle, qui se seront con
formés pendant leur vie au Dieu cru
cifié, s'approcheront avec une grande
confiance de ce souverain Juge du
inonde.
Pourquoi donc erains-tu de porter
ta croix , vu que c'est par elle que l'on
va au Royaume céleste ?
Le salut est dans la croix ; la vie est
dans la croix ; on ne peut se défendre
contre les ennemis que par la croix.
Dieu joint à la croix & à la souffrance
ses divines douceurs , la force de lame,
& la joie de l'esprit.
L'abrégé de toutes les vertus , & la
perfeélion de la sainteté se trouvent
dans la croix & dans les afflictions.
Hors de cette croix il n'y a ni salut
ni espérance de vie éternelle.
Prends donc ta croix , & marche
après Jésus ; & tu parviendras à la vie
éternelle.
Il marche devant toi portant sa croix t
.se J. Christ. Liv. 77. Ch. 12. 175
il meurt pour toi sur une croix , afin
que tu portes ta croix à son exemple &
que tu desires de mourir sur la croix-
(c) Si tu meurs avec lui , tu vivras auffi
. avec lui & si tu es le compagnon de
ses souffrances , tu le seras aussi de sa
gloire.
3. Tu vois donc que tout consiste à
embrasser la croix & à mourir sur la
croix , & qu'il n'y a point d'autre voie
qui mène à la vie & à la vraie paix
de l'esprit , que celle de la croix & de
la mortification journaliere.
Vas où tu voudras , cherches tant
que tu voudras , tu ne prouveras point
de voie ni plus sublime en haut , ni
plus sûre en bas , que celle de la croix.
Dispos© de tout comme il te plaira &
le mieux qu'il te semblera , tu ne lais
seras pas de trouver toujours quelque
chose à souffrir bon gré, ou malgré
toi, & ainsi tu trouveras toujours la
croix.
Car , ou ton corps sentira quelque
douleur, qû ton esprit sera affligé par
des peines & des inquiétudes.
Tantôt Dieu te livrera pour un tem»
au délaissement spirituel , tantôt le pro
chain donnera de l'exercice à ta pa-
. (c) Rom, 6. v. g*
II +
i*r6 Di l'Imiiatio»
tience , de surcroît ; tu seras souvent à
charge à toi-mème,sans pouvoir trouver
de remède & d'allégemens à ta lan
gueur.
Tu dois alors porter cette croix au
tant qu'il plaira à Dieu ; car il veut que
tu apprennes à endurer des souffrances
sans consolation , afin que tu te sou
mettes à lui sans réserve', & que les
afflictions te rendent plus humble.
Nul n'a le cœur si bien touché de
la passion de Jésus-Christ , que celui
qui a souffert des peines semblables.
Lacroix est donc toujours prête ; elle
t'attend par-tout. Tu ne la peux éviter
quelque part que tu ailles , parce que tu
te portes toujours avec toi par-tout, &
que tu la trouveras toujours avec toi en
tout lieu.
Tourne-toi vers les choses d'enhaut,
ou vers celles d'enbas ; cherches au de
dans de toi , ou au dehors , tu trouveras
des croix par-tout, tu trouveras par
tout des occasions d'exercer ta patien
ce , au moins si tu veux jouir de la paix
de l'esprit & de la couronne de l'Eter
nité.
5. Si tu portes la croix de bon cœur ,
elle te portera aussi & te conduira au
port dé&iré, lorsque le terme de tes

v
de J. Christ. Liv. II. Ch. xi. X77
souffrances sera venu , quoi qu'il ne doi
ve pas venir pendant que nous vivons
sur cette terre. Mais si tu la portes mal
gré toi , tu la rends plus pesante & plus
insupportable, & toutes fois il faudra
que tu la portes.
Si tu rejetes une croix, tu en trouve
ras infailliblement une autre., peut-être
plus pesante que la premiere.
é. Crois-tu donc pouvoir ériterceque
nul des hommes n'a pu éviter? Oui
d'entre les Saints a été sans croix & sans-
adversités dans ce monde ?
Notre Seigneur Jésus-Christ même
n'a pas été une heure sans elles , pen
dant qu'il a vécu sur la terre.
(a) 11 falloit , dit-il que le Ckrififouf-
frit , qu'il rejfujcitat & qu'il entrat ainjt
dans fa gloire.
Comment donc cherchés- tu une autre
voie que cette voie royale , cette sainte
voie de la croix ?
7. Toute la vie de Jésus-Christ n*»
été qu'une croix & un martyre conti
nuel j & tu cherches dù repos & de 1*
joie pour toi ?
Tu te trompes assurément , si tu' as
pires a d'autres choses qu'à souffrir des
adversités ; puisque toute cette vie mor
te) Luc 34. v. %s.:
178 D E l' I M 1 I A T 1 O Jï
telle n'est pleine que de miseres & n'est
environnée que de croix.
Plus une personne a fait de progrès
.dans la vie spirituelle , plus elle trouve
de croix ; les dernieres seront encore
plus pesantes que les premieres , parce
que plus on a d'amour pour Dieu , plus
la peine qu'on souffre d'être exilé de lui ,
devient sensible, & parce encore que
Dieu charge davantage le cœur coura
geux & qui l'aime, afin de rendre sa
couronne plus belle.
8. Néanmoins une ame chargée de
tant de peines n'est pas sans consola
tion , sentant bien , que la croix accep
tée de bon cœur, lui rapporte un très-
grand fruit.
Car en se soumettant volontairement
i la croix , il prend une admirable con
fiance & résignation en. Dieu , qui pro
duit toujours la consolation céleste.
Plus la chair est abattue par l'afflic
tion , plus l'esprit est fortifié par une
grace intérieure qui l'affermit. Quelque
fois même on a tellement le cœur tou
ché & fortifié par l'adversité , la tribula-
tion , & par le désir d'être conforme à
Jésus-Christ souffrant, qu'on ne vou
droit pas être sans douleurs & sans souf
frances; parce qu'on espère être d'au
ïve J. Chkist. lit?. II. Ch. iî.
tant plus agréable à Dieu , qu'on souf-
, frira davantage pour l'amour de lui.
Il ne faut pourtant pas attribuer ces
effets à la vertu de l'homme ; ce n'est
que la grace de Jésus Christ qui peut h.
qui fait to.ut cela dans la foiblesse de la
nature ; c'est elle qui fait qu'on em
brasse & qu'on aime avec ardeur , ce
qu'qn abhorre & ce qu'on fuit naturel- -
lernent en tout tems.
9. Porter la croix , aimer la croir,,
, mortifier son corps , le réduire en ser
vitude , fuir les hommes , souffrir de bon',
cœur les injures & les opprobres , se mé
priser soi-même, désirer d'être méprisé,
. endurer toutes,sortes de maux, ne point
désirer la prospérité de ce monde; sont
.de$ choses contraires aux inclinations,
naturelles de l'homme.
. Si tu nejettes les jeux que sur toi , tir
; te verras dans l'impuissance de faire-
rien de tout' cela.
. , Mais si tu, t'appuyes sur le Seigneur, il
enverra du cied: une force si puisante
{. qu'elle a^siyettira a l'esprit le njQnde &
la .chair., , ' . rix ;r —
-, ,)Les. at;n>e^ spirituelles de, la foi'fc de
•^la croix du Sauveur, banniront de ton
cœur toute la crainte de l'ennemi.
10. Consacre-toi donc comme un boni
' H- 6
180 De l' Imitation
& fidèle serviteur, à porter courageu
sement la croix de ton Maître, qui a
bien voulu être crucifié pour l'amour
de toi.
Prépare-toi à beaucoup d'adversités,
& à toutes sortes de maux dans cette
misérable vie.
Quelque part que tu ailles , dans quel
que lieu que tu te retires , ils te suivront
par-tout. C'est un chemin par où il faut
nécessairement passer.
Il n'y a pas de moyen d'éviter lés
afflictions , les maux & les douleurs ;
l'unique remède est , de posséder ton
ame par la patience.
Bois de bon cœur dans la coupe de
la passion de ton Seigneur, si tu desi
res d'être son ami & d'avoir commua
nion avec lui.
Remets au bon plaisir de Dieu de te
donner les consolations qu'il jugera le
plus à propos.
Mais de ton côte prépare-toi à sou
tenir des épreuves , & regarde les souf
frances comme tesjoies les plus grandes;
car (e) les fouffrances du tems prêfent,
( quand tu pourrois seul les supporter
toutes) ne. peuvent point contrebalancer,
(0 Rom. g. y. 18.
de J. Christ. Livr. II. Ch. 12. tfï
la gloire à venir , ni ne sont point ca
pables de la mériter.
1 1 . Lorsque tu auras fait un progrès
tel que les afflictions te deviennent
douces, & que tu trouveras du goût
dans les souffrances , pour l'amour de
Jésus-Christ , assure-toi alors que tout
va bien , & que tu as trouvé le paradis
sur la terre.
Mais tant que tu te fais de la peine
de souffrir, & que tu cherches à t'en
dispenser , tu n es pas dans un bon
état , & les maux que tu fuis te suivront
par-tout.
12. Que si tu tâches de répondre à
ta vocation qui est de souffrir jusqu'à
la mort , ton état changera prompte-
ment en mieux , & tu trouveras la paix.
Lors même que tu autois été ravi com
me St. Paul jusqu'au troisième Ciel , (/)
cela ne te dispensera pas de souffrir*
(g) Je lui ferai voir , dit Jésus-Christ ,
de ce même St. Paul , combien de maux
il faut fouffrir pour mon nom.
Tu ne dois donc attendre que des
souffrances , si tu veux aimer Jésus-
Christ & le «ervir toujours.
Plût à Dieu que tu fus digne de
i Kfï ». Cor. 12. t.* }Att. 9. V. 16.
182 De i' I m i t a t i o s
souffrir quelque chose pour l'amour de
Jésus! que de gloire pour toi ! que de
joie pour les saints de Dieu! que d'é
dification pour ton prochain ! Car tout
le monde recommande la patience,
quoique peu de gens aient la force de
la pratiquer.
Mais ne devrois-tu pas souffrir un
peu pour Jésus-Christ , vu que les. en-
fans du siecle souffrent tant pour le
monde.
14. Tiens pour certain que tu, dois
mener une vie mourante ; k. que plus
©n meurt à soi , plus on vit à Dieu.
Nul n'est propre à comprendre les
choses du Ciel , s'il ne s'est dispose à
souffrir pour Jésus-Christ les maux .de
. cette, vie. , : -- -
- ,11 n'est rien de plus agréable à Dieu,
ni de plus salutaire à l'homme dansrce
monde , que de souffrir de bon cœur
pour l'amour de J. Christs
Si tu avois le choix, tu ne devrois
pas hésiter un moment à renoncer, aux
, consolations et à la j 04$ pour embras-
.ser les souffrances ; parce que tp serois
ainsi plus semblable' à Christ et , à
tous le£ Saints. . n
-Car. ni ce qui plait à Dieu en nous,
ni l'état de ' notre avancement , ne
deJ. Christ. Liv.il. Ch. xz. 183
consiste pas en des sentimens de dou
ceurs et de jqyes, mais plutôt dans
la souffrance des plus grandes tribula
tions.
1 5. Oue s'il y avoît eu quelque chose
de meilleur et de plus utile pour le
salut des hommes que la souffrance ,
sans doute , Jésus-Christ l'auroit ensei
gné par ses paroles et par son exemple.
Cependant il se borne éà exhorter
hautement ses disciples , et tous ceux
qui le veulent suivre , à porter la croix ;
(a) Si quelqu'un veut venir après moi ,
qu'il renonce à foi-même , qu'il charge
fa croix & qu'il me fuive.
Ainsi après avoir tout pesé et exa
miné , nous devons conclure avee l'A
pôtre, que (b) c'ejl par plufieurs tribu
lations qu'il nous faut entrer dans h
Royaume de Dieu.
ia) Matth. 1 6. v. «4. (b) Adt 14. t. aa.

Fin du fecond Livre.


184 De l'ImitAt i on

L'IMITATION

D E

JESUS-CHRIST,

LIVRE TROISIEME.

CONTENANT
En forme de Dialogue les consolations
spirituelles que Dieu donne à l'amet
et que Vaine cherche en Dieu , et les
secrets de la vie intérieure et cachée
en lui.

CHAPITRE PREMIER.

Comment Thomme doit fe préparer à


écouter Dieu.
Le D l s c i p l e.

î. .J'écouterai maintenant ce que le


Seigneur Dieu dira au-dedans de moi.
Heureuse l'ame qui entend le Seigneur
bE J. Christ. Liv. IÎI. Ch. i. 185
parlant en elle , & qui reçoit de sa
bouche la parole de la consolation!
Heureuses les oreilles qui fermées au
monde, reçoivent le doux son des ins
pirations divines ; & qui ne s'arrêtant
point à la parole qui résonne au de
hors, écoutent avec attention la vérité
qui se fait entendre dans l'intérieur !
Heureux les jreux qui fermés pour
les choses visibles , ne sont ouverts que
'pour celles du dedans i Heureux les
hommes qui rentrent dans l'intérieur
pour ^ conhoitre les choses spirituel
les & qui se disposent de plus en plus
à la vraie science des secrets célestes.
Heureux ceux qui pour s'occuper
uniquement de Dieu , se délivrent des
vains embarras du monde !
0 ! mon ame , que ces choses pénéV
trent ton cœur ! Ferme la porte à tout
ce qui est sensuel, afin que tu puisses
ouir ce que te dira ton Seigneur & ton
Dieu. Voici ton bien-aimé qui parle :
Sois- attentive.
JEsus-Christ.
2. Je suis ton salut , je suis ta paix i
„ je suis ta vie. Tiens toi constamment
„ avec moi , & tu trouveras la paix.
}) Abandonnes tout ce qui n'est que
1 86 De l' I m -t t a t i o #
3j passager ; ne cherche que ce qui est
„ éternel.
„ Toutes les choses que tu vois dans
.„ le monde, ne sont propres qu'à te
„ séduire. Oue te serviront toutes les
.„ créatures , si ton Créateur t'aban-
donne ? Quittes - les , & fais à ton
„ Créateur la donnation de tout ton
„ être ; ne songe qu'à lui être fidele &
„ à lui plaire , afin que tu parviennes
„ à la jouissance de la vraie béatitude,.

C H A P I T R E II.
L'homme parle au dehors , £f Dieu
parle au dedans.

Le Disciple.

f. (ci) P* Arle Seigneur ! car ton Sei'r


viteur écoute, (b} Je fuis ton Serviteur ;
donne-moi V intelligence afin que je com
prenne tes témoignages.
Donne à mon cœur de recevoir &
de garder les paroles de ta bouche ;
que cette divine rosée coule eii lui &
le rende fertile.
Si les Israélites disoient autrefois à
Moïse, (c) Toi, parle avec nous , &
(c) i.Sam. 3. v. 10. (6) Pf. 119. t. îiç.
Ce) Exode 20. v. 19.
de J. Cmîst. Lit). III. Ch. î. ï$?
nous t''écouterons ; mais que Dieu ne parle
point, de peur que nous ne mourions ; ce
n'est pas mon langage , Seigneur ! mais
je te demande humblement & de tout
mon cœur la même grace que Samuel
ton Prophète te demandoit , (d) Parlt
Seigneur .' car ton Serviteur écoute.
Oue ce ne soit ni Moïse, ni aucun Pro-
phête qui me parle ; parle-moi toi-mê
me, ô mon Dieu ! toi de qui les Prophêtes
n'ont été que les organes et les instru
ments; tu peux seul m'instruire à fond
sans eux ; mais eux ne peuvent rien
ni 'apprendre sans toi.
2. Ils peuvent bien faire retentir des
paroles au dehors ; mais ils ne peuvent
donner l'esprit de grace. Ils ont beau
dire des choses admirables , ils ne peu
vent toucher le cœur quand tu ne par
les pas toi-même. .
Ils donnent la lettre ; mais toi , Sei
gneur , tu l'expliques & en découvres
le sens.
Ils annoncent des mistères ; mais tu
ouvres l'entendement pour les faire
comprendre.
Ils nous donnent des préceptes de
ta part ; mais tu donnes la force de
les exécuter.
(d) i. Samuel J. v. 10.
i88 De l' Imitation
Ils nous montrent la voie ; mais ta
donnes le courage d'y marcher.
Ils agissent extérieurement ; mais tu
touches , tu enseignes , tu illumines les
cœurs.
Ils arrosent au dehors , & tu rends
le dedans fertile.
- Ils font retentir le bruit de leurs voix ;
tu verses dans le cœur le don de com
prendre la vérité.
j. Je te prie donc, Seigneur mon
Dieu ! Vérité éternelle ! que ce ne soit
pas Moïse , qui me parle , mais que ce
soit toi-même de peur que je ne meure,
&. qu'étant seulement averti au dehors,
& non touché ni réchauffe au dedans ,
je ne sois une terre stérile &sans fruits;
& que la parole que j'aurai ouïe , sans
la faire; connue, sans l'aimer; crue,
sans la pratiquer ; ne soit un jour la
sentence de ma condamnation éter
nelle. Parle donc, O Seigneur ! car ton
ft rviteur écoute ; (e) tu as la parole de
la vie éternelle.
Parle-moi pour la consolation demon
ame, pour l'amendement de ma vie,
& afin que ton saint Nom soit loué ,
glorifié, & béni éternellement.
(c) Jean 6. v. 68.
de J. Christ- Liv. HI. Ch. 3. 189

CHAPITRE III.
On fait tout pour le monde , on ne fait
rien pour Dieu.
Jes us-Christ.

on fils , écoute mes paroles.


„ Elles sont ravissantes. Toute la sa-
gesse des Philosophes & des sages de
„ ce monde , n'est que folie en compa-
raison.
„ Mes paroles sont Esprit &vie, 1»
„ raison humaine ne doit pas se mêler
„ de les interprêter.
„ On ne doit pointy chercher de quoi
„ satisfaire une vaine curiosité ; il faut
„ les écouter & les recevoir en silence ,
„ avec une profonde humilité , & un
„ cœur brûlant d'ardeur pour les rem-
„ plir.
Le Disciple.
2. A l'ouïe de cette divine lecon de
mon Dieu, je me suis écrié, avec le
Prophête , (a) 0 Seigneur .' qu'heureux
eji Vhomme que tu corriges , & que tu
injlruis dans ta Loi, afin que tulefajjes
repofer en paix quand les jours d'angoijje
(a) Ff. 94. v, ix. 13.
190 De l' Imitation
arriveront , & qu'il évite les maux qui
couvriront la terre !
JisUS-CHRIST.
3. C'est moi , dit le Seigneur, qui ai
't, instruit les Prophêtes dès le commen-
„ cement du monde , & je parle encore
à tous les hommes ; mais la plupart
„ d'entr'eux se rendent sourds à ma
„ voix , & résistent à toutes mes invi-
„ tations.
„ Us aiment mieux écouter le monde
„ que Dieu. Ils courent plutôt après
ce que leur chair désire qu'après ce
„ que Dieu approuve.
„ Le monde promet des choses tem-
'„ porelles & de néant , il trouve des
„ gens tout brûlans pour son service.
„ Je promets des biens souverains &
j, éternels , & je ne trouve que des
cœurs lâches & endormis.
„ Où sont ceux qui me servent & qui
m'obéissent avec autant de soin dans
t, tout ce que je commande , qu'on sert
„ le monde & les Grands qui y domi-
n nent ? (a) Rougi de honte , Sidon , dit
» la Mer , & si tu demandes pourquoi ?
„ Ecoute.
„ On travaille; on s'agite ; on court
( a) Bfaie gj. v. 4.
de J. Christ, tivr. III. Ch. 4. 191
„ pour briguer une charge ecclé-
„ siastique ou séculière , quelque petite
qu'elle soit; cependant la plupart des
gens ne daignent presque pas se don-
„ ner le plus léger mouvement, quand
il s'agit de la vie éternelle.
„ Chrétiens lâches & tièdes , avouez-
3, le à votre confusion, ne regrettez-
vous pas les plus légers travaux lors-
„ qu'il s'agit d'acquérir un bien inesti-
„ mable , & une gloire qui n'a d'autre
M borne que l'éternité ?
„ Et toi, indigne Serviteur, qui te
„ plains sans cesse de la rigueur de mes
„ loix,. rougi & sois confus de voir le
„ monde se donner plus de peine pour
„ se damner , que toi pour te sauver ;
„ de le voir plus passionné pour la
„ vanité que toi pour la vérité éternelle.
„ Cependant il se trouve frustré de son
espérance , mais mes promesses ne
„ trompent personne , & ne renvoient
„ point à vide ceux qui se reposent sur
elles.
„ Je donnerai invariablement tout ce
que j'ai promis, j'accomplirai très-
„ certainement tout ce que j'ai dit; à
„ condition néanmoins que l'on de-
„ meure fidèle dans mon amour jusqu'à
» la fin. ;
«\ -
\$% De l' Imitation
„ Je récompense. les bons , & je mets
h à de grandes épreuves ceux qui se
„ sont donnés le plus résolument à
m moi.
„ 5. Grave mes paroles dans ton
„ cœur , & les médites sans cesse ; car
„ elles te seront nécessaires au fort de
„ la tentation. Tu comprendras au jour
„ que je te visiterai ce que tu ne cora-
„ prends point maintenant quoique tu
„ le lises.
„ Je visite mes élus en deux manière*
différentes , par la tentation, & parla
M consolation.
„ Et je les instruits tous les jours en
deux manieres , en les reprenant de
„ leurs vices, & en les exnortant à
s'avancer dans la vertu.
„ Celui qui entend mes paroles (a) &
les méprise, les aura pour juges au
tt dernier jour, & elles fonderont la
#, sentence de sa condamnation.,,
Le Disciple.
6. Mon Seigneur & mon Dieu! toi
*eul es tout mon bien. Et qui suis-je ,
mon Dieu! pour oser l'adresser la parole.
Je suis le plus vil de les serviteurs, un
jermisseau abject & méprisable ;je suis
(a) Jean 1%. r. 48.
infiniment
PE J. Christ. Lit. III. Ci. 3. 193
infiniment plus pauvre & plus cligne de
mépris , que je ne saurois exprimer &
comprendre.
Seigneur , souviens-toi demon néant ;
je ne suis rien ; je n'ai rien , je ne puis
rien. O toi , seul bon , seul juste, seul
saint ! tu peux tout , tu sais tout , tu rem
plis tout ; il n'y a que le seul pécheur qui
soit privé de tes dons.
Seigneur , souviens-toi, je te prie ; de
tes miséricordes , & remplis mon cœur
de ta grace , toi qui ne veux pas qu'il jr
ait du vide dans tes ouvrages.
7. Comment pourrai-je me supporter
moi-même dans cette misérable vie , si ta
miséricorde & ta grace ne me soutien
nent ?
Ne me cache point ton visage ; ne dif
fère point de visiter mon ame ; ne retire
point ta consolation de mon cœur , de
peur que je ne sois comme une terre
sèche en ta présence.
Apprends-moi , mon Dieu ! à fairé ta
volonté ;. apprends-moi à me conduire
humblement & d'une maniere digne de
toi & de ta présence-
Daignes me faire ces graces , car tu
es ma sagesse 5 toi qui me cOnnoîs selon
la vérité , qui m'as connu avant que je
194 D k l' Imitation
fusse , & même avant que le monde fut
créé.

CHAPITRE IV.

Ilfaut marcher devant Dieu avec vérité


& humilité.

Jésus-Christ.

on fils, marche devant ma face


en vérité & en humilité , cherche-moi
toujours avec un eœur simple & une
intention droite.
„ Celui qui marche dans la vérité en
-„ ma présence , sera en sûreté contre
„ toutes les attaques. Elle le délivrera
.„ de la séduction , & le garantira des
„ traits de la calomnie.
„ (a) Si la vérité te délivre, tuferas
» vraiment libre , & tu te mettras peu
„ en peine des vains discours des
>? hommes.
Le Disciplë.
a. Il est vrai , Seigneur ! Fais-moi je
te prie , la grace d'être tel que tu viens
de dire. Que ta vérité m'enseigne .$
(#) Jean g. f. 3 st.
de J. Christ. Liv. III. Cbap. 4. 195
qu'elle me garde , jusqu'à-ce que j'aie
heureusement terminé ma course î
Ou'elle me délivre de toute affecVion.
déréglée , & de tout amour qui n'a point
ta volonté pour principe ! alors jemar-
cherai devant toi avec un cœur libre &
dégagé de tout lien.
Jésus-Christ.
3. „ Ecoute donc, mon fils î & la
„ vérité t'enseignera des choses justes
„ & qui me sont agréables.
„ Pense avec douleur, regret &
„ amertume à tant de péchés que tu
as commis contre moi.
„ Si tu as été le canal de quelque
„ bien, ne t'en énorgueillis point &
„ regarde-toi comme la poussière &
„ le néant.
„ Tu n'es qu'un misérable pécheur,
„ esclave de mille passions déréglées
„ & de mille mouvemens criminels.
„ Par toi-même tu ne tend qu'an
„ néant; il ne te faut qu'un moment
„ pour tomber, un moment pour être
„ vaincu, un moment pour être troublé,
„ un moment pour quitter tes bonnes
„ résolutions.
„ Tu n'as pas le moindre sujet de te
I %
f$6 De l' Imitation
glorifier k. de te complaire en toi-
,, même ; mais tu en as beaucoup de
„ te mépriser, parce que ta foiblesse
„ est si grande , que tu n'es pas capa-
., ble de la comprendre.
„ Compte pour peu de chose tout
„ ce que lu lais , et tout ce qui vient
., de toi. Ne tiens rien pour grand ,
„ pour précieux , pour admirable ,
„ pour louable , pour sublime & pour
„ désirable , que ce qui est éternel. .
„ Oue la vérité éternelle te plaise
„ sur toutes choses.
., Oue ta grande indignité & ta bas-
„ sesse te déplaisent & te fassent hor-
„ reur en tout teras.
Ne crains rien, ne blâme rien,
„ ne fuis rien tant que tes vices & tes
„ péchés , que tu dois plus avoir en
„ horreur que les plus grands maux
„ du monde.
„ Il en est beaucoup qui ne vivent
„ pas devant moi avec un cœur sin-
„ cere ; qui ne cherchent qu'à satis-
,j faire leur curiosité & leur orgueil.,
„ voulant savoir mes secrets , & com-
„ prendre les choses sublimes pendant
„ qu'ils se négligent eux-mêmes & leur
„ salut.
de J. Christ. Lîv. ITÎ. Ch. g?
„ Ces gens-là tombent souvent en
„ de grandes tentations & de grands
„ péchés ; leur orgueil & leur curiosité
„ les font tomber; & moi je leur résiste
„ & leur déclare la guerre.
5. ,7 Ouant à toi, mon fils, crains
„ les jugemens de Dieu ; redoute la
„ colere du Tout-puissant ; & au lieu
,, de t'amuser à pénétrer les secrets-
„ du Très-haut , rentre en toi - même
„ pour faire la recherche de tes ini-
„ quités, des maux que tu as commis,
„ & des biens que tu as négligés.
„ Il est des personnes assez insen-
„ sées pour faire consister leur Reli-
„ gion & leur piété , les uns à lire ou
„ à entendre lire de bons livres, d'au-
„ tres à avoir des images, d'autres à
„ faire un fréquent usage des sacre-
„ mens , d'autres la font consister enfin
„ dans les cérémonies extérieures ,
„ auxquelles ils sont fort exaéls. Il y
„ en a qui m'ont souvent dans la bou-
„ che , quoique je sois peu dans leur
„ cœur.
,, Mais aussi il y en a dont l'en*
„ tendement éclairé pour connoitre les
„ vrais biens, & le cœur bien disposé
j, pour les embrasser , ne soupirent
I i
si^S Bi l' Imitation
p plus qu'après les objets éternels,
„ ne peuvent qu'avec peine entendre
parler des choses de la terre , & ne
„ donnent qu'à regret le tems & les
„ soins qu'il faut au besoin de la na-
„ ture.
„ Et ceux-ci savent par sentiment
„ & par expérience ce que l'Esprit
de la vérité dit en eux ; car il leur
„ apprend à mépriser tout ce qui est
terrestre ; à être négligens & froids
„ pour les choses du monde ; à penser
„ au Ciel jour & nuit avec ardeur.

CHAPITRE V.
Des merveilleux effets de l'amour divin;
on doit le demander a vec ardeur , car
on a tout en lui.
Le Disciple.

t. JE te bénis, Pere céleste, Pere de


Jesus Christ mon Seigneur, je te béni*
de ce que tu as daigné te souvenir
d'une créature aussi chétive & aussi
misérable que moi.
• O Pere des miséricordes ! ô Dieu de
toute consolation ! je te rends graces
de ce que tes consolations ont quel
de J. Christ. Liv. III. Ch. 5. 199
quefois restauré mon ame , quoique
j'en soi* tout à fait indigne.
Mon ame ne cessera jamais de te
bénir, je te louerai dans tous les sie
cles , toi , ton Fils unique & le Saint
Esprit Consolateur.
O mon Seigneur & mon Dieu! O
Trinité Sainte, Dieu plein d'amour &
de charité , quand tu viendra* dans
mon cœur, toutes mes entrailles tres
sailliront de joie ! C'est toi qui es ma
gloire ; c'est toi qui es l'allégresse de
mon cœur.
Quand les jours d'affliction & d'an
goisse viennent fondre sur moi , je n'ai
d'espérance ni de rpfuge qu'en toi.
3,. Mais comme mon amour pour
toi est foible & languissant , & que le
peu de vertus que je puis avoir est
imparfait , je viens vers toi, mon Dieu !
pour recevoir la foree & le soulage
ment dont j'ai besoin.
Ne dédaignes pas y je te prie , de
me visiter souvent , & de remplir mon
ame de tes saintes Loix.
Délivre-moi de mes passions, & guéri
mon cœur de tout amour & de tout
desir qui n'est pas selon ta volonté
divine : afin qu'étant guéri & purifié
I 4
âoo De l' I m i t a t r o n
dans l'intérieur , je sois rendu capable
det'aimer, courageux pour bien souf
frir, & ferme pour persévérer en ton
amour.
3. L'amour divin est une chose admi
rable; c'estun bien que l'on ne peut assez
estimer. Il n'y a que cet amour qui rende
léger tout ce qui est pesant , & qui
porte avec un esprit également pai
sible la diversite des maux de cette vie.
Les plus pesans fardeaux sont légers
pou? lui. Il trouve douces les choses
les plus ameres.
L'amour de Jésus est généreux &.
noble ; il inspire à l'ame de grands des
seins , il la porte à la perfection.
L'amour de Dieu veut toujours s'éle
ver ; il ne sauroit s'attacher à rien de vil-
& de bas.
Il veut être libre , désintéressé ,
dégagé de toute affection terrestre , de
peur que son regard ne se détourne
de Dieu , de peur que le desir ardent
de quelque avantage temporel ne l'in-
quiete , & que la crainte immodérée de
quelque peine ne l'abatte.
11 n'y a rien dans le Ciel , & sur la
terre de plus ravissant que l'amour ;
rien de plus fort ; rien de plus sublime ;.
rien deplus vaste; rien de plus agréa
m J. Christ. Uv. III. Ch. 5. 20 1
ble; rien de plus solide ; rien de meil
leur; parce que l'amour est né de Dieu,,
qu'il ne peut s'arrêter aux choses créées,
& qu'il ne trouve qu'en Dieu seul le
véritable objet qui le puisse fixer.
4. Celui qui aime, court , vole , rien
ne l'arrête. Il est toujours dans la joie ;
il est libre , désintéressé , & rien ne
l'embarrasse.
Il donne tout ; il a tout ; parce qu'il
n'a de repos qu'en Dieu , seul auteur'
& seule source de tout bien. Il ne re
garde point au don, mais au dona
teur, infiniment au-dessus de tous les
biens & de tous les dons.
L'amour ne reçoit point de bornes
il se répand au-delà de* toutes celles'
qu'on voudroit lui imposer.
Rien ne pèse à l'amour ; il compte'
pour rien toutes les peines & tous les
travaux ; il fait des efforts au-dessus
de ses forces; jamais il ne s'excuse sur sa
foiblesse ; il est persuadé que tout lui
est possible ; il est capable de tout ; il
accomplit, il exécute une infinité de-
choses pour lesquelles celui qui n'a
point d amour, n'a ni force ni vigueur."
.5. L'amour est vigilant , il ne som
meille pas, même lorsqu'on le croit
I 5,
aoz De l' Imitation
endormi. On a beau le fatiguer , il n'est
jamais las ; quand on veut le resserrer ,
il se répand , il se dilate ; il ne craint
pas lorsqu'on tâche de l'épouvanter.
C'est une flamme vive , un feu vio
lent ; il monte , il passe , il perce tout.
Il n'y a que celui qui aime qui puisse
comprendre l'ardeur de ses cris. Ces
paroles de feu , Mon Dieu ! mon amour,
Tu es tout à moi , Sf je fuis tout à Toi !
lorsqu'elles viennent d'une ame embra
sée , sont une puissante voix , qui péné
tre jusqu'au trône , qui frappe les oreil
les de Dieu , quand même elles ne se-
roient pas prononcées par la bouche.
7. Dilate , q, mon Dieu ! & dévelop
pe les facultés de mon ame ; qu'elles
s'étendent dans l'infinité de ton amour,
& que dans le fond de mon cœur j'ap
prenne à goûter combien il y a de dou
ceur à t'aimer, à se fondre & à se
confondre dans ton amour , à nager &
à se perdre dans cet océan insondable.
Osij'étois tellement saisi & possédé
de ton amour que sa violence me ravit .
& m'emportât hors de moi-même &
par dessus moi-même ! O s'il m'étoit
donné de te suivre en haut , mon bien-
aimé en chantant le cantique de l'a-
de J. Christ. Liv. 1ÎL Ch. $. i'<$$
mour , & que mon ame publiat tes
louanges jusqu'à ce que l'excès de ton
amour la fit tomber en défaillance!
Ha fais moi la grace de t'airaer plus
que moi-même! que je ne m'aime qu'à
cause de toi , que j'aime en toi tous
ceux qui ont un vrai amour pour toi,
selon la foi de l'amour qui vient de toi !
7. L'amour est prompt ; l'amour est
sincère; il est pieux ; il est gai ; il est
agréable ; il est fort ; il est patient ; il
est fidele ; il ne se décourage pour nulle
épreuve quelque longue qu'elle soit ; il
est courageux; il ne se cherche jamais
soi-même;car dès que quelqu'un se cher
che soi-même , l'amour s'étouffe en lu?.
L'amour est circonspect ; U est hum
ble ; il est droit; la mollesse & l'incons
tance n'habitent point avec lui ; il ne
s'applique point aux choses vaines : il
est sobre ; il est chaste ; il est ferme ;
il est paisible ; il mate les sens.
L'amo.ux .fait qu'on se tient dans la
soumission ; qu'on se méprise & qu'on
se dédaigne soi-même ; qu'on se con
sacre à Drerô| qu'on lui donne tout en
reèonnoissa"rice de ses miséricordes ;
qu'on se repose sur lui ; qu'on espère
toujours en lui, lors même qu'on est
204 De lf Imitation
dans l'aridité spirituelle ; car dans l'a
mour on ne vit pas sans douleur.
8. Celui qui n'est pas prêt à souffrir
tout , & à se conformer en tout à la
volonté de son bien-aimé , n'est pas
digne d'être regardé comme ayant de
l'amour pour Dieu : car quand on aime
véritablement , on doit embrasser de
bon cœur pour son bien aimé les cho
ses les plus dures & les plus amères ,
& ne s'en pas détourner quand même
tout nous deviendroit contraire. >

CHAPITRE VI.
Celui qui aime véritablement le Seigneur*
, ne fe rebute pas quand il ejl éprouvé
par Vadverjitê.
J e s v s - C h n i s T.

on fils , ton amour n'est encore


„ ni généreux, ni prudent.
Le Disciple -*
Et pourquoi Seigneur ? ;i*/K J":
J E S;JU S - L H B I S T. ' .' , , ,
„ Parce que la moindre difficulté
„ t'arrête & te fait abandonner tes,
„ bons desseins , et que tu es trop
de J. Christ, liv. 111. Ch. 6. 205
„ avide de consolations et de dou-
„ ceurs spirituelles.
„ Celui qui est fortement fondé dans
„ l'amour, demeure ferme au milieu.
„ des tentations , & n'écoute pas les
„ suggestions de l'ennemi. Il m'aime
„ dans l'adversité tout comme dans la
„ prospérité.
„ Quiconque aime sagement ne re-
„ garde pas tant à la qualité du don
„ qu'il recoit, qu'à l'affediion du do-
„ natcur. Il estime davantage son
„ amour que les biens qu'il lui fait ,
„ & il met son bien-aimé au-dessus
„ de tout.
„ Celui qui m'aime d'un amour noble
„ & généreux , ne place pas sa joie
„ & son bonheur dans les faveurs que
je lui accorde, mais en moi & dans
* ma volonté; parce qu'il m'aime plus
„ que tous mes dons.
„ Ne te regarde pas comme perdu
yy & rejeté , s'il t'arrive quelquefois de
v sentir moins d'affèélion pour moi &
yi pour ceux qui m'aiment, que tune
a youdrois.
:„ Ce sentiment délicieux que ta
„ éprouves quelquefois, est un effet
de la présence de ma grace , et ua
soé De l'Imitatiok
„ avant-goût des douceurs du Ciel :
a mais je le donne .& je le retire com-
» me il me plait , k. il ne faut pas t'y
„ appuyer beaucoup.
M Ce que j'estime vertu , & que je
„ récompenserai abondamment , est de
„ combattre les mouvemens déréglés,
„ & les passions du cœur, & de mé-
3, priser toutes les suggestions du
» diable.
3. „ Ne te trouble donc point si de*
„ pensées absurdes et de noires imagv-,
» nations t'assiègent.
„ Demeure ferme dans le bon des-
» sein que tu as pris d'être à moi , et
M tourne vers moi tous tes desirs et
» toutes tes intentions. ;
„ Quoique tu te sentes quelquefois
„ élevé et comme ravi jusqu'au ciel ,
„ et que peu après tu te voies replon-
„ gé dans les folles pensées qui t'atta-
» quent souvent , tu ne dois pas croire
yy pour cela que ton état ne soit qu'il-
„ lusion et tromperie. v - : .
„ Car tu souffres plutôt ces choses
» que tu ne les fais ; pourvu qu'elles-,
„ te déplaisent et que tu y- résistes ,
„ bien loin de te perdre, elles te se-
» ront une occasion de récompense..
be J. Christ. Liv. III. Ch. 6. 207
4. » Sois persuadé que l'ancien ser-
„ pent ne néglige rien pour t'empè-
„ cher de mettre en exécution tes bons
„ desirs , de vaquer à tes exercices de
„ piété , d'imiter la vie des Saints , de
„ pensera mes souffrances , de te tou-
„ venir de tes péchés , de veiller à la
„ garde de ton cœur, et d'accomplir
„ ton dessein d'avancer dans la vertu.
„ C'est pour cela qu'il te suggere
„ souvent de mauvaises pensées pour
„ t'affliger et pour te décourager. Il
met tout en œuvre pour te dégoû-
„ ter de penser à Dieu , pour te dis-
„ traire de l'oraison et de la lecture.
„ Il ne peut souffrir que tu sois tou-
M ché de tes péchés , que leur vue pro-
„ duise en toi une vraie componction
„ de cœur , et s'il pouvoit , il te dé-
„ tourneroit de communiqueravec moi.
„ Ne l'écoute point , ne le crains point ,
9 quoiqu'il te dressesoufent des pièges.
„ Il fait naître dans ton esprit des
„ pensées sales et mauvaises , et il te -
» veut faire croire qu'elles sont de toi.
„ Repousse-le hardiment , et lui dis,.
„ va arriere de moi , Satan , esprit im-
„ monde et malheureux. Oue la honte
» soit ton partage , de vouloir me sug-
2©8 De l' Imitation
„ gérer de telle* horreurs ; esprit trom-
„ peur , pere du mensonge, je ne veux
aucun commerce avec toi ; Jésus
„ mon bouclier impénétrable , combat
» pour moi ; quelques efforts que tu
» fasses , tu demeureras confus.
„ J'aime mieux mourir mille fois et
„ souffrir les plus cruels tourmens, que
» de consentir à ce que tu me présentes.
„ Tais-toi , et ne me parle plus , je ne
„ t'écouterai plus quoique tu m'inquiè-
„ tes. (a) Le Seigneur efi ma lumiere fëf
„ monfalut , de qui aurai-je peur ? Quand
M toute une armée camperait contre moi,
» mon cœur ne craindra point. Car c'est
„ le Seigneur qui m'aide et qui est
„ mon Rédempteur.
5. „ Combats en soldats intrépide ,
„ et si quelquefois tu tombes par foi-
„ blesse, relève-toi et prends de nou-
» velles forces.
„ Espère que ma grace te soutien-
„ dra encore plus fortement ; mais
"v donne-toi de garde de l'orgueil , et
» de la vaine complaisance qu'on trou-
» ve en soi-même.
„ Ce vice est cause que plusieurs'
» sont tombés dans l'illusion, et qucl-
(o.) Ef. 27. v. u.
de J. Christ. Livr. III. Ch. 7. 209
£ quefois même dans un aveuglement
» incurable.
„ Oue la chute de ces orgueilleux ,
„ qui présument follement d'eux-mêr
„ mes, serve à te rendre plus vigilant,
„ plus retenu et plus humble.

CHAPITRE VII.
Il faut être humble dam la grace pré-
fente ou abfente.
Jésus-Christ.

Mon fils , le plus sûr et le plu»


» avantageux pour toi , est de cacher
„ la grace qui est en toi, de ne point t'en
„ glorifier, d'en parler peu , de te re-
„ garder comme indigne de toutes les
„ graces et de tous les dons. Oue plu--
» tôt la vue de ces faveurs célestes te
„ porte à te mépriser toi-même , et a*
» craindre qu'elles n'agravent ta con-
3> damnation.
„ Ne t'accroches pas aux douceurs
„ et aux suavités de la grace , car tu
» peux soudain passer dans un état
„ bien opposé.
„ Oue cette grace , lorsque tu la pos-
» sèdes , te fasse réfléchir sur le misé
no B e Imitation
„ rable état et la sécheresse de ton
» ame , quand tu t'en vois privé.
„ Le progrès que l'on fait dans la
„ vie spirituelle ne consiste pas à
„ éprouver toujours une grace sensi-
„ ble qui console et qui réjouisse ;
» mais singulièrement à souffrir ses pri-
„ vations avec humilité , résignation ,
» patience , renoncement , sans néan-
v moins perdre courage , ni se relâcher
„ de la priere , ni abandonner les exer-
» cices de piété.
„ Au contraire , c'est alors qu'il faut
faire les plus grands efforts , et tout
» ce qu'on peut , pour ne pas se relà-
35 cher dans la sécheresse et les trou-
„ bles de l'ame.
2. „ Combien de gens qui lorsque
„ tout ne va pas à leur gré, tombent
» incontinent dans l'impatience ou dans
„ la paresse ?
„ Considere que (a) lavoye deThom-
„ me riejl pas à lui , que c'est à Dieu
„ de dispenser ses dons et ses graces
„ quand il lui plaît, dans la mesure
„ qu'il lui plaît , sans que personne en
„ doive gloser. ,:
„ Il y en a qui sont si imprudens ,
(a) Jer. 10. v. aj.
de J. Christ. Liv. III. Ch. 7. su
» que de se perdre par une ferveur
„ excessive , parce qu'ils ont entrepris
de faire plus qu'ils ne pouvoient ,
„ ne pensant pas à la petitesse de leurs
» forces; mais suivant plutôt l'empor-
„ tement d'un zèle indiscret , que la
„ lumière divine.
„ Comme ils ont entrepris de faire
„ plus que je n'exigeois , ma grace les a
„ abandonnés soudain. Ainsi , selon la
„ parole du Prophête; voulant (a)
„ mettre leur nid dans le Ciel , ils sont
„ tombés dans un abîme de misères,
& ont vu par leur expérience qu'ils
„ n'étoient que des créatures viles &
9, méprisables ; afin qu'humiliés & se
„ voyant dénués de secours , ils n'o-
„ sassent plus se hasarder à voler d'eux-
„ mêmes , mais qu'ils se tinssent en
„ sûreté sous les ailes de leur maître.
„ Ceux qui sont novices & peu expé-
„ rimentés dans les voies de Dieu ,
„ pourront facilement être séduits , &
„ trouver des écueils qui les brisent ,
„ s'ils ne suivent le conseil des plus
„ sages.
„ 3. Oue s'ils aiment mieux suivre
„ leur propre opinion que les avis de
(a) Abdus. v. 4.
su2 De l' Imitation
„ ceux qui les surpassent en expérien-
„ ce , tout ira mal pour eux , à moins
„ qu'ils ne renoncent enfin à leur pro-
„ pre sens.
„ Il arrive rarement que ceux qui se
„ croient sages se soumettent aux
„ autres.
„ Il vaut mieux avoir peu de dons &
„ une intelligence médiocre avec hu-
„ milité , que de posséder de grands
„ trésors de sciences , avec une vaine
„ complaisance en soi-même.
„ La pauvreté qui humilie est un
„ plus grand bien que les richesses spi-
„ rituelles qui donnent de l'enflure. Ce
„ n'est pas agir avec prudence que de
„ se livrer à la joie , en oubliant ses
„ anciennes misères , & la crainte reli-
„ gieuse qu'on doit avoir de perdre par
„ sa faute la grace que j'accorde.
„ Ce n'est pas agir avec sagesse &
„ avec courage , que de s'abandonner
» au désespoir au tems de l'adversité &
M de l'épreuve, de ne pas donner à ma
„ bonté & à ma protection la confiance
„ qu'elles méritent.
„ Celui qui dans le tems de la paix se
„ confie trop en ses forces , est souvent
de J. Christ. Liv. III. Ch. 7. 213
„ le plus lâche & le plus timide au tems
y> de la guerre.
„ Assurément si tu avois soin de te
„ tenir toujours dans l'humilité & la
„ bassesse , & que tu réglasses ton es-
„ prit avec modération , tu ne tombe-
„ rois pas si souvent dans le péril &
„ dans le péché.
„ Ecoute ce bon conseil que je te
M donne. Lorsque tu seras animé de l'es-
„ prit de zèle & de ferveur , applique-
„ toi à méditer ce que tu devras faire
„ quand ce feu divin se retirera de toi ;
» & lorsqu'il se sera retiré , pense qu'il
» peut t'être donné de nouveau.
Car je l'ôte pour un tems afin de
» t'obliger à te tenir sur tes gardes , &
„ pour te porter à me rendre la gloire
M qui m'appartient.
5. „ Ce changement, qui se fait pour
„ t'éprouver, t'est bien plus utile, que si
„ toutes choses te tournoient à souhait ;
„ car être inondé de consolations , &
„ même , de révélations divines , être
„ savant dans les écritures , être avancé
M à quelque dignité, cela ne prouve
» pas qu'on me soit agréable ; mais ce-
„ lui-là est sûr de mon amour, qui joint
„^ à une humilité profonde, une ardente
8i4 De l' Imitation
„ charité, qui sans vue d'intérêt propre
n cherche ma gloire uniquement , se
„ regarde comme un néant misérable ,
„ se méprise lui-même , aime à être
„ méprisé & abaissé par le prochain
n plus que d'avoir l'estime & l'honneur
M du monde.

CHAPITRE VIII.

Ilfaut reconnaître devant Dieufon néant.


Le Disciple.

i . (a) V Oici maintenant fai pris la har-


diejfe de parler au Seigneur , quoiqueje ne
fois que poudre & cendre. Si je me crois
quelque chose de plus , tu te déclareras
d'abord ennemi demon orgueil, &mes
propres iniquités porteront témoignage
contre moi , sans que je puisse rien allé
guer pour ma défense.
Mais si j'ai pour moi-même le plus
profond mépris , si je m'anéantis en ta
présence , si je pers toute bonne opinion
de moi-même , si je ne m'abaisse &. en
tre dans la cendre & dans la poussière,
comme c'est tout ce que je suis ; alors ta
(a) Gen. 18. v. 27.
de J. CirtisT. Liv. ITT. Ch. si$
grace me sera propice , & ta lumière
éclairera mon cœur; toute l'estime que
j'ai malheureusement pour moi , sera
plongée & engloutie dans ce profond
abîme de mon néant , d'où elle ne se
relevera jamais.
C'est dans cet abîme que tu me mon
tres moi-même à moi-même , que tu me
fais voir ce que je suis , ce que j'ai été ,
& ce que suis devenu.
Maintenant , mon Dieu , je sais que je
ne suis rien ; mais , hélas, je ne l'ai pas
toujours su! Si tu me laisses à moi-mê
me, il n'y a plus en moi que foiblesse &
que néant : au lieu que si tu me regar
des favorablement , incontinent je suis
rempli de foree & d'une joie nouvelle.
Que ta miséricorde est admirable , 6
mon Seigneur ! de relever ainsi mon
ame , & de l'embrasser avec tendresse ,
quoiqu'elle tende toujours vers la terre
par son propre poids.
2. C'est ton amour, ô mon Dieu qui
me prévient par une pure miséricorde,
qui m'assiste en mille besoins , qui me
préserve des périls les plus grands, &
qui me délivre de mes maux , dont le
nombre est infini. . .
Car en m'aimant malheureusement
216 Di l' Imitation
moi-même , je suis perdu , mais en te
cherchant uniquement & en t'aimant
purement & sans intérêt , je me suis
retrouvé avec toi ; & par l'amour j'ai
senti que je devois encore plus m'anéan-
tir que je n'avois fait ; car j'ai connu ,
© mon Bien-aimé ! que tout le bien que
tu me fait ne vient pas de mes mérites ;
& que tu me donnes plus que je n'ose-
rois espérer ou demander.
3. Béni sois-tu , mon Dieu , de ce que
ta Majesté suprême & ta bonté infinie
ne cessent jamais de faire du bien à des
créatures ingrates & rebelles comme
moi.
Converti-nous à toi , afin que nous
soion* vraiment touchés de tes bien
faits, humbles k- ardens à t'aimer;
puisque c'est toi qui est notre salut ,
notre vertu & notre force.

CHAPITRE IX.
Il faut rapporter tout à Dieu comme à
notre derniere fin.
Jésus-Christ.

...Mon fils ! si tu veux être du nom-


v bre des bienheureux , il faut que tu
me
i>e J. Christ. Liv. III. Ch. 9. sijr
r„ me regardes en toute adion comme
„ ton but & ta dernière fin.
„ Cette intention sanélifiera tous tes
„ désirs qui sont souvent souilles par
» une trop grande attache pour toi-
„ même & pour les créatures. .
„ Car si tu te cherches en quoique ce
„ soit, tu tombes incontinent , & tu te
„ desséches en t'éloignant de moi ; rap-
„ porte donc tout à moi seul , car c'est
•„ moi seul qui ai & qui donne tout.
„ Envisage chaque chose en parti-
„ culier comme une émanation du sou-
„ verain bien , par là même renvoie
„ tout à moi comme au principe &
„ à la source de tout.
2. „ Je suis la source d'eau vive , où
„ les petits & les grands , les pau-
vres & les riches puisent les eaux
M salutaires ; je donne grace pour grace
„ à ceux qui me servent & qui m'o-
„ béissent de bon cœur.
„ Celui qui veut tirer sa gloire hors
„ de moi , & se plaire en quelque bien
„ particulier , ne sera pas affermi dans
„ un véritable contentement , & son
„ cœur ne sera pas mis au large & en
„ liberté ; il se sentira plutôt resserré
„ & accablé d'une infinité d'angoisses.
2i8 Del' Imitation
„ Sois attentif à ne t'attribuer au«
„ cun bien, et n'occasionne pas aux au-
„ tres de s'en attribuer eux - mêmes
„ par les louanges que tu leur pourrois
„ donner.
„ Attribue & rends tout à Dieu seul,
„ sans lequel l'homme n'a rien.
„ J'ai tout donné , je veux que tout
„ me soit rendu ; & j'exige avec une
„ exactitude rigoureuse que toutes les
„ louanges & les actions de grace^
„ soient rapportées à moi seul.
„ 3. Cette vérité confond & renverse
„ la vaine gloire , & ce que les enfans
„ du siècle appellent follement la belle
n gloire. Lorsque la grace céleste & la
„ charité entrent dans le cœur , comme
tJ elles éteignent les desirs de l'amour
M1*propre, elles y effacent aussi les im-
„ pressions de l'envie , & de l'ambition,
s> elles élargissent le cœur & le dilatent.
„ L'amour de soi-même n'y trouve
„ plus tié place, car l'amour divin,
„ qui étend & augmente les forces de
„ l'ame , demeure vainqueur de tout.
„ Si tu es sage, tu n'auras de joie
,j qu'en moi seul , & tu n'auras d'es-
„ pérance qu'en moi seul ; parce que
„ (a) nul n'est bon que Dieu , qui doit
(a) Matthv 19. v. 17.
de J. Christ. Liv. III. Ch. ro. 219
„ être loué de toutes choses , &. béni
„ en tout.

CHAPITRE X.
On ne peut fervir Dieu & le monde:
douceurs ineffables que Ton trouve
dans le fervice de Dieu.
Le Disciple.
ï, JE prendrai, Seigneur! la hardisse
de parler encore. Je ne me t'airai point ;
je pousserai les soupirs de mon cœur
jusqu'au trône de mon Dieu , de mon
Seigneur & de mon Roi , dont la Ma
jesté est élevée par dessus toutes choses.
O Seigneur ! (a) combien font grands
les biens que tu as réfervés à ceux qui
te craignent !
Que n'es-tu pas à ceux qui t'aiment,
qui te servent & qui t'obéissent de tout
leur cœur !
C'est une douceur vraiment ineffa
ble que. de pouvoir te contempler ô
éternelle beauté ! comme le font tes
amis sincères. Tû m'as moptré ta ten
dresse; & la grandeur de ton amour
en ceci ; c'est que je n'étois pas , & tu
m'as fais , j'étois égaré , & tu m'as ra-
L (a) Pf. il. v. 20.
Iv 2
220 De l' Imitation
mené , afin que je te serve ; & tu m'as
fais la grace de commander que je
t'aime.
2. O source éternelle d'amour ! Pour-
rois-je bien t'oublier, toi qui as dai
gné te souvenir de moi , lors même que
séparé de toi J'étoisune branche sèche
& morte?
Les miséricordes que tu as faites à
ton serviteur sont plus grandes que je
ïl'aurois jamais osé espérer.
Je n'ai en rien mérité que tu m'ho
nores de ta grace. O Seigneur ! que te
pendrai -je pour tant de faveurs?
Oue te rendrai-je pour celle que tu
m'as faite & que tu ne fais pas à tous ,
de renoncer à toutes choses & au siècle
présent , & de mener -une vie retirée
& intérieure î . .
Te récompenserai-je beaucoup en te
servant, toi à qui toute créature est
obligée d'obéir ?
Tous les services que je puis te ren
dre ne sont rien du tout ; mais la
grace que tu m'as faite de me prendre
pour un de tes serviteurs, & de me
joindre à ceux que tu aimes , malgré
mon indignité & ma bassesse , est
m J. Christ. Lh. lit. Ch. 12. tu
-une grace , que je ne saurois assez
admirer.
3. Voilà, toutes choses sont à toi,
je n'ai rien qui ne soit à toi , & le culte
que je te rends , est un don de ta grace.
Maïs je m'abuse de dire que je te.
sers ; n'est-ce pas plutôt toi , Seigneur !
qui me sers ?
C'est pour le service de l'homme que
tu as créé le ciel & la terre , qui eri
effet servent tous les jours selon les
régies que tu leur imposes.
Et comme si c'étoit peu de chose ,"
tu veux qu'il soit servi par les Anges.
Mais que tu sois devenu de toi-même
le serviteur de l'homme , & que tu ayes
voulu te donner toi-même à lui , c'est
ce qui est au-dessus de toute pensée
& de toute expression.
4. Oue te rendrai-je , Seigneur! pour
ces biens infinis dont tu me combles ?
0 que ne puis-je te servir tous les jours
de ma vie .' Mais hélas ! si seulement
je pouvois te servir un seul jour com
me tu en es digne !
Tu es vraiment digne d'être servi ,
d'être honoré, d'être loué éternelle
ment & par dessus tout.
Tu es mon Seigneur & mon souve
K 3
222 De l' Imitation
rain Maître , & je suis ton pauvre ser
viteur , obligé de te servir de toutes
mes forces , & de publier tes louanges
sans me lasser jamais.
Je le veux, mon Dieu! je le désire;
je te prie de suppléer à ce qui me
manque pour l'accomplissement de ce
desir.
5. Quel honneur ! quelle gloire de te
servir , & de mépriser toutes choses
pour l'amour de toi! ceux qui se sou
mettent de bon cœur à ta sainte obéis
sance , y trouveront des graces très-
abondantes.
Ceux qui rejettent tous les faux plai
sirs , parce qu'ils t'aiment avec ten
dresse , trouveront dans ton St. Esprit
des plaisirs purs & infiniment plus dé
licieux.
Ceux qui pour l'amour de toi entrent
dans la voie étroite, & qui se défont
de tous les soins du monde, jouiront
d'une vraie liberté d'esprit.
6. O divine & aimable servitude , qui
en assujettissant l'homme à son Sei
gneur, le rend non-seulement libre ,
mais véritablement saint ! O état sacré
de l'obéissance chrétienne qui rend
l'homme chéri de Dieu , égal aux An
m J. Christ. lw. III. Ch. 1 1 .
ges , terrible aux démons , recomman-
dable à tous les fidèles ! O heureuse
servitude digne de tous nos souhaits ,
qui nous met dans la jouissance du bien
souverain & de la joie éternelle !

CHAPITRE XI.
Il faut examiner & modérer les dejirs
du cœur y & s'efforcer de plaire à
Dieu.
Jesus-Chbist.

on fils , il te reste beaucoup de


choses à apprendre.
Le Disciple.
a. Seigneur ! quelles sont-elles? 1
Jésus-Christ.
„ C'est que tu dois , mon fils , entié*
rement soumettre ta volonté à mort
bon plaisir, détruire en toi l'amour
propre , et n'avoir plus d'autre passion
que de faire ma volonté.
„ Souvent il naît en toi des desirs
„ qui t'emportent ; mais considere alors
„ si c'est mon honneur ou ton propre
„ intérêt qui te touche.
„ Car si tu ne penses qu'à me plaire ,
K 4
a24 De V Imitation
„ tu demeures en paix de quelque ma*
„ niere que je te traite ; mais si tu te
cherches toi-même secrêtement, tu
dois naturellement être en proie au
„ chagrin & à l'inquiétude.
4. ,, Réprime donc ou suspens du
„ moins les desirs que tu as formés
„ sans me consulter , de peur que tu
„ ne te trouves obligé de t'en repentir,
& de condamner ensuite ce que tu
„ aurois approuvé d'abord & qui t'au-
„ roit semblé le meilleur.
„ On ne doit pas suivre d'abord tous
„ les mouvemens qui paraissent bons t
„ ni rejeter tous ceux qui semblent
mauvais & qui nous choquent.
„ Quelquefois même tu dois te mo-
„ dérer dans les bons mouvemens &
„ les bons desirs, de peur que trop
„ d'empressement ne te fasse égarer,
-a & que tu ne sois en scandale aux au-
M tres par emportement, ou que ren-
„ contrant des personnes qui s'oppo-
„ sent à toi ; cela ne te jette dans le
„ trouble & l'abattement.
„ 5. Quelquefois aussi il faut user de
„ violence , résister fortement aux de-
„ sirs sensuels & mondains, sans se
* soucier de ce que la chair veut ou
de J. Christ. Liv. 7/7. Cb. i 2. 225
^ ne veut pas ; mais s'efforcer de la
„ soumettre malgré elle à l'empire de
„ l'esprit.
„ Il faut la matter & la forcer d'o-
M béir, ne cesser de la maltraiter jus-
„ qu'à ce qu'assouplie & prête à tout ,
„ elle apprenne enfin à se contenter
» de peu , à ne desirer que les choses
» les plus simples & les plus commu-
„ nes, sans jamais se plaindre ni mur-
„ murer de rien.

CHAPITRE XII.
-7/ fautfouffrir les maux avec patience
& fuir les vains plaifirs du monde.
Le Disciple.

..M on Seigneur & mon Dieu ! je


vois bien que la patience m'est néces
saire , parce qu'il me survient beau
coup d'adversités en cette vie.
Quoi que je fasse pour avoir la paix,
j'éprouve que ma vie ne peut être sans
guerre & sans douleurs.
Jésus-Christ.
„ 2. Mon fils, ce que tu dis est très-
» véritable. Mais je ne veux pas que
K 5
226 De i' I m i i a t i e *
„ tu cherches une paix exempte de ten-
„ tations ou de souffrances.
„ Tiens plutôt pour certain que tu
» auras trouvé la paix , lorsque tu te
„ verras exercé par beaucoup d'afflic-
„ tions , & éprouvé par une infinité de
M choses qui te sont contraires. Si tu
^ dis que tu ne peux souffrir autant,com-
„ ment donc pourras-tu endurer le feu
„ de ma justice ?
„ La prudence veut que de deux
„ maux l'on choisisse le moindre.
Choisis donc de souffrir de bon
„ cœur & pour mon amour les maux
„ de la vie présente , afin d'éviter les
maux éternels de la vie à venir-
„ Crois-tu que les hommes du monde
„ ne souffrent rien du tout , ou n'en-
„ durent que de petits maux ?
„ Cela n'est point, & même ceux qui
„ vivent dans les plaisirs & dans la
„ mollesse , ont leurs chagrins & leurs
„ peines.
„ 3. Mais diras-tu ils en sont bien
„ dédommagés , par la facilité qu'ils
„ or.-t de satisfaire leurs desirs, & de
„ jouir des plaisirs de la vie*
de J. Christ. Lh. TTT Cd. \t. vzf
„ 4. Ouand il en seroit quelque chose
& qu'ils auroient même tout ce qu'il»
„ desirent ; combien crois-tu que doit
„ durer ce faux bonheur?
„ Ces riches appellés les heureux
„ du siècle disparoîtront comme la
„ fumée , & la mémoire de tous leurs
„ plaisirs passés périra,
a Ne vois -tu pas que même dès
a maintenant ils trouvent du dégoût &
„ de l'amertume dans leurs fausses
„ joies ; que le repos qu'ils y cherchent
B est mêlé de crainte ; & que souvent
x, ce qui a causé leurs plaisirs se tourne
„ pour eux en supplice ?
„ C'est ma justice qui les en punit de
„ la sorte ; il est raisonnable qu'il»
„ trouvent leur tourment et leur con-
„ fusion dans ces mêmes plaisirs qu'ils
» recherchent contre mon ordre et ma
„ volonté.
„ O que ces plaisirs sont courts, qu'ils
„ sont faux, qu'ils sont brutaux et
„ infâmes!
„ Mais l'yvresse et l'aveuglement de
„ leurs cœurs ne leur laissent point
„ d'intelligence. Ils sont comme des
» brutes , et ils achetent les plaisirs si
228 De t* I m'it a t i o s.
„ courts de cette vie misérable au prix
„ de leurs ames.
» Toi , donc , ô mon fils , ne cherche
„ jamais à satisfaire tes passions; mais
>3 meurs à ta propre volonté, (a) Que
» tout ton plaifir foit en Dieu, S? il
3> accomplira les defirs de ton cœur.
„ 5. Si tu veuxjouir d'unejoie pleine
» & vraiment solide , tu dois la cher-
„ cher par le mépris de toutes les
» choses du monde , & par la fuite
» de tous les plaisirs bas & terrestres.
„ Alors tu verras croître tes béné-
„ dictions & tes consolations.
„ Plus tu te sépareras de tout ce qui
„ peut te satisfaire & te contenter dans
„ les créatures , plus tu trouveras en
x moi de solides contentemens. Maïs
„ il ne t'est pas donné d'y atteindre
» sans avoir été exercé par les tristes-
„ ses spirituelles & par de rudes com-
„ bats. Tes habitudes anciennes revien-
» dront sonner la charge ; il faut en
» acquerir d'opposées qui soient bon-
» nes . & par eHes surmonter les autres».
„ Ta chair se revoltera , mais il lar
„ faut dompter par la ferveur de l'es.
prit. L'ennemi des hommes ne man-
quera pas de t'incite^ au mal , & de
(fl)Pf. 7. *. v ~"
»e J. Christ, tiv. III. Ch. 1 3. 229
t'inquiéter par des tentations; mais tes
„ prières le doivent mettre en fuite , &
„ les efforts que tu feras, joints à une
« sainte occupation , lui fermeront les
„ portes deton ame.

CHAPITRE XIII.
L'exemple de Jéfus- Chrijl nous enfeigne
Nbéiffance &Ja foumiffion.
Jésus-Christ.

...Mon fils! c'est perdre la grace î


» que de se soustraire à l'obéissance ; &
» quiconque veut son bien particulier,
„ perd les biens que j'envoie à ceux qui
» m'aiment uniquement.
» Celui qui ne se soumet pas vo-
„ lontiers & de bon cœur à ceux que
» Dieu a établi sur lui , montre par là
„ que sa nature n'est pas encore domp.
» tée ; mais qu'elle se révolte souvent
„ contre l'esprit.
„ C'est pourquoi si tu veux la vaincre
„ parfaitement, apprends à te soumettre
„ à tes supérieurs ; car quand l'orgueil'"j
» cet ennemi domestique , sera dompté
M & soumis à l'homme intérieur, l'en-
„ nemi du dehors (le monde ou le
^ Diable) sera plutôt vaincu.
230 De l' I m i i a t i o s
„ Ton ame n'a point d'ennemi pîus
„ dangereux que toi-même , lorsque
B tu ne te rends pas à la Loi de l'esprit.
„ Il faut nécessairement que tu
„ apprennes à te mépriser si tu veux
„ remporter la victoire sur la chair
» le fatig.
„ Tu ne refuse de te soumettre à la
» volonté des autres que parce que
„ tu es encore trop plein d'orgueil &.
» d'amour pour toi-même.
„ 2. Mais est-ce une si grande affaire
j, que toi , qui n'es que de la poudre
M et qu'un rien te soumettes à quel-
„ ques hommes parce que Dieu le veut ;
M si Moi qui suis le Dieu Très- haut et
„ le Tout-puissant, qui ai créé toutes
rien, je me suis soumis
„ humblement aux hommes pour l'a-
„ mour de toi ; je me suis rendu le
„ plus humble et le dernier de tous
„ afin de dompter ton orgueil par mon
„ humilité.
Apprends donc , ô cendre orgueil*
„ leuse , apprends à obéir! apprends
„ à Rabaisser , toi qui n'es que terre et
„ que boue, apprends à te laisser fou
it 1er sous les pieds de tous les hommes.
' » Apprends à rompre tes malheur
de J. Christ. Liv. III. Ch. 14. 231
'K reuses volontés , et te soumettre à ce
„ que Dieu voudra. /
„ 3. Mets-toi en colere contre toUmè-
» me , et étouffe les premiers rnouve-
„ mens de présomption qui paissent
M dans ton esprit.
„ Rends-toi si petit et abaisse-toi
„ tellement , que tous les hommes te
„ foulent à leurs pieds , comme on
M fait la boue des rues.
„ Pécheur abominable, homme de
„ néant ! qu'as-tu dont tu puisses te
„ plaindre ? Pécheur vil et odieux f
„ comment oserois-tu te soulever aux
„ reproches et aux injures qu'on te
L peut faire , toi qui a si souvent of-
„ fensé ton Dieu , et qui as mille fois
„ mérité l'enfer!
„ Mais ton ame a été précieuse à
„ mes yeux, et je t'ai pardonné, et je
„ t'ai fait connoitre la grandeur de
„ l'amour que j'ai pour toi , afin de
„ t'obliger à être reconnoissant de me»
„ graces, et que souffrant avec pa-
„ tience d'être avili et méprisé de tousr
„ tu apprennes la soumission et l'fau-
„ milité.
âj2 De l' Imitation

CHAPITRE XIV.
// faut confidérer la grandeur de Dieu
& notre néant , & ne pas tirer vanité
de nos bonnes œuvres.
Le Disciple.

i. X es paroles , Seigneur ! sont des


foudres et des tonnerres qui m'éton-
nent , dans la considération de tes ju-
gemens.
Je tremble d'une crainte qui me pé
nêtre les os , et mon ame est saisie de
frayeur.
Je suis étonné et tout hors de moi,
quand je viens à considérer (a) que les
deux même ne font pas purs devant toi.
Si tu as trouvé de la corruption dans
les Anges , et si tu les as punis , hélas !
que deviendrai-je ?
Si les étoiles sont tombées du Ciel,
que dois-je attendre , moi qui ne suis
que boue ?
J'ai vu tomber dans le précipice des
f>ersonnes dont la conduite avoit para
ouable.
J'ai vu ceux qui mangeoient le pain
(a) Job 15, t. jj.
de J. Christ. Liv. III. Cbap. 4. 233
des Anges , prendre plaisir à la nour
riture des pourceaux.
2. 0 Seigneur! où est la sainteté qui
puisse subsister lorsque tu retires ta
main ?
Où est la sagesse , lorsque tu quittes
le gouvernement d'une ame ?
Où est la force , lorsque tu refuses le
concours de ta grace?
Où est la chasteté & la pureté qui
puissent se maintenir > lorsque tu retire
ta protection ?
Rien n'est bien gardé si tu ne veilles
toi-même. Aussitôt que tu nous laisses ,
nous nous précipitons dans l'abîme; &
nous n'en revenons point par une vie
nouvelle , si tu ne reviens à nous.
Nous ne sommes qu'inconstance &
que faiblesse ; il n'y a que toi qui puis
ses nous affermir, nous ne sommes que
des tièdes & des lâches , & c'est toi seul
qui peux nous donner du zèle & de la
vigueur.
O mon Dieu ! que j'ai grand sujet de
me mépriser, & de compter pour peu de
chose tout le bien qu'on croit que je fais.
O Seigneur ! que je dois m'humilier,
lorsque j'entre dans l'abîme de tesjuge-
mens puisque je ne suis qu'un rien, na
séant.
234 De l' Imitation
O grandeur immense! O mer sans
fond & sans rives, dans laquelle je ne
trouve de moi qu'un rien absolu , un
néant par-tout.
Où pourra donc trouver place la
vaine gloire, & la confiance que j'ai en
mes forces & dans ma vertu ?
O Dieu! toute ma gloire prétendue
est abîmée dans la profondeur de tes
jugemens sur moi.
Qu'est-ce que c'est que toute chair
devant tes jeux perçans ? L'argile s'élé-
vera-t-elle contre celui qui la met en
œuvre ?
Comment se pourroît enfler des vains
applaudissemens du monde , celui dont
le cœur est soumis à Dieu par la vérité ?
Celui que la vérité a fait abaisser en
le soumettant à elle-même , ne s'élevera
pas quand même tout le monde feroit
ses efforts pour lui inspirer de l'orgueil.
Celui qui est fondé en Dieu ne se lais
sera jamais toucher par les louanges des
hommes , car ceux qui louent , & leurs
louanges , ne sont que vanité , tout cela
périra , mais (a) la vérité de Dieu demeu
rera éternellement.
\ (a) PC 6. v. 3.
J. Christ. Liv. III. Ch. 15. 235;

CHAPITRE XV.
Il faut vouloir tout ce que Dieu veut,
& non ce qui nous feroit agréable.
Jesus-Christ.

on fi 1s , je veux que tu me dises en


M toute affaire; Seigneur, que telle chofe
„ fe fajfe ,fi fefi ta volonté!
„ Seigneur , que cela fe fajfe , fi c'efi
» pour la gloire de ton nom !
„ Seigmur , fi tu prévois que cecifoit
» bon & utile pour mon falut, donne-
„ moi , je te prie , de m'en fervir à ta
» gloire ; mais fi tu vois que cela me
M feroit nuifible défavantageux au
„ falut de mon ame , fais-moi la grace
„ d'en éteindre le défir en moi ! .'-
„ Car tout désir ne vient pas du St.
„ Esprit quoiqu'il paroisse juste & bon
„ à l'homme.
„ C'est une chose bien difficile de
„ juger si les désirs que l'on a , viennent
„ du bon Esprit , ou de l'esprit malin ,
>5 ou de la propre fantaisie de chacun.
„ Plusieurs se sont vus trompés sur
w la fin qui s'imaginoient au comraen-
» ment que c'étoit l'Esprit de Dieu qui
„ les inspiroit.
5536 D i l' Imitation
„ 2. Lors donc que quelque chose
te semble désirable , tu ne dois me la
,3 demander toutefois qu'avec crainte
& humilité, & en telle maniere, que
„ renonçant à ta volonté propre , tu
„ résignes le tout à ma disposition.
„ Tu dois me dire en toute occasion ;
Seigneur., tu fais ce qui ejl le meilleur.
Que ceci fe fajfe ou neJe fajfe pas, comme
ilftmblera bon à ta divine volonté.
• Donne-moi ce qui te plaît, & au tems
qu'il' te plaît.
Difpofe & fais de moi comme tu Ven
tends , felon ton bon plaifir , &félon que

Mets moi où tu voudras , & difpofe de


moi en toutes chofes avec une entière li
berté. Je fuis en ta main, tourne-moi,
retourne-moi , fais- moi aller d'un coté S?
d'un autre comme il te plaira.
Voici je fuis ton ferviteur , je fuis prêt
à tout ;je ne défire pas de vivre pour moi,
mais pour toi; 0 qu'il me fait donné
par ta grace de le faire dignement &
parfaitement !
5. O mon très-miséricordieux Sau
veur ! accorde-moi ta grace , qu'elle soit
avec moi, qu'elle travaille avec moi,
de J. Christ. Lh. III. Ch. 15. zif
& qu'elle demeure avec moi jusqu'à
la fin.
Fais que je désire & que je veuille tou?
jours ce qui t'est agréable. Oue je n'aie
point de volonté que la tienne , & qut
la mienne se conforme toujours i
elle.
Fais que je veuille tout ce que tu
veux , que j'aime tout ce que tu aimes -
que je rejete tout ce que tu rejetes , :er
un mot que ma volonté soit tellement
soumise à la tienne , que je ne puisse
vouloir ou ne vouloir pas , que ce que
tu veux ou ne veux pas.
4. Accorde-moi la grace de mourir k
tout, d'aimer à être méprisé dans le
monde , pour l'amour de toi , & à n'a-
voir pas de plus grand plaisir que d'y
être inconnu.
Fais , mon Dieu ! que je me repose en
toi , & point en ce qu'on peut désirer
hors de toi ; fais que mon cœur ne cher
che point de paix qu'en toi.
Tu es la véritable paix du cœur , tu
es son repos; hors de toi il n'y a que
trouble & inquiétude, (a) Je me repo*
ferai & dormirai en paix, c'est- à- dire •
(a) PC 4. v. 9.
«3$ D E i/ IMITATION
en toi , ô mon Dieu ! qui es le bien uni
que , souverain & éternel.

CHAPITRE XVI.

// faut chercher la véritable confolntion


en Dieu feul, & non dans le monde.
Le Disciple.

i. A out ce que je saurois désirer,


toutes les joies & les consolations que
j'attends , ne sont point dans cette vie.
Ouand j'aurois moi seul toutes les
joies du monde , & que je jouirois de
toutes ses délices , il est certain que
cela ne pourroit pas durer longtems.
Ainsi , ô mon ame ! tu ne peux trouver
de consolation & de repos véritable
qu'en Dieu , qui est la joie & la con
solation des pauvres & des humbles.
Attends un peu, mon ame! attends
l'effet des promesses de ton Dieu , & tu
seras comblée de biens dans le Ciel.
Tu ne peux désirer les choses présen
tes contre l'ordre de Dieu , qu'en per
dait les célestes & éternelles.
Use de celles-là comme en passant ,
pour la seule nécessité ; n'en sois point
de J. Christ. Lh. III. Ch. 16. 239
dominé ; mais que le but de tous tes dé
sirs soit l'éternité.
Les biens temporels ne sont pas capa-'
bles de te rassasier , parce que leur
jouissance n'est pas la fin de ta création.
2. Quand tu aurois la possession de
toutes les créatures , il te seroit impos
sible d'être heureuse ici-bas.
C'est en Dieu seul , dans le seul Créa
teur, que tu dois trouver ta béatitude;
non une béatitude semblable à celle que
les insensés qui aiment le monde , s'i
maginent grossièrement & désirent fol
lement pour eux ; mais une béatitude
digne de ceux qui ont suivi Jésus-Christ
avec fidélité ; une béatitude dont les
hommes qui vivent selon l'esprit , &
desquels le cœur est sanctifié , & la con
versation céleste , ont quelquefois des
avants-goûts.
La joie qui vient des choses humaines
est vaine & de peu de durée. La joie
solide & parfaite , est celle que produit
dans le cœur la vérité des choses di,
vines.
Une personne qui consacre à Dieu,
toute sa vie , porte toujours avec soi son
consolateur qui est Jésus-Christ , & lui
dit sans cesse ; Demeure toujours & par*
*4° De l' Imitation
tout avec moi , ê mon Jésus ! &f que toute
ma joie ,joit d'être privé fans regret de
toutes les joies humaines.
Que fi même il te plaît de me priver du
fcntiment de tes douceurs & de tes joies
divines , fais , je te prie , que ta volonté
foit ma joie, Ç-f que facquiefce de bon
cœur au bon plaifir que tu auras de m'é-
prouver. Car ta colère & tes menaces ne
font pas pour durer toujours.

CHAPITRE XVII.
Il fautfe repofer fur Dieu de tout le foin
de nous-mêmes , & lui abandonner
notre conduite.
Jésus-Chbist.

i.Mon fils ! laisse-moi disposer de toi


„ à mon gré. Je sais ce qui te convient.
„ Tu penses en homme ; lu juges d'une
„. infinité de choses comme font les
„ hommes , par des affedtions & des
„ inclinations toutes humaines.
Le Disciple.
Seigneur! ce que tu dis n'est que trop
, véritable. Le soin que tu prends de moi
est bien plus grand , & vaut bien mieux
que
de J. Christ. Liv. III. Ch. 17. 241
que celui que je pourvois en avoir moi-
même.
L'homme qui ne se repose par sur toi
en toutes choses & dans tout ce qui le;
concerne ,, est en danger de faire àc
lourdes chûtes.
Fais, Seigneur! que ma volonté soit
droite & constamment attachée à la
tienne, & quant au reste., fais' de moi
tout ce qu'il te plaira ; car tout ce que
tu feras , ne peut être que très-bien fait.
Si tu veux que je sois dans les ténè
bres , je t'en rends graces. Si tu veux
que je sois dans la lumière, je t'en rends
graces. Situ daignes me consoler , ton
Nom en soit béni. Si tu veux que je sois
affligé , ton saint nom en soit béni de
même.
J É S U S - C II R I S T.
3. „ C'est ainsi, mon fils! que tu dois
„ être disposé si tu veux marcher avec
„ moi. Tu dois être aussi prêt à souffrir.
„ qu'à recevoir de la joie. Tu dois être
dans la disette & dans la pauvreté,
„ d'aussi bon cœur, que dans l'abon-
„ danec & dans les richesses.
243 De l' Imitation

Le Disciple.
4. Je veux , Seigneur ! souffrir de bon
cœur tout ce qui rn'arrivera par la dis-
pensation de ta sage providence.
Je recevrai également de ta main le
bien k le mal, le doux & l'amer, la joie
&. la tristesse; & quoiqu'il m'arrive, je
te rendrai pour toutes choses des ac
tions de graces.
Préserve seulement mon ame de tout*
péché, & je ne craindrai ni la mort ni
l'enfer.
Ne me rejeté point pour jamais de
devant ta face , & n'efface point mon
nom du livre de vie ; alors quoiqu'il
arrive , je suis certain que rien ne pourra
me nuire.

CHAPITRE XVIII.
A l'exemple de Jéfus- Cbrifl nous devons
/apporter avec patience les mijeres de
cette vie.
Jésus-Christ.

1. iVloN fils! je suis descendu du Ciel


„ pour ton salut ; j'ai pris sur moi tes
de J. Christ. Liv. III. Ch. rg. 443
misères , non par force , mais par
„ amour , afin de t'animer à la patience ,
„ afin de ne point t'attrister des maux
„ passagers.
' „ Car dès le moment de ma. nais-
„ sance , jusqu'à celui de ma mort sur le
„ Calvaire , je n'ai jamais été sans dou-
„ leurs. ... .'
• „ J'ai manqué de toutes les douceurs
'„ de la vie.
'„ J'ai très-souvent entendu murmu-
'„ rer contre moi ; j'ai souffert paisible-
„ ment la honte , les injures & les outra-
„ ges dont on m'a couvert.
„ Pour tous les biens que j'ai faits , je
„ n'ai trouvé que de l'ingratitude ; on a
„ payé mes miracles de blasphèmes ;
„ oc on ne m'a rendu que des insultes
„ pour tous les saints enseignemens
» que j'ai donnés.
Le Disciple.
Seigneur ! puisque tu as été si patient
pendant toute ta vie . &, que c'est sur
tout en cela que tu 'as accompli la vo
lonté de ton Pere ; il est bien juste que
n'étant comme je suis, qu'un miserable
pécheur, je me résigne à la patience
pour accomplir ta volonté , & que je
244 P e l' Imitation
porte le fardeau de ee corps mortel
aussi long-tems qu'il te plaira pour mon
salut. - ; ;
Car quoique cette vie temporelle soit
un fardeau. bien pénible, ta grace néan
moins le rend léger & salutaire ; & ton
exemple avec celui de tes Saints donne
aux foibles le courage de le porter,
même avec beaucoup plus de joie & de
consolation que n'en ont pu avoir ceux
qui vivoient autrefois sous l'ancienne
Loi , lorsque le lieu très-saint n'étoit
pas encore ouvert , que la voie qui y
mene étoit fort obscure , & que le nom
bre de ceux quicherchoient le Royaume
du ciel étoit petit. .
Et alors même tous les justes qui de
voient être sauvés & introduits dans ton,
Royaume, ne le pouvoient être que par
tes souffrances & par ta mort:
3. Q Seigneur ! puisque tu as daigné
me montrer la droite voie qui conduit à
ton Royaume éternel , combien d'ac
tions de graces ne dois-je pas te rendre?
Ta vie est notre voie, & par l'exercice
de la patience, cette excellente vertu,
nous nous approchons de toi , qui es
notre couronne & notre béatitude.
Si tu ne nous avois fraié le chemin
de J. Christ. Liv. IÎJ. Ch. 19. 245
par ta parole h par ton exemple, qui
auroit voulu y entrer & le suivre ?
O combien yen auroit-il qui s'en éloi
gneroient & rebrousseroient en arrière ,
si la vue du grand exemple que tu nous
as laissé ne leur donnoit du courage!
Nous demeurons encore tièdes après
la lecture & la connoissance de tant de
miracles que tu as fait , & de tant de
saintes instructions que tu nous as don
nées; que seroit-ce donc si nous n'a
vions pas le divin flambeau de ta vie ?

C H A P I T R E XIX.
Il faut fupportcr les injures, ce qui ejl la
marque de la véritable patience.
Jésus-Christ.

i. Ne cesseras-tu pas de te plaindre en


» considérant mes souffrances & celles
M de mes Saints ? (a) Tu n'as pas encore
>, réfilié jufquau fang en combattant
„ contre le peche'.
„ Tout ce que tu souffres est peu de
„ chose , si on le compare à ce qu'ont
„ souffert tant d'autres qui ont été
„ exercés par des tentations très-vio-
(a) Hebr. 12. v. 4,.
h 3
" 246 De l' Imitation
„ lentes , & par des maux dont la gran-
„ deur , le nombre & la durée étoient
extrêmes.
„ Pense aux excessives afflictions
„ qu'ils ont soufferts, afin de supporter
„ de bon cœur les tiennes qui sont
„ petites en comparaison.
„ Oue si tes peines ne te paroissent
„ pas légères , prends garde que ton
» impatience n'en soit la cause.
„ Mais quelles qu'elles soient, tâche
K de les porter avec patience.
„ 2. Plus ton cœur acquiescera à em-
M brasser les souffrances , plus tu de-
» viendras sage & agréable à mes jeux ;
„ & si l'occasion de souffrir t'est sou-
,, vent présentée, & que tu t'y soumet-
„ tes de bon cœur, tous les maux te
» deviendront plus légers.
„ Ne dis jamais , il tn'ejl impojjîble de
fovffrir cela d'un tel homme. S'il rriavoit
attaqué d'une autre maniere , je l'aurais
enduré; mais de m'avoir fait ce tort ,
c'ejl ce que je ne puis fupporter. Voyez
quel dommage il m'a fait ? quelle injure !
quel déshonneur ! Il me noircit en niin-
putant des chofes dont je n'ai jamais eu
la moindre penfée. Encore pourrois-je
bien fouffrir de quelqiCautre certaines
de J. Christ. Liv. III. Ch. 1 9. 247
chofes que l'on peut raisonnablement
fouffrir.
„ Ces pensées, mon fils! sont in-
„ sensées ; elles marquent qu'on ne re-
„ garde que l'offense & la personne
„ qui l'a commise ; & que l'on ne con-
„ sidere pas en quoi consiste la vraie
„ patience , ni qui doit la couronner.
„ 3. Ce n'est pas posséder cette vertu
„ que de ne prétendre souffrir qu'au-
„ tant qu'on veut , & de qui l'on veut.
„ Un homme vraiment patient ne
» rejette point les jeux sur celui qui
„ le fait souffrir , il ne regarde point
„ si c'est un supérieur ou un égal, ou
„ un inférieur; si c'est un homme qui
» soit en réputation de probité & de
» sainteté ou un infâme & un méchant.
„ Mais toutes les fois qu'il lui arrive
„ quoique ce soit de fâcheux, il le re-
„ coit également de toutes les créa-
„ tures , il l'embrasse de bon cœur
„ comme si c'étoit Dieu même qui le
„ lui présentât de sa main paternelle,
8 & il croit y trouver un grand avan-
» tage ; puisqu'on ne sauroit souffrir la
„- moindre chose du monde pour l'a-
» mour de Dieu , que Dieu n'en tienne
„ compte.
.248 Dé l' I m I t a ï i ou
,, 4. Si donc tu aspires à la gloire
„ du triomphe , sois toujours prêt à
„ combattre en souffrant-
„ Tu ne remporteras point la cou^
„ vonne de la patience sans combattre
de la sorte.
., Si tu ne veux pas souffrir", tu ne
» veux pas aussi être couronné. Désires-
tu la couronne, combats courageu-
,} sement ; souffre , endure , supporte
tout patiemment. Le repos est la ré-
„ compense du travail; & la victoire
n la récompense du combat.
Le Disciple.
Seigneur mon Dieu ! toutes choses
paraissent impossibles à la faiblesse de
ma nature ; fai s'il te plaît, que ta grace
me les rende possibles.
Tu connois parfaitement mon im
puissance naturelle , combien peu je
suis propre à souffrir , & que je suis si
sensible aux moindres maux, qu'il ne
faut presque rien pour m'abattre.
Oue ta grace me dispose tellement
aux souffrances & aux afflidlions, qu'el
les fassent l'objet de mon amour, de
mes vœux & de ma joie, convaincu
qu'il ne peut rien m'arriver de plus
de J. Christ. Liv. III. Ch. 20. 149
heureux & de plus salutaire que de
souffrir toutes sortes de maux pour l'a
mour de toi & de ta divine volonté.

CHAPITRE XX.
De Faveu de fa propre foiblejje , & des
mijères de cette vie.
Le Disciple.

I. Seigneur! je me présente devant


toi pour te confesser toutes mes offen
ses & toutes mes foiblesses. Je fais
des résolutions d'agir avec courage ;
mais la plus légere tentation me trou
ble & me consterne -
' Il arrive même qu'une chose de néant
est souvent l'occasion d'une grande
tentation ; & lorsque je me crois en
assurance, parce que je ne vois pas
le péril , je trouve peu après qu'un
petit souffle me renverse tout à coup.
- 2. Jette donc les jeux , Seigneu r ! sur
ma foiblesse & sur ma fragilité que tu
cou n ois à fond.
,. Souviens-toi d'exercer tes miséricor
des envers ta créature.
Tire moi de la boue où je suis plon
gé ; ne permets pas que j'y enfonce tel
250 De l' Imitation
lement que j'y demeure engagé pouïf
toujours.
Ma fragilité & ma foiblesse , quand
il s'agit de résister à mes passions, me
pénétrent de douleur & de honte.
Car encore que ta grace m'empêche
de consentir au péché; ce n'est pour
tant qu'avec une peine extrême, que
je sens son aiguillon , & je suis las de
vivre tous les jours dans cette guerre
intestine. r
Et ce qui me fait encore plus eon-
noître ma foiblesse , c'est que lesmau-;
vaises pensées & les imaginations dé
testables , entrent bien plus aisément
dans mon ame , qu'elles n'en sortent.
3. O protecteur. d'Israël ! Epoux ja
loux des ames fidèles ! regarde , s'il te
plaît , le travail et les peines de ton
serviteur , & le favorise de ton assis
tance dans sa course.
Revets-moi d'une force céleste , de
peur que mon vieil homme & que ma
malheureuse chair , qui n'est pas en-t
eore pleinement soumise , & contre la
quelle je dois combattre toute ma vie,
ne prévalent contre moi , & ne de
viennent les plus forts.
Hélas ! que cette Yie pleine d'au
de J. Christ. Liv. 117. Ch. 20? 251
froisses & de misères , pleine de pièges
& de filets , exposée à tant d'ennemis,
est une vie malheureuse !
Un mal est suivi d'un autre mal , &
une tentation succède à une autre ;
même pendant que nous sommes en
core aux mains avec un ennemi , il en
survient une infinité d'autres qui nous
accablent inopinément.
4. Comment peut - on aimer une
vie si pleine d'amertume , & accablée
de tant de misères.
Comment peut-on donner le nom de
vie à un état qui ne renferme que ma
ladie et que mort ?
Cependant on ne laisse pas de l'ai
mer , & d'en faire sa joie & ses délices.
On déclame souvent contre la vanité
du monde; on le représente vain &
trompeur , on dit que ses objets ne
sont qu'une figure creuse & une dispa-
roissante fumée ; & cependant on ne
veut pas l'abandonner ; parce que la
convoitise & les passions de la chair
dominent encore dans nos cœurs.
Il y a des choses qui nous portent à
aimer le monde ,' il y en a qui nous
portent à le mépriser.
L6
252 De l' Imitation
( a) L'inclination & la convoitise de
la chair , celle des yeux , l'orgueil
de la vie » nous entraînent d'un côté
vers le monde; & de l'autre, les pei
nes & l'état misérable qui nous talon
nent , nous devroient inspirer de la
haine & de l'aversion pour lui.
5. Mais , malheureux que nous som
mes , au heu de nous servir du monde
même contre le monde, qui semblable
aux animaux vén-imeux porte en lui-
même le remède contre son poison ,
notre ame y est si fort attachée, si
eramponée , si amarrée , que nous nous
laissons 'amorcer par ses faux plaisirs,
par ses caresses, & que nous ne vou
lons jamais voir l'épine cachée sous la
lîeur de ses détestables délices.
Cela vient de ce que nous n'avons
jamais bien goûté la douceur qui est
en Dieu , ni vu les beautés célestes Se
intérieures de la vertu.
Ceux qui méprisent parfaitement le
monde , & qui consacrent leur vie à
Dieu par une sainte obéissance , n'igno
rent pas quelle est la divine douceur
promise à ceux qui pratiquant le saiint
renoncement, font un éternel adieu au
(a) 2. Jean 2, v. 16.
de J. Christ. Llv. III. Ch. 21. 253
siecle, & Dieu leur fait voir clairement
dans quel abime de ténèbres , d'erreurs
& de séductions , le inonde est plongé.

CHAPITRE XXI.
Dieu vifite le cœur qui Paime £«? qui le
prie.
Le Disciple.

1. v/est le Seigneur qui est le repos


éternel des Saints , & c'est pourquoi ,
ô mon ame! tu dois te reposer en lui
uniquement & par dessus toutes choses.
O Jésus, Dieu très-doux et très-aima
ble ! fai moi la grace de m'élever au-
dessus de toutes les créatures, pour ne
trouver mon repos qu'en toi seul ; que
je m'élève au-dessus de la santé et de
la beauté ; au-dessus de la gloire et de
l'honneur; au-dessus de la puissance
et des dignités ; au-dessus de la science,
des connoissances & de tous les arts ;
au-dessus des richesses; au-dessus de
la joie et des amusemens ; au-dessus
de la réputation et de la louange ; au-
dessus des douceur» et des plaisirs;
au-dessus de toute espérance et de
toute promesse ; au-dessus de tout ce
a$4 De l' ImitatioS
que nous pouvons acquerir ou desirer;
au-dessus de tous les dons et de tou
tes, les graces que tu peux faire ; au-
dessus de toutes les joies célestes et des
ravissemens divins ; enfin au-dessus des
Anges et des Archanges , de toute l'ar
mée des Cieux ; de toutes les choses
visibles ; et pour tout dire , ô mon Dieu !
au-dessus de tout ce qui n'est pas toi-
même.
2. Car c'est en toi seul , ô mon Sei
gneur et mon Dieu! qu'on trouve au
plus haut degré , la bonté , la gran
deur , la puissance, la douceur et les
vrais plaisirs. Il n'y a que toi de beau
et d'aimable, de noble et de magnifique.
Tous les biens sont parfaitement unis
et renfermés en toi; ils y ont toujours
été , ils y seront toujours ; c'est pour
quoi tout ce que tu me donnes et qui
n'est pas toi-même , est peu de chose;
tout ce que tu me révèles et que tu
me promets, ne me contente pas , lors»
que tu ne te fais pas voir, et que tu
ne te donnes pas toi même.
Car en vérité mon cœur ne peut
trouver de repos et de contentement
qu'en toi seul, au-dessus de tous tes
dons et de toutes les créatures.
de J. Christ. Liv. III. Ch. ti. 255
3. Jésus , aimable époux de mon ame,
Jésus ami très - pur , Jé;>us souverain
Maître des créatures , qui rompra me*
chaînes, et me donnera des ailes pour
voler à toi , afin d'y établir mon repos !
Ouand me sera-t-il donné de con
templer ta face , de voir et de goûter
combien tu es doux et aimable.
Ouand sortirai-je de mon égarement
et de ma dissipation , pour m'attacher,
me dévouer si étroitement à toi , qu'a
bîmé dans ton amour, je ne sente, je
ne voie ,je ne goûte que toi seul, au-
dessus de tout sentiment, d'une manière
inconnue au monde, et qui surpasse
toute opération du sens !
Maintenant je suis dans un état qui
me fait souvent gémir , et qui me char
geant du poids de mes misères courbe
mon dos sous leur pesanteur.
Souvent le trouble , la tristesse , l'an
goisse me saisissent à la vue des maux
innombrables qui m'assaillent dans
cette vallée de larmes; les uns m'em
barrassent et ma distraient ; les autres
m'attirent et me charment, afin queje ne
puisse pas aller librement à toi , pour
jouir des délices dont tu combles, le*
esprits célestes.
256 De l' Imitation
Seigneur ! laisse - toi fléchir par les
soupirs de mon cœur, & sois touché
de tant de maux que je souffre.
4. O Jésus ! splendeur de la gloire
éternelle , & consolateur de l'ame qui
déplore l'exil où elle est! ma bouche
est ouverte , mais ma langue est muette
devant toi ; mon cœur fait l'office de
ma langue , & mon silence te parle.
Mon Seigneur tardera t-il long-tems
à venir ?
O qu'il vienne me soulager dans mes
peines, & rejouir mon ame ! Qu'il avance
sa main ; qu'il me tire de ma misère.
Viens , mon Bien - aimé , viens je te
conjure! Je ne puis avoir un jour, ni
même une heure de joie sans toi.
' Tu es toute ma joie; ma table est
vide sans toi qui est ma nourriture.
Je suis misérable , comme dans une
prison , chargé de chaînes; je soupire
après la lumière de ta présence , afin
qu'elle me restaure , me rende la liberté
& me fasse voir, ton visage favorable.
5. Oue les autres cherchent & aiment
au lieu de toi tout ce qui leur plaira »
pour moi rien ne me plaît & ne me
plaira que toi, mon Dieu! mon espé
rance & ma félicité éternelle.
T>fe J. Christ, tiv. IÎI. Ch. 21. 4$?
Je ne me tairai point ; je ne cesserai
point de t'importuner par mes prieres,
jusqu'à ce que ta grace revienne à moi ,
& que tu te fasses entendre dans le fond
de mon cœur.
Jesus-Christ.
6. „ Voici , je viens à toi : mon fils !
me voici ; parce que tu m'as cherché
partes prières. Tes larmes, les soupirs
de ton ame , l'abaissement & la contri
tion de ton cœur , m'ont attiré & m'ont
fait venir vers toi. ,>
Le Disciple.
Il est vrai , Seigneur , je t'ai demandé
cette grace , j'ai ardemment desiré de
te posséder, & pour jouir de toi il n'est
rien que je ne quitte. Mais c'est toi-
même qui m'as prévenu , qui m'as ins
piré le desir de te chercher.
Béni sois-tu , mon Dieu , d'avoir agi
envers moi par une bonté si singulière,
d'avoir déployé sur ton serviteur de si
grandes miséricordes.
Oue te pourroit dire de plus ton ser
viteur, ô mon Dieu! Il n'a qu'à mor
dre la poudre devant toi , repassant
sans cesse dans son esprit la multitude
258 De l' Imitation
de ses offenses , & la grandeur de sa
bassesse.
Seigneur ! qui est pareil à toi au ciel
ou sur la terre ?
Tu ne fais rien que d'excellent &
d'achevé , tes jugemens , Seigneur , sont
très-équitables, ta providence gouverne
toutes choses. Oue ma bouche , que mon
ame, que toutes tes créatures, te louent,
te glorifient , & te bénissent éternelle
ment , ô sagesse éternelle du Père.

CHAPITRE XXU.
Du fouvenir des bienfaits de Dieu &
de la reconmijjance que nous en devons
avoir.
Le Disciple.

i. Seigneur! ouvre mon cœur à ta


Loi , & m'enseigne à marcher dans tes
saints commandement. Fai moi bien
connoitre ta sainte volonté , & que je
considère avec un cœur touché toutes
les graces générales h. particulières que
tu m'as faites , afin que comme je le
dois , je fonde de reconnoissance.
Car jamais je ne saurois te rendre
de J. Christ. Iiv. III. Ch. stt. 259
les acVions de graces & les louanges que
méritent les moindres de tes biens.
Je suis au-dessous de tous les biens
qu'il t'a plu me faire; & lorsque je jette
les yeux sur ta grandeur , je demeure
accablé sous le poids de ta Majesté
infinie.
2. Tout ce qu'il y a de bien à l'ame
& au corps , tous ceux que nous possé
dons au-dedans ou au dehors, dans
l'état naturel , & dans le surnaturel,
sont des effets de ta grace, de ta bonté &
de ta libéralité , qui sont la source de
tous nos biens.
Les uns en ont plus, les autres en
ont moins ; mais tout ce qu'ils ont, vient
de toi , est à toi ; & sans toi il est im
possible d'avoir le moindre bien.
Celui qui en a reçu beaucoup n'a
point sujet de se glorifier , comme s'il
les avoit méi'ités ; il n'a point droit de
s'élever par dessus les autres , ni d'in
sulter à celui qui n'en a pas autant ;
car celui-là est le plus grand & le meil
leur de tous qui s'attribue le moins &
qui est le plus humble & le plus soi
gneux à te rendre de continuelles ac
tions de graces.
Et celui qui s'estime le plus abject,
à6o De lÏMltATIÔN
le plus vil, le plus indigne de tes biens ,
est le mieux disposé à les recevoir.
3. Celui qui n'en a recu qu'une pe
tite portion , ne doit pas s'en affliger ,
ni porter envie à ceux qui en ont reçu
davantage.
11 doit plutôt considérer son peu de
mérite, & louer ta bonté infinie , qui
verse ses graces libéralement , gratuite
ment & avec profusion sur toutes sor
tes de personnes.
Toutes choses viennent de toi , & on
doit te louer de tout.
Tu sais ce qu'il faut donnera chacun ,
& il n'appartient qu'à toi dejuger pour
quoi celui-ci doit avoir moins que ce
lui-là ; puisque c'est toi qui prescrits
les bornes de leurs vertus & de leurs
louanges.
4. C'est pourquoi, Seigneiir mon Dieu!
je mets au nombre de tes graces les
plus grandes le refus que tu m'as fait
de ces dons d'apparence & d'éeiat qui
attirent les louanges & la gloire des
hommes. C'est une grande grace à un
homme de pouvoir considérer telle
ment sa pauvreté , sa bassesse & son
néant , qu'au lieu de tomber- dans l'a
battement & dans la tristesse, il en
de J. Christ. Liv. III, Cb, 22, 26r
prenne occasion de se consoler , & de
se réjouir du peu qu'il a ; car ce sont
les humbles & les pauvres , ce sont (a)
les abjets & les méprifës de ce monde
que tu as cboijts , ô Dieu! pour en faire
tes amis & tes serviteurs.
Tes Apôtres spnt autant d'exemples
qui confirment cette vérité , tu les as
établis pour maîtres sur toute la terre,
& néanmoins ils n'étaient que des gens
simples et sans artifice , ils souffroient
avec joie toutes sortes d'outrages pour
VamOur de toi ; et ils embrassoient de
tout leur cœur pour toi les choses que
le monde avoit le plus en horreur.
5. Ainsi celui qui t'aime véritable
ment & qui est touché de reconnois-
sance pour tes bienfaits , doit trouver
toute sa joie dans l'exécution de tes
volontés & des desseins de ta Provi
dence sur lut.
C'est l'accomplissement de cette di
vine volonté qui doit le contenter , le
consoler , & le disposer à vouloir être
d'aussi bon coeur le plus petit de tous,
qu'un autre désireroit d'être le plus
grand : à trouver autant de joie & de
plaisir à être le dernier qu'un autre
à être le premier ; enfin à être aussi
(a) 1. Cor. 1. v. 27.
De l' Imitation
content de se voir moqué, méprisé,"
& rejeté de tout le monde , qu'un
autre seroit ravi de se voir loué , esti
mé , & préféré à plusieurs.
Car ta sainte volonté & le desir de
ta gloire doivent être au - dessus de
toutes les considérations humaines , &
donner plus de joie & plus de douceur
que tous les dons que l'on peut avoir
reçus , ou que l'on pourroit jamais re
cevoir.

CHAPITRE XXIII.
Dieu nous enfeigne ce qui peut nom pro
curer la paix i nous devons le prier
de nous faire la grace de Vobferver.
J i s u s - C h r i s t. , -

on fils ! je veux l'apprendre


» maintenant le moyen de parvenir à
„ la paix & à la vraie liberté. ,
Le Disciple.
Fai moi . Seigneur ! cette grace , car
tes instructions me seront très-agréa
bles. \
Jésus-Christ.
Observe donc, mon fils! ces quatre
.<;a .. - "
i>e J. Christ. Liv. III. Ch. 23. 263
choses. „ Attache-toi à faire la volonté
„ d'autrui , plutôt que la tienne. Con-
„ tente - toi de peu , & aime à avoir
„ moins que les autres. Cherche tou-
„ jours la dernière place et à être sou-
35 mis à tous. Désire et prie toujours
„ uniquement que la volonté de Dieu
„ s'accomplisse parfaitement en toi.
„ Celui qui se conduit de la sorte
„ jouira d'un parfait repos.
Le Disciple.
2. Seigneur! tes instructions sont con
tenues en peu de paroles , mais elles
renferment une plénitude de perfec
tion. Elles sont courtes , mais pleines
de sens , et d'une admirable instruction.
Si je pouvois les observer fidèlement,
mon cœur ne seroit pas si facilement
troublé ; car toutes les fois que je me
sens ému et inquiet, c'est une preuve
très-certaine que je n'ai pas suivi ces
divines maximes.
Mais toi , mon Dieu ! à qui rien n'est
impossible, et qui aime tant notre avan
cement spirituel , augmente en moi de
plus en plus ta grace, afin que ;e puisse
mettre en pratique tes divins precep
tes, et faire ainsi l'œuvre de mon salut.
264 De l' Imitation
3. Seigneur mon Dieu! ne t'éloigne
point de moi, mon Dieu sois toujours
prêt à me secourir ; car une foule de
pensées eflïaiantes selèvent dans mon
cœur , me troublent et m'affligent.
Comment pourrai-je les mettre en fuite, '
et les étoutFer?
Jesus-Christ.
4. (a) Je marcherai, mon fils, de
vant toi; &fabattrai l'orgueil des puif-
fans de la terre. J'ouvrirai les portes
des prifons , & je te revélerai les çhofes
cachées.
Le Disciple.
5. Fai , Seigneur, ce que tu dis; (h)
que tous les ennemis , toutes les mauvai*
ses pensées , fuient devant ta face.
Je n'ai d'espérance et de consola
tion que de pouvoir me jetter entre tes
bras dans tous mes maux , que de met
tre ma confiance en toi , et que de t'in-
voquer du fond de mon cœur , atten
dant avec patience ta joie et ta conso
lation.
6. Jésus, Source de miséricorde, verse
dans mon ame ta divine lumière , qui
dissipe toutes les ténèbres de mon cœur.
(a) Ifa. 4J. v. s. (jb) Pf. 68- v. 1.
»i J. Christ. Liv. III. Ch. 23. 265
Arrête les égaremens et les distrac
tions de mon esprit , romps l'effort de*
tentations qui font succomber mon ame.
Combats pour moi par ta force tou
te puissante ; domptes mes passions, ces
bêtes farouches et cruelles, qui sont
d'autant plus dangereuses qu'elles ca*
chent leur cruauté soùs des appas flat
teurs.
Oue ta puissance me donne la paix ;
& que je te loue continuellement dant
ton vrai sanétuaire, c'est-à-dire dans
une conscience pure !
Commande à la tempête de cesser;
dis à la mer, qu'elle s'abaisse. Défend*
aux vents de souffler, & incontinent
tout sera "calme (c).
7. (d) Envoie ta lumière & ta vérité;
qu'elles éclairent la terre; je suis (e)
une terre informe , ténébreufe & vuide
jusqu'à ce que tu aies dit en moi , (/)
Que la lumière fuit !
Répands sur moi ta grace céleste ;
verse dans mon cœur ta rosée d'en-
haut ; fàis-j pleuvoir les eaux pures de
ton amour , afin que mon ame en étant
rafraîchie, semblable à une terre renou-
(c) Marc 4. v. 59. (rf) Pf. 4;. v. j.
(e) Genef. 1. v. j. (/) *. Cor. 4. v. S.
M
*66 De l' I m i.t a t i o n
vellée, produise des fruits abondans &
exquis.
. : Attire ô mon Dieu ! & élève cette
ame misérable , que le poids de ses
péchés tient enfoncée dans la terre.
Tire à toi tous mes desirs , & fais
qu'ayant goûté la douceur des biens
célestes, je n'aye plus que du dégoût
pour ceux d'ici- bas.
8. Dégage -moi, mon Dieu! déta-
ehe-moi des douceurs trompeuses &
passagères qui se trouvent dans les
créatures , puisque rien de créé n'est
capable de satisfaire pleinement mon
cœur & de le mettre dans un vérita
ble repos. :i
Attache-moi à toi par le lien incor
ruptible &. indissoluble de ton amour ;
tu suffis toi seul pleinement à celui
qui t'aime; sans toi tout ce qui est au
inonde n'est que vanité & fumée.

' CHAPITRE XXIV.


Il faut éviter une cttrieufe recherche de
la conduite d?autrui, & fe remettre
à Dieu pour toutes chofes.
J É S U S - C H R I S T.
M on fils, garde-toi de la curiosité,
PE J. Christ. Liv. IIL Ch. 24. 267
& ne t'embarrasses point de soins
inutiles. '
„ A quoi bon savoir , ou te mêler
^ de tant de choses ? Suis-moi, c'est
„ là toute ton affaire.
-J» Oue t'importe à savoir quelle vertu
„ ou quel vice a celui-ci , de quoi
„ parle, ou que fait celui-là?
„ Tu ne répondras pas devant Dieu
„ pour autrui, 'mais pour toi-même,
„ Pourquoi donc t'ingères-tu mal à
„ propos dans ce qui ne t'est pas com-
„ mandé ?
» Laisse-moi le jugement de tous ;
„ c'est moi qui connois tous les hom-
„ mes & qui vois^seul tout ce qui se
„ fait soi^s le soleil. : q ^
„ Je connois à fond les bonnes 8p
les mauvaises qualités de chacun,,
»'-leurs' pensées ,: leurs volontés, leurs
„ motifs, leurs intentions.
„ Repose-toi donc sur moi en toutes
„ choses , demeure en paix & laisse
„ dans' l'agitation & dans, le trouble les
j, esprits inquiets & turbulens. \
„ Le jour Viendra . qu'ils porteront
„ la peine de tout le mal qu'ils au*
4, "root, dit où . fait j car je suis leur
„ juge, & rien n'échappe à ma connois-
„ sance. M *
a68 De i>' Imitation
2- „ Ne te mets pas en peine d'ac-
» quérir une grande réputation , ni
„ d'avoir beaucoup d'amis , .ni qu'il y
„ ait des personnes qui te soient affec-
„ tiomfées singulièrement. 1
„ Toutes ces choses divisent lame &
» la distraisent ; elles obscurcissent le
cœur & le remplissent de ténèbres.
0 Je me familiarisevois volontiers
„ avec toi , & te revélerois mes secrets ,
^ si tu étois dans une attente assidue
„ de ma venue , & que tu m'ouvrisses
„ la porte de ton cœur.
„ Tiens-toi sur tes gardes, veille- &
w prie., &. -t'humilie en toutes choses.

C H API t\ £ XXV. '


Jun quoi confijle ja folide paix du, cœur
& le véritable avancement de Vame.
Jésus-Christ.

on fils', j'ai dit à mes disciples ,


(a) Je vous laiffe la paix , je vous donne
met paix ; jé mus donne une paix qui
tfefi pas ferabJabk à celle que le nmide
donne. ' t! '- \ m t '. ,
» Tuus désirent la paix ; mais il s'en,
{a) J«m i$. v. 47.
»e J. Christ. Liv. III. Ch. 25. 2^
„ faut beaucoup que tous emploient
„ les moyens qui seuls peuvent nous la
„ procurer.
- „ Ma paix est avec ceux qui sont
55 doux & humbles de cœur.
„ Tu la trouveras ,en souffrant tout
» avec patience.
- ,, Si tu écoutes mes paroles, & si tu
„ les observes , tu jouiras d'une très-
„ grande paix.
Le Disciple.
2. Seigneur \ que veux-tu donc que
je fasse ?
Jésus-Christ.
„ Veille avec soin sur tout ce que
tu fais & ce que tu dis, et n'aye ert
„ toutes choses d'autre intention- que
„ de plaire à moi seul , ne désirant et
ne cherchant rien hors de moi.
„ Abstiens-toi de juger téméraire-
„ ment des paroles ou des actions d'au-
„ trui , et ne te mêle point des chose»
„ qui ne sont pas recommandées à tes
„ soins.
„ Ainsi tu tomberas rarement dans
„ le trouble.
Mais; pendant qu'on est en ee
„ monde , il n'est pas donné à l'hom-
» me de n'y tomber jamais , ni de ne
M 3
270 De il Imitation
„ sentir aucune peine d'esprit ou de-
„ corps ; cela n'arrivera que dans le
„ repos éternel.
„ Ne t'imagines donc pas que tu as
x trouvé la paix lorsque tu ne sens
„ aucune peine , ni que tout va bien
pour toi lorsque personne ne te con-
„ tredit, ni que ta vie est parfaite lors-
„ que tout se fait selon tes desirs-
„ Ne t'enfle pas d'une vaine estime
p de toi-même & ne t'imagine pas non.
„ plus -être fort vertueux & chéri de
M Dieu, lorsque ton ame est remplie
„ d'une dévotion tendre & sensible. Ce
„ n'est pas à cela que l'on connoit la
„ solide vertu , ni en cela que consiste
„ le progrès & la perfection d'un hom-
„ me spirituel.
Le D i s c i p l e.
4. En quoi donc, Seigneur?
J i s u s - C h it 1 s T.
„ A t'offrir & t'immoler de tout ton
„ cœur à ma volonté, à ne point cher-
„ cher ton propre intérêt, ni dans les
„ petites choses , ni dans les grandes ,
„ ni dans le tems , ni dans l'éternité ;
„ ensorte que tu demeures toujours
„ uniforme , me rendant également gra-
)y ces. dans la prospérité & dans L'ad
ce J. Christ. Liv. III. Ch. 25. b?i
jj versité, pesant tout dans la balance
„ du sanctuaire , qui est la volonté de
„ Dieu. , . . <
„ Lorsque je retire de toi mes con-
„ solations spirituelles & intérieures,-
1, si tu as assez de courage pour pré-
„ parer ton arae aux plus grandes
„ souffrances , sans te plaindre jamais
„ des croix que je t'envoie , comme
„ si tu ne les méritois pas , si tu as
„ assez de courage pour reconnoitre
„ que je ne fais rien que de juste &
:w de bien , de quelque manière qu'il
me plaise de disposer de toi ; si mes
„ dispensations sur toi quelles qu'elles
„ soient t'excitent à louer mon saint
nom, alors soit assuré que tu es'
„ dans la vraie voie de la paix , &
qu'indubitablement tu verras de nou-
M veau mon visage lorsque je viendrai
:„ te combler de joie.
„ Oue si tu es arrivé jusqu'au plein
„ &. parfait mépris de toi-même, assure-
„ toi que tu jouiras de la plus grande
„ paix qu'il soit possible d'avoir dans'
,v l'exil de cette vie mortelle.

M 4>
*7» © E l' I M I T A T I © K

CHAPITRE XXVI.
L'exellence de la liberté de ftfprit ,
jwi s'acquiert plutôt par la priere
que par la Ie&ure.
L b Disciple.

t. Je vois bien , mon Dieu, qu'une


ame parfaite prend soin d'avoir tou
jours les jeux &. le cœur tournés
vers les choses célestes pour contem
pler , & rapporter tout à elles , & de
ne se prêter aux affaires & aux occu
pations de cette vie que comme en
passant ; se tenant comme sans soins
au milieu des soins , non par lâcheté
& par paresse , mais par un effet de
la vraie liberté de l'esprit , qui ne per
met pas qu'on ait de l'attachement aux
créatures contre l'ordre de ta sainte
volonté.
a. Je te conjure donc , ô mon Dieu!
d?avoir pitié de moi , & de me défen
dre contre tant de soins qui nous assiè
gent dans cette vie , de peur que je
ne m'y embarrasse ; contre les néces
sités de mon corps , de peur que je ne
•erre à se» plaisirs , sous prétexte de
toe J. Cmrist. Liv.Ill. Cb. i6."zj3
lui donner le nécessaire : contre toutes
les traverses & les tentations de mon
-ame; de peur que pressé de tant de
misères ,jene tombe dans l'abattement.
• Je ne te demande plus de me dé
livrer des choses que la vanité des mon
dains recherche avec tant d'empresse
ment ; car tu l'as déja fait par ta grace ;
mais je te prie de me défendre contre
ces- misères -que tu nous as imposées
pour le châtiment de nos péchés , qui
étant communes à tout le genre humain,
•dans cette vie mortelle , chargent mon
ame, & sont un pesant fardeau qui
l'empêche de s'élever & de voler à toi ,
dans la véritable liberté de l'esprit ,
comme elle le voudroit.
3. O mon Dieu , source de toute
douceur & de toute consolation véri
table, rends moi fades & amères tou
tes les joies & les voluptés de la na
ture , qui me tirant de l'amour du seui
aimable , me séduisent par l'appas
trompeur d'un plaisir fugitif.
.Ne souffre pas, ô mon Dieu! que
celui- que tu Ss racheté, devienne l'es
clave de la chair & du sang ; que celui
que tu as éclairé , soit trompé par le
monde & sa fausse gloire ; & que la
M 5
!>'• E- L' I M*I T A T I O H
diable, ni toutes ses ruses me surpren
nent.
Donne-moi assez de force pour ré
sister quand il le faut ; assez de pa
tience pour souffrir ce qu'il faut souf
frir ; & assez de fermeté pour persé
vérer jusqu'à la fin.
Au lieu de la fausse joie du siècle ,
donne-moi la- douceur & l'onction de
ton divin Esprit ; & que mon cœur
vuide de tout amour du monde , ne
brûle que pour toi. . ."
4. Le manger & le boire, le vête-
jnent & tout ce qui est nécessaire à
l'entretien du corps, sont des fardeaux
pénibles à l'ame qui t'aime avec ardeur.
Fais- moi la grace, mon Dieu ! de me
servir avec modération de ces remèdes
de notre faiblesse, &• que; je -ne m'y
attache jamais désordonnément.
Il n'est pas permis de rejeter ce*
choses , parce que nous devons souter
nir notre nature ; mais ta sainte loi nous
défend de rechercher ce qui est super
flu y & ce qui flatte , les sens, parce que
cela donne occasion à la chair de se
révolter contre l'esprit.
Je te prie , Seigneur ! de m'enseigner
et de me conduire dans ces occasions .,
de J'. Christ. Xiv: lïîl Cth a?;
par ta main toute puissante , de peur
que je ne me porte 9. quelque sorte'
d'excès.

C H APITRE XXTÎL
Qui veut' jouir de tout doit aujji tout
donner, car l'amour de foi-même nous
éloigne extrêmement dufouverain bien*.
J é s u s - C h r rs T.
„ 1. iJoNNE moi le tout pour le tout,'-
„ mon fils ! afin de m'avoir tout entier,
» il faut que tu sois tout entier à moi
„ & qu'il ne te reste rien de toi-même.
„ Rien dans le monde ne t'est plus'
„ nuisible que l'amour de toi-même.
„ Tu te trouveras plus ou moins -lié:
„ aux choses du monde , selon que tu!
„ auras plus ou moins d'attache & d'a-
,3 mour pour elles. v
„ Si ton amour en est entièrë-
„ meut dégagé & pur, s'il est rendu*
„ simple &. bien réglé, tu ne seras plus-
,3 esclave de rien.
,3 îfe désire jamais ce qu'il ne t'est;
„ pas permis d'avoir, & ne retiens riea*
» de ce qui peut retarder ta liberté in«-
M térieure & spirituelle..
„ Il est bien- étrange que tu ayes de*
M- 6
376 De l' Imitation
„ la peine à t'abandonner à moi de
„ tout ton cœur & sans réserve , avee
„ tout ce que tu peux désirer ou pos-
„ séder.
n 2. A quoi bon consumer ta vie à
„ des soins inutiles ? Pourquoi te tour-
„ menter de tant de vains soucis ?
, „ Tiens-toi ferme à ce qui est de mon
„ bon plaisir, & rien ne sera capable
» de te nuire.
„ Mais si tu cherches quelque Ghose
>} de particulier, si tu désires d'être ou.
» en un tel lieu , ou en un tel état ,
„ pour trouver ce qui t'est le plu*
i, agréable & le plus commode , sois
„ assuré que tu ne seras jamais en re-
'„ pos, & que l'ennui & l'inquiétude
„ te suivront par-tout ; parce" que dans
M quelque état que tu te trouves , il y
M manquera toujours quelque chose de
„ ce que tu auras désiré; & tu trou-
„ veras par-tout des contradictions.
„ 3. Ainsi le plus grand avantage
x qu'on peut retirer des choses exté-
» rieures ne consiste pa* à avoir acquis
» & à posséder beaucoup de biens
„ temporels , mais à les mépriser &
9 en détacher son cœur.
» Ce que je dis ne doit pas s'en
de J. Christ. Liv. III. Ch. 17. 277
'» tendre seulement des richesses , mais
aussi des desirs de l'ambition , & de
„ l'honneur, de la louange & de la
» gloire ; vanités qui disparoissent pour
„ l'homme avec le monde.
„ En quelque lieu que tu sois , tu ne
„ seras jamais bien, ni en sûreté, si la
„ piété te manque ; & de quelque tran-
» quilité que tu jouisses au dehors ,
„ elle est peu durable si ton cœur n'est
„ pas bien fondé, je veux dire, s'il ne
„ repose absolument sur moi, sans cela,
„ quelque changement qui t'arrive , tu
„ seras toujours le même, misérable,
„ aveugle & nud , également éloigné
„ du vrai amendement, & à la premiere
„ occasion tu te verras dans les mêmes
„ maux ou même en de plus grands,
n que ceux que tu voulois éviter.
Le Disciple.
O Dieu ! affermis mon ame par Ta
grace de ton St. Esprit. Oue l'homme
intérieur & spirituel se fortifie en moi
par ta toute puissante bonté.
Vuide mon cœur de tous les soins
inutiles & de tous les chagrins du monde.
Ne permets pas que mes desirs m'en
traînent vers quoi que ce soit ou de
considérable ou de peu d'importance,;
278 De l' ImitAt ro-N
mais fais que j'envisage tout ce qui est
sur la terre comme des choses qui ne
font que passer , aussi bien que moi ,
qui passe & qui disparoîtrai avec elles.
( a ) Rien n'ejl permanent fous le foleil.
Tout eji vanité & tourment d'efprit.
Heureux celui qui considere attenti
vement cette grande vérité & qui en
est convaincu.
5. Je te demande, ô mon Dieu , la
fagejje qui vient d'enbaut , afin qu'elle
m'apprenne à te chercher par dessus
toutes choses , & à te trouver au-dessus
de toutes choses ; qu'elle fasse que je
ne goûte., que je n'aime que toi seul,
& que je ne considère tout le reste
que par rapport à cette divine Sagesse.
Donne- moi la prudence nécessaire
pour ne me pas laisser surprendre aux
flatteries & aux louanges des uns , &
la patience pour supporter les contra
dictions & les oppositions des autres.
Gar c'est être sage en toi que de ne
point se troubler & de fermer égale
ment l'oreille aux médisances & aux
calomnies qui nous attaquent, & aux
flatteries de ceux qui cherchent à nous
séduire: par leurs louanges. C'est ainsi
(0) Ecclef. 1. v. ».
de J. Christ. Liv. III. Ch. 28. 279
que l'on peut marcher sûrement & sans
crainte, dans la vie qui conduit à Dieu.'

i C H API TRE XXVIII.


Nous ne devons pas nous chagriner
, quand on parle défavantageufement
de nous.
. . . . (
Jésus-Christ.

on fils ! ne te chagrine point


„ si on a mauvaise opinion de toi , &
„ si on parle désavantageusement &
„ d'une manière choquante.
e Tu dois encore avoir moins d'esti-
si me pour toi même que personne , &
M croire fermement qu'il n'y a point
„ d'homme sur la terre plus foible &;
„ plus digne de mépris que toi.
„ Si ta vie est spirituelle, & que tu
„ sois véritablement intérieur, tu n'au-
„ ras point égard à des paroles qui se
M dissipent dans l'air. '
„ C'est un erlet de la vraie pruden-
„ ce, de se taire au teins de l'adver-
„ sité, & de se retirer dans l'intérieur
„ pour s'entretenir avec moi , sans se
„ laisser entraîner & diviser au dehors
M par. les jugemens des hommes.
2<So De l' Imitation
„ 2. Ne fais pas dépendre ta paix
„ des discoursdes hommes. Qu'ils inter-
„ prêtent comme il leur plaira , en bien
» ou en mal , ce que tu auras fait ou
j, dit ; en es-tu pour cela meilleur au
» pire?
„ Où est la vraie paix? où est la
N vraie gloire , si ce n'est en moi ?
„ Celui qui ne désire point dé plaire
„ aux hommes , & qui ne craint point
de leur déplaire , jouira d'une paix
» profonde.
„ L'inquiétude du cœur & la dis-
» traction de l'esprit & des sens ne
„ viennent que d'aimer ce qui ne doit
pas être aimé, &de craindre ce qu'il
„ ne fau droit pas craindre.

CHAPITRE XXIX.
Il faut invoquer & béttir Dieu aux
approches de la tribulation ç$ /crc-
qiCon y ejl engagé.
Le Disciple.

r. Seigneur ! dont l'adorable dispen-


«ation a permis que cette tentation
m'attaque, & que cette afflidion m'ac
cueille, que ton- saint nom, soit béni
à jamais !

-
mJ. Christ. Liv. III. Ch. 29. 2S1
Dans l'impuissance de l'éviter, je
Tiens implorer ton secours afin qu'elLe
me tourne en bien.
Mon Dieu! je suis en peine; mon
cœur est affligé ; les maux me pres
sent & ne me laissent aucun repos.
Mon Dieu & mon Pere , que diraï-je ?
Je su% dans un abattement extrême.
Seigneur ! sauve-moi de cette heure.
.% Mais c'est pour cela même que j'y
suis venu , afin que tu sois glorifié par
.mon humiliation , & par la délivrance
que tu me donneras ensuite.
Délivre-moi, Seigneur ! selon ton bon
plaisir. Où puis-je aller & que puis-je
faire sans toi , pauvre & misérable que
je suis! Seigneur , donne-moi encore la
patience dans cette épreuve ! Aide-moi,
mon Dieu ! & je ne succomberai point,
quelque fardeau que je porte.
2. Oue te dirai-je en cet état , Sei
gneur ! sinon , Ta volonté foit faite ?
J'ai mérité ce châtiment & cette afflic
tion.
Je dois la souffrir , & plaise à ta sou
veraine bonté de m'accorder que je la
souffre avec patience , en attendant
que l'orage passe & que la tranquillité
renaisse. i /
282 De il ï M I T À T I o s
Ta main , qui peut tout , peut aussi
me tirer de cette tentation , & modé
rer sa violence , d-e peur que je n'y
succombe, puisque c'est une grace
que tu m'as déja faite si souvent , ô
mon Dieu! source inépuisable de misé
ricorde en qui j'espère !
Plus il m'est difficile d'en sorti?, plus
le Très-haut se signalera en m'en reti
rant par un coup de sa puissante
main. - » - ', ,
CHAPITR E XXX. "
On doit demander le fecours de Dietp
& ne pas s'inquiéter de l'avenir.
J ésus-Christ.

...M on fils ! Je suis le Seigneur qui


„ fortifies les hommes au jour de Vé-
„ preuve. Viens vers moi lorsque tu
,„ seras affligé.
„ Ce qui te fait perdre les consola-
„ tions du ciel, c'est que tu es trop
„ lent à l'oraison.
„ Car avant que d'y appliquer ton
„ cœur , tu cherches ailleurs du soula-
„ gement ; tu te répands au dehors
„ pour trouver du secours & du sup
di J. Christ. Liv. III. Ch. 30. 28}
„ port ; mais tout cela t'est fort inutile,
K & il faut que tu confesses que c'est
„ à moi seul qu'il faut s'adresser , pai-ce
„ que c'est moi seul qui délivre ceux
» qui espèrent en moi.
„ Hors de moi il n'y a aucun se-
„ cours efficace, aucun conseil' salutaire,
„ aucun remède durable.
„ Tu commences à respirer après
*„ la tempête que je viens d'appalseiv
„ reprends de nouvelles forees & une
„ nouvelle vigueur dans la lumière de
„ mes miséricordes j dont je répand»
de nouveau les rayons sur toi.
„ Car je me suis rapproché de toi ,
„ dit le Seigneur; non-seulement pour
„ te rétablir dans ta première paix ,
J3 mais encore pour te remplir & te
„ combler de nouvelles graces,
i „ Ya-t-il rien qui me soit difficile ?
,„ Suis-je semblable à ceux qui font
„ des promesses & qui ne les accom-
» plissent pas !
» Où est la foi que tu dois avoir en
r„ moi ? Demeure ferme & constant;.
„ sois patient & courageux ; la conso-
„ latiort viendra dans sontems.
- „ Attends moi , attends moi ; je ne
„ ne manquerai pas de venir & de te
„ guérir. , ,. 4 . ,
2S4 De l'Imîtatiow
w Ce qui t'afflige n'est qu'une tenta-
» tion à tems ; ce qui t'épouvante n'est.
» qu'un vain phantôme.
„ Pourquoi te mettre en peine de
m l'avenir ? Oue gagnes-tu sinon d'a-
îj jouter tristesse sur tristesse ? (a) A
» chaque jour fuffit fa peine.
„ C'est une vaine occupation de s'afA
„ fliger ou de se réjouir des chose*
„ qu'on s'imagine devoir arriver , &
» qui peut-être n'arriveront jamais.
„ 2. C'est néanmoins une suite de la
M fragilité des hommes de se laisser aller
„ aux prestiges de leur imagination j
„ & c'est un des avantages que l'enne-
M mi obtient sur les ames foibles, que
„ de les tirer à lui par ces sortes de
„ pensées qu'il leur suggère.
„ Il lui est égal de se servir des cho-
„ ses vraisemblables ou de celles qui
» ne le sont pas , pourvu qu'il séduise
„ & qu'il trompe ; pourvu qu'il ait
„ abattu & fait tomber une arae , il lui
„ est indifférent d'avoir employé l'a-
n mour des choses présentes , ou la
.„ crainte des futures (b). Que ton cœur
» donc. ne fe trouble & ne s'épouvante
„ point. Crois en moi, & mets ta con-
x fiance en ma miséricorde. - .
(fl) Matth. 6. v. 34. (b) Jean 14. r. r.
»e J. Christ. Liv. III. Ch. 30. i$g
v Souvent tu penses être éloigné de
n moi , & c'est alors que je suis le plu»
„ près. ; ' . ;
„ Quelquefois tu te crois sur le mo«
„ ment de tomber d'une chute irrépa*.
„ rable , & c'est alors , pour le plus
souvent , que tu es prêt de recevoir
„ une plus grande mesure de mes
„ graces.
,, Tu ne dois pas croire que tout
„ soit perdu lorsque les choses arrivent
5 autrement que tu ne penses.
i, Tu ne dois jamais juger de ton état
,-, par les maux présens que tu sens , ni
,-, t'abandonner tellement à l'afflidlion ,
„ de quelque part qu'elle vienne , que
^ tu perde toute espérance de t'ea
relever. -' - :
'„ '3'. Garde - toi de te croire aban-
„ donné de moi lorsque je t'afflige pour
„ quelque tems , ou que je retire de
j, toi la douceur de mes consolations ;
„ car c'est par cette voie que l'on va
„ au royaume des Cieux.
'" "j," Sans doute il est meilleur pour toi
„ et-. pour, mes autfes; serviteurs , que
„ vous soyez exercés par des afflictions
j, et des contrariétés , que si toutes
„ choses vous arrivoient à souhait. -:
*86 De 'l' I m i t a t ! o n
„ Je connois les dispositions du cœur
„ les plus cachées ,, et je sais très- bien.
„ qu'il est bon pour toi que tu sois quel-
quefois dans le délaissement &ph-i-
„ tuel , et sans goût pour les choses
„ divines , de peur que si tout succède.
„ au gré de tes desirs , tu ne t'élèves,
„ et quç tu n'aies pour toi une estime
présomptueuse qui te persuades
„ que tu vaux mieux que tu ne vaux
„ en effet.
,, J'ai la puissance d'ôter ce que
,) j'ai donné , et de rendre ce que j'ai
„ ôté ; et j'en use comme il me plaît.
,,4. Lorsque j'ai donné quelque cho-
^, se , elle demeure toujours à moi ;
Jorsque je la retire., je ne reprens.
„ rien du tien. .It ; ^
„ Tout bien vient de moi et m'appar-
„ tient. Si je t'envoie quelque affiiaion,
„ et quelque adversité , ne t'en fâche
„ pas et ne perds point courage, ; car
„ j'ai la puissance de t'aider soudain
„ et de changer ta tristesse en joie.
„ Cependant , reconnois que je suis
„ juste , et adore la bonté que j'ai de
„ te traiter ainsi.
-„ „ Si tu es sage et que tu consideres
'„ les choses dans .la lumière de la vé
»e J. Christ. Liv, III. Ch. 30. 287
î5 rité , tu verras que lu n'as point sujet
„ de t'attrisier lorsqu'il te survient des
„ affrétions et des contrariétés , mais
„ que plutôt tu dois te réjouir et m'en
„ rendre grace ; et même ta joie uni-
„ que doit être que je te châtie et
t'envoie des douleurs sans t'épargner.
„ J'ai dit autrefois à mes disciples:
n (fl) J* 'vous aime comme mon Fere
„ m'a aimé i cependant lorsque je les
^, ai appellés pour me suivre , et que
„ je les ai envoyés dans le monde , ce
„ n'a pas été pour goûter les joies et
à les plaisirs de cette vie; mais pour y
a soutenir de grands combats; ce n'a
„ pas été poury être honnorés , mais
„ pour y être méprisés et déshonno-
» rés ; ce n'a pas été pour y vivre dans
„ l'oisiveté, mais pour y travailler sans
„ cesse; ce n'a pas été pour y chercher
à du repos , mais pour y porter beau-
„ coup de fruit par une longue et gé-
„ néreuse patience. Mon fils! pense
n souvent à ces choses , et ne les oublie
» jamais.,: . .
- (a) Jean if.-f. 9.
*8S De l' Imitation

CHAPITRE XXXÏ.
// faut quitter toutes les créatures pour
trouver le Créateur.
Le Disciple.

i. Seigneur ! j'ai besoin d'une plus


grande mesure de ta grace pour qu'au
cune créature ne me lie et ne m'asser
visse plus, car tant que je suis attaché
à quelque chose, je ne puis librement
voler à toi.
(a) Qui eft-ce qui me donnera des ailes
de colombe , afin que je m'envole &f que
je trouve mon repos? disoit le saint
Prophête , dans le desir de la liberté
divine.
L'œil simple donne le repos , et rien
n'est plus libre qu'une ame qui a dé
taché ses desirs de toutes les choses qui
•ont sur la terre.
Il faut donc que l'ame s'élève au-
dessus de toutes les créatures et qu'elle
«'abandonne soi-même parfaitement ;
afin que dégagée d'elle-même, elle
comprenne en te contemplant , ô Dieu
Créateur de toutes choses , que rien
(a) Pf. sj. r. 7.
n'est
de J. Christ. Liv. HT. Ch. 3r. 289
n'est semblable à toi. Celui qui n'est
pas ainsi séparé de toutes les créatu
res , ne peut contempler librement les
choses divines.
C'est pour cela qu'aujourd'hui si peu
de personnes s'adonnent à la vie con
templative , parce qu'il y en a peu qui
aient la science du parfait renonce
ment aux choses périssables.
%. Pour arriver à cet état , il faut
une grace puissante , qui élève l'ame
& qui la transporte au-dessus d'elle-
même.
Si un homme n'a l'esprit élevé de la
sorte, s'il n'est dégagé de tout, s'il
n'est entièrement uni au Créateur , tou
tes les connoissances & tous les dons
qu'il peut avoir , sont peu de chose.
Celui qui estime autre chose que le
bien unique , infini & éternel rampera
dans une honteuse bassesse.
Tout ce qui n'est pas Dieu, n'est rien,
& doit être tenu pour rien.
Il y a beaucoup de différence entre
la sagesse d'un homme qui craint Dieu
& qui est enseigné par son divin Es- -
prit , & entre la science d'un grand
Théologien.
Celle qui vient de l'onction d'enhaut
N
aço De l' Imitation
est sans comparaison plus noble que
celle qui s'acquiert par le travail &
par les efforts de l'esprit humain.
3. Plusieurs aspirent à la contempla
tion ; mais peu veulent pratiquer ce
qui est nécessaire pour arriver à cet
état.
Un des principaux obstacles est ,
que nous sommes trop attachés à l'ex
térieur de la Religion & aux choses qui
frappent les sens , & que nous avons
trop peu de soin de nous mortifier par
faitement.
Je ne sais de quel esprit nous sommes
animés , ni ce que nous prétendons ;
nous voulons qu'on nous estime comme
des personnes spirituelles , & nous tra
vaillons plus & prenons plus de soin
pour les choses temporelles , mépri
sables , & qui ne font que passer , que
pour celles qui sont spirituelles & inté
rieures ; puisqu'il demeure vrai que
nous rentrons rarement en nous-mêmes
pour nous appliquer à ces dernières.
4. Hélas ! sitôt que nous sommes ren
trés dans notre intérieur , nous en sor
tons incontinent, sans avoir bien exa
miné notre aonduite.
m J. Christ. Liv. III. Ch. 31. 291
Nous ne voyons pas combien les
choses *que nous aimons & auxquelles
nous nous attachons sont viles & mé
prisables , & nous ne pleurons pas en
voyant qu'il n'y a rien en nous que
d'impur & de souillé.
Le déluge vint qui fit périr tous les
hommes, (a) Toute chair ayant corrompu
fa voie.
Nos pensées & notre intérieur étant
tout corrompu , que peut-il suivre de
là, si ce n'est un déluge & un débor
dement d'aélions corrompues & qui
retiennent les impressions de l'infection
de leur source.
Car le fruit d'une vie sainte ne psut
venir que d'un fond & d'un cœur saint;
5. On fait beaucoup de cas des ac
tions extérieures & visibles ; mais on
ne regarde pas assez au principe de
vertu qui devroit nous faire agir.
On demande si quelqu'un a du coura
ge , s'il a des richesses , s'il est bien
fait, s'il est habile , s'il écrit bien, s'il
sait la musique , ou s'il excelle en quel-
qu'autre chose ; mais on ne se met pas
en peine s'il est pauvre d'esprit , doux,
patient , saint & spirituel.
(a) Genef. 6. v. 12.
N a
292 De if I m i t a t ro w
C'est la nature corrompue qui nous
porte à regarder à l'extérieur dê l'hom
me ; mais la grace regarde à l'intérieur,
.celle-là se trouve souvent trompée ; &
celle-ci, fondée sur Dieu, ne se trompe
jamais.

CHAPITRE XXXIfc
Du renoncement à foi-même & à toute•
cupidité.
Jesus-Christ.

on fils! tu ne jouiras jamais de


„ la vraie liberté si tu ne renonces
„ parfaitement à toi-même.
" Il n'y a-v qu'esclavage pour ceux;
Vmi cherchent leur propre intérêt ,
qui sont amateurs d'eux-mêmes, en
traînés par leurs passions , curieux ,
remuans, plus ardens à satisfaire leur
sensualité qu'à servir et imiter leur Sau
veur; toujours occupés de vains pro
jets et de desseins qu'ils ne sauraient
accomplir. „
„ Si quelquefois il leur vient dans
M l'esprit de mieux vivre , ils com-,
a mencent bien pendant quelque tems ,
„ mais leur édifice tombe bientôt ; car
de J. Chrtst. liv. III. Ch. 32. 293
,) tout ce qui n'est pas fondé sur Dieu
„ & qui ne vient pas de lui , périra.
„ Je te recommande cette parole ,
„ qui dit beaucoup en peu de mots :
„ Quitte tout , & tu trouveras tout ;
„ quitte tes desirs , et tu trouveras le
„ repos.
„ Pense bien à cela , et lorsque' tu
„ l'auras accompli , tu sauras toutes
„ choses.
Le Disciple.
3. Seigneur! ce n'est pas l'ouvrage
d'un jour ; et l'on n'y réussit qu'en y
travaillant avec courage. Tout ce qu'il
y a de plus grand dans la perfection
Chrétienne est renfermé dans ce peu
de paroles.
Jésus-Christ.
„ 3. Mon fils, tu ne dois pas te re-
„ buter, ni perdre courage, lorsqu'on
„ te recommande la voie des parfaits.
„ Tu dois au contraire t'exciter avec
„ plus d'ardeur vers cet état sublime,
ou du moins soupirer dans le desir
„ d'y parvenir.
„ Je voudrois que tu fusses dans cette
„ disposition , et qu'étant dégagé de
„ l'amour de toi-même, tu n'eusses plus
N 3
«94 De 1/ Imitation
„ de volonté que la mienne et celle de
n ceux que j'ai établi sur toi.
„ Si tu étois tel , tu me serois agréa-
ble et toute ta vie se passeroit clans
„ la joie et dans la paix.
„ Mais tu as encore à renoncer à
„ une infinité de choses , et si tu ne les
„ quittes et ne les laisses entièrement
„ à ma disposition , tu n'obtiendras ja-
„ mais ce que tu demandes.
» (a) Je te conseille d'acheter de moi
„ de l'or épuré par le feu , afin que tu
„ deviennes riche ; c'est-à-dire , la sa-
„ gesse celeste , qui foule aux pieds
„ toutes les ehoses d'ici bas.
„ Le prix auquel on l'achète , c'est
de renoncer à la sagesse humaine ,
„ à l'estime des hommes , et à la oom-
„ plaisance que tu as pour toi-même.
„ 4. Je te conseille d'acheter cette
„ sagesse méprisable aux jeux des
„ hommes mondains , en abandonnant
„ ce qu'ils estiment le plus, & qu'il*
„ regardent comme le plus noble &
„ le plus précieux.
„ En effet , la sagesse vraiment cé-
leste leur paroît basse & abjecfte ; ils
(a) Apoc. ). T- xg.
De J. Christ. Liv. III. Ch. 33. 29$
„ la condamnent à l'oubli ; & comma
„ elle ne s'estime pas elle même , elle
„ ne désire pas aussi les louanges &
„ l'estime des hommes.
„ Il est vrai cependant que plu-
„ sieurs la recommandent , mais leur1
„ conduite dément leurs paroles. Ce-
„ pendant elle est cette (b) perle de
„ grand prix , & ce tréjfor caché à
„ plusieurs & presque à tous.

CHAPITRE XXXIII.
De Vinftabilitê de notre cœur , & qu'on
doit toujours fe propofer Dieu pour
fin.
Jesus-Christ.

;,,.M on fils ! ne te fie pas à ta fer*-'


„ yeur & à ta disposition présente J
„ car elle changera bientôt.
„ Tant que tu vivras , tu seras sujet ,•
„ même malgré toi , au changements
„ & à l'instabilité.
„ Tu te verras tantôt gai & tantôt
„ triste, tantôt en paix & tantôt dans le
„ trouble, tantôt plein de zèle & tantôt
(J>) Matth. 13. v. 44. 46.
N 4
21)6 De l' Imitation
,, dans l'ardeur, tantôt dans le dé-
„ goût; tantôt sérieux & tantôt léger.
„ Mais celui qui est vraiment sage
et qui est enseigné de Dieu , élève
„ son esprit au-dessus de tous ces
„ changemens qui ébranlent son hom-
„ me extérieur,- et sans considérer
„ beaucoup ce qui se passe en lui , ni
la cause de toutes ces vicissitudes ,
„ il demeure ferme et inébranlable
., parmi tous ces changemens.
„ Il ne pense qu'à s'avancer vers
„ moi ; et il réunit toutes ses pensées ,
„ pour les porter vers la fin souve-
„ raine qu'il se propose , et qu'il dé-
„ sire uniquement.
„ Et c'est ainsi qu'ayant l'œil de l'in-
„ tention simple , et tourné unique-
„ ment sur moi par la pureté de son
„ motif et de ses desirs, il continuera
„ sa course sans interruption , et sans
„ être arrêté par l'incertitude de tous
„ ces événemens.
„ 2. Plus l'intention, qui est l'œil de
l'ame , est pure et simple , plus on
„ a de force pour demeurer ferme au
,-, milieu de tous les orages qui gron-
dent autour de nous.
„ Mais souvent cet œil s'éblouit et
J. Christ. Liv. III. Ch. U- *97
7) s'obscurcit dans plusieurs; parce qu'ils
„ s'arrêtent d'abord à chercher du plai-
„ sir à la première chose qui se pré-
„ sente.
„ Car à peine trouvera-t-on une
» seule personne qui soit entièrement
exempte du vice de se chercher soi-
» même.
„ La double intention que l'on re-
„ marque dans ces Juifs qui n'alloient
„ pas à Béthanie uniquement pour voir
„ Jésus, mais aussi par curiosité de
voir Lazare ressuscité , se trouve
„ presque dans tous les hommes.
„ Travaille donc à purifier ton in-
„ tention et ton motif, afin qu'ils soient
„ simples et droits , et que nonobs-
„ tant la diversité des objets, ils se
„ portent uniquement à moi. s

CHAPITRE XXXIV.
Celui qui aime Dieu le goûte en toutes
chofes, & par diffus tout.
Lê Disciple. ,

,.Mon Dieu , & mon tout ! Oue dé-


sire-je davantage? que souhaite-je de
plus heureux. 1
N 5
498 De l' I m i t a t i o S
O parole pleine de goût & de dou
ceur ! mais qui n'est telle qu'à ceux qui
aiment la parole éternelle , & non pas
le monde ni les choses qui sont dana
le monde. Mon Dieu & mon tout !
C'est assez dit pour celui qui l'en
tend ; & celui qui sait aimer , trouvera
de la douceur dans cette parole en la
repassant souvent dans son esprit.
Êt en effet , mon Dieu ! lorsque tu.
ès présent, tout est doux; mais lors
que tu t'absentes , tout est amer.
Ta présence rend le cœur tranquille,
tlle le remplit de joie & de paix.
Tu nous apprends à bien juger de
toutes choses, & à te louer en tout ce
qui est & qui arrive.
Rien ne peut plaire long-tema sans
toi ; & afin qu'une chose soit d'un goût
durable r il faut que ta grace s'y mêle
& que le sel de ta sagesse en soit l'as
saisonnement.
2. Celui qui te goûte , peut il trou-
ter quelque chose d'amer dans tout ce
«mi lui, arrive?
Et celui qui ne te goûte pas , que
jeut-il trouver d'agréable & de doux ?"
Mais ceux qui n'ont du goût que
i>e J. Christ: Lw. III. Cfi. $4. 2991
pour la sagesse du monde ou pour la
nature , n'ont garde d'en trouver en ta*
divine sagesse ; puisque celle" qu'ils goù*
tent n'est que vanite & que mort.
Cependant les vrais sages sont ceux
qui te suivent par le mépris de tout ce
qui est au monde , & qui mortifient
leur chair ; puisqu'ils passent ainsi de
la vanité à la vérité , & de la chair à
l'esprit.
Ils ont le goût de Dieu , ils rappor
tent à la gloire du Créateur tout ce
qu'ils trouvent de bon dans les créa
tures.
Mais quoiqu'ils goxttent Dieu & dan»
les créatures & en lui-même , ils re-
connoissent bien en même tems qu'il y
a beaucoup de difference entre ce goût
qui vient immédiatement de Dieu , &
celui qui vient par la créature, entre
le tems & l'éternité ; entre la lumière
incréée & qui sort de son propre fonds »
& la lumière d'emprunt , & qui n'est
que le rayon émané de celle-là-
3. 0 Lumière éternelle, qui surpasses'
& effaces toute autre lumière, lance sur
moi tes rayons & m'éclaire du haut de»
cieux ; pénétre par ta vive clarté \&
3oo De l' Imitation
plus profonds replis de mon cœur.
Purifie , réjouis , éclaire & vivifie mon
esprit , avec toutes ses puissances, afin
que je m'unisse, & m'élève à toi par
les joies ineffables que tu communi
ques.
Hélas ! quand viendra l'heureux mo
ment que je serai comblé de ta pré
sence & que Ça) tu feras tout en tous ?
Ma joie ne sera pleine que lorsque
je verrai l'accomplissement de cette
promesse ; en attendant je suis miséra
ble , parce que je sens que le vieil-
homme vit en moi , & qu'il n'est ni
parfaitement crucifié , ni mort. Il se
soulève ; il me fait une guerre domes
tique & intestine ; & il ne permet point
à l'esprit de régner en paix.
4. Mais toi-f7>j qui dominesfur lesflots
de la mer , & qui peux Vabaijjer ; toi
qui peux reprimer mes passions lors
qu'elles sont les plus émues , & qui les
peux calmer; leve-toi & viens à mon
aide, (c) Difjipe les nations qui me font
la guerre , &- brise les par le bras de
ta force.
Montre-moi tes œuvres merveilleu-
* ia) 1. Cor. iç. v. 28. (6) K 89* T. 10.
(c) Pf. <S8. v. 1.
rBE J. Christ. Liv. 111. Ch. 35. jot

' ses ; déploie la force de ton bras pour


ma délivrance ; car je n'ai d'espérance
ni de refuge qu'en toi seul , mon Sei
gneur & mon Dieu !

CHAPITRE XXXV.
Dieu dejîine les fiens à fouffrir dans ce
monde.
Jésus - Chris t.

Mon fils! tant que tu seras dans


„ cette vie mortelle , tu ne te verras
„ point en sûreté , & tu auras toujours
» besoin des armes de l'Esprit.
„ Tu ès continuellement au milieu de
„ tes ennemis ; & ils t'attaquent à droite
» & à gauche.
„ Si donc, tu n'opposes à tous leurs
„ traits le bouclier de la patience , ta
» seras bientôt couvert de blessures;
„ & si tu ne me donnes entièrement
„ ton cœur & ne m'offres une volonté
» prête à souffrir tout pour l'amour de
„ moi , tu ne pourras soutenir la vio-
„ lence de leurs assauts , ni remporter
la palme de la victoire.'
- „ Il faut donc qu'avec un courage
„ mâle , tu t'ouvres un passage au mi
go2 De l' Imitation
„ lieu d'eux & que tu renverses tout
„ ce qui s'oppose à toi. ( a ) Car la
„ manne cachée rCeji que pour les vaitu
„ qtteurs , & il ne reste pour les lâches
„ & les vaincus que des peines éter-
„ nelles.
„ 2. Si tu cherches du relâche & du
„ repos en cette vie, comment pré-
„ tens-tu parvenir au repos éternel ?
„ N'attends point de repos ici-bas ;
j, mais dispose toi à y voir ta patience
„ exercée.
„ Cherche la vraie paix , non sur la
„ terre , où elle n'est pas ; mais dans
„ le Ciel , où elle se trouve ; non dans
„ les hommes , ni dans aucune eréatu-
H re , mais en Dieu seul.
„ Tu dois souffrir courageusement
„ pour Dieu toutes sortes de travaux ,
v de douleurs , de tentations , de tra-
„ verses , daffliétions les plus grandes,
* la pauvreté , les maladies , les injures,
„ les outrages , les humiliations , les
M confusions , les corrections , les mo-
» queries , les mépris , tout cela te doit
v être agréable , parce que je le veux.
„ Toutes ces choses servent à acqué-
g, rir la parfaite & solide vertu > &
<<z) Apoç. a. v. i%.
be J. Christ. Liv. III. Ch. 35. 303
« éprouver les vrais soldats & les dis-
M ciples de Jésus-Christ, & à former
„ cette couronne qui doit être la ré-
„ compense de leur victoire,
„ Ne t'ai-je pas promis une récom-
„ pense éternelle pour un petit travail ,
„ & une gloire infinie pour un opprobre
„ temporel.
„ Crois-tu toujours avoir quand tu
„ voudras des joies & des consolations
» spirituelles ?
„ Mes plus grands Saints en ont été
„ privés ; attaqués d'une foule de ten-
„ tations , ils étoient souvent à charge
„ à eux-mêmes & dans des délaisse-
„ mens surprenans.
„ Mais ils ont possédé & soutenu
„ leurs amespar la patience, & se sont
„ résignés à moj. ; ils savent bien, (b)
„ qu'il riy a point de proportion entre
„ les fottffrnnces du tems préjent & la
» gloire à venir.
wEt toi tu voudrois posséder d'abord
» ce que mes Saints n'ont obtenu qu'a-
v près beaucoup de larmes & de com-
„ bats ? ( c ) Attends le Seigneur avec
„ patience , & prends courage ; ne te
lb) Rom. 8. v. i§. (0 PC 27. H*
304 De l' Imitation
„ défie point de moi; ne te retire point
„ de moi ni de mon service.
„ Expose courageusement ta vie
„ pour ma gloire. (dj Je ferai avec toi
„ dam l'opprejfion , et je te récompen-
„ serai magnifiquement.

CHAPITRE XXXVI.
// ne faut pas s'inquiéter des vains
fugemens des hommes , mais remettre
tout à Dieu.
J ésus-Christ.

M on fils! donne-moi ton cœur:


et ne crains point le jugement des
hommes lorsqu'une conscience pure te
rend témoignage de ton innocence. „
" C'est un bonheur de souffrir ce
traitement , et l'humble de cœur qui
s'appuie plutôt sur moi que sur lui-
même , n'y trouvera rien de fâcheux. tt
" Le monde est plein de vains dis-
"cours et de faux rapports, si bien qu'on
ne doit pas s'arrêter à tout ce que l'on
entend. Il est impossible de satisfaire
également à tous. „
" Quoique St. Paul (c) ait tâché de
(d) pf. 91. y, 15. (c; 1, Cor. 9. v.28.
m J. Christ, tiv. III. Ch. 36. 305
plaire à tous selon Dieu , et qu'il se soit
rendu tout à tous , néanmoins il n'a pu
éviter d'être jugé par les hommes ; mais
il dit , qu'il (/) ne fe foucioit pas d'être
condamné par des jugemens humains. „
" 2. Il s'est étudié autant qu'il a pu
à ne rien faire que pour le salut et
pour l'édification des autres ; mais il
n'a pu éviter d'être jugé et méprisé. „
« Cependant il a remis tout ce qui
le concernoit entre les mains de Dieu,
qui connoit les cœurs et les adions des
hommes; et il n'a opposé que la pa
tience et l'humilité à la médisance , et
aux soupçons injustes des téméraires
et des calomniateurs. „
" Il a répondu néanmoins quelque
fois à leurs accusations , de peur que
son silence ne devint un sujet de scan
dale aux foibles. „
" 3- (g) Qui es tu , que tu aies peur de
V homme fragile mortel? L'homme est
aujourd'hui , demain il disparoit. „
*' Crains Dieu , et tu ne craindra*
point les hommes. „
„ Ouel mal te peuvent faire leurs
paroles ou leurs insultes ? C'est à eux-
mêmes qu'ils se font du mai , et non
Ifl l Cor. 4. v. 3. Igl Ifa. 51.V. iz.

0
go6 De l' Imitation
pas à toi ; car quels qu'ils puissent être,
ils n'échapperont pas au jugement de
Dieu. Pour toi , aie toujours Dieu de
vant les jeux , et laisse-là les plaintes
et les querelles. „
" S'il te semble que tu succombes
pour un tems , qu'on te tienne pour ce
que tu n'es pas , et que tu en sois cou
vert de honte ; ne t'en fâche pas , ne
perds point par ton impatience la cou
ronne que je te promets. „
" Leve les jeux au Ciel ; regarde à
moi ; je suis puissant pour te délivrer
de l'opprobre et de la honte ; je le ferai
en son tems , et (g) rendrai à chacun
felon fes œuvres. „

C H A PITRE XXXVII.
De la pure entière réfignation de
foi-même , pour obtenir la liberté du
coeur.
J É S U S - C H R I S T.

on fils , quitte-toi toi-même ,


et tu me trouveras. Ne fais par toi-
même aucun choix , et n'aie point de
volonté propre, et tu tireras de l'avan
tage de tout. „
[f] Apoc. 2. v. 3J.
de J. Christ. Liv. III. Ch. y?. 307
Car dès que tu seras résigné et
donné à moi si entièrement que tune te
reprennes plus , je répandrai sur toi
ma grace d'une manière très -abon
dante. „
Le Disciple.
2. Seigneur. ! combien de fois dois-je
m'abandonner à toi, et en quoi dési
res-tu que je le fasse ?
Jésus-Christ.
u 3. Mon fils , tu dois t'abandonner
à moi toujours et à tourte heure ; dan»
les petites choses comme dans le&
grandes.
" Je n'excepte rien ; je veux te trou
ver en toutes choses dénué de tout ;
car , comment pourrois-tu être bien à
moi , èt moi à toi , si tu n'étois entiè
rement dépouillé de toute volonté pro*
pie au dedans et au dehors ? „
„ Plus tu seras prompt à exécuter
cet ordre ; plus tu te trouveras fort j
et plus tu le feras pleinement et sincè
rement ; plus aussi tu seras agréable à
mes yeux et enrichi de mes graces. w
" 4. Il est des gens qui se donnent
à moi , mais c'est avec quelque réserve ;
ils ne se confient pas entièrement en
go8 De l' Imitation
moi ; ils veulent aussi pourvoir eux-
mêmes à ce qui les regarde. „
" D'autres s'offrent d'abord entière
ment à moi , mais la première tenta
tion qui les attaque , les fait recourber
sur eux-mêmes , et ainsi ils n'avancent
point, ils ne viendront jamais à la
vraie liberté des cœurs purs , et ils
n'atteindront point à une heureuse fa
miliarité avec moi , si premièrement ils
ne renoncent absolument à eux-mê
mes , et s'ils ne s'offrent tous les jours
à moi en sacrifice ; car sans cela il
n'est pas question de cette divine union
par laquelle on jouit de moi. „
" 5. Je te l'ai dit souvent, et je te le
redis encore; quitte-toi, laisse-toi, aban
donne-toi , et tu jouiras d'une paix
profonde et spirituelle. „
" Donne le tout pour tout ; ne cher
che plus rien ; ne demande plus rien. „
" Attache-toi à moi sans partage et
avec constance , et tu jouiras de moi.
Alors ton cœur sera libre , et les ténè
bres ne te couvriront plus. „
* Efforce-toi pour arriver à cet état ;
prie , soupire , demande d'être délivré
de toute propriété , et de suivre dans
le dénuement Jésus dénué de tout, de
feE J. Christ. Liv. IIT. Ch. 38. 30^
mourir à toi-même et de vivre éternel
lement pour moi.,,
" C'est le sur moyen de te délivrer
de beaucoup d'imaginations chiméri
ques , de soins superflus , de vaines inr
quiétudes ; par là les craintes frivole»
seront bannies de ton ame , et l'amour
de toi-même disparoîtra.

CHAPITRE XXXVIII.
Il faut demeurer libre en tout & avoir
recours à Dieu en toutes choses
Jésus-Christ.

on fils , en quelque lieu que


tu sois, quoique tu fasses , aie toujours
un grand soin d'être libre au dedans;
conserve l'empire sur toi-même; assu?
jettis toi toutes choses et ne te rend
esclave de rien , afin que maitre de tes
actions tu sois un vrai Israélite , et que
tu jouisses de la liberté & des privilér
ges des en fans de Dieu qui sont au-
dessus de toutes les choses passagé^
fes ; qui ne considèrent que les éter
nelles ; qui ne regardent point le mona
de qui passe , et ne portent leurs re
gards que sur les choses permanente*
gio De l' Imitation
& spirituelles ; qui ne se laissent pas
entraîner ni attacher aux choses d'ici-
bas , mais qui en usent plutôt comme
de moyens pour servir Dieu , dans la
pensée que c'est pour cela qu'il les
leur a données, & que c'est la fin à
laquelle le grand maître veut qu'on
les rapporte, puisqu'il a prescrit à tou
tes choses un ordre réglé , & comment
il faut s'en servir.,,
„ 2. Que si dans toutes le» choses
qui t'arrivent , au lieu de t'arrêter à
l'apparence, & d'envisager d'un œil
grossier ce que tu vois ou ce que tu
entends , tu entre incontinent dans le
Sanétuaire avec Moïse, pour deman
der conseil à ton Dieu en toute ren
contre ; tu recevras souvent des répon
ses toutes divines qui satisferont à
toutes tes difficultés , & qui t'instruiront
du présent & de l'avenir. „
• Moïse avoit son recours au Taber
nacle pour éclaircir ses doutes ; & lors
que l'impiété des hommes l'attaquoit ,
tout son refuge étoit dans la priere. „
K Fais-en de même ; entre dans le
sanéluaire de ton cœur; implores-j la
grace & le secours d'enhaut. „
" Josué & les Israélites furent trom
pés par les Gabaonites , parce , dit l'E
be J. Christ. Liv. III. Ch. 39. 31 1
criture , qu'ils ne consultèrent point le
Seigneur, & qu'ainsi ils se laissèrent
trop facilement persuader par les arti
ficieuses paroles de ce peuple , & sé
duire par une compassion indiscrette.

CHAPITRE XXXIX.
£homme ne doit point s'attacher avec
empreffement aux affaires du monde ,
& il doit abandonner à Dieu le foin
de fa conduite.
Jesus-Christ.

on fils! remets toujours entre


mes mains tous tes intérêts ;'j'en aurai
soin & je pourvoirai à tout dans le
tems convenable. Attends mes ordres
& les effets de ma volonté , & tout ira
bien pour toi. „
Le Disciple.
2. Seigneur ! je t'abandonne de tout
mon cœur & avec beaucoup de joie
le soin de mes intérêts ; car je connois
par experience que lorsque je veux me
garder, et me régler par mes propres
soins , je travaille inutilement. .
O que n'ai-je assez de force pour
m'offrir tout entier à ta divine volonté,
dès quelle m'est connue , sans raison.;
r%\t De l' Imitation

ner et me mettre en peine des consé


quences de l'avenir !
Jes us-Chris t.
" 3 . Mon fils ! souvent un homme se
tourmente pour acquérir une chose
qu'il desire avec ardeur; et quand il la
possède il s'en dégoûte , et change de
sentiment; parce que les inclinations
des hommes sont inconstantes et pas
sent d'un objet à son contraire.,,
" Ce n'est donc pas une petite vertu
que de renoncer à soi-même dans les
plus petites choses. „
" Le vrai progrès d'un homme dans
la piété , est de renoncer à sa propre
volonté. '
" Celui qui est dans le saint renon
cement à soi-même, est dans un état
libre et assuré , ce qui n'empèehe pas
que l'ancien serpent, ennemi juré de
tous les Saints , ne le tente encore par
toutes sortes de moyens ; il L'attaque ,
il lui tend des embûches jour et nuit
pour le faire tomber dans ses pièges ,
lorsqu'il ne le trouvera pas sur ses gar
des, (a) Veillez donc & priez , de peur
que vous' n'entriez en tentation , dit le

(a) Matth. 26. v. 45.


CHAP.
de J. Christ. Liv. III: Ch. 40. 3 r j

CHAPITRE XL. ,/\

Vhomme n'a rien de bon de lui-même


& il ne peut fe glorifier en rien.
Le Disciple.

1. (a) Seigneur. ! qu'ejl-ce que de


thomme que tu te fouviennes de lui , &
du fils de l'homme que tu le vifites ?
Qu'a mérité l'homme pour te porter
à lui donner ta grace ? ,-, ,,
Seigneur ! si tu veux m'abandonner ,
de quoi pourrai-je me plaindre ? Ou si
tu me refuses ce que je te demande,
avec quelle justice pourrois-je mur
murer contre toi ? .f
Certes, je puis bien penser & dire,
avec vérité ; mon Dieu! je ne suis rien,
je ne puis rien , je n'ai rien de bon.)
par moi-même , je manque de tout ;
je tends sans cesse à ce qui n'est que
le néant , & si ta force ne me soutient
& si ta grace ne m'enseigne dans le
cœur , je ne suis que tiédeur.
2. Màis toi, Seigneur! tu ès toujours
le même ; tu demeures dans toute l'é-
(a) Pf. 8. v. s. . .
0
jt4 De l' Imitation
ernité toujours bon , toujours juste ,
oujouts saint.
Tes ouvrages portent toujours l'era-
yreinte de la bonté , de la justice, de
]a sainteté & de la sagesse ; mais moi
qui par ma fragilité recule plutôt que
je n'avance dans tes saintes voies, je
ne demeure pas long-tems dans le mê
me état ; étant comme je le suis , sujet
» l'inconstance & à la vicissitude des
tems.
Mon ame cependant se trouve mieux,,
dès qu'il te plaît de me regarder fa
vorablement , & de me tendre une
main secourable ; car tu peux, seul le
faire , tu peux m'affsrmir de telle sorte,
que je ne sois plus sujet à changer si
souvent; tu peux fixer mon cœur à
tê\"; & le faire reposer en toi seul.
3. Si je sïivois rejeter toutes les
eonsolations humaines , & considérer
que ce renoncement me peut dispo
ser à la ferveur de l'esprit, ou que leur
impuissance peut me faire heureuse
ment remonter au Créateur ; sans dou
te que j'aurois sujet d'espérer ta grace ; '
& de me réjouir du nouveau don de
tes divines consolations.
Béni sois-tu , 6 mon Pieu de tous les,
pi J. Christ- Lfo. III. Ch. 40. 3 1
biens que j'ai jamais eus , parce que
c'est toi qui en es l'auteur.
Je ne suis devant toi que le néant
& la vanité même , qu'un composé de
foiblesse & d'inconstancé.
: Quel sujet donc de me glorifier'?
Pourquoi desirer qu'on m'estime &
qu'on me loue ? Et ce parce que je ner
suis rien ; quoi de plus vain que cette
extravagance .? " < : , •
; Ô folie , ô danger de la gloire hu
maine! ô étrange illusion ! Autant elle
s 'arroge ; autant elle dérobe à la Yraie\
gloire ; elle ravit la grace à ceux qui
par une entreprise sacrilège veulent
établir leur propre gloire. Car l'hom
me qui se complaît en lui-même, dé
plaît à tes yeux divins ; & pendant qu'il
aspire aux vaines louanges des honu
mes', il perd les biens véritables & so
lides.
5. Il n'y a point de vraie gloire, ni'
de joie sainte que celle qu'on, tiré"
i^on de sbi-mêmé, ni en soi, niais dé
fol , 6 ' mem Dieu ! & en toi.
' On n'en trouve que dans la jouis
sance de tes perfections , non. de celles
qu'oit croit aVoir soi-même ; ou n'en
^i6 De l' I MI TA T I O M
trouve en aucune chose , si on n'est
conduit par ton amour. t
Que ton nom soit loué , & non pas
le mien ! que, tes œuvres soient esti
mées & non pas les miennes ! que,
ton saint nom soit béni , & que je'
n'aie jamais part aux louanges des
hommes !
,. Tu ès ma gloire; tu ès la joie de
mon cœur. Je me glorifierai & mç
réjouirai en toi seul tout le tems de ma
vie ; & pour moi , (rt) je ne me glorù.
fierai que de mes infirmités , & de mes
foibleffes. .
6. Oue les hommes cherchent, com
me les Juifs faisoient autrefois , ( b )
la gloire qu'ils fie donnent mutuellement ;
pour moi je ne chercherai que celle
qui vient de Dieu seul. , t-
; Qu'est toute la gloire humaine, &.
toute la grandeur mondaine , auprès
de ta gloire éternelle, sinon une pure
vanité & folie ? O vérité qui m'ensei
gnes! ôj miséricorde qui me soutiens l
ô mon Dieu ! Trinité bienheureuse,!.
Qu'il, n'y- ait que Toi seul quifsoit loup ,
honoré, ,exalté & glorifié ; & quji ,ce
$oU pour jâjrtais.& dans tous les çi^çlé^
(a) % Cor, 13, y. 5." (6) Jean $. r. 44,
îîe J. Christ. Liv. III. Ch. 41. 317

C H A P IT RE XLI.
Vu mépris desJmnneurs temporels.
J É S U S r C H R I S T.

on fils! ne t'attriste point de


voir les autres dans l'élévation & dan»
les honneurs, tandis que tu ès dans
l'abaissement & dans l'opprobre '; élève
ton cœur au ciel vers moi , & le mé
pris des hommes de la terre ne t'affli
gera point. „
"Le Disciple.
2. O Seigneur ! que nous sommes
aveugles , & prompts à nous laisser sé
duire, par la vanité! Si je considere
bien ce que je suis , je;vois clairement
que quelque traitement que l'on me
fasse , on ne me -saufoit jamais faire
aucun tort; & que je n'ai pas la moin
dre raison du monde de me plaindre
de toi ni d'aucune créature , comme
si je méritois d'être mieux traité.
Au contraireje mérite que toutes tes
créatures s'arment contre moi pour
me frapper & pour me détruire , parce
que je me suis révolté très - souvent
contre toi , ô mon Créateur! par l'excès
|l5 J) 1 L' I M I T A I I O W
de mes péchés. Ainsi, il est très-juste?
que la honte & le mépris soient mon
partage , & que l'honneur", la louange
& la gloire .te soient rendus en toute*
choses. ,
Je sais , Seigneur ! par ta connois-
sance que tu m'as donné , que si je na
suis pas dans la disposition de souffrir
nue toutes les créatures me méprisent ,
m'abandonnent , me considèrent aussi
peu comme si je netois pas au monde,
je ne serai jamais affermi dans la paix,
ni éclairé parfaitement par ton Esprit,,
ni pleinement uni à toi. "

CHAPITRE XLIL
// ne faut point établir fa paix dans
les hommes , mais aimer Dieu feuL
J i s u s - C H k i s T.

on fils ! si l'amitié & l'union


que tu as avec quelqu'un est fondée
sur ce qu'i l a les mêmes senti mens que
toi , & qu'il s'accommode à tes opinions
&àta conduite , tu n'y trouveras point
de fermeté , ni de tranquillité. „
" Mais si tu t'attaches à celui qui
rit toujours & qui est la vérité éter
de J. Christ. Liv. III. Ch. \t. 319
nelle , tu n'auras jamais de chagrins ,
s'il arrive que quelqu'un de tes ami*
t'abandonne , ou que la mort te l'en
lève ; parce que l'amour que l'on s
pour un ami doit être fondé en moi ,
& c'est pour moi que tu dois aimer
tous ceux qui te paraissent vertueux ,
& qui te sont les plus chers dans cette
vie. „
" Sans moi il n'est aucune amitié
parfaite , ni durable ; & l'amour qui
lie les personnes n'est ni véritable , ni
pur, si je n'en suis moi-même le nœud.,,
a Tu dois être tellement mort à l'af
fection des personnes que tu aimes
que tu sois content d'être pour ce qui
te regarde , séparé d'elles à jamais. „
" Moins on est sensible au soulage
ment que donnent les créatures , plus
on s'approche du Créateur. „
u Plus on sent son néant, sa bassesse
& son abjection , quand on se recueille
devant Dieu, plus on est grand aux
yeux du Très-haut. „
" 2. Celui qui s'attribue quelque bien,'
se rend indigne des dons du Ciel,
parce que la grace du St. Esprit ne
cherche que les cœurs qui sont hum
G 4
j2o De l' Imitation
bles & vuides de toute bonne opinion
d'eux-mêmes. „
ft Si tu savois t'anéantir parfaite-
jnent , & vuider ton cœur de l'a
mour des créatures, j'y viendrois avec
l'abondance de mes graces. „
" Cette vue que tu jettes sur les créa
tures , t'empêche de voir le Créateur. „
" Apprends à te vaincre en tout à
cause de ton Créateur , & il te rem
plira de sa divine connoissance. „
. " Tu nesaurois aimer désordonné-
ment quoique ce soit au monde , ni y
arrêter ta vue , sans être retardé dans
ta course vers le souverain bien , &
sans souiller ton cœur de péché.

CHAPITRE XLIII.
Contre la vaine fcience du Jiècle , Dieu
donne de l'intelligence aux humbles.
Jésus-Christ.

on fils ! ne fais pas grand état


des discours polis & étudiés. Car («)
le Royaume de Dieu ne confifte pas en
paroles , mais en vertu. „
" Fais attention à mes paroles qui
(a) i Cor. 4. v. 2o.
r m J. Chtrist. Liv. III. Ch. 43- J2*
embrasent les cœurs, qui illuminent
les ames , qui donnent de la componc
tion à l'esprit, & qui le consolent.,,
" Ne lis jamais ma parole pour en
paroître eu plus savant ou plus sage
devant les hommes. Etudie-toi à dé
truire tes vices; cela sera incompara»
blement meilleur que la connoissance
des questions les plus difficiles. „
" 2. Lorsque tu as lu beaucoup , &
que tu connois beaucoup , tu dois rap
porter le tout à une seule chose, savoir'
à moi , qui suis le principe de. tout.
" C'est moi qui enseigne aux hom
mes la véritable science, & qui com
munique plus de lumière & d'intelli
gence aux humbles & aux petits, que-
tous les doéteurs ne sauroient leur en?
donner. „
** Celui a qui je parle intérieure
ment , est bientôt sage & avancé dans-
la vie spirituelle.
" Malheur à ceux qui cherchent k
satisfaire leur curiosité dans les seien-
ees humaines , & qui ne se mettent
point en peine de me servir ! » -
- * Le jour viendra que le souverain?
ï>oéteur , le Maître du monde ,- Jésus-
le Rqï des Anges descendra du Gieli
O 5
-}21 DE l'iMITilIOï
pour examiner les consciences , & pour
voir combien chacun aura profité dan»
la science du salut. „
" Alors ( b) on cherchera avec des
lampes dans les lieux les plus fecrets de
-Jérufalem , 6f ce gui étoit caché dans
les ténèbres paroitra Jl évidemment à la
lumière, que les langues seront muet
tes & confuses ; & tous leurs discours
&-leurs raisonnemens renversés. „
" C'est moi qui dans un instant
communique aux ames humbles plus
de lumières sur les vérités éternelles „
qu'elles n'en pourraient acquérir par
une longue étude .„
" J'enseigne sans aucun bruit de pa
roles , sans diversité d'opinion , sans
dispute , sans faste & sans orgueil. „
" J'enseigne à mépriser le monde ;
j'apprens à se dégoûter des choses pré
sente» , à chercher & à goûter les éter
nellesi, à fuir les honneurs, à souffrir,
les scandales , à mettre en moi seul
toute son espérance , à ne desirer rien
^ors de moi , & à m'aimer ardemment
& par dessus toutes choses. „,
*' 4. Il y a des ames qui m'aimant
de tout„leur cœur ont appris les mis-*
{b) Saph«n 1. v. i& 1. Cor. 4. v.ç»
be J. Christ. Liw-lZJl Ch'. 43-.
teres les plus divins , & en ont parlé
d'une manière admirable. „
a Ils ont plus profité en renoncant
à toutes choses, qu'en s'appliquant *
toute la subtilité de l'étude. ,,
" Mais je ne me communique paa
également à tous ; j'enseigne aux uns
des choses communes , & à d'autres-
des particulières. „
" J'instruis agréablement les uns pair
des ombres & des figures ; & les au
tres par une clarté lumineuse qui leufj
montre mes secrets les plus cachés. „
" Quoique mes livres disent à tous
la même chose , ils ne font pas 1*
même impression sur tous ;: parer
qu'il n'y a que moi qui imprime la vé*
rité dans l'ame , qui pénétre le fond
du cœur, qui connoisse les pensées,
& qui opère intérieurement , donnant
à chacun telle portion de mes graces-
que je juge à propos. „

CHAPITRE XLIV
II faut mourir au monde afin d'avoir
.;. la paix dè Dieu dans le cœur- v j
..Jéshs-Chms t. '.. .-'.' v°* ..

on- fils ! tUNdois te conduire em


O&
324 De l' Imitation
beaucoup de choses comme si tu ne
les savois pas , & te considérer com
me un homme mort sur la terre , (a) à
qui tout le monde ejl crucifié. „
" Tu dois aussi être sourd à beau
coup de paroles , & ne faire attention
qu'à ce qui regarde la paix intérieure
de ton cœur. „
a II vaut bien mieux détourner tes
veux de dessus les choses qui te dé
plaisent, & laisser penser à chacun ce
qu'il lui plait, que de s'embarrasser en
des contestations & des disputes.
" Si tu ès bien uni avec Dieu, & que
tu considères qu'il te jugera un jour,
tu n'auras point de peine à souffrir
qu'on te tienne pour vaincu , & qu'on
préfère les raisons des. autres aux tien
nes. ,y
Le Disciple.
2. Hélas, Seigneur! où en sommes-
nous ? Nous pleurons amèrement une
perte temporelle ; nous travaillons r
nous courons de tous côtés pour un
petit gain ; mais on ne veut pas pen
ser à la perte que l'on fait de son ame,
, & c'est rarement qu'on daigne y faire
quelque attention.
"'Vl Gai. 6. r. 14.
de J. Christ. Liv. III. Ch. 45. 3 25
On a beaucoup de soin de ce qui
ne sert que peu, ou rien du tout, &
on néglige ce qui est de la dernière
importance ; parce que l'homme se
donne tout entier aux choses extérieu
res & visibles. Il y cherche son repos,
si tu ne le rappelles à toi par ta grace
triomphante.

CHAPITRE XLV.
On doit fe repofer en Dieu & ne point
compter fur les hommes.
Le Disciple.

t. (a) Donne-nous , Seigneur! ton fe-


cours , pour fortir de la détreffe , car fe
fecours de l'homme n'ejl que vanité. Com
bien de fois ai-je été trompé en ne
trouvant point de fidélité où j'espéroi*
en trouver ?
Combien de fois en ai-je trouvé où1
je n'en attendois point ?
C'est donc en vain que l'on espère
quelque chose des hommes ; aussi les
justes n'espèrent rien que de toi seuL
Béni sois-tu , ô mon Seigneur & mon
Dieu ! dans toutes les choses qui nous'
(0) ïf. 60. v. « 3,
|a6 De i' I m i t a t i o m-
arrivent de ta part. Jette les jeux sur
notre foi blesse & sur notre inconstan-
. ce , qui nous exposent à tant de chûtes
& de changemens.
Où est l'homme qui se tienne sur
ses gardes arec tant de circonspection ,
qu'il ne tombe jamais dans quelque
surprise ou dans quelque peine d'es
prit qui l'inquiète ?
Mais , ô Seigneur ! celui qui met sa
confiance en toi , & qui te cherche sin
cèrement avec un cœur simple sera à
l'abri de ces revers. «
Oue s'il arrive quelqu'affliétion , ou'
quelqu'embarras , tu en tireras ceux
qui te réclament , ou du moins tu les
consoleras dans leur peine , parce que
jamais tu n'abandonnes ceux qui espè
rent en toi.
On trouve rarement un ami fidèle
qui n'abandonne pas son ami dans les-
jnaux les plus grands & les plus pres-
sans.
Mais toi , Seigneur! tu ès l'ami tou
jours fidèle, & il n'en est point de pa«-
rçil à toi.
3. O! que cette ame étoit divine
ment sage, qui disoit d'elle-même'
avec vérité : Je fuis affermie , je fuis*
fondée dans le Seigneur Jéfm !
m J. Christ. Zw.Tll. Ch. 44. 327
Si je pouvois me rendre' le même;
témoignage , je ne serois pas si facile
ment émû par des craintes humaines ,
ni par les paroles & les injures les plus
piquantes.
Y a-t-il quelqu'un qui puisse prévoir
tous les maux auxquels nous sommes
exposés & se prémunir contr'eux ? .
Si nous en sommes si touchés lors
qu'ils nous arrivent après les avoir
prévus , comment n'en serons-nous pas
accablés s'ils fondent sur nous à l'im-
proviste ?
Misérable que je suis! pourquoi ne
prends-je pas la précaution qui est la-
plus sûre contre tant de maux , en m'a-
bandonnant à Dieu ? Pourquoi ai-je
pris si aisément confiance dans les créa
tures ?
En vérité nous ne sommes que des
hommes fragiles, quand nous passerions
pour des Anges, dans l'estime de plu
sieurs. A qui donc dôis-je me fier? Sei
gneur mon Dieu ! sinon à toi seul ? Tu è*/
la vérité 5 mais (p) tout homme ejl men
teur , foible & inconstant ; il fait bien
des fautes sur-tout en parlant , il n'est
pas de la prudence de le croire, aveur
328 De l' I m I T ATI « N
glement , lors même qu'il semble le plus
droit & le plus sincère.
4. O Dieu! que les avertissemens que
tu nous a donnés sont pleins de sagesse ?
(c) Donnez-vous de garde des hommes ,
nous as-tu dit; & encore: Les domejli-
ques de l'homme feront fes propres enne
mis ; 00 Lorfqu'on vous dira ; le Chriji
ejl ici , ou il ejl là , ne le croyez pas.
J'ai appris ces vérités à mon domma
ge; & Dieu veuille qu'au lieu de demeu
rer toujours dans ma folie, j'en devienne
plus sage & plus circonspect à l'avertir.
Un homme me recommandera sou
vent avec instance de tenir cachée une
chose qu'il ne pourra lui-même tenir
secrête , mais il ira incontinent l'éven
ter , abusant ainsi de ma crédulité , &.
de sa parole.
Garde-moi, mon Dieu T de toutes ces
illusions & de ces personnes légeres &
imprudentes ; de peur que je ne tombe
entre leurs mains , ou que je ne devienne
Semblable à eux.
- Affermi dans ma bouche la parole de
l'a vérité, & éloigne de moi la langue,
trompeuse. Fais-moi la grace ne ne pas^
if) Mattti. 10 , v. 17. yi. (d) Matth. a4, v. yC
pe J. Christ. Liv. III. Ch. 4$\ 519
commettre moi - même ce que je ire
puis souffrir en autrui.
,, 5. O ! quel avantage & quelle paix
que de ne point parler de ce qui regar
de les autres; de ne point croire aisé
ment tout ce qu'on entend ; de ne se
pas plaire à faire de longs discours ; de
découvrir à peu de personnes les secrets
de son cœur , de te chercher & t'avoir
toujours devant les jeux comme celui
qui en connoît le fond , de ne se pas.
laisser emporter à l'inconstance des pa
roles des hommes ; mais de souhaiter
uniquement que tout se fasse au dedans
& au dehors selon le bon plaisir de ta
sainte volonté.
Qu'il est important pour conserver la
grace de fuir l'éclat , de ne point cher
cher ce qui donne de l'admiration &
qui fait du bruit dans le monde ; mais
plutôt de s'appliquer uniquement à ce
qui peut servir à nous rendre meilleurs ,
&. à augmenter la ferveur de notre piété t
O ! combien de personnes à qui leur
propre vertu a été funeste pour avoir
été connue & louée mal à propos ! Qu'il
est avantageux de conserver en silence
la grace dans cette vie fragile qu'on
peut appeller à bon droit une tentation
& une guerre continuelle.
2$o De l' I M I T A T I o »

CHAPITRE XLVI.
De la confiance qu'il faut avoir en Dieu
quand on eji attaqué par des paroles
piquantes.
Jésus-Christ.
>.Mon fils ! demeure ferme & espère
en moi. Car que sont toutes les parole»
des hommes sinon du vent? Elles bat
tent l'air , mais elles ne peuvent ébran-t
1er la fermeté de la pierre. »
" Si tu ès véritablement coupable de
ce qu'on dit de toi , prens en occasion
de te corriger; & si tu ès innocent T
pense à souffrir avec joie pour l'amour
de Dieu.
Puisque tu ne peux encore souffrir
les coups, au moins apprends à souf
frir quelquefois des paroles.
" Pourquoi de si petites choses te pi
quent-elles jusqu'au vif, sinon parce
que tu ès encore charnel , & que tu as
plus d'égard aux hommes que tu ne
devrois T,t
" Tu ciains d'en être méprisé ; &
c'est pour cela que tu ne veux pas qu'on
te reprenne de tes fautes , et. que ta
i>e J. Christ. Liv. III. Ch. 46. 331
cherches toujours des excuses pour le»
couvrir. „ .
2. " Mais considère-toi mieux que tu
p'as fait jusqu'à présent , & tu verras
que le monde vit encore en toi , & que
tu ès encore assez vain pour désirer dé
plaire aux hommes. „
" Tu ne saurois mieux prouver quç
tu n'ès pas vraiement humble , que tu
n'ès pas mort au monde , & que le
monde, ne t'est pas crucifié, qu'en crai
gnant comme tu fais ^ d'être abaissé ,
d'être repris , & de recevoir de la con
fusion de tes fautes. „
" Ecoute donc ma parole autrement
que tu n'as fait, & toutes les langue^
& les paroles ne te toucheront point.
" Dis moi quand le monde publieront
pour te noircir tout ce que la calomnie
peut inventer de plus malin, quel mal
te feroient toutes ces médisances si tu
les laissois passer & emporter par le'
vent comme un peu de paille ? En tom-
beroit-il un cheveu de ta tête ?
3. Il est vrai que celui dont le cœur,
au lieu d'être appliqué à la considéra-,
tion de son intérieur , est tout répandu
au dehors , & qui n'a pas Dieu devant
les yeux , se choque du moindre
blâme qu'on lui jete; mais celui qui
ayant renoncé à son propre juge
ment , ne s'appuye que sur moi seul , ne
craindra rien , quoique les hommeâ
puissent dire ou faire contre lui.,,
" Car je suis le Juge de tous ; il n'y a
rien de secret pour moi ; je sais comment
toutes les choses se sont passées ; je con-
hôis celui qui a le tort , & celui qui le
souffre. „
° J'ai permis que tout ce qui t'a été
dit & fait , arrivât ainsi , (à) afin que les
penfées de pfitfteurs fe manifeftaffent. Je
jugerai le coupable & l'innocent au
dernierjour ; mais il m'a plû auparavant
de sonder l'un & l'autre par un juge
ment secret & caché.
4. " Le témoignage que les hommes
donnent, est trompeur; mais mon juge
ment est véritable , il est ferme & ne sera
jamais renversé. „
" Il est caché & peu de gens sont ca
pables de le pénétrer ; cependant il
n'est jamais faux & ne peut jamais l'ê
tre ; quoiqu'il ne paroisse pas droit aux
yeux des insensés. „
" C'est donc à moi qu'il faut s'adres
ser , c'est moi qu'il faut consulter pour
(a) Luc z. îj.
beJ. Christ. Liv. III. Ch. 46. 333
juger sainement des choses ; & l'on ne
sauroit, trop se défier de son propre"
jugement. „ . • , :
" Lejuste ne sera point effrayé , quoi
que Dieu permette qu'il lui arrive. „
Il ne se mettra point en peine des
jugemens injustes qu'on fera de lui ; & ne
se réjouira pas beaucoup s'il voit que
d'autres prennent son parti pour le dé
fendre raisonnablement. „
* Il considère que (b) je fuis celui
qui fonde les cœurs & les reins , & qui
ne juge point selon l'apparence & ce
qui parolt aux yeux des hommes. Car
très-souvent je blâme &je condamne ce'
que les hommes jugent bon & louable. * '
Le Disciple.
. 1- Seigneur. mon Dieu! juste Juge,
& fort patient , qui connpis parfaite
ment la fragilité & la corruption des.
hommes^ sois ma force & tout moiï
appui ; car le témoignage dé ma cons
cience quelque favorable qu'il soit , ne
suffit pas pour assurer mon repos. »
:,Tu vois en moi ce que, je, n'y vois,
pas moi- même ; c'est pourquoi j'ai sujet ,
de ,m'humilier toutes les fois que l'on
Bje reprend & que l'on me blâme , &
(6) Apoc. s. v. aj, , , -.j
534 D é L' I M I T A T I O W
je dois supporter tout avec douceur.
O mon Dieu ! pardonne-moi les pé
chés que j'ai commis toutes- les fois
que je n'ai pas agi de la sorte ; & fais-
moi la grace désormais d'apprendre à'
mieux souffrir. L'abondance de tes mi-, ,
séricordes, m'est beaucoup plus né
cessaire pour obtenir mon pardon ,
que le témoignage toujours suspect de
ma conscience , dont je ne conhois pas-
bien là corruption.
(c) Car quoique je ne me fente coupa-'
ble en rien , je ne fuis pas pour cela juf-
iifié. En effet , si sans avoir égard à ta'
miséricorde , tu veux nous juger à la
rigueur, (d) nul homme ne fera jttftifié'
devant toi.

CHAPITRE XLVII. 2
Pour obtenir, la vie éternelle , il faut
fupporter les chofes les plus fâcheufes.
' : J é S U S - G H R I S T.

on fils ! ne te lasse point', '&


ne perds pas courage dans les travaux^
& dans les peines que tu souffres pour
l'amour de moi ; que les afflictions ne1
£c) i Cor. 4, v. 4. (d) K 143. v. a.
Vit J. Christ. Liv- III. Ch. 47. 33 £
fab'attent point ; affèrmi-toi & te con
sole en toute rencontre par la consi
dération de ma promesse. „
- " Tu ne peux rien faire pour moi ,
que je ne puisse te le rendre au-delà
& sans mesure. „
« Tu- ne seras pas long-tems ici dans
la peine & dans le travail ; tes souf
frances ne seront pas longues. „
" Attends encore un peu ; l*firi dé-
tes maux s'approche à grands pas,.
L'heure vient que tes travaux & tes
peines finiront. Tout ce qui passe avec
le tems est fort peu de chose & dc'
courte durée. »
**. 2. Fais de bon- cœur & pour fa-
mour de moi tout ce que tu- fais ; tra
vaille dans ma vigne avec fidélité , &
je serai ta récompense. „
" Ecris- de bonnes choses-; lis -m*
parole, chante mes louanges , gémi pour
tes péchés; demeure dans le silence ;
prie sans cesse ; supporte toutes lier
adversités avec courage ; la vie éter
nelle vaut encore mieux que tous ce*
exercices & ces travaux , & même que
de plus grands. „
" Un jour, que le Seigneur voit déjav
te donnera la paix ; & ce jour ne sçca
fj6 De l' I m i t a t i o n
plus sujet à l'inconstance , ni inter
rompu par les ténèbres de la nuit. „
a Ce sera un jour éternel , une clarté
infinie , une paix ferme , un repos as
suré. Tu ne diras plus alors ; (a) Mi-
férable que je fuis ! qui me délivrera de
ce corps de mort? Tu ne t'écrieras
plus avec le Prophête,"^) Hélas ! que
je fuis miférable de demeurer fi long-
tems en Mêfec. „
„ Car la mort sera alors absorbée,
& le salut sera sans fin , les peines se
ront bannies , & la béatitude sera inex
primable dans la douce & agréable
compagnie -de Dieu & de ses Saints.
" 3. Si tu avois vu la gloire dont les
Saints sont couronnés dans la béati
tude , si tu connoissois quelle est main
tenant la gloire & la joie de ceux que
le monde méprisoit si fort autrefois ,
& qu'il jugeoit indignes de vivre , tu
prendrois plaisir à t'humilier & à Ra
baisser.
Tu choisirois plutôt d'être le dernier
cle tous que d'être préféré à qui que ce
puisse être. Tu ne désirerois ni les
beaux jours , ni le bon tems de cette
vie , mais tu aimerois mieux souffrir
(a) Rom. 6. v. 24. (&) Ff. xzo. v. ç.
pour
be J. Christ. Liv. III. Ch. 47. %if
pour l'amour de Dieu toutes les tra
verses qu'il lui plairoit de t'envoyer.
Tu regarderons comme un grand avan
tage d'être méprisé & tenu pour rie»
entre les hommes.
4. O si tu trouvois du goût en toutes
ces choses, & qu'elles te touchassent
le co?ur ! Comment oserois-tu te plain
dre tant soit peu de quoi qui t'arrivât ?
Quoi donc ! ne faut-il rien souffrir
pour la vie éternelle ?,Est-ce si peu de
chose que de perdre ou d'acquérir le
royaume de Dieu?
Lève les yeux au ciel. Regarde à.
moi ; regarde à mes Saints , qui ont été
dans ce monde en de grands combats,
& qui les ont soutenus avec courage.
Voici ils sont maintenant dans la
joie & dans la consolation ; ils sont
dans la sûreté & dans le repos , ils
demeureront éternellement avec moi
dans le royaume de mon Père.

CHAPITRE XLVIIL
En fupportant les mifères de cette vie ,
il faut penfer au jour de l'éternité.
Le Disciple.
I. O Heureuse demeure de la Cite
P
338 De l' Imitation
céleste ! O jour lumineux de l'éternité
que la nuit du péché n'obscurcit point,
mais que la vérité souveraine éclaire
incessamment ! O jour de joie sainte &
interminable ! jour assuré contre les
chûtes & l'inconstance; plût à Dieu
que tu fusses présent , & que ces chO'
ses temporelles fussent disparues!
Il est vrai que ceux qui sont sancYi-
fiésjouissent dès ce monde de ta clarté
éternelle; mais ils n'en jouissent que
comme de loin; ils ne la voient qu'à
travers un miroir pendant qu'ils voya
gent sur cette terre.
2. Il n'y a que les Citoyens de la Jé
rusalem céleste qui connoissent la joie
dont elle est comblée, pendant que
les enfans d'Eve gémissent dans le sen
timent des peines & des amertumes de
leur exil.
Les jours de cette vie mortelle sont
courts & mauvais , pleins de douleur*
& de misères.
L'homme y est souillé par une infi-
pité de pechés ; enchaîné par une mul
titude de passions, tourmenté par beau
coup de craintes , embarrassé de mille
soucis, dissipé par la curiosité, pos
sédé par la vanité, aveuglé par Ter
i>e J. Christ. Liv. III. Ch. 47. m
reur, abattu par les travaux , accablé
par les tentations , amolli par les dé
lices, & tourmenté par la pauvreté &
par la disette.
3. Hélas! quand ces maux finiront-
ils pour moi? hélas! quand serai -je
délivré de la malheureuse servitude du
vice? quand viendra le tems où toutes
choses étant oubliées pour moi, je ne
-penserai plus qu'à mon Dieu., & ne
me réjouirai pjus qué de mon Dieu ? .
Quand serai-|e délivré dé mes chaî
nes, de tous les!obstaeles que je trouve
à ma liberjté, de ce qu'il y a,dans mon
: corps & ^ahs 1 môii aine qui ni'empê-
che d'être tout à Dieu ? - ' '
Quand aurai-je une paix solide avee
l)ieu; une paix qui ne puisse plus être
•troublée ; une paix intérieure & exté
rieure ; une paix ferme & qui ne cesse
jamais?
0 1 mon Jésus, Sauveur plein de mi
séricorde , quand serai-je 'affermi dans
la sainteté parfaite pour voir ta face
en justice ? ! J" ' ' ' :" ' '
Quand verrai-je l'établissement de
ton régne en moi & hors de moi ?
quand seras-tu mon tout en toutes
choses!
P *
j4o De l'Imitation
Ouand serai -je uni à toi dans le
royaume que tu as destiné dès l'éter
nité à tes amis? ^ . .
Regarde , je suis ici loin de ma pa
trie , dans un dur exil , errant & vaga
bond dans un pays ennemi , où je ne
rois tous le» jours que guerre & que
malheur, l.-,?m.;
4. Je ne soupire, qu'après toi, Sei
gneur ! console-moi dans cet exil &
adouci mes, maux,, ti.;:. \..
Tout ce que le monde me peut pré
senter pour me réjouir ne fait qu'aug
menter ma peine. .- ; ,
./ ,Je brûle du desir d'aller à toi , d'être
éternellement avec toi*;. mais je nesau-
rois y atteindre. ^ , , . ;.j£. :
Je désire de m'éleye^ et de m'atta»
„eher aux choses spirituelles et célestes';
mais les temporelles et mes passions
qui sont encore vivantes , sont un poids
qui me courbe vers la terre, , *
L'esprit voudroit s'élever au-dessus
des choses sensibles, màjs quelqu'effort
qu'il fasse , la chàir le retient et. lj'att^rp
en bas»,. --: .t-j , ,. ' (
Ainsi dans mon extrême misere, cou-
traint d'être en guerre avec moi-même,,
j'ai de la peine à me supporter,, je sens
* r .
de J. OhIust. Lit). III. Ch< 48. 3^t
au-dedans de moi des movfvemens op
posés , l'Esprit se portant vers le ciel
et la chair vers la terre.
- 5. O quel martyre que le mien lors
que méditant dans l'oraison, 'des cho
ses spirituelles et célestes , je me vois •.
tout d'un coup précipité dans la boue
des pensées terrestres et charnelles ! .
O mon Dieu! (à) ne féloigne point
de moi , ne te détourne point de ton fer-
viteur en ta colere. Lance tes éclairs
tes fofrdres, & dijfipe toutes ces illu
sions. Tire tes flèches, & détrui ces,
pensées ennemies.
Uni tous mes sens à toi ; fais-moi \%
grace que j'oublie toutes les choses dii
monde , que je rejette & méprise les
premieres impressions du péché, &
qu'îles s'etKieent incontinent de mon
eeprit.
- Viens à mon aide, Vérité éternelle,
afin que je ne sois point ébranlé par
la vanité. Plaisir chaste & divin , fais-
toi goûter à mon ame , afin que l'im
pureté & les plaisirs du monde s'éva*
nouissent devant toi. ,
Pardonne -moi mon Dieu! & use en
vers moi de miséricorde toutes les foi»
(a) PC 27. v. 9. & ig. v. iç. , . .
342 D E x' I M I T A T I O N
«me je pense à autre chose qu'à toi
dans mes prières.
Je confesse , il est vrai , que je suis
très-souvent distrait. Mon esprit n'est
point d'ordinaire où est mon corps ,
il va où l'imagination l'emporte. Ainsi
je suis où est ma pensée , & ma pen
sée est où est mon cœur. Ce quej'ai
me par inclination naturelle ou par
habitude , me revient sans cesse à l'es
prit.
é. C'est pourquoi , ô. Vérité incréée !
tu nous as dit en termes très-clairs,
(b) Oit ejî votre trêfor , là efi aujfi. votre
ecettor.- -. >; - ..; :fi 7
. Si donc j'aime bien les choses spiri
tuelles , s'il est vrai que je prenne pour
mon trésor les choses célestes , j'y dois
toujours avoir le cûsur & la pensée.
Si j'aime le monde , je me réjouirai
des joies & des plaisirs qu'il me pro
curera, & m'affligerai des disgrace*
qu'il p'ourra me causer.
Si j'aime la chair, je remplirai mon
esprit des pensées qui concernent la
chair; mais s'il est vrai que j'aime l'es
prit, mes délices seront de m'entretenir
des choses de l'esprit.
(6) Matth. 6. v. 8i%
De J. Christ. Liv. 111. Ch. 48. 343
- Car on s'entretient , on parle , & on
entend parler volontiers des choses
que l'on aime; on y pense toujours;
on se les représente sans cesse , $ç on
en conserve la mémoire.
O mon Dieu ! qu'heureux est celui
qui pour l'amour de toi a congédié &
banni de son cœur toutes les créatu
res ; qui se fait violence & qui cruci
fie les desirs de la chair par la ferveur
de l'esprit ; afin que sa conscience étant
pure & paisible, il te présente den
prières toutes pures ; & qu'ayant éloi
gné de lui tout ce qui est terrestre , il
soit rendu digne d'être admis dans la
compagnie des Anges pour t'y adorer
en esprit & en vérité.

CHAPITRE XLIX.
Du defir de la vie éternelle £-? quels biens
font promis à ceux qui renoncent aux
ponneurs du monde.
Jésus-Chbist.

on fils! lorsque je t'inspire le


desir de la félicité éternelle, & celui
de déloger du tabernacle de ton corps
afin que tu puisses contempler ma lu*
P +
$44 De £ Imitation
miière à plein & sans obstacles , tu dois
ouvrir ton cœur, l'étendre , & recevoir
avec empressement cette .sainte inspi
ration.
Rends grace à ma souveraine bonté,
qui daigne te favoriser de la sorte,
te visiter si agréablement , t'animer par
des mouvemens si vifs , t'élever par une
main si puissante , de peur que ton
propre poid ne te ramène vers la
terre.
Prends garde d'attribuer ces bons
désirs à tes efforts ou à tes pensées ;
car ils ne viennent que de ma pure
miséricorde & de mon bon plaisir ,
afin que tu prennes courage pour
faire de nouveaux progrès dans la sain
teté & l'humilité ; que tu te prépares
aux combats à venir , & que tu t'atta
ches à moi de toutes les affections de
ton cœur, pour m'obéir avec uns vo
lonté pleine de zèle & de ferveur.
« 2. Mon fils ! souvent le feu est
grand, mais il n'est point sans fumée,
t'y a aussi beaucoup de gens qui pous
sant vers le Ciel des soupirs ardens ,
qui néanmoins ont encore quelque atta
chement pour la terre, & ne sont ja
mais tout-à-fait exempts de la conta*
gion de la chair. „
de J. Christ. Liv. III. Ch. 49T 345
'- *' C'est pourquoi , bien qu'ils me de
mandent arec ardeur les choses cé
lestes , leurs desirs sont impurs , parce
qu'ils ne cherchent pas ma seule gloire
d'une manière pure & désintéressée. „
" C'est un défaut qui se trouve souvent
dans tes prières & dans les soupirs que
tu m'adresses avec tant d'ardeur &
d'importunité ; car tout ce qui est in
fecté par l'amour-propre & par le pro
pre intérêt, n'est ni pur, ni parfait.
* 3. Demande-moi , non pas les eho»
ses qui te sont agréables & avantageu
ses , mais celles qui me plaisent & qui
avancent ma gloire ; car tu dois com
prendre qu'il est juste que tu préfères
ma volonté à tes desirs , & que tu te
quittes pour suivre mon bon plaisir. „
11 Je sais bien ce que tu désires , je
vois après quoi tu soupires si souvent.
Tu voudrois déja être dans la liberté de
la gloire des enfans de Dieu ; ton bon
{)laisir seroit d'être dans la maison de
'éternité & dans la céleste patrie qui
est pleine de joie ; mais l'heure n'est
pas encore venue ; il y a encore un,
teins, à passer , un tems de combat &>
de guerre ^ un tems de travail & d'é,>
preuVe.» ' . -V .:
P5
34^ De l'Imitation
" Tu dois désirer de posséder le sou
verain bien , mais ce n'est pas en le
désirant selon tes vues & ton amour-
propre, que tu y parviendras. C'est
ma volonte, c'est moi-même qui suis
le souverain bien; attends moi donc,
attends ma volonté , jusqu'à ce que le
Royaume de Dieu vienne en toi. „
" 4. Tu dois encore passer par beau
coup d'épreuves dans ce monde , tu y
dois encore être exercé en bien des
manières. „
*{ Quelquefois je te ferai sentir mes
consolations ; mais il ne te. sera pas
donné d être pleinement rassasié. For
tifie-toi donc , & sois courageux , tant
pour agir, que pour souffrir les choses
qui sont contraires aux inclinations de
la nature.
- * Tu dois te revêtir de l'homme nou
veau; tu dois être changé en un autre
homme. Tu dois souvent faire ee que
tu ne voudras pas. ,}
* Tu verras réussir les desseins &
les desirs des autres , et les tiens man
queront. On écoutera ce que les au
tres disent , et on ne voudras pas t'é-
«outer , ou bien on n'aura aucun, égard
à ce que tu auras dit. tt J
de J. Chkist. Liv. III. CH. 49. 34.7
, n Les autres feront des demandes ,
et on leur accordera ce qu'ils veulent ;
mais pour toi , si tu en fais , on te les,
refusera. „
a 5. Les autres seront estimés et
loués par-tout ; mais on ne dira, rien
de toi. On donnera aux autres des em
plois honorables , et on te laisserai
comme si tu n'étois utile à rien. ,'y
" La nature aura de la peine à sup
porter tout cela et ce sera beaucoup
si elle ne murmure quelquefois. „
a Or c'est par ces choses 3 et par de
semblables, que Dieu éprouve la fidé
lité de ses serviteurs , et qu'il leur veut
apprendre à rompre si souvent et si
universellement leur volonté , qu'ils
soient enfin dans l'état d'un renonce
ment véritable.
"Il n'y a rien en quoi tu aies plus
sujet de mourir par un vrai renonce
ment à toi-même, que lorsque tu es
réduit à voir et à souffrir des choses
qui sont contraires à ta volonté, et
sur-tout lorsqu'on t'ordonne des cho
ses qui ne te paraissent ni utiles ni
raisonnables. „
La erainte de choquer un plus puis
sant que toi , ou un supérieur de qui
P 6
34-S De l'Imitati 01»'
tu dépends te fait gémir de te voir
contraint de vivre toujours dans une
fâcheuse dépendance, et de renoncer
en tout à tes propres sentimens.
" Mais si tu pensois bien que ceux
qui se*soumettent de bon cœur à tou
tes ces choses , verront bientôt la fin
de leurs travaux, et seront magnifique
ment récompensés , sans doute , que
tout cela ne seroit pas si pesant et
que ta patience en deviendroit cou
rageuse. „
* Car en te faisant violence ici bas
en quelque rencontre , tu feras éter
nellement ta volonté dans le ciel ; là
tous tes souhaits seront accomplis , là
tu trouveras l'abondance et la pléni
tude de tout bien , sans aucune crainte
de la perdre. »
a C'est là que ta volonté étant de
venue une seule chose avec la mienne;
ne désirera rien hors de moi , n'aura
aucun mouvement propre et particu
lier, mais seulement ceux que je lui
imprimerai. „
" C'est là que tu ne trouveras per
sonne qui te résiste , ni qui se plaigne
de toi , ni qui trouble ton repos , ni
qui traverse tes desseins : il ne te man-i
«juera rien- de tout ce que tu peux sou
»e J. Christ. ZzVflT. Ch. 49. 349
haiter, tu jouiras d'un contentement
parfait. „
" C'est là que je te comblerai de
gloire pour les opprobres dont le mon
de t'aura chargé ; que je ferai de tes
afflictions la matière de tes louanges,
et parce que tu auras pris la dernière
place, je te donnerai une des premiè
res dans mon royaume éternel. „
" Là on verra les fruits de l'obéis
sance et de la mortification du vieil
homme ; et l'humilité y sera glorieuse
ment couronnée. „
„ 7. Humilie-toi donc profondément
devant tous , et ne te mets point en
peine qui aura dit ou ordonné ce qu'on
exige de toi. „
" Mais tâche principalement de pren
dre tout en bonne part, et de faire de
bon cœur ce qu'exigent de toi tes su
périeurs, ou tes semblables , ou même
tes inférieurs , s'il n'est point contraire
à ma volonté. „
„ Oue les uns cherchent une chose ,
et les autres une autre; qu'ils mettent
leur gloire en ceci ou en cela , ne leur
envie point les louanges qu'une infinité
de gens leur donnent ; réjoui-toi seu
lement de te voir dans le mépris , et
foulant aux pieds tout le reste, n»
" 35° De l' Imitation
pense , ne t'occupe que de ma seule
volonté et de ma gloire. Ce doit être
l'unique matière de tes soins , afin
que ta vie et ta mort s'y rapportent
également. „

CHAPITRE L.
Dans les affligions & la trijleffe , on doit
fe remettre entre les mains de Dieu.
Le Disciple.

i. Seigneur , mon Dieu ! Pere Saint î


béni sois-tu maintenant et dans tous
les siècles ; car rien n'a été fait , que tu
ne l'aie voulu ; et oe que tu fais , est
toujours bon.
Que ton serviteur n'ait de joie que
Î>arce que ta volonté se fait , et non
a sienne , et qu'il n'en ait pour aucune
autre chose.
Ir n'y a point de vraie joie hors de
toi , ô Seigneur , ta volonté est mon
espérance et ma couronne, ma joie et
ma gloire. Que possède ton serviteur
sinon ce qu'il a reçu de toi, et même
sans l'avoir mérité ? Toutes choses sont
a toi , celles que tu as faites , et celle*
- que tu as données.
dk J. Chkist. Liv. 11L Ch. 50. 351
Je suis pauvre , et je languis dans
mes travaux dès ma jeunesse , quel
quefois mon ame s'attriste jusqu'à ré
pandre des larmes , et quelquefois elle
se trouble en elle - même lorsqu'elle
voit des maux qui sont prêts à fondre
sur elle.
2. Je désire la joie de ta paix; j'as
pire à la paix que tu donnes à tes en-
fans que tu nourris de tes conso
lations. Si tu m'accordes cette paix ,
si tu accordes à ton serviteur cette
sainte joie , mon ame sera dans l'allé
gresse , et chantera tes louanges avec
un transport merveilleux ; mais si tu
te retires pour quelque tems , comme
tu fais quelquefois, elle ne pourra plu*
courir dans les voies de tes eomman-
demens.
Environné de foiblesse , je me pros
terne devant toi , je frappe ma poi
trine pour te témoigner ma douleur de
ce que je ne suis plus comme j'étois,.
lorsque tu répandois sur moi ta lu
mière, et que tu me couvrois de tes
ailes pour me défendre des tentations.
j. Et maintenant , Pere juste et tou
jours louable en tout ce que tu fais!
l'heure est venue que ton serviteur
doit être éprouvé,
35a De l' Imitation
Père infiniment aimable , il est juste
que ton serviteur soutire quelque chose
à cette heure pour l'amour de toi.
Père souverainement adorable ! voici
le moment prévu avant tous les siècles,
ou ton serviteur doit être accablé de
peines extérieures pour un peu de tems,
afin qu'il vive toujours avec toi d'une
vie intérieure.
11 doit être méprisé , humilié , abattu
devant les hommés , accablé d'afflic
tions et de langueurs, pour se relever
arec toi au jour de la nouvelle lumiè
re , et pour être rempli de la céleste
clarté. Père saint ! tu l'as ainsi ordon
né , tu as ainsi voulu ; et ce que tu as
voulu a été accompli.
4 O Dieu l-tu me traites comme ton
ami ; car tu ne fais qu'à tes amis la
grace d'être prêts à souffrir , et d'être
affligés pour l'amour de toi dans ce
monde , en quelque manière que ce
soit , et par qui que ce so.it que tu
permettes que l'afflidtion vienne.
Rien ne se fait sur la terre sans ton
conseil, sans ta providence, et sans
une juste cause. («) Il nttft bon , Sei
gneur ! que j'aie été affligé , afin que
. \a) Pf, u$. v. .71.
de J. Christ. Liv. III. Ch. 50. 353
/apprenne tes commandemens , et que
je renonce à mon orgueil et à la bonne
opinion que j'ai de moi-même.
Il m'est utile que mon visage ait été
couvert de honte, afin que je cherche
plutôt ma consolation en mon Dieu
que dans les hommes.
J'ai encore appris par-là à révérer
avec frayeur la profondeur de tes ju-
gemens; car quoique tu affliges le juste
aussi bien, que le méchant , ta conduite
est juste et équitable.
5. O mon Dieu ! je te rends graces
de ce que tu ne m'as point épargné
dans mes péchés ; mais que pour mon
salut tu m'as châtié rigoureusement
par les douleurs & parles amertumes
dont tu m'as rempli au dedans et au
dehors.
Il n'y a rien sous le ciel qui puisse
me consoler en cet état; il n'y a que
toi seul, mon Seigneur et mon Dieu!
céleste médecin des ames , qui frap.
pes et qui guéris, qui mènes jusques
aux portes de l'enfer, et qui en retires.
Châtie moi selon ta volonté , et que
ta verge m'apprenne à me bien con
duire !
6. Père digne d'être révéré à jamais.
354 D E l' Imitation
je me mets entre tes mains, et je m'hu
milie de tout mon cœur sous la verge
de ta correction paternelle.
Frappe sur moi , redouble tes coups
sur ma tête orgueilleuse ; que mon cou
fléchisse, et que ma volonté déréglée
et inflexible se plie sous la tienne tou
jours droite et sainte.
Fais-moi la grace d'être ton disci
ple ; que semblable à tes vrais disci
ples qaon cœur soit rempli de piété
et d'humilité, afin que ta volonté soit
constamment et en toutes choses la
règle de la mienne.
Je me remets à toi , moi et tout ce
qui est en moi , afin que tu me cor
riges. Car il vaut mieux être corrigé
dans ce monde que puni dans l'autre.
Tu sais tout ; tu connois tout en dé
tail ; tu pénêtres les replis les plus se
crets des consciences de tous les hom
mes. Tu vois les choses avant qu'elles
arrivent et il n'est pas besoin qu'on
t'informe de ce qui se fait sur la terre.
Tu sais ce qui est nécessaire à mon
avancement spirituel , et combien la
tribulation m'est utile pour nettoyer
mon ame de la rouille et des taches
qu'elle a contractées.
»e J. ChiUst. Liv. III. Ch. 50. 355
Mon Dieu! agi avec moi selon ton
bon plaisir , et ne me rejette point à
cause de ma vie souillée de péchés qui
ne sont parfaitement connus que de
toi.
7. Fais-moi la grace , ô Seigneur !
que je sache ce qu'il faut savoir ; que
j'aime ce qu'il faut aimer ; que je loue
ce qui t'est agréable; que j'estime ce
qui est précieux à tes jeux ; et que je
méprise ce que tu méprises. . ... . .
Ne permets pas que je juge de»
choses par une vue humaine et selon
leur apparence., ou sur .ce que je voi^
et sur ce que j'entens dire à des hom
mes aveugles; mais éclaire mon esprit,
afin que je juge sainement et selon ta
lumière des choses visibles , et que je
tâche sur-tout et en toutes choses d'ac
complir ta volonté.
8. Les hommes se trompent souvent
en jugeant selon leur sens. Ceux qui
sont enchantés du monde s'abusent en
n'aimant que les choses visibles. Un
homme en est-il plus grand, pour être
estimé par un autre homme ?
Lorsqu'un homme loue un autre
homme , c'est un trompeur qui trompe
un autre trompeur; un superbe qui
'356 D 1 1/ Imi'tatiow
séduit un autre superbe , un aveugle qui
en fait à croire à un autre aveugle , et un
malade qui flatte un autre malade et
qui lui amasse un sujet de déshonneur
et d'opprobre éternel , prétendant le
combler d'honneur et de louange. O
Dieu ! que celui-là a bien pensé qui a
dit : Nul riefi véritablement grand ,
qu'autant qu'il Pejl aux yeux du Sei
gneur.

C H APITRE LI.
Quand on manque de forces pour les œu
vres Jublimes, il faut s' attacher à
celles qui font communes.
J-E!DS-ChïI8T.
,.M on fils ! il n'est pas possible que
l'ardeur du zèle & du désir que tu sens
pour le bien, ne. souffre ni interruption
ni éclipse. » ;
M Tu ne peux aussi te conservertou-
jours ferme dans le haut degré de la
contemplation où tu te trouves quel
quefois ; mais la foiblesse & la corrup
tion de ta nature te met dans la néces
sité de descendre souvent vers les choses
inférieures , & de sentir malgré toi &
be J. Christ. Jip- III- Ch. 51. 35f
avec peine le fardeau de ta yie corrup-
tible. „
a Tant que tu seras dans cette chair
corruptible, tu seras sujet à l'ennui &
à l'abattement de cœur ; ce qui te doit
faire gémir sous le poids de ce corps
mortel, tant que tu lui ès uni, parce qu'il
^empêche de t'élever aux objets spiri
tuels , & de te donner tout entier & eii
tout tems à la contemplation des chose*
divines.,,'
a 3. Lorsque tu ès dans cet état d'a
baissement , il t'est bon de t'appliquer
.à ;eelles d'entre les œuvres extérieure»
qui sont basses & humbles , afin de dis
siper cet ennui par des bonnes actions.»
" Attends avec une ferme confiance
.que je retourne à toi & que je te visite
.d'en-haut, & cependant supporte avec
patience ton exil & la sécheresse de ton
ame, jusqu'à-ce que je vienne de nour
veau vers,toi , &. que je te délivre de
toutes tes peines. „
" Je t'établirai dans laj jouissance
d'une paix qui remplira tellement ton
ame , que tu oublieras tous tes travaux:
J'exposerai à tes jeux les beautés de
mes Ecritures , afin qu'avec dilatation-
•le cœur t» commences à courir dajis
§58 De l' I m i t a t i o n
la voie de mes commandemens. H
* Alors tu diras, (a) les Souffrances
du tems préfent n'ont aucune proportion
avec la gloire à venir qui doit être révé
lée en nous. „

CHAPITRE LU.
Il m faut pas s'efiimer digne de confola-
lions, mais plutôt de châtiment.
Le Dis c i p l e,
i . Seigneur ! je suis indigne de tes con
solations & de tes visites spirituelles ;
c'est pourquoi tu me traites avec justice
lorsque tu me laisses dans la pauvreté
& dans la désolation d'esprit.
Lors même mes yeux se fondraient
devant toi, & que mes larmes égale-
roient les eaux de la mer, je ne laisse-
rois pas d'être toujours indigne de tes
consolations.
- Je ne mérite que tes châtimens les
plus sévères, parce que je t'ai souvent
Offensé par mes péchés , qui sont en
grand nombre.
Lors <lonc que je pense bien à' ce que
je suis , jV vois clairement que je ne mé
rite pas la moindre de tes faveurs.
(<0 Rom. 8. v. rg.
de J. Christ. Lh. lit. Ch. 53- Î59
Mais toi , mon Dieu ! parce que tu
ès infiniment bon & miséricordieux , &
que tu ne veux pas laisser périr l'ouvra
ge de tes mains, pour faire paroître les
richesses de ta bonté dans les vaisseaux
de ta miséricorde , tu daignes venir
consoler le plus lâche de tes serviteurs
d'une maniere qui surpasse les forces
humaines. O que tes consolations sont
différentes de celles qu'on trouve dans
les conversations du monde!
2. Ou'ai-je donc fait , Seigneur! pour
«l'attirer des consolations du ciel ? Je
ne me souviens point d'avoir fait aucun
bien , mais plutôt d'avoir toujours été
porté au mal ; lent & paresseux à me
corriger. Je le reconnoîs & si je disois
le contraire , tu me démentirois , &
me convaincrois de mon iniquité,
sans que personne osa ou put me dé
fendre.
Qu'est-ce qui m'est dû , sinon l'enfer
& le feu éternel ? ô mon Dieu ! je con
fesse ingénument devant toi, que je
suis digne d'être le jouet & le mépris
de toutes les créatures ; & que ce seroit
à tort qu'on me mettroit au nombre des
vrais chrétiens & de tes serviteurs.
Et quoique ces paroles me semblent
360 De l' Imitation
bien dures, néanmoins je ne puis être
vrai qu'en confessant & reconnoissant
mon absolue indignité, & alors j'ob
tiendrai plus aisément ta miséricorde.
2. Je suis un criminel ; j'en suis tout
confus: que dirai -je? Je ne puis ouvrir
la bouche que pour prononcer cette
parole; j'ai péché, Seigneur ! j'ai pé
ché ; aie pitié de moi & me pardonne !
Accorde-moi le teins de pleurer dans
ma douleur avant que je descende dans
la terre des ténèbres , qui est couverte
de l'ombre de la mort.
Oue demandes-tu de plus d'un cri
minel & d'un misérable pécheur , sinon
qu'il s'humilie , & qu'il brise son cœur
dans la vue de ses péchés ?
Aussi lorsque le cœur est véritable
ment humilié & brisé , on sent renaître
l'espérance du pardon, la paix de la
conscience, le recouvrement de la grace
perdue , l'assurance contx-e la colère à
venir; & alors Dieu & l'ame pénitente
«e rencontrent , s'embrassent & se don
nent le saint baiser de la paix.
4. L'humble contrition du cœur est
devant toi , ô Seigneur, un sacrifice
plus agréable que l'odeur de l'encens &
des
m. S. Christ. Liv. III. Ch. 53. 361
des parfums ; on peutjustement le com
parer à ce précieux parfum , qui fut
répandu sur tes pieds ; car tu n'as ja
mais méprisé un cœur véritablement
contrit & humilié.
C'est là qu'est notre refuge pour fuir
la colère de notre ennemi ; & c'est par
ce moyen que l'on purifie & que l'on
nettoie l'ame des souillures & des taches
qu'elle avait contractées.

CHAPITRE LUI.
La grâce de Dieu efi incompatible avec le
goût des chofes terreftres.
Jésus-Christ.

on fils , ma grace est un don si


précieux, qu'elle ne peut souffrir aucun
mélange , ni compatir avec les conso
lations terrestres. Si donc tu la désires ^
tu dois bannir de toi tout ce qui pour-
roit lut être en obstacle. „
" Cherche toujours le secret ; aime k
être seul & recueilli ; évite les discours
& les entretiens des hommes, l'appli
quant plutôt à t'entretenir avec moi par
clcs prieres ardentes, & à conserver dans
Q
362 De h' Imitation
ton cœur le sentiment de ton indignité ,
& la pureté de ta conscience. „
a Regarde le monde entier comme
rien ; & préfère infiniment à toutes les
choses extérieures l'application à ton
Dieu. „
" Il n'est pas possible que tu t'appli
ques solidement aux choses divines , &
qu'en même tems tu prennes plaisir à
celles qui passent.»
Il faut te retirer de ce qui t'est le plus
familier & le plus cher , & vider ton ame
de toute la joie & la satisfaction qu'elle
peut prendre dans les choses temporel
les , selon l'exhortation que St. Pierre
fait aux Chrétiens, d'être (a) dans ce
monde comme des voyageurs & des étran*
gers , s'abjlenant de tout ce qui pourroit
les embarrasser. „
3. " O quelle confiance & quelle joie
aura , au lit de mort , celui qui n'a le
cœur attaché à aucune des choses qui
sont au mon de ! Mais un esprit infectéde
la maladie du péché, ne peut compren
dre comment on peut ainsi avoir le cœur
séparé de tout ; & l'homme animal &
charnel ne sait ce que c'est que la liberté
de l'homme spirituel & intérieur. „
(a) Pierre 2, v. 11.
m J. Christ. Liv. III. Ch.fi. 36?
e{ Néanmoins s'il veut devenir spiri
tuel , il doit nécessairement renoncer
tant aux étrangers qu'à ses proches , Se
se défier de lui - même plus que de
tous. n
» Si tu peux te vaincre parfaitement
toi-même , tu surmonteras facilement
tout le reste.
" La plus grande & la plus parfaite
victoire est celle que l'on remporte sur
soi-même. „
" Car celui qui a acquis un tel empire
sur ses passions que la raison domine
son appétit, & que cette raison m'o-
béisse en tout ; celui-là est vraiment
vainqueur de soi-même & maitre du
monde. „
3. Si tu veux atteindre à cette per
fection , tu dois commencer avec cou
rage , & mettre la coignée à la racine de
l'arbre, afin de couper, d'arracher, de
détruire cette inclination déréglée qui,
cachée dans le plus secret de ton cœur,
t'attache toujours à toi-même , & te
porte vers un bien particulier , propre ,
sensible & matériel.
" Ce malheureux vice par lequel
l'homme se tourne toujours vers lui-
même , & considère tout par rapport à
364 B h l' Imitation
lui , est la racine qui fait vivre & qui
soutient tous les autres vices que l'on
doit abattre ; dès que le premier a été
dompté & arraché , on se trouvera
dans une grande paix, & dans une ferme
tranquillité.,,"
a Mais parce qu'il y en a peu qui fas
sent effort pour se renoncer entière-?
ment , la plupart demeurent toujours
esclaves de leurs passions, sans avoir la
liberté de s'élever en esprit au-dessus
d'eux-mêmes.
a Si quelqu'un désire de marcher
avec moi dans la vraie liberté , il doit
nécessairement donner la mort à toutes
ses inclinations mauvaises & à tous ses
désirs déréglés , & ne s'attacher à au
cune créature par affedtion , & par un
amour propre & particulier.

CHAPITRE LIV.
Des différens mouvemms de la nature &
de la grace.
J es us-Christ.

on fils ! tâche de bien discerner


les mouvemens de la Nature & ceux de
ta Grace ; car quoique ces deux princjk
r>£ J. Christ. Lh. III. Ch. 54. 365
pes soient contraires , leur discerne
ment est très-délicat,& à peine se peut-il
jfaire , à moins qu'on ne soit spirituel &
bien éclairé. Il est vrai que les hommes
désirent le bien , & qu'ils ne disent & ne
font rien sans se le proposer pour objet
& pour fin; mais ce prétexte du bien a
trompé une infinité de gens. „
2. " La nature est rusée & artificieuse ;
elle entraîne la plupart des hommes;
elle les séduit; elle les attire dans ses
pièges ; & elle a toujours pour but dese
satisfaire elle-même.,,
" Mais la grace marche dans la sim
plicité ; elle évite les moindres appa
rences du mal ; elle n'use point d'arti
fices & de déguisemens, & elle fait tout
d'une maniere pure & désintéressée,
n'ayant que Dieu seul en vue, & se re
posant en lui seul comme en sa fin sou
veraine. ,,
3. " La nature ne veut point mourir,
ni se faire violence , ni avoir le déshon
neur d'être vaincue , ni obéir , ni vivre
dans la sujétion. „
: :a Mais la grâce s'étudie à l'abné
gation de soi-même ; elle reprime la sen
sualité , elle aime l'obéissance , elle cède
volontiers aux autres, elle désire de se
366 Del' Imitation
surmonter , elle s'interdit l'usage de sa
liberté , elle aime à être tenue sous la
discipline ; elle ne veut point dominer;
mais plutôt se soumettre à Dieu pour
dépendre universellement de lui de qui
elle tient la vie , le mouvement & l'être ;
& elle est prête à s'assujettir par humi
lité à toute créature humaine pour l'a
mour de Dieu. „
4. " La nature travaille pour ses pro^
pres intérêts, & elle regarde toujours
quel bien & quel avantage lui pourra
Tenir de ce qu'elle fait. „
" Mais la grace, au contraire, fermant
les jeux sur son avantage & ses com
modités, ne regarde que ce qui est utile
& commode aux autres. „
5. "La nature prend plaisir à être
honorée & respectée. „
c< Mais la grace fait qu'on se dé-
pouille de toute gloire & de tout hon
neur pour les rendre fidèlement à Dieu
seul. „
6. w La nature craint la honte & le
mépris. » ', ;, . . . J , ' -.
" La grace au contraire se réjouit '
de» opprobres , pour l'amour de Jésus-,
Christ, n
be J. Christ. Liv. III. Ch. 54. 36^
7. a La nature aime l'oisiveté et te
repos. „
" Mais la grace ne peut demeurer
oisive , elle embrasse de bon cœur le
travail et les peines. „
8. " La nature recherche les choses
belles et rares , elle a de Taversion pour
ce qui est vil , commun et grossier. „
" Mais la grace se contente des cho
ses les plus simples et les plus abjectes,
elle s'accommode à ce qu'il y a de plus
rude ; et au lieu de chercher la mollesse
ou le luxe dans les habits , elle ne se fait
aucune peine d'en porter de grossier*
et d'usés. „
9. " La nature a égard aux choses
temporelles, elle se réjouit d'un gain,
elle s'afflige d'une perte; et elle se
fache pour la moindre injure. „
" Mais la grace n'a égard qu'aux cho
ses éternelles; elle méprise les tempo
relles ; elle les peut perdre toutes sans
se troubler; les paroles les plus inju
rieuses ne l'irritent point. Son trésor et
sajoiesont dans le ciel, où rien ne périt
et ne peut être attaqué. „
10. "La nature est avare ; elle aime
mieux recevoir que donner; elle aime
. 0 4
36S De l' Imitation
iâ\ bien qui lui soit propre et particu
lier. „
" Mais la grace est charitable , c'est
somme une fontaine publique qui se
répand par-tout ; elle communique ce
qu'elle a ; elle évite la propriété ; elle se
"èontente de peu ; elle juge ( a ) qu'il ejl
-plus heureux de donner que de recevoir. „
: ii. <l La nature nous fait toujours
pencher vers les créatures; elle noué
porte à traiter le corps délicatement,
à nous divertir, à nous promener, à
nous dissiper et évaporer. ,,
" Mais la grace tire le'cœur à Dieu et
à la vertu ; elle quitte les créatures ;
elle fuit le monde ; elle a en horreur les
plaisirs du corps; elle retranche tous les
entretiens et toutes les visites mondai-
aîes , et elle se fait peine de paraitre en
public. „
12. " La nature cherche volontiers
dans le dehors quelque vaine consola
tion , ou quelque plaisir sensuel. n
" Mais la grace ne cherche sa joie
qu'en Dieu seul ; et s'élevant au dessus
de tout le visible, elle ne trouve 8on
plaisir que dans le souverain bien. „
13. "Tout ce que la nature fait est
(«) Aft, ao. ?. jj.
de J. Christ. Liv. HT. Ch. 54- 369
pour son propre intérêt* elle ne peut
rien faire gratuitement. Si elle donne
quelque chose , e'ëst pour en recevoir
Ou .autant , ou davantage , ou pour en
être louée, ou pour se faire aimer; elle
est bien aise que l'on considère beau
coup ce qu'elle a fait et ce qu'elle a
donné. « ; .
" Mais la grace ne cherche rien, elle
né demande nulle autre récompense que
Dieu seul; et elle ne désire les biens
temporels les plus nécessaires, qu'au
tant qu'ils peuvent servir à l'acquisition
des biens éternels. „
14. a La nature se réjouit d'avoir
beaucoup: d'amis et de païens considé
rables ; elle se vante de sa naissance et
de sa noblesse , elle a de là complai
sance pour les puissans de là terre ;
elle flatte les riches ; elle n'applaudit
qu'à ses semblables „ • '
" Mais la grace aime ses ennemis ;
elle ne s'élève point pour le nombre de
ses amis ; elle ne fait attention ni à la
condition", ni à la naissance, mais à la
•vertu ; elle favorise plutôt le pauvre que
le riche , elle est plutôt du côté des in-
nocens que de celui des puissants; elle
amie les personnes Yéridiques & sim
370 De l' I m i t a ri o »
pies , & se retire de celles qui sont dou
bles & trompeuses. Elle exhorte tou
jours les bons à croître en graces , & à
devenir semblables au Fils deDieu par
l'imitation de ses vertus. „
15. " La nature se plaint dès que
quelque chose lui manque ou l'inquiête.
" Mais la grace souffre constamment
la pauvreté. » , ,. , - . ,
1 6. " La nature rapporte tout à elle-
même; jèUe se, défend, elle s'oppose
à ceux qui lui contredisent. „
. " Mais la grace rapporte tout à Dieu,
parce que tout vient de lui ; elle ne&'aU
tribue aucun bien ; elle n'est ni arro
gante , ni présomptueuse ; elle évite les
disputes , elle ne préfère point son opi
nion à celles des autres ; mais elle sou
met toutes ses pensées & tous ses juge-
jnens à la sagesse éternelle & au juge
aient de Dieu. „
17. * La nature désire de connoître
les choses cachées , & d'ouïr celles qui
«ont nouvelles ; elle aime à paroitre au
dehors , & se convaincre de tout par ses
sens ; elle désire d'être connue , & affec
te de faire des choses qui peuvent hii
attirer les louanges & l'admiration du
monde. »
de J. Christ. Liv. III. Ch. 54. 371
u Mais la grace ne désire point de
savoir les choses nouvelles & curieuses ,
parce que ce désir vient de notre pre
mière corruption , & qu'il n'y a rien de
nouveau & de durable sur la terre. Elle
nous enseigne à combattre la sensua
lité, à fuir la vaine complaisance & l'os
tentation; à cacher par un principe
d'humilité les choses louables & les dons
particuliers que l'on pourroit admirer
en elle , & à ne chercher rien que ce
qui peut porter du fruit , & servir à la
louange & à la gloire de Dieu. Elle ne
désire point qu'on la loue, ni qu'on,
yante ce qui lui appartient ou qui vient
d'eîle ; mais elle souhaite que Dieu soit
bérii dans ses dons , parce que c'est lui
qui donne tout par une pure bonté.,,
: 18. " Cette divine grace est une lu
mière toute surnaturelle ; c'est un don
tout particulier de Dieu ; c'est le vrai
caractère des élus, & le gage de leur
salut éternel ; elle élève l'homme au-
dessus des choses de la terre pour lui
faire aimer les choses célestes; & d'hom-
rhe charnel , qu'il étoit auparavant , elle
en fait un homme spirituel- On reçoit
donc une plus grande abondance de
graces à proportion qu'on fait plus d'ef
37* De l' Imitation
fort pour vaincre & assujettir la nature ;
& l'homme intérieur se renouvellant de
jour en jour , se forme selon l'image de
Dieu ; parce que Dieu se communique
à lui de plus en plus.

,(, C H A P I.T1 E, LV.


De l'efficacité de la grace de Dieu , ^
de la corruption de la nature.
Le Disciple.

on Seigneur & mon Dieu ! qui


m'as créé à ton image , donne-moi > je te
prie , cette grace qui comme tu me l'as
fait voir, est un don si excellent & si
nécessaire pour mon salut , afin que par
elle je surmonte la grande corruption
de ma nature. ' -
Car je sens que la loi du péché est
dans mes membres , dans tout mon Etre
naturel, qu'elle ,combat la loi de l'es
prit , & qu'elle me rend esclave de 1%
sensualité.
Je ne puis résister à mes passions ,
si ta grace triomphante, répandue dan*
mon cœur, ne m'anime & ne me forù-
£e poui- les vaincre. „
be J. Christ. Liv. III. Ch. 55.
; %. J'ai besoin de cette grace puis
sante pour surmonter ma nature portée
au mal dès ma jeunesse. -' ..;>
Car cette nature ayant perdu son
innocence dans Adam, & tous les enfans
d'Adam ayant eu part à la désobéis
sance de leur père , la souillure , la cor
ruption ,le.péchëse sont propagés dan*
tous les hommes. Ainsi quand on. parla
maintenant de la nature, qui en sortant
de tes mains étoit bonne & droite , oa
entend une nature vicieuse & gâtée , qui
par le péché originel est tombée dans
un tel désordre , que tout son penchant
est pour le mal & les choses de la terre.
Le peu qui lui reste de forces peut se
comparer à une étincelle cachée & cou*
verte sous la cendre. -1
Cette étincelle est la raison naturelle,
qui a encore le discernement du bien
& du mal , du vrai & du faux ; mais qui
est environnée de ténèbres , qui n'a pas
la force de faire le bien qu'elle approu
ve , qui ne peut jouir en plein de la lu
mière de la vérité, ni régler ses affect
tions & ses passions. ;
3. De là vient, mon Dieu! (a) que
je prens plaijîr à ta loi felon l'homme iti%
(a) Rom. 7. r. I8< **• £{• ;
'j?4 Di l' Imitation
térieur , parce que je sais que ton com
mandement est bon Juste & saint , qu'il
condamne tout le mal , & qu'il veut quç
l'on fuie le péché;- mais je fuis encore
fournis à la loi du péchéfelon Homme ex
térieur ; parce que j'obéis plutôt à la
sensualité qu'à la raison , le vouloir ejl
bien attaché à moi , mais je ne trouve pas
le moyen d'exécuter le bien.
De-dà vient que je me propose sou
vent de faire le bien ; mais parce que ta
grace me manque , & qu'elle ne vient
par soutenir ma foiblesse , la moindre
difficulté me rebute & me décourage.
De -là vient enfin que j'ai beau con*
uoître la voie de la perfection , & voir
clairement ce que je dois faire, je de
meure néanmoins toujours plongé dans
ma corruption, sans m'élever à ce qui
est le meilleur & le plus parfait.
4. O mon Dieu t que ta grace m'est
nécessaire pour commencer le bien,
pour le continuer, & pour l'achever !
-Sans elle je ne puis rien , mais (b) lorf-
qu'elle me fortifie, je puis tout en toi.
O grace vraiment céleste , sans la
quelle il n'y a point d'œuvres qui soient .
bonnes , ni de dons de la nature qui
(6)Phil. 4. v. 13.
J. Chbist. Liv. III. Ch. 55. 575
soient estimables ! les arts j les richesses*
la beauté , la force , l'esprit, l'éloquence
ne sont rien davanfetori Seigneur ! si ta
grace ne sarnSifie tout cela & n'en relèive
le prix. . : • t .'. 1
Ces dons de la nature sont communs
aux bons & aux méchans ; mais ta grace
& la charité c'est le don que tu fais à tes
élus pour les marquer & les rendre rdi*
gnes dé la rie éternelles 1 * ~"J
Cette grace est quelque chose de si
excellent , que qui né l'a pas , n'est rien
devant toi , fut-il Prophête , eut- il le don
des miracles, & toute la science possible.
La foi même & l'espérance , ni toutes
les autres vertus , ne peuvent te plaire ,
sans la grace de ta charité & de ton
amour. •> i. '"• 1 '. 1 , '. ' '•'
5. O heureuse grace ! qui comble des
vrais biens, celui qui est pauvre d'es
prit , & qui conserve dans l'humilité &
. la pauvreté d'esprit ceux qui sont riches
en dons célestes.
Viens dans mon ame , rempli la dès
le matin de tes divines consolations , de
peur que faible & desséchée, elle ne
tombe, dans la. défaillance.
Je te prie, mon Dieu! que je trouve
grace devant tes yeux. Ta grace me
37*5 D E L' T M I T A T i o. v-
suffit, lors même, que toutes les vautre»
choses que ma nature dâsùfe me man-4
queroient. Que je sois tentée que je soi»
attaqué de -beaucoup de.inaux , jôTip.
craindrai rien, si ta grace est avec moi.
Elle est ma force, elle est mon con
seil & mon bouelier. Elle est plus forte
que tous mes ennemis , & plus sage que
tous les sages du monde. -,1 w« ' .>
C'est elle qui enseigne la vérité , qui
forme le&moeuraly qui instruit les igno-
rans , qui ponsole les affligés, qui dissipe
la tristesse, qui chasse la crainte , qui
nourrit la piété ; elle fait de nos veux
une fontaine de larmes.
Que suis-je sans ta grace , ô Seigneur !
$vnon ;iin -bojs seq j un tronc inutile qui
n'est propre qu'à être jeté au feu ? Fais
donc , mon Dieu , que ta grace me pré
vienne toujours, & qu'elle m'applique
toujours à faire de bonnes œuvres , par
J. C. ton Fils ,, notre Seigneur , Amen!

~~ C~H À P..I T. Ris LVI.


Nouf devons renoncer à nous mêmes , &
imiter JéfusyVbriJi en portant ja croix.
Jésus - Chris t.

s; " IVloN fils! tu entreras en moi à


de J. Christ. Liv. 111. Ch. 5f. 377
mesure que tu sortiras de toi , en renon
çant à toi-même. „
" Puisqu'on n'obtient la paix in
térieure qu'en méprisant les biens exté
rieurs , ainsi on ne peut s'unir & s'atta
cher à Dieu qu'en se détachant de soi-
même. Je veux que tu apprennes le
renoncement parfait & absolu , & que
tu ne suives plus que ma seule volonté
«ans opposition & sans -murmuré.,, ;
" Suis-moi, (a) je suis le chemin, lu
'.vérité & la vie. Sans chemin ta ne peux
avancer; sans vérité tu ne peux con-r
noître ; sans vie tu ne saurois exister. „
" Je suis le chemin que tu dois suivre ;
la vérité que tu dois croire ; & la vie que
tu dois espérer. „
f Je suis le chemin très-assuré; la'
vérité infaillible , & la vie qui ne peut
finir. „ '
-«* Je suis le chemin le plus droit; la
vérité souveraine , & la vie véritable >
heureuse & incréée. „
" Si tu demeures dans ce chemin , tu
connoltras (b) la vérité ; la vérité
t'affranchira , & tu recevras la vie éter
nelle. „ '. . - . ..
(a) Jean 14. v. <.
ib) Jean 8. v. J2i
37* l' Imitation
2. " (a) Si tu veux entrer dans la vie ,
garde les commandemens. Si tu veux con-
noître la vérité, crois en moi. (b) Si tu
veux être parfait , vends tout que tu as*
Si tu veux devenir mon difciple, renonce
à toi-même. „
" Si tu veux jouir de la vie vraiment
heureuse , méprise la vie présente. Si tu
veux être exalté dans le ciel, humilie-
toi sur la terre. „
" Si tu veux régner avec moi , porte
la croix avee moi ; car ceux-là seules
nient trouveront te chemin de la béati
tude & de la véritable lumière , qui se
seront soumis à la croix. „
Le Disciple.
3. JESUS , mon Seigneur! puisque ta
YÎc a été mortifiée , si pénible , & si mé
prisée du monde , fais- moi la grace de
t'imiter , en voulant bien que le monde
me méprise.
Car (d) leferviteur n'eft pps plus grand
que fon jeigneur , ni le dijciple an-dejjus
de fon maître, .
Que ton serviteur s'exerce dans l'i
mitation de ta sainte vie , car mon salut
& la vraie sainteté se trouvent en elle.
(a) Matth. 19. v. 17. (6) Matth. 19. v. 31.
Ce) Matth. 1». r. 24.
»e J. Christ. Liv. III. Ch. *>6. 379
Tout ce queje lis ou ce que j'entends
hors d'elle , ne sauroit me satisfaire.
Jésus-Christ.
4. " Mon fils ! puisque tu as lù & que
tu sais ce que j'ai dit & ce que j'ai
fait , tu feras bienheureux fi tu pratiques
ces cbofes. „
" (a) Celui qui a mes commandemens
& qui tes garde , c'efi celui qui m'aime;
fef celui qui m'aime fera aimé de mon
Père, je t'aimerai & me révelerai à
lui , Se je le ferai asseoir avec moi dans
le royaume de mon Père. „
Le Disciple.
5. Jésus mon Dieu ! accompli , s'il te
plaît en moi toutes ces choses. J'ai reçu
la croix de ta main ; je l'ai embrassée ;
je la p orterai jusqu'à la mort telle qu'il
Va plû de me l'imposer.
: Jjà -vie du chrétien est une croix , maie
ç'est une croix qui mène à Dieu.
J'ai commencé une fois ; il ne m'est
pas permis de retourner en arrière , &
encore moins de quitter ce bon chemin.
j.o£t Prenons courage , mes frères , mar
chons, avançons tous ensemble, Jésus
«era avec nous- i . . ;..' - • .'
Nous avons embrassé la croix pour
(a) Jean 14. t. zi.
380 De l'Imitaîios?
l'amour de Jésus , portons- la avec per
sévérance. C'est notre Chef & notré
guide , il nous aidera. '
Voilà notre Roi qui marche le pre
mier, il combattra poui' nous. Suivons-*
le courageusement ; ne craignons rien ,
fallut-il mourir dans cette guerre , com
me en effet nous devons nous préparer
à y mourir avec courage , ne permet
tons pas que notre gloire soit souilléé
pour avoir abandonné la croix.
1 , » !
CHAPITRE LYII.
On ne doit pas trop s'abattre &fe rebuter
\ defa fpiblejfe.
3 é s v s - Christ.

on fils ! l'humilité & la patience


que l'on a dans l'adversité, me.sont bien
plus agréables que la consolation & la
chaleur du zèle que l'on sent dans la
prospérité. „ , :.. ''- , .
- Pourquoi t'attristes tu de quelques
paroles que l'on a dites contre toi ?
Ôuand on en aurait dit ou fait davan
tage , tu ne devrois pas en être ému. M
" Laisse maintenant parler le monde.
m J. Christ. Liv. III. Cb. 5?. 381
Cela n'est pas nouveau , ce n'est pas la
première fois , & ce ne sera pas la der
nière que tu seras attaqué de la sorte. »
*' Tu as un grand courage , lorsqu'il
riy arien à souffrir; tu donnes aux au
tres de bons conseils ; tu les fortifies par
les paroles; mais lorsqu'une affliction
soudaine te survient , te voilà sans con
seil & sans force. „
" Heconnoîs par-là combien ta fai
blesse est grande , tu le peux remarquer
dans les moindres choses ; cependant il
n'arrive rien en tout cela que pour ton
salut. „
" Eloigne autant que tu le pourras
toutes ces tristes impressions qui t'affec
tent, mais si tu ne peux t'empêcher
de les sentir , garde-toi au moins de t'en
laisser abattre & de t'en inquiéter long-
tems, „
" Si tu as trop peu de vertu pour les
souffrir avec joie, souffres- les au moins
avec patience. „
" Si tu ne peux entendre saris peine &
sans indignation ce qu'on dit contre toi,
au moins reprime tes passions & ta co
lère ; & ne permets pas qu'il sorte de ta
bouche quelque parole qui scandalise
les petits' . M
j?« De l' Imitation
ct Ce trouble de ton ame , & cette dou
leur que tu sens dans le fond du cœur,
seront bientôt calmées , si tu implores le
retour de ma grace. „
a Je suis encore vivant , dit le Sei
gneur , je sujj prêt à t'aider & à te conso
ler extraordinairement,si tu te confies en
moi , & si tu m'invoques avec ardeur. „
ct Soumets-toi donc patiemment à ces
traitemens , sachant bien qu'il est juste
que tu les souffres ; & même prépare toi
à en souffrir de plus durs. „
" Si tu te vois souvent affligé & tenté,
ne t'imagine pas que tout soit perdu
pour toi. Tu ès homme, & non pas Dieu ;
tu ès chai*, & non pas un pur esprit
comme les anges. „
" Comment pourrois-tu toujours de
meurer dans un même état de force fc
de vertu , vu que l'ange dans le ciel , &
l'homme dans le paradis , ont été sujets
à l'inconstance ? „
" C'est moi qui relève & qui guéris
ceux qui gémissent dans leur langueur,
j'élève à la participation de ma di
vinité , ceux qui reconnoissent leurs
infirmités. „ \
Le Disciple.
Sois loué & glorifié à jamais, ô mon
de J. Christ. Liv. III. Ch. 58. 3S3
Dieu , pour ta divine parole ! ( a ) elle eji
plus douce à ma bouche que le miel le plus
excellent & le plus pur.
Oue deviendrois-je accablé de tant
de maux & de tant d'affliélions , si tu ne
me fortifiois par cette sainte parole ?
Mais quelles que soient mes souffran
ces , que m'importe , pourvu qu'après
de grandes tempêtes j'arrive au port du
salut.
Seigneur! fais-moi la grace que j'a
chève ce qui me reste de vie dans ton
ordre & selon ta volonté sur moi, &
que je ne sorte de ce monde que pour
être réuni à toi qui est mon tout. Mon
Dieu ! souviens-toi de moi , & me con
duis dans le chemin qui mène le plus
droit à ton royaume , Amen.

CHAPITRE LVIII.
// faut refpetter en filence les fecrets
jugemens de Dieu.
Je sus-Christ.

,.-M on fils! prend garde d'entrer


dans des questions trop délicates &
(a) PC 10 v. 11.
De l' Imitation
subtiles , & sur- tout dans ce qui regarde
les secretes dispositions de ma provi-
yidence. „
a Ne demande point pourquoi celui-
là semble abandonné, & celui-ci est
favorisé de beaucoup de graces ? Pour
quoi l'un est si humilié & l'autre si élevé.
<( Ce sont des mystères qui passent la
portée de l'esprit humain, & il n'est
point d'homme sur la terre, qui à force
de réflexions & de disputes puisse par
venir à la connaissance de mes juge
mens. Lors donc que le tentateur te
suggère ces pensées ; ou que des gens
trop curieux t'interrogent là-dessus ,
donne-leur pour réponse cette parole
du Prophête , (a) Tu èsjufte , ô Eter
nel.' S? tons tes jugemens font équitables.
Et cette autre; (b) Les jugemens de
V Eternel font la vérité même, ilsJe trou-
vent également juftes.
" -On doit tremblera l'aspeél de mes
juge'rssa's , & non pas les examiner ;
parce qu'ils sont incompréhensibles à
l'esprit de l'homme. „
2. "Ne t'ingère jamais à disputer sur
le mérite des Saints, & ne cherche point
qui est le plus grand & le plus élevé
(«) Ff. 119. t. ij7< {b) PC i5,r. io.
dans
de J. Christ. Liv. III. Ch. 58. 385
dans le royaume des Cieux.Tout cela ne
produit que des querelles & des conten
tions , & ne sert qu'à nourrir l'orgueil
& la vaine gloire , qu'à exciter des ja
lousies & des dissensions sur la préfé
rence que chacun donne au parti qu'il
embrasse, Se que par un principe de
vanité , il veut faire triompher. „
** Ces recherches sont inutiles , &
même désagréables aux vrais Saints ,
aussi bien qu'à moi , qui ne suis pas un
Dieu de discorde , mais un Dieu de
paix; & cette paix ne consiste pas à
s'élever soi - même , mais à s'aflèrmir
dans la vraie humilité. ,3
" Combien de gens qui par un zèle pu
rement humain, se sentent plus portés
d'estime & d'afïèdtion envers quelques-
uns de mes Saints , qu'envers quelques
autres? Cependant c'est à moi, qu'il
faut avoir égard. „ 1
„ C'est moi qui les ai tous créés , c'est
moi qui leur ai donné à tous ma grace ;
c'est moi qui les ai tous remplis de
gloire ; c'est moi qui connois leurs œu
vres ; c'est moi qui les ai prévenus par
mes bénédictions, qui les ai attirés par
mes douceurs célestes. »
0 C'est moi qui ai connu par ma pres-
R
i$6 De l' Imitation
cience mes bien aimés avant tous les
siècles , & qui les ai choisis du monde;
car ce n'est pas eux qui m'ont choisi. „
"Je les ai appellés par ma grace, atti
rés par ma miséricorde, amenés jusqu'à
moi à travers les tentations. Je leur ai
donné des consolations ineffables , une
persévérance constante ; j'ai couronné
enfin leur patience. „
4. " Je les connois tous ; je les aime
tous d'un amour indicible, Je dois être
loué dans tous mes Saints , béni & glo
rifié dans ceux que j'ai prédestinés &
appellés à la gloire, sans qu'il y ait eu
en eux aucun mérite qui ait précédé.
" Celui qui méprise le dernier d'en-
tr'eux , les méprise tous ; parce que c'est
moi qui ait fait le plus petit & le plu»
grandi „
" Celui qui leur fait injure, mêla fait
à moi-même & à tous les autres. Ils ne
sont tous qu'un, par le lien de l'amour,
ils ont un même sentiment , une même
volonté; &;ls s'aiment tous dans l'unité
de celui qui est tout en tous. „
5. " Mais , ce qui est encore bien plu*
divin , ils m'aiment plus qu'ils ne s'ai
ment eux-mème-s et tout ce qui les re
garde. »
m S. CttRisî. Liv. III: Ch. 58. jSf
" Car étant tirés et transportés au-
dessus d'eux-mêmes et de leur piopre
amour , ils passent entièrement dan*
mon amour, où ils trouvent tout leur
•repos et une félicité parfaite. „
" Rien ne les peut détourner de ce
grand amour, rien ne les en peut faire
descendre, parce que pleins de la vérité
éternelle , la flamme de leur amour est
si ardente que rien ne la : sauroit étein*
dre. „ '::-•. - ;
" Ce n'est donc pas aux hommes
charnels et animaux, qui ne cherchent
que leur plaisir , à parler de l'état des
Saints. rt
"Ils les méprisent, ils les estiment,
ils font comme il leur plaît, sans con
sulter la Vérité éternelle;^ =\ . ' .-
6. " Plusieurs agissent ainsi par igno
rance , sur-tout ceux qui ayant peu de
luniières, savent peu ce que c'est d'aimer
quelqu'un d'un amour pur & spirituel. »
u Us se portent à aimer quelqu'un par
un mouvement purement inaturel , st ils
jugent de ce qui se passe au ciel sur et
qui se fait ici bas. „ ! <'•.. - ' V
Mais' ces pensées des hbïnïAes im
parfaits sont infiniment aU-dessious de
celles que les hommes illuminés de
" R *
588 De l' Imitation
Dieu,reçoivent par la révélation divine."
B Evite donc , mon fils! avec grand
soin , de nourrir ta curiosité des choses
qui passent ta portée , prends plutôt à
tâche d'être un des plus petits au royau
me de Dieu. „
u Quand quelqu'un sauroit qui sont
les plus saints, & les plus grands dans
le royaume des cieux , que lui servi-
roit cette connoissance s'il n'en pre-
noit occasien de s'humilier devant moi,
& de me louer avec plus d'ardeur? „
" Celui qui s'occupe de la grandeur
de ses péchés , de la foiblesse de sa
vertu , & combien il est éloigné de la
vie de mes Saints m'est plus agréable
que celui, qui s'amuse à disputer de
leur égalité ou inégalité. „ . -
" Il vaut mieux demander à Dieu
avec larmes & des prières ardentes ,
qu'il nous fasse la grace d'imiter leur
sainte vie en humilité , que de satis
faire notre curiosité par la recherche
des choses particulières qui les concer
nent. « •- ?; :
u 8. Que les hommes se mettent en
repos de ce côté^là & qu'ils repriment
la vanité de leurs discours ; car pour
: .. u!' . u. r-iU
de J. Christ. Liv. III. Ch. f8. 389
mes Saints , ils sont parfaitement en
repos. „
0 Ils ne se glorifient point de leurs
mérites ; parce qu'ils ne s'attribuent
aucun bien ; mais ils m'attribuent tout,
parce que c'est moi qui leur ai tout
donné par l'amour infini que je leur
porte. „
" Ils sont tellement remplis de mon
divin amour, & de la joie ineffable que
je répands dans leurs cœurs , que rien
ne manque à leur gloire & à leur fé
licité. „
** Plus mes Saints sont élevés en
gloire, plus ils sont humbles en eux-
mêmes, & plus leur humilité est pro
fonde , plus ils m'approchent de près ,
& reçoivent de plus grandes marques
de mon amour. „
tf C'est pourquoi il est écrit d'eux,
qu'ils jettent leurs couronnes devant
le trône de Dieu, (c) qu'ils se pros
ternent sur leurs faces devant l'Agneau,
& qu'ils adorent celui qui est vivant
aux siècles des siècles. „
" 9. Nombre de gens veulent
savoir qui est le plus grand dans
le royaume de Dieu , & qui ne
fc) Jpoc. 4. v. ie.
R 3
35>o De t' Imitation
savent pas s'ils sont dignes d'être mh
au rang des plus petits. „
" C'est être bien grand que d'être le
plus petit dans le ciel , où tous sont
grands , parce qu'ils sont tous appel-
lés , & quils sont en effet les enfans
de Dieu, (d) „
44 Le plus petit viendra jttfqu'à mille ;
au lieu que le pécheur âgé de cent
ans fera maudit. »
4< Les disciples demandant , qui se-
roit le plus grand dans le royaume des
cieux , eurent pour réponse ces pa
roles : (é) Si vous n'êtes changés , & Jî
vous ne devenez femblublesàde petits en-
fans, vous n'entrerez point dans le
royaume des cieux. Quiconque donc s'hu
miliera comme ce petit enfant, fera le-
plus grand dans le royaume des cieux. »
* 10. Malheur à ceux qui ne veulent
pas s'humilier de bon cœur avec les
petits ; parce que la porte du ciel
étant petite, ils ne pourront y passer. „
44 (/) Malheur aux riches , qui
tnt leurs joies en ce monde ; lors
que les pauvres entreront dans le
(rfj Efa. 60. v. 22. Efa. tfç. v. a«.
(e) Mat th. ig. v. t. ]. 4.
(/) Luc 6. ». 3.
de J. Christ. Ziv. III. Ch. 59. 391
royaume des cieux, ils demeureront
dehors en criant & gémissant. „ .
tl Humbles , réjouissez - vous ; ( g )
pauvres, sautez de joie , car le royaume
de Dieu e/î à vous 3 si toutes fois vous
ne quittez point le chemin de la vé
rité. „

CHAPITRE LIX.
Il faut mettre en Dieu feul tout fon
efpoir & toute fa confiance.
Le Disciple.

O Seigneur ! qu'y a-t-il dans cette


vie , qu'y a-t-il dans tout ce monde
visible en quoi je mette ma eonfiance ,
& d'où j'attende ma consolation , si ce
n'est toi , Seigneur mon Dieu! dont le3
' miséricordes sont infinies?
Lorsque j'ai été sans toi , ai-je pu
jouir d'aucun bien véritable ? Et quand
j'ai été avec toi quel mal m'est-il arrivé ?
J'aime mieux être pauvre pour l'a
mour de toi , que riche sans toi. J'aime
mieux être voyageur sur la terre avec
toi , que de posséder le ciel sans toi.
Où tu ès , mon Dieu ! là est le ciel
(g) JUatth. 5. ». 2. 4.
R 4
392 Del' Imitation
véritable: & où tu n'es pas , là est la
mort & le vrai enfer.
Mes desirs ne tendent qu'à toi ; c'est
pourquoi je soupire après toi ; je crie
vers toi, & je te cherche sans cesse
par mes prieres.
Je ne puis avoir de confiance qu'en
toi , ni attendre dans mes besoins le
secours d'aucun autre que de toi seul ,
Ô mon Dieu !
Tu ès toute mon espérance*& mon
refuge , mon consolateur , mon ami
fidèle. .
2. Tous cherchent leur propre inté
rêt ; mais toi , tu ne cherches que mon
salut , & tu fais tourner toutes choses
à mon avantage. Quoique tu m'expo
ses à beaucoup de tentations & d'ad
versités , néanmoins tu les fais toute»
servir à mon utilité, parce que tu
éprouve en mille manières ceux que tu
aimes , & dans toutes ces épreuves tu
ès aussi aimable & digne de louanges,
que lorsque tu me remplis, des con
solations les plus divines.
3. C'est donc en toi, mon Seigneur
& mon Dieu ! que je mets toute mon
espérance & mon refuge. C'est à toi
de J. Christ. Liv. III. Ch. 59- 39*
que je veux avoir recours dans tous
mes maux & dans toutes mes peines ,
c'est à toi que je veux les offrir ; car
hors de toi je ne vois que foiblesse &
inconstance.
Je ne trouve hors de toi ni puissant
protecteur qui me défende , ni ami qui
m'assiste , ni maître qui m'instruise,
ni livre qui me console , ni richesses
qui me soutiennent, ni asile où je sois
en assurance ; en un mot tout ce qu'on
regarde comme grand , comme beau ,
comme fort , tout m'est inutile si tu ne
daignes toi même être mon appui , ma
force , ma consolation, mon conseil ,
ma défense & ma délivrance.
4. Tout ce qui semble nous conduire
à la félicité & à la paix , n'est rien
sans toi , & ne nous peut rendre véri
tablement heureux.
C'est donc toi seul qui ès la fin de
tous les biens ; c'est toi seul qui ès le
principe éternel & souverain de la vie ;
c'est dans toi seul que sont cachés
tous les trésors de science.
Enfin toute la. consolation , toute
l'espérance de tes serviteurs est en toi
seul , elle les soutient , les anime & les
fortifie.
Rs
Mmitatio»
Mon Dieu , mon Père ! je lève mes
yeux vers toi, je me confie en toi ,
Source de miséricorde ! Béni & sanc
tifie mon ame, verse en elte tes béné
dictions célestes, fais en un Temple si
saint , si digne de toi , qu'elle devienne
ton ciel , ta sainte demeure, & le trône
de ta gloire éternelle ; que rien ne se
trouve dans ce sanéluaire de ta sain
teté qui offense les jeux de ta Majesté
divine.
Regarde-moi dans tes compassions
selon la grandeur de ta bonté & la
multitude de tes miséricordes ; & exau
ce la prière de ton pauvre serviteur
qui est exilé & rélégué si loin de toi
dans la région de la mort.
Couvre de ta protection , & conserve
Fame de ta pauvre créature , environ
née de tant de périls , dans cette vie
mortelle ; & que ta grace , ô mon Dieuf
me tenant toujours par la main , me
conduise par le chemin de la paix dans
ïa patrie de 1 eternelle lumière. Amen»

Fin du troifieme Livre.


be J. Christ. lw. IV. 395

L'IMITATION

D E

JESUS-CHRIST,

LIVRE QUATRIEME.

Avis qui étoit au commencement de


l'ancienne traduction ou paraphrase
de ce quatrième Livre.

K;E quatrieme Livre, ci- devant retran


ché des traductions qu'on avoit publiées
du Kempis pour les Protefians , conte
nait des chofes trop édifiantes pour n'en
p&s communiquer la fubjlance aux ames
de bonne volonté de cette communion qui
cherchent Dieu , mais qui auroient été re
butées par la manière dont il étoit parlé
de Vkutharijlie. Pour éviter cet inconvé
nient. & en même tems ne perdre rien delà
fubjlance de l'ouvrage , & répondre à
l'intention de l'Auteur, on a cru pouvoir
R 6
35* AVI
employer dans cette partie une ma
niere de paraphrafe , qui , fans syaU
tacher à un extérieur que tout le monde
confere pouvoir être commun aux mé~
cbans & aux bons , nous mit devant
les yeux notre fouvetaine fin , je veux
dire Dieu & fou union s ou la participa
tion intime à PEfprit de Jésus-Christ,
qui nous conduira cela par l' tuebarijlk.
(«) Je me tiens à la porte, et je frappe,
si quelqu'un entend ma voix et m'ou
vre , j'entrerai chez lui ( ou en lui ) et
souperai ( ou ferai la Cèrîe.) avec lui ,
et lui avec moi. Que ce foit là auffi k
lut l'efprit de notre auteur , c'ejl ce
que fon ouvrage inculque fuffifamment,
nous déclarant , que le royaume de Dieu
tfi en nous ; & qtfen rentrant dans no
tre intérieur , & y préparant à Jéfus-
C'brift une place digne de lui & de fon
Ifprit , il viendra , & fera en nous fa
demeure , &c.
C'eji à quoi nous préparent les dou
ces invitations de nous donner entière
ment à Dieu , & les autres injlru&ions
du livre précédent, qui nous montre la
voie & l'œuvre préalable à cette fin fou-
veraine. Mais comme plus on s'approche
{a) Jfoç. 3. v. aa.
A T I S. ,397
de la lumière , mieux elle manifefte nos dé
fauts } on ne doit pas s'étonner fi l'ame, après
tout cela , en découvre un figrand nombre dans
foncœur, comme nous Calions voir. Cela refaite ,
comme on vient de le marquer , des approches
de la lumière, qui met en évidence fies imper,
feilions & fes taches les plus feu eues. Cela
vitnt aufifii de ce qu'à mefure que nous acque
rons une connoififianze plus pleine Ê? plus v:v>e
de la Grandeur , de la Majefixè de Dieu & de
fa pureté infinie, nous eh paroiffons dans une
difparité d autant plus grande, 8? dans un
état fi diffemblable , que l'on ne fait comment
ofer prétendre à unir enfemble des êtres d'une
fi étonnante dfproportion , & à les lier d'une
union qui n'en fiufifie plus qu'un fieul tout &
un même efprit , felon les paroles de l'Ecriture.
Mais puijque c'efi Dieu même qui y appelle
les ames il faut bien l'en croire fur ce point,
comme fur tous les autres, & fie rendre àfes
paroles au-dejjus de toute apparence, en fie
fouvenant cependant , qu'il eji du devoir
d'un cœur humble qui s'approche de lui , de
ne pas préfumer trop d'être plus finguliérement
favorifé qui d'autres , mais de fe contenter de
la mefure des grâces qu'il plait au Seigneur
de lui départir. Et fe fouvenant d'ailleurs tou.
Jours que cette vie ici- bas efi une vie de foi &
ctefipérance & non encore l'empire de ta gloire*
3<;g De i/ Imitation

L'IMITATION

D E

JESUS-CHRIST,

LIVRE QU A TRIE ME.

CHAPITRE PREMIER.

Vous devons nous approcher de Dieu x


qui nous y invite lui-même.

La voix de Jésus-Christ.

(a) VEtiez à moi, vous tous qui êtes


travaillés & chargés , & je vous foula-
gerai, dit le Seigneur. (6) Le pain que
je donne , c'eji ma chair , que je donne
rai pour la vie du monde, (c) Prenez,
mangez ; ceci eft mon corps qui eji rom
pu pour vous ; faites ceci en mémoire
(a) Matth. ii. ». 28. (b) Jean 6.v. 51.
(e) 1 Cor. u. v. 44.
bk J. Christ. Ziv. IV. Ch. i. Î99
àe moi. Çd) Celui qui mange ma chair
£«f qui boit mon fang , demeure en moi 5,
moi je demeure en lui. Les paroles que
je vous ai dites font efprit & vie. ( C'est-
à-dire , il faut les entendre de mon
Esprit et de ma Vie , que je donne à
ceux que j'introduis dans ma commu
nion divine et spirituelle, pour n'être
plus qu'un avec eux.
L' A M E.
1. O mon Sauveur , Vérité éternelle,
toutes ces paroles sont de toi , quoi
qu'elles n'ayent pas été prononcées
dans le même tems , ni écrites dans le
même lieu.
Puis donc que ce sont tes paroles y
& qu'elles sont, véritables, je dois les;
recevoir avec actions de graces &
avec foi.
Ce sont tes paroles puisqu'elles vien
nent de toi ; elles sont aussi pour moi ,
car elles s'adressent à moi , & c'est
pour mon salut que tu les as pronon
cées.
Je les recois très - volontiers de ta
bouche pour les graver profondément
dans mon cœur.
Ces paroles pleines de compassionj
(d) Jean 6, v. 56 6\*
4.00 De l' Imitation
pleines de douceur , pleines d'amour ,
me touchent & me donnent quelque
courage.
Mais mon Dieu ! je suis effrayé par
la grandeur de mes péchés , & l'im
pureté de ma conscience me défend
de prétendre à des biens si ineffable»
& si grands. La douceur de tes paro
les m'attire ; le nombre de mes vices
me retire & me détourne.
2. Tu veux , ô mon Dieu ! que je
m'approche de toi avec foi , si je veux
avoir part à toi & que je nourrisse
jnon ame d'une viande qui est éter
nelle , si je veux avoir la vie & la gloire
qui sont éternelles.
Venez à moi, dis-tu , Venez à moi,
vous tous qui êtes travaillés & chargés ,
£;f je vous foiilagerai.
O paroles vraiment consolantes pour
un pecheur pauvre & misérable , que
tu daignes inviter, ô mon Seigneur &
mon Dieu à ta sainte communion !
Mais , Seigneur ! qui suis-je donc ,
pour oser m'approcher de toi ? (f)
Voilà les deux ne te peuvent contenir ,
& tu dis , Venez tous à moi !
D'où vient cet excès de charité?
- (O *, C/iron. 6. a. ig.
be J. Christ. Liv. IF. Ch. i. 40»
Comment daignes-tu m'appeller ainsi
& me souffrir auprès de toi ? Mais com
ment oserai-je venir, moi en qui il n'y
a lien de bien qui puisse me donner
la moindre assurance? Comment après
avoir si souvent offensé ta bonté , &
violé tes Loix , oserai-je t'inviter d'en
trer dans une ame aussi impure?
Les anges & les archanges te révè
rent, les saints & les justes tremblent
devant toi ; cependant tu nous dis ,
Vene% tous à moi ! Ha Seigneur ! Si tu
ne le disois toi-même , qui oseroit avoir
la hardiesse d'aller à toi ?
4. Noé, cet homme saint fut cent ans
à construire l'arche , où lui et peu de
personnes devoient se sauver du délu
ge général ; & moi en une heure je
pourrois me préparer pour recevoir
dignement celui qui de rien a créé le
monde ?
5. Moïse, ce saint homme communi-
quoit avec toi comme un intime ami ,
ce serviteur fidèle, fit une arche de
bois incorruptible , & la couvrit d'or
très-pur , pour y recevoir la Loi ; &
moi, qui ne suis que corruption &
pourriture, oserai-je concevoir la pen
sée de recevoir le Législateur même &
l'auteur de la vie 'i
402 Dr V Imitation
Salomon , le plus sage des rois , em
ploya sept ans à bâtir un Temple ma
gnifique à la louange de ton nom ; il
en célébra la dédicace durant huit
jours & offrit plusieurs milliers d'hos
ties pacifiques pour y introduire so-
lemnellement l'Arche de l'alliance au
son des trompettes , & au milieu de*
cris de réjouissance de tout Israël.
Et moi , qui suis la plus chétive &
la plus misérable de toutes les créa
tures , oserai-je te recevoir dans ma
maison , moi , qui ai peine à employer
une demi heure à l'oraison ; & plût à
Dieu encore que j'y eusse employé
assez dignement autant , ou même en
core moins de tems.
6. Mon Dieu ! que ces gens-là fai-
soient d'efforts pour te plaire ; & moi
que j'en fois peu ! Et pourquoi pense-
rois-je qu'un tems si court me disposera
assez dignement pour te recevoir ? Je
l'entre rarement en moi-même ; mon
ame est très-peu dégagée des choses
extérieures ; & cependant , en ta pré
sence toutes les pensées étrangères de-
vroient s'enfuïr & disparoitre, & tou
tes les créatures abandonner la place,
puisqu'il n'est pas question de loger
de J. Christ. Liv. IV. Ch. 1 . 403
un ange , mais le Seigneur de tous les
anges.
7. Je sais qu'il y a une différence
infinie entre l'arche de l'alliance & ce
qu'elle contenoit , & toi , ô Créateur I
source unique de toutes les perfections
& de toutes les vertus ; entre les sacri
fices de la Loi , qui n'étoient que des
ombres des biens à venir ; & toi , 6
Rédempteur ! hostie vivifiante et accom
plissement de tous les sacrifices ! Pour
quoi donc , lorsque ces saints Patriar
ches , ces prophêtes, ces rois et ces
princes , avec tout leur peuple , sont
si pleins d'ardeur et de dévotion pour
ton divin culte ; pourquoi , dis-je , ne
me préparerai-je pas encore avec plus
d'ardeur à participer à tes sacrés mys
teres , à te recevoir toi-même , le Saint
des saints?
David , ce prince si religieux n'eut
pas honte de danser publiquement de
vant l'arche , en reconnoissance des
faveurs insignes que tu avois fait à ses
pères. Il fit faire des instrumens, de
musique, il composa des pseaumes,
il les fit chanter avec allégresse; ins
piré du St. Esprit , il les chanta lui-
même sur la harpe , il enseigna aux
404 De l' Imitation
Israelites à louer Dieu de tout leur
eceur , et à le bénir tous les jours en
publiant ses graces par des cantiques
de louanges.
S'ils ont témoigné tant d'ardeur ,
s'ils t'ont loué avec tant de zèle devant
une arche matérielle , qui n'étoit que
le signe de ton alliance , quel doit être
mon respect & ma piété , & celle de
tous les chrétiens, lorsque tu te pré
sentes toi-même, ô Dieu très- haut !
pour être reçu en nous , & y demeurer
par un mystère ineffable.
Il en est qui courent çà & là pour
Yoir des choses matérielles qui ser-
voient autrefois à l'usage des Saints ,
dont ils ont ouï publier la vie & les
actions ; ils les admirent , ils honorent
leur mémoire , leurs reliques, & les tem
ples qu'on leur avoit consacrés.
Mais , ô Saint des saints , Créateur
des hommes ! Rois des anges ! mon
Dieu ! te voici présent à mon ame , &
tu frappes à la porte de mon cœur!
Il y a souvent beaucoup de curiosité,
un certain goût de la nouveauté dans
ces pratiques ; aussi d'ordinaire elles
ne rendent pas meilleurs, non plus que
la connoissance de la vie des Saints ,
de J. Christ. Uv. IF. Ch. r. 465
lorsqu'on en discourt sans avoir le
cœur touché de ton amour.
Mais , dans ce grand mystère , où
tu te veux unir & donner à nos aines ,
ô Jésus , mon Dieu! qui t'es uni si étroi
tement à notre nature , on trouve cer
tainement un très-grand fruit & le sa
lut éternel , pourvu que l'on s'y unisse
dans la vérité & dans la pureté , &
«lue ce ne soit pas un mouvement de
zèle inconsidéré et inconstant , qui
nous porte à toi ; ni le desir de satis
faire notre curiosité par la connois-
sance des choses divines ; ni celui d'ê
tre satisfaits par des douceurs sensi
bles : mais une foi ferme , une espé
rance qui ne regarde qu'à toi , & un
amour vraiment sincère & désintéressé.
11. O Créateur du monde, ô Dieu
invisible aux yeux de la chair! que la
manière dont tu te communiques à
nous est spirituelle et admirable! Com
bien grandes sont les douceurs & les
graces que tu insinues en tes élus ,
lorsque tu te présentes à leurs ames
pour y faire ta demeure ? cela passe
nos pensées , ravit lés cœurs de ceux
qui t'aiment, & les enflamme encore
plus du feu de ton amour. ' 1
40*1 De l' Imitation
Oui , ceux qui te sont fi dèles , & dont
toute la vie est consacrée à ton service ,
puisent sans cesse dans la divine com
munication qu'ils ont avec toi , le renou
vellement & l'accroissement dans là
piété & dans l'amour de toutes les vertus.
1 1 . O que cette grace est admirable ,
& qu'elle est en même tems cachée ! Il
n'y a que les ames fidèles à Dieu qui la
connoissent; les infidèles , & les pé
cheurs ne peuvent réprouver.
Cette grace est toute spirituelle ; l'ame
y trouve la force qu'elle avoit perdue,
& sa beauté que le péché avoit ternie.
Cette grace est quelquefois si abon
dante & si pleine , que .par la grande
Î)iété qu'elle fait naître , non-seulement
'ame sent redoubler ce qu'elle avoit
déja de forces ; mais le corps , tout dé
bile qu'il est, en est aussi fortifié.
Cependant ce qu'il y a de lamenta
ble , c'est le peu de dévotion , c'est la
tiédeur , c'est la négligence qu'on ap
porte à recevoir le Seigneur, en qui
pourtant est renfermé tout le mérite &
toute l'espérance de ceux qui veulent
être sauvés. ; • • . i
: Car il est notre sanctification , notre
rédemption , la consolation des exilés ,
HE J. CtfRIST. Liv. IV. Ch. t. 437
& lajoie éternelle des Saints.
C'est un malheur que l'on ne sauroit
assez déplorer) que presque tous les
hommes pensent si peu à ce haut & divin
mystère , qui cependant est lajoie du
ciel & ie soutien du monde.
O aveuglement !.ô dureté du cœur de
l'homme , qui fait si peu d'attention à
un don si ineffable! qui le néglige &
parait l'oublier , parce qu'il est souvent
présent à ses jeux qui s'accoutument à
le regarder comme une chose commune
& de peu de prix.
1 3. Si cette grace était attachée à un
«ertain lieu particulier, & à une certaine
créature de ce monde , avec combien
d'ardeur les hommes ne devroient-ils
pas se porter vers ce lieu & vers cette
créature ?
Mais maintenant Jésus veut bien s'of
frir à toutes les ames, & les rendre tou
tes dignes de son union ; afin que sa
grace & son amour envers l'homme pa-
roissent d'autant plus grands , qu'il
invite plus de monde à ses faveurs.
Jésus , source de miséricorde . Jésus
éternel pasteur des ames ! je te rends
graces de ce qu'étant de pauvres & de
misérables exilés , tu daignes nous rac
4^8 De l1 f k t n t i o n
sassier de toi-même , de ton Esprit & de
ta vie ; & de ce que tu nous invites à par
ticiper à ce grand mystère par les paro
les de ta bouche ; en nous disant : frene%
à moi, vous tous qui êtes travaillés &
chargés , & je vous foulagerai.

CHAPITRE II.
Nous devons nous approcher de Dieu avec
humilité & refpeU.
Le Disciple.
i . Je viens donc à toi , Seigneur ! plein
de confiance en ta bonté & en ta grande
miséricorde. C'est un malade qui s'ap
proche de son médecin , un voyageur
altéré qui court à la source d'eau vive ;
c'est un pauvre qui s'adresse au plus
grand & au plus riche de tous les Rois ;
c'est un serviteur qui vient à son maître ;
c'est une créature qui cherche son Créa
teur ; c'est une ame désolée & pleine
d'amertume , qui se jette entre les bras
de son Dieu Se de son unique consola
teur.
Mais , ô mon Dieu ! d'où me vient cet
honneur que tu daignes me visiter ? Qui
sui$-je , que tu veuille$ te donner à une
créature
»e J. Christ. Lvo. IF Cb. 2. 409
créature si chétivé ? Comment une ams
pécheresse ose-t-elle paroitre devant
toi ? & toi j comment daignes tu Rabais-..
ser jusqu'à elle ? t. : . \
Tu connois ton serviteur ; tu sais qu'il
n'y a rien de bon en lui , pour t'invitera
lui faire cette grace. Je confesse que je
suis un rien , & que je ne vaux rien , &
moins que rien. Je reconnois que tu n'as,
pour motifque ta seule bonté. Je loue ta
miséricorde ; &je rends graces à ta cha- ;
rité infinie. : ' . r
C'est pour l'amour de toi-même que
tu agis de la sorte; & non pas que je
l'aie mérité ; tu veux me faire ainsi con-
noitre la grandeur de ta bonté , m'ins-
pirer une grande charité , & merecom-
mander une humilité plus parfaite.
Puis donc que c'est ton bon plaisir, &
qu'il t'a plu me commander que je
vienne à toi, je suis prêt de répondre
aux invitations que tu daignes me faire ;
j'y réponds de tout mon cœur; fais ô:
mon Dieu! que- mes iniquités n'y met
tent point obëtaeje. • , •
.a. O Jésus ! plein de douceur & de
miséricorde ! Quel respect , quelles ac
tions de graces', quelles louanges ne
doit- on pas te rendre , de ee que tu veux
S
410 De l' Imitation
te donner toi-même à nous ? Toi , ô
grand Dieu ! dont les perfections & la
dignité sont incompréhensibles à tous
les hommes ?
Que penserai-je en me présentant à
mon Seigneur pour le reeevoir ? Je ne
saurois avoir assez de respect pour lui;
& néanmoins je désire de le recevoir
dignement.
Oue puis-je penser de meilleur & de
plus salutaire, que de m'humilier pro-•
fondément devant toi , & de publier
l'excès de ta bonté pour moi ?
" Je te loue , ô mon Dieu i & je souhaite
de te magnifier éternellement. Je me
méprise moi-même , & m'abaisse devant
ta grandeur dans la profondeur de ma
bassesse & de mon indignité;
3. Tu ès le Saint des saints , & moi ,
je ne suis que corruption & qu'ordure.
Tu t'abaisses jusqu'à moi , et je ne suis
pas digne de te regarder. Tu viens vers
moi; tu veux t'unir à moi, tu -invites
mon ame à ton banquet spirituel ; tu
veux me donner une nourriture toute
céleste , le pain des anges , c'ést-à-
dire toi-même, ôDieu!(#) le pain qui
vivifie , le pain defcendu du ciel, & qui
donne la vie au monde*
(a) Jean 6- r. jj-
[de J. Christ. Liv. IV. Ch. i~. 41c
4. Eh ! Seigneur d'où peut procéder
cet amour ? Que paroit-il en moi qui en
soit digne? que je te dois d'actions de
graces & de louanges pour de si grands
bienfaits! que tes desseins ont été utiles
& salutaires lorsque tu as institué ces
sacrés mystères !
Oue le festin où tu nourris nos ames
de toi-même est divinement délicieux!
Oue les opérations de cette céleste
nourriture sont admirables !
5. Chose étonnante , & néanmoins
très- digne d'être crue, quoiqu'elle sur
passe l'entendement de l'homme , que
toi , ô mon Seigneur & mon Dieu ! Dieu
véritable, qui t es uni à notre nature par
ton incarnation , t'unisses encore pré
sentement à des créatures pécheresses,
que tu viennes en elles n'être plus qu'un
avec elles , sans que néanmoins tu per
des rien de tes perfections, ou que tu
contractes aucune de leurs imperfec
tions !
ODieu, Seigneur de toutes choses!
ce n'est pas que tu aies besoin de de
meurer avec nous ; mais tu le veux par
un effet de ta pure bonté. Sanctifie &
conserve dans la sainteté mon cœur &
mon corps, afin que ma conscience
4t2 De h' Imitation
étant tranquille et pure, je sois plus en
état de m'approcher toujours de toi , et
de sentir les effets de cette communion
ineffable , qui étant la source de mon
salut, aété établie de toi principalement
pour ta gloire,etafîn qu'on se souvienne
éternellement de ta bonté.
6. Réjouis-toi mon ame ! et rends
grace à ton Dieu pour un si grand don ,
et pour cette consolation singulière
qu'il te donne dans cette vallée de lar
mes. Car toutes les fois que tu renou
velles la célébration de ce saint mystè
re , tu renouvelle l'œuvre de ta rédemp
tion , et tu deviens participante de tous
les. mérites de Jésus-Christ.
L'amour de Jésus-Christ ne diminue
point, et les richesses de la rédemption
et de la paix qu'il a acquises, ne s'épui
sent point. C'est pourquoi tu dois tou
jours te disposer par un renouvellement
de ton Esprit, et par une forte appli
cation de toutes tes pensées , à ce grand
mystère de notre salut.
Lorsque cette union avec Jésus se
fait en toi , cela te doit être aussi cher
et aussi recommandable , que si Jésus-
Christ commencoit à naître pour toi
dans le sein de/ la Vierge, à devenir,
»de J. Christ. Lit). IV. Ch. 413
homme pour toi , à être crucifié , à souf-
frir et à mourir pour toi , comme il fit
autrefois en sa chair' pour le salut des
hommes. ' - '

CHAPITRE III.
Il ejl avantageux de communier Jouvent
& de ne fasfe tenir longtems éloigné
de Dieu.
Le Disciple.

voici, Seigneur !je m'approche


de toi pour profiter de tes dons et de tes
graces , et pour être comblé dejoie dans
ce banquet saint et spirituel que tu as
préparé , ô Dieu ! dans ta miséricorde à
de pauvres et de chétives créatures.
. Tout ce que je puis & queje dois dé
sirer est en toi seul ; tu ès mon salut &
ma rédemption ; tu ès mon ornement &
ma gloire, (a) Réjoui donc maintenant
rame de tonferviteur , carf'élève mon ame
à toi , Seigneur Jésus ! Je désire de te
recevoir avec vénération & de tout mon
cœur ; je souhaite que tu daignes entrer
dans ma maison , afin qu'avec Zachéeje
sois béni & compté entie les vrais enfana
(a) Pf. 86. v. 4.
S 3
414 D « l' Imitation
d'Abraham. Mon ame te désire avec ar
deur, & mon cœur aspire à ton union.
2. O mon Dieu! donne-toi à moi; 8ç
cela me suffit. Sans toi rien ne me con
sole. Je ne puis être sans toi ; &si tu ne
viens me visiter , je ne saurois avoir de
véritable vie.
Il faut donc que je m'approche sou
vent de toi pour trouver en toi les salu
taires remèdes à mes maux , & de peur
qu'étant voyageur en ce monde , les for
ces ne m'abandonnent dans le chemin ,
si la nourriture céleste venoit à me
manquer.
Tu dis autrefois , ô Jésus ! Dieu de
miséricorde ! lors qu'étant sur la terre tu
prêchois aux peuples & guérissois leurs
langueurs ,(b) Je ne puis renvoyer ces
gens chez euxfans leur donner à manger ,
de peur qu'ils ne défaillent en chemin.
Agi encore envers moi de la sorte r
Toi , qui t'ès donné toi-même d'une ma
nière admirable & mystérieuse pour la
consolation de tes fidèles.
Tu ès à l'ame une nourriture déli
cieuse ; & celui qui te mangera digne
ment , sera héritier de la gloire éter
nelle.
(6) Matth. ij. v. js.
vt. J. Christ. Liv. IV- Ch. 3. 415
Comme je tombe & pèche souvent ,
& que la moindre chose peut me ralen
tir & me détourner du bien , je dois me
purifier, me ranimer souvent par des
prières fréquentes , pour implorer ta
grace , te confesser mes péchés , & enfin
me renouveller en ta divine commu
nion ; de peur que si je me tenois éloi
gné trop longtems de ta présence , tous
les bons désirs que j'ai conçus, ne s'é
vanouissent.
3. Car les iaclinations de l'homme se
portent au mal dès sa jeunesse ; & si le
divin remède de ta grace ne l'en retire ,
11 se corrompra toujours de plus en
plus.
Or la divine communion que l'on a
avec toi , mon Dieu ! nous retire du mal ,
& nous rend forts pour faire le bien
avec constance. ,
Si quelquefois , lorsque je viens vers
toi , je sens de la négligence & de la
tiédeur, que deviendrois-je , si je ne
m'approchois de toi pour y chercher
mon secours & ma forcé ?
Et quoique je ne sois pas toujours
bien disposé pour me présenter à toi
& pour jouir de ta communion divine ;
je tâche néanmoins de l'être le plus qu'il
S 4
4^6 De l' ï Hi t t a t i o k
-m'est possible , afin dejouir de ces grâ
ces si cachées & si excellentes.
Aussi la principale consolation de
Tarne fidèle consiste en ce qu'étant
étrangère ici bas , & chargée d'un corps
mortel, elle se souvienne souvent de son
Dieu , & reçoive son Bien-Aimé dans un
cœur tout brûlant du feu de son amour.
4. O miracle de bonté & de condes
cendance au-dessus de toute idée ! que
toi Dieu & homme , toi de qui tous les
esprits ont reçu l'être & là vie, que tu
'leur redonne sans cesse , tu daignes visi
ter une ame aussi pauvre que la mienne,
& que pour appaiser sa faim, tu veuil
les être toi-même sa nourriture. .
. O ! que l'ame est heureuse qui a le
bonheur de recevoir son Seigneur &
son Dieu , &. avec lui les sentimens &
la source des joies spirituelles !
Ouoi ! recevoir un Seigneur si puis
sant , un hôte si aimable , un ami si
fidèle & d'un commerce si délicieux ,
un époux qui en beauté , en noblesse
en toutes sortes de perfections sur
passe tout ce qu'il y a de beau , de
noble & de parfait dans cet univers. ,?'
O! mon bien-aimé , délices démon
ame! Oue le ciel ,' que , la- terre "qu«
i>k J. Chhist. Liv. IV. Ch. 4- 4*7
toutes les beautés dont tu les as parés ,
se cachent & disparaissent devant toi I
Ce Qu'ils ont de beau & de grand vient
de ta pure bonté , et ne doit point en
trer en comparaison avec les beautés
-divines d& tes perfections & de ta sa
gesse , qui sont infinies.

CHAPITRE IV.
L'union avec Dieu efi la fource des
graces.
Le Disciple.

i . Préviens-moi , mon Dieu ! par ta


grace & par tes douceurs , afin que
je puisse m'approcher de toi avec un
amour respectueux qui ne soit pas tout-
à-fait indigne de ta majesté.
Excite mon cœur à te chercher pour
s'unir à toi , & délivre-moi de mon pro
fond assoupissement.
Daigne me visiter par ta grace salu
taire ; & faire goûter au fond de mon ame
la douceur admirable qui est cachée-
dans ta communion comme dans son in
tarissable source.
Illumine mes jeux afin que je conteia-
S 5

i
4i$ De l' Imitation
pie ce mystère sublime; k affermis Ma
foi au-dessus de tous les doutes.
Tes opérations surpassent les forces
de l'homme ; & tes desseins ne sont pas
des fiélions humaines.
Personne ne peut de soi-même les en
tendre , & ils sont au-dessus de la capa
cité des anges. Comment pourrois-je
donc concevoir la grandeur & la subli
mité de ces choses sacrées & si secrêtes ,
moi , qui ne suis que poudre & que cen
dre & un indigne pécheur ?
2. Mon Dieu , puisque tu m'invites ,
je m'approche de toi dans la simplicité
de mon cœur , & avec une foi ferme &
sincère ; ne doutant point de ta divine
présence , ni que tu ne te donnes tout à
moi , toi vrai Dieu , & vrai homme.
Tu veux, mon Dieu f que je te reçoive,
& que je m'unisse à toi par le sacré lien
de l'amour.
Je prie ta miséricorde de m'être favo
rable , & j'ose te demander une grace
singulière, qui est, que mon ame se
fonde , qu'elle s'écoule, qu'elle se perde
tellement en ton amour , que jamais elle
ne recherche plus ni soi-même, ni au
cune joie de la part des choses créées ,
puisque tout est renfermé en toi.
T)E J. Christ. Liv. IV. Ch. 4.' 419
En effet , le salut de l'ame & du corps,
les remèdes contre tous les maux spiri
tuels , la guérison de mes vices , le frein
de mes passions , l'affoiblissement des
tentations , la victoire sur elles, l'aug
mentation de la grace , l'accroissement
dans la vertu., l'affermissement de la
foi , la fermeté de l'espérance , l'ardeur
& la dilatation de la charité & de l'a
mour , toutes ces divines richesses sont
renfermées dans ton union & ta pos
session.
3. O mon Dieu & mon Père , qui re
çois mon ame dans les bras de ta misé
ricorde , cette ame rebelle qui sembla
ble à l'enfant prodigue s'était éloignée de
son Pere céleste , qui daignes la guérir
de ses foiblesses, & de son impuissance,
& qui ès l'unique source de ses consola
tions intérieures, combien sont grands &
admirables les biens que tu as donnés
& que tu donnes encore tous les jours
à tes bien-aimés qui ont part au sacré
mystère de ton union.
c. S'ils sont environnés de maux & de
traverses , tu les consoles ; si la vue de
leur néant & de leur indignité les abat -,
tu les relèves par les assurances de ton
amour; tu les éclaires dans les ténèbres,
S 6
420 De l' I m i t a t i o n
& tu renouvelles leur esprit par ta grace."
Si quelquefois attristes de ne pointée
voir dans les dispositions & les marries
dignes de ta divine union , ils se sentent
dans, la tiédeur , tu les remplis d'une
nourriture si céleste & si efficace , qu'ils
se trouvent incontinent tout changés.
Tu agis ainsi diversement avec tes
élus; & ne leur dispenses le sentiment
de te#çraces que par intervalles; afin
que d'un côté la vérité & une longue
expérience leur fassent voir combien
grande est leur foiblesse ; & que de l'au
tre ils sachent quelles sont les richesses
delà bonté & de la grace que tu leur
communiques.
Ils trouvent en eux-mêmes la froi-
, deur , la dureté , & l'indévotion ; mais
ils reçoivent de toi la ferveur , l'acliv-ité,.
la facilité au bien, & la dévotion- 'floil
Car pourroit-on s'approcher avec
humilité de celui qui est la source de la
douceur,, qui rend toutes les choses
douces, agréables & faciles., sans en
remporter quelque impression , &• sans
«ontrader de la douceur , & de la faci*
iité pour tout ce qui le concerne ?
£t quelqu'un pourroit-iL être auprèi
m. J. Christ. Lh. IF. Ch. 4. 42 r
d'un grand feu, sans en recevoir de la
' chaleur?
Tu èa la source qui ne tarît point. Tu
ès ce feu qui brûle sans cesse , & qui ne
s'éteint jamais. *
4kS'H ne m'est pas encore permis de
puiservlans la plenitude de la source
divine , & d'en boire jusqu'à être plei
nement rassasié ; au moins approche-
rai-je ma. bouche du canal par où cette
divine source répand seseaux salutaires,
& en prendrai-je quelque part, afin de
me désaltérer, de peur que je ne meure
de sécheresse. Oue si je ne puis encore
être tout céleste & tout feu comme les
Chérubins & les Séraphins ; je ferai au
moins mes efforts pour m'animer de
zèle , & pour disposer mon cœur à rece.
'voir Quelque étincelle de ce feu divin ,
^ui élève à Dieu par la communion in
time qu'il donne avec lui.
O Jésus mon Dieu! Sauveur & Sanc
tificateur de mon ame, veuilles suppléer
par ta bonté infinie à tout ce qui me
manque, Toi qui as daigné m'appelle.?
lorsque tu a» dit , Venez à moi, vous tous
qui êtes travaillés & chargés , &je vous
foulage*ai. - à j * :
5. Je suis travailléjusqu a la sueur de
422 Dé t* I M I T A T I 0 fî
mon visage ; je suis affligé par les dou
leurs secrètes qui sont cachées dans
mon cœur ; je suis chargé du grand far
deau de mes péchés ; je suis inquiété
pas beaucoup de tentations ; je suis
pressé & enveloppé de beaucoup de
passions; & je ne vois personne pour
m'aider, pour me délivrer , & pourme
. sauver que toi seul , ô mon Dieu , & mon
Sauveur unique I
Je m'abandonne donc entièrement à
toi avec tout ce qui me concerne , afin
que tu me conduises à la . vie éternelle.
Ne me rejete point, mon Dieu ! mais
reçois-moi pour l'amour , pour la louan
ge , & pour la gloire de ton nom x puis
que tu as bien voulu te donner toi-même
en nourriture & breuvage à nosames.
O Dieu, mon Sauveur! fais- moi la
grace qu'en m'approchant de toi, &
participant à tes mystères, les flammes
de mon amour & de ma piété devien
nent toujours plus vives &plus ardentes.

CHAPITRE V.
Dieu ne fe communique qu'aux vmis
-, J - Chrétiens.
Jesus-Christ.
i. Qitand tu aurois la sainteté" des an^
be J. Christ. Liv. IV. Ch. f. 423
ges , ou celle de Jean- Baptiste, tu ne
mériterois pas de me recevoir ni de
t'unir à moi.
" Il ne dépend pas des mérites de
l'homme de m'introduire en lui , ni de
recevoir ce pain du ciel qui donne la
vie. „
" Oue ce mystère de piété est su
blime ! & que la dignité à laquelle Dieu
élève les vrais chrétiens est grande !
Car il n'j a que les ames vraiment sacer
dotales , les vrais membres de l'église
des saints , qui aient reçu le droit d'agir
ainsi avec Dieu , de l'attirer & de l'in
troduire dans leur ame. „
" Mais ils ne sont que les instrumens
de Dieu dans ce grand ouvrage , se laisr
sant entièrement régir par l'efficace de
sa parole & selon les règles de sa con
duite. „
" C'est Dieu qui est en tout l'auteur
unique & la cause principale ; c'est lui
qui opère invisiblement tout ; il peut
tout ce qu'il veut", & sa parole est suivie
de l'effet.,,
" C'est donc sur la seule force & puis
sance de Dieu qu'est fondé ce bien inef
fable , & non pas sur les sentimens des
hommes & leur propre suffisance , ou
424 De l' Imitation
sur la pratique de quelque cérémonie.
On ne doit donc se présenter à Dieu
qu'avec tremblement & respedl. „
" Prends donc garde à toi , & consi
dère à quelle dignité Dieu t'a élevé par
la profusion de ses graces. Voici, il
t'appelle à être chrétien, & à loger en
toi son propre fils, qui doit y vivre à
jamais. „
a Présente - toi maintenant à Dieu de
tout ton cœur en sacrifice pendant qu'il
en est tems, & que tu menes une vie
pure & irréprochable.,,
" En devenant chrétien on n'acquiert
pas le privilège de l'indépendance & du
désordre ; au contraire on est lié plus
étroitement à mes commandemens , &
obligé à une sainteté plus grande & plus
parfaite. »
" Le chrétien doit être revêtu de tou
tes les vertus ; & sa vie doit être aux
autres l'exemple & le modèle d'une vie
sainte. „
" Sa conversation journalière ne doit
pas ressembler à celle du commun des
hommes ; mais à celle des anges du ciel ,
ou à celle des hommes les plus parfaits*
qui soient sur la terre. ,x
m J. Christ. Liv. 1F. Ch. 5. 415
" Le chrétien revêtu de toutes les
vertus de son Sauveur, revêtu de Jésus-
Christ mème,doit être une copie vivante
de son maître, & tenir sa place en ce
monde par les humbles & les ardentes
prièrés qu'il doit présenter à Dieu pour
les autres hommes aussi-bien que pour
lui-même.
" La croix du Sauveur doit être conti-
Tuetiement devant lui, pour se souvenir
toujours de sa passion & de ses souf
frances, pour regarder avec soin les
traces de Jésus-Christ qui l'a précédé,
•&4es suivre- avec un ardent amour;
il doit souffrir pour l'amour de Dieu
& avec patience tous les maux qu'on
pourroit lui infliger. ^ . -' .-,
".Il doit, porter la croix devant lui,
je veux dire , que remettant sous ses
yeux les pochés qu'il a commis, il les
pleure avec amertume de cœur. *
" Il doit aussi porter la croix sur son
dos, c'est-à-dire , qu'il doit s'approprier
les péchés des autres pour les pleurer,
étant touché de leurs infirmités , & se
mettant pour ainsi dire à la brèche , &
entre Dieu & eux pour détourner sa
«olère. »
426 De l' Imitation
" Il doit prier sans cesse , & présen
ter le sacrifice d'un cœur contrit , jus-
qu'à-ce qu'il obtienne de Dieu sa grace
& sa miséricorde. „
" Lorsque le chrétien se présente &
s'unit ainsi à Dieu , il honore son Sei
gneur; il réjouit les anges; il édifie les
fidèles ; il est à ceux qui vivent encore
dans le péché un secours pour les en
tirer ; il contribue à la paix de ceux qui
sont morts quant au monde ; & il com
ble sa propre ame de toutes sortes de
biens. . ; . -.:-
i • i— ;

CHAPITRE YI.
Nous devons demander à notre Sauveur
qu'il nous prépare à le recevoir.'
- '. • • - ' 1 - ' si J Y "
1 ; . L e Disciple-;

j . Seigneur, lorsque je pense à ta gran^


deur & à ma bassesse , je suis saisi d'ef;
froi & couvert de confusion.
Car si je ne m'approche pas de toi , je?
fuis la vie , & si je me présente dans un
état d'indignité , je suis grandement
coupable.
Que ferai-je donc, ô mon Dieu! qui
de J. Christ. Liv. IV. Ch. 7. 4«7
ès tout mon secours , & tout mon con
seil dans mes besoins?
2. Enseigne-moi , s'il te plaît , le che
min que je dois tenir. Fais- moi la grace
de me montrer par quels moyens je
pourrai jouir de toi.
Que j'aie l'avantage de savoir com
ment je dois préparer mon cœur , afin
que Jésus y vienne pour mon salut , &
pour me faire avoir part à lui & à tous
les biens de son sacrifice.,,

CHAPITRE VII.
Il faut examiner Ça conscience 6? pren-,
àre la réfolution de s'amender.
Jésus-Christ.

* 1 . \l faut que le chrétien qui aspire a


cette grace sublime de recevoir son
Sauveur, s'approche de lui avec une
extrême humilité de cœur , avec un pro
fond respect , avec une confiance fon
dée entièrement sur Dieu , & avec une
intention toute pure , qui n'ait pour but
que la seule gloire de Dieu. „
" Examine ta conscience avec soin ,'
purifie-la par une humble confession
De i'Imitaii'o»
de tes péchés &, avec un cœur brisé k
contrit, avecun cœur plein de mon
amour ; n'y laisse rien qui puisse te
charger , ou te donner quelques re
mords, & qui t'ôte la liberté de t'a-
p rocher de moi. „
. " Aie un vif déplaisir de tous tes pé
chés en général , & gémis avec douleur
de toutes les fautes particulières que tu
commets tous les jours. „
„ Occupe-toi à confesser à Dieu dans
le secret de ton cœur toutes les misères
auxquelles tes passions te réduisent. „
• Ou'une tristesse qui pénêtre le fond
de ton ame te fasse soupirer devant hii
de ce que tu ès encore si charnel & si
mondain ; si peu mortifié dans tes pas
sions ; si plein de mauvais désirs ; si ac
coutumé à t'y laisser aller ; si négligent
à la garde de tes sens , & si embarrassé
de vaines pensées & de folles imagina
tions ; si porté aux choses visibles ; si
peu soigneux des intérieures & des in
visibles ; si prompt à rire & à t'épancher
en de vaines joies ; si dur à pleurer tes
péchés & à t'en affliger vivement ; si
prêt à te relâcher & à donner à ton
corps ses aises & ses plaisirs : si lâche à
le dompter & à t'exciter à la ferveur ; si
de J. Christ. Liv. IV. Ch. 7. 429
curieux à entendre des nouvelles &
des choses agréables ; si ennemi des
exercices bas & humilians ; si ardent à
posséder beaucoup ; si retenu à donner;
si avare & disposé à retenir ; si incon
sidéré dans tes paroles ; si impuissant à
te taire; mal réglé dans tes mœurs; indis
cret dans tes actions ; si adonné au man
ger & au boire; si sourd à la parole de
Dieu ; si prêt à te reposer ; si paresseux
à travailler; si éveillé pour ouir des
choses amusantes ; si assoupi pour la
méditation & pour la prière ; si impa
tient pour attendre la fin des saints dis
cours que l'on te fait ; si distrait en les
écoutant, & si relâché pour y employer
quelques heures , si tiède dans le culte
de Dieu, si sec lorsque tu te présentes
devant lui , & lors même que tu parti
cipes à son sacrement ; si facilement dis
trait pourla moindre chose ,. si rarement
recueilli ; si violent & emporté ; si rude
au prochain; si prompt à juger autrui ;
si sévère à le reprendre ; si joyeux lors
que les choses vont bien pour toi selon
le monde; si abattu lorsqu'elles vont
mal ; si généreux àîformer de bons des
seins , & si lâche à les exécuter. „
? 3. Après avoir reconnu & confessé
430 De l' Imitatîow
ces péchés , & beaucoup d'autres sans
doute dont tu ès coupable , & les avoir
déplorés avec une profonde douleur de
te voir si foible et si misérable , prends
une ferme résolution de corriger ta vie,
et de faire chaque jour de nouveaux
progrès dans la vertu. „
" Alors t'abandonnant entièrement à
moi par une pleine résignation de ta
volonté, fais que ton cœur devienne un
autel , sur lequel tu offres l'holocauste
perpétuel à l'honneur de mon nom. „
K Je veux que tu t'offres tout entier;
que tu me remettes ton corps et ton ame,
me les abandonnant pleinement; &
qu'ainsi tu deviennes digne de m'ap-
procher , et d'être rempli de ma salu
taire présence. „
4. " Il n'y a point de meilleur moyen
pour être assuré du pardon de ses pé
chés, et pour en trouver l'expiation, que
de s'offrir soi-même purement & abso
lument à Dieu, avec Jésus-Christ , lors
qu'on se présente à sa divine commu
nion. Si l'homme fait ce qui est de son
devoir , & se répent véritablement ; tou
tes les fois qu'il s'approchera de moi
dans l'état que je viens de dire pour ob
tenir grace & miséricorde ; Jejure par
de J. Christ. Liv. IV. Ch. 8. 43 1
moi-même, dit le Seigneur, que je ne
veux point la mort du pécheur, mais
plutôt qu'ilsfe convertiffe & qu'il vive ;
Cl? je ne meSouviendrai plus de fes péchés;
mais je les lui pardonnerai tous. „ -

CHAPITRE VIII.
1
Nous devons mus offrir fans réferve à
Dieu , pour lui être agréable.
Jésus-Christ.
et L-omme je me suis offert moi-même
volontairement à Dieu mon Pere, pour
tes péchés, les bras étendus et le corps
nud sur la croix , et que j'ai tout sacrifié
dans la seule vue de satisfaire à sa jus
tice , et de te procurer la reconciliation
et la paix avec Dieu; de même tu dois
t'offrir volontairement toi - même en
oblation pure et sainte , lorsque tu te
présentes à moi , et tu le dois faire de
toutes tes forces , de toutes tes affec
tions , et de toute l'étendue de ton cœur.
" Oue demande- je de toi avec plus
d instance, sinon que tu te donnes a
moi sans réserve ? Je ne me soucie point
de tout ce que tu me peux donner situ
ne te donnes toi-même ; car c'est toi*
4jz De l' Imitatioht
même que je cherche, et. non pas tes
offrandes. „
" Si tu possédois tous les biens du
monde , ils ne pourroient te contenter
sans moi ; de même aussi quelque don
que tu m'offre , je ne serai point con
tent , si tu n'entres toi-même dans, le
don. w
" Offre- toi à moi, consacre- toi à Dieu
par le don entier de toi même , et alors
ton oblation lui sera très- agréable. „
" Considère queje me suis offert tout
entier à monPere pour toi, que j'ai don
né tout mon corps, tout mon sang, pour
être la nourriture de ton ame , afin que
je fusse tout à toi , et que tu fusse tout à
moi. „
" Mais si tu demeure encore attaché
à toi-même et que tu ne t'offres pas de
toute ton ame à ma sainte volonté , ton
oblation ne sera pas pleine, et il n'y aura
point de parfaite union entre nous. „
" Si donc tu désire dejouir de la vraie
liberté et de la grace céleste , il faut que
toutes tes œuvres soient précédées d'u
ne oblation volontaire de toi - même
entre les mains de Dieu. „ .;.
" La raison pour laquelle il y a si peu
de gens vraiment illuminés et vraiment
libres
i>e J. Christ. Liv. IF. Ch. g. 43§L
libres dans l'intérieur est , qu'on ne sait
pas renoncer entierement à soi-même.
Car cette parole , que j'ai dite , est
yéritable et ferme , (a) fi quelqu'un ne re
nonce pas à tout , il ne peut être mon dis
ciple. Si donc tu veux être mon disciple,
viens t'offrir à moi , avec toutes tes af
fections et tous tes désirs.

CHAPITRE IX.
Nous devons nous offrir à Dieu , avec
tout ce qui eji à nous , & lui offrir nos
vœux pour tous.
Le Disciple.

I. Seigneur ! à qui tout ce qui est dant


le ciel et sur la terre appartient, je désire
de m'offrir à toi en oblation volontaire,
et d'être éternellement à toi.
Mon Dieu ! je m'offre aujourd'hui dans
la simplicité demon cœur pour être ton
serviteur à jamais , pourt'obéir, & pour
te présenter éternellement un sacrifice
de louange.
Reçois-moi , comme tu reçois le sacri
fice du corps de ton Fils; qui est main
tenant devant toi en présence des an-
{a) Luc 14. v. jj.
T
4?4 D -E L' I. MITATION
ges , et sur lequel je te prie-de jeter les
jeux , afin qu'il me soit salutaire âussi-
bien qu'aux autres hommes.
2. J'ose aussi présenter , Seigneur 1
sur l'autel de ta miséricorde et de ta ré
conciliation , tous les péchés et toutes
les fautes que j'ai commises devant toi
et devant tes anges , depuis le premier
ïour que j'ai commencé à pécherjusqu a
cette heure , afin que tu les brûles et que
tu les consumes toutes par le feu de ton
iamour , que tu effaces toutes mes ta
ches ; que tu purifies ma conscience de
toute iniquité ; que m'accordant la ré
mission entière de toutes mes offenses ,
tu me redonnes la grace quej'ai perdue
tn péchant, et que tu me couvres de tes
tompassions infinies , en me donnant le
Vaiser de paix.
3. Oue puis-je faire pour le pardon de
jwes péchés , sinon de les confesser de
vant toi avec humilité , de les pleui-er,
et d'implorer sans cesse ta miséricorde
çt la grace de ta réconciliation ?
Je l'implore; je me présente à toi,
mon Dieu ! exauce-moi et me sois pro
pice. Tous ces péchés me déplaisent
horriblement ; je suis résolu de n'y plus
retomber;je suis affligé de les avoir com
de J. Christ. Liv. IV* Ch. 9. 43 %
mis; j'en gémirai toute ma vie avec péni
tence , et en satisfaisant autant qu'il me
sera possible , à la réparation qu'ils exi
gent.
Pardonne-moi , mon Dieu ! pardonnez-
moi , à cause de toi-même ; sauve mori
ame que tu as rachetée par ton sang
précieux ; je m'abandonne à ta miséri
corde , je me jete entre tes bras.
Agi envers moi non selon la grandeur
de ma méchanceté , mais selon ta bonté
qui n'a point de bornes.
4. Je t'offre et je te présente aussi tout
ce qu'il y a de bien en moi , quoi qu'ily
en ait peu , et que ce peu soit encore
très-imparfait, afin que tu le corriges
que tu te le rendes agréable , et que tu le
perfectionnes.
Je te prie encore, ô mon Dieu! que
sans avoir égard à mon indignité , à ma
tiédeur, à ma négligence , tu me pren
nes par la main , pour me conduire &
une bonne et heureuse fin.
5. Je t'offre aussi , ô Seigneur! avec-
mes prières, celles de toutes les ames-
pieuses , te suppliant de les exaucer, et
d'avoir égard aux nécessités de mes pa-
rens, de mes amis , de mes frères , de
jnes sœurs , de ceux qui me sont chers, .
rn
4j6 De l' Imitation
et de tous ceux qui pour l'amour de toi
ont fait ou à moi ou à d'autres quelques
biens spirituels ou temporels.
Je te prie pour tous ceux qui ont dé
siré que je me souvienne d'eux dans mes
dévotions , afin de demander à la misé
ricorde que tu as fait paroître dans le
sacrifice de ton Fils , le pardon de leurs
péché*.
Je t'offre , ô mon Dieu ! mes prières
pour toutes ces personnes- là , soitqu'el-
les vivent encore dans le siècle , ou bien
qu'elles l'aient quitté.
, Fais-leur sentir les bénédictions de ta
grace et le secours de ta consolation ;
protège-les clans les dangers et les déli
vre des vrais maux , afin qu'après leur
délivrance , leur cœur tout plein d'une
divine joie , devienne une source éter
nelle de louanges- pour ta bonté.
6. Je te présente encore , ô Dieu ! des
prières de charité et de paix pour tous
mes ennemis en général , et en particu
lier pour tous ceux qui m'ont fait quel
que mal, qui m'ont affligé, calomnié,
deshonoré, ou dit dies injures ; qui m'ont
fait quelque tort , ou dommage quel
qu'il soit ; qui m'ont causé des peines ou
«tes douleurs; comme aussi pour tous
de J. Christ. Liv. IV. Ch. g. 437
«eux que j'ai eu le malheur d'oftenser »
d'affliger , ou de scandaliser ; pour ceux
que je puis avoir traité avec dureté &
rigueur, & quej'ai irrités par ma langue
ou par mes actions , de propos délibéré
ou sans le savoir.
O Dieu ! sois nous propice à nous
pauvres criminels ; pardonne-nous tou
tes les fautes que nous avons faites les
uns contre les autres & contre toi.
Ote , Seigneur, ôte de nos cœurs
tout mauvais soupcon , toute indigna
tion , toute colere , tout penchant aux
disputas , & tout ee qui peut blesser la
charité , ou aflbiblir entre nous l'amour
fraternel.
Aie pitié , mon Dieu ! aie pitié de
ceux qui te demandent miséricorde ;
donne ta grace à ces pauvres mendians
qui en ont tant besoin ; fais nous jouir
.de cette divine grace par laquelle nous
nous avancions sans cesse vers la vie
sainte & divine qui n'aura jamais de
fin. Amen.

T 3
43 8 Délimitation

CHAPITRE X.
Nous devons unir nos cœurs à Dieu , en
tous tems & fans cejfe.
Jésus-Christ.

" i . XU dois souvent recourir à raoî


qui suis la source de la grace & de la
lui série orde , de la bonté & de la pure
té , afin que tu puisses trouver, un re
mède à tes passions déréglées ;, & de-
. venir plus fort , & plus vigilant à ré
sister aux tentations & aux artifices du
diable.
" Cet ennemi connoissant le grand
fruit que l'on retire de la communion
avec moi , & qu'elle est le remède uni>
▼ersel à tous les maux , tâche par tous
les moyens imaginables d'en retirer ,
& détourner ceux qu'il y voit portés. „
" 2. De-là vient que ceux qui tâchent
de s'y bien préparer, sont attaqués par
de plus grandes tentations de la part
du démon.
" Cet esprit malin , qui ose se trou
ver entre les enfans de Dieu, com
me il est écrit dans le livre de Job ,
ks vient troubler par sa malignité ei>
de J. Christ. Liv. IV. Ch. 10. 439
dinaire , les intimider , ou les rendre
irrésolus , pour diminuer leurs bons de-
sirs , & vaincre leur foi , afin qu'ils s'é
loignent de moi , ou qu'ils ne s'avan
cent vers moi qu'avec tiédeur. „
" Il ne faut point se mettre en peine
de ses artifices , ni des pensées folles
qu'il nous suggère , quelques honteu
ses & horribles qu'elles soient. „
"Il faut au contraire les tourner con^-
tre lui-même & le battre par ses pro
pres armes. Il faut mépriser ce mal
heureux , & se moquer de ses artifices ,
qui ne sont pour ceux qui ne s'y plai
sent pas & n'y consentent pas , que
des fantômes qui ne leur peuvent nui
re ; & quoiqu'il attaque l'ame & qu'il
excite en elle de l'émotion , on ne doit
pas se décourager de la recherche de
Dieu , & du desir d'entrer dans la di
vine communion de son Fils. „
" 3. Souvent aussi un trop grand em
pressement pour la dévotion sensible ,
& trop d'inquiétude pour rechercher
scrupuleusement tous ses péchés , afin
de me les confesser en détail , devien
nent un obstacle à s'approcher de
moi. „
" Suis en cela le conseil que te don
T4
44© De l' Imitation
lieront ceux qui craignent Dieu , &
quitte toutes ces inquiétudes qui arrê
tent la grace , & qui ralentissent la
piété. „
** Ne t'éloigne point de moi , pour
un petit trouble , ou pour quelque pe
santeur d'esprit; mais confessant à
Dieu tes foiblesses , réconcilie-toi avec
tous , et pardonne de bon cœur toutes
Jes olïènses que l'on peut avoir com
mises contre toi. „
" S'il t'arrive d'offenser quelqu'un ,
demandes-en humblement pardon , &
Dieu te pardonnera de bon cœur. „
*s 4. Pourquoi voudrois-tu tarder à
reconnoître & à confesser tes fautes ,
& ainsi te tenir si long-tems dans l'é-
loignement & la désunion de Dieu?,,
" Hâte- toi de laver ton ame ; rejette
incontinent le poison mortel que tu as
dans le cœur ; prends plutôt l'anti
dote que Dieu te présente. Tu gagne
ras beaucoup plus par-là que par de
longues & d'inutiles remises. „
" Si tu t'éloignes aujourd'hui de ton
Sauveur & de ton Dieu pour un sujet,
demain peut-être en trouveras-tu un
autre plus pressant ; & ainsi de suite ,
de J. Christ. Liv. IV. Ch. 10. 441
jusqu'à ce qu'étant entièrement détour
né de ton Créateur , tu sois hors d'état
de retourner à lui. „
" Chasse, le plutôt que tu pour
ras, les craintes qui te retiennent & la
paresse qui t'engourdit. A quoi bon te
tourmenter tant l'esprit ? Pourquoi
vivre dans de continuelles allarmes,
& t'éloigner de ton Dieu par de légè
res raisons qui peuvent se présenter
tous les jours ? „
" Il est fort nuisible de laisser pas
ser un longtems sans s'en approcher;
l'ame s'endort dans le péché, & la
rend dure & insensible. „
t( Helas ! combien de ces lâches chré
tiens , qui sont bien aise d'avoir des
prétextes pour ne pas examiner leurs
consciences, voir leurs péchés & s'ap
procher de Dieu , de peur que cela ne
les oblige à veiller désormais sur leurs
ames avec p4us de soin- „
• "5-0 gens sans amour & sans piété !
Oue celui-là au contraire est heureux
& agréable à Dieu qui vit de telle
sorte, '& qui tient toujours sa cons
cience ,si pnre , qu'il ait la liberté de
se présenter toujours devant lui , &
qu'il puisse recevoir la plénitude de
T 5
442 D E fi' I M I T A T I O ' N-
tontes les graces de son esprit , si Dieu
lui permettait de les posséder toutes
& parfaitement dans cette vie. „
" Si quelqu'un n'ose s'approcher
de moi , non par oubli , ou par
dédain , mais par un sentiment d'hu
milité , & parce que le sentiment de
ses péchés lui fait reconnoitre sa
misère ; cette crainte est très-louable ,
mais si cet "eloigneraient le portoit au
relâchement , il doit s'exciter par de
nouveaux efforts. Dieu secondera ses
desirs & sa bonne volonté, car c'est
surtout à elle qu'il regarde. „
" 6. Si quelqu'un avec une intention
sincère desire ma divine union , & si
n'y mettant point d'obstacles lui-même,
il n'en sent pas les effets , les goûts &
les douceurs dans son ame ; il ne laisse
pas pour cela de participer à son vrai
fruit. „
" Car un vrai chrétien peut avoir
avec Jésus- Christ une communion se-
crette & spirituelle tous les jours & à
toute heure. „
" Il est vrai que Dieu a des jours &
des momens dans lesquels il lui fait
sentir et goûter sa présence par des
sentimens particuliers de dévotion* ;
de J. Christ, liv. IV. Ch. iû. 44$
mais comme l'union avec Dieu ne con
siste pas tant à sentir des consolations,
qu'à se dévouer à la volonté divine, à
s'y abandonner et à s'y livrer sans ré
serve ; lorsque cette volonté permet
que quelqu'un soit dans les sécheresses
et les désolations spirituelles , n'est-il
pas alors dans la conformité et dans
la communion des abaissemens du
Dieu incarné , & des souffrances les
plus dignes et les plus parfaites de sa
passion ? „
" Et cette considération ne peut-elle
pas l'embraser d'amour envers lui de
ce qu'il lui^lonne part à une coupe
qui est. la nourriture des forts, et qu'il
ne communique qu'à ses plus chers
disciples! „
" 7. Celui qui attache la communion
qu'il doit avoir avec Dieu à un certain
jour , ou à quelque cérémonie qui pas
sent en coutume , ne sera jamais digne
de s'approcher de lui, „
" Heureux celui qui s'ap prochant
de Dieu , s'offre à lui en holocauste par
fait et entier pour toute sa vie ! „
" A l'égard des pratiques dévotes et
extérieures d'une ame qui recherche
l'union de Dieu, il ne faut point affcc1-"'
ï *
444 De l' Imitation
ter la multitude des paroles , ni se pré
cipiter à répandre sitôt les choses di
vines que l'on commence à goûter. „
" Attends , et règle-toi selon la foi-
blesse et l'état de ceux avec qui tu vis.
Ne leur deviens pas ennuyeux hors de
saison ; règle-toi plutôt selon la vie des
saints personnages. Tache plutôt de
servir à l'utilité de tous , que de faire
paroître des mouvemens d'un zèle et
d'une piété particulière et indiscrette. „

CHAPITRE XI.
La vie de Jéfus efl notre nourriture-
Le Disciple.
i. Jésus, mon Dieu! délices de mon
cœur ! qu'il est doux pour une ame
fidèle de manger avec toi à ta table et
de se nourrir dans ton festin où nulle
autre viande ne lui est présentée que
toi , son Bien-aimé ; que son cœur de
sire plus que toutes les choses desi
rables.
Toute ma joie, ô mon Dieu! seroit
de répandre en ta présence des fon
taines de larmes qui sortissent de mon
«œurj^t voyant cette pauvre pèche-.
ï>eJ. Christ. Liv. IV. Ch. n. 445
resse arroser de ses larmes tes pieds
qu'elle venoit d'embrasser , ne devrois-
je pas en embrassant les saintes traces
de ta vie , fondre en larmes de les
avoir si mal suivies jusques à présent ?
Mais où trouverai-je cette dévotion
si tendre , et qui fera de mes jeux des
sources de larmes ?
Hélas ! mon cœur ne devroit-il pas
être enflammé devant toi et en la pré
sence de tes anges ? Et mes jeux ne
devroient-il pas verser des larmes de
joie et d'amour? O mon Dieu! qui
m'en donnes le sujet , fais que je l'em
brasse , et que je jouisse de ta divine
présence , quoique tu te communiques
à nous par des mojens qui ont si peu
d'éclat; (par une foi si nue, par un
esprit si simple , par des croix si mor
tifiantes et si méprisées des hommes , )
cachant ta divine communion sous ces
choses de peu d'apparence.
a. Aussi la foiblesse de nos jeux ne
pourroit supporter ta splendeur, si tu
nous la découvrois comme elle est dans
ta Divinité. Le monde ne pourroit sub
sister devant la gloire de ta Majesté.
Tu as donc eu égard à notre foi
blesse, en voulant cacher ta divine
446 De l' Imitation
communion sous des choses qui parois-
sent la foiblesse même ; et néanmoins
lorsqu'on les embrasse vraiment , on
adore en elles et sous elles celui que
les anges adorent dans le ciel.
Il est vrai qu'au lieu que ces divins
Esprits sont les speclateurs de ta
gloire, j'embrasse cette gloine et cette
plénitude par la foi ; mais il faut que
je me contente de la manière dont il
plait à Dieu de se communiquer à moi.
Et puisqu'il me fait la grace de m'il-
luminer par la foi , je dois marcher en
elle jusqu'à ce que le jour de la clarté
éternelle commence à paroître , et que
les ombres de ces obscurités se dissi
pent.'
. (a) Lorsque ce qui ejl parfait , fera
venu , cette mesure et cette diversité
de tems et de manières par lesquelles
Dieu se communique maintenant , sera
anéantie, tout étant réduit à une pleine
uniformité.
Les bien-heureux n'étant plus sujets
dans la gloire à aucune foiblesse, n'ont
plus besoin , ô Dieu ! que tu te commu
niques à eux par reprises et par
une vie de croix et de sacrifice , par
(0) 1. Cor. 13. r. 10.
®eX Christ. Liv. IV. Ch. i r. 447
où tu empèchois autrefois salutaire-
ment leur chair de s'élever et de se
corrompre.
Ils jouissent toujours de ta présence
glorieuse , et te contemplent face à
face ; ils sont transformés et comme
abimés en toi ; et dans cette plénitude
de. lumière la Parole faite chair leur
fait goûter ses douceurs , ils la voient,
ils la possèdent , telle qu'elle a été au
commencement , et qu'elle demeurera
éternellement.
3-Ouandje pense à toutes ces mer
veilles ineffables , je suis plein d'ennui
et de tristesse, même au milieu des
consolations spirituelles ; parce que
tant qu'il ne m'est pas donné de voir
mon Seigneur dans la plénitude de sa
gloire , je tiens pour rien tout ce que
je vois et ce que j'entens au monde.
Tu le sais , mon Dieu ! nulle créature
ne peut me réjouir , rien ne peut me
contenter , si ce n'est toi , mon Dieu !
mon ame désire de te contempler éter
nellement.
Mais comme cela ne peut se faire
pendant que je suis en prison dans ce
corps mortel , je me resous à la patien
ce , et je desire ardemment de me sou
448 De l' Imitation
mettre en toutes choses à ta sainte
volonté. -
Car ô mon Dieu ! c'est ainsi que tu
as bien voulu traiter tes Saints qui sont
maintenant dans ton royaume.
La foi , une grande patience , et
l'attente de ta gloire , ont été leur sou
tien pendant leur vie. Je crois ce qu'ils
ont espéré ; et je m'assure que j'arrive
rai par ta grace où ils sont arrivés.
Cependant je marcherai dans la foi,
et je m'animerai par leurs exemples.
L'Ecriture sera la consolation et le
modèle de ma vie ; mais sur-tout , ton
corps & ton sang , ton esprit & ta vie,
seront mon souverain remède , & l'a-
svle unique où je veux me rendre &
me mettre à couvert contre les maux.
Tandis que je suis dans ce monde,
deux choses me sont nécessaires , la
lumière & la nourriture ; exilé de ma
véritable patrie , ma vie seroit insup
portable , si j'en étois privé.
Tu as pourvu, Seigneur, à ce besoin ,
tu m'as donné tout ton corps & ton
sang, ton esprit & ta vie pour nourrir
mon ame , & même mon corps est res
tauré par cette parole de vie , qui me
br J. Christ. Liv. IV. Ch.w. 449
renouvelle & me soutient ; (b) car ta
parole cjl une lampe à mes pieds, Ç£
une lumiere à mes /entiers.
Je ne saurois vivre sans ces deux
choses ; car la parole de mon Dieu est
la lumière de mon ame ; & la partici
pation au mystère de sa mort & de sa
vie en est la nourriture.
Voilà les deux tables que Dieu a mi
ses dans le tabernacle de son église mi*
litante ; l'une nous présente Jésus-
Christ , ce pain spirituel & vivifiant;
l'autre nous montre la sainte doétrine
qui éclaire & conduit notre foi , & la
mène sûrement jusqu'au dedans du
-voile où est le Saint des Saints.
Je te rends grace , ô Jésus , mon Sei
gneur ! splendeur de la lumière éter
nelle 3 poar cette doctrine sainte que
tu nous as enseignée par tes Prophè
tes , par tes Apôtres & par tes autre*
serviteurs.
4. Je te rends grace , ô Créateur &
Rédempteur des hommes! de ce que
voulant faire connoître à tout le monde
ton amour infini , tu as préparé un fes
tin dans lequel tu ne nous donnes pas
pour nourriture une chose figurative
ip) Pf. 119. v. 10-.
45o De l' Imitation
tomme étoit l'agneau de la Pàque,'
mais tu te donnes toi-même ; comblant
ainsi de joie dans ce banquet tes ame6
de tous ceux qui te sont fidèles.
C'est dans ce repas sacré que tu
enyvres les justes, que tu les combles
de ta joie, que tu leur présentes tou
tes les délices célestes. Les anges y
ont part avec nous, quoique d'une
manière plus douce, & sans retours
d'amertume.
5. O que la vocation des chrétiens
est honorable ! qu'elle est grande ! Il
leur est donné d'introduire en eux le
Seigneur de gloire; de consacrer par
lui toutes leurs paroles & toutes leurs
actions ; de le proposer & dé le mon
trer aux autres vivant en eux-mêmes.
O que ces mains , ces actions , ces
paroles, cette conduite , ce cœur , doi
vent être saints , puisque l'Auteur de la
sainteté y doit être & y vivre àjamais!
Qu'il ne sorte donc de la bouche &
du cœur du chrétien rien que de saint,
rien que d'honnête , rien que d'utile ;
Îuisque tout cela doit être plein de
ésus- Christ. 1
* 6. Oue ses yeux soient simples & .
chastes , pour contempler le Seigneur,
que ses mains^ses actions soient pures,
m: J. Christ. Liv. IV. Vb. i ù 4$i
& appliquées aux choses célestes , pour
embrasser avec elles le Créateur du
eiel & de la terre.
C'est aux chrétiens que s'adresse par
ticulièrement cette parole de la loi an
cien ne, (c) Soyez faints, car je fuis
faint , moi gui fuis T Éternel votre Dieu.
7. Dieu tout-puissant ! assiste-nous
par ta grace , afin qu'ayant embrassé
la vocation de chrétiens , nous puis
sions t'y servir d'une manière digne
de toi , en toute sainteté , & avec une
conscience pure. 1
Et si nous ne pouvons pas demeu-
rer dans une innocence & pureté de
vie aussi parfaites qu'elles devroient
l'être , fais-nous la grace de pleurer
avec amertume toutes nos infirmités ,
&. de te rendre à l'avenir avec plus
. d'ardeur l'obéissance qui t'est due, dans
un esprit d'humilité et dans une volonté
ferme & constante.

CHAPITRE XÏL
Quand on veut recevoir J. Chrijl on doit
y préparer fon cœur avec grand foin.
Jésus-Christ.
K 1. J'aime l'innpcence & la pureté &
(e) Lev. 19. v. t. u Pier. ». v. 16.
452 De l' Imitation
c'est moi qui faits les Saints. Je cherche
un cœur pur ; e'est-ià le lieu de mon
repos. „
" (a) apprête-moi dans ton intérieur
une chambre haute, bien préparée, &
je ferai la Pàque chez toi avec mes
difciples. „
* Si tu veux que je vienne à toi ; &
•lue je demeure avee toi , (b) purifie-
toi du vieux levain; & nettoie ton
«œur. „
" Bannis en le siècle , et le tumulte
des vices ; retire-toi à part fur le toit ;
reviens à toi-même , et demeure dans
la plus haute partie de toname ; sois y
(c) tout feul, comme un paffereau foli-
taire, repassant avec une grande amer
tume de cœur les égaremens de ta vie.
Cl Toute personne qui aime ardem
ment , prépare à son bien-aimé le lieu
le meilleur et le plus beau qu'elle puisse
avoir ; car c'est pai>là que l'on connoit
avec quelle affection le bien-aimé est
reçu. „
„ i. Je veux néanmoins que tu sa
ches , que tu ne pourrois jamais te pré
parer assez dignement comme je le
{à) Luc 22. v. ii. (Jb) i Cor. ç. v. ^.
(C) Pf. 102. v. 8.
i>e J. Christ. Liv. Vf. Ch. 1 2. 4^
mérite , quand même tu employerois
des années entières , et que tu ne pen-
aerois uniquement qu'à cela. »
" Si je te donne la liberté de te pré
senter et de venir à moi pour en être
noAirri , c'est un don de ma miséri
corde et de ma pure grace ; comme si
un roi puissant faisoit manger à sa ta
ble un pauvre mendiant , à qui il ne
resteroit rien pour reconnoitre ce bien
fait que de s'humilier profondément
devant lui, et lui en rendre graces. „
" Fais tout ce qui est en ton pou
voir. Recois-moi avec crainte, avec
respect et avec aftection , et non par
coutume ou parce que le devoir t'en
est imposé , ou par tel autre motif hu
main ; puisqu'étant ton Seigneur et ton
Dieu , je daigne bien venir frapper à
ta porte. „
. * C'est moi qui t'appelle. Je veux
suppléer à tout ce qui te manque.
Viens donc et me reçois.,,
" Lorsque je touche ton cœur par
le sentiment de la dévotion, tu en dois
rendre graces à ton Dieu, car ce n'est
pas à cause de ta dignité que je t'ai
fait ce don , mais parce que j'ai voulu
te faire miséricorde.»
454 De l' I m i t a t i o i*.
" Que si tu ne sens pas ces doux
înouvemens, mais plutôt des sécheres
ses , redouble tes prières , gémi , frappe
à la porte , persévère , jusqu'à ce que
tu reçoives une goûte de ma grace sa
lutaire. n
" Je n'ai nullement besoin de toi ;
mais tu as besoin de moi ; et si tu m'ap
proches, ce n'est pas pour me sancti
fier, mais c'est moi qui viens te sancti
fier et te rendre meilleur. „
" Tu viens à moi pour être sandlifié
et pour m'être uni , pour croître en
grace , pour recevoir de nouveau se
cours , pour avancer de plus en plus
dans la vie spirituelle. „
" Ne néglige donc point ces grands
biens auxquels je t'appelle ; mais pré
pare-moi ton cœur, et y introduis ce
lui que tu aimes. „
*' 4. Tu ne dois pas seulement te pu
rifier et te disposer à une ardente piété ,
lorsque tu veux aller à la sainte com
munion ; mais après , t'y conserver en
core avec grand soin. „
" Tu ne dois pas veiller et te tenir
sur tes gardes avec moins de soin après
xn'avoir reeu que tu le faisois , quand
tu te préparois à me recevoir. „
* Se bien tenir sur ses gardes après
ï>e J. Christ. Liv. IV. Ch. ia. 455
m'avoir recu , est une excellente pré
paration à me recevoir encore avec
plus de graces. „
" Mais si l'on se relâche et cherche
inconsidérément des consolations exté-,
rieures , on se rend incapable de ma
goûter encore. „
" Garde -toi de parler beaucoup ,
demeure en silence dans ton intérieur,
et jouis de ton Dieu ; tu jouis d'un bien
inestimable que tout le monde ne te
peut ôter. „
" C'est à moi que tu dois te donner
tout entier et sans réserve , afin que tu
ne vives plus en toi , mais que tu vives
en moi dans une profonde paix. „

CHAPITRE XIII.
Il faut dêfirer avec ardeur de s'unir
à Dieu fans réferve.
Le Disciple.

\. Quakd sera-ce , ô mon Dieu ! que


j'aurai la grace insigne de te trou
ver seul , de l'ouvrir tout mon cœur ,
et de jouir tellement de toi selon le
desir de mon ame , que perfonne rien
conçoive pour moi du mépris; que nulle
4$6 D * l' Imitatio*
créature , nul égard humain ne me tou
che plus ; mais que tu parles seul avec I
moi et moi avec toi , comme un intime
ami s'entretient librement avec son
ami et lui ouvre son cœur.
L'unique chose que je te demande
et que je souhaite maintenant , c'est de
munir intimement avec toi , c'est de
détacher mon cœur de toutes les cho
ses créées , c'est d'apprendre à goûter
de plus en plus les choses célestes et
éternelles , et de communiquer avec
toi.
O mon Dieu! quand serai-je tout
uni à toi , tout absorbé en toi , et dans
lin parfait oubli de moi-même ?
Demeure en moi , et moi en toi ,
afin qu'étant consommés dans cette
unité , nous demeurions ainsi unis éter
nellement !
2. Tu ès véritablement mon bien-
aimé , (a) choifi d'entre mille , dans le
quel mon ame a mis toute son affec
tion pour demeurer arec lui tous les
jours de sa vie.
Tu ès le Pacificateur de mon ame ; je
trouve en toi la paix souveraine et le re
pos véritable. Hors de toi il n'va que
(«) Cant. 5. r. to.
trou-
de J. Christ. Liv. W>. Ch. 13. 4^
bles , que douleurs , et que misères
infinies- . •••
Mais (b) certainement tu es le Dieu
fort qut te caches tu ne communiques
pas avec les méchans ; tu n'as de com
merce qu'avec les humbles & les sim
ples. O Seigneur! que ton Esprit est-
doux ! ô que ce pain céleste dont tu
daignes nourrir tes enfans pour leur
témoigner ta bonté , est un pain dé
licieux. I.
• Y a-t-il aucune nation , qui ait ses
Dieux si près d'elle"comme tous les
vrais fidèles te possèdent , ô notre
Dieu ! qui réside dans le centre de leurs
ames, où tu te donnes à eux, les con
solant , ravissant toutes leurs pensées
& toutes leurs affections , les portant
vers les choses célestes , & les nour
rissant délicieusement de toi-même ?
Quelle nation y a-t-il au monde , qui
soit comparable au peuple chrétien.?
Ouelle créature sous le ciel aussi ché
rie de Dieu qu'une ame sainte, que
Dieu même daigne visiter , pour la
nourrir de lui-même. O grace ineffa
ble! ô amour infini ! Mais que rendrai-
je au Seigneur pour ce bien ineffable ,
(6) uV- 45. v. iç.
458 De l'. Imitation
pour cette cliarité incompréhensible ?
Je n'ai rien à lui offrir qui lui soit-
plus agréable que ce cœur que je lui
donne tout entier , afin quïl l'unisse
étroitement au sien.
Alors toutes mes entrailles tressail
liront de joie quand mon ame sera
parfaitement unie avec mon Dieu.
Alors mon Dieu mç dira : Si tu veux
être avec moi , je veux bien demeurer
avec toi : Et je lui répondrai ; Daigne,
à Seigneur! demeurer avec moi, car
tout mon plaifir eft de ne te quitter ja
mais.
Tout mon desir est que mon cœur
& toutes mes affections soient unis in
séparablement à toi.
i .
CHAPITRE XIV.'
// faut pour s'animer , conjidèrer Tar-
deur des Saints.
Le Disciple.

t. \J Seigneur ! (a) que les biens que tu


as réfervés à ceux qui te craignent fent
grands ! Quand je pense à la Jerveur
& à la dévotion de beaucoup de bon-
Oj) Pf. p. v. sa
de J. CiiRisT. Lm IF. Ch. 14. tff
nes ames , lorsqu'elles s'approchent de
toi , je suis tout confus , de ce que j'ose
me présenter devant toi , & te prier
de te communiquer à moi.
Je rougis quaud je me trouve sec ,
froid , & sans dévotion , au lieu d'être
embrasé en ta présence, d'être enlevé ,
d'être touché aussi admirablement que
quelques uns de tes enfans , qui trans
portés du desir de ta divine commu
nion , &, pénétrés de la force de ton
amour, ne pouvoient s'empêcher de
fondre en larmes devant toi ; qui étant
altérés de toi , ouvroient de toute leur
force la bouche de leur cœur à la
source d'eaux vives, & ne pouvoient
au trement appaiser leur faim , qu'en
te recevant avec une avidité spirituelle
& délicieuse.
2. O que cette foi ardente prouve
bien que tu leur étois présent , & que
tu <b) habitois en eux !
Il n'y a vraiment que ceux qui mar-
ehent sans cesse en la présence de
Dieu leur Sauveur , qui le connois-
sent lorsqu'il leur distribue ce pain
spirituel & divin.
Hélas ! souvent cette dévotion , cette
C&) Eph. j, t. 17.
V x
463 De l' Imitation
ardeur , ces mouvcmens d'amour, sont
bien éloignés de moi.
Fais-moi miséricorde , ô Jésus! dont
la bonté et la clémence n'ont point de
bornes.
Accorde à ce pauvre mendiant qui
se présente à toi quelques étincelles de
ce feu d'amour qui embrase le cœur;
afin que sentant les divins effets de ta
sacrée communion , j'en devienne plus
fort dans la foi ; que je m'avance dans
l'espérance en ta bonté; & que mon
amour une fois bien allumé, après avoir
goûté la manne céleste , brûle pour
ne s'éteindre jamais.
3. Ta miséricorde est toute-puissante
pour m'accorder la grace après la-,
quelle je soupire, & pour me visiter
de ton Esprit de feu , lorsque le jour
de ton bon plaisir sera venu.
Car quoique je n'aje pas le zèle de
ces ames si ferventes qui désirent avec
ardeur de s'unir à toi; cependant tu
ne laisses pas de m'en inspirer l'envie.
J'y aspire de toutes les puissances
de mon ame , ô mon Dieu , & je te de
mande de devenir par ta grace &
d'être toujours du nombre de ces ames
saintes & ferventes qui t'ont aimé avec
tant d'ardeur & de passion,.
ifc J. Christ. Liv. IP. Ch. 15. 46 i

CHAPITRE XV.
Plus on renonce à foi même , plus on
s'unit à Dieu.
Jésus - Chris t.

^ 1, Tl U dois rechercher la grace de


la dévotion avec instance , la deman
der de tout ton cœur ; l'attendre avec
patience & avec foi ; la recevoir avec
reconnoissance ; la conserver avec hu
milité, & y coopérer avec ferveur; &
remettre entièrement au bon plaisir
de Dieu le tems & la manière en la
quelle il lui plaira de te visiter d'en-
haut.
Lorsque tu ne sens point les mou-
vemens de la grace divine , ou que tu
n'en sens que peu, tu doii t'humiliep
.beaucoup ; mais non pas t'abattre ni
t'attrister excessivement. „
" Souvent Dieu donne tout d'un
coup ce qu'il a long-tems refusé. Sou
vent il donne à la fin d'une prière per
sévérante , ce qu'il avoit différé de
donner au commencement. „
" 2. L'Iiomme est si foible , qu'il ne
pourvoit pas profiter de la grace , si
4^2 De l'Imitation
cl!e lui étoit donnée à l'instant ou il la
demande & selon sa volonté. „
" Tu dois donc attendre avec une
humble patience & avec une espérance
ferme les sentimens de sa présence. „
■ S'ils ne te sont pas donnés , & mê
me si les ayant eus , ils te sont cachés
& soustraits, ne l'impute qu'à toi &
à tes péchés. „
u Jl ne faut quelquefois que peu de
chose pour arrêter la grace & pour la
faire éclipser , si néanmoins l'on doit
appeller peu ce qui interrompt le
«ours d'un si grand bien. „
* Si tu surmontes entièrement , et
bannis de toi cet obstacle quel qu'il
«oit , ce que tu demandes te sera ac
cordé. „
" 3. Car aussi-tôt que tu seras aban<-
donné à Dieu de tout ton cœur , &
que tu te seras entièrement remis à lui
sans plus chercher à te satisfaire en
rien, tu sentiras son union véritable,
qui te donnera la paix; puisque rien
ne t'agréera plus , que le bon plaisir
de la volonté divine. „
" Celui donc qui élève son ame à
Dieu avec un cœur simple , & qui se
détache tellement de toutes les créa
tures qu'il n'est touché pour .elles ni
•ue L Christ. Liv. IV. Çb. 15. 463
d'un amour déréglé , ni d'aucun dé
plaisir , celui-là est le mieux disposé à
recevoir la grace de l'union de Dieu
& de sa tendre dilection. „
" Car Dieu verse libéralement ses
divines largesses , dès qu'il trouve des
vaisseaux vuides. „ • •
" Plus une personne renonce aux
ehoses temporelles, et meurt à soi par
le mépris de soi-même, plus aussi elle
reçoit de Dieu une plus grande abon
dance de grace , qui pénétre & ravit
son cœur, et le porte avec plus de
liberté vers le ciel. „
" 4. C'est alors qu'il se verra tout
d'un coup avec étonnement dans les
richesses et dans l'abondance du ciel ;
et que son cœur s'étendra à l'infini
pour embrasser le Dieu infini dont il
sentira la présence, & dans la main
duquel il se sera abandonné pour l'é
tendue de tous les siècles. J?
0 Telle est la grace que Dieu fera à
4' homme qui le cherche de toute son
ame, et qui ne donne pas aux choses
vaines de ce monde le cœur qu'il a recu
de Dieu pour Dieu même.
" Lorsqu'il se présentera à la récep
tion de son Sauveur , il jouira de son
V 4
.464 D é l' Imitât r- on
union véritable ; parce qu'il cherchera
moins les doux sentimens de la dévo-,
tion et de sa propre consolation , que
l'avancement de l'honneur et de la
gloire de Dieu. »

CHAPITRE XVI.
Prions notre Créateur de venir agir en
nous.
Le Disciple.

1. C) Très-doux et très-aimable Sau


veur , que je désire recevoir mainte
nant dans mon cœur avee un amour
sincère , tu connois ma foiblesse et ma
misère , tu sais quelles sont les plaies
et les vices de mon ame ; combien je
suis souvent affligé, tenté, troublé et
souillé de péchés.
Je viens à toi pour trouver le re
mède , la consolation et le soulage
ment que je te prie de m'accorder. Je
parle à celui qui sait tout , et dont le*
divins regards pénétrent ce qu'il y a
de plus caché dans le fond de mon
cœur qui est nud devant lui.
Il n'y a que toi seul qui puisses me
donner du secours , et une consolation
i>is J. Christ. Liv. IV. Ch. 16. 465
parfaite. Tu sais quels sont les biens
dont j'ai besoin , et combien je suis
destitué de vertus.
2. Malgré ma misère et ma nudité ,
je viens , ô mon Dieu ! frapper auprès
de toi comme un pauvre mendiant ,
qui te prie d'avoir compassion de son
état. Donne à manger à mon ame affa
mée ; approche -moi du feu de ton
amour, pour chasser le froid qui me
glace ; et illumine mes jeux aveuglés ,
par la clarté dela divine présence.
Veree de l'amertume sur tous les
objets d'ici-bas , fais que les peines me
semblent douces, que les grandeurs
du monde et généralement toutes les
choses créées me paraissent viles et mé
prisables.
' Elève mon cœur à toi vers le ciel ,
et ne permets pas qu'il rampe davan
tage sur la terre.
Que dès ce moment tu deviennes
toutes mes délices et toute ma joie
pour jamais; ô unique nourriture et
breuvage de mon ame ! mon amour ,
ma joie, mes délices et mon tout.
3. O ! que ne suis-je tout feu , tout
zéle , tout amour , que ne suis-je transe-
formé en toi par ta divine présence ,
Y 5
466 De t' Imitation
pour n'être plus qu'un même esprit
avec toi par le moyen de ton intime
union , et par l'ardeur de ton amour.
Ne permets pas que je me retire'tout
sec et tout affamé d auprès de toi ,
mais opère en moi par ta miséricorde ,
de la manière admirable que tu as au
trefois opéré dans tes Saints.
Faudroit - il s'étonner si ta divine
présence me rendoit tout feu , et con-
sumoit en moi ce qui restoit de moi-
même , vû que tu ès un feu toujours
ardent, et qui ne s'éteint jamais ; un
amour qui purifie le cœur, et qui éclaire
l'esprit.

CHAPITRE XVII.
Nous devons redoubler notre ardeur
pour nom unir à Dieu.
Le Disciple.

t. Je désire, ô mon Seigneur et


Kion Dieu ! de te recevoir avec la piété
Va plus grande , l'amour le plus enflam
mé , et les affections les plus vives ,
que tes Saints ont desiré de te rece
voir , eux qui ne touhaitoient rien tant
que de se rendre agréables à tes yeux
be J. Christ. Liv. IV. Ch. if. 467
par la sainteté de leur vie , & par
leut\ardente dévotion.
O mon Dieu ! Amour éternel , mon
unique bien ! félicité à jamais durable ,
je désire de te recevoir avec des trans
ports d'amour aussi ardens , & avec une
vénération aussi profonde , qu'aucun de
tes Saints en ait jamais senti, ou pu
sentir.
2. Et bien que je sois indigne d'avoir
tous ces sentimens & toutes ces dispo
sitions, néanmoins je t'offre toutes les
affeétions de mon cœur, & je te prie
de les recevoir aussi volontiers que si
j'avois seul tous les soupirs & les désirs
les plus enflammés de tous tes Saints.
Tout ce qu'une ame enflammée de
dévotion peut concevoir & désirer, je
désire aussi , ô mon Dieu! de te le pré
senter du plus intime de mon ame , k
avec un respeél très-profond.
Je ne veux pas me réserver la moin
dre chose , mais offrir de toute la pléni
tude de mon cœur , & immoler à toi en
sacrifice purement volontaire , & moi-
même & tout ce qui est à moi. -' »
Seigneur mon Dieui mon Créateur &
mon Rédempteur, je désire de te rece
voir maintenant avec autant d'ardeur &
Y 6
468 D é l' Imitation
de respect , avec autant de louange fe
d'honneur, avec autant de reconnois-
sance & d'amour , avec autant de foi ,
d'espérance , & de pureté que la sainte
Vierge Marie, qui est maintenant dans
la gloire , désira de te recevoir , & te
reçut en effet ; lorsque ton divin Esprit
survint en elle, pour y opérer le mys
tère de ton incarnation ; & qu'elle ré
pondit avec humilité & avec piété à
l'Ange qui lui annoneoit ces bonnes nou
velles , («) Voici laferrante du Seigneur >
qu'il meJ oit fait felon ta parole.
3. Et comme le bienheureux Jean-
Baptiste , ton précurseur , le plus grand
Ûe tous ceux qui sont nés de femmes,
.tressailloit dejoie par le.St. Esprit, lors
qu'il éteit encore dans les entrailles de
sa.meve ; que voyant ensuite Jésus
converser avec les hommes , il dit avec
une profonde humilité & un grand mou
vement d'amour, (b) L'ami de l' Epoux
jgui ajjifte dtyfint lui & l'écoute, eji tout
réjoui à la. voix de l'Epoux - de même ô
mon Dieà ! je désire d être embrasé de
ces désirs en assistant devant toi dans
le ravissement & le tressaillement de
mon cœur. : . , .
{a) Luc 1. v. 38. • (A) Jean j. r. S9. 1
r>r. J. Christ. Liv. IV. Ch. 17. 469
' Je t'offre encore les transports de
joie & d'amour ; les ravissemens , les
extases, les illustrations, les visions
célestes & les autres dons surnaturels
que tu as communiqués aux plus grands
Saints , je te les offre & te les présente
avec toutes les louanges que toutes les
créatures t'ont rendues & te peuvent
jamais rendre au ciel & sur la terre.
Reçois les comme de ma part , comme
désirant de te les rendre; &. mets les
mêmes dispositions dans ceux pour qui
je te dois prier, afin que tu sois loué &
glorifié pourjamais d'une manière digne
de toi.
4. Seigneur mon Dieu ! recois , je te
prie , mes vœux & les désirs que j'ai que
tu sois honoré par des louanges infinies,
& par des bénédictions éternelles, corn-
me tu le dois être pour la sublimité de
, tes ineffables grandeurs.
Je tâche de te rendre ce devoir, je
désire de te le rendre autant dei:jours
& de momens que ma vie durera.; & je
souhaite d'a/vpir pour compagnons tous
les Esprits célestes, & tous tes ^dèles.
Je le* invite tous à se joindre à moi pour
chantertes louanges, & pour te rendre
des action* de graces qui ne finissent
jamais.
470 De l' Imitation
5. Que tous les peuples, toutes les
tribus , toutes les langues de la terre te
louent ! qu'ils magnifient ce saint , ce
doux , cet aimable nom de JESUS , par
des transports de joie et d'amour!
Oue tous ceux qui s'approchent de
toi avec respect et avec piété pour s'unir
avec toi dans cette communion sainte ,
& pour te recevoir par une foi vive ,
trouvent grace & miséricorde devant
toi, et dans leurs prières se souviennent
de moi , qui suis un pauvre pécheur , &
lors qu'ayant obtenu ce qu'ils dési-
roient , ils se trouveront pleins de biens ,
rassasiés & consolés par l'union pure
dont ils jouiront avec toi , qu'ils dai
gnent se souvenir de la pauvreté de mon
ame.

' CHAPITRE XVÎÏL


Nous devons rejettcr les confeils de nos
fem , & ne pas chercher à approfondir
avec une curiofité mlifèrette les mys
tères divins. -- -
Jésus-Christ,
I. " ^^'entreprends jamais d'appro
fondir mes mystères par une recherche
curieuse et inutile , si tu ne Yeux tomber
de J. Christ. Liv. IF. Ch. 18. 471
dans l'abîme de l'incrédulité & de l'in-
fiélité. Celui qui veut sonder les œuvres
de la Majesté divine , sera accablé sous
le poids de sa gloire. „
" Les œuvres de Dieu sont au-dessus
de toute la raison & de toute compré
hension de l'homme. Le meilleur est de
rechercher avec un esprit humble &
dans la crainte de Dieu la simplicité de
la vérité , d'être toujours prêt à rece.
voir l'instruction , & tâcher de suivre la
trace des Saints.
2. 0 O heureuse simplicité ! qui sans
s'amHser à chercher des détours par
une foule de questions & de discussions
difficiles , porte uniquement ses regards
sur la voie simple & assurée des eom-
mandemens de son Dieu ! Beaucoup
ont perdu la piété pour avoir voulu
comprendre des choses qui sont infini
ment élevées au-dessus de l'entende
ment humain. „
" Dieu exige de toi la foi : il exige de
toi une conduite simple & sincère, &
non pas une élévation d'esprit , une
recherche curieuse de la profondeur de
ses mystères. „
" Si tu ne connois pas les choses les
plus basses , comment voudrais tu coin
472 De l' Imitation
prendre celles qui sont au-dessus de toi ?
■ Soumets-toi à Dieu, soumets ta rai
son à la foi ; & Dieu te fera comprendre
ses voies autant qu'il sera utile & néces
saire pour ton salut. „
3. " 11 y en a qui sont violemment
tentés sur la foi des mystères & des
choses divines; & leurs doutes ne vien
nent pas tant d'eux que de Satan. „
"N'aie point d'égard à ces tentations
là ; ne t'entretiens point de ces pensées ;
ne répond point à ces doutes que l'en
nemi te met dans l'esprit. Crois à la
parole de Dieu , à ce que ses Saints &
ses Prophètes t'ont dit de sa part ; &
cet ennemi s'enfuira. „
"Il est souvent très-utile à un serviteur
de Dieu d'être tenté. Le diable ne tente
pas les infidèles & les méchans, vu
qu'il les possède en assurance ; c'est
ceux qu'il sait être du nombre des fidè
les qu'il tente & qu'il tourmente en une
infinité de manières. „
a. Approche-toi donc de ton Dieu
avec respecft , avec simplicité , & avec
foi en ses promesses , pour jouir de sa
divine communion. Ce que tu ne peux
comprendre , remets-le à Dieu & à sa
puissance infinie.,,
de J. Christ. Liv. IV. Ch. 18. 473
■ Dieu ne te sauroit tromper ; celui-
là est trompé qui se fie à ses propres
pensées. Dieu marche avec les simples;
il se revèle aux humbles; il fait com
prendre les choses spirituelles aux pe
tits , il ouvre l'esprit des ames pures ;
mais il cache sa grace à la curiosité des
hommes superbes. „
" La raison humaine est (bible , elle
est sujette à l'erreur , & la foi sincère
& véritable ne l'est pas. „
a La raison humaine doit suivre la
foi , & non pas la précéder ni la com
battre. Car la foi jointe au pur amour,
opèrent d'une maniere admirable, mais
secrette cette divine union , & la ca
chent sous les apparences les plus bas
ses pour la raison. „
" Dieu qui est éternel , tout-puissant ,
& incompréhensible , fait dans le ciel &
sur la terre des merveilles qu'on ne sau
roit approfondir. „
* La sublimité de ses opérations est
impénétrable. Si les œuvres de Dieu
pouvoient être facilement comprises
par l'esprit humain , on ne devroit pas
les appeller merveilleuses & ineffables.»
FIN.
TABLE
Des chapitres contenus dans ce
volume.
LIVRE I.

A, ivis au Le&eur & Préface, depuis page 3


jusqu'à 49.
Chap. Page
î. Qu'il faut imiter Jésus-Christ, & mépriser
toutes les vanités du monde. çi
II. Des humbles sentimens qu'il faut avoir de
soi-même.
III. H faut être attentif quand Dieu parle à
notre cœur, & se vaincre soi-même. $8
IV. Il ne faut pas juger légèrement , ni avec
précipitation. 6}
V. Il faut lire l'Ecriture Sainte avec l'esprit qui
l'a didtée. 64
VI. Les affeftions déréglées causent un trouble
qui se calme en leur résistant. 66
VII. On ne doit point mettre sa confiance dans
les créatures ; il ne faut tirer vanité de rien
& révêtir l'humilité. 67
VIII. Choisir un ami sage , se familiariser peu
avec le monde. 69
IX. De la soumission & de l'obéissance. 71
X. Il faut éviter les entretiens frivoles , & par
ler des choses saintes. 72
XI. Pour acquérir la paix , il faut combattre
ses inclinations vicieuses. 74
XII. Il est avantageux d'être affligé. 78
XIII. Il est bon d'être tenté , mais il faut
résister aux tentations & demeurer fermes. 79
XIV. Il faut éviter les jugemens téméraires sw
TABLE. 47?
Chai>. Pag.
autmi , se juger soi-même & se soumettre à
Dieu. 84
XV. Les bonnes œuvres doivent être faites par
amour pour la gloire de Dieu. 8$
XVI. Il faut supporter les défauts du prochain,
puisque nous avons besoin qu'on supporte
les nôtres. 88
XVII. Un bon chrétien doit l'être par sa vie
& par ses mœurs. 90
XVIII. Il faut suivre l'exemple des Saints &
le rèle des premiers chrétiens , & fuir les
tiédes de ce, siècle. 92
XIX. On doit renouveller chaque jour ses
bonnes résolutions, & exciter son zèle par
de saints exercices. 96
XX. De l'amour de Dieu , delà solitude & du
silence. i°î
XXI. Il faut s'affliger de ses péchés & craindre
de déplaire à Dieu. 107
XXII. On doit considérer les misères humai
nes avec un cœur touché. ni
XXIII. De la méditation de la mort : on doit
s'y préparer chaque jour. 116
XXIV. Du jugement de Dieu & des peines des
méchans. 122
XXV. Il faut travailler avec ardeur à l'amen
dement de sa vie. 128
LIVRE IL
Chap. I. Il faut mépriser les choses du monde
& préparer son cœur à recevoir Jésus-Christ,
afin qu'il daigne venir & y faire sademeure.136
II. Dieu ne donne ses biens & son secours
qu'aux humbles. 142
III. Si tu aime la paii tu supporteras tout. 144
47« TABLE
Chap. -' ( . PaG-
IV. L'œil simple , 4e cœur pur élèvent jusqu'à
Dieu. 146
V. Il faut rentrer en soi-même, & s'occuper en
tièrement de Dieu. 148
VI. La joie puse & solide est dans la cons
cience. IÇI
VIL II faut aimer Jésus-Christ, lui seul, &
sur tontes choses. i?4
VIII. Aime tout pour Jésus, & Jésus pour lui-
même. i<,6
IX. Dieu prive quelquefois les siens de toute
consolation pour les éprouver. 160
X. Il faut rendre grace à Dieu de ses consola
tions , & souffrir^patiemment lorsqu'on s'en
voit privé. 166
XL Du petit nombre de ceux qui aiment la
croix de Jésus-Christ, & qui renoncent à
tout pour le suivre. 170
XII. Il faut prendre la croix de Jésus-Christ
si on veut sa couronne. 17Î
LIVRE III.
Chap. L Comment l'homme doit se préparer
à écouter Dieu. 184
IL L'homme- parle au dehors, & Dieu parle
au-dedans. 186
III. On fait tout pour le, monde, on ne fait
rien pour Dieu. < 18$
IV. Il faut marcher devant Dieu avec vérité,
&avec humilité. 194
V. Du merveilleux effet de l'amour divin : on
doit le demander avec ardeur , car on a
tout en lui. 198
VI. Celui qui aime véritablement le Seigneur
ne se rebute pas quand il est éprouvé par
l'adversité. 304
DES CHAPITRES. 477,
Chap. Pag.
VII. Il faut être humble dans la grace pré
sente ou absente. 309 .
VIII. Il faut reconnoître devant Dieu son"
néant. 2 r+
IX. Il faut rapporter tout à Dieu comme à no
tre dernière fin. 216 '
X. On ne peut servir Dieu & le monde. Dou
ceurs ineffables que l'on trouve dans le ser
vice de Dieu. 219
XI. Il faut examiner & modérer les desirs du
cœur et s'efforcer de plaire à Dieu. 22? "
XII. Il faut souffrir les maux avec patience &
fuir les vains plaisirs du monde. 225
XIII. L'exemple de Jésus-Christ nous enseigné"
l'obéissance & la soumission. 229
XIV. Il faut considérer la grandeur de Dieu -
& notre néant , & ne pas tirer vanité de '
nos bonnes œuvres. 2}2
XV. Il faut vouloir tout ce que Dieu veut , &
non ce qui .îous seroit agréable. '
XVI. Il faut chercher la véritable consolation
en Dieu seul, & non dans le monde. 258'
XVII. Il faut se reposer sur Dieu -de tout le "
soin de nous-mêmes , & lui abandonner no
tre conduite. 240"
XVIII. A l'exemple de Jésus-Christ nous de
vons supporter avec patience les misères de "
cette vie. 242
XIX. Il faut supporter les injures , ce qui est
la marque de la véritable patience. 245
XX. De l'aveu de sa propre foiblesse , & des
misères de cette vie. 249
XXI. Dieu visite le cœur qui l'aime & qui le
. P"e. 2îJ
XXII. Du souvenir des bienfaits de Dieu & de
478 T A k.L E.
Chap. Pao.
la reconaoissance que nous endevons a\roir.2ç8
XXIII. Dieu nous enseigne ce qui peut nous
procurer la paix ; nous devons le prier de
nous faire la grace de l'observer. 262
XXIV. Il faut éviter une curieuse recherche de
la conduite d'autrui, & se remettre à Dieu
pour toutes choses. 266
XXV. En quoi consiste la solide paix du cœur
& le véritable avancement de l'ame. 268
XXVI. L'eicellence de la liberté de l'esprit qui
s'aquiert plutôt par la prière que par la
lecture. 272
XXVII. Qui veut jouir de tout doit aussi tout
donner , car l'amour de soi-même nous éloi
gne extrêmement du souverain bien. 27?
XXVIII. Nous ne devons pas nous chagriner
quand on parle désavantageusement de
nous. 279
XXIX. H faut invoquer & bénir Dieu aux
approches de la tribulation & lors qu'on y
est engagé. 280
XXX. On doit demander le secours de Dieu,
& ne pas s'inquiéter de l'avenir. 28*
XXXI. Il faut quitter toutes les créatures pour
trouver le Createur. ' 288
XXXII. Du renoncement à soi-même & à toute
cupidité. 2fî
XXXIII. De l'instabilité de notre cœur, & qu'on
doit toujours se proposer Dieu pour fin. 29s
XXXIV. Celui qui aime Dieu le goûte en tou
tes choses & par-dessus tout. 297
XXXV. Dieu destine les siens à souffrir dans
ce monde. )oi
XXXVI. Il ne faut pas s'inquiéter des vains juge-
mens des hoihes,nuis remettre tout à Dieu. 3 04
DES CHAPITRES. 479
Çhap. Pag..
XXXVII. De la pure & entière résignation de
soi-même pour obtenir la liberté du coeur. % 06
XXXVIII. H faut demeurer libre en tout &
avoir recours à Dieu en toutes choses.
XXXIX. L'homme ne doit point s'attacher avec
empressement aux affaires du monde, & il doit
abandonner à Dieu le soin de sa conduite. ;n
XL. L'homme n'a rien de bon de lui-même &
il ne peut se glorifier en rien. 31J:
XLI. Du mépris des honneurs temporels. 317
XLII. H ne faut point établir sa paix dans les
hommes , mais aimer Dieu seul. î 18.
XLI1I. Contre la vaine science du siècle, Dieu
donne de l'intelligence aux humbles. 320-
XLIV. Il faut mourir au monde , afin d'avoir
la paix de Dieu dans le coeur. }2J
XLV. On doit se reposer en Dieu & ne point
compter sur les hommes. }2Ç
XLVI. De la confiance qu'il faut avoir en Dieu
quand on est attaqué par des paroles pi
quantes. 3*0
XLVII. Pour obtenir la vie éternelle, il faut fiip-
£orter les choses les plus fàcheufes. $34.
VIII, En fupportant les tniféres de cette vie , al
faut penTer au jour do l'éternité. 337
XL1X. Dudefirde la vie éternelle & quels biens font
promis à ceux qui renoncent aux honneurs du
monde. 343
L.,Dans les affligions fir la trifteffe , on d«it fe remettre
entre les mains de Dieu. 350
LI. Quand an manque de farces pour les œuvres fit-
blimes, il faut s'attacher à celles qui font com
munes. . > :
LII. Il ne faut pas s'estimer digne de confohrions »
mai* plutôt des châtimens. 35*
LUI. La grace de Dieu eft incompatible avec le goût
» de* choies terrefires. 361
LIV. Des différons monveoteas de la nature & de la.
graee. 364
433 TABLE.
Chap. Pag..
LV De l'efficacite de la grace de Dieu , & de la
corruption de la nature. 372
LV1. Nous devons renoncer à nous mêmes - & imiter
Jefus-Chrift en portant fa croix. . 376
LvII. On oe doit pas trop s'abattre & fe rebuter de
fa foibleife. 38a
LVIIl 11 faut refpeâer en filence les fecrets juge-
mens de Oieu. 383
LIX. 11 fuit mettre en Dieu feul tout foa efpoir &
toute fa confiance. 391
LIVRE IV.
Avis qui etoit au commencement de l'ancienne tra
duction ou paraphrste de ce quatrième livre. 39$
Chap. 1. Nous devons nous approcher de D eu, qui
nous v invite lui-même. 39$
II. Nous devons nous approcher de Dieu avec humi
lite Se refpeift. 408
III. Il eft avantageux de communier fouvent & de
ne pas le tenir lung-terns éloigne de Dieu. 413
IV. L'union avec Dlen eft la louree des graces. 417
V. Dieu ne le communique qu'aux vrais Chrétiens. 411
VI. Nous devons demander à notre Sauveur qu'il nous
prepare à le recevoir. ..... 4îfl
Vil. U faut examiner fa confeience & prendre la
refolution de s'amender. 427
VIII. Nous devons nous ofFiir fans referve â Dieu,
pour lui être agreabie. 431
IX. Nous devons nous < ffrir à Dieu, avec tout ce qui
eft à nous, & lui offrir nos vœux pour tous. 433
X. N*us devons unir nos coeurs à Oieu en tous teins
& fans ceffe. 43g
XL l a vie de Jéfus. eft notre nourriture. 444
XH Quand on veut recevoit Jcfus Chrift on doit v
preparer fon coeur avec grand foin. 451
XIII. Il faut delirer 'avec ardeur de s'unir à Dieu
fans referve. 45J
XIV. Il faut pour s'animer, confiderer l'ardeur des
Saints. <„:..: 458
XV. Plus on renonces foi même , plus on s'unit à
i' 1 461
rions notre Créateur de venir agir en nous. 464
Jous devons redoubler notre ardeur pour nous
Dieu. 466
Tous devons rejetter les confeils de nosfens,
1 chercher à approfondir avec une euriofite
Us mvilères divins. 47j
-

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