Vous êtes sur la page 1sur 653

A propos de ce livre

Ceci est une copie numérique d’un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d’une bibliothèque avant d’être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d’un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l’ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n’est plus protégé par la loi sur les droits d’auteur et appartient à présent au domaine public. L’expression
“appartenir au domaine public” signifie que le livre en question n’a jamais été soumis aux droits d’auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu’un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d’un pays à l’autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l’ouvrage depuis la maison d’édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.

Consignes d’utilisation

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s’agit toutefois d’un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l’usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d’utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N’envoyez aucune requête automatisée quelle qu’elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d’importantes quantités de texte, n’hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l’utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l’attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d’accéder à davantage de documents par l’intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l’utilisation que vous comptez faire des fichiers, n’oubliez pas qu’il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n’en déduisez pas pour autant qu’il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d’auteur d’un livre varie d’un pays à l’autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l’utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l’est pas. Ne croyez pas que le simple fait d’afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d’auteur peut être sévère.

À propos du service Google Recherche de Livres

En favorisant la recherche et l’accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le frano̧ais, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l’adresse http://books.google.com
NYPL RESEARCH LIBRARIES

JAW
3 3433 081913A
97 6
THE BEQUEST OF

ISAAC MYER

RECEIVED FEBRUARY 1904


Jacollit
THE BEQUEST OF

ISAAC MYER

RECEIVED FEBRUARY 1904


Jacolliot
-
- -
-
MYTHOL
LA OGIE

DE MANOU
A. LACROIX ET Cio, ÉDITEURS , A PARIS
LOUIS JACOLLIOT

ÉTUDES INDIANISTES
Quinze volumes de cette cuvre considérable , destinée à nous faire
connaitre les vieilles civilisations de l'Inde et de la Haute-Asie, ont paru .
Ce sont :
10 La Bible dans l'Inde ;
20 Les Fils de Dieu ;
30 Christna el le Christ ;
4° Histoire des Vierges ;
50 La Genèse de l'Humanité ;
60 Fétichisme — Polythéisme Monotheisme ;
7° Le Spiritisme dans le Monde ;
80 Les traditions Indo- Asiatiques ;
9° Les traditions Indo -Européennes et Africaines;
100 Le Pariah dans l'Humanité ;
110 et 120Les Législateursreligieux Manou : Moise ;
130 Les Femmes dans l'Inde ;
14° Les Rois, les Nobles. les Guerriers et les Castes.
150 La mythologie de Manou — L'Olympe Brahmanique .
LA BIBLE DANS L'INDE étudie l'influence de l'Inde , par'sa langue, sa
morale, ses . lois , sa philosophie sur les sociétés anciennes. L'auteur y suit
pas à pas la marche de la civilisation indoue, en Egypto par Manès, en
Asie Mineuré et en Grèce par Minos, en Perse par Zoroastre,en Judée par
la tradition chaldéo-mosaique. A l'aide de nombreux et irrefutables docu
ments, il démontre que tous les Mythes religieux de l'antiquité, y compris
le Mythe judaique et le Mythe chrétien, sont issus des vieilles conceptions
de l'extrême Orient .
La création de l'Univers , les attributs de l'Etre suprême , la naissance
de l'homme. les fables de la faute originelle, du paradis terrestre, du déluge,
la révolte des Anges, le meurtre d'Ahel , etc. , les sacrifices, les prières , les
sacrements , les mystères, tout jusqu'au Mythe fabuleux du Christ n'est
qu'une rénovation des vieux mystères brahmaniques.
Il n'est pas jusqu'à la confession publique et auriculaire, qui ne soit
instituée et réglernentée par Manou , ' l'antique législateur des bords du
Gange .
LesFils de Dieu sont les tableaux des trois grandes périodes historiques
de l'Inde :
10 Periode patriarcale et védique, qui se distingue par les croyances
monothéistes des vieux Indous. Le Père est prétre et roi ; seul chef religieux
et civil de la famille, il résume en lui tous les droits, tous les devoirs, toute
l'autorité ;
20 Période sacerdotale. Le règne du prêtre commence , le Monothéisme
se résout dans le culte trinitaire. Les prêtres font agir la Divinité pour
terroriser le vulgaire, et ils fondent, sur l'esclavage et l'abrutissement sys
tématique des masses, un gouvernem Int théocratique, qui fut la première
forme d'agrégation sociale des populations qui ont eu les rives du Gange
pour berceau ;
30 Période ' royale, qui se distingue par l'avènement des chefs militaires
au pouvoir suprême et l'alliance des prêtres et des rois, alliance fondée
sur la superstition et la force.
CHRISTNA ET LE CARIST est le parallèle du rédempteur indou et du
rédempteur chrétien . Mêmes traditions, mêmes aventures, même ensei
gnement, même but , le christ Juit n'est évidemment qu'une figure légendaire
du Christ Indou .
L'HISTOIRE DES VIERGES est l'étude du Mythe de la Mère initiale, de la
Mère Nature, de la Matrice universelle , fécondée par le germe divin et de
laquelle sontsortis tous les Etres , Mythe que l'on trouve à la base de toutes
les cosmogonies du monde , et qui, en cessant d'être symbolique, donne
naissance aux fables absurdes des vierges mères de Dieu.
La Collection complète des ÉTUDES INDIANISTES, 15 vol. in-8, 90 fr.
IMPRIMERIE D. BARDIN , A SAINT -GERMAIN
-

|
L'OLYMPE BRAHMANIQUE

LA MYTHOLOGIE
DE MANOU
PAR

LOUIS JACOLLIOT

PARIS
COLLECTION LACROIX ET C. EDITEURS
EN VENTE CHEZ

C. MARPON ET E. FLAMMARION
| Er 7 , GALERIE DE L'ODÉON ET RUE ROTROU ,

1881
Tous droits de traduction de reproduction roser vos
28630
PREMIERE PARTIE

LES ORIGINES DE MANOU


L'OLYMPE BRAHMANIQUE

PREMIÈRE PARTIE

LES ORIGINES DE MANOU

D'après l'opinion des pundits ou brahmes , savants ,


le livre de la loi de Manou est formé de la quin
tessence des Védas .
Les Védas sont au nombre de quatre : le Rig - Véda,
le Yadjour-Véda, le Sama - Véda et l'Atharva - Véda.
Le Rig - Véda est un recueil de chants , d'hymnes
et de traditions nationales ; on y trouve aussi des
hymnes sur les rites sacerdotaux , sur l'onction des
prêtres , le sacre des rois et l'aumône qui est recom
mandée à tous , en faveur des brahmes . Le Rig chante
surtout les mille expansions de la force divine sous
les noms d'Agni , d'Indra , de Sourya , de Varouna , de
Roudra, dont il résume souvent les manifestations
sous le nom de Dévas . Il est écrit entièrement en vers .
1
2 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Le Sama - Véda qui ne contient également que des
vers, et le Yadjour - Véda qui contient des vers et de la
prose, sont pour ainsi dire des rituels liturgiques
fixant les hymnes et les chants des cérémonies sa
cerdotales .
L'Atharvu - Véda, bien qu'il renferme aussi une
certaine quantité d'hymnes , est surtout un recueil de
prières , de mentrams et de conjurations magiques. Le
sorite sanscrit suivant , gravé en tête des manuscrits
de l'Atharva, indique suffisamment le but de cet
ouvrage .
Devadinam djagat sarvam
Mantradinam ta devata
Tan mantram brahmanadinam
Brahmana mama dévata.

Tout ce qui existe est au pouvoir des dieux .


Les dieux sont au pouvoir des mentrams.
Les mentrams sont au pouvoir des brahmes.
Donc les dieux sont au pouvoir des brahmes.

Le Rig -Véda est le seul des quatre Védas qui soit


traduit en entier ou à peu près, il passe généralement
en Europe pour le plus ancien , et le plus important.
Ce n'est point l'avis des brahmes , qui accordent
à l'ensemble de leurs ouvrages sacrés, connus sous
ce nom de Védas , une égale antiquité et une sem
blable valeur. Ils seraient même fort disposés à consi
dérer l'Atharva comme le premier en date de leurs
livres religieux .
Il est facile à qui a reçu dans l'Inde , des prêtres
brahmes , les motifs de leur opinion , de mettre d'ac
cord l'indianiste européen et le commentateur indou .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 3

L'Atharva, en effet, avec ses conjurations magiques ,


ses incantations aux démons , ses objurgations super
titieuses , paraît appartenir à une période civilisée
des plus rudimentaires, tandis que les trois autres
livres , par l'élévation de leurs idées et l'état social
qu'ils décèlent, indiquent une période de civilisation
des plus avancées.
L'argument tout européen , que la langue presque
classique dans laquelle est écrit l'Atharva, indique sa
postériorité à l'égard des autres , est sans valeur
quant au fond même de la doctrine de ce livre, car il
est un fait connu de tous les brahmes du sud de
l'Indoustan , c'est que l'Atharva, écrit en sanscrit pri
mitif, presque monosyllabique, n'était plus compris
déjà au temps de Manou par les brahmatchari ou
élèves en théologie, et qu'il a été cependant, en con
servant, ses formes archaïques, transcrit par Sou
nasepa , dans un sanscrit plus moderne, dans le sans
crit des Vedas .
Au surplus , le savant Colebrooke, dont nul ne
s'avisera de nier la compétence en pareille matière,
déclare , dans son mémoire sur les livres sacrés des
Indous (Recherches asiatiques, sme volume) que l'A
tharva est au moins aussi ancien que les autres
Védas .
C'est avec intention que je souligne cette expres
sion au moins, car elle indique que l'illustre indianiste
anglais qui a puisé à longs traits aux sources mêmes
de la science indoue, n'est pas éloigné, malgré la
forme linguistique de l'Atharva, de le considérer comme
plus ancien que les autres.
4 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

Il est certain que si nous venions à découvrir dans


l'intérieur de l'Afrique, deux livres écrits en langue
yoloffe, je suppose , dont le premier fût un recueil d'in
cantations fétichistes, et l'autre une réunion d'hymnes
religieuses , atteignant souvent à la philosophie la
plus élevée , nous n'hésiterions pas à déclarer le pre
mier plus ancien , bien qu'il fut écrit dans une langue
aussi moderne que le second .
Passons ; qu'il nous suffise de constater que l'an
tiquité et l'authenticité de l'Atharva sont aussi indis
cutables que l'antiquité et l'authenticité des trois
autres Védas .
Ces quatre livres reçoivent le nom de Sainte Ecriture
et renferment toute la science révélée des Indous .

« Le Véda est le fruit de la sagesse , de l'Etre


sans nom qui existe par sa seule force, de qui tout
procède, et par qui tout se transforme. »
( Sama- Véda.)

On voit que la prétention tout humaine d'avoir


reçu de l'Etre suprême la science des sciences n'est
pas née d'hier.
Quelques courtes citations vont donner une idée
de la manière de ces quatre livres sacrés , pivot de
toute la théologie brahmanique .

Hymne vii , sec. 2 , Rig - Véda.

« ... Qui donc a vu à sa naissance, le Dieu irrévélé


prendre un corps pour en donner à ce qui n'en a pas ?
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 5

Od était l'esprit, le sang, l'âme de la terre ? Qui


donc a approché de ce Dieu pour lui poser cette
question ?

« Faible, ignorant, je veux sonder ce mystère


divin . Pour m'élever jusqu'à la connaissance de
ce tendre nourrisson, qui , dès sa naissance, a créé
l'univers. Les prêtres l'ont chanté déjà dans les sept
trames de leurs chants ?

« Ignorant et inhabile, pour arriver à la science


j'interroge les poètes, j'interroge ceux qui savent .
Quel est donc cet être incomparable , cet Etre immortel
qui a fondé les six mondes lumineux ?

« Qu'il me réponde celui qui connait ce mystère,


celui qui a reçu le feu de la science , du dieu fortuné
qui traverse les airs ? Les génisses sacrées ont versé
leur lait, comme une libation céleste , sur leur tête,
parce qu'ils ont compris le mystère de l'impéris
sable .
6 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« A l'heure où tombent les libations du sacrifice ,
la Mère avertie par la prière a accueilli le Père .
Celui-ci également conduit par la prière s'est uni à
elle, et la Mère, dans l'orifice qu'elle porte, reçoit le
germe du fruit qu'elle désire... et pendant ce temps
là les prêtres poursuivent leurs adorations et leurs
hymnes .

« La mère a enfanté, et son fruit a grandi au milieu


des flots des libations , et le nourrisson a mugi comme
le jeune veau auprès de la vache , et dans les trois
états dans lesquels il se transforme, il est toujours
un quoiqu'il revête trois formes.

« Il est toujours un, quoiqu'il soit en même temps


la mère , le père et le fils, et quand les prêtres qui ne
restent pas inactifs, chargent le dieu resplendissant
de lumière , des chants et de leurs libations , c'est tou
jours le dieu un qu'ils célèbrent , malgré les trois formes
qu'il revêt.

N'est-il pas exact de dire après cet étrange passage ,


que nous saisissons ici dans l'oeuf, l'éclosion de cette
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 7

idée trinitaire , que Manou a rendu plus tard plus


sensible encore , dans le sloca suivant .

« Ayant divisé son corps en deux parties , le sou


verain Maitre devint moitié mâle et moitié femelle et
en s'unissant à cette partie femelle il engendra Viradj
le fils. »

Les premiers philosophes indous ayant conçu l'Etre


suprême comme une force irrévélée , sous forme tan
gible, conçurent cette fiction trinitaire , dualiste d'a
bord dans le pére et la mère, trinitaire à la naissance
du fils, pour changer le Dieu germe , le Dieu chaos, le
le Dieu sans forme, en un Dieu manifesté de qui vont
procéder la matière et le pouvoir créateur qui la
transformera.
C'est la naissance de l'Univers, de tout ce qui
existe, s'accomplissant par l'union du Père et de la
Mère , symbole qui va se continuer dans la nature ,
dont toutes les forces ne pourront désormais créer ,
transformer que par l'union des sexes , que par l'at
traction qu'exercent mutuellement l'un sur l'autre
les deux principes mâle et femelle, le père et la
mère .
Et c'est ainsi que la Trinité céleste , qui créa
Nara , le père ,
Nari , la mère ,
Viradj, le fils,

a engendré la Trinité terrestre , qui perpétue l'oeuvre


divine par sa triple alliance sans laquelle rien ne pour
rait exister :
8 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Le Père ,
La Mère ,
L'Efant !

Plantes , animaux, hommes subissent cette loi trini


taire de la reproduction , dont les brahmes ont été
chercher l'image dans les cieux , ou plutôt , pour être
plus juste , qu'ils ont fait remonter jusqu'aux cieux ,
par application de ce qni se passait dans le monde
matériel.
Voilà le secret de cette adoration de la mère divine
sous les noms de :

Nari dans l'Inde ,


Bel en Chaldée ,
Mouth en Egypte ,
Mariam chez les chrétiens .

Voilà ce que disent quelques versets du Rig - Véda ;


on trouve dans ce livre admirable la base de toutes
les théogonies et de tous les systèmes philosophiques
du monde. La mythologie de Manou, sous une forme
moins mystique, va bientôt nous donner le moyen de
montrer une fois de plus l'évidence de cette vérité ,
que l'Inde est l'Alma Parens de toutes les nations de
l'antiquité.
Ce fils, ce Viradj, ce mâle cél - ste , dont la naissa .ce
est chantée par le Rig - Véda , une fois produit par
l'union du Dieu Un à la double nature , devient Brahma
ou le Dieu manifesté, et le Sama - Véda le chante de la
manière suivante :

* Quel est celui par qui l'intelligence s'exerce ?


L'OLYMP2 BRAHMANIQUE . 9

Quel est celui par la puissance duquel le souffle vital


et primitif agit ? Quel est celui par la puissance duquel
la parole humaine est articulée ? Quel est le Dieu par
la puissance duquel la vision et l'ouïe exercent leur
fonction ?

« Celui qui est l'audition de l'audition , l'intelligence


de l'intelligence , la parole de la parole , le souffle
vital du souffle vital , la vision de la vision , est celui
qui rend immortels les sages , qui sont délivrés des
liens terrestres par la connaissance de l'Etre su
preme .

« C'est pourquoi l'æil n'en peut approcher, la parole


ne peut l'atteindre , ni l'intelligence le comprendre .
Nous ne savons ni ne connaissons comment il pour .
rait être distingué ou connu , car il est au-dessus de
ce qui peut être compris par la science ; voilà ce que
nous avons appris des dieux des ancêtres qui nous
ont transmis cette doctrine .

« Celui par qui la parole est exprimée et qu'aucune


parole ne peut exprimer , sachez que celui-là est
Brahma , et non ces vains simulacres que l'homme
adore.
10 L'OLYNPE BRAHMANIQUE .

« Celui qui ne peut être compris par l'intelligence ,


et celui seul, disent les sages , par la puissance duquel
la nature de l'intelligence peut- être comprise , sachez
que celui là est Brahma et non ces vains simulacres
que l'homme adore .

« Celui que l'on ne voit point parl'organe de la vision


et par la puissance duquel l’organe de la vision aper
çoit les objets, sachez que celui - là est Brahma et
non ces simulacres que l'homme adore .

« Celui que l'on n'entend point parl’organe de l'ouïe


et par la puissance duquel l'organe de l'ouïe entend ,
sachez que celui- là est Brahma et non ces simulacres
que l'homme adore.

« Celui que l'on ne peut distinguer par l'organe


de l'odorat et par la puissance duquel l'organe de
l'odorat s'exerce , sachez que celui-là est Brahma et
non ces simulacres que l'homme adore .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 11

« Situ dis : Jeconnais parfaitement l'Etre suprême ,


tu te trompes ; qui pourra dénombrer ses attributs?
Tes méditations ne te conduiront jamais à le con
naitre , soit que tu l'étudies dans les limites de tes
sens , soit que tu cherches à en almirer la puissance
dans les Dévas (demi- dieux) qui n'agissent que comme
une manifestation de sa volonté .

« Si tu dis : Je pense le connaître , non que je croie


le connaitre parfaitement, ni ne pas le connaitre du
tout,mais je le connais partiellement, car celui qui
connait toutes les manifestations des Dévas qui pro
cèdent de lui , connait l'Etre suprème ... Si tu dis cela
tu te trompes , ce n'est pas le connaitre que de ne pas
l'ignorer entièrement . .

« Celui , au contraire , qui croit ne pas le connaître ,


c'est celuiqui leconnait ; et celui qui croit le connaître ,
c'est celui qui ne le connait pas ; il est regardé
comme incompréhensible par ceux qui le connaissent
le plus ; et connu parfaitement par ceux qui l'ignorent
entièrement.

« La notion de la nature des êtres corporels étant


admise , cette idée mène à la connaissance de la Divi
12 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
nité. L'homme trouve en lui-même la force , l'énergie
de connaitre Dieu et par cette connaissance il obtient
l'immortalité .

« Quiconque a une fois connu Dieu , possède la


suprême vérité et arrive à la félicité. Quiconque ne
l'a pas connu est livré à toutes les misères . Les sages ,
qui connaissent Dieu , ayant médité profondément sur
la nature de tous les êtres, après avoir quitté ce
monde deviennent immortels .

*年

« Brahma ayant défait les mauvais génies , les


bons génies (Dévas ou Dieux secondaires) restèrent
vainqueurs par le secours des Brahma; alors ils se di
rent entre eux : - C'est nous qui avons vaincu , c'est
de nous qu'est venue la victore, c'est à nous qu'en re
vient l'honneur.

« L'Etre suprême ayant su toute leur vanité , leur


apparut ; mais dans leur orgueil , ils ne connurent pas
cette adorable apparition .

♡ - 0 Agni, dieu du feu , dirent-ils à l'un d'entre


L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 13

eux, toi dont le souffle a produit le Rig - Véda, peux -tu


savoir quelle est cette adorable apparition ? — Oui ,
répondit-il, et il se dirigea vers cette adorable appa
rition qui lui demanda : - Qui es -tu ? - Je suis Agni ,
dieu du feu, répondit-il, c'est de mon souffle sacré
qu'a procédé le Rig - Véda, et il parlait ainsi , ignorant
que l'Etre suprême s'était servi de lui pour manifester
sa pensée.

* — Quelle puissance extraordinaire y a-t-il dans


ta personne ? – Je puis réduire en cendres tout cet
univers. Alors l'Etre suprême ayant déposé un brin
de paille devant lui ; - Brule cela , lui dit-il !

« S'étant approché de cette paille , malgré tous ses


efforts, le dieu du feu ne put la bruler . Aussitôt il s'en
retourna vers les autres dieux . - Je n'ai pu connaitre,
leur dit-il , cette adorable apparition .

X *

« Alors les dieux s'adressèrent à Vayou , le dieu du


vent — Dieu du vent, peux- tu connaitre quelle est
cette adorable apparition ? — Oui , dit-il . Il se dirigea
vers l'adorable apparition qui lui demanda : - Qui
es-tu ? - Je suis Vayou , le dieu du vent , répondit-il ,
je suis celui qui parcourt et pénètre l'espace illimité .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

Quelle puissance extraordinaire y a - t- il en ta


personne ? - Je puis enlever tout ce qui est sur cette
terre . Alors l'Etre suprême ayant déposé un brin de
paille devant lui : — Enlève cela !

« S'étant approché de cette paille , le dieu du vent


ne put l'enlever ; aussitôt il s'en retourna vers les
autres dieux . - Je n'ai pu , leur dit -il, connaître cette
adorable apparition .

« Alors les dieux s'adressèrent à Indra , le dieu de


l'espace. Dieu de l'espace , lui dirent- ils , peux-tu
savoir quelle est cette adorable apparition ? - Qui ,
dit-il , et il se dirigea vers cette adorable apparition ,
qui lui dit : — Qui es- tu ? — Je suis le dieu de l'espace
et des sphères célestes .

♡ — Quelle puissance extraordinaire y a-t -il dans


ta personne ? — Ma puissance est sans bornes, tout
ce qui est sur cette terre m'obéit . Alors l'Etre

suprême, ayant déposé un brin de paille devant lui :


Franchis cet obstacle , lui dit-il .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 15

« Et Indra, le dieu des sphères célestes , s'étant ap


proché du brin de paille , il lui fut impossible de le
franchir , malgré tous ses efforts ; alors levant les yeux:
— Qui es-tu , dit-il à l'adorable apparition. Mais l'a
dorable apparition avait disparu .

« Et Indra ne vit plus devant lui que la belle déesse


Oumà, femme de Siva , toute entourée de rayons d'or,
et il lui demanda quelle était cette adorable apparition.
- Elle répondit : – C'est Brahma , le maitre de l'u
nivers , Brahma à qui vous devez la victoire dont vous
vous enorgueillissez .

« C'est ainsi qu'il connut Brahma ; c'est pourquoi


les trois dieux Agni , Vayou , Indra se dirent chacun :
- Je surpasse tous les autres dieux . Et ils disaient
cela , parce qu'ils avaient approché de l'admirable
apparition , qu'ils l'avaient touchée par leurs organes
sensibles, et qu'ils avaient connu les premiers que
l'objet de leur investigation était Brahma .

« C'est pourquoi Indra se dit à son tour : - Je


L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

Quelle puissance extraordinaire y a-t-il en ta


personne ? — Je puis enlever tout ce qui est sur cette
terre. Alors l'Etre suprême ayant déposé un brin de
paille devant lui : — Enlève cela !

* 1

« S'étant approché de cette paille, le dieu du vent


ne put l'enlever ; aussitôt il s'en retourna vers les
autres dieux . - Je n'ai pu, leur dit-il, connaître cette
adorable apparition .

« Alors les dieux s'adressèrent à Indra , le dieu de


l'espace . - Dieu de l'espace , lui dirent -ils, peux -tu
savoir quelle est cette adorable apparition ? — Oui ,
dit-il , et il se dirigea vers cette adorable apparition ,
qui lui dit : - Qui es-tu ? — Je suis le dieu de l'espace
et des sphères célestes .

***

Quelle puissance extraordinaire y a-t-il dans


ta personne ? – Ma puissance est sans bornes, tout
ce qui est sur cette terre m'obéit . Alors l'Etre
suprême, ayant déposé un brin de paille devant lui :
Franchis cet obstacle, lui dit-il.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 15

« Et Indra , le dieu des sphères célestes , s'étant ap


proché du brin de paille , il lui fut impossible de le
franchir, malgré tous ses efforts; alors levant les yeux :
- Qui es-tu , dit-il à l'adorable apparition . Mais l'a
dorable apparition avait disparu .

« Et Indra ne vit plus devant lui que la belle déesse


Oumà , femme de Siva , toute entourée de rayons d'or,
et il lui demanda quelle était cette adorable apparition.
- Elle répondit : - C'est Brahma, le maître de l'u
nivers , Brahma à qui vous devez la victoire dont vous
vous enorgueillissez.

« C'est ainsi qu'il connut Brahma ; c'est pourquoi


les trois dieux Agni , Vayou , Indra se dirent chacun :
- Je surpasse tous les autres dieux . Et ils disaient
cela , parce qu'ils avaient approché de l'admirable
apparition , qu'ils l'avaient touchée par leurs organes
sensibles, et qu'ils avaient connu les premiers que
l'objet de leur investigation était Brahma .

« C'est pourquoi Indra se dit à son tour : – Je


L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

♡ — Quelle puissance extraordinaire y a-t-il en ta


personne ? - Je puis enlever tout ce qui est sur cette
terre . Alors l'Etre suprême ayant déposé un brin de
paille devant lui : - Enlève cela !

« S'étant approché de cette paille, le dieu du vent


ne put l'enlever ; aussitôt il s'en retourna vers les
autres dieux . — Je n'ai pu, leur dit-il, connaître cette
adorable apparition .

« Alors les dieux s'adressèrent à Indra , le dieu de


l'espace . Dieu de l'espace, lui dirent-ils, peux-tu
savoir quelle est cette adorable apparition ? — Oui ,
dit-il , et il se dirigea vers cette adorable apparition ,
qui lui dit : — Qui es-tu ? — Je suis le dieu de l'espace
et des sphères célestes .

« - Quelle puissance extraordinaire y a-t-il dans


ta personne ? – Ma puissance est sans bornes, tout
ce qui est sur cette terre m'obéit. Alors l'Etre
suprême, ayant déposé un brin de paille devant lui :
Franchis cet obstacle, lui dit-il.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 15

« Et Indra , le dieu des sphères célestes , s'étant ap


proché du brin de paille, il lui fut impossible de le
franchir, malgré tous ses efforts ; alors levant les yeux :
- Qui es-tu , dit-il à l'adorable apparition. Mais l'a
dorable apparition avait disparu .
*
*

« Et Indra ne vit plus devant lui que la belle déesse


Ouma , femme de Siva , toute entourée de rayons d'or ,
et il lui demanda quelle était cette adorable apparition .
- Elle répondit : — C'est Brahma, le maître de l'u
nivers , Brahma à qui vous devez la victoire dont vous
vous enorgueillissez.

« C'est ainsi qu'il connut Brahma ; c'est pourquoi


les trois dieux Agni , Vayou , Indra se dirent chacun :
- Je surpasse tous les autres dieux . Et ils disaient
cela , parce qu'ils avaient approché de l'admirable
apparition , qu'ils l'avaient touchée par leurs organes
sensibles, et qu'ils avaient connu les premiers que
l'objet de leur investigation était Brahma .

« C'est pourquoi Indra se dit à son tour : - Je


16 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

surpasse même les autres dieux Agni et Vayou . Et


il disait cela parce qu'il avait approché l'adorable ap
parition ,qu'il l'avait touchée par ses organes sensibles,
et qu'il avait connu le premier que l'objet de son
investigation était Brahma , le seigneur de l'univers .

« Et sachez-le , ceci n'est qu'une peinture figurée


pour vous faire comprendre la grandeur de l'Etre
suprême qui brille sur tout l'univers , mais ne peut
pas plus être saisi , que l'éclat de la foudre, qui brille
et disparait plus rapide qu’un clin d'oeil. C'est pour
cela qu'il est le dieu des dieux .

« Ainsi encore la suprême intel igence, la grande


âme peut être conçue par l'âme ou l'intelligence qui ap .
proche d'elle . Cette ame , par son intelligence , par les
forces de sa propre pensée , se développe la notion de
l'ame universelle, de l'Etre suprême; à force de creuser
sa demeure dans cette pensée , elle arrive à la con :
naitre . Ce dieu de tous les dieux , ce seigneur des créa
tures est appelé l'adorable et tous les êtres animés le
révèrent . »
(Sama - Véda .)

Voilà donc Brahma , c'est-à-dire le père ,


Dyaus pitar ganitar.
Les Grecs disent Ζεύς πατήρ γενετήρ et il ya encore
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 17

des gens pour nier la filiation sanscrite du grec .


Voilà donc Brahma , le créateur , qui sort de l'irrévélé ,
du nuage mystérieux où le laisse le Rig - Véda, chanté
dans sa grandeur, sa puissance , ses mortifica
tions matérielles, par le Sama Veda . Le Rig est pour
ainsi dire un long chant des forces de la nature , qui
s'inclinent devant le dieu Germe, le dieu que l'esprit
ne peut concevoir et la raison comprendre , et le Samn
est un hymne en l'honneur du dieu manifesté, de Viradj ,
le fils de la Vierge, de Brahma devenu sensible pour
créer, protéger et transformer la matière .
Nous allons voir le Yaljour - Véda venir , dans un lan
gage magnifique, révéler aux hommes ce Dieu que le
Sama- Véda vient de révéler aux dieux .

« Celui qui est la cause première , de qui procedent


le feu, le soleil , la lune , l'air , les eaux , la terre ,
c'est le pur Brahma, le seigneur des créatures. Tous
les instants qui mesurent le temps sont sortis de sa
personne éclatante , que nul être mortel ne peut
embrasser ni percevoir, ni au -dessus , ni autour , ni
au centre . Sa gloire est si grande qu'aucune image
ne peut la représenter . C'est Lui , dit la Sainte -Ecriture ,
qui était dans l'æuf d'or , Lui avant qui rien n'était
né ; c'est Lui qui est le Dieu de l'espace . Lui qui est le
prenier -né, Lui qui réside dans le sein fécond, Lui
qui sera produit éternellement .

« C'est lui qui demeure dans tous les êtres sous les
18 L'OLYMPE BRAHMANIQUE.
formes infinies qu'il reyệt, Lui avant qui rien n'est né ,
Lui qui seul est devenu toutes choses. Lui le seigneur
des créatures , qui se plait à créer, produisit les trois
lumières , le soleil , la lune et le feu, et son corps est
composé de seize membres .

« A quel Dieu offririons -nous nos sacrifices si ce


n'est à lui , qui a rendu l'air fluide et la terre solide, qui
a fixé l'orbe solaire et l'espace céleste , qui a répandu
les gouttes de pluie dans l'atmosphère ? A quel dieu
offririons nous nos sacrifices si ce n'est à lui que con
templent mentalement le ciel et la terre pendant
qu'ils sont fortifiés et embellis par les offrandes
pieuses, qu'ils sont illuminés par le soleil qui roule au
dessus d'eux, et fécondés par les eaux qui les inon
dent.

« Le sage fixe ses regards sur cet être mystérieux


dans lequel existe perpétuellement l'univers qui n'a
pas d'autre base que Lui.En Lui ce monde est enfermé ,
c'est de Lui que ce monde est sorti ; il est enlacé et
tissu dans toutes les créatures sous les diverses formes
de l'existence . Que le sage qui connait tous les secrets
de la révélation s'empresse donc de célébrer cet être
dont l'existence est aussi mystérieuse que variée .
Celui qui connait ses trois états de création , de
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 19

conservation , de transformation enveloppés dans le


mystère, est allié à Brahma. Ce dieu par qui les
sages obtiennențl'immortalité quand ils sont parvenus
au troisième état de sainteté , est notre père véritable ;
c'est la providence qui gouverne tous les mondes et
toutes les créatures .

* Connaissant les éléments , connaissant les mondes,


connaissant toutes les régions et tous les espaces , ado
rant la parole née la première , l'homme pieux embrasse
l'esprit vivifiant du sacrifice solennel , par la médita
iion de son âme, comprenant que le ciel , la terre et
l'air ne sont que Lui, connaissant que les mondes ,
découvrant que l'espace et l'orbe solaire ne sont que
Lui , il voit cet Etre suprême, il pénètre dans Lui, s'iden
tifie avec Lui, en achevant par le perpétuel sacrifice
ce vaste tissu d'êtres animés qui est l'univers.

« Pour obtenir opulence et sagesse , j'adresse ma


prière à ce maitre admirable de l'Etre et du non -Etre,
ami d'Indra , le souffle que désirent toutes les créa
tures . Puisse cette offrande être efficace. O Agni ,
rend -moi sage de cette sagesse qui adore les dieux
de nos pères . Puisse cette offrande être efficace ! Puisse
Varouna m'accorder la sagesse ! Puisse Brahma me
donner la raison ! Que le prêtre et le guerrier me dé
20 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
fendent tous deux ; Que les dieux m'accordent la féli
cité suprême! O toi qui es cette félicité éternelle,
puisse cette offrande te plaire et t'agréer!

« Un maitra souverain régit ce monde des mondes ,


nourris- toi de cette pensée en abandonnant toutes les
autres , et ne convoite le bonheur d'aucune créature .
L'homme qui accomplit ses devoirs religieux peut
désirer vivre cent années , mais même alors il n'y a
pas pour toi , il n'y a pas pour l'homme d'autres de
voirs que ceux -là . Il est des lieux livrés aux malins
esprits , couverts de ténèbres éternelles , c'est là que
vont après leur mort les êtres corrompus qui ont tué
leur âme (pauvre en fer catholique combien n'as-tu pas
d'ancêtres ! ) .

« Cet être unique, que rien ne peut atteindre , est


plus rapide que la pensée , et les dieux eux-mêmes ne
peuvent comprendre ce moteur suprême qui les a tous
devancés . Tout immobile qu'il est il dépasse infiniment
les autres et le vent n'est pas plus léger que lui , il
meut ou ne meut pas , comme il lui plait, tout le reste
de l'univers ; il est loin , il est près de toute chose. Il
remplit cet univers entier et le dépasse encore infi
niment .
-

-
L'OLYMPE BRAHMANIQUE.
« Quand l'homme sait voir tous les êtres dans ce
supreme Esprit , et ce suprême Esprit dans tous les
êtres , il ne peut plus dédaigner quoi que ce soit. Pour
celui qui a compris que tous les êtres n'existent que
dans cet être unique, pour celui qui a senti cette iden
tité profonde , quel trouble , quelle douleur peut désor
mais l'atteindre ? alors l'homme arrive à Brahma lui
même, il est lumineux sans corps, sans forme, sans
matière ; il est pur , il ne connait pas la souillure , il
sait, il prévoit, il domine tout, il ne voit que par
lui seul , et les êtres lui apparaissent tels qu'ils furent
de toute éternité, toujours semblables à eux -mêmes.

« Ils sont tombés dans une nuit bien profonde ceux


qui ne croient pas à l'identité des êtres , ils sont tom
bés dans une nuit bien plus profonde encore ceux qui
ne croient qu'à leur identité .

« Il est une récompense pour ceux qui croient à


l'identité des êtres, il en est une autre pour ceux qui
croient à leur non -identité, voilà ce que nous avons
entendu des sages qui nous ont transmis cette tradi
tion sainte . Celui qui connaît à la fois et l'identité
éternelle des êtres et leur transformation successive,
celui- là évite la mort, car il sait que ce n'est qu'une
transformation , il gagne d'étre immortel en croyant à leur
identilé.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Ils sont tombés dans une nuit bien profonde ceux


qui sont tombés dans l'ignorance des devoirs religieux .
Ils sont tombés dans une nuit bien plus profonde
encore ceux qui se contentent de la science de ces de
voirs .

« Il est une récompense pour la science , il en est


une autre pour l'ignorance , voilà ce que nous avons
entendu des sages qui nous ont transmis cette tradi
tion sainte .

« Celui qui connait à la fois et les effets de la


science et les effets de l'ignorance , celui-là évite la
mort parce qu'il connait l'ignorance , et il obtient l'im .
mortalité parce qu'il connait la science .
***

« Que le vent , que le souffle immortel emportent ce


corps , qui n'est que cendre , mais, Brahma , rappelle
toi mes actions , rappelle- toi mes prières .
}

« O Agni ! conduis-moi par des voies süres à la


L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 23

béatitude éternelle . O Dieu , qui connais tous les êtres ,


purifie -nous de tout péché, et nous pourrons te consa
crer les adorations les plus saintes .

« Ma bouche ne cherche que la vérité dans cette


coupe d'or ; cet homme qui t'adore sous la forme du
soleil , au disque brillant, cet homme , c'est moi . Brah
ma , soleil éternel de vérité , entends ma prière .

Si le Rig -Véda fut l'hymne adressé au Dieu irrévélé


dans les forces multiples de sa puissance , le Sama-Véda ,
le chant du Manifesté, du Dieu créateur, de Brahma ,
le Yadjour -Véda devient doctrinaire ; il définit ce Dieu ,
en ordonne le culte, et donne naissance aux plus
hautes conceptions philosophiques .

« Il gagne d'être immort - 1 celui qui croit à l'iden


tité éternelle des êtres .
« Tous les êtres sont dans ce suprême Esprit, et ce
suprême Esprit est dans tous les êtres .
« La mort n'est qu'une transformation .
« Les êtres lui apparaissent tels qu'ils furent de
toute éternité, toujours semblables à eux-mêmes . »
C'est ainsi que le Yadjour pose comme des principes ,
qu'il considère comme résolus,toutes ces grandes idées
de panthéisme, d'éternité de la matière incréée , d'iden
tité des êtres, qui vont bouleverser le monde pendant
des siècles, et servir de bases à tous les systèmes phi
losophiques anciens et modernes.
24 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

L'Alharra -Véda, lui , ainsi qu'on va le voir, n'est que


la codification liturgique d'un culte vulgaire aban
donné à la plebe , mélange d'hymnes, de chants, d'in
cantations , de prières, de mentrams. C'est bien le
livre du peuple , du servum pecus à qui le prêtre de
tous les temps a soustrait son Dieu pour ne lui faire
adorer que des manifestations secondaires , dévas,
déous , demi-dieux , saints ou archanges .
Voici deux de ces hymnes de l'Atharva d une forme
différente ; il n'y a qu'à remplacer Mitra, Varouna ou
Vayou , par Mars ou Jupiter, saint Michel ou saint
Joseph pour accommoder cela à la sauce grecque,
romaine ou chrétienne.

« Ma pensée vous adore , ô Mitra et Varouna , guides


des cérémonies saintes pour les esprits intelligents ,
qui repoussez au loin les profanes, vous qui jadis avez
protégé Satzavån dans les batailles , délivrez- nous de
tout mal .

« O dieux intelligents qui repoussez au loin les pro


fanes , vous qui jadis avez protégé Satzavân dans les
batailles , vous qui conduisez les humains, comme Indra
conduit ses coursiers fauves au sacrifice préparé pour
lui , délivrez -nous de tout mal .

« Vous qui avez protégé Angiras, qui avez protégé


-
-

1
1

!
LOLYMPE BRAHMANIQUE . 23

Agastya , ô Mitra et Varouna, vous qui avez protégé


Djamadagni , Casiappa et Vasichta , délivrez-nous de
tout'mal.

« Vous qui avez protégé Syavasvá et Vadiyasva ,


ô Mitra et Varouna , vous qui avez protégé Pourou
mylia et Atri, qui avez protégé Vimada et Saptava
dhri , délivrez -nous de tout mal.

« Vous qui avez protégé Barahvadja , Ganisthira,


Viswamitra , ô Mitra et Varouna, vous qui avez pro
tégé Kouisa , Kakchivan , qui avez défendu Kanva,
délivrez -nous de tout mal .

« Vous qui aveż protégé Midhâtiti et Trisôka, 0


Mitra et Varouna, vous qui avez protégé Ousana , le
fils de Kâni , vous qui avez protégé Gautama, qui avez
défendu Moudgala, délivrez - nous de tout mal .

« O dieux , dont le char volant dans une voie sûre ,


les rênes toujours tendues, conduit au but le lutteur
tr mphant, je vous invoque , ô Mitra et Varouna ; je
26 L'OLYMPE BRAHNANIQUE.
me prosterne à vos pieds, délivrez -nous de tout
mal . »

Voici le second hymne plus caractéristique encore :

« Que dans les lieux où vont ceux qui connaissent


et comprennent Brahma par la piété et la méditation ,
le feu sacré veuille bien me conduire .

« Que le feu sacré me soit propice dans les sacri


fices ! Adoration à Agni!

« Que l'air m'accorde le souffle de vie ! Adoration à

Vayou !

« Que le divin soleil m'éclaira, que le soleil con


duise mes yeux ! Adoration à Sourya !

« Que la lune m'accorde l'intelligence ! Adoration à


Tchandral
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 27

« Que le breurage sacré me soit favorable, qu'il m'ac


corde le lait qui est son image! Adoration : Soma !

Que le chef céleste veuille bien diriger mºs pas ,


que le chef céleste m'accorde la force ! Adoration à
Indra !

« Que l'eau veuille bien me purifier, qu'elle me


donne l'immortalité en m'enlevant mes souillures !
Adoration aux Apas fécondes !

« Que dans les lieux où vont ceux qui connaissent


et comprennent Brahma par la piété et la modération ,
Brahma veuille bien me conduire !

« Que Brahma m'accorde cette grâce et me conduise


à lui ! Adoration à Brahma ! »

Quelques exorcismes, et nous en aurons fini avec


ces citations de l'Atharva - Véda .
Pour guérir un malade :

« Je te sauve et je te fais vivre par ce breuvage , te


28 L'OLYMPE BRAHMANIQUE.

délivrant de la maladie inconnue qui te dévore , de


la phtisie qui te consume. Quand l'accès de la fièvre
viendra te saisir , qu'Indra , qu'Agni t'en préservent et
t'en défendent !

« Si la vie du malade a disparu , si elle est anéan


tie , ou bien si elle n'est que dans le voisinage de la
mort , je le retire du sein même du néant , sans
la moindre atteinte , et je lui assure encore cent au
tomnes . »

Autre , pour détruire ses ennemis :

« Gazon sacré , détruis mes adversaires , extermine


mes ennemis ; ô précieux trésor , anéantis tous ceux
qui me haïssent . »

Pour chasser les fièvres qui dévorent le peuple pen


dant la saison des pluies :

« Que le bienfaisant Agni chasse loin d'ici Takman


( la fièvre), que Soma , la divine liqueur qui est répan
due sur la pierre du sacrifice, que Varouna, dont
la puissance nous purifie , le chassent loin de nous.
L'OLYMPE BRAIMANIQUE. 29

« Que cette enceinte consacrée , que ce gazon , que


ces bois qui se consument, le chassent loin d'ici !
Puissent aussi nos ennemis s'éloigner comme lui .

« O Takman , toi qui peux faire, en un instant,jaunir


tous les humains comme les traits du feu qui flamboie,
tu peux aussi perdre ta force fatale en t'abaissant
devant le bienfaisant Agni , qui te force, grâce à nos
prières , à fuir loin de lui .

« Que ton lieu de prédilection , Ô Takman, soit dans


le pays des Moudjavats, que ton séjour préféré soit la
contrée des Mahậvrishas.

« Aussitôt que tu nais , 0 Takman , va-t'en de suite


visiter les lieux qu'habitent les Vahlikas .

« O Takman , quand tu auras visité les Moudjavats ,


quand tu te seras abattu sur les lointains Vahlikas ,
si tu reviens parmi nous , fais ta proie des soudras ,
30 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

nous les livrons à ta colère , tu peux les anéantir


tous .

« Frappe sur les hommes impurs qui ne te sancti .


fient point par la méditation et la prière, frappe sur
ceux qui ne connaissent pas la grande âme .

« Mais épargne notre peuple , va fondre sur les Ma.


hâvrichas et les Moudjavats. Nous abandonnons ces
régions à Takman et toutes les autres qu'il voudra
choisir en dehors de nous , et nous lui abandonnons
aussi les soudras . >>
( Atharva- Véda . )

Il est clair que de pareils exorcismes et incanta


tions indiquent une civilisation relativement des
plus rudimentaires et que l'Atharva- Véda peut réclamer
suivant l'opinion de l'illustre Colbrook déjà cité ,
une antiquité au moins égale à celle des autres Védas .
Il est resté le livre du culte vulgaire , le livre du peu
ple , alors qu'avec les autres Védas les croyances se
transformaient dans un sens plus élevé, plus philoso
phique.
Le Moundaka -Oupanichad, qui est un commentaire
de l'Atharva -Véda, parle de cet ouvrage et des autres
Vedas dans un langage qu'il n'est pas sans intérêt de
citer .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE. 31

« Brahma est le premier des dieux, le créateur


de l'univers , le gardien du monde . Il enseigna la
science de Dieu qui est le fondement de toute science
à son fils ainé Atharvan . Cette science sacrée que
Brahma révéla à son fils Atharvan , fut communiquée à
Auguir ; Auguir la transmit à Satyavâls , descendant
de Bharadvádja, et ce fils de Bharadvádja transmit
cette science traditionnelle à Anquirasa .
« Le fils de Sounaca , puissant chef de maison, s'a
dressant à Anquirasa avec un profond respect , lui dit :
Quelle est la chose , ô vénérable sage ! dont la con
naissance peut faire comprendre cet univers.
« Le saint per: onnage lui répondit : - Ilfaut distin
guer deux espèces de sciences, ainsi que le déclarent
ceux qui connaissent Dieu : la science suprême et la
science inférieure; cette science inférieure, c'estcelle
du Rig - Véda, du Yadjour- Véda, du Sama - Véda et de
l'Atharva - Védu, elle comprend les règles de l'accen
tuation , les rites de la religion , la grammaire , les
commentaires et l'explication des termes obscurs , la
prosodie et l'astronomie, elle comprend encore les Ni
basas et les Pouranas, la logique avec le système d'in
terprétation et enfin la doctrine des devoirs moraux .
« Mais la science suprême est invisible ; elle ne peut
pas être saisie, elle ne peut pas être expliquée, elle est
sans couleur ; elle n'a pas d'yeux ni d'oreilles , elle
n'a pas de maios ni de pieds, elle est éternelle, toute
puissante, elle peut pénétrer partout sous les formes
les plus diverses , subtile , inaltérable, elle est contem
plée par les sages qui trouvent en elle la source et la
matrice des êtres .
32 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Comme l'araignée étend ou retire sa toile , comme
les plantes surgissent sur la terre , comme les cheveux
croissent sur la personne qui est vivante , ainsi cet
univers est produit par l'impérissable nature. Par la
contemplation et la piété . Brahma vient à germer, et
ensuite sort la nourriture qui forme le corps , et de la
nourriture viennent successivement le souffle, l'es
prit , les éléments matériels , les mondes et l'immor
talité qui nait des bonnes ouvres . C'est l'être qui sait
tout et la dévotion peut seule arriver à la connaissance
même de celui qui sait tout et c'est de lui que procède
Brahma qui se manisfeste avec tous les noms qui le
désignent, avec toutes les formes qu'il revêt , avec
tous les aliments qui le font vivre .
« Telle est la vérité , et vous , observateurs fidèles de
tous ces devoirs que les poètes sacrés recommandent
dans leurs hymnes et que rappellent si souvent les
quatre Védas, remplissez- le sans cesse avec amour ,
c'est le chemin qui dans ce monde conduit au bien .
« Quand la flamme ondule et s'élève dans un feu qui
brille , le prêtre doit aussitôt dans sa piété jeter au
milieu du foyer ses offrandes, qui l'entretiennent avec
le ghrita , mais celui qui oublie le service d'Agni , qui
ne fait ni les sacrifices de la nouvelle et de la pleine
lune , ni les sacrifices des quatre mois , qui n'observe
point l'hospitalité, qui ne fait point les prières
saintes et oublie tous les dieux , celui- là détruit pour
lui les sept mondes .
« Kali , Karali , Manadjavå, Soulohita , Soudoumra
Varna , Sploulingini et Visvaroutchi- Dévi, voilà les
noms des sept langues de flammes qui se produisent
L'OLYMPE BRAHMANIQUE. 33

dans le feu. Le mortel qui présente ses offra.de ; au


temps prescrit, quand brillent ces langues de feu , est
enlevé par la puissance de ses offrandes, ainsi faites,
sur les rayons du so'eil , dans le ciel où règne l'unique
souverain des cieux . Viens , viens avec nous , c'est
l'appel que les brillantes offrandes adressent à ce
pieux mortel , quand elles le transportent au ciel à
travers les rayons de soleil et en lui adressant de
douces paroles , et en l'adorant avec respect, elles lui
disent : Voilà pour vous le monde de Brahma pur ,
acquis par vos bonnes oeuvres.
« Les dix-huit personnes qui figurent dans le sacri
fice sont faibles et changeantes, et l'ouvre qu'elles ac
complissent est impuissante comme elles .
Ceux qui croient y trouver le bien suprême , se
voient de nouveau soumis à toutes les vissicitudes de
la vieillesse et de la mort. Les insensés ! D'autres non
moins malheureux, qui malgré leur ignorance se
croient les plus savants des hommes, s'agitent et s'é
garent comme des aveugles qu’un aveugle conduit.
« Restant plongés dans le ir ignorance qui revêt tant
de formes : Nous accomplissons tous les rites , pensent
ea eux-mêmes tous ces gens insensés , mais ils ne sa
vent pas qu'en agissant ainsi ce sentiment même les
conduit au mo.id : de leur perte . Ne regardant qu'au
sacrifice pieux qu'ils ont fait, et dans leur folie ne
voyant rien de mieux , ils retombent , après avoir joui
de ce ciel qu'ils s'étaient forgé, dans un monde encore
plus redoutable et fâcheux . Ceux qui pour se livrer
avec austérité se sont retirés dans la forêt, ceux qui
suivent la sagesse et qui ne vivent que de l'aumône
3
34 L'OLYMPE BRAHMANIQUE.
qu'ils reçoivent, ceux -là dans leur continence vont par
porte du soleil dans ce monde où habite le dieu Pou
roucha, immortel qui ne tire son éternité que de lui
même. Dédaignant les mondes qui ne sont que le fruit
des oeuvres le Brahma doit y rester indifférent et se
dire : Ce monde-là n'a point été fait comme il doit être
fait : saintement et pour arriver à se bien persuader
de cette vérité , qu'il aille , le bois du sacrifice à la
main, trouver un précepteur qui connaisse à fond l'É
criture et ne s'appuie que sur Brahma . A ce disciple
docile qui a complètement dompté ses sens et qui pos
sède la quiétude de l'esprit, le sage précepteur en
seigne la vérité par laquelle on connait l'Etre immua
ble, il enseigne à fond la science de Dieu . »

C'est également dans ces commentaires de l'Atharva


que se trouve la légende suivante connue de tous les
orientalistes, et par laquelle nous terminerons ces
citations des gloses de l'Atharva.

« Deux beaux oiseaux unis ensemble, amis l'un de


l'autre, habitent le même arbre, leur demeure com
mune. L'un deux mange et savoure les fruits de
l'arbre dont il fait sa nourriture et ses délices, l'autre
sans rien manger le regarde et le contemple.
« Sur cet arbre commun , l'àme, plongée dans l'igno
rance qui ne lui laisse pas connaitre son maitre, se
désole et s'afflige de la folie où elle reste . Mais quand
elle sait qu'il est un autre maitre qu'elle doit adorer
et servir et qu'elle se dit : « Voilà sa grandeur infinie »
alors elle est délivrée de son chagrin . Oui , quand le
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 33

voyant sait voir ce Dieu resplendissant comme


l'or, ce maitre souverain de l'univers qu'il a créé, ce
Pouroucha d'où est sorti Brahma lui-même , alors ,
plein de sagesse , frissonnant de joie dans sa pureté et
dans sa continence, il arrive à la suprême union avec
Dieu . »

Cette allégorie a en vue la double nature humaine ,


l'âme et le corps : le corps, qui mange , vit d'une vie
matérielle, se nourrit des fruits de la terre , l'ame
qui pense et aspire à Dieu .
Il y a des orientalistes qui veulent voir dans ces
curieux commentaires l'influence du bouddhisme. Il
faut en vérité être fortement possédé de l'envie de
mettre du bouddhisme partout pour émettre pareille
opinion . C'est du brahmanisme tout pur ; en vain
citent-ils des phrases dans le genre de celles-ci :
Il faut être docile ,
Avoir dompté ses sens ,
Avoir acquis la quiétude de l'Esprit , etc.
Mais la mortification , l'abstinence , la méditation , la
prière sont d'essence absolument védique, et le vieux
Manou , qui n'est lui qu'un abrégé de la doctrine des
Védas , fait à chaque page des recommandations identi
ques au vanaprastha qui veut parvenir au degré de
sainteté exigé pour aller se confondre dans le sein de
Brahma . Il s'est depuis quelque temps introduit dans
la science une opinion singulière.

D'après ces orientalistes dont nous parlons , le


bouddhisme serait un immense progrès de doctrine
36 L'OLYMPE BRAHMANIQUE.
sur le brahmanisme. On ne saurait trop protester
contre de semblables idées. Le bouddhisme est simple
ment un rameau hérétique du brahmanisme et il n'est
pas un seul de ses enseignements , une seule de ses
maximes qu'on ne retrouve dans les Védas et Manou .
L'étu le de la mythologie de ce dernier législateur
va bientôt nous donner l'occasion de faire cette vérité
claire nette, éclatante .

Que le bouddhisme soit un rameau du brahmanisme ,


et comme tel postérieur à la souche qui lui a donné
naissance, perso.ine ne le nie ; mais ce que l'on affirme
et ce que nous nions , c'est que ce schisme ait été un
progrès moral . Tout ce que l'on trouve de grand et de
bean dans le bouddhisme n'est que dépouille du
brahmanisme , et si l'on veut s'en convaincre, on n'a
qu'à ouvrir les Védas et Manou : chaque fois que l'on
étudie une æuvre bouddhique, on ne sera pas long à
se faire cette conviction , que le bouddhisme comme
révolution religieuse n'existe absolument pas et que
comme révolution civile il n'a paru abolir les castes
que pour les multiplier à l'infini.

L'égalité ne règne pas plus dans les pays de


bouddhisme que dans les pays brahmaniques, et
alors que les brahmes ont conservé jusqu'à nos jours
toute la partie élevée et philosophique de leur culte ,
les bonzes en sont arrivés à lutter à qui tournera plus
vite le moulin à prière ; à chaque tour de roue, c'est
un rayon céleste de plus qu'ils ajoutent à leur moisson .
On prie aujourd'hui dans le bouddhisme comme qui
-

-
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 37

fend du bois ou moud du café, et il faut vraiment que


certains esprits aient voulu se donner une spécialité
originale , pour que cette religion grossière soit au
jourd'hui , par d'aucuns , mis sur piédestal.
Nous le répétons , ses doctrines , sa morale , aujour
d'hui parfaitement inconnues de ses adeptes , est du
pur brahmanisme . Et les indianistes qui les lui attri
buent en propre font la même besogne que le com .
mentateur européen , qui ferait procéder toute la
doctrine chrétienne de Luther et de la réforme.
Le dialogue suivant, dont M. B. St- Hilaire a le pre
mier donné la traduction en France et qui se trouve
dans le Tchandogya - Oupanichad, un des commentaires
du Sama - Véda, démontre victorieusement que les Védas
ne sont, dans leur ensemble , qu'un chant en l'honneur
de l'Ame universelle, de l'Ame suprême, de l'Être
existant par lui-même, dont Manou , dans un style
plus concis, va bientôt nous révéler la splendeur.
Jamais le bouddhisme ne s'est élevé à cette hau
teur .

La Brahchiva Sala , fils d'Oupamanyou , Satyaga


Djnya, enfant de Pouloucha , Indradyoumna, rejeton
de Bhallavi-Djama, descendant de Sarkarakshyat
Voudila, fils d'Aswataraswa , personnages tous versés
profondément dans la connaissance de l'Écriture
sainte et possédant de magnifiques habitations, se réu
nirent entre eux pour se livrer à l'étude de ces ques
tions :
« Qu'es!-ce que notre âme ?
« Qu'est- ce que Brahma ?
33 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Ces personnages respectables réfléchirent et se
dirent : Ouddalaca , le fils d’Arouna connait profon -
dément l'Ame universelle , allons immédiatement vers
lui . Ils allèrent le trouver , mais Ouddalaca réfléchit
et se dit : Tous ces personnages aussi instruits qu'il
lustres m'interrogeront, et je ne suis pas en état de
résoudre complètement la question qu'ils me posent .
Je leur indiquerai donc un autre maitre qui puisse
les instruire ; il leur dit en conséquence : Asyapati
fils de Kékaya, connait profondément l'Ame univer
selle ; allons le trouver sur -le -champ.

« Ils allérent donc tous ensemble et à leur arrivée , le


roi leur fit rendre les honneurs qui leur étaient dus , et
le lendemain matin , il les congédia avec respect . Mais
remarquant qu'ils s'étaient arrêtés chez lui sans avoir
accepté ses présents, il leur parla ainsi : Dans mon
royaume il n'y a pas de voleur, pas d'avare , pas d'i
vrogne , pas un homme coupable de négliger le feu
consacré , pas un ignorant, pas un adultère .
« Qui peut ici vous avoir choqué ?
« Comme ils n'élevaient aucune plainte il conti
nua :

a Je dois vous demander, 0 hommes vénérables, ce


que vous désirez . Comme ils n'ex primaient aucun désir
il ajouta : Autant je donne à chaque prêtre officiant
autant je vous connerai , restez donc ici , ô hommes
très vénérables .

« Ils répondirent : Ils est convenable d'informer une


L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 39

personne de la visite qu'on a l'intention de lui faire .


Tu connais profondément l'Ame universelle , commu
nique-nous la science que tu possèdes . Le roi leur
répliqua : Demain je vous l'expliquerai. Connaissant
son dessein ils vinrent le lendemain matin auprès de
lui, portant , comme d'humbles disciples, du bois pour
le feu sacré ; le roi sans les sáluer leur dit :

Qu'adores-tu comme l'Ame du monde 0 fils d'Ou


pamanyou ? - Le ciel , répondit -il, 8 roi vénérable. –
Cette portion de l'univers que tu honores comme
l'Ame est bien splendide ; de là vient que dans ta
famiile on voit extraire et préparer le jus de la plante
‫ابداع‬
sacrée qui sert aux sacrifices. Tu manges la nourri
ture comme un feu brûlant et tu vois autour de toi
des fils, ou d'autres étres qui te sont chers . Celui
qui adore le ciel pour l'Ame universelle jouit comme
toi d'une nourriture abondante , il contemple un objet
qu'il aime, et'il voit sa famille occupée des soins les
plus pieux de la religion. Mais ce n'est là que la tête
de l'Ame.Tu as perlu ton intelligence de n'être pas
venu plus tôt à moi .

« Il se tourna ensuite vers Satyagadjnya, fils de


Pouloucha et lui dit : Qu'adores - tu comme l'Ame , 0
descendant de Prakchinayoga ?

« Le soleil , répondit -il , ó roi vénérable . — Cette


portion de l'univers que tu adores est bien changeante ,
aussi vois- tu dans ta famille les formes les plus diver
ses . Tu as un char attelé de cavales, tu as un trésor et
40 L'OLYMPE BRANMANIQUE .
des femmes esclaves t'entourent . Tu con : ommes une
nourriture abondante , et tu contemples un agréable
objet. Celui qui adore le soleil pour l'Ame universelle
a les même joies et trouve dans sa famille l'accom
plissement de tous les devoirs religieux . Mais ce
n'est là que l'oeil de l'Ame , tu as été aveuglé de n'être
pas venu plus tôt à moi , dit le roi .

a Puis s'adressant à Indradyoumna , le fils de Bhal


lavi , il lui dit : Qu'adores-tu pour l'Ame, 6 fils de
Vyaghrapad ?

« L'air , répondit celui ci , ò roi vénérable . Cette por


tion de l'univers que tu adores pour l'Ame, dit le roi ,
est diffuse et répandu : partout, aussi reçois-tu de
nombreux présents . Une longue file de chars te sui
vent, tu consommes une abondante nourriture et tu
vois près de toi un objet qui te plait. Celui qui adore
l'air pour l'Ame universelle , jouit d'une nourriture
abondante et contemple un objet qui le charme , il
accomplit dans sa famille tous les devoirs religieux.
Mais ce n'est là que le souffle de l'Ame. Tu as perdu
le souffle, ajouta le roi, en ne venant pas plus tôt près
de moi .

« Il interrogea ensuite Djava, le fils de Sarkara


kshya . Qu'adores . tu pour l'Ame du monde , ô fils de
Sarkarakshya ?

« L'éther, ò roi vénérable, répondit celui-ci . – Cit


élément éthéré que tu adores pour l'Ame universelle ,
-
cam
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 41

est abondant, et c'est pour cela que tu abondes toi


même en postérité et en richesse . Tu consommes la
nourriture , et tu vois un objet qui te plait. Celui qui
adore l'éther pour l'Ame du monde consomme la nour
riture, et voit un objet aimé , et il a tous ses devoirs
religieux dans sa famille. Mais ce n'est là que le trône
de l’Ame, et le trône s'est dérobé sous toi , ajouta le
roi, parce que tu n'rs pas venu plus tôt à moi .

« En cinquième lieu le roi interrogea Voudila , fils


d'Asvatarasva . Qu'adores- tu comme l'Ame du monde ,
ô descendant de Vyaghrapad ?

L'eau , répondit celui-ci , ò roi vénérable . L'eau , ré


rondit le roi , cette portion de l'univers que tu adores
comme l'Ame, est riche , et c'est de la que tu es si
opulent et si fortuné. Tu consommes de la nourriture
et tu vois un agréable objet. Celui qui adore l'eau
pour l'Ame du monde jouit des mêm- s biens, con
temple aussi un cher objet, et a toutes les occuja
tions religieuses dans sa famille. Mais l'eau n'est que
le ventre de l'Ame , et ton intelligence n'a vu que le
ventre, parce que tu n'es pas venu plus tôt à moi ,
ajouta le roi .

« Enfin le roi interrogea Ouddalaca , le fils d’Arouna .


Qu'adores-tu, lui dit-il, pour l'Ame du monde , ô des
cendant de Gôtama .

« La terre, répondit celui-ci,ô roi vénérable.— Cette


portion de l'univers que tu adores est solide, et voilà
42 L'OLYMPE BRAHMANIQUE ,
pourquoi tu es toi-même si solidement heureux et de
de la famille qui t'entoure et des troupeaux que tu
possèdes. Tu consommes de la nourriture et tu vois
le plus aimable objet. Celui qui adore la terre pour
l'Ame du monde , partage des joies pareilles , il voit
un objet aimé et il a ses occupations religieuses dans
sa famille. Mais ce n'est là que le pied de l’Ame, et
ton pied a été boiteux, ajouta le roi, parce que tu
n'es pas venu plus tôt à moi .

« Puis , s'adressant à tous les cinq ensemble (nous


recommandons la lecture du passage suivant à tous
ceux qui voient dans les Védas la manifestation d'un
panthéisme primitif basé sur l'adoration des forces
de la nature . Asvapati , fils de Kekaya , va leur répon
dre . A chacun de ses interlocuteurs, il vient de dire :
Non , vous vous trompez, ce n'est ni le feu , ni le soleil ,
ni l'air, ni l'eau , ni l'éther qui représentent l'Ame
universelle. Nous recommandons aussi ce passage à
ces orientalisies , enragés bouddhistes, qui attribue
raient volontiers à Bouddah les plus pures doctrines
du brahmanisme . )

« Vous regardez, dit le roi aux sages qui l'entourent ,


l'Ame universelle comme un être particulier et indi
viduel , distinct de l'ensemble , comme vous-mêmes
avez des idées , des sensations, des plaisirs diffé
rents . Vous vous trompez .
« Il faut regarder et adorer comme l'Ame univer
selle ce qui reste Un tout en se manifestant par ses
parties diverses . Et celui qui conçoit cet Un dans sa
-
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 43

conscience ,possèdela nourriture céleste de la science ;


de tous les mondes , de tous les êtres, de toutes les
åmes . Sa tête rayonne de vérité comme celle de l'Ame
universelle, son eil pénètre sans peine tous les mys
téres , son souffle anime tout , son trône est une base
solide , et son intelligence est développée ; ses pieds
sont la terre , son sein est un autel où il adore l'in
fini, sa chevelure est le gazon sacré des sacrifices, son
cour est le feu domestique , son esprit est la flamme
sainte et de sa bouche sort la prière qui est l'of
frande .

« Et quand il offre le sacrifice à l’Ame suprême, par


ce sacrifice l'air, l'éther, le soleil , le feu , tout ce qui
est dans le ciel , sur la terre et dans les eaux , est
conservá et l'homme lui-même est heureux, il pos
sède une nombreuse postérité , des troupeaux en
abondance ; toute force, toute splendeur , toute ri
chesse vient de la connaissance de l'Ame universelle ,
et des sacrifices et des prières que l'homme lui
adresse.

« Mais celui qui fait un sacrifice au feu sans connai


tre ce qui est l'Ame universelle , agit comme un hom
me qui réduit en cendres des charbons ardents ,
tandis que celui qui sait comment on doit offrir le
sacrifice parce qu'il possède cette science fait son
oblation dans tous les mondes , dans tous les êtres ,
dans toutes les âmes .

« Comme le brin de gazon sec (herbe de cousa) qu'on


L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
jette dans le feu sacré y est sur -le -champ consumé,
de même sont consumés tous les péchés de cet homme.
Celui qui sait cela , quand même il donnerait les res
tes du sacrifice à un impur Tchandala , celui-là ne
diminuera pas la valeur de l'offrande qu'il a présen
tée à l'Ame universelle .

« Comme en ce monde les enfants qui ont faim se


pressent autour de leur mère pour obtenir d'elle la
nourriture du corps , que tous les êtres animés se
pressent autour du sacrifice et de l'oblation sainte ,
pour obtenir de l’Ame universelle la nourriture céles.
te qui rend immortel . »

Nous en avons fini avec ces citations qui etablis


sent d'une manière très nette et très simple le rôle
joué par les quatre Védas dans un but unique : la
réglementation du culte brahmanique .

Ainsi que nous l'avons déjà dit :


Le Rig -Véda hante le Dieu germe , le Dieu irré
vélé, le Dieu type, l'Être qui existe par ses seules for
ces .
Le Sama- Véda célèbre les manifestations diverses
de cette pure essence qui devient créatrice , chante
Brahma , le Dieu manifesté.
Le Yadjour - Véda établit la doctrine , créa la philo
sophie religieuse, la science et les rites .
L'Atharva - Véda donne les prières , incantations , évo
cations spéciales , ainsi que les formules mystérieuses
-
L'OLYMPE BRAHMASIQUE. 45

qui ont le pouvoir d'apaiser les mauvais esprits, de


se rendre les bons propices , et de chasser loin de soi
les fléaux , les maladies , la mort .
Le Rig fut spécialement le livre de brahmes .
Le Sama et l'Ialjour, ceux des savants , des philo30
phes , et en général des castes supérieures .
L'Atharva fut celui des classes inférieures.

Il y a quatre Védas , comme il y a quatre castes


comme il y a quatre âges dans l'humanité, et il est
assez singulier de voir comment les brahmes rap
prochent étrangement ces choses entre elles .
Voici le tableau qu'ils font apprendre parcour dans
leurs aghraras, pour les jeunes brahmatchari ou élè
ves en théologie .

Première caste. Premier livre . Premier âge du monde .


Les brahmes. Rig-Véda . Crita-youga.
Deuxième caste . Deuxième livre . Deu riême âge.
Les xchatrias. Sama- Véda . Trata- youga .
Troisième caste. Troisième livre. Troisième âge.
Les vaysias. Le Yadjour-Véda Dwapara -youga.
Quatrième caste. Quatrième livre . Qualrième âge.
Les soudras . Atharva-Véda. Cali-youga .

Les commentateurs brahmaniquez ajoutent que


castes , livres et ages sont dans les mêmes rapports
de supériorité entre eux .

Ainsi la caste des brahmes , la caste des prêtres , la


meilleure entre toutes, est mise sur la même ligne
46 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
que le Rig Veda qui célèbre l'Être suprême, et que le
crita-youga ou âge d'or pendant lequel le bonheur,
la vertu et la paix ont régné exclusivement sur la
terre .
La caste des rois ou xchatrias est mise sur la même
ligne que le Sama - Véda, qui célèbre les manifestations
sur la terre de Brahma, le Dieu créateur, et que le
trata- youga ou ages des combats et des luttes héroï
ques .
Les vaysias ou marchands sont mis sur la même ligne
que le Yadjour - Véda ou livre des rites et des sacrifi
ces , sans doute parce que c'était l'or des trafiquants
qui payait les riches oblations , et que le dwapara
youga , ou åge du négoce et de la duplicité.
Enfin les soudras, ou artisans , serviteurs , gar
deurs de bestiaux, sont mis sur la même ligne que
l'Atharva - Véda, ou livre des incantations et conjura
tions magiques et que le cali-youga ou âge du mal .
Nous n'avons pas à insister sur ces rapproche
ments légèrement cabalistiques, que nous ne donnons
du reste qu'à titre de curiosité , et pour montrer à
quel point les conceptions les plus singulières des
brahmes ont laissé de profondes traces dans l'histoire
de l'humanité . Il est hors de doute que les quatre
âges des Grecs , l'âge d'or, l'âge d'argent , l'âge d'ai
rain , l'âge de fer ne sont que des souvenirs de la
vieille tradition asiatique .
Le divin Manou , comme l'appellent les brahmes ,
dont nous allons bientôt étudier la mythologie, est
l'abrégé complet , orthodoxe, des quatre Védas , il re
présente dans son langage plus accessible au vulgaire
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 47

comme une réduction de la parole divine de l'Écri


ture sacrée .

a Sachez, ô vous qui m'entendez , dit Sonasepa , qu'il


n'y a pas une parole de Manou qui ne soit issue du
Véda . »

Avant d'aborder cette partie de notre tâche et de


faire connaitre la plupart des mythes indous qui ont
donné naissance à tout l'Olympe grec et latin , il
n'est pas sans intérêt de nous poser une fois de plus
cette question :
Par qui les hymnes des Védas ont-ils été composés
et chantés ?
Par des populations blondes venues des rives de
l'Oxus et de la Caspienne pour civiliser l'Inde, répond
l'école allemande, dans sa soif de voir des Germains
partout et de faire de la science de race .
Par des peuples qui se sont épanouis dans les plai
nes et les vallées de l'Himalaya, répond l'école fran
çaise , et qui de là , sous les noms d'Iraniens , de Cel
tes , de Pélages , de Germains et de Slaves , sont partis
traversant les montagnes, les fleuves, les épaisses
forêts, les déserts, les steppes, et ont été coloniser
l'Occident.
Je ne m'étendrai pas longuement sur une réponse
que j'ai faite déjà tant de fois aux prétentions de l'é
cole allemande , je me bornerai à lui présenter ces
deux arguments scientifiques auxquels elle ne répon
dra jamais .
16 Les contrées de l'Oxus et de la Caspienne sont
48 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
des pays désolés , séjour des malins esprils, dit le Boun
désech des Parsis, déserts de feu l'été , déserts de
glace l'hiver, où il est impossible qu'une civilisation
quelle qu'elle soit se soit épanouie ; faire venir de ce
pays, où il n'existe ni ruines, ni tradition , la grande
civilisation indoue, est le plus singulier tour de force
scientifique (lisez escamotage) qui se puisse voir. Tout
le triomphe de cette théorie consiste à dire ceci :
Il est vrai qu'il n'y a rien , ni ruines ni tradition ,
aucune trace ethnographique en un mot dans ces
contrées , mais prouvez-moi qu'il n'y a jamais rien eu ! Il
faut avoir un cerveau allemand triplement bardé de
syllogismes biscornus, pour ne pas voir quec'est à celui
qui place dans un désert le berceau de la plus éto :
nante civilisation qui ait existé dans le monde, à
prouver par des textes , des monuments épigraphi
ques , des ruines , des traditions, un yestige ethnogra
phique quelconque, la vérité de ses affirmations.
Or nous attendons un texte , une inscription , une
ruine, une tradition , un vestige quelconque, un seul
qui vienne démontrer que les auteurs des Védas ,
les ancêtres des brahmes , sont nés sur les rives de la
Cas ienne ?...
On ne nous le donnera pas .
Parce que cette hypothèse est une invention d'hier,
une invention germanique, née avec les jeunes pro
jets de domination universelle, que les habitants
des bords de la Sprée ont conçus depuis quelques
années. Ces braves gens veulent prouver scientifi
quement que, depuis six mille ans et plus , ils sont en
avance sur les autres peuples du globe, puisque les
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 49

Védas sont écrits dans une langue indo -germanique.


C'est ainsi qu'ils appellent le sanscrit.
2 ° Je mets au défi tous les indianistes allemands,
linguistes et ethnographes, de me montrer un seul
mot , un seul extrait, soit des Védas , soit de Manou ,
soit de leurs commentaires contemporains, qui fasse
l'allusion même la plus éloignée à une autre contrée
que l'Inde, comme berceau de la civilisation védique
et brahmanique . Tout au contraire, Manou , le divin ,
prend soin de bien délimiter la partie de la terre de
l'Inde où il place les origines de cette race mer
veilleuse, dont le langage, les idées, les croyances ,
les moeurs ont civilisé le monde ancien et dominent
encore le monde moderne par leurs traditions.

Sloca 11 , livre 11 :

« La région située entre les monts Himalaya et les


monts Vindhyas à l'est de Vinasana, à l'ouest de
Prayaga , est appelée Madyadésa (pays du milieu) .

« Depuis la mer orientale jusqu'à la mer occiden


tale, l'espace compris entre ces deux montagnes est
désigné par les sages sous le nom d’Aryåvarta (pays
des hommes honorables) .
50 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« C'est de la bouche d'un brahme né dans ce pays


que tous les hommes sur la terre doivent apprendre
-

leurs règles de conduite spéciale. »

Si nos adversaires avaient un texte pareil, ils dé


clareraient la question vidée , enterrée, et ne permet
traient même pas l'ombre d'une objection à leur
système.
Pour nous , nous n'édifions pas un système, nous
déclarons simplement que Manou a tranché la ques .
tion , à une époque où il ne prévoyait guère l'exis
tence future d'indianistes européens, qui se creuse
raient la cervelle pour remplacer la vérité historique
par des hypothèses.
Le langage de Manou est des plus simples.
« L'Aryåvarta » ou pays des Aryas, c'est- à -dire des
Indous de race noble, depuis la mer orientale jusqu'à
la mer occidentale ; c'est - à -dire de l'est à l'ouest, est
compris entre les monts Vindhyas et les monts
Himalaya . Or comme les monts Vindhyas sont au
sud , et les monts Himalaya au nord , il s'ensuit que
nous possédons parfaitement délimitée , par Manou,
c'est- à- dire par un des plus anciens documents de
l'Inde , la contrée que les Indous eux -mêmes regar
dent comme le berceau de leur race .

L'Inde, cette merveilleuse contrée dont la langue ,


le sanscrit, a formé toutes les langues indo-euro
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 51

péennes, dont les mythes ont inspiré tous les mythes


chaldéo-babyloniens,égyptiens, grecs, latins, celtiques ,
slaves et scandinaves , est en ce moment l'objet de
bien singulières attaques . Pour expliquer ce cachet
indélébile que la vieille alma parens a imposé au
monde par ses émigrations , ses idées , ses croyances,
ses types de race encore vivants , certains orientalis
tes, inventeurs de spécialités, ont lancé dans le monde
scientifique des opinions tellement singulières qu'il
suffit de les signaler pour en faire justice . Les mal
heureux n'ont pas vu que l'ensemble touchant avec
lequel ils copiaient le même argument suffisait à dé
truire la valeur de ce dernier .
Oui ! disent les hellénistes , nous reconnaissons par
faitement que le sanscrit et le grec ont les mêmes
radicaux , la même syntaxe , que les mythes indous
et les mythes grecs se ressemblent, mais qu'est- ce que
ça prouve ?
Que c'est la Grèce qui a civilisé l'Inde .
Comment civilisé l'Inde ?
Oui , à l'époque de la conquête d'Alexandre.
Ainsi le sanscrit serait du grec du temps d'A
lexandre , les Védas , Manou , les Pouranas, le Ruma
yana, le Mahabharata, et les milliers d'ouvrages sans
crits, n'existeraient que depuis Alexandre; depuis
Alexandre qui aurait conquis l'Inde , mais qui , con
trairement à tous les conquérants , s'est dépêché de
se sauver après ses victoires comme s'il eût été vaincu .
Et c'est un professeur lyonnais , un extrait quintes
sencié de l'Ecole normale, dernier refuge des grecs ,
qui a écrit cela dans un gros volume .
52 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Il y a encore de beaux jours pour la gaieté fran
çaise ?
Et que faisaient donc les 150 millions d'Indous avant
Alexandre, o illustre professeur ? parlaient-ils le java
nais, ou le patois de la Croix - Rousse ? Vous verrez
bientôt que ce sera un canut qui aura tissé le premier
châle cachemire . -
Je m'en veux un peu de la forme que je viens
de donner à ma pensée, mais franchement il y a des
idées si réjouissantes, qu'on ne peut s'empêcher
de les traiter comme elles le méritent ... par le
rire .
Mais attendez , vous n'êtes pas seul , et si vous
croyez qu'on va vous laisser tranquille avec votre
Alexandre qui civilise l'Inde rien qu'en regardant
l'Indus ?
Oui , s'écrie à son tour M. Lenormand , François , et
beaucoup d'assyriologues, il est impossible de nier
tous les signes ethnographiques qui raltachent entre
el es l'Inde et l'antique Chaldéo -Babylonie.
Mais qu'est-ce que ça prouve ?
Que c'est l'ancienne Chaldéo-Babylonie qui a civi
lisé l'Inde .
Et de deux , helléniste et assyriologue ... Arcades
ambo .
Vous vous trompez ! s'écrie le professeur Oppert ,
les populations primitives qui ont colonisé l'Inde et
la Babylonie, venaient du Touran .
Et de trois ! ... celui-là est encore plus fort que les
autres : il a inventé les Touraniens, peuples inconnus
avant lui , dontil n'a jamais pu établir l'état civil .
-

1
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 53

Vous croyez que c'est fini... allons donc , vous


connaissez bien mal l'humanité...
Pour les égyptologues, c'est l'Égypte qui a civilisé
l'Inde et lui a donné ses moeurs , ses croyances , ses
dieux .
Pour les sémitologues , c'est la Bible qui a inspiré
les Védas et Manou .
Pour les sinologues, c'est la Chine qui a civilisé
l'Inde et tout l'extrême Orient.
Il n'y a pas jusqu'aux trois ou quatre farceurs qui
ont découvert les ruines d'Ancor, trente ans après
qu'on en vendait les photographies dans les rues de
Londres, qui ne se donnent des airs de prétendre
que la civilisation de l'Inde vient du Cambodge.
Sans doute tous ces braves gens ne se sont pas enten
dus pour nous offrir, à nous autres indianistes, un aussi
bel argument, mais il est clair que leur prétention à
tous de faire coloniser l'Inde par leur pays de prédi
lection , montre qu'ils ont reconnu les rapports étroits
des civilisations grecque , latine, égyptienne, chal
déo -babylonienne, hébraïque, chinoise et indo -chi
noise, et de la civilisation de l'Inde , et que comme
il est clair que tous ces pays ne peuvent pas jouer
ensemble le rôle que leur attribuent leurs admirateurs,
il est démontré par cela même que l'Inde ancienne a
joué à l'égard de tous le rôle colonisateur que l'Europe
a joué et joue encore à l'égard des deux Amériques ,
de l'Australie , de la Nouvelle- Zélande et des nom
breuses iles de l'Océanie qu'elle colonise depuis un
siècle .
Ainsi se pose le dilemme :
54 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Ou l'Inde a reçu successivement l'empreinte, l'in
fluence de l'Egypte, de la Grèce , de Rome, de la Chal.
déo-Babylonie, du Touran , des Cambodgiens, des
Chinois , des Slaves, des Scandinaves, des Germains
et des Celtes, ce qui serait aussi absurde et d'un ana
chronisme aussi réjouissant que si l'on faisait coloniser
Athènes par les Auvergnats.
Ou bien c'est l'Inde qui, par un phénomène d'ex
pansion naturel , a colonisé toutes ces contrées.
Les preuves en faveur de la maternité de l'Inde sont
telles aujourd'hui, que les nier c'est se décerner tout
simplement un brevet d'ignorance ... oui , d'ignorance,
car nous aimons mieux croire à l'ignorance qu'à la
mauvaise foi.
Il est impossible que ceux qui émettent la mons
trueuse prétention que la Grèce aurait civilisé l'Inde
connaissent un seul mot de sanscrit, aient ouvert une
seule page des Védas ou de Manou, sans cela l'idée
ne leur serait même pas venue de produire une aussi
singulière opinion . Nous leur recommandons simple
ment, dans l'intérêt de leurs propres études , la médi
tation du tableau suivant, où nous avons réuni le
premier temps du verbe être, le verbe type, le seul,
en résumé , qui mérite ce nom de verbe, en quatorze
langues; ils verront après cela de quel poids la fa
meuse légende d'Alexandre , vainqueur d'après les
Grecs, honteusement battu et mis en fuite sur l'In
dus d'après les Indous , doit être dans une pareille
question .
-
LOLYMPE BRAHMANIQUE . 55

SANSCRIT
Asmi ( je suis ).
Asi (tu es ).
Asti ( il est).
Svas (nous deux sommes).
Sthas (vous deux êtes) .
Stas (ils deux sont).
Smas (nous sommes ) .
Sta (vous êtes ).
Santi (ils sont).

LANGUES DÉRIVÉES

LITHUA VIEUX ARMÉ .


ZBND . DORIBN .
SLAVE .
LATIN . GOTHIQUE NIEN . VALAQUE
NIEX .

Esmi. ahmi. luuí. yesme. sum . im. em . sum .


Essi. ahi . έσσί.. yesi. es . is . es . es .

Esti. asti . yesto . est . ist. ê. é,


εστί..
Esya . yesva . siju.
Esta . sthó. εστόν .. yesta . sijuts.
Esti. sto . εστόν .. yesta .
Esmi, hmahi. loués. yesmo. sumus . sijum . emq. suntemu
Este sta. loté . yesti . estis. sijuth . éq. sunteti.
Esti . henti . εντί .. somté . sunt. sind, en . sunt.

ITALIEN . RHÉTIEN . ESPAGNOL . PORTUGAIS . FRANÇAIS ,

Sono. sunt. soy . son . suis .


Sei. eis . eres . es . es.
É. ei . os . hé. est.
Siamo, essen . somos , somos. sommes .
Siete . esset. sois. sois , étes.
Sono . ean . son . sao, sont.
56 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

Ainsi le premier verbe qui apparaisse au début de


tous les âges linguistiques , le premier sans contredit
dont l'homme se soit servi , puisqu'il indique sa pro
pre existence , et qui suffirait à lui seul pour rendre
toutes les formes verbales :
Je suis aimant,
Je suis mangeant,
Je suis dormant ,
Je suis parlant,
Je suis chassant,

et , passant de l'actif au passif,


Je suis aimé ,
Je suis battu ,
Je suis repoussé ,
Etc. , etc.

Le premier verbe que l'être humain balbutie, le seul


qu'on ne puisse supprimer , le seul à proprement par
ler qui soit un verbe, est , cela ne peut pas plus se nier
que la lumière , d'origine sanscrite.
Voyons maintenant si nous ne trouverons pas des
preuves au moins aussi frappantes dans les premiers
mots que l'homme a dû naturellement assembler après
avoir constaté , reconnu sa propre existence ...
Asmi , je suis .
Qu'on lise le tableau suivant et les explications qui
vont naturellement en découler , et nous ne craignons
pas de dire qu'à part les gens qu'on ne convainc ja
mais , parce que, de propos délibéré , ils ne veulent
jamais détruire de leurs mains leur propre système,
il restera peu de partisans de la civilisation grecque
L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

allant transformer l'Inde, parmi les esprits impartiaux


et éclairés .

FRANÇAIS SANSCRIT. ZEND . GREC LATIX . GOTHIQUE. IRLANDAIS

Père . pitar. patar. πατήρ. pater, fadar . athair .


Mére . måtar. matar . mater. madar. máthair .
μήτηρ..
Frère. bhràtar. | bråtar . (opatho) frater. brolhar. bralhair .
Seur. svasar qanhar. soror . svistar. siur .
Fille . duhitar . dughdhar Owycisnp. dauhtar dear.

Voilà bien , n'est-ce pas , les premiers noms que


l'homme , en possession des formes du langage arti
culé , a dû balbutier.
Viennent-ils du sanscrit ou du grec?
J'éprouve quelque honte à poser cette question , car,
dans le domaine de la science pure , linguistes et in
dianistes souriront de me voir m'arrêter à des ques
tions aussi enfantines. Aussi dois-je dire que si j'in
siste , c'est pour mettre en garde tous les esprits
intelligents que la nature de leurs études n'a point
mis à même d'approfondir ces vérités, contre la réac.
tion ignorante que certains hellénistes tentent con
tre l'Inde ancienne au profit de la Grèce.
1º Si ces mots venaient du grec, il faudrait dire que
le grec a formé non-seulement le sanscrit, mais en
core le zend , le gothique, l'irlandais , etc. , nous ne
pensons pas qu'on puisse insister devant un pareil
non-sens .

2° Mais un point sur lequel nous insisterons, c'est


celui -ci : si ces mots viennent du grec, le grec lui
58 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

même va pouvoir nous dire comment ces mots se sont


formés.
Eh bien ! cela lui est impossible .
Le grec va d'abord perdre ses formes indo-euro
péennes : bhrátar et srasar, frère et seur , que toutes
les autres langues ont gardées , brátar, brathair, brothar,
brother, svistar, soror, sister, sestra, siur, seur, premier
argument qui prouve que les langues indo-euro
péennes ne doivent pas cela au grec , mais bien au
sanscrit .
Quant aux formes πατήρ, μήτηρ , θυγάτηρ , pere , mere,
fille , elles possèdent un sens constitué , définitif, dont
le grec ne nous fera jamais l'historique , car il a perdu
la tradition linguistique qui a présidé à leur éclosion ,
et il nous faudra remonter jusqu'au berceau indou
pour trouver dans le sanscrit l'analyse de ces formes
communes à toutes les langues anciennes et modernes
qui ne se rattachent pas au rameau sémitique.
Le nom du père, en sanscrit , est dérivé de la racine
PA .
Cette racine ne signifie pas engendrer, mais proté
ger , nourrir . Elle n'exprime pas l'idée de génération ,
mais l'idée de soutien . Patar, la forme primitive que
l'on trouve en sanscrit védique aussi bien que la forme
plus moderne de Pitar, est le mari de la mère, le chef
de la famille, le protecteur ; son nom prouve qu'il
accepte la paternité , c'est- à -dire la protection de toute
la famille, sens que le grec n'a pas et que le latin
conservera dans le pater familias.
Le père , comme générateur, est en sanscrit gd.
nitar .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 59

De là vient que le membre du même clan , de la


même famille, dira bien en sanscrit , en parlant da
chef :
Me pitar, mon père , c'est- à - dire mon protecteur.
Mais le fils seul aura le droit de dire :
- Me ganitar , mon père , c'est - à -dire celui qui m'a
engendré.
De même matur est la mère de famille , et ganitri
est la mère naturelle , celle qui a procréé l'enfant.
Ce n'est que plus tard que pitar et matar ont perdu
leur sens étymologique , pour devenir le père et la
mère, expression de tendresse .
En un mot , pitar et matar se sont fixés dans la lan
gue sanscrite comme les noms définitifs du père et
de la mère.

Les formes pitar et matar indiquent d'une façon


absolue l'origine sanscrite de toutes les autres formes
grecques , latines , gothiques , zend , irlandaises , alle
mandes , slaves qui en dérivent , car , pour ne parler ,
par exemple , que de la racine PA , qui exprime en
effet un des attributs caractéristiques du père , la pro
tection qu'il donne à l'enfant, une foule de mots qui
en ont été formés auraient pu devenir également le
nom du père.
En sanscrit l'idée de protecteur peut être exprimée
non seulement par la racine PA suivie du dérivatif
tar, mais encore par PA , suivi des dérivatifs pa - ld ,
pa -laka, pd -yu, qui tous signifiaient protecteur.
Si donc tous les dialectes indo - européens, dont on
ne peut nier la communauté d'origine , l'identité des
racines, ont tous fait suivre la racine PA du dérivatif
60 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

tar , patar , pater , fathar , father , athar , etc. , cela


prouve :
1 ° Que l'expression fixée, définitive de patar, pitar
est bien d'origine sanscrite ;
2° Que toutes les tribus indoues qui ont été coloni
ser le monde n'avaient pas encore quitté les plaines
du Gange à l'époque où le sanscrit avait déjà acquis.
la consistance d'un idiome constitué et fixé .

A quelle époque de son âge linguistique la Grèce


aurait-elle pu donner ces expressions primitives à
toutes les races indo -européennes ? A quelle époque
de son âge historique la Grèce aurait- elle pu coloniser
et donner leur langue à tous ces pays , où se sont parlés
et se parlent le sanscrit , le zend , le gothique , le slave ,
l'irlandais et toutes les langues modernes , celtiques ,
germaniques et scandinaves ?
A quelle époque enfin la Grèce, dont les villes les
plus puissantes n'ont jamais été que d'infimes bour
gades , aurait - elle pu faire rayonner ses fils sur le
monde entier et devenir ainsi la mère des Indous , des
Parsis , des Slaves , des Scandinaves , des Germains et
des Celtes ?

Et cependant il faut que cela soit : ou la Grèce a


peuplé et civilisé le monde ancien ; ou , comme tous les
peuples de l'antiquité et tous les peuples modernes,
elle est fille de la vieille mère indoue , fille de la vieille
et étonnante civilisation qui s'est épanouie sur les
bords du Gange , dans l'immense quadrilatère compris
entre le Godavery, le Brahmapoutre, les monts Hi
malaya et l'Indus , fertiles contrées qui nourrissent
encore aujourd'hui plus de deux cent cinquante millions
L'OLYNPE BRAHMANIQUE . 61

d'hommes , etqui, après avoir fait la richesse du monde


ancien , font aujourd'hui la richesse de l'Angleterre.
Un dernier mot , une dernière preuve , bien qu'elle
soit dans le même ordre d'idées , je la donne encore ,
tellement elle est frappante .
Duhitar, en sanscrit, et tuyotne, en grec, signifient
fille .
Le grec pourrait-il nous faire l'histoire linguisti
que de son mot Ouyatne, et nous prouver ainsi que le
Guyaone grec n'est pas issu du Duhitar sanscrit ?
Il n'y a rien à en tirer, c'est un mot fixé depuis
longtemps , dont le grec a oublié la tradition , comme
il a deja oublie la tradition de πατηρ et de μήτηρ .
Le duhitar sanscrit , qui a formé toutes les expres
sions indo-européennes identiques , dughdhar, dau
ther, daugther, dauthar, etc. , était un mot définitive
ment fixé à l'époque du départ des diverses émigra
tions qui ont été coloniser le monde , c'est ce qui ex
plique qu'on le retrouve dans le zend , le gothique , le
slave, l'irlandais , et dans tous les idiomes indo-euro
péens , excepté dans le latin qui ne l'a pas conservé ;
mais si le grac ne peut fournir la généalogie linguis
tique de son dérivé indo-européen, il n'en est pas de
même du sanscrit.
Duhitar, comme l'a démontré l'illustre indianiste
Lassen , est dérivé de DUH, racine sanscrite qui signi
fie traire. De là , DUHitar, celle qui trait.
Or, ce nom de Duhitar, celle qui trait, donné à la
fille de la maison , indique admirablement la fonction
de traire le bétail, dévolue aux filles avant leur mariage,
chez tous les peuples pasteurs, et l'on sait, par les
62 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

monuments littéraires des premiers åges de l'Inde,


que la vie pastorale fut longtemps celle de nos ancê
tres indous .

Cette expression de Duhitar fut d'abord un surnom ,


presque une caresse : notre petite laitière , disait le père
en parlant de sa fille. Puis , peu à peu , en se généra
lisant , le mot a cessé d'être une épithète, il est devenu
un terme courant, répondant à l'idée de fille, et est
resté comme tel dans le langage de tous les émigrants
indo -européens, dans le langage des Grecs , comme
dans celui des Slayes , des Parsis , des Celtes , des
Germains, etc.
Qu'on vienne donc après cela nous , parler de l'in
fluence de la Grèce .

Bien plus, on rencontre souvent dans les langues


indo -européennes des dérivés qui ne se rattachent à
aucun terme organique , qui ne dérivent d'aucuns mots
de ces langues , mais dont on trouve la racine et le
terme générique en sanscrit .
Ainsi , on ne trouve en grec aucune trace du mot
sanscrit napát, petit- fils, en latin nepos, en germain
néfo , et cependant nous avons en grec le dérivé à .
vefuós , cousin germain , c'est-à -dire petit - fils du même
grand -père. Le terme générique en grec, si on pouvait
l'imaginer, serait verous , or, comme il n'existe pas , on
est bien forcé de remonter au sanscrit napát. :
Il serait difficile, je crois , de donner des preuves

plus convaincantes , à moins de soutenir que ce sont


les dérivés grecs qui ont formé les termes génériques
sanscrits ; il y a des gens capables de toutes les ab
surdités,
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 63

En sanscrit mari se dit Dava .


Vi signifie sans, prité de.
D'où le mot vidava, sans mari , veuve.
Or, le mot dava, mari , a disparu de toutes les lan
gues indo-germaniques et du latin.
Mais toutes ces langues ont conservé le dérivé
sanscrit :
Vidava , veuve .
Latin, vidua.
Slave, vedova.
Gothique, viduvo .
Vieux prussien , Widdewủ .
Celtique, feadvha .
Pas un savant n'a jamais osé soutenir que ces mots
ne soient des dérivés du sanscrit vi-dava et il est
d'indiscutable opinion aujourd'hui que toutes ces lan
gues sont elles -mêmes issues de la vieille langue
brahmanique, qui se parlait sur les rives du Gange
des siècles avant que Memphis et Thèbes aux cent
portes aient pu jeter leurs fondations, plusieurs mil
liers d'années avant que les petites tribus grecques
aient quitté l'Asie Mineure pour aller bâtir leurs petits
villages dans l'Hellade .
Oui, n'en déplaise et à tous les vieux grecs qui
se cramponnent à leurs vieux systèmes , la mère
des langues slaves, scandinaves , germaniques, cel
tiques et latines , le sanscrit est également l'ancêtre
du grec, et l'Indoustan où vivaient cent cinquante
à deux cents millions d'hommes , parlant la langue
la plus perfectionnée qui soit au monde, loin d'a
voir eu besoin de la Grèce , a laissé tomber au con
64 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
traire , sur ce petit pays quelques rayons de cette in
comparable civilisation qui a dominé le monde ancien
tout entier . Oui , l'Inde a été le grand centre de lu
mière comme elle a été le grand centre commercial et
industriel .
Eh quoi , le pays qui fournissait au monde entier
L'or et les bijoux manufacturés,
L'argent,
Les diamants,
La soie, le coton , les tissus,
La pourpre ,
Les épices ,
Les produits tinctoriaux , etc. ,
Qui possédait des corps de métiers et d'artisans
pour transformer, cultiver, préparer, manufacturer
tous ces produits, nous en verrons la nomenclature
dans Manou ... le pays que les Arabes et que les Mo
gols ont mis cinq siècles à conquérir par la surprise et
la trahison, le pays que les Portugais , les Hollan
dais, les Français ont vainement tenté de subjuguer,
le pays que les Anglais , profitant des conquêtes de ces
derniers peuples, ont mis plus d'un siècle à soumettre,
avec toutes les ressources de l'art moderne, et dont
ils n'ont eu raison qu'en semant partout la divi-
sion ... ce pays-là , aurait été subjugué par Alexandre
qui possédait un effectif de 24,000 hommes en quit
tant la Grèce , et qui n'est venu faire tête sur l'Indus
qu'après ses campagnes d'Assyrie et d'Egypte ...
c'est-à dire après avoir perdu pas mal des siens ?
Et cette conquête faite, il l'aurait abandonnée , de
vant la mutinerie de ses soldats qui refusaient d'al
---
-
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 65

ler plus loin ? Allons donc, ces choses-là se disent en


musique dans une opérette-bouffe ou bouffonne, mais
ne se disent pas sérieusement . Demandez aux Arabes ,
aux Mogols, aux Portugais, aux Hollandais , aux
Français ... quand on a mis le pied dans l'Inde , on ne
quitte cette splendide et riche contrée , grenier d'abon
dance de l'Orient, que chassé par un autre conquérant.
Demandez aux Anglais s'ils s'en iront avant que les
Russes ne les chassent.
Les soldats d'Alexandre s'étaient mutinés , dit la
légende grecque, et il fallut retourner en arrière .
Mutinés après la victoire, mutinés gorgés de butin ,
mutinés pour quitter l'Inde... où avez-vous pris ces
soldats -là ? ... Mais s'ils eussent été victorieux , ils se
fussent plutôt mutinés pour ne pas quitter l'Inde,
Alexandre aurait eu le moyen de faire du dernier de
ses officiers un gouverneur de province, du dernier de
ses soldats un général . Sur cette terre d'abondance et
de délices , les Grecs se fussent implantés comme les
Arabes, comme les Mogols, comme les Européens , ...
et ils eussent gardé leur conquête ... Savez-vous ce
qu'il y a de vrai dans cette histoire des vieux Grecs ,
ces Gascons de l'antiquité ; c'est, je vous l'ai déjà dit :
qu'Alexandre a été battu à plate couture sur les rives
de l'Indus , et que ses soldats ont refusé de lutter plus
longtemps contre des ennemis autrement énergiques
et résolus que les soldats efféminés de Darius .
Toute cette histoire grecque, écrite d'un style in
comparable, du reste (c'est ce qui a fait son succès ,
on a admiré les merveilles de la langue et on a pris
au sérieux des contes qu’on a respectés par tralition
5
66 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

classique) , toute cette histoire, dis -je, ne peut plus se


tenir debout devant la critique de la raison mo
derne .
Vous connaissez ce fait, du soldat Cynégire, frère
d'Eschyle, arrêtant un pavire de Xerxės avec la main
droite , on la lui coupe , il l'arrête avec la main gauche.
Vous croyez que c'est fini, allons donc ! vous ne con
naissez pas les vantarderies grecques, Cynégire ne se
tient pas pour battu , il arrête le vaisseau avec les
dents ... En voilà assez , n'est -ce pas ? Et il est inutile
de dire que si le sieur Cynégire s'avisait aujourd'hui
de vouloir arrêter non un vaisseau , mais un simple
canot, en deux coups d'aviron , on l'entrainerait au
large, pour prouver la naïveté de pareils contes aux
quels nos pères ont cru comme à leur évangile ... La
Judée et la Grèce , voilà les deux grandes fabriques de
récits à dormir debout de toute l'antiquité ; nous nous
débarrassons peu à peu et chaque jour des contes bi
bliques , mais , pour Dieu ! qui nous délivrera des con
tes de « ma Mère l'Oye » renouvelés des Grecs ?
Il nous reste de la Grèce d'admirables monuments
littéraires , la plus belle langue qui soit au monde
après le sanscrit et la plus belle forme artistique en
sculpture et en architecture que l'humanité ait conçue,
c'est assez pour lui mériter notre respect et notre
amour et nous ne l'en aimons et l'admirons que plus
quand nous voyons combien la fille aînée de la vieille
mère indoue a fait fructifier, au profit de l'humanité
entière , l'héritage de l'ancêtre commune ...
Quelques exemples encore :
Un des noms de l'époux en sanscrit est pati . Le li
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 67

thuanien a gardé la même forme patis et le gothique


l'a modifiée en palús.
Le grec , négligeant la forme plus étroitement déri
vée πότις, a dit πόσις .
Mais remarquons l'étrangeté, le grec , après avoir
dit TÓGIS, le maitre , le chef, a dit Tótvia, la maîtresse .
On ne peut se rendre compte de cette forme singulière
TOTVIA , qu'en remontant au sanscrit :
Masculin , pati, l'époux , le maitre.
Féminin , patni, l'épouse, la maîtresse .
Ainsi le grec , après avoir transformé pati en tó
Gus, ne suit pas au féminir cette forme dérivative, et
remonte à la pure dérivation sanscrite : patni , TOTVA .
Mais voici qui est plus convaincant encore : en sans
crit , dasa signifie peuple , sujets et das- pati maitre du
peuple , seigneur des nations . Or, le grec compose de
la même manière son mot dérivé et dit ôf6-tótns , ou
bliant en cela sa forme novis comme il l'avait déjà ou
bliée dans TorviG pour se rapprocher davantage du
terme générique sanscrit pali .
Das pati : €6 -Tórns.
Un des noms de père en sanscrit est Ganaka, de
gan , engendrer. Les Védas emploient aussi ce nom
pour signifier roi (père des peuples) , c'est la racine du
vieux germain kuning, de l'a'lemand könig, de l'an
glais king . D'après la même racine , mère se dit aussi
en sanscrit gani . On retrouve ce mot dans le grec yuun ,
le gothique quino , l'anglais queen, le slave quena .
Rapprochons encore le sanscrit dama, maison , du
grec ôóuos, du latin domus, du slave domü, du celtique
daimh .
68 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Et cette partie la plus essentielle de la maison , la
porte . En sanscrit duur, en gothique daur, en lithua
nien durrys, en celtique dor, en grec Qúpa, en anglais
door, en latin fores.
Enfin le constructeur de cette maison se nomme :
.
En sanscrit, taksan ,
En grec τέκτων ..
Ainsi tous les noms primitifs de père, de mère, de
frère , de seur, de fils, de fille, de mari, de veuve, de
maison , d'abri , certainement les premiers que les
hommes balbutient, ne peuvent s'expliquer dans leurs
formes et leurs dérivations , aussi bien dans le grec
que dans toutes les langues indo-européennes : zend ,
slave , gothique, celtique , lithuanien , latin , grec , ir
landais , et leurs dérivés modernes , allemand , anglais,
espagnol , italien , arménien , valaque, rhétien , portu
gais et une foule d'autres, qu'en remontant aux ter
mes génériques sanscrits , sources communes de toutes
ces formes linguistiques . Après les noms caractérisant
leur rudimentaire état civil , les premiers donnés par
l'homme aux choses à son usage ont du porter sur les
bestiaux .
Là encore le sanscrit reste la langue mère .
Quelques exemples :
BÉTAIL

Sanscrit , pasu .
Zend , pasu .
Grec , πωυ .
Italique , pecu .
Etc. , etc.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 69

BEUF

Sanscrit, go ou bo.
Zend , guo .
Grec , Boūs.
Italique , bos. 1
Lithuanien , gou .
Celtique , osô.
Teutonique, chuo .
Etc. , etc.
TAUREAU

Sanscrit, staura .
Zend , staora.
Grec , ταυρος .
Italique , taurus.
Teutonique , stiur.
Lithuanien , taura ..
Slave , tour .
Celtique, tor.
GÉNISSE

Sanscrit, stari.
Grec, στείρα.
Arrêtons -nous sur cette expression qui va nous
présenter le même phénomène linguistique déjà re
marqué dans le sanscrit pati, patni, et le grec TOOLS ,
TROTVLC , c'est-à-dire du grec transformant pati en Troges ,
mais revenant sans raison propre à la forme ganscrite
pure et faisant son feminin ποτνια non de ποσις,, mais du
féminin sanscrit patni . Staura, taureau , stari, génisse ,
ho L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
dit le sanscrit ; taupos, taureau , Telpa, génisse, dit le
grec .
Par le même procédé que nous venons d'observer
plus haut , le grec néglige la lettre s de staura et forms
son mot masculin taupos, puis , quand il a à former gé
nisse, au lieu de dire télpa de taupos , il semble faire un
retour sur lui- même comme pour mieux accentuer
son origine , et sans autre raison que celle de sa filia .
tion naturelle, il remonte au sanscrit, rétablit la let
tre s négligée et dit oteīpa, du sanscrit stari.
Remarquons que brebis se dit :
En sanscrit, avi .
En grec , oïs.
En italique, ovis.
En teutonique , eve.
En lithuanien , avis.
En celtique , oi.
LE VEAU

En sanscrit, vatsa .
En grec , ιταλος.
En italique, plus fidèle à la forme mère , vitulus.
En celtique , vithal.
LA CHÈVRE
En sanscrit , aga .
En grec, ait.
En lithuanien , ozes.
En celtique, aige .
LA LAIE

En sanscrit , sú .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 74

En grec , ús .
En italique, sus .
LE CHEVAL

En sanscrit , asu , equ , asva, asppa .


En grec , ίππος ..
En italique , equus.
En lithuanien , asua .
En celtique , aspos.
LE POULAIN

En sanscrit , pola .
En grec, Tōhos.
En italique , pullus.
En teutonique , pula .

Le chien , cet ami de la maison et des enfants :

En sanscrit , svan .
En zend , sea .
En grec , xuwv.
En italique , canis.
En lithuanien , szu .
En celtique , cu .

La souris , cet animal que le cultivateur trouve dans


toutes ses réserves de graines et de fruits :

En sanscrit , musch.
En grec, wus.
En zend , musch . #
En teutonique , mus .
En slave , mys.
72 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
LE SERPENT
En sanscrit , sarpa .
En grec, Epttetóv.
En italique , serpens.
Et ce vieux mot de labourer qui a commencé avec
le travail de la terre :
En sanscrit, ar.
En grec, apówv .
En italique , arare.
En haut allemand , aran .
En ancien slave , arati.
En lithuanien , arti.
En gaélique , ar.
Les champs, dans le sens général :
En sanscrit , pada .
En grec, nedov.
En ombrien , perum .
En latin , pedum .
En polonais, pole.
Et le champ cultivé :
En sanscrit , agra .
En grec, dypos.
En italique, ager .
En gothique , akrs.
LE BLE
En sanscrit , yava .
En zend , yava .
En lithuanie , jarai .
En grec ζέα .
73
L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Et le nom du vêtement :

En sanscrit, vastra .
En gothique , vasti.
En latin , vestis.
mencé 27 En grec, łots.
TISSER
En sanscrit, ve et vap.
Le grec conserve ces deux radicaux FÁ- tpiou et
úg-alvo .
En latin, vieo .
En haut-allemand, wab.
En anglais, weave.
COUDRE
En sanscrit, siv et sutra fil.
Même racine dans les langues indo -européennes.
En latin , suo .
En gothique, suija .
En haut- allemand, siwa .
En anglais, sew .
En lithuanien , siur .
En grec , xao -ouw .

Nah est une racine sanscrite qui a la même signifi


cation . De là :

Le latin , neo et necto .


Le grec , vew .
L'allemand, nahan et navan .

Il est inutile, croyons -nous , de poursuivre ces


exemples ; on en remplirait des volumes , et il est in
discutable, nos adversaires même le reconnaîtront ,
que les racines sanscrites et les racines grecques sont
L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

communes. Nous avons simplement voulu démontrer,


par la comparaison des appellations primitives des choses,
la filiation sanscrite de toutes les langues indo -euro
péennes , dans lesquelles sont comprises les idiomes
latins et grecs . Ces comparaisons démontrent que si
le grec voulait d'aventure se proclamer l'ancêtre du
sanscrit, il ne pourrait soutenir cet ignorant anachro
nisme qu'en se déclarant également la souche com
mune de toutes les langues indo- asiatiques et indo
européennes . qui reconnaissent hautement, au point
de vue linguistique et historique , leur filiation
sanscrite .
Voici la nomenclature de ces langues :
Les dialectes du Pendjab, au nombre de quinze .
Les dialectes du Canaudj , au nombre de huit.
Les dialectes du Behar, au nombre de onze.
Les dialectes du Bengale , au nombre de sept.
Les dialectes du Gouzerat, au nombre de neuf.
Soit cinquante dialectes dans le bassin du Gange .
Dans le sud :
Les dialectes du pays mahratte, au nombre de
quatre.
Puis les groupes mixtes d'Orixa et de Coromandel ,
qui ont fait de tels emprunts au sanscrit que si on leur
retranchait les mots qu'ils ont empruntés à cette lan
gue , dit l'illustre William Jones, ils n'existeraient
plus .
Puis parmi les langues iraniennes :
Le zend .
Le perse .
L'ancien arménien .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE
Le huzvôreche .

Le parsi .
L'arménien moderne .

L'afghan .
Le beloutche .
Le kourde .
L'ossete .
Le kourmandj , qui se parle à Mossoul , et les lan
gues des Caures et des Tats.
Et enfin le groupe immense des langues indo- eu
ropéennes :
SUBDIVISION GERMANIQUE

Le gothique .
Le danois .
Le suédois .
Le norvégien .
L'islandais .
Le vieux saxon .
L'anglo -saxon .
L'anglais .
Le bas-allemand .
Le hollandais .
Le flamand.
Le haut-allemand.

SUBDIVISION SLAVE
Le russe .
Le polonais .
Le ruthène .
Le tchèque .
Le slovaque.
76 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Le serbe avec ses dialectes .
Le bulgare .
Le serbo -croate .
Le siavène .

SUBDIVISION GERMANO-LETTIQUÈ

Le vieux-prussien .
Le lithuanien .
Le lette .
SUBDIVISION CELTIQUE
Le breton .
Le gaulois .
Le carnique .
Le gallois .
L'irlandais .
L'erse .
Le mannois .
SUBDIVISION LATINE
Le latin.
Le français .
L'italien .
L'espagnol.
Le portugais .
Le provençal .
Le roumain .
Et enfin :
L'étrusque .
Le dace .
Le phrygien et ses dialectes ,
Et l'albanais qui n'appartiennent à aucun groupe
spécial .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 77

Toutes ces langues ont des radicaux, qui , inappli


cables au grec , se ramènent tous aux radicaux sans
crits ; ces langues, au point de vue linguistique , ne
peuvent donc être issues que du sanscrit.
D'un autre côté , tous les radicaux grecs peuvent se
ramener aux radicaux sanscrits .
Conclusion forcée , inévitable :
Le grec, comme toutes ces autres langues, n'est
qu'un dérivé du sanscrit.
Terminons par quelques noms de nombre dans
quelques langues types . Nous ne pouvons, en effet, sur
ce point , comparer entre eux les trois cents et quel
ques dialectes indo-européens ; qu'il nous suffise de
dire qu'ils présentent tous les mêmes affinités, les
exemples ci -dessous suffiront :

FRANÇAIS . SANSCRIT . GRKC . LATIN . LITHUANIEN . GOTHIQUE .

Un . ekas . εις. unus . wienas . ains .


Deux . dvan . δύω ., duo. du . tvai .
Trois. trayas . tres. threis .
τρεις .. trys .
Quatre. katvaras . τέτταρες .. quatuor . keturi. lidvor.
Cinq. pauka . πέντε .. quinque. paki. tinef.
Six . shash . SOX . szezi . sains .
Sept. sapta . επτά .. septem . septyni. sibun .
Huit. asthan . οκτώ . octo . azstuni. ahtan .
Neuf. nava . εννέα .. novem . dewyni. nian .
Dis . dasa . δέκα ,, decem . deszint. taihun .
Onze . ekadasa . ένδεκα . undecim . wieno -lika. ain - lif.
Douze . dvadasa. δωδεκα .. duodecim . dur - lika. tva - lif ,
Vingt . vinsati. είχεσι., viginti . dwi-deszvinti. tvaitigjus.
Cent , satam . EXITOY . centum . szimtas . taihun .
Mille . sahasra. κίλιοι . mille . tukstantis . thusund .

En constatant ces ressemblances, ces identités qui


78 L'OLYMPE BRAHMANIQUE
seraient étranges si elles ne s'expliquaient point
d'elles-mêmes par une dérivation commune , nous re
marquerons avec l'illustre Max Muller que le nombre
mille, dans aucune de ces langues , ne peut se renouer
à la racine sanscrite , et nous dirons comme lui que
la numération des primitifs indous devait s'arrêter à
cent avant la séparation des diverses tribus indo -eu
ropéennes , qui s'en furent coloniser l'Occident.
« Mais nous remarquerons, ajoute le savant profes
seur d'Oxford , que le sanscrit et le zend ont conservé
ce même nom de mille (sanscrit, sahasra ; zend , ha
zanra) , ce qui prouve que les ancêtres des brahmes
et ceux des sectateurs de Zoroastre vivaient encore
unis dans le berceau commun . »
Après cette accumulation de preuves , que dire des
gens qui , fermant les yeux à la lumière, en sont en
core à voir du grec partout :
Ah ! pour l'amour du grec, souffrez qu'on vous embrasse.

Nous chargeons Max Muller de répondre aux Tris


sotins modernes .
« Les origines de la langue, de la pensée et de la
tradition grecque, dit ce savant, se trouvent au delà
de ce qu'on appelle le monde classique.Il est étonnant
de voir, même de notre temps, des hommes , profondé
ment versés dans les études grecques et latines , fer
mer avec intention les yeux à ce qu'ils savent être la
lumière d'un rouveau jour ; et ne voulant pas confes
ser leur ignorance sur aucune matière , ils essayent
de se débarrasser des ouvrages d'un Bopp , d'un Hum
holdt ou d'un Bunsen , en signalant quelque erreur
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 79

d'accent ou de quantité ... Plus d'un helléniste peut


être tenté de dire pourquoi, si nous pouvons dériver 0ɛos
de Oletv ou de teléval , sortirions - nous de notre voie et
chercherions-nous une autre racine ? Quiconque n'i
gnore pas les vrais principes de l'étymologie pourra
répondre à cette question ... Celui qui ne part que du
sol de la Grèce et de l'Italie , n'atteindra jamais ces
profundeurs, n'arrivera jamais jusqu'à ces terrains
primitifs, jusqu'à ces couches les plus anciennes de
la pensée et du langage mythologique, s'il y a une
nouvelle lumière à projeter sur la période la plus an
cienne et la plus intéressante de l'histoire de l'esprit
humain , la pério le où les noms ont été donnés aux
choses et où les mythes out été créés . C'est des Védas
seuls que peut venir la lumière . »
Nous venons de jeter un coup d'ạil rapide sur cette
période védique où les peuples de l'Inde balbutiaient
les premiers noms qu'ils ont donnés aux choses , bien
avant qu'ils se fussent fractionnés pour aller coloni
ser le monde occidental. Nous allons voir avec Manou
qui est , suivant l'expression même des brahmes, la
pure essence des Védas , comment sont nés également
sur les bords du Gange les premiers mythes les pre
mières croyances et les premières lois de l'humanité .
Manou est le livre par excellence, le résumé de
toute la science brahmanique. Etudier sa mythologie,
c'est étudier l'origine même des mythes du monde
entier , c'est faire sortir les Olympes celtique , ger
manique , scandinave, slave, latin et grec de l'Olympe
brahmanique.
DEUXIÈME PARTIE

LES MYTHES DE LA CRÉATION


DEUXIEME PARTIE

LES MYTHES DE LA CRÉATION

CHAPITRE PREMIER

MANOU

L'Inde ne possède aucun renseignement sur le per


sonnage fabuleux auquel est attribué le Manara - Dhar
ma Sastra ou livre de la loi de Manou ,
Manou est nommé sept à huit fois dans cet ouvrage
et dans le livre Ier seulement .

« Manou se reposait dans le silence et s'absorbait


dans la contemplation de la pure essence ; les mahar
chis l'ayant abordé respectueusement lui parlèrent
ainsi : .....

« Ainsi interpellé par les sages , Manou sortit de sa


contemplation, et les ayant salué , il leur dit : - Ecou
tez et recueillez ceci : .....

« Ainsi appelé par Manou le maharchi Brighou


s'approcha avec respect, etc .....
84 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Des dix pradjapatis, ses ancêtres , est issu Manou ,
celui qui a recueilli ce code de lois émané de la sagesse
éternelle .
Livre Ier . - Manava - Dharma - Sastra .

Inutile de continuer ces citations, elles sont toutes


dans le même esprit et ne révèlent rien de spécial sur
le personnage .
D'après certains commentateurs indous , Manou ne
serait autre que Brahma lui- même, révélant sa parole
aux premiers hommes après la création , par la bou
che d'un célèbre richi nommé Brighou . D'autres , au
contraire, pensent que Manou est un ancien législa
teur qui a extrait du Véda , de la tradition et de la
coutume , le code de lois qui porte son nom ; par re
connaissance les Indous l'auraient ensuite divinisé et
confondu avec un des saints personnages qui, dans
leur croyance, dirigent le monde, et qui portent le
nom de Manou .
Le code des lois qui est attribué à ce Manou parait
avoir été abrégé plusieurs fois, et notamment par deux
éminents personnages , Narada et Soumati .
Dans sa traduction de Manou , l'illustre William
Jones cite le passage suivant emprunté à la préface
d'un traité de lois de Narada :
« Manou ayant écrit les lois de Brahma en cent
mille slocas ou distiques, arrangé sous vingt- quatre
chefs en mille chapitres , donna l'ouvrage à Narada,
le sage parmi les dieux, qui l'abrégea pour l'usage du
genre humain, en douze mille vers, qu'il donna à
un fils de Brighou , nommé Soumati , lequel , pour la
-

=
-
L'OLYMPE BRAHMANIQUE. 83

plus grande facilité des hommes , le réduisit à quatre


mille . Les mortels ne lisent que le second abrégé fait
par Soumati , tandis que les dieux du ciel inférieur,
et les musiciens célestes étudient le code primitif
commençant avec le cinquième vers un peu modifié de
l'ouvrage qui existe actuellement sur la terre . »
Il ne reste rien de l'abrégé de Narada qu'un élé
gant Epitome d'un neuvième titre original sur l'admi
nistration de la justice .
« Maintenant, ajoute William Jones , puisque les
lois de Manou , comme nous les possédons , ne com
prennent que deux mille six cent quatre -vingt-cinq
slocas , elles ne peuvent pas être l'ouvrage entier attri
bué à Soumati , qui est probablement celui qu'on dési
gne sous le nom de Vriddha Manara, ou ancien Manou .

L'époque où cet abrégé a été fait n'est guère plus


connue que celle où a été composé le Vriddha -Manava
et où vivait Manou .
Les Brahmes prétendent donner une antiquité de
cinq ou six mille ans avant notre ère au Manou ac
tuel ; William Jones , sans contredire ces assertions ,
pense que l'on ne peut toutefois lvi reconnaitre une
antiquité moindre de quatorze ou quinze siècles avant
notre ère et Loiseleur- Deslongchamps nous fait con
naitre de la manière suivante les raisons qui militent
en faveur de la très haute antiquité du Manou abrégé
que nous possédons . « Ces dogmes religieux , dit-il ,
y présentent toute la simplicité antique : Un Dieu
unique, éternel , infini, principe et essence du monde ,
Brahma , ou Paramatma la grande âme, régit l'uni
86 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

vers dont il est tour à tour le créateur, le transforma


teur et le destructeur . »
On ne voit aucune trace , dans le code de Manou , de
la trinité (manifestée Brahma - Vichnou - Siva) si fa
meuse dans les traités mythologiques postérieurs .
Vichnou et Siva , que des recueils de légendes appelés
Pouranas présentent comme deux divinités égales et
même parfois supérieures à Brahma , ne sont nommés
qu'une seule fois en passant et ne jouent aucun rôle,
même secondaire , dans le système de création et de
destruction du monde exposé par Manou .
Les neuf incarnations de Vichnou n'y sont pas
mentionnées, et tous les dieux nommés par les lois de
Manou ne sont que des personnifications du ciel , des
astres, des éléments et d'autres objets pris dans la
nature . Ce système mythologique parait avoir les plus
grands rapports avec celui des Védas , dont la haute
antiquité est incontestable . C'est d'ailleurs un ouvrage
éminemment orthodoxe : l'autorité des Védas y est
sans cesse invoquée, et le législateur Vrihaspati a
dit :

« Manou tient le premier rang parmi les législa


teurs parce qu'il a exprimé dans son code le sens en
tier du Véda ; aucun code n'est approuvé quand il
contredit le sens d'une loi promulguée par Manou . »

Cette simplicité des dogmes religieux se confondant


dans le dogme védique, est une preuve des plus con
vaincantes à alléguer de l'antiquité de Manou ; ajou
tons que parmiles personnages historiques que l'on
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 87

y trouve cités, aucun ne parait appartenir à une épo


que postérieure au xil siècle avant notre ère, et que
le célèbre réformateur de la religion brahmanique,
Bouddha , qui , suivant l'opinion générale, vivait qua
torze ou quinze siècles avant notre ère, n'est pas men
tionné une seule fois, ce dont on doit conclure que
cette réforme n'avait pas encore eu lieu .
Je crois donc que la plupart des indianistes moder
nes , en assignant timidement une antiquité seulement
de quatorze à quinze siècles à la rédaction du Manou
moderne telle que nous la possédons , ne risquent pas
de voir leur opinion contredite comme exagérée.

Ces savants, pour la plupart, n'ont étudié le passé


de l'Inde qu'avec la sainte terreur de trouver at
productions religieuses de ce pays une antiquité su
périeure à celle de la révélation mosaïque, et ils ont
fixé un peu au hasard des dates qui puissent gêner le
moins possible les monuments de la tradition chré
tienne. Certes ils ne pouvaient, sans faillir à la science
et à la vérité , abaisser l'antiquité de Manou au delà
des bornes qu'ils lui ont assignées ; la linguistique,
l'histoire eussent été là pour donner le plus complet dé
menti à leur tentative, mais nous devons dire que
c'est sans motifs appréciables , sans raisons plausibles
qu'il eussent fixé l'âge du Manava- Dharma Sastra ; ils se
sont arrêtés à la date indiquée plus haut, uniquement
pour qu'on puisse continuer à regarder la révélation
hébraïque comme au moins contemporaine de celle
du Manava .
Pour nous qui n'avons pas ces soucis et qui ne com
88 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
prenons guère ces respects , nous dirons avec les
brahmes, qui doivent être crus avant tout savant
d'Europe sur les antiquités de leur pays, que Manou
se perd comme les Védas dans la nuit des temps , et
que l'antiquité de cinq à six mille ans que lui attri
bue la chonologie brahmanique, n'a rien d'exagéré.
L'Orient tout entier a vécu de la vie civilisée des
milliers d'années avant nous ; il faudra nous résoudre
à admettre cette vérité. Les découvertes géologiques
de la science ont déjà porté les premiers coups aux
rêves bibliques et à nos chronologies occidentales ba
sées sur la création : les patriarches qui vivaient huit
à neuf siècles et l'apocryphe Jésus , l'étude approfon
die des civilisations asiatiques achèvera d'enterrer
les légendes judaico -chrétiennes.
CHAPITRE II

LES MAH ARCHIS .

Les mabarchis ou pradjapatis (seigneurs des créa


tures) sont dix personnages éminents , chefs de dy
nasties , qui ont régné dans les temps héroïques , et que
les Indous ont fini par élever au rang des dieux .
Il est à remarquer que la Chaldéo - Babylonie et la
Judée relèvent également dans leur histoire dix dy
nasties fabuleuses en tête desquelles ces deux contrées
placent également des personnages mythologiques .
Il n'est pas sans intérêt de les rapprocher dans un ta
bleau .

Inde , Chaldeo - Babylonie. Judée .

Maritchi. Alar. Adam .


Atri . Alaspar . Seh ,
Angiras. Amelon . Enos .
90 L'OLYMPE BRAHMANIQUE,

Poulastya . Amenou , Kainan


Poulaha . Metalar. Mahlaleel .
Cratou . Daon . Jared ,
Pratchetas . Everadach . Enoc.
Vasichta . Amphis. Mathusala.
Narada. Otiartes . Lamech .
Brighou. Xisouthrous. Noé .

D'après Manou et tous les commentateurs indous,


les dix maharchis et leurs dynasties auraient régné
4,320,000 années humaines avant le dernier pralaya ,
ou 12,000 années divines , chiffre qui représente la vie
sur la terre entre chaque période de création et de
dissolution .

Les Indous , dont nous expliquerons plus longue


ment le sy : tème à son heure, admettent que l'univers
est soumis à des alternatives de dissolution et de vie .
D'après la théologie des brahmes , l'une et l'autre ont
lieu pendant le jour et la nuit de Brahma . Quand le
maitre suprême dort , tvut se dissout ; quand il se ré.
veille , tout revient à la vie .
Il est clair que la tradition des dix dynasties en
Chaldée et en Judée n'est qu'une copie de la tradition
indone. En conservant cette légende des ancêtres , les
Chaldéens prirent soin de lui signer un certificat d'o
rigine .
En donnant à leur nouvelle patrie dix rois et dix
dynasties , ils conservèrent en diminuant son impor
tance , le nombre d'années que l'Inde avait assigné
au règne de ses dynasties .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 91

Les Indous les font régner 4,320,000 années.


Les Chaldéens ne donnèrent aux leurs qu'une exis
tence de 432,000 années .
Ce chiffre n'est , comme on peut le voir, que le chif
fre indou divisé par 10 .
Il suffit en effet de supprimer un zéro au chiffre in
dou , pour avoir le chiffre chaldéen .
Chiffre indou 4,320,000
Chiffre chaldéen 432,000.

Il serait difficile, croyons- nous , de rencontrer une


preuve plus étonnante en faveur de la filiation indoue
de la tradition chaldéenne, surtout si l'on considère
que le Syncelle et Alexandre Polyhistor qui nous ont
conservé, d'après le Chaldéen Berose , ce chiffre de
432,000 ans , ne connaissaient pas plus que Bérose la
mythologie brahmanique.
Il est à remarquer en outre que le déluge dans l'é
popée chaldéenne d'Isdoubar, est placé sous le règne
de Xisouthrous , et que le saint personnage fut sauvé
des flots par le dieu Nouah .
En copiant cette tradition indo -chaldéenne, la Bible
a confundu l'homme et le dieu , et c'est Nouah vulgai
rement appelé Noh ou Noé , qui repeuple la terre.
Les écrivains hébraïques ont fondu les deux tradi
tions .
L'histoire des dix maharchis de l'Inde est beaucoup
moins fabuleuse que celle des dix personnages chal
déens et juifs , et de nombreux poèmes épiques chan
tant leurs hauts faits ont gardé , depuis des centaine
93 L'OLYMPE BRAHMANIQUE.
de siècles, leur souvenir dans la mémoire des peuples
de l'Inde.
C'est pour augmenter le respect du au divin lé.
gislateur, que les premiers slocas de l'ouvrage indi
quent que c'est à la demande de ces rois vertueux ,
que le Manava -Dharma -Sastra a été révélé aux hom
mes .
On donne aussi le nom de maharchis aux sept richis
ou sept sages dont il va être parlé ci-après .
CHAPITRE III .

LES SEPT RICHIS ET LE NOMBRE SEPT

Les sept richis sont sept princes des dix dynasties


héroïques dont nous venons de parler , qui ont princi
palement mérité le nom de sages.
Leur vie, pleine d'austérité et de bonnes ouvres,
les avait mis en communication directe avec la divi
nité ; ce sont eux qui instituèrent les sacrifices et
donnèrent aux hommes les premiers conseils de mo
rale sous formes d'aphorismes . Voici leurs noms avec
la maxime familière dont la plupart des scoliastes in
dous les font suivre.

ATRI

La première de toutes les sciences est celle de


l'âme .
94 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

ANGIRAS

En toutes choses, considère la fin , car les actions


ne valent que par le bien qui en résulte.

CRATOU

Quand vous rencontrez un homme orgueilleux de


sa force et de son intelligence, dites- lui : Qui es-tu ?
d'où viens tu ? où vas-tu ?

POULASTYA

Fais à ton frère ce que tu voudrais qu'il te fùt fait


à toi-même .

PULAHA

L'homme vertueux ne craint ni les coups du sort,


ni la malice des voleurs , car il porte toutes ses riches
ses avec lui .

MARICHI

Faire du bien aux méchants, c'est écrire sur le


sable .

VASICHTA

La plus méritoire de toutes les vertus est la tem


pérance, car c'est elle qui nous enseigne à user mo
dérément des dons de Brahma .

Le nombre sept fut dans l'Indé un nombre fatidique


et ceei en l'honneur des sept personnes divines, ancêtres
des sept sages . Nous parlerons bientôt de ce mythe.

:
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 93

Une foule de lieux et de noms ne sont que par sept


dans la mythologie indoue.
Ainsi , pour citer les plus renommés :
Les sept cités saintes - sapta poura.
Les sept iles saintes - sapta danipa.
Les sept mers - sapta samoudra.
Les sept fleuves sacrés — sapta nady.
Les sept montagnes saintes -- sapta parvatta .
Les sept déserts sacrés sapla arania .
Les sept arbres sacrés – suptu vrukcha..
Les sept castes sapta caula .
Les sept mondes — sapla loca .
Les vanaprasthas ou anachorètes portaient le bå
ton à sept nouds.
Ce bâton à : ept neuds a fait son chemin , de l'Inde,
où il était l'emblème des saints et des prophètes, il
passa en Égypte, où on le retrouve entre les mains des
magiciens de Pharaon , de Moïse, d'Aaron , d'Éisée ;
toutes les enchanteresses de l'antiquité, Médée,
Circé, etc., l'ont porté ; il fut dans la Rome ancienne
le båton augural des prêtres , il est dans la Rome mo
derne le bâton pastoral des évêques .
On sait que le nombre sept est également fatidique
dans les religions juive et catholique.
Dieu s'est reposé le septième jour de la création .
Les terres doivent se reposer tons les sept ans .
Les murailles de Jéricho s'écroulent au bruit de
sept trompettes, sonnées par sept prêtres, pendant
sept jours .
Les Israélites entrent dans cette ville après en avoir
fait sept fois le tour.
96 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

Le grand chandelier d'or a sept branches , dont


sept lumières représentent les sept planètes .
Jean dans l'Apocalypse , ramène tout également au
nombre sept . Il parle de sept églises , sept chandeliers ,
sept étoiles , sept lampes , sept sceaux , sept anges,
sept fioles, sept plaies, etc.
Il a même eu la prétention d'avoir été ravi jusqu'au

septième ciel .
La Grèce , colonie de l'Inde , comme la mère-patrie
eut ses sept sages : Thalès, Solon , Bias , Chilon , Cléo.
bule , Pittacus et Périandre . Et elle poussa l'esprit
d'imitation jusqu'à leur attribuer à chacun des maxi
mes identiques à celles que nous avons données plus

haut .
CHAPITRE IV

BRAHMA ET LA CRÉATION

Au-dessus de tous les dieux se trouve le dieu type


qui reçoit le nom de Swayambouyha , c'est- à -dire : ce
lui qui existe par lui-même ..
Voici dans quel magnifique langage pour ces épo
ques reculées , Manou rend compte du réveil de Dieu ,
et de la création .
L'univers est soumis à des alternatives de dissolu
tion et de vie . D'après la théologie brahmanique ,
Swayambouvha a , comme les hommes , ses jours et
ses nuits . Quand le maitre suprême dort tout se dis
sout, quand il se réveille tout renait à la vie .

« Ce monde était dissous dans le non -être impercep


tible, sans propriété distincte, ne pouvant tomber sous
7
98 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

les sens, ni être imaginé par la pensée ; c'était le


sommeil de la nature.

« Quand vint l'heure du réveil : celui qui existe par


lui -même , qui n'est pas à la portée des sens extérieurs ,
développant la nature avec les cinq éléments et les
principes subtils, parut brillant de lumière et sa pré
sence chassa la nuit.

« Celui que l'intelligence seule conçoit, qui échappe


aux sens , qui est sans partie visible, éternel , âme
universelle, que nul ne peut définir ni comprendre ,
développa sa puissance .

« Il résolut dans sa pensée de tirer de sa propre sub


stance tous les êtres, et il déposa dans les eaux qu'il
créa premièrement, le germe de la vie universelle.

« Ce germe était contenu dans un auf d'or, aussi


brillant que l'astre éclatant du jour, et dans lequel
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 99

Brahmale seigneur de tous les astres, déposa une par


celle de sa pensée immortelle, fécondée par sa volonté.

« Les eaux ont reçu le nom de naras, parce qu'elles


étaient une émanation de l'Esprit divin , Nara , et les
eaux ayant été le premier lieu de mouvement
ayana de Nara . De là l'Esprit divin , créateur
a été appelé Narayana ou celui qui se meut sur les
eau..

« De celui qui est , de cette cause immortelle qui


existe pour la raison et n'existe pas pour les sens , est
né Pouroucha (le maitre céleste) , divin fils de
Brahma.

« Il resta dans l'ouf d'or l'espace d'une année di


vine et par le seul effort de sa pensée, le partagea en
deux .

28G601
100 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

a Et ces deux parties formèrent le ciel et la terre ,


et le milieu fut l'atmosphère , le réservoir permanent
des eaux ; là aussi furent les quatre points principaux
et les quatre points intermédiaires .

« Il tira de sa propre essence ce souffle immortel qui


ne périt pas dans l'Etre et à cette ame de l'Etre, il
donna l'ahancara , directeur souverain .

« Puis il donna à cette âme de l'Etre l'intellect aux


trois qualités et les cinq organes de perception inté
rieure .

« Et ayant uni l'ahancara aux cinq organes subtils


capables de toutes les modifications les plus diverses ,
il forma les principes matériels de la vie organisée, et
alors créa tous les êtres .

« De ce moi , uni aux six principes imperceptibles


dont le Grand Etre forma son existence manifestée
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 101

de laquelle il allait tirer l'univers , est venu le nom de


Sarira - composé de six molécules - dont les sages
désignent la forme visible du générateur céleste.

« C'est dans cette source immense que se transfor


ment les principes matériels de la vie et le souffle im
mortel qui ne périt pas dans l'être, et où tout ce qui
est animé reçoit ses facultés et ses attributs.

« Par ces particules subtiles douées de forces d'a


grégation et de transformation , unies au principe de
volonté , ont été formés tous les êtres de ce monde péris
sable , émané de l'impérissable .

« Chacun des êtres acquiert la qualité de celui qui


le précède, de sorte que plus un être est éloigné dans
la série, plus il a de qualités .

« Le souverain maître, dès le début, assigne à tous


les êtres vivants une existence particulière, des fonc
102 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

tions spéciales et un nom , ainsi qu'il est établi par le


Vada .

« Il produisit d'abord la troupe des Dévas , manda.


taires sans cesse agissants de sa pensée , puis la foule
des esprits invisibles , et enfin la prière et le sacrifice,
souvenir du commencement des choses .

« Du feu , du soleil et de l'air il tira , comme régle


suprême du sacr.fice , les trois livres immortels du
Véda : le Rig , l'Iadjous, le Sama, innovation de la pen .
sée révélée .

« Et il créa le temps et ses divisions , les constel


lations , les planètes , les mers , les fleuves et les ter
rains accidentés par les montagnes et les plaines.

« Il créa aussi , car tout devait émaner de lui , la


parole , la dévotion austère , les vertus et les vices et il
--

créa la volonté.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 103

« Par la volonté, il permit à l'âme humaine de dis


tinguer, parmi les actions, de distinguer le juste de
l'injuste , et toute créature fut soumise à la souffrance
et à la joie, qui sont les deux choses opposées .

« C'est avec les particules périssables émanées


des cinq éléments qui composent la forme manifestée
du grand Tout, que tout a été formé.

« Tout être qui a reçu dès la création une fonction


du maitre souverain , l'accomplit fatalement à chaque
renaissance successive .

« Les qualités qui lui ont été spécialement dépar


ties : la bonté ou la cruauté, la douceur ou la barba
rie, le culte de la vérité ou l'hypocrisie , vertus ou
vices, d'elles-mêmes s'emparent de lui chaque fois.
104 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Ainsi les saisons reviennent périodiquement pren :


dre leur cours , de même les êtres animés exercent
toujours les fonctions qui sont de leur nature .

***

« La suprême essence manifestée pour perpétuer


l'espèce humaine tire de sa bouche le brahme , de son
bras le xchatria , de sa cuisse le vaysia et de son pied
le soudra .

« Or ayant divisé son corps en deux parties , Nara,


l'esprit divin , devint moitié måle et moitié femelle,
et en s'unissant à cette partie femelle - l'immortelle
déesse Nari - il engendra Viradj. »

Viradj, voilà le dieu manifesté, le dieu créateur,


c'est de lui qu'émanent toutes les choses, tous les ty
pes qui ont existé de toute éternité dans le cerveau de
l'Etre qui existe par lui -même, du germe universel .
Après avoir énuméré tous les êtres animés et inani
més de la création , énumération qu'il serait trop long
donner ici , Manou établit ainsi qu'il suit la mé
tempsychose :
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 105

« Placés aux échelons inférieurs de la vie par leur


conduite dans des existences antérieures , tous ces
étres pourvus de formes variées , possèdent une con
science rudimentaire et ressentent la sensation du
plaisir et des peines .

« C'est ainsi que Brahma a établi du végétal à


l'homme , et de l'homme à l'essence primordiale , la sé
rie des transmigrations . Ce monde périssable se re
nouvelle et se transforme sans cesse pour la des
truction .

« Après avoir créé l'homme et donné ce code de


lois pour la direction des êtres animés , le maitre sou
verain , qui s'est manifesté dans l'Euf d'or , retourne
s'absorber dans l'âme universelle , lorsque la fin des
transformations créatrices est arrivée .

« Dès que le créateur sort de son repos , l'univers


recommence son évolution ; dès qu'il se rendort l'uni
vers tombe dans la dissolution .
106 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

Tant que dure ce sommeil du germe des ger


mes , qui s'absorbe dans l'âme suprême , les principes
de sensation et d'intelligence , les particules maté
rielles et celles qui composent l'immatériel se déga
gent et se dissolvent dans l'essence universelle .

« Tous les êtres perdent leurs forces d'attraction ,


leurs formes, leurs fonctions, et les organes des sens
sont comme s'ils n'existaient pas.

« Lorsque le créateur souverain de nouveau se ma


nifeste, tous les types, toutes les formes qui existent
de toute éternité en lui reprennent la forme visible ,
et la semence universelle de nouveau répand partout
la vie universelle .

« Ainsi en s'absorbant dans sa pure essence , et en


se manifestant alternativement , le souverain maitre
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 107

révèle à la vie ou rejette dans le repos de la dissolu


lution tous les êtres animés et inanimés de cet univers .
--

« C'est lui qui , dès le commencement des choses, a


exprimé de sa sagesse ce code immortel de lois , et il
me l'enseigna pour que j'instruisisse les riches et les
saints personnages. »

Dans cette revue de la mythologie du Manava, je


ne puis faire suivre de trop longs commentaires , les
sujets qui portent en eux - mêmes leur explication sim
ple et accessible même aux personnes à qui les choses
de l'indianisme ne sont pas familières. On écrirait un
volume sur chacun d'eux , je me bornerai donc à faire
remarquer que pas une religion et pas un système
philosophique ancien n'ont donné une pareille défini.
tion de la divinité. Il suffit, pour s'en convaincre , de
lire attentivement toute la suite de versets qui com
mence par ces paroles :

« Le monde était dissous dans le non être imper


ceptible sans propriété distincte ..... »

Quant à la philosophie spiritualiste , tous les sys


tèmes du passé , toutes les rêveries du présent pour
raient recevoir le sloca suivant comme épigraphe :
108 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Il tira de sa propre essence ce souffle immortel


qui ne périt pas dans l'Etre et à cette âme de l'Etre il
donna l'Ahancara , directeur souverain . »

Lucrèce et Darwin n'échappent pas non plus à


l'influence directe des doctrines de l'Inde, dans le
sloca suivant :

« Chacun des êtres acquiert la qualité de celui qui


le précède , de sorte que plus un être est éloigné dans
la série , et plus il a de qualités . »
CHAPITRE V

L'EUF D'OR

« Il déposa dans un ouf d'or aussi brillant que l'as


tre éclatant du jour le germe de la vie universelle. »
MANOU .

D'après la mythologique brahmanique, cet euf,


partagé en deux parties par Brahma , forma le ciel et
la terre et dans le milieu se trouva réuni le réservoir
permanent des eaux .
Cette tradition se retrouve dans la cosmogonie de
tous les peuples .
En Grèce, Aphrodite -Anadyomène sort de l'ouf d'or
ou sein des eaux .
Les Syriens et les Parses croient qu'une colombe
110 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

couva un euf dans les eaux de l'Euphrate, d'où est


sortie Astartée , la mère universelle ,
Dans la Genèse du Kalévala , poème cosmique des
Finlandais, Ukko, le dieu suprême , le dieu germe,
sous la forme d'un aigle, dépose dans le sein de la
vierge Luonotar, qui naquit sur les eaux , les cufs
d'où doit sortir l'univers .
Chez les Océaniens , c'est l'æuf Rumia qui en se
partageant en deux, donna naissance au ciel et à la
terre et à tout ce qui existe .
On comprend l'idée première qui a donné naissance
à cette conception des Indous ; rencontrant l'œuf au
seuil de toutes les transformations vitales, ils ont fait
naitre l'Univers d'un ceuf.

1.1
CHAPITRE VI

NARA

L'Esprit divin. Celui qui se meut sur les eaux .

Nara , dans la mythologie brahmanique , représente


l'Esprit , représente le souffle divin de Swayam
bouvha , le dieu Germe, la pure essense sans partie vi
sible, et qui n'est pas à la portée de nos sens externes ,
selon l'expression même des livres saints .
Lorsque Swayambouvha veut créer, il ne le fait
qu'en donnant un corps à sa faculté créatrice , et il se
manifeste dans Nara , qui est appelé l'Esprit divin , et
aussi Narayana , celui qui se meut sur les eaux .
Nara reçoit encore les noms de Pouroucha , ou mâle
céleste, ou de Brahma , le père créateur. Diaus pitar .
Pour créer il divise son corps en deux parties , l'une
mâle, l'autre femelle, et c'est en s'unissant à cette par
tie femelle qu'il produit le premier être animé , Viradj
le fils.
112 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

La partie femelle reçoit le nom de la déesse Nari ,


la mère immortelle .
Et c'est ainsi que se forme, pour la création , la
première triade manifestée.
Nara , le père,
Nari, la mère,
Viradj, le fils.
C'est le même symbole qui se continue : de même
que tout germe se transforme dans l'œuf, tout se fé
conde, tout se perpélue par le père et la mère , et la
première triade manifestée dans l'Olympe n'est pour
ainsi dire que le reflet de la triade que l'homme pou
vait observer sur la terre :

Le père ,
La mère ,
L'enfant.

Ce Nara ou Esprit, ou Souffle divin , a d'abord flotté


sur les eaux : de là son nom de Narayana, celui qui
se meut sur les eaux .
Primitivement il n'y avait rien dans le vide , et le
verbe était porté sur un principe humide, dit la tra
dition égyptienne.
(Herines Trismegiste .)
« Et spiritus dei ferebatur super aquas , » dit à son
tour le copiste des vieilles traditions antiques, qui a
écrit la genèse de la Bible .
CHAPITRE VII

BRAHMA HIRANYAGHARBA

Brahma-Hiranyagharba, c'est -à - dire celui qui est


sorti de la matrice d'or .
Dans le dernier état de la mythologie brahmanique ,
ce dieu réunit en lui les trois facultés créatrice , con
servatrice et transformatrice, et sous cette forme il
reçoit le nom de Tridandi , ou dieu aux trois pou
voirs . De là le culte vulgaire . Celui réservé aux vay
sias et aux soudras forme son tour une trinité
manifestée plus grossière que celle des Védas et de
Manou , et dont on ne trouve aucune trace dans ces
antiques ouvrages . Le principe mère est oublié , Vi
radj le fils n'existe plus et on se trouve en face d'une
trinité mystique d'attributs .
8
114 L'OLYMPE BRAHMANIQUE.
Brahma est le premier dieu qui s'incarne et il pro
duit le monde : voilà la faculté créatrice .
Puis la faculté conservatrice nait de l'obligation de
maintenir cet univers : elle prend una forme et de .
vient le dieu Vischnou , conservateur de tous les
êtres .
Enfin, comme la vie ne peut exister sans le mouve
ment et la transformation, la faculté transformatrice
est élevée à la dignité de dieu , et d vient Siva le
transformateur.
C'est par cette trinité visible , agissante, s'incarnant
sans cesse par un de ses membres , Vischnou , pour se
mettre en commuiication directe avec les mortels, que
l'Etre suprême fait connaitre sa puissance et exécuter
ses desseins .
Comme on le voit, cette trinité ne ressemble en rien
à cette belle trinité védique composée de Nara le père,
Nari la mère et Viradj le fils.
Une fois la création accomplie , Brahma retourne
s'absorber dans la grande âme , et tant que dure l'U
nivers émané de sa puissance, il ne paraît que très
rarement sur la terre , et d'une manière fugitive, cé
dant aux prières des saints anachorètes. Vischnou et
Siva , au contraire , sont constamment à transmigrer
d'un corps dans un autre , à s'incarner pour accomplir
leur mission , qui est de conduire cet univers , par
des transformations successives , jusqu'à un nouveau
pralaya, jusqu'à une nouvelle dissolut.on .
La dissolution est à son tour remplacée par u.e
création nouvelle , et c'est ainsi que l'univers meurt
et renait alternativement.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 118

Toute la théogonie de l'Inde p - ut se diviser en deux


grandes périodes .
Le védisme ou période de Révélation . L'Être suprême
lui -même ne parle qu'aux hommes , par les Védas et
Manou .
Et la période du brahmanisme , ou période des in
carnations, pendant laquelle Vischnou vient sous di
verse formes , et en dernier lieu dans le sein d'une
femme sous le nom de Christna rappeler l'humanité à
la foi des ancêtres .
C'est surtout cette dernière forme du culte indou ,
contemporaine des grandes émigrations, qui a inspiré
les mystères de Thèbes, de Memphis , de Ninive, de
la Grèce , et , par la tradition qui se continue dans la
science des religions, comme dans toutes les autres , se
retrouve dans tous les mystères , croyances et actes
religieux de la Rome chrétienne.
CHAPITRE VIII

BRAHMA ET LA TRIMOURTY

Dans le culte vulgaire des soudras et des esclaves .

Pour l'esclave et le paria, ainsi que pour le pauvre


soudra qui n'avait reçu dans l'organisation brah
manique que la mission de servir les autres castes ,
les croyances religieuses descendent à un niveau d'ab
surdités , de licence et d'inventions monstrueuses
que les Grecs ont à peine dépassé.
Dans l'esprit de ces pauvres gens, Brahma et la Tri
mourty c'était tout un , et les grossiers desservants
de leurs misérables pagodes leur persuadent qu'il y a
dans ce dieu trois personnes différentes d'attributs et
de corps , et ne faisait, malgré cela , qu'un seul et
même Dieu .
Les aventures ridicules et grivoises que les parias
prêtent aux trois dieux n'ont rien à envier aux his
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 117

toires de Vénus , de Mars et compagnie, et le conte


d'Hercule fécondant en une seule nuit les cinquante
filles du roi Danaüs appartient bien à cette classe
grossière des mythes asiatiques abandonnés à la plėbe
et à l'esclavage.
Voici une de ces aventures dont on chercherait
vainement l'équivalent dans les Védas et dans Manou
et qui , par cela même, en raison de sa ressemblance
avec les fables grecques, démontre que l'émigration
asiatique qui est allée peupler l'Hellade appartient à
l'époque de la décadence brahmanique .

« Anoussoyai était une vierge aussi célèbre par sa


chasteté incorruptible que par sa piété envers les
dieux et sa tendre compassion envers les malheureux.
Les trois dieux de la Trimourty ayant entendu parler
d'elle, en devinrent amoureux et résolurent de lui
faire perdre le trésor de virginité qu'elle avait jus
qu'alors conservé avec un soin extrême . Pour parvenir
à leur but, les trois séducteurs se déguisèrent en reli
gieux mendiants , et, sous cet extérieur, allèrent lui
demander l'aụmône.
« La vierge vint à eux et leur fit éprouver avec sa
bienveillance ordinaire , les effets de sa générosité.
Les prétendus mendiants , comblés de ses largesses ,
lui déclarèrent qu'ils attendaient d'elle une autre fa
veur, qui était de se montrer toute nue à leurs regards
et de condescendre à leurs désirs . La vierge , interdite
et effrayée de cette proposition, prononça contre eux
certains mentrams ou conjurations magiques , qui ,
jointes à une aspersion d'eau lustrale , eurent la pro
118 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

priété de changer la Trimourty et les trois dieux


en veau — l'histoire ne dit pas si , de même qu'il y
avait trois dieux en un seul , le susdit veau était triple.
Après qu'ils eurent été ainsi métamorphosés ,
Anoussoyai prit soin elle-même de nourrir ce jeune
veau de son propre lait le cas ne manque pas de
piquant pour une vierge ; — mais il est juste de dire
qu'Anoussoyai avait déjà un certain nombre d'en
fants qu'elle avait conçus et mis au monde sans cesser
d'être vierge.
« La Trimourty resta abaissée dans cette misérable
condition jusqu'à ce que toutes les déesses de la cour
d'Indra s'étant réunies , craignant qu'il ne survint de
grands malheurs en l'absence des trois principaux
dieux, ' allèrent ensemble trouver Anoussoyai , et la
supplièrent très humblement de restituer à Trimourty
sa première forme et de la leur rendre .
« Anoussoyai n'acquiesça à leur requête qu'après
beaucoup de difficultés, et encore y mit-elle pour clause
que préalablement elles se laisseraient toutes déflorer .
Les déesses , convaincues qu'elles n'obtiendraient pas
autrement la liberté de la Trimourty, consentirent à
en passer par ce qu'on exigeait d'elles , aimant mieux
se soumettre à ce traitement , qui ne devait pas du
reste beaucoup les effrayer, que de perdre leurs dieux .
« Les conditions remplies , Anoussoyai prononça les
mentrams nécessaires , et le veau reprit sa triple forme
première.
Chaque fois que l'occasion se présentera, je citerai
quelques- unes de ces dégénérescences des mythes
puissants des Védas et de Manou , et nous remar
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 119

querons que plus nous nous éloignerons des belles


conceptions de l'Inde ancienne , pour descendre dans
les figures licencieuses et obscènes de la décadence ,
plus nous nous rapprocherons , au contraire, des idées
grecques .
CHAPITRE IX

LE PRALAYA

Le Pralaya , c'est le chaos , c'est - à - dire la dissolu


tion de tout ce qui existe.
Swayambouvha , l'Être existant par lui- même , nous
l'avons vu , a ses jours et ses nuits ; pendant le jour,
il se manifeste, il crée ; l'univers sort du non -être ;
pendant ses nuits , tout se dissout et s'absorbe dans son
sein .
Ce système n'est qu'un immense panthéismº , qui
ramène tout à un seul étre , qui est en même temps
la loi , le but et la matière de tout .
C'est ce qu'exprime la vieille formule :
Tout est en Dieu, Dieu est dans tout , et rien n'est
en dehors de lui .
CHAPITRE X

PRACRITI

Quand la durée de la dissolution , ditManou , fut à


son terme , alors le Seigneur existant par lui-même,
qui n'est pas à la portée des sens externes , rendant
perceptibles ce monde avec les cinq éléments , et les
autres principes resplendissant de l'éclat le plus pur ,
parut et développa la nature . »
La nature, c'est Pracriti .
Pour les philosophes , commentateurs élevés des
fictions védiques , Pracriti n'est que la réunion de tou
tes les formes , de tous les types qui, de tout temps ,
ont existé dans l'intelligence de l'Être sup ême, et qui
revêtent une forme manifestée matériellement lors de
la création, par la seule force de la volonté divine .
La création est le produit de l'effort constant de la
122 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

volonté de l'Être suprême ; Pracriti , c'est l'abstraction


qui prend un corps par l'effet de cette volonté .
Sur ce terrain et sur celui des réaux et des nomi
naux , les commentateurs indous rendraient des points
à la scolastique , et les disputes d'Abeilard et de Guil
laume de Champeaux ne sont rien en présence des in
terminables discussions qui s'élèvent dans les écoles
indoues sur le véritable sens de ce mot Pracrili.
Les uns affirment que Dieu créa la matière de sa
propre essence et la résoudra en lui à la consomma
tion des choses ; ils disent que, la matière ainsi pro
duite , il forma le monde et lui laissa le soin d'agir
lui-même d'après les lois qu'il lui a imposées .
D'autres prétendent que Dieu n'a pas créé la ma
tière, et même que la matière n'existe pas , mais que
par sa puissance, il produisit et continue à produire
sans cesse et directement sur l'âme et les sens hu
mains les impressions que les premiers attribuent au
monde matériel .
Ceux-ci soutiennent que tout ce qui existe vient de
Dieu; ceux-là que rien n'existe que par Dieu , c'est -à
dire que tout ce qui existe n'est qu'un mirage cons.
tant de la volonté divine ; c'est ce que l'école alle
mande moderne, en se gardant bien de signaler les
sources , a défini ainsi :

L'existence de l'Univers n'est que l'illusion cons


tante de la volonté divine .
Il faut être triple Germain pour être encore séduit
par l'apparente profondeur de telles divagations :
Le monde extérieur n'existant qu'à titre d'illusion ,
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 123

la vie et l'intellect humain se mouvant dans le rayon


d'un mirage divin ...
On rit de cela à se tenir les côtes sur les bords de
la Seine , mais cela passe pour de hautes conceptions
sur les bords de la Sprée .
Dans la croyance populaire des plaines du Gange,
ce mythe n'a pas tardé à dégénérer , et Pracriti est
devenue une belle déesse, dont l'idée représente à
l'esprit du fervent Brahma quelque chose comme notre
mère Nature matérialisée .
CHAPITRE XI

POUROUCHA

Le maître céleste . Le linguam ,

Pouroucha , le maitre céleste, tel est le nom de


Brahma , spécialement manifesté par la création , alors
qu'il divise son corps en deux parties :
Nara, l'esprit , principe actif, père.
Nari, principe passif, mère .
Viradj, qui est le produit de l'union de ces deux
principes, n'est autre encore que Brahma-Pouroucha,
qui s'incarne lui-même sous une forme nouvelle .
Suivant les commentateurs , nous nous trouvons
encore en présence d'un symbolisme élevé , destiné à
montrer que l'Être suprême se multiplie , se trans
forme, se manifeste par ses seules forces.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE : 125

Le Dieu un devient à sa volonté le Dieu à la double


nature, sans cesser d'être un.
Puis , ce Dieu s'étant uni à lui-même , devient trois
par la procréation d'un fils, sans cesser de rester un.
Se douterait-on que toutes ces triades et trinités,
qui partent de un pour devenir trois sans rompre
l'unité, ont traîné des milliers d'années dans les tem
ples de l'Inde, de la Chaldée et de l'Égypte, avant
qu'on vienne les offrir à la raison moderne comme
le dernier mot de la science et de la sagesse ?
Toutes les religions de l'antique Asie , sur le mo
dèle de celle de l'Indoustan , sont en même temps :
Unitaires ,
Dualistes,
Trinitaires .
Unitaires par le Dieu irrévélé à la pure essence :
Brahma Swayambouvha.
Dualistes par la manifestation des deux principes
mâle et femelle de la divinité : Nara et Nari , et
enfin trinitaires, par le produit qui nait de l'union
du måle céleste avec sa partie femelle, et qui est
Viradj.
Aucune spéculation religieuse ne s'est arrêtée à une
seule de ces fictions.
La Bible elle-même constate un Dieu à la double
nature (Elohim, les Dieux bara créa) , lorsque les dieux,
selon son expression , créa Adima , måle et femelle, à
son image et à sa ressemblance, quatre jours avant
que la femme fût séparée du principe mâle, c'est
à -dire avant qu'Ève fùt formée d'une côte du premier
être créé .
126 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Plus tard encore , le culte vulgaire a perdu la notion
du Dieu à la double nature , unissant simplement
deux volontés , deux facultés, pour en faire naître
une troisième , et Nara et Nari , deux dans un , ont été
représentés sous les traits d'un adolescent , pourvu des
deux attributs måle et femelle; c'est ce symbole que
les Grecs , n'ayant comme toujours hérité que de la
décadence, ont représenté sous les traits de leur her
maphrodite.
Puis la figure qui unissait les deux appareils de la
génération ayant été supprimée , les Indous du culte
vulgaire n'adorèrent plus que le principe mâle , sous
le nom de linguam . Il fut représenté avec les attri
luts ordinaires de la virilité , et ce culte du linguam
devint, en passant en Égypte et en Grèce , le culte du
phallus et de Priape , dont on retrouve les symboles
sculptés jusque sur nos cathédrales du moyen âge,
cuvres inconscientes qui continuaient la représen
tation des traditions brahmaniques , des siècles après
que le sens symbolique en était perdu .
Chaque temple de Siva possède à l'entrée , à quel
ques pas du portique, un énorme linguam de marbre
ou de granit blanc , que le prêtre frotte d'huile parfu
mée tous les matins , et auquel il fait l'oblation de
miel et de lait sicut seminis imago.
Toute personne , en entrant, avant de pénétrer dans
le sanctuaire , doit lui offrir une offrande de feuilles,
de fleurs et de fruits du mangousier, arbre spéciale
ment dédié à Siva ; aussi le linguam est-il constamment
entouré d'une litière de fleurs et de fruits.
Les femmes stériles l'honorent d'une dévotion par
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 127

ticulière, et , dans le but d'obtenir une heureuse fé


condité, font à la pagode et aux brahmes d'abon
dantes et riches offrandes .
Il est incontestable que le culte du phallus , dans le
monde ancien , ne peut s'expliquer que par la tradition
indoue , et toutes les sculptures itiphalliques du moyen
åge ont la même origine .
Ceux qui connaissent les pays d'Orient savent avec
quelle persistance l'art se borne à reproduire presque
mécaniquement les dessins , les formes de l'architec
ture et de la sculpture de types et de modèles an
ciens , qui n'ont plus de raison d'être aujourd'hui et
dont le sens mystique n'est plus compris .
Il n'est pas jusqu'aux nuances de leurs monuments
polychromes qui ne soient copiées avec une servilité
absolue sur celles des édifices anciens.
Cette servilité dans l'imitation, qui existe toujours
en Orient , a duré chez nous jusqu'à l'invention de
l'imprimerie et de la gravure : avant ces deux arts
admirables , les faibles moyens qui étaient à la di.po.
sition des hommes pour conserver leurs découvertes,
les limitaient forcément. Dans l'impossibilité où l'on se
trouvait de donner aux sculpteurs sur pierre ou sur
bois de nombreux cartons , à l'aide desquels ils pus
sent varier leurs conceptions, on se bornait à fixer
dans la mémoire et dans la main de chacun , un cer
tain nombre de sujets , qu'ils étaient destinés à repro
duire toute leur vie .
C'est ainsi : Ja mémoire et la main étant employées
à conserver les trad tions du passé , de façon à pou
voir remplacer les sculptures et les manuscrits au fur
128 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
et à inesure que le temps les faisait disparaitre ... c'est
ainsi que les sculptures de Pouroucha, le mâle cé
leste, représenté par le linguam , c'est -à - dire par les
organes de la génération , se sont transmises, comme
les représentations du culte symbolique des pagodes
de l'Inde , aux temples de Thèbes , de Memphis ,
d'Éphèse et d'Éleusis , et qu'on les retrouve, souvenir
affaibli de la croyance antique , sur les colonnes de
nos cathédrales gothiques .
Les hellénistes auront beau faire : ils ne se débar
rasseront pas de l'influence que l'Inde a exercée sur
le monde ; c'est la tụnique de Nessus ; qu'ils l'arra
chent et il ne leur restera plus rien.
CHAPITRE XII

LE DIVIN MONOSYLLABE

Il est un mot que l'initié de la caste des prêtres


prononce tous les matins en s'éveillant.
Un mot que le brahme murmure en montant à l'au
tel quand il va offrir le sacrifice.
Un mot que dans le danger on prononce avec effroi,
car nulle oreille servile ne devait l'entendre , sous
peine de voir le téméraire qui l'avait livré brulé par
le feu céleste.
Un mot que les mourants invoquaient avec espoir.
Un mot dont Manou lui-même parle sans oser l'é
crire .
« La sainte syllabe primitive composée de trois let
tres , dans laquelle la triade védique est comprise ,
doit être tenue secrète . »
9
130 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Ce divin monosyllabe, dans lequel se trouvaient
réunies toute la science et toute la puissance des
dieux , qui faisait descendre Brahma sur l'autel des
sacrifices, éloignait les malins esprits , calmait la tem
pête et enlevait l'âme des mourants aux serres du
Rakchasa qui attendait pour l'emporter au Naraka .
Ce mentram des mentrams était le mot :
Aum !

La réunion de ces trois lettres représentait le germe


universel, cet Être mystérieux existant par lui-même,
dont la veille ou le sommeil crée ou dissout l'Univers ,
le dieu un irrévélé Swayambouvha , ou Dyaus .
Jadis les brahmes, initiés du culte supérieur, avaient
seuls le droit de porter ce nom à leur cou, gravé dans
l'intérieur d'un petit cylindre d'argent, etmaintenusur
la poitrine par trois fils de coton.
En se décomposant , le mot Aum devenait le symbole
de la trinité brahmanique .
A signifiait alors Brahma ,
U signifiait Vischnou .
M représentait Siya .
La seule prononciation du mot Aum était en même
temps une invocation à l'Être suprême et aux trois
personnes de la triade .
CHAPITRE XIII

BRAHMA , DANS LE CULTE VULGAIRE

Nous avons vu quelles histoires singulières courent


sur la Trimourty , dans le culte des soudras et des
esclaves . Voici une biographie de Brahma que j'em
prunte aux traditions des tchandalas ou gens sans
castes , qui montre à quel degré de dégénérescence
peuvent descendre les conceptions les plus élevées ,
quand la folie religieuse s'empare des cerveaux hu
mains .
Brahma sortit , à l'aurore de la création , d'une
fleur blanche de lotus , qui flottait à la surface des
eaux. Il naquit avec cinq têtes représentant les cinq
éléments :

L'éther,
L'air ,
132 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Le feu ,
L'eau ,
La terre .

Mais ayant fait violence à Parvady, femme de Siva ,


le dieu lui abattit une de ses têtes dans un combat
singulier, et depuis Brahma n'est plus représenté
qu'avec quatre têtes.
Il a pour monture un cygne, emblème du lotus .
Sa femme est sa propre fille, Sarasvata , qu'il en
leva sous la forme d'un cerf.
Il exerce un empire absolu sur les destinées des
hommes , et de sa main écrit sur leur front leur destin ,
et ce qui est écrit doit s'accomplir. Aussi entend
on constamment dans les circonstances de la vie , les
Indous s'écrier dans le bonheur comme dans le mal
heur : « Nul ne peut se soustraire à ce qui est écrit
sur son front. La fatalité domine tout le brahma
nisme vulgaire .
CHAPITRE XIV

VISCHNOU

Avant de reprendre la série des dieux , demi-dieux,


génies et autres personnages de la mythologie de
Manou, il me parait utile, et c'est la marche que je
suivrai jusqu'à la fin de cet ouvrage , d'achever de
faire connaitre les mêmes figures dans le Panthéon
vulgaire .

Vischnou , seconde personne de la triade , conserve


son nom primitif de Narayana ( celui qui se meut sur
les eaux ), mais on lui a en outre octroyé quelques
milliers de sobriquets dont on a fait , sous le nom de
Hary smarana , de longues litanies . En voici un spé
cimen :

Dans la prière, je suis la gaïatry , — invocation sa


crée d'une grande puissance .
134 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Parmi les dieux je suis Indra .
Parmi les astres je suis le soleil .
Parmi les montagnes je suis le mont Mérou, - ce
lui qui supporte le ciel .
Parmi les riches je suis Couvera .
Parmi les éléments je suis le feu .
Parmi les sages je suis Kapila-Mouny .
Parmi les prudents je suis Brighou .
Parmi les guerriers je suis Cartikeia .
Parmi les oiseaux je suis Garouda .
Etc. , etc.
Tous les animaux, tous les éléments y passent : on
en réciterait comme cela pendant plusieurs jours .
Vischnou est tout et dans tout, c'est évidemment une
manifestation grossière du panthéisme philosophique
des initiés .

C'est Vischnou qui est chargé de s'incarner sur la


terre chaque fois que la divinité a besoin de parler
aux hommes. Son dernier avatar a été celui de Christna ,
fils de la vierge Devanaguy ; sa prochaine sera celle
du cheval Kalki : cette dernière incarnation sera sui .
vie d'un nouveau déluge, après lequel l'innocence, la
paix , le bonheur, l'âge d'or en un mot reparaitront
sur la terre .
CHAPITRE XV

SIVA

Siva , le transformateur dans le brahmanisme élevé ,


dans le culte vulgaire n'est plus qu'un destructeur.
Et comme pour faire allusion à son pouvoir, on le re
présente sous une forme horrible. On rend son as
pect plus singulier encore en couvrant sa statue de
cendres , sa longue chevelure est tressée d'une ma
nière bizarre, ses yeux , d'une grosseur démesurée, le
font paraître dans un état continuel de fureur.
Au lieu de bijoux ce sont des serpents qui ornent
ses oreilles et s'entrelacent autour de son corps . Il y
a de ces statues que l'on place au coin des carrefours
qui sont tellement colossales et font de si effroya
bles grimaces, que les pauvres Indous, la nuit venue ,
n'osent s'en approcher.
136 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Il a pour monture principale le taureau .
Et pour arme un trident appelé trissoula .
Ses sectateurs se tracent, à l'aide d'un peu de cou
leur rouge, l'image de ce trident sur le front.
L'histoire de ce dieu , dans la mythologie vulgaire ,
n'est, de même que celle de tous les autres dieux , qu'un
tissu de fables extravagantes . Il n'y est question que
des luttes sans fin qu'il eut à soutenir contre les géants ,
de ses guerres avec les autres dieux , et surtout de ses
amours . Tous les farces de l'Olympe grec se retrou.
vent dans l'histoire amoureuse de Siva , et le taureau
galant sous les traits duquel Jupiter enlevait Europe ,
n'est qu'un maigre personnage en présence du taureau ,
monture de Siva .
Dans une de ses guerres contre les mauvais génies
qui menaçaient les dieux , Siva résolut d'en finir par
un vigoureux coup de main qui pút consommer d'une
façon irrémissible la ruine de ses ennemis . Il fendit
la terre en deux et en prit la moitié pour s'en faire
une massue . Il fit de Brahma son général, les quatre
Védas , changés en chevaux , lui servirent de monture
et il les attela à son char de guerre . Il prit Vischnou
pour s'en servir comme d'une flèche, le mont Mantra
Parvatta pour s'en faire un arc, et dans c -t équipage
formidable il conduisit son armée contre les ennemis
des dieux : il prit toutes leurs forteresses et les ex
termina jusqu'au dernier .
Ne rions point trop , les prêtres indous sont aussi
forts que nos lévites, et quand on se moque devant
eux de ces histoires dont ils nourrissent la plèbe, ils
vous répondent avec assurance que vous ne compre.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 137

nez rien à ces sublimes allégories, qu'il ne faut voir


là que des symboles, qu'ainsi les génies dont il est
question sont les mauvaises passions contre lesquelles
il faut lutter, que pour cela il faut s'adresser à Brah
ma , père des dieux et des hommes, qu'il faut se faire
conduire vers lui par les quatre Védas , c'est - à -dire la
méditation de l'Ecriture sainte , et que le meilleur
moyen de faire parvenir ses prières au maître des
dieux est de les adresser à Vischnou qui , comme une
flèche qui vole aux cieux , servira de trait d'union
avec Brahma et effacera les mauvaises actions . On
voit que cette immense farce du symbolisme religieux
n'est pas née d'hier.
Un dernier trait pour finir.
Siva eut beaucoup de peine à trouver une femme,
mais ayant fait une longue et austère pénitence sur
la montagne Mantra -Parvatta , celle-ci en fut si tou
chée qu'elle lui donna sa fille Parvady ; ce que le fro
card indou explique en vous disant que c'est une
image qui montre que la méditation sur les montagnes
procure la sagesse .
CHAPITRE XVI

INDRA , DIEU DES SPHÈRES CÉLESTES

Au-dessous de la Trimourty se trouvent quatorze


grand dieux, issus d'elle, ses mandataires directs ,
dont le premier est Indra, dieu des cieux inférieurs,
c'est-à -dire du Swarga .
Les dieux subalternes et les saints personnages qui
habitent ce lieu de délices , sont innombrables ; Indra
est chargé de leur bonheur : il leur distribue l'amrita
ou nectar, et leur procure tous les plaisirs qui peu.
vent flatter leurs sens ; ils peuvent les savourer tous,
même celui de l'amour, sans être jamais rassasies.
Ce dieu a pour monture un éléphant, et pour arme
le vadjyra, sorte d'instrument tranchant ; il a à sa dis
position la foudre, et s'en sert pour frapper les géants
qui entassent sans cesse montagnes sur montagnes ,
pour escalader le Swarga.
Le palais d'Indra est au centre de ce lieu fortuné,
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 139

od se trouve le fameux arbre Kalpa, arbre de vie et de


science, qui donne l'immortalité et la puissance à tous
ceux qui mangent de ses fruits dorés ; la conquête de
ces pommes d'or est l'ambition de tous les héros dans
les vieux poèmes indous.
Près de cet arbre pait la vache Kamadenou , qui
donne toujours, comme une bouteille inépuisable, un
lait délicieux. Ce lait, ces fruits d'or et l'amrita com
posent toute la nourriture des dieux.
Rien n'égale la vénération que les Indous ont pour
cet arbre et cette vache, et la ferveur avec laquelle
ils leur adressent leurs prières et leurs voeux .
Le Swarga renferme encore une foule d'autres ar
bres ; les eaux limpides de plusieurs fleuves y serpen
tent en tous sens ; le principal de ces fleuves est le
Mandaguy, fleuve dont les eaux fraiches et délicieuses
procurent aux heureux qui habitent ce séjour, l'ou
bli de leur vie terrestre, afin que le souvenir des mi
sères passées ne vienne pas troubler le bonheur
présent.
Les bienheureux sont constamment réjouis par les
doux sons du vounei et du kanhora , que les Gan
dharyas ou musiciens célestes marient aux accents
de leurs voix mélodieuses .
D'innombrables Devadassi, ou bayadères célestes,
réjouissent les yeux par leur danse, et apaisent cons
tamment les feux qu'elles font naitre .
Le célèbre théologien Brouhaspati y fait l'office de
gourou (maitre des dieux) , et il leur explique les mer .
veilles des Védas .
On trouve enfin , chose assez extraordinaire, deux
140 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
médecins dans ce Swarga . Ce sont Chonata et Kou
mara . Leur emploi doit être une véritable sinécure ,
car les dieux et demi-dieux du paradis d'Indra sont
absolument soustraits , par l'immortalité , à l'influence
des deux personnages , qui ne sont sans doute là que
comme une antithèse, ou pour compléter la collection .
On parvient dans le paradis par huit entrées ma
gnifiques, situées aux quatre points cardinaux , et
avec quatre sections qui les divisent. Ces portes sont
gardées :
A l'est par Indra , monté sur son éléphant, armé du
vadjyra et habillé de pourpre.
Au sud-ouest par Agni , monté sur un bélier, armé
du chikv et habillé de violet.
Au sud par Yama, monté sur un buffle, armé du
danda et habillé d'orange .
Au sud - est, Neiritia , monté sur un centaure ,
armé du koutah , et habillé de jaune foncé.
A l'ouest par Varouna , monté sur un crocodile,
armé du patcha et habillé de blanc.
Au nord-ouest par Vahyou , monté sur une gazelle ,
armé du douadjah et habillé de bleu .
Au nord par Kouvera , monté sur un cheval , armé
du kadga et habillé de rose .
Au nord-est par Isannia , monté sur un taureau ,
armé du trissoula et habillé de gris .
Un vaste fleuve entoure le Swarga, et les âmes des
morts qui veulent le traverser sont obligées d'implo
rer le funèbre nocher Engha , dont la barque est con
duite par une vache qu'Engha tient par la queue .
Le terrible chien , Kerpura-Nai , muni de trois énor
L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
mes têtes qui lancent des flammes à pleines gueules ,
défend l'approche de cette embarcation aux morts qui
ne sont pas accompagnés du génie familier qui les
a accompagnés dans la vie , et qui vient répondre pour
eux sur les bords du fleuve funéraire.
Une fois le fleuve franchi, l'âme du mort se pré
sente à la porte du sud , devant Yama , qui pèse dans
une balance toutes ses actions , bonnes et mauvaises ,
et lui permet l'entrée du Swarga ou le précipite dans
le fleuve, d'où il tombe dans le Naraca , lieu de souf
frances où il devra se purifier, avant de revenir sur
la terre recommencer toute la chaîne des migrations
inférieures auxquelles ses fautes l'auront fait con
damner.
L'entrée du Swarga est accordée à toutes les per
sonnes vertueuses sans exception de rang ou de caste ,
qui sont parvenues sur la terre au degré de sainteté
requis .
CHAPITRE XVII

LE MONT MÉROU

Épuisons la série des lieux de délices , puisque Indra


vient de nous donner l'occasion d'en parler.
Ils sont au nombre de quatre :
Le Swarga , dont nous venons de parler, et qui est

le paradis d'Indra .
Le Keilassa , qui est le paradis de Siva .
Le Veikonta , qui est le paradis de Vischnou .
Le Sattia Loca , qui est le paradis de Brahma.
Les poèmes indous placent ces différents lieux de
béatitude sur une montagne appelée le mont Mérou.
Cette montagne a la forme d'un cône, contourné en

manière de colimaçon , et divisé par étages .


Au premier étage, du côté nord, est le Swarga,

paradis d'Indra .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 143

A gauche, du côté de l'est et un étage plus haut,


est le Keilassa , paradis de Siva .
Encore un étage plus haut, du côté du midi , le
Veikonta, paradis de Vischnou .
Enfin , sur la cime même de la montagne s'élève le
Sattia- Loca, paradis où se tient dans son immobilité
et sa puissance Brahma , maître des dieux et des
hommes , créateur souverain de tout ce qui existe .
CHAPITRE XVIII

LE KEILASSA , PARADIS DE SIVA

Le Keilassa est adossé sur la montagne, au -dessus


du Swarga , sur un plan triangulaire . C'est un lieu
charmant où Siva tient sa cour et où il reste de préfé
rence avec sa femme, Parvady.
Leur principale préoccupation est de s'y livrer sans
cesse aux plaisirs de l'amour.
Avec eux habitent leurs deux fils, Ganèsa et Car
tikeia , doués tous deux d'une force immense : ils sont
la terreur des esprits et demi- dieux des sphères in
férieures .
La cour de Siva se compose d'une troupe de demi
dieux commandée par Nandy ; sous ses ordres sont
trois lieutenants : Bringay, Bima et Kadourguyta,
dont la taille et le visage sont effrayants à voir.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Les demi- dieux Rahirava et Darchana sont prépo
sés à la garde du Keilassa ; ils ont à leur suite une
foule d'esprits tous plus horribles les uns que les au
tres, qui sèment partout la terreur . Ils sont toujours
nus et en état d'ivresse , et dans tout le Keilassa on
n'entend
que le bruit de leurs querelles et de leurs
combats .

Siva ne boit que des liqueurs fortes et ne cesse d'è


tre ivre que pour se livrer à d'autres excès .
Il ne faut pas oublier que nous sommes ici sur le
terrain du culte vulgaire , et que le transformateur de
la nature a été mis à ce niveau par le prêtre pour
mieux abrutir les soudras et les esclaves .

Les dévots à Siva et les adorateurs du linguam vont


dans ce lieu après leur mort .

10
CHAPITRE XIX

LE VEIKONTA , PARADIS DE VISCHNOU

Dans ce lieu sont reçues seulement les âmes des


morts qui de leur vivant se sont spécialement consa
crés au culte de ce dieu .
Il est situé au-dessus du Keilassa , paradis de Siva ,
dans un site charmant, qui lui a fait donner le nom
de Veikonta , ou séjour enchanteur.
Les tentures précieuses , les riches tapis , l'or , les
diamants y brillent de tous côtés .
Au centre même de ce lieu de délices , s'élève un
superbe palais habité par Vischnou et son épouse
Lakmy. Près d'eux vit Pradoumèna , leur fils ainé ,
leur petit- fils Aniroudou , fils du précédent, Oucha, sa
femme, et Rana , leur fille.
On rencontre dans ce paradis, comme dans tous les
L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
autres, des arbres , des fleurs , des fruits , des ani
maux sacrés et surtout des paons en grande quantité .
Au pied de la résidence royale coule le fleuve Ka
rona . Une foule de saints pénitents habitent sur ses
rives et y coulent des jours heureux et paisibles ; des
fruits et des légumes qui croissent spontanément font
toute leur nourriture ; leurs loisirs se partagent entre
la lecture des Védas et la contemplation .
Vischnou, comme on le voit, n'a pas été autant ra
baissé que les autres dieux par la tradition populaire.
CHAPITRE XX

LE SATTIA LOCA , OU PARADIS DE BRAHMA

Ce nom de Sattia Loca signifie le lieu de la vérité ,


le séjour de la vertu .
Le Sattia Loca est le lieu le plus élevé parmi les sé-"
jours de béatitude ; c'est le paradis de Brahma , ou
il habite avec sa femme Sarasvata .
Le Gange arrose de ses flots purs cet asile divin , et
c'est de la que les eaux divines se précipitent sur l'Hi
malaya , et de la coulent sur la terre .
Ce paradis est ouvert aux seuls brahmes qui, par
la pratique des austérités les plus méritoires et de
toutes les vertus sur la terre , sont parvenus au degré
de sainteté nécessaire pour y être admis . Les per
sonnes de toute autre caste , quelque édifiante, quelque
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 149

pure qu'ait été leur vie, en sont irrévocablement ex


clues .
Au milieu de ce lieu se trouve un immense Assouata ,
ou figuier des pagodes ( ficus religiosa) , qui , par son
ombrage , couvre le mont Mérou tout entier de son
ombre bienfaisante ; il est la souche de tous les arbres
de même espèce que l'on rencontre sur la terre.
Cet arbre est le plus révéré de tous les végétaux
dans l'Inde , et, au point de vue pittoresque , c'est un
des plus beaux du pays . Il acquiert un volume consi
dérable, et se rencontre en abondance dans tous les
lieux sacrés , aux environs des pagodes , sur les bords
des étangs d’oblation . Chaque village en possède au
moins un sur sa place principale ; c'est sous son
ombrage que viennent s'asseoir les chefs de caste ; on
l'appelle dans ce cas l'arbre de justice .
CHAPITRE XXI

LE MOKCHA

Au -dessus de la récompense que reçoivent les âmes


purifiées par les bonnes cuvres, dans les différents
séjours de félicité dont nous venons de parler, et qui
sont, à proprement parler , réservés à la plėbe , il en
est une suprême , à laquelle ont aspiré tous les sages
de l'Inde ancienne : c'est l'espoir de l'obtenir qui a
rempli les vallées de l'Himalaya , les forêts impéné
trables des rives du Gange, les jongles du Maissour
et du Malayalam , et les hautes montagnes de Ceylan ,
de sannyassis, de vanaprasthas , de cénobites, d'ana
chorètes de tous ordres .
C'est cette espérance de conquérir cette récompense,
qui a encombré l'histoire de l'Indoustan de ces fakirs
célèbres, se faisant écraser sous les statues des dieux ,
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 151

et défiant la douleur et la mort dans d'affreuses tor


tures, qui parvenaient à peine à leur arracher un
sourire .
Tous n'avaient qu'un but , qu'une ambition : c'était
de parvenir au Mokcha.
Parvenir au Mokcha , c'est s'absorber dans la grande
âme, c'est s'identifier avec Swayambouvha, l'Être im
mortel qui existe par lui-même ; c'est faire partie in
tégrante de la divinité , tout en conservant son indivi
dualité ; c'est devenir Dieu .
Quand arrive le Pralaya , ou époque de dissolu
tion universelle , tout rentre dans le non -être ; les
cieux inférieurs, Keilassa , Veikonta , Swarga , n'exis
tent plus ; mais l'âme, qui a atteint le Mokcha , n'a
plus à craindre ni la destruction , ni les migrations
terrestres : son bonheur est immortel .
Il faut mille et mille générations de souffrances,
de vertu , de privations , de sacrifices, pour conduir :
une âme au Mokcha ..., pour faire un Dieu .
CHAPITRE XXII

LE NARACA

Après les lieux de délices , l'enfer, la suite est lo


gique. D'après Manou , il y a vingt et un lieux inſé
rieurs, ou lieux de souffrances ; voici les slocas du
livre IV qui les établissent :

« Celui qui reçoit des présents d'un roi avide et


méchant, ou qui accepte de le servir, passe successi
vement dans les vingt et un enfers, qui sont :

« Le Tamisara , l'Andhatamisra , le Mahârôrava , le


Rôrava , le Naraca , le Calasoutra, le Mahậnaraca .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 153

« Le Sandjvana, le Makavitchi , le Tapana , le Sam


pratapana , le Samhâta , le Sacacola , le Coudmala , le
Pantimrittica ;

« Le Lohasanca, le Ridjicha, le Panthâna , la ri


vière Sâlmati , l'Asipatravama et le Lohadâraca. »

Au livre XII , Manou nous donne , dans les slocas


suivants, un avant-goût des plaisirs réservés aux mi
sérables qui sont obligés de parcourir ces lieux de
souffrances .

« Ils vont d'abord dans le Tamisara et dans d'au


tres horribles demeures de l'enfer, dans l'Asipatrayana
et enfin dans tous les lieux de captivité et de torture.

« Des tourments de toutes sortes leur sont réservés ;


ils seront dévorés par des corbeaux et par des hi
154 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
boux ; ils avaleront des gâteaux brûlants , marcheront
sur des sables enflammés, et éprouveront l'insuppor
table douleur d'être mis au feu comme les vases d'un

potier .

« Ils renaitront ensuite sous les formes d'animaux


exposés à des peines continuelles ; ils souffriront al
ternativement la douleur , l'excès du froid et du
chaud , et seront en proie à toutes les terreurs . »

Voici l'explication que je puis donner , d'après les


commentateurs, des différents lieux de supplice énu

mérés par Manou :

LE TAMISARA

Lieu d'épaisses ténèbres, dans lequel les misérables


sont condamnés à errer pendant de longues années ,
en proie aux terreurs les plus étranges .

L'ANDHATAMISARA
Lieu où les ténèbres, plus épaisses encore, sont mé.

langées de vapeurs de soufre, de bitume et autres pro


duits nauséabonds .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 155

LE RÔRAVA

Ou séjour des larmes .

LE MAHARORAVA

Séjour des larmes plus abondantes encore .

LE MAHAVITCHI

Lieu où les condamnés sont perpétuellement roulés


dans un torrent au milieu de grandes vagues , avec
des quartiers de roche mobiles .

LE NARACA ET LE MAHANARACA

Séjour de grandes douleurs pour l'esprit .

LE CALASOUTRA

Séjour des animaux féroces.

LE SANDJVANA

Séjour des insectes venimeux .

LE MAHADARACA

Séjour des animaux impurs .

LE PANTHANA

Séjour de tous les maux .


156 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

LE SAMHATA

Séjour des oiseaux de proie .

LE SACACALA

Séjour des vampires , qui rongent perpétuellement


les crânes des trépassés .

LE CANDMALA

Séjour du fiel et du poison .

LE PANTIMRITTICA

Séjour des serpents.

LE TAPANA

Lieu des souffrances terribles .

LE SAMPRATAPANA

Lieu des souffrances plus terribles encore ,

LE LOHASANCOU

Lieu des dards de feu , des boutams ou démons sont


dans ce sinistre séjour sans cesse occupés à lancer les
malheureux sur ces pointes de feu , et leurs corps, dé
chiquetés en lambeaux et tout sanglants , reçoivent
constamment des forces pour la souffrance.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE. 157

LE RIDJICHA

Sombre lieu où les damnés sont brûlés sur des grils


de fer .

L'ASIPATRAVANA

Lieu des épées et des tridents .

LE SALMALI

Lieu où coule une rivière de feu .

Voici la description très imagée que le Padma-P016


rana donne des souffrances endurées dans ces différents
lieux ; c'est assez réussi comme morceau de littéra
ture sacerdotale .

« Une nuit éternelle enveloppe ces lieux ; on n'y


entend que des gémissements et des crix affreux . Les
douleurs les plus aiguës , qui puissent être causées par
le fer et le feu , y sont ressenties sans interruption.

« Il y a des supplices affectés à chaque genre de


faute, à chaque sens, à chaque membre du corps , qui
ont servi à commettre les crimes .
188 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Feu , fer, serpents, insectes venimeux , animaux
féroces, oiseaux de proie, poison , puanteur effroya
ble, tout en un mot est employé pour tourmenter les
damnés .

« Les uns ont les narines traversées par un cordon


à l'aide duquel on les traine sans cesse sur le tran
chant de haches extrêmement affilées .

« D'autres sont condamnés à passer par le trou


d'une aiguille , et sont pour cela battus sur une en
clume par de noirs démons .

« Ceux -ci sont constamment aplatis entre deux ro .


chers qui se rejoignent ensemble et les écrasent sans
les détruire ; les misérables se relèvent sanglants ,
cherchent à fuir, mais un rakcham , ou génie malfai
sant, les rejette immédiatement entre deux roches .
-
-
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 159

« Ceux -là , solidement attachés à un croc de fer


rouge, sont entourés de vautours affamés, qui leur
rongent à qui mieux mieux les yeux, le foie, le cour,
la cervelle et les entrailles .

« Ces misérables aussi , de temps à autre , parvien


nent à se soustraire à ce supplice ; ils courent , ils se
sauvent, déjà ils entrevoient la liberté, mais un bou
tam les saisit, les repend à leurs crocs, et les vautours
aux pieds jaunes de battre des ailes avec des cris af
freux en voyant qu'on leur a rapporté leurs victimes ,
et ils reprennent de plus belle leur sinistre besogne .

« Il y en a des milliers qui nagent continuellement


et barbotent dans des étangs pleins de boue immonde
et de détritus en putréfaction ; ils sont eux -mêmes
une pourriture vivante, rongée par les vers ... »

Pour un enfer !... ce n'est pas trop mal imaginé,n'est


ce pas ? ... Et dire que les prêtres de Rome , quand ils
s'adressent aux pauvres, aux humbles , aux enfants et
aux femmes, en sont encore à la description brahma
460 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

nique quand ils parlent de leurs purgatoires ... Seule


ment, eux , ils sont plus malins que leurs ancêtres des
bords du Gange ; ils vous font sortir de là avec de
l'argent .
Malheur aux pauvres! telle est la devise sacer
dotale moderne ; et puis voyez comme tous nos bons
lévites sont intelligents :
On sort du Naraca indou quand on est purifié.
On sort du purgatoire chrétien quand les héritiers
du mort ont grassement payé le billet d'exéat . Mais
comme l'héritier a parfois l'oreille dure et qu'il n'en
tend pas toujours les cris de son malheureux parent,
qui est en train de faire un tour de broche , nos porte
soutanes ont inventé l'enfer, d'où on ne peut sortir,
et grâce à cette grossière plaisanterie récoltent d'a
bondantes offrandes, du vivant des malheureux que
la peur assouplit .
Et ce n'est pas près de finir .
Les appétits satisfaits de longtemps encore ne
voudront pas se passer du secours du mystère, de
la peur et du prêtre ... C'est ce qui s'appelle, dans le
style républicain conservateur moderne, protéger le
clergé national contre les congrégations .
Nous avons fait quatre révolutions contre les rois .
Il faudra que nous en fassions une contre l'hypocri
sie , et la politique des ventripotents .
CHAPITRE XXIII

MÉTEMPSYCOSE

Après les mythes de Swayambouvha et de la triade,


de la création et de la dissolution , après ceux des
lieux de délices et du Naraca , il nous parait logique
de placer le mythe de la métempsycose, ou transmi
gration des âmes .
Manou a exposé les principes de cette croyance
d'une façon claire et saisissante , et va nous montrer
une fois de plus que l'Inde a été l'initiatrice et non l'i
mitatrice des Grecs .
Tout est à lire , à méditer dans ce passage que nous
empruntons à notre propre traduction .

« 0 toi qui es la pureté suprême, maintenant que tu


nous as dit quels étaient les devoirs des quatre classes ,
162 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
révéle - nous la vérité sur l'âme , le châtiment et la ré
compense .

« L'envoyé de Dieu , Manou, le juste par excellence ,


répondit : - Écoutez et apprenez quelle est la sou
veraine destinée de tout ce qui est doué de la faculté
d'agir.

« De tout acte de la pensée, de la parole ou du corps ,


résulte un bon et un mauvais fruit; des acrions des
hommes naissent leurs differentes conditions, supé
rieures , moyennes ou inférieures .

« Sachez que, dans cet univers, l'esprit est l'insti


gateur de cet acte lié avec l'ètre animé , qui a trois
. degrés , qui s'opère de trois manières et qui est de
dix sortes .

« Penser aux moyens de s'approprier le bien d'au


L'OLYMPE BRAHMANTQUE. 163

trui , méditer un acte répréhensible, embrasser l'a


théisme et le matérialisme , sont les trois actions cou
pables de l'esprit .

« Proférer des injures, mentir, médire de tout le


monde , mal parler des choses sacrées, sont les quatre
actions coupables de la parole .

« S'emparer du bien d'autrui , faire du mal aux


ètres animés sans y être autorisé par la sainte Écri
ture , ravir la femme d'un autre, sont reconnus comme
les trois actions coupables du corps .
(Les dix actions opposées à ces dix mauvaises sont
bonnes au même degré . - Commentaire de Collouca
Batta.)


*

« Pour les bonnes actions qui viennent de l'esprit ,


l'être animé et doué de raison est récompensé dans son
esprit! Pour celles qui viennent de la par le, il en est
récompensé dans les organes de la parole ; pour celles
qui viennent du corps , il en est recompensé dans son
corps .
164 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Pour les mauvaises actions qui proviennent de


l'esprit , l'homme renait dans la condition humaine la
plus vile ; pour celles commises par parole, il re
vêt la forme d'un oiseau ou d'une bête fauve ; pour
les fautes provenant du corps, il passe à l'état de créa
ture privée de mouvement .

« Celui qui possède une autorité souveraine sur son


esprit, ses paroles et son corps , peut recevoir le nom
de Tridandi , c'est -à -dire qui possède la triple volonté .

« L'homme qui déploie cette triple volonté en toutes


circonstances , qui est maitre de ses actions et qui
réprime le désir et la colère , obtient par ce moyen la
félicité céleste et éternelle.

« Le moteur de ce corps est appelé kchetradjna (âme


principe de vie) , et le corps qui accomplit des fonc
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 105
tions visibles et matérielles a reçu le nom de boûtåtmå
( composé d'éléments ) .

« Un autre élément interne appelé mahat (sensa


tion) voit avec tous les êtres animés , et c'est grâce à
lui
que le kchetradjna perçoit le plaisir et la peine,
c'est le lien qui unit le corps à l'âme .

« La sensation et l'âme intelligente unies aux cinq


sens – l'ouïe , la vue , l'odorat, le toucher, l'attrait
mutuel des sens
sont dans une liaison intime et
constante avec le Grand Tout qui réside dans les êtres
de l'ordre le plus élevé , aussi bien que dans ceux de
l'ordre le plus bas .

***

« De la substance même du Grand Tout s'échappent


continuellement d'innombrables principes vitaux qui
communiquent sans cesse le mouvement aux créatures
des divers ordres .
166 L'OLYMPE BRAHMANIQUE.
« Après la mort, les âmes des hommes qui ont com
mis de mauvaises actions prennent un autre corps ,
à la formation duquel concourent les cinq éléments
subtils et qui est destiné à être soumis aux tortures de
l'enfer.

« Lorsque les âmes revêtues de ce corps ont subi


dans l'autre monde les tortures de l'enfer, elles en
trent dans les éléments grossiers , auxquels elles s'u ·
nissent pour reprendre un corps et revenir au monde
achever sa purification .

**

« Après avoir reçu le chåtiment de ses fautes, nées


de l'abandon aux plaisirs des sens , l'âme dont la
souillure a été effacée aspire de nouveau à se réunir ,
dans le swarga (ciel) , à l'Ame suprême.

« Les mérites et les démérites de l'âme sont de nou


veau pesés et examinés, et, suivant que la vertu ou
le vice l'emporte , elle obtient la récompense ou un
nouveau châtiment .
-
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 467

« L'âme qui a presque toujours pratiqué la vertu ,


et rarement le vice , se rend directement au séjour de
délices , dès qu'elle abandonne son enveloppe formée
des cinq éléments mortels .

« Mais chaque fois qu'elle s'adonnera au mal plu


tôt qu'au bien , et que la somme des actions coupab'es
dépassera celle des bonnes , elle sera soumise aux tor
tures de l'enfer.

« Chaque fois également qu'elle aura enduré les


tourments de l'enfer, et que ses fantes auront été ef
facées, 1 âme reprendra son enveloppe mortelle pour
venir de nouveau sur la terre achever de se purifier .

« L'homme doit cons dérer que ces transmigrations


successives de l'âme étant le produit de la vertu et du
vice, il ne dépend que de sa volonté de diriger son
esprit vers la vertu et d'abréger son temps d'exil .
168 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Qu'il sache que l'âme possède la notion du bien ,
celle du mal , et qu'il y a de plois en elle des aspira
tions qui ne se peuvent définir en ce monde, ce qui
tient à son union avec les substances matérielles et
périssables dont le corps est formé.

« Lorsque soit le bien , soit le mal , arrivent à do


miner entièrement un être animé, ils le rendent sem
blable à eux ; mais ce qui fait la punition ou la
récompense légitime, c'est la liberté du choix de
l'homme entre le bien et le mal .

« Le bien , c'est la bonté , la science et la modéra


tion . Le mal , c'est l'ignorance , la passion et les ap
pétits brutaux, toutes choses qui luttent dans l'homme
et qu'il doit savoir maitriser à son gré .

Lorsque l'être animé découvre en lui un senti


ment honnête , tendre , affectueux, élevé , calme et pure
comme le jour, qu'il dise : Cela vient du bien !
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 169
« Mais toute disposition de l'âme qui est accompa
gnée de des - eins pervers , de haine , de colère , ou qui
tend à la pure satisfaction des sens , doit être déclarée
provenir du mal .

***

« Quant à cette sensation de l'âme qui s'applique à


ce qu'elle ne peut ni discerner , ni expliquer, ni com
prendre, c'est l'inconnu , le mystérieux, qu'il n'ap
partient qu'à la Grande Ame de connaitre . Il y a des
fautes qui proviennent aussi de cet inconnu qui rend
l'âme insatiable .

« Je vais maintenant vous faire connaitre les actes


bons ou mauvais qui procèdent de ces trois qualités.

« L'étude du Véda ou sainte Écriture , la dévotion


austère, la science des choses sacrées , la pureté , l'ac
tion de dompter les organes des sens , l'accomplisse
ment de tous les devoirs , la méditation sur l'Être su
prême , sont les effets du bien .
170 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« N'agir que dans l'espoir d'une récompense , se
laisser aller au découragement , faire des choses dé
fendues par la loi , et s'abandonner sans cesse aux
plaisirs des sens .

« La cupidité, l'indolence, l'irrésolution , la médi


sance , l'athéisme , l'omission des actes prescrits, l'im
portunité et la négligence proviennent du mal .

« Lorsqu'on désire du profond de son cæur connai


tre les térités sacrérs , lorsque nulle honte intérieure
n'accompagne les actos que l'on accom , lit, lorsque
l'âme au contraire en ressent une réelle satisfaction,
on peut dire que l'on se conduit d'après les principes
du bien .

« Toute action dont on a honte lorsqu'on vient de


la commettre, ou lorsqu'on se prépare à la faire, doit
être considérée par l'homme sage comme une action
mauvaise .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 171

« L'acte par lequel l'âme aspire après l'inconnu ,


est un souvenir du svarga dont elle a gardé l'empreinte ,
comme on voit vaguement au réveil les images qui
vous ont frappé dans les songes .

« Je vais vous déclarer succinctement , et par ordre ,


les diverses transmigrations que l'àme éprouve dans
cet univers par l'influence de ces trois qualités .

« Les âmes qui ne sont mues que par l'idée du bien


acquièrent la nature divine ; celles qłe domine le
le mal , sans que le bien ait été exclu de tous leurs
actes , ont en partage la condition humaine. Quant
aux âmes qui sont restées dans l'obscurité sans dis
tinguer le bien du mal , elles recommencent la série
des transmigrations par l'état d'animaux .

« Ces trois sortes de transmigrations ont chacune


trois degrés différents : le supérieur, l'intermédiaire,
l'inférieur , en raison des degrés divers des mauvaises
actions dont l'homme a pu se rendre coupable .
172 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Les âmes qui ont vécu détachées de la terre , n'as.
pirant qu'à Dieu , deviennent des anyes , c'est-à-dire
des esprits intermédiaires entre la création et le créa
teur ; elles ne sont pas comprises dans les catégories
suivantes .

« L'homme qui est resté dans l'obscurité sans s'in


quiéter de distinguer le bien du mal , renaîtra dans
les êtres qui ont vie sans mouvement , comme les vé
gétaux ; de là il passera en s'élevant graduellement
par les végétaux , les vers , les insectes , les poissons ,
les serpents , les tortues , les bestiaux et les animaux
sauvages : tel est le degré inférieur.

« Puis , passant dans le degré intermédiaire, il sera


successivement sanglier, tigre , lion , cheval et élé
phant .

« A ce moment il atteindra au degré supérieur, et


redeviendra homme, mais ne sortira pas de la caste
misérable des tchandalas , qui fournit les danseurs et
charlatans : tels sont les trois degrés et les transmi
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 173

grations auxquels sera assujetti l'homme qui , dans


unepremière existence , ne se sera pas ,par la distinction
des actions bonnes et mauvaises , élevé au -dessus de
la brute.

« Celui qui ayant connu le bien l'a pratiqué , mais a


commis aussi des actions mauvaises qui à des degrés
différents contrebalancent les bonnes , parcourra suc
cessivement les trois classes des transmigrations
suivantes .

« Dans la classe inférieure, il reviendra parmi les


bâtonnistes, les lutteurs , les charmeurs d'animaux ,
les acteurs et les maitres d'armes .

« Dans la classe intermédiaire , il renaitra guerrier ,


roi , juge , orateur .

« Dans la classe supérieure , alors que les bonnes


actions commencent à dominer de beaucoup les mau
174 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
vaises , l'âme ne revient plus transmigrer sur la terre ,
elle commence à s'-lever vers les sphères célestes, et
va animer les corps des musiciens, des génies et des
danseuses célestes qui chantent les louanges de la
Grande Ame dans les quatorze cieux d'Indra .

« Ceux qui n'ont connu et pratiqué que le bien ne


transmigrent pas , ils restent au service de Brahma qui
les envoie , comme une émanation de sa puissance ,
tantôt habiter la terre pour y servir d'exemple , tantôt
veiller à l'harmonie des sphères célestes .

« Dans le premier degré, ce sont les anachorètes,


les dévots ascétiques , les brahmes, les légions de
demi-dieux aux chars aériens , les génies des astéris
mes lunaires , et ceux qui président aux jours .

« Dans le second degré , ce sont les sacrificateurs,


les saints, les dévas, les génies qui conservent l'Écri
ture sainte, les divinités qui président aux étoiles et
aux années .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE. 175

« Brahma , créateur suprême , génie de la vertu ,


Vischnou , principe de conservation , et Siva, principe
de transformation , qui représentent l'un le Mahat et
l'autre l'Avyacta , sont les seuls qui soient au degré
supérieur du bien puisqu'ils sont le bien lui-même.

« J'ai dit : Et ainsi vous est révélé , dans son en


tier, ce système de transmigration qui se rapporte à
trois sortes d'actins divisés en trois degrés , dont
chacun possède trois classes et comprend tous les êtres
de la terre et des cieux .

« En se livrant aux plaisirs des sens et en négli


geant leurs devoirs, les hommes, assez mauvais pour
ne pas se soumettre aux expiations saintes , revien
neut dans les conditions les plus méprisables.

« Apprenez maintenant, complètement et par ordre ,


176 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
pour quelles actions commises ici-bas l'âme doit en ce
monde revenir dans tel ou tel corps.

« Avant d'être condamnés aux transmigrations que


vous allez connaitre, les grands criminels vont passer
de nombreuses séries d'années dans les sombres de
meures infernales qui sont au nombre de vingt et
une :

« Le Tamisra , l'Andhatamisra , le Mahårórava , le


Rorava , le Naraca , le Calasoutra , le Mahanaraca ,

« Le Sandjivana , le Mahavitchi, le Tapana, le Sam


pratâpana , le Samhâta , le Sacacola , le Coudmala , le
Poutimrittica ,

« Le Lohasancou, le Ridjicha , le Pantana , la rivière


Sålmali , l'Asipatravana et le Lohadâraca.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 177
« Le meurtrier d'un brahme revient dans le corps
d'un chien , d'un sanglier , d'un âne , d'un chameau ,
d'un taureau, d'un bouc, d'un bélier , d'une bête sau
vage , d'un oiseau , d'un tchandala ( paria) .

« Le brahmequi s'adonne aux liqueurs spiritueuses


renait sous la forme d'un ver , d'une sauterelle, d'un
oiseau se nourrissant d'excréments , ou d'un animal
impur.

« Le brahme qui a volé passera mille fois dans des


corps d'araignées, de serpents, de caméléons , d'ani
maux aquatiques et de vampires .

« L'homme qui souille le lit de son père spirituel,


c'est-à-dire de celui qui lui enseigne le véda , renait
des milliers de fois à l'état d'herbe, de buisson , puis
d'oiseau de proie, et ensuite d'animal féroce.

12
178 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Ceux qui commettent des cruautés deviennent
des animaux avides de chairs sanglantes, ceux qui
usent d'aliments prohibés renaissent vers ; les voleurs
passent dans les corps des animaux qui s'entre-dévo
rent ; ceux qui courtisent des femmes de la basse
classe deviennent des esprits errants.

« Celui qui a eu des rapports avec des hommes dé


gradés , qui a connu la femme d'un autre, ou qui a
volé quelque chose à un brahme, devient un esprit
follet des eaux .

« Si un homme dérobe par cupidité des pierres pré


cieuses, des perles , du corail ou des bijoux de diverses
sortes , il renait dans la tribu des orfèvres (la subdi
vision la plus méprisée dans la caste soudra) .

« Pour avoir volé du grain il devient rat ; du lai


ton , cigne ; de l'eau , plongeon ; du miel , taon ; du lait ,
corneille; le suc extrait du palmier, chien ; du beurre
clarifié , mangouste .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 179

« S'il a volé de la viande , il renait vautour ; de la


graisse, madgou ; de l'huile , tailapaca ( oiseau buveur
d'huile) ; du sel , cigale ; du caillé , cigogne .

« S'il a volé des vêtements de soie , il renait perdrix ;


une toile de lin , grenouille ; un tissu de coton , cour
lier ; une vache, crocodile ; du sucre, vaggouda (es
pèce d'oiseau qui erre autour des sucreries et vole la
cassonade et la mélasse ).

« Pour un vol de parfums , il renait rat musqué ;


d'herbes potagères, paon ; de graines diverses , héris
son ; de grains en vert , porc - épic.

« Pour avoir volé du feu , il renait héron ; un us


tensil
drix re ode ménage , frelon ; des vêtements teints , per
uge
180 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« S'il a volé un cerf ou un éléphant, il renait loup ;


un cheval , tigre; des fruits ou des racines, singe; une
femme, ours; des voitures ou des bestiaux , chameau
ou bouc.

« L'homme qui enlève par force tel ou tel objet ap


partenant à un autre , ou qui mange du beurre clarifié,
des gåteaux ou de la chair, avant qu'ils aient été of
ferts à une divinité, sera inévitablement ravalé à l'état
de brute .

« Lorsque les hommes des différentes classes , sans


une nécessité urgente , négligent leurs devoirs parti
culiers , ils passent dans les corps des êtres de la plus
vile caste , et sont réduits à servir leurs semblables.

« Un brahme qui néglige ses devoirs par cela seul


que Dieu l'a créé pour être le gardien de la parole
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 181

divine qui est dans le Véda , le sacrificateur, et le di .


recteur de tous les êtres , sera puni plus sévèrement
que les autres créatures.

« Les femmes qui contractent les mêmes souillures


et commettent les mêmes fautes que les hommes , su
bissent les mêmes séries de transmigration .

« Plus les êtres animés oublieront la vertu pour se


livrer sans retenue aux plaisirs des sens , et moins il
leur sera facile de quitter la route du mal qu'ils au
ront choisie, comme le voyageur fatigué qui s'aper
çoit de son erreur après de longs jours de marche ,
et qui n'a plus la force de regagner la bonne di
rection .

« Celui qui s'obstinera dans des actions mauvaises ,


oubliant son origine et la destinée future, souffrira
des tortures de plus en plus cruelles et passera par
des transmigrations de plus en plus infinies.
182 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Il ira du Tamisra à l'Asipatravana et au Lohada -
raca , épuisant les demeures les plus horribles de
l'enfer et les divers lieux de captivité et de torture .

« Des tourments de toutes sortes lui sont réservés :


il sera dévoré par les corbeaux , les vautours et les
hiboux ; il sera forcé d'avaler des ruisseaux de flam
mes , marchera sur des sables ardents, et sera mis au
feu comme les vases d'un potier.

« Quand il renaitra , ce sera sous la forme d'ani


maux exposés à des peines continuelles , sera en proie
à toutes les terreurs , et souffrira continuellement de
l'excès du froid ou du chaud . Il reviendra au monde
un nombre incalculable de fois, subissant toujours des
situations plus misérables , et réduit à l'état d'esclave,
il n'aura plus ni parent, ni ami, ni richesse, il dépen
dra du caprice d'un maître.

« Sa vieillesse sera sans soutien et sans ressource ,


en proie aux maladies les plus affreuses et aux cha
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 183

grins les plus cuisants ; il mourra dans l'effroi et l'a .


bandon .

« Et il ne saurait maudire Brahma pour les avu


leurs qu'il s'est attirées lui-même : l'homme est libre
dans le mal comme dans le bien , seulement il ne com
met pas un seul acte qui ne doive lui attirer plus tard
punition ou récompense .

« La rétribution due aux actions vous a été révélée


en entier : connaissez maintenant les actes qui peu
vent conduire le brahme ( le prêtre ) au bonheur
éternel .

« Étudier et comprendre les Védas, pratiquer la dé


votion austère, connaitre l'Être suprême, dompter les
organes de ses sens, ne point faire de mal et honorer
son maître spirituel , sont les principaux moyens úe
parvenir à la beatitude finale.
184 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Mais parmi tous ces acts vertueux accomplis
dans ce monde, en est-il de reconnu comme ayant
plus de puissance que les autres pour conduire à la
suprême félicité ?

« De tous ces devoirs le plus important est d'acqué


rir la connaissance et l'amour de Dieu , là est le com
mencement et la fin de toute science, et c'est ainsi
que l'on parvient le plus sûrement à l'immortalité .

« L'étude approfondie de l'Écriture sainté est le


moyen le plus efficace d'arriver à la connaissance de
la Grande Ame, et de procurer la paix en ce monde et
un éternel bonheur dans l'autre .

« Car tout est dans l'étude du Véda et dans l'adora


tion de Dieu .

« Le culte prescrit par les livres saints à Dieu , se


rend de deux manières , et conduit , dans l'un et l'au
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 183

tre cas , à la suprême félicité, mais à des degrés diffé


rents : l'une de ces deux manières est dite intéressée ,
et l'autre désintéressée .

« Si un acte pieux procède de l'espoir d'une récom


pense en ce monde ou dans l'autre , cet acte est dit
intéressé , mais celui qui n'a d'autre mobile que la
connaissance et l'amour de Dieu est dit désintéressé ,

« L'homme dont tous les actes religieux sont intéressés


parvient au rang des saints et des anges (dévas) . Mais
celui dont tous les actes pieux sont désintéressés se dé
pouille pour toujours des cinq éléments pour acqué
rir l'immortalité dans la Grande Ame .

« Voyant l'Ame suprême dans tous les êtres , et tous


les êtres dans l’Ame suprême, et uffrant son âme en
sacrifice, il s'identifie avec celui qui est , et qui brille
de sa propre splendeur.
186 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Tout en accomplissant les services religieux pres


crits, le brahme doit méditer avec persévérance sur
l'Ame suprême, mortifier ses sens et étudier l'esprit
des livres saints.

« L'avantage de la régénération par la contempla


tion est très grand pour le brahme , car en devenant
dwidja (régénéré, deux fois né dans le bien) , il n'est
plus sujet aux transmigrations futures.

« Le Véda est un soleil éternel pour les anges , les


dieux et les hommes, 14 livre saint a été révélé aux
mortels, et il n'est pas susceptible d'être mesuré par
la raison humaine . Telle est la décision .

« Les recueils de lois qui ne sont pas fondés sur le


Véda , ainsi que les systèmes hétérodoxes quelconques ,
ne produisent après la mort d'autre résultat que les
ténèbres.

« Tous les livres qui ne reposent pas sur la sainte


L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 187

Ecriture sout sortis de la main des hommes et péri


ront, leur fin prouvera qu'ils sont inutiles et men
songers .

« La connaissance des quatre classes (brahmes ,


xchatrias, vaysias, soudras) , des trois mondes (le
ciel , la terre et l'enfer ), et des trois périodes de la vie
sacerdotale (brahmatchari , novice ; Grihasta, maître
de maison ; Vanaprastha, anachorète ; et sannyassi ,
dévot ascétique), avec le passé, le présent et le futur,
dérive du Véda .

« Le son , l'attribut tangible, la forme visible , le goût


et l'odorat, sont expliqués clairement dans le Véda ,
avec leurs formations, leurs qualités et leurs fonc
tions .

« Le véda est la science de tout ce qui existe . Celui


qui le comprend bien parmi les brahmes est digne de
la suprême autorité , il commande à la terre et a le
pouvoir d'infliger des châtiments.
188 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« De même qu'un feu violent brale même les arbres


encore verts , de même le brahme qui étudie et com
prend les livres saints reçoit le pouvoir de détruire
toute souillure née du péché.

« Le brahme qui connait parfaitement le sens du


Vėda, quelle que soit l'époque où il termine sa vie
(c'est -à -dire novice , maitre de maison , anachorète ou
dévot ascétique) , est sûr de s'identifier avec Dieu .
1
1

« Ceux qui ont beaucoup lu valent mieux que ceux


qui ont peu étudié , ceux qui possèdent ce qu'ils ont lu
sont préférables à ceux qui ont oublié , ceux qui com
prennent ont plus de mérits que ceux qui ne savent
que par coeur, ceux qui remplissent leurs devoirs
sont supérieurs à ceux qui les connaissent . Une
seule bonne action vaut mieux que mille bonnes
pensées .

« La dévotion et la connaissance de l'Ame divine


sont pour un brahme les meilleurs moyens de parve
nir au bonheur suprême ; par la dévotion il efface ses
L'OLYMPE BRAHMANIQUE. 189

fautes, par la connaissance de Dieu il se procure l'im


mortalité .

« Trois modes de preuves , l'évidence , le raisonne


ment et l'autorité des livres qui s'appuient sur la
sainte Écriture, doivent être bien compris par celui
qui cherche à acquérir une connaissance positive de
ses devoirs et des vertus qui les composent , qui sont :
la résignation , l'action de rendre le bien pour le mal, la
tempérance, la probité, la pureté , la chasteté et la ré
pression des sens , la connaissance de la sainte Écri
ture, celle de l'Ame suprême , c'est- à -dire Dieu , le
culte de la vérité et l'abstinence de la colère .

« Celui qui raisonne sur la sainte Écriture et sur le


recueil de la loi, en s'appuyant sur des règles de logi
que conformes au Véda , connait seul le système des de
voirs religieux et civils .

« Telles sont les règles de conduite qui mènent à la


beatitude. Maintenant , va vous être déclarée la

partie de ce livre de la loi qui doit rester cachée au


vulgaire.
190 L'OLYNPE BRAHMANIQUE .

« Dans tous les cas, généraux ou particuliers, dont


il n'est pas fait ici mention spéciale , et même pour
l'interprétation de tout ce qui a été dit , si l'on demande
ce qu'il convient de faire, le voici : Que la décision
prononcée par les brahmes (les prêtres ) instruits soit
tenue pour certaine et obligatoire , sans contestation.

« On doit tenir comme instruits les brahmes qui


ont étudié l'Écriture sainte , les différents livres de la
loi qui en découlent , et qui peuvent tirer des argu
ments et des preuves des livres révélés .

« Que personne ne conteste une vérité décidée par


une assemblée de brahmes vertueux , qui sont réunis
au nombre de dix ou de trois .

**

« L'assemblée , composée de dix brahmes , doit ren


fermer : trois savants pundits versés dans les livres
saints , un brahme connaissant le Nyaya , un autre
imbu de la doctrine du Mimansa , un érudit connais
sant le Niroucta , un légiste et un membre des trois
premiers ordres sacerdotaux ".

1. Les ouvrages dont parle cette strophe sont des commentaires


sur l'Écriture sainte d'une haute antiquité ; les brahmes du sud de
l'Indouslan regardent les copies qu'on en possède comme modernes
et tronquées.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 191

« Un brahme ayant particulièrement étudié le Rig.


Véda, un second connaissant spécialement l'Iadjour
Véda , et un troisième possédant le Sama-Véda for
ment le conseil de trois juges pour la solution de
toutes les affaires civiles et religieuses .

« La décision d'un seul brahme , versé dans la


sainte Écriture , doit être considérée comme une loi
de la plus grande autorité ; elle est supérieure à celle
de dix mille individus ne connaissant pas la doctrine
sacrée .

« Les brahmes qui ne suivent pas les règles du no


viciat, qui n'ont aucune connaissance de la sainte
Écriture et ne possèdent d'autre recommandation que
leur caste, seraient-ils au nombre de plusieurs mille ,
ne pourraient être admis à former une assemblée
légale .
192 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« La faute de celui à qui des gens ignorants dont


l'intelligence n'est qu'obscurité expliquent la loi qu'ils
ne connaissent pas eux-mêmes , retombera cent fois
plus lourde sur ces hommes ineptes .

« Les actes excellents qui conduisent à la beatitude


éternelle vous ont été déclarés ; le dwidja qui ne les
néglige pas obtient un sort très heureux.

..

« C'est ainsi que le puissant et glorieux Manou , par


complaisance pour les mortels , a révélé ces lois im
portantes , qui doivent être un secret pour les castes
indignes de les connaître .

« Que le brahme , réunissant toute son attention ,


voie dans l'Ame divine toutes choses visibles et invi
sibles , car, en considérant tout dans l'âme , il ne livre
pas son esprit à l'iniquité .

« L'âme est l'assemblage des dieux , l'univers repose


L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 193

dans l'Ame suprême ; c'est l'âme qui produit la série


d'actes accomplis par les êtres animés .

« Que le brahme contemple , en s'élevant par le se


cours de la méditation , l'éther subtil dans les cavités
de son corps , l'air dans son action musculaire et dans
les nerfs du toucher, la suprême lumière dans sa
chaleur digestive et dans ses organes visuels, l'eau
dans les fluides de son corps , la terre dans ses mem
bres .

« La lune dans son cæur , les saints des huit ré


gions dans son organe de l'ouïe , Vischnou dans sa mar
che, Hara dans sa force musculaire, Agni dans sa
parole , Mitra dans sa force excrétoire , Pradjapati
dans son pouvoir procréateur .

« Mais il doit se représenter le Grand Etre comme


le souverain maitre de l'univers, comme plus subtil
qu'un atome, comme aussi brillant que l'or pur, et
comme ne pouvant être conçu par l'esprit que dans le
sommeil de la contemplation la plus abstraite.
13
194 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Les uns l'adorent dans le feu, d'autres dans l'air .


Il est le Seigneur des créatures, l'éternel Brahma.

« C'est lui qui , enveloppant tous les êtres d'un


corps formé de cinq éléments , les fait passer succes
sivement de la naissance à l'accroissement, de l'ac
croissement à la dissolution , par un mouvement sem
blable à celui d'une roue .

* Ainsi l'homme qui reconnaît , dans sa propre âme,


l'Ame suprême présente dans toutes les créatures,
comprend qu'il doit se montrer bon et loyal pour
tous, et il obtient le sort le plus heureux qu'il puisse
ambitionner , celui d'être à la fin absorbé dans
Brahma .

« Ainsi a parlé Manou, et le sage qui lit et observe


les prescriptions de ce Livre de la loi pratique le bien
et obtiendra la félicité suprême . »
-

-
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 195

Toute la doctrine religieuse des brahmes est conte


nue dans ces pages remarquables , comme tous les sys
tèmes philosophiques et modernes s'y trouvent en
germe . L'antiquité tout entière a partagé ces
croyances.

« La transmigration des âmes, dit Manethon , pré


tre de Sebenyte , est le dogme le plus important de
l'Egypte. »
Bouddah , chassé de l'Inde , vulgarisa cette doctrine
dans l'Indo -Chine .
Zoroastre la transporta en Perse .
Pythagore, retour de l’Asie, l'enseigna en Grèce .
Et César la retrouvait en Gaule .

« Droides imprimis hoc volunt persuadere, non in


terire animas, sed ab aliis post mortem transire ad
alias , atque hoc maxime ad virtutem excitari putant
metu mortis neglecto . »

Socrate et Platon ne repoussèrent pas cette croyance ,


et Origène et plusieurs docteurs de l'Eglise tentèrent
de l'introduire dans la foi catholique.
Elle ne fut définitivement condamnée qu'au concile
de Nicée , où il se trouva encore une imposante mi
norité pour la soutenir.
196 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Cette doctrine est exactement celle des Védas , et
là , comme dans tout son ouvrage, Manou n'a été qu'un
fidèle écho des vieilles traditions védiques.
CHAPITRE XXIV

INDRA VÉDIQUE

Bien que nous ne nous occupions dans cet ouvrage


que de la mythologie de Manou et de l'Olympe brah
manique , c'est-à-dire des dieux dont les prêtres du
culte vulgaire ont peuplé leur ciel pendant la période
de leur domination politique , chaque fois que nous
rencontrerons un dieu de celte période, que l'on
puisse rencontrer dans le Véda , nous le signalerons .
Indra est un des dieux le plus souvent nommé dans
les vieux livres sacrés de l'Inde. C'est la plus grande
figure du Rig - Véda, plus de cent hymnes lui sont
consacrés dans cet ouvrage. En voici un à titre de
spécimen :

« Indra est plus étendu que le ciel , plus grand que


199 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
la terre, terrible et fort : il est le défenseur des hom
mes , et il s'enflamme et il aiguise son trait foudroyant,
comme le taureau qui aiguise ses cornes .

« Océan aérien , il est comme la mer, et reçoit dans


son sein les vastes torrents du ciel . Indra , pour pren
dre part à nos libations , accourt avec l'impétuosité
du taureau , toujours prêt à prouver sa force dans le
combat pour mériter nos louanges . »

« O Indra, ce n'est pas pour toi que le nuage gros


sit comme une montagne , tu le peux pour nous et fais
jaillir la pluie, tu es le roi de ceux qui possèdent
l'opulence. Dieu puissant, c'est par des coups d'éclat
que tu nous apparais redoutable et prêt à toute atta
que.

« Il aime les hymnes que lui adressent les pieux soli


taires de la forêt, et par ses exploits , il se fait recon .
naitre des mortels . C'est quand le noble Maolavan
reçoit l'hommage de nos hymnes que son cœur est
flatté, et que par ses largesses il répond aux veux
de ses serviteurs ,
L'OLYMPE BRAIL MANIQUE . 199

« Soutien des mortels , avec une sainte vigueur, il


livre pour eux de grands combats, aussi les mortels
ont foi dans le brillant Indra qui frappe leurs enne
mis d'un trait mortel .

« Ami de la louange , de plus en plus fermé et vi


goureux , il détruit les demeures fondées par les As
souras, il empêche les splendeurs célestes d’être voi
lées, et pour le bonheur de celui qui offre le sacrifice
il fait descendre la pluie .

« () toi qui aime le Soma et qui écoute nos hymnes


avěč plaisir , dispose ton âme à la libéralité , dirige de
ce côté tes deux coursiers. Ceux que tu protèges , 0
Indra , sont parmi les écuyers les plus habiles à con .
duire un char , ni la ruse ni la violence ne sauraient
triompher de toi .

• Dans tes mains fa portes des richessés infinies,


200 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

ton corps divin est doué d'une force invincible. Tels


que des fontaines nombreuses, toutes les parties de ton
vaste corps , ô Indra, sont des sources de bienfaits et
d'œuvres salutaires.

« Avec l'empressement qui pousse le coursier vers


la cavale , qu'Indra vienne prendre les copieuses liba
tions que le père de famille a versées dans des coupes .
Faisons que le grand dieu , avide de nos offrandes,
arrête ici son char magnifique, tout resplendissant
d'or et attelé de deux chevaux azurés.

« Les poètes , chantres pieux et avides de ses fa.


veurs , entourent son autel, se rendant vers lui comme
les marchands vers la mer. Toi aussi , empresse -toi
de venir vers celui qui est le maitre de la force et la
vertu du sacrifice, de même que les femmes vont
vers la montagne pour y cueillir des fleurs.

« Il est rapide , il est grand. Dans les e avres viriles


sa valeur brille d'un éclat irréprochable , terrible à
nos ennemis et se voyant de loin , comme les cimes des
grands arbres sur les collines. Terrible, couvert d'une
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 201

cuirasse de fer , enivré de nos libations , il va au mi


lieu des génies dans l'antre où sont enchaînés les
nuages, braver le magicien Souchna .

« Quand la force divine , augmentée par les offran


des, vient pour ton bonheur s'unir à Indra , comme
le soleil à l'aurore , alors le Dieu qui par sa puissance
indomptable dissipe les ténèbres , soulève les clameurs
de ses ennemis et les précipite violemment dans la
poussière .

***

« Lorsque tu veux faire retirer les ondes , et


dans chaque partie du ciel restituer à l'air toute sa
pureté , alors , puissant Indra , dans ton ivresse qui
répand sur nous le bonheur, tu frappes Vritra avec
courage, et tu ouvres l'océan des pluies.

« C'est ta puissance, ô magnanime Indra , qui donne


à la terre les ondes du ciel . Enivré de nos libations,
tu fais jaillir l'eau de la mer, et d'une arme lancée
de ton bras nerveux , tu atteins Vritra .
20 ? L'OLYMPE BRAHMANIQUE.

« J'apporte mon hommage au dieu magnifique,


grand , riche, vrai et fort. Telle que le cours de ces
torrents qui descendent de la montagne , sa puissance
est irrésistible ; il ouvre à tous les êtres le trésor de
sa force et de son opu'ence .

« Ah ! sans doute le monde entier se dévoue à ton


culte ; les libations coulent en ton honneur non moins
abondantes que des rivières , quand on voit ta foudre
d'or , nouveauté vaniteuse , s'attacher sans relâche au
corps de Vritra, semblable à une montagne .

« Pour ce terrible , pour cet adorable Indra, viens ,


brillante aurore ,qui portes les offrandes du sacrifice :
ce dieu est fort, puissant et lumineux, il n'est Indra
que pour nous soutenir , comme le cheval est fait pour
porter .

* 0 Indra , trésor d'abondane et de louanges, nous


L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 203

sommes à toi ; en toi nous mettons notre confiance.


Les hymnes montent vers toi , et nul autre n'en est
plus digne . A toi sont nos chants de même que tous
les êtres sont à la terre .

« Indra , ta force est grande , et nous sommes tes


serviteurs : accomplis le vœu de celui qui te chante .
Ta forcé est aussi étendue que le ciel , et cette terre
se courbe de frayeur devant ta puissance .

« Dieu armé de la foudre, tu déchires avec ton


arme les flancs de Vritra , de cette large montagne
qui remplit les airs , et les ondes qu'elle retenait, par
toi ont retrouvé leur cours ; oui, tu possèdes la su
prême puissance. »

Ce dieu est sans contredit celui qui a été le plus


invoqué pendant la période patriarcale de l'Inde , par
le sacrificateur, le chantre et le poète qui se résu -
maient dans le père de famille .
Dans la mythologie védique, que nous publierons
prochainement, nous ferons connaitre d'une manière
204 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

complète cette curieuse figure, et les mythes dont elle


est sortie .
Chez les poètes de cette époque , les épithètes les
plus hyperboliques lui sont prodiguées sans cesse .
On l'appelle :
Gardien des hommes, roi des dieux et des mortels.
Dieu de l'éther , maitre souverain de la richesse,
protecteur puissant .
Dieu de la foudre qui est sa compagne .
Roi de l'univers, embrassant toute chose, comme la
roue embrasse tous ses rayons .

Le puissant par excellence , emplissant le ciel et la


terre de sa grandeur, créateur de tout ce qui existe .
Maitre des sacrifices , générateur de la prière, dieu
des hommes pieux .
Le premier parmi les dieux .
Le premier né .
Celui devant qui le ciel et la terre s'agenouillent.
Directeur du soleil .

Celui qui chasse la nuit pour faire place à l'aurore.


Le gardien des vaches célestes qui produisent l'am
rita , nourriture des dieux .
Le dieu dont le char est traité par mille chevaux .
Le dieu à la couleur d'or , né de la bouche de Pou
roucha, celui que l'homme doit préférer à tout , à la
richesse, à la puissance , même à son pèr: et à sa
mère, car il tient lieu de père et de mère à celui qui
l'invoque , et il est le double principe qui féconde tout
dans la nature .
Le père de Pracriti , la nature,
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 203

Le dieu des pénitents qui se réfugient dans les


forêts.
Etc. , etc.

La figure de ce dieu domine toute cette époque , la


remplit et semble avoir été considérée comme l'éma
nation directe de la pure Essence , dont tous les autres
dieux n'étaient que les serviteurs. Les stances sui
vantes d'une hymne de Bharadwadja , de la même
époque :

« Je chante cet Indra dont la force est triomphante ,


qui toujours vainqueur , ne peut jamais être vaincu ,
et que tout le monde invoque . Par tes hymnes relève
la grandeur de ce dieu indomptable , terrible et persé
vérant , de ce bienfaiteur des hommes .

« La grandeur de ce dieu libéral et fort, victorieux ,


brille au ciel et sur la terre . Il n'a point d'ennemi
qui lui soit égal , il n'y a point de dieu qui lui soit su
périeur, il possède toute force et toute sagesse .

* O dieu le plus sage d'entre les sages , tous les Dé


vas te célèbrent avec transport pour ta victoire rem
portée sur Vritra , quand pour prix de leurs hymnes
tu envoies la richesse de la pluie à la race souffrante
de tes serviteurs .
206 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« 0 Indra, le ciel et la terre et tous les dieux


immortels reconnaissent ta puissance ; Ô Dieu , ac
coutumé à créer des choses, admirables , fais ce que

tu n'as pas encore fait, inspire-nous des sacrifices qui


n'aient pas encore été accomplis sur la terre , inspire
nous des chants qui n'aient pas encore été chantés . »

Une histoire d'Indra et de toutes les légendes aut


quelles ce dieu a donné naissance serait certainement
l'histoire la plus complète que l'on pourrait faire des
croyances védiques.
CHAPITRE XXV

LE VISCHNOU DU MANAVA

Nous avons vu Vischnou , naitre du mythe trini


taire et faire partie de la triade brahmanique .
Brahma ,
Vischnou ,
Siva ,
représentant, dans le culte vulgaire, la triade initiale
Nara ,
Nari ,
Viradj .
Mais ce dieu de la décadence n'existe pas dans Ma
nou comme faisant partie de la triade . Dans tout l'ou
vrage de ce législateur, il n'est nommé qu'une seule
fois, dans les slocas suivants et sans aucune expli
cation .
208 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

* Que le brahme réunissant toute son attention


innée dans l'âme divine , toutes choses visibles et in
visibles, car en considérant tout dans l'âme, il ne livre
pas son esprit à l'iniquité.

« L'âme est l'assemblage des dieux ; l'univers re


pose dans l'âme suprême ; c'est l'âme qui produit la
série des actes accomplis par les êtres animés .

« Que le brahme contemple par le secours de la


méditation l'éther subtil, dans les cavités de son corps,
l'air dans son action musculaire, et dans les nerfs du
toucher, la suprême lumière du feu et du soleil dans
sa chaleur digestive et dans ses organes visuels ; l'eau
dans les fluides de son corps , la terre dans ses
membres .

« La lune dans son cour, les génies des huit ré


gions dans son organe de l'ouïe; Vischnou dans sa mar
che; Hora dans sa force musculaire, A ni dans sa pa
role, Mitra dans sa faculté méritoire, Pradjàpati dans
son pouvoir procréateur. »
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 209

Il est clair que Vischnou n'est qu'un dieu secon


daire. Manou a sans doute voulu parler du douzième
Adityas qui porte ce nom .
Les Adityas sont les dieux qui président à chaque
mois de l'année, ce sont des personnifications dis
tinctes du soleil . Dans les Pouranas , poème de la dé- ,
cadence , Vischnou , qui est alors la dernière per
sonne de la triade et le conservateur de tout ce qui
existe, est considéré comme le plus puissant des dieux ,
supérieur même à Brahma pour les mortels , en ce
sens qu'il est le dieu le plus écouté du maitre des
dieux .
CHAPITRE XXVI

LE VISCHNOU VÉDIQUE

Dans le Rig - Veda Vischnou est nommé une dizaine


de fois et possède quatre hymnes en son honneur;
nous allons en citer un qui démontre que déjà dans
ces temps reculés ses adorateurs lui accordaient une
grande puissance .

« Le mortel qui désire les bienfaits de l'illustre


Vischnou , s'il le sert , doit compter sur sa munificence;
que ce dieu , ami des hommes , soit honoré par tous
ceux qui prient .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE 211

« 0 Vischnou , toi qui exauces nos væux , montre


nous cette bonté qui s'étend sur tous les êtres, cette
bienveillance que rien ne peut distraire , comble-nous
de tes dons, envoie-nous des chevaux à la course
rapide, dispense-nous les biens les plus somptueux
et les troupeaux les plus riches.

« Ce dieu a mesuré en trois jours, dans sa grandeur,


ce monde brillant de cent rayons . Que Vischnou soit
célébré comme le plus rapide des êtres, mais sa gloire
est aussi dans sa brillante solidité .

« Vischnou a parcouru cette terre avec la pensée de


la donner aux hommes, enfants de Manou , les sages et
les peuples dévoués à ce dieu jouissent d'un bonheur
assuré. Il leur a fait une large habitation et une belle
existence .

« Rayonnant Vischnou, je chante ta gloire aujour


d'hui, moi qui suis maître dans ta science sacrée . Fai
ble, je célèbre un dieu fort tel que toi qui habites loin
de notre monde .
212 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« O Vischnou , pourquoi quitter ta forme sous la


quelle tu t'es écrié : « Je suis rayonnant. » Ne nous
cache pas cette beauté que nous avons admirée quand
tu es venu parmi nous .

« Ma bouche te présente cette offrande de louanges,


Ò Vischnou , dieu rayonnant . Accueille mon holo
causte , que mes hymnes, que mes chants ajoutent à
ta grandeur. Et vous , secondez-nous toujours de vos
bénédictions . »

Voici quelques strophes d'un autre hymne de Dir


ghatamas, de l'époque védique également, qui montre
que déjà l'élévation de Vischnou au rang de première
personne de la triade se faisait pressentir.

« Reçois-nous comme un ami heureux de nos liba


tions de beurre , magnifique , accessible et généreux .
C'est ainsi , ô Vischnou , que ta louange sera célébrée
par le sage et que le riche offrira l'holocauste en ton
honneur .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 213

« L'homme qui honore Vischnou antique et nouveau ,


qui embrase tout et qui nait pour le bonheur du monde ,
qui chante la grande naissance du grand dieu, oh
tient certainement l'abondanc .

« Chantres éclairés , célébrez l'avènement de ce dieu


antique , enfant du sacrifice, et reconnaissant sa puis
sance, dites : 0 Vischnou, tu es grand et nous im
plorons ta bonté.

« Que le royal Varouna, que les Aswins prennent


leur part du sacrifice offert à Vischnou , qui soutient
tout , et que les Marouts accompagnent. Vischnou a
développé la force suprême qui fait briller le jour , et
uni aux Marouts , ses amis , il a ouvert le pâturage
célest .

« Que le divin Vischnou , plus puissant que le puis


sant Indra , daigne se joindre à lui , que le dieu sage
qui siège en trois stations se plaise à notre sacrifice
et per mette à l'Arya. >>
I. " LTYPE FRAHMANIOL E.

SOL..es certainment en présence de la mo


dicati !. resthouse qui a fait de l'ischnou un des
truis dieux de la tria de lrahmanque . Les expressions
suivantes de l ...yone vélique semblent suffisamment

Tirdiquer .

< Chanties eciaires, celebrez l'avènement de ce


dieu antique, cérébrez l'avènement de ce dieu nou
veau ... Q ie le divin Vischnori , plus puissant qu'In
dra , etc. »

C : -s hymnes ont dù étre introduits dans le rituel


sacré par les braimes ; au moment où la devotion à
Vischnou s'était répandue dans le populaire, il était
nécessaire d'assigner au dieu une place plus élevée

dans l'Oiymre.
En cet et t . du reste. Vischnou allait jouer un rôle
im ; ortant , celui de directeur de l'humanité, qu'il va
venir éclairer et sauver dans de nombreuses avataras
ou incarnations .
CHAPITRE XXVII

LES AVATARAS

Swayambouvha, l'être mystérieux , le principe des


principes , le type de tout ce qui existe , qui ne peut
étre ni perçu par l'intelligence , ni perçu par les
sens, se manifeste , prend une forme dans la triade
primitive .

Nara ,
Nari ,
Viradj,

pour créer l'univers ; c'est ce que les brahmes appellent


l'incarnation cé'este dans l'Ether .

Donc Dieu s'incarne pour créer et faire émaner


tous les êtres de sa propre substance. La triade , c'est
donc Dieu manifesté dans l'infini .
216 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

A son tour la triade procède de même , et elle se


manifeste sur la terre en prenant une forme visible ,
chaque fois que cela est utile pour l'accomplissement
de leur mission dans l'univers .
Après la création , Brahma , directeur souverain ,
resté au repos, surveillant pour ainsi dire l'ensemble
de l'æuvre , dans les innombrables poèmes religieux
de l'Inde . C'est à peine si on le voit apparaître quatre
ou cing fois à des pénitents célèbres , qui à force d'aus
térités ont obtenu que le dieu se manifestât à eux.
Mais il n'en est pas de même de Vischnou et de
Siva , qui doivent leur appui constant à la création .
Siva n'accomplit jamais de vie terrestre ; ilapparait
inopinément quand il juge sa présence nécessaire .
Mais Vischnou s'incarne sous toutes sortes de formes,
et si quelquefois il apparait comme Siva , à ses adora
teurs , le plus souvent , il vient sur la terre sous forme
humaine . Les incarnations de ce dieu sont au nombre
de onze . Nous allons les donner dans la forme et l'or

dre où elles se sont produites .


CHAPITRE XXVIII

MATSIA -AVATARA

Le Matsia-Avatara est l'incarnation de Vischnou


en poisson .
Sous cette forme, lors du déluge universel dont la
tradition est purement indoue , Vischnou est venu
sauver les Védas ou Écriture sacrée qui allaient dispa
raitre sous les eaux .

De plus il a dirigé sur les flots l'arche de Vaivas


wata, qui fut ainsi préservée de la destruction avec
toute sa famille, un couple de tous les animaux exis
tants et des semences de toutes les plantes que le
pa
triarche avait recueillies par ordre des dieux .
Les Chaldéens ont la même tradition : c'est le puis
:

sant Oan qui , lors du déluge , sauva leurs traditions


et enseigna le principe des arts à ceux qui furent
sauvés .
CHAPITRE XXIX

LE VARAHA - AVATARA

Le Varaha - Avatara est l'incaroation de Vischnou

en sanglier .
Les exploits que les poètes indous prêtent au dieu
sous cette forme sont innombrables. Le haut fait
qui est le plus caractéristique de cette incarna
tion , puisqu'il fut la cause de sa venue sur la terre ,
est un combat singulier avec des milliers d'énormes
serpents qui couvraient la terre et menaçaient de la
rendre inhabitable .
Après une lutte qui dura de longues années, Vis
chnou parvint à les détruire tous ; c'est au souvenir
de ce fait que le serpent lui est dédié .
CHAPITRE XXX

LE COURMA -AVATARA

Le Courma-Avatara est l'incarnation de Vischnou


en tortue .
C'est sous cette forme que le dieu est venu remettre
sur sa base la terre , ébranlée par les batailles que se
livraient les géants , et ce haut fait accompli, il se dé
pouilla de la forme qu'il avait prise et fit passer l'âme
d'un des géants dans cette tortue, en la condamnant à
supporter le monde sur son dos jusqu'au retour du
prochain pralaya .
CHAPITRE XXXI

LE NARA - SINHA - AVATARA

L. Nara -Sinha -Avatara est l'incarnation de Vi:


chnou en héros, moitié homme , moitié lion . Ainsi
manifesté , Vischnou est venu livrer de terribles com
bats à cette race de géants qui infestaient la terre et
que la précédente incarnation n'avait print suffisam
ment mis à la raison , et il finit par les détruire tous.
On raconte que ces géants , ayant entassé montagnes
sur montagnes pour envahir le ciel , d'un seul coup de
pied Visch nou anéantit la base de la pyramide , et les
géants , renversés , furent écrasés sous les blocs de ro

chers qui s'écroulèrent sur eux .


CHAPITRE XXXII

LE BAMA -AVATARA

Le Bama - Avatara est l'incarnation de Vischnou


dans la personne d'un brahme nain du nom de Bama .
Sous cette forme le dieu vint sur la terre lutter
contre les doctrines hérétiques qui commençaient à
se glisser dans la croyance des peuples , et il rappela
les hommes à la véritable loi védique. Il n'eut pas de
peine à accomplir son @uvre , car l'humanité était en
core simple et bonne , le mal n'avait pas encore en
vahi la terre . Comme toutes les autres incarnations ,
il se signala en outre par des prodiges , des miracles
et des hauts faits qui tiennent de la légende .
191 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Les uns l'adorent dans le feu , d'autres dans l'air .


Il est le Seigneur des créatures, l'éternel Brahma.

« C'est lui qui, enveloppant tous les êtres d'un


corps forme de cinq éléments, les fait passer succes
sivement de la naissance à l'accroissement, de l'ac
croissement à la dissolution , par un mouvement sem
blable à celui d'une roue .

« Ainsi l'homme qui reconnait, dans sa propre åme,


l'Ame suprême présente dans toutes les créatures,
comprend qu'il doit se montrer bon et loyal pour
tous, et il obtient le sort le plus heureux qu'ilpuisse
ambitionner , celui d'être à la fin absorbé dans
Brahma .

« Ainsi a parlé Manou, et le sage qui lit et observe


les prescriptions de ce Livre de la loi pratique le bien
3
et obtiendra la félicité suprême. »
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 198

Toute la doctrine religieuse des brahmes est conte


nue dans ces pages remarquables , comme tous les sys
tèmes philosophiques et modernes s'y trouvent en
germe . L'antiquité tout entière a partagé ces
croyances .

« La transmigration des âmes , dit Manethon , pré


tre de Sebenyte , est le dogme le plus important de
l'Egypte. »

Bouddah , chassé de l'Inde , vulgarisa cette doctrine


dans l'Indo-Chine.
Zoroastre la transporta en Perse .
Pythagore , retour de l'Asie , l'enseigna en Grèce .
Et César la retrouvait en Gaule .

« Druides imprimis hoc volunt persuadere , non in


terire animas , sed ab aliis post mortem transire ad
alias , atque hoc maxime ad virtutem excitari putant
metu mortis neglecto . »

Socrate et Platon ne repoussèrent pas cette croyance ,


et Origène et plusieurs docteurs de l'Eglise tentèrent
de l'introduire dans la foi catholique.
Elle ne fut définitivement condamnée qu'au concile
de Nicée , où il se trouva encore une imposante mi
norité pour la soutenir.
$ 96 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Cette doctrine est exactement celle des Védas , et
là , comme dans tout son ouvrage , Manou n'a été qu'un
fidèle écho des vieilles traditions védiques .
CHAPITRE XXIV

INDRA VÉDIQUE

Bien que nous ne nous occupions dans cet ouyrage


que de la mythologie de Manou et de l'Olympe brah
manique , c'est-à-dire des dieux dont les prêtres du
culte vulgaire ont peuplé leur ciel pendant la période
de leur domination politique , chaque fois que nous
rencontrerons un dieu de cette période, que l'on
puisse rencontrer dans le Véda , nous le signalerons.
Indra est un des dieux le plus souvent nommé dans
les vieux livres sacrés de l'Inde. C'est la plus grande
tigure du Rig - Véda, plus de cent hymnes lui sont
consacrés dans cet ouvrage. En voici un à titre de
spécimen :

« Indra est plus étendu que le ciel , plus grand que


199 L'OLYMPE BRAHMANIQUE.

la terre, terrible et fort : il est le défenseur des hom


mes , et il s'enflamme et il aiguise son trait foudroyant,
comme le taureau qui aiguise ses cornes .

« Océan aérien , il est comme la mer, et reçoit dans


son sein les vastes torrents du ciel . Indra , pour pren

dre part à nos libations, accourt avec l'impétuo: ité


du taureau , toujours prêt à prouver sa force dans le
combat pour mériter nos louanges. »

« 0 Indra , ce n'est pas pour toi que le nuage gros


sit comme une montagne, tu le penix pour nous et fais
jaillir la pluie, tu es le roi de ceux qui possèdent
l'opulence. Dieu puissant, c'est par des coups d'éclat
que tu nous apparais redoutable et prêt à toute atta
que.

« Il aime les hymnes que lui adressent les pieux soli


taires de la forêt, et par ses exploits , il se fait recon
maitre des mortels. C'est quand le noble Maolavan
reçoit l'hommage de nos hymnes que son cæur est
fatté, et que par ses largesses il répond aux van
de ses serviteurs,
L'OLYMPE BRAINANIQUE . 193

« Soutien des mortels , avec une sainte vigueur, il


livre pour eux de grands combats , aussi les mortels
ont foi dans le brillant Indra qui frappe leurs enne
inis d'un trait mortel .

« Ami de la louange, de plus en plus ferm- et vi


goureux, il détruit les demeures fondées par les As
souras, il empêche les splendeurs célestes d’être voi
Jées , et pour le bonheur de celui qui offre le sacrifice
il fait descendre la pluie .

« () toi qui aime le Soma et qui écoute nos hymnes


avěc plaisir , dispose ton âme à la libéralité , dirige de
ce côté tes deux coursiers . Ceux que tu protèges , ô
Indra, sont parmi les écuyers les plus habiles à con .
duire un char , ni la ruse ni la violence ne sauraient
triompher de toi .

Dans les mains to portes des richesses infinies ,


200 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

ton corps divin est doué d'une force invincible . Tels


que des fontaines nombreuses, toutes les parties de ton
vaste corps , ô Indra , sont des sources de bienfaits et
d'oeuvres salutaires .

« Avec l'empressement qui pousse le coursier vers


la cavale , qu'Indra vienne prendre les copieuses liba
tions que
le père de famille a versées dans des coupes.
Faisons que le grand dieu , avide de nos offrandes,
arrête ici son char magnifique, tout resplendissant
d'or et attelé de deux chevaux azurés .

« Les poètes , chantres pieux et avides de ses fa.


veurs , entourent son autel, se rendant vers lui comme
les marchands vers la mer . Toi aussi , empresse - toi
de venir vers celui qui est le maitre de la force et la
vertu du sacrifice, de même que les femmes vont
vers la montagne pour y cueillir des fleurs.

« Il est rapide , il est grand. Dans les æuvres viriles


sa valeur brille d'un éclat irréprochable, terrible à
nos ennemis et se voyant de loin , comme les cimes des
grands arbres sur les collines . Terrible , couvert d'une
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 201

cuirasse de fer, enivré de nos libations , il va au mi


lieu des génies dans l'antre où sont enchaînés les
nuages , braver le magicien Souchna .

« Quand la force divine , augmentée par les offran


des, vient pour ton bonheur s'unir à Indra , comme
le soleil à l'aurore , alors le Dieu qui par sa puissance
indomptable dissipe les ténèbres , soulève les clameurs
de ses ennemis et les précipite violemment dans la
poussière .

Lorsque tu veux faire retirer les ondes , et


dans chaque partie du ciel restituer à l'air toute sa
pureté, alors , puissant Indra , dans ton ivresse qui
répand sur nous le bonheur , tu frappes Vritra avec
courage , et tu ouvres l'océan des pluies .

« C'est ta puissance , ô magnanime Indra , qui donne


à la terre les ondes du ciel . Enivré de nos libations ,
tu fais jaillir l'eau de la mer, et d'une arme lancée
de ton bras nerveux , tu atteins Vritra
202 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« J'apporte mon hommage au dieu magnifique,


grand , riche, vrai et fort. Telle que le cours de ces
torrents qui descendent de la montagne , sa puissance
est irrésistible ; il ouyre à tous les étres le trésor de
sa force et de son opulence .

« Ah ! sans doute le monde entier se dévoue à ton


culte ; les libations coulent en ton honneur non moins
abondantes que des rivières , quand on voit ta foudre
d'or , nouveauté vaniteuse, s'attacher sans relâche au
corps de Vritra , semblable à une montagne,

« Pour ce terrible , pour cet adorable Indra , viens,


brillante aurore ,qui portes les offrandes du sacrifice :
ce dieu est fort, puissant et lumineux, il n'est Indra
que pour nous soutenir , comme le cheval est fait pour
porter .

* O Indra , trésor d'abondanc et de louanges ,nous


L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 203

sommes à toi ; en toi nous mettons notre confiance .


Les hymnes montent vers toi, et nul autre n'en est
plus digne . A toi sont nos chants de même que tous
les êtres sont à la terre .

« Indra , ta force est grande, et nous sommes tes


serviteurs : accomplis le veu de celui qui te chante .
Ta force est aussi étendue que le ciel , et cette terre
se courbe de frayeur devant ta puissance .

« Dieu armé de la foudre , tu déchires avec ton


arme les flancs de Vritra , de cette large montagne
qui remplit les airs , et les ondes qu'elle retenait, par
toi ont retrouvé leur cours ; oui , tu possèdes la su
prême puissance. »

Ce dieu est sans contredit celui qui a été le plus


invoqué pendant la période patriarcale de l'Inde , par
le sacrificateur, le chantre et le poète qui se résu -
maient dans le père de famille .
Dans la mythologie védique , que nous publierons
prochainement , nous ferons connaitre d'une inanière
204 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

complète cette curieuse figure, et les mythes dont elle


est sortie .
Chez les poètes de cette époque , les épithètes les
plus hyperboliques lui sont prodiguées sans cesse .
On l'appelle :
Gardien des hommes , roi des dieux et des mortels.
Dieu de l'éther , maître souverain de la richesse ,

protecteur puissant .
Dieu de la foudre qui est sa compagne .
Roi de l'univers, embrassant toute chose, comme la
roue embrasse tous ses rayons .

Le puissant par excellence , emplissant le ciel et la


terre de sa grandeur , créateur de tout ce qui existe .
Maitre des sacrifices , générateur de la prière , dieu
des hommes pieux .
Le premier parmi les dieux .
Le premier né .
Celui devant qui le ciel et la terre s'agenouillent.
Directeur du soleil . '

Celui qui chasse la nuit pour faire place à l'aurore,


Le gardien des vaches célestes qui produisent l'am
rita , nourriture des dieux .
Le dieu dont le char est trainé par mille chevaux,
Le dieu à la couleur d'or , né de la bouche de Pon .
roucha, celui que l'homme doit préférer à tout, à la
richesse, à la puissance , même à son pèr : et à sa
mère, car il tient lieu de père et de mère à celui qui
l'invoque , et il est le double principe qui féconde tout
dans la nature .
Le père de Pracriti , la nature.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 203

Le dieu des pénitents qui se réfugient dans les


forêts.
Etc. , etc.
La figure de ce dieu domine toute cette époque , la
remplit et semble avoir été considérée comme l'éma
nation directe de la pure Essence , dont tous les autres
dieux n'étaient que les serviteurs. Les stances sui
vantes d'une hymne de Bharadwadja , de la même
époque :

« Je chante cet Indra dont la force esć triomphante ,


qui toujours vainqueur, ne peut jamais être vaincu ,
et que tout le monde invoque . Par tes hymnes relève
la grandeur de ce dieu indomptable , terrible et persé
vérant, de ce bienfaiteur des hommes .

« La grandeur de ce dieu libéral et fort, victorieux ,


brille au ciel et sur la terre . Il n'a point d'ennemi
qui lui soit égal , il n'y a point de dieu qui lui soit su
périeur, il possède toute force et toute sagesse .

« O dieu le plus sage d'entre les sages , tous les Dé


vas te célèbrent avec transport pour ta victoire rem
portée sur Vritra , quand pour prix de leurs hymnes
tu envoies la richesse de la pluie à la race souffrante
de tes serviteurs .
206 L'OLYMPE BRAHMANIQUE.

« 0 Indra, le ciel et la terre et tous les dieux


immortels reconnaissent ta puissance ; ô Dieu, ac
coutumé à créer des choses, admirables , fais ce que
tu n'as pas encore fait, inspire-nous des sacrifices qui
n'aient pas encore été accomplis sur la terre, inspire
nous des chants qui n'aient pas encore été chantés . »

Une histoire d'Indra et de toutes les légendes aux


quelles ce dieu a donné naissance serait certainement
l'histoire la plus complète que l'on pourrait faire des
croyances védiques.
CHAPITRE XXV

LE VISCHNOU DU MANAVA

Nous avons vu Vischnou , naitre du mythe trini


taire et faire partie de la triade brahmanique.
Brahma ,
Vischnou ,
Siva ,
représentant , dans le culte vulgaire, la triade initiale
Nara ,
Nari ,
Viradj .
Mais ce dieu de la décadence n'existe pas dans Ma
nou comme faisant partie de la triade . Dans tout l'ou
vrage de ce législateur, il n'est nommé qu'une seule
fois, dans les slocas suivants et sans aucune expli
cation .
208 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Que le brahme réunissant toute son attention
innée dans l'âme divine , toutes choses visibles et in
visibles , car en considérant tout dans l'âme, il ne livre
pas son esprit à l'iniquité .

« L'âme est l'assemblage des dieux ; l'univers re


pose dans l'âme suprême ; c'est l'âme qui produit la
série des actes accomplis par les êtres animés .

« Que le brahme contemple par le secours de la


méditation l'éther subtil , dans les cavités de son corps,
l'air dans son action musculaire , et dans les nerfs du
toucher, la suprême lumière du feu et du soleil dans
sa chaleur digestive et dans ses organes visuels ; l'eau
dans les fluides de son corps , la terre dans ses
membres .

**

« La lune dans son cour , les génies des huit ré


gions dans son organe de l'ouïe ; Vischnou dans sa mar
che; Hora dans sa force musculaire , A : ni dans sa pa
role , Mitra dans sa faculté méritoire , Pradjàpati dans
son pouvoir procréateur. »
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 209

Il est clair que Vischnou n'est qu'un dieu secon


daire . Manou a sans doute voulu parler du douzième
Adityas qui porte ce nom .
Les Adityas sont les dieux qui président à chaque
mois de l'année , ce sont des personnifications dis
tinctes du soleil . Dans les Pouranas , poème de la dé
cadence, Vischnou , qui est alors la dernière per
sonne de la triade et le conservateur de tout ce qui
existe , est considéré comme le plus puissant des dieux ,
supérieur même à Brahma pour les mortels , en ce
sens qu'il est le dieu le plus écouté du maître des
dieux.
CHAPITRE XXVI

LE VISCHNOU VÉDIQUE

Dans le Rig Veda Vischnou est nommé une dizaine


de fois et possède quatre hymnes en son honneur;
nous allons en citer un qui démontre que déjà dans
ces temps reculés ses adorateurs lui accordaient une
grande puissance.

« Le mortel qui désire les bienfaits de l'illustre


Vischnou , s'il le sert , doit compter sur sa munificence ;
que ce dieu , ami des hommes , soit honoré par tous
ceux qui prient .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE

« O Vischnou, toi qui exauces nos væux , montre


nous cette bonté qui s'étend sur tous les étres , cette
bienveillance que rien ne peut distraire, comble -nous
de tes dons , envoie -nous des chevaux à la course
rapide, dispense- nous les biens les plus somptueux
et les troupeaux les plus riches .

« Ce dieu a mesuré en trois jours , dans sa grandeur,


ce monde brillant de cent rayons . Que Vischnou soit
célébré comme le plus rapide des êtres , mais sa gloire
est aussi dans sa brillante solidité .

« Vischnou a parcouru cette terre avec la pensée de


la donner aux hommes , enfants de Manou , les sages et
les peuples dévoués à ce dieu jouissent d'un bonheur
assuré. Il leur a fait une lar e habitation et une belle
existence.

« Rayonnant Vischnou , je chante ta gloire aujour


d'hui, moi qui suis maitre dans ta science sacrée. Fai
ble, je célèbre un dieu fort tel que toi qui habite loin
s
de notre monde .
212 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« O Vischnou , pourquoi quitter ta forme sous la


quelle tu t'es écrié : « Je suis rayonnant . » Ne nous
cache pas cette beauté que nous avons admirée quand
tu es venu parmi nous .

« Ma bouche te présente cette offrande de louanges ,


Ò Vischnou , dieu rayonnant. Accueille mon holo
causte , que mes hymnes , que mes chants ajoutent à
ta grandeur. Et vous, secondez - nous toujours de vos
bénédictions. »

Voici quelques strophes d'un autre hymne de Dir


ghatamas, de l'époque vélique également , qui montre
que déjà l'élévation de Vischnou au rang de première
personne de la triade se faisait pressentir.

« Reçois -nous comme un ami heureux de nos liba


tions de beurre , magnifique, accessible et généreux.
C'est ainsi, ô Vischnou , que ta louange sera célébrée
par le sage et que le riche offrira l'holocauste en ton
honneur .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 213

« L'homme qui honore Vischnou antique et nouvean ,


qui embrase tout et qui nait pour le bonheur du monde,
qui chante la grande naissance du grand dieu , ob
tient certainement l'abondanc ?.

***

« Chantres éclairés , célébrez l'arènement de ce dieu


antique , enfant du sacrifice, et reconnaissant sa puis
sance, dites : 0 Vischnou, tu es grand et nous im
plorons ta bonté .

« Que le royal Varouna, que les Aswins prennent


leur
part du sacrifice offert à Vischnou , qui soutient
tout , et que les Marouts accompagnent. Vischnou a
développé la force suprême qui fait briller le jour, et
uni aux Marouts , ses amis , il a ouvert le pâturage
célest ,

« Que le divin Vischinou , plus puissant que le puis


sant Indra , daigne se joindre à lui, que le dieu sage
qui siège en trois stations se plaise à notre sacrifice
et permette à l'Arya . »
211 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

Nous sommes certainement en présence de la mo


dification mythologique qui a fait de Vischnou un des
trois dieux de la triade brahmanique. Les expressions
suivantes de l'hymne védique semblent suffisamment
l'indiquer .

« Chantres éclairés , célébrez l'avènement de ce


dieu antique, célébrez l'avènement de ce dieu nou
veau ... Que le divin Vischnou , plus puissant qu'In
dra, etc. »

Ces hymnes ont dû être introduits dans le rituel


sacré par les brahmes ; au moment où la dévotion à
Vischnou s'était répandue dans le populaire, il était
nécessaire d'assigner au dieu une place plus élevée
dans l'Olympe.
En cet état , du reste , Vischnou allait jouer un rôle
important, celui de directeur de l'humanité, qu'il va
venir éclairer et sauver dans de nombreuses avataras
ou incarnations.
CHAPITRE XXVII

LES AVATARAS

Swayambouvha, l'être mystérieux, le principe des


principes , le type de tout ce qui existe, qui ne peut
étre ni perçu par l'intelligence, ni perçu par les
sens , se manifeste, prend une forme dans la triade
primitive.
Nara ,
Nari ,
Viradj ,
pour créer l'univers; c'est ce que les brahmes appellent
l'incarnation céleste dans l'Ether.
Donc Dieu s'incarne pour créer et faire émaner
tous les êtres de sa propre substance . La triade, c'est
donc Dieu manifesté dans l'infini,
216 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
A son tour la triade procède de même, et elle se
manifeste sur la terre en prenant une forme visible ,
chaque fois que cela est utile pour l'accomplissement
de leur mission dans l'univers .
Après la création , Brahma , directeur souverain ,
resté au repos , surveillant pour ainsi dire l'ensemble
de l'ouvre , dans les innombrables poèmes religieux
de l'Inde . C'est à peine si on le voit apparaitre quatre
ou cinq fois à des pénitents célèbres , qui à force d'aus
térités ont obtenu que le dieu se manifeståt à eux.
Mais il n'en est pas de même de Vischnou et de
Siva , qui doivent leur appui constant à la création .
Siva n’accomplit jamais de vie terrestre ; il apparait
inopinément quand il juge sa présence nécessaire .
Mais Vischnou s'incarne sous toutes sortes de formes ,
et si quelquefois il apparaît comme Siva , à ses adora
teurs , le plus souvent , il vient sur la terre sous forme
humaine . Les incarnations de ce dieu sont au nombre
de onze . Nous allons les donner dans la forme et l'or

dre où elles se sont produites .


CHAPITRE XXVIII

MATSIA -AVATARA

Le Matsia -Avatara est l'incarnation de Vischnou


en poisson .
Sous cette forme, lors du déluge universel dont la
tradition est purement indoue , Vischnou est venu
sauver les Védas ou Écriture sacrée qui allaient dispa
raitre sous les eaux .
De plus il a dirigé sur les flots l'arche de Vaivas
wata , qui fut ainsi préservée de la destruction avec
toute sa famille, un couple de tous les animaux exis
tants et des semences de toutes les plantes que le pa
triarche avait recueillies par ordre des dieux .
Les Chaldéens ont la même tradition : c'est le puis
sant Oan qui , lors du déluge, sauva leurs traditions
et enseigna le principe des arts à ceux qui furent
sauvés .
CHAPITRE XXIX

LE VARAHA- AVATARA

Le Varaha-Avatara est l'incaroation de Vischnou


en sanglier.
Les exploits que les poètes indous prêtent au dieu
sous cette forme sont innombrables. Le haut fait
qui est le plus caractéristique de cette incarna
tion , puisqu'il fut la cause de sa venue sur la terre ,
est un combat singulier avec des milliers d'énormes
serpents qui couvraient la terre et menaçaient de la
rendre inhabitable .
Après une lutte qui dura de longues années, Vis
chnou parvint à les détruire tous ; c'est au souvenir
de ce fait que le serpent lui est dédié .
CHAPITRE XXX

LE COURMA - AVATARA

Le Courma.Avatara est l'incarnation de Vischnou


en tortue .

C'est sous cette forme que le dieu est venu remettre


sur sa base la terre , ébranlée par les batailles que se
livraient les géants , et ce haut fait accompli , il se dé
pouilla de la forme qu'il avait prise et fit passer l'âme
d'un des géants dans cette tortue , en la condamnant à
supporter le monde sur son dos jusqu'au retour du
prochain pralaya .
CHAPITRE XXXI

LE NARA - SINHA - AVATARA

L. Nara -Sinha -Avatara est l'incarnation de Vi:


chnou en héros, moitié homme, moitié lion . Ainsi
manifesté , Vischnou est venu livrer de terribles com
bats à cette race de géants qui infestaient la terre et
que la précédente incarnation n'avait print suffisam
ment mis à la raison , et il finit par les détruire tous.
On raconte que ces géants , ayant entassé montagnes
surmontagnes pour envahir le ciel , d'un seul coup de
pied Vischnou anéantit la base de la pyramide, et les
géants , renversés, furent écrasés sous les blocs de ro

chers qui s'écroulèrent sur eux .


CHAPITRE XXXII

LE BAMA -AVATARA

Le Bama - Avatara est l'incarnation de Vischnou


dans la personne d'un brahme nain du nom de Bama .
Sous cette forme le dieu vint sur la terre lutter
contre les doctrines hérétiques qui commençaient à
se glisser dans la croyance des peuples , et il rappela
les hommes à la véritable loi védique. Il n'eut pas de
peine à accomplir son @uvre , car l'humanité était en
core simple et bonne , le mal n'avait pas encore en
vahi la terre . Comme toutes les autres incarnations ,

il se signala en outre par des prodiges , des miracles


et des hauts faits qui tiennent de la légende .
CHAPITRE XXXIII

LE PARASSU - RAMA- AVATARA

Le Parassu - Rama - Avatara est l'incarnation de


Vischnou dans la personne du brahme Parassu-Rama .
Le but de sa mission fut le même que celui de Ra
ma , mais il se trouva en face de résistances qu'il dut
vaincre par les armes , et on le représente sous les
traits d'un guerrier fameux, qui soumit tout l'In
doustan et ensuite toute la terre à l'autorité des
brahmes.
Il fut en outre un penseur et un sage .
On lui attribue les maximes suivantes :

« Le sage montre un visage égal dans l'adversité et


la prospérité ; il ne se laisse ni abattre par l'une ni
enorgueillir par l'autre.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 223

« Le meilleur remède à toutes les souffrances, à


tous les maux , à tous les chagrins , c'est la vertu .

« Le soleil est la lumière du jour, la lune la lumière


de la nuit , les enfants vertueux sont la lumière des
familles.

« Dans les afflictions, la misère et l'adversité, on


reconnaît ses véritables amis .

« On connait l'homme courageux dans le danger,


et sa femme dans le malheur .

« Craignez le courant d'une rivière , les griffes des


bêtes fauves et la reconnaissance des rois . »
CHAPITRE XXXIV

LE RAMA - AVATARA

Le Rama-Avatara est l'incarnation de Vischnou


dans la personne de Rama , roi d'Aodya (Aoude) .
Ce prince continue la série des héros, sages, rois
et demi-dieux que les brahmes ont élevés au rang des
dieux et à la dignité plus élevée encore de dieu in
carné, parce qu'ils ont été les protecteurs des prêtres
et en même temps les esclaves et fidèles exécuteurs de
leurs volontés .
L'Inde entière était soumise , seule l'ile de Lanka
avait résisté au joug brahmanique, protégée par son
éloignement et l'Océan , qui lui faisait comme un rem
part naturel de ses eaux ; Rama fut chargé de la con
quête . L'enlèvement de sa femme en fut , dit-on , le
prétexte .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 223

Cette guerre lointaine dura plus de vingt années ;


lorsque Rama revint dans Asgartha , sa capitale,après
avoir soumis la grande ile et tué Ravana , roi du pays,
de sa propre main ; vieilli par les fatigues sans nombre
qu'il avait supportées , il n'aspirait plus qu'au repos .
Il fut jusqu'à la fin de sa vie un instrument docile en
tre les mains des brahmes , qui naguère redoutaient
son audace . On avait envoyé le jeune tigre user ses
griffes contre les rochers de Lanka , et il était revenu
vieilli , fatigué , obéissant. A aucune époque , les
brahmes ne furent plus puissants ; il récompensèrent
Rama en le représentant comme une incarnation de
Vischnou .
Rama fut le héros du vieux poème sanscrit, le Ra
mayana .
Je reviendrai bientôt sur la légende vulgaire qui
s'est formée autour de cette curieuse figure.

15
CHAPITRE XXXV

LE BĂLA - RAMA -AVATARA

Le Bala -Rama -Avatara estl'incarnation de Vischnou


dans la personne de Bala - Rama, roi d'Aodya égale
ment .
Ce personnage mythologique parait être un chef
énergique au service des brahmes-prêtres, dont ils se
sont servis pour contenir l'esprit de révolte qui me
naçait à tout moment d'envahir et de dissoudre la so
ciété théocratique qu'ils avaient fondée.
Quoiqu'ils eussent pris d'avance toutes les pré
cautions possibles pour supprimer toute possibi
lité de soulèvement contre leur autorité de la part
des masses, ils ne purent se prémunir contre les luttes
d'ambition et d'orgueil qui devaient tôt ou tard divi -
ser leurs chefs et leurs gouverneurs de provinces.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 227

Si les masses étaient calmes , obéissantes , serviles ,


il n'en était pas de même des castes brahmes et xcha
trias , rois et prêtres, qui toutes deux dans une po
sition égale de puissance et de richesses, n'étaient
occupés les brahmes qu'à maintenir les xchatrias
sous leur domination , les xchatrias qu'à se soustraire
à l'autorité des brahmes. La plupart des commande
ments de provinces étaient devenus héréditaires : ce
fut la grande faute des brahmes , ils venaient d'élever
en face d'eux une puissance qui devait plus tard éclip
ser la leur.
Bala-Rama , qu'on nous représente comme une in
carnation de Vischnou , parvint à noyer dans des flots
de sang les premiers soulèvements des rajahs pour se
rendre indépendants, et il les força à subir de nouveau
le joug théocratique.
CHAPITRE XXXVI

LE BOUDDAH-AVATARA

Le Bouddah-Avatara est l'incarnation de Vischnou


dans la personne de Bouddah .
On connait ce réformateur qui est venu prêcher
l'abolition des castes , l'égalité des hommes sur la terre
et dans le ciel . Les brahmes, après avoir éteint dans
le sang et dans le feu des bûchers cette tentative de
réforme, à ce point qu'on ne trouverait pas un seul
bouddhiste dans l'Inde entière, jugèrent à propos
d'escamoter Bouddah pour mieux le détruire , et ils
l'ont élevé à la dignité d'incarnation de Vischnou
dans leur Panthéon. Seulement ils ne lui rendent
aucun honneur et aiment peu , même encore aujour
d'hui , parler de cet avatar.
Les prêtres du culte vulgaire, qui ne sont pas plus
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 229

génés pour l'histoire que les nôtres, ont même in


venté une fable des plus singulières pour inspirer au
menu peuple des castes infimes une sainte horreur de
Bouddah .
Ils prétendent que Bouddah n'est pas encore venu
sur la terre , qu'à son apparition il viendra prêcher
l'athéisme aux hommes , jettera même les dieux dans
l'erreur . On verra dans ces temps malheureux les
soudras porter des habits rouges , couleur réservée
aux brahmes , apprendre la science et même les Védas ,
les prêtres ne rempliront plus leurs devoirs , les en
fants n'obéiront plus à leurs parents , les peuples aux
rois , les rois eux -mêmes imiteront par leur conduite
ce qu'il y a de plus vil et de plus méprisable parmi les
hommes , la terre elle-même se ressentira de ce désor
dre universel . Ce sera le commencement de la fin du
monde .
CHAPITRE XXXVII

LE KALKI -AVATARA

Il y a deux versions sur cet avatara : je les donne


toutes deux .
Le Kalki-Avatara n'a pas encore eu lieu . Les deux
traditions sont d'accord sur ce point .
D'après certains brahmes des Agrharas du nord ,
Vischnou viendra sur la terre pour mettre fin à la pé
riode du mal qui a commencé avec le Kaly -youya ou
åge du mal .
Il paraîtra sous la forme d'un cheval , il sera de
taille gigantesque , il aura pour arme une hache d'une
grandeur extraordinaire ; sa voix ressemblera au
bruit du tonnerre ; ses cris répandront partout la
terreur ; voyant que son père et sa mère ne sont que
des pécheurs comme le commun des mortels, il les
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 231

immolera aussi à så vengeance. Après cela naitra un


nouvel âge, où la vertu seule et le bonheur règneront
sur la terre .
Les brahmes du sud prétendent , au contraire , que
Vischnou reviendra sur la terre pour combattre le
cheval Kalki et sauver le monde. C'est la lutte per
pétuelle du bien et du mal , qui forme le fond de
toutes les religions , aussi bien des modernes que de
celles de l'antiquité .
Il y a dans tout cela un parfum de cheval de l'A
pocalypse, qui nous montre que celui du Nouveau
Testament pourrait bien venir de la même tradition .
CHAPITRE XXXVIII

CHRISTNA -AVATARA

Le Christna-Avatara est l'incarnation de Vischnou


dans la personne de Christna . Nous avons suffisam
ment étudié cette légende dans nos deux ouvrages :
la Bible dans l'Inde et Christna et le Christ, pour n'a
voir pas à y revenir longuement ici . Nous nous bor :
nerons à rappeler les principaux événements de sa
vie d'une façon très sommaire et à indiquer l'esprit
de sa doctrine .
Christna est né de la vierge Devanaguy ou Devaky ,
deux noms qui signifient créé par Dieu .
Kansa , tyran de Madura , oncle de la jeune vierge,
ayant vu en songe qu'il serait détrôné par l'enfant
que sa nièce portait dans son sein , la fit enfermer
dans une tour ; mais la nuit même de son accouche .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 233

ment, la jeune mère fut délivrée par un ange , et elle


s'enfuit avec l'enfant divin chez un berger du nom
de Nanda .
Kansa , furieux, pour atteindre plus sûrement sa
victime, ordonna le massacre de tous les enfants nés
la même nuit que Christna ; les soldats arrivèrent
dans la bergerie de Nanda et déjà Davanaguy croyait
son fils perdu lorsque l'enfant, s'échappant des bras
de sa mère , grandit subitement de façon à atteindre
la taille d'un enfant de sept ans , et se mit à jouer
avec les bergers . Les soldats passèrent sans se douter
de rien .
Christna commença à prêcher dès l'âge de onze
ans ; il s'entoura de disciples et parcourut tout l'In
doustan , prêchant la morale la plus pure que le
monde ait encore encore entendue . Pour affirmers a
mission , il frappait les yeux par les prodiges les plus
singuliers , ressuscitait les morts , rendait l'ouïe aux
sourds, la vue aux aveugles , chassait les démons ,
marchait sur les eaux et entraînait d'immenses foules
de peuples à sa suite .
Il finit par mourir victime de la vengeance des
prêtres dont il avait signalé la corruption .
Il fut percé de flèches et cloué contre un arbre...
Après avoir donné ce suprême exemple aux hommes
de mourir pour le bien , il s'éleva au ciel dans un
nuage d'or.
CHAPITRE XXXIX

UNE LÉGENDE DE RAMA

Ce n'est qu'à titre d'exception que je puiş parfois


m'arrêter dans cette course à travers la mythologie
indoue et signaler quelques-uns des innombrables
épisodes de la vie des dieux et des héros qui peuplent
le Panthéon brahmanique.
Voici une des légendes de l'incarnation de Vischnou
en Rama , qui sert à exercer la mémoire des jeunes
enfants dans le sud de l'Indoustan :

« Rama ou Vischnou incarné sous ce nom èut pour


père Datcharada , roi d'Aodya, etpourmère Kohoulia .
Il passa les premières années de sa vie dans les
bois , sous la conduite du pénitent Gautama .
Ce fut là que, ayant touché par mégarde avec son
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 238

pied la déesse Ohalia , qui avait été changée en pierre


par la malédiction d'un pénitent , il lui rendit la vie
et sa forme première .
Il alla ensuite à la cour de Djamandagny , roi de
Militta ; ce prince , témoin de plusieurs de ses pro
messes, lui proposa de tendre l'arc de Siva , ce qu'au
cun roi de la terre n'avait été jusqu'alors capable
d'exécuter.
Rama en vint aisément à bout , et Sita , fille du roi
de Militta , fut la récompense de cet exploit .
Avant que ce mariage n'eût lieu , un géant jaloux
de lui , envoya deux énormes serpents pour le dévo
rer ; mais Rama les tua tous les deux . Il eut encore à
exécuter une foule d'exploits que lui suscitèrent les
magiciens, ses ennemis . Voici les plus célèbres :
Il étouffa un lion entre ses bras ;
Lutta contre une armée de centaures qui avaient
envahi les Etats de san bau -père ;

Dompta le taureau Doutcha qui était la terreur de


la terre et le rendit aussi doux qu'un mouton ;
Tua , dans un marécage, un monstre à tête de
femme qui assouvissait sa rage sur tous les voyageurs ;
Detourna de son cours le Brahmapoutre et força ce
Heuve à venir rendre hommage au Gange, le fleuve
şacré. C'est depuis cette époque que les deux grands
cours mélent leurs flots avant de se jeter dans l'Océan .
Il combattit l'éléphant furieux Nichdala, dont la
peau était d'airain et les défenses d'or ; l'animal fut
obligé de s'agenouiller devant son vainqueur .
Ces exploits accomplis , il put enfin épouser la jeune
et belle Sita .
236 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

Mais là ne se bornèrent pas les exploits du dieu ;


un volume ne suffirait pas à les dénombrer si je vou
lais simplement indiquer tous ceux que lui prêtent les
vieux poèmes sanscrits, qui ne tarissent pas sur ce
sujet.
Le mariage de Rama était à peine célébré que son
père le rappela auprès de lui pour lui livrer les rênes
de l'empire .
De retour à la maison paternelle , un jour qu'il s'a
musait à tirer des flèches, il en décocha une avec
tant de force que le bruit qu'elle produisit en partant
fit avorter la femme d'un brahme qui était présente .
Le mari , transporté de colère , appela à son secours
les plus terribles conjurations magiques et les accom
plit en prononçant les paroles suivantes :

« Que Rama ne possède jamais que les connais


sances départies au commun des mortels. »

Cette malédiction eut son effet, et il cessa de pos


séder les lumières inhérentes à la divinité .

Quelque temps après cet événement, Kochitchy,


quatrième femme de Datcharada , son père , désirant
ardemment obtenir la couronne pour son fils, alla
trouver Rama et le conjura avec les plus vives ins
tances de la lui céder .
Rama , qui songeait à mener la vie contemplative
y consentit .
Après avoir abdiqué l'empire , il se retira dans les
forêts , accompagné de son frère Latchoumana, et de
sa femme Sita
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 237

Un jour qu'il s'était écarté dans les bois , Latchou


mana coupa les oreilles à Sourpana , seur du géant à
dix têtes Ravana , roi de Lanka (ile de Ceylan ).
Ce monarque , indigné de l'insulte faite à sa seur ,
s'en vengea en enlevant Sita , femme de Rama .
Ce dernier, de retour à son ermitage, instruit du
malheur qui lui était survenu en son absence, fut pé
nétré de la plus vive douleur et ne pensa plus qu'aux
moyens de retirer sa chère Sita des mains de son ra
visseur.
Pour mieux réussir dans son dessein , il remonta
d'abord sur son trône et songea à se faire des al
liés .
En premier lieu, il contracta amitié avec Sangriva ,
roi des singes , auquel il rendit de grands services en
l'aidant à faire périr Baly, son frère, qui lui avait
longtemps disputé l'empire et qui en était alors en
possession .
Rama , impatient d'avoir des nouvelles de sa femme,
projeta d'envoyer sans plus de délai quelqu'un à
Lanka , pour y prendre des informations.
L'entreprise n'était pas facile attendu qu'il y avait
un bras de mer à traverser .
L'agilité héréditaire d'Annouma , fils du Vent et
généralissime de l'armée des singes , que Sangriva
avait envoyé au secours de son allié Rama, paraissait
le rendre plus propre que tout autre à une pareille
ambassade, aussi en fut-il chargé . Il se mit en route,
traversa le détroit en marchant à pied sec sur la sur
face des eaux et arriva à Ceylan .
Après bien des recherches inutiles , le général des
238 L'OLYMPÉ BRAHMANIQUE .

singes découvrit enfin un jour Sita dans un lieu soli


taire.
Sita , assise sous un arbre touffu ; plongée dans la
plus profonde affliction , arrosant la terre de ses lar
mes et poussant des sanglots qu'elle interrompait de
temps en temps pour maudire son triste sort, accabler
Ravana de malédictions et exprimer les regrets cui
sants qu'elle ressentait d'être séparée de son cher
Rama , auquel elle jurait une fidélité à toute épreuve,
quels que fussent les efforts que son perfide ravisseur
pourrait tenter pour la séduire.
Annouma s'empressa d'aller porter à Rama la
nouvelle de tout ce qu'il avait vu et entendu .
Rama conçut à l'instant le projet de construire
une digue sur le bras de mer pour frayer un passage
à son armée .
Le singe Annouma, chargé encore de cette entre
prise , se mit à déraciner les montagnes et les ro
chers : il portait chaque fois autant de pierres qu'il
avait de poils sur le corps, et les amoncelant les unes
sur les autres, il eut bientôt achevé la besogne et uni
l'ile de Lanka au continent .
Cependant Rama , avec son armée de singés , ne se
trouvant pas assez fort pour aller attaquer sonformi
dable ennemi , forma une nouvelle armée , composée
d'ours , et avec ce renfort il se disposa à traverser le
bras de mer .
Avant de se mettre en marche, il placa un línguam
sur la digue et il lui offrit un sacrifice solennel ; se
tournant alors vers son armée d'ours et de singes,' il
les harangua en ces termes :
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 239

« Brayes soldats , ne vous laissez pas effrayer par


le nom des géants que vous allez combattre ; leur
force leur devient inutile dès que les dieux ne sont
pas de leur côté .
« Avançons donc sans crainte et sans délai . Nous
marchons à une victoire certaine , puisque nous allons
combattre les ennemis des dieux . >>

A ces mots toute l'armée s'ébranle , traverse le dé


troit et pénètre dans Lanka , livre une quantité in
nombrable de combats aux géants , à la tête desquels
se trouve Ravana , et après avoir éprouvé pendant
vingt jours les vicissitudes de la fortune par des vic
toires et des défaites, Rama finit enfin par avoir le
dessus.
Ravana fut vaincu et tué , et Sita , cause de cette
terrible guerre , fut délivrée et ramenée en triomphe
à Aodya, sa patrie .
En quittant Lanka , Rama plaça sur le trône vacant
de l'ile, Bivichana , frère aîné de Ravana , en recon
naissance des services qu'il avait reçus de lui pen
dant la guerre , et il lui dit en le quittant qu'il por
terait la couronne aussi longtemps que subsisterait
le nom de Řama , par lui , ses fils, ses petits - fils et ses
descendants jusque dans la postérité la plus re
culée.

Quelque temps après son retour dans la capitale


d'Aodya , Rama étant, selon sa coutume, sorti de nuit
de son palais , pour connaitre secrètement ce qui se
passait dans la ville , il entendit dans un coin de rue
un blanchisseur qui se querellait vivement avec sa
240 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
femme sur la fidélité de laquelle il paraissait avoir
conçu de forts soupçons .
Dans sa colère , il voulait la chasser de sa maison ,
et il lui disait qu'il n'était pas homme à garder,
comme le faisait leur roi Rama , une femme qui avait
été au pouvoir d'un autre .
Ces dernières paroles furent un coup de foudre pour
Rama , qui ; pénétré de dépit et de douleur, retourna
chez lui . Il fit appeler Latchoumana , son frère, lui
fit part de ce qu'il venait d'entendre et lui ordonna de
s'emparer de Sita , de la conduire au loin dans la fo
rêt et de la faire mourir .
Latchoumana se mit aussitôt en devoir d'exécuter
les ordres de son frère. Cependant Sita était enceinte ,
et même déjà assez avancée dans sa grossesse , il eut
horreur de l'immoler en cet état et résolut de lui sau-
ver la vie .
Mais quel stratagème inventera - t-il pour persuader
à Rama que le forfait qu'il lui a commandé a été
accompli .
Dans la forêt où Sita avait été conduite par lui , il
se trouvait plusieurs de ces arbres qui , lorsqu'on
entame leur écorce , répandent un suc couleur de
sang
Latchoumana tend son arc, prend la flèche qu'il
avait destinée à percer le coeur de Sita , la décoche
contre un de ces arbres , la teint dans le suc qui en
découle et abandonne Sita à son malheureux sort.
Il va annoncer ensuite à Rama que sa vengeance
est satisfaite, et pour preuve il lui montre la flèche
teinte , dit-il , du sang de Sita .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 241

C'est depuis cette époque , et en mémoire de cet


événement, que le dernier jour de la fête militaire du
dassara, les princes vont tirer avec pompe des flèches
en rase campagne .
Seule et delaissée dans ce lieu sauvage, la pauvre
Sita fit éclater son désespoir en poussant des cris la
mentables et en versant un torrent de larmes .
Non loin de là , le pénitent Vasichta avait établi
son domicile. Surpris des accents plaintifs et des gé
missements qui frappent son oreille, il s'approche de
Sita, lui demande qui elle est et ce qui cause son af
Aiction .
L'infortunée, interrompant ses sanglots et prenant
un air plein de dignité qui remplit le pénitent d'une
crainte respectueuse , lui répondit en ces termes :

« Je suis Sita, j'ai eu le roi Sonatta pour père , la


terre pour mère et Rama pour époux . »

A ces mots , le pénitent , pénétré des senti


ments de la plus profonde vénération , se prosterna
devant la déesse, puis s'étant relevée et joignant les
mains , il lui dit :

« Illustre déesse, pourquoi vous livrer ainsi à la


douleur et au désespoir ? avez -vous donc oublié que
vous êtes la reine et la maitresse du monde, et que
c'est de vous que dépend le sort de toutes les créa
tures ? »

Il lui adressà encore quelques paroles de consola


16
242 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

tion et la conduisit à son ermitage , où il lui offrit le


sacrifice .

Peu de jours après Sita accoucha de deux jumeaux


que le pénitent Vasichta éleva avec autant de soin
que s'ils eussent été ses propres enfants.
Sur ces entrefaites, Rama ayant résolu de faire le
grand sacrifice de l'ekiam , lâcha le cheval qui devait
y servir de victime ; cet animal , après avoir parcouru
beaucoup de pays , vint à l'endroit où vivaient les

deux fils de Sita , et ceux-ci , pleins de force et de


courage quoiqu'ils ne fussent encore âgés que de cinq
ans , allèrent au - devant de lui et l'arrêtérent .
Rama fit demander son cheval, mais on refusa de
le lui livrer , et à ses menaces on lui répondit :

« Viens le prendrel »

Le singe Annouma, général des armées de Rama,


fut envoyé avec une armée considérable pour com
battre ces ennemis inconnus , et recouvra le cheval ,
mais il fut vaincu par eux , et obligé de chercher son
salut dans la fuite.
A la nouvelle de ce désastre Rama se mit lui -même
à la tête de toutes ses troupes , et vint en personne atta
quer les vainqueurs . Mais il fut vaincu à son tour par
les fils de Sita et taillé en pièces avec ses soldats , sans
qu'il en réchappât un seul .
Vasichta , instruit de cet événement , se rendit sur
le champ de bataille , qu'il trouya effectivement jon
ché de morts .
Touché de compassion , il prononça sur eux les
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 243

mentrams qui donnent la vie et les ressuscita tous.


Ramą retourną chez lui , mais il persista dans son
dessein d'accomplir le grand sacrifice de l'ekiam au
quel il invita tous les rois voisins , et tous les plus il
lustres brahmes dų pays ,
Mais ces derniers, consultés sur les moyens de faire
réussir le sacrifice, répondirent qu'il n'aurait aucun
succès, à moins que sa femme ne fût auprès de lui .
Après beaucoup de difficultés Rama consentit en
fin à la rappeler, et lui fit en apparence un bon ac
cueil,
En conséquence , le sacrifice du cheval réussit
parfaitement, Rama voulut alors répudier de nouveau
sa femme, et la renvoyer dans les bois , Mais tous les
rois présents intercédèrent en sa faveur. Rama ne céda
à leurs instances qu'à condition qu'elle prouverait, en
se soumettant à l'épreuve du feu, que sa vertu n'avait
subi aucune atteinte .
Sita , fière de son innocence , sortit avec honneur de
cette épreuve , et de plusieurs autres non moins dan
gereuses ; et malgré cela, elle ne put guérir son mari
de ses odieux soupçons et de son injuste jalousie.
Accablée enfin de confusion et de honte, elle versa
un torrent de larmes ; et , dans l'excès de son déses
poir, elle adressa à sa mère la prière suivante :

« O Terre , toi dontje tiens l'existence , justifie -moi,


en ce jour, aux yeux de l'univers , et s'il est vrai que
je n'aie jamais cessé d'être une femme vertueuse ,
rends un témoignage authentique à ma chasteté, en
t'ouvrant sous mes pieds et en m'engloutissant . »
244 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Elle n'eut pas plus tôt proféré ces paroles que la
Terre, exaucant ses voeux , l'ensevelit vivante dans son
sein .
Rama, dévoré par le chagrin et les remords, tarda
peu à suivre son épouse . Ayant partagé son royaume
entre ses deux fils, il se retira sur les bords du Gange :
là il vécut quelque temps dans la retraite et la péni
tence, puis termina sa carrière mortelle.

On doit comprendre maintenant pourquoi nous


avons tenu à donner dans son entier ce vieux conte
brahmanique, à lui seul , signe ethnographique bien
important, il réunit les trois légendes d'Hercule, du
siège de Troie, et de Geneviève de Brabant.
Ces trois légendes, qu'on retrouve du reste cent fois
répétées dans les poèmes indous, sont un écho trans
porté par les émigrants sur les terres nouvelles qu'ils
allaient coloniser, comme un souvenir de la vieille
mère patrie .
CHAPITRE XL

AGNI , DIEU DU FEU

Agni , dieu du feu, est un de plus grands dieux du


deuxième degré ; il est un des régents des huit points
cardinaux,celui du sud-ouest, il n'est cependant nommé
que deux fois dans Manou , dans les slocas suivants :

« Le maitre de maison peut convier un brahme à


celle des cinq oblations qui est en l'honneur des Må
nes, mais il n'en doit admettre aucun à celle qui est
adressée à tous les dieux .

« Après avoir préparé la nourriture destinée à être


L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
offerte à tous les dieux, que le dwidja fasse tous les
jours le feu domestique , l'oblation aux divinités sui
vantes avec les cérémonies d'usage.

« D'abord à Agni et à Rama séparément , puis aux


deux ensemble , ensuite aux dieux assemblés (Vis
was-Devas) et à Dhauwanteri . »
(MANOU, livre III. )

« Qui pourrait ne pas être détruit après avoir ex


cité la colère de ceux qui ont créé, par le pouvoir de
leurs imprécations , le feu , qui dévore tout, l'Océan,
avec ses eaux amères, et la lune dont la lumière s'é
teint et se ranime tour à tour ? >>

( Manou, livre IX . )

Agni , comme tous les dieux du Panthéon brahma


nique, accomplit les exploits les plus merveilleux : il
est le feu, il est le soleil , il est la lumière , la prière
et la gloire sous toutes ces formes, il protège les mor
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 217

tels ; ce type si brillant à l'époque védique passa dans


un rang inférieur à l'avènement de la triade brah
manique .
CHAPITRE XLI

AGNI DANS LA PÉRIODE VÉDIQUE

Agni partage, avec Indra, Mitra et Varouna , l'ad


miration des Indous pendant la période védique.
« L'esprit divin qui circule au ciel, a dit le Véda, on
l'appelle Agni , Indra , Mitra et Varouna. »
Il réunit dans l'Écriture sacrée les noms de :
Dieu du feu , roi, prêtre et pontife.
Messager du Dieu suprême, toujours jeune, tou
jours beau , Dieu avec mille yeux .
Dieu enfanté par la Nuit et l'Aurore, et à son tour il
reproduit ses propres mères .
Dieu qui transmet au maitre suprême l'offrande des
mortels.
-
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 249

Grand pacificateur, deux fois né.


Celui qui est nourri par trois déesses : la Nuit, l'Au
rore et le Jour, etc.
Enfin le Rig - Véda débute ainsi par un hymne à
Agni :

« Je chante Agni , le dieu prêtre et pontife, le ma


gnifique Agni , héraut du sacrifice .

« Qu'Agni , digne d'être chanté par les Richis an


ciens et nouveaux, rassemble ici tous les dieux .

« Que par Agni , l'homme obtienne une fortune


croissante et glorieuse, soutenue par une nombreuse
lignée .

« Agni , l'offrande pure que tu enveloppes de toutes


parts s'élève jusqu'aux dieux.

« Qu'avec les autres dieux , vienne vers nous Agni ,


250 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

le dieu sacrificateur, qui joint à la sagesse des œuvres


la vérité et l'éclat si varié de la gloire.

« Agni, toi, qui portes le nom d'Angiras, le bien


que tu feras à ton serviteur par le fait de sa recon
naissance , tournera à ton avantage .

* .

« Agni, chaque jour , soir et matin , nous venons


vers toi , t'apportant l'hommage de notre prière.

« A toi, gardien brillant de nos offrandes, splen


deur du sacrifice, à toi,qui grandis , au sein du foyer
que tu habites .

« Viens à nous , Agni , avec la bonté qu'un père a


pour son enfant, sois notre ami , notre bienfaiteur. »
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 251

C'est à Agni, comme chef des Angiras , que le poète


Gotama s'adresse en ces termes :

« Daigne écouter ces long ; hymnes qui font le


plaisir des dieux , et que ta bouche ravive nos holo
caustes .

« O Agni , le plus grand des Angiras ; le plus sage


d'entre les dieux, nous voulons t'adresser une prière
qui te soit chère et agréable .
*

« Parmi les mortels, ô Agni , quel est ton ami, quel


est celui qui se recommande par ses sacrifices ? Qui
es-tu, et en quel endroit t'es -tu retiré ?

« Agni, tu es le parent des mortels , tu es leur


ami chéri, tu es un compagnon digne des louanges de
compagnons
tes .

« Honore pour nous Mitra et Varouna , honore les


252 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
autres dieux par un large sacrifice. O Agni , viens oc
cuper le foyer qui t'est préparé .»

Pour beaucoup de poètes védiques, c'est Agni le feu


qui a créé et animé tout ce qui existe .

« Quand cet être divin , dit Dirghatamas , a pris un


corps pour créer, où était le sang, l'esprit et l'âme de
la terre ? »
CHAPITRE XLII

LES ADITYAS , PERSONNIFICATION DES FORMES DU SOLEIL

Sous ce nom , on comprend douze dieux qui président


à chacun des mois de l'année. Agni , Indra, Vischnou,
dont nous venons de nous occuper , en faisant partie,
nous suivons, en donnant cette liste, notre règle d'é
puiser tous les mythes qui se rattachent à chaque
grand dieu .
Vischnou préside au mois de février.
Indra préside au mois de mars .
Agni préside au mois d'avril.
Twachtri préside au mois de mai.
Vivaswat préside au mois de juin .
Dhâtri préside au mois de juillet .
Savitri préside au mois d'août.
Varouna préside au mois de septembre.
254 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

Mitra préside au mois d'octobre.


Aryama préside au mois de novembre.
Anson préside au mois de décembre.
Bhaga préside au mois de janvier.
Le poète Medhatithi leur offre l'oblation sacrée de
la manière suivante :

« Agni, la fête est préparée , viens avec tous les


dieux gouter de nos libations , et consommer le sa
crifice.

« Les enfants de Canwą t'appellent , o sage divinité,


ils chantent ta prudence , Agni , viens avec tous les
dieux .

« Ils chantent aussi Indra et Vayou , Vrihaspati ,


Mitra , Agni , Pouchan , Bhaya et les marouts, 8 Agni,
viens avec tous les adityas. »
CHAPITRE XLIII

ADITY , MÈRE DES ADITYAS

Le Panthéon brahmanique comprend plusieurs dées


ses qui portent ce nom ; celle dont nous nous occu
pons présentement est Adity, mère des douze adityas ,
dieux qui , nous venons de le voir, personnifient les
douze formes du soleil .
Dans ce sens , la déesse Adity représente l'ensem
ble de l'univers, organisé et animé, c'est une personni
fication de la nature entière,
Vrihaspati lui consacre, dans le Rig , l'hymne
suivant :

« Chantons les naissances des dieux , qui , célébrés


par nos hymnes, verront le jour dans l'âge à venir.
256 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Brahmanapati , tel qu'un artiste habile, le forme
de son souffle, les dieux existants naissent de ceux
qui n'existent plus, et qu'a vus l'âge précédent.

« Oui , les dieux existants naissent de ceux qui


n'existent plus , et qu'a vus l'âge précédent; ainsi ap
paraissent à l'horizon les régions célestes , ainsi
apparait Outtanapada.

« Ainsi apparait Outtanapada et la terre, et les ré


gions du ciel. Dakcha nait d’Adity, Adity naît de
Dakcha .

« O Dakcha, elle est née cette adity, qui est ta fille ,


et qu'ont mise au monde les devas, tous parents for
tunés et immortels .

« Elle est née pour la gloire du ciel et de la terre,


pour la perpétuité des dieux et des hommes ; elle est
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 257

née cette adity au gracieux visage, en la voyant les


dieux se réjouissent et les hommes espèrent.

« Elle est née cette mère universelle, qui étend ses


bienfaits sur tout l'univers , comme les ondes célestes
arrosent Dieu seul , et toutes les fleurs et toutes les
plantes.

« Tel que le nuage qui remplit le ciel de son eau ,


vous avez rempli les mondes de vos rayons, vous avez
animé le soleil caché au sein des nues , et Adity est
née .

« Du corps d'Adity sortent sans cesse de nombreux


enfants ; être l'universelle fécondité , telle est la mis
sion qu'elle a reçue des dieux .

« Adity a déjà vécu dans les âges passés, c'est de


cette mère illustre que tout procède , tout ce qui sort
de son père meurt pour se reproduire. »
17
CHAPITRE XLIV

ADITY, PERSONNIFICATION DU CIEL ET DE LA TERRE

Nous venons de voir Adity comme mère des adi


tyas, la voici maintenant comme personnification du
ciel et de la terre ; c'est une figure de l'immortelle
déesse Nari .
Les poètes Gotama et Agastya l'ont aussi célé
brée :

« Adity, c'est le ciel , Adity, c'est l'air, Adity, c'est


la mère, le père et le fils; Adity, ce sonttous les dieux ,
et les cinq espèces d'êtres. Adity, c'est ce qui est né,
et ce qui naitra.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE. 259

« Adity , c'est le ciel et la terr. ! ... Le ciel et la


terre, quelle est la plus ancienne et la moins âgée,
comment sont-elles nées, ô poète ? qui le sait, elles
sont faites pour porter le monde tandis que le jour et
la nuit roulent comme deux roues .

« Toutes deux tranquilles et sans mouvement con


tiennent des êtres doués de mouvement et de vie , tels
que les parents gardent sans cesse à leurs côtés un
enfant chéri ; ô ciel et terre, gardez nous contre le
mal.

« Je demande que vous me fassiez jouir d'Adity,


que cette forme adorable soit exempte de toute crainte ,
qu'elle soit constante, inaltérable , et à jamais fortu
née ; ciel et terre, accordez cela , gardez-nous contre
le mal .

« Divinités heureuses et secourables, nous sommes


à vous , ciel et terre, qui avez les dieux pour enfants.
Vous marchez tous deux avec l'escorte divine des
jours et des nuits ; Ô ciel et terre, gardez-nous contre
le mal .
260 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Seurs toujours jeunes, et toujours semblables à
elles-mêmes, elles se voient placées à côté de leurs pa
rents, et glissent dans le centre du monde ; ô ciel et
terre, gardez-nous contre le mal.

« J'invoque dans le sacrifice en implorant le secours


des dieux, ces deux déesses mères , grandes, larges,
solides , remplies de beauté et qui renferment l'im
mortalité ; Ổ ciel et terre, ô Adity, gardez -nous contre
le mal .

« J'invoque par ma prière, dans ce sacrifice , ces


déesses , dont le pouvoir est immense et s'étend sur
l'infini; ô ciel et terre, ô Adity, gardez -nous contre le
mal .

« Si nous avons commis quelque faute contre les


dieux, contre nos amis , nos enfants ou notre père,
que cette prière nous fasse obtenir notre pardon ; ô
ciel et terre, ô Adity, gardez -nous contre le mal .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 261

« Louées par nous et favorables aux mortels , que


ces deux déesses me sauvent, qu'elles s'entendent
pour me secourir et protéger , que les devas m'assis
tent pour vous présenter les offrandes du père de fa
mille.

« Pieux et recueilli , j'ai commencé par adresser


cette prière au ciel et à la terre ; vous notre père et
notre mère , vous toujours irréprochable, soyez nos
protecteurs, préservez-nous du mal .

« O Adity , toi , notre père et notre mère, accorde


nous la grâce que nous te demandons , viens nous se
courir, accorde-nous la prospérité, la force et une
heureuse vieillesse . »
CHAPITRE XLV

VAROUNA , DIEU DES EAUX

Varouna est le dieu des eaux, il préside à l'ouest .


Dans le dernier état de la mythologie brahma
nique , il est aussi considéré comme le Dieu suprême
des demeures inférieures qui sont sous les eaux,
Naracas spéciales , où les méchants sont retenus au
fond des algues , par un lien de serpents.
Manou en parle quatre fois de la manière sui
vante :

« Que le dwidjas, après avoir fait l'offrande de


beurre clarifié et de riz, dans un profond recueille
ment, aille vers chacune des quatre régions célestes,
en marchant de l'est vers le sud , et ainsi de suite, et
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 263

qu'il adresse l'oblation à Indra , à Yama , à Varouna


et à Couvera ainsi qu'aux génies qui forment leur
suite.
( MANOU , livre III. )

« Ayant jeté l'amende à laquelle il a condamné le


criminel, que le prince l'offre à Varouna, ou bien
qu'il la donne à un brahme vertueux , imbu de la
Sainte Écriture.

** .

« Varouna est le seigneur du châtiment, il étend


son pouvoir même sur les rois , et au brahme parvenu
au terme de ses études sacrés . Il est le seigneur de
cet univers .

« De même que Varouna ne manque jamais d'enle


ver le coupable dans ses liens , de même que le
prince condamne à la détention à l'instar du prince
des eaux .

(Manou, livre IX . )
264 L'OLYMPE BRAHMANIQUE ,
« Celui qui rend un faux témoignage tombe dans
les liens de Varouna , sans pouvoir opposer de
résistance pendant cent transmigrations ; on doit en
conséquence ne dire que la vérité . »
(Manou , livre VIII . )

Varouna , dans la période de Manou , est déjà le


dieu du châtiment. C'est le troisième grand dieu du
groupe secondaire ; il vient après Indra et Agni.
-
CHAPITRE XLVI

VAROUNA, PENDANT LA PÉRIODE VÉDIQUE

Le Varouna védique préside simplement aux eaux ,


il est en même temps le dieu de la science sacrée , on
l'invoque pour obtenir de lui l'abondance, la science
et le bonheur , il fut pour les premiers Indous une
des manifestations directe de l'Être suprême .
Voici un hymne de poète Vasichta en son hon
neur :

« Varouna a préparé les voies du soleil , il a


ouvert les sources célestes des rivières, tel que l'ai
guillon qui dirige les cavales , il fait marcher les
grandes nuits avec les jours .
266 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Le vent c'est tout souffle qui agite l'air , il s'y
étend en semant l'abondance comme le robuste tau
reau s'étend sur le gazon . En toi existe la yaste im
mensité du ciel et de la terre . O Varouna , tous les
mondes sont à toi .

« Les fortunés rayons de Varouna voient autour


d'eux les belles formes du ciel et de la terre. Les
prêtres sages et pieux affermis dans la route du sacri
fice élèvent leurs voeux vers Varouna .

« Varouna m'a révélé ceci à moi qui suis initié :


la vache du sacrifice, m'a - t-il dit, porte vingt et un
noms . Le dieu sage et prudent s'est approché de moi,
pour enseigner à son ami le mystère de la science sa
crée .

« En lui sont disposés trois mondes , trois régions


qui se tiennent, et sont gouvernés par six saisons.
Le sage roi Varouna a fait dans le ciel un char d'or
qui apporte la lumière.
-

-
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . . 267

« Brillant comme le soleil , Varouna traverse


l'Océan alerte : il apparait humide de rosée tel qu'un
robuste cerf ; objet de nos louanges sincères , ce dieu a
mesuré l'air, il est au-dessus de tout par sa force. Il
est roi de tout ce qui existe .

« Exempts de péché, puissions-nous plaire à Va


rouna qui est doux même envers le pécheur, puis
sions-nous augmenter sa g'oire, et qu'il nous seconde
de ses bénédictions. >>
CHAPITRE XLVII

YAMA , DIEU DES ENFERS

Yama est le juge suprême des morts , c'est lui qui


les reçoit au sortir de la vie , les examine, les inté
roge , pèse leurs actions bonnes ou mauvaises dans
une balance, et les expédie au Naraca , ou dans un
des swargas auxquels sa caste et ses mérites le des .
tinent .
Le dieu , dans ce genre d'attributions, est surtout de
la période brahmanique ; dans la période védique, un
seul sloca du poète Sounasépha semble attribuer au
dieu la même fonction, dans un hymne à Indra .

« O Indra , endors les deux funestes messagères de


L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 269

la mort de Yama, fais qu'elles ne s'éveillent point en


passant près de nous , etc... »

« Ces funèbres messagères frappaient les mortels ,


à tort et à travers, pendant leur sommeil . »

L'hymne suivant considère Yama comme le dieu


des offrandes et du sacrifice .

« 0 Yama , les uns purifient le soma , les autres


répandent le beurre sacré , viens vers ceux qui font
couler le miel de la libation pendant les sacrifices.

* Viens vers ces richis, que l'ardente piété a


rendus invincibles, qui ont gagné le ciel, et obtenu la
renommée .

« Viens vers ces héros qui brillent dans les com


bats, qui font avec Dieu le premier sacrifice de leurs
corps, ou qui ont mille présents à offrir.
270 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« O Yama , viens vers ces pères du sacrifice, qui ,
austères et ardents, ont les premiers touché et forti
fié les feux du sacrifice.

« O Yama, viens vers ces sages et austères richis,


habiles dans les saintes directions, qui, nés au sein de
l'ardente piété, s'élèvent vers le soleil dont ils sont
les gardiens . »

Dans tous les hymnes védiques, Yama est certai


nement appelé le père du sacrifice. C'est le quatrième
des grands dieux secondaires .
1

CHAPITRE XLVIII

SOURYA , DIEU DU SOLEIL

Sourya est le dieu du soleil et le soleil lui-même ;


il est à remarquer que ce dieu , si brillant dans la pé
riode védique , n'est nommé qu'une seule fois dans
Manou , et encore dans un sloca insignifiant.

« Celui qui fait l'aumône d’un vêtement revient dans


le ciel de Tchandra ; celui qui donne un cheval , au
séjour des deux Aswins ; celui qui donne un taureau
obtient une grande fortune ; celui qui donne une vache
s'élève jusqu'au monde de Sourya. »
( Manou , liv . IV . )

Dans la tradition mythologique , le dieu s'avance


272 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

chassant la nuit et poursuivant l'aurore qui fuit de


vant lui ; on lui donne quatre coursiers rapides qui
entrainent son char autour du monde.
Voici un hymne célèbre de la pério le védique , au
dieu soleil ; c'est celui que le prêtre brahme récite
tous les matins , au lever de l'astre .

« Que Sourya, du haut du ciel , nous garde du vent


funèbre de la mort et des sombres demeures qui sont
sous les eaux .

« O Savitri , flamme pure, essence de la prière, toi


dont les rayons purifient tout, tu es digne d'étre ho
noré par cent sacrifices. Touché de nos hommages,
protège -nous contre les armes brûlantes de nos en

nemis .

« Que le divin Sourya , qui répand la lumière sur les


mondes , et par qui tous les objets se reflètent dans
nos yeux , nous protége et conserve notre vie.

« Que , grâce à son pouvoir divin, nous puissions


jouir longtemps du spectacle de ce monde ; qu'ildirige
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 273

notre åme et notre corps dans le culte de la vertu et


de la vérité .

« Fais qu'un jour nous puissions te voir, ô puissant


et radieux soleil ! aussi facilement que nous pouvons
contempler nos semblables . »

18
CHAPITRE XLIX

LES ASWINS , FILS DU SOLEIL

Les deux Aswins sont fils du soleil et de la nymphe


Aswini .
On les représente comme voyageant sans cesse à
travers les cieux, sur un char à trois roues, à trois
sièges, aussi rapides que la pensée ; un ane y est at
telé, et en cet état, ils parcourent les trois mondes.
Ils possèdent aussi un char ailé à cent roues , attelé
de six coursiers ailés également. Trois métaux diffé
rents, l'or, l'argent et le fer, forment ce char.
On les représente aussi comme les époux de l'Au
rore ; ce sont eux qui ont appris au premier homme
à labourer la terre et à semer l'orge.
Ils sont aussi les médecins des dieux.
-
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 275

Voici un hymne du poète Dirgbatamas , qui les


représente avec toutes les qualités qu'on leur prète :

« Agni s'éveille sur son banc céleste ; le soleil ar


rive, la grande et brillante aurore apparaît avec éclat .
Les Aswins attellent leur char , le divin Savitri a en
fanté les deux parties du monde .

« Aswins, pendant que vous attelez vos généreux


coursiers, versez sur nos champs le beurre et le miel .
Accueillez nos prières , secourez-nous dans les com
bats. Puissions-nous obtenir les riches dépouilles de
nos ennemis .

« Qu'il marche en avant, ce char des Aswins, attelé


de rapides coursiers, chargé de biens savoureux ,
objet de tant de louanges , ce char à trois roues , à
trois sièges , apporte la richesse et le bonheur à tous
les êtres animés .

« O Aswins, donnez -nous la force ; agitez sur nous


votre fouet d'où s'écoule une douce abondance ; pro
276 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
longez notre vie , effacez nos fautes, frappez nos en
nemis ; soyez toujours avec nous .

« Vous portez la fécondité dans le sein des mè


res , vous êtes au centre de tous les mondes ; géné
reux Aswins , c'est à vous qu'on doit la flamme qui
pétille dans les sacrifices .

« Vous connaissez la médecine et la vertu des


plantes ; vous êtes aussi habiles à conduire les chars ;
dieux puissants , vous donnez la richesse et la santé
à ceux qui vous offrent le sacrifice . »
CHAPITRE L

DAHANA , L'AURORE, FILLE DU CIEL

Dahana est l'aurore, fille du ciel , source de la nuit,


épouse des Aswins et mère des dieux , et des vaches
célestes .
Le Rig -Véda contient de nombreuses hymnes à l'Au .
rore, mais elle n'y est nommée qu'une fois, sous le
nom mystérieux de Dahana .

Griham grihamdahana yati akkha.


Dive dive adha nama dadhânå .
Sisasanti Dyotana sasvat à agat.
Agram agram it bhagate vasunam .
Dahana s'approche de chaque maison .
Elle qui fait connaître chaque jour
Dyotana, l'active jeune fille, revient pour toujours,
Elle jouit éternellement du premier de tous les biens.
278 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

Dans le vieux langage mythologique des Védas, l'Au


rore accourt tous les matins dans les bras du soleil,
et renait tous les jours , à la chute de la nuit ; la déesse
fuit devant le bien-aimé, qui la saisit, l'embrasse, l'en
toure de ses rayons, et Dahana meurt d'amour sous
l'étreinte du dieu . '

« L'aurore s'approche du Sourya, dit le Véda, et elle


expire dès que le dieu puissant qui illumine le ciel
commence à respirer. »

C'est ainsi que Daphné, jeune et belle, aimée par


Apollon , fuit devant lui , et meurt dès qu'il l'entoire
de ses ardents rayons.
On peut voir, sans que nous nous donnions la peine de
signaler à chaque pas ces rapprochements , qu'il n'est
pas un mythe, pas un dieu , pas une légende, que la
Grèce ne tienoe de l'Inde .
CHAPITRE LI

CHANT A L'AURORE

Voici un des hymnes à l'Aurore le plus vénéré dans


l'Inde, il est attribué au poète Vasichta :

« La fille du ciel se lève , elle s'approche , elle se


montre , elle chasse les ténèbres que l'on voit fuir,
elle crée et amène heureusement la lumière.

« En niême temps le soleil fait sortir ses vaches


lumineuses, l'astre radieux monte à l'Orient. A ton
lever, Aurore, au lever du soleil , puissions-nous ob
tenir l'abondance .
280 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Aurore, fille du ciel , nous nous empressons de
t'éveiller par nos chants, ò toi , bienfaisante déesse,
qui apportes à ton serviteur ainsi qu'un trésor précieux
la fortune la plus désirable .

« O magnifique déesse, toi qui à ton lever nous ap


pelles au spectacle du ciel , nous venons pour prendre
part aux biens que tu répands, puissions-nous étre
comme les enfants d'une mère telle que toi .

« Aurore , apporte-nous une opulence tellement


grande, que la renommée s'en étende au loin . O fille
du ciel , accorde-nous tous les biens mortels dont tu
peux procurer la jouissance.

« Que l'Aurore donne à nos maitres une gloire.


immortelle accompagnée d'une fortune solide, et à
nous l'abondance , qui excite la piété des riches , en .
courage la prière et éloigne de nous les ennemis .
---
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 281
« Les sages enfants de Vasichta ont les premiers
éveillé l'Aurore, par leurs hymnes et leurs chants .
Et la déesse, fille du ciel , éclaire le ciel et la terre ,
éclaire tous les mondes, elle annonce à tous l'arrivée
de son royal amant , le divin Sourya . »
CHAPITRE LII

SOMA , DIEU DE LA LUNE

D'après Manou , Soma est le dieu de la lune, des


prêtres et des herbes médicinales . C'est le sixième
grand dieu de l'ordre secondaire .

« Que le dwidja offre d'abord le sacrifice, ô Soma ,


dieu de la lune ...
(Livre III .)

« C'est de cette manière que le Pradjapati (seigneur


des créatures, roi) Dakcha lui -même destina ses cin
quante filles pour l'accroissement de sa race .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE. 283

« Il en donna dix à Dharma, treize à Casyapa et


vingt-sept à Soma , le roi des brahmes et des plantes
médicinales , et leur donna à toutes de splendides pa
rures . »

On appelle aussi Soma l'asclépiade acide qui est


consacrée au dieu de la lune . On en extrait un jus qui
sert de liqueur dans les sacrifices et qu'on nomme le
soma .

De là vient qu'on rencontre à chaque instant dans


les hymnes védiques des invocations de cette nature :

« O Indra, Dieu pur et bienfaisant, à la faveur de


nos prières et de nos chants , descend boire le soma
que te préparent les enfants de Manou ...

« O Soma , fille du ciel et de la prière , toi qui donnes


de la force aux dieux et sais nous les rendre propi
ces ... >>

Soma est aussi le nom de la dynastie lunaire (soma


vansa) , dont un prince du nom de Boudha fut le pre
284 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
mier roi . Leur capitale était située dans l'Antarvédi,
au confluent du Gange et de la Yamouna . Ce souve
rain , qu'il ne faut pas confondre avec le réformateur
du même nom, fut élevé au rang des dieux.
CHAPITRE LIII

LE SOMA VÉDIQUE

Le Soma védique est le dieu de la libation ; c'est


la liqueur personnifiée des sacrifices . Ce dieu , par
son breuvage divin , soutient les mondes , fait les héros,
augmente la force des dieux , et par sa protection ré
pand sur la terre l'abondance .
Si l'homme parvenait à s'emparer de cette liqueur
sacrée, et à s'en enivrer , il serait immédiatement
élevé au rang des dieux .
Voici l'hymne célèbre que lui consacre le poète Va
sichta . Nous le donnons en entier malgré sa longueur ,
car c'est un des plus magnifiques spécimens de la poé .
sie védique :

« Le divin Soma a été purifié sous la pression de


286 L'OLYN PE BRAHMANIQUE.
l'or, En l'honneur des dieux il fait jaillir son stic , il
coule en chantant dans le vase des lustrations comme
le sacrificateur entre dans une maison remplie d'of
frandes.

« O sage et grand Soma, prends ton brillant vete


ment de combat, fais résonner ta voix , Ô Dieu pur,
vigilant et sage, et pour la gloire du sacrifice gémis
sous le pressoir

« Le plus glorieux des êtres , en notre faveur est


versé sur un filtre de laine, il siège avec honneur ; ô
Dieu pur , élève ta voix dans les airs , et vous, secondez
nous toujours de vos bénédictions.

« Chantez , adorons les dieux. Pour le bien du


monde envoyez Soma , sa douce liqueur coule sur le
filtre de laine, que l'ami des dieux se place dans le
vase sacré .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 287

« Indou avec ses mille torrents se présente comme


l'ami des dieux et coule pour les enivrer . Loué par
les prêtres , il arrive dans la demeure antique du sa
crifice pour plaire à Indra et faire notre félicité.

« Dieu brillant et pur , viens donner la richesse à


ton chantre . Que ton ivresse pénètre Indra , et le dis
pose au combat . Monte sur le même char que les
dieux, et apporte - nous la fortune, et vous , secondez
nous toujours de yos bénédictions .

« Aussi bien qu'Ousuas , il chante l'hymne du poète ,


il annonce la naissance des dieux , orné de rayons
brillants , maître purifiant et auteur de grandes æu
vres comme le sanglier céleste , il s'annonce par le
bruit de ses pas .

« La troupe des cygnes sacrés , les vrichous , en


voyant ce dieu aussi bon que terrible , s'assemblent
dans la demeure sainte , et ces amis de Soma chantent
de concert ce maitre invisible et pur, digne de tous
nos éloges .
208 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Heureux de ces chants , le dieu accourt avec ra
pidité. On dirait un taureau qui se joue, à sa vue les
vaches du sacrifice mugissent. Et lui il grandit en
aiguisant ses cornes. Il se dresse et apparait brillant
le jour et la nuit.

« Le vigoureux Indou arrive fortifié par le lait de


la vache. Soma prête à Indra le secours de son ivresse .
Roi de la force, il tue le Rakchasa, il frappe ses enne
mis et sème ses trésors .

« Ainsi répandant sa douce rosée , il sort du mortier


pour couler sur le filtre; le divin Soma , honorant l'a
mitié du grand Indra, lui donne le bonheur de son
ivresse .

« Le pur Soma , paré de ses rayons , arrose les dieux


de son jus divin , Indou se montre fidèle aux divers
devoirs que lui imposent les saisons , et ses dix doigts
le conduisent sur le filtre de laine .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 289

« Taureau ardent , il crie en voyant les vaches du


sacrifice ; tout retentit de sa voix ; il s'élance vers la
terre et le ciel . On dirait la clameur d'I dra dans le
combat : tel et le bruit qu'il fait entendre .

« Gonflé d'un lait délicieux , tu nous donnez ton suc


aussi doux que le miel . O pur Somal tu coules dans
nos corps en l'honneur d'Indra .

« Viens donc, ô Soma ! inspirant une douce ivresse


et courbant sous tes lois les ondes du nuage . Prends
une brillante couleur ; unis-toi au lait de la vache, et
répands-toi dans les vases du sacrifice.

« O Indou ! coule dans ce large vase poir notre bon


heur. Ouvre-nous une voie facile vers l'opulence.
Prends ton arme pour tuer le mal et verse ton onde
sur le filtre de laine .

19
L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Donne-nous la pluie du ciel qui arrive avec rapi
dité, apportant l'abondance, le bonheur et la fertilité.
O Indou ! comme on rassemble les touffes d'une belle
chevelure, dirige-nous vers les souffles réunis des vents
tes amis .

« O pur Soma ! délie la chaine du mal qui nous re


tient, ô toi qui connais la voie droite non moins que
la voie tortueuse, dieu brillant, qui veux le bien des
hommes ; précipite tes flots comme les pas d'un cour
sier, et viens dans la demeure qui t'a été préparée.

« O Indou versé dans le sacrifice pour causer


l'ivresse des dieux , fais passer ton onde sur le filtre
de laine . Dieu invincible , qui as mille torrents , mille
suaves odeurs , coule pour les combats que les pré
tres doivent livrer .

« Ces pures et divines liqueurs s'élancent telles que


des coursiers qui volent au combat sans être retenus
par des rênes ou attelés à un char. Approchez-vous
pour puiser à cette source.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 291

« O Indoul viens à nos cérémonies , et coule dans


ces vases qui reçoivent le jus de ta plante ou les ondes .
O Soma ! donne-nous de larges richesses , qui excitent
les désirs , causent la terreur et enfantent les héros .

« Aussitôt que la voix d'un serviteur fidèle com


mence à s'élever, que l'offrande la mieux choisie est
déposée pour le sacrifice, à l'instant les vaches sain
tes s'approchent avec empressement de Soma, ce noble
maitre qui repose dans le vase sacré.

« Le sage et auguste Soma , magnifique dans ses


présents , vient vers l'Indra terrestre en l'honneur de
l'Indra céleste, roi de la force, qu'il soit votre sou
tien , qu'il laisse diriger par les dix doigts qui sont
pour lui comme autant de rêves qui le conduisent sur
le filtre de laine.

« Le pur Indou est le gardien des hommes, il est le


292 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
roi des dieux , comme des mortels. Qu'il remplisse nos
vases saints . Qu'il nous donne les biens terrestres et
célestes dont il est le maitre . Que notre sacrifice ob
tienne de lui grandeur et beauté .

« Comme le cheval qui accourt à sa pâture, viens


au sacrifice célébré en l'honneur d'Indra et de Vagou.
O pur Soma ! qui possède tous les biens , donne
nous une large et vaste abondance.

« Que ces breuvages qui font le bonheur des dieux


coulent dans notre demeure, et la rendent fameuse
par la force de nos enfants . Source de tous les biens,
trésor de félicité, délices du ciel , qu'ils soient tels que
des sacrificateurs qui savent fléchir les dieux .

« O divin Soma , viens donc dans le sacrifice pour


être la noble boisson des dieux. Malgré notre force,
nous sommes exposés aux chances des combats. O
dieu puissant, que le ciel et la terre soient solides sur
eur base .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 293

« Impétueux coursier, terrible comme le lion , plus


rapide que la pensée , tu te mêles avec bruit aux liba
tions . O Soma , arrive par le chemin le plus droit pour
nous prouver ta bonté .

« Cent torrents naissent de ce dieu , les sages les


recueillent et les répandent en mille ruisseaux limpi
des . O Soma , descends du ciel pour être notre bien
faiteur. Ta présence annonce toujours une grande
largesse .

« La rosée du sage Soma ressemble à la pluie du


ciel ; il est comme le roi du jour, ami de Mitra . Tel
qu'un fils qui concourt aux oeuvres de son père, ap
porte la victoire à tes serviteurs.

« Ta liqueur s'écoule aussi douce que le miel, quand


tu viens te purifier sur le filtre de laine . O dieu saint,
tu te rends dans la maison des vaches sacrées , à peine
né tu remplis le soleil de tes splendeurs.

*
294 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« Siège éclatant de l'immortelle essence , tu brilles
et suis en criant la voie de Rita (Indra) , tu arrives pour
faire le bonheur d'Indra , et tu mêles tes accents aux
prières des sages .

« O Soma , oiseau céleste , jette tes regards sur nous


et envoie ta rosée au milieu des oeuvres de notre sa
crifice. O Soma, entre dans le vase sacré où tu places
ton trésor et va murmurant, divine liqueur, t'unir aux
rayons du soleil .

« Soma porte nos holocaustes, à son signal par


tent les trois mots sacrés , l'ouyre de Rita , prière
du prêtre et la puissance divine.Les vaches du sacri
fice s'adressent à lui comme à leur pasteur, les invoca.
tions le recherchent avec empressement.

« Les vaches fécondes du sacrifice désirent Soma ;


les temps l'appellent par leurs prières. Soma est puri
fié et croît par un onctueux mélange ; vers Soma se
dirigent ensemble les hymnes et les chants.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 295

« O Soma, heureusement purifié, remplis nos coupes ,


pénètre avec grand bruit au cour d'Indra , engendre
la prière , agrandis sa voix .

« Le vigilant et sage Soma , purifié au murmure des


prières au sein des vases sacrés . Il est honoré par les
deux mains pieusement pressées qui ornent pour lui
le char du sacrifice.

« Le pur Soma , pareil à Agni lui-même, dans le so


leil remplit le ciel et la terre . Il éclaire le monde. Que
ses veux puissent compter sur son secours . Qu'il com
ble de ses dons l'homme qui fait jaillir du mortier sa
divine liqueur .

« Que le pur et divin Soma augmente nos biens , et


nous protége avec la lumière . C'est Soma qui a fait
trouver et les vaches et la montagne ténébreuse à nos
ancétres qui connaissaient la voie du bonheur et du
sacrifice .
296 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Soma, roi du monde, sous la forme de vapeur hu


mide descend d'abord au sein de sa plante et produit
des rameaux , son onde généreuse va s'accroitre en
suite en coulant sur le filtre de laine et dans le vase
des lustrations.

« C'est une grande æuvre du grand Soma , de venir,


enfant des ondes, honorer les dieux ; le pur Indou
donne de la force à Indra et enfante la lumière dans
le soleil .

« O pur, ô divin Soma , à notre gré et pour notre


bonheur enivre Vayou , enivre Mitra et Varouna , eni
vre la troupe des Marants . Enivre les dieux , enivre
le ciel et la terre .

« Sois toujours droit , ennemi du mal tortueux,


vainqueur de la maladie et des méchants . Meie ton
lait à celui des vaches ; tu es l'ami d'Indra , comme
nous sommes tes amis .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 297

« Fais couler pour nous un ruisseau de miel , une


source de trésors , donne -nous la fortune, accorde
nous pour fils un héros ; ò pur Soma , sois donc pour
Indra, et que du Samoudra (l'Océan) descende sur nous
la richesse .

« Que le flot du Soma se précipite comme un cour


sier. Qu'il vienne avec la rapidité de l'eau qui coule
dans un fond. Que le pur Indou se place dans les vases
de bois , qu'il se confonde avec les eaux et le lait des
vaches .

« 0 Indra , voilà que Soma vient à toi . Sage et


prompt à remplir ton désir, il coule dans les vases
du sacrifice. Puissant avec la justice , porté sur un
char brillant , lançant un regard lumineux, il est le
désiré des serviteurs des dieux.

« Extrait de mortier et purifié sur l'antique of


frande , il donne des formes à sa fille, il se revêt au
sein des ondes d'une triple substance , et tel qu'un
sacrificateur , il arrive en chantant dans nos assem
blées .
298 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« O pur et pieux Soma , transporté dans un char


brillant, sors du pressoir, et remplis nos coupes . Suave
et juste et, comme le divin Såvitri , honoré par la sainte
prière , répands tes douceurs au sein des ondes .

« Purifié dans le sacrifice, chanté par nos hymnes,


approche-toi du Vayou, de Mitra et de Varouna, ap
proche-toi de ce héros monté sur un char rapide
comme la pensée , approche-toi du généreux Indra,
dont la main est armée de la foudre .

« Pur et divin Soma , apporte-nous de superbes


vêtements, de magnifiques ornements d'or ; amène
nous des vaches fécondes et des chevaux pour nos
chars .

« Dieu pur, donne-nous tous les biens du ciel et de


la terre, puissé-je, ainsi que Djamaudayni autrefois,
obtenir pour nous aujourd'hui la richesse.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE 299

« Viens avec ton onde purifiante nous apporter


tous tes trésors , ô Soma , accours à nos hymnes et à
nos libations ; que le mortier entouré des honneurs
du sacrifice, avec l'agitation des Marouts (les vents) ,
donne le noble Soma au sacrificateur empressé .

« Viens donc avec ton onde purifiante, dans cette


fête où nous célébrons ta gloire . Comme on secoue
un arbre dont les fruits sont mûrs, fais aussi tomber
parmi nous les soixante mille trésors du vil As
sonra .

« Nos hymnes et nos libations sont deux sources


puissantes où se retrempent la force et le courage du
généreux Soma ; Ô toi, qui , tel qu'un cavalier superbe,
abats et terrasses tes ennemis, éloigne d'ici les im
pies .

« Tu passes constamment dans trois vases puri


fants . Il en est ici un autre où nous t'appelons au
jourd'hui ; tu es Bhaga, tu es le bienfaiteur des hommes .
O Soma , tu es Mayhraou pour les mortels généreux .
300 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Il vient , le sage Soma , qui possède tous les biens ,


et qui est roi du monde ; Soma , lance ses flots dans
les sacrifices et arrive sur le filtre de laine .

« Les nobles et invincibles serviteurs de Soma le


servent sur son trône; les sages font entendre leurs
voix pareilles à celles du milan sacré . Les prêtres
pressent Soma avec leurs dix doigts, et enveloppent
ses formes des sucs des ondes .

« O pur Soma , puissions -nous toujours avec toi


recueillir les fruits de la victoire . Qu'ils nous protė
la
gent également , Mitra , Varouna , Adity , la mer,
terre , le ciel . »

On comprendra l'importance qu'a la liqueur de


Soma dans le système religieux des Indous , quand on
saura que pas une cérémonie du culte, si minime
L'OLYMPE BRAHMANIQUE. 301

qu'elle soit , pas une fête, pas un repas funéraire, ne


peut avoir lieu sans que le prêtre brahme ne fasse les
libations du Soma .

Cette liqueur qui donne la force aux dieux , la gloire


aux héros , l'abondance à la terre, est, à n'en pas dou
ter , de l'ambroisie de l'Olympe grec .
CHAPITRE LIV

COCIERA , DIEC DES RICHESSES

Couvera est le dieu des richesses , et le régent du

Nord .
Ce dieu , dont on ne trouve aucune trace dans les
Védas , n'est nommé qu'une seule fois dans Manou

lui-même, dans le sloca suivant :

« Que le dwidia , après avoir fait l'offrande du beurre


et du riz dans un profond recueillement, aille vers
chacune des régions célestes en marchant de l'est vers
le sud et ainsi de suite ,qu'il adresse l'oblation à In
dra , à Yama , à Varouna et à Couvera , ainsi qu'aur

génies qui forment leur suite . »


L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 303

Ce dieu est absolument de création brahmanique.


Plus que sur tout autre encore, la légende vulgaire
s'exerce sur ce dieu, et cela se conçoit : le dispensa
teur des richesses ne devait pas manquer d'adora
teurs .
Comme on a pu s'en rendre compte , il nous est im.
possible , dans cette revue de la mythologie des Indous ,
de raconter les innombrables fables qui entourent la
vie de tous les dieux , demi-dieux et personnages di
vins dont nous avons à parler ; des volumes ne suffi
raient pas pour chacun . Nous nous bornerons donc à
indiquer les attributs du dieu et à donner l'hymne qui
lui est plus particulièrement consacré , et qui indique
le mieux ses qualités. Nous ne connaissons pas à pro
prement parler de chant à Couvera ; ses adorateurs
récitent en son honneur des espèces de litanies , dont
voici un spécimen :
O Couvera , dieu suprême, dieu au noble visage ,
accorde -nous les richesses .
O Couvera , dieu puissant, dieu dont la vue calme
toutes les souffrances, accorde-nous les richesses .
O Couvera , dieu aux yeux jaunes comme l'or, ac
corde -nous les richesses .
O Couvera , dieu dont le corps est blanc comme l'ar
gent, accorde - nous les richesses.
Ses dévots en récitent comme cela pendant des jours
entiers .
CHAPITRE LV

NEIRITIA

Neiritia est le dieu du commerce et , rapproche


ment singulier, des voleurs ; il n'est question de lui
qu'une fois dans Manou , et dans des circonstances
assez curieuses , qui ne se rapportent en rien aux at
tributions spéciales que nous venons d'indiquer.

« Celui qui a souillé , en connaissance de cause , l'é


pouse de son père doit , en proclamant à forte voix
son crime , s'étendre lui -même sur un lit de fer brû
lant et embrasser une image de femme rougie au feu;
ce n'est que par la mort qu'il peut être purifié.
L'OLYMPE BRAIL MANIQUE. 305

« Ou bien , s'étant coupé lui-même le pénil et les


bourses , et les tenant dans ses doigts , qu'il marche
d'un pas ferme vers la région de Neiritia jusqu'à ce
qu'il tombe mort. »
*

Ce dieu préside au sud-est.


Dans l'époque védique , il fut la personnification du
mal , comme en témoigne ce fragment d'hymne des
poètes gopayanas :

« Que cette existence nouvelle soit prolongée , et


menée , commeunchar, ausud-estpar un habile écuyer.
Ainsi celui qui était tombé se relève ; que Neiritia s'é
loigne !

« Pour obtenir la fortune, nous apportons avec nos


chants d'abondantes offrandes , puissions nous récueil
lir le fruit de nos hommages ; que Neiritia s'éloigne !

« Puissions-nous , par notre vigueur, vaincre nos


ennemis et devenir leurs maitres comme le ciel l'est
de la terre , comme le tonnerre l'est du nuage . Puis
20
306 L'OLYN PE BRAHMANIQUE .
sent nos hommages recueillir les heureux fruits qu'ils
attendent ; que Neiritia s'éloigne !

« 0 Soma , ne nous livre pas à la mort , que nous


voyions le lever du soleil , que notre vieillesse soit
pleine de jours , mais que Neiritia s'éloigne ! »
-
CHAPITRE LVI

GANÉSA

Ganésa est un dieu purement brahmanique du culte


vulgaire , on n'en trouve pas la moindre trace , ni dans
Manou , ni dans les Védas ; c'est le dieu qui préside
aux portes des temples , éloigne les obstacles et fait
réussir les entreprises .
Il est excessivement vénéré par les Indous de tou
tes les castes ; on rencontre sa statue partout , dans
les temples , dans les écoles , dans les chouderios, dans
les places publiques , dans les forts , sur les grandes
routes , auprès des puits , des fontaines, des étangs ,
en un mot , dans tous les lieux fréquentés. On la porte
dans les maisons et dans toutes les cérémonies publi
ques ; Ganésa est toujours le premier dieu qu'adore la
foule .
308 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

Il est représenté sous une forme hideuse, avec la


tête d'un éléphant au ventre énorme et des membres
disproportionnés , un rat est à ses pieds. Il eut pour
père Siva , et pour mère la déesse Caly. Il mène une
vie contemplative dans les cieux, et on ne lui connait
pas de femme. C'est peut-être le seul dieu chaste de tout
l'Olympe indou .
La première fois que sa mèra Caly le vit , elle le
trouva si affreux qu'elle lui réduisit la tête en cendre
par l'éclat de son regard . Siva ayant appris ce mal
heur, et désolé d'avoir un fils acéphale , songea à lui
rendre cette partie de son corps qu'il avait perdue.
A cet effet, il envoya ses serviteurs , avec ordre de
couper la tête au premier étre vivant qu'ils rencon
treraient dormant la face tourné vers le nord , et de
la lui apporter . Ce fut un éléphant qui fut aperçu le
premier dans cette position .
Les gens de Siva , suivant les instructions qu'ils
avaient reçues , abattirent la tête de cet animal et
s'empressèrent d'aller la porter à leur maitre. Celui
ci la prit et l'ajusta sur le cou de son fils ; depuis cette
époque, il a conservé cette forme sous laquelle on le
voit représenté .
Cette tête d'éléphant est un emblème de pru
dence et de sagacité , deux qualités que ce dieu repré
sente chez les Indous.

CHAPITRE LVII

POULÉAR

Pouléar est le dieu des champs , il veille aux bornes


et à la conservation des héritages . Il est le frère du
dieu précédent ; comme lui , il porte une tête d'élé
phant , et est quelquefois confondu avec lui .
Voici comment la légende explique sa naissance :
Caly étant devenue enceinte une seconde fois des
@uvres de Siva , et ce dieu craignant que le nouveau
né ne fût plus beau que Ganesa , son fils bien-aimé , il
.prononça sur le ventre de Caly l'invocation suivante :

« Que celui qui repose dans ton sein , ô déesse ,


naisse avec une tête d'éléphant , et qu'il soit de tout
point semblable à son frère. »
310 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
La parole de Siva s'accomplit, et c'est sous cette
forme que le jeune Pouléar fit son entrée dans le
monde.
Les campagnes devinrent son lieu de prédilection,
et il habite principalement sous les arbres qui abri
tent les claires fontaines , et dans les haies et les buis
sons qui séparent les héritages .
Les Indous ont pour lui la plus grande vénération ;
on lui offre les prémices du riz et de tous les fruits,
nul n'y manque. A toute récolte , la part du dieu est
prélevée la première . Celui qui oublierait cette of
frande verrait ses champs devenir stériles à la saison
prochaine .
Pouléar avait fait le væeu de chasteté , mais Visch
nou, ayant parié dans l'Olympe qu'il le ferait man
quer à ce veu , se déguisa sous les traits de la déesse
Mohiny, et triompha en effet de la vertu du dieu.
CHAPITRE LVIII

LA DÉESSE MOHINY

Le fait qu'on vient d'indiquer lui a donné nais


sance, mais Brahma, furieux de la plaisanterie qui
avait eu pour but la perte de la chasteté de Pouléar
condamna Vischnou à rester pendant quelque temps
sous cette forme.
Vichnou , ayant imploré le maître des dieux, put
recouvrer sa place au Swarga , mais à condition d'a
nimer la forme de la déesse dont il se dépouillait. En
cet état , la déesse, Mohiny devint la patronne des
courtisanes. Son emploi dans le ciel consista à vanter
l'amrita aux dieux ; cette boisson avait été obtenue
en barattant la mer de lait.
Les Indous racontent sur cette déesse les histoires
les plus obscures, en voici une des plus singulières :
312 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
Un jour que Mohiny distribuait l'amrita aux dieux ,
le vase qui contenait cette liqueur divine , qu'elle por
tait appuyé sur l'aine, glissa , et dans ce mouvement ,
détacha quelques poils du corps de la déesse ; en tom
bant sur la terre, ces poils prirent racine et se mirent
à croitre sous la forme de l'herbe Darba .
En cet état, cette herbe, qui est regardée comme une
partie du corps de la déesse, reçoit des brahmes de
nombreuses adorations ; elle est employée dans tous
les sacrifices .
Les courtisanes en ont toujours un petit paquet à
leurs portes, comme nos cabarets d'Europe y placent
un bouchon de branches sèches .
Cette déesse , inutile de le faire remarquer, appar
tient au culte vulgaire .
CHAPITRE LIX

LES MAROUTS

Les Marouts sont les dieux des vents , ils sont fils de
Raudra , une des personnifications de Brahma, et de
Prisni, la terre .

Sous l'ère védique, dans Manou , et dans la période


brahmanique , ces dieux conservent les mêmes attri
butions.

Voici l'hymne qui leur est le plus communém -nt


adresse :

« Brillants Marouts , celui dont vous visitez li


maison, et dont le Soma vous fait descendre du ciel ,
peut se į lorifier d'avoir de puissants protecteurs .
314 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Venez prendre votre part de nos sacrifices, 0


Marouts , et entendez la voix suppliante du prêtre .

« Celui qui vous honore par des offrandes, et dont


le prêtre attire votre attention, verra ses étables
remplies de vaches .

« Voici un homme de cour, dont le cousa , dans les


jours de fête, est couvert de libations toutes prétes,
et dont on vante les hymnes et les offrandes.

« Que les Marouts écoutent favorablement la prière,


qu'ils acceptent aussi les offrandes de ce mortel, que
sa position élève au-dessus de tous les autres, et même

jusqu'au soleil .

« Grâce à votre sage protection , ô Marouts, nous


avons pu vous honorer par d'abondantes libations.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 315
« O Marouts, vous qui êtes dignes de nos sacrifices,
qu'il soit fortuné le mortel dont vous agréez les
offrandes.

« Héros, doués d'une force véritable , accomplissez


le væu de celui qui vous implore en chantant vos
louanges, et vous faisant des libations de beurre .

« Manifestez cette force véritable que vous possé


dez , et d'un trait puissant et lumineux , percez le
Rakchasa .

« Repoussez au sein des ténèbres l'obscurité qui


n'en doit pas sortir , chassez tous nos ennemis , et
faites- nous la lumière que nous désirons . »
CHAPITRE LX

ROUDRA

Roudra, dans la mythologie de Manou et des Vė .


das , est l'air personnifié et le père des Marouts,
dieux des vents .
C'est un dieu terrible, qui porte aussi les noms de
Vayou, Matarisan , Marout, et que les Indous ne
nomment qu'en tremblant .
Encore aujourd'hui , si vous faites route avec un
Indou pendant la nuit , s'il vous arrive, pour l'éproll
ver, de prononcer le nom de Roudra , vous le voyez
aussitôt trembler et transi de peur ; il se met à mar.
motter à voix basse les mentrams qui peuvent
éloigner de sa tête la vengeance du dieu . Voici une de
ces incantations :
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 317

0 Roudra , toi le dieu fort, le dieu terrible et aussi


le dieu sage , le dieu aimé et bienfaisant à celui qui
t'implore , nous te saluons de nos chants .

« Afin qu'Aditi produise pour nous , pour nos trou


peaux, nos hommes , nos vaches et nos enfants tous
les biens qui sont du ressort de Roudra , le dieu ter
rible .

a Afin que Mitra , Varouna et tous ceux qui obéis


sent à Roudra, touchés de nos prières , nous favori
sent également.

« Nous supplions Roudra , maitre des chants di


vins , maitre des sacrifices, Roudra qui envoie de la
pluie pour guérir nos maux, qu'il nous accorde le
bonheur de samyou (demi- dieu type du bonheur ) .

« Roudra brille tel que l'or, tel qu'un soleil écla


tant , Roudra , le plus terrible et le meilleur des dieux,
est notre refuge .
318 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Qu'il répande sa bénédiction sur nos chevaux,


nos brebis, nos béliers, nos vaches , nos femmes et
nos serviteurs.

O Soma, liqueur dont le dieu aime à s'enivrer, ac


corde-nous la fortune, l'abondance et la force de cent
personnes .

« O Soma , que nul méchant , que nul ennemi n'ait


prise sur vous , ô Roudra , donne-nous notre part de
prospérité.

« O Roudra , dieu terrible , dieu fort, mais aussi


dieu protecteur à ceux qui te sont amis , viens dans ce
foyer, dans cette noble demeure du sacrifice, te join
dre aux prières qui naissent de toi . O Roudra , toi.qui
es comme le principe immortel de cette fête, écoute
les prières qui célèbrent ta gloire. »
CHAPITRE LXI

LES ROUDRAS

Maniou , dans les slacas suivants, parle d'un certain


nombre de dieux qu'il appelle les Roudras.

« Celuiqui, imposant un frein à ses organes pendant


tout un mois, ne mange pas plus de trois fois qua
tre- vingts bouchées de graine sauvage , n'importe de
quelle manière , parviendra au séjour du régent de la
lune.

« Les onze Roudras, les douze Adityas , les huit


Vacous, les génies du vent, les sept gr
ands Richis ,
320 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
ont accompli cette pénitence lunaire pour se délivrer
de tout mal .

Ces Roudras sont des demi- dieux qui, suivant une


légende , sont nés du front de Brahma , ils représen
teraient chacun une des qualités du dieu suprême;
les voici avec la vertu dont on les regarde comme les
types :
Adjaicapada représente la sagesse .
Ahivradna représente la bonté .
Viroupakcha représente la puissance .
Soureswara représente la valeur.
Djayanta représente la justice.
Vatouroupa représente la vérité .
Tryambaca représente la douceur.
Aparadjita représente le pardon .
Savitra représente la prière .
Hara représente la transformation .
Il n'y a pas d'hymne de l'époque védique qui leur
soit entièrement consacré ; on ne parle jamais d'eux
dans les Védas que comme des êtres secondaires.
CHAPITRE LXII

PRISNI , MÈRE DES MAROUTS

Prisni est la mère des marouts et la femme de


Roudra .

Ayant un jour voulu diriger les vents en l'absence


du dieu , son époux , celui ci entra dans une violente
colère et la condamna à ne jamais boire le Soma et à
ne jamais recevoir directement les hommages des
mortels . Aussi on ne trouverait pas dans tout le Véda
une seule hymne qui lui soit consacrée ; il n'est jamais
question d'elle que dans les hymnes . En voici quel
ques exemples :

« Vous conviez tous les dieux à vos libations ,


et vous y app elez les ma routs , ces terribles fils de
Prisni .

(MÉDHATITHI.)
21
322 L'OLYMPE BRAIIMANIQUE ,

« O marouts, si vous n'êtes pas immortels , faites


cependant, fils de Prisni , que votre panegyriste jouisse
d'une longue vie .
(Cauwa .)

« Que les marouts à la marche brillante, que ces


fils de Prisni , amenés par leurs daines , viennent à nos
sacrifices ; que tous les dieux sages et resplendissants
comme le soleil , que ces dieux dont Agni est la lan
gue , que ces fils de Prisni accourent ici pour nous
défendre ,
(GOTAMA.)

La malédiction de Roudra sur Prisni , qui avait


usurpé sa puissance, fit tomber la déesse en un tel
discrédit qu'on ne trouve aucune trace de ce mythe
dans Manou et dans la période brahmanique.
CHAPITRE LXIII

PRISNI , MÈRE DES ONDES

Une autre déesse du nom de Prisni est adorée


comme mère des ondes, c'est de son fleuve large et
fécond que sortent les eaux qui se précipitent sur la
terre .
Une des plus belles hymnes de la poésie védique
lui est consacrée ; la voici :

« 0 Prisni , c'est de ton sein que sortent ces ondes


fraiches et pures, semblables à de chastes épaules,
que les amants attendent ; elles viennent, après avoir
rafraîchi le ciel, répandre l'abondance sur la terre.

*
324 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Les sages, en invoquant la grande déesse, ont


fait entendre leurs chants ; ils sont accourus à la
voix du sauvage sanglier des cieux, ils ont avec
Indra fait couler les ondes du sacrifice, et le nuage,
sorti du sein de Prisni , a reçu les honneurs immor
tels .

« La brillante déesse qui vient de glisser sur les


ondes s'approche de son amant et le porte jusqu'au
haut du ciel, elle pénètre dans la demeure de son ami
et le fait asseoir sur son aile d'or.

« Quand ceux qui te désirent te voient voler dans


le ciel, ils reconnaissent le messager alerté qui porte
la pluie pour féconder la terre .

« Le nuage, au sortir du sein du Prisni, s'élève dans


le ciel et se présente couvert de sa brillante armure :
il a , comme un soleil , revêtu une forme resplendis
sante et mérité nos plus chers hommages .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 325

« Cependant l'astre du jour, entouré de vapeurs ,


entre dans l'Océan céleste, son wil de vautour pénètre
cette profonde épaisseur de l'air ; il rappelle ses pures
splendeurs et accomplit sa mission dans les trois
mondes . »
CHAPITRE LXIV

LES RAKCHASAS

Nous venons de voir souvent répétées les expres


sions suivantes :
O Dieu , délivre -nous des Rakchasas.
Dieu terrible, perceles Rakchasas de ta flèche
acérée .
Manou attribue aux Devas ou demi- dieux la créa
tion de toute une série de mauvais esprits que nous
allons passer en revue.
Les Rakchasas sont des génies malfaisants qui
paraissent être de plusieurs sortes , les uns sont des
géants ennemis des dieuxcomme Ravana dans le poème
épique de Ramayana , les autres sont des espèces
d'ogres ou de vampires avides de sang et de chair
humaine, hantant les forêts et les cimetières comme
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 327

Hidimbha dans le curieux épisode du Mahabharata,


publié par M. Ropp .
Les Rakchasas viennent sans cesse troubler les
sacrifices des pieux ermites qui sont forcés d'appeler
à leur secours des princes célèbres par leur valeur.
Ainsi, dans le Ramayana, le Mani viswamitra vient
réclamer l'assistance de Rama , et dans le drame
Sacountala, les ermites appellent à leur secours le
Dauchmanta .
Le nombre de ces Rakchasas est incalculable et
ne cesse de se renouveler ; les âmes des criminels
étant souvent condamnées à entrer dans le corps
d'un Rakchasas et à y être logées plus ou moins
longtemps , suivant la gravité de leur faute.
Les Indous prétendent qu'on rencontre souvent
ces Rackchasas le long des cimetières et des char
niers en train de ronger les cadavres des morts .
CHAPITRE LXV

IAKCHAS , GANDHARBAS , APSARAS , NAGAS , SARPAS ,


SOUPARNAS

Les Iakchas sont des demi-dieux, serviteurs de


Couvera , dieu des richesses , et gardiens de ses jardins
et de ses trésors .
Les Gandharbas sont les musiciens célestes qui
font partie de la cour d'Indra , roi des swangas.
Les Apsaras sont des courtisanes ou bayadères duciel
d'Indra . Suivant les poètes , elles sortirent de la mer de
lait , pendant que les Dévas et les Asouras les barat
taient dans l'espérance d'obtenir l'aucrita ou am
broisie .
Les Nagas sont des demi - dieux , ayant une face
humaine avec une queue de serpent et le cou allongé
comme celui d'un cygne ; leur roi est Varanki; ils
habitent les régions infernale
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 329

Les Sarpas sont des demi-dieux à la forme de ser


pent ; ils sont inférieurs aux Nagas .
Les Sauparnas sont des oiseaux divins, dont le
chef est l'oiseau Garanda , considéré dans la mytho
gie comme l'oiseau et la monture de Vischnou ; la
croyance vulgaire fit naitre tous ces lakchas , Gand
harbas, Nagas, Sarpas et Sauparnas de Casyapa et de
diverses femmes, ce Casyapa est un richi de Maritchi
et l'un des Pradjapatis .
CHAPITRE LXVI

LES PITRIS

Les Pitris sont des dieux manes, considérés comme


les ancêtres des dieux et des génies : ils habitent la
lune .
On donne aussi le nom de Pitris aux manes déi
fiées des ancêtres des hommes , les mêmes oblations,
les mêmes sacrifices, sont adressés à ces deux caté
gories de manes , les ancêtres des dieux et les ancêtres
des hommes . Chaque famille, dans l'Inde, garde pré
cieusement son arbre généalogique, et les manes des
ancêtres sont vénérés dans chaque branche et con
sidérés comme les dieux du foyer domestique .
Ce sont, d'une part, les dieux lares et, de l'autre,
les dieux pénates du guesch des Romains .
-
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 331
Manou parle de la manière suivante des Pitris ,
ancêtres des dieux :

« Exempts de toute passion , parfaitement purs , tou


jours chastes comme des novices , ayant rejeté toute
dépouille visible doués des plus éminentes qualités ,
les Pitris sont les ancêtres des dieux .

« Apprenez maintenant quelle est l'origine des Pi


tris, par quels hommes et par quelles cérémonies ils
doivent être spécialement honorés .

« Ces saints personnages , dont le premier est Marit


chi, sont fils de manou, qui lui -même est fils de
Brahma ; et ce sont les fils de ces saints personnages
qui ont formé les tribus de richis .

« De ces Pitris sont nés les Dévas ( divins) et les


Damayas ( géants) , ancêtres du genre humain , et ces
dieux ont successivement produit ce monde entier ,
composé d'êtres mobiles et immobiles .
332 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« De l'eau pure offerte simplement aux Pitris avec


foi dans des vases d'argent, ou argentés, est la source
d'un bonheur ineffable.

« La cérémonie en l'honneur des manes est supé


rieure, pour les brahmes, à la cérémonie en l'honneur
des dieux, et l'offrande aux dieux, qui précède l'of
frande aux manes, a été déclarée en augmenter le
mérite .

« Les manes reçoivent toujours avec satisfaction ce


qui leur est offert dans les clairières des forêts, qui
sont naturellement pures , sur le bord des rivières ou
dans les endroits écartés ou au foyer domestique .

« Du riz sauvage, comme en mangent les anacho


rétes, du lait, le soma, la viande fraiche et le sel
qui n'est pas préparé artificiellement, telles sont les
offrandes qui sont faites aux Pitris et aux manes des
ancêtres . »
-
CHAPITRE LXVII

HYMNE AUX PITRIS

Voici une hymne aux Pitris , relatée par le Véda ,


et qu'on attribue au poète Saukha , qui , indique qu'au
temps de patriarches védiques , les Pitris étaient déjà
divisés en trois classes , les Pitris ancêtres des dieux ,
les Pitris ancêtres de Devas ou demi - dieux et les Pi
tris ancêtres du genre humain .

« Aux Pitris des trois ordres


que les Pitris
somyas se lèvent , leur âme a été généreuse , ils ont
connu les sacrifices, qu'ils nous conservent au milieu
de nos invocations.
334 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« Nos hommages s'adressent aujourd'hui aux Pitris


anciens , aux Pitris plus modernes , à ceux qui se pla
cent au foyer domestique, à ceux qui séjournent au
sein des races généreuses .

« J'honore les Pitris bienveillants qui sont nés sous


les pas de Vichman ; qu'ils arrivent surtout ces
ces barhichads, qui aiment le swadhâ de no3 liba
tions .

« O Pitris barhichads , nous vous appelons à notre


secours . Réjouissez -vous de l'holocauste que nous
vous offrons, accordez- nous une heureuse protection ,
éloignez de nous le malheur et le péché .

« Que les Pitris somyas, invoqués par nous, vien


nent avec joie s'asseoir sur notre gazon ; qu'ils nous
écoutent, qu'ils nous répondent, qu'ils nous conser
vent .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 338

« Soit que vous vous mettiez à genoux , soit que


vous marchiez par la droite , agréez tout notre sacri
fice; 0 Pitris , ne nous faites aucun mal , nous n'avons
péché que par la faiblesse de notre humanité .

« Asseyez-vous sur notre gazon au lever des bril


lantes aurores , et donnez la richesse au serviteur qui
vous honore ; 0 Pitris , accordez à nos enfants la for
tune et à tout le peuple la force.

« Les anciens Pitris , les Varichtas somyas, nous


ont donné le breuvage du Soma. Qu'lama soit heureux
avec eux, ami de l'holocauste ; ainsi que ces Pitris
qu'il se rassasie.

« Ils accourent au milieu des dieux altérés de liba


tions, attirés par les offrandes , célébrés par les
hymnes ; ô Agni , viens à nous avec ces Pitris bons,
généreux, et sages qui siègent près du foyer.
336 L'OLYNPE BRAHMANIQUE .

« Pitris , Agni chwattas , venez ici , vous qui pouvez


nous diriger . Placez -vous sur ces sièges , mangez sur
ce gazon les holocaustes qui vous sont présentés ;
donnez-nous les richesses avec la force des héros .

a 0 Agni , viens avec ces pieux , ces grands , ces


antiques Pitris , avec ces mille serviteurs des dieux,
qui montent sur le même char qu'eux . Ils boivent la
libation , ils mangent avec Indra et vont s'asseoir près
du foyer .

« O Agni , dieu surnommé Hita et Djatavedas, trans


porte ces holocaustes odorants , donne - les aux Pitris
avec la swadha ; qu'ils les mangent et toi aussi . O
dieu , mange ces holocaustes qui te sont offertes .

« Tu connais , ô Djatavedas, tous les Pitris , ceux qui


sont ici et ceux qui n'y sont pas , ceux que nous con
naissons et ceux que nous ne connaissons pas . Ils
viennent avec les offrandes ; que ce pieux sacrifice te
soit agréable .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 337

« Les Agni dagdhas et les Anagni dagdhas au foyer


de l’être brillant aiment à prendre la swadha avec toi ;
développe tes splendeurs et forme-leur un corps qui
transporte leur âme à ton gré . »

22
CHAPITRE LXVIII

LES ASSOURAS

Les Assouras sont des génies en perpétuelle hosti


lité avec les Dévas .
Parmi ces Assouras, les uns sont appelés Daytas
de leur mère Diti , femme de Casyapa, fille de Marik
chi , les autres sont nommés Douâvas géants, de leur
mère Danou , femme du même personnage. Les Assou
ras sont représentés dans les poèmes indiens comme
les ennemis des dieux (devas) avec lesquels ils sont
sans cesse en querelle , et chose singulière, les dieux
appellent quelquefois à leur secours un roi célèbre
par sa valeur, comme dans le drame de Sacountala
(acte Cme) . LesAssouras sont d'un ordre fort supérieur
aux Rakchalas .
Dans leur lutte avec les Dévas , les Assouras reçoi
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 339
vent souvent le nom de ravisseurs des vaches sacrées .

« Avec ces Marouts qui brisent tout rempart et


supportent la nue Indra , tu vas du sein de la caverne
délivrer les vaches célestes, dérobées par les Assouras .
RiG-VÉDA .

D'après M. Foucaux , voici quelle serait l'expli


cation du mythe qui a donné lieu à cette légende .
Le nom verari de la vache, en langage poétique ,
signifie tout ce qui procure un avantage ; cet avan
tage est appelé , par une autre figure empruntée au
même ordre d'idées , le lait de la vache sacrée .
Dans la mythologie indoue, on donne donc ce nom à
la prière, à la terre, au nuage, à la libation , aux
rayons du soleil , etc ... Dans ce sloca du Véda doit
être la lumière. Au sein de la nuit , représentée par
une vaste caverne, sont enfermés les rayons enlevés et
gardés par les Assouras .
Vrihespati , autrement Agni , le feu du sacrifice,
réclame ces vaches ; une chienne divine , nommée Sa
rama , et qui n'était que la voix de la prière (vag déni),
est encore à la découverte . Indra, le dieu du ciel, qui
commence à s'éclairer, marche avec les Marouts et
les Angiras , c'est-à- dire les prêtres, à la délivrance de
ces vaches ,'etil brise la caverne où elles sont enfermées.
De tous ces détails on a composé une foule de légen.
340 L'OLYMPE BRAHMANIQUE
des , dont on vient d'indiquer les principaux traits,
et qui certainement ont engendré chez les Grecs la
fable de Cacus .
Il faut aussi chercher, dans cette histoire mythique
des vaches célestes, l'explication de la légende de la
vache Io chez les Grecs , laquelle est donnée en garde
à Argus .
Les Aswins sont aussi constamment en lutte avec
les Assouras .

« O généreux, Ô immortels Aswins, nous vous


chantons , car vous apportez de la région lointaine les
dépouilles que vous avez ravies aux Assouras. »
Rig -VÉDA .

C'est la même légende en d'autres termes, seule


ment la restitution des rayons solaires volés par les
Assouras est due ici non aux Aswins mais à Indra .

1
CHAPITRE LXIX

LA DÉESSE YAMI

Yami est la seur de Yama , elle meurt d'amour


pour lui ; c'est la personnification de la prière et du
sacrifice ; les feux des sacrifices et le bruit de la
prière meurent et s'éteignent ensemble après l'of
frande aux dieux .
On ne lira pas sans intérêt le dialogue entre Yami
et Yama , que j'extrais du Véda .

YAMI

« Qu'un ami vienne à son amie . Traverse , ô Yama ,


le vaste océan de la mort , viens t'unir à moi , afin que
tu voies naitre les petits- fils de ton père .
342 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

YAMA

« Ton ami ne recherche point ton amour ; si nous


avons la même origine que les autres déesses , notre
forme est différente, adresse-toi aux Assouras , ces
héros qui soutiennent le ciel .

YAMI

« Tous ces immortels désirent quelque chose, ne


serait-ce que l'offrande d'un mortel ; moi, ma pensée
est unie à la tienne, que mon époux naisse et se revête
d'un corps nouveau dans ses fils.

YAMA

« Je suis juste et ne condamne pas l'amour que


nous avons déjà éprouvé l'un pour l'autre. Le
divin Gandharva est notre père , Arya, qui circule au
sein des ondes célestes, notre mère ; notre naissance
est illustre.

YAMI

« Twachtri et Savitri , nos aïeux , ont voulu que


nous soyons unis par l'amour dans le sein de notre
mère, on ne peut détruire ce qui a été fait ; la terre et
le ciel nous connaissent .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 313

YAMÁ

« Qui donc a connu nos premiers jours ? Le sein de


la mère commune est vaste , qui l'a vu , qui donc en
peut parler, que veux-tu de moi ?

YAMI

« Yami désire Yama , elle veut encore dormir avec


lui dans le même lit , comme une épouse avec son
époux ; je veux pour toi parer mon corps . Roulons
attachés ensemble ainsi que les deux roues d'un char,
accomplissant les auvres des dieux .

YAMA

« Les œuvres des dieux s'accompliront sans nous ,


cherche un autre époux que moi , roule avec lui, atta
chés ainsi que les deux roues d'un char .

YAMI

« Que les mortels n'oublient jamais de présenter


leurs offrandes soir et matin à Yama , que le soleil
brille pour lui . Que le ciel et la terre lui soient favora
bles , qu'Yami retrouve un époux dans Yama .

YAMA

« Nous sommes à un âge où l'épouse doit suppor


344 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
ter la perte de l'époux ; ô femme, étends ton bras sous
la tête d'un autre homme, cherche un autre époux
que moi ,

YAMI

« Qu'est-ce qu'un frère qui n'est pas votre protec


teur ? Qu'est-ce qu'une sour livrée à Niriti (la mort) ?
Ne méprise pas mon amour, unis ton corps au mien .

YAMA

« Je ne rapprocherai pas mon corps du tien .


Pécheur est le frère qui épouse sa sœur. Cherche le
plaisir dans les bras d'un autre, ton frère ne veut
point de toi ,

YAMI

« Tu es cruel , ô Yama , je ne reconnais plus ton


ceur ; qu'une autre donc t'enlace comme la liane
enlace l'arbre, qu'elle t'attache avec sa ceinture .

YAMA

« Et toi, Yami , caresse un autre homme ; qu'un


autre t'embrasse comme la liane embrasse l'arbre, et
que votre union soit heureuse et féconde. »
CHAPITRE LXX

MITRA

Mitra est un des douze Adityas ou personnifications


du soleil , Manou n'en parle qu'une seule fois au
livre XII et dans ce sens .
Dans le Véda, où il reçoit les mêmes attributions ,
il est en outre protecteur des mortels . Voici l'hymne
spécial qu'on lui adresse tous les jours dans le sacri
fice :

« Mitra , sensible à nos louanges, secourt les mor


tels ; c'est Mitra qui soutient la terre et le ciel ; Mitra
veille sur les hommes sans jamais fermer l'wil . Mitra
est honoré par nos holocaustes et nos offrandes de
beurre .
346 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« O Mitra, divin Aditya, qu'il soit dans l'abondance,


le mortel qui t'offre les dons du sacrifice ; l'homme
que tu protèges ne connait ni la mort ni la défaite, le
mal ne le touche ni de loin ni de près .

« Exempts de péché; heureux des présents d'Ila,


posant nos genoux sur la terre sacrée et poursuivant
les rites pieux, puissions-nous obtenir la faveur de
l’Aditya Mitra !

« Il vient de naitre, ce Mitra digne de nos hommages


et de notre culte, ce roi sage et puissant . Puissions
nous posséder la faveur et l'heureuse amitié de ce
dieu adorable !

« C'est un grand Aditya que nous ne pouvons abor


derqu'avec respect , il protège les mortels et mérite
nos chants et nos adorations. A cë Mitra , digne
objet de fos louanges, que nos prêtres offrent dans
les feux d'Agni une holocauste qui lui plaise:
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 311

« Le divin Mitra est le soutien des hommes ; son


secours est fécond en bienfaits et ses présents sont
glorieux .

« Mitra , en s'étendant, remplit le ciel de sa gran


deur et la terre de son opulence .

« Les cinq espèces d'êtres honorent Mitra , qui , par


sa force, triomphe de ses ennemis ; il est le soutien
de tous les dieux.

« Mitra se mêlant aux devas et aux enfants d’Ayou ,


donne aux mortels assis sur le gazon sacré l'abon
dance qu'ils ont méritée par leurs ceuvres pieuses . »

Mitra, dans l'époque védique, est le plus puissant


des Adityas , on l'associe souvent avec Varouna , comme
dans l'hymne suivant :
348 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
« J'invoque Mitra qui a la force de la pureté, et
Varouna qui est le fléau de l'ennemi ; ils accordent la
pluie à la prière de qui les implore.

« O Mitra et Varouna , recevez ce sacrifice qui


augmente votre force et nous obtient votre protection.

« Que Mitra et Varouna , qui habitent les larges


demeures du ciel , reçoivent ce sacrifice et ces offran
des et nous accordent l'immortalité .
CHAPITRE LXXI

VAYOU

Vayou est une personnification supérieure de l'air


et des vents , il règne dans l'éther, et dans la mytho
logie des Védas est de beaucoup supérieur à Roudra ,
le père des Marouts .
Voici l'hymne avec lequel on l'invoque le plus
souvent, il est du poète védique Madoutchaudas :

« Illustre Vayou, viens et prends ta part de ces


liqueurs préparées avec soin , écoute notre prière.

O Vayou, des chantres sacrés disposés à faire les


350 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
libations , habiles à connaitre le jour des sacrifices,
préparent le Soma , et te célèbrent en ce moment par
leurs vers .

« Vayou, d'accord avec le veu de ton serviteur, que


ta grande voix s'élève et vienne attester que tu reçois
nos libations de Soma . >>

Très souvent Vayou est uni à Indra dans les hymnes


du sacrifice, le précédent hymne est récité par les
prêtres , lorsqu'ils fabriquent le Soma , en pressant la
plante de l'asclépiade pour en obtenir le jus . L'hymne
suivant aux deux dieux associés se récite en offrant
la libation :

« Indra et Vayou , c'est pour vous que sont ces


libations , venez prendre les mets que nous vous offrons,
voici des boissons qui vous attendent .

« Vayou et Indra , vous voyez ces oblations ; vous


qui daignez quelquefois assister à nos sacrifices, venez
tous deux avec empressement .
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 351

« Vayou et Indra , dieux forts, venez recevoir l'hom


mage de l'homme qui fait des libations en votre hon
neur, accourez à sa prière .

« Accourez , Indra et Vayou , accourez , Vayou et


Indra, appelés par la prière , invoqués par le songe ;
écoutez les paroles saintes du prêtre qui vous offre
ces libations . »
CHAPITRE LXXII

ARYAMAN

Aryaman est un dieu personnification du soleil,


qui , après avoir joui d'une grande renommée aux
époques védiques , a peu à peu disparu de l'Olympe
brahmanique. C'est à ce point qu'on n'en trouve aucune
trace dans Manou .
Le nom de ce dieu n'est même connu aujourd'hui
dans l'Inde que des brahmes érudits , c'est un mythe
dont la figure est perdue . Dans toute la collection des
Védas, on ne peut relever qu'un hymne en son hon
neur .
Nous le relevons à titre d'aperçu.

« Le soleil se lève , embrasse tous les hommes ; il


L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 353

est pour les enfants de Manou une source commune


de félicité . Perce les ténèbres , ô Aryaman , wil divin .

« Le grand étendard de Sourya se lève , il flotte


dans l'océan de l'air . et vivifie tous les êtres . Le dieu
fait avancer autour du monde sa roue que traine le
cheval immortel attelé à son char .

« Le divin Aryaman se lève à la suite des aurores ,


il brille, chanté par les poètesi ; il est mon protecteur ,
il est le foyer de cette lumière utile à tous les hommes .

« Il se lève dans le ciel , cet astre d'or , ce dieu vain


queur et brillant qui porte au loin ses regards et ses
pas ; le soleil donne la vie aux peuples qui s'agitent
et se mettent à l'ouvre .

« Les Dévas immortels ont ouvert la voie au soleil


et aussitôt , tel que l'épervier , il s'élance , et vole dans
l'air . Au lever du soleil , nous voulons , ô Mitra et
Varouna , vous honorer dans Aryaman , par nos ado
rations et nos sacrifices.
23
384 L'OLYMPE BRAHMANIQUE

« Que Mitra , Varouna, Aryaman, nous comblent de


biens , nous et nos enfants ; que toutes les voies nous
soient ouvertes et faciles, et toi , Aryaman, secondes
nous toujours de tes bénédictions . »
CHAPITRE LXXIII

LES APRIS

Sont des Dévas ou demi - dieux , qui sont les per


sonnifications divines du dieu Agni , dans toutes les
formes qu'il revêt pour le sacrifice ; l'hymne suivant
réunit tous leurs noms et toutes leurs attributions .

« Agni , sous la forme de Sousamiddha , amène pour


nous les dieux vers celui qui offre l'holocauste ; prêtre
et sacrificateur, consomme le sacrifice.

« Sage divinité qu'on nomme Lanounapa , fais agréer


350 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
aujourd'hui aux dieux notre sacrifice, qu'il leur soit
aussi doux que le mřel.

« J'invoque ici dans cette assemblée celui qu'on


appelle Narasouta , le dieu chéri des apsaras, le sacri
ticateur dont la langue est si douce .

« Agni , sur ton char bienheureux , amène les dieus ,


ô toi sacrificateur appelé Ilita , toi que Manou a cons
titué pour présider à nos fètes.

« Mortels éclairés , étendez le gazon sacré , qu'il


soit arrosé de beurre à l'endroit où les dieux vont

venir prendre leur ambroisie .

« Qu'elles s'ouvrent, les portes divines de l'enceinte


sacrée ; ces portes que le sacrifice sanctifie, qu'elles

s'ouvrent aujourd'hui pour la pieuse cérémonie.

J'appelle à ce sacrifice la belle Nuit, la belle


L'OLYMPE BRAH MANIQUE . 337

Aurore , qu'elles viennent toutes deux prendre place


sur ce cousa .

« J'appelle aussi ce couple de dieux à la douce


langue, qu'ils aient part à notre sacrifice.

« Que les trois déesses qui apportent la joie , Ila ,


Saraswati et Mabi , daignent sans crainte s'asseoir
sur le cousa .

« J'appelle ici le grand Twachtri, qui sait revêtir


toutes les formes, qu'il soit notre ami .

« Divin Vanaspati , donne aux dieux l'holocauste


qui leur est destiné . Que la sagesse soit le partage de
celui qui le leur offre.

« En l'honneur d'Indra , prononcez le Swaha ! dans


la maison du père de famille qui offre le sacrifice :
c'est là que je convie les dieux.
CHAPITRE LXXIV

LES DEMI - DIEOX INCONNUS

Il y a une foule de dieux inconnus , personnages


que leurs vertus ont déifiés, et que par conséquent
on ne peut invoquer par leurs noms. Une fête leur est
dédiée au solstice d'automne , et pendant le sacrifice,
l'hymne suivant leur est adressé :

« Que Mitra, que Varouna , que le sageAryaman, 8


dieux inconnus , vous conduisent près de nos sacri
fices ; c'est pour vous que la source va couler en ce
jour ; ô dieux inconnus, soyez-nous favorables.

« 0 dieux inconnus, vous présidez aux nombreuses


L'OLYMPE BRAHMANIQUE. 359

actions des mortels ; messagers divins, vous voyez


tout , vous savez tout ; vous suivez les hommes dans
leur vie, vous les suivez dans leur mort , et vous rens
seignez le dieu Soma sur leurs actions.

¥ }

« 0 dieux inconnus , qui , par vos bonnes couvres,


avez conquis l'immortalité , à nous qui sommes mor
tels , donnez-nous les moyens de conquérir l'immor
talité ; voyez nos sacrifices.

« 0 dieux inconnus , qui étes conduits par Indra ,


inondés de lumières par Agni et transportés dans
toutes les parties du monde par les Marouts , que
commande le sage Vayou , dieu à la vue perçante,
au pouvoir sans bornes, délivrez-nous de nos enne
mis .

« 0 dieux inconnus, esprits subtils , qui avez dé


pouillé votre forme mortelle et qui savez vous rendre
le puissant Vischnou favorable, accordez-nous des
vaches au lait abondant .
360 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

« 0 dieux inconnus, rien n'est doux pour l'homme


qui offre le sacrifice comme le souffle des vents parfu
més , comme l'eau pure des fleuves et les plantes de la
terre ; mais rien n'est plus favorable à l'homme , rien
n'attire de plus grands biens que de chanter vos
louanges .

« O dieux inconnus , écoutez nos prières , recevez


nos voeux , que douces vous soient la nuit et les auro
res , que l'air qui environne le monde vous soit doux,
que le ciel notre père vous soit favorable.

« Que le puissant et le misércordieux dieu Agni


vous soit doux, que la lumière du soleil vous soit
douce , que les vaches fécondes vous accordent leurs
faveurs, que doux vous soit leur lait .

O dieux inconnus , que les grands et puissants Mitra,


Varouna et le sage Aryaman vous soient doux , qu'ils
vous conduisent près de nous pour recevoir le sacri
fice . »
1

CHAPITRE LXXV

LES VISWADÉVAS

Les viswadévas , d'après une tradition singulière,


sont tous les dieux oubliés dans les nuits profondes de
Brahma, pendant les millions de pralayas ou disso
lutions qu'a déjà subies l'univers. Ces dieux , ancêtres
des dieux, n'ont plus de formes et n'existent plus que
dans la mémoire de Brahma . Swayambhouva , à titre
de souvenirs, le lendemain de la fête des dieux incon
nus , leur est consacré , et voici l'hymne qu'on leur
adresse :

« Que les viswadévas accourent à notre sacrifice


attirés par la voix des hymnes et la fumée des offran
des ; qu'ils viennent respirer l'odeur de l'holocauste,
362 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .

et une seconde jeunesse, une seconde vie leur sera


accordée à la fin du prochain pralaya .

« Qu'ils se rendent donc vers.nous, ces dieux ou


bliés par les siècles dans la poussière du cerveau de
Brahma ; qu'ils se rendent donc vers nous, conduits
par les bons compagnons, les puissants dieux Mitra,
Varouna et le sage Aryaman .

« Venez vous unir à nos transports , venez avec


nous chanter le feu sacré et le souffle puissant d'Agni,
source de toute vie ; venez, soyez nos hôtes chéris ;
les pères de famille vont vous offrir, avec leurs chants,
l'oblation sacrée .

« Tel que le jeune veau appelle par ses cris la vache


sacrée aux mamelles pleines , tels nous vous implo
ronset vous appelons avec anxiété ; venez nous com
bler de vos faveurs ; c'est pour vous que nous faisons
couler le lait de la louange.
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 363

« Et de même que la vache vient à son nourrisson ,


accourez tous , dieux oubliés dans la poussière du
cerveau de Brahma ; venez recevoir nos voeux aussi
rapides que la pensée .

« Que Tvachtri vienne aussi vers nous , et qu'il par


tage la joie des maîtres des sacrifices ; que le puissant
Indra, l'ennemi de Vritra et l'ami des hommes , se rende
à notre sacrifice.

« Que nos prières , attelées au char du sacrifice,


s'approchent d'Indra comme la vache de son veau , et
le caressent comme un nourrisson ; que nos invoca
tions plaisent au dieu comme les paroles d'une ten
dre épouse .

« 0 dieux oubliés , que par la vertu de la plante


toulotchy , dont nous vous offrons le parfum , vous
puissiez revenir les dieux jeunes de l'avenir.

« Que les parfums du toulotchy , en se condensant ,


vous refassent une âme et un corps immortels .
.
CHAPITRE LXXVI

LE TOULOTCHY

Dans cette revue mythologique de toutes les formes


et de toutes les conceptions de l'Olympe brahmanique,
formes et conceptions tellement nombreuses qu'il nous
est impossible d'en parler avec plus de détails, nous
ne suivons d'autre ordre logique que celui qui découle
naturellement de la marche des idées . A chaque
grand dieu , nous rattachons tous les esprits.infé
rieurs , toutes les manifestations qui s'y rappor
tent .

Le toulotchy, dont il vient d'être parlé, est une


plante qui croit dans les lieux sablonneux et incultes;
c'est une espèce de basilic très parfumé ; les brahmes
l'ont en grande vénération et prétendent que la déesse
L'OLYMPE BRAHMANIQUE . 365

Sakmy , épouse de Vichnou , l'a fait pousser en l'arro


sant de son lait pour le bonheur des mortels .

« Rien n'égale sur la terre et dans le ciel la vertu


du toulotchy, » est un dicton fort commun dans
l'Inde ,

C'est par la vertu du toulotchy que les dieux et les


demi- dieux conservaient l'immortalité .

Tous les jours une prière lui est consacrée dans le


sacrifice .

Lorsqu'un brahme prêtre est près de mourir , on


va chercher une de ces plantes , on met un peu de sa
racine dans la bouche du mourant ; on en prend en
suite des feuilles , on les lui met sur le visage , les
yeux et les oreilles, et on l'asperge des pieds à la tête
avec une tige trempée dans l'eau lustrale , ou eau
consacrée .

En accomplissant cette cérémonie , on répète plu


sieurs fois ces mots : « Toulotchy , soyez - lui favorable;
toulotchy , procurez -lui une mort douce ; toulotchy,
donnez-lui l'immortalité . »

D'après la croyance vulgaire , la vue seule de ce


précieux et divin végétal suffit pour purifier de toute
souillure et obtenir l'immortalité .

Celui qui le cultive et l'arrose tous les jours est


assuré de parvenir au swarga .
Il est enfin consacré spécialement aux mânes
des viswandévas ou ancêtres des dieux .
Ses feuilles ont une odeur suave et aromatique ;

elles sont bachiques et cordiales , et les Indous leur


attribuent un si grand nombre de propriétés médici
366 L'OLYMPE BRAHMANIQUE .
nales, qu'à elles seules elles suffiraient, à les en
croire , à guérir tous les maux.
Dans le Paulhian vulgaire , il a été divinisé et
s'appelle la déesse Toulotchy; on en fait une des fem
mes de Vichnou .

FIN
TABLE DES MATIÈRES

PREMIÈRE PARTIE

LES ORIGINES DE MANOU

I. - Origine de Manou ..... 1

DEUXIÈME PARTIE

LES MYTHES DE LA CRÉATION


I. Manou .. 83
II . Les Maharchis , 89
III. Les sept Richis et le nombre sept... 93
IV. Brahma et la création... 97
V. · L'Euf d'or .... 109
VI . 411
VII .
Nara, l'esprit divin, celui qui se meut sur les eaux .
Brahma-Hiranyagharba , dans le culte vulgaire
des soudras et des esclaves.. 113
VIII . Brahma et la Trimourty .. 116
IX . Le Pralaya ... 120
X. Pracriti .... 121
XI . Pouroucha , le maître céleste, le linguam . 124
XII . Le divin monosyllabe ..., 129
XIII . Brahma dans le culte vulgaire.. 131
XIV. Vischnou .... 133
XV. Sivar .. 135
XVI . Indra, dieu des sphères célestes 138
XVII. Le mont Mérou .... 142
XVIII . Le Keilasa, paradis de Siva.. 144
XIX . Le Veikonta, paradis de Vischnou. 146
XX . Le Sattia Loca, ou paradis de Brahma .. 148
XXI . Le Mokcha ... 150
XXII. Le Naraca . 182
XXIII . Métempsycose . 161
XXIV. Indra védique .. 197
XXV . Le Vischnou du Manava . 207
XXVI , Le Vischnou védique... 210
XXVII . Les Avataras..... 215
XXVIII . Matsia Avatara... 217
XXIX . Le Varaha Avatara , 218
XXX . Le Courma Avatara . 219
368 TABLE DES MATIÈRES
XXXI . Le Nara-Sinha Avatara...
XXXII . Le Bama Avatara ..
XXXIII . Le Parassu - Rama-Avatara.
XXXIV . Le Rama-Avatara ...
XXXV . Le Bala - Rama -Avatara ..
XXXVI . Le Bouddah -Avatara .
XXXVII. Le Kalki - Avatara ...
XXXVIII. Christna -Avatara ...
XXXIX . Une légende de Rama .
XL , Agni, dieu du feu ...
XLI . 213
Agni dans la période védique ..
XLII. Les Adityas, personnification des formes du soleil . 23
XLIII. Adity, mère des Adityas......
XLIV . - Adity, personnification du ciel et de la terre ..... 238
XLV . Varouna, dieu des eaux ..
XLVI. Varouna, pendant la période vėdique ..
XLVII. Yama, dieu des enfers ..
XLVIII. 271
Sourya, dieu du soleil.
XLIX . Les Aswins, fils du soleil .. 277
L. Dahana, l'aurore, fille du ciel ..
LI. Chant à l'aurore...
LII . Soma, dieu de la lune ..
LIII . Le Soma védique ...
LIV . Couvera, dieu des richesses.
LV . Neiritia ... 307
LVI. Ganesa ..
LVII. Pouléar ... 311
LVIII. La déesse Mohiny . 313
LIX . Les marouts.... 316
LX . Roudra ... 319
LXI. Les Roudras.. 321
LXII. Prisni, mère des Marouts
LXIII . Prisni, mère des ondes ..... 3:6
LXIV. Les Rakchasas ......
LIT. lakchas , Gandharbas, Apsaras, Nagas , Sarpas,
Souparnas 3
LXVI. Les Pitris.. 333
LXVII. Hymne aux Pitris .. 338
LXVIII . Les Assouras.. 311
LXIX . La déesse Yami .. 315
LXX . Mitra .. 319
LXXI. Vayou ....
LXXII. Aryaman .. 355
LXXIII. Les Apris .. 355
LXXIV . Les demi-dieux inconnus. 301
LXXV . Les Viswadévas...
LXXVI. Le Toulotchy......

Imprimerie D. Bardin , à Saint-Germain.


JEHOVAH ET AGNI
(Extrait des Mémoires de l'Académie des Sciences, Belles - Lettres,
Arts, Agriculture et Commerce du département de
la Somme).

Amiens. - Imp . de E. Yvert , rue des Trois- Cailloux, 64.


JEHOVAH ET AGNI

ÉTUDES BIBLICO-VÉDIQUES
Sur les Religions des Aryas et des Hébreux
ste

dans la haute antiquité


pli
na
a
m

5.-B.-F.

JUGE HONORAIRE ET MEMBRE DE L'ACADÉMIE D'ANIENS ,

1er et 2. Fascicules (1869-1870).

gle

PARIS
A. DURAND et PEDONE LAURIEL , Libraires ,
Rue Cojas , 9, (ancienne rue des Grès).

1870 .
‫رنه‬
JEHOVAM ET AGNI

ETUDES BIBLICO - VEDIQUES


PAR J.-B.-F. OBRY,
JUGE HONORAIRE ET MEMBRE DE L'ACADÉMIE D'AMIENS.

φράζω τον πάντων υπατον θεόν εμμεν’ ΙΑΩ


Macr. Satur . I , 18 .

INTRODUCTION ,

I.

Le présent mémoire faisait originairement partie


d'un plus grand travail , communiqué dans le cours
des années 1831 à 1836 à mes collègues de l'Aca
démie des Sciences , Belles-Lettres, Arts , Agriculture
et Commerce du département de la Somme, siégeant
à Amiens . Ces longues recherches avaient pour titre
et pour objet les traditions primitives des Hébreux ,
des Perses et des Indiens sur la création , le jardin
d'Éden , le déluge et les premières migrations des
peuples après le grand cataclysme ( 1 ) . Le nom propre
du Dieu des Juifs, Jehovah , écrit Y H V H, ou plus
( 1 ) Voy, mon opuscule du Berceau de l'Espéce humaine où ces
traditions ont été résumées en grande partie .
1
11

simplement IH U H , en hébreu non ponctué , et


nommé Tétragramme hébraïque en raison du nombre
de ses lettres , ne pouvait manquer d'y tenir une
large place comme désignation d'un Dieu créateur,
conservateur et destructeur qui , sous ce triple point
de vue , résumait , en quelque sorte , la triade in
dienne de Brahmå, Vichni et Çiva, et mieux encore,
comme j'ai pu m'en convaincre dans la suite , la
triade védique d’Agni. Vâyu et Sûrya (1 ) .
Ce nom divin était réputé sacré, glorieux, terrible,
ineffable et incommunicable , en tant qu'il exprimait
l'essence même de la divinité , à la différence des
qualificatifs latin , grec et sanscrit Deus , Théos ,
Dêvas , qui ne signifient que le lumineux , le
resplendissant. Il avait joué un trop grand rôle
dans la religion des Juifs, et sa véritable pronon
ciation a donné lieu à trop de débats en Europe,
depuis la renaissance des lettres jusqu'à ces der
niers temps, pour qu'il n'attirât pas spécialement
mon attention . Il la méritait à coup sûr au triple
point de vue de l'bistoire , de la linguistique et de
l'étbnologie, même abstraction faite du dogmatisme
qui ne devait pas entrer dans le cadre de mes re
cherches. J'étais d'autant plus porté à m'en occuper
(1 ) Dans tous les mots sanscrits, zends et latins , la voyelle
u doit se prononcer ou, à moins qu'elle ne devienne demi
consonne devant une autre voyelle, auquel cas elle se prononce
comme le v français. Quant à la voyelle i, tout le monde sait
qu'elle se prononce comme le j allemand ou le y grec quand
elle est mue par une autre voyelle .
INI

que, d'une part , M. J. D. Guigniaut avait gardé le


silence sur le culte Judaïque dans la refonte française
du grand ouvrage allemand de Frédéric Creuzer ,
intitulé Symbolik und Mythologie der Alten Vælker,
et que , d'autre part , Benjamin Constant s'était livré
au sujet des Juifs, comme des autres peuples d'ail
leurs , à une polémique trop anti-sacerdotale dans
son livre de la Religion considérée dans sa source , dans
sa forme et dans ses développements. Il y avait donc là ,
selon moi, une grande lacune à remplir . Toute une
aile de bâtiment me paraissait manquer au bel
édifice des Religions de l'antiquitė . Sans avoir aucu
nement la prétention de la construire , j'espérais .
pouvoir en poser les fondements.
J'étais , d'ailleurs , ramené par mes précédentes
études à faire remonter l'emploi et l'usage du Tétra
gramme hébraïque à une époque antérieure à la
vocation d’Abraham , et même à lui supposer une
étymologie et une signification mixtes, moitié aryen
nes, moitié sémitiques . Malheureusement, les textes
sanscrits des Védas de l'Inde étaient alors presque
lettres closes pour notre Occident . Il m'était donc
impossible de vérifier mes conjectures dans la subs
tantielle , mais trop courte analyse de ces livres
sacrés par l'illustre Colebrooke ( 1 ) .

( 1 ) Cette analyse, publiée d'abord dans les Asiatik Researches


de la Société de Calcutta, IV, p . 369 à 476 ( 1805, in-4°), a été
réimprimée dans les Miscellaneous Essays de l'auteur, 1, p. 9 à
113 (London , 1837, in-8°).
IV

Dans la disposition d'esprit où je me trouvais,


j'hésitais , après beaucoup d'exégètes , à admettre
pour la période patriarcale le sens métaphysique celui
qui est que l'on tire communément du chap. III ,
vers . 14 , de l'Exode , malgré la ressemblance de cette
definition de Jéhovah , tant avec celle du Brahma
Svayambhůh : Brahmâ existant par soi-même , des
Brahmanes de l'Inde , qu'avec celle de la déesse Néith
des prêtres de l'Egypte : Je suis ce qui a élé , ce qui
est, et ce qui sera . D'un autre côté , j'étais peu satisfait
des deux étymologies conjecturales et contradictoires
proposées l'une par le dominicain portugais Oléaster
et l'autre par le réfugié français Jean le Clerc , parce
qu'il me semblait que si le Dieu des Juifs était tantôt
destructeur et tantôt créateur , ces deux attributs
pouvaient très-bien résulter de sa nature divine ,
sans que l'un ou l'autre eût été pris en considération
dans la formation de son titre distinctif à une époque
et dans un pays où l'on reconnaissait plusieurs dieux
que l'on distinguait des autres ètres par le pouvoir
à eux attribué de faire du bien ou du mal à volonté .
J'inclinais plutôt vers cette autre idée , émise par le
chanoine allemand Hartmann et adoptée par l'égyp
tologue français Charles Lenormant, que Jéhovah
avait fait originairement , c'est- à-dire avant la loi
mosaïque , l'office d'un dieu fils, préposé par ses au
teurs ou par ses compagnons , les Elohim , au gou
vernement du monde , et par suite, j'étais tenté de
rapporter à celte idée de filiation l'origine de son
V

nom, ce que n'avaient pas fait pourtant les deux


exégètes que je viens de nommer . Il me semblait que
le qualificatif brut Thuh , en le ponctuant Yahuh ou
Yaho , avait pu originairement signifier le Dieu créé
ou le fils, bien plutôt que le Dieu créateur ou le
père . Mais, faute de preuves philologiques tirées de
sources antérieures au retour de la captivité de
Babylome, cette hypothèse était restée dans mon
esprit à l'état de conjecture vraisemblable , mais rien
de plus . Le Zend-Avesta des Perses m'offrait bien l'épi
thète fils d'Ormuzd, appliquée fréquemment au Dieu
du feu, mais je n'y lisais pas une forme zende sem
blable à celle du thuh hébreu : l'idée de fils y était
rendue par Puthra, sanscrit Putra, et c'est Thuh quc
je cherchais. En conséquence, j'avais relégué dans
mes cartons ce travail resté incomplet et inachevé .
Dans le cours de l'année 1841 , j'eus occasion d'en
parler à notre grand philologue Eugène Burnouf
auquel j'avais antérieurement communiqué mes pre
miers aperçus et qui m'honorait de ses sympathies,
de ses conseils et de son amitié . Ce digne correspon
dant de l'Académie d'Amiens m'engagea à lire , pour
m'éclairer là dessus, la petite Rig- Véda -samhilà de
Frédéric Rosen , publiée à Londres en 1838 , avec
transcription en caractères européens , traduction
Jatine et notes explicatives . Il ne put alors me prêter
ce rare et précieux recueil d'une très -petite partie
des hymnes védiques , parce qu'il en avait besoin
toutes les semaines pour son cours de littérature
sanscrite au Collège de France , où il l'expliquait à
VI

ses nombreux auditeurs . Mais il me fut loisible de le


consulter à mon aise , grâce à l'obligeante communi
cation du savant et modeste Salomon Munk dont je
regrette vivement la mort récente et inattendue .
L'épigraphe Ab Oriente Lux inscrite au frontispice
de la Samhita ou collection védique de Rosen , me
donna l'espoir d'y trouver enfin ce que j'avais vaine
ment cherché partout ailleurs. Je ne fus pas trompé.
dans mon attente, à ce que je crois du moins, car
j'y vis briller trois fois un qualificatif divin qui me
parut alors et me parait encore aujourd'hui entière
ment identique au Tétragramme de la Bible . Il y était
appliqué exclusivement au dieu du feu Agni, latin
Ignis, lithuanien Ugnis, slave Ogni, etc. (1 ). Depuis
cette époque , je l'ai retrouvé trois autres fois dans
la transcription du Rig-Véda entier, effectué par M.
Théodore Aufrecht (2), et trois autres fois encore
(1 ) l'ai ici en vue le vocatif Sahasó Yaho, Roboris Fili! qu'on
y lit, p. 43, St. 10, p. 49, St. 5, et p. 154, St. 4. Le nominatif
serait Sahasó Yahuh que Benfey donne dans son petit glossaire
védique ci-après cité, au mot Yahuh, écrit Yhuh, parce qu'en
sanscrit la voyelle brève a est toujours sous-entendue après
toute consonne non accompagnée d'une autre voyelle , à moins
qu'elle ne soit marquée du signe de quiescence.
(2) Dans les vol . VII et VIII des Indische Studien de M.
Albrecht Weber. Voici d'ailleurs, pour ordre et mémoire, l'in
dication des six textes du Rig -Véda que j'y ai relevés avec les
noms des poètes compositeurs :
1 ° Mandala I , Sukta 26, Rig. 10, Richi Çunaçepha.
2° id . 1, id . 74, id . 1 , id. Gôtama.
30 id . I, id. 79, id . 4, id. Gôtama encore.
40 id . VII , id . 15, id, 11 , id. Vasichtha.
50 id . VIII , id . 19 , id . 20, id . Sôbhari .
6° id. VIII, id . 73, id . 4, id . Uçanas .
VII

dans le texte sanscrit du Sâma- Veda, édité par M.


Théodore Benſey en tête de sa traduction allemande
et avant son précieux glossaire védique ( 1 ) . Tout
porte à croire qu'il figure aussi , tant dans les deux
rédactions du Yadjour Véda que dans l'Atharva - Véda .
Mais il m'a été impossible de m'en assurer . Partout
où je l'ai vu , il est exclusivement appliqué au Dieu
de l'élément igné .
Ce point de fait était pour moi un trait de lumière,
car, à la lecture du Pentateuque et des autres livres
de la Bible , j'avais acquis la conviction que le
Jehovah des Hébreux du désert réunissait en soi les
principaux attributs du Phtah ou dieu -feu des Egyp
tiens, tel que le résumait à son article la Biographie.
universelle de Michaud , dans sa partie mythologique.
Agni , Jehovah et Phtah m'apparaissaient donc comme
trois noms différents d'un seul et même Dieu adoré
en Orient , c'est- à -dire depuis les rives de l'Indus
jusqu'à celles du Nil , et cela dès l'aurore du monde
civil , par les trois grandes races de Japheth , de Sem
et de Kham, pour parler le langage de la Genèse et
suivre l'ordre de filiation ou de topographie qu'elle
indique dans son chap . X, vers. 21. Il me sembla
que ces trois divinités avaient pour caractère essen
tiel et commun le feu , mais , comme le disait le
sagace Parisot dans l'article cité de la Biographie
universelle, « le feu dans son acception la plus éten
(1 ) Voyez Die Hymne des Sama-Veda , Leipzig , 1848, in - 4 °
p . 153 du Glossaire, col. B.
VIII

t
due , le feu avec tous les principes que , dans
« l'enfance des sciences, les peuples durent confon
« dre avec lui , le feu avec le cortège de tous les
« fluides impondérables ou de leurs attributs, connus
u ou inconnus, nommés ou innommés , mais incon
« testablement sentis ou entrevus par les anciens,
a la lumière , la chaleur , l'électricité, le magné
u tisme . » Le mythologue que je cite ajoutait avec
raison que tous ces agents invisibles pour l'ail
humain et dont la nature même échappe encore à
l'intelligence , avaient ceci de commun qu'ils étaient
disséminés dans tout l'univers, ce qui avait conduit
les sages de l'antiquité à les réunir confusément sous
le nom du seul principe visible et palpable , le feu .
Depuis longtemps déjà, cette appréciation du dieu
égyptien Phtah me semblait applicable au dieu
hébreu Jehovah . Țelle était aussi l'opinion du pro
fond orientaliste allemand Wilhem Gesenius dans son
Thesaurus linguæ hebrææ et Chaldææ (1 ) . Je n'en con
cluais pourtant pas, comme il l'avait fait dans son
Lexicon manuale Hebraicum et Chaldaicum , au mot
Ihuh, que les enfants d'Israël avaient emprunté ce
nom divin à quelque sanctuaire de l'Egypte et
s'étaient bornés à le modifier légèrement pour l'ac
commoder à leur langue sémitique, car je considérais
le Tétragramme Ihuh comme beaucoup plus ancien
qu’Abraham lui-même, en Phénicie, en Palestine et

( 1 ) Voy. ce grand dictionnaire au mot Kbud, p. 155, col . B.


IX

en Chaldée . En le retrouvant lettre pour lettre dans


le Rig-Véda des Aryas de l'Inde, il me parut rationnel
de préférer ici Agni à Phtah , au point de vue de
l’étymologie s'entend, puisqu'il portait plus visible
ment que celui-ci le titre sacramentel tant contro
versé en la forme et au fond parmi les doctes des
derniers siècles . L'identité me paraissait évidente et
me paraît encore telle lorsque je compare les ancien
nes prononciations du nom hébreu Ihuh qui nous
ont été transmises par les payens , par les gnostiques
et par les Pères de l'Église , soit Yahuh , nominatif
aryen , soit Yaho, vocatif védique.
Après une première lecture du petit Rig-Veda de
Rosen , je m'empressai de faire part de ce que j'appe
lais ma découverte, d'abord à mon indicateur Eugène
Burnouf, puis à ma patrone l'Académie d'Amiens,
comme c'était mon devoir d'ailleurs, après les com
munications que je leur avais faites quelques années
auparavant ; car le qualificatif aryen que je venais
de trouver; me mettait à même de compléter et de
rectifier mes vues antérieures sur son homonyme
hébreu. Notre illustre correspondant, je dois le
reconnaitre , se borna , par une lettre du 13 décembre
1841 , à me donner quelques éclaircissements sur les
diverses significations, non pas tant du Yahuh aryen ou
Yahô védique, que de son dérivé sanscrit Yahvah qu'il
inclinait à prendre pour une sorte d'homonyme de la
lecture Jehovah, universellement admise aujourd'hui
et à laquelle il s'arrêtait lui-même. Occupé d'études
X

exclusivement aryennes et peu familiarisé alors avec


les langues sémitiques , il crut devoir s'abstenir
d'émettre un avis sur mon hypothèse . Mais quelques
années plus tard , au mois d'avril 1848 , lorsqu'il
eût terminé ses grands travaux tant sur la langue et
les livres Zends que sur le Bouddhisme indien et
expliqué très-savamment au Collége de France le
petit Rig - Véda de Fréd . Rosen , il me confia en con
versation qu'il avait eu plusieurs fois occasion de
songer à mon étymologie de Jehovah ; qu'il n'était
pas éloigné de l'admettre et que j'aurais tort de ne
pas la communiquer au monde savant, avec tous les
éclaircissements propres à la faire bien comprendre.
Après la mort prématurée et si regrettable de ce
philologue de génie, comme l'appelait son illustre
collègue M. Villemain , plusieurs indianistes de
Paris, en tête desquels je placerai feu M. le baron
d'Eckstein et M. Adolphe Regnier , m'engagèrent à
livrer mon travail à l'impression sur l'annonce que
j'en avais faite dans quelques-uns de mes opuscules
antérieurs (1 ) . Enfin >, MM . Ernest Renan et Alfred
Maury, si connus par leurs savants ouvrages sur les
matières d'archéologie religieuse , ont bien voulu
me faire les mêmes recommandations , tout en me
donnant à entendre , le premier surtout , qu'ils
(1 ) Tels que ceux de l'Immortalité de l'âme selon les Hébreux
(1839) , du Nirvana indien ou de l'affranchissement de l'âme après
la mort selon les Brahmanes et les Bouddhistes ( 1856), et du Berceau
de l'espèce humaine selon les Indiens, les Perses et les Hébreux ( 1858).
XI

avaient des doutes sur la solidité de mon système ( 1 ) .


Avant la révolution de 1848 , les esprits sérieux
en France étaient trop absorbés par les luttes et les
préoccupations politiques pour s'intéresser aux étu
des d'histoire religieuse . Autre temps, autres soucis
et autres goûts. Mais le présent travail , par le fond
autant que par la forme, ne peut convenir qu'à un
petit nombre de lecteurs . Je me vois forcé, en effet,
de revenir sur des matières de lexicologie et d'exé
gèse biblique peu attrayantes par elles-mêmes et peu
familières à l'esprit français. Je me trouve amené, en
même temps , et bon gré mal gré, à remonter aux
premiers âges de la civilisation en Orient, à l'époque
anté-historique où les vieilles et grandes religions
de l'Asie, nées successivement les unes des autres,
ne formaient encore qu'une seule et même église,
de même que les tribus si diversifiées qui y étaient
soumises, ne parlaient encore qu'une seule et même
langue, divisée en dialectes , comme l'église l'était
en sectes .
Ces considérations , jointes à des maladies et à des
malheurs domestiques , m'ont empêché jusqu'à ce
jour de songer à la publication de ce vieux produit
de mes études Biblico -Védiques. Je l'ai retouché ,
révisé et refondu à diverses dates avec le projet sans
( 1 ) Ils y ont fait allusion sans me nommer, l'un à la p. 7 de
sa brochure intitulée de la part des peuples sémitiques dan
l'histoire de la civilisation , et l'autre en divers endroits de son
Essai historique sur la religion des Aryas, dont je parlerai bientôt.
XII

cesse nourri et sans cesse ajourné de rechercher pour


lui un éditeur bienveillant. Cet éditeur, je l'ai enfin
trouvé dans le corps savant auquel j'ai l'honneur
d'appartenir depuis 38 ans bien comptés , et qui a
constamment accueilli avec faveur le fruit de mes élu
cubrations. L'Académie d'Amiens a bien voulu pro
téger ce dernier travail de ma plume en lui donnant
accès dans ses Mémoires imprimés. Je n'entends pas
dire qu'elle adopte mon système d'interprétation . A
l'exemple de toutes les sociétés littéraires et savantes
de la France et de l'étranger , elle ne publie les re
cherches laborieuses de ses membres que dans la
seule vue d'appeler sur elles l'examen des juges
compétents , le tout sans aucune approbation préju
dicielle . Les idées que je publie me restent donc
personnelles, et j'en suis seul responsable .
Ceci ne veut pas dire que je les présente toutes
comme entièrement peuves et inédites. Elles ne le sont
plus maintenant qu'en partie . Mais celte partie me
paraît susceptible d'offrir quelque intérêt pour une
certaine classe de lecteurs, sous les rapports déjà indi
qués, abstraction faite des dogmes religieux qui, à
mon avis, sont ici complètement désintéressés, puis
que , d'une part , mon étymologie s'applique à uneépo
que antérieure au Mosaïsme , et que, d'un autre côté,
à celle d'Auguste et de Vicramaditya , les qualificatiſs
divins Ihuh et Yahuh avaient depuis longtemps fait
place à ceux d'Elion en Judée et de Paraméchthi
dans l'Inde, signifiant tous deux le Très - Ilaut.
XIII

II .

En disant que le sujet de mes études Biblico


Védiques, je veux dire mon parallèle de Jehovah et
d'Agni , a perdu quelque chose de sa nouveauté, je
fais allusion, non pas aux aperçus déjà anciens et
nécessairement incomplets de divers exégètes alle
mands sur l'origine indienne du Tétragramme hé
braïque ( ) , mais seulement au parallèle plus suivi qui
a été tenté plus récemment par deux savants français
entre le Dieu aryen Indra et le Dieu hébreu Jehovah.
Mon devoir est d'en dire ici quelques mots par
anticipation, me réservant d'y revenir plus tard, s'il
y a lieu , et de montrer qu'en faisant choix d’Agni,
au lieu d’Indra, c'est -à -dire du Dieu du feu en place
du Dieu de l'éther, dans mon appréciation du culte
védique , je m'écartais moins des origines aryennes
et sémitiqnes qu'il ne parait à première vue .
Les deux écrits dont je veux parler émanent l'un
de M. Edgar Quinet et l'autre de M. Alfred Maury,
écrivains qui ont acquis tous deux , dans les sciences
comme dans les lettres, une grande et légitime célé
brité . Ces deux savants français avaient, sur leurs
devanciers d'Outre -Rhin , l'avantage de pouvoir re
( 1 ) Je citerai entre autres : 1 ° Buttmann , Mythologus, II , p .
74 et suiv.; 20 Von Bohlen, Die Genesis, Einleitung, p. 103 ;
3° De Wette, Bibl. Dogmatik , Beitrage, II, p. 183 ; et 4° Vatke,
Bibl. Theologie, I , p. 668-72. A l'époque où ces savants écri
vaient on ne connaissait pas encore en Europe la religion des
Aryas, antérieure au Brâhmanisme indien .
XIV

monter plus haut que le védåntisme indien . Aussi se


placent - ils au centre de la religion des anciens
peuples qui, sous le nom d'Aryas,habitaient le Sapta. Jakie
Sindhou , c'est -à-dire le pays du Kaboul et du Pendjáb dale
actuels , arrosé par sept fleuves (Sapla -Sindhavas)
dont l'Indus était le principal (!), car la région gang!

gétique ne faisait pas encore partie de l'Aryavarlatey


indien , pas plus, à ce qu'il semble , que la Perside

ou Perse proprement dite n'était alors comprise dans


l'Airyanem - Vaêdjo habité par les Iraniens de la Bac
triane , frères des Aryas indiens .
M. Edgar Quinet , dans son Génie des Religions, CE
publié en 1842 , n'avait à sa disposition que la
version latine du petit Rig -Véda de Rosen , formant
tout au plus la 10° partie de ce grand recueil d'hym
nes védiques . M. Alfred Maury , qui rédigeait onze
ans plus tard son Essai historique sur la Religion des Eeth
Aryas (2) , avait à la sienne la traduction française
et intégrale de M. A. Langlois , publiée de 1849 à
1852 , en 4 vol . in -8° , dont il se proposait de rendre
compte , dans le but annoncé de faire servir son ana Si les
lyse à éclairer les origines des religions hellénique ,

( 1 ) Sur la situation et l'étendue du Sapta-Sindhou, voyez, ku


outre les auteurs cités dans mon opuscule du Berceau de
l'espèce humaine , p . 49-53 , un autre ouvrage postérieur et
remarquable de M. Vivien de Saint-Martin, analysé par M.
Alfred Maury , à la p . 16 de ses Croyances et Légendes de l'Antiquité.
1

(2) Dans la Revue archeologique, te série, t. IX, année 1853.


Il en a donné une 2e édition revue, corrigée et augmentée, en
tête de ses Croyances et Légendes de l'Antiquité, publiées en 1863,
XV

laline, gauloise , germaine et slave . Ce n'est guères


qu'accessoirement et par occasion , pour ainsi dire ,
qu'ils ont tenté tous deux , mais le second avec plus
d'étendue que le premier, des rapprochements reli
gieux entre Indra et Jehovah ( 3 ) .
J'applaudis sans réserve à leur manière de voir
à ce sujet , car, dès l'année 1841 , c'était déjà la

mienne . Si je suis leurs brisées , ce n'est pas fonciè


rement pour substituer le Dieu du feu au Dieu de
l'éther, la différence entre Indra et Agni me parais
sant résider dans les noms bien plutôt que dans les
idées . C'est d'abord pour étendre le parallèle de l'un
ou de l'autre avec Jehovah å une foule d'objets, de
particularités, de détails que ces deux savants ont
rebalo dù négliger, parce qu'ils se proposaient moins de
remonter à la première origine des deux cultes
aryen et hébraïque , que de les envisager à l'époque
de leurs développements respectifs. C'est ensuite et

£ surtout pour suppléer à une autre lacune sur laquelle


itt
j'ose insister . Voici en quoi elle consiste .
En ne s'arrêtant qu'aux sommités , en distinguant
Indra d'Agni, et en préférant le premier au second ,
mes deux illustres devanciers ont très -bien pu , ils
ont dû même laisser dans une sorte de pénombre la

partie purement philologique du parallèle qu'ils

(3) Pour les comparaisons entre Indra et Jehovah , voy. d'une


part, du Génie des Religions, p . 145-58 et p . 384-5 , et de l'autre ,
12 Nevue citée, IX, p. 592-604 ou Croyances et Légendes de l'Anti
quité, p. 21-38 ,
--
XII

esquissaient, je veux dire l'étymologie et le sens


primitif du nom hébreu Ihuh, sujet ingrat et aride
qu'ils n'auraient d'ailleurs songé à aborder que s'ils
avaient remarqué la relation de ce nom avec une
rare épithète aryenne d'Agni , perdue au milieu de
beaucoup d'autres qualifications louangeuses . Je
crois avoir de bonnes raisons pour y attacher une
grande importance . Il me semble qu'en pareille ma
tière la similitude des noms prouve mieux et prouve
plus que la ressemblance des idées . En effet, Jehovah ,
une fois conçu comme le Primus inter pares , et il me
parait l'avoir été ainsi très -longtemps par ses adora
teurs avant de l’être comme le Dieu unique, Jehovah ,
dis-je, peut ressembler au Jupiter des Latins , au
Zeùs des Grecs, à l'Osiris des Égyptiens , à l'Hadad
des Syriens, au Baal ou Bel des autres peuples sémi
tiques, et , à l’Ahuramazdâ ou Ormuzd des Bactriens,
des Mèdes et des Perses, tout autant et même plus
parfois qu'à l'Indra des Aryas du Sapta -Sindhou.
Ces analogies de rang, de fonction ou d'aspect ne
nous éclairent pas beaucoup , soit sur ses caractères
intrinsèques, soit sur les particularités de son culte,
soit sur l'origine de son titre distinctif, écrit Thuh ou
Yhuh ou Yhvh sans points-voyelles . L'identité de
nom , au contraire, en lui imprimant un cachet tout
spécial , le localise pour ainsi parler : elle indique
de quel plateau de l'Asie il a dû descendre primiti
vement ; car , s'il a toujours été vrai de dire Ab
Oriente lux , cette identité est , en quelque sorte, la
XVII

triple empreinte de sa provenance, de sa nature et


de son antiquité . C'est ce qu'on verra mieux lorsque
j'expliquerai le sens primordial de l'invocation védi
que Sahaso - Yah ) adressée par les Aryas au Dieu
de leur foyer.
J'avoue que la qualification aryenne Sahaso- Yahuh
qui in'a séduit ne figure que six fois dans le Rig
Véda , et au vocatif seulement sous la forme Sahasó
Yaho , avec application exclusive à Agni , ainsi que
j'en ai déjà fait la remarque . Je conviens, en outre,
que ses synonymes, et elle en a plusieurs dans les
hymnes védiques, n'y figurent que 70 à 72 fois avec
application au même Dieu , et 18 autres fois à
d'autres déités solaires, ignées ou atmosphériques,
au nombre desquelles on compte Indra (! ) , tandis que
son homonyme hébreu Thuh se présente à tout propos
dans les livres de la Bible antérieurs à l'exil babylo
nien , soit sous une forme complexe comme dans la
Rig -Véda, soit le plus souvent à l'état isolé . Mais je
ferai voir, d'une part, que les autres dieux védiques
ne reçoivent les équivalents du titre en question que
par métaphore en tant qu'émanés du foyer d’Agni ,
et, d'autre part, que la rareté du titre lui-même chez
les Aryas , sa fréquence et son abréviation chez les
enfants d'Héber sont insignifiantes au point de vue re
ligieux. Ces différences tiennent à nombre de causes
secondaires signalées et développées par M. Ernest

(1 ) Les autres sont Mitra et Varuna et les trois Ribhavas.


Ivui

Renan dans son beau livre intitulé Histoire générale


et système comparé des langues sémitiques où il fait
des rapprochements très-ingénieux entre les Aryas
et les Sémites sous le triple rapport de leurs carac
lères physiques, de leurs facultés intellectuelles et
morales et du génie de leurs langues respectives (1 ) .
Toutefois, en adoptant à cet égard les vues générales
de l'éminent critique , je me permeltrai de ne pas
trop insister sur le monothéisme des seconds et le
polythéisme des premiers, car l'histoire atteste qu'à
l'exception du peuple Juif, les Sémites étaient aussi
polythéistes que les Aryas et que les Khamites. Du
reste, il a reconnu lui- même qu'en cette matière
il fallait faire un triage entre la foule et le petit
nombre, entre les ignorants et les lettres (2), correctif
d'autant plus nécessaire, que , chez les Israélites
eux-mêmes, l'idolâtrie a eu souvent le dessus jus
qu'au retour de l'exil babylonien (3) .
« L'Asie, a dit avec raison M. Edgar Quinet dans
son esquisse rapide et imagée , l'Asie a deux échos
qui s'appellent à ses deux extrémités. Quand l'hy
malaya dit Indra, le Liban répond Jehovah ! » (4) M.
Alfred Maury part aussi de ce point de vue . Mais
( 1 ) Voyez l'ouvrage cité, fre édit. , p . 1-24, p. 389-400, et p.
463-77.
( 2 ) Voy, sa brochure déjà citée De la part des peuples sémiti
ques dans l'histoire de la civilisation .
(3) Ce fait a été amplement démontré par Benjamin Constant
dans son livre De la Religion, II, p . 232-6, en notes .
(4) Du Génie de Religions, p. 314 ,
XIX

il remarque , toutefois, qu'Agni , l'enfant de la force,


car, de son aveu , c'est une épithète qu'on aime
à lui donner, qu'Agni , dis-je , supplante ou rem
place Indra dans une foule d'hymnes védiques qui
célèbrent ses sept flammes, son éclat, ses qualités,
sa force, sa prééminence, et vont même jusqu'à le
nommer l'âme du monde (1 ) . Quant à moi , il me
semble toujours qu'au siècle d'Abraham déjà les
deux échos en question devaient répéter plus spécia
lement l'on Sahasó Yaho, Ruboris Fili ! au vocatiſ,
et. Sahasơ Yahuh, Roboris filius, au nominatif , et
l'autre soit Yahô - Elohim , Fili Roborum ou Roboris,
soit Yahuh - Elohim , filius Roborum ou Roboris (en
hébreu sans points-voyelles Jhuh -Alhim ), c'est-à -dire
fils des forces, au pluriel, ou fils de la force, au singu
hier seulement, si l'on admet avec les grammairiens
qu'Elohim n'est ici qu'un pluriel d'excellence ou de
majesté, mis en place du singulier Al ou Aluh,
ponctués El et Eloha. Dès ce moment , en effet, je
crois pouvoir me permettre , sauf preuves ultérieures,
d'écrire, de prononcer et de traduire ainsi par anti
cipation et pour la période patriarcale le titre com
plexe Ihuh - Alhim des chap . II et III de la Genèse .
Il me semble qu'à cette époque les prêtres aryas, en
invoquant tour-à-lour le Dieu du foyer sacré ( Agni),
le Dieu de l'air ou de l'éther ( Vậyu ou Indra) et le
Dieu du ciel , c'est-à-dire le soleil (Sûrya), consi

( 1 ) Croyances et Légendes de l'Antiquité, p. 45 et 48.


dérés lous trois dans leurs rôles spéciaux , n'avaient
en vue qu'un seul et même être divin , le feu , cet
agent universel de la nature qu'ils envisageaient
comme créateur et roi des trois mondes de la terre,
de l'atmosphère et du ciel , c'est-à-dire comme em
brassant dans sa vaste, mais vague compréhension,
les trois dieux populaires qui étaient réputés présider
à ces trois parties de l'univers.
Si , relativement à la religion des Aryas , j'ai le
déplaisir de m'écarter en ce point des vues de mon
très-savant ami M. Alfred Maury ( 1 ) , j'ai au moins la
satisfaction de rester en parfait accord avec celles
de M. le baron d'Eckstein , ce vieux Nestor des
indianistes en France , très-apprécié en Allemagne
où il était né . Voici , en effet, ce qu'il écrivait en
1855 à propos du naturalisme dans les Védas : « les
Aryas considéraient le feu comme un dieu unique
qui apparaissait en trois régions . Allumé d'en haut
par un rayon solaire, ou né dans l'atmosphère par la
décharge d'un nuage électrique de la foudre , ou
extrait ici-bas du bois par le froitement, Agni ren
fermait l'idée culminante, l'idée centrale de tout le
culte védique » (2) .
Les textes du Rig-Véda que , de mon côté , j'avais
recueillis et groupés sur cette question de critique
comparative et que j'aurai soin de relever plus tard ,
(1 ) Voir ses observations sur l'Anukramani ou table du Rig
Veda, Croy. et Lég. citées, p . 115 .
(2) Voy. l'Athéneum Français, annén 1855, p . 61 , col . 2 et 3 .
in'avaient paru tellement clairs , précis et concordants
que, dans ma brochure du Nirvana indien , publiée
en 1856, je n'ai pas hésité à qualifier Agni par ce
titre significatif : l'Être unique aux noms multiples (1).
Je songeais alors au Ihuh- Alhim des premiers chapi
tres de la Genèse, à ce Dieu chaldéen qui , semblable
au Sahasố Yahuh védique , formait à la fois la base ,
le centre et le couronnement de l'edifice à la fois
religieux , social et politique des Beni- Israël, à
partir de leur sortie de la Basse-Égypte.
Je me plais à croire que si , en 1863, lors de la
révision de son Essai historique pour la 2e édition
donnée en tête de ses Croyances el Légendes de l'Anti
quitė, M. Alfred Maury s'était mieux rappelé ce que
je lui avais dit en conversation , quelques années
auparavant , de ces deux qualificatifs divins , à la fois
homonymes et synonymes, il ne se serait pas borné à
signaler, sans aucune explication, le titre védique
enfant de la force, donné à Agni par les prêtres Aryas .
Il l'aurait rapproché du Thuh - Alhim de la Genèse ,
ou du moins il aurait indiqué les anciennes pro
nonciations du Tétragramme hébraïque auxquelles
je m'arrêtais . Mais peut-être , s'il y a songé un
instant , a-t-il préféré attendre pour en parler la
publication tant de fois annoncée de mes Etudes
iblico- Védiques .
( 1 ) Voy. cette brochure à la p. 21. Elle est extraite du t. ler,
2e série des Mémoires de l'Académic d'Amiens pour les années
1851 à 1857 .
XXII

Dans la petite phrase de M. Edgar Quinet sur les


deux échos qui se répondent aux deux bouts de
l'Asie , le brillant littérateur a évidemment attribué
aux mots Himalaya et Liban l'acception la plus
étendue, je veux dire qu'il les a pris comme désignant
deux grands systèmes orographiques, l'un Aryaque
et l'autre Araméen . Or, comme il s'en réfère virtuel
lement , ainsi que M. Alfred Maury, au livre de la
Genèse en ce qui concerne les migrations des anciens
peuples de l'Asie, je crois traduire exactement leur
pensée à tous deux , en marchant de l'Est à l'Ouest
depuis les monts Belour-Tag et Hindou-Kouch , au
nord du Sapta-Sindhou , jusqu'aux monts Horeb et
Sinaï , au sud du Canaan . A leur exemple , je ne
pense pas que pour expliquer les ressemblances de
Jehovah soit avec Indra , soit avec Agni, soit avec
Súrya, car ces trois dieux védiques ne font pour moi
qu'un seul et même dieu ( 1 ), il soit nécessaire de
chercher dans les montagnes de la Gordyène ou du
Kourdistan actuel , un foyer primordial et commun
qui aurait été placé entre le Tigre et l'Euphrate et
dont les flammes auraient rayonné à l'Orient jusqu'à
l'Indus et à l'Oxus, de même qu'elles me paraissent
l'avoir fait à l'Occident jusqu'au Jourdain et au Nil .
( 1 ) J'ai déjà annoncé que les Indiens les ont remplacés par
eur triade de Brahmå, Vichnu et Çiva, auxquels M. Guigniaut,
dans les Religions de l'Antiquité, I , p . 157, avait appliqué le
célèbre passage de la première épitre de St-Jean , (1 , 7 et 8) :
Tres sunt qui testimonium dant, etc.... et tres unum sunt,
XIII

En cela, je ne fais que suivre mes anciens errements,


constatés pour l'Académie d'Amiens par mes nom
breuses lectures en séances privées et résumés

partiellement pour le public dans mon opuscule cité


du Berceau de l'espècc humaine selon les Indiens, les
Perses et les Hébreux , opuscule qui fait partie du
t . 1", 2° série, ( années 1858-60) , des Mémoires
imprimés de ce corps savant , et a été tiré à part en
un certain nombre d'exemplaires ( 1 ) .
Comme ceş errements se rattachent au sujet que
je vais traiter et qu'ils en forment l'un des points
accessoires , je prie le lecteur studieux de vouloir
bien , an besoin , consulter mon précédent travail ,
s'il n'a pas à sa portée les deux ouvrages de M.
Ernest Renan sur les langues sémitiques et sur l'ori
gine du langage . Dans tous les cas , je l'engage à se
bien rappeler les neuf premiers versets du chap . XI
de la Genèse , relatifs aux migrations des descendants
de Noé venant de l'Orient et s'arrêtant dans la plaine

de Sennaar ( la Mésopotamie) où ils bâtirent une


ville ( Babylone ) et une tour ( Babel ) qu'ils voulaient
élever jusqu'aux cieux , pour leur servir , l'une, de
point de ralliement et , l'autre , de lieu de refuge en
cas de dispersion et de nouveau cataclysme .

( 1 ) Ceux-ci se trouvent chez Auguste Durand, libraire à Paris ,


rue Cujas, nº 9. On peut voir aussi le rappel postérieur
de ces idées dans l'introduction à mon Mémoire inachevé ayant
pour titre Du Culte des Mánes à Rome, à Athènes, en Perse et dans
l'Inde, p. 224 et suiv . du t . V, 24 série , des Mémoires de l'Acadé
mie d'Amiens, pour les années 1864-5 .
XXIV

Du reste , si je renvoie ici à ma brochure du Berceau


de l'espèce humaine , c'est uniquement parce qu'elle
résume , complète et précise les vues de mes devan
ciers : Henry Ewald , Christian Lassen , baron
d'Eckstein et Ernest Renan : Suum cuique .

III ,

Mes Etudes Biblico - Védiques ne s'adressent qu'aux


esprits sérieux , dégagés de toute prévention , de toute
idée préconçue. Elles tendent à démontrer que le
Jehovah du Pentateuque et l'Agni de Rig-Véda
n'étaient originairement qu'un seul et même Dieu
comme ayant, l'un chez les patriarches de Canaan et
les Israélites du désert , et l'autre chez les Aryas du
Sapta-Sindhou , même nature , mêmes caractères,
mêmes attributs , mêmes symboles, mêmes fonctions
en paix comme en guerre, mêmes dénominations,
qualifications ou épithètes , mêmes instruments de
culte, mêmes nombres consacrés, même rôle dans le
gouvernement du monde ou plutôt de la société
aryenne ou israélite . C'est dire assez que mon travail
embrasse à la fois les choses et les mots , les idées et
leurs signes .
Les noms hébreux du Dieu suprême que je me
propose d'expliquer à mon point de vue et par com
paraison avec leurs corrélatifs sanscrits , se réduisent
à quatre . Je les présente ici sous leurs formes brutes
afin de ne rien préjuger d'avance sur la prononcia
XAV

tion fort controversée du plus important , quoique


j'aie déjà indiqué mon opinion là dessus. Ce sont :
1 ° Thuh lout court , appelé par les rabbins fils de
quatre lettres et par les hébraïsants nom tétragramma
tique ou quadrilittéral, lequel est fréquemment em
ployé seul en place du pluriel Alhim dans les textes
hébreux de la Bible , et raccourci quelquefois en Ih ,
forme poétique ou populaire qui a fini par prévaloir
dans les derniers temps du Judaïsme ;
2º Thuh - 11him , dénomination solennelle qui figure
d'abord aux chap. II et III de la Genèse, et se repré
sente parfois ailleurs dans les occasions importantes;
3 ° Al-Cldi, autre nom solennel et dit patriarcal
qui ne vient qu'ensuite et finit en poésie par se diviser
en Al et Chdi, employés alternativement;
Et 4° Thuh - Tsbauth, 3° qualification solennelle,
appelée prophétique, qui ne commence à apparaitre
qu'au 1° livre de Samuel , mais à laquelle il est déjà
fait allusion dans le livre de Josué.
Je n'ajoute point à ces noms le pluriel Adni, bien
qu'il figure tantôt seul comme Alhim et comme Ihuh ,
et tantôt avant ou après ce dernier, parce que tous
les hébraïsants s'accordent à ne voir en lui qu'un
simple qualificatif qui accompagne ou remplace le
Télragramme hébreu . J'agis de même et par les
mêmes motifs à l'égard de quelques autres titres de
Jehovah moins fréquents, tels que Adun (singulier
d'Adni) , Mik , Aliun , etc. , etc
Les trois noms complexes ou composés Thuh-Alhim ,
XXVI

Al- Chdi et Thuh- Tsbauth exigeront de ma part cer


tains développements, parce que leur comparaison
avec leurs correspondants védiques m'a montré qu'ils
sont susceptibles de divers sens, soit propres ou pri
mitifs, soit allégoriques ou figurés, soit mythiques
ou légendaires, non compris le sens orthodoxe ou
métaphysique que je ne repousse pas pour le Tétra
gramme, tant s'en faut, mais que je considère comme
postérieur en date, croyant suivre en cela la pensée
du rédacteur de l'Exode, ainsi que je l'expliquerai
ultérieurement. A la hauteur d'antiquité où j'ose me
placer, on ne s'étonnera pas des distinctions de sens
que j'annonce . Il y avait, alors parmi les Aryas comme
parmi les Hébreux , plus de polythéistes que de vrais
monothéistes , plus d'ignorants que de lettrés ; en
sorte que quand un Richi ou Nabhi, c'est-à-dire un
poète ou prophète, s'adressait au peuple, il se voyait
forcé, pour en être compris, de parler le langage du
peuple . Il faut donc en cette matière avoir égard aux
temps, aux lieux , aux personnes, aux croyances,
etc. , si l'on ne veut pas tout brouiller et tout
confondre .
Les sources où je puiserai la plupart de mes argu
ments sont le Rig-Véda ct le Pentateuque, sans
excepter ni le 10 ° ou dernier Mandala de l'un, ni le
5. ou dernier livre de l'autre , bien que réputés plus
modernes par la critique indépendante. Je ne me
préoccupe pas beaucoup de l'antiquité absolue ou
corrélative de ces recueils sacrés, Le premier n'est
XXVII

qu’une collection d'hymnes qui , comme le Psautier


davidique , contient des chants des différents âges,
composés par des Richis ou Voyants, réputés contem
porains; les uns d’Abraham ou de Jacob , les autres de
Moïse ou de Josué, d'autres encore , et même le plus
grand nombre, de David et de Salomon , si l'on s'en
rapporte aux appréciations des indianistes européens
(1 ) ; landis que, suivant un dernier appréciateur , M.
Martin Haug, allemand de paissance, alors résidant
dans l'Inde, où il dirigeait naguère les Études sanscri
les au Collége de Pouna , les plus anciens auraient
vécu du XX° au XXIV° siècle avant notre ère (?) .
De son côté, le second recueil porte maintes traces
de retouches, de remaniements, d'additions, de cor
rections , d'explications ou de rectifications qui ont
déterminé d'habiles exégètes à placer la rédaction
définitive de ses quatre premiers livres au VIIJ« siècle
avant notre ère et celle du 5 *, le Deutérononie,
vers le temps de la captivité (3) , Mais, en somme, le
Rig-Veda et le Pentateuque, quoique de natures et

(1 ) Voy, là dessus les divers résumés de M. Barthélemy


Saint Hilaire dans le Journal des Şavants, année 1853 , p . 404 et
suiv., année 1854, p . 279 et suiv.
(2) Voir le compte-rendu du même indianiste français dans
le même Journal des Savants, année 1866, p . 494-500.
(3) Voy. dans les Études critiques sur la Bible de M. Michel
Nicolas, p. 1-95, le substantiel résumé des travaux de l'Alle
magne sur les origines et la formation du Pentateuque.
Voy. aussi les Études d'histoire religieuse de M. E. Renan, p . 79
83 et son Histoire générale des langues sémitiques, p . 106, 11e éd .
XXVIII

d'époques diverses , me semblent également dignes


de confiance en tant qu'ils nous révèlent les idées
et les opinions religieuses qui avaient cours aux
deux extrémités de l'Asie aryenne et sémitique, et
cela dès les temps historiques les plus reculés, chez
deux peuples de races , de meurs et de langues
différentes, à quelque époque d'ailleurs que la criti
que la plus hardie place les rédactions matérielles
qui sont parvenues jusqu'à nous, quand même elle
les ferait descendre, pour le premier, au XIIe siècle
avant notre ère ( 1 ), et , pour le second , au retour de
l'exil babylonien (2) .
Ces problèmes de chronologie sacrée ont leur
importance sans nul doute au double point de vue
de l'interprétation des textes et du développement
des doctrines . Mais, fort heureusement pour moi , la
haute antiquité à laquelle je remonte me dispense
d'entrer en discussion à cet égard . Je suis plus frappé
du caractère archaïque des idées que de tout le
reste . Je n'hésite pas à faire une très- large part à la
( 1 ) C'est ce que fait M. Max Müller, A. History of ancient
sinscrit littérature, p. 572.- Sur quoi voy. les observations de
M. A. Maury dans les Croyances et Légendes de l'Antiquité, p. 103.
(2) On sait que nombre de Pères de l'Eglise attribuaient la
Restauration du Pentateuque au lévite Esdras , après le retour
de la captivité. Fabricius , dans son Coder Pseudepigraphus
reteris Testamenti, I , p. 1156-60, cite comme partisans de cette
opinion St-Irénée, Clément d'Alexandrie, Tertullien, St- Jérône,
St-Basile, St-Jean Chrysostôme, Athanase-le-Jeune et Léonce
de Byzance dont il rapporte les textes. Il a oublié d'y joindre
l'auteur des Homélies Clementines (II , 38 ; NI, 47.)
XXIX

tradition orale en matière de chants sacrés, de récits


symboliques, de légendes patriarcales que les prêtres
pasteurs des deux pays gravaient soigneusement dans
leur mémoire et transmettaient d'âge en âge à leurs
descendants , prêtres et pasteurs comme eux , et ,
comme eux , intéressés à les conserver intacts . Car
c'était là le fondement de leur puissance sacerdotale ,
plus ancienne dans le Sapta - Sindhou que dans le
Canaan ou la presqu'île de Sinai .
Il est certain d'ailleurs qu'à la longue , Agni et
Jehovah ont grandi dans l'esprit de leurs adorateurs
avec les progrès de la civilisation . M. A. Maury l’a
très-bien montré pour le premier ( ! ) et M. E. Quinet
pour le second (2) . Sur ces deux points je suis com
plètement de leur avis . Je ne diffère d'opinion avec
eux , qu'en ce que, relativement aux Aryas , je re
monte par hypothèse à une période de temps plus
reculée ( 3), à celle de la découverte des moyens de
se procurer du feu , élément très-utile et indispen
sable même à des tribus qui habitaient encore le
plateau élevé de Pamêr ou Pamir, assis sur les
( 1 ) Croyances et Légendes de l'Antiquité, p. 39 à 49.
( 2) Du Génie des Religions, p. 362-8 .
(3) Je dis par hypothèse parce que les documents dont je me
sers, après mes deux devanciers, ont besoin d'être rapprochés ,
réunis et même sollicités pour motiver les conclusions que j'en
tire. La chronologie indienne, tout incomplète qu'elle est, re
monte avec une certitude suffisante à l'an 3101 avant l'ère chré
tienne, au jugement de M. Adolphe Pictet, de Genève. (Voir ses
Origines indo-européennes, II, p . 329-34) .On sait que les Septante
palcent le Déluge à l'an 3716, c'est - à -dire 615 ans auparavant.
hautes montagnes du Belour - Tag et de l'Hindow
Konch et renommé par ses quatre fleuves paradisia
ques, le Kameh-Indus au Sud , l'Oxus à l'Ouest,
l'laxarte au Nord et le Tarim à l'Est . On sait que
la tradition de tout l'Orient faisait sortir ces fleuves
d'une source unique pour arroser quatre confrées
distinctes, appelées, en sanscrit , Maha-Dwipas ou
grandes iles , et se rendre delà, en coulant vers les
quatre points cardinaux, dans quatre mers ou grands
lacs limitrophes ( 1 ) .
J'admets qu'à cette époque anté - historique
les familles aryennes n'avaient pas encore fait un
seul dieu d'Agni , d'Indra ou Vâyú et de Súrya ,
qu'elles préposaient le premier à la lerre, le second
à l'atmosphère et le troisième au ciel , en les conside
rant comme trois dieux distincts et indépendants,
chacun dans sa sphère d'action,quoique unisd'inten
tion et de volonté.Mais, déjà sous la première période
védique , telle que nous pouvons l'entrevoir, Agni
était le Primus inter pares, en tant qu'il recevait
dans sa flamme, au lever du soleil , à son midi et à
son coucher , loutes les offrandes adressées tant à
lui qu'aux autres dieux : il était leur bouche et leur
langue, ainsi que le lui dit le Richi ou poète inspiré
Gốtama (2) . En conséquence , il devint bientôt leur
maitre à tous, leur père, après avoir été leur fils,
(1 ) Voyez là-dessus ma brochure citée du Berceau de ľEspèce
hilmaine, p. 55-98 ou , en raccourci, p. 187-90.
(2) Rig - Véda Langlois, I, p. 142, St. 13 .
jusqu'au temps où les plus anciens philosophes vedan
tistes, par une synthèse à la fois naïve et profonde,
firent rentrer en lui tous les Devas du panthéon
védique, réunirent et concentrèrent en sa personne
toutes les forces actives, apparentes ou occultes, de
la nature, en donnant à son titre de Brahman ou
prêtre une signification transcendante, puis en subs
tituant à l'ancienne triade d'Agni- Vayu - Sûrya, celle
de Brahma - Vichnu - Çiva , exprimée par le divin
monosyllabe lum (1 ) sur lequel ils débitèrent autant
de rêveries que les rabbins Juifs sur Ihuh , à telle
enseigne qu'Anquetil-Duperron crut à une commu
nication d'idées, probablement par l'entremise des
dix tribus que Salmanazar avait transportées de
Samarie dans les villages des Mèdes (2) . Mais, je l'ai
déjà dit , ces théologiens védântistes de l'Inde
n'étaient en ce point que les échos renforcés de leurs
devanciers du Sapta-Sindhou . En effet, dès la période
purement védique , nombre de chantres avaient élevé
Agni au rang suprême sous le titre d'esprit unique
aux noms multiples.
Je n'hésite donc pas à identifier le Sahasô - Yahuh
du Rig Veda au Yahuh - Elohim de la Genèse, je veux
dire, à prendre ces deux appellations complexes pour
(1 ) Sur ce nom sacré voyez Lois de Manou , II, 74 et suiv, et
Rig- Véda, IV, p. 151 , St. 3, et p. 235, note 290.
(2) Oupnekhat, 1, p. 443. Comparez II Rois XVII, 6, et voy.
le mémoire d'Abel-Rémusat sur Lao - Tseu , dans les nouveaux
Mémoires de l'Acad. des Insc. et Belles- Lettres, VII, p. 44-8.
XXXII

un legs de l'humanité primitive, recueilli religieuze


ment pır celle qui lui a succédé en Asie après la
grande inondation traditionnelle que presque tous
les anciens peuples placent en tête de leurs annales,
et qu'on nomme le Déluge, savoir : de Yao en Chine,
de Manou-Vaivasvata dans l'Inde, de Xisuthrus en
Chaldée, de Noé en Palestine, d'Ogygès ou de Deu
calion en Asie - Mineure et en Grèce ( 1 ) .
Je remarque en passant que ce cataclysme général ,
qui aurait noyé tous les hommes à l'exception d'une
famille privilégiée, pourrait bien se rattacher à la
seconde période glacière qui parait avoir suivi , tandis
que la première aurait précédé l'apparition de l'hom
me à la surface du globe (2) .
( 1 ) Voyez ce qu'a écrit là dessus M. Alfred Maury, dans
1 ° L'Encyclopédie moderne, à l'article Déluge ; 2° les Religions
de la Grèce antique, I, p. 90-2 , 135 et 594, et 30 la Revue des
Deux Mondes, année 1860, n° du 1er août, p. 034-67, (article
intitulé les Nouvelles Théories sur le Déluge. )
(2) Ce sujet est encore très-obscur pour moi . Peut- être est-il
plus clair pour les géologues et les paléontologistes actuels. Je
n'ai ici pour guides que MM. Louis Figuier, Charles Martins et
Alfred Maury. Voy. la Terre avant le Déluge du premier, p. 365
70, le 3° et dernier article du second sur les glaciers actiels et la
période glacière, dans la Revue des Deux - Yondes du for mars
1867, p. 212-7, et les Nouvelles Théories sur le Déluge du troi
sième, citées à la note précédente. Joignez-y au besoin les deux
articles du dernier sur les premiers áges de notre planète , meme
Revue, nos des 15 mai et 15 juin 1859, ainsi qu'un 2e article sur
l'Homme primitif, mome Revue, nº du 1er avril 1867. Je regrette
de n'avoir pas à ma portée la Terre et l'Homme du même
savant , dont la 2e édition a paru depuis peu d'années, chez
Hachette, libraire à Paris .
XXXIII

Quoi qu'il en soit, et pour m'en tenir aux déno


minations aryenne et hébraïque dont je m'occupe,
je ne pense pas qu'on doive songer ici à un emprunt
quelconque qui aurait été fait soit par les Sémites
aux Aryas, soit par les Aryas aux Sémites , soit même
par les uns et par les autres aux Khamites ou Kou
chites qui paraissent avoir dominé les premiers en
Asie depuis les rives de l'Oxus et de l'Indus jusqu'à
celles du Tigre et de l'Euphrate avant de s'étendre
plus à l'Ouest , jusqu'en Afrique, le long de la vallée
du Nil , et chez lesquels on a retrouvé quelques qua
lificatifs divins analogues , mais non identiques, à
ceux qui font l'objet de mon travail .
J'ai deux raisons pour m'attacher aux Aryas du
Kaboul et du Pendjâh et aux Hébreux du Canaan et
du désert de Sinaï, préférablement aux autres nations
de l’Asie placés entre eux . D'abord, ces deux peu
ples , dans l'état actuel de nos connaissances sur les
antiques religions de l'Orient , représentent pour vous
les deux grandes familles de Sem et de Japheth qui
y ont prédominé dans les temps historiques ( 1 ) . En
suite leurs livres sacrés, parvenus presque intacts
( 1 ) V.V. E. Renan et A. Weber n'hésitent pas à ramener les
Aryas et les Sémites à la même race primitive, malgré les
différences ultérieures et profondes de civilisation , de carac
tères, de mæurs et de langage. Voy. l'Histoire des langues semi
tiques du premier, p . 663-77 , 1re éd ., et tant les Indische Skizzen
que les Academische Vorlesungen du second , traduites les unes
par M. F. Baudry dans la Revue germanique du 5 mai 1858 et
les autres par M. A. Sadous, sous ce titre : Histoire de la Litte
rature indienne, p . 11 . 3
jusqu'à nous, sont aujourd'hui d'une interprétation
plus facile, grâce aux progrès de la philologie mo
derne et aux récents travaux de l'exégèse biblique
au-delà du Rhin . Pourtant, à l'occasion, je parlerai
des grandes nations intermédiaires , contemporaines
des Hébreux et des Aryas, je veux dire des Bactriens,
des Medes et des Perses , appelés communémen !
Iraniens, frères des seconds, puis des Assyriens, des
Chaldéens et des Babyloniens, nommés généralement
Sémites -Araméens, frères des premiers, tout en re
greltant la perte d'une très- grande partie de leurs
littératures sacrées dont il ne nous reste que des
fragments incomplets, surtout en ce qui concerne le
Tétragramme Thuh.
Ces regrets , que j'exprime en passant, s'étendent
par les mêmes motifs aux religions des peuples plus
voisins de la Judée, tels que Ismaélites, Edomites,
Ammonites, Moabites, etc. , puis Syriens, Cananéens
et Phéniciens . Ils s'appliquent même aux Egyptiens,
placés à l'Ouest , quoique l'ancienne Egypte nous offre
plusieurs qualificatifs divins qui se rapprocheal plus
ou moins des noms hébreux lh et Ihuh, selon les pro
nonciations que les Bibles ponctuées donnent au f's
à l'état isolé , el au 2e dans les noms propres com
posés. Sous ce rapport, les qualificatifs égyptiaques
auxquels je fais allusion ne pouvaient manquer
d'attirer moh attention et d'appeler mon examen .
A cet égard des explications assez étendues me
paraissent nécessaires. J'en ferai l'objet des deux 8
suivants .
IV .

Les partisans de l'origine égyptienne du Tétra


gramme hébraïque me reprocheront peut- être de
ne pas joindre , dans le parallèle qui va suivre , le
Phiah des Égyptiens au Jehovah des Hébreux et à
l'Agni des Aryas. C'est là , pourront- ils m'objecter,
une grande lacune qui rend votre travail incomplet;
car, à quelque point de vue que vous vous placiez ,
vous ne pouvez ni ne devez, même en partant du
massif de l'Asie centrale , faire abstraction de la Basse
Egypte, de cette riche vallée du Nil inférieur, conti
guë à la presqu'ile de Sinaï , et plus célèbre que
tout le bassin du Haut-Indus par le nombre et l'anti
quité de ses monuments religieux . En effet, Abraham
y avait séjourné à la cour d'un Pharaon , durant une
famine qui désolait le Canaan ; plus tard , Joseph , Jacob
et ses autres fils y étaient morts ; le premier comblé
d'honneurs , et les autres dans une position floris
sante ; enfin leurs descendants avaient continué d'y
résider, et plusieurs siècles s'élaient écoulés à l'épo
que où Moise , l'un d'eux , élevé dans la sagesse des
Egyptiens selon la Bible , en retira ses compatriotes
pour les affranchir de l'oppression sous laquelle ils
y gémissaient en dernier lieu .
Ces considérations ne manquent pas de force

assurément. Aussi les avais -je présentes à la mémoire


lorsque , au début de cette introduction , je plaçais
Phtah, Jehovah et Agni sur la même ligne comme
XXXVI

trois dieux qui n'en formaient qu'un à l'origine ,


semblant ainsi annoncer par avance une trilogie pro
jetée que je n'exécute pas . La vérité est que maintes
fois j'ai conçu et même esquissé cette trilogie . Voici
pourquoi je l'avais d'abord entreprise et pourquoi
je l'abandonne aujourd'hui .
En Allemagne , nombre d'orientalistes, plus ou
moins aventureux , s'étaient avancés avant moi vers
les rives du Nil pour chercher chez les Khamites
ce que je crois avoir trouvé chez les Aryas . Il est
vrai que plusieurs d'entre - eux n'ont pas persévéré
dans cette voie ; mais les raisons données par les
autres subsistent ( 1 ) . Elles sont trop spécieuses, en
( 1 ) Le di Tholuck a donné leurs noms et cité leurs ouvrages
dans sa dissertation Uber den ursprung des namens Jehova aus
Ægypten und Indien , qu'on lit dans le Litteralischer Anzeigher
de 1832, p. 228-30. Ce sont : 1 ° Gesner, de Laude Dei apud
Ægyptios, dans comment. Gætting ., anno 1751 , p. 245 et suiv.;
2° J. D. Michaelis, supplem . ad Lexica Hebraica, vº Thuh ; 3º
Schiller, Die sendung Mosis ; 4º Reinold , Die Hebr. myster. etc.;
5° Plessing, memnonium , II, p. 529;6° Heeren , Gettlich . Anzeigen
de 1830 ; 70 Von Colln , Bibl. Theologie, 1 , p. 102 ; 89 Hagel,
Apologie des Mosis, p . 81 ; 9º Stahl , Philosoph. Lehrbegriff: 10 °
Weigscheider, instit. & 52, en note ; 11 ° Herder, Von Geist des
Llebraischen Poesie, I, p. 316, et 12° Ed . Rothe, Geschichte der
Philosophie, p. 146.— Cette opinion avait été aussi soutenue ou
adoptée par : 13° De wette, Bibl. dogmatik, 64 ; 14° Gesenius,
Lexicon Manuale hébraic. et Chaldaicum , vº Ihuh, et 15° Hartmann,
Engevirbindung des alte und new Testament; mais ces trois
derniers y ont renoncé pour se tourner, savoir: le fer vers l'Inde
avec Buttmann, de Bohlen et Vatke, le 2° vers la Chaldée (voir
sor grand Thesaurus, p. 575-8 ), et le 3e vers la Phénicie (voir
ses Etymologische Forschungen Uber 5 Bücher Mosis, p. 156.
XXXVII

trop grand nombre et trop bien agencées pour que


je puisse les considérer comme non avenues et les
passer toutes sous silence .
Les critiques égyptianisants se croient d'autant
plus autorisés à remonter des bords du Nil à ceux
du Jourdain , en passant par la presqu'ile du Sinaï,
que les Hébreux du Désert et leur législateur
sortant de la Basse-Egypte où ils étaient nés, avaient
dù garder des souvenirs bien plus vifs de leurs
récentes relations avec les Egyptiens contem
porains, que des antiques rapports de leurs ancêtres
Chaldéens avec les Aryas du Sapta-Sindhou . D'ail
leurs , il est aujourd'hui bien avéré que le culte
mosaïque a fait de nombreux emprunts à la liturgie
égyptienne ( 1 ) . Ces emprunts n'ont-ils pas porté aussi
sur le nom propre et sacramentel de Jehovah ?
Les égyptianistes, je ne dis pas les égyptologues,
répondent à cette question par l'affirmative. Ils sou
tiennent , avec plus ou moins de hardiesse, que Moïse
a emprunté ce nom à quelque sanctuaire de la Basse
Egyple, soit à Memphis, soil à Héliopolis où il aurait
été prêtre du dieu Osarsiph, c'est- à -dire d'Osiris,
qu’on adorait en cette dernière ville suivant Mané
( 1 ) M. D. J. M. Henry les a ainsi résumés dans l'Egypte
pharaonique, 1 , p . 244 (Paris 1846) : « L'arche, les tables, les
« autels, les lévites, les ornements, les offrandes, les sacrifices,
« le choix des victimes, les impuretés légales, les purifications,
« etc. , sont les mêmes en Judée qu'en Egypte. » Il avait dit à
la page précédente : « Elève des prêtres d'Héliopolis, Moise
a transporta l'essence de leur culte dans celui de Jehovah. ) .
XXVIII

thon , cité par l'historien Josèphe ( ! ) . Ils ajoulent que


ce législateur s'est borné à en modifier la forme pour
le faire accepter de ses compatriotes parlant hébreu.
Au nombre des arguments qu'ils font valoir à
l'appui de leur système, il en est deux surtout qui
leur paraissent péremptoires, comme étant puisés
dans la Bible elle -même. Arrêtons - nous y un
instant. Ce sont , d'un côté, l'application du Tétra
gramme Thuh au veau d'or du Désert, dressé pår
Aaron au pied du Sinaï , trois mois après la sortie
d'Egypte (2) , et de l'autre , la déclaration expresse
qu'Abraham , Isaac et Jacob n'avaient pas connu
Dieu sous son nom de Jehovah , révélé seulement à
Moïse dans le buisson ardent du Mont-Sinai (3) .
Tous les commentateurs anciens et modernes de
la Bible, sauf trois à ma connaissance (4), reconnais
sent que le veau d'or du désert était imite soit du
Bæuf Apis de Memphis , soit du Taureau Mnevis
d'Héliopolis (5), représentant l'un Osiris et l'autre
( 1 ) Contre Appion , Ich . 9 et 10. Peut-étre, au lieu d'Osarsiph,
Manéthon avait-il écrit Arsaphes, c'est-à-dire Horus générateur
selon l'interprétation de MM . Charles Lenormant, Ephrem
Poitevin et Emm . de Rougé ( voir Revue archéologique, fre série ,
IX, p. 272-3) ; car Héliopolis était la ville du soleil de jour ou
vivant, et Memphis celle du soleil de nuit ou mort.
(2) Exode XXXII, 1-6.
(3) Comparez Exode 111 , 14-3 et VI, 3.
(4) Ces dissidents sont Ewald, Movers et A. Réville qui
prennent le veau d'or pour une imitation du taureau Molok
des Ammonites, descendants de Lot, neveu d'Abrabam .
( 5 ) Outre Apis et Mneris, les Egyptiens avaient le Taureau
XXXIX

Horus, c'est - à - dire le soleil dans ses divers rôles


durant le jour ou pendant la nuit ( 1 ) . Comme je
trouve les dénominations de Veau et de Taureau ap
pliquées dans le Rig -Véda aux dieux Sürya, Indra et
Agni, et, dans toute l'Asie intermédiaire, aux grands
dieux de la nature , je ne vois pas la nécessité de
recourir ici à la zoolâtrie égyptienne. La Perse et la
Chaldée avaient pu fournir des modèles aux peuples
de la Syrie, de la Phénicie et du Canaan dès le
siècle d'Abraham et même antérieurement.
A première vue, l'argument tiré de la comparaison
des chap. III , vers . 14-15, et VI , vers. 3 , de l'Exode,
parait beaucoup plus embarrassant; car ces textes,
pris à la lettre , seraient en contradiction flagrante
avec plusieurs récits de la Genèse. Parmiles exégètes
orthodoxes , les uns répondent que l'historien sacré
de la vie des patriarches avait nommé Jehovah par
anticipation , et cette réponse est généralement ac
ceptée aujourd'hui. Les autres , plus rigides, n'admel
tent pas que le rédacteur de la Genèse se soit permis
de mettre dans la bouche de ses personnages humains

Bakis ou Pakis, à Hermonthis, et le taureau Onuphis ou Omphis


dans une ville de ce nom probablement ; ce qui leur faisait
quatre veaut sacrés, selon M. le vicomte Emmanuel de Rougé.
(Voir Athénéum de 1856, n° 6, p. 46) .
(1 ) Tout le monde sait qu'après la Scission des dix tribus,
Jéroboam établit en l'honneur et comme symboles de Jehovah deux
veaux d'or, l'un à Béthel et l'autre à Dan où ils sont restés
debout jusqu'à la déportation des Schismatiques par les rois
d'Assyrie.
IL

un nom divin qui n'aurait pas été connu de leur


temps . Mais, comme les versets cités de l'Exode, tels
qu'ils les entendent, ne sont pas faciles à concilier
avec les énonciations de la Genèse, ils se perdent ou
se contredisent dans leurs explications et finissent par
dire : Crux interpretum (1 ) . Il y a là pour eux une
crois que je ne me condamne pas à porter, n'étant
pas théologien. Je serais plus disposé à admettre par
tout le langage par anticipation , si la critique des
textes ne me fournissait une autre réponse déjà
entrevue, mais non suffisamment élucidée , par un
rabbin juif et par un ministre protestant. Cette
réponse consiste à traduire ainsi le malencontreux
verset 3 du chap. VI de l'Exode : « J'apparus à
Abraham , à Isaac et à Jacob comme si -Chdi, mais
sous mon nom Ahuh (et non Thuh ) je ne leur ai pas
été connu . » C'est ce que j'expliquerai plus tard en
simple philologue, au moyen du remplacement de l'I
par ľ , aux trois formes Ahih des versets 14 et 15
du chap . II auxquels se réfère évidemment le verset
3 du ch . VI, cause el objet de la difficulté .
Pour le moment , je me borne à rappeler mon
axiome Ab Oriente Lux ! Je ne vois pas aussi clair
du côté de l’Egypte que du côté de l'Inde ; et je
ne suis pas le seul dans ce cas . La raison en
est que le Panthéon égyptien n'a pas encore été
mis dans tout son jour par nos égyptologues hiéro
( 1 ) Le Père Souciet et Rosenmüller, entre autres, lui ont
consacré nombre de pages peu concluantes, à mon avis.
XLI

glyphistes , en sorte que , très-souvent , les profanes,


les laïques, les ignorants , et malheureusement je
suis du nombre, en sont réduits à deviner. Il me
semble que les épithètes de Phtah , ou pour mieux
dire celles des dieux égyptiens qui en émanent et
qui prennent pour symboles des corps ou des têtes
de bæuf ou de veau , je veux parler des qualif
cations Ioh, lah, Ohi, Ahi, et même Tho, Tha, ces
deux dernières par inversion d'Ohi et d'Ahi (2) , il me
semble, dis-je , que ces épithètes s'éloignent beau
coup plus de la forme hébraïque Ihuh que le titre
de Yahuh , vocatif Yaho, affecté à l'Agni védique ..
J'en conclus provisoirement, sauf plus ample infor
mation , que ces noms égyptiaques , rapprochés des
noms aryen et hébreu que je viens de rappeler , en
seraient plutôt des copies altérées que des modèles
ou des esquisses.
Je transporte donc hardiment le problème des
vallées du Nil et du Jourdain à celles de l'Indus et
de l'Oxus, puis je le ramène des deux premiers fleuves
aux deux derniers, le tout en traversant le Tigre el
l’Euphrate, conformément à la marche que les peuples
de Sem, de Kham et de Japbet, mentionnés dans la
Genèse , me paraissent avoir suivie dans leur grande
émigration de l'Orient à Babylone , postérieurement
(2) Ces in versions ne sont pas rares dans les hiéroglyphes.
J'admets celles-ci d'après l'abbé Greppo. Voir son Essai sur le
systéme hiéroglyphique, appliqué à la critique sacrée , p. 112,
Paris, 1828 , in -8 °.
XLII

au déluge asiatique ( 1 ). Car je ne vois pas ici moyen


de leur faire prendre la route contraire, de les
conduire , par exemple, du Caucase arménien au
Caucase indo -bactrien . Les livres sacrés des Perses ,
des Indiens et des Hébreux, rapprochés les uns des
autres, conduisent forcément au parti que j'adopte.
C'est celui qui a été admis dans notre siècle par la
plupart des savants , par les indianistes d'abord,
puis par les historiens, les géographes, les ethnolo
gistes et les critiques (2) .
Il n'a guère été combattu dans ces dernières
années que par MM . Kiepert , Michel Bréal et
Spiegel. Et encore ces érudits n'ont - ils envisage
la question que sous l'une de ses trois faces, l'Ira
nienne , en laissant de côté les deux autres, l'Aryenne
et la Sémitique ou Chaldéo - Araméenne. Ils ont
rappelé et proposé deux anciennes solutions consis
tant à soutenir, l'une, que l'Airyanem -Vaêdjô des
livres Zends, la première région créée pure par
Ormuzd avant la Sogdiane, la Bactriane, la Margiane,
etc. , aurait été non pas la patrie primitive des Aryas
de l'Inde et de la Perse, mais seulement leur pre
mière station ou étape plus ou moins prolongée , et
l'autre, que ce nom Zend n'aurait désigné qu'une
contrée idéale , confondue soit avec le ciel des
(1 ) Voir Genèse, XI, 2-9.
( 2) Voyez leurs noms dans mon opuscule Du Culte des Mánes
etc., (Mémoires de l'Académie d'Amiens, 2° série, V, p. 220,
avec les notes). Je pourrais en citer beaucoup d'autres .
XLINE

Amschaspands, des Izeds et des Férouers , soit avec


le car Djemschid , cet autre ciel du roi légendaire
Yimò , fils du soleil , identique au Yama - Vivasrat du
Rig- Véda ( 1 ) .
Je ne m'arrête point à ces objections, parce que ,
mythique ou réel , l’Airya.rem - Vaedjò des Perses,
répond au Gan - Eden des Hébreux, au Hahâ- Merort
des Indiens , au Rouen -Loun des Chinois , an Bâm- i
Daunia des Tarlares-Mandchoux, etc. , etc. Il repré

sente pour tous ces peuples le fameux plateau de


Pamer ou Pamir dont les contreforts sont le Belour

Tag et l'Hindou-Kouch , plateau radieux et éblouis


sant au soleil par ses neiges perpétuelles qui l'avaient
fait assimiler à la voûte céleste et confondre avec
elle par les peuplades disséminées dans les vallées

d'alentour . Aux yeux des peuples de l'Inde et de la


Perse , placés les vins au Sud- Est et les autres au
Sud -Ouest, le Belour-Tag était la montagne sacrée ,

la montagne septentrionale où le dieu suprême ,


Brahmå selon les uns, Ormuzd suivant les autres ,
avait dieté ses lois , où il faisait sa résidence avec ses

compagnons les sept astres de la Grande- Ourse ,


appelés Pourouchas par les premiers et Amschaspands
par les seconds (2 ) , et où enfin , selon les Brahmanes ,

( 1 ) Voyez pour le premier le Monathsbericht des Mémoires de


l'Académie des sciences de Berlin , décembre 1856 , p . 621 et
suiv., pour le second le Journal asiatique, 1862, XIX, 5e série,
p . 481-97, et pour le troisième son Commentar Uber das Avesta ,
(1.eipzig, 1865) , I , p . 1 et 10-20 .
(2) Voy, mon opuscule citė, p . 5-10.
XLIV

s'était arrêtée l'arche de Manou -Vàivasvala à la fin


du grand cataclysme qui avait détruit toutes les
créatures ( 1 ) ,
Ces légendes avaient passé des Aryas du Sapta
Sindhou aux Sémites de l'Assyrie et de la Chaldée
et delà à ceux de la Palestine . Or , comme on ne les
trouve pas dans les hiéroglyphes égyptiens , je me
crois suflisamment autorisé à contester la prétendue
origine égyptienne du dieu Sémitique Ihuh - Alhim ,
de cette grande divinité qui , suivant ses adorateurs,
avait présidé à la création d'Adam et au déluge de
Noé (2) , puis conduit Abraham de l'Ur des Chaldéens
en Canaan (3) , et finalement dicté ses lois à Moïse sur
le Mont- Sinaï (4) . Aussi bien , le Pentateuque pré
sente-t-il maintes fois Ihuh , le dieu des Hébreux ,
comme un antagoniste et un vainqueur des dieux de
l'Egypte (5) .
Je n'entends pas dire toutefois que jusqu'à Moise
et Aaron, Ihuh était resté inconnu aux Egyptiens.
Il est vrai que le Pharaon auquel les deux fils d'Amram
avaient affaire, feint de le méconnaître (6) . Mais ses
conseillers, ses amis, ses affidés redoutent le pouvoir
de ce dieu asiatique (7) , et, lors du passage de la Mer
( 1 ) Meme opuscule, p. 64 .
(2) Genèse, Vi , 7 et suiv. , VI, 3- 4 .
(3 ) Ibid . , XV, 7.
(4) Exode, XIX et XX, passim .
(5) Voir, entre autre, Exode, XVIII, 11 , et Nombre XXXIII, 6.
(6) Exode, V, 2.
(7) Ibid, X, 7 .
ILY

Rouge, les soldats égyptiens s'écrient : «Fuyons devant


Israël , car Ihuh combat pour eux contre Milsraïm » (1 ) .
De leur côté, les Israélites, après leur sortie miracu
leuse de cette mer, chantent la victoire de leur Dieu
libérateur qu'ils nomment alternativement Ih et Ihuh
(2). D'ailleurs la mère de Moïse et d'Aaron s'appelait
lokabed , hébreu lukbd pour lhukbd), gloire de Jeho
vah (3 ) . Tout cela suppose que , dans la Basse-Egypte
au moins, le Tétragramme Ihuh était antérieur à
Moïse et connu tant des Hébreux que des Egyptiens
au milieu desquels ils vivaient depuis l'arrivée de
Jacob et de ses fils dans la terre de Gessen .
Ce nom sacré devait être d'origine ou plutôt de
provenance chaldéenne, car, à Paddan -Aram , c'est-à
dire en Mésopotamie , la deuxième épouse de Jacob ,
Rachel , avait fait entrer cet ethnique dans le nom
de Joseph, son premier fils sorti de ses entrailles, en
hébreu lusph ( 1 ) , pour Thusph (5) , nom signifiant,
selon moi, Jehovæ augmentum , dans le sens de Rejeton
de Jehovah, et correspondant, sous ce rapport , au
magnum Jovis incrementum de Virgile (6) . Plus bas,
( 1 ) Ibid , XIV , 25.
(2) Ibid , XV, 1-3 .
(3 ) Ibid , VI, 20 et nomb. XXVI , 59.
(4) Genèse, XXX, 23-6 .
(5) Ps. LXXXI, 6 .
(6) Gesenius conteste les deux allusions de l'auteur sacré .
Voir son Thesaurus, in verbo. Je n'hésite pas à admettre la
seconde après le chev. Drach , dans son livre de l'Harmonie
entre l'Eglise et la Synagogue, I , p . 480 et suiv . J'aurai occasion
d'y revenir au & qui va suivre.
XLVI

nous voyons son père Laban, au moment de se sépa


rer de ses filles et de son gendre, traiter alliance avec
ce dernier au nom de Ihuh ( 1 ) , Plus haut , nous lisons
qu'antérieurement Bathuel et Laban avaient accorde
au messager d'Abraham , pour son fils Isaac, la main
de leur fille et sæur Rebecca au nom du même dieu
Thuh (2). Enfin, au temps d'Isaac , Abimelek, roi des
Philistins de Guerar, Ahuzat, son ami, et Pikol, son
général d’armée, viennent trouver ce patriarche à
Beerchebå et font alliance avec lui parce qu'ils ont
remarqué qu'il est béni de Ihuh (3) .
Ces Cananéens s'expriment ainsi parce que , dans
leur pensée, Isaac jouissait de toute la faveur du
Dieu chaldéen qui, au temps de Melkisédek, roi de
Salem et prêtre du Très-Haut, avait fait triompher
son père de quatre rois de l'Orient, envahisseurs de
la Palestine ( 4) .
Il ressort en effet des récits de la Genèse relatifs
aux aventures d'Abraham , que c'est lui qui aurait
transporté de la Chaldée en Canaan le nom et le
culte de Jehovah (5) , l'un déjà connu de Noé et de
sa famille avant le Déluge et l'autre pratiqué par
eux à leur sorlie de l'arche ( ). L'auteur sacré sup .

( 1 ) Genèse, XXXI , 49 .
(2) Ibid . XXIV , 31, 50-1.
(3) Ibid, XXVI, 28-9.
(6 ) Voir Genèse, XIV, 1-24 .
(5 ) Genèse, XV , 7, et Josué XXIV, 2 .
(6) Genèse, VI, 8 ; VII , 1 , 5 , 16 ; VIII, 20-2 ; IX , 26 .
ILYTI

pose que le patriarche a suivi l'exemple de Noé dės


son départ de l'Ur des Chaldéens jusqu'à son arrivée
en Palestine et fondé là le culte de Jehovah , nommé
encore El- Chaddai, El- Elion et Elohim .

Je suis très-porté à croire , quant à moi , qu'Abraham


trouva ce culte déjà établi en Canaan , mais dans
une situation peu florissante en raison du poly
théisme qui y dominait , chaque localité ayant son
dieu de prédilection qu'elle mettait à la téle de la
hiérarchie divine ( ! ) . Il l’y restaura done , en ce sens
qu'il y fit remettre en honneur et en relief la déno
mination sémitico -aryenne Yahuh altérée par les

Cananéens , comme par les gens de sa suite eux


mêmes, d'abord en Thô avec H, puis en lô sans cette
aspirée, enſin en lah ou la , car ces formes se retrou .

vent tant dans la ponctuation massoréthique des


noms propres hébreux composés que dans la pronon
ciation grecque de quelques autres mots ethniques

de même nature , soit phéniciens , soit cypriotes ou


crétois , soit cartharginois ou numides , que l'Anti
quité nous a transmis (2) .
Je m'en tiendrais là sur ce sujet , si les noms de

( 1 ) Ce point sera examiné plus tard . En attendant , voyez


Genèse XXVIII , 12-22 . XXXV , 1-14, et Josué XXIV, 2-1 i et suiv .
(2) Les orientalistes Lindberg , Hamaker,Gesenius,Bunsen , duc
de Luynes et autres ont cité quelques exemples de ces composés
extra-bibliques. On en découvrira sans doute de nouveaux quand
l'Académie des Inscriptions aura recueilli, classé et publié les
monuments épigraphiques des nations phéniciennes dont elle
a chargé une commission spéciale très-compétente.
XLII

Joseph et de Jokabed que j'ai relevés ci-dessus, joints


à celui de Josué et les récentes découvertes de
l'égyptologie moderne ne fournissaient pas de nou
velles armes aux partisans de l'origine égyptienne
du Tétragramme hébraïque .
Ici , en effet, certains égyptianistes de nos jours ,
sans abandonner les conclusions principales de leurs
devanciers , en ajoutent subsidiairement d'autres
auxquelles ils paraissent tenir beaucoup. Ils préten
dent que si les noms de Jokabed et de Joseph, signalés
ci-dessus, n'ont pas été forgés ou modifiés après
coup , comme ils le supposent à l'égard de celui de
Josué ( hebr . Ihuchu'a ), qui n'était d'abord que
Hosèe (hebr. Huch'a ( ! ), tout ce qu'on pourrait en
conclure , c'est qu'Abraham aurait précédé Moise
dans l'emprunt fait en Egypte du divin Tétragramme ,
soit à Memphis, soit à Héliopolis, soil à Tanis, villes
voisines de Gessen et célèbres par le culte qu'on y
rendait à des dieux ignés ou luni- solaires représentés
par des génies à corps ou à tête les uns de veau ou
de bæuſ, et l'autre ou les autres d'åne ou d'onagre .
Comme ces quadrupèdes symboliques sont désignés
en égyptien -copte, savoir : les premiers par les subs
tantifs Ioh ou Iah, Tho ou Thu, etc. , relevés ci-dessus,
et le dernier ou les derniers par ceux d'Eiò et Eia , sou
vent abrégés en Iò, la , c'est à ces dernières formes
ou qualifications que les égyptianistes dont je parle

( 1 ) Nomb. Xill , 9 , 17 .
XLIX

s'attachent plus particulièrement , par la raison


qu'elles s'appliquent au terrible dieu Set , Sot , Sut
ou Sutekh des monuments pharaoniques, c'est-à-dire
à ce personnage divin que les Grecs avaient confondu
avec leur mauvais génie Typhon ou Typhoé. C'est
ce dieu qu'ils choisissent de préférence pour en
faire le type de Jehovah , en raison du rôle Typho
nien , suivant eux , que le rédacteur de l'Exode
fait jouer au dieu des Juifs dans son récit des dix
plaies d'Egypte .
Ce point de vue plus spécial et plus déterminé de
la prétendue origine égyptienne du Tétragramme
hébraïque n'est pas nouveau . Il est tellement ancien
qu'on peut le faire remonter jusqu'à Manéthon et,
qui plus est, soupçonner le moine portugais Oléaster
d'en avoir eu connaissance lorsqu'il donnait au nom
Jehovah le sens de destructeur. Mais aujourd'hui les
rapprochements se présentent sous un aspect, avec
des couleurs ou des nuances qu'ils n'offraient pas
assez clairement d'abord et qui les rendent plus spé
cieux . Sous ce rapport, ils méritent d'être examinés
de près . C'est ce que je vais essayer de faire au &
suivant , au risque d'anticiper un peu sur certaines
discussions mythologiques que j'aurai à reprendre
et à compléter plus tard .
L

Tout le monde sait que, sous les Ptolémées , les


Seleucides et les Romains , on reprochait générale
ment aux Juifs d'adorer un dieu à tête d'åne : impu
tation triviale qui a même rejailli sur les premiers
Chrétiens, à telle enseigne que, par dérision , on re
présenta le Christ suus cel aspect jusque sur son
calvaire ( 1 ) .
Les érudits des derniers siècles, et Bochart entre
autres (2), n'ont pas hésité à signaler l'Egypte
comme point de départ de ces calomnies . Selon
eux , elles proviendraient d'un quiproquo , bientôt
transformé en calembourg. Nos modernes égypto
logues semblent accepter cette conjecture (3). Mais
certains égyptianistes y voient quelque chose de
plus. Ils s'en prévalent en les prenant dans deux
sens également favorables à leur système d'emprunt
du Tétragramme aux mythes égyptiaques ; car, pour
prévenir les objections, ils ne refusent pas de remon
ter, au moins par hypothèse , à une époque anté
(1 ) Voir à ce sujet dans les Annales de Philosophie chrétienne,
XY, p . 101-18 (année 1857) , la curieuse dissertation du P.
Garucci, traduite de l'Italien par l'abbé André.
(2) Herozoicon , chap. 18.
(3) Voyez une dissertation allemande du di Lepsius, impri
mée dans les Mémoires de l'Académie de Berlin, vol . de 1852,
p . 163 et 210.
LI

rieure , non seulement à Moïse et à Joseph , mais


encore à Abraham .
Essayons d'exposer tout ceci le plus brièvement
possible .
Sous le gouvernement des Lagides, il y avait à
Alexandrie,devenue alors capitale de l'Egypte, deux
écoles critiques, rivales l'une de l'autre, celle des
philosophes grecs, plus ou moins partisans de la
zoolâtrie symbolique des Hiérogrammates ( 1 ) , et celle
des rabbins hellénistes qui mettaient bien au-dessus
la sage prudence de leur législateur ennemi des re
présentations figurées de la Divinité . Il va sans dire
que ces grecs égyptianisants renvoyaient leurs anta
gonistes à l'histoire égyptienne qui représentait les
anciens hébreux comme des esclaves lépreux et ré
voltés . En réponse, les docteurs juifs, dans le désir
de relever l’antiquité de leur nation , s’avisèrent de
confondre les hébreux de la terre de Gessen avec les
Ilycsos ou pasteurs qui les avaient précédés dans la
vallée du Nil,y avaient dominé en maîtres pendant une
période de 511 ans, et en avaient été expulsés par
Ahmos ou Ahmès , chef de la XVIII° dynastie indi
(1 ) « L'usage des symboles tirés de la nature animée, qui a
laissé des traces si nombreuses dans l'écriture hiéroglyphique,
avait conduit à donner pour emblême à chaque divinité
l'animal qui rappelait ses énergies et ses vertus. On fut ainsi
amené à vénérer ces animaux comme les images vivantes des
dieux. Mais cette zoolâtrie purement symbolique dégénéra en
une idolâtrie abjecte.» J'emprunte cette remarque à M. A. Maury.
Voir Revuc des Deux -Mondes du 1er septembre 1867. p . 197-8.
LII

gène ( 1 ) . Les Egypto -Grecs jugèrent l'assimilation


inadmissible de tous points, en raison de la différence
des temps, des lieux, des personnages et des événe
ments (2) . Ils opposaient les traditions égyptiennes
rapportées par Manéthon et formellement contraires
aux assertions judaïques dont Josèphe s'était fait
l'écho .
Manéthon racontait, en effet, que Moïse, ex- prétre
d'Osiris , selon lui , avait été chassé d'Héliopolis
avec d'autres à cause de la lèpre dont ils étaient in
fectés; que ces malheureux ayant obtenu de se retirer
dans la ville d'Avaris, nommée autrefois ville de Ty
phon et ancienne résidence des rois Hycsos, s'y étaient
mis en révolte, y avaient changé de religion et appelé
à leur secours les pasteurs de Jérusalem . Il ajoutait
que ceux-ci n'avaient pas demandé mieux que d'y
rentrer dans l'espoir de reconquérir bientôt tout le
pays ; qu'en effet ils en étaient venus à bout et qu'ils
avaient dominé de nouveau en Egypte pendant treize
ans, parce que le Pharaon de cette époque, qui n'osail
les combattre, s'était retiré en Ethiopie avec une
grande partie de son peuple . Manéthon terminait par
dire que ce monarque qu'il nomme Aménophis, était
enfin rentré en Egypte avec de grandes forces, et
qu'aidé de son fils Sethos , devenu adulte, il avait
(1 ) Voy. la Réponse de Joséphe à Appion, I , ch . 9 et 10.
(2) Elle a pourtant été reproduite de nos jours par certains
exégètes de diverses communions, en France, en Angleterre et
même en Allemagne .
LUI

livré bataille aux étrangers et aux rebelles, les


avait vaincus et poursuivis jusque sur les frontières
de Syrie ( ! ) .
Nos modernes égyptologues et M. le vicomte de
Rougé à leur tête, placent l'Exode sous le règne de
Menephtah , surnommé Séti II, 4. roi de la XIX
dynastie, fils de Ramsès II Miamun , le Sésostris des
Grecs, petit - fils de Séti I et arrière -petit-fils de
Ramsès , chef de cette dynastie. Je ne mentionne
ici ce grand événement que pour ordre et mémoire,
sans prétendre ni en fixer la date précise, ni mettre
en accord les deux récits biblique et manéthonien ,
et je passe de suite à une autre légende égyptiaque
qu'on lit dans le Traité d'Isis et d'Osiris.
Celle - ci était relative, non plus aux démêlés de
Moise avec Pharaon, mais à ceux de Seth-Typhon
avec Horus, son neveu . Elle représentait le premier
dieu combattant le second sans succès, vaineu par
lui, fuyant sur un âne roux à travers les marais du
lac Serbonis ( aujourd'hui lac Menzalez) , et poussant
sa retraite jusqu'en Palestine où il aurait engendré
Hierosolymus et Judæus, roux et pasteurs comme
lui ( 2)
Le bon Plutarque s'étonnait qu'on eût mêlé les
Juifs en cette affaire, mais c'est qu'il n'était pas au
( 1 ) Manéthon dans Josèphe, ouv, et lieu cités. Comparez
Exode XII, 38 , pour le ramas de gens de toutes sortes qui sui
virent les Israélites à leur départ de Ramsès.
2) Voy. là-dessus Religions de l'Antiquité, I, p . 490-9.
LIV

courant de l'histoire écrite par Manéthon . Il ignorait


que la ville d'Avaris où Moïse se serait retranché
avec ses troupes suivant les Égyptiens, s'appelait en
leur langue ville de Set et en grec Typhonopolis,
ville de Typhon ( 1 ) ; que le dieu y avait un temple
solide bâti par un roi Hycsos et restauré par Ramsès
II Miamun , père du Pharaon de l'Exode ; qu'enfin
les Alexandrins accusaient Moïse d'avoir abandonné
le culte d'Osiris pour celui de Seth -Typhon , son frère.
Ajoutons que , sur les monuments pharaoniques,
le terrible dieu Set ou Sut - ekh est ordinairement
représenté par un génie à forme humaine , mais avec
une tête équivoque soit d'onagre, soit d'aigle-griffon,
soit d'antilope-oryx à cornes gigantesques (2), mais
quelquefois aussi par l'homme seul ou par l'animal
entier ; qu'au temps des Lagides et même bien aupa
ravant (3), le peuple prenait la tête ou forme de qua
drupède pour celle de l'âne en général et qu'en égyp
tien cet animal portait , entre autres noms, ceux d’lo,
( 1 ) M. le vicomte E. de Rougé a prouvé qu'Avaris n'était
autre que l'antique ville de Tanis, située sur un bras oriental
du Nil du côté des lacs amers ; fait admis aujourd'hui par les
autres égyptologues.
(2) M. le vicomte de Rougé ne la précise pas autrement dans
son E.camen du livre de Bunsen sur l'ancienne Egypte.Voy. Annales
de Philosophie chrétienne, 3 ° série, XIV, p . 362-4 .
(3) On raconte que le roi de Perse Ochus, traité d'âne par les
hiérogrammates au moment où il voulait reconquérir l’Egypte,
leur fit répondre : Prenez garde que cet âne là n'avale votre
bæuf, par allusion à Set-Typhon , alors réputé ennemi d'Osiris
Apis .
LV

d'la , par 0 ou A long sans H final . C'est , à ce qu'il


parait , le premier de ces noms là que le papyrus
hiératique du Musée de Leyde donne au redoutable
dieu Set avec l'épithète de grand destructeur ( 1 ) ,
Ces préliminaires posés, voici en abrégé comment
raisonnent ou peuvent raisonner les égyptianistes
que j'ai maintenant en vue :
« Durant leur séjour sur le territoire de Gessen ,
les Israélites avaient pour voisins des peuples qui
adoraient ou vénéraient des dieux à formes animales ,
soit entières , soit partielles.Tels étaient , d'une part ,
les habitants d'Héliopolis et ceux de Memphis qui
avaient pour dieu tutélaire ou patronal , les uns le
Taureau Mnevis - Horus, incarnation ou seconde vie
de Ra ou Phra, le Soleil , les autres le Boeuf Apis
Osiris, incarnation ou seconde vie de Phtah ou Ptah ,
le feu (2) . Tels étaient , d'autre part , les habitants
de Tanjs -Avaris , adorateurs de l'âne Set ou Sut-ekh
fils de Nu ou de Nul, l'abîme céleste au féminin .
Les Israélites donc , peuple essentiellement imita
leur et idolâtre (3 ) , n'avaient pu manquer d'adopter ces

noms et ces symboles . Le veau d'or du Sinaï , érigé


par Aaron , en l'absence de son frère , prouve qu'ils
avaient voulu ramener le Thuh de Moïse soit au

taureau d'Héliopolis , soit au beuf de Memphis. Le

(1 ) Voy. la dissertation citée du di Lepsius .


(2) Sur l'interprétation égyptienne de ces deux symboles
divins, voyez un article de M. le vicomte Em . de Rougé dan
le Journal Asiatique, 5e série, XII , p . 123 , en note.
(3) C'est le reproche que leur fait le livre de Josué, XXIV .
2 et 14.
LVI

simulacre d'or , érigé plus tard par Gédéon dans sa


ville d'Hophra sous le nom d'Ephod (1), indique à son
tour qu'ils l'avaient aussi ramené à l'âne Set ou
Sutekh de Tanis-Avaris .
La Bible n'explique pas la forme de cette idole,
mais le nom d'Ephod qu'elle lui donne , sa com
paraison avec l'oracle appelé Bath - Ool, fille dela voix ,
dont parlent les Talmudistes , et d'autres indices
encore, recueillis par l'exégèse indépendante, por
tent à faire croire que c'était une tête d'onagre (2),
disposée de manière à rendre des oracles et, sinon
tout- à - fait semblable, au moins très-analogue à la
fameuse tête d'âne en or massif et de très-grand
prix qu'Antiochus Epiphane et Pompée après lui
( 1 ) Juges, VIII , 27 ,
(2) Le qualificatif hébreu ’Aphr, d'où a été formé ’Aphr'a,
nom de la ville de Gédéon , est équivoque; car il désigne le
petit de tout quadrupède champêtre ou sauvage, un veau , un
faon , etc. Il en est de mêmedu qualificatif ’ Agl, latin vitulus; en
sorte que l'Agl zhb d'Aaron et l’Aphud zhb de Gédéon (pour
'Aphr zhb) auxquels on donne généralement l'acception de
veau d'or, pourraient bien avoir signifié pour certains orien
taux ànon d'or , comme l'ont soutenu deux érudits allemands,
Théod . Hasæus au dernier siècle, et G.-Fr. Daumer dans le
nôtre. Le mot égyptien les ou Hus, généralement interprété
veau , peut offrir la même équivoque suivant M. E. de Rouge.
On peut en dire autant du nom lô (âne) que, par confusion avec
loh (bæuf ou vaehe), les Egyptiens et les Grecs après eux , ap
pliquèrent les uns à la vache Isis, et les autres à la vache lò.
Ajoutez la remarque, je n'ose dire la méprise de Philon portant
qu'en Egypte les Hébreux avaient adoré le taureau Typhon :
au lieu de soit låne Typhon, soit le taureau Osiris. – Dans la
stélo dite de l'an 400 dont je parlerai plus loin, le dieu de Tanis
est représenté sons une forme entièrement humaine avec la
tête couverte d'une mitre décorée de deux peiites cornes qui se
terminent par des mains, et le commandant de la citadelle de
Tsar lui dit : « Salut à toi , o Sutekh, fils de Nut, toi qui es
vaillant dans la barque des siècles, toi qui renverses l'ennemi
à la proue la barque du soleil ! Grands sont tes mugisse
LVII

auraient trouvée , disait-on, lors de la prise de Jéru


salem , l'un dans le sacré trésor du temple (1 ), l'autre
dans le sanctuaire même de cet édifice religieux (2) ,
Tout le monde sait comment les Grecs et les
Romains expliquaient ces prétendues têtes d'âne du
temple de Jérusalem . Ils racontaient qu'après leur
sortie d'Egypte, les Hébreux , égarés et mourant de
soif dans le désert , auraient été sauvés par un ona
gre qui, marchant devant eux , leur aurait fait dé
couvrir des sources d'eaux vives et les aurait dirigés
dans leur route vers la terre promise. En reconnais
sance de quoi Moïse aurait consacré l'image ou les
images de cet animal dans son tabernacle (3) . Salomon
l'aurait imité, puis Zorobabel, l'un en transportant
l'arche d'alliance dans son temple , l'autre en rem
plaçant cette arche dans le sien par une ou par deux
têtes d'âne, employées , disait-on , comme sous les
juges et sous les rois, à titre d'appareil divinatoire.
Divers passages du Pentateuque, assez mal en
tendus ou appliqués, avaient fourni matière à ces
ments...» . (Revue archéologique, nouv, série, IX , p . 131 et XI, p .
170). Ces cornes et ces mugissements rappellent plutôtle buffle
sau vage que l'onagre.
(1 ) Josèphe a cité et réfnté dans sa Réponse à Appion, II, ch .
, les colporteurs grecs de cette fausse nouvelle.
(2) Cette seconde trouvaille, plus généralement alléguée que
la première et plus répandue chez les Romains, a été contestée
même par des païens.
(3) Voy, entre autres Tacite , Histor ., V , 4.- Diodore, XIV, 1 .
- Plutarque, Symp. IV , 5. — Notez sur Tacite que l'édition de
Gronove porte Asini effigies ( et non effigiem ) sacravere, d'où ,
Théod . Hasæus, a conclu qu'il s'agissait des Krubim de l'arche ,
Voir sa dissertation de Onolatrid Judæorum dans les Commenta
tiones de la Société royale de Gættingue, année. 1851 .
LVIII

pols-pourris. Entre autres méprises, les anecdotiers


confondaient les deux anciens chérubins de l'arche
avec les deux génies à tête de bouf et d'âne ou
d'autres animaux analogues que les Egyptiens fai
saient figurer sur leurs Baris ou barques sacrées . Ils
les confondaient aussi , ce semble , tant avec l'ancien
oracle mosaïque appelé Urim et Tummim , qu'avec
l'Ephod de Gédéon , de l’Ephraïmite Mikas ( 1 ) , et des
prêtres de Dan et de Béthel, en Samarie, car les
veaux d'or de ces deux villes étaient accompagnés
d'un Ephod (2), et il en avait été probablement de
même du veau d'or du désert , puisque les idolâtres
qui l'avaient fait fondre et dresser, s'étaient écriés
à sa vue : « voilà les dieux , 6 Israël , qui t'ont fait
monter du pays d'Egyple (3) . »
Quoiqu'il en soit , et pour remonter à l'origine des
reproches faits aux Juifs d'adorer un âne ou une tête
d'âne, le savant Bochart croyait les expliquer en
disant que , comme les hébreux de Gessen , dans leurs
réponses aux exacteurs égyptiens, se servaient de
l'expression Phi Thoh, la bouche de Jehovah, ou Phi
Iah, la bouche de lah, c'est-à-dire la parole , l'ordre,
le commandement de Jehovah ou d'Iah , les em
ployés de Pharaon entendaient qu'on leur opposait
Phi lô ou Phi la , c'est à dire l'âne, car en égyptien,
Phi ou Pi n'était que l'article devant un nom
( 1 ) Juges XVII , 5 ; XVII , 17-20 .
(2) Juges XVIII, 17-20 et Osée III, 4.
(3 ) Exode XXXII , 4. — Comp . I Rois, XII , 28 .
LIX

ou qualificatif masculin . Bochart citait en même


temps , et MM . Creuzer el Guigniaut ont reproduit
après lui , maints vestiges d'un très-ancien culte de
l'âne en Arabie , en Syrie , en Palestine , etc. ( 1 ) . Puis
G.-Fr. Daumer en a rccueilli beaucoup d'autres pour
la Judée sous la période des Juges ( 2 ) .
On voit par ce qui précède qu'aux oreilles des

Egyptiens les sons Phi lò ou Phi la se rapportaient ,


non pas à l'âne en général , mais au dieu à corps
ou à tête d'âne des habitants de Tanis-Avaris ,

adorateurs de Set ou Sulekh . Ces habitants , pro


ches voisins des Hébreux , étaient des Hycsos ou

des Khélas, c'est -à -dire des Asiatiques , établis dans


cette ville au moins depuis l'usurpation des Rois
Pasteurs . Après le détrônement de ceux - ci , et l'ex
pulsion de leurs bandes armées , on n'avait pas trou
blé ces étrangers dans leurs possessions ; la politique
des Pharaons indigènes les y avait même maintenus
afin de s'en servir comme d'ouvriers très-utiles pour

la construction ou réparation des forteresses du Delta


oriental . Ils appartenaient à la même race que les
Hébreux , parlaient la même langue et professaient
probablement la même religion . Tout porte à croire
que nombre d'entre eux se joignirent aux Israélites
tant dans la révolte de ces derniers contre le Pharaon
que dans leur fuite de la Basse-Egypte , car le Penta

( 1 ) Voy. là -dessus Religions de l'Antiquité, III , p . 141-5 .


(2) Voy, son livre intitulé : Der Feuer und Molochdienst der
Alten Hebraer, Braunschweig , 1842 , p . 172-91 .
LX

teuque affirme en deux endroits qu'à leur départ de


la ville de Ramsès les Beni -Israels forent suivis d'un
ramas de toutes sortes de gens (1 ),
Les modernes égyptianistes dont il s'agit en ce
moment inclinent donc à penser que le Tétragramme
hébraïque se rattache plus au lo ou la, âne, de
Taois-Avaris, qu'au lho, Foh ou lah, bouf, d'Hélio
polis. Ils se prévalent même à ce sujet de la manière
dopt Thuh est transcrit par la version grecque des
septante à la tête des noms propres composés dans
lesquels il entre comme élément constitutif. Pour
cela ils s'arrêtent aux sept premiers livres de la
Bible qui ne contiennent que six noms de cette
espèce. Dans ce nombre , cinq débutent dans le
texte hébreu par lu , ponctué lô par les masso
rèthes, et transcrit de même par les seplante ,
comme s'il s'agissait de l'âne lô - Set ou Sutekh de
Tanis (2) . Ils font remarquer que le 6e seul , celui de
Josué , ministre et succeseeur de Moise, porte en
tête Thu avec h , ponctué Thô, comme s'il se référait
au taureau Ihô -Mnevis d'Héliopolis , ville où Moise
aurait exercé la prêtrise selon Manétbon, mais que
c'est là l'effet d'une rectification sacerdotale qui
aurait prélude à celle de lusph en Thuspå opérée

( 1) Exode XII , 38 ; nomb. XI, 4 .


(2) Ces cinq noms sont : 1 ° lusph, Joseph , fils de Jacob ;
2° lukbd, Jocabed , mère de Moïse ; 30 fuach, Joas, père de
Gédéon ; 4° Tuthm , Jotham , son fils, et 5° Jual, Joël, fils de
Samuel .
LXI

longtemps après par le psalmiste ( 1 ) ; que ce qui le


prouve , c'est que Josué s'était d'abord appelé Osée,

tout court, en hébreu Huch'a , Salut (2 ) .


Ainsi , selon ces critiques , quelque prêtre ou lévite
lettré , postérieur à Moïse, aurait préféré le nom
d'Thô à celui d'lò et l'aurait ensuite sémitisé en Ihuh,

distinction que ses coréligionnaires n'auraient pas


toujours parfaitement comprise , puisque nombre de
fois, après Samuel, les textes sacrés écrivent ad libi
lum tantot Thu avec h et tantôt Iu sans h, à la tête
des noms propres composés , même lorsque ceux - ci
s'appliquent à des personnages identiques.
Si ces dernières conjectures reposaient sur des
fondements un peu plus solides , elles pourraient servir
à expliquer et le culte du bæuf et le culte de l'âne en
Palestine comme en Syrie, car elles feraient supposer

que ces deux cultes venaient également de la zoolâ


trie égyptienne. Mais l'Inde aussi connaissait ces em
blèmes divins . J'ai déjà dit que celui du taureau
figure dans les hymnes védiques . J'ajoute qu'il en
est de même de celui de l'âne , car cet animal y joue
également son rôle dans le mythe des Açvins ou des
crépuscules au char desquels il est attelé .
J'avoue , d'ailleurs, que l'assimilation de Jehovah à
Set Typhon a quelque chose de séduisant . Déjà, en

( 1 ) Psalm . LXXXI, 6 .
(2) Nomb . XIII , 17 , comparé à Exode XVIII , 9, et XXIV, 13 .
mais il n'y a dans Huch'a qu'une soustraction de l'I initial
comme dans le nom propre Huchm'a ( quem Jelinvah audit ).
LXII

effet, à l'époque du séjour des Hébreux en Egyple,


le redoutable dieu Set que les Pharaons conquérants
honoraient de longue date comme dieu de la puis
sance, de la bravoure, de l'audace et de la victoire ,
comme Dieu des combats en un mot, devait souvent
apparaître avec le caractère d'un génie destructeur
aux yeux de leurs sujets timorés ou superstitieux ,
victimes des désastres causés par la guerre , par la
famine, par la peste et par les autres fléaux naturels .
Aussi est-ce sous ces divers aspects que l'Exode nous
présente son dieu dans le récit des dix plaies d'Egypte,
tout en faisant de Jehovah le dieu tutélaire des
Hébreux , l'ennemi et le triomphateur des dieux de
la vallée Niliaque. Ces fléaux indiquaient aus Egyp
tiens, laboureurs, artisans ou soldats, que , dans la
circonstance, lô - Set se tournait contre eux et faisait
cause commune avec leurs voisins , pâtres étrangers
et révoltés .
Ce point de vue suffit -il à la critique pour justifier
la confusion ? Je ne le pense pas. Il me semble qu'il
y a ici nécessité pour les égyptianistes auxquels je
réponds en ce moment, de choisir entre les deux
hypothèses suivantes :
Ou prétendre avec certains égyptologues , d'ail
treurs très- instruits, que le culte du dieu Sel était
inconnu en Egypte avant l'invasion des Rois - Pas
teurs venant de l'Asie ; que ce sont eux qui l'y ont
introduit pour la première fois; qu'ils l'ont d'abord
installé à Tanis -Avaris , leur premier et dernier camp
LXIII

retranché, et qu'après y avoir construit ad-hoc un


temple grandiose , ils ont fait adopter leur dieu
asiatique par les Egyptiens, devenus leurs sujets ( 1 ) .
Ou bien admettre avec le plus grand nombre des
docteurs en hiéroglyphes que ce culte existait déjà en
Egypte depuis l'époque la plus reculée (2), en sorte
que ces usurpateurs n'auraient fait que l'adopter à
leur tour et se l'approprier, en considération de ce
qu'il représentait à leurs yeux leur puissant et re
doutable dieu Baal (3) .
Or , dans l'une comme dans l'autre hypothèse , à
quelque époque que l'on se reporte , fût-ce à celle de
l'arrivée de Jacob en Egypte, et même à celle du
voyage d'Abraham à la cour du Pharaon qui régnait
alors, il est moralement impossible que le prétendu
emprunt imputé aux Hébreux de la terre de Gessen ,
voisine de Tanis et d'Héliopolis, eût été fait aux
véritables Egyptiens. En effet, de tout lemps, ce
peuple policé et dédaigneux avait les bergers
en abomination (4) . Les enfants d'Israël n'auraient
pu s'adresser à cet égard qu'à leurs voisins de Tanis,

(1 ) Voir les Mélanges égyptologiques de M. Chabas, 1864, p.190.


(2) MM. Auguste Mariette et Emmanuel de Rougé se sont
assurés, dans les tombeaux de Gizeh et de Sakharah, que le
dieu Set était connu dans le Delta dès la IV° dynastie égyptienne .
C'est désormais un fait acquis à la science.
(3) Voir à ce sujet le résumé fait par M. A. Maury des der
nières découvertes sur l'ancienne Egypte, dans la Revue des
Deux-Mondes, cahier du 1er septembre 1867 p. 195.
(4) Voy. Genèse , XLIII, 32 ; XLVI, 34.- Exode, VIII , 26.
LXIV

étrangers comme eux , originaires des mêmes con


trées, parlant des dialectes de la même langue et
exerçant des professions semblables ou analogues,
car il est aujourd'hui constaté que les anciens babi
tants de cette ville et du nôme arabique étaient des
Syro-Araméens dont on a retrouvé lesdescendants sur
les bords du lacMenzalez ( 1 ), autrefois lac Serbonide,
dans cette province de Chargych où l'on disait que
Set-Typhon , après sa défaite, avait fui devant la
colère d'Horus , son vainqueur, comme Moise et
les siens auraient fui non loin delà devant celle de
Pharaon , suivant les traditions égyptiaques. L'im
possibilité morale que je viens de signaler, apparaît
plus manifeste encore par les récits de l'Exode, du
chap . Iºr au chap . XV (2) .
Voilà les considérations qui m'ont déterminé à ne
point placer l'Egypte en tiers dans mes Etudes Biblico
Védiques . En ce point, comme en beaucoup d'autres,
j'étais complètement d'accord , et je m'en félicitais,
avec mon très -savant ami , M. Alfred Maury, qui ,
( 1 ) Voy. l'Aperçu de l'Histoire d'Egypte depuis les temps les plus
reculés, par M. A. Mariette-Bey, p . 27, Alexandrie, 1864.
( 2) Nec obstat le fameux emprunt des vases d'argent et d'or
et des vêtements ( sacerdotaux sans doute) effectné la veille du
départ des Israélites.Car, d'un côté, les prêteurs pouvaient n’être
que des étrangers à demi-égpytianisés; de l'autre, s'ils étaient
des égyptiens d'origine , le dernier fléau (la mort des premiers
nés) avait dû les rendre accessibles et favorables à des gens
qu'ils voulaient mettre dehors au plus vite dans la crainte du
courroux d'Iô-Set auquel les emprunteurs allaient sacrifier
dans le désert . Voy . Exode, XII , 29-36.
1.XV

dės 1854 , dans un premier aperçu succinct, mais


substantiel de la religion des anciens habitants de
la vallée du Nil , avait repoussé en quelques lignes
l'origine égyptienne du Jehovah des Juifs ( 1 ) . Depuis
cette époque, sans revenir sur cette question spé
ciale , et même sans parler du peuple d'Israël, l'émi
nent archéologue, dans une analyse toute récente
des dernières découvertes sur l'ancienne Egypte (2) ,
s'est exprimé en termes qui prouvent qu'il n'a pas
changé d'opinion. Avant ce second écrit , c'est- à -dire
en 1876, l'illustre successeur et continuateur de
Champollion jeune, M. le vicomte Em . de Rougé ,
dans ses savantes Recherches sur les monuments qu'on
peui altribuer aux six premières dynasties de Manéthon
(3) , était venu ajouter le poids de sa grande autorité
en cette matière à l'ancien système que j'avais adopté
sur l'origine asiatique des fondateurs de la monarchie
égyptienne. Ils ont ainsi tous deux contirmé impli
citement la conclusion que j'avais tirée des récits
de la Genèse, à savoir que les Egyptiens, en passant
d'Asie en Afrique, soit par l’Isthme de Suez , soit par
le détroit de Bab -el-Mandeb, avaient transporté avec
dans la vallée du Nil , en les altérant plus ou

(1 ) Voyez l'article Egypte, (Religion) de l'Encyclopédie moderne,


dirigée par M. Léon Renier, XIII , p. 573-6 .
(2) Voyez Revue des Deux -Mondes, nº cité du 1er septembre
1867, p . 206-7 .
(3) Voy. le t. XXV, seconde partie des Mémoires de l'Académie
des Inscriptions et Belles- Lettres, publié en 1866.
5
LXVI

moins, le nom et le culte d'un dieu commun aux


trois races de Japheth , de Sem et de Kham . i
Cette digression est déjà bien longue , et il semble 44
que je devrais la clore en cet endroit. Cependant,
comme quelques égyptologues doutent encore, soit
de la parfaite identité du dieu Sutekh des Hycsos
avec le dieu Set des monuments pharaoniques anté
rieurs ou postérieurs à la domination de ces étran
gers en Egypte, (M. Mariette ), soit de l'authenticité
de la lecture Sulekh ( M. Chabas ) ; comme , d'un autre

côté , M. le vicomte de Rougé, qui admet l'une et


l'autre , donne de ces deux noms une étymologie
sémitique ou mieux syro - araméenne qui les rattache
tous deux à l'El - Chaddai des patriarches , en bébreu
Al- Chdi, c'est à dire à un ancien nom biblique de
Jehovah , je ne crois pas pouvoir me dispenser de
résumer sur ce sujet les nouveaux éclaircissements
de notre célèbre professeur d'égyptologie au Collège
de France .

En identifiant ci -dessus le Set des pharaons égyptiens


au Sulekh des rois llycsos et des princes Khélas, leurs


successeurs selon toute apparence , je n'ai fait que
suivre l'opinion générale de nos modernes égypto
logues , adoptée et confirmée par M. le vicomte Em .
de Rouge . Or , d'un côté , il est reconnu aujourd'hui
que les Hycsos expulsés par la XVIII dynastie et bil
a
les Khélas contre lesquels la XIX• eut à lutter,
étaient des Syro- Araméens. D'un autre côté , l'égyp
tien-copte n'offre pas de racine à laquelle on puisse
LXVII

rapporter les deux qualificatifs Set et Sul-ekh. Enfin

M. de Rougé prouve, par la comparaison des noms


ethitiques, que les Egyptiens primitifs étaient venus
d'Asie en Afrique par les côtes de la Mer - Rouge ;
qu'ils avaient dù traverser des pays habités par les
Syro -Araméens, et qu'ils avaient sans doute habités
eux -mêmes dans l'origine à en juger par l'appareil
grammatical de l'égyptien comparé à celui de l'hé
breu . C'en était assez pour autoriser notre grand
égyptologue à recourir ici à l'idiome hébraïque qui lui
offrait deux radicaux curieux, savoir : Chud et Chdd ,
signifiant tous deux « être fort on puissant, agir avec
violence , dévaster, détruire » . Ce savant rapproche

donc Set , tant du pluriel Chdim ( lisez Chedim ), les


puissants, les seigneurs, employé dans le Deutéro
nome ( XXXII , 27 ) pour désigner des démons ou
des idoles , que du nom divin Chdi, ( ponctué Chaddaï,
grec et latin Saddaï) , le Tout - puissant. Il fait remar
quer que les Egyptiens confondaient souvent le D

avec le T, le L avec le R et le Ch avec le S, qu’ainsi


ils pouvaient très- bien rendre Ched par Sei, de même
qu'ils rendaient Baal par Baar ( 1 ) .
Quant à Sul-ekh , il va de soi que la première

syllabe , Sul, répond au Syro- Araméen Chud, variante


dialectique de Chdd , ce qui la justifie suffisamment.
Mais la seconde , Ekh , reste inexpliquée Le carac
tère hiéroglyphique qui la représente et que l'on
rend par kh , étant partout ailleurs employé comme

( 1 ) Voir les Recherches citées, p . 232-3 , avec les notes .


LAVIII

signe phonétique (et non idéographique ) et supposé


mû par une voyelle vague , (a , e, o) , cette syllable
peut très -bien être lue Akh . Ne pourrait-on pas
voir dans celle-ci un très- vieux substantif Akh, syno
nyme de l'hébreu Ach , feu ? Un prophète juif, voisin
de la captivité, se sert encore de ce mot Akh pour
signifier brasier ou poêle ardent ( 1 ), de sorte que
Chud - Akh , chez les Hycsos, les Khetas et les habi
tants de Tanis, aurait signifié à la lettre ou le puissant
feu ou le seigneur feu, car ces Asiatiques qualifiaient
Sul-ekh roi du ciel et Baal ou Seigneur par excellence,
en même temps que grand destructeur. C'est ainsi que
le Deuteronome qualifie Jehovah de feu consumanı(2),
de dieu qui fait mourir et qui fait vivre (3), et que le
Psalmiste le nomme quelque part le roi des épouvan
tements. Ces titres convenaient parfaitement à Set ou
Sulekh, dieu de la puissance et de la dévastation,
suivant M. de Rougé .
A ce sujet, l'illustre égyptologue nous révèle une
particularité importante qu'il est bon de relever, c'est
que Set , qui fut appelé le mauvais génie, le principe
du mal ou de la force brutale , l'ennemi d'Osiris et
d'Horus, à partir d'une époque qui paraît dater de la
fin de la XXI* ou de l'avénement de la XXII° dynas
tie ( +) , n'avait point ces caractères dans les temps
(1 ) Jérémie XXXVI, 22-3 . Voir là -dessus, Gesenius, p. 69 B.
(2) Ach-Aklh, Deutér. IV, 24 , et IX, 3 .
(3) Deutér. XXXII, 39.
(4) Le premier roi de celle-ci, nommé Çiçaq dans la Bible,fut
contemporain de Salomon , de Roboam, roi de Juda, et de
Jeroboam , roi d'Israël. Voyez Rois XI , 40, et XIV , 25-6.
LXIX

antérieurs , je veux dire jusque vers la fin de la


domination des Ramsès qui remplissent les XIX ,
XXe et XXI: dynasties réputées indigènes.
Déjà, sous l'ancien empire , et dès le commen
cement de la IV° dynastie , Set et Horus apparais
sent sur les monuments hiéroglyphiques comme
les représentants de la souveraineté , l'un sur la
Basse - Egypte ou le Delta et l'autre sur la Haute
ou la Thébaïde. Ils sont tellement unis que chaque
Pharaon, en montant sur le trône , se fait appeler
l'Horus et le Set, en même temps que : « Soleil, fils
du Soleil » ( 1 ) . Aussi le Rituel funéraire mentionne
t-il une scène dans laquelle Horus et Set sont repré
sentés versant sur la tête des rois, lors de leur sacre
probablement , les symboles de leur domination fu
lure (2) . En outre , sur le tombeau de Ramsès III
Hic - Pen , chef de la XX° dynastie, on voit figurer un
génie symbolique à deux têtes qui sont , d'un côté,
celle de Set et , de l'autre , celle d'Horus (3 ) , en signe
de la domination de ce roi sur les deux Egyptes ,
appelées dans la Bible Mitsraïm au duel , « les deux
confins, les deux limites » (4) .
Sous les Toutmès de la XVIII dynastie , le culte

(1 ) Voir les Recherches citées p . 2 : 2-3 et pour les preuves , p .


261-5, 276-7 et 330.
(2 ) Voir Revue archéologique, nouv. serie , I , p . 380.
(3 ) Champollion, notices, p . 420.
(4) Voy. sur le sens de ce mot ou le Thesaur ou le Lexicon
manuale de Gesenius.
LXX

de Set qui avait prédominé au temps des usurpateurs


asiatiques sous le titre de culte de Sul -ekh, fut associé
de nouveau à celui d'Horus . Il reprit plus de faveur
encore sous les Ramsès des trois dynasties suivantes ,
à tel point que le surnom de Seti, comme qui dirait
dévoué à Set ou Setien , fut donné successivement :
1 ° au llº roi de la XIX° dynastie , Ramenma, fils de
Ramsés I'r et père du grand Ramsès II Miamun , 2º au
IV° roi de cette dynastie, Menephtah , sous le règne
duquel paraît s'être opéré l'Exode et qui était le
13e fils de Ramsès II, et 3 ° au chef de la XX° dy
nastie, Ramsés III, Hic -Pen, sur le tombeau duquel
figure le génie à deux têtes dont je viens de parler .
Quoique Ramsés II Viamun n'eût pas pris lui
même le surnom de Seti que portèrent son père et
son fils, le traité d'alliance offensive et défensive qu'il
conclut avec le prince des Khélas où il se dit chéri de
Sel ( 1 ) et surtout la fameuse stèle de l'an 400, dé
couverte récemment à Tanis par M. A. Mariette-Bey,
prouvent sans réplique qu'il n'en était pas moins
dévoué au dieu principal de cette ville , puisqu'il y
restaura le temple de Sul- ekh et y consacra à ce
dieu un monument en mémoire de ses ancêtres et
( 1 ) Voir la traduction de ce traité par M. Em . de Rougé dans
la Revuearchéologique, nouv. série, XIII, p . 268-15. Notons ici :
1º que M. Chabas, dans les Mémoires de la Société d'histoire et
d'archéologie de Châlons-sur- Saône, IV , p . 453 (an. 1863), cite un
texte hiéroglyphique où il est dit de ce Ramsès Il : C'est tout
Florus - Set ; et 2 ° que, suivant M. Em , de Rougé (Revue archéolo
gique, IX, p. 131, nouv, série), ce grand roi avait épousé la fille
du prince de Khet, quand le traité de l'an 22 de son règne eut
ramené la paix entre les deux pays.
LXXI

de son père Seti 1 € . Les paroles prononcées à ce


sujet par le Pharaon et le profil de sa figure qui rap
pelle le lype syrien , ont fait croire à M. le vicomte
de Rougé que les Ramsès s'honoraient de descendre
(par les femmes probablement ) d’un Roi-Pasteur ,
nommé Noubti- Sil ou Set-le -Roux ( 1 ) .
Le culte de Set avait donc été ravivé dans
la Basse - Egypte au temps de l'Exode et replacé
au même rang que celui d'Horus. En conséquence,
les Egyptiens de cette époque , jusque-là vain
queurs de leurs voisins sous des Pharaons que
protégeaient également ces deux divinités, durent
être étrangement surpris des nombreux fléaux qui
venaient fondre sur eux , à intervalles plus ou
moins rapprochés , y compris l'insurrection des
Israélites et de leurs adhérents; ils durent penser
que l'antique dieu Set qui avait favorisé tour à-lour
les anciens Pharaons jusqu'à la fin de la XIVe dynas
tie , puis les Rois - Pasteurs ou Hycsos des trois dynas
lies suivan'es, ensuite les Ahmès et les Touimės de la
XVIII et finalement les trois premiers Ramsès de la
XIX®, redevenait contraire aux fidèles sujets du 4.
Ramsès , ( Menephtah) , actuellement sur le trône .
De là, ainsi que je l'ai déjà insinué à la fin du g
précédent, ce conseil un peu rude donné au roi
régnant par ses serviteurs timorés : « Jusqu'à quand
( 1) Celte filiation présumée a été constestée par M. Marietie
et maintenue par M. de Rougé. Voir Revuearchéologique, nouv.
série, XI, p. 169-90 , et p . 341-7 , et Revue des Deur-iron les, nº
du i septembre 1867, p. 195-6.
LXXII

« celui -ci (Moise) nous sera- t-il en piége ? Laisse


« aller ces gens, et qu'ils servent Thuh leur Dieu . Ne
a vois-tu pas que déjà l’Egyple est perdue ? ( 1 ) ►
Delà aussi ce cri de détresse proféré par les soldats
égyptiens au passage de la Mer -Rouge : « Fuyons
« devant Israël , car Thuh combat pour eux contre
« Mitsraïm (2) . » Prononcez ce nom sacré à l'égyp
tienne, c'est-à-dire lò, et vous verrez que, dans la
pensée de ces égyptiens, militaires ou bourgeois, le
dieu Set cessait d'être propice à la vallée du Nil , c'est
à-dire de personnifier ,comme sous l'ancien empire , la
royauté de la Basse-Egypte, et d'être pour elle un
dieu national et protecteur, au même titre qu'Horus
pour la Haute-Egypte , en sorte que désormais, c'est
à ce dernier seul qu'il faudrait recourir dans les dan
gers, puisque l'autre passait du camp des Egyptiens
dans celui des Hébreux .
Ami lecteur : « Si quid novisti rectius istis,
« Candidus imperti, si non , his utere mecum . »

VI .

Non parallèle de Jehovah et d’Agni resterait in


complet , controversable et même obscur pour la
plupart des lecteurs studieux, peu au courant de ces
sortes de matières, si , avant de l'entreprendre, je
ne résumais pas dans un chap . préliminaire, les
( 1 ) Exode , X , 7 .
(2) Exode, XIV, 25,
LXXIII

travaux exécutés avant le mien sur les vieilles pro


nonciations du Télragramme hébraïque qui nous ont
élé transmises, non point par les docteurs juifs, ils se
gardent bien d'entrer en explication à ce sujet ,
mais par des écrivains étrangers au Judaïsme, tels
que païens, gnostiques et pères de l'Eglise , après la
destruction du temple de Jérusalem . Ce hors-d'æuvre
me parait indispensable ; c'est une sorte de question
préjudicielle qu'il importe d'examiner et de résoudre
tout d'abord , car , avant d'aborder le fond, il faut
s'assurer de la forme : autrement la partie philologi
que de mon exégèse manquerait de base certaine .
N'ayant à ma portée que la traduction française
du Rig-Véda par feu A. Langlois, c'est à elle que
j'emprunterai la plupart de mes citations védiques,
toute divinatoire qu'elle ait paru en certains endroits
au très-savant éditeur du texte et du commentaire
sanscril ( 1 ) .
Pour abréger , je me bornerai généralement à
l'énonciation de trois chiffres, dont le premier, en
caractères romains, indiquera le volume, le second ,
en chiffres arabes, la page , et le troisième , en
memes chiffres, la stance . Je ne mentionnerai l'hymne,
et entre parenthèses seulement, que quand la page
( 1 ) Voyez la seconde série , p . 409 , des Lectures on the Science
of Language par M. Max Müller. Les indianistes savent que la
traductiou anglaise de feu M. H. Wilson est restée incomplète
et que la version allemande de Théod . Benfey marche lente
ment dans son journal intitulé Orient and Occident, dont le
fer fascichle a paru à Geettingue en 1862 .
LXXIV ,

de renvoi contient deux stances du même numéro .


Je suivrai le même procédé tant pour la transcription
et la traduction latines du premier livre du Rig- Véda
par Fréd . Rosen que pour la traduction anglaise du
Såma -Véda par Stevenson , en ce sens que , comme
ces ouvrages ne contiennent chacnn qu’un volume,
je me bornerai pour eux à deos chiffres arabes indi
quant la page et la stance . Quant au petit nombre de
citations que j'aurai à extraire de la transcription
en caractères européens de tout le Rig -Veda par
M. Théodore Aufrecht dans les volumes VII et VIII
des Indische studien de M. Albrecht Weber , j'em
ploierai trois chiffres dont le premier indiquera le
mandâla ou livre, le second le sukta ou hymne , et le
troisième le rig ou verset . Malheureusement je ne
peux adapter les mêmes abréviations au Sama - Veda
de M. Théodore Benfey à l'égard duquel je me
verrai obligé de recourir à la série de chiffres très
compliquée qu'il indique lui même à chaque page de
sa traduction allemande .
En ce qui touche la transcription des mots étran
gers , je veux dire sanscrits et hébreux, je suivrai
pour les premiers la méthode d'Eugène Burnouf, et
pour les seconds , celle de Gesenius , sauf, à l'égard
de ceux-ci , quelques légères modifications indiquées
dans la note ci-après.
Je ne puis ni ne dois terminer cette préface-intro
duction , sans donner ici un témoignage public de ma
profonde gratitude envers MM . Adolphe Regnier,
LXXV

Alfred Maury et Gustave Liétard , les deux premiers


membres de l'Institut, et le troisième membre des
Sociétés d'Anthropologie et de Linguistique , pour les
grandes facilités qu'ils ont bien voulu m'accorder,
tantôt en consultant avec moi ou pour moi, tantôt en
mettant à ma disposition plusieurs ouvrages rares de
leurs bibliothèques particulières dont j'avais besoin
pour mon travail .
Note pour la transcription des mots hébrous .
L'hébreu ne se prête pas aussi facilement que le sanscrit à
une transcription uniforme, parce que son alphabet est com
parativement fort incomplet , ce qui entraine l'obligation
(l'affecter plusieurs sons ou emplois à une seule et même
lettre, tantôt pour l'aspirer, tantôt pour l'adoucir. Quoique
tous les caractères écrits dans le canon alphabétiquc soient
réputés consonnes , il en est plusieurs qui font réellement
fonction de voyelles . En conséquence, j'avertis le lecteur que
je transcrirai, comme je l'ai déjà fait d'ailleurs pour quelques
lettres :
1 ° L’ALEPH par A et l'AIN par ’A, et non par 9 ;
20 Le II E par H et le HHETH par ’H, et non par KH ;
30 Le VAU et le IOD, tantôt par U (pour ou ) et par I, lors
qu'ils restent voyelles, tantôt par V et par Y lorsqu'ils devien
nent consonnes .
4° Le CAPH et le COPH, l'un par K ou KH et l'autre par Q
dont il a la forme.
5° Le PE par P ou PH selon qu'il est simple ou marqué au
milieu d'un point diacritique ;
6° Le SAJEKH et le TSADE, l'un par S et l'autre par TS et
non par Ç italien sonnant TCH .
7 ° Le SIN et le SCHIN ou SHIN, le premier par ç cédillé et le
second par CH français dans CHAT, CHER , CHIEN, CHOSE,
CHUTE .
8° Enfin le TET et le THAU, l'un par ' T , l'autre par T simplu
lorsqu'il est muni de point diacritique, sinon par TH , cas le
plus ordinaire .
200203

JEHOVAL ET AGNI
ÉTUDES BIBLICO - VÉDIQUES

CHAPITRE I.
Discussion préliminaire sur la véritable pronon
ciation du Tétagramme hébraïque IHUH (1 ).

I.

De tous les anciens noms de la Divinité qui sont


parvenus jusqu'à nous , il n'en est aucun qui , depuis
la renaissance des lettres en Europe , y ait suscité
parmi les érudits autant de débats, d'hypothèses, de
systèmes et de rêveries, que le célèbre Tétragramme
hébreu IHUH, ou YHVH , plus connu sous sa forme
moderne Jehovah .

( 1 ) Les ouvrages à consulter sur ce chap. Jer sont très nom


breux . Voici ceux dont j'ai fait plus spécialement usage :
1 ° Tetragrammaton par Drusius, dans la Critica -sacra , t. I,
2e partie, in - fo.
2° Recueil de dissertations critiques sur quelques endroits difficiles
de l'Ecriture Sainte , Paris, 1715, in-4°, sans nom d'auteur, mais
attribué au P. Souciet, jésuite.
3° Palæographia critica, par Kopp, vol . III et IV, in -4 °.
4° Thesaurus Linguce Hebræc et Chaldæc , de Gesenius, au mot
Ihuh, p . 575-8, in-4°.
Ś De l’Harmonie entre l'Eglise et la Synagogue, par P. L. B.
Drach , t. I, in -8 °
6° De origine nominis Ihuh , dissertation de Fr. Paul Scholz,
Breslau , 1857, in -8 °.
Et 7° Uber die Bedeutung und Aussprache von Ihuh, par H. G.
Hoelemann, dans ses Bibel-studien , 1 re partie. Leipzig, 1859, in - 8 °
6
( 6 )
Ce nom de quatre lettres que nous écrivons géné
ralement avec sept, en y faisant entrer les trois
points-voyelles que lui adjoignent les bibles ponc
tuées et en prenant pour des consonnes les quatre
caractères écrits à la suite les uns des autres et de
droite à gauche en hébreu, ce nom quadrilittéral,
dis-je, joue un rôle immense dans la religion des
Juifs : il est à la fois la base, le centre et le couron
nement de leur édifice social, politique et religieux.
C'est le nom sacré par excellence, le nom à la fois
glorieux et terrible, le nom ineffable et incommuni
cable, le nom propre de Dieu, comme désignant son
essence; tandis que les autres noms divins que lui
donne aussi la Bible hébraïque sont des noms déri
vés de ses actions et n'indiquent que ses attributs,
tels que la puissance, la justice, la bonté, la sagesse ,
la miséricorde, etc. En un mot, ce nom particu
lier (1 ). ce nom distinct ou séparé (2), était, si l'on
en croit les auteurs du Talmud , le seul nom existant
avec Dieu avant la création (3) . Delà le saint respect
dont les Juifs l'entouraient comme symbole de na
tionalité , d'indépendance , de théocratie et surtout
de monothéisme . Sous ces divers rapports, il ne pou
vait manquer d'attirer partout l'attention du monde
( 1 ) Hchm hmiu 'had .
(2) Chm hmphurch .
(3) Sur tout cela voyez le More Nebukim ou Guide des Egarés,
de Maimonide, traduction de feu S. Munk, chap. I, p. 267-73.
Paris, 1856, grand in-8°.
-
( 7 )
savant . Aussi a-t-il enfanté des milliers de disserta
tions , pour ne pas dire de gros volumes (1 ) , et il en
enfante encore de nos jours au-delà du Rhin , surtout
dans l'Allemagne protestante qui est devenue la terre
classique de l'exégèse sacrée .
Ihuh figure dans les textes hébreux de la Bible
jusqu'à 6855 fois, si l'on s'en rapporte au relevé
minutieux et tout récent d’un vieil israélite anglais,
nommé Jonathan (2) . Dans ce nombre ne sont pas
compris probablement les noms propres d'hommes et
de femmes dans lesquels Ihuh entre comme élé
ment constitutif, tel que celni de Jonathan (3) , ou
Adéodat, en grec Theodôros, que je viens de citer, et
celui de Nathanyâhu (4), son adéquat, signifiant Dieu
donné, en grec Dorotheos. Mais il en est sans doute
autrement du nom divin Ih , ponctué Yâh , forme
poétique ou populaire de Thuh , son type ou son
abrégé, qui commence à apparaître dans le cantique
chanté après le passage de la Mer-Rouge et que le
Psalmiste emploie assez fréquemment, témoin le
refrain Alluih (Alleluyah ! ) .
( 1 ) J'en pourrais dire autant du divin monosyllabe Aum des
Indiens sur lequel les Brahmanes et les Bouddhistes ont débité
plus de rêveries encore que les Talmudistes et les Kabbalistes
Juifs sur Ihuh : ce qni a fait croire à Anquetil-Duperron qu'il
y avait eu là des emprunts réciproques , bien que Ihuh ne res
semble pas plus à Aum que l'arabe Alphana au latin Equus.
Voir son Oupnekhat, I, p. 443 .
(2) Voir l'article de l'International de Londres, extrait par le
Journal d'Amiens, dans son numéro du 23 août 1866 .
(3) Hébreu sans points - voyelles Ihunthn ou Iunthn.
(4) Hébr. s. p. v . Nthnihu.
( 8 )

Cependant, chose singulière et bien digne d'atten


tion ! le nom intégral Thuh a cessé d'être en usage
chez les Juifs, même dans la bénédiction sacerdotale
où son emploi était formellement prescrit par le
Pentateuque . Cette cessation absolue date d'une
époque vaguement déterminée, mais qui parait re
monter à celle du partage de l'empire d'Alexandre
le -Grand entre les généraux qui l'avaient aidé dans
ses conquêtes en Asie. On sait que, dès l'année 320
avant l'ère chrétienne, la Judée, la Phénicie et la
Cælésyrie étaient devenues tributaires de l’Egypte
sous le gouvernement de Ptolémée -Soter ( 1 ) . Les Tal
mudistes prétendent que le souverain pontife Siméon
le-Juste, décédé sous le règne de ce prince, l'an 292
avant Jésus-Christ, fut le dernier des prêtres sanctifės
à l'Eternel qui proféra à haute voix le divin Tétra
gramme selon ses lettres propres, dans la grande
bénédiction du peuple à la solennité du jour des
expiations (2 ).
Ce qu'il y a de certain , c'est que ce nom sacré ne
reparait plus ni dans la version grecque d'Alexandrie,
(1 ) Ces trois provinces lui furent enlevées l'an 314 par Anti
gone ; mais il les reprit l'an 300. Les Lagides les perdirent l'an
203 par suite des victoires d'Antiochus-le-Grand sur les Égyp
tiens. Elles tombèrent alors sous la domination des Séleucides,
et la Judée y resta assujettie jusqu'à l'époque des princes
Asmonéens ou Macchabées qui , à partir de 166, luttèrent avec
avantage contre ces puissances étrangères. Après ces libéra
tours, le pays tomba sous le joug des Hérodes et des Romains,
(2) Guide des Egarés, I. p. 273-9 ; Thesaurus, p. 576 ,
( 9 )
dite des Septante, qui date pour le Pentateuque de
l'an 276 sous le règne de Ptolemée-Philadelphe,
ni dans les livres bibliques écrits en chaldéen ou en
grec, ni dans ceux du nouveau testament, ni dans
les ouvrages de Philon et de Josèphe, ni même dans
les versions de la Bible hébraïque exécutées durant
les cinq ou six premiers siècles de notre ère , en
quelque langue que ce fût, par la raison que les
premiers chrétiens judaïsaient tous en cette partie.
Tel était alors le respect des Juifs pour ce nom
divin que le néoplatonicien Philon déclare expres
sément qu'il n'est pas permis de l'entendre et encore
moins de le transcrire littéralement ( 1 ) , Ce respect
s'est continué jusqu'à nos jours parmi les Israélites .
Il a été imité par les Pères de l'Eglise, excepté par
ceux qui avaient à combattre les hérésis gnostiques
dans lesquelles on faisait jouer au Tétragramme les
roles les plus divers . S '-Grégoire de Nazianze , en
théologien -poëte , va même jusqu'à dire , par allusion

(1 ) Ce sont ses propres expressions dans sa Legatio apud


C. Caligulum , p . 1041 de ses œuvres dans l'édition de Paris.
Josèphe s'exprime en termes aussi nets dans son Archéologie
judaique, lib. II, c. 5, § 2. Il y ajoute même dans son livre sub
séquent, de Bello judaico, liv. V, c. 5, que ce nom n'était com -
posé que de voyelles, assertion excusable dans la bouche d'un
helléniste écrivant en grec pour des Grecs, mais inexacte en
réalité, car le He hébreu répond a notre H aspiré. Elle a pour
tant été répétée par Eusébe de Césarée dans un texte qui sera
cité ci-après .
( 10 )
à lhuh sans le transcrire, que Dieu est insaisissable
pour l'esprit, inexprimable pour la langue ( 1 ).
La grande Synagogue s'était montrée extrême
ment sévère à l'encontre des Israélites qui oseraient
le proférer. Elle leur infligeait la peine de mort
par une fausse entente de divers textes de Pentateu
que qui n'avaient voulu atteindre que les blasphé
mateurs (2 ). Ce fait est trop connu pour que j'aie
j'
besoin d'y insister.
Quant aux prêtres officiants à qui la loi prescri
vait de bénir le peuple au nom de Thuh (3) , Maimo
nide rapporte , d'après la Mischnâ , qu'ils remplaçaient
le Tétragramme par un nom de douze lettres, moins
mystérieux , mais pourtant très respectable, qu'on
enseignait d'abord à qui voulait l'apprendre, mais
que dans la suite on ne révélait plus qu'aux plus
pieux de la classe sacerdotale, à tel point que le
prêtre qui s'en servait en bénissant le peuple dans
le sanctuaire , le faisait absorber par les mélodies des
prêtres, ses frères (4) . Il paraît que le Talmud ne

( 1 ) Voir ses euvres, I, p. 552 ou Drach, ouv. cité, I, p. 337,


On en dit autant d'Aum, Atma ou Brahma dans les Lois de
Manou , I, 7, et XII, 122, trad . de Loiseleur-Deslongcbamps.
(2) Voy. entre autres, Exode, III, 5, et xx, 7, et surtout
Lévitique, XXIV , 10-6.
(3) Lévitiq. IX, 22. Nomb. VI, 24-6,
(4) Voir surtout cela le Guide des Egarés, de Maimonide, I, p.
274-5 avec les notes du traducteur feu S. Munk . Voici en outre
certain texte de R. Bekhai que Buxtorf, Lexicon Chald . Talm .
Rabbinic. p. 2435 , et d'autres après lui rattacbent au Tétra
( 11 )
s'explique ni sur le sens de ce nom substitué, ni
sur les lettres dont il se composait . Le savant
Maimonide se borne à dire qu'on le cachait, à
l'exemple du Tétragramme , parce que les hommes
relâchés l'ayant appris sans en bien saisir les pro
fonds mystères métaphysiques, avaient été troublés
dans leur foi et étaient arrivés à de fausses croyances
ou avaient professé par suite des croyances mau
vaises (1 ) .
li

Ces expressions ambigues ont fait naitre parmi


les critiques une question intéresante : celle de
savoir si c'est seulement par des scrupules religieux,
comme on le croit généralement , ou si ce n'est
pas aussi par suite d'abus, de profanations, de
blasphèmes, de superstitions et de sortilèges, soit
gramme lui-même : « sunt tempora quibus sacerdotes profe
a runt illud nomen cum elevatione manuum expressè (et
« publice, ut ab omnibus audiatur) , et sunt tempora quando
« non pronunciant illud publice et clare, sed deglutiunt illud
« (id est obscure, cum murmure et mussitatione proferunt
« illud, quasi absorberent) » , —· Du reste, l'existence et l'em
ploi de ce prétendu nom de douze lettres ont été contestés de
nos jours par Abraham Geiger, célèbre Rabbin de la Syna
gogue de Breslau dans un savant livre publié en 1857, sous ce
titre : Urschrift und Uebersetzungen der Bibel, etc.
(1 ) Ouv. cité, p . 274-5.
(2) Maimonide, ouv. citė, I, p. 271-2, semble admettre les
deux dernières causes lorsqu'il parle,d'après la Mischna, d'abord
des Kamióth ou amulettes renfermant des formules magiques
qu'on portait comme préservatifs contre les maladies , ensuite
des Schimóth ou noms sacrés, forgés par fantaisie, n'offrant
aucun sens et réputés capables d'opérer des miracles.
( 12 )
parmi les Israëlites, soit parmi les étrangers avec
lesquels ils se trouvaient en rapport ( ! ) , qu'il fut dé
fendu d'abord de révéler le Tétragramme à tout
venant , ensuite de le prononcer à haute et intelli
gible voix non seulement dans la conversation , mais
encore dans la lecture de la Bible ou dans le chant
dəs Psaumes et , qui plus est, dans les bénédictions
solennelles du peuple, expressément ordonnées aux
prêtres célébrants par deux livres de Pentateuque .
Ce point ne me parait pas avoir été suffisamment
éclairci . Je me propose de l'examiner plus tard . Pour
l'instant, je me borne à faire observer qu'après la
destruction du second temple et la dispersion des
Juifs, les hommes instruits savaient seuls, au dire de
Maimonide , de quelle manière on devait prononcer
le Tétragramme, par quelle voyelle devait être mue
chacune de ses lettres, et si une de celles qui sont
susceptibles de redoublement devait être ou non re
doublée ; ils transmettaient cela les uns aux autres ,
et pour perpétuer, à ce sujet, la tradition orale, il
était permis aux pères de famille et aux maîtres
d'école de l'enseigner à celui de leurs enfants ou de
leurs élèves qu'ils jugeraient capable et digne de
l'apprendre . Mais cet enseignement, soit quant à la
prononciation, soit quant à la signification, n'avait

( 1 ) Voy. là dessus le livre cité de Maimonide, dans la traduc


tion et avec les notes de feu S. Munk, 1, p. 273-4, et II, p. 378,
en note . Notons que le P. Souciet, Recueil cité, p . 253–5,
Gesenius, Thesaur, etc. , p. 576, et M. Munk lui-même, au t. jer
( 13 )

lieu que sous le sceau du secret , et une fois par


semaine d'années seulement (1 ) . Ce qui indique une

sorte d'initiation analogue à celle de la communica


tion de la Savitri chez les Brahmanes de l'Inde qui
imposaient à leurs élèves en théologie , jugés dignes
de la recevoir , l'obligation de ne pas révéler aux
profanes leur sacré monosyllabe Aum ( 1 ) .
Quoiqu'il en soit , les hébraïsants pensent généra
lement que , dès la mort de Siméon-le - Juste , arrivée

l'an 292 avant notre ère , les Juifs dans la lecture


de la Bible , remplaçaient le Tétragramme Ihuh par
par deux autres noms divins (2 ) . Ils lui substituaient

généralement Adni, prononcé Adônâi , Septante ,


Kurios, vulg. Dominus , lorsqu'il figurait seul dans
un texte ou qu'il y était accompagné de quelque
qualificatif autre qu'Adònài. Par exception , quand

il était précédé ou suivi de ce dernier nom , ils le


remplaçaient par Alhim , prononcé Elohim , Septante

de Maimonide, avaient traduit Chbu'u par semaine de jours, mais


c'est semaine d'années, Chb’a Chnim, qu'il faut entendre d'après
la note rectificative du t. II, p . 378 de la Traduction française .
( 1 ) Voir Lois de Manou , XI , 263 , et comparez ibid , II, 40 , 36
74-85, et IV , 125 .
(2) Dans leurs écrits ou dans leurs discours , les Israélites se
contentaient du mot Chm en hébreu ou Chima, en Samaritain ,
signifiant le nom , c'est-à-dire le nom par excellence . Voir le
Thes. de Gesenius, p . 1433 A. in verbo . Cependant ils le rem
plaçaient aussi par d'autres mots, tels que ceux de Ihud et
1 lusph, altérés l'un en Iduh pour Suda (en Judée ? ) et l'autre en
fusi pour Joseph (en Samarie ?) Voy. le Tetragrammaton de
Drusius, p. 301-2, et l'Harmonie de Drach , I, p . 495 .
( 14 )
Theòs, vulg . Deus , pour ne pas lire deux fois de
suite le même nom divin Adonai (1 ) .
Voilà pourquoi nos Bibles ponctuées portent très
souvent Jéhovah et quelquefois Jéhovih.
I

C'est entre le V° et le IX ° siècle de notre ère que


ces deux ponctuations ont été insérées dans l'ancien
Testament par les massorethes ou grammairiens de
Tibériade en Galilée. Ces traditionnalistes s'étaient
proposé de fixer définitivement la lecture des livres
sacrés, écrits dans une langue morte que les Juifs
ne parlaient plus depuis leur retour de l'exil baby
lonien, et qui d'ailleurs avait eu le défaut, commun
à tous les idiomes sémitiques, de faire très -souvent
abstraction des voyelles dans son système d'écri
ture ( 2 )

(1 ) Cependant les Septante répètent quelquefois Kurios, au


lieu d'employer Theos, par exemple, sur Juges, VII, 22, et sur
Il Samuel, VII, 19, 20. Il leur arrive au moins une fois sur
Genèse, XV, 2, de traduire le vocatif Adni Ihuh par Despota
Kurie, au lieu de Kurie Thee.
(2) Cette rareté des voyelles a fait croire à nombre d'hébrai
sants que l'alphabet hébreu ne contenait que des consonnes,
et à quelques-uns (Masclef et Houbiguant, par exemple), que,
pour les articuler convenablement, il fallait les faire suivre de
la voyelle que leur donne le canon alphabétique, au lieu de
s'arrêter aux pointillages des massoréthes. Un lexicographe
anglais (W.Packhurst) allait plus loin : il se bornait à suppléer
la voyelle a pour toute consonne non suivie d'une autre voyelle
écrite (comme le font les Indiens), sauf pour les lettres finales
( 15 )
Régulièrement Jehovah, calqué sur Adônär. aurait
dû être ponctué Jahôvâh, avec un premier a très
bref, au lieu d'un e brevissime et très-peu sensible
appelé Scheva, puisque Jéhovih, calqué sur Elohim,
était ponctué comme celui-ci par é ſermé, Il paraît ,
en effet, avoir eu originairement ce son d'un a très
bref ( ! ), qui , dégénérant en e muet ou Scheva , a
fini par disparaître jusque dans la ponctuation de
quelques noms composés à l'aide d'un Thuh initial ,
écourté en lu et ponctué lò (2) .
L'origine historique de ces deux ponctuations du
Tétragramme Thuh, déjà admise par Maïmonide au
moins pour la première, a été démontrée dans les
deux derniers siècles par les plus célèbres hébraï
sants de l'Europe . Cependant elle n'a pas été ассер -
tée par tous leurs confrères . De nos jours encore ,
elle rencontre plus d'un antagoniste . Ces oppo
sants (3) conviennent bien que la ponctuation Jėhô
et quiescentes. A reprendre les choses de très-haut, je crois
qu'il était dans le vrai . Il n'y avait guère de difficulté sérieuse
que pour les voyelles i et u, lorsqu'elles devaient jouer le rôle
des demi- consonnes y et v.
( 1 ) Ainsi le pensaient R. Asarias, Buxtorf et Gesenius . Voir
le grand Thesaur. de ce dernier, p . 576, en note.
(2) La même chose est arrivée au Zend dans ses rapports
avec le Sanscrit, comme Eugène Burnouf l'a fait voir dans son
Commentaire sur le Yacna Zend , au chap. de l'alphabet,
p . XLVI .
(3) Tels que Forster, Piscator, Alstédius, Gatacker, Hiller
Fuller, Hillel, Leusden , le P. Souciet, Michaelis , Rosenmüller,
Drach , Stier et Hoelemann .
( 16 )
vâh, telle qu'elle se présente le plus fréquemment
dans les Bibles ponctuées (car les rabbins en ont qui
ne le sont pas du tout ), suppose nécessairement
pour lecture Adonâï (1 ). Mais ils n'en persistent pas
moins à soutenir qu'elle révèle l'antique et véritable
prononciation de lhuh, laquelle se serait religieuse
ment conservée dans les écoles rabbiniques du
moyen-âge jusqu'au moment où Pierre Galatin l'a
mise en relief dans son livre de Ircanis catholicæ
veritatis, publié au XVI° siècle ( 2 ).
Tout ce qu'on peut leur accorder, ce me semble,
c'est que la prononciation Jehóvâh ,ou mieux Yehovah,
était déjà admise par les adeptes de la Gnose Orien
tale, antérieurement à l'ère chrétienne . En effet,
Eusébe de Césarée ou plutôt Porphyre qu'il copie à
ce sujet, y fait allusion dans un texte relatif à la
célèbre théorie païenne de l'Heptaphthongue qui
avait pour but d'imiter la musique céleste des sept
planètes dans les invocations qu'on leur adressait
(1 ) Voyez notamment le Recueil du P. Souciet, p. 269, l’Har
monie etc. du chevalier Drach, 1, p. 482, et les Bibel -studien
de Hoélemann , p. 68 et suiv. , 84 et suiv, - M. Sarchi dans le
petit appendice joint à sa nouvelle grammaire hébraique ,p.435-7,
a résumé les preuves du fait avoué par les partisans de la
prononciation Jehovah : il la rejette à l'exemple de beaucoup
d'autres, en déclarant que la véritable reste inconnue, parce
que, de tout temps, Ihuh a été regardé comme ineffable .
( 2) L'un d'eux, le chevalier Drach , israélite converti, pré
tend qu'elle est de tradition fort ancienne et constante parmi
les rabbins, et que durant les XIVe et XV° siècles, elle avait été
admise par quelques érudits chrétiens, tels que Porchetti,
Denys le Chartreux et Ficino. Voir son ouv . cité, I, p. 483.
-
( 17 )

chaque jour de la semaine en prononçant successi


vement et dans un certain ordre les voyelles de
l'alphabet grec qui leur étaient consacrées (1 ), théo
rie qui, suivant les Grecs, remontait à l'un des deux
archimages Chaldéo-Persans du nom d'Osthanès,
zélés partisans de la doctrine sacrée de Zoroastre
et magiciens renommés , lesquels , croyait-on ,
avaient suivi ou secondé, l'un , Xerxés dans son ex
pédition contre la Grèce, et l'autre , Alexandre dans
la sienne contre la Perse .

Quoiqu'il en soit de l'origine et de la date de ce


système mystique et astrologique sur lequel j'aurai
à m'expliquer ultérieurement, il est constant que ,
depuis Pierre Galatin, la prononciation Jehövâh a
obtenu droit de cité en Europe , au détriment de sa
compagne, la ponctuation Jéhovih , beaucoup plus
rare dans les textes sacrés (2) et restée presque in
connue des modernes. La forme Jehovah fut d'abord
adoptée par tous les écrivains qui , sans connaître
l'hébreu, se piquaient de littérature hébraïque, puis
par beaucoup d'autres. Elle s'est maintenue jusqu'à
nos jours et propagée à tel point qu'aujourd'hui tout
le monde en fait usage en parlant du dieu des Juifs.
Quand je dis tout le monde , j'en excepte, bien
/

(1 ) Voy. Eusébe, Præpar. évang. lib. XI, p. 519-70, edit .


Viger, Pline, c. XXX , c. 2, nºs 4 et 6, et Drach , ouv . cité, I, p.
346-7 .
(2) Cependant le chevalier Drach en a compté 211 exemples
dans le prophète Ezéchiel .
( 18 )
entendu , les Israélites scrupuleux ( 1 ) et les hébrai
sants consommés de toutes les communions . Ceux -ci
réclament en vain contre ce qu'ils appellent une
méprise rabbinique . La routine l'a emporté sur l'éru
dition par divers motifs. D'abord , pour les mysti
ques, Jehovah offrait cet avantage que, décomposé
en ses trois syllabes : ye + hô + vâh, il exprimait à
la fois les trois temps de la durée du grand étre, le
passé , le présent et le futur (2) et ses trois hypos
tases, le Père, le Fils et le Saint-Esprit (3).Voilà pour
quoi , dans plusieurs églises catholiques où figure le
Tétragramme Thuh, on le voit encadré dans un
triangle équilatéral dont les trois côtés représentent ,
dit-on, les trois personnes de la Trinité (4) . Ensuite,
aux yeux du public, les hébraïsants qui rejettent la
lecture Jehovah ont le tort de ne s'entendre entre
eux ni sur l'origine ethnologique ,ni sur l'étymologie,
(1 ) Dans sa première traduction du Pentateuque, feu S.Cahen
s'était abstenu de transcrire en français ce nom divin pour ne
pas froisser les susceptibilités de ses coréligionnaires,
( 2) Voir, entre autres, Michaélis, supplem . ad. Lexica hebraica,
p. 524, - Drach , ouv. citė, p. 319 et 449-56, - Rosenmüller,
Scholia in Exodum , sur III , 15, Stier, Lehrgebaude der hebr.
sprache, etc. p. 327, et Hoélemann , ouv. cité, I , p. 57-62 et 93-4.
(3) Voir encore Drach, ouv . et lieu citės, et surtout la petite
dissertation Jehovah de l'abbé P. G. L. , p . 22-36, a où l'on
« démontre, porte le titre, que le nom de Jehovah a été connu
u d'un grand nombre de peuples et qu'il se rapporte essen
a tiellement à la Trinité » . Paris, 1830, in - 8 ° de 32 p.
(4) Ce triangle emblématique paraît être d'origine égyptienne
à l'abbé G. P. L. , p. 32 de sa dissert. citée.
( 19 )
ni sur la prononciation , ni sur la valeur de ce nom
hébreu . Enfin, quant aux écrivains de nos jours,
prosateurs, poëtes , philosophes, théologiens, etc. ,
ils trouvent plus simple et plus court de suivre le
torrent que de remonter à ses sources .
Je ne dois m'occuper dans ce chapitre préliminaire
que de la prononciation du Tétragramme hébraïque .
Quant aux autres griefs que je viens de rappeler,
comme ils tiennent beaucoup plus au fond qu'à la
forme, leur tour viendra dans les chapitres sub
séquents .
J'ai déjà indiqué dans l'introduction les deux
lectures auxquelles je m'arrête de préférence (1 ). Ce
sont en écriture française Yahouh et Yaho. Voici le
moment de déduire les motifs intrinsèques de ce
choix , tout en continuant, pour ne rien préjuger,
ou à écrire Ihuh ou à suivre la routine .

IV .

Un abbé P. G. L. qui écrivait en 1830, dit avoir


recueilli dans les auteurs anciens et modernes,
jusqu'à 28 manières principales d'énoncer ou d'écrire
le Tétragramme en question. Encore , a-t-il oublié
d'y comprendre la lecture Jéhovih , bien que, à
( 1 ) Voyez ci-dessus, p. I, 17, 19, 21 , du tirage à part, ou
p . 303, 311 , 313 et 315, du t. VI, 2e série. des Mémoires de
l'Académie ďAmiens.
( 20 )
l'exemple de beaucoup d'autres, il cite Jovis et
Jupiter comme dérivés de Thuh ( 1 ) .
De ces 28 prononciations, réelles ou présumées,
il y en a un grand nombre à écarter comme étant
soit des fautes de copistes, soit des doubles emplois,
provenant les unes d'inadvertances , les autres
d'échanges de lettres, car l'alphabet hébreu ne pos
sède pour voyelles propres que les trois primitives A,
1, U, celle-ci prononcée ou . Il n'a ni E ni 0, le He
étant une aspirée qui répond à notre h dur, et l'Ain
un A guttural . Il ne possède pas non plus de carac
tères distincts pour rendre les articulations aryennes
que les Indianistes -Français expriment par y grec et
v latin . C'est la ponctuation seule qui détermine,
d'une part, si les caractères appelés iod et vau re
présentent i et u, ou y et v, et de l'autre , si , en les
faisant précéder d'un a sous-entendu, on doit en
tirer soit ai et au (pour é et 6) devant une consonne,
soit ay et av devant une voyelle (2) .
Le système des ponctuations massoréthiques est
plus compliqué que je ne l'indique en cet endroit ;
mais je remonte et je m'en tiens à ses éléments pri
mordiaux , les seuls dont j'aie besoin pour le travail
qui va suivre (3) .

( 1 ) Voy. sa petite dissertation citée, de la p. 14 à la p. 21 .


(2) Voyez là-dessus l'Etude sur l'idiome des vėdas par M. Ad .
Régnier, p. 172-7 ou la Grammaire comparée de Franz Bopp,
trad . de M. Michel Bréal, I , p. 68 .
(3) Il y aurait de curieux rapprochements à faire sous ce
double rapport entre les grammaires aryennes et semitiques.
( 21 )
Deux voies d'investigation s'ouvrenticidevant nous ,
l'une grammaticale, l'autre bistorique . La première
consiste à comparer ensemble les formes que prend
le Tétragramme dans les noms propres composés où
il entre comme élément constitutif, soit au commen
cement, soit à la fin (!). La seconde , de son côté ,
se borne à faire un choix parmi les diverses trans
criptions de ce nom divin à l'état isolé, qne les
payens, les Gnostiques et les Pères de l'église nous
ont transmises à défaut des Rabbins, des Talmudis
tes, des Septante et de la Vulgate (2) .
Parcourons rapidement ces deux routes.
V

La première est courte et ne nous retiendra pas


longtemps.
Au commencement des noms propres composés,
l'hébreu écrit le Tétragramme ou Thu sans h final,
Ni Bopp ni Gesenius ne les ont tentés. J'espère que M, Ernest
Renan portera ses vues de ce côté, s'il reprend et achève
quelque jour la partie lexicographique de sa savante Histoire
générale des langues Sémitiques.
( 1 ) Il n'y a qu'un seul composé qui contienne un ihuh mé
dial. Je crois inutile de m'en préoccuper. Le Tétragramme
y prend d'ailleurs trois formes, savoir : ihu, il, et même i
seulement dans ali'aini, à l'exemple de Ihua (Jéhu ).
(2) J'ai oublié de rappeler ci-dessus au ß fer de ce chapitre ,
qu'à la manière dont la Version Alexandrine traduit les ver
sets 15 et 16 du chap. XXIV du Lévitique, ce serait un crime
aussi grand, plus grand même, de prononcer le nom Ihuh que
de le blasphémer et le maudire.
7.
( 22 )

ou même iu sans h médial . Au 1er cas , la massore inbera


le ponctue ou lehð avec l'e très -bref, dit Scheva, ou Thi
sans cet e brévissime . Au second cas, elle le pone
tue lò ( 1 ) . Les Grecs n'ayant pas de sigue pour

exprimer le h médial , les Septanfe n'ont pu faire


la distinction et transcrivent partout id . Ces règles Rele
sont générales et ne souffrent guère que deux excep:
lions dans les formes hébraïques des noms écourtés
Silové
de Josué et de Jèhu , écrits : le 1er parfois Ichu'a et le
2e toujours Thua, en place de Ihuchu'a et de Thuhua,
car la ponctuation donne lè par Syncope (2) .

A la fin de ces mêmes noms composés, l'hébreu


écrit généralement ihu avec h médial , mais toujourseler
sans le h final, et la massore ponctue lâhu avec l'à
long , en place de l’e scheva . Il n'y a guère qu'une
exception : les textes ou les variantes nous l'offreat
dans le nom populaire et trituré Mikihu sur lequel
il est bon de faire en passant une petite remar

que .

Il paraît qu'on a dit d'abord Mikâ -yahu (quis s


Jehovah !), selon la règle générale , puis successive
ment : 2 ° Mikâ - yahu , par a bref ; 3° Mikâ -yehu, par

( 1 ) Sur 21 noms de cette espèce, rassemblés par Gesenius,


J'en ai compté 12 écrits tantôt Ihu et tantôt Iu, ad libitum, et 9
écrits seulement Iu .

(2) Voy. le Thesaur. de Gesenius sur ces deux noms, p. 581 B


et 582 B. Il faut y joindre Ali'aini mentionné ci-dessus od
ihu médial se réduit à i, et Mikäh, où ihuh final se réduit à A ,
comme on va le voir.
( 23 )

e scheva ; 4 °Mikâ - ihu , par suppression de cette voy


elle brévissime ; 5° Mik- ehu , par fusion de la diph
thongue ai en é très -long ; 6° Mikä -hu, par suppres
sion de i, et 7 ° Mikâh, par la double suppression de i
et de w (1)

Reste à savoir, et c'est le point le plus impor


tant, si , dans la prononciation du Tétragramme
dhe employé seul comme nom divin ou dégagé à ce
titre de ses annexes caractéristiques, le maintien
constant de son h final est de nature à faire mo

DET difier ces premiers aperçus . C'est ce que nous ver


rons au § suivant . Bornons- nous dans celui-ci à
relever un composé étranger, connu depuis peu

d'années . Il nous est offert par la grande ins


cription cuneiforme du palais de Khorsabad , dé
chiffrée par MM . Oppert et Menant .

Il s'agit d'un roi de Hamath, tributaire forcé de

01 person l'Assyrie, qui se révolta contre sa suzeraine sous


le règne de Saryukin , Sarkin , Sargin ou Sargon ,
père de Salmanassar, entraînant dans sa défection
Luis
les villes d'Arpad, de Simyra, de Damas et de Sama
rie et qui fut sévérement châtié par Sargon après la
prise de cette dernière ville, arrivée l'an 721 avant

( 1 ) Voy. le Thesaur. de Gesenius, in Verbo, p . 786 B. , et les


Bibel-Studien, de Hoelemann , p . 95. - Quelques unes de ces
formes sont hypothétiques, mais nécessaires pour expliquer
les réelles. - Rien à dire des deux autres noms connus : Mik
ih (quis sicut Yah! ), et Mik -al ( quis sicut El! ). Mais j'aurai à
revenir sur la ponctuation désinentielle ihu , en place de yahu,
dans Mikd - ihu et Mik - ehu.
( 24 )

l'ère chrétienne . Dans l'inscription ninivite dont il


est question, ce rebelle est nommé laoubid ou Yaou
bid ; mais une autre probablement explicative , lui
donne le nom de lloubid (1) . Il n'y est pas dit du
reste si le deuxième nom avait précédé ou suivi
le premier . J'inclinerais volontiers vers la seconde
hypothèse (2 ) .
Quel que soit le sens de la finale bid des deux
noms sémitiques lloubid et Yaoubid , il est évident
qu'ils contiennent deux qualificatifs purement
hébreux : Aluh , (dieu) , et Ihuh, (Jéhovah) , privés de
leurs aspirées ; car, d'un côté, les inscriptions de
Ninive affaiblissaient quelquefois en i, à la manière
arabe , l'a initial des noms divins (3) , et, de l'autre,
on ne doit pas être surpris de trouver sur l'Oronte
de Syrie , au VIII siècle avant notre ère, le Tétra

( 1 ) Voy. Journal Asiatique, nº de Janvier 1864, p . 20 - 1 , et


Manuel d'Histoire ancienne de l'Orient jusgu'aux guerres mèdiques,
par M. Fr. Lenormant, II, p. 90-1, 4° édit., Paris 1869.
(2 ) Nous aurions ainsi le pendant de l'histoire des deux fils
de Josias dont l'un , nommé en hébrou Ihua'hz, fut déposé par
le pharaon Nekhô ou Neckaô et remplacé sur le trône par son
frère Aliqim dont le nom fut changé en celui de Ihuiqim . Voir 11
Rois, XXIII, 30-5 . Ici, par inverse, Yaoubid, nom syriayue, aurait
été chan-gé en Iloubid, nom assyrien,
(3 ) M. Jules Oppert en a cité trois autres exemples, savoir :
1 ° Bilit pour Balat, grec Baaltis ; 2° Isat, afeu » pour Asat, et 3º
Istar ou Istaru « étoile » , en place du zend Açtare, sanscrit Tåra
pour Astårà, grec et latin Aster, hébreu 'Achtrth , Voirson expédi
tion en Mésopotamie, II, p. 67 et 178 .
( 25 )

gramme Ihuh, honoré par des syro -araméens, voi


sins et alliés des tribus samaritaines ( ! ) . Nous
pouvons donc tenir pour certain qu'à l'époque de
Saryukin , Sarkin, Sargin ou Sargon, on prononçait
Yahou , et non pas Yehô ou Ihò , au commencement
aussi bien qu'à la fin des noms propres composés,
et que si , en hébreu , il y avait alors une légère
différence entre les deux cas , elle ne consistait
guère qne dans la quantité du point-voyelle a , bref
au commencement et long à la fin .
Cette conclusion s'appuie d'ailleurs sur le nom
divin Ih, ponctué Yâh, que les hébraïsants consi
dérent comme une abréviation populaire de Thuh,
mais qui pourrait bien en avoir été le prototype,
ainsi que le pensait le savant Bunsen en rappe
lant que le général Rawlinson croyait avoir re
trouvé dans es inscriptions ninivites le nom Jaô
ou lah avec application au dieu du feu (2) .
Remarquons en passant que ce nom lh figure
avec celui de Ihuh dans le cantique du passage
( 1 ) Dès le règne de David , au XI° siècle, le roi qui régnait
alors à Hamath, avait envoyé son fils Joram à Jérusalem avec
des vases d'or, d'argent et d'airain que David s'empressa de
consacrer à son dieu Ihuh . Voir II Samuel , VIII . 10 - 2. Le
nom de ce prince royal est hébreu , et syncopé de Thurm « Jé
hovah élevé » . L'auteur de I chron.XVIII. 9 - 11 , le remplace par
Hdurm , nom écrit ailleurs Adurm , et synonyme de Adnirm « A
donis - le -Haut » , répondant à l'hébreu Adnihu, « le Seigneur
Jéhovah » , selon Movers, die Phænizier. p . 542 .
( 2) Voir Egypt's place in universal History, IV, p . 192-4.
( 26 )
de la mer rouge (1) ; que le Psalmiste l'emploie
fréquemment ; qu'il a survécu à Ihuh à la fin
des noms propres composés, et qu'il s'est transmis
jusqu'à nos jours dans notre alleluia latin, hébreu
hlluih, grec allelouia, avec suppression du h final (2).

VI

Il serait fastidieux et peu profitable de relever


toutes les anciennes transcriptions grecques, coptes
et latines du Tétragramme hébreu , qui sont par
venues jusqu'à nous . Au besoin, on les trouvera
rassemblées dans les ouvrages cités en tête de ce
chapitre. Je les ramène et les réduis toutes aux
quatres principales qui sont : 1 ° lað, 2° laou, 3º
labe et 4° leuô.

L'Exégèse historique prend les deux premières pour


judaïques, la 3e pour samaritaine et la 4 € pour phé
nicienne . Je ne m'attacherai pas aux autres , parce
qu'elles ne sont toutes que des variantes prove
nant soit d'erreurs de copistes, soit de remplacements
euphoniques d'abord des voyelles primitives a, i, u,
(1 ) Exode XV, 2 N.-Comp. Psalm . CXVIII, 14, et Isaie XII, 2.
(2) Cependant Origène le transcrit une fois en grec Iah (Voir
ses æuvres II, p. 539, Commentaire sur le Ps. II, 2, 7 et 11 ), comme
s'il avait songé au H copte, différent et distinct du Héth grec.
Ailleurs pourtant il le transcrit laa et semble ainsi nous ren
voyer au qualificatif phénico-hébraïque Iah, ponctué laah,
« beau, orné, brillant » sur lequel j'aurai plus tard à m'expli
quer.
( 27 )
tantôt par les voyelles dérivées e et o , tantôt par
les semi-voyelles y ou j. et v ou w ( 1 ). J'en ex
cepte pourtant deux , savoir : laộth et laôn dans
lesquelles le h final de Thuh est remplacé par les
consonnes th ou n . J'en ferai l'objet d'un & séparé .
La première transcription grecque ou copte Tað
est celle qui se rencontre le plus fréquemment
dans les anciens monuments du Gnosticisme oriental .
Si Jérôme, le plus savant des Pères de l'Eglise,
l'a rendue en latin par laho, en rétablissant le h
médial de l'hébreú Thuh, mais en continuant de
négliger le h de la fin qu'il connaissait pourtant
très -bien, car, après avoir dit deux fois que ce nom
divin se compose des quatre lettres 1 , H, U, II, il
ajoutait : et legi potest laho (- ) S'il n'a point tenu
compte de ce h final, c'est sans nul doute parce
qu'il le considérait comme quiescent (3) et que le
latin ne l'admettait guère que dans les trois inter
jections ah ! oh ! proh ! où il s'articulait . Mais la trans
cription Iað sans aspirée avait prévalu, et c'est celle
qu'avait adoptée , sous l'empire d'Auguste, le juris
consulte et archéologue Cornélius ouAntistius Labeo
fils, dans son commentaire sur le célèbre oracle de
l'Apollon de Claros qui portait notamment :

( 1 ) Voir ci-dessus § 3, à la fin .


(2) Voir Su Hieronymi Opera, II, p. 281-2 et appendix p. 134,
édit. Martianay. — Tertullien écrit lao sans aucun h, à l'exemple
des auteurs grecs.
(3) Il paraît l'ètre en effet, si on le compare à celui du nom
divin Ih qui sonnait plus fortement et était réputé raólical.
( 28 )

Phrázeo tòn pánton hüpaton theon emmen'lað (1).


La seconde transcriplión grecque laou est beau
coup plus rare dans les anciens auteurs que la précé
dente. On ne la trouve que dans les Stromates de Cle
ment d'Alexandrie (2) et dans une gemme gnostique
rapportée par Kopp (3) . Elle a pour variantes d'abord
la forme leou dans deux ouvrages coptes cités en
note (4) , ensuite la forme grecque lau, différemment
accentuée sur l’u final, lequel doit ici se lire ou
comme en latin (3) . Les points-voyelles a, u et ô se
permutent d'ailleurs fréquemment en hébreu , comme
le prouvent ici même les transcriptions du Tétra
gramme dans les noms propres composés, savoir :
(1 ) Voy. Macrobe, Saturnales. I, 18, et Movers, die Phænizier,
I , p . 539 et suiv .
( 2) Stromates, V, p. 560, édit. Sylburge , ou p. 566, édit, Potter.
(3) Palæographia Critica , III, p. 530.
(4) Pistis Sophia, tradºn Schvartze, p. 18, 122, 155, 221 -7,
et Traité des mystères des lettres grecques, extrait par M. Dulau
rier dans le Journal Asiatique, 4e série, IX, p. 545 - 7. Voir
aussi les notes de Montfaucon ou de Bahrdt sur les Hexaples
d'Origène (sur Exode III, 13 - 5) .
(5) C'est ce qu'ont montré Drusius, Tétragrammaton , p. 342
et Montfaucon sur l'Exode III, 15. Ces savants supposaient que
la forme hellénique Iau , en place de laou , avait été puisée à la
finale des noms propres composés. La chose est possible, car la
Vulgate écrit lau, et non pas Ió, à la fin des onze noms propres
suivants : 1° Atslihu ,2 ° Bqihu,3° Dlihu ,4° Hlihu,5 ° Iglihu, 6º Irihu ,
7° M'asihu , 8° Mthnihu, 9º Azihu , 10° Qlihu, 11 • Chlmihu. Cepen
dant il ne me paraît pas probable que Clément d'Alexandrie
et les gnostiques eussent puisé là leurs transcriptions Iaou et
leou du Tétragramme, car d'autres écrivains expliquent par
Iað la finale Ihu, aussi bien que l'initiale Ihu Iu des noms
propres composés.
( 29 )
leho, Tho, Id au commencement, et lâhu à la fin .
Passons maintenant aux deux autres transcrip
tions grecques ſabe et leuð, extraites, l'une du Té
tragramme samaritain par Théodoret et Epiphane,
et l'autre du Tétragramme phénicien par Philon
de Byblos et Porphyre .
Ces deux formes hellénisées supposent évidem
ment les deux lectures ou leçons sémitiques qui
suivent :
1 ° Yahveh pour Yahvah, tant par changement du
V en B (1 ) que par substitution de l'e à l'a, d'où
labe .
2° Yehvô ou Yehvoh , pour Yahvô ou Yahvôh, tant
par changement du V en U (2) que par substitution de
l'ô à l'a , d'où leuô,
Ces échanges n'ont rien d'extraordinaire dans des
langues imparfaites qui ne tiennent guère compte
des sons vocaux dans le corps de leur écriture et
semblent les prendre assez arbitrairement l'un pour
l'autre dans la prononciation ou ponctuation . De là
ces Variantes grecques ou coptes du Tétragramme :
lauo(3 ), leuo(4), louð(5) , le tout pour laouð, c'est - à
dire pour Yahvô ou Yâhvôh par remplacement d'a
(1 ) Comparez le grec David à l'hébreu Duid ou Dvid .
(2) Comparez le grec Leui à l'hébreu Lui ou Lvi.
(3) Gemme gnostique dans les Lettres de Reuvens à M. Letronne
p. 59 et 64.
(4 ) Philon de Byblos sur Sanchoniathon , édit Orelli, p. 2,
(5) Pistis Sophia , p. 234 L.
( 30 )
bord de l'a oriental, soit en e, soit en o (1 ) , ensuite
du v soit en u (prononciation française) , soit en
ou (2 ).
Quant à Yahveh pour Yahvah, sa transformation
en Iabe rappelle qu’un manuscrit des Stromates
porte Ia -oue, en place de laou (3), comme si le
copiste grec avait eu sous les yeux un texte arabe
portant Ih -hue « Yah -lui » ou « Yah - l'Être » (*),
car cette transcription exceptionnelle offre deux
mots séparés . Quoiqu'il en soit, entre les deux
formes Yahvah et Yahveh , il n'y a pas à balancer
sur la question de priorité, l'e primitif n'étant
qu'un substitut de l'a dans les anciennes langues
de l'Orient . Aussi les rabbins du moyen -âge, dans
leur mystérieuse écriture Atbasch, exprimaient-ils
le Tétragramme par un mot emblématique qui ,
ramené à l'alphabet ordinaire, donnait précisé
ment Yahvah, et non pas Yahveh, pour lecture de
ce nom divin (5). C'est qu'en effet Yahvah était avec
( " ) Comparez le sanscrit padas au grec podos et le sanscrit
padam au latin Pedem .
(2 ) Comparez, d'une part, le latin evangelium au grec euan
gelion, et de l'autre, le grec Oualerios au latin Valerius.
(3) Voir le Thesaurus cité, p . 577 A.
(4) L'hébreu écrit Hua « lui » et prononce Hou , au lieu de
Houé. Voir le Thesaurus cité, p. 369 B. Jéhovah dit lui-même
dans la Bible : Ani- Hua, « je suis lui ou l'Être » , Deutéron.
XXXII, 39, et Isaïe XLIII, 10, 13 , 25 ; XLVIII, 12. Ses adorateurs
lui disent dans le même sens : Athah-Hua, « tu es lui ou l'Être
II Samuel, VII, 28 - Psauma XLIX, 4. etc.
(5) Ce mot était écrit M.TS.P.TS. et prononcé Matspats, à
l'aide de deux a intercalés, d'où résultaient par déchiffrement
( 31 )
Yahuh, écrit Thuh, dans le même rapport que le Syro
chaldaïque Yahyah se trouve avec Yahih , écrit Thih
et raccourci par les rabbins en li, abstraction faite
des deux aspirées ( 1 ) .
Remarquons d'ailleurs au sujet des deux formes
secondaires Yahvah et Yahvô, substituées aux primi
tives Yahuh et Yahồ, et devenues types des deux
transcriptions grecques labe et leuô, que, suivant le
philologue Gésénius, les Phéniciens changeaient
volontiers en ô la désinence ah, écrite h, des noms
hébreux (2) ; procédé qui ne leur était pas exclusive
ment propre, puisqu'on le retrouve en sanscrit et en
zend, et que, par exemple, le Rig - Veda possède
un qualificatif divin Yahvah (thème Yahva ) dont
le nominatif change sa finale ah en ö dans cer
taines circonstances en vertu de lois euphoniques
qu'il est inutile de relever ici .
VII

Avant de passer du terrain des langues sémi


tiques à celui des idiomes aryens, il me reste à
l'écriture Yhvh et la lecture Yahvah . Voyez là-dessus Drach,
ouv . citė, I, p . 500.
( 1 ) St Jérôme écrivait au pape Damase (T. II de ses euvres
p . 281 - 2) ; « I. H. I. H, id est, duobus Ia , quæ duplicata inef
fabile illud et gloriosum Dei nomen efficiunt » . Il croyait alors
que le H hébreu se prononçait A et que la 3e lettre du Tétra
gramme était un I comme la 1re, erreur qu'il a corrigée dans
sa lettre à Marcella. — Le ii rabbinique avec le point-voyelle a
sonscrit entre et pour les deux, donne Yayà.- On sait que l'é
criture Ihih , lue de droite à gauche par les Grecs, a produit chez
eux ΠΙΠΙ..

(2) Voir ses Monumenta Phænicia, p . 434 et 440.


( 32 )

relever deux variantes grecques déjà annoncées latte varian


Elles se rattachent aux deux transcriptions lat
suppose une po
et laou , dont elles se distinguent par leurs lettres 1 Gnal change
finales ; et sous ce rapport, elles paraissent dignes de l'annexion
par
quelque attention . bis en hébreu
La fre variante est laðih par o long ou laoth par
was en ah,la p
o bref ( 1 ), et la seconde laôn, également par
a hibreu la Gi

o
long (2 ) , ou laon par o bref encore (3) . Laissons de
20:00e habituel
côté , comme provenant d'erreurs de copiste , les pluriel employé
deux formes en o bref, pour nous en tenir aux deux the abstraite at
autres, par la raison qu'originairement , dans les dia pomme, elle do
lectes sémitiques aussi bien que dans les langues Touth grants
aryennes proprement dites , la voyelle o représentait qualent ou la
a + u , de même que la voyelle e représentait ati(4), Parace Po-ou
nos voyelles brèves e et o n'y étant pas alors connues,
esister lequel
en sorte que , pour les mots d'origine très-antique v
s esel,
comme l'est, à mon avis, le Tétragramme hébreu,
allé au sens abs
les deux sons o et e devraient être transcrits en fran

cais au et ai, ainsi que l'avait montré Eug . Burnou


habitupartie. J'e
dans un mémoire inédit sur la transcription des elle de ce g
alphabets orientaux en caractères européens (5). G
| esenius, M
прах ,dupetici
afaibl
pe isseme
( 1 ) Si Irénée (advers. Hæres ., II , p . 170) donne les deux for
mes ; Alexandre de Tralles (lib. XI , p. 658) et quelques pierres T
1 emoin ' Bk
gnostiques ne mentionnent que la première. hou 'Haken
(2) Lettres de Reuvens à M. Letronne, p. 22. at avecun sit
(3 ) Annotat. d'Heinsius, p. 62 sur les Stromates, édit. Syl We D. 473 A.
burge.
log . les E
(4) Revoir le présent chap . g 2, p . du vol . ou p. du watde la societ
tirage à part .
(5) Ce mémoire avait été couronné en 1828, je crois, par 1,p. 216, a
( nn
l'Acad . des Inscr . et Belles - lettres, dont l'auteur ne faisait pas 1Penti,au lieu
hecelle de M. C
( 33 )

La tre variante grecque laoth ,en place de Tahoth ,


1
suppose une ponctuation Yahoh pour Yahuh, avec
h final changé euphoniquement en th , dans l'état
d'annexion par exemple , comme il arrive quelque
fois en hébreu et souvent en phénicien pour les
noms en ah , la plupart féminins ( 1 ) . Malheureusement
en hébreu la finale uth , ponctuée olh , est la dé
sinence habituelle du pluriel des noms féminins,

pluriel employé quelquefois pour exprimer une


idée abstraite au singulier (2 ) . Appliquée au Tétra
gramme , elle donnerait lieu de croire qu'on a pris
Yahuth avant sa ponctuation en Yahoth, pour l'é
quivalent ou la traduction du pluriel égyptien Paut,
prononcé Pa - out, et venant du radical Pa, « étre,
exister » lequel désigne , au sens propre , la totalité
des dieux et , au figuré, l'idée abstraite de divi
nilé au sens absolu (3) . Nous serions ainsi ramenés à

encore partie . J'en avais eu communication par l'obligeance


ਆਂ

habituelle de ce grand philologue .

( 1 ) Gésénius, Monum . Phænicia ., p . 439 , cite le grec Baaltis,


venant du phénicien Baalath , en assyrien Bilit, selon M. Oppert,
par affaiblissement de a en i.
(2) Témoin ' Hkmuth « sapience ou sagesse » , ponctué 'Ha
kamóth ou ' Hakemoth et construit tantôt avec un pluriel et
tantôt avec un singulier. Voir le Thesaurus de Gésénius , in Ver
bo, p . 473 A.
( 3) Voy. les Etudes égyptiennes de M. Chabas, dans les Mé
moires de la société d'histoire et d'archéologie de Chalon -sur -Saône,
III, p . 216, (année 1851 ). — M. le Vicomte Emmanuel de Rougé
lit Pauti, au lieu de Paut. Mais son interprétation ne diffère pas
de celle de M. Chabas .
( 34 )
la fameuse définition de l'Exode III , 14, « je suis ce
lui qui suis » , sur laquelle j'aurai à revenir dans un
chap . subsequent . J'accepte ce sens métaphysique ,
sauf à m'expliquer plus tard sur l'époque relative
ment moderne de son adoption .
La 2 variante grecque laôn, pour lahôn, fait son
ger à plusieurs vocables hébreux, terminés en uh
comme Ihuh, mais dont les dérivés prennent un n à
la fin, en place du h final ( 1) . Tels sont les mots Gluh
« exil » , Chluh « paix i , et Chlmuh a pacifique »,
ponclués Giloh, Chiloh et Chelomôh, dans lesquels le
h final ne se prononce pas et fait place au n dans
les formes dérivées. En appliquant cette ponctuation
au Tétragramme , on arrive aisément à la transcrip
tion Taon pour Yahôn . Mais, à s'en tenir au dialec
te phénico-hebraique, il semble que Yâhôn , à titre
de qualificatif dérivé, signifierait « le Jéhovien » , et
non « le Jéhovnh » . Cependant , comme le suffixe un,
ponctué ôn, est tantôt augmentatif et tantôt diminu
tif en hébreu, selon les grammairiens ( 2), Yahon
pourrait désigner le grand ou le petit Yâh .
Notons à ce propos que le suffixe hébreu un ,
ponctué on, n'est probablement pas sans rapport
avec le sanscrit Van, qui, dans les cas faibles de la

( 1 ) Sur ce changement désinentiel de uh en un, voyez les


Institutiones hebraicce de Gésénius, édit. Migne, § 82, II, n° 15,
p. 756 du volume.
(2) Voir les exemples cités par Sarchi, nouvelle Grammaire
hebraique, p . 61 , § 114 .
( 35 )

déclinaison, se réduit d'abord à ủn , par suppression

de l'a, retour du v à son élément-voyelle u et allon


gement de celui-ci par forme de compensation ( ! ),
puis se change en on dans les thèmes en a par fu
sion de cet a avec l'ů de ûn pour Van , d'où résulte
Aún , écrit ôn (2) . Dans cette hypothèse, le sémitique
Yahôn dériverait d'un thème Yaha - Van, raccourci
en Yah -on et écrit Ihun , et il ne resterait plus pour
racine que la 1re syllabe Ih ,laquelle est identique

au nom divin Th . Je pourrai y revenir quand je m'oc


cuperai de l'origine et de l'étymologie du Tétra
gramme .
Pour le moment , en voilà assez sur ces transcrip

tions grecques Jaoth et laon qui ne figurent pas


dans la Bible et que les gnostiques avaient sans
doute empruntées aux mythologies des peuples voi
sins des Juifs . Dans l'ancien Testament , le Tétra
gramme , lorsqu'il est employé seul comme nom di

vin , reste constamment invariable , et ne se construit


pas selon le langage des grammairiens, c'est-à-dire
ne modifie pas son h final en th dans l'état d'annexion

ou de rapport dit complément génitif, pour se ratta


cher comme antécédent au mot qui le suit à titre de

( 1 ) Comparez en sanscrit le thême Yuvan nil Yuva, latin Ju


venis, avec le gil Yünas, (d'où Junior en latin) , venant d'un com
paratif aryen Yuniyas. Voy. Bopp , Grammatica Sanscrita , p .
112 et 121 .
(2) Comparez en Sanscrit le gil Maghónas, dérivé du thème
Maghavan , « titre habituel du Dieu Indra, considéré comme
‫ܕܠ‬

riche en trésors .
( 36 )
conséquent('). C'est un privilege qu'il a sur les autres
substantifs en h. Au point de vue de la philologie
comparative, on serait tenté de croire que le Tétra
gramme n'est pas un nom purement hébreu ni même
exclusivement sémitique, mais un ethnique d'em
prunt que les hébreux auraient gardé tel qu'ils
l'avaient reçu sans se permettre d'y toucher, dans la
crainte de lui enlever quelque chose de son efficacité
prétendue en altérant, si peu que ce fût, sa forme
écrite, et cela par suite des idées superstitieuses qui
régnaient autour d'eux dans la théosophie orien
tale (2)
VIII

Suivant ma manière de voir , le peuple auquel les


Israëlites auraient emprunté ce nom divin ne serait
pas celui d'Egypte , quoi qu'en aient dit, chez nous,
Voltaire à propos du laou de Clément d'Alexandrie
(3), et chez les Allemands, de Colln (4), Heeren (5),
Wegscheider (6), et Hagel (7) au sujet du lad de Dio
dore de Sicile ou d'Hécatée de Milet (8) , en se

( 1 ) Sur cet état d'annexion , Voy. la nouvelle Grammaire


hebraique de Sarchi & S 168, 05, 293 et 426.
( 2 ) Voy. là -dessus Origène contre Celse, Jamblique de Myste
riis et Movers, die Phænizier, I, p. 541 ,
(3) Voir dans ses æuvres édit. Beuchot, XV, p . 103 — XLIII,
p. 62, et XLIX , p. 116.
(4) Biblische théologie. I, p. 102.
(5) Gætti. Anzeigen Von 1830.
(6) Instit. § 22, note .
(7) Apologie des Mosis, p. 84.
(8) Diod ., Bibliothèque historique, I, 94, et Fragments, à la
suite, XXXIV, 1 et XL, 3.
( 37 )
fondant sur ce que ces deux historiens présentaient
les Juifs comme une colonie égyptienne, à l'exemple
de Manethon , Chérémon , Lysimaque et Apion dans
Joséphe. Ce serait plutôt aux Chaldéens et par ceux
ci aux Aryas qu'il faudrait recourir, car c'est de
l'Asie centrale qu'étaient sortis les peuples de Japhet,
de Sem et de Cham décrits au chap. X de la Genèse .
On a vu dans l'introduction qu'en rendant à lao
son h médial et à laou tant cette aspirée du milieu
que celle de la fin, l'idiome védique fournissait deux
formes lout-à -fait semblables, savoir : le vocatif Yaho
et le nom " Yahuh d'un qualificatif aryen d'Agni,
dieu du feu ( 1 ) . La ressemblance n'existe pas seule
ment pour la proponciation ; elle se retrouve aussi
dans l'écriture. En effet, les hébraïsants et les india
nistes reconnaissent : les uns qu'en hébreu la lellre
appelée lod ou Yod se prononce comme l'y grec fran
cisé et le j allemand ou slave, lorsqu'elle vient à tom
ber sur une voyelle, et les autres , que l'a bref est
toujours sous-entendu en sanscrit après les consonnes
simples ou groupées qui ne sont ni marquées du si
gne de quiescence à la fin des mots, ni accompagnées
au milieu d'une autre voyelle destinée à les mettre
en mouvement. D'où la conséquence que si , en

( 1 ) Revoir l'introduction, p . 311 - 3 du VI. vol . , 2e série, des


Mémoires de l'Académie d'Amiens, ou p. 17 - 9 du tirage à part.
Je ne m'arrête pas aux flexions des cas indirects parce que
l'hébreu les remplace par des prépositious. Toutefois, je note
en passant qu'en sanscrit la forme Yahoh exprime le génitif
et le locatif duels de Yahuh .
8
( 38 )
hébreu, on écrit lho ou Thuh, et en sanscrit Yhd ou
Yhuh , dans la fre langue on peut très-bien et dans
la 2 on doit nécessairement prononcer en français
Yahd et Yahouh , l’u oriental , je veux dire l'u aryen ,
sémitique et égyptien, valant ou, comme dans la
plupart des langues modernes de l'Europe, quand
il n'est pas suivi d'une autre voyelle exprimée ou
sous-entendue qui le changerait en v français ou w
allemand . C'est un phénomène analogue à celui qui
se reproduit dans les mêmes circonstances pour la
lettre 1. ainsi qu'on vient de le voir, le caractère ou
le son a, inséré à sa suite , la changeant alors en y
grec ou J allemand .
Je pourrais ajouter ici , sans attacher à cette re
marque autrement d'importance, que le Yhuh sanscrit
pourrait être appelé Tétragramme aryen , abstraction
faite des désinences qu'il prend dans les cas indirects,
car , d'un côté, il n'a également que quatre lettres
écrites, l'a bref y étant seul sous-entendu après la
semi-voyelle y, et , de l'autre, le dieu auquel il s'ap
plique reçoit d'autres épithètes où figure le nombre
quatre , par exemple, celle de cerf blanc (Góra), à
quatre cornes ( Tchatuh çringa ), par allusion tant à
la blancheur de la flamme qui s'allume qu'aux quatre
coins du foyer (1 ) .

( 1 ) Voy. Rig-Véda Langlois II, 210-2-3 et 259, nº 21-2 . Cette


hypothèse rappelle, d'un côté, les quatre cornes de l'autel
de Jéhovah, et de l'autre, les quatre visages du Brahmå des
Védântistes de l'Inde, dieu substitué à Agni comme nous le
verrons plus tard.
( 39 )
J'ai ramené ci-dessus les deux autres transcriptions
grecques Iabe et leuô à deux formes sémitiques
Yahveh pour Yahvah et Yehvô pour Yahvò. Les védas
emploient Yahvah et Yahvô dans le sens de « grand .
ample, étendu » , au nomin" singulier masculin , et
les appliquent tant à Agni ( 1 ) qu'à d'autres dieux de
nature ignée ou lumineuse dont il est ou le père ou
le frère ou le fils, selon le point de vue sous lequel
on l'envisage dans le naturalisme indien .
A considérer les choses sous le rapport de la lexi
cologie ou de la grammaire , je veux dire de la
fornation des mots dérivés, il semble que Yahvah
vienne de Yahuh , et Yahuh d'un primitif Yah, en
remontant des polysyllabes à la forme monosyllabi
que, évidemment plus ancienne en thèse générale
comme moins savante et moins compliquée . D'où la
conséquence théorique que le dieu tutélaire des sé
mites hébreux aurait été désigné successivement par
les trois qualificatifs suivants: l ’ Yah , écrit Ih ;
2° Yahuh ou Yahó, écrits Ihuh ou Thu , et 3° Yahvah
ou Yahvô , écrits Ihuh ct Thu encore en hébreu sans
points -voyelles, mais allongés dans la prononciation
par l'adjonction au suffixe u soit du suffixe a plus
général en sanscrit, soit du suffixe o, qui remplace
ici ath.

(1 ) LeRig -Véda-Rosen,p.67,1-2 ,donneune fois Yahvam Agnim


(magnum ignem ), tandis que le Rig - Véda -Aufrecht emploie au
ni Yahvó Agnih ou Agnir,M.NI, S. 1,8,12, et M. VII ,S. 1 R. 5.
Peut-être que Yahvah, dans ses applications à Agni,serait mieux
rendu par fils, sens que M. Max Müller donne à ce qualificatif
lorsqu'il est suivi d'un génitif. J'y reviendrai bientôt.
( 40 )
Cette dérivation serait à peu près l'inverse de
celle que supposent les hébraïsants, puisqu'ils con
sidèrent Ih, non pas comme le type, mais comme
l’abrégé de Thuh. J'oserais, après le baron de Bunsen,
ne pas adopter leur avis , par une raison que l'on
pressent d'avance : C'est qu'au lieu de ratlacher
comme eux le Tétragramme au radical araméen Huh
être, exister, » , je serais plus porté à le tirer, en
remontant à sa 1re origine , d'un autre radical pri
mitif, à la fois aryen et sémitique, à savoir : Yah
« engendrer, produire, enfanter » etc. Je me borne
ici à indiquer cette étymologie en passant, mais je
me réserve d'y revenir dans un chapitre ultérieur
lorsque j'examinerai la fameuse définition : « Je suis
celui qui suis » donnée dans le livre de l'Exode.
Toutefois, il est bon d'en dire dès maintenant quel
ques mots, avant de clore pour les lecteurs peu
familiers avec les résultats des nouvelles recherches
philologiques, cette longue et aride discussion préli
minaire .
IX

Le parallèle que j'essaie d'établir entre le Saha


Sô - Yaho du Rig -Véda et le Yahuh - Elohim de la
Genèse ne préjuge en rien la grande et difficile
question de savoir quels ont été primitivement les
rapports lexicologiques et grammaticaux de l'hébreu
avec le sanscrit . Elle est très - controversée entre les
philologues de nos jours (1 ).
( 1 ) Voyez là-dessus : E. Renan, Histoire générale et systeme
comparé des langues sémitiques, p. 418-46, 15e édit , et Max Müller:
la Stratification du langage, tradºn Louis Havet, p. 26-32
( 41 )

Il y a autant d'autorités pour que contre. On n'est


d'accord que sur un seul point , à savoir: que le sans
crit ne vient pas de l'hébreu ni l'hébreu du sanscrit .
De part et d'autre , on reconnait qu'il y a eu entre
les deux langues, comme entre les deux races qui
les parlaient, certaines affinités primordiales , pro
venant soit du voisinage, soit d'une antique habi
tation commune dans une même contrée de l'Asie
centrale. On ne varie que sur l'étendue et la portée
de ces rapports linguistiques .
Je n'ai pas à entrer dans ce grand débat , par la
raison que, dans les deux camps, on reconnait que
la Bible et le Rig-Véda ont conservé des verbes et
des noms communs aux Sémites et aux Aryas , noms
et verbes en petit nombre il est vrai , mais qui ne
sauraient être le produit du hasard ou de l'onoma
topée ( 1 ) . Cet aveu me suffit, car tel est le cas, suivant

( 1 ) La grammaire comparative a constaté et reconnait au


jourd'hui que les anciennes langues flerionnelles, en tête des
quelles brillent le sanscrit et le grec (l'hébreu leur est fort in
férieur), ont débuté par être monosyllabiques et isolantes ;
qu'elles sont ensuite devenues agglutinatives, c'est-à -dire qu'elles
se sont bornées à juxtaposer deux ou trois syllabes significatives
sans fléchir la dernière, et que finalement elles ont abouti à
des formes flexibles pour les pronoms, les substantifs, les
adjectifs et les verbes. Voyez Max Müller : la stratification du
langage, tradon Louis Havet, p . 10, et Georges Curtius : La chro
nologie dans la formation des langues Indo-européennes, tradº
Bergaigne, p. 52-5 . - Les rapports des langues aryennes avec
les sémitiques paraissent avoir précédé la formation des cas
indirects dans les déclinaisons des fres, et celle de la trilittéra -
lité dans les conjugaisons des 2des.
( 42 )
moi, de la racine monosyllabique Yah, ( écrite Ih ou
Yh ), que je considère comme étant la source des
quatre dérivés hébreux el sanscrits Yahuh, Yaho,
Yahvah et Yahvô, de même signification ou au moins
de signification analogue . A la vérité, cette racine
verbale ne se retrouve à l'état brut ni en sanscrit
ni en hébreu . Un très-vieux recueil indien des mots
védiques, le Nirukta , la donne , mais sans aucune
explication , et elle manque dans les catalogues des
Radices Sanscritæ publiés jusqu'à ce jour. Les
nombreux dérivés qu'elle a laissés dans les Védas
prouve qu'elle avait des significations très -diverses
et partant assez vagues par leur généralité. Mais
M. Max Müller a montré par divers exemples que
la plupart des racines védiques ou autres qui ont
été découvertes jusqu'à présent, se trouvaient dans
ce cas . Selon lui, elles avaient primitivement une
signification matérielle , et une signification si géné
raleet si compréhensive , qu'elles pouvaient facilemeat
s'appliquer à beaucoup d'objets spéciaux et passer
du sens propre au sens figuré, transition naturelle
et indispensable, par la raison qu'aucun progrès
n'était possible dans la vie intellectuelle de l'homme
sans la métaphore (1 ) .
Le relevé que j'ai fait des épithètes multiples dé
rivées du radical Yah, m'a fait reconnaître en lui ,

(1 ) Voir ses Nouvelles leçons sur la science du langage, traden


de Georges Harris et Georges Perrot, II, p. 72 et suiv., Paris
18 €8, in - 8°° .
( 43 )
entre autres acceptions , celles de « couler, s'écouler ,
verser, répandre , épancher, éparpiller,semer, etc, et
par suite , engendrer, produire, enfanter » . Si le zend ,
l'assyrien, le grec et le latin n'ont pas cette racine ,
ils la remplacent par d'autres où l'esprit passe figu
rément de l'action de semer à l'idée d'engendrer,
ainsi que l'a très -bien remarqué M. Jules Oppert ( ! ) .
Appliqué à un dieu du 1 er ordre, le qualificatif
Yahuh, vocatif Yahô, a pu signifier semeur ou se
mence , engendrant ou engendré , père ou fils . Mais ,
bien que le sens de père paraisse convenir au Yahuh
mosaïque. je persiste à maintenir celui de fils pour
le Yahuh patriarcal, et en cela j'ai la satisfaction de
me trouver d'accord avec feu M. Charles Lenormant,
sinon pour l'étymologie du nom , au moins pour le
rôle du dieu (2) . Yahuh Elohim ne signifiait pas pour
les patriarches l'esprit des dieux, comme le pensait
cet ingénieux professeur, mais bien le fils des forts ou
des dieux . J'en déduirai plus tard les preuves tirées
de la Genèse et de la théogonie qu'elle suppose . Pour
le moment je me borne à rappeler que l'idée de fils
est celle que tous les traducteurs ou interprètes des
Véda : attachent au titre Sahasó Yah ), réservé à Agni et
formant le vocatif de Sahasô - Yahuh « Roboris filius » ,
Comme le Yahuh aryen est pour moi homonyme et
( 1 ) E.cpédition scientifique en Mésopotamie, t. II, p . 128 ou
Journal asiatique, 7 série, IX, p. 160.
(2) Voir son Introduction à l'Histoire de l'Asie occidentale,
p . 137-43 .
( 44 )
synonyme du Yahuh sémitique,j'en conclus l'identité
primitive d’Agni et de Jéhovah .
Il convient de signaler ici l'opinion exceptionnelle
du célèbre indianiste Théodore Benfey. Dans sa tra
duction allemande du Sâma Véda , il avait , à l'exemple
de ses devanciers, traduit Sahasô Yaho par Sohn der
Kraft, « fils de la force » ( 1 ) . Mais depuis, dans sa
Revue intitulée Orient und Occident , il a tenté de l'in
terpréter par « Herr der Kraft, maître de la force (2) .
Peut-être ce savant israélite s'est-il ici laissé guider
à son insçu par le souvenir des noms bibliques
Al-Alim « le fort des forts » (3) et Al- Alhim de même
signification (4) . Quoiqu'il en soit , Benfey étend ces
( 1 ) Voir le Glossaire qui précède cette traduction aux mots
Agni, p. 4, et Yahu, p . 153 .
(2) Voir cette Revue, malheureusement inachevée, I, p. 385
et 420-3 .
(3) Daniel, XI , 36.
(4) Josué, XX, 22, et Psalm . L, 1.- En hébren comme en
sanscrit, le qualificatif fils était susceptible de deux sens prin
cipaux : le propre et le figuré. Ces deux langues l'employaient
métaphoriquement pour indiquer qu'un personnage ou un
sujet quelconque possédait à un haut degré la qualité de la
chose ou des choses dont il s'agissait. Ainsi le fils de la force
désignait figurément « le fort, le puissant, le robuste par excel
lence » . On disait aussi dansle même sens,tantôt « le père de
la force » , tantôt « le maître de la force ». Mais ces deux méta
phores étaient moins fréquentes que la fre, surtout chez les
Aryas quand ils parlaient du feu qu'ils venaient de produire
par le frottement de deux morceaux de bois, car alors on passait
aisément du fait physique à l'allusion intellectuelle. On peut
voir là-dessus, savoir : pour la Bible, le Thesaurus de Gésénius,
au mot Bn, p . 217, et pour le Rig -Véda, d'abord l'Essai sur le
( 45 )

idées conjecturales aux autres dérivés de Yah, tels


que Yahvah , Yahvi, Yahvyah, Yahvali. Mais son
ami M. Max Müller qui adopte souvent ses étymo
logies , s'en écarte ici , puisque, dans sa traduction
commencée des hymnes Védiques, à propos de la
forme secondaire Yahvah, suivie du génitif Aditêh
et appliquée au dieu Varunah (grec Ouranos) , il
vient de la rendre en anglais par « the son of Aditi, le
fils de ( la déesse) Aditi » ( 1 ) . J'adhère d'autant plus
volontiers à cette interprétation nouvelle de l'éminent
professeur d'Oxford, que ce savant éditeur du texte
et du commentaire sanscrits du Rig-Véda me semble
avoir plus spécialement qualité pour les bien traduire.
Longtemps avant que M. Max Müller m'eût ré
vélé la synonymie de Yahuh et de Yahvah construits
chacun avec un génitif, je l'avais soupçonnée. Seu
lement il me semblait d'unepart ,que Yahvah ,comme

mythe des Ribhavos, par M. Félix Nève , p . 183 , n . 6, et p. 264-6


ensuite les notes de feu Langlois sur sa traduction du Rig - Véda
ou livre des Hymnes,1,261, n. 42; 551 , n . 14 ; 553, n . 38,et III ,487 ,
n . 9.— M'Th . Benſey me semble avoir un peu trop négligé ici la
transition du sens propre au sens tropologique. Il n'a vu dans le
radical Yah qu'une syncope de la racine Yabh qu'il a traduite en
allemand par Bewaltigen ( Revue citée, I, p . 420-2)et plus tard en
anglais par To lie with (Dictionnaire sanscrit-anglais, Vis Yabh,
Djabh et Djambh).- Ajoutons que l'éminent indianiste regarde
le thème Yahu comme un abrégé du thème Yahva : opinion
qui ne me paraît guère en rapport avec la marche naturelle
du langage qui, généralement, va du simple au composé.
( 1 ) Voir sa Rig -Veda -Sanhita, translated and explained , p. 239,
London, 1869, in -89. – Le texte Védique se trouve au M. X, S.
II , R. 1 .
( 46 )

dérivé secondaire , pouvait etre une prononciation in signifié originair


populaire , tandis queYahuh, à titre de dérivé pri a un latin Liber-Pat

maire , pouvait être une prononciation sacerdotale (1 ), Desius Maisil se


.
et d'autre part , que dans la baute antiquité , Yahuh u garde toujours le
désignait le dieu fils considéré à sa naissance , el trek,peutété que

à
Yahrah le dieu fils devenu adulte , à peu près comme Alphrenico-arabe

dans la mythologie égyptienne, Harpocrate désignait to, La Bible


le soleil naissant au solstice d'hiver , et Harsiesi ou ne verbe impers
Horus le soleil dans sa force au solstice d'été , idées

que le célèbre oracle de l'Apollon de Claros , en lonie,


exprimait : l'une par les mots Habrós lað, « tenellus zhvas relevant du

lað » , et l'autre par Helios, « soleil » , sanscritSüryah, 2 con ceur : Je de


primitif Șwaryah selon Bopp ( 2) . wils privé du rest
Quant au nom divin Ih , ponctué Yâh avec à long, *te verraiplus lh,F
mela vivant l
au lieu d'a bref, je suis tenté d'y voir une contraction s e
sabit
d'un primitif Yah -ah par report du 1 ° h sur le 2. et ants d;e mjee
fusion des deux a brefs en un à long . Cet Yahah n'a Placa panasprivé
plus dans les Védas que les deux significations e Chioldes Juils
suivantes : « l'eau et la force » (3 ) , considérées sans Amirl son r
sy t é
doute , à l'origine au moins, comme causes, l'une de
", grec Skia
germination , et l'autre de mouvement . En partant de adionbi volon
ces conceptions , l'accolade des deux noms Th + Thuh

qu'on trouve trois fois dans la Bible ( 1) , pourrait bien Septan l


te, a
| actla :III,2.el
( 1 ) Je reviendrai plus tard sur cette distinction conjecturale. etle deui n
s u
p
(2) Voir son Glossarium sanscritum , in Verbo, p . 379. – Voir isbeme araisse!
apliq
d'ailleurs Jablonski , Panthéon égyptien, II , p. 152,et Prolég.p.53, e uerailpasde
et Movers, die Phænizier, 1 , p . 539-40 . que assez mal, ai
(3) Nighantu , 1,12,et II , 9 , ou Glossar vėdique de Benfey,p. 153.
sbten
(4) Psalm .LXVIII, 5 — Isaïe,XII,2 et XXVI,4.- Au Ps.cité,verset i ti
Alca eTh,esa
19 , on lit Ih Alhim , en place de Ih - Ihuh .-- Gésénius, au mot lh le ur
de son Thesaur.,p . 580 B. , remarque que nombre de manuscrits,
( 47 )

avoir signifié originairement « Père-fils » , à l'inverse


du nom latin Liber -Pater, « fils- Père » , qui se donnait
à Dionysus. Mais il se pourrait aussi que le lh hébreu ,
qui garde toujours le Kamets ou à long valant deux
a brefs, n'eût été qu'une forme araméenne du quali
ficatif phænico -arabe Yah « beau , digne , convenable
brillant » , La Bible n'emploie celui -ci qu'une fois,
comme verbe impersonnel , et la massore le ponctue
Yaâh ( 1 ) . Le sens de beau ou de brillant conviendrait

très-bien à ces deux versets de la complainte du roi


Ezechias relevant d'une maladie mortelle : « Je disais

en mon cour : Je descendrai aux portes du Chéol,


je suis privé du reste de mes années . — Je disais :
Je ne verrai plus Ih , Ih , c'est- à-dire Yah, Yah, sur la
terre des vivants ; je ne verrai plus personne parmi
» les habitants du monde » ( 2 ). Ce moribond craignait

d'être à jamais privé de la vue du ciel ou du soleil ,


car le Chéol des Juifs ressemble à l'Hadès d'Homère .

Les morls y sont réduits à l'état d'Ombres (hébreu


Rephaïm , grec Skiai ), sans énergie , sans vigueur,
sans action ni volonté . Ce sont des exsangues, comme

puis les Septante, la Version Syriaque et Saadias omettent


Ihuh sur Isaïe XII, 2, et il les approuve, parce qu'on ne peut pas
plus réunir les deux noms que Jovis Jupiter ou Josua Jesus. Ces
raisons ne me paraissent pas convaincantes. L'omission signalée
De s'appliquerait pas d'ailleurs aux deux autres textes cités, qu'il
explique assez mal , ainsi qu'on peut le voir en comparant le
texte hébreu avec sa traduction latine incomplète.
(1 ) Jérémie X, 17 - Ce verbe Yah est synonyne de Gah et de
Nah. Voir le Thesaur. de Gésénius, p. 557 B.
(2) Isale, XXXVIII, 10-1 .
( 48 )
les appelle Ovide . Ces Rephajm ne se souviennent
plus de Jéhovah , et Jéhovah les oublie à son tour .
Ezéchias en fait la remarque aux versets suivants où
il dit à son dieu : « le vivant, le vivant, celui-là
» seul te célèbre , comme moi aujourd'hui , et s'attend
» à ta fidélité » ( 1 ) . Or, en prenant le nom divin Ih ,
ponctué Yåh, pour un synonyme du qualificatif lah,
ponctué Yååh, et en le prononçant de la même ma
nière à l'exemple d'Origène qui le transcrit en grec
laa dans son commentaire sur Daniel (2), on peut
très -bien supposer qu'Ezechias l'a redoublé à
dessein pour mieux exprimer ses craintes de perdre
pour toujours la vue du beau , du brillant, du splen
dide spectacle qu'il avait devant les yeux , autrement
dit de la Tsab'a Hachamaïm ,de « l'armée des cieux
dont Jéhovah était le chef dans l'opinion populaire
qui le confondait volontiers tantôt avec le soleil,
tantôt avec le firmament, ainsi que nous le verrons
ailleurs .
Mais c'est assez nous étendre sur l'origine et le
sens primitif de ce nom divin Ih ou lâh, dans un
chapitre où il ne s'agit que de prononciation .
Pour en revenir au Tétragramme Thuh, je crois
pouvoir conclure dès à présent qu'il s'est prononcé
de quatre manières différentes, savoir : 1 ° Yahuh.
2 ° Yaho, 3° Yahvah et 4° Yahvő, et que les petites
différences que ces lectures présentent avec les

( 1 ) Isaïe, XXXVIII, 18-9. - Comparez Psalm. XXX , 10.


(2) Voir Origenis Opera, II , p. 45 .
( 49 )
transcriptions grecques, coptes , latines, assyriennes
ou autres , proviennent des altérations ou des modi
fications qu'elles ont subies dans la suite des âges .
Nota . Je n'avais annoncé à la fin de l'introduction
qu'un seul chapitre pour ma discussion préliminaire.
Mais je m'aperçois en finissant qu'il reste bien des
points à éclaircir , non pas pour la généralité des
lecteurs, mais pour la elasse des critiques et des
hébraïsants. Je me vois donc amené à ajouter ici
à leur adresse un chapitre complémentaire .

CHAPITRE II .

CONTINUATION DU MÊME SUJET. NOTES, ADDITIONS ET


ÉCLAIRCISSEMENTS .

J'ose espérer que les détails lexicologiques et


grammaticaux dans lesquels je suis entré au chap .
qui précède, suffiront aux esprits non prévenus pour
leur faire adopter les quatre anciennes pronon
ciations du Tétragramme hébreu que j'y ai rétablies
et discutées, savoir : Yahuh et Yaho pour la Judée,
Yahvah pour la Samarie et Yahrô pour la Phénicie.
Mais les hébraïsants et les critiques, qui ont des
idées faites sur ce sujet, en outre,les archéologues
et les érudits,que ne satisfait pas plus que de raison
la lecture générale Jehovah, pourront exiger de moi
de plus amples éclaircissements . Pour les contenter
sous ce rapport,autant du moins qu'il me sera possible,
je crois utile de jeter un coup d'æil rétrospectif sur
( 50 )
les articles divers que je n'ai fait qu'indiquer jusqu'à
présent, ou que même j'ai passés sous silence et qui
pourtant me paraissent susceptibles d'un nouvel
examen sous le double point de vue de la philologie
et de l'histoire comparées. Tels sont : 1 ° le rempla
cement de cette prononciation Jehörâh par celles ou
de Jahvô ou de Jahveh ; 2° l'hypothèse d'une pronon
ciation française Thouh, Ihou , hou , sans aucun point
voyelle ; 3° celled'une autre prononciation Thôh, Iho
ou 10, sans voyelle entre les deux premières lettres 1,
h ; 4 ° la ressemblance du Tétragramme hébreu avec
le symbolique lao des sectes du gnosticisme oriental
et notamment avec celui des Abraxas Basilidiens ;
5 ° l'application au même Tétragramme de la théorie
astrologico -musicale des sept planètes diversement
combinées pour en tirer la lecture lehôoua, modèle ou
copie de Yehovah ou Jehovah, ainsi que les formes
écourtées lað et Að, et 6° les motifs divers qui ont pu
déterminer la Synagogue à faire défense aux Juifs de
proférer le nom propre de leur Dieu national ; et cela
dès une époque antérieure à la traduction grecque
du Pentateuque, reportée à l'an 276 avant J-C.
I.

Tout le monde sait que presque tous les hébraï


sants rattachent le Tétragramme hébreu Ihuh ou
Yhwh au radical araméen Huh, ponctué Hâvâh
« étre, exister » , d'où ils ont tiré successivement
pour ce nom divin les lectures Yehovah, Yahvô ou
( 51 )

Yehvô et Yahveh, en le supposant dérivé de la 30


personne singulière du futur de ce verbe . Ceux qui
supposent que ce nom vient d'ailleurs , soit de l'Egypte,
soit de l'Arabie , soit de l'Inde , sont comparativement

en pelit nombre . Le docte Gésénius, qui avait d'abord


adopté l'opinion des égyptianistes, a fini par l'aban

donner ( 1 ) . Je ne connais que deux partisans de


l'arabisme : E . Meyer ( 2) et H. Ewald (3 ) . Quant à ceux
du Vedantisme indien , tels que Buttmann , de Bohlen ,
al

et Vatke ( 4) , on ne peut leur reprocher aujourd'hui


que de n'être pas remontés assez haut ; mais ce

n'était pas leur faute, parce qu’à l'époque où ils


écrivaient,la littérature védique n'était guère connue ,
malgré le savant mémoire anglais de Colebrooke On
the Vedas or Sacred writings of the Hindus ( 5 ) . Comme
ces dissidents s'arrêtent plus à l'étymologie du Tétra

gramme hébreu qu'à sa véritable prononciation , je


n'y reviendrai ici qu'accessoirement.
On a vu que la lecture courante Jehôvâh marche
de pair dans la Bible avec celle de Jehovih , beaucoup
moins fréquente et moins connue . Celle de Jahvô ou
Jahvoh qu'on leur a d'abord substituée, ne règne plus

( 1 ) Comparez son Manuale Lexicon et son grand Thesaurus au


mot Ihuh, p. 408-9 du 1er et p. 575 du 2ed.
(2) Vurzel- Worterbuch , au mot Ihuh.
(3) Geschichte des Volkes Israël, II, p . 201-5 .
(4) Revoir dans l'Introduction le commencemeat du § III , à
la note 1re, p. 330 du Vol . acad . ou p . 36 du tirage à part.
(5) Voir Asiatic Researches, VIII , p . 369 - 476, ou Miscellaneous
essais, I, p. 9-113 .
( 52 )

aujourd'hui parmi les hébraisants. Ils l'ont remplacée


par celle de Jahveh au moins dans le protestantisme,
au - delà comme en deça du Rhin ( 1 ) . C'est le réfugié
Jean Leclerc , je crois, qui , au XVII• siècle, a donné
le signal de cette substitution . Il la fondait sur le
sens de créateur qu'il attribuait au Tétragramme (2),
en se prévalant de nombreux textes bibliques relevés
depuis par Gésénius (3) , sens auquel n'adhèrent
pourtant pas tous ceux qui acceptent sa manière de
lire ce nom divin, soit qu'à l'exemple de Théodoret et
d'Epiphane ils considèrent le labe samaritain comme
signifiant « celui qui est, qui a été et qui sera (4),
soit qu'en disciples de Hegel ils l'interprètent par
« celui qui devient, qui se fait, qui se révèle dans le
monde et dans l'histoire » (5).

( 1 ) En Allemagne la prononciation Jahveh parait avoir été


adoptée par deux écrivains catholiques de Breslau, Movers et
Scholz . Chez nous, M. Ch. Schæbel la rejette formellement
comme Samaritaine, en opposition à MM. Michel Nicolas,
Albert Róville et A. Carrière, calvinistes.
(2) Selon lui , Yahveh était le futur du verbe Huh, conjugaison
Hiphil ou causative, signifiant : « Il fera être, il donnera l'exis
tence v opinion admise même par Gésénius. Voir son Thesaurus,
p. 577, en note, et p . 1146 B.- Une autre conjugaison causative
du même verbe, appelée Piel, aurait donné Yehaveh avec la
même signification, voy. Souciet, Recueil cité, p . 239-42.
(3) Voir le Thesaurus de ce dernier aus mots Ab, p. 6 B, Ma,
p. 236 A, Iu -tsr, p.619 A, 'Ach - h, p. 1075 B, Ph'al, p ., 118 A, et
Unh, p . 1221 A.
(4) C'est -à -dire comme appartenant à la conjugaison simple
ou ordinaire du même verbe Huh. Voir Souciet, Recueil
cité p . 277-8 .
(5) Cette 2de interprétation , soutenue par Delitzsch , Baum
garten et Kurtzius, semble avoir recours soit au passif de l'une
des deux conjugaisons causales, Hiphil ou Piel : « il sera fait
-
( 53 )
Réciproquement les partisans de la lecture Yehovah
ou Jehovah n'ont garde d'adopter le sens de des
trucleur que lui doonait le moine portugais Oleaster (1 )
en se fondant à son tour sur d'autres textes de la
Bible, non moins nombreux et non moins positifs
que ceux sur lesquels s'appuie l'école de Jean
Leclerc (2) . Loin de là , ils s'accordent avec les exé
gètes critiques pour pour combattre avec force cette
interprétation ; ils la trouvent étrange sous la plume
d'un théologien qui fut le conseil de Jean III au
concile de Trente et qui est mort en odeur de sain
teté(3) . Ils oublient que le mosaïsme est une religion
de terreur , non par la faute de Jéhovah sans nul
doute, mais par celle de son peuple, ignorant , grossier
et indocile . Il n'y a guère que deux écrivains, l'un
israélite converti (4) et l'autre libre penseur (5) , qui ,
être » , soit à la conjugaison Hithpahel réfléchie « il se fera être » .
Je ne la connais que par la courte analyse de Scholz (de Origine
nominis Ihuh, p. 26). Peut- être ne l'ai-je pas parfaitement com
prise, car Hoelemann ( Biblische Studien , p . 59 et 62), lui donne co
sens orthodoxe : Der Goth der Offenbarung.
( 1 ) Ce célèbre dominicain, au lieu de s'en tenir au radical
Huh lui-même « être, exister » , s'arrêtait à son dérivé Huh,
ponctué Hovah « accident, désastre, calamité, malheur » .
( 2 ) Voyez entre autres, Genèse, XXXI, 43-52— Exode VII , 5,
17-IX, 14, 16, 29 - X, 2 -XII, 12-3, 23, 27 ; XIV, 4. 18 -XV, 3, sans
compter le Deutéronome, Samuel , les Rois, les Chroniques
Isaie, Ezéchiel et Nahum .
( 3) Voir le Becueil cité du P. Souciet, p. 235-8 et les Scolies
de Rosenmuller sur l'Ecode, III, p. 14-5.
(4) Drach , de l'Harmonie entre l'Eglise et la Synagogue, 1,p .498-9 .
(5) Daumer,der Feuer -und Molochdienst der Alten Hebræer ,p.11
- ll y cite à l'appui plusieurs noms démoniaques assez
9
( 54 )
se rappelant les vers de Lucrèce :
« Primus in orbe deos fecit timor n . etc. , etc.
ne se gendarment pas contre l'étymologie d'Oléaster.
La lecture Yahuh, que je place en 1 '* ligne, n'a
eu jusqu'à ce jour que très-peu de partisans. En
France toutefois, et même au delà du Rhin , elle a
été mise en avant,mais d'une manière conjecturale,
par quelques érudits, probablemənl en souvenir de
la transcription laou des Stromates de Clément d'A
lexandrie , car, à l'époque où ils écrivaient, on ne
connaissait ni le nom Yaoubid de la grande ins
cription assyrienne de Khorsabad, ni le qualificatif
védique ou aryen Yahuh, vocil Yaho. Ces écrivains
sont , à ma connaissance : 1 ° Volney (1 ), 2º Charles
Lenormant (2) , 3° de Saulcy (3) et 4° Daumer (4 ).
ressemblants que Clavigéro, Lockiel et Quandt ont recueillis
chez diverses tribus sauvages du nouveau monde. Tels sont :
Jawahou , Jowahu, Jawahi rapprochés de ni Jawoheje, « la mort ,
et de Jawoheje a mourir » , chez les Iroquois.
( 1 ) Les Ruines, t. I de ses euvres, p. 210, 352-5, et Samuel,
t. VI, 1,ibid ., p . 169, 256-9 .
(2) Introduction à l'Histoire de l'Asie occidentale, p. 138–43, et
Nouvelle Galerie mythologique, p. 19 et 39.
(3) Histoire de l'art judaique, p. 35.
(4) Ouv. cité p. 48, n. 2. — Je pourrais y joindre les abbés
Greppo, Madrolle et P. G. L. qui, plus indulgents que leur
confrère Scholz de Breslau , ne font pas un crime à Voltaire
d'avoir appliqué le laou de Clément d'Alexandrie à un dieu
égyptien adoré à Héliopolis dès le temps de Moise, et de l'avoir
confondu avec le Ihuh du Pentateuque, auquel seul pensait ce
père de l'Eglise suivant l'interprétation d'Heinsius. Voir les
Annotations de ce dernier, p. 62 de l'Edition Sylburge et p . 561
du texte .
--
( 55 )
Ajoutons qu'au siècle dernier, le P. Souciet ( 1 ), et
dans le notre Gésénius (2), ne se montraient pas op
posés aux lectures Yahuh et Yaho,ad libitum , bien
qu'ils tinssent le for pour Yehovah, et le 2° pour
Yahveh .
On a vu au chap . précédent que cet Yahveh sa
maritain , transcrit labe en grec, remplace Yahvah,
comme le Yehvô phénicien , transcrit en grec leuo,,
remplace Yahvô, et que, ces deux formes le cèdent
en antiquiié aux lectures bébraïques Yahuh et Yaho.
Telle est du moins la conclusion que je crois pouvoir
tirer du parallèle de l'hébreu et du sanscrit , en
passant de la Bible au Rig -Véda.
Personne que je sache n'a cherché jusqu'à ce jour
dans la littérature Védique les types ou les vestiges
des quatre anciennes prononciations du Tétragramme
de la Bible, relevées et rétablies au chap . qui
précède, savoir : Yahuh, Yaho, Yanvah et Yahuo.
Je considère les deux premières comme primitives
à cause de la simplicité de leur structure gramma
ticale, consistant en une racine pure Yah , suivie
d'un simple suffixe uh ou 0, et les deux aulres comme
secondaires ou dérivées en raison de leur rallon
gement par substitution de la finale Vah ou Vo, à la
à la finale uh ou 0 .
En réalité, ces quatre formations se réduisent à
deux . Comme elles sont moins compliquées que

( 1 ) Recueil cité p. 288.


(2) Thesaur. p. 577 B. et 580 B.
( 56 )
celles tant de la lecture habituelle Yehövâh ou
Jehovah que de la leçon plus rare et beaucoup moins
connue Yéhovih ou Jihovih, je n'admettrais celles-ci
que très-subsidiairement et je ne les placerais qu'en
3. ligne , en ce qu'elles me paraissent comparati
vement plus modernes, quand même elles n'auraient
pas pour cause l'application tardive et concertée des
points-voyelles d’Adinâï et d'Elohim à un nom
divin qu'il était défendu d'articuler suivant ses
lettres propres, depuis la mort du grand-prêtre
Simon -le-Jusle, arrivée vers la fin du III° siècle avant
l'ère chrétienne , je veux dire quand même il
faudrait les rattacher à la fameuse théorie astro
logique, planétaire et musicale de l'Heplaphthongue
ou Heptaphonie qui certainement était en vigueur à
celle époque, sinon chez les Juifs, au moins chez
les peuples avec lesquels ils entrelenaient alors des
relations (1 ) .
Je ne partage pas du reste l'opinion de certains
jehovistes qui vont jusqu'à soutenir que, loin d'avoir
donné à Thuh les points-voyelles d'Adni, la massore
avait reporté sur celui-ci les points voyelles de celui
là (2) ; car, pour élre conséquent , il faudrait pré
lendre aussi qu'elle applique à Alhim les points
voyelles de Thuh lorsque ce dernier est accompagné
( 1 ) J'ai déjà parlé de cette théorie au ş Il du Chap . 1 er et je
me propose d'y revenir avec plus de développement au S V du
présent chap .
(2) Le P. Souciet, Recueil cité, p. 264 et suiv. et Drach, our .
cité p . 481 B.
-
( 57 )
d'Adni ( 1 ) . En effet l'analogie, cette boussole de la
linguistique (2) conduirait à cette conséquence , ab
solument contraire à la réalité, puisque l’i long,
régulier dans le pluriel Alhim serait anormal dans le
singulier Ihuh . Aussi ces exégètes se bornent-ils à
répondre que Jéhovih était primitivement une
inflexion particulière de Jehovah, usitée dans les
prières et marquant le ton doux et affectueux d'un
suppliant (3) . Je ne conteste pas cet emploi parti
culier, à la vue des anciens textes bibliques auxquels
ils renvoient , mais l'usage s'en est bien généralisé
dans la suite des temps, puisque les prophètes Amos,
Isaïe, Jérémie, Habacuc et surtout Ezéchiel , emploient
cette dénomination complexe dans des passages où
il n'est nullement question de prières,desupplications,
de plaintes, de gémissements.
U

On a poussé beaucoup trop loin l'argument théo


rique que fournit la structure grainmaticaledes quatre
anciennes prononciations Yahuh , Yaho, Yahrah,
Yahvô du Tétragramme hébreu . On a soutenu que

( 1 ) On trouve fréquemment Adni Ihuh avec la ponctuation


Adóndi- Jéhovih, et quelquefois Ihuh Adni avec celle de Jéhovih
Adóndi. Voir les textes cités dans le Thesaurus,p . 96-7 ; 318-A ;
328 B, 576 B, et 580 B.
(2) Quintilien ( Instit. orat., L. 1 , C. 5, N. 3) , dit de l'ana
logie : « Ejus hæc vis est ut id quod dubium est ad aliquid
simile, de quo non quæritur, referat ,ut incerta certis probet » .
(3) Souciet, Recueil cité, p. 270, Gésénius, Thesaur ., p. 580 B.
( 58 )
ce nom divin avait dû se prononcer originairement
tel qu'il s'écrit dans les Bibles hébraïques non
ponctuées, c'est- à-dire Thuh, en prenant l'i et l'e
pour de simples sons vocaux, sans intercalation
d'aucun point-voyelle soit entre l’i initial et le k
qui le suit , soit entre l'u et le h final, lorsque ce
qualificatif se trouvail dans la Bible à l'état isolé.
Car on admettait très -bien qu'en composition il se
réduisait à Ihu sans h final et même à lu sans h
médial , et pouvait alors se prononcer , savoir : au
commencement des noms propres composés : ou leho
ou Id , et Iho ou à la fin de mêmes noms : ou lâhu par
à long, ou lahu par a bref, ou Thu sans a .
Je me suis assez expliqué jusqu'à présent sur les
diverses ponctuations que la massore assigne au
Tétragramme dans les noms propres composés,
d'abord aux g IV et V de l'introduction en ré
pondant aux égyptianistes, ensuite aux & du
chap . 1 er en traitant la question d'une manière plus
générale . Je crois inutile d'y revenir si ce n'est très
accessoirement ; car ce qui importe, c'est de savoir
comment les Hébreu.c articulaient ce nom divin
lorsqu'il figurait seul , soit dans un texte sacré, soit
dans la conversation ,soit dans les prières,à l'époque,
bien entendu, où il leur était permis de le proférer.
A l'appui de la prononciation française Thouh ou
Ihou ou loh , on n'a guère cité en preuve que des
noms composés, extraits de la Bible ou d'ailleurs,
savoir ;
( 59 )

1 ° Le nom italiote Jupiter « le père lou » , comme


répondant an nom hébreu Juab , abstraction faite de

la ponctuation massorétique Joáb ( 1 ) .


2. Le fameux Tétragramme I. H. W. ( W anglais
prononcé Ou) , du philosophe chinois Lao-Tseu qui ,
suivant Abel Remusat , avait voyagé en Occident
après la transportation des dix tribus d'Israël jusque
dans les villages des Médes et qui , dans cette

pérégrination, avait pu converser avec quelques uns


de leurs sages sur le nom et l'essence de leur Dieu (2 ) .
3° L.e nom numide Juba ou Jubas , donné par les
historiens à deux rois africains , le père et le fils ,
contemporains de Pompée et de César , mais de

( 1 ) Joab, nom d'un général d’armée sous le roi David ,


signifie, selon Gésénius : « Cujus pater Jehovah est » ,de même
que ſua’h, ponctué Joah , autre nom propre sous Ezéchias et
Josias, signifierait, selon le même : « Cujus frater Jehovah est » .
On trouve aussi dans la Bible Abihu, ponctué Abyahu, « Cui
pater est Jehovah » , et Abihua, ponctué Abihu , « Cui ille ( id est
Deus) , pater est , ainsi que lhua , ponctué Jèhu « Jehovah est
Ille » ou mieux « Idh est ille » , ( id est Deus). Ce sont des noms
métaphoriques, qui originairement, ce me semble, avaient dû
s'employer dans un sens mythique chez des tribus polythéistes .
Dans le Rig-Véda , Agni est tantôt le père et tantôt le fils des
Richis ou patriarches, et il s'incarne dans plusieurs d'entre
eux, notamment dans le célébre Angiras ; il est fils-père et père
fils, comme le Liber -Pater des Romains. Pourquoi n'en aurait-il
pas été de même de Jehovah chez les sémites hébreux avant
leur conversion au monothéisme ?
(2) Voyez le mémoire spécial de cet orientaliste dans le
T , VII, des nouveaux mémoires de l'Académie des Inscr . et Belles
lettres, p . 44-48.
( 60 )
signant d'ancienne date un dieu national que l'on a
comparé à Jéhovah (1 ) .
4° Les transcriptions grecques faites par Philon
le-Juif et par Origène de sept noms propres hébreux
composés qui se terminent par Thu comme beaucoup
d'autres, mais dont les transcripteurs ont rendu les
finales par lou au lieu de laou (2) .
Et 5° le nom d'un prophète Michée , fils de Jimla ,
ponctué une fois Mikėhu, pour Mikâ -ihu el signifiant
quis sicul Jehovah? (3)
On va voir que ces cinq exemples ne sont rien
moins que décisifs, en ce qui touche la prononciation
du Tétragramme chez les hébreux .
Le premier de lous, Jupiter, est celui sur lequel
on a insisté le plus et que l'on reproduit encore de
nos jours, sans tenir compte des réfutations qu'en
ont faites Tholuck ,Gésénius et Scholz (4) . C'est une
arme à deux tranchants que ce nom italiote, car les
partisans de la lecture Jehovah ne manquent pas à
leur tour d'invoquer la seconde forme Jovis, génitif
et primitivement nom " de Jupiter, sans même re
( 1 ) Voir Movers, die Phænizier, 1, p. 536-8 - Gésénius, monum .
Phænic., p. 150 et 408, et Kopp, Palæographia crit ., III, p. 556-7.
( 2) Ces sept noms recueillis avec d'autres par Si Jérôme en
tête de son Lexique des noms propres hébreux (Voir le T. II
de ses aurres, édit. Martianay) , sont les suivants : 1 ° Abihu ,
2° Alihu, 3º Aurihu, 4° l'achihu, ° Mathnihu , 6º ' Abdihu , et
70 ' Azihu.
(3) II Chroniq ., XVIII ,8 . Voir ci-dessus Chap . 1, $ 1,44 alinéa .
( 4) Contre de Bohlen , Buttmann, de Wette et Vatke. Voir le
Thesaur. p . 578 A, et de origine nominis Ihuh , p. 22.
( 61 )
courir à la lecture moins connue Jehovih dont elle
se rapprocherait davantage. Il y a lå en effet matière
à des rapprochements de plus d'un genre, en raison
des rapports que les deux divinités ont entre elles,soit
comme présidant toutes deux aux phénomènes de
l'atmosphère, soit comme trồnant toutes deux au
plus haut du Ciel .
Mais ces analogies sont trompeuses. Il est aujour
d'hui bien établi en philologie comparative que le
Jupiter latin a la même origine que le Zeus-pater
grec et que leDyduch -pilar sanscrit . Sa forme antique
el déclinable était Jou d'où les Romains ont tiré
Jov -i, Jovem , Jove, et les Ombriens Juve, Juv -i ( t).
Varron atteste que l'ancien nom " Jovis avait été
substitué à Diiovis ou Djovis par suppression d'un
d initial qui est resté dans Diespiter, et dans Dium ,
Diu, Dio, dans Deus, Dea, dans Divus, Diva, Divum
et dans les autres dérivés diana , diusculum , diuscule,
interdiu , interdius etc. (2) , Tous ces mots ont pour
radical commun dans les langues aryennes : Div ou
Dyu « briller, resplendir » . Orcette racine ne contient
pas le h médial du Jhuh hébreu à l'état isolé , et,
d'un autre côté , ni le radical syro- chaldéen huh
« étre, exister » , auquel on rattache généralement
le Tétragramme, ni le radical aryano -sémitique Yah
( 1 ) Voir les Tabl., Eugubines de M. de Baecker, p. 343 et
367-9 du T. VI,2°partie ,des Mémoires de la Société académique d'ar
chéologie, sciences et arts du département de l'Oise, Beauvais 1866.
( 2) Voir Max Müller : Vouvelles Leçons sur la Science du Langage,
T. II, p. 192-3 de la tradon française.
( 62 )
« produire, engendrer » d'où je le crois dérivé, ni
enfin un autre radical sémitique Jah « etre décent,
convenable et digne » , dont j'ai parlé au & IX du
chap. précédent et sur lequel je vais revenir, ne
possédent un d initial ( 1 ) ,
En 24 lieu , Gésénius (2) et Movers après lui (3 )
ramènent le nom numide Juba ou Jubas, écrit par
les grecs louba, loba ou lobas, au qualiſicatif sémi
tique Iaub'al qu'on lit dans une inscription cypriote
et qui signifie, selon eux , « beauté de Baal » , en
sorte que ce nom n'aurait plus rien de commun
avec le Tétragramme, à moins qu'on ne tire celui-ci
du radical sémilique Iah , ponctué làâh, qui a donné
en phénicien lauh, synonyme de l'hébreu Gauh ;
mais il me semble que, dans cette supposition, les
auteurs sacrés auraient écrit , en hébreu, lah, lauh
ou Iau, et non Ih, Ihuh, Thu ou lu sans a médial .
Ce n'est pas du reste que j'adople sans réserve
l'interprétation des deux savants que je viens de
nommer, car le qualificatif Juba pour Jubas, a fort
bien pu signifier originairement fils de Baal, et ré
pondre au titre sanscrit Balasya putra a fils de la
force » , c'est- à-dire au Sahaso - Yahuh aryen, autre
( 1 ) Le docte Bochart que n'arrêtait point l'absence soit du d
initial, soit du k médial , faisait venir le nom grec Dionysos de
l'hébreu Ihuh -nsi « Jehovah, mon étendard » , qu'on lit dans
Exode XVII, 15. A ce compte, on pourrait également rapporter
au nom hébreu Ium « jour », ponctué Tóm , l'accusatif latin
diem qui suppose une forme sanscrite dyam , pour dyávam .
venant du thème dyau, nomi dyduh, latin dies.
( 2) Monum Phænic., p. 150, 180, 408-9.
(3) Die Phænizier, I, p. 537-8.
( 63 )
ment dit à une épithète du feu suivant l'explication
qu'en donne le commentaire indien de Såyana sur
Rig -Veda, 1,XXVI,10; LXXIV ,5 ; LXXIXLL , L .
3° Le Trigramme 1. H. W. de Lao -Tseu, relevé
par Abel Rémusat , n'est, de son aveu , que l’abrégé
d'une formule mystique I. H. I. WEI que ce théo
sophe explique et développe à la façon des panthéistes
de l'Inde . Son voyage dans les contrées occidentales
ne paraît pas s'être étendu vers le S. 0. au -delà de
l'Indus . C'est donc là qu'il a dû puiser ses fantaisies
théologiques et mystiques. Le sinologue français s'est
ici fourvoyé à la suite des missionnaires jésuites, ainsi
ainsi que l'a démontré M. StanislasJulien ;son éminent
successeur au Collège de France ( 1 ) . Le Trigramme
I. H. W. , rappellerait autant le qualificaift védique
d'Agni, écrit Yhuh,que le nom hébreu Ihuh.D'ailleurs,
si la formule entière I. HI . WEI. a quelque analogie
avec la ponctuation Iéhovih des massorethes , nous
avons déjà conjecturé au $ précédent que celle -ci
pouvait avoir son type en sanscrit tout aussi bien
que sa correspondante plus générale lehovah (2) .

( 1 ) Voir l'exposé historique des études chinoises, tibétaines


et mongoles, publié en 1867, à la demande et sous les auspices
du Ministre de l'Instruction publique, dans le recueil des
Rapporis sur les progrès des lettres et des études relatives à l’Egypte
et à l'Orient, p. 183-4.
(2) A fortiori pourrait-on dire que le nom Yað d'un très
antique roi de la Chine vient du qualificatif védique Yahó, et
non du Tétragramme hébreu , d'où le chevalier de Paravey le
fait dériver . etc,etc.
( 64 )
4° ll y a toute apparence que Philon et Origène,
dans leur transcription des sept noms hébreux cités
ci -dessus en note, ont confondu Thua, prononcé lhu.
avec Thu , prononcé Yahu . Cela parait évident à
l'égard des deux premiers,car les textes hébreux nous
les présentent sous deux formes désinentielles, savoir:
Abihu et Abihuu d'un côté , et de l'autre Alihu
et Alihua , et l'on conçoit que la même confusion se
soit étendue aux cinq autres par suite d'analogie,
surtout à une époque où l'hébreu était tombé en
désuétude et où il était rigoureusement défendu
aux juifs, et sous des peines très-sévères, de proférer
le Tétragramme .
5° La ponctuation Mikehu , relevé déjà au chap .
précédent, ne se présente qu'une seule fois avec la
mention Kéri-khe-thib, indiquant que c'est une écri
lure fautive à corriger par une leçon plus correcte,
donnée dans d'autres passages, c'est-à -dire par
celle de Mikya ehu (1 ) . Elle me parait résulter de la
confusion que je viens de signaler entre les terminatifs
Thua et Thu. Comparez le nom propre Thua, ponctué
Yehu ou Jéhu , dans lequel on n'a pas tenu compte de
l'a final quiescent ( 2). Le nom dont il s'agit s'applique
( 1 ) Comparez 1 Rois, XXII, 8, II Chron . XVIII , 7, 8 et 24.
(2) Sur ce dernier nom, voir le Thesaur., p. 577 , en note, et
1, p. 582 B. et ci -dessus ch . I. § VI, Gésénius le croit contracté
de Ihuhua ou mieux de Ihihua, par substitution du verbe
Hih au verbe Huh , employé à la 3e personne du futur, en ce
sens que lhih répondrait à Ahih (Exode III, 14), comme Thuh
répond à Ahuh. N'eut- il pas été plus simple d'y voir une
( 65 )
dans la Bible à plusieurs personnages des deux sexes,
et les divers points-voyelles qu'il y reçoit annoncent
qu'originairement il se prononçait Mika - Yahu , d'où ,
par des altérations succes, ives, on a passé à Mika
Yahu , à Mikâ - Yehu , à Mikâihu et finalement à Mikehu
comme s'il remplaçait une forme Mikihua . Du reste,
la ponctuation isolée Mikihu sans a final serait la
seule fois où le Tétragramme perd son Kamets
(a long) à la fin d'un nom composé , et cette unique
exception ne saurait être prise pour règle générale .
IV

Si j'ai tant insisté au & précédent sur l'intercalation


obligée soit d'un a, bref ou long, soit d'un e bref,
son substitut, entre l'i initial et le h médial du
Télragramme à l'état isolé , c'est qu'un nouvel
exégète italien, M. Michel Angelo Lanci , n'en tient
aucun compte ,par réminiscence sans doute des formes
égyptiaques du surnom Ohi ou Ahi, et par inversion
Tho ou Iha , donné au dieu Taureau d'Héliopolis,
lequel formait le pendant du beuf Apis de Memphis .
Il est bon d'examiner ici son système, parce que
l'étymologie loute particulière qu'il donne du
Tétragramme se fonde principalemement sur cette

contraction de lh + Ihua : « Yah erit pour Yah est, c'est Yåh »,


par suppression du fer h et fusion du point- voyelle a avec l'i
de Ihua , d'où Yėhu . On sait que hua, est la forme chaldaique
du syriaque Huh et qu'il a pour futur Ihua, employé une fois
dans la Bible (Voir Ecclesiaste II , 3).
( 66 )
prétendue prononciation sans voyelle entre 1 et H.
Lanci admet que ce nom divin avait deux formes,
l'une populaire, l'autre sacerdotale. En cela, je suis
de son avis ; mais voici en quoi je me sépare de ses
idées. Il suppose le Tétragramme composé des deux
pronoms hébreux Hia « Elle » , et Hua « Lui ‫ܕ‬,pro
noncés Hi et Ho, l'a final restant muet dans les deux .
A l'en croire, le peuple en aurait tiré lh -oh « Elle
et Lui » ,et le sacerdoce · Ho-Hi a Lui et Elle », en se
bornant à mettre en tête le pronon masculin ( 1 ) . Ces
deux façons de lire le Tétragrammerappellent les idées
de l'abbé Greppo sur les formes correlatives Ohi et
Ahi, Iho et Iha d'un dieu solaire d'Héliopolis, et sur
d'autres formes analogues qu'employaient les hiéro
rogrammates de l’Egypte pour représenter certains
dieux ou certains noms divins, figurés en hiéroglyphes
tantot de gauche à droite ou de droite à gauche, et
tantot de haut en bas ou de bas en haut (2) .
Mais d'abord , en la forme, n'y a-t-il pas quelque
chose d'étrange dans celte espéce de chassé- croisé
de lh-Oh, au lieu de Hi-Ho (3) , ensuite , le pronom
( 1 ) Voyez le T. I, p. 101-14 de şes Paralipomeni alla ilustra
zione della Sagra Scrittura per monumenti fenico -assyrii ed
Egyziani,Paris 1845, 2 vol. in -4 °.
( 2) Voir son Essai sur le système hiéroglyphique, appliqué à la
critique sacrée , p. 112 et suiv .
(3) Le savant Movers ne se permet- il pas une pareille licence
lorsqu'il ramène le mystique Abraxas des gnostiques Basi
lidiens à une forme sémitique Chb’a rba a die grosse sieben »
(Voir Die Phænizier, 1,p . 558). C'est ce que nous rechercherons
au § V. etc, etc.
( 67 )

masculin Hua , constamment ponctué Hu en hébreu,


ne parait pas s'être prononcé Ho dans les langues
congénères. Enfin , dans le Pentateuque , il s'emploie
aussi presque toujours pour le genre féminin , en
place de Hia , prononcé Hi ( 1 ) .
Mainteuant et au fond, je ne vois poindre nulle
part chez les juifs, si ce n'est dans le livre Zohar,
relativevement très moderne ( ) , la singulière idée
que l'ancien testament aurait fait de Jéhovah un dieu
androgyne, pas même dans le simulacre du Veau d'or

que les israélites du désert s'étaient fait fabriquer


par Aaron au pied du Sinai , en l'absence de Moïse
et de Josué cachés au sommet de la montagne ,

simulacre à la vue duquel ils s'étaient écriés : « Voilà


tes Elohim ( tes dieux ) , 0 Israël , qui l'ont fait monter
du pays d'Egypte » ( 3 ) . Lanci pouvait supposer , il est

vrai, que ce symbole idolâtrique de Jehovah repré


sentait le soleil et la lune , ordinairement figures en
Orient par un taureau et par une vache , avec prédomi .

(1 ) Voir le Thesaur . de Gésénius, au mot Hua , p. 369 B.


- Rappelons à ce sujet que ces deux pronoms de la 3.
personne se rattachent manifestement aux deux formes chal
daiques Hua et Hia du verbe substantiſ, en place de Huh
araméen et de Hih hébreu . Il parait en être de même en
sanscrit des pronoms démonstratifs m . Sò, pour Sah, f. Så et
Asau ,m . f., dans leur rapports avec le radical AS , « être, exister » .
(2) Midrasch -Ruth du Zohar de la Génése, fº 75, col . 61 , dans
Drach, ouv . citė, p. 392-3 .
( 3) Exode, XXXII, 4. - Comparez I Rois, X1 , 28, et Nehémie
IX, 8. et notez que ce dernier texte met le verbe au singulier.
Sur quoi voy. le Thesaur, de Gésénius, p. 96 B. etc, etc.
( 68 )

nance du sexe måle,et citer en preuve ou en exemple


d'abord le taureau Molok des enfants de Moab el
d'Ammon, dépeint comme hermaphrodite par Dom
Calmet d'après les rabbins (1 ), ensuite le Rêm ou
Bos -Bubalus auquel Balaam compare l'Al-Chdi des
patriarches hébreux ou le Thuh des israélites du
désert, noms dont le fer est ponctué El- Chaddai ( 2),
et interprété en latin par le célèbre dominicain
Oléaster, Deus forlis mammarum « Dieu fort par
les mamelles » (3), en réminiscence non seulement
de la Ceres mammosa et de l'Isis mammosa des my
thologues, mais encore du Zeus Mazeus ou Aphrodite
barbue des Cypriotes (4) et du Jupiter Ruminus des
Romains (5) ,
Il est très possible, en effet, que les Hébreux
idolålres du désert et postérieurement ceux des deux
périodes des Juges et des Rois, qui adoraient El
Chaddaï ou Jehovah sous la forme d'un jeune taureau
qui broute l'herbe (6), aient conçu le dieu de leurs
anciens patriarches comme une divinité luni-solaire,
portant des formes bovines avec les marques des
deux sexes (les cornes proéminentes et les mamelles
( 1 ) Diction de la Bible, art. Moloch .
(2) Nombr. XXIII, 22, et XXIV, 8. — Sur le mot hébreu Ram
ou Rim , ponctué Rém , voyez le Thesaur ., p. 1248-9.
(3) Voyez la réfutation de cette étymologie dans le Recueil
cité du P. Souciet, p. 210-3.
) Ch . Lenormant, Nouvelle Galerie mythologique p. 32 ,col. 2.
(5) L. Preller, Ræmische mythologie, p. 173 et 369.
(6) Ps. CVI, 19-20. - Texte hébreu : 1 ° 'agl, veau ( 19) , 2°
Chur, taureau ou bæuf (20).
( 69 )

gonflées ), par allusion aux influences des deux astres


S

du jour et de la nuit sur la production , la conser


vation et la destruction des êtres sublunaires .

Plusieurs textes bibliques semblent avoir gardé des


traces de ces conceptions naturalistes d'un double
Jehovah ou d'un Jehovah donble ( 1 ) . Tel serait, entre
autres , le passage du livre de Josué dans lequel ce
général parle à Ihuh , et dit : « Soleil , arrête-toi sur

Gabaon , et toi , lune , dans la vallée d'Ayalon » (2) .


Là cependant Jehovah paraît distinct de ces deux
astres, et ne correspond même pas à l'astre Kevan

ou Saturne du prophète Amos, à cet interprète et


compagnon du Molok hermaphrodite dont la maison

d'Israël a porté le tabernacle durant 40 ans dans le


désert (3 ) . En effet, le Jehóvâh du livre Josué est le
Jehovah mosaïque , dieu essentiellement mâle et un ,
dieu des dieux , supérieur au soleil , à la lune et à
Saturne - planèle , auxquels ilcommande en maitre (4 ) .

C'est un dieu fort, grand , puisseut et terrible , c'est le


dieu des dieux , le seigneur des seigneurs , dieu jaloux
et feu consumant , qui ne souffre pas d'autre Elohim
devant sa face, qui permet bien aux autres nations

( 1 ) Comparez les deux cantiques de bénédiction des enfants


d'Israël , Génèse, XLIX, 25 , et Deuteron , XXXIII, 13-4 .
(2) Josué X, 12-3 . Le livre Yachar auquel renvoie le rédacteur
est mentionné une 2do fois dans II Samuel I , 18 , à propos de
la complainte de David sur la mort de Saül et de Jonathan
qui y fut insérée.
( 3) Amos, V, 25-6 . Comparez Actes des Apôtres , VII, 42-3 .
(4) Ps. CIV , 19. Isaïe, XXIIV , 23, XXX, 26 .
10
( 70 )
d'adorer le soleil , la June, les étoiles et toute l'armée
des cieux, mais qui interdit rigoureusement ce culte à
son peuple dont il est ou doit être le dieu unique (2 )..
Je rejette donc sans hésiter l'étymologie, la
formation et la prononciation du Thuh mosaïque
imaginées par Michel Angelo Lanci . Quant au Thuh
patriarcal, je doute très-fort qu'il se soit prononcé
ou lhoh ou llo -hi. Car si Abraham a résidé momen
tanément en Egypte, il ne faut pas oublier qu'il était
originaire de la Chaldée d'où Ihuh l'avait fait venir
en Canaan ,et que ,dans ces deux contrées de l'Asie,
Jehovah ne passait pas pour un étre double . En
conséquence, je préfère m'en tenir aux quatre
lectures Yahuh , Yaho, Yahvah, Yahvô que je considère,
savoir : les deux premières comme sacerdotales ou
sacrées, et les deux autres comme populaires ou
profanes, à l'époque où il était permis d'articuler ce
nom divin . Je ne pense même pas qu'il y ait rien à y
ajouter, ni rien à en retrancher.
Toutefois, sur ces deux derniers points, j'ai le
désagrément de me trouver en désaccord avec le

(2) Entre autres textes du Pentateuque résumés ici , voyez


Exode, XX, 2 -5, Deutéron . , IV, 15- 20 , V, 6-8, VI , 4 et X, 17 .
- Notons à ce sujet, d'après Movers (die Phænizier 1, p. 557-8 ),
que les monnaies de Néapolis en Samarie, frappées au temps
des Antonins, représentent d'un côté le soleil et de l'autre la
lune, avec l'image du temple de Garizim rebati (Eckhel Doctr .
Vet. num . et, t. III , p. 433), et consacré à Zeus hupsistos, qui
avait remplacé le labe El-Elion des Samaritains, par allusion à
Genèse, XIV, 18-22.
( 71 )
trè-docte abbé Movers, décédé récemment professeur
à l'université catholique de Breslau . Ce savant , dans
ses profondes recherches sur la religion des Phé
niciens, repousse l'assimilation du Tétragramme de
la Bible d'abord avec le leuô du phénicien Sancho
niathon ou plutôt de Philon de Byblos, son traducteur
grec, puis et surtout avec le laô du gnosticisme
oriental . Il refuse de prendre ces deux qualificatifs
pour des transcriptions grecques du Ihuh hébreu ,
supposant des prononciations hebraiques, telles que
Yehvô, en place de Yahvô, et Yaho. Il n'adopte pour
transcriptions acceptables que les suivantes : laua ,
lauas, laud et labe ( 1 ). Il s'attaque surtout au Iað du
fameux oracle de l'Apollon de Claros en lonie, qui
le proclame le plus grand des dieux . C'est à tort ,
suivant Movers , que la plupart des érudits modernes
confondent cetlað avec le Ihuh de la Bible , à
l'imitation tant de Diodore de Sicile que des Pères
des Eglises grecque et latine, eux-mêmes imitateurs,

(1 ) Die Phænizier, I, p . 548-9. — J'avais cité au chap. I, § VI,


les transcriptions grecques Tauð et Iabe. Les deux autres laua
et lauas, présentées hypothétiquement par Movers, suppo
seraient des leçons sémitiques Yahvah et Yahvas, terminées la
fre par le h final ou visarga sanscrit et la 23e par le S grec,
son substitut habituel . – A la p. 545, l'auteur avait cité de
son côté un texte de Tzetzès ad Lycophr. p. 831,portant qu'Adonis
reçoit chez les Cypriotes le surnom de Gauas, et en avait
conclu que ce Gauus était évidemment pour lauas. Enfin , à la
p. 538, il avait rapporté, d'après Gésénius (Monum Phænic.,
p. 150 et 408), le nom propre laut'al d'une inscription de l'ile
de Cypre, signifiant, suivant eux, « magnificence de Baal » .
( 72 )
le premier d'Hécatée de Milet, à ce qu'il semble, et
les autres des gnostiques . Il ne dit rien du Inou de
Clément d'Alexandrie et d'une gemme gnostique
rapportée par Kopp . Tout porte à croire qu'à
l'exemple de ce dernier il ne voyait dans cet laou
qu'une variante de lað , imaginée pour montrer aux
Grecs que le Tétragramme avait quatre lettres comme
leur mot ucs, et non pas trois seulement (2) , et que
par suite, il le mettait sur la même ligne que lað, et
cela faute de connaitre et le Yaoubid de l'inscription
assyrienne de Khorsabad et le Sahasô Yahuh des
Aryas de l'Inde.
Si les objections de l'abbé Movers étaient fondées,
elles ne me laisseraient que le labe de Théodoret et
d'Epiphane, puisqu'il rejette aussi le leuô de
Sanchoniathon ou de Philon de Byblos . Au fond, elles
ne feraient pas brèche à mon parallèle de Jehovah et
d'Agni sous le double rapport de l'histoire et de la
C'est de là sans doute que le jer tirait son identification de
Gauas avec lauus . La Bible n'a point cet Iauas ; elle n'offre,
comme je l'ai dit au ş cité, que le verbe impersonnel lah ;
mais le radical Gah, son synonyme, y possède plusieurs dé
rivés, entre autres, celui de gaun, ponctué gaavdh et signifiant
« majesté, magnificence » , surtout quand il s'applique à la
divinité. De là est venu le nom propre Gaual « majesté de Dieu »
(nomb. XIII , 16), donné à l'un des espions que Moïse avait
envoyés du désert de Moab en Canaan pour explorer le pays.
Il est manifeste que Gaual correspond à laul’al, comme Al
Brith à Bal- Brith dans Juges VIII , 33 et IX, 46 .
(2) Cette explication de Kopp, Palæographia critica, III, p. 531
a été adoptée par Fr. Paul Scholz, disciple de Movers, dans sa
petite dissertation de Origine nominis Ihuh, p . 15 en note.
( 73 )
linguistique , puisqu'en écarlant pour le Tétragramine
hébreu trois transcriptions qui, selon moi, répondent
à trois leclures sémitiques et aryennes Yahuh , Yah) ,
Yahvôh , elles m'abandonneraient explicitement, dans
la 4e transcription Iabe, la lecture Yahvah qui, en
sanscrit, avait la même signification que les trois
aulres suivant l'illustre indianiste Max Müller ( 1 ) .
Cette réflexion pourrait me dispenser de soumettre
les idées de Movers à un examen particulier . Mais d'un
côté, en pareille matière , il est bon d'écarter de son
chemin toute pierre d'achoppement, d'un autre côté,
l'autorité dont ce savant jouit en Allemagne et même
en France est trop grande pour que je me borne à
une simple mention de son système exceptionnel,
enfin ce système, tout contraire qu'il est au mien ,
mérite d'être relevé en raison des éclaircissements
qu'il fournit, comme on le verra au ſ suivant, sur
une question très controversée parmi les doctes ,
celle de la propagation du Tétragramme hébreu dans
l'ancien paganisme.
IV

L'hymne astrologique appelé Oracle d'Apollon à


Claros forme, avec un autre texte grec attribué à
Démétrius de Phalère, la clef de voûte de la fameu
se théorie de l'Heplaphthongue dont j'ai déjà parlé
plus d'une fois et sur laquelle j'aurai à m'expliquer
au V.
( 1 ) Ci-dessus Chap. I, § dernier.
( 74 )
La plupart des exégètes modernes tiennent ces
documents pour apocryphes et les reportent aux
premiers siècles de l'Église chrétienne. Suivant eux ,
ils feraient partie de ces fraudes pieuses que
d'habiles faussaires, judeo - chrétiens ou gnostiques,
fabriquaient à plaisir pour inculquer aux masses
illétrées et crédules leurs doctrines respectives, en
vertu du principe que la fin justifie les moyens.
C'est le célèbre Jablonski qui a accrédité cette
opinion au siècle dernier . Cependant , avant lui ,
Grotius, Pearson , Bochart et Beausobre qu'il cite (1 ) ,
avaient admis et soutenu l'antiquité de cet oracle ,
et, de notre temps , Drach 2), Lobeck (3), Movers (4)
et Scholz (5) se sont joints à eux .
Ces quatre derniers érudits font remarquer que
la versification de l'oracle de Claros qui proclame
lað le plus grand des dieux , est trop correcte , trop
élégante, trop pure, pour ne pas dater d'une époque
bien antérieure à notre ère. Movers, le plus expli
cite des quatre , ne se borne pas à ces indices
intrinsèques ; il montre par diverses citations d'an
ciens auteurs que les hérésiarques gnostiques, à
l'exemple des mystagogues payens , avaicnt appliqué
le Trigramme lað á nombre de dieux célestes ou
solaires du paganisme, tels que Harpocrate en
( 1 ) Panthéon Ægyptiorum , II, p. 250-7.
(2) De l'harmonie entre l'Éylise et la Synagogue, I, p .
(3) Aglaophamus, I, p. 461 .
(4) Die Phænizier, I , p. 139-40.
(5) De origine nominis Ihub, p . 17, en note.
( 75 )

Egypte, Adonis en Phénicie et en Syrie , Bel en


Chaldée , Mithra en Assyrie et en Perse, Phanès chez
les Orphiques, Helios, Apollon, Dionysos en lonie, en
Grèce et même à Rome ( 1 ) . Mais, en revanche , il
estime que cet laô n'a pas la même origine, le même
sens, ni surtout la même prononciation que le Thuh
de la Bible .
D'abord il suppose que le premier dérivait du
radical 'Huh (par 'Heth dur) : « vivre, respirer » ,
tandis que le second , suivant l'interprétation ortho
doye qu'il adopte , bien entendu, serail tiré du
radical Huh ( par Il faible) « étre , exister » . Il
suppose en 24 lieu que l'un désignait le soleil , adoré
par les payens comme dieu vivifiant, et l'autre le
vrai dieu , l'Etre existant par lui-même, Celui qui est ,
différence énorme qui excluait toule comparaison (2) .
En conséquence, il donne pour thème au laò de
l'oracle de Claros et des gnostiques un qualificatif
araméen l'huh ou l'hô, peut-être hypothétiqne, mais
régulièrement formé (3), lequel se serait prononcé
(1 ) La Bible n'a pas ce nom propre . Mais on lit dans 1
Chroniques, XXIX , 14, l'hual, et dans 1 Chroniq. encore , XXI , 2 ,
Thial avec la signification (selon Gésénius),de quem vivum servat
Deus » . Comparez Iual pour Ihual, « Cui Jehova est Deus » ,
suivant le même. Voir son Thesaurus sur ces trois noms propres ,
à la suite de son grand article Ihuh.
(2) L'auteur se sert à ce sujet de l'expression adverbiale
himmelweit « loin comme le ciel » , ouv, cité, p . 531 .
(3) Comparez son chap. Iaó, p. 539-58 avec le texte et surtout
avec les Planches de l'Histoire du Gnosticisme de feu J. Matter,
re édit .
( 76 )
tantôt Ya’huh ou Ya'hô, d'où les Grecs auraient tiré
leur lakkhos (1 ), tantôt faiblement Yehvô par atté
nuation de l'aspirée médiale , d'où serait venu le
leuð de Philon de Byblos . Le Tétragramme Ihuh, au
contraire , a dû constamment changer en a son h
médial dans les transcriptions grecques, car, ajoute
Movers, S' Jérôme a dit du dialecte hébreu : Idioma
illius linguæ est per Ile scribere , sed per A legere, et un
peu plus bas : He littera quæ per A legitur ( 2). Dès
lors , si l'auteur de l'oracle de Claros avait emprunté
son Tað au Thuh de la Bible, il l'aurait rendu en grec
par l'un des quatre mots : laua, lauas, lauộ, Iabe (3)
relevés au S IV ci-dessus .
Ces raisonnements ne sentent-ils pas un peu trop
la subtilité rabbinique ? D'abord , en la forme, le H
( 1 ) Volney, dans sa lettre à Lanjuinais ( Revue Encyclopédique
d'avril-juin 1819, p . 509), faisait venir ce nom du qualificatif
phénico- hébreu Idh, a digne, convenable, beau, brillant , ar
substitution du kh grec ou II sémitique. Bochart (Canaan ,p ,442)
le supposait tiré du syriaque lakkho, enfant à la mamelle, et
en effet Suidas in Verbo, dit : lakkhos, Dionysos epi tò mastó.
Voyez là- dessus Religions de l'antiquité, T. NII, 1re part. p. 281-2.
De son côté, A. Langlois qui, dans les notes de son Rig- Véda,
11 , 233 , n . 70 ,avait comparé Agni, nouveau-né, au jeune lacchus,
a ensuite expliqué le grec Iacchos par le sanscrit Yakchas, signi
fiant, selon lui , « désireux de sacrifier » , Voir à ce sujet son
mémoire sur le dieu védique appelė Soma (c'est - à - dire Agni
libation dans les Mémoires de l'Acad. des Inscript., XIX, 2de partie,
p . 383 et suiv .

ter
(2) Opp . T. II , p. 522. Ce Père de l'Eglise ajoute même après le
passage : « Sicut è contrario, A litteram sæpé per He pronun
ciant » , et cela à propos du H des noms d'Abraham et de Sarah,
écrits Abrhm et Srh .
(3) Die Phænizier, I, p. 548-9.
( 77 )
faible de l'hébreu se distingue de l'A , quoiqu'il se
permute parfois avec cette voyelle, comme son
correspondant phénicien (4) . S: Jérôme lui-même a
fini par le reconnaitre implicitement dans sa lettre
postérieure à Marcella lorqu'il lui écrivait que le
Tétragramme hébreu contenait quatre lettres I, H ,
V, H, et qu'il pouvait se lire en latin IÁHO (5) . Là
en effet, s'il eût suivi ses anciennes idées, il se
serait borné à écrire en latin 1AO, comme l'avait fait
Tertullien d'après les gnostiques grecs, il n'eût
point ajouté un H après l'A sous -entendu en hébreu,
puisque ce A , d'après ce qu'il avait écrit précé
demment, aurait représenté ou remplacé la voyelle
A.
Ensuite et au fond , qu'aurait signifié pour des
tribus polythéistes, comme l’étaient celles du désert
arabique et du pays de Chanaan , cette distinction
entre exister et vivre ? En toute langue, les deux
idées ne se confondent -elles pas lorsqu'il s'agit d'êtres
animés, dieux, anges , démons, hommes et brutes,
sauf la durée plus ou moins longue de leur existence?
En hébreu , elles s'expriment par des verbes presque
identiques, puisqu'ils ne différent que par l'aspirée
initiale , forte dans les uns ( 'Iluh et ' Hih), faible
dans les autres ( Huh et Hih) , et qu'ils se conjuguent

(4) Voir à ce sujet le Thesaurus de Gésénius, p. 2 A et p. 359


A, et ses Monum. linguæe Phæniciæ , p. 440.
(5) Au besoin, revoir les æuvres de Si Jérôme, II, p. 181-2 avec
l'appendice, p. 134, éd. Martianay.
( 78 )
absolument de la même manière ( ) , en sorte que
leurs dérivés l'huh el Ihuh devaient avoir des signi
fications très-analogues, pour ne pas dire plus. Dans
notre XIXe siècle, l'exégèse critique , en Allemagne,
en Hollande et en France, a démontré par la Bible
elle-mêmc qu'avant la captivité de Babylone, la
masse du peuple israélite, à la fois polythéiste et
idolâtre , ne voyait dans son dieu national Jehovah
que l'élément du feu ,créateur et destructeur,principe
de vie et de mort, qui brillait dans le soleil, dans
l'éclair, dans la flamme, en même temps qu'il animait
intérieurement les êtres créés, ou les faisait périr en
se retirant d'eux (2) , De là ce serment solennel
que lui prêtent ses adorateurs : « 'hi ani, vivant
moi ! » pour : je suis vivant ! ou je jure par ma vie !
serment qu'ils ne manquent pas d'imiter lorsqu'ils
( 1 ) Gésénius incline à penser que de ces quatre formes
radicales, les deux premières ont dû précéder les deux autres ,
à titre d'articulations énergiques, exprimant mieux la Vitalité.
Voir son Thesaurus, p. 375 A., B. En effet, la notion abstraite,
d'étre, d'exister, semble avoir été prise de la notion populaire
de respirer, de vivre.Ce qui faisait dire à St Augustin (Conf. 1,6) :
« Domine, Cui esse et vivere, non aliud atque aliud est, quia summe
esse et summe vivere id ipsum est » . Voir aussi sa paraphrase
( Sermo VII de lect. exodi), rapportée par Hoelemann, Bibel
Studien , 1 , p. 59.
(2) Chez nous on peut citer : 1 ° Benjamin Constant, De la
Religion , t. Il ; 2° Edgar Quinet, du génie des religions ; 3° Michel
Nicolas, Etudes critiques sur la Bible ; 4° Albert Réville, Revue
des deux mondes, nºs des 15 juin et fer juillet 1867 ; et 3º A.
Carrière, Revue de Théologie, livraison d'avril-mai , de juillet
août et de 7br -8bre 1869. Ce dernier critique est le plus complet.
( 79 )
le prennent à témoin de la vérité de leurs déclarations
par ces deux mots : 'hi Thuh , - vivant » (est)
Jehovah ! (1 ) . Si les prophètes du VIII° siècle dont les
écrits authentiques sont parvenus jusqu'à nous,
prenaient ce dieu pour l'etre absolu, pour l'étre
existant par lui -même , pour Celui qui est, le peuple
ne s'en formait pas à beaucoup près une idée aussi
sublime : Thuh n'était guère à ses yeux que le
principe igné, que l'Agni primitif des Aryas , l'Ignis
des latins,l'Ugnis des Lithuaniens,l'Ogni des Slaves .
Aussi les auteurs sacrés, pour se mettre à la portée
des masses populaires, l'appelaient-ils feu consu
mant (2) , lumière d'Israël (3), soleil du peuple (4), soleil
de justice (3) , enfin dieu fulgural et tonnant (6) . Or
les Grecs en disaient autant de leur Dionysos, Bacchos
ou lacchos, surnommé Pyrogenes,« né du feu » , et
qualifié Euas, Eua , Evim , Evios, épithètes que
Movers ramène au radical sémitique ' Huh, vivre ou
faire vivre (7) .
Cela nous explique pourquoi ils le confondaient
avec le dieu des Juifs, comme on le voit dans

( 1 ) Voyez dans le Thesaurus, aux p. 368 A. , 378 B et 469 B,


l'indication des nombreux textes bibliques auxquels je fais ici
allusion .
(2) Deuteron., IV, 24 ; IX, 3.
(3) Isaïe X, 17.
(4) Ps. LXXXIV, 12.
( 5 ) Malachie, IV , 2 .
(6) I Samuel, II, 10 -VII, 10- Ps.XVIII, 14 , XXXVI18 ; 8 XL , 9.
(7) Die Phænizier, I, p. 545-8 .
( 80 )
Plutarque.(1). Bien que ce philosophe ne nomme à
ce sujet ni lakkhos ni Tað ou laou , les rappro
chements qu'il fait entre les Triétérides grecques et
les fêtes juives des tabernacles , célébrées de part et
d'autre après les vendanges, montrent bien qu'il
entend assimiler les cris Ja , la ,des ménades avec le
refrain Hallelu lah « célébrez Yah » que les Juifs
ne pouvaient manquer de répéter durant ces fetes
automnales des récoltes (2) . On connait d'aillenrs
les refrains lò Pæan ! lò Bacche ! que les Grecs
proféraient dans leurs chants sacrés, le for en
l'honneur d'Apollon et le 2nd en l'honneur de
Dionysos, parce qu'ils les considéraieut comme deux
dieux ignés ou solaires agissant l'un d'en haut et
l'autre d'en bas et concourant également à la
production des biens de la terre (3) . Peut- elre même
pourrait-on rattacher au même ordre d'idées ce que
Plutarque raconte ailleurs des exclamations Eleleu !
lou , Iou ! que les Athéniens poussaient après les
libations aux dieux dans leurs féles automnales des
Oskhophories, en portant des ceps de vigne chargés
de raisins (4). Car Eleleu lou , Jou , rappelle involontai
rement halleluiah et semble supposer une forme
sémitique plus complète hallelu Thuh, Thuh , en place
( 1 ) Symposiaques, Livre IV, question 6.
(2) Ce refrain figure dans nombre de Psaumes relevés dans
le Thesaur , aux mots ’Hll et Ih, p. 380 B, et 580 B.
(3) A ce sujet, on peut voir P. N. Rolle : Recherches sur le
culte de Bacchus, I , p. 66-90.
(4) Vie de Thèsée, chap. XX .
( 81 )

de hallelu Yahuh, Yahuh , comme dans le nom


vulgaire Mika-ihu , « quis sicul Jehovah ! » .
Il est certain , et l'abbé Movers en convient , qu'à
l'avènement du christianisme et même plusieurs
siècles auparavant, les Hellenes confondaient leur

Dionysos avec les dieux solaires des peuples qu'ils


connaissaient, par exemple avec l'Osiris des Egyp

tiens , l'Adonis des Phéniciens et des Syriens , l'Attis


des Phrygiens et le laồ des Chaldéens, ce dernier
interprété « lumière intelligible, en grec Phòsnoêlon » ,
et qualifié Sabaoth comme trônant au -dessus des
sept cieux planétaires ( 1 ) . S'il avait pu pousser ses

recherches plus haut et plus loin vers l'Orient , il


aurait vu que le lao - Sabaðlh du Chaldaisme répondait
non seulement à l'Helios lleptaktis « soleil à sept
rayons » des Néoplatoniciens d'Alexandrie et

d'Athènes, mais encore au triple ou septuple Agni


des Vedas de l'Inde sous ses divers titres de Sahaso .

Yahuh « fils de la force » , Saplartchih « doué de


sept rayons » , Saptarchéyah « fils des sept Richis ou
voyants » et de Putra Sabhayichthah « fils très

domestique » comme brillant constamment au foyer


sacré de chaque maison , dernière épithète que les
Grecs ont fait passer dans leur langue sous la forme
Hephaistos (2) . Il aurait probablement compris et

( 1 ) Joh . Lydus,Demensibus, IV, 48 , p. 74 , et 98 , p . 112-Cedre


nus, Chorographia , I, 296 .
(2 ) Suivant l'étymologie de M. Ad . Kuhn, adoptée par M. Ad .
Pictet dans Les origines iudo - européennes ou les Aryas primitifs,
II, p 678 .
( 82 )

par suite il n'aurait pas repoussé le rapport mystique


du Ihuh-Chb'aulh chaldéen , littéralement a fils des
sept avec le Thuh Tsbauth biblique, originairement
« fils des splendeurs » (célestes) . Par suite encore,
il ne se serait pas borné à traduire ce dernier nom par
Jehovah des armées (1), à moins qu'il n'eût pris Thuh
dans le sens de créateur,à l'exemple de Gésénius (2),
ou sous -entendu entre les deux termes hébreux le
qualificatif Alhi « dieu » à l'état construit, comme
le font la plupart des exégètes. Mais n'anticipons pas
sur des explications qui seront mieux placées dans
des chapitres ultérieurs.
En dernière analyse, s'il est manifeste que le
savant professeur de Breslau s'est trompé en refusant
de reconnaître avec les Pères de l'Eglise l'affinité du
lað grec avec le Thuh hébreu, il n'en faut pas moins
lui savoir gré de ses efforts pour dissiper les nuages
amassés autour de l'oracle de Claros . Il a très bien
vu d'abord qu’un hymne commenté à Rome sous
Auguste par Cornélius ou Antistius Labeo fils, ne
pouvait être postérieur au christianisme ni relégué
dans quelque secte obscure et sans nom ; ensuite
qu'il eût été difficile aux gnostiques des premiers
siècles de l'Eglise, sortant du paganisme pour la
plupart , d'emprunter aux Juifs un nom divin que
ceux -ci n'osaient plus prononcer ; enfin que depuis
longtemps les payens faisaient usage d'un nom sem

(1 ) Voir Dre Phænizier, 1, p. 550-8 .


(2) Thesaur, p. 577, en note et p. 1146 B.
( 83 )
blable dans leur théorie alors très-répandue de
l'harmonie des sphères célestes. Seulement, on peut
regretter que ses idées sur la double distribution des
cinq petites planètes entre les dix signes du zodiaque
qui suivent les deux du Lion et du Cancer, réservés
l'un au soleil et l'autre à la lune (1 ), ne l'aient pas
amené à s'expliquer sur l'Heptagramme Tehooua de
J. C. Scaliger, Nº Fuller, Sixt . Amama , J. Matthias
Gesner, J. D. Michaelis, Bellermann , Seyffarth,
Duncker et autres partisans de la prononciation
Jéhovah . Ce n'est pas précisément une lacune dans
son ouvrage ; car il n'y traitait point de la religion
des Israélites . Mais il eût été bon qu'il donnât son
avis là -dessus pour compléter ses éclaircissements sur
le rôle considérable que le nombre sept jouait dans
les antiques religions de l'Asie et plus particulière
ment sur le fameux système de l'harmonie des
sphères.
Cette matière est vaste et compliquée , parce
qu'elle se rattache au calendrier, à la physique , au
sabéisme, i l'astrologie, à la théurgie, au mono
théisme panthéistique, et surtout à la transmigration
des âmes à travers le zodiaque . Mais, pour abréger,je
n'en extrairai ici que ce qui concerne le rapport
mystérieux des sept planètes connues des anciens tant
avec les sept lettres de la lecture Jehovah ou Iehdoua
qu'avec les sept jours du cycle hebdomadaire qui clot
dans la Genèse le premier récit de la création .
(1 ) Ouv , cité p. 164 et suivantes,
( 84 )
V

Grâce aux savantes recherches de l'érudition


moderne, personne n'ignore aujourd'hui que les
anciens astrologues de l'Orient avaient affecté les sept
voyelles de l'alphabet grec el consacré les sept jours
de la semaine, originairement lunaire (1), aux sept
Planètes visibles admises par l'antiquité, savoir :
aux deux grandes, le soleil et la lune , tout d'abord,
ensuite aux cinq petites, Mars , Mercure, Jupiter,
Vénus, Saturne .
L'ordre dans lequel je nomme ici les sept planètes
n'est pas l'astronomique, tiré de leurs distances à la
terre ou de la durée de leurs révolutions, puisque
le soleil y figure avant la lune, Mars avant Mercure
et Jupiter avant Vénus. C'est l'ordre hebdomadaire,
je veux dire celui qu'elles gardent constamment
dans la semaine de sept jours. En effet, presque
partout où ce petit cycle était en usage, sinon dans
les relations de la vie civile, au moins dans le comput
des fêtes ou cérémonies religieuses , il commençait par
le Dimanche, jour du soleil , et se terminait par le
(1 ) Cette origine, contestée par quelques savants, a été
reconnue exacte par nombre d'autres et notammentpar Ideler en
Allemagne, par Letronne en France et par Higgins en Angleterre.
L'observation des quatre principales phases de la Lune (les
syzygies et les quadratures) , aura suggéré aux peuples pasteurs
de l'Asie l'idée de partager chaque lunaison d'abord en deux
quinzaines (Pakchah ou Pakchâni en sanscrit), puis en quatre
semaines de sept jours chacune (Chab'aim ou Chab'aoth en
hébreu ).
( 85 )
Samedi, jour de Saturne ( !) , et c'est l'arrangement
que suivent encore de nos jours les chrétiens, les
israélites, les brahmanes et les bouddhistes.
Cependant l'ordre astronomique apparaît chez les
Grecs dans la série des sons vocaux qu'ils attri
buaient à ces sept astres errants , à l'imitation des
Orientaux sans nul doute, car c'est de l'Orient,
c'est -à -dire ou de l'Egypte, ou de la Chaldée ou de la
Perse, qu'étaient venues leurs premières connais
sances en astronomie. C'est de ces contrées que
Pythagore avait rapporté en Grèce son fameux

( 1 ) Nombre d'érudits, se fondant sur un célèbre passage de


Dion Cassius, XXXVII, 18, ont prétendu qu'en Egypte l'Hebdo
made commençait par le jour de Saturne et finissait par celui
du Soleil . Mais les égyptologues n'admettent que la Décade
chez ce peuple pour la longue période des Pharaons indigènes .
La semaine de sept jours y serait donc une importation étran
gère et relativement moderne : entre eux le débat. - Jean le
Lydien, écrivain du VIe siècle de notre ère, a dit que les
Chaldéens, les Egyptiens et les Pythagoriciens n'étaient en ce
point que des imitateurs de Zoroastre et d'Hydaspe et qu'ils
plaçaient Saturne au 7e jour. Voir son livre de mensibus, p. 14,
16 et 24.- M. G. Rogier s'est trompé à la suite de l'abbé
Roussier et autres, lorsqu'il a admis qu'anciennement et même
dans la nomenclature des peuples latins, la semaine de sept
jours partait de la lune et finissait par le soleil . Voir son livre
intitulé L'Antiquité des races humaines,p. 406,note B ,Paris,1864,
in - 8 °. C'est là une opinion populaire, fondée en partie sur
le système astronomique et en partie sur la substitution de la
fête chrétienne du Dimanche à la fête juive du Samedi. Chez
les Grecs le 7e jour était consacré à Apollon . Mais il est prouvé
que les Assyro- Chaldéens et par suite les Grecs des derniers
temps donnaient à Saturne le titre de soleil .
( 86 )
système de l'harmonie des nombres, des sons et des
sphères, éclairci par Platon et adopté par Kepler.
La théorie vocale que je rappelle parait avoir varié
dans son application aux sept planètes, parce que
le système astronomique a été longtemps à se fixer,
et qu'il est même resté vacillant en ce qui concerne
les positions relatives de Mercure et de Vénus (1) ,
Finalement les musiciens astrologues assignèrent
aux sept Planètes les sept voyelles de l'alphabet
grec dans l'ordre suivant , savoir : 1 ° A à la lune ;
2º E à Mercure ; 3° H à Vénus ; 4° I au soleil ; 5°
0 à Mars ; 6° r à Jupiter et 7° 2 à Saturne (2) .
On employait ces sept voyelles en guise de notes
musicales et on les faisait correspondre à l'échelle
diatonique : si, ul , rė, mi , fa , sol, la , donnée ou
figurée par l'Heptacorde ou lyre à sept cordes (3) .
C'est ce qu'on appelait l'Heptaphthongue, l'Hepla
gramme ou l'Heptaphône .
( 1 ) Voyez là-dessus ou l'abbé Barthélemy : Mémoires de l'Acad.
des Inscript., LXXX, p. 512-7, édit. in 12, ou Dupuis : Origine de
tous les cultes, VII, p . 185–92, édit . Auguis, pour ne pas citer les
écrivains plus modernes.
(2) Voyez à ce sujet Barthélemy et Dupuis, ouv. et lieux citès.
- Jean le Lydien, de mensibus, p . 14, n° 2, attribue 1 ° H à
Mercure, 2° E à Vénus, 3º Il au Soleil , 4º I à Saturne, 5° 0 à
Mars, co r à la Lune et 7° 12 à Jupiter. Je m'en tiens, après
Barthélemy, Dupuis et autres, à l'arrangement relaté dans le
texte ci-dessus, parce qu'il est plus conforme à l'ordre naturel
des voyelles dans l'alphabet et des Planètes dans le ciel .
(3) Mêmes ouv . et lieux cités. Les musiciens archéologues
peuvent y joindre les savantes recherches de Burette ,Roussier,
Delaulnaye, Th . H, Martin , Vincent, Tiron, etc. , sur l'ancienne
musique des Grecs .
( 87 )
Cette gamme musicale était toute naturelle et
devait remonter à une très-haute antiquité. Car la
" musique humaine a dû etre purement vocale
comme celle des oiseaux , et par conséquent notée
dans le langage aussi bien que dans l'écriture par
des voyelles simples, plutôt que par des consonnes
précédées ou suivies de voyelles exprimées ou
sous -entendues, autrement dit, plutôt que par des
monosyllabes (1 ).
C'est une grande question de savoir d'où
provient la différence qu'on remarque entre les
deux séries, l'hebdomadaire et l'astronomique, des
planètes, savoir :
1 ° Soleil , Lune , Mars, Mercure , Jupiter, Vénus,
Saturne,
2° Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter,
Saturne.

Une 2de question qui se rattache à la précédente,


est de savoir quel a été le peuple inventeur de la
théorie astrologico-musicale dont il s'agit et à
quelle époque elle s'est répandue de proche en
proche chez les autres peuples, car tout démontre

( 1 ) Démétrius de Phalère (Peri Hermeneias c. 71 ) s'est donc


trompé lorsqu'il a dit qn'en Egypte les prêtres avaient substitué
le son des voyelles, en raison de leur euphonie, à celui de la
fate et de la cythare. Dans l'Inde, les musiciens expriment les
sept sons, non point comme les Grecs, les Romains et les fers
chrétiens, par les sept 1res lettres de l'alphabet, mais bien par
les syllabes initiales : Sa, Ri, Ga, Ma , Pa , Dha, Ni, de sept noms
sanscrits expliqués par W. Jones, et rectifiés par M. Guigniaut
dans les Religions de l'Antiquité, I, 2° partie , p. 641-2, note 12.
( 88 )
que le système astronomique qui lui sert de base
a dû être le fruit d'un grand nombre d'observations
sidérales exécutées par quelque collège de prêtres,
à la fois astronomes, astrologues et astrolâtres.
Enfin je vois surgir ici une 3e question : celle
de savoir si la semaine de sept jours n'a pas élé
successivement lunaire, cosmogonique et planétaire, et
si elle ne dérive pas originairement du culte de
l'élément igné, du feu créateur, conservateur et
destructeur, considéré sous trois points de vue
par les anciens peuples pasteurs de l'Asie centrale,
c'est-à-dire comme brillant au ciel dans le soleil
d'abord , puis dans les étoiles du firmament et
dans les éclairs de l'atmosphère, enfin dans les
volcans terrestres en activité, ainsi que dans les
foyers de la tribu ou de la famille.
Voilà des problèmes religieux dignes d'intérêt
pour l'archéologie préhistorique . Je les ai examinés,
il y a bien des années déjà, dans un travail
spécial sur les antiques périodes septenaires, travail
lu à l'Académie d'Amiens et resté inédit . Ce n'est
pas ici le lieu ni le moment d'en faire le résumé.
Je me bornerai à rappeler dans une note, relative au
1 ', mes idées sur les trois explications que d'habiles
érudits ont données de la divergence signalée
ci-dessus entre les deux séries planétaires dont
est question (1 ).
( 1 ) Ces trois explications ont été analysées par Dupuis,
Letronne et autres et résumées en dernier lieu par Alexandre
de Humboldt dans son Cosmos, III, p . 684-90.
( 89 )

Tout le monde reconnait qu'environ deux siècles


avant notre ère, à une époque où tes les rêveries
mystiques des astrologues de l'Asie moyenne et
antérieure s'étaient propagées d'un colé dans le
monde Indo-Persique et de l'autre dans le monde
Gréco-Romain ( 1 ) , les nombrenx et dévots partisans
de la théorie astrologico-musicale dont je m'occupe
dans ce ş, s'étaient imaginé que chaque planète
rendait un son exprimé par une voyelle et que c'est
par le son de cette voyelle qu'il fallait l'invoquer à
son rang hebdomadaire chaque jour de la semaine (2 ) .
Je dis à son rang hebdomadaire, parce que , tous les
matins, les pieux musiciens faisaient résonner à la
fois les sept voyelles planétaires , en imitation des
sept musiciens célestes (3) . Car ils se figuraient que
les sept astres errants formaient un orchestre divin
ou une collection de symphonistes qui avait pour
chef le soleil . Seulement, ils prenaient le soin de
commencer chaque matin par la voyelle de la
planèle qui était censée présider au jour dans lequel
on entrait, et qui , à ce titre , était mise ce jour là à
la tête des six autres . Il va sans dire que cette

( 1 ) Voyez là-dessus les observations de MM . Biot père et


Alfred Maury dans les Mémoires de l'Académie des Sciences, XXII ,
, p . 225-7 et 267-8 .
(2) Voir à ce sujet l'article Planètes de l'Origine de tous les
cultes, VII, p. 184-222 , et plus particuliérement p . 215-8 .
(3) Cela résulte des textes de Démétrius de Phalère, de
l'oracle de Claros et de l'inscription de Milet dont je parlerai
tout-à-l'heure .
( 90 )
ritournelle planétaire variable, au moins d'un jour à
l'autre, n'excluait pas les préludes ou modulations
préliminaires, consistant soit à suivre un autre
ordre dans l'arrangement et l'émission des sept sons,
soit à n'en faire résonner que deux ou trois ou
quatre, ainsi qu'on le verra plus loin .
Le solfiement dont est question avait lieu tous les
matins au lever du soleil . Il est très probable qu'il
se répétait une 2de fois à midi , lors du passage de
cet astre au méridien , et une ze fois le soir à son
coucher. C'est le soleil, en effet, qui, durant sa
carrière diurne, éclairait, échauffait, vivifiait les trois
mondes du ciel , de l'atmosphère et de la terre . C'est
lui qui , placé au centre, donnait le ton aux six
autres musiciens célestes. Nous voyons par les
hymnes védiques que les poètes du Sapta -Sindhou
le faisaient triple sous le nom composile Agni- Vayu
Sürya ( Agni-feu pour la terre, Väyu -air pour
l'atmosphère, Sürya -soleil pour le ciel), qu'ils lui
consacraient en plein air, et plus tard dans leurs
habitations, trois foyers, places, le 1er à l'Est, le 2d
au Sud et le 3e à l'Ouest, et que là ils lui offraient
sept libations à chacun de ces trois instants du
jour ( 1 ) . D'un autre côté, les auteurs grecs nous

( 1 ) Le Rig Veda y fait maintes fois allusion, et le Code des


lois de Manou montre que ces usages se sont perpétués dans
le Brahmanisme postérieur à la période Védique. Ces trois
stations journalières du soleil portent en sanscrit le nom de
Savanas et l'astre lui-même celui de Savitar, du radical Su ou
Sů a verser, répandre, épancher » , puis, par métaphore,
( 91 )

apprennent qu'en Egypte les prêtres d'Osiris


offraient de l'encens à ce dieu trois fois par jour

engendrer, produire , enfanter » , significations que j'ai déjà


cru reconnaitre dans l'antique radical Yah.- Les trois sacrifices
quotidiens dont est question peuvent servir à expliquer la
divergence, signalée ci-dessus, entre la série astronomique et
la série hebdomadaire des sept planètes. En effet, supposez que
le dimanche soit consacré au soleil, vous aurez ce jour là pour
fer terme de la ritournelle planéiaire , savoir : au matin le soleil,
3

à midi Vénus (en descendant la série astronomique), et au soir


Mercure, de sorte que les fers termes pour le lendemain seront :
au matin la lune, à inidi Saturne (en reprenant la série par le haut)
et au soir Jupiter, ce qui vous donnera pour le surlendemain ,
savoir : au matin Mars, à midi le soleil et au soir Vénus, et
pour le 4e jour, au matin Mercure, à midi la lune et au soir
Saturne , d'où la ritournelle du matin , pour les trois jours
suivants commencera la fere fois par Jupiter, la 2de par Vénus et la
3€ par Saturne.-- Du reste la théorie astrologico -musicale dont
il s'agit est trop savante et trop compliquée pour qu'on puisse
la faire remonter aux âges primitifs . – Notons à ce sujet que
parmi les sept ou huit séries planètaires que j'ai recueillies
dans les écrivains de l'antiquité, il en est une qui case les
planètes dans le ciel absolument comme dans la semaine. On
la trouve, 1 ° dans les Puranas Hindous (Voir le Vichnu Purana ,
tradon Wilson, p . 83 et 228 . Colebrooke, Miscellaneous essays ,
1 , p . 153-4 et II , 363 n 2 et p . 415 — Creuzer et Guigniaut ,
Religions de l'antiquité, p. 251 et suiv ., 2° dans quelques auteurs
grecs ( Voir l'Origine des Cultes, VII, p . 185-6 . ) et dans divers
monuments celtiques ou germaniques ( Voir Schlègel , ind. Bibl. ,
II , p . 179, de Bohlen , das alte indien , 1, p. 247,etCourt de Gebelin ,
Histoire du calendrier, p . 580-2 ). Elle est le fruit de l'ignorance
sans contredit . Mais elle pourrait bien remonter plus haut que
le système astronomique et avoir servi de fer canevas à la série
hebdomadaire p ! utôt que d'être une application fautive de ce
système.
( 92 )
au matin, à midi et au soir ( ! ) . Il y a bien de
l'apparence que ceux d’Adonis en Phénicie et dans
le Liban, ceux de Bel en Chaldée et en Assyrie ( 2 )
et ceux de Mithra en Perse agissaient de même, et
par les mêmes motifs, envers ces trois dieux solaires,
également qualifiés du titre de lahð ou lad dans le
gnosticisme. Bien que le Pentateuque ne parle que
de deux sacrifices journaliers à Jéhovah ,pour le matin
et le soir , j'incline à penser que les Juifs polythéistes
en pratiquaient un 3e à l'heure de midi en l'hon
neur de Baal (3) . L'idée était si naturelle que, bien
les siècles plus tard , l'Eglise catholique a institué
ses trois Angelus quotidiens, sonnés et récités matin ,
midi et soir , en commémoration de la venue en ce
monde du soleil de justice, de gråce et d'amour,
du rédempteur des âmes, appelé Jésus, du nom de
son père céleste, en vieil hébreu Thuchu'a « Jého
vah - Sauveur » , ou , selon moi , « fils --Sauveur » (1) .

9 ) Voir les indications fournies par MM. Birch et Chabas


dans la Revue archéologique, XIV , p. 78, et p . 456, et surtout le
Traité de Iside et Osiride attribué à Plutarque.
(2) Daniel , VI, 10 et 13,le déclare, ainsi que le Fihrist extrait
par de Hammer dans le Journal asiatique, 3° série, XII, p. 249-50.
(3) Cela me parait résulter de l'histoire des démêlés du
prophète Elie avec les prêtres de Baal , voir l Rois, XVIII, 26 et 29.
(4) Voyez St Matthieu, I , 21 , et S. Luc, 1, 21-8, et sur le titre
de Soleil de Justice donné au Messie, d'abord le prophète
Malachie, ch . IV, 2, puis Jablonski , de origine festi natw . Christi
dissertatio, in Opuscul., III, p . 346 et suiv, et ibi Te Water ; enfin
Creuzer el Guigniaut, Religions de l'antiquité, I , 20 part. p . 361
3 et 401-2 .
( 93 )
Toutefois il parait qu'en Palestine, sinon avant ,
du moins après l'exil babylonien ,les pieux Jéhovistes
honoraient leur dieu non pas seulement trois fois,
mais bien sept fois par jour . Cela du reste
n'aurait rien d'étonnant, car le nombre sept était
aussi sacré chez les Hébreux que chez les Aryas .
A ce titre il figure aussi fréquemment dans la
Bible que dans le Rig-Véda. Un psaume alpha
bétique par acrostiches porte en propres termes
sous la lettre Çin ou Chin : « Je te célébre sept fois
par jour à cause de tes jugements équitables », et
quelques versets auparavant sous la lettre ( oph , il y
est dit : « Je précède l'Aurore pour ( te) supplier,
et j'espère en la parole . Mes yeux s'ouvrent
avant (la fin des) veilles (de la nuit) , pour
m'entretenir de tes décrets ( 1 ) . Ces trois versets
indiquent qu'à certaines heures de la nuit les
dévots se réveillaient pour louer Jéhovah, comme
ils le faisaient à diverses heures du jour, et qu'ils
proféraient ce nom sept fois par Nykthémère, et par
conséquent 49 fois par hebdomade, en sorte que
la 50 % fois aurait commencé par le fºr jour de la
semaine suivante, c'est-à -dire par le dimanche ( 2 ).

( 1) Psalm . CXIX , p . 164 et 147-8.


( 2) Il n'échappera pas au lecteur que ces nombres concordent
avec ceux des semaines de jours, de mois et d'années simples
ou septuples du calendrier juif. Par exemple, la Pentecôte
venait le 50e jour après Pâques et le Jubilé la 30° année après
sept périodes sabbatiques, c'est-à - dire la 1re après 7 fois 7 jours,
et la 2de après 7 fois 7 ans.
( 94 )
Mais ce Psaume étant jugé postérieur au retour de
l'exil babylonien ne serait pas d'un grand poids
dans la question de savoir si les payens avaient
calqué leurs heptagrammes planétaires sur ces
récitations quotidiennes et judaïques en sept lettres
du nom quadrilitère, quel qu'eût été le nombre
des uns et des autres : car, d'un côté , les juifs
d'alors ne prononçaient plus guère ce nom divin,
et, de l'autre, les ritournelles païennes me paraissent
remonter plus haut. Aussi les partisans de la
lecture Jehovah préférent- ils s'appuyer sur d'autres
textes bibliques répulés plus anciens .
Ces textes sont : d'abord le Psaume Cæli enarrant
gloriam Dei attribué à David , dans lequel le roi
prophète fait évidemment allusion à l'harmonie
des sphères (1) ; puis un verset du prophète Amos
portant que c'est Jehovah qui batit ses étages
dans les cieux (2) ; ensuite trois autres versets de
Zacharie déclarant que les sept yeux de Jehovah
vont par toute la terre (3 ) ; enfin les détails donnés
par le livre de l'Exode sur le chandelier d'or à
sept branches, placé dans le sanctuaire près de
la table des douze pains de proposition (4), détails
( 1 ) Ps. XIX, 1-5 — l'expression caractéristique est le mot
hébreu Qum « Sonus eorum » , Septante phthongos, Symmaque
ékhos. Voyez Gésénius, Thesaur ., p. 1'20 B, – Ewald; Poet Bücher
II , p. 28, --S. Cahen ; La Bible in loco, et même Bähr, Symbolik
des Mosaischen cultus, I , p . 191 .
( 2 ) Amos IX, 6.
(3 ) Zacharie , III, 9 et IV , 2 , 10 .
(4) Exode, XXV, 31-9, et XXXVII , 17-24 .
( 95 )
qui, au jugement des doctes, se rapportent les
uns aux sept planètes et les autres aux douze
signes du zodiaque dans lesquels elles avaient
leurs domiciles suivant l'astrologie orientale (1).
A ce sujet, rappelons en passant que le psaume
davidique cité tout à l'heure ajoute à son tableau
des cieux dont la voix se fait entendre partout ,
que le dieu-fort ( hébreu Al) a posé en eux une
tente pour le soleil et qu'immédiatement après il
dit de celui- ci : «« El lui (hébreu uhua) , comme
le nouvel époux sortant de sa couche nuptiale,
se réjouit comme le héros pour parcourir sa
carrière. Il part de l'extrémité des cieux et son
circuit (s'étend) jusqu'à leur (autre) extrémité .
Rien ne résiste à sa chaleur » (2). La Vulgate ,
par méprise ou de propos délibéré, traduit : « in
sole posuit tabernaculum suum » . Elle imite ainsi
tout- à - la -fois et la kabbale judaïque et le gnosti
cisme oriental . On sait que la 1re considérait le
grand astre comme le représentant visible de
l'Ain - Suph ou de l'infini, nom par lequel elle
désignait le Jehovah de la Bible , et que le 24

( 1 ) Philou , Josephe, Clément d'Alexandrie, Origène et même


Si Augustin ont reconnu d'une manière plus ou moins explicite
que les 12 fils de Jacob n'étaient pas sans rapport soit avec les
12 signes du zodiaque, soit avec les 12 soleils mensuels de
l'annee, et à l'appui de leurs interprétations, on peut citer
plusieurs textes du Pentateuque, entre autres, Genèse, XXII ,
20-4 ; XXVIII, 12-3 ; XXXVII, 9-11 ; et XLIX tout entier.
(2) Ps. XIX , 4-5.
( 96 )
identifiait généralement son lað « soleil'intellectuel »,
ou « lumière intelligible » , avec le Pater agnòstos ou
« Père inconnu » , avec celui-là même auquel l'oracle
de Claros faisait dire : « sept voyelles me célèbrent,
moi, dieu grand et immortel , père infatigable et
éternel de toutes choses. Je suis l'impérissable
heptacorde qui règle le mélodieux concert de la
rotation céleste » ( 1 ) .
Il résulte des deux passages d'Eusebe, indiqués
à la note précédente et relatifs au concert harmo
nique des sept cieux , que ce Père de l'Eglise
considérait les ritournelles planétaires des Grecs
comme des emprunts faits au Tétragramme hébraïque.
Il le dit même en termes très -formels dans l'un des
deux , à propos des prétendus mystères de l'alphabet
qu'il développe à l'exemple des Kabbalistes, des
Gnostiques et des Néoplatoniciens . De là le système
Jéhoviste dont j'ai maintenant à parler dans ce
paragraphe.
Plusieurs exégètes de renom , en tête desquels
je place Matthias Gesner , à titre de vulgarisateur,
se sont prévalus de l'opinion émise par l'évèque

( 1 ) Dans Eusébe, Præpar. evang., p. 519-20 . Comparez ibid,


p. 202, ed. Viger.- En s'avançant plus loin vers l'Asie centrale.
on trouve aussi cette identification du soleil avec l'Etre-suprême,
par exemple en Assyrie, en Perse et dans l'Inde. Aussi le Rig
Veda contient-il plus d'un hymne où Sürya a le soleil » se
confond avec Pradjapati « le Seigneur de la création » et où
sa course journalière est décrite en termes presque identiyues
à ceux du Ps . Cæli enrrrant gloriam Dei.
( 97 )

de Césarée pour soutenir que la lecture lehôoua


ou Jehövâh était très -ancienne en Israël ; que

c'était même l'antique et véritable prononciation


de ce nom quadrilatère ; qu'elle s'était conservée
parmi les rabbins après la destruction du 2e temple
de Jérusalem , et que la massore de Tibériade

n'avait fait au fond que l'adopter dans sa manière


habituelle de ponctuer ce nom divin . Quelques

uns ajoutent même qu'elle avait pu en agir


ainsi saas crainte et sans scrupule, parce que ,

depuis plusieurs siècles, l'usage était de remplacer


Thuh par Adni dont la ponctuation était à très
peu près la même (1 ) .

Voici en abrégé comment les Jéhovistes en


question essaient de justifier philologiquement leur
hypothèse, à défaut de preuves historiques .
Comme les nombreuses combinaisons de voyelles

planétaires qu'on lit dans les monuments du


gnosticisme oriental qui sont parvenus jusqu'à

nous, ne présentent pas celle dont ils ont besoin (2) ,


ils conjecturent que pour le 7e jour de la semaine ,

( 1 ) Revoyez là-dessus le P. Souciet et le cher Drach , ouvrages


et lieuz cités précédemment .
(2) On aurait pu s'attendre à la trouver sur l'inscription
grecque découverte dans les ruines de la ville de Milet en lonie
et savamment expliquée au siècle dernier par l'abbé Barthélemy
dans les Mémoires de i’Acad. des Inscr. , T. XLI , in -4° ou LXXX ,
in-12. Malheureusement, des sept colonnes qui la composaient,
la 7e et la plus importante, celle de Saturne, manque
complètement par suite d'une rupture de la pierre gravée.
( 98 )

c'est- à -dire pour le jour du Sabbat, consacré à


Saturne par les païens et à Jehovah par les Juifs,
ceux -ci avaient adopté une formule expressive
et caractéristique du dieu suprême, celle de Thuh +
hua, composée de Thuh « Jehovah » , et de Hua
« Lui » ou « l'Être » par excellence, et articulé
ou Ieho-oua ou leo -Houa par suppression soit de
l'aspirée finale du 1er terme, soit de l'aspirée initiale
du 2d , l'écriture hébraïque n'admettant pas
volontiers le redoublement d'une même lettre
dans le corps d'un mot simple ou composé et le
remplaçant d'ordinaire par un signe diacritique,
appelé Daghesch dur par les grammairiens .
Dans ce système, il eût été mieux, ce me semble,
de substituer au composé hypothétique Thuh + hua,
celui de Ih + huh a Yah étant » ,ou « Yah existant » ,
pour : C'est Yâh ou Yah est , en remplaçant le futur
du verbe substantif par le participe présent. Ce dernier
composé se serait prononcé Yâh -hôvâh, puis Yehovah
par changement du 1er point-voyelle à en e bré
vissime avec suppression de l'une des deux aspirées
du milieu et maintien de celle de la fin . La
lecture ou prononciation Yehövâh rappellerait
ainsi , pour le fond de l'idée, le panthéistique lao
tant de l'Oracle de l'Apollon de Claros que des
gnostiques Basilidiens, dieu qualifié par l'un Abros
Iað et par les autres lað Abraxas ou Abrasax (1 ) ,
( 1 ) Ce nom d'Abraxas ou d'Abrasax est encore une énigme.
Voy. J. Matter, Histoire du gnosticisme, II , p. 46-58, 4ro édit.
- Movers cite, d'après Selden , des amulettes gnostiques portant
( 99 )
et elle conviendrait d'autant mieux à la désignation
dieu d'Israël que les sémites du voisinage identi
fiaient ce dieu avec leur Belitan ou Bel l'ancien,
autrement dit avec le vieux Saturne casé par les
astrologues tantôt dans notre soleil, tantôt dans
la plus haute des planètes, dans le soleil de l’Empyrée
qu'ils nommaient El- Elion « le Dieu Très-Haut » (1 ) :
idées admises par les Juifs eux -mêmes, puisque le
Psalmiste dit à Ihuh : « Tu as établi Elion pour
ton refuge » (2) .
Rappelons à propos de cette hypothèse philologique,
un certain passage déjà cité du Guide des égarés
dans lequel Maïmonide raconte que les Talmudistes
(du 2nd au 6° siècle de notre ère) , agitaient entre
eux la question de savoir si l'une des quatre

Ab- rabba -dabra qu'il interprète par « Der gross vater des Logos »
( Die Phænizier I, p. 264), puis il rend Abracas, par « die grosse
sieben » , comme formé du sémitique Ch b'a rba (ibid . p. 553),
lu de droite à gauche. Mais, outre qu'il supprime un b, il
n'obtient ainsi qu'une finale ch, au lieu de cas ou saz . Le mot
l'extrait traduit par M. Dulaurier dans le Journal asiatique, ix,
4. série, p. 545, ou la traduction du livre entier par Schwartze,
édit. Petermann, aux pages 224, 228 et 233, Berlin 1857 in -8 °.
hébreu Ksa ou Ksh a lumière, pleine-lune », ne conviendrait -il
pas ici ? On aurait alors Pater magnus ou magui luminis, en se
rappelant ce passage de la Pistis Sophia : a Jésus ajouta :
laphistha etc., etc. Car je connais le nom du père du trésor de
la lumière, et en même temps, élevant la voix, il s'écria :
C'est Aberanenthôr, proclamant ainsi le nom ineffable » . Voyez
(1 ) Voy. Movers, ow. cité, p . 254 et suiv. - Comparez Genèse
XIV, 19-22 .
(2) P3. XII, 9.

286303
( 100 )
lettres du Tétragramme ne devait pas etre
redoublée dans la prononciation ( 1 ) . Je conjecture
qu'il s'agissait de son h médial, ainsi que je
l'explique dans la note ci-jointe (2 ).
Je ne m'arrête pas d'ailleurs aux objections
lexicographiques qu'on a faites au système de
Matthias Gesner et consorts , et que l'on tirait de
la différence quant aux voyelles entre les alphabets
( 1 ) Voir la tradºs de feu S. Munk , 1 , p . 273 , ou le Thesaur. de
Gésénius, p. 577 A.
(2) Selon les règles ordinaires de la ponctuation massoré
thique, il n'y avait dans ce non divin que la fre lettre I ou la
3e U qui fussent susceptibles de redoublement. Or, si nous
supposons que ces vieux grammairiens exégètes considéraient
Ihuh comme un mot composé à l'aide des deux racines Ih et
huh juxtaposées, n'est-ce pas sur le h médial que portait la
question? On a vu que je prends Ihuh pour un simple dérivé
d'un radical perdu Ih, ponctué Yah, avec addition du suffise
uh . Je n'ose pas supposer que les Talmudistes dont parle
Maimonide allaient si loin que moi , car ils paraissent n'avoir
vu dans le qualificatif Ih qu'une syncope du Tétragramme
Ihuh; mais ces questionneurs, tout en ne songeant qu'au radical
conservé huh, ponctué háváh au parfait et hovah au participe
présent, ne faisaient- ils pas allusion à ce participe hôváh ? ne
le supposaient- ils pas ajouté au fer terme Ih (pour Ihuh ), à titre
de développement ou pour mieux dire d'explication ? Dans cette
hypothèse, ils se seraient demandé si, par exception , l'on ne
devait pas appliquer au h médial de Ihuh le daghech redoublaut
appelé Techdid en arabe. L'auteur de l'harmonie entre l'Eglise
et la Synagogue, I, p. 375, semble incliner ici pour le Daghech
Mappik ou corroboratif qui, à la fin d'un mot, communique à
la lettre qui le reçoit un son plus fort sans la redoubler, et par
suite vouloir l'appliquer au 24 h. Mais le texte de Maimonide ne
me paraît pas se prêter à cette supposition. La mienne n'est
pas entrée non plus dans l'esprit de ce rabbin. Je ne la donne
que pour ce qu'elle vaut, n'ayant à l'appuyer que sur l'hypo
thèse de Ih + Huh, analogue à celle que j'ai admise au ch. I,
$ 6, luha, une leçon Taoui des Stromates de Clément d'Aler
andrie à propos du labe Samaritain .
( 101 )
gréco - egyptien et phénico-hébreu ( 1 ) . Elles sont
aujourd'hui sans valeur ou du moins sans portée (2 ).
Les Grecs n'étaient pas ici des inventeurs , mais
des copistes de la théosophie orientale ; leurs
auteurs en conviennent et s'en réfèrent soit aux
Egyptiens, soit aux Chaldéens, soit même aux
Perses (3) . Nous venons de voir qu'Eusébe de
Césarée en appelait aux Hébreux, et je crois
qu'il n'avait pas tout à fait tort . Selon mes
conjectures, il ne lui manquait que de remonter,
sinon aux Aryas du Sapta - Sindhou , du moins aux
Brahmanes de l'Inde, leurs successeurs , qui pos
sédaient l'alphabet le plus complet que l'on ait
découvert jusqu'à ce jour. Les Grecs n'avaient
fait qu'imiter ici les théories orientales , et j'oserai
en dire autant des Egyptiens -Coptes. Il me semble

( 1 ) Gésénius les avait adoptées dans son Thesaur., p. 578 A,


après Didyme de Turin . Alexandre de Humboldt ( Cosmos, III ,
p. 691 , n. 57) cite aussi dans ce sens Zoega, Lobeck, Tælken ,
et Ideler fils.
(2 ) Notre illustre égyptologue, M. le vicomte Emmanuel de
Rougé, a montré dans plusieurs lectures récemment faites
à l'Académie des Inscript. et Belles-Lettres dont il est un
des membres les plus éminents, que l'alphabet dit phénicien
avait été formé à l'aide de divers signes phonétiques empruntés
aux écritures égyptiennes, thèse que M. Fr. Lenormant vient
de reprendre après feu M. Charles Lenormant, son père, et
de développer dans un mémoire couronné par la même
Académie et en cours de publication.
(3) Dion Cassius tenait pour les Egyptiens et Jean le Lydien
pour les Perses . Il me semble que les Assyro -Chaldéens
auraient plus de droits à l'invention.
12
( 103 )
( 102 )

que les uns et les autres s'étaient bornés : l'à proccuper de sa composition, je veux dire de

:
remplacer le He sémitique par leur voyelle Hie lingue etymologique de sa désinence.En effet,
i le verbe Huh « étre, exister » , ni le pronom
2 ° à scinder le Wau, prononcé Ou , en deur
hur lui ou l'Ètre v , ne révèlent la forme lhuih
voyelles 0 et U, parce que le He final de Thuh
a Thui, avec ou sans h final. Dans la Bible, Hui ,
étant réputé quiescent , ils ne pouvaient le compler
vectué Hói, ne figure que comme une interjection
pour signe du 7e son de la gamme harmonique ,
aprimant ou la menace, ou la douleur , ou l'exhor
et 3 ° à employer leur 0 méga en place de la
ution ( latin væ , heu , heus ). C'est une pure
linale ale ou uh à l'exemple des Phéniciens,des
Perses et des Indiens (1). De telle sorte qu'en avmatopée qui parait n'avoir rien à faire ici, à moins

définitive, entre leurs nombreuses combinaisons de supposer que Jehovih ou Yehöuih aurait
şübhe ori gin air ement, on Yaho - Hélas ! ou Yahd
voyelles planétaires , ils obtenaient notamment la
modulation approximatire IEOUA HO qui figure !on Yaho hé ! ou Yaho-heu ! ou Vaho-hola ! (1)

sur le monument de Milet, en tête de la 1" colonne significations, par parenthèse, rentreraient
squ'à un certain point dans l'explication que
consacrée à la Lune (2 ) umbre d'hébraisants donnent de la finale lh du
En restant sur le terrain de la philologie, on
pourrait demander aux partisans de la lecture Aragramme ainsi ponctué lorsqu'il se trouve

Jehovah pourquoi ils laissent entièrement à l'écart compagné d'Adonär, mais elles ne la fortifieraient
la ponctualion Jéhovih . Elle est, il est vrai, plusskre. Aussi la plupart des grammairiens et des
rare dans la Bible que la précédente. Cependant ligétes,tant anciens que modernes, trouvent-ils
les is simple, plus exact et plus vrai de tirer la
on l’yrencontre assez de fois pour que
peetuation Jéhovih de celle d'Elohim , comme la
Jéhovistes en question aient dû, à mon avis, se
sactuation Jehöräh de celle d'Adonai .
vu qu'en sanscrit Yahuh et Yanvah ont
pour
( 1 ) vocil,
Nous l'un Yahó et l'autre Yahvô. Il en est de même de
avons Pontefois
, s'il m'est permis de faire ici une
Yahah, dont je parlerai bientôt, son vocil étant identique à kilte escursion dans le champ des langues
celui de Yahuh . — A l'égard du Phénicien, voyez,outre les
Monum . Linguæ Phæniciæ deGésénius, p . 434 et440, les obser
vations de Sarchi, Nouv. gram . hébraique, p . 17-20, sur le gn valentinie
3)Cest ce dernier sens que les ostiques ns
stres donnaient au mot lao lui même dans leurs rêveries
double son du point-voyelle appelé Kámets, qui valaité ou
e la chute de la Sophia - Akhamóth que l'Eon Horos retint
0 (pour
2 ) Revoir
au. la planche n ° 3 du Mémoire cité de l'abbé
li plér cri h
luukz,scon.micitetés,duII, p. 1ô28me e. n lui ant lað « alte là » . Voir
Barthélemy, T. XLI, in -4 °, p . 520, ou T. LXXX, in -12, p. 522. -9
( 103 )

préoccuper de sa composition , je veux dire de

l'origine étymologique de sa désinence . En effet,


ni le verbe Huh « étre , exister » , ni le pronom
Hua « Lui ou l'Être » , ne révèlent la forme lhuih
ou Thui , avec ou sans h final. Dans la Bible , Hui ,

ponctué Hòi, ne figure que comme une interjection


exprimant ou la menace , ou la douleur , ou l'exhor
tation ( latin væ , heu , heus ) . C'est une pure
onomatopée qui parait n'avoir rien à faire ici , à moins
de supposer que Jehovih оu Yehöuih aurait

signifié originairement , ou Yaho -Hélas ! ou Yaho


hn ! ou Yaho hé ! ou Yaho -heu ! ou Vaho - holà ! ( 1 )

Ces significations, par parenthèse, rentreraient


jusqu'à un certain point dans l'explication que
nombre d'hébraïsants donnent de la finale lh du

Tétragramme ainsi ponctué lorsqu'il se trouve


accompagné d'Adònâï, mais elles ne la fortifieraient

guère . Aussi la plupart des grammairiens et des


exégètes , tant anciens que modernes, trouvent-ils
plus simple , plus exact et plus vrai de tirer la
ponctuation Jéhovih de celle d'Elohim , comme la
pouctuation Jehovah de celle d'Adônđi.

Toutefois, s'il m'est permis de faire ici une


petite excursion dans le champ des langues

(1 ) C'est ce dernier sens que les gnostiques valentiniens


et autres donnaient au mot lao lui même dans leurs rêveries
sur la chute de la Sophia - Akhamóth que l'Eon Horos retint
dans les limites du plérôme en lui criant lað « halte là » . Voir
Matter, ouv . cité, II, p . 128-9 .
( 104 )
aryennes, j'oserai conjecturer qu'à une époque
indéterminée le sanscrit avait pu passer par là.
On trouve dans les hymnes védiques deux
qualificatifs Yahvah masc . , et Yahvi féminin , qui
ont la même racine que le titre Yahuh ou Yahồ
d’Agni, et qui font au pluriel , l’un Yahrah
« les écoulements, les fils ? » , et l'autre Yahvih
« les effusions, les filles? » . Le 2d pluriel, précédé
de Saplan , a sept » , sous la forme Sapta -Yahvik.
Ggure dans le Rig- Véda comme synonyme de
Sapta -nadih « les sept rivières » (1 ) soit de la
terre , soit de l'atmosphère , soit du ciel . Ces
Sapta -Yahvih au fém , appellent ou supposent au
masc . des Sapia Yahvâh répondant aux Sapta
Sindhavah « les sept fleuves » qui arrosaient la
contrée des Aryas et lui avaient valu le nom
populaire de Sapta Sindhu , en zend Hapla Hindu ( 2).
Maintenant tirons les deux pluriels en question ,
non point immédiatement du radical Yah , mais
de son dérivé Yaha, n " Yahah ou Yahô « eau » ,
ou « force » , selon le Nighantů (3) et faisons -le
suivre des suffixes pluriels, m . Vâh , f. Vih , signi
fiant « doués de ou possedant » , il nous sera facile
d'en déduire les formes sémitiques Yahávâh et
Yahâvih d'un côté, et de l'autre celles de Yahovah

(1 ) R. V. A. 1, 32, 12 ;-34, 8-35, 8 ; 35, 8 ;-71, 7 ;-102, 2.


(2) Sur les sept fleuves, voy. mon opuscule du Berceau
de l'Espéce humaine, p. 51-53 .
(3) I, 9, et II, 12.
-

-
( 105 )
et Yahovih, dieux ou déesses a possédant l'eau ou
la force » , comme les phénomènes de l'air ou du
ciel , tels que vents et nuées, éclairs et tonnerres, et ,
de les appliquer à Jéhôvâh ou à Jéhovih, en les
prenant pour des pluriels de majesté applicables à
un dieu unique , car les hébraïsants nous apprennent
que le point-voyelle Kamets exprime en hébreu
l'à chez les Juifs portugais et espagnols, et l'o
ou l'o chez les Juifs polonais et allemands (1 ) .
Dans cette hypothèse, le Tétragramme hébreu
ainsi allongé en Heptagramme, nous rappellerait,
d'un coté , l'Heplagrammaton Sarapin des Egyp
tiens (2) , et de l'autre le lað Abraxas ou Abrasax
des gnostiques Basilidiens, dieu panthéistique
comme Sérapis et comme l'Abros Tað de l'oracle
de Claros, dieu universel qui dit : sept voyelles
me célèbrent etc. , etc. En effet, si c'est trop
s'aventurer avec Movers que de prendre l'énig
matique Abraxas, pour une transposition altérée
de Chb'a rba « le grand sept » , il n'en est pas
moins vrai qu'il répond, d'une part, aux Chb'auth
« les sept » , des Chaldéens, et de l'autre à
l'Heplaktis « à sept rayons » , des Grecs (3) , et
de plus, qu'il a son type ou son adéquat dans le
( 1 ) Sarchi , Grammaire citée, p . 17-20.
(2 ) Voir Creuzer et Guigniaut : Religions de l'antiquité, I,
p. 408 ; 2 ° Theologumena arithmetica , p. 41-53, édit. Ast. , 3.
Joh . Lydus ; de mersibus, p . 26-32 et 40, et 4° les mémoires de
Villoteau et de Jomard dans la description de l’Egypte, antiquité.
(3) Ouv. cité . I , p . 552-3.
( 106 )
Saptartchi des Bråhmanes, signifiant a doué de
sept rayons » , c'est- à-dire dans Agni , à la fois feu
celeste , feu aérien et feu terrestre, en même temps
que créateur, conservateur et destructeur (1 ) .
Quelles qu'aient été l'origine ethnologique et la
première signification du mystérieux titre Abrazas
ou Abrasax employé par les gnostiques basilidiens
pour qualifier ou caractériser leur lieu panthéis
tique lað, l'application qu'ils en faisaient aux divers
noms ou aspects du soleil , jointe à ces deux particu
larités qu'ils le composaient de sept lettres et lui
donnaient pour valeur arithmétique le nombre
365 (2), porte à penser qu'ils le rattachaient tant à
l'abros lao de l'oracle de claros en lonie et à l'Abros
Adonis de Bion et de Proclus, qu'à l'Helios Heptaktis
du même Proclus, de Damascius et de l'empereur
Julien (3) . Je n'hésite donc pas à ajouter pour com
( 1 ) Il n'y a rien qui se présente plus fréquemment dans les
hymnes du Rig -Véda que l'image des sept rayons du soleil,
de la lumière ou du feu : elle y est exprimée de mille manières
sans y être jamais rapportée ostensiblement au soleil, à la
lune et aux quinque Stellæ errantes des auteurs grecs et latins.
Les poëtes Aryas ne paraissent pas avoir distingué les cinq
petites planètes des autres étoiles du firmament, je veux dire
avoir connu leurs mouvements propres. Du reste, la vue des
sept couleurs de l'arc -en -ciel a dû suggérer de bonne heure
aux pâtres du Sapta Sindhou l'idée de la lumière décomposable
en sept rayons : de là leurs jeux de mots perpétuels sur ce
nombre sacré et sur ses multiples, tels què 14, 21 , 28, 49,
63, etc.
(2) Voir là-dessus J. Matter, ouv . citė, II , p. 46-58 , avec les
planches y relatives .
(3) Dans Movers, die Phænizier, I , p. 542-52 .
( 107 )
plément le titre sanscrit Saptartchih « à sept rayons,
à sept clartés, à sept lumières, à sept splendeurs,
que les anciens commentateurs indiens du Rig.
Véda donnaient à leur triple Agni (4).
Je ne puis ni ne dois entrer ici dans les déve
loppements que nécessiterait l'exposé complet de
ces rapprochements mythologiques . Ils m'écarte
raient trop de mon sujet actuel . Obligé de me res
treindre, je laisserai d'abord de côté le nombre 365
qui fait allusion à la durée de l'année vague des
Égyptiens, pour m'en tenir au nombre sacré de sept
qui joue un si grand rôle dans toutes les religions de
l'antiquité . Et même, comme l'application de ce
dernier aux sept planètes est connue de tout le
monde, je ne releverai guère ici que celle beaucoup
moins remarquée qu'en ont faite les anciens peuples
de l'Orient aux sept étoiles de la grande-Ourse ou
du grand chariot, appelé dans nos campagnes cha
riot de David .
Cette belle constellation du nord, qui ne se
couche jamais , était en grande vénération chez les
antiques pasteurs de l'Asie centrale.
Dans le Sapla sindhou on l'appelait saptarikchâs ,
a les sept étoiles » Saptarichyas ou Saptarchayas
« les sept Richis » , ou « voyants » ; on les mettait en
relation mythique, d'un côté , avec les sept rayons
d'Agni , de l'autre avec les sepl premiers patriarches
(4) Voyez à ce sujei Langlois, Rigv ., 11 , 253, n . 24 , et Néve ,
Essai sur le mythe des Ribharns, p . 306 .
( 108 )

ou Richis humains, réputés souches des sept familles


primitives de la race aryenne en même temps
qu'adorateurs du feu dont ils portaient les divers
noms, aussi bien que les célestes Richis du pole
septentrional.
Notons au sujet de ces diverses qualifications,
1 ° que Rikeha (
étoile » signifie également Ours
en sanscrit, et qu'en hébreu le mot 'Aich ou 'Ach
désigne l'astérisme de la grande-Ourse, Sidus Ursi
dans Job , 2° que les poètes Aryas personnifiaient
les sept rayons d’Agni sous les noms 1 ° de Saplaraç
mayas « les sept rênes ou les sept guides » , 2°
de Saplarichayas « les sept splendeurs » et 3º de
Saplarchayas « les sept Richis - par un jeu de mots
facile à concevoir (1 ) ,
Les derniers chantres du Rig - Véda insinuaient
qu'à l'origine des choses Viçvakarman , l'universel
créateur, après l'accomplissement de son @uvre,
avait fixé dans les Saptarikchâs du Nord les sept
rayons avec lesquels il venait de créer les trois
mondes, rayons qui ne faisaient qu'un avec lui (2) .
Là il n'y a encore aucune allusion au système des
sept planètes · les Hindous paraissent ne l'avoir

( 1 ) Sur tout cela , voyez, outre Langlois et Nève déjà cités,


1º A. Maury, Croya uces et légendes de l'antiquité, p . 137-8; 20 Max
Müller, A History of ancient sanscrit Literature, p . 379 et suiv., et
3° le même, Nouvelles leçons sur la science du langage, p. 361-6 du
texte anglais, ou II , p . 82-5 de la tradon française.
(2) Comparez dans le R V. Langlois, I, 450, 1-2 , et IV , 178,
15. – 423 , 11 , etc. , etc.
( 109 )
connu que beaucoup plus tard . Les prêtres des
bords du Tigre et de l'Euphrate, livrés à l'observation
des astres , étaient plus avancés sous ce rapport .
Toutefois, quand on compare les Saptarchayas
célestes des Aryas avec les sept Amschaspands des
Perses, avec les sept anciens Elahim des Assyro
Chaldéens, avec les sept Cabires des Phéniciens et
des insulaires de Samothrace , et même avec les
sept Kokabim des cabbalistes Juifs, on est bien tenté
de croire que, dans l'origine, tous ces dieux ignés ou
lumineux des espaces célestes s'étaient rapportés
aux sept étoiles de la grande-Ourse, bien plutôt
qu'aux sept planètes.
Quoiqu'il en soit à cet égard , au siècle d'Isaïe
les Israélites faisaient de cette constellation du Nord
le séjour d'Elion et de ses compagnons, les Elohim
supérieurs , placés au -dessus des étoiles d'El ou du
soleil ( 1 ) . Ils les appelaient Çéraphim « les ignés » ,
el se représentaient Thuh - Tsbauth trônant au milieu
d'eux (2) comme Bélitan au milieu de ses Elahim,
comme Ormuzd au milieu de ses Amschaspands.
somme Agni au milieu de ses Richis du Septen
rion .
( 1 ) Isaïe, Xiv, 4-20.- Sur ce texte , voyez ou le Commentaire
allemand de Gésénius sur Isaïe, II , p. 316 et suiv . on son
Thesaurus. p . 606 B. avec les Addenda de Rædiger, p. 93-4, et
comparez Herder, Histoire de la poésie des Hébreux, p. 137 et 140
de la tradon française de Mme la Bne A. de Carlovitz.
(2) Isaïe, VI , 1-7. -- Sur le sens du mot hébreu Çeraphim ,
voyez le Thesaurus de Gósénius p . 1341-2.
( 110 )
C'est donc avec raison , selon moi , que notre
podle Victor Hugo, en décrivant l'oeuvre gené
siaque des six jours dans une de ses Contemplations,
intitulée : Lumen , Nomen , Numen , n'a pas hésité à
rattacher les sept lettres du nom Jehovah, non point
aux sept planètes de l'antiquité , comme on a coutume
de le faire, mais bien aux sept belles étoiles de
la grande - Ourse dans lesquelles le créateur aurait
mis son nom en rentrant dans son repos après
la création .

J'adhère volontiers à cette manière de voir ,


car il me semble qu'aux yeux des antiques pasteurs
de la Haute Asie, ces sept astres du nord ont dû
etre les premiers dieux célestes créés pour veiller
à l'entretien du monde, en tournant autour de
l'étoile polaire comme les bæufs qui foulent le
grain destiné à la nourriture des hommes, lournent
autour du poteau auquel ils sont attachés ( 1 ),
image rustique dans laquelle se complaisent les
Puranistes Hindous et que les anciens peuples
d'Italie ont figurée dans leur nom Septemleriones
« les sept broyeurs » , abrégé en Septemtriones,
au singulier Septemtrio (2) . Et n'est -ce pas aussi

( 1 ) Voyez le Bhagavata -Purana, II , 95, 20, trados d'Eug .


Burnoaf. L'étoile polaire (la dernière de la queue de la
petite -Ourse) y est appelée Dhruva « le (dieu) fixe, l'immobile » .
Mais aux temps Védiques, ce pouvait être une étoile du Dragon .
Voir Colebrooke, Misc. Essays, II , p . 328 .
(2) Voyez là -dessus, d'abord la Nouvelle Galerie mythologiqne
de Ch. Lenormant et de Witte, p . 22–3 , 2 ; ensuite les Nouvelles
( 111 )
l'idée que les prêtres chaldéens s'étaient formée
originairement de leur lað- Sabaðlh, ainsi nommé ,
si l'on en croit Jean le Lydien et Cedrenus, à
titre de lumière intelligible trônant au -dessus
des sept cieux ? ( ) . Ces chroniqueurs Byzantins ,
relativement modernes , ne sont- ils pas tombés dans
l'erreur en remplaçant les sept astres de la
grande-Ourse par les sept planètes très bien
connues de leur temps et alors plus renommées
en Grèce que leurs devanciers avec lesquels l'astro
logie orientale les avait mises en relation mythique ?
Mais laissons là ces questions non encore éclaircies,
sauf à les reprendre plus tard , s'il y a lieu, et
hâtons-nous de revenir aux Heptagrammes plané
taires d'où Matthias Gesner et ses adhérents tirent
la prononciation Jehovah .
Les formes Sémitico -Aryennes du Tétragramme
Thuh, Yhuh ou Yhuh, relevées précédemment , je
leçons sur la science du langage de Max Müller , II , p . 82-90 de la
trad on francaise. Avant eur, Jac. Grimm , Ad. Kuhn , Lassen et
Nève avaient déjà fait de curieux rapprochements de noms et
de mythes sur la constellation du Chariot ou de l'Ourse
- Pococke (Specimen Hist. Arab., p. 146 édit Wite) et l'auteur
du livre Qi-tab -al-Fihrist, traduit d'abord par de Hammer
(dans le Journal Asiatique, ze série XII, p. 249 et 259-65 ),
puis par le Dr D. Chwolsohn (dans Die Ssabier und der Ssabrs
mus, II, p. 5 , 60, 228) , racontent que les Tsabiens, Natsoréens
ou Mandaites de 'Harran , en Mésopotamie, successeurs des
prêtres Chaldéens, se tournent vers le Nord pour faire leurs
adorations et qu'ils célébrent sept fois par an les mystères du
Nord , en invoquant le grand dieu Schemål ( Samaël),qui y préside .
( 1 ) Ouv , et lieur citės , et Movers, I , p . 550.
( 119 )
reux dire Yehovah et Yéhôvih, avaient sur les
formes plus abrégées Yahvâh et Yahvih , dérivées
des primitives Yahuh et Yaho, l'avantage de se
prêter admirablement aux nombreuses combi
naisons qu'en ont faites les partisans orientaux
de l'harmonie des sphères pour invoquer et célébrer
les sept planètes (1 ) en même temps que les douze
signes du zodiaque entre lesquels l'astrologie les
avait distribuées en les supposant tantôt solaires
en descendant du Lion , unique domicile du Soleil,
jusqu'au Capricorne, premier domicile de Saturne,
et tantôt lupaires en remontant du Verseau, second
domicile du même Saturne, jusqu'au Cancer,
unique domicile de la Lune, ainsi que l'a très
bien montré l'abbé Movers (2) .
On lisait dans le fameux Oracle grec de Claros,
en Ionie : « Invoque ensemble Hermès et Helios,
le jour consacré à Hélios ; puis Sėlėnė quand luit
son jour ; ensuite Kronos, et pareillement Aphrodile
par les appels mystérieux qu'a trouvés le plus
grand des Mages, le roi de l'Heplaphthongue. ...

( 1 ) Nombre d'auteurs ont traité ce sujet. Je regrette de


n'avoir pu les consulter tous, entre autres, Bellermann , Th .
Henri Martin , de Rennes, et l'allemand Ferdinand Piper dont
Al . de Humboldt parlea vec éloge dans son Cosmos, III,p.691 ,n 52.
(2) Revoir Die Phænizier, 1 , p. 161 et suiv ., et ne pas s'arrêter
ici à la planche il du mémoire de Barthélemy relative à
l'ancien et au nouveau domiciles des planètes, exécutée poor
l'explication d'un système différent et comparativement plus
moderne .
( 113 )

Tu appelleras chaque dieu successiveinent d'une


voix haute el sonnant sept fois » ( 1 ) .

Ce que prescrivait cet Oracle de Claros, le


monument de la ville de Milet , en lonie encore , le
représentait graphiquement sur sept colonnes plané
taires dont les deux dernières , celles de Jupiter et

de Saturne , ne se sont pas retrouvées par suite


d'une rupture de la pierre , accident fåcheux au
jugement des partisans de la lecture Jehovah , en
ce que cette forme devait naturellement se trouver ,
selon eux , dans la modulation préliminaire de la 7
et dernière colonne dédiée à Saturne . Les cinq
colonnes conservées intactes contiennent chacune

deux fois les sept voyelles planétaires rangées


différemment, d'abord comme préludes sans ordre
appréciable (2), puis comme ritournelles appropriées
chacune au jour qu'on avait en vue , c'est- à -dire
commençant par la voyelle de la planète qui y
présidait, ensuite le tout se termine par cette

( 1 ) Dans Eusebe , Præpar. Evang., p . 202, extrait de Porphyre.


- Après ces mots « le plus grand des Mages, le roi de l'Hep
taphthongue » , le texte intercale cette phrase prosaique : « les
assistants s'étant écriés : C'est d'Ostanés que tu parles » ,
Apollon ajoute : « Tu appelleras etc. . — Je me suis expliqué
au chap . 1, § 3 , d'après les assertions et indications de Pline
l'Ancien, sur deux Archimages du nom d'Ostanės, Osthanės
ou Hostanés, contemporains et conseillers, l'un de Xerxes et
l'autre d'Alexandre .
( 2) Le prélude de la 4 colonne, consacrée au soleil, porte
HOVIANE, c'est - à -dire contient avant la finale E les trois
célèbres voyelles 1 An .
( 114 )

prière adressée à chaque dieu : a 0 Saint, conserve


la ville de Milet et tous ses habitants » (5) .
J'ai déjà rappelé que la 1" colonne de ce monu
ment, celle qui est dédiée à la Lune , débute par le
prélude IEOUAHN, lequel , au moyen d'une légère
transposition , pourrait donner leOUNAH, c'est-à -dire
pour nous, Jehôvâh, en rétablissant le for H entre
E et n , el en déplaçant le OU changé en V devant
le H final. Mais,dansle système purement planétaire,
on n'en saurait tirer IEQUnIH, c'est-à -dire Jéhovih ,
vu l'absence de l'A et la répétition de l'I. Gesner et
consorts n'auraient point vu là une objection sérieuse
contre leur système , car ils ne prétendaient pas trans
former les Juifs en copistes plus ou moins babiles :
tout au contraire , ce seraient les payens,soit Egyptiens
soit Grecs ,qui auraientimité lesJuifs ,en accommodant
leurs emprunts à leur théorie astrologico -musicale,
et par suite en élaguant une lecture qui ne s'y
adaptait point . Si cette hypothèse, appuyée quant
aux Egyptiens d'un texte équivoque d'Isaïe (6), a
quelque apparence de fondement, il serait beaucoup
plus simple de se tourner vers l'orient de la Judée,
vers Babylone, Suse, Ninive, Ecbatane, Persépolis,
etc. et même de pousser ses investigations jusqu'au
Sapta Sindhou en se rappelant mes conjectures sur
(5) Revoir Barthélemy, Mémoire et lieu cités.
(6) Isaie, XIX, 17-25. C'est une question de savoir si ce
passage se rapporte à quelque événement du règne de
Pamétik for, (an . 670), ou à l'époque de la construction du
temple Juifde Léontopolis (an. 149).
( 115 )
la formation hypothétique et vraisemblable des
lectures Jehovah et Jéhovih .
Ne concluons pas du texte de l'Oracle de Claros
cité en dernier lieu, qu'il fallait toujours réciter
successivement les sept voyelles en l'honneur de
chaque dieu-planète. Les amulettes gnostiques
prouvent qu'on pouvait en omettre plusieurs, et,
par exemple , n'en retenir que deux, trois ou
quatre , telles que Ao, lah, lao, lahô et leurs
variantes. Mais comme ces formes abrégées s'é
loignent beaucoup des prononciations Jehovah et
Jéhovih, qu'elles sont moins problématiques quant
à leur origine et à leur ancienneté et qu'elles se
rattachent d'une manière un peu plus certaine
aux motifs qui ont déterminé la grande synagogue
à prohiber la prononciation du Tétragramme
hébraïque, j'en renvoie l'examen au & qui snit .

VI

Parlons d'abord du Digramme Ad.


On sait qu'Að était un nom d'Adonis dans l'ile
de Chypre (1 ) . Movers le fait venir du radical
sémitique 'Huh « vivre ou faire vivre » (2) et
M. Jules Oppert du pronom hébreu Hua, assyrien
Hu a lui » , employé emphatiquement poor désigner
(1) Etymologicon Magnum et Hesychius, in Verbo.
( 2) Ouv. cité, I, p. 229, 285 et 555.
( 116 )

l'Être supreme (1 ) . Ces deux dérivations me


paraissent également contestables. J'aimerais mieux
recourir au sanscrit Asuh « vie , souffle vital , esprit » ,
en passant par le zend Ahů pour Ahuh de même
signification , car Asuh est un titre d’Agni -Soleil,
dans les hymnes védiques (2), comme Ahû est un titre
d'Ormuzd, dans le zend -avesta (3) , et tout me porte
à croire qu'Ahuh était aussi un titre de Jehovah
dans le texte primitif du livre de l'Exode où on
lit maintenant Ahih (4) . Mais la recherche de l'é
tymologie est sans importance lorsque le sens est
constaté d'ailleurs . Or Movers convient lui-même
qu’Adonis, avec ou sans l'épithète d'Abros était
considéré comme le plus grand des dieux , qu'on
le confondait d'un côté avec le Jehovah de la Bible,
appelé parfois Adon « Seigneur », et plus souvent
Adonâï « mon Seigneur » , et de l'autre avec
l'abros laó de l'Oracle de Claros (5 ). Cela suffit
pour m'autoriser à voir dans A0, une forme écourtée
du phénicien lað provenant du primitif lahuh
& fils » , qu'on a détourné de son acception première
( 1 ) Journal Asiatique, 5e série, IX, p. 147-8, 193 , 517 et
Expédition scientifique en Mésopotamie, II , p. 87-8 .
(2) Avec l'épithèle Djivan « vivant » . Voir Rig - Véda Rosen.
1, p . 92, St. 10
( 3) Voir le Commentaire d'Eugène Burnouf sur le Yacna Zend,
p. 50-1 .
(4) Exode III, 14. Revoir ci -dessus, introduction p. 334 du
Vol, acad. ou p. LXII du tirage à part.
(5) Die Phænizier, I, p. 312 ot p. 542.
( 417 )
en songeant au rôle du dieu plutôt qu'à l'origine
de son nom .
J'ose donc conclure de la que les partisans grecs
ou égyptiens de l'Hepiaphthongue, en l'empruntant
aux Sémites, en faisaient le résumé du système
planétaire, en ce sens que l'A désignait la Lune
et l'n Saturne, c'est- à -dire la plus basse et la
plus haute des sept planètes, autrement dit , la
première et la dernière dans le ciel , l'Alpha et
l'omėga dans l'alphabet, la nète et l'hypate dans
l'heptacorde.
Ces idées là n'étaient pas étrangères ou du
moins inconnues aux Juifs durant la période assy
rienne . Achab en Samarie et plus tard Manassé
en Judée protégèrent ouvertement l'astrolâtrie ( 1 ) ,
Au temps de l'exil , le Deutéro Isaïe fait dire
trois fois à Jéhovah : Je suis le premier et je
suis également le dernier, et hors moi il n'y a
pas de dieu (2) , par opposition aux Mazzaloth
ou Mazzarólh , c'est-à-dire aux douze signes du
zodiaque dans lesquels les sept planètes avaient
( 1 ) Voir les détails donnés dans 1 Rois XVI, 30 ;-33-11 Rois
XXI, 5-6, et XXIII, 5-20, et dans 1 Chroniq. XXXIII, 2-9 .
(2) Dans Isaïe XLI, 4 ; XLIV , 6 ; XLVIII, 12. J'appelle Deutéro
Isaie avec les exégètes critiques et indépendants de l'Allemagne,
de la Hollande et de la France, l'auteur des chap. XI. à LXVI
d'Isaïe et même de quelques chap . ou portions de chap. qui
précèdent le XL". Les lecteurs de la Revue des deux mondes et
de la Revue de Théologie se rappelleront les articles publiés
récemment sur ce sujet par MM . A. Réville et A. Carrière .
13
( 118 )
leurs domiciles suivant les astrologues de Babylone
et de Ninive ( 1 ) . A son tour , l'auteur de l'Apo
calypse met dans la bouche de l'Agneau mystique,
lils du Très -Haut (et sop représentant) , les paroles
suivantes : « Je suis l'alpha et l'oméga, le premier
et le dernier, le commencement et la fin (2) .
N'y a - t-il pas là , à 5 ou 600 ans d'intervalle,
deux allusions au système planétaire, en même
temps qu'une réfutation indirecte de cette théorie
astrologique ? Að pouvait rappeler Thuh , c'est -à -dire
Jehovah , aux Juifs exilés à Babylone et Ichu'a, pour
Thuchu'a , c'est-à-dire Jésus aux gnostiques Basilidiens
d'origine sémitique (3) répandus en Egypte, en Asie
Mineure , eu Phénicie , en Syrie, en Judée et
ailleurs , en ce sens, qu'en préposant 1 à cet 10,
on obtenail lat, abstraction faite des deux h du
Tétragramme qui ne se faisaient pas entendre à
l'oreille dans la prononciation (4).
( 1 ) Voyez là-dessus Die Phænizier, I , p. 79-80, 163-8 et 593 .
(2) Apocal . XXII , 13 .
(3) J. Matter, ouv. cité, II, p. 37-8 , affirme que l'hérésiarque
Basilide était né en Syrie, qu'il s'était retiré à Alexandrie et que
sa doctrine gnostique se ressentait des anciens enseignements
de l'Egypte, modifiés par des relations avec la Judée, la Perse
et la Grèce.
(4) Ceite hypothèse peut sembler hasardée, mais c'est celle
de Jablonski et de beaucoup de savants qui, perdant de vue
les trois textes d'Isaïe cités ci-dessus, se prévalaient de celui de
l'Apocalypse pour prétendre que l'Oracle de Claros était l'ouvre
d'un gnostique chrétien qui aurait forgé son lað en préposant
à Aô la lettre initiale du nom Iesus, interprété Soleil de Justice,
( 119 )
Le 1 " Trigramme gnostique Jah n'est autre à
mon avis que le nom divin lh, ponctué Yåh, qui
Gigure dans la Bible comme synonyme d’Ihuh et
qui le remplace même dans les derniers temps du
Judaïsme , je veux dire après le retour de l'exil
babylonien . Il a pour variantes dans le gnosticisme
trois autres formes Aih , Hai et Tha qui le suivent
sur des amulettes ou talismans avec la suscription :
lað Abrasar Sabasih Adôneos ( 1 ) . En astrologie ,
les trois lettres I, A , H , réunies, désignaient le
Soleil, la Lune et la planète Vénus (2) , c'est-a -dire
l'astre du jour , l'astre de la nuit et l'etoile du
matin et du soir, appelée de tout temps et en
tout lieu éloile du berger . lah était donc le dieu
triple qui présidait au Nyktémère , c'est-à-dire au
jour, à la nuit et à l'intervalle qui les sépare ,

comme fils du Très-Haut (Comparez Malachie, IV , 2, St Matthieu


1, 21 , St Luc, 1, 31-3) . — Ces érudits ignoraient que Yad et
A) pouvaient avoir été empruntés par les Grecs à des formes
Aryano-sémitiques Yahồ et Ahò, usitées comme vocatifs de
Yahuh « fils » , et d'Ahuh (pour Asuh) , « souffle de vie » etc.
- En revanche, le cher Drach , ouv . cité, I, p. 366, 489-90 et
546, incline à penser que l'Oracle en question pourrait bien
remonter autemps de la guerre de Troie .
( " ) Scholz (dissert. citée, p. 18) d'après Kopp et Bellermann .
Au lieu de quatre formes on en pouvait forger neuf, car
3X3 = 9 .
(2) C'est par erreur de copiste, suivant l'abbé Barthélemy
(mémoire cité, p. 512, édit. in- 12 ), que Porphyre, dans son
commeutaire sur Denys de Thrace, attribuait l'alpha à Vénus.
Du reste, ce commentateur omettait deux voyelles, l'épsilon et
l'héta , en même temps que deux Planètes, la Lune et Mercure.
( 120 )
le soir et le matin . En conséquence, lah était le
dieu du temps, l'ancien des jours de Daniel , le
Hua des Assyro - Chaldéens , appelé encore Ilu
« le fort par excellence » dans les inscriptions
cunéiformes, et ailleurs Bililan « Bel l'ancien , etc.
Le 2 Trigramme lað est le plus fréquent de
tous les titres adoptés par le gnosticisme pour
désigner le dieu universel. Il a pour variantes
d'abord Oai , c'est-à-dire lað , lu à rebours, puis
Aõi et Ioa, enfin Aið et Oia, lus différemment,
c'est-à-dire ou de droite à gauche ou de gauche
à droite. Ces variations indiquent évidemment
des emprunts faits par les Grecs ou par les Coptes
à des écritures en boustrophedon usitées soit en
Egypte, soit en Phénicie, soit en Asie Mineure,
soit dans d'autres contrées plus orientales .
Il est évident que les six groupes de lettres
dont il s'agit avaient pour objet ou pour résultat de
résumer tout le système planétaire . Ces astrologues
y rattachaient sans doute des idées cosmologiques.
Ainsi le 5° groupe Aiô et le 4° Oia , pouvaient
signifier que le Soleil , placé au centre du monde,
communiquait ses effluves de lumière, de chaleur
et de vie aux six autres Planètes, savoir : vers le bas,
à la Lune . A ,en passant par Vénus H et par Mercure
E, et vers le haut , à Saturne », en passant par Mars
O et par Jupiter U. Je m'abstiens de rechercher la
raison mystique ou astrologiques tant du 3 groupe ,
Adi, Lune, Saturne, Soleil, que du 4*, loa, Soleil,
( 124 )
Saturne, Lune, pour m'arrêter au 1 " groupe, lao,
Soleil, Lune, Saturne, et au 2d , Oai. Saturne,
Lune , Soleil. Il me semble que ceux -ci exprimaient :
l'un le passage des rayons solaires vers les deux
planètes extrêmes, et l'autre leur retour de ces
memes planètes à leur point de départ . L'abbé
Barthélemy et, après lui , Abel Rémusat , ont très
bien remarque du reste que les mystagogues de
l'Orient et ceux de la Grèce , les Pythagoriciens
entre autres , ne se contentaient pas de voir soit
dans lað, soit mieux encore dans Aio , la première,
la moyenne et la dernière des planètes du ciel ,
la première, la moyenne et la dernière des voyelles
de l'alphabet , la première, la moyenne et la
dernière des cordes de l'Heplacorde, mais qu'ils
y mélaient des conceptions transcendantes sur la
divinité , une son essence et triple en ses
en

manifestations dans le temps comme dans l'espace ( 1 ) .


Les gnostiques des diverses écoles avaient trouvé
là une ample moisson à recueillir : ils n'eurent
garde de la laisser perdre.
Enfin le Tétragramme lahô de St Jérôme appelle
notre attention à divers points de vue . D'abord ,
il est évident que le Trigramme lað en a été
tiré par suppression du h médial, suppression

( 1 ) Voir là -dessus les Mémoires cités de ces deux auteurs dans


les Recueils de l'ancienne et de la nouvelle Académie des Inscrip
tions, 1 ° T. LXXX , p. 521-2, in- 12, et 2 T. VII , p. 44-8, in - 4 .
(( 194 )
Tant que les Hébreux étaient restés confines
dans leurs montagnes, anciennement volcaniqnes (1 ),
ils ne s'élaient pas fait scrupule de nommer leur dier
ſeu par son nom propre et pátriarcal Thuh- Alhim
ou Thuh tout court, répondant au titre védique
Sahaso - Yahuh « fils de la force » . Ils tenaient ce qua
lificatif de leur 1er père Abraham , selon le rédacteur
de la Genèse. Ce patriarche, d'origine chaldéenne ,
avait dû le rapporter avec lui de la Mésopotamie,
si tant est qu'à son arrivée en Canaan , il ne l'eût
pas déjà trouvé en usage au pays de Salem que
gouvernait le prêtre-roi Melkitsedeq (2) . En effet,
il parait suffisamment établi par la Genèse, ce
qui est d'ailleurs confirmé par les inscriptions
cuneiformes anariennes, qu'à l'époque reculée de
cette émigration, les Assyro- Chaldéens connaissaient
un dieu fils, nommé en leur langue, sinon lað ou lah
comme le pensait le général Rawlinson (3) , au moins
Ilu , (hébreu llua, « Lui ou l'Etre - ) , prononcé A6
par MM . Jules Oppert et François Lenormant et
qualifié Bin (hébreu Bn) , fils, en tant que fils privi
l'une 30 jours et l'autre 30 ans à faire leurs révolutions respec
tives ; de l'autre, il devait paraître naturel de placer à la suite
du Soleil Mercure et Vénus dont les révolutions étaient réputées
annuelles comme la sienne .
( 1 ) Lamartine l'a constaté dans son Voyage en Orient, II
p . 209-12 .
(2) Comparez Genèse, XI , 28-31 ; XIV, 18-22 ; XV, 7. etc.
(3) Suivant Bunsen dans son Egypten's Stelle etc. citée
précédemment au chap . I, § 3 .
( 125 )

légié de Bél, le démiurge, (hébreu Bal) , et de Bilit


« la dame, la maîtresse » ( phénicien Balat ), eux-mêmes
émanés d'Anou ( l'Oannès de Bérose) et de sa
femme Anat (l'Anaïtis des Grecs ) (1 ) . Nous verrons
ultérieurement que les idées de filiation convenaient
sous plusieurs rapports et au Jehovah patriarcal
de la Genèse et à l'Agni archeyas du Rig -Véda.
Mais ce n'est pas ici le lieu ni le moment d'y insister
davantage . Ce que je tiens à rappeler pour l'instant ,
c'est que, depuis leur sortie d'Egyple jusqu'à leur
retour de l'exil Babylonien , ceux des enfants
d'Israël qui étaient restés fidèles au Jehovah
mosaïque, n'avaient jamais hésité à articuler, à
invoquer, à proclamer son nom propre, ni plus ni
moins que ses autres noms divins.
Tout change insensiblement de face à cet égard
après leur rentrée à Jérusalem et la construction du
24 temple, Ce n'est pas qu'ils soient moins attachés
à leur dieu national. Bien loin de là : ils reviennent
tous à lui , et rejeltent les dieux étrangers que
leurs pères avaient adorés . On dirait que les Perses
avec lesquels ils s'étaient trouvés en contact ,

( 1 ) Voir à ce sujet les écrits déjà cités du 1er et surtout le


résumé du 20 dans son Manuel d'histoire ancienne de l'Orient, II,
p . 182, 4e édit. , Paris, 1869, in- 12. Dans ce dernier, le dieu
Ao- Bin est ainsi défini et caractérisé « la lumière divine, l'intelli
gence qui pénètre l'univers, le dirige et le fait vivre, le
guide intelligent, le Seigneur du monde visible, le Seigneur
des connaissances, de la gloire, de la vie, qui a ordinairemen
pour symbole le Serpent » .
( 128 )
puisé chez les Hébreux l'idée d'appliquer aux sept
planètes et par suite aux sept jours de la semaine
les sept lettres ( consonnes ou voyelles, il n'importe
ici), de l'Heptagramme Yehooua ov lehôrah formé
à l'aide du Tétragramme hébreu Ihuh ?
Nous avons vu qu'Eusébe de Césarée le pensait
à l'égard des Grecs à propos de l'oracle de
l'Apollon de Claros, et que plus tard les partisans
de la forme Jehovah le soutinrent à l'égard des
Egyptiens au sujet d'un texte grec attribué à
Démétrius de Phalère . Cette thèse pouvait paraître
spécieuse aux exégètes des derniers siècles qui
croyaient le Tétragramme exclusivement propre
av Mosaïsme . Dans le nôtre , elle ne me parait plus
guère admissible . En effet,le Rig Veda, nous l'avons
vu , contient un qualificatif Yaho, ni Yahuh , identique
au lahô de St Jérôme, et désignant la grande divinité
du feu , comme le Thuh de la Bible . Or jecrois avoir
suffisamment montré qu'en passant de l'orient à
l'occident de l'Asie , cet lahô ou lahuh , avait pu
s'allonger en deux ou quatre Heptagrammes , soit
Yahvah et Yahvih, soit Yehovah et Yehovih, selon
la différence des dialectes ou des intonations, et par
suite donner lieu aux nombreuses combinaisons
de voyelles grecques qu'on lit tant sur le monument
de Milet que sur les amulettes des gnostiques
Basilidiens et autres .

En ce qui louche plus particulièrement la théorie


musicale et planétaire dont je viens de parler, et
( 129 )
son application à la période hebdomadaire, insti
tutions que les Jehovistes dont il s'agit prétendent
avoir été fondées toutes deux sur ce nom divin et
sur la Bible hébraïque , lout porte à croire au
contraire que
les Grecs et les Egyptiens, les Phéni
ciens et les Hébreux, les Médo-Perses et les Aryas
indiens les avaient empruntées successivement à
l'astrolâtrie Assyro - Chaldéenne. Il est vrai que les
inscriptions cunéiformes de Babylone et de Ninive,
retrouvées notamment à Borsippa et à Khorsabad,
n'ont pas encore révélé avec certitude à nos
assyriologues modernes la forme primitive et isolée
Yaho ou Yahuh, base des rêveries astrologiques
du gnostticisme oriental , car jusqu'à ce jour ils
ne l'ont trouvée , sans la signaler, que dans le nom
propre composé laoubid que portait un roi de 'Hamath ,
détrôné par le monarque assyrien Saryukin Mais
leurs études ultérieures pourront leur faire découvrir
ou déchiffrer d'autres monuments du même genre
plus anciens que le VIII° siècle avant notre ère et
plus explicites, je veux dire des textes qui, au
lien de Ban , Ben ou Bin « fils » , contiendront à
l'état isolé laø ou Iau ( ce dernier prononcé laou ),
avec application au dieu du feu, au dieu pils par
excellence, car je suis bien tenté de ne voir dans
ce qualificatif assyrien Ban, Ben ou Bin « fils » ,
qu'une traduction de son synonyme hébreo -Aryen
Yahuh ou Yaho .
Quant au nom propre Hu que M. Oppert transcrit
As, tout en reconnaissant qu'il répond au pronom
( 132 )
( 133 )
u repos de Jehovah » , considéré comme créateur
bere , qui complètent l'octave ( 1 ) ; enfin la
en six jours , ou « repos à Jehovah » symbolisé par le inception familière aux poètes Aryas de leur triple
feu qui devait être éteint le 7 jour dans toutes
as septople Agni comme dieu créateur, en même
les demeures, son sanctuaire excepté ( 1 ) ,
cops que comme Sahasó Yaho « fils de la force » .
C'est une
une question controversée parmi les qualific
de relève de nouveau cette ation mystique
indianistes de savoir si les Arvas du Sapta Sindhou
laquelle je reviendrai encore plus d'une fois,
qui étaient presque tous polythéistes , connaissaient dénomi
parte qu'elle est identique à la nation
les sept Planètes , appelées par leurs successeurs Sapla
muksiaque Yahuh Elohim donnée pour la première
Sůryâs « les sept soleils » au masculin ( 2) , et s'ils
l'occasi
pr
is écisément à on de l'œuvre des six
pratiquaient la semaine de sept jours qui n'apparait divers
als, et que ce titre de Yaho ou Yahuh, ement
pas clairement dans les Vedas .
Heptagr A c o
longe en amme chez les ryas mme
Je n'ose me prononcer sur ces deux points; je s é Khami f o u
bez les m i tes et les t es, a pu rnir
ne les mentionne en terminant que pour rappeler nombre combi v
naiso
zalière aux uses ns de oyelles
d'abord leurs idées sur la création des trois mondes a s t r o
brat les anciens logues de l'Asie ont tant abuse
.
par les sept rayons d'Agni, qu'ils plaçaient tantôt summe i le poète Arya a lie de An
ci s ss s, u u s a
u
à son foyer terrestre , tantôt dans le disque solaire, devietes de l'Inde, leurs ccesseurs , par la raison
volon
tantôt dans l'astérisme de la grande- Ourse ; ensuite pat déjà ils jouaient assez tiers sur les noms
un certain hymne védique relativement moderne nombr divi d
A les es ns, et que l'un 'eux a dit, en
Viçv
il est vrai , qui, remontant à l'origine des choses, akar
variant d'Agni man , c'est- à- dire du feu
représente les sept Richis divins célébrant , comme Tiene universel :
les étoiles du matin dans Job ( 3 ), l'euvre de la
Gelui qui entre les dieux était seul dieu .
création avec les mètres , les Rhythmes, les modu
D
lations , les chants spéciaux propres à chacun , el Yoh erechu adhi devah ekah asit (2),
cela de concert avec les Vicvadevas à tous les pless semb trad
ion de foi qui le avoir été uite

( 1 ) Je reviendrai là- dessus dans un chap. ultérieur, Lang l'


Big Veda, trade lois, W , p . 422-3 . Voir hymne
( 2) Voir les Indische Studien de M. Albrecht Weber, II , p . 238
et 396, et IX , p. 363 , en note .
Nou Leçon d
(3 ) Job , XXXVIII, 4-8 . ' Big-véda A , sMci. X , H.La1n2g1, R. 8. ou v. s e
W ü
luz ler sur la e n d
ce u a g 1 9
e, ll, p . 8 .

14
( 133 )

dieux » , qui complètent l'octave (1) ; enfin la


conception familière aux poètes Aryas de leur triple
ou septuple Agni comme dieu créateur , en même
temps que comme Sahasó Yahô « fils de la force ».

Je relève de nouveau cette qualification mystique

sur laquelle je reviendrai encore plus d'une fois,


parce qu'elle est identique à la dénomination

genésiaque Yahuh Elohim donnée pour la première


fois précisément à l'occasion de l'æuvre des six
jours, et que ce titre de Yaho ou Yahuh, diversement

allongé en Heptagramme chez les Aryas comme


chez les sémites et les Khamites , a pu fournir
matière aux nombreuses combinaisons de voyelles

dont les anciens astrologues de l'Asie ont tant abusé.


Je nomme ici les poètes Aryas , au lieu des Ana
chorètes de l'Inde , leurs successeurs, par la raison
que déjà ils jouaient assez volontiers sur les noms
et les nombres divins , et que l'un d'eux a dit, en
parlant d’Agni Vigvakarman , c'est - à -dire du feu
créateur universel :

Celui qui entre les dieux était seul dieu .

Yah Dévêchu adhi dêvah ékah asit ( 2),

profession de foi qui semble avoir été traduite

(1 ) Rig - Véda, trados Langlois , IV , p . 422-3 . Voir l'hymne


tout entier.

( 2) Rig-Véda A, M. X, H. 121 , R. 8. ou Nouv. Leçons de


Max. Müller sur la science du Langage, II , p. 198,
( 132 )
· repos de Jehovah » , considéré comme créateur
en six jours, ou « repos à Jehovah , symbolisé par le
feu qui devait être éteint le 7 jour dans toutes
les demeures, son sanctuaire excepté (1 ) .
C'est une question controversée parmi les
indianistes de savoir si les Aryas du Sapta Sindhou
qui étaient presque tous polythéistes , connaissaient
les sept Planètes , appelées par leurs successeurs Sapta
Súryâs « les sept soleils » au masculin (2) , et s'ils
pratiquaient la semaine de sept jours qui n'apparait
pas clairement dans les Vedas .
Je n'ose me prononcer sur ces deux points; je
ne les mentionne en terminant que pour rappeler
d'abord leurs idées sur la création des trois mondes
par les sept rayons d'Agni, qu'ils plaçaient tantôt
à son foyer terrestre , tantôt dans le disque solaire,
tantôt dans l'astérisme de la grande-Ourse ; ensuite
un certain hymne védique relativement moderne
il est vrai , qui, remontant à l'origine des choses ,
représente les sept Richis divins célébrant , comme
les étoiles du matin dans Job (3), l'euvre de la
création avec les mètres, les Rhythmes , les modu
lations, les chants spéciaux propres à chacun, et
cela de concert avec les Vicvadevas ti tous les

( 1 ) Je reviendrai là-dessus dans un chap. ultérieur,


(2) Voir les Indische Studien de M. Albrecht Weber, II , p . 238
et 396, et IX , p. 363 , en note .
(3 ) Job , XXXVIII , 4-8 .
-
( 133 )

dieux » , qui complètent l’octave (1 ) ; enfin la


conception familière aux poètes Aryas de leur triple
ou septuple Agni comme dieu créateur, en même
temps que comme Sahasô Yahồ « fils de la force » .
Je relève de nouveau cette qualification mystique
sur laquelle je reviendrai encore plus d'une fois,
parce qu'elle est identique à la dénomination
genésiaque Yahuh Elohim donnée pour la première
fois précisément à l'occasion de l'æuvre des six
jours, et que ce titre de Yaho ou Yahuh, diversement
allongé en Heptagramme chez les Aryas comme
chez les sémites et les Khamites, a pu fournir
matière aux nombreuses combinaisons de voyelles
dont les anciens astrologues de l'Asie ont tant abusé.
Je nomme ici les poètes Aryas, au lieu des Ana
chorètes de l'Inde, leurs successeurs, par la raison
que déjà ils jouaient assez volontiers sur les noms
et les nombres divins, et que l'un d'eux a dit, en
parlant d’Agni Viçvakarman, c'est- à -dire du feu
créateur universel :

Celui qui entre les dieux était seul dieu .


Yah Dêvêchu adhi dêvah ékah asit (2),
profession de foi qui semble avoir été traduite

(1 ) Rig- Véda, trad. Langlois, iv, p. 422-3 . Voir l'hymne


tout entier.

(2) Rig-Véda A, M. X, H. 121 , R. 8. ou Nouv. Leçons de


Max. Müller sur la science du Langage, II, p. 198.
( 134 )
par l'Oracle de l'Apollon de Claros dans ce vers
grec déjà cité :
Φράσει τον πάντων Υπατον θεον 'εμμεν’ ΙΑΩ .

Dis que de tous les (dieux) le plus grand dieu , c'est lað
Après ces longs et fastidieux commentaires sur
le qualificatif Yahuh Elohim des patriarches hébreux ,
originaires de la Chaldée, je m'estimerais heureux
de pouvoir passer immédiatement à l'explication
du Sahasố Yahuh des Richis Aryus , leurs contem
porains du Sapta Sindhou ; car là le chemin est
moins encombré , grâce aux déblais des modernes
indianistes . Ce sera l'objet de l'un des chap .
suivants, destinés pour la plupart au parallèle des
deux divinités. Mais avant d'aborder le fond, il me
reste en la forme à éclaircir et compléter certains
détails de mes deux chapitres imprimés qui pré
cédent . On trouvera ces éclaircissements accessoires
dans les corrections et additions supplémentaires
qui suivront l'Errata ci-après . Quant au parallèle
annoncé , je me vois forcé de l'ajourner pour peu
de temps, je l'espère, me proposant de le faire
précéder d'un résumé ces croyances aryennes , peu
connues de la grande majorité des lecteurs.
( 135 )
ERRATA

A JEHOVAH ET AGNI ( INTRODUCTION )

Page v, ligne 8, au lieu de Babylome, lisez : Babylone.


VI, 25 (note 2), VII et VIII, lisez : VI et VII.
vii , 28 (note 1 ), Hymne, lisez : Hymnen .
XII, 13 , préjudiciélle,lisez : préjudiciable.
XIII , 24 (note 1 ), Einlucitumg, lisez : Einleitung.
XVIII, 9, sur le mouothéisme,lisez : sur l'op
position entre le monothéisme.
XIX , 17 , qu'Elohim n'est ici, lisez : qu'ap
pliqué à Dieu, Elohim n'est
jamais qu’un pluriel .
XXIII , 13 , an besoin , lisez : au besoin.
XXV , 12 , les occasions, lisez : des occasions.
-
XXXVI, 16 (note 1 ), Anzeigher, lisez : Anzeiger.
XL , 19 , par l’A, lisez : par l'U.
XLI, 20 (note 1 ), des deux premiers fleuves aux deux
derniers, lisez : des deux derniers
fleuves aux deux premiers.
XLV, 31 (note 6) , d'y evenir, lisez : d'y revenir.
XLVII, 20 , Cartharginois,lisez: Carthaginois.
LIV, 17, ou forme, lisez : ou la forme.
LVI, 33 (note 2), Stélo, lisez : Stéle.
LVI, 35 (note 2), peites, lisez : petites.
LI , 2, Beni- Israels, lisez : Beni-Israël .
LX , 12, aux sept, lisez : aux neuf.
LA , 19, succeseeur, lisez : successeur.
LII, 29 (note 2), après quem Jehovah audit,ajoutez:
et dans celui de Huhm (quem
Jehovah impulit).
1.Xli, 26 , d'ailtreurs, lisez : d'ailleurs.
LXIII , 24 ( note 2), Sukharah, lisez ; Sakkara ou
Saqqara.
( 136 )
Page Liiv , 8, Chargych , lisez : Chargyèh.
LIIY , 24 (note 2), effectné, lisez : effectué.
LXVII, 6, et qu'ils avaient, lisez : pays
qu'ils avaient.
-LIVIN , 2, syllable, lisez : syllabe.
LXXI, 27 (note 1 ), constestée, lisez : contestée.
LXIII, 24 , un chap . préliminaire, lisez : un
ou deux chap. préliminaires .
LXXIII, 7, hors d'auvre, lisez : préambule .
LXXIV , -
6, chacnn , lisez : chacun.
· LXXIV, 11 , VII et VIII, lisez VI et VII .

CHAPITRE I

Page 7, ligne 12, au lieu de tel que celni, lisez : tel que celui.
8, 14, décédé sous le règne, lisez : décédé,
selon Prideaux , sous le règne.
22 , 5, les Septanfe, lisez : les Septante.
27 , -
1, les voyelles dérivées, lisez : les
points- voyelles dérivés.
31 , 28 (note 1 ), sonscrit, lisez : souscrit.
32 , 27 (note 4), les p. laissées en blanc sont 428
pour le vol. et 16 pour le tirage.
32, 28 (note 4), S2, lisez & 4.
36, 21 ( note 1 ), SS 168, 03, 293 et 426, lisez :
p . 51-60 .
37, 29 (note 1 ),exprime, lisez : exprimerait .
39, 12, fornatiou , lisez : formation .
39 , 29 (note 1), après M. III, au lieu de S. I. 8,12,
lisez : A. I, S. 8, R. 12.
12, au lieu deprouve,lisez : prouvent.
43 , 27 (note 1), 7° série, IX , p. 160 , lisez : 5 ° série,
X, p. 187.
CHAPITRE II

49 , 8, elasse, lisez : classe .


53 , 10, antiquiie, lisez : antiquité.
-
( 137 )
Page 58, 12, au lieu de ou Id, et Ihô ou à la fin , lisez : ou
Iho, ou ló, et à la fin .
58 , 18, après aux ss. ajoutez : V et VI.
59 , 4, Tétragrame, lisez : Trigramini.
63 , 15 , qualificaift, lisez : qualificatif.
64, 16 , kéri khethb, lisez : qfri khéthibh .
64, 19 , Mikya ehu, lisez : Mikyehui.
65, 4, succes,ives , lisez : successives.
65, 10-11 , IV , lisez : III.
67, 6, maintenaut, lisez : maintenant.
69, 6, donble. lisez : double.
69, 19, puissaut, lisez : puissant.
74, 23, avaicnt, lisez : avaient.
74, 27 (note 2) , Eylise... p .,lisez : Eglise ... p. 483.
74 , 30 (note 5), Jhub, lisez : Ihuh.
75 , 19 , hypothétiqne,lisez: hypothétique .
76, 19 ( note 1 ), ou, lisez : au .
81 , 29‫( ܙ‬note 2), Tudo-, lisez : Indo-.
‫ܕܪ‬
82 , l'affinitė, lisez : l'identité.
85 , 23 (note 1 ), G. Rogier, lisez : G. Rodier.
86 , 24 ( note 2), 1 ° H à Mercure, lisez : 1 ° A à
Mercure ,
89 , 2, les les, lisez : les .
91 , 26 , Creuzer, lisez : Polier, dans
ILI

Creuzer etc..
97, 4, quadrilatere, lisez : quadrilitère.
99, 24 (en note), Iaphista , lisez : Iaphtha.
100, 38 ( note 2), Thua , une leçon laoui, lisez : sur
une leçon Ia -oué.
102 , 12 , IEQUA-HO, lisez : IEQUAHN.
103 , 12, Vaho -holå ! lisez : Yahô-holà!
106, 1, après Saptartchi, ajoutez : oir
Saptartchih.
107 , -
- 4 et 28 (en note), (4), lisez : ( 1 ) .
1

108, 7, au lieu de Rikeha , lisez : Rikcha.


108 , 8, après Aich ou Ach ,ajoutez : roux?
110, 4, après Numen , ajoutez en note :
II, p. 345.
( 138 )
Page 114, 2, 20, 26, 27, (5) et (6), lisez : ( 1 ) et ( 2 ).
114 , 29 (note 2), Pametik, lisez : Psamétik .
146, 24 (note 2), Djivan, lisez : Djicó (pour Djivah).
116 , 23 , I, p . 92, St. 10, lisez : I, p. 236,
St. 16 .
116 , 29 (note 4), LXII, lisez : XL .
118 , eu , lisez : en .

CORRECTIONS ET NOTES SUPPLÉMENTAIRES

Nota. Outre les fautes d'impression pour les mots relevés à


l'Errata ci-dessus et celles d'accentuation et de ponctuation
qui m'ont échappé dans la correction des épreuves et que le lec
teur voudra bien excuser, le texte et les notes des chap. I et
Il contiennent des transpositions de chiffres, de mots ou de
lignes et des omissions d'éclaircissements qu'il peut être utile
de signaler et de réparer. En voici un relevé à peu près complet.
P. 11 , ligne 17, note 2. Cette note doit être placée et lue
comme 1re à la p . suivante .
P. 12, ligne 26, note 1 . - Cette note se rapporte avec son
chiffre à la p . suivante.
P. 20, ligne 28, note 2. Ajoutez à cette note : ou enfin
la Grammaire comparée des langues classiques par M. Fr. Baudry,
1 re partie : Phonétique, p . 4-7 ; 52-71 ; 165-7 ; 174-200. Ce dernier
ouvrage est le plus complet et le plus instructif pour la com
paraison du grec et du latin avec le sanscrit. Je reviens
d'ailleurs là-dessus aux p. 435, 438 et 446 du vol. académique
ou aux p. 27, 32 et 38 du tirage à part.
P. 24, ligne 2. Ajoutez en note : Ce nom propre
composé Jaoubid ou mieux Yaoubid, dans lequel ou est une
transcription française de l'u , n'a point les deux aspirées
médiale et finale de l'hébreu Ihuh. M. J. Menant constate dans
( 139 )

son Syllabaire assyrien que les articulations du He sémitique , à


la différence de celles du 'Heth , n'ont pas de représentant spécial
dans l'écriture anarienne ou cunéiforme, parce que la légère
aspiration que le h doux comporte y est réputée ou inhérente
à la voyelle assyrienne ou absorbée par le caractère qui la
précède ou qui la suit (Voir le syllabaire cité, p . 284, dans le
ze vol . des Mémoires présentés par divers savants à l'Acad . des
Inscript. et Belles-lettres, Paris , 1869 , in -4°) . Le même phéno
mène se reproduit dans les inscriptions aryennes , également
cuneiformes : témoin le nom zend Ahuramazdà qui , en
persépolitain, s'écrit Auramazdá sans h.
P. 33 , lignes 11 et 12 , avant l'alinéa . · Ajoutez en note :
Voyez sur l'hypothétique Yahavan et sa signification présumée,
(savoir : doué de force ), le ch . li, & 5 , p . 512-3 , V , ou p . 101-3,
Tirage. - Il paraît que les Basques ou Euscariens emploient
pour désigner Dieu l'appellatif Yaun ou Jaon, Yain ou Jain
« Seigneur, maître » , ou même Jabe-on « maître bon ou
Seigneur bon » , et que très-souvent ils le font suivre de
l'expression Goikoa « celui d'en haut » , nom basque du
dieu Lunus, appelé ordinairement Il - Argi « mourir-luinière » ,
d'où le mois a été nommé Ila - Bethe qu'on explique
généralement par Ilargi - bethe « lune-pleine » . Voyez à ce sujet
l'intéressante dissertation de M. Julien Vinson , de Bayonne,
dans la Revue de linguistique et de philologie comparée , fascicule
de janvier 1870, p . 274-305 ) . - Je relève ces formes eusca
riennes Yaun, laon , Iabs -on à causǝ de leurs ressemblances
avec celles de certaines transcriptions grecques du Tétragramme
hébreu , telles que laon ou laon et labe (pour Yahveh) . La finale
un ou on rappelle les suffixes un ou un , et van ou on encore,
les uns sémitiques et les autres aryens (Voir ci-dessus ch . I ,
§ 1, p . 443, V , ou p . 31, T., et ch . II, § 5 , p . 512-3 , V.oup . 104-5 ,
Tirage). Strabon déclare (Geogr . III , iv , 16) que les Celtiberes
(c'est -à -dire les ancêtres des Basques) , sacrifiaient dans la nuit
de la pleine-lune à un certain dieu anonyme, dieu qui,
suivant M. J. Vinson , devait être l'astre des nuits . J'accepte
cette interprétation , mais en ce sens seulement que le Yaun
Goikoa de ces peuplades répondrait ou au Yahuh - Elohim des Hé
breux , ou au Sahasó - Yahuh des Aryas, je veux dire au dieu du
( 140 )
feu , à celui qui venait de remplir le disque de la June, qui
apparaissait là dans toute sa gioire, comme le Soleil, et que l'on
adorait dans sa brillante image. J'ajoute avec Maimonide et
Spencer que le livre des Nombres (XXVIII, II) , répète surabon
damment que les holocaustes du jour de la nouvelle-lune doivent
être offerts à Jehovah (texte hébreu lihul ), de peur que le peuple
ne fût tenté de les adresser à l'astre dont le croissant venait de
réapparaître le soir après deux nuits de disparition. Au surplus,
le sens du Seigneur ou maître que les Euscariens donnent à
leur Yaun, Yain ou Jaon, Jain , est identique à celui de l'Adón
phénicien et de l'Adóndi hébreu , qualifiés tous deur Yaho ou
Yahuh. Les Juifs avaient substitué Adni à Ihuh, parce qu'ils les
croyaient synonymes, et les Perses avaient agi de même à
l'égard de leurs noms divins Ahủ « l'esprit vital » Ahura
a celui qui possède ou qui donne la vie » , et Qadhata « donné
de soi-même » , ainsi que l'a montré Eug. Burnouf dans son
Commentaire sur le Yacna Zend , p . 50-1 , 70-2, et 544. I me
semble donc que les anciens Basqnes s'étaient conduits de la
même manière et que l'abbé Darrigol, cité par M. J. Vinson,
approchait de la véritable étymologie, sans l'atteindre, lorsqu'il
se bornait à rendre par « le bon maître d'en haut » , les
qualificatifs euscariens Yaungoika , Jaongoikoa, Yabe-on -goikoa
et leurs abrégés, Yainkoa , Yinkoa , Jainkoa, Jinkua. En sa
place je serais remonté jusqu'au Ihuh -al- 'aliun de la Genèse.
XIV, 22 « Jehovah, le dieu - fort, le Très-Haut » .
P. 36 , ligne 10-19, Ces lignes à partir des mots Je me
borne Jusqu'à & IX, ne rendent pas toute ma pensée et préparent
assez mal la transition à ce g IX. D'abord, entre les mots je me
réserve d'y revenir, et ceux-ci dans un chap. ultérieur, il faut
lire : au & suivant et dans etc. Ensuite, au lieu de Toutefois il est
bon d'en dire dès maintenant quelques mots, lisez : Toutefois,
importe de l'exposer dès maintenant et même d'y insister, avant de
clore etc. Enfin, avant s ix, lisez l'alinéa suivant :
« Quelle que soit la vraie date de la définition transcendante
du Tétragramme Ihuh que le livre de l'Exode attribue à Moise
(III , 14, et VI, 3), et sur la quelle je me propose de revenir plus
tard (Si quà fata sinunt), on a vu au § V de l'introduction que,
selon moi, le rédacteur de la Genèse n'a pas commis d'anachro
( 141 )
nisme en mettant ce nom divin dans la bouche de ses person
nages, tous antérieurs à l'établissement du Mosaisme et à la
rédaction des trois documents Elohim , Jehovah et Jehovah - Elohim
à l'aide desquels on a composé le Pentateuque tel qu'il est
parvenu jusqu'à nous. Force est donc pour moi de chercher
ailleurs que dans la Bible hébraïque non seulement la vraie
prononciation de Ihuh qui fait l'objet principal des deux foro
chapitres de mes études Biblico-Védiques, mais encore son
origine ethnologique et sa signification patriarcale ou populaire.
C'est ce que j'essaie de faire au & IX, par anticipation , au risque
d'encourir le reproche de me livrer à une discussion prématurée
dans un chapitre annoncé comme devant traiter de la forme
et non du fond de l'énigmatique Tétragramme des Hébreur » .
Nota . Le reproche auquel je m'expose pourra aussi m'être
adressé en partie au sujet du chap. II que j'ai jugé à propos
d'adjoindre au jer à l'effet de reprendre à nouveau et d'esami
ner, au double point de vue de l'histoire et de la philologie
comparée, les lectures Jehovah et Jehovih, tirées, à tort ou à
raison, de la ponctuation massorèthique, ainsi que les autres
formes ou transcriptions plus ou moins accréditées de ce nom
divin. A cet égard, voici mes explications et mes excuses :
D'abord, en pareille matière, il est bien difficile de parler du
son d’un mot obscur sans s'occuper du sens qu'il peut avoir,
surtout lorsqu'on s'écarte des opinions reçues, je veux dire
sans aller au devant des objections que la prévention ne manque
pas de faire . Ensuite, les retards inévitables qu'éprouvent
l'impression et la publication des diverses parties du présent
travail et, avant tout, mon age avancé m'avertissent de ne pas
remettre au lendemain des explications que je puis donner le
jour même, fut-ce accessoirement et hors de leur place.
P. 54, ligne 15, avant les notes, ajoutez : et 5° Paul Renand ,
Christianisme et Paganisme, p. 209 ( Bruxelles, 1831 , in -89).
P. 59, ligne 20, note 1 . Ajoutez en note : « l'écriture
cunéiforme tient compte de l'A final dans le nom du roi
d'Israél Jehu, hébreu Ihua , car M. J. Menant le transcrit
Yahua à la p. 148 de son syllabaire assyrien , ci -dessus cité. Les
formes grecques laua et lauas de l'abbé Movers ne sont donc
pas hypothétiques comme je l'avais supposé dans une note
de la p. 479, V , ou 671 , T, lig. 21-2, n . 1 .
( 142 )
P. 61 , ligne 20. Ajoutez en note : Les langues de l'Inde
dérivées du sanscrit, au lieu de Dyu écrivent Dju et prononcent
Djou . N'est - ce point d'une semblable permutation que vient,
par redoublernent, le Djou -Djou des habitants du nouveau Calibar,
en Afrique, mot par lequel ces indigènes de la Nigritie dési
gnent la divinité, selon M. Vivien de Saint-Martin ? C'est
ainsi que le roi Ezéchias, nous l'avons vu , répète deux fois de
suite le nom divin Yah dans son élégie rapportée par le
prophète Isaïe, XXXVIII, 11 .
P. 76, lignes 20 et 29, notes 1 et 3. — Ces deux notes doivent
être placées et lues, savoir : la 3e tout d'abord , et la 1re avant
la 2e
P. 85, ligne 9 du texte et la dernière de la note. Ajoutez à
la fin de cette note l'éclaircissament qui suit :
Il parait que Pythagore et Platon, après leurs voyages en
Orient, avaient entrevu les rapports harmoniques des sons
voyelles avec les notes musicales. Cette théorie, ébauchée en
Angleterre par les physiciens Willis et Weatstone, selon M.
Auguste Laugel (dans son petit livre intitulé : la voir , l'oreille et
la musique, p. 53 et 58), a été mise récemment hors de toute
contestation au delà du Rhin , d'abord par Donders, puis par
Helmholtz et finalement par R. König. D'après ce dernier,
les cinq notes vocales ou, o, a, e, i sont caractérisées par les
cinq octaves du Si bémol, ou , en nombres ronds, par les notes
qui font respectivement 450, 900, 1800, 3600 et 7200 vibrations
sonores par seconde. Ces savants négligent l'u exceptionnel,
(grec et français ), parce qu'il est trop voisin de l'i, et l'aspirée
simple h, probablement parce qu'elle se confond avec la voyelle
qui la suit. Cette loi extrêmement simple expliquerait pourquoi
dans toutes les langues on trouve à peu près les mêmes
voyelles ; ce sont des timbres échelonnés par octaves. Voyez
là-dessus ou le Jour zal des débats du 28 avril 1870 ou le n° 17 ,
p . 931-2, des Comptes -rendus hebdomadaires de l'Académie des
scie uces (de Paris), pour le 25 du même mois.
P. 88 , ligne 24 . Au lieu de la phrase : je me bornerai à
rappeler dans une note relative au 1er, mes idées sur les trois
explications etc. , lisez : Je me hornerai à substituer dans
deux notes relatives au 1er, mes conjectures personnelles aux
trois explications etc.
( 143 )

P. 91 , lignes 24-5 , à la note . — Le renvoi aux Puranas Hindous


est fautif et doit être ici négligé . Vérification faite de mes notes
sur le Vichnu - Purâna de Wilson , j'ai reconnu que les sept pla
nètes y sont rangées suivant l'ordre qu'elles gardent chez les
astrologues Egypto-grecs ou Chaldéo -perses dans l'une des
deux distributions par domiciles ou par décans, qu'ils en faisaient
systématiquement entre les 12 signes du zodiaque solaire ,
appelé en sanscrit Raçi - Tchakram « Roue des signes » . Ce qui
me parait plus ancien dans l’Hindoustan comme ailleurs, c'est
l'arrangement hebdomadaire relevé par Polier, par Colebrooke ,
par Abel -Rémusat et par M. Guigniaut, parce qu'il est tiré soit
du très- vieux rituel des prières que les Brahmanes adressent
encore aux sept planètes visibles, soit des calculs fantaisistes
à l'aide desquels ils expliquent leurs grands cycles des quatre
åges du monde et des 14 Manous dont sept sont encore à venir,
soit des cartes uranographiques dressées en divers lieux et en
divers temps par leurs imitateurs Bouddhistes , soit enfin des
distributions astrologiques des sept corps errants entre les 28
astérismes ou Nakchatras de leur antique zodiaque lunaire . Je
reviendrai sur tout cela dans la dernière note supplémentaire
ci -après.
P. 93 , note 1 . J'ai oublié de joindre au Ps. CXIX le livre
de Job, XXXVIII , 7, où il est parlé des étoiles du matin qui ,
lors de la création , poussaient des cris de joie avec les enfants
de Dieu qui chantaient en triomphe. C'est par imitation que
les plus pieux adorateurs de Jehovah précédaient l'aurore
pour le supplier. Cet usage s'est perpétué parmi les esseniens
et chez les dévôts du Talmud . Ces pieux adcrateurs de Jéhovah
attendaient dans une attitude religieuse le lever du soleil et
terminaient leur prière du matin à l'instant même où son disque
allait se montrer, et il paraît qu'ils y invoquaient secrétement
le nom quadrilitère. Etait-ce en souvenir de la lutte nocturne
de Jacob avec l'homme divin qui avait refusé de se nommer à
lui, mais qui l'avait béni aux { res lueurs du jour après avoir
changé son nom en celui d'Israël , suivantGenèse, XXXII , 24-31 ?
A ce sujet voyez le savant Essai de M. J. Derenbourg, couronné
récemment par l'Académie des Inscriptions , sur l'histoire et la
géographie de la Palestine d'après le Talmud, p . 169-70 .
( 144 )
P. 99. -- Après la ligne 20, en note, lisez les lignes 24 à 29,
et reprenez alors les lignes 21 à 23, interverties.

P.'99, ligne 27, en note. Ajoutez au mot Aberanenthòr :


La Pistis Sophia donne pour variante Aberanenthò et Aberamentho,
et dans les extraitsde Reuvens (Lettres à M. Letronne, p. 5-6 ), 4
on lit Aberamenthôou , interprété « Seigneur habitant du vide »
avec cette addition : c'est « l'une des 14 épithètes de Typhon ,
C'est - à -dire de Seth que certains gnostiques confondaient avec
le dieu des Juifs, à l'exemple des Egyptiens postérieurs aux deus
Dynasties des Ramsès. ( Voyez le § V de mon introduction, et
notez à ce propos d'abord que, dans les 14 épithèteś barbares
de Typhon -Seth, relevées par Reuvens, entre le qualificatif ló,
et ensuite que sir Henry Rawlinson, suivant Bunsen dans
l'edition anglaise de son grand ouvrage sur l'Egypte, iv ,
p. 208 ), a trouvé le nom du dieu Set ou Seth appliqué à
Saturne (après l'avoir été au Soleil), sur des inscriptions cunéi
formes de Babylone et de Ninive.
P. 105, ligne 25, note 1 . Ajoutez à cette note i l'explica
tion suivante : Dans le sanscrit classique, la déclinaison du
thème nominal Yahu , nil Yahuh, vocil Yaho, donnerait aux au
et voch pluriels, non pas Yahvah pour le masc . et Yakvih
pour le fém ., mais bien, pour les deux genres, la forme
commune Yahavah, à l'exemple du masc . Sinu « fils », et du
fém . Tanu « corps » , qui font à ces deux cas du pluriel
Súnavah et Tanavah ( Voir la Vergleichende grammatik de Bopp,
p. 272, frc édit.) . Or je tiens d'un Israélite instruit qu'en
Portugal et en Espagne les rabbios de nos jours rendent Thuh
par Yahavah ou Yehavah, à la différence de leurs collègues de
Pologne et d'Allemagne qui le prononcent Yehovah .
P. 116, lignes 10 et 11. - À la phrase : mais la recherche de
l'étymologie etc., substituez celle-ci : Mais la comparaison de
l'hébreu avec le phénicien peut fournir pour l'Aó des Cypriotes
une explication plus simple. Puis à la phrase suivante,
remplacez Or par En effet.
P. 117, ligne 2. Ajoutez en note : On a vu précédemment
que la suppression de l'i initial de ce nom divin se retrouve
en hébreu dans les trois noms propres ci-après : 1 ° Huhm pour
( 145 )
Ihuhm ( Josué, X,3); 2° Huch'ma pour Ihuchm'a (I Chroniq. III, 18 ),
et 3° huch'a pour Ihuch'a (Nomb. XIII, 9, 17) .
P. 118, ligne 2, note 1. — Ajoutez à la note le renvoi qui suit :
Primitivement les Mazzalóth ou Mazzaroth hébreux ou assyro
chaldéens désignaient les Mendzil-al- Kamar arabes, c'est - à -dire
les 27 ou 28 mansions de la lune durant sa révolution sidérale,
et répondaient ainsi aux Nakchatras bindous, c'est-à-dire aux
(célestes) gardiens de la nuit, et aux Sicou chinois, comme l'a
prouvé M. Albrecht Weber tant dans ses deux dissertations alle
mandes sur les Nakchatras (Mémoires de l'Académie des sciences
de Berlin, années 1860-2) que dans les T. II et IX de ses Indische
Studien . Mais, dans la suite des âges, on en a réduit le nombre à
12 pour les appliquer aux 12 soleils de l'année, puis aux
12 signes du zodiaque solaire parcourus par les sept planètes.
Suivant moi , c'est en ce sens restreint que le livre de Job
(XXXVIII, 32), emploie le pluriel Mazzaroth lorsqu'il fait dire à
Jehovah parlant au saint homme : « Feras-tu sortir les Mazza
róth en leur temps, et conduire ' Aich (l'Ourse) avec sa queue? ) .
Car les mots en leur temps supposent une succession d'années
ou de mois tout au moins, bien plutôt que de simples jours
dans un seul mois. · Dans l'astronomie poétique des Indiens ,
les 12 signes du zodiaque solaire sont réputés fils de 12 des 27
ou 28 constellations de l'ancien zodiaque lunaire, et à ce titre
ils en tirent leurs noms distinctifs. Il a dû en être de même en
Assyrie, en Chaldée et, par suite, en Palestine, s'il est vrai,
comme je le pense avec M. A. Weber,que les prêtres chaldéens
sont les inventeurs des deux zodiaques.
P. 122, lignes 9-10. Ajoutez en note : On sait que la lune
met en moyenne 29 jours 1/2 à revenir au soleil et 27 jours
1/3 à revenir à la même étoile, et que, dans ces deux révolu
tions, l'une synodique et l'autre sidérale, elle reste invisible
durant au moins deux jours entre deux lunaisons, savoir : un
jour avant et un jour après la conjonction, absorbée qu'elle
est alors dans les rayons solaires. En se guidant uniquement
sur elle, il était impossible d'en tirer chaque mois quatre
semaines sans résidu au fer cas et sans déficit au 2d ; ce qui
a fait dire à notre Delambre (Histoire de l'astronomie ancienne,
1, p. 401 ) que le cycle hebdomadaire n'était qu'une période
( 146 )
planétaire fictive, superstitieuse et relativement moderne.
Appliquée aux Grecs et aux Romains, l'observation est très juste.
Il n'en est pas de même à l'égard des Juifs postérieurs à l'éta
blissement du Mosaïsme et des Hindous postérieurs à la période
Védique, car, chez les uns comme chez les autres et chez les
premiers surtout, la semaine figure avec un cachet lunaire
incontestable, quoique fort mélangé de traits relatifs à la
cosmogonie. Bailly l'avait amplement établi tant dans son
Histoire de l'astronomie ancienne que dans son Astronomie indienne
et orientale, et ses idées ont été admises récemment par M. G.
Rodier dans son Antiquité des races humaines. Sans remonter
aussi loin que ce dernier savant dans les âges anté -historiques,
j'admets à mon tour les vues de l'infortuné maire de Paris .
La semaine me paraît avoir été successivement lunaire
synodique, puis lunaire sidérale, ensuite lunaire cosmogonique,
et finalement cosmogonico-planétaire. Il me semble que les
inventeurs ou promoteurs de cette petite période se sont
d'abord guidés sur les syzygies et les quadratures qui se
succèdent de 7 en 7 jours avec une fraction de 9 heures
en moyenne, qu'ensuite, mieux éclairés par l'observation
des phénomènes de notre satellite, ils ont substitué à sa
révolution synodique sa révolution sidérale en la portant à 28
jours en nombre rond, au lieu de 27 jours avec 7 à 8 heures. Ce
procédé simple et commode pour les calculs, mais peu accessible
au vulgaire, vu la difficulté de bien reconnaître les étoiles qui
chaque nuit avoisinaient la lune, leur a procuré des semaines
exactes de sept jours, des mois lunaires de 28 jours ou de 4
semaines, et des années luni- solaires de 13 mois formant
ensemble 364 jours (au lieu de 365 jours 1/4, durée réelle de
l'annnée solaire), et de 52 semaines complètes, sans déficit
comme sans excédant. Bailly a trouvé des preuves de ces
calculs et de ces usages raisonnés dans l'Inde méridionale et
dans l'Indo-Chine, mais à une époque postérieure de plusieurs
siècles à la mort du Bouddha Çakyamouni. A mon tour, je
crois en avoir découvert des vestiges beaucoup plus anciens
chez les Hébreux au chap. XXIX du 4e livre du Pentateuque où
il est question du nombre décroissant jour par jour des veaux
à offrir à Jehovah depuis 13 jusqu'à 7 durant la semaine de la
( 147 )
fête des tabernacles qui commençait le 15 et se terminait le
21 du 70 mois, la solennité du 22 rentrant dans le cadre des
sabbats de la néoménie. (Sur ce dernier point, comparez Nom
bres, XXVIII, 11 et XXIX, 35) . Je vois là des traces d'une origine
assyro-chaldéenne sur laquelle je reviendrai à la dernière note
additionnelle qui va suivre.
Page 131 , lignes 19 à 22. Ce que je dis aux quatre
lignes citées des idées cosmogoniques que les Indiens et les
Hébreux auraient mêlées à leur acceptation plus ou moins
ancienne de l'hebdomade planétaire, inventée et transmise,
selon toute apparence, par les prêtres astronomes de la Baby
lonie, peut s'appliquer chez les premiers à leurs deux antiques
quinzaines lunaires de chaque mois, commençant après les
syzygies ( conjonction et opposition) et chez les seconds à leurs
quatre antiques Sabbats mensuels réglés originairement sur les
quatre principales phases de l'astre des nuits (nouvelle lune,
fer quartier, pleine lune et dernier quartier). D'un côté en effet,
les Hindous de nos jours continuent d'allumer avec pompe au
cominencement de chaque quinzaine lunaire, de même qu'aux
quatre phases du soleil (les solstices et les équinoxes), les
trois feux sacramentels du triple Agni, que leurs ancêtres
considéraient comme le dieu rénovateur des phases de la
lune et de celles du soleil , c'est-à-dire comme le feu universel
et abstrait qui alimente en secret les deux astres régulateurs
des nuits, des jours, des lunes ou mois, des saisons et des
années (Voir à ce sujet le Rig-Véda Langlois, IV , p. 320, Stº
18-9) . D'un autre côté, les modernes Israélites dans leurs priéres
du matin aux Néoménies et aux Sabbats remercient encore
l'éternel créateur de renouveler les figures de la lune (Voir
leur Recueil de prières journalières, traduites par M. Anspach,
p. 179 et 259). Tout porte à croire qu'il en était de même chez
les Assyriens de Ninive et d’Arbèles. Car il apparaît de leurs
inscriptions cunéiformes qu'ils donnaient, 1° au dieu créateur,
entre autres noms, celui d'Asur ou Assur (sanscrit Asura ,esprit
vivifiant), 2° au dieu Sin ou Lunus celui de dieu trente et 3° à la
double déesse Islar ou brillante (Bible 'Achtoreth , plur. 'Ach
taroth), à la fois guerrière et voluptueuse, celui de déesse quinze,
nom qui parait avoir passé des deux quinzaines lunaires à la
( 148 )
planète Vénus, étoile du soir et du matin qui a , comme la
lune, des phases croissantes et décroissantes et que les
astrologues d'Egypte , de Grèce et d'Italie appelaient planète
d'Isis, d'Hera , de Junon . Ajoutons qu'en même temps les
Babyloniens donnaient à leur dieu Marduk (le Merodakh de
la Bible), pris à tort ou à raison pour Jupiter -Planète, le
titre de dieu de la semaine et des légions (Voir à ce sujet les ouv .
cités de MM. J. Oppert, A. Maury et Fr. Lenormant).
Même p. 131 , ligne 26 et dernière du texte. Ajoutez par
annotation à Chbt lihuh : Les anciens rabbins reconnaissent
que lo nom propre Chbti, ponctué Chabbetai, qu'Esdras, X, 15,
et Néhémie, VIII, 7, XI, 16, donnent à un membre influent de
la tribu de Lévi, revenu de Babylone à Jérusalem , désignait
la planète Saturne. Gésénius (Voir son Thesaur. in Vo) le rend
par » Sabbato natus », né le jour du Sabbat. Ce lévite portait
donc le nom de la planète qui, chez les Chaldéens, présidait au
jour correspondant à celui de sa naissance.
P. 132, lignes 5 à 11 . Ajoutez par annotation : Les poëtes
du Rig -Véda emploient quatre noms pour désigner certaines
phases lunaires. Deux de ces noms, Gungů (ailleurs Kuhů ), et
Raků , sont reconnus pour s'appliquer aux deux syzygies
(conjonction et opposition) . Quant aux deux autres, Sinivali et
Anumati, les indianistes y voient, les uns, les deux jours
suivants, les autres, ceux des quadratures (fer et dernier
quartier ). Ils conviennent tous d'ailleurs que le calendrier
des Aryas était lunaire et que, pour ramener la célébration
des fêtes aux saisons convenables, on intercalait deux
mois, l'un au milieu et l'autre à la fin d'un cycle de 5 ans.
C'est plus tard seulement et à une époque indéterminée
que les Brahmanes ont adopté le calendrier solaire, toutefois
sans abandonner l'ancien pour le coinput des fêtes ou des
cérémonies religieuses, observation qui s'applique également
aux Egyptiens. - Tout récemment Max Müller, dans sa Rig
Veda-Sanhita , translated and explained p. 241 , semble adopter ,
l'opinion de W. Jones, Lassen, Wilson et Langlois sur l'usage
de la semaine de sept jours chez les Aryas, non pas de la
semaine planétaire, mais de l'antique semaine lunaire, car
c'est aux sept jours de celle -ci qu'il rapporte les expressions
-
( 149 )

védiques Sapta -Adityås « les sept fils d’Aditi » Sapta -Süryas


« les sept soleils » . Suivant lui , la réunion des sept jours
lunaires ou Tithis formait un Parvan « un næud , une jointure » ,
célébré par une cérémonie religieuse. C'est ainsi que l'enten
daient les quatre savants que je viens de nommer. Leurs
arguments ne manquent pas de force, je me borne à renvoyer
à leurs écrits. Me permettra - t -on d'ajouter que le retour de la
fête hindoue du 7 jour (sanscrit Saptami, grec Hebdomé, latin
Septima ), dans les deux quinzaines lunaires de chaque mois ,
pourrait bien être indiquée dans les Védas par cette appellation
Parvana -parvana « de Parvan en Parvun » ? (Voir les textes
cités par Benfey, p . 120 de son Glossar Védique) . – En Judée ,
le Chubbat était consacré à Jéhovah, d'où son nom Chbt lihuh ;
dans le Sapta -Sindhou, le Parvan, son équivalent , l'aurait été
à Agni, comme plus tard la Saptami indienne, répondant à la
Chabu'a juive suivant Wilson , le fut ou au soleil ou à la
lune, selon que l'on suivait le calendrier solaire ou le
calendrier lunaire (Voyez l'intéressant article de Wilson sur
les fê es des Hindous dans l'Asiatik Journal,VIII, p . 82 et suiv.).
J'appliquerais donc à ce Sabbat- Parvan de l'Iude, la strophe
suivante du R. V. L. ( I , 180 , 4) : « Pour te rappeler notre
souvenir, 0 Agni , nous voulons à chaque Parvan, entretenir ton
foyer, et t'apporter des libations . Et toi , exauce nos vœux, en
prolongeant nos jours » . En place du voch Agné, mettez son
épithète Sahasó - Yahô, et vous aurez l'équivalent du Yahuh
Elohim de la Genèse, créant le monde en six jours et se repo
sant au 7€. Il est reconnu ,je crois, que dès le temps d'Alexandre
le-Grand , ce 7e jour des Juifs était le samedi , ou le jour de
Saturne, auquel nous avons substitué le dimanche, ou le jour
du Soleil, en acceptant d'ailleurs les noms païens des sept
jours de la semaine. Cela indique , ce me semble, qu'au 4*
siècle avant notre ère, les Juifs faisaient coïncider le jour du
Sabbat avec celui de la planète Saturne et que Simonis, dans
son Onomasticon , n'avait pas tout- à -fait tort de prendre le nom
propre Chbti, cité à la note précédente, pour une abréviation
de Chitih et de l'interprétir par repos de Ydh . - A ce dernier
égard , ce n'est pas trop s'avancer que de voir là un emprunt
fait par les Israélites aux Assyro -Chaldéens. Ce qui me parait
( 150 )
certain, c'est que, chez ceux -ci, la semaine planétaire s'était
associée de très bonne heure à la semaine lunaire, soit
synodique, soit sidérale, et qu'elle avait fini par la remplacer
entièrement comme plus complète, plus exacte et plus
sacrée. On sait d'ailleurs que ces peuples, naturistes comme
les Aryas, étaient avant tout astrolâtres ; qu'ils honoraient
particulièrement le Soleil et la Lune, les cinq petites
planètes et les 12 signes du zodiaque, et que leurs prêtres
avaient distribué entre ces 12 signes les sept astres errants
SOUS 4 points de vue astrologiques, c'est- à -dire en les considérant
comme lieux de domicile, d'exaltation ,dedècadence et de chute des
Planètes (Voyez là -dessus, après l'Origine des cultes de Dupuis et
l'Histuire des religions par Delaulnaye, le Chap. 2 moins compli
qué de l'intéressant livre de M. Alfred Maury, intitulé Lu magie
et l'astrologie dans l'antiquité et au moyen -dge, 4e édit.). - La
substitution des planètes aux phases lunaires me ramène à la
série hebdomadaire : Soleil, Lune, Mars, Mercure, Jupiter,
Vénus, Saturne, que les érudits ont retrouvée à Siam, dans le
Deccan, en Suisse et dans la Caule. Pour abréger, j'ai négligé
de dire qu'en Perse, cette série était remplacée par la suivante
qui est la même prise en sens inverse : Saturne, Vénus,
Jupiter, Mercure, Mars, June, Soleil (Voir le Boundehesch, le
Viraf -Nameh et le Zerdust-Nameh, dans le mémoire de feu Félix
Lajard sur deux Bas-reliefs mithriaques trouvés en Transylvanie).
Ces deux séries me paraissent d'origine chaldéenne, et si j'y
reviens dans cette dernière note supplémentaire, c'est qu'à
mon avis elles se rattachent toutes deux aux titres lao et Sabaoth
donnés par les Chaldéens au créateur ou Démiurge selon Jean.
le Lydien et Cédrenus. - Remarquons d'abord sur la première
que Diodore de Sicile ( lib. II, c. 30-1), en parlant des peuples
de la Babylonie et de la Chaldée, déclare, non seulement
qu'ils appliquaient aux cinq petites planètes les noms de leurs
divinités nationalees, exemple suivi par les Indiens, par les
Perses, par les Egyptiens, par les Grecs et par les Germains,
mais, ce qui est plus topique, qu'ils les rangeaient dans l'ordre
suivant : 1º Mars, 29 Vénus, 3° Mercure, 4. Jupiter et 5° Saturne.
L'historien grec se trompe évidemment quant à Vénus, mais
son erreur est facile à corriger. Il suffit pour cela de rétablir
-
( 151 )
cette planète à la 40 place, au lieu de la 2 °, en se guidant sur
la série hindoue, germanique et gauloise qui me parait antéri
eure en date au système astronomique : Lune, Mercure, Vénus;
Soleil, Mars, Jupiter, Saturne. - Remarquons ensuite sur les
deux séries hebdomadaires rappelées ci-dessus, qu'on peut
les retrouver dans les inscriptions cunéiformes de Borsippa ,
et de Khorsabad, anciens quartiers, l'un de Babylone, et
l'autre de Ninive. Si je ne me trompe point, il y avait à cet
égard entre les deux Zicurat ou observatoires sacrés de ces
deux capitales, une différence qui parait s'être reproduite
dans les autres monuments babyloniens et assyriens du même
genre. Elle consistait en ce qu'à Borsippa, Saturne figurait en
haut de la série avant Vénus, et le Soleil en bas après la Lune ,
tandis qu'à Khorsabad , le fer se présentait en bas et le 22 en
haut. Tel est du moins le sens que je donne, non saus

hésitation, aux indications un peu trop succinctes et de M. A.


Maury et de M. Fr. Lenormant, puisées sans doute dans
les curieux déchiffremenrs de M. J. Oppert et de sir Henry
Rawlinson (Voir pour le fer, Revue des deux mondes du 15
mars 1868, p . 476-7, et pour le 24, Manuel d'histoire ancienne
de l'Orient, I, p. 36-8 ; II, p. 199-200 et p. 231-4 , 4. édition) .
Je suppose qu'au dessus, les prêtres astrolâtres des deux
pays plaçaient le ciel des fixes, séjour du dieu suprême,
adoré sous différents noms suivant les localités. – Cela
posé, je crois pouvoir en tirer les conclusions suivantes :
- 1 ° les deux séries hebdomadaires des planètes, considérées et
prises alternativement de bas en haut et de haut en bas,
semblent correspondre à deux semaines diametralement
opposées, l'une directe et montante , l'autre rétrograde et
descendante comme les deux gammes musicales do, re, mi, fa,
sol, la , si, et si, la, sol, fa, mi, rė, do ; — 2° elles se rapportent
évidemment aux deux voyages doubles, les uns demi-annuels ,
les autres demi-mensuels,que lesoleilet la lune exécutaient dans
la bande zodiacale, tantôt pour monter du Sud au Nord ,
tantôt pour descendre du Nord au Sud . Je fais observer, par
parenthèse et par forme de conjecture, que si dans les
deux séries, les deux points de départ et d'arrivée (Cancer
ou Lion d'un côté, Capricorne ou Verseau de l'autre) s'écaitent
( 152 )
it
d'un signe zodiacal, c'est probablement que l'une se référa
aux planètes solaires de l'abbé Movers et l'autre à ses planètes
lunaires. — 30 quoiqu'il en fût, c'est plus tard sans doute
que les mystagogues de l'Orient, ceux de l'Inde surtout, ont
mêlé à ces conceptions astrologico - mythologiques, leurs
perpétuelles rêveries sur les voyages des âmes à travers les
sphères, soit pour monter de la terre au ciel du soleil ,
lorsqu'elles avaient quitté leurs enveloppes corporelles, soit
pour descendre du ciel de la lune sur la terre lorsqu'elles
s'incarnaient de nouveau (Voir à ce sujet le Mémoire explicatif
du zodiaque chronologeque et mythologique, vol. in - 4 ° publié par
Dupuis en 1806). — 4. De là est venue l'échelle double des mys
tères de Mithra, adoptée par les sectes gnostiques et ramenée par
Origène (dans son 6° livre contre Celse ), à l'échelle myslerieuse
du songe nocturne de Jacob à Béthel, et cela non sans apparence
de raison , car cette échelle s'élevait de la terre au ciel, les
Beni - Elohim « enfants de dieu ou des dieux » , y montaient et
en descendaient, tandis que Jehovah se tenait au sommet
(Genèse, XXVIII, 11-22), comme le lao-Sabaoth ou démiurge
des Assyro -Chaldéens, selon Damascius, Jean le Lydien et
Cedrenus. 5° Les peuples voisins des Juifs confondaient
Jehovah, tantôt avec Saturne auquel ils donnaient le titre
mystique de Soleil et le double rang de fer et de 7", tantôt
avec le soleil que les Chaldéens appelaient Aðum - is, au
lieu de Môum -is, selon la correction de Movers (ouv. cité
p. 555) qui le compare aves raison à l'Aum des Indiens,
tandis que les gnostiques qui, à l'exemple de leurs devanciers,
confondaient volontiers les deux astres, appliquaient au
nocturne Kronos ou Saturne le titre d'Ialdabaoth « fils des
ténèbres » , d'abord propre au soleil levant, et voyaient en lui
le Protogonos des Phéniciens et des Orphiques, le Monogenes
des Assyro -Chaldéens, le Prathamah -Devah ou Ek zh - Devah des
Védántistes indiens, titres qui nous ramènent forcément, d'un
côté, au Sahasó - Yahuh des Védas, de l'autre, au Yahuh - Elohim
de la Genèse . Quant à l'époque de la découverte des 5
petites planètes et de leur adjonction au Soleil et à la Lune
pour faire des sept astres errants les génies tutélaires des sept
jours de la semaine, il paraît qu'elle remonte chez les Chal
( 153 )
déo- Assyriens à une très -baute antiquité, si l'on s'en rapporte
à l'inscription cunéiforme de Borsippa, car Nabuchodonosor
s'y vante d'avoir restauré la tour des sept lumières de la
terre, construite par un antique roi du pays et haute de sept
étages distingués par des teintes différentes répondant aux
couleurs des sept planètes, et d'y avoir ajouté, lui , un
dôme en l'honneur du dieu -suprême. MM. J. Oppert, A.
Maury et Fr. Lenormant (Voir leurs ouv ci-dessus cités ),
ont très bien montré qu'il s'agit là de la fameuse tour de Babel
mentionnée dans la Genèse, XI, 2-9, cr décrite par Hérodote .
A l'égard de la coupole qui manquait à l'antique édifice et
que Nabuchodonosor y avait ajoutée pour couronnement, elle
représentait sans doute la voûte céleste (la Râqy'a de la Genèse)
avec tout le cortège des étoiles fixes qui la parsemaient et au
haut desquelles se tenait l'ancien des jours (de Daniel) assis
sur un trône de saphir, la tête tournée à l'est comme le
soleil ouchant, ayant à sa gauche les sept astres de la grande
Ourse, ses companogus assidus et, à sa droite six de leurs sept
épouses, les pléiades, condamnées à tourner loin de leurs maris
respectifs pour cause d'infidélité. Il ne me parait pas téméraire
d'attribuer aux prêtres de la Chaldée un mythe relevé par les
Puranas hindous, car l'amant des pléiades adultères élait le
Sahasô - Yaho des Aryas, le lao - Sabaoth des Chaldéens, le Yahuh
Elohim de la Genèse, c'est-à -dire le fils de la force ou des forces
et le père des sept lumières. On sait qu'à Babylone on amenait
tous les soirs au grand dieu Bel une jeune femme pour passer la
nuit auprès de lui dans son sanctuaire, et de là vient peut-être
qu'on ne distingue clairement au ciel que six pléiades, bien
qu'en réalité elles soient au nombre de sept, suivant la
remarque du poète Ovide.

Amiens, - Imprimerie do E. YVERT, PUO des Trois-Cailloux, 6 .


2
2030

JEHOVAH ET AGNI

ÉTUDES BIBLICO - VÉDIQUES

Sur les Religions des Aryas et des Hébreux


dans la haute antiquitė

PAR J.-B.-F. OBRY

JUGE HONORAIRE ET MEMBRE DE L'ACADÉMIE D'ANIENS.

Fascleul 1
14 et 2. es ( 869-1870 ).

PAR
DURA P ILSA Li
A. ND et EDONE URIEL , braires ,
Rye Cujas, \,' ancienne rue des Grès ,

18m 0 .
286302

JEHOVAH ET AGNI

ÉTUDES BIBLICO - VÉDIQUES

Sur les Religions des Aryas et des Hébreux


dans la haute antiquité

PAR J. B.-E. OBRY

JUGE HONORAIRE ET MEMBRE DE L'ACADÉMIE D'AMIENS.

1er et 2. Fascicules (1869-1870) .

PARIS
A. DURAND et PEDONE LAURIEL , Libraires ,
Roe Cujas, ? , (ancienne rue des Grès) .

1870 .
1
AUTRES ÉCRITS DU MÊME AUTEUR ,

Pribliés dans les Memoires de l'Acoulèmic des Sciences, de Letnici


et des Arts d'Amiens.

1835 Rapport sur les travaux philologiques de M. Eug.


Burnouf, relatifs à la langue Zende.
Du verbe substantif et de son emploi comme auxi
liaire dans les conjugaisons sanscrite, grecque et
latine, à la voix active, avec note additionnelle sur
le verbe I (aller) considéré comme auxiliaire.
1837 Observations sur un bas-relief de la Cathédrale
d'Amiens.
1839 De l'immortalité de l'âme selon les Hébreus.
1845 Esquisse sur la poésie indienne.
1850 Etude historique et philologique sur le participe
passé français, et sur ses verbes auxiliaires.
1852 Notice sur les travaux de M. Eug. Burnouf.
1856 Du Nirvâna indien, ou de l'affranchissement de
l'âme après la mort, selon les Brahmanes et les
Bouddhistes.
1858 Du berceau de l'espèce humaine selon les Indiens,
les Perses et les Hébreux. — (En vente à la même
librairie ).
1863 Du Nirvana Bouddhique ,en réponse à M. Barthélemy
Saint-Hilaire. — (En vente à la même librairie) .
1866 Du Culte des Màves et du droit héréditaire à Rome.
à Athènes, en Perse et dans l'Inde ( introduction ).

ONE0007 .
-
THE NEW YORK PUBLIC LIBRARY
REFERENCE DEPARTMENT

This book is under no circumstances to be


taken from the Building

form 410
EBRARY

uces to be

Vous aimerez peut-être aussi