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Société

Vive l'individualisme !
Non, individualisme ne rime pas avec égoïsme. C'est ce que démontre le
philosophe Alain Laurent dans une anthologie qui ébouriffe bien des certitudes.
Propos recueillis par Catherine Golliau
Publié le 22/11/2016 à 16h14, mis à jour le 23/11/2016 à 16h30

L'individualisme se définit comme la reconnaissance de la souveraineté de l’individu. Quoi de plus stimulant et


salutaire en ces temps de manipulation de masse, selon Alain Laurent. © K cabral (licence creative commons)

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Le Point : L'individualisme est considéré généralement comme un défaut, or,


pour vous, c'est une vertu. Pourquoi ?

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Alain Laurent : Parce que c'en est une. D'où le titre de cette anthologie, L'Autre
Individualisme, que je viens de publier. Ce que j'appelle ainsi c'est celui que
définissent la plupart des dictionnaires : la reconnaissance de la souveraineté de
l'individu. En psychologie, c'est un comportement indépendant et autonome, le
contraire du suivisme. En politique, la valorisation de l'initiative privée, la volonté
de privilégier le développement des droits et des responsabilités de l'individu – par
opposition au collectivisme. C'est l'application de la fameuse devise d'Emmanuel
Kant : oser penser par soi-même. Quoi de plus stimulant et salutaire en ces temps
de manipulation de masse sur Internet ? Or aujourd'hui, l'individualisme est défini
uniquement comme l'impérialisme du moi, l'égoïsme, le repli sur soi. À gauche, il
est accusé de dissoudre le « vivre ensemble ». Et les droites traditionalistes,
est accusé de dissoudre le « vivre ensemble ». Et les droites traditionalistes,
souverainistes et bien sûr extrêmes ne sont pas en reste. Si on met dans cette
catégorie l'islamisme et son communautarisme absolu, on peut même se demander
si l'hostilité viscérale à l'individu libre ne s'est pas déplacée vers cet autre pôle de
l'idéologie contemporaine. Il ne faut pourtant pas confondre des comportements
individualistes extrêmes qui peuvent effectivement être égoïstes, et le fait de
défendre le principe de décider soi-même de sa propre vie. Et d'ailleurs, n'existe-t-il
pas des égoïsmes collectifs : par exemple, les corporatismes ?

Comment expliquer cette évolution sémantique ?

Le mot « individualisme » apparaît dans les années 1820, porté sur les fonts
baptismaux par Pierre-Isodore Rouen et surtout Benjamin Constant. D'emblée ce
dernier lui confère un sens positif, parce que l'individualisme défend les droits de
l'individu face à ceux de la société et de l'État, qu'il est un facteur de
développement de l'esprit humain. Pour lui, « l'indépendance individuelle est le
premier des besoins modernes ». Plus tard, l'Anglais John Stuart Mill affirmera
que « sur lui-même, l'individu est souverain », et Antoine Destutt de Tracy, que «
l'individu est propriétaire de lui-même ». L'individualisme va ainsi connaître en
Europe de riches heures au XIXe siècle avec des penseurs comme Gustave de
Molinari, Frédéric Bastiat, Herbert Spencer, etc. Kierkegaard, le père de
l'existentialisme, sera le concepteur d'un individualisme spirituel et existentiel,
presque chimiquement pur, au point de vouloir que soit écrit sur sa tombe : « Ci-gît
l'Individu » (avec une capitale !). Pour lui, l'être humain n'est responsable de ses
choix que devant Dieu. Mais c'était un protestant... L'Église catholique autant que
le communisme ont combattu l'individualisme. Et en France, il va falloir attendre
l'affaire Dreyfus, à la fin du XIXe siècle, pour que le mot soit enfin utilisé de
manière positive. Démocrates de gauche et de droite, mais aussi une partie des
anarchistes et des penseurs un peu à la marge comme Georges Palante, se
reconnaissent alors dans un individualisme associé à la liberté de disposer de soi
sans agresser les autres.

Le libéralisme et l'individualisme vont-ils toujours de pair ?

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Pas forcément. Les libéraux de souche catholique ou chrétienne ne sont pas
individualistes, quant aux libéraux modérés comme Raymond Aron ou Jacques
Rueff, ils s'en méfient. À l'inverse, un Jean-François Revel a fait de la défense de
l'individualisme libéral son cheval de bataille...

Et Donald Trump, de quel individualisme est-il le représentant ?

En dépit de son nationalisme, il incarne en partie l'individualisme américain


traditionnel, jadis célébré par Herbert Hoover : se faire soi-même sans attendre
d'assistance d'un État toujours trop intrusif, résister aux injonctions de la bien-
pensance collectiviste de l'establishment. Mais dans sa version plus radicale et
conforme à ce que prônait une Ayn Rand, cet individualisme a été infiniment
mieux illustré par le candidat libertarien Gary Johnson.

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LIRE aussi Koenig - Les libertariens ? Des hippies avec un flingue en
bandoulière

Mais pourquoi des penseurs socialistes comme Jaurès se sont-ils ouvertement


réclamés de l'individualisme ?

Entre 1890 et 1930, beaucoup ont pensé que l'individualisme, c'était le socialisme,
et réciproquement. Après le sociologue Émile Durkheim, Jaurès a ainsi défendu
l'idée que le socialisme, c'était « l'individualisme logique et complet », car, écrit-il
en 1898 dans la Revue de Paris, « le socialisme est l'affirmation suprême du droit
individuel ». Après lui, des penseurs comme Eugène Fournière, Victor Basch ou
Célestin Bouglé vont défendre un socialisme qui respecte les droits de l'individu.
Dans L'Âme humaine sous le socialisme, Oscar Wilde va écrire en 1891 que « le
socialisme ne sert qu'à atteindre l'individualisme ». À cette époque, les deux grands
réservoirs de l'anti-individualisme sont la gauche marxiste d'un côté, et les adeptes
de la révolution conservatrice et du nationalisme de l'autre. Pour eux, l'individu
doit se soumettre et se dissoudre dans la collectivité, la nation. Le contrecoup de la
Première Guerre mondiale sera la montée en puissance des totalitarismes, et
évidemment de l'anti-individualisme.

Mais aujourd'hui ? L'influence du catholicisme a décru, et les totalitarismes ont


été vaincus …

La religion chrétienne a perdu en visibilité, mais ses idées continuent d'imprégner


la société. Elles inspirent ainsi les discours sur le partage et la solidarité, même les
discours sacrificiels de la droite dure. Quant au marxisme, il est lui aussi demeuré
très présent, même si ce n'est plus dans les bulletins de vote. L'idéologie en France
est puissante. Or les grandes idéologies comme les religions communient toutes
dans l'exécration du penser par soi-même. Le développement du communautarisme
contribue aujourd'hui à dévaloriser l'indépendance d'esprit.

Qu'est-ce qui explique, selon vous, que l'on renonce à sa liberté ?

L'individualisme peut impliquer une insécurité ontologique : il faut inventer soi-


même le sens de sa vie. Pour beaucoup, c'est effrayant, surtout si l'on a subi
l'imprégnation des idéologies du collectif, pour qui être citoyen, c'est renoncer à
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disposer pleinement de soi-même. Aujourd'hui, en France, le culte de la
République est ainsi en passe de devenir une idéologie. Avec injonction de
participer à ce nouveau culte incantatoire !

Être individualiste, c'est être pour la liberté, dites-vous. Donc, celle de porter le
voile islamique, par exemple. Or vous êtes contre. Pourquoi ?

Un certain type de voile est l'étoile jaune des femmes. Elles renoncent à leur liberté
en se soumettant à une injonction patriarcale. La femme se retrouve ainsi assignée
à une essence qui fait d'elle une éternelle mineure. Qu'elle le porte «
volontairement » n'y change rien. Beaucoup abdiquent d'eux-mêmes leur liberté
pour se sentir appartenir à une communauté. Staliniens et nazis ont eux aussi
préféré la « servitude volontaire ». Dans une lettre de juillet 1845 à Thoreau, le
chantre du non-conformisme qu'était Emerson appelait à une « déclaration
d'indépendance individuelle », applicable à tous : le meilleur chemin pour devenir
des adultes et penser par nous-mêmes, même si ce n'est pas toujours facile.

Mais comment vivre en société si chacun fait ce qui lui plaît ?

D'abord toute liberté se conçoit avec des limites. Et l'individualisme n'est pas
l'isolement. Ses penseurs, même Palante ou Stirner, ont voulu instituer un nouveau
type de lien avec les autres : coopérer, partager ce que l'on a librement choisi, sans
aliéner sa singularité. L'individualisme peut ainsi mener à la coopération volontaire,
comme l'ont soutenu des anarchistes français et américains. « L'associationisme »
prôné notamment par Proudhon en est une des interprétations possibles. En fait, ce
fameux individualisme consumériste tant vilipendé est un oxymore. La société de
consommation exige le collectif, elle a besoin des communautés. Ou plus
exactement de pseudo-communautés ou tribus, créées de toutes pièces par le
marketing pour mieux segmenter le marché. Nous vivons sans réfléchir dans une
confusion lexicale généralisée, rien moins qu'innocente. C'est l'un des maux
majeurs de ce nouveau siècle.

Alain Laurent, "L'Autre Individualisme. Une anthologie". Les belles lettres, 515
pages, 35 euros.

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Commentaires (10)

jllelaron 23-11-2016 • 17h28


Ils nous en on fait la démonstration pendant ces quatre années.

Erbabarona20 22-11-2016 • 23h21


Est le rempart des accidents de la vie. Moins on y est individualiste, plus on y est heureux.

Erbabarona20 22-11-2016 • 23h20


Que ce soit une entreprise, un pays, une famille, une association, un groupe ne tient que par
la solidarité collective, ... Lire plus

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