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Vivre libre ou mourir !


Ce qui distingue l’homme de l’animal, ce n’est ni le rire, ni la fabrication d’outils, ni même le langage,
mais bien plutôt cet instinct fondateur de toutes les valeurs humaines : la liberté. Tous les enfants
naissent libres et le demeurent jusqu’à ce que la famille, la tribu, la nation ou l’État viennent leur
rappeler les contraintes de la vie en société. L’on s’entend pour dire que c’est la Grèce antique qui a
lancé le débat.
Culture
par Jacques Godbout — 16 mars 2010

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Eugène Ferdinand Victor Delacroix

« C’est Athènes qui invente l’économie monétaire, la société du spectacle, la


relation scientifique à l’univers, la démocratie et la philosophie », explique l’écrivain
André Glucksmann. La démocratie n’était pas un projet généreux, elle est née des
querelles d’ivrognes qui désiraient se partager le butin des rapines. Évidemment,
les discussions à propos des droits individuels et publics se tenaient entre
Athéniens privilégiés, mais ceux-ci ont eu le courage de discuter de la cité en
excluant les dieux : « La liberté du roi doit être celle de tous. »

Un philosophe, une historienne et un islamologue racontent cette Plus belle histoire


de la liberté avec un profond scepticisme à l’égard des grandes idéologies et
religions. Qu’est-ce, en effet, que l’exercice de la liberté ? C’est penser et critiquer,
affirme le philosophe Glucksmann, c’est-à-dire par exemple s’étonner qu’Abraham
lève sur son fils un couteau sans même poser de questions à Dieu. La véritable
vertu est dans le doute, Socrate nous aura appris à tout remettre en question. « Est
superstitieux celui qui entend des voix sans s’interroger sur les voix qu’il entend. »

L’histoire de la liberté, expli­que Glucksmann, est portée par deux grandes


conceptions. L’épique, qui nourrit les messianismes (Jésus, Marx), et la tragique, qui
cherche le juste milieu entre les libertés individuelles et la raison d’État (Antigone,
Camus). C’est le récit de la lutte contre les tyrannies pour libérer la parole, les
esclaves, les femmes et les peuples assujettis.
À travers les siècles, la liberté a justifié les révolutions, sanguinaires ou tranquilles,
avec des poussées de fièvre comme celles des années 1960 en Amérique du Nord,
pour les droits civils aux États-Unis, la laïcité au Québec. Pendant que Rosa Parks,
une femme noire, refusait de quitter le siège réservé aux Blancs qu’elle occupait
dans un autobus, des parents québécois, de leur côté, deman­daient que l’État cesse
de con­fondre éducation et prosélytisme religieux.

On oublie trop souvent que la révolution américaine de 1776, qui a précédé de


13 ans la française, est peut-être plus importante que la prise de la Bastille. Cette
révolution fut d’abord culturelle, rappelle l’historienne Nicole Bacharan, car elle est
née des Lumières anglaises, de l’Europe des savants, de Newton, Voltaire, Diderot,
Hobbes et Locke. Déjà, en 1679, Londres promulguait l’habeas corpus (le droit pour
chacun d’obtenir un procès) et, 10 ans plus tard, le « Bill of Rights, qui garantissait
la liberté d’expression et celle de la presse, le droit de pétition, le libre port
d’armes, l’élection d’une Chambre des communes et la séparation radicale des
pouvoirs afin d’éviter toute dérive absolutiste ou autocratique du pouvoir central ».

Si les Anglais évitent la Ter­reur et la guillotine, les Amé­ri­cains ne feront pas


l’économie d’une guerre civile à propos de l’esclavagisme. Depuis ce temps, la
liberté a une saveur américaine différente du parfum français. « Les Français
croiraient davantage à la fraternité, au bien public et à la bonne nature humaine
dans la tradition de Jean-Jacques Rous­seau », dit Nicole Bacharan. Les Américains
se méfient de l’État, l’individu doit compter sur lui-même. Ils inventent la poursuite
du bonheur.

New York et Hollywood auront joué un rôle fondamental dans l’histoire de la liberté
au 20e siècle, à l’est la ville-creuset, à l’ouest les images du rêve. Ce n’est pas pour
rien que les islamistes ont frappé le World Trade Center. D’où venait cette haine ? «
L’isla­misme anti-occidental est né en 1920 en réaction à la supériorité technique,
politique et économique européenne », explique Abdel­wahab Meddeb. Or, les
jeunes Arabes sont encore aujourd’hui à 80 % analphabètes, l’écart entre l’Occident
et l’Islam se creuse, de nombreux terro­ristes sont des étu­diants diplômés
désespérés nourris de dépit.

Pourtant, « la ville cosmopo­lite, comme elle existe en Occi­dent aujourd’hui et


comme elle n’existe malheureusement plus en terre d’Islam, était au 12e siècle
caractéristique de la civilisation musulmane », souligne Meddeb : la Bagdad des
Mille et une nuits a réellement existé. Vivre libre ou mourir ? Des musulmans
aujourd’hui luttent à Téhéran contre une théocratie qui se cache derrière le Coran.
Vivre libre, c’est dénoncer les fictions qui servent de prétexte aux dictatures dans
toutes les sociétés, sur tous les continents.
La plus belle histoire de la liberté, par André Glucksmann, Nicole Bacharan et Abdel­-
wahab Meddeb, Seuil, 195 p., 24,95 $.

PASSAGE

« L’égalité est plus affirmée en France, et elle s’oppose souvent à la liberté individuell­e.
Liberté, égalité, fraternité, dit la devise des Français. La vie, la liberté, la recherche du
bonheur, affirme la Déclaration d’indépendance des États-Unis. Ce n’est pas tout à
fait le même projet. »

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