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Le Monde alpin et rhodanien.

Revue régionale d’ethnologie

Cinq figures de magiciens en Dauphiné et Savoie


Alice Joisten, Charles Joisten

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Joisten Alice, Joisten Charles. Cinq figures de magiciens en Dauphiné et Savoie. In: Le Monde alpin et rhodanien. Revue
régionale d’ethnologie, n°1/1986. Cinq figures de magiciens en Dauphiné et Savoie. pp. 17-136;

doi : https://doi.org/10.3406/mar.1986.1303

https://www.persee.fr/doc/mar_0758-4431_1986_num_14_1_1303

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Résumé
En divers lieux du Dauphiné et de la Savoie, les récits touchant à la magie et à la sorcellerie se
sont cristallisés autour de personnages devenus légendaires. Ainsi se dessinent cinq «figures de
magiciens». Ce sont, dans les Hautes-Alpes, Saoussa entre Veynes et Serres, et Moundou en
Valgaudemar. Pour la Savoie, Duvallon à Bessans (Haute-Maurienne ) ; le Doyen à Samoëns
(Haut-Faucigny) et le Pape des Aix en Chablais. S 'efforçant de replacer au mieux ces
personnages dans leur réalité sociale et historique, cette étude tentera aussi de comprendre ce
qui a pu favoriser la constitution de tels cycles narratifs. Mais, surtout, l'ensemble des récits
présentés, tirés des enquêtes inédites de Charles Joisten (1936-1981) sur Le Monde fantastique
dans les Alpes françaises, permettra d 'accéder au riche imaginaire des communautés qui les ont
portés.

Zusammenfassung
An verschiedenen Orten des «Dauphiné» und Savoyen haben sich die Erzählungen, die mit Magie
und Hexerei zu tun haben, um Gestalten herum gebildet, die zur Legende geworden sind. So
erscheinen fünf «Magierfiguren». In den Hochalpen Saoussa zwischen Veynes und Serres und
Moundou in Valgaudemar. In Savoyen Duvallon in Bessans (Haute-Maurienne) der Doyen in
Samoëns (Haut-Faucigny) und der Pape des Aix in Chablais. Mit der Bestrebung, diese Gestalten
so gut wie möglich in ihre soziale und historische Realität einzuordnen, wird in dieser Studie auch
zu verstehen versucht, was wohl die Bildung von solchen Erzàhlungszyklen begünstigen konnte.
Aber vor allem wird die Gesamtheit dieser Erzâhlungen, die aus den noch unveröffentlichten
Forschungsarbeiten von Charles Joisten (1936-1981) über le Monde fantastique dans les Alpes
françaises (Die phantastische Welt in den französischen Alpen) stammen, erlauben, einen Einblick
in die so reiche Vorstellungswelt der Gemeinschaften, die sie gezeugt haben, zu bekommen.
Introduction

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qui
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L'essentiel
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sont déroulées
(1) C'est led'une
titre manière
que Charles
intensive
Joistende avait
1951 àretenu
1970 environ.
pour l'ensemble de son travail. Ses enquêtes se
(2) «A titre indicatif, voici les principales catégories d'êtres fantastiques attestées dans le folklore
des Alpes françaises [titres des chapitres que Charles Joisten se proposait de traiter] : I. Fées, nains,
hommes sauvages. II. Esprits domestiques, lutins. III. Esprits locaux et spéciaux. IV. Diable et esprits
diaboliques. V. Suppôts du diable (sorciers, chette, synagogue, francs-maçons). VI. Loups-garous. VII.
Animaux fantastiques. VIII. Etres fantastiques humains. IX. Revenants, âmes en peine. X. Etres fantas¬
tiques à manifestations périodiques. Personnifications. XII. Gargantua et autres géants. XIII. Cyclopes.
XIV. Phénomènes lumineux, sonores et matérialisés. XV. Croquemitaines.» (Charles JOISTEN, «De
quelques sources d'influences dans la formation des récits légendaires alpestres», Arts et Traditions Po¬
pulaires, n° 1-2-3, janv.-sept. 1970, pp. 141-148, note 1. Ce numéro a également paru sous le titre Ap¬
proches de nos traditions orales, Paris, Maisonneuve et Larose, même date, même pagination).
(3) Ces récits, regroupés par thèmes sont en principe donnés tels que Charles Joisten les a notés et,
dans ce cas, ils sont mis entre guillemets (les textes sans guillemets ont été réécrits ou résumés). Sauf
cas exceptionnels, les enquêtes sur le Monde fantastique n'ont pas été faites au magnétophone, inutili¬
sable dans les conditions ordinaires de l'enquête, à l'époque où elle s'est déroulée, d'autant plus qu'il
s'agissait de recueillir des faits de croyances. Cependant Charles Joisten s'efforçait de noter dans la me¬
sure du possible le mot à mot de ces brèves histoires, qui sont donc très près de la forme orale dans la¬
quelle elles ont été dites.
(4) Pour une étude d'ensemble sur la magie et la sorcellerie, à partir de faits et de récits d'expérien¬
ces rassemblés au cours d'une enquête récente, cf. Jean-Pierre PINIÈS, Figures de la sorcellerie lan¬
guedocienne, Paris, C.N.R.S., 1983.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN 17


Par rapport à l'ensemble des documents recueillis, ceux-ci présentent une par¬
ticularité : tout en véhiculant des thèmes qui, pour la plupart, se retrouvent par¬
tout, ils se sont cristallisés autour de personnages qui, pense-t-on ont réellement
existé et réalisé les exploits qu'on leur attribue. C'est ainsi qu'en cinq points du
Dauphiné et de la Savoie se dessinent, plus ou moins nettement, plus ou moins for¬
tement à travers le faisceau des récits recueillis, «cinq figures de magiciens» (5).

C'est toute une petite zone du sud des Hautes-Alpes qui se souvient des hauts
faits de Saoussa : il est connu dans seize communes, et l'étendue relative de ce ter¬
ritoire explique probablement que le cycle dont il est le centre soit le plus important
des cinq. La renommée des autres ne dépasse généralement pas, ou guère, leur
commune d'origine : Saint-Maurice-en-Valgaudemar, toujours dans les Hautes-Al¬
pes, pour Moundou ; Bessans en Haute -Maurienne (Savoie), pour Duvallon ; Vailly
en Chablais (Haute-Savoie), pour le Pape des Aix. Au mieux, en Haut-Faucigny
(Haute-Savoie) se souvient-on du Doyen dans tout le canton de Samoëns.
Ces personnages sont tous des hommes. C'est par leur surnom — ou la forme
dialectale de leur nom — qu'on les désigne toujours, même si leur vrai nom est con¬
nu de certains informateurs. Comme on le verra, on a pu établir l'identité exacte de
trois d'entre eux. Saoussa, qui se nommait Pierre Clavel, vécut de 1785 à 1872. Le
Doyen était Pierre Dusaugey ; né en 1636, il mourut en 1717 et fut doyen de la col¬
légiale de Samoëns. On a déterminé que Duvallon se nommait Claude Marchand,
dont on trouve trace dans les registres paroissiaux de Bessans de la fin du XVIIe siè¬
cle. Le Pape des Aix «était un Morel», et le contexte des récits dont il fait l'objet
laisse supposer qu'il vivait au XIXe siècle. Par contre, de Moundou, on sait seule¬
ment que le nom par lequel on le désigne est la forme dialectale d'un patronyme
répandu en Valgaudemar.
Pour quatre d'entre eux (Saoussa, Moundou, Duvallon, le Pape des Aix), l'ori¬
gine sociale semble être rurale. Les deux premiers sont présentés comme bergers,
et tous leurs faits et gestes s'inscrivent dans la société paysanne qui est la leur.
Plus mince est l'information sur Duvallon, dont on dit qu'il fut placé en apprentis¬
sage chez un maréchal-ferrant (ou un menuisier) ; sur le Pape des Aix, qui fut une
des recrues de l'armée pontificale (d'où son surnom). Par contre, le Doyen, fils de
notaire, devint un homme d'Eglise éminent, qui a laissé une trace dans l'Histoire.
*
* *

Sans qu'il soit question ici d'une étude de la matière légendaire recueillie, je
documents.
ferai simplement quelques observations, suggérées par une lecture attentive des

Y a-t-il dans les différents statuts sociaux de ces hommes matière à trouver

(5) Dans les notes prises en vue de la rédaction de ce travail, Charles Joisten remarquait : «Un pro¬
cessus analogue d'attraction et de convergence est à la base, très probablement, des cycles de contes fa¬
cétieux centrés, dans les Hautes-Alpes, sur deux personnages qui sont Jean Pallon dans le Briançon-
nais, Bruscou dans le Champsaur» (cf. C. JOISTEN, Contes populaires du Dauphiné, Grenoble, 1971,
t. 2).
Pour en revenir au domaine de la magie et de la sorcellerie, les cinq cas exemplaires présentés ici
n'épuisent sans doute pas la matière alpine sur le sujet. D'autres figures - de prêtres magiciens notam¬
ment - se rencontrent ici ou là (cf. le curé Dorsaz, voir Annexe). Mais pour aucune, semble-t-il, un en¬
semble de récits aussi important n'a été recueilli à ce jour. Par ailleurs, les exemples alpins ne sont pas
uniques. Voir, dans l'Ardenne belge, le bel exemple du cycle constitué autour d'un berger sorcier nom¬
mé Bellem (Louis THIRY, Bellem, sorcier d'Ardenne, 2e éd., Aywaille, 1945).

PREMIER TRIMESTRE 1986


Léman
Les pays des magiciens

• Vailly
LE PAPE DES AIX

Samoëns

HAUTE-SAVOIE Sixt

LE DOYEN

Annecy

Chambéry

SAVOIE

DUVALLON

ISERE Bessans*

Grenoble

• St-Maurice-
en-Valgaudemar
MOUNDOU

SAOUSSA HAUTES-ALPES
• Gap
Veynes

• Serres
une
Mauss
explication
: à l'auréole de magiciens dont ils sont parés ? Si l'on en croit Marcel

«On peut penser en thèse générale que les individus, auxquels


l'exercice de la magie est attribué, ont déjà, abstraction faite de leur
les
qualité
traitemagique,
de magiciens»
une condition
(6). distincte à l'intérieur de la société qui

Parmi les «conditions» que Marcel Mauss énumère, se trouvent précisément


celles de nos magiciens : bergers, forgeron, prêtre. Les bergers «parce qu'ils sont
en relation constante avec les animaux, les plantes et les arbres» (7) : on verra la fa¬
miliarité de Saoussa avec les serpents, sa connaissance des plantes ; le pouvoir de
Moundou sur les loups et les taupes. Les forgerons «parce qu'ils manipulent une
substance qui est l'objet de superstitions universelles et parce que leur métier diffi¬
cile ne va pas sans prestige» (8) : Duvallon placé tout jeune en apprentissage chez
un maréchal -ferrant se révèle si doué que son maître le congédie rapidement, de
peur de se trouver dépassé par son élève. Les prêtres, à qui les pouvoirs surnatu¬
rels inhérents à leur état confèrent un statut qui les apparente aux magiciens (9) :
le Doyen, ecclésiastique éminent, est au centre même d'un de ces cycles.
Mais la «condition distincte» des magiciens, ce peut être aussi leur étrangeté
(10) : Saoussa ne cesse de surprendre par son comportement, son langage (où ap¬
paraît une sorte de tic), ses incessants déplacements. Le Pape des Aix, qui a appro¬
ché le pape, n'est plus pour les gens du village tout à fait l'un des leurs. Il en est de
même pour le Doyen, lorsqu'il revient de Rome et de Paris où il a reçu sa formation
de prêtre, marqué par les expériences qu'il y a vécues.
Quant aux «qualités magiques», les récits qui vont suivre et qui dépeignent in¬
lassablement les pouvoirs de ces magiciens sur les éléments, les animaux et les
hommes, leurs dons de prophétie, d'ubiquité... sont là pour parler d'elles.
Cependant des différences de nature apparaissent entre ces personnages.
Saoussa est le plus conforme au modèle du sorcier «classique», par son pouvoir
ambivalent de jeteur de sorts, son pouvoir sur les éléments, enfin sa mort, qui ne
peut survenir tant qu'il n'est pas arrivé à transmettre ses pouvoirs à quelqu'un.
Dans ce cycle, le diable intervient peu, sauf lorsque Saoussa livre un combat physi¬
que avec lui (11).
C'est aussi en sorcier «classique» que Moundou agit lorsqu'il provoque le
mauvais temps. Cependant ses rapports avec le diable sont plus nettement posés :
il a «fait un pacte» avec lui — ce qui amène le fantastique récit, à l'expiration du
pacte, de la nuit au cours de laquelle Moundou échappe au diable, avec le secours
d'un prêtre.

magie»,
(6) Ibid.,
(7)
(8) Marcel
va Sociologie
p.MAUSS,
21. et Anthropologie,
en collaborationParis,
avec P.U.F.,
Henri HUBERT,
1960, pp. 1-141,
«Esquisse
ici, p.d'une
24. C'est
théorie
moigénérale
qui souligne.
de la

(9) Ibid. , p. 22. Cf. Saoussa et quelques curés s 'affrontant à armes égales sur le terrain de la magie
et de la sorcellerie (récits n° 70 à 73). Cf. aussi, en Annexe, l'exemple du curé Dorsaz.
(10) Ibid., pp. 19-20.
(11) Cf. J. FAVRET-SAADA et J. CONTRERAS, Corps pour corps, Paris, Gallimard, 1981. Dans
bien des récits concernant Saoussa se retrouvent des faits rencontrés par J. Favret-Saada au cours de
son «enquête sur la sorcellerie dans le Bocage». Cf. entre autres la lutte avec l'«esprit» (p. 60), ou enco¬
re les prédictions de mort (pp. 126-127), selon un scénario tout à fait comparable à celui du récit n° 69.

PREMIER TRIMESTRE 1986


Beaucoup plus marqués par la vision historique de l'Eglise (12) apparaissent
les trois Savoyards, à propos desquels se manifestent éventuellement des concep¬
tions issues — plus ou moins lointainement — des procès de sorcellerie : le Pape
des Aix fait partie de la Sèta (assemblée de sorciers), le Doyen fait chaque année
don d'une génisse au diable... Quant à Duvallon, par son pacte avec le diable, il ac¬
cède à un monde totalement fantastique, voire merveilleux.
Ainsi tous ces magiciens ne sont-ils pas perçus de la même manière. Bon nom¬
bre de faits et gestes de Saoussa et de Moundou atteignent leurs compatriotes dans
leurs biens, leur santé, leur vie même. Par la menace permanente qu'ils représen¬
tent ils inspirent la crainte. Plus «individuels» sont les destins des trois autres, dont
les pouvoirs suscitent davantage l'émerveillement que l'effroi, malgré leur origine
notoirement diabolique. C'est surtout pour préserver son bien que le Doyen use de
ses dons. L'histoire de Duvallon tient tout entière dans celle de son pacte avec le
démon et le rachat de son âme ; on dit que «jamais [...] il n'avait usé de ce pouvoir
pour porter tort à son prochain» (13). Le Pape des Aix quant à lui ne survivra pas au
remords que lui cause l'alliance qu'il a faite avec les puissances du mal.
Tous, au cours de leur destinée tumultueuse ont eu peu ou prou affaire aux re¬
présentants de la religion. Le prêtre, qui pour Saoussa n'est qu'un adversaire, sau¬
ve Moundou des griffes du démon. Les trois Savoyards sont en relation avec le pape
en personne. Le Doyen et le Pape des Aix l'ont réellement approché (cf. biogra¬
phies) ; au séjour à Rome du second on attribue son initiation à la magie et à la sor¬
cellerie. Tous deux, ainsi que Duvallon, se transportent auprès du Saint Père grâce
à leur
du diable.
don de se déplacer magiquement — un don qu'ils tiennent sans aucun doute

Signalons enfin cet auxiliaire de leur pouvoir qu'est le livre (Grand Albert, Pe¬
tit Albert. . .). Pour tous (sauf Duvallon) son utilisation est bien signalée, mais pres¬
que incidemment, au cours de quelques récits, comme allant de soi. Pour l'un d'en¬
tre eux, le Pape des Aix, on nous indique même la provenance de ses ouvrages : le
Vatican. Dans ce cas, le livre — et l'on connaît la signification qui est attribuée à sa
possession par la tradition orale de la sorcellerie paysanne — est explicitement
transmis dans le rapport que le magicien a avec la culture savante — celle des
clercs. *
* *

Est-il possible, à travers tous ces récits, de percevoir la personnalité réelle de


ces hommes dont le souvenir a traversé les temps dans la légende ? Un seul d'entre
eux, Saoussa, possède une certaine présence physique (son habillement, ses attri¬
buts, son comportement et son langage font l'objet de quelques descriptions), un
ancrage parmi les gens de son temps (de nombreux récits font référence à des faits
considérés comme réels et à des personnes encore connues des informateurs), une
certaine densité psychologique, ce qui permettait à Charles Joisten de noter à son
sujet :

ellement
«On peut
arrivés
penser
aientqu'une
favorisé
certaine
sinon originalité
déterminé oula des
fixation
événements
autour ré¬
de
Pierre Gavel d'éléments passe-partout, indépendants à l'origine, ve¬
nus d'un fonds commun traditionnel» (14).

(12) Cf.
(13) Version
C. JOISTEN,
1.2. «De quelques sources d'influences...», op. cit., pp. 143-144.
(14) Notes prises en vue de la rédaction de ce travail.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN 21


Mais à ce titre, le cycle de Saoussa forme une exception. Dans les autres, les
récits exposent des faits nus, intemporels. C'est à peine si, dans le faisceau qu'ils
forment, s'esquisse une silhouette, quelques traits de caractère. Ce qui compte fi¬
nalement, c'est moins l'homme que son pouvoir.
A part le cycle de Duvallon, qui est le récit d'une vie, aucun autre cycle n'est
perçu comme tel par les informateurs. Chaque témoin apporte son lot d'histoires
mais aucun n'a conscience qu'un tableau différent de celui qu'il voit peut se dessi¬
ner lorsqu'on organise l'ensemble de la matière. Comme il se doit, un même thème
est souvent connu de plusieurs informateurs (nous publierons toutes les variantes
recueillies), et on peut noter qu'à chaque magicien semble attaché un thème de
prédilection : Le transport magique dans les airs {«Mets ton pied sur le mien») pour
Saoussa (13 versions) ; Comment Moundou échappa au diable (4 vers.) ; Le trans¬
port magique sur l'eau pour Duvallon ; Le foin rentré magiquement pour le Doyen
(13 vers.) ; pour le Pape des Aix, ses Prédictions (4 vers.), mais aussi «Mets ton
pied sur le mien» (5 vers.).
Ces prédilections constatées dans les récits mettant en scène nos cinq magi¬
ciens, tels qu'ils ont été perçus par leurs communautés dans les Alpes françaises,
nous renvoient à ce qui a pu être dit ailleurs et pour d'autres sociétés : «La variabi¬
lité pratiquement appréhendée dans le nombre disponible des versions ou varian¬
tes d'un conte peut indiquer l'importance que la société qui les a produites accorde
au thème traité» (15).

(15) Cf. G. CALAME-GRIAULE et al., «De la variabilité du sens et du sens de la variabilité», in Le


conte, pourquoi ? comment ?, Paris, C.N.R.S., 1984, p. 204.

PREMIER TRIMESTRE 1986


Saoussa

Sud des Hautes-


Alpes

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Ensérie
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pp. 297-299.
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de cette
Charles
Hautes-Alpes,
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Joisten,3eayant
éd.,

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Tel est, rapidement esquissé, le cadre où vécut le curieux personnage que fut
Pierre Clavel. Dépourvu, semble-t-il, de profession précise ou berger d'un maigre
troupeau, il passait son temps à parcourir le pays (cf. en particulier les récits n° 6 et
suivants), se faisant, bon gré, mal gré, héberger par les uns et les autres (4). Frap¬
pant les imaginations par son aspect pittoresque, son comportement ostentatoire, il
consacrait l'essentiel de ses activités à l'exercice de thérapeutiques empirico-magi-
ques (récits n° 10 à 34), ou à la pratique de la magie et de la sorcellerie (n° 35 à 74).
Jouissant d'une extraordinaire autorité, Saoussa inspira à ses compatriotes
une vénération profonde mêlée de crainte, ce qui explique peut-être l'abondance et
la vivacité des souvenirs encore fixés dans les mémoires à son sujet. Au fil des ré¬
cits apparaîtra le caractère ambigu, voire apparemment contradictoire de ce per¬
sonnage qui semble dispenser le bien ou le mal de manière redoutablement impré¬
visible...réellement
avaient Notons que
existé.
pour la plupart des informateurs, les faits qu'ils relataient

*
« *
Plusieurs enquêtes effectuées principalement entre 1958 et 1962 ont permis à
Charles Joisten de recueillir auprès de 23 personnes, dans 16 communes, les infor¬
mations qui constituent la matière de cette étude (cf. Carte, infra). A ces docu¬
ments s'en ajoutent quelques-uns communiqués en 1970 par M. Jacques Lesbros,
de Serres. Mais déjà en 1937 quelques récits sur Tsâousa avaient été notés par
Georges de Manteyer, archiviste des Hautes-Alpes, qui les publia en 1945 (5).
(Pour le détail des sources, se reporter à la fin du chapitre).
La quasi-totalité des informateurs désignaient notre personnage uniquement
par son surnom. Six d'entre eux connaissaient son vrai nom, et huit savaient qu'il
était originaire d'Esparron (6). C'est le maire de ce village, M. Marin Illy, qui nous
a permis, en 1963, de découvrir dans les archives de la commune l'acte de décès de
Pierre Clavel ; dès lors il fut possible de retrouver son acte de baptême dans un re¬
gistre paroissial conservé aux Archives départementales de Gap (7).

meau(4)deLela récit
mêmen°commune.
44 fait état d'une «propriété de Saoussa», située à Esparron en direction du Cros, ha¬
(5) Georges de MANTEYER, «Les dieux des Alpes de Ligurie», Bulletin de la Société d'Etudes des
Hautes-Alpes, 1945, pp. 438-576. Tiré à part de 143 pages repaginé, auquel nous renverrons.
ses. (6) On peut noter, parmi les quelques divergences relevées, que Barcillonnette est cité à trois repri¬
(7) Baptême de Pierre Clavel (extrait des registres paroissiaux d'Esparron de Vitrolles, 1732-1793,
Arch. dép. Hautes-Alpes, 2 E 53 1) : «Bapt. de Jean Pierre Clavel. L'an 1785 et le vingt septième jour du
mois de mars a été baptisé Jean Pierre Clavel fils de Pierre et de Marianne Grimaud mariés en ce lieu,
né du jour d'hier, son parrain a été Jean Paul du lieu de Sigoyer et sa marraine Suzanne Clavel, sa tante,
en présence de Claude Grimaud et d'Etienne Vollayre qui ont signé avec le père, non le parrain ni la
marraine pour ne savoir de ce enquis et requis. P. Clavel E. Vollaire C. Grimaud Favier Curé.
Décès de Pierre Clavel (extrait des registres conservés à la mairie d'Esparron) : «L'an mil huit cent
soixante douze et le treize du mois de juillet à 6 heure du soir par devant nous Jean François maire offi¬
cier de l'état civil de la comqiune d'Esparron, canton de Barcillonnette, département des Htes Alpes,
sont comparus François Illy âgé de cinquante trois ans, sans profession, gendre du décédé, et Joseph
Michel, âgé de soixante une an sans profession, voisin du décédé, tous les deux propriétaires cultivateur
domiciliés à Esparron, lesquels nous ont déclaré que Pierre Clavel âgé de quatre vingt sept ans, sans
profession domicilié à Esparron, né à Esparron, fils de Pierre Clavel et de Marianne Grimaut, époux de
Elisabeth Millou, est décédé le jour d'hier à cinq heures du matin dans sa maison d'habitation située au
village chef-lieu d'Esparron. Après nous être personnellement assuré dudit décès nous avons dressé le
présent acte que nous avons signé avec les déclarants après lecture à eux faite. J. Michel F. Illy F. Jean,
maire».

PREMIER TRIMESTRE 1986


La vallée du Déoule.
• Sauf indication contraire, les photos de ce numéro sont d 'Alice JOISTEN (automne 1985).
Il n'existe pas d'explication locale au surnom de Saoussa. D'après Mistral (8)
ce mot — qu'il orthographie sausso, salso — désigne une source d'eau salée, dans
les Alpes dauphinoises (9). Mistral donne aussi Sausse, Salse comme patronymes
méridionaux.
Ce nom a été noté par Charles Joisten en graphie francisante. L'orthographe
fluctuera légèrement, reflétant la prononciation particulière de chaque informa¬
teur : Saoussa le plus souvent, mais aussi Saousse ou Saousso. M. Jacques Lesbros
adopte la graphie Sauce. Dans le document le plus ancien, noté par Georges de
Manteyer en 1937, nous trouvons Tsaousa. Nous respecterons cette variété.

PORTRAIT ET COMPORTEMENT DE SAOUSSA

Une vivante présentation de Saoussa nous est fournie par l'étude de Georges
de Manteyer (10). Ce texte — le seul document écrit que l'on possède sur Saoussa
— reproduit les récits que l'ancien maire de Manteyer, M. Séverin Chevalier, âgé
de 82 ans, lui fit en mars 1937 sur notre personnage.

1 — «Clavel, dit Ts&ousa, originaire d'Esparron, n'était pas riche. Il passait pour
être sorcier et on le craignait. Il prenait les serpents et les mettait dans son sein : ils
ne le mordaient pas. On disait qu'il agissait au moyen de plantes. Il avait un bâton à
grosse tête muni de trois petites cavités bouchées par des chevilles dont chacune
contenait une substance de qualité différente. Dans l'une, du tabac ; dans l'autre,
de la betouana, sorte de poison (11), et il disait : vvle Père en donne, le Fils en don¬
ne, le Saint-Esprit en donne", puis il en versait dans une sébile. Il disait toujours :
bot ! bot ! Le père Pellenc nous racontait qu'il venait assez souvent à sa maison :
on l'y faisait alors manger et coucher, car on le craignait. Pour faire sa barbe,
quand on lui présentait une glace, il n'en voulait pas et se contentait d'une assiette
en tôle en répondant : "bot ! bot ! aco mefai prou ! (12)"».

Ce portrait de Saoussa qui, déjà, nous parle de ses activités et de ses pouvoirs
se trouvera confirmé dans l'enquête récente. Fréquemment ses paroles commen¬
cent par «bot', bot'» sans que l'on apprenne la raison de cette sorte de tic de langa-
ge'
Quelques documents, peu nombreux, décrivent son aspect ou ses attributs :

2 — «Saoussa portait un chapeau à larges bords garni de grelots. Il avait toujours


des serpents dans sa chemise. Quand ma mère l'entendait venir de loin, elle s'en¬
fermait chez elle» (Châteauneuf-d'Oze , Le Chazal, Cf. aussi récits n° 9 etn° 20).

3 — «Il élevait des chiens pour les vendre. Il avait toujours trois ou quatre petits
chiens dans la chemise» {La Bâtie-Montsaléori).

(8) Frédéric MISTRAL, Le trésor du félibrige, Aix-en-Provence et Avignon, 1878.


(9) Cf. dans la région même qui nous intéresse le village de La Saulce, où le Dictionnaire topogra¬
phique des Hautes-Alpes (J. ROMAN, Paris 1884) signale la présence d'une telle source. Rappelons. que
les formes anciennes et modernes de latin salsa, eau salée, et salix, saule, sont de genre et de forme
phonétique différents dans la région.
(10) Op. cit., pp. 81-82.
(11) La note écrite par G. de Manteyer à propos de cette plante sera reproduite plus loin.
(12) . . .ceci me fait assez. La suite de ce document sera transcrite plus loin (récits n° 59. 1 et 73).

PREMIER TRIMESTRE 1986


Les environs du village d'Esparron (sur la gauche de la photo).

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


4 — «Il possédait plusieurs grandes cannes au sommet desquelles était creusée une
tabatière» (Esparron , inf. n° 1). L 'informateur, âgé de 54 ans, a vu dans sa jeunes¬
se une de ces cannes, mais il ne sait ce qu elle est devenue.

Parfois il réalisait des tours de force, peut-être dans le simple but d'étonner les
gens :

5 — «En trois coups de langue, Saousse faisait le tour d'une veste [il la léchait en¬
tièrement]» ( Vitrolles , Le Plan de Vitrolles).

Saoussa voyageait beaucoup (13), parfois accompagné d'un petit troupeau de


moutons. Il se faisait héberger par les uns ou les autres, et personne n'osait lui re¬
fuser l'hospitalité.

6 — «Il allait d'un pays à l'autre ; il passait sa vie comme ça. Autant, quand il ve¬
nait à La Piarre, il y restait huit jours» {La Piarre, inf. n° 1).

7.1 — Sauce possédait un petit troupeau de sept à huit brebis. Il passait dans les
fermes riches et demandait l'hospitalité pour une durée de quelques jours. Il ne
précisait pas à l'avance la durée de son séjour et il repartait quand bon lui semblait.
Même s'ils le recevaient à contre-coeur, les gens n'en laissaient rien paraître, car
on racontait que ceux qui lui avaient refusé l'hospitalité avaient vu leurs bêtes refu¬
ser de manger, et leur troupeau dépérir : Sauce leur avait jeté un sort (Doc. Les-
bros, La Bâtie-Montsaléon, inf. n° 1).

7.2 — A La Bâtie-Montsaléon, il allait, avec ses quelques brebis, loger chez trois
personnes qu'il appelait «ses fermiers», nommés Martin, Vivet et Tourniaire (14).
S'ils avaient refusé de le recevoir, il les aurait «embarnés» (15) (La Bâtie-Montsa¬
léon).

C'était ainsi une présence plus subie que souhaitée, d'autant qu'il n'hésitait
pas à jouer des tours à ceux qui lui avaient accordé l'hospitalité, s'il jugeait qu'ils
ne s'étaient pas montrés assez accueillants.

8.1 — «Il se trouvait à Péchier (16), dans une ferme. Il a demandé à la femme :
— Avez-vous des oeufs pour me faire une omelette ?
Elle lui a répondu :
—a Oui,
Il dit : mais je n'ai pas d'huile.
— Vous n'avez pas de la pègue [poix] ?
— Oh ! Si.
Alors elle a fait l'omelette avec de la poix, et une fois qu'elle a été cuite, Saous-
so l'a bien regardée et il a dit :
— Bot', bot', bon pour qui l'aime.
Et il est parti en laissant l'omelette» (La Bâtie-Montsaléon).

25 km(16)
la-Croix-Haute,
(13)
(14)
(15)
environ
Les points
Selon
Embarner
Grand d'est
l'informateur,
plateau
situéen
:extrêmes
ensorceler
à ouest,
30situé
km entre
d'une
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de (cf.
cesnord
lapersonnes
Le
zone
quinzaine
récits
de
Saixcette
des
n°etont
déplacements
35
Barcillonnette,
zone
duàréellement
nord
53).
(cf. au
Carte).
sud.
deoùUn
existé.
Saoussa
pacagent
document
sont
de nombreux
distants,
(n° 23) le àfait
moutons.
volpasser
d'oiseau,
à Lus-
de

PREMIER TRIMESTRE 1986


Lus-La-Croix-Haute •

DROME

La Roche- \
des-Arnauds t
• GAP

VEYNES Châteauneuf- Manteyer f La Freissinouse


d'Oze Châtillon-
Oze le-Désert
Pic de Ceûse
Aspremont.
Valdrôme Chabestan St-Auban-d'Oze
r" • Le Saix Sigoyer è TALLARD

La Piarre Clausonne * Esparron Lardier-


% GOr. ♦
• ----- Vitrolles et-Valença
La Bâtie-
Sigottier Montsaléon
SERRES Barcillonnette

Savournon
Le Bersac

Venta von

ALPES DE HAUTE PROVENCE

Le territoire de Saoussa. Les pointillés signalent les déplacements magiques (cf. récits n° 58 pour le dé¬
placement non fléché de la Montagne d'Aurouze, et 59. 1 à 13 «Mets ton pied sur le mien»).

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN 29


8.2 — «Il se présente une fois chez une brave fermière et lui demande si elle avait
des oeufs. Devant sa réponse affirmative, il lui demande de lui en faire cuire deux à
la poêle ; ce qui n'était pas pour réjouir la fermière à une époque où, même pour les
paysans, manger des oeufs était un luxe. Toutefois, n'osant pas opposer un refus
catégorique
re cuire. au redoutable Sauce, elle lui dit qu'elle n'avait pas d'huile pour les fai¬

— Eh bien, faites -moi les cuire avec du beurre !


— Je n'ai pas de beurre non plus.
— Faites-moi les cuire avec du lard.
La fermière, qui voulait à tout prix garder ses oeufs, prétend qu'elle n'avait
pas de lard non plus.
— Pamen, avès de pèguo ? (17).
Là, la fermière ne pouvait plus refuser : chaque paysan était son propre cor¬
donnier et avait toujours chez lui, soit pour réparer les chaussures, soit pour répa¬
rer les harnais, une boule de poix.
— Alors, fasès leï cuire amé de péguo !
— Mai enfin, Moussu Sauce, sara pas bon !
— Si, si, ai envueyo d 'uous, me vau régala (18).
La fermière fut bien obligée de s'exécuter [...]. Mais une fois sur la table,
Moussu Sauce regardait les oeufs sans les manger. La fermière lui demande :
— Bè, Moussu Sauce, mangeas pas ? Pamen dueg estre bon ? (19).
Alors, Sauce repousse la poêle et répond :
— Si es bon per ièu, sara bon per vous, mangeas leïs ! (20).
Et il s'en alla, plantant là la fermière qui en fut quitte pour avoir gaspillé sa pè-
gue et ses deux oeufs. C'était là une des façons de Moussu Sauce de punir ceux qui
l'accueillaient mal» (Doc. Lesbros, La Bâtie-Montsaléon, inf. n° 2. A signaler que
l'informateur de J. Lesbros tient ce récit de M. Léon B., auprès de qui C. Joisten
avait noté en 1962 la version donnée plus haut).

Fort de la crainte qu'il inspirait, Saoussa enfin n'hésitait pas à transgresser les
lois :

9 — «[II] passait toujours dans le champ d'une grande propriété de Ventavon. Alors
le garde lui disait de ne plus y passer. Il lui répondait :
— Bot', bot', mon ange, je n'y passerai plus.
Et puis toujours il y passait. Il y a passé encore deux fois. La troisième fois, le
gardeAlors
tion. est venu
il lui lui
a ditdire
: de ne plus y passer, autrement il lui dresserait contraven¬

— Bot', bot', tu ne diras rien, je vais te donner un sou d'étrenne.


En lui tendant la main, il y avait un serpent caché dans sa manche. Le garde
n'a pas voulu prendre le sou et il a foutu le camp, il l'a laissé tranquille. En arri¬
vant, il a dit au patron :
— Si tu veux l'attraper, Clavel, vas-y toi, moi j 'y vais plus ! » (Barcillonnette ).

Si, si,(20)
(17)
(18)
(19)
j'ai—envie
Mais
Alors,
Eh
Si c'est
bien,
d'oeufs,
enfin,
faites-les
bon
Moussu
vous
pour
je vais
cuire
avez
moi,
Sauce,
meavec
derégaler.
ce vous
sera
lade
poix
bon
la poix
ne ?mangez
pour! —
vous,
pas
Maismangez-les
? enfin,
Enfin,Moussu
ce doit
! être
Sauce,
bon ce? ne sera pas bon ! —

PREMIER TRIMESTRE 1986


Le village d'Esparron. Au pre¬
mier plan, vestiges de murs dési¬
gnés comme étant ceux de la
maison de la famille de Saoussa.
Ci-contre : autre vue de ces rui-

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


La montagne de Céiise (cf. récit n° 14).

SAOUSSA GUÉRISSEUR

Saoussa jouissait d'une réputation de guérisseur attestée dans des récits nom¬
breux et variés. Il soignait les maladies des personnes et celles des animaux, au
moyen de pratiques, rarement décrites. Il s'agit d'une médecine tantôt empirique
lorsqu'il utilise des plantes ou certaines préparations, tantôt magique lorsqu'il use
de «secrets» ou de livres de magie, tantôt empirique et magique à la fois (21). Au¬
cun récit ne fait allusion à l'usage de prières ou de formules accompagnant ces ac¬
tes thérapeutiques. Trois récits feront état de la transmission des secrets de Saous¬
sa : à sa fille (n° 16 et 18), à son petit-fils, par l'intermédiaire de ses livres de magie
(n° 22).

10 — «Il guérissait par le secret ; seulement qu'il fallait avoir confiance en lui, au¬
trement on ne guérissait pas. Il avait un don, mais il travaillait aussi beaucoup sur
les plantes» (LaPiarre , inf. n° 1).

11 — «Il guérissait par les plantes et la magie» (La Roche des Arnauds, Les Baux).

Sur l'origine de ces «secrets», voici ce que nous apprenons :

12 — «Il avait dit au cousin de ma mère, Jean Amouriq (22), du Serre, qu'il était al¬
lé chercher ses secrets en Italie et qu'ils lui avaient coûté six cents francs. C'était
une bonne somme, à cette époque-là !» (Manteyer , Le Villard).

médecine
(21) Je
(22) Mort
populaire.
remercie
vers 1942
André
à plusJULLIARD
de 80 ans de
; Lem'avoir
Serre est
apporté
un hameau
des précisions
de la com. sur
de Manteyer.
ces différents types de

PREMIER TRIMESTRE 1986


La montagne d'Aujour (cf. récits n° 15 et 56).

Quant aux plantes, il en faisait chaque année une abondante cueillette à la


Saint-Jean.

13 — «Il se rendait toutes les années, le matin de la Saint-Jean, avant le lever du


soleil, sur la montagne de Quarante (23) pour y cueillir les plantes qui lui servaient
à guérir» (St-Auban-d'Oze, inf. n° 1).

14 — «Il allait ramasser des fleurs qui ne fleurissent que la nuit de la Saint-Jean sur
la montagne de Céiise (24)» (La Roche-des-Arnauds, Les Baux).

15 — «Toutes les années, la veille de la Saint-Jean, Saoussa se rendait au rocher de


Beyron, dans la montagne d'Aujour (25), pour y cueillir une fleur qui fleurissait et
défleurissait en même temps, à minuit, la nuit de la Saint-Jean. Il n'a jamais fait
voir la plante, il paraît qu'elle était petite, et il n'a jamais voulu dire à quoi elle ser¬
vait.

Une année, le père Menique (26), qui se trouvait à Maraout (27), le soir à la
tombée de la nuit, avait vu passer Saoussa et lui avait demandé :
— Où est-ce que tu vas à cette heure-là ?
— Bot', bot' mon ange, je vais coucher là-bas au rocher de Beyron, au Juré
[Aujour], pour ramasser cette plante qui fleurit à minuit» (Barcillonnette ).

(23) Pâturage,
(24)
(25)
(26)
(27) Montagne
Sommet
De son vrai
quisur
dont
située
nom
surplombe
la lacom.
Dominique
entre
corniche
deSt-Auban-d'Oze
Peyssier
Barcillonnette.
domine
Pellenq,
et les
Savournon.
decommunes
etBarcillonnette.
le hameau
situées
d'Espréaux,
entre Manteyer
com. d'Esparron.
et Sigoyer.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


SA 0 USSA ET LES SERPENTS

On s'accorde à dire que Saoussa, dont on a vu la familiarité avec les serpents,


savait en guérir les morsures. Ceci le situe, en fait, dans une tradition locale rele¬
vée par Van Gennep (28) :

16 — «Veynes - Certains rebilleurs étaient renommés dans le pays comme vétéri¬


naires et pour guérir les foulures et les entorses ; le secret se transmettait de père
en fils. Autrefois, un certain Jacques Sauce, habitant aux environs de Veynes, était
considéré comme détenteur de secrets qu'il transmit à sa fille ; la transmission
s'arrêta là. Ds guérissaient les morsures».
sa. Le «Jacques Sauce» dont il est question ici ne peut être autre que notre Saous¬

Les récits recueillis font parfois simplement mention de son pouvoir ; parfois
aussi, ils décrivent quelques-unes de ses pratiques.

17 — «Hilarion Reynier, mon beau-père, qui aurait quatre-vingt-dix ans mainte¬


nant, se trouvait étant jeune à Clausonne où il fut piqué par une vipère dans une
grange. Il fut soigné et guéri par Saousse, de son vrai nom : Clavel, qui était de
Barcillonnette» ( Savournon , inf. n° 2).

18 — «Saoussa guérissait les piqûres de serpents avec des plantes médicinales


qu'il connaissait. Il avait transmis ses secrets à sa fille» (Esparron, Espréaux).

19 — «Il faisait griller des serpents vivants dans une marmite et en fabriquait une
pommade qui guérissait les piqûres de serpents. Dès qu'il était informé qu'une
personne était piquée, l'endroit cessait d'enfler» (Esparron , inf. n° 2).

20 — «Il avait un pouvoir sur les serpents et réussissait à soigner leurs piqûres. Il
avait la chemise pleine de serpents.
Une femme qui avait été piquée par un serpent l'avait fait venir. Saousse lui
dit qu'il devait voir le serpent pour connaître son sexe et, suivant qu'il était mâle ou
femelle, la guérir. On avait recherché le serpent et la femme avait pu être guérie»
(La Roche-des-Arnauds, Les Baux).

21 — «Il avait un livre de magie. Il guérissait des piqûres de serpents» (Le Saix, inf.
n° 1).

22 — «Le beau-père de Grimaud, des Baux, qui s'appelait Illy, était le petit-fils de
Saousse. Il avait hérité des livres de Saousse qui lui permettaient de guérir des pi¬
qûres de serpents, à condition toutefois que ces serpents aient moins de sept ans»
(Manteyer, Le Villard).

On verra plus loin que les serpents lui servaient à d'autres thérapeutiques.

(28) A. VAN GENNEP, Le folklore des Hautes-Alpes, t. II, Paris, 1948, p. 107.

PREMIER TRIMESTRE 1986


CAS DE GUÉRISON

Guérison de personnes

Guérison d 'un paralytique

23 — «Un jour Saoussa se trouvait de passage à Lus-la-Croix-Haute chez un de ses


amis qui était paralysé des jambes et qui gardait le lit depuis déjà deux ans. Alors il
lui a dit :
— Bot', bot', bot', tu es toujours dans ton lit ? Bot', bot', bot' — il a dit — ,
te
moifaut.
je vais te guérir et aujourd'hui, avec le temps qu'il fait, je trouverai la bête qu'il

Il faisait beau, c'était le printemps. Puis il s'adressa à sa femme et il lui dit :


— Faites bouillir un chaudron d'eau et moi je vais chercher la bête qu'il faut.
Alors il arrive avec un gros vipère (29) à la main qu'il était allé chercher dans
un clapier. Ils sortent les jambes du malade hors du lit, ils mettent le chaudron sous
les jambes et ils y jettent le vipère dedans, vivant bien entendu, et ils le recouvrent
vite d'une couverture pour ne pas que la vapeur s'en aille. Alors il lui dit :
— Bot', bot', mon ange, donne-moi un mesuron (30) et, avant que je parte, on
va en boire un autre au café.
Le type lui disait :
— C'est pas possible, c'est pas toi qui vas me guérir avec un serpent.
Alors il a cassé la croûte avec eux et, du temps qu'ils mangeaient, il lui disait :
— Tu te sens pas mieux ?
— Bè si, il me semble ; je bouge déjà les doigts de pied.
— Bot ', bot ', mon ange, avant que je parte on va boire un mesuron.
Alors il a commencé à bouger les genoux et les jambes, petit à petit. Puis ils
ont encore parlé un moment, et ils sont partis au café. Il pouvait marcher. Et tous
ceux qui l'ont vu en sont restés baba» (Barcillonnette ).

Guérison d'un enfant malade

24 — «Une femme le fait appeler pour soigner son enfant malade. Sauce arrive et,
calmement, demande à la mère angoissée de lui servir le café. La mère le sert et
Sauce, toujours calmement, déguste son café. Finalement, la pauvre mère, de plus
en plus inquiète, demande à Sauce :
— Et mon petit, vous le soignez pas ?
— Ton petit ? Mais du moment que je suis là, il est guéri, voyons !
La pauvre mère court dans la chambre voir son fils et le trouve souriant, le rose
aux joues, assis dans son lit» {Doc. Lesbros, Le Bersac).

Guérison d'un enfant qui souffre des vers

25 — «Le Saousse passait chez Oddou à Gleize (31), puis la mère Oddou lui dit :
— C'est pas fatal, ça, les vers m'ont tué l'aîné et me tuent encore celui-là !
Elle avait perdu l'aîné de ses fils qui avait attrappé les vers et le second les
avait attrapés aussi.

(30) Ici,
(29) Mesuron
vipère : est
demi-litre
du genredemasculin.
vin.
(31) Hameau de la com. de Veynes.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN



Alors
La vermine
Saousse lui
m'aditemporté
: l'autre, elle me tue encore celui-là !

— Oh ! bot', bot', mais c'est rien, ça.


La mère Oddou lui répond :
— Si c'est rien pour vous, c'est quelque chose pour moi. Avoir déjà perdu un
garçon
Il lui
et dit
perdre
: encore le second !
— Vous n'avez qu'à aller chercher des vers de terre et vous lui en faites pren¬
dre. Il faut les sortir de la terre, les mettre dans le vinaigre et vous les faites griller
à sec sur le poêle ; vous les écrasez et vous les faites prendre avec de la confiture.
Le ver de terre est un poison violent pour le ver de corps (32).
Et le petit avait été guéri» (33) (Manteyer , Le Villard).

Guérison d un enfant chétif

26 — «C'était un enfant de la famille Maron, de La Piarre, qui était en nourrice


chez une dame appelée Colomb, et cet enfant était chétif. Alors un beau jour, ce
Monsieur Clavel [Saoussa] rend visite à cette dame Colomb et lui dit :
— Bé, vous avez un enfant qui est malade et qui mérite d'être soigné. Moi, je
me charge de sa guérison.
Alors la dame lui répond :
— C'est un enfant que j'ai en nourrice, il faut pour ça voir le père de l'enfant.
vel a Alors
dit : la dame Colomb est venue chercher le père Maron, et ce Monsieur Cla¬

— Je vais faire un remède, mais il me faut une bouteille de bon vin, mais du
bon ! Alors l'enfant en boira, le père de l'enfant en boira et le docteur aussi.
Il a été convenu que pour avoir du bon vin, il fallait s'adresser au curé ; je crois
querecherche
la c'était Monsieur
d'une bouteille
Roux à de
ce bon
moment
vin. Le
-là.curé
Alorsluileditpère
: Maron part chez le curé à
— Je veux bien te donner une bouteille de vin de messe, mais il ne faut guère
se fier à ces gens-là qui ne sont que des charlatans et des escroqueurs d'argent.
En arrivant là-haut avec la bouteille de vin, le père Clavel lui dit :
— On t'a mal parlé de moi, on t'a dit que je n'étais qu'un charlatan et qu'un
escroqueur d'argent.
Il lui a dit les paroles que lui avait dit le curé. Il paraît que le père Maron l'a un
peu contredit
Clavel lui a dit ; : il ne voulait pas que ça soit le dit que le curé ait mal parlé de lui.

— Mais ça ne fait rien. Ton fils guérira et il fera un grand homme. Et le curé
mourra dans peu de temps.
L'enfant a guéri ; il est devenu plus tard un instituteur. Et le curé, le dimanche
suivant, il est mort sur l'autel en disant la messe» (La Piarre, inf. n° 2).

Ce récit appelle quelques remarques : il illustre l'antagonisme qui existe entre


notre magicien et les curés, antagonisme qui sera mis en lumière plus loin, dans un
chapitre spécial ( récits n° 70 à 74). Il fait ressortir son don prophétique — qui sera
également exposé ultérieurement (cf. en particulier récit n° 69) — , mais aussi son
caractère inquiétant. Enfin il montre la considération dans laquelle on tenait un ins¬
tituteur à la campagne, puisque celui-ci est assimilé à un «grand homme».

pour(33)
(32)
les gens
L'informatrice
«Cetque
enfant
pourestles
préconise
devenu
bêtes. le père
ce remède
de Mme
contre
Chevallier,
le ver du
solitaire
Villard».
et les vers en général, aussi bien

PREMIER TRIMESTRE 1986


La prise de bétoine

27 — «Un enfant de La Plaine de La Roche, qui s'appelait Davin (34), s'était planté
un haricot dans le nez et son père est parti pour le mener au médecin. Puis il ren¬
contre Sausse qui lui dit :
— Viens voir, je te le guéris.
Il lui a payé une bonne prise de bétoine, qui l'a fait éternuer si fort qu'il lui a
sorti l'haricot» (Manteyer , Le Villard).

On se rappelle que l'informateur de Georges de Manteyer, en 1937, évoquait


la betouana et le tabac contenus dans les cavités du bâton de Saoussa (35). Man¬
teyer précisait alors : «La bétoine officinale se distingue par les propriétés éméti-
que et purgatoire de ses racines, sternutatoire de ses feuilles. On dit qu'elle fait
vesser et guérit les brebis de la gale. Le sorcier mêlait évidemment à son tabac à
priser de la bétoine pour faire éternuer. Peut-être mettait-il des feuilles de bétoine
en poudre dans la seconde cavité de sa canne et des racines dans la troisième».
Bien que l'utilisation de la bétoine ne soit expressément mentionnée que dans
le document précédent, il est vraisemblable que Saoussa faisait un plus large usage
de cette plante ambivalente pouvant, selon les cas, apporter bienfaits ou désagré¬
ments.

Planche botanique tirée d'une flore du XVIIIe siècle.

(34) Il est devenu maçon, et il est mort après la guerre de 14-18.


(35) Op. cit., p. 81, note 1. Cf. supra, doc. n° 1.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Guérison d'animaux

La brebis guérie

28 — «Le père Reynaud (36) était à Péchier à tondre ses brebis. Puis le père Saous-
se passe et lui dit :
— Bè, celui-là ? [il désignait un mouton malade].
— Celui-là, il est malade.
— Bè, si vous voulez, je le guéris.
— Bè,
Puis alors
si vous
il ditêtes
: un bon bougre, guérissez-le !

— Bè, il faut me donner un toupin [pot en terre].


Le père Reynaud crie sa femme :
— Le père Saousse dit qu'il nous guérirait le mouton, donne-lui un toupin !
Puis alors on lui donne un toupin et il part là-bas à travers, et le père Reynaud
lui court après. Saousse lui dit :
— Si vous venez avec moi, je vous le guéris pas.
Alors le père Saousse s'en va là-bas à distance, prend des herbes, les met dans
le toupin avec de l'eau, allume un feu, puis les fait bouillir. Il s'en va comme ça, il
retourne [ramène] pas le toupin et le mouton a été guéri» (Manteyer, Le Villard ).

Le boeuf guéri

29 — «Chez Gauthier, à la Péguière (37), il y avait un boeuf malade. Son voisin, M.


Reynier, lui dit :
— Il y a Monsieur Clavel, au Saix, qui s'y connaît, il te guérira ton boeuf.
Alors il est parti au Saix pour aller voir Monsieur Clavel.
— Il faut que tu viennes chez moi, j'ai un boeuf malade.
— Oui, oui, mais on a encore le temps — il lui dit — , on va boire un mesuron,
puis deux, on a le temps, bot ', bot', mon ange. T'en fais pas, on y verra la nuit com¬
me de jour.
Ils ont bu les mesurons, puis ils sont partis et la nuit les a pris en chemin.
Alors, arrivés au Gouravour (38), Saoussalui dit :
— N'aie pas peur, mon homme, bot', bot', bot', mets ton pied sur le mien.
Et puis une grosse boule de feu les a accompagnés jusqu'à la maison, et quand
ils sont arrivés au pied des escaliers la boule a disparu.
Alors ils sont allés à l'écurie (39) voir le boeuf. Puis ils sont allés souper et,
quand ils sont revenus dans l'écurie, le boeuf mangeait, il était guéri» (Barcillon -
nette).

Notons que ce dernier récit fait état de pouvoirs qui dépassent ceux d'un sim¬
ple guérisseur. On les retrouvera évoqués au chapitre suivant, consacré aux pou¬
voirs surnaturels de Saoussa {cf. n° 59. 1 à 13, «Mets ton pied sur le mien»).

J.P. (36) Grand-père maternel de notre informatrice des Baux, com. de La Roche-des-Arnauds, Mme
(37) Hameau de la com. du Saix.
(38) Gorge, entre Le Saix et Péguière.
(39) Ecurie : étable (français régional).

PREMIER TRIMESTRE 1986


CAS DE NON-GUÉRISON

Ces quelques cas, loin de révéler l'inefficacité des «remèdes» de Saoussa ou de


mettre en évidence un quelconque charlatanisme, confirment son pouvoir sur la
santé des gens.

Le chancre mal guéri

30 — «Un homme de La Piarre avait un chancre qui lui rongeait la figure. Et il avait
promis cinq francs à Monsieur Clavel s'il le guérissait.
Il lui a dit qu'il était guéri et sa femme lui a dit :
— Dyena trop, donne -lui que trois francs.
Il est parti en disant :
— Bè, ça va.
Mais au bout de deux ou trois jours, le chancre est revenu» (La Piarre, Le Col¬
let).

La femme insolvable

31 — «Une dame du Collet (40) avait son petit malade. Alors Moussu Saoussa il
passait par là et il l'a bien soigné, le petit. Il a dit :
— Ton petit guérira en faisant ce que je te dis.
Et quand il l'a eu soigné, il lui a dit :
— Tu me dois tant.
Alors elle lui a dit :
— Je ne peux pas te donner ce que tu me demandes, je suis pauvre.
Il lui a dit :
— Alors ton petit ne guérira pas.
Et le petit est mort ; il avait deux ou trois ans, ce petit, d'après ce qu'on disait.
Moi je l'ai entendu dire» {La Piarre, inf. n° 1).

La punition du malade irrespectueux

32 — Un malade qui l'avait fait venir à son chevet l'avait appelé «Monsieur Saus-
se». Ceci l'avait vexé, car il n'aimait pas qu'on l'appelle par son surnom. Au lieu de
soigner convenablement le malade, «Sausse» lui administra un produit qui lui don¬
na la diarrhée (Savournon, inf. n° 2).

Le mal aggravé

33 — «Une femme du Moulin de Châtillon-le -Désert, Adélaïde X., avait très mal
aux dents. Elle est allée trouver Saoussa à Barcillonnette (41), qui l'a fait se garga¬
riser avec un produit de sa fabrication et, tout en revenant chez elle, ses dents se
sont mises à tomber une à une, jusqu'à ce qu'il ne lui en reste plus aucune» (Châ -
teauneufd'Oze, Le Chazaî).

(40) Hameau de la com. de La Piarre.


(41) Selon cette informatrice, Saoussa est de Barcillonnette.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


L OPINION DES GENS

Dans tous les récits qui précèdent transparaît généralement un respect mêlé
d'admiration et de crainte, comme si, malgré la distance du temps, le guérisseur
fascinait toujours. L'unique voix qui ose exprimer un autre avis n'en prend que plus
de relief. Les quelques mots qui vont suivre, avec leur humour démythificateur, di¬
sent -ils tout haut ce que d'autres pensent tout bas ?

Le bouillon de plumes de poule

34 — «Une femme des Guérins (42) était malade. Elle a fait appeler Saoussa qui lui
a ordonné de boire du bouillon de plumes de poule. En tout cas, la poule, c'est lui
qui l'a mangée !» ( Châteauneuf-d'Oze , Le Chazal).

POUVOIRS SURNATURELS DE SAOUSSA

Plus encore que la pratique de la médecine, celle de la magie et de la sorcelle¬


rie semble bien être l'activité de prédilection de Saoussa. C'est en tout cas celle qui
a le plus marqué ses compatriotes, si l'on considère l'abondance des récits qui se
sont transmis à ce sujet. Comme ses pratiques thérapeutiques, ses pratiques magi¬
ques et sorcellaires s'exercent sur les personnes et sur les animaux. Le plus sou¬
vent d'ailleurs, les sorts qu'il lève sont ceux-là même qu'il a jetés (,récits n° 35 à
53).
Mais Saoussa dispose aussi de pouvoirs magiques qui lui permettent de défier
les lois naturelles. Il possède la maîtrise de l'espace et du temps (et ce sont les
nombreux récits du transport magique : n ° 58.1 et 2, 59.1 à 13) ; la maîtrise des
éléments grâce à laquelle il peut prévoir le temps ou agir sur lui (n° 60 à 64) ; enfin
un don de divination et de prophétie {n° 65 à 69).

On verra par la suite quels rapports le sorcier d'Esparron entretient avec ces
autres dépositaires de forces surnaturelles que sont les curés (n° 70 à 74) ; et on se¬
ra amenés à penser que le diable — avec qui on le voit physiquement combattre (n°
75) — n'est pas totalement étranger au pouvoir qu'il détient.

MA GIEET SORCELLERIE

Pouvoir sur les personnes

Le sort donné avec le pain

35 — «Un soir Saoussa rentre dans une maison à Pigrayer (43) et donne un petit
bout de pain qu'il avait dans sa poche à un enfant de dix ans. Et alors, lui il s'en va
et le petit ne veut plus manger de pain. Au bout d'une quinzaine de jours il repasse.
Il entre et les parents le menacent, que depuis qu'il est parti le petit ne veut plus
manger de pain. Alors il lui dit :

(42) Hameau de la com. de Ventavon.


(43) Sigoyer.

PREMIER TRIMESTRE 1986


— Qu'est-ce que tu dis, tu veux voir si le petit ne veut plus manger de pain ?
Il sort un morceau de pain noir de sa poche et le donne à l'enfant et l'enfant se
met à manger. A partir de ce jour-là, il a été guéri, il a mangé comme d'habitude.
Ça, je sais que c'est réel parce que c'est mon pauvre père qui me l'a raconté ;
lui y était pour berger dans cette maison. On l'avait placé à sept ans et il aurait qua¬
tre-vingt-quatorze ans maintenant» (Lardieret Valença).

La prise de tabac

36 — «Un jour il offrit une prise de tabac à un ami qui ne fit que semblant de la
prendre. Saoussa lui dit alors :
— Tu n'as pas voulu la prendre, le bon Dieu te punira !
Il mourut dans les sept jours» (Sigoyer ).

Mal donné par vengeance

37 — «Alors qu'il se trouvait à l'auberge Girard, à Savournon, des jeunes filles se


moquèrent de lui. Pour se venger, il glissa un produit dans leurs plats qui leur fit à
toutes attraper la colique» {Savournon, inf. n° 2).

L 'appétit coupé

38 — Il se trouvait un jour au Saix invité à un repas chez le Père Mathieu, repas


composé essentiellement de grives. Il usa de magie pour empêcher celui-ci d'en
manger,
«PèrelesMathieu
mangea toutes et dit, narquois :

La part de trois va bien à deux» .


(Le Saix, inf. n° 1).

Les actions imposées

39 — Pour se venger de quelqu'un il lui avait dit : «Tu iras faire le tour de la monta¬
gne tous les matins». Et la personne avait été forcée de le faire (Le Saix, inf. n° 1).

40 — Il avait embarné [ensorcelé] un homme d'Esparron ; celui-ci était obligé d'al¬


ler tous les matins faire ses besoins sur une montagne. Il ne pouvait pas les faire
autrement (St-Auban-d'Oze, inf. n° 1).

41 — «Saoussa se trouvait à la vogue [fête patronale] à Manteyer avec un groupe de


personnes ; il leur dit :
— Si vous voulez, je vais faire danser les jeunes filles toutes nues.
Mais on l'avait empêché de faire ça : il les aurait embarnées pour les faire dan¬
ser toutes nues ! » (Barcillonnette).

Les jeunes gens immobilisés

42 — «Une fois il était là-bas au Collet et il y avait deux femmes, une fille et un gar¬
çon qui descendaient, là-bas, par le chemin de la Feyssore. Et lui, de là-haut, les
regardait descendre avec des gens. Tout d'un coup il leur dit :
ter. — Ils sont bien tranquilles ces jeunes gens, vous les voyez ? Je vais les arrê¬

Et ils se sont arrêtés, ils n'ont plus bougé jusqu'à ce que lui leur ait donné la
commande de repartir. Il leur avait donné un sort» (LaPiarre, inf n° 1).

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


La barrière invisible

43 — «Il y avait dans ma maison une ouverture sans porte qui donnait dans la cave.
On y mettait une chaise devant pour de dire que les enfants n'y aillent pas. Et ce
Monsieur Clavel a dit :
— Enlevez cette chaise, les enfants n'y sauteront pas, allez !
On a enlevé la chaise. Et quand les enfants arrivaient là, on aurait dit que le
diable les faisait reculer. Ils n'ont jamais cherché à aller plus loin» (La Piarre, Le
Collet).

La propriété gardée magiquement

44 — «Le dimanche, des hommes du Cros (44) venaient à Esparron se ravitailler et


faire la partie [de boules]. Et alors, tous les dimanches soirs en s'en allant, au lieu
de suivre le chemin, ils prenaient un raccourci qui passait par la propriété de Saous-
sa. Il leur avait dit plusieurs fois :
— Il ne faut plus passer dans mon pré.
Alors toujours ils y passaient.
— Ah ! bot', bot', mon ange, vous y passerez plus !
Alors, le dimanche d'après, le soir, les types ils sont partis pour se retourner
au Cros. Ils se sont dit :
— Maintenant le père Saoussa est couché, il nous voit pas.
Et ils sont partis avec leur chien, un petit chien. Et, au milieu de la propriété,
une boule rouge s'est formée après le chien, et le chien est parti en criant d'un côté
et de l'autre avec la boule rouge qui l'a accompagné jusqu'au Cros. Et les hommes
avaient une brave peur ! Ils avaient plus passé par le pré, ils passaient par le che¬
min, après» (Barcillonnette ).

Ce récit peut être mis en parallèle avec celui qui montre Saoussa prenant la
même liberté, et usant de ses pouvoirs pour la conserver ! (n° 11).
On lira encore d'autres récits d'ensorcellement dans le passage consacré aux
rapports de Saoussa avec les curés.

Pourvoir sur les animaux

45 — S'il voulait du mal à quelqu'un, il lui embarnait les bêtes (Le Saix, inf. n° 2).

L 'herbe qui déferre

46 — «Il y en avait un de La Piarre qui revenait de faire ferrer son mulet à Valdrô-
me ; il passait par le col du Charron (45). Et quand il a pris la descente de La Piarre,
sa bête n'a plus eu de fers. C'était Saoussa qui lui avait donné Verba de la desfare»
(46) (La Piarre, inf. n° 1).

(44) Litt.
(45)
(46) Hameau
Sentier
: l'herbe
muletier
de la de
com.
la
; Valdrôme
déferre.
d'Esparron.
se trouve dans la Drôme.

PREMIER TRIMESTRE 1986


Les boeufs immobilisés

47 — Saoussa avait embarné les boeufs d'un homme qui labourait ; il lui avait dit :
«Tu veux labourer ? Tes boeufs n'avanceront pas !» L'homme ne put labourer (Le
Saix, inf. n° 2).

Les boeufs dans le râtelier

48 — A Châtillon -le -Désert, on l'avait mal reçu. Pour punir ces gens, il avait fait
monter les boeufs dans le râtelier (47) : en entrant dans l'étable, le patron les avait
trouvés dans cette position. Il avait dû aller trouver le sorcier pour qu'il les fasse re¬
descendre (St-Auban-d'Oze, inf n° 1).

L 'appétit ôté aux boeufs

On a vu ( récit n° 9) que les gens qui refusaient l'hospitalité à Saoussa voyaient


leurs bêtes refuser de manger, leur troupeau dépérir. Plusieurs récits illustrent ce
thème.

49 — Quelqu'un avait refusé à Saoussa de lui faire cuire un oeuf. En représailles, le


sorcier avait ôté l'appétit à ses boeufs. Il avait fallu le faire revenir et lui faire tou¬
cher les boeufs pour qu'ils recommencent à manger (Le Saix, inf n° 2).

50.1 — Dans une ferme de Péchier, il avait embarné les boeufs en frottant de la
graisse de blaireau sur le râtelier, et les boeufs ne mangeaient plus. Au bout d'un
certain temps le fermier l'a fait appeler. Saousso a dit quelques prières et ordonné
qu'on brûle le râtelier. Les boeufs se sont alors remis à manger (La Bâtie-Montsa-
léon. Selon l'informateur, ces fait remonteraient à 80 ans environ).

Une rationalisation de la croyance est perceptible dans les deux documents


suivants.

50.2 — «Sauce s'introduisait dans les écuries pendant que les paysans étaient aux
champs. Il avait le secret d'une certaine mixture qui avait le don de couper l'appétit
aux bêtes, de les irriter. Il passait de cette mixture sur les barreaux des mangerel-
les [râteliers] et les bêtes refusaient de manger. Appelé ensuite par les paysans af¬
folés, il lui suffisait, seul dans l'écurie, d'essuyer les barreaux, de passer peut-être
un autre produit qui neutralisait le premier, et les animaux retrouvaient leur calme
et leur appétit. Sauce était donc certainement un personnage très malin» (Doc. Les-
bros, Le Bersac).

Les boeufs calmés

51 — «Une fois, Sauce est appelé de nuit dans une ferme : les boeufs, dans l'écu¬
rie, n'avaient pas touché leur foin après avoir labouré tout le jour et les pauvres bê¬
tes menaient un train d'enfer, tirant sur leurs chaînes, meuglant, piaffant ; bref, el¬
les paraissaient ensorcelées. Seul, Sauce pouvait trouver la cause de ce boulugi [re¬
mue-ménage] et ramener le calme dans l'étable.
Donc, il rentre dans l'écurie et demande aux fermiers qui l'avaient accompa-

(47) Ce motif rappelle certaines farces analogues que l'on attribue à l'esprit domestique.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


gné de le laisser seul avec les bêtes. Il s'enferme avec elles et, au bout d'un mo¬
ment on n'entend plus de bruit. Sauce ouvre la porte de l'étable, les fermiers en¬
trent et voient leurs boeufs qui, paisiblement, mâchent avec grand appétit le foin
contenu dans la mangerelle. Sauce tient dans ses mains les mouras (48) de chaque
boeuf. Il dit aux paysans qu'ils avaient tout simplement oublié d'enlever leurs mou-
ras aux boeufs après les avoir rentrés à l'écurie. Ce que les paysans n'ont jamais
cru, pensant à une astuce de Sauce pour ne pas leur dévoiler le subterfuge par le¬
quel il avait réussi à désensorceler les boeufs de ces braves gens» (Doc. Lesbros, Le
Bersac).

Les poules ensorcelées

52 — «Une fois il a demandé à une femme de Villauret (49) de lui faire cuire deux
oeufs. Comme elle le lui refusait, il a donné une poignée de grains à ses poules et,
depuis, elles ne voulaient plus pondre. Il a fallu qu'elle aille le trouver pour qu'il
enlève le sort» (St-Auban-d'Oze , inf. n° 1).

Punaises éloignées, poules ramenées à la ferme

Il s'agit ici d'un des rares récits dans lesquels Saoussa n'intervient pas pour
rétablir un ordre qu'il a détruit lui-même, mais pour faire bénéficier une famille de
son pouvoir. Notons qu'il a déjà opéré une guérison dans cette famille (récit n° 26).

53 — «Saoussa s'était ramassé [retrouvé] un soir à la tombée de la nuit chez les Ma-
ron,luià dit
on La Piarre.
: Il avait soupé et il avait demandé à ce qu'on le fasse coucher. Alors

— Bien volontiers, mais vous ne pourrez peut-être guère dormir.


— Et pourquoi je ne dormirais pas ?
— Bè, nous avons des bêtes, dans le lit, qu'elles ne sont pas tellement intéres¬
santes, quoi !
Alors il leur a dit :
— Qu'est-ce que c'est que ces bêtes-là ?
—Alors
Ohil ! aC'est
dit : des punaises !
— Il faut tenir [veiller à] d'en tuer quelques-unes et puis ça disparaîtra.
Parlant de ça, au cours de la veillée, ils ont parlé de leurs poules qui allaient
faire l'oeuf dans l'écurie de Moullet (50). Il leur a répondu que ça disparaîtrait petit
à petit. Et durant quarante ans au moins, ils n'ont plus eu aucune punaise et les
poules, même qu'on aurait voulu les faire aller dans l'écurie du voisin, il était im¬
possible de le faire : il paraît qu'elles partaient en criant» (La Piarre, inf. n° 2).

Comment lutter contre les sorts

54 — Saousse «embarnait» les bêtes de ceux qui le «contrariaient». On devait alors


faire bouillir des clous dans du vinaigre et Saousse, «contrarié» à son tour, était
obligé de «débarner» les bêtes qui se remettaient à manger (St-Auban-d'Oze, inf
n° 2).

(48) Sorte de filet dont on entoure le moure (museau) des boeufs pendant qu'ils travaillent pour évi¬
ter qu'ils ne mangent.
(49) Hameau de la com. de St-Auban-d'Oze.
(50) Famille voisine.

PREMIER TRIMESTRE 1986


AUTRES POUVOIRS

Dans son imprécision et sa généralité, un avis résumera une opinion courante :

55 — Devant un travail difficile, on disait : «Il nous faudrait bien Sauce ! » ou bien :
«Il n'y aurait que Sauce pour expliquer». Un ouvrier à qui on reprochait de n'avoir
pas assez travaillé pouvait répondre : «E, siou pas Sauce ! (51)», autrement dit :
«Ne me demandez pas l'impossible» (Doc. Lesbros, Serres ).

La maîtrise de l'espace

L 'enjambée de géant

56 — «Quand mon père questionnait mon grand-père sur Sauce, mon grand-père
éclatait de rire et lui disait que Sauce avait tous les pouvoirs, qu'il mettait par
exemple un pied sur Aujour et que l'autre était en Camargue (52)» (Doc. Lesbros,
Serres).

Saoussa sort magiquement de prison

57 — «Une fois, Sauce avait été arrêté par les gendarmes et mis en prison (53).
Alors Sauce dit aux gendarmes :
— Crésès me teni ? Avèsquéd 'ana au village, vous pague un mesuron (54).
Intrigués, les gendarmes vont au rendez -vous et trouvent Sauce attablé, qui
les attendait» (Doc. Lesbros, Le Bersac).

Le coup de pistolet

58.1 — «Une fois, lou Saoussé se rendait en Dévoluy et, en passant chez mes
grands -parents, aux Revioures (55), il leur a dit :
— Une fois que je serai sur le plateau d'Aurouze (56), je tirerai un coup de pis¬
tolet et vous l'entendrez.
Et il paraît qu'ils l'ont entendu» (La Roche-des-Arnauds, Les Baux).

Une confirmation de ce fait nous est donnée par un homme du même village :

58.2 — «Le grand-père paternel de Mme Juliette P. (57) habitait aux Revioures. Un
jour Saousse est passé chez lui et il a dit :
— Tiens-moi en vue ; dès que je suis sur le bord du plateau d'Aurouze, je tire
un coup de pistolet, tu verras la clarté.
Et puis au bout de très peu de temps, il a vu la clarté du coup de pistolet et ça a
été fini. Saousse est passé en Dévoluy et le père Martin est rentré dans sa maison»
(Manteyer, Le Villard).

(51) Hameau
(52)
(53)
(54)
(55) Le
Vous
Eh,méfait
Ce genre
jecroyez
ne de
suis
d'exploit
delame
Sauce,
pas
com.
tenir
Sauce
est
de
pas
?en
La
Vous
plus
! général
Roche-des-Arnauds.
n'avez
que leattribué
lieu
qu'àdealler
àcette
Gargantua.
auaventure,
village, jenevous
sontpaye
précisés.
un mesuron.

vioures.
(56) La montagne d'Aurouze est située en Dévoluy. Plusieurs heures de marche la séparent des Re¬
(57) Dont nous tenons le récit précédent.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Au fond, la montagne d'Aurouze — à gauche, le village de Montmaur (cf. récits n° 58. 1 et 58.2).

«Mets ton pied sur le mien» (58)

Le document, déjà cité, de Georges de Manteyer contient une version de ce


thème que de nombreux récits illustreront.

59.1 — «Une fois, à la Saint-Laurent, avec Toussaint de Font-Cama, Clavel se ren¬


dit de Manteyer à la fête de Sigoyer. Ce fut l'année où éclata un orage terrible qui
emporta, à Manteyer, le moulin alors tenu par le Marrou. Voyant ce temps, Tous¬
saint aurait bien voulu rentrer, mais, au milieu de ce déluge, il n'osait pas :
— Me voudrieou ben en alar, mes/ai trop marri tens (59).
Clavel lui dit :
— Si tu paies lou soupar ves Pataras (sobriquet de l'aubergiste de Manteyer),
en djis de tens, li sian leou touti dous. M et es toun pe sus lou mieou. . . (60).
Ils partent d'un coup dans l'air et se retrouvent tombant à Manteyer sur le ser¬
re de l'Arenier, au-dessus de l'église, à travers les branches d'un noyer qui enlè¬
vent de
rive le chapeau
Rif-la-Ville.
de l'un d'eux, juste en face de l'auberge qui se trouvait sur l'autre

Le vieux bûcheron de Manteyer, Jean Calandri, racontait souvent cette histoi¬


re» (61).

(58) Cf. cycle du Pape des Aix (récits n° 5.1 à 4).


(59) Je voudrais bien m'en aller, mais il fait trop mauvais temps.
(60) Si tu paies le souper chez Pataras, en peu de temps nous y serons tous les deux. Mets ton pied
sur le mien...
(61) G. de MANTEYER, op. cit., p. 82.

PREMIER TRIMESTRE 1986


«Et dans tous les villages où ils passèrent jusqu 'à Barcillonnette {Plan du Bourg, Chabestan, Le Saix. . . ),
l'angélus sonnait au clocher» (récit n° 59.5). A gauche : clocher de Barcillonnette. A droite : celui de
Plan du Bourg.

59.2 — Saoussa se trouvait à Esparron en compagnie d'un homme de Clausonne


(62). Comme celui-ci avait hâte de rentrer chez lui, Saoussa prit sa canne et lui dit :
«Bot', bot', mets ton pied sur le mien» ; ils furent instantanément rendus à Clau¬
sonne (Le Saix, inf. n° 1).

59.3 — Saousse allait à Sigoyer en compagnie d'un homme de Manteyer qui y était
invité à une noce. Saousse lui dit alors : «Mets ton pied sur le mien et ne pense pas
au bon Dieu». Et ils sont arrivés là-bas avant la noce (Manteyer, Le Villard).

59.4 — «Saoussa se trouvait à Aspremont avec un monsieur de La Piarre. Il paraît


que c'était tard, c'était le soir, que le soleil allait prendre [se coucher]. Son compa¬
gnon lui disait :
— D faut partir, que ça va être nuit.
Et Saoussa lui répondait :
— Oh ! vaï, vaï, nous avons le temps.
Quand ça a été le moment de partir, Saoussa dit à son compagnon :
— Mets ton pied sur le mien.
Et ils sont arrivés à La Piarre, que le soleil allait prendre» (La Piarre, inf. n° 1).

59.5 — Il se trouvait à Savournon avec un de ses voisins de Barcillonnette. C'était à


la nuit tombante, l'angélus sonnait. Saoussa dit à son compagnon : «Mets ton pied
sur le mien». Ils partirent à toute allure et dans tous les villages où ils passèrent,
jusqu'à Barcillonnette (Plan du Bourg, Chabestan, Le Saix...) (63) l'angélus sonnait
au clocher (Savournon, inf. n° 1).

(62) Hameau de la com. du Saix.


(63) On peut remarquer que le trajet ne se fait pas à vol d'oiseau par-dessus la montagne, mais qu'il
suit la route !

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Vf YNh'S H.i-1'ifî. Alpo<. , Pl.nc i!ii Mju'K1 1 \

Carte postale, coll. M. CLÉMENT, club cartophile, Gap.

59.6 — Saoussa «se trouvait à une foire de Veynes avec un collègue. C'était à la
tombée de la nuit, l'angélus sonnait ; il dit à son collègue : vvMets ton pied sur le
mien". Et son collègue s'est vu dans les flammes, et ils sont arrivés ici, à Barcillon-
nette tandis que l'angélus sonnait encore» (Barcillonnette ).

59.7 — Même récit recueilli & Esparron, localisé à Esparron.

59.8 — «Il se trouvait au café, à Veynes, avec un homme de Saint-Auban, et il lui a


dit :
— Si tu veux aller à Esparron, je t'y porte (il lui a dit). Bot ' bot ', mets ton pied
sur le mien et prends mon bâton.
Il paraît qu'il s'était vu transporter dans les airs. En partant de Veynes, l'angé¬
lus sonnait et, en arrivant à Esparron, il sonnait encore» (St-Auban-d'Oze , inf.
n° 1).

59.9 — «Saoussa et un autre devaient se rendre à un endroit éloigné et c'était déjà


tard ; le soleil allait passer. L'autre lui a dit :
— Jamais on ne pourra arriver ce soir.
Alors le Saoussa lui dit :
— Bot', bot', tu vas voir qu'on y est vite ; prends mon bâton et mets ton pied
sur le mien.
Et tout d'un coup ils se sont trouvés à l'endroit où ils voulaient aller, mais l'au¬
tre a eu peur et il a été très fatigué» (Lardier-et-Valença ).

PREMIER TRIMESTRE 1986 48


59.10 — «Un jour Saousse se trouvait à Saint-Auban-d'Oze avec un cousin à notre
famille. Comme ils ne voulaient pas rentrer la nuit et qu'il était déjà tard, Saousse
dit à son compagnon : ""Prends mon bâton", et ils se sont trouvés aux Baumettes
(64) sans s'en apercevoir. Avec son bâton, il faisait ce qu'il voulait» ( Chabestan ,
inf. n° 1).

59.11 — Saousse se trouvait un jour sur la montagne de Saint-Michel avec une per¬
sonne qui voulait contester sa puissance. Il lui dit : «Mets ton pied sur le mien et
tiens-toi bon !». D'un bond, sans toucher terre, ils sont arrivés sur la montagne de
Cellas (65) (Sigottier ).

59.12 et 13 — Deux attestations du thème, à Chabestan {inf. n° 2) e t à Furmeyer,


Les Savoy ons. Cf. aussi récit n° 29.

La maîtrise des éléments

Saoussa faiseur de pluie (66)

60 — «Une fois, Saoussa se trouvait à Barcillonnette. Il a pris un compagnon avec


lui et ils sont descendus sur la route du Plan de Vitrolles. Le temps était bien clair,
bien joli, il faisait soleil, paraît-il. Alors il lui dit :
— Dépêchons -nous pour qu'on arrive avant qu'il pleuve.
Alors l'autre qui lui dit :
— Comment veux-tu qu'il pleuve avec le soleil qu'il fait ?
Puis tout d'un coup un orage est arrivé. Ils ont été obligés de chercher un abri
tellement qu'il pleuvait» (Lardier-et-Valença ).

61 — «Il y a un bonhomme qui lui a dit :


— Oh ! il nous faudrait de l'eau, il nous faudrait de l'eau !
Alors il lui a répondu :
— Tu veux de l'eau, en voilà !
Et brusquement il s'est mis à tomber de la pluie» {La Roche-des-Arnauds, Les
Baux).

62 — Venant de Gap (ou de Pelleautier), Saousse se dirigeait vers Corréo (67) en


compagnie de deux hommes. Passé la Maison Neuve (68), vers Les Marcellons
(69), les deux hommes se sont moqués de lui. Saousse a continué seul, tandis que
les autres se sont mis à monter vers Corréo à travers champs.
«Alors il sort un nuage sur Céiise qui a filé en dessus des Marcellons et il est
tombé une averse sur les deux types, que l'eau coulait partout ! Paraît que là où ils
étaient, l'eau tombait à verse. Ils ont pris une douche formidable, et nulle part ail¬
leurs il n'a plu. Ils se sont dit : ""C'est Saousse qui a provoqué cette averse"» {Man-
teyer, Le Villard).

(64) Ou : La Baumette, com. d'Oze.


(65) Située entre Aspres-sur-Buech et Chabestan. La «montagne de Saint-Michel» n'a pu être loca¬
lisée.
(66) Cf. cycle de Moundou (récits n° 1 et 2.1 à 3).
(67) Hameau de la com. de La Roche-des-Arnauds.
(68) Hameau de la com. de la Freissinouse.
(69) Hameau de la com. de La Roche-des-Arnauds.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Le chemin éclairé magiquement

63 — Il se trouvait un soir d'hiver bloqué dans un café de village (70) par une subite
tourmente de neige. Parmi les consommateurs, il y en avait un qui se lamentait de
voir la tempête s'aggraver, en pensant à sa femme malade et seule en un lieu éloi¬
gné. Alors Sauce lui a donné sa canne en lui disant qu'il pouvait sortir sans crainte.
En effet, devant la canne, la neige s'écartait et la route s'éclairait. L'homme a pu
rejoindre son domicile sans encombre {Doc. Lesbros, Le Bersac).

Le blé rentré magiquement (71)

64 — Une femme de Saint-Auban avait du blé à rentrer et le temps menaçait.


Saoussa lui a dit : «Si vous voulez, je peux vous le rentrer en soufflant dessus».
Mais elle n'avait pas voulu (St-Auban-d'Oze, inf. n° 1).

Divinations et prédictions

Divinations agraires et météorologiques

65 — Tous les matins «le Saoussa» sortait sur le pas de sa porte pour examiner le
ciel, et il annonçait à haute voix si le temps était propice pour semer du blé, planter
des pommes de terre ou pour effectuer toute autre opération agricole.
Un jour, un voisin l'entendit qui disait : «Bot\ bot', aujourd'hui c'est un beau
temps pour semer des pois chiches» et, mettant ces paroles à profit, il alla ense¬
mencer son champ. La récolte s'annonçait excellente, mais il n'y eut aucun grain :
comme on avait surpris son «secret», Saoussa avait «embarné» les pois chiches (Le
Saix, inf. n° 2).

Le serpent caché dans le fagot

66 — A une femme qui portait un fagot de bois sur l'épaule, il dit un jour : «Déchar¬
gez votre fagot, il y a une bête dangereuse dedans». On défit le fagot et on trouva
un serpent à l'intérieur (Chabestan , inf. n° 1).

Prophéties concernant des événements (72)

67 — «Saoussa disait :
— Bot\ bot', mon ange. Précharieul et Déoule (73) jouent à la caville (74) ;
Précharieul partira et Déoule gagnera.
Ce que Saoussa avait dit s'est réalisé et continue de se réaliser. En effet, tou¬
tes les années, lorsqu'il est en crue, le Déoule emporte une partie du champ de Pré¬
charieul» (Barcillonnette ).

(70) Le lieu n'est pas précisé.


(71) Cf. cycle du Doyen (récits n° 2.1 à 12).
(72) Pour ces deux prophéties, cf. cycle du Pape des Aix (récits n° 6.1 à 4).
(73) Précharieul est un champ proche du village de Barcillonnette ; le Déoule, le torrent qui traver¬
se les communes d'Esparron, Barcillonnette et Vitrolles.
(74) Description de l'informateur : la caville est un jeu à deux joueurs, assis par terre, qui se font
face, les jambes allongées, semelle contre semelle. Ils tiennent entre eux dans leurs mains un même bâ¬
ton, perpendiculaire à leurs corps, qu'ils cherchent à tirer à eux en entraînant l'adversaire (cf. Ch. GAL-
TIER, Le trésor des jeux provençaux, 1952, p. 236).

PREMIER TRIMESTRE 1986


68 — Monté sur un mamelon au-dessus du village d'Esparron, Saoussa s'était fixé
deux persiennes aux bras. Il s'élança dans le vide, tomba au pied de la pente. «En
se relevant, il dit :
— Si moi je n'ai pas volé, d'autres voleront.
Il avait déjà prévu les avions» (Esparron , inf. n° 1).

Prophéties concernant les personnes

Certaines prophéties de Saoussa sont en fait des malédictions ; tel le dramati¬


que événement relaté ci-dessous, que personne n'ignore à La Piarre, où il est don¬
né comme authentique. C'est d'ailleurs dans ce village que le curé a été l'objet
d'une prédiction de même nature, avec la même issue dramatique (récit n° 26).

69 — «Saoussa et trois hommes de La Piarre se trouvaient au café chez Monsieur


Baréty. Et il y avait un cyprès qui poussait au milieu de la roche de la Coste dou
Chaï (75). Ils étaient au café et Saoussa disait :
— Moi, je vais le couper.
laientIlsl'attacher
ont pariéavec
cinqdes
francs
cordes.
chacun.
Lui leur
Et disait
lui il est
: parti avec les hommes qui vou¬

— Attachez-moi, attachez-moi, pour pas que je vous effraie, mais je n'aurais


pas besoin de ça.
Ils l'ont attaché à un mauvais petit buis gros comme le doigt. Alors il est passé
par en haut par la montagne d'Aiguille et il est descendu par la roche. Il a fait le
semblant de donner un coup de hache et le cyprès est tombé. Le nom est resté : on
appelle Pré de Saoussa cette petite plate-forme, grosse comme la table, où pousse
toujours un peu d'herbe, de fraîcheur.
Puis il s'est retourné et ils sont mai [de nouveau] allés au café, et Saoussa leur
a demandé
Saoussa leurl'argent
a dit : du pari. Mais les autres n'ont plus été décidés à le payer. Alors

— Je vais vous prédire votre mort.


Au père Baréty il lui a dit :
— On te trouvera mort dans les pieds de ton cheval.
Et, en allant soigner son cheval, le cheval lui a donné un coup de pied qu'il en
est mort. Et il paraît que c'était un vieux cheval qui avait toujours été bien sage.
Au deuxième, qu'on appelait Jean-Pierre André, il a dit :
— Toi, tu mouriras de faim.
Il était mort d'un cancer au gosier. Et au troisième, Jean Joubert, il a dit :
— Toi, tu resteras par les Fangeas (76) et on te trouvera mort.
Et un jour qu'il revenait de Serres, son cheval a pris peur, il a renversé la char¬
rue et lui, qui se trouvait à côté d'elle, il a eu le ventre ouvert par le soc de la char¬
rue. Il est resté là-bas ; on est allé le chercher mort» {La Piarre, inf. n° 1).

SAOUSSA ET LES CURÉS

Dépositaire de la puissance divine, le curé possède lui aussi des pouvoirs sur¬
naturels, qui lui permettent de contrer le sorcier. Mais, selon une conception qui

(75) Nom
(76) Rocher
d'une
dontpetite
la paroi
vallée
abrupte
qui sedomine
trouveleentre
village.
Sigottier et la ferme Gilibert (com. de La Piarre).

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN 51


fait de lui un personnage non dénué d'ambiguïté, ces pouvoirs le font parfois consi¬
dérer à son tour comme un véritable sorcier : ne lui attribue-t-on pas le pouvoir de
maîtriser les éléments, d'arrêter l'incendie («charmer le feu»), voire même de jeter
des sorts ? N'est-il pas censé posséder des livres de magie et en connaître l'usage ?
C'est donc une rivalité de pouvoirs qui oppose le sorcier et le curé, et qui explique
peut-être que Saoussa en fasse une de ses cibles favorites.

70 — «Il se contrariait sur la médecine avec le curé de Sigoyer» (Manteyer , Le Vil-


lard).

71 — Saousse avait pour ennemi un curé qui connaissait les plantes aussi bien que
lui, et il avait envoûté son frère. A la suite de quoi Saousse et le curé s'étaient «me¬
surés». Le curé lui disait : «Si tu ne le désenvoûtes pas, je t'envoûterai». C'était à
celui des deux dont le sang serait le plus fort {La Roche-des-Arnauds, Les Baux).

72 — «Un jour, Saoussa se trouvait devant l'église du Saix et le curé lui a dit :
— Si tu viens me servir la messe, je te paye le dîner.
On disait que Saoussa était franc-maçon, qu'il n'allait pas à la messe. Mais il y
est allé quand même et il a très bien servi la messe. Et quand il a eu dit la messe, le
curé est allé dîner comme d'habitude, mais il ne lui a rien dit, à lui, il paraît. Alors
Saoussa l'a embarné. Il lui a dit :
— Tu ne m'as pas payé le dîner, tu ne mangeras plus.
Et le curé ne mangeait plus rien. Il est allé trouver son frère à Saint-Auban et il
lui a dit qu'il
: ne mangeait plus rien, d'aller trouver Saoussa. Il y est allé et Saoussa

— Il devra prendre dans sa soupe des crottes de chien bien blanches en guise
de poivre.
Et il paraît que lorsqu'il a pris ce remède il s'est remis à manger (St-Auban -
d'Oze, inf. n° 1).

Un récit proche de ce dernier est publié par Georges de Manteyer :

73 — «Une fois, à Sigoyer, le curé l'invita à dîner, mais lui dit :


— Il faut que j'aille dire ma messe avant.
Clavel y alla aussi ; mais, à la sortie, le curé ne lui dit plus rien. Ce que voyant,
Clavelluiluidit
alors tendit
: la main et le curé en fit de même pour prendre congé de lui. Clavel

— Té, vaqui per sept ans (77).


Sur quoi, dit -on, la diarrhée, foueira, prit le curé qui la garda sans cesse. Au
bout d'un certain temps, sans attendre sept ans, ni sept mois, le curé fit appeler
Clavel pour le guérir, et il le fut moyennant un bon salaire (78).

74 — «Un jour, le curé du Saix avait fait une réprimande à Sauce. Celui-ci ne répon¬
dit rien. Mais, quelque temps après — le curé avait oublié l'incident — , juste avant
la messe Sauce vient le voir, discute amicalement avec lui, sort sa tabatière et offre
la prise au curé. Le curé prend ses deux prises (une pour chaque narine) ; Sauce en
prend
va direégalement
sa messe. et, l'heure de la messe étant venue, le curé prend congé de lui et

(77) G.
(78) Tiens,
de MANTEYER,
voilà pour septop.ans.
cit., p. 82.

PREMIER TRIMESTRE 1986


Mais voilà qu'au milieu de la messe le curé se mit à péter de plus en plus fort
sans pouvoir se retenir, à tel point qu'il fut obligé de suspendre l'office et de quitter
précipitamment
bros, Le Bersac).l'église sous les yeux étonnés et amusés de ses fidèles» (Doc. Les-

Rappelons aussi le récit n° 26, dans lequel Saoussa prédit la mort du curé de
La Piarre qui avait «mal parlé» de lui.

SAOUSSA ET LE DIABLE

Aucun récit n'évoque formellement l'appartenance de Saoussa au diable (79) ;


quelques-uns pourtant laissent à penser qu'elle existait. «Mets ton pied sur le mien
et ne pense pas au bon Dieu», dit Saoussa {récit n° 59.3) ; si «penser au bon Dieu»
doit faire échouer le transport magique, c'est bien qu'il est diabolique. Selon un au¬
tre récit (n° 59.6), l'homme qui a accepté le transport magique offert par Saoussa
«s'est vu dans les flammes», flammes qui sont évidemment celles de l'enfer. On
apprend encore (n° 72) que Saoussa était «franc-maçon», et qu'il «n'allait pas à la
messe». Les francs-maçons sont des hommes réputés être inféodés au diable, et
nombreux sont les récits qui, dans les traditions des Alpes françaises, font d'eux
des sorciers (80).
Deux autres récits, ci-après, montrent Saoussa capable de tenir le diable en
respect en le combattant physiquement.

Le combat avec le diable (81)

75 — «Un jour Saoussa revenait de Barci [Barcillonnette] avec un camarade. Et au


pré du Saule ils ont vu une bête qui sautait devant eux et qui ressemblait à un liè¬
vre. Elle les a précédés jusqu'au torrent de Rebiodoun.
— Bot bot ', mon ange, commence de filer, j 'ai un peu de travail ici.
Et l'autre il a un peu filé puis il s'est caché à l'arrivée [entrée] du pays et il a
resté environ une heure. Il a attendu une heure et il a vu repasser Saoussa tout dé¬
chiré, tout esgarnassé [en lambeaux] et plein de sang. Il lui a dit :
— Je me suis battu avec le diable et j'ai bien eu du mal à me défendre» (Barcil¬
lonnette).

76 — «Vers la fin de sa vie, sa femme lui demanda son bâton. Il lui répondit :
— Tais-toi, vieille garce, je me suis battu avec tous les diables» (Sigoyer).

LA MORT DE SAOUSSA

77 — «Au moment de mourir, il a voulu toucher la main à sa mère, mais elle n'a pas
voulu» (Barcillonnette ).

(79) II n'en sera pas de même pour les autres magiciens qui, tous, ont fait un pacte avec le diable.
(80) Cf. cycle du Pape des Aix. Sur l'assimilation de la franç-maçonnerie à une secte infernale, cf.
C. JOISTEN, «La mort, Dieu et le diable dans un ethnotexte du Haut-Embrunais», Le Monde Alpin et
Rhodanien, n° 1-4/1977 , Religion populaire, pp. 335-336, et Jd., «De quelques sources d'influences...»,
op. cit., pp. 143-144.
(81) Cf. cycle du Doyen (récit n° 9).

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


78 — «Quand Saoussa était à son lit de mourant, il voulait donner son bâton à quel¬
qu'un. Il fallait que son bâton ait un certain pouvoir, puisqu'il voulait le donner à
quelqu'un ! Mais personne n'a voulu de son bâton, ni s'approcher de son lit.
Quand il est mort, le bâton est passé par la cheminée» (Lardier-et-Valença ).

Peu de documents, donc. Mais tous les éléments qui apparaissent dans ces
quelques lignes sont ceux qui caractérisent la mort, toujours difficile, du sorcier.
De peur qu'il ne leur transmette ses pouvoirs, les témoins s'écartent de son lit ; sa
mère elle-même (82) refuse le contact de sa main ; on refuse de même le bâton qui
a été l'auxiliaire de son pouvoir. Le départ surnaturel du bâton de Saoussa par la
cheminée tendrait à accréditer son appartenance au diable, puisque c'est en géné¬
ral cette ouverture que le diable utilise pour quitter une maison.

(82) On peut noter l'invraisemblance de ce fait, puisque Saoussa est mort à l'âge de 87 ans.

PREMIER TRIMESTRE 1986


INFORMATEURS ET AUTRES SOURCES

Ce répertoire est donné par commune. Lorsqu 'aucune précision n 'est apportée après
le nom de cette dernière, il s 'agit du chef-lieu. Les noms des hameaux suivent le nom de
la commune, ou, lorsqu' il y en a plusieurs, apparaissent en retrait.
Après le nom de l'informateur on trouvera : la date de l'enquête (mois en chiffres ro¬
mains et année en abrégé), et. entre parenthèses, les renvois aux numéros des récits.

SOURCES ORALES
Enquêtes C. Joisten
Barcillonnette : M. Justin C., 52 ans, cuit., maire de Barcillonnette, qui tient tous les ré¬
cits de son oncle, M. Auguste R., 79 ans, ancien cuit, et berger, illettré, de Barcillon¬
nette également, I. 59. M. Justin C. s'est révélé un des meilleurs informateurs (n°
9 ; 15 ; 23 ; 29 ; 41 ; 44 ; 59.6 ; 67 ; 75 ; 77).
Bâtie-Montsaléon (La) : M. Léon B. , 79 ans, VIII. 62 (n° 3 ; 7.2 ; 8. 1 ; 50. 1).
Chabestan : Inf. n° 1 : M. Léon F., 76 ans, cuit., VIII. 62 (n° 59.10 ; 66). Inf. n° 2 : hom¬
me anonyme, VIII. 62 (n° 59.12).
Châteauneuf-d'Oze, Le Chazal : Mme Léontine R., 82 ans, Gap, originaire du Chazal, I.
62 (n° 2 ; 33 ; 34).
Esparron, chef-lieu : Inf. n° 1 : homme anonyme, 54 ans, XII. 58 (n° 4 ; 19 ; 68). Inf. n°
2 : inf. anonyme, XII. 58 (n° 59. 7).
Espréaux : Homme anonyme, II. 59 (n° 18).
Furmeyer, Les Savoyons : Homme anonyme, VIII. 62 (n° 59.13).
Lardier-et-Valença : Mme Clémence R., 61 ans, cuit. 1. 59 (n° 35 ; 59.9 ; 60 ; 78).
Mantever, Le Villard : M. Désiré B., 76 ans, cuit., originaire des Baux, com. de La Ro-
che-des-Arnauds, VIII. 62 (n° 12 ; 22 ; 25 ; 27 ; 28 ; 58.2 ; 59.3 ; 62 ; 70).
Piarre (La), chef-lieu : Inf. n° 1 : Mme Eulalie B., 89 ans, II. 59 (n° 6 ; 10 ; 31 ; 42 ; 45 ;
59.4 ; 69). Inf. n° 2 : M. Auguste M., 56 ans, maire de La Piarre, II. 59 (n° 26 ; 53).
Le Collet : M. Marius D., 76 ans, 11.59 (n° 30 ; 43).
Roche-des-Arnauds (La), Les Baux : Mme Juliette P., 41 ans, cuit., native des Revioures,
même com. , VIII. 62 (n° 11 ; 14 ; 20 ; 58. 1 ; 61 ; 71).
Saint-Auban-d'Oze : Inf. n° 1 : M. Désiré G., 82 ans, II. 59 (n° 13 ; 40 ; 48 ; 52 ; 59.8 ;
64 ; 72). Inf. n° 2 : femme anonyme, 86 ans, Châteauneuf-d'Oze, qui a entendu le
récit à Saint-Auban-d'Oze, VIII. 62 (n° 54).
Saix (Le) : Inf. n° 1 : M.R., 82 ans, cuit., VIII. 62 (n° 21 ; 38 ; 39 ; 59.2). Inf. n° 2 : hom¬
me anonyme, VIII. 62 (n° 46 ; 47 ; 49 ; 65).
Savoumon : Inf. n° 1 : M.C., 81 ans, VIII. 62 (n° 59.5). Inf. n° 2 : homme anonyme, 74
ans, VIII. 62 (n° 17 ; 32 ; 37).

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Sigottier : M. Marius B., 78 ans, ancien maire de Sigottier, VII. 54 {n° 59.11).
Sinoyer : M. Jean A., 73 ans, La Freissinouse, hameau du Mazel, qui a entendu les récits
à Sigoyer, dont il est originaire, II. 59 (n° 36 ; 76).
Vitro/les. Le Plan-de-VitrolIes : M. E. P., 60 ans, XII. 58 (n° 5).

L'enquête de Charles Joisten comporte des points négatifs, qui sont : Aspremont, La
Beaume, La Haute-Beaume, Le Bersac, St-Pierre-d'Argenson, ham. de St-Martin,
Eyguians, Lazer (Pour Le Bersac, cf. les documents Lesbros).
Documents J. Lesbros

M. Jacques Lesbros, de Serres, a recueilli quelques récits, et il les a communiqués à


Charles Joisten en 1970.

Bâtie-Montsaléon (La) : Inf. n° 1 : M. Albert M., qui tient le récit de son père, M. Jules
M. ; ce dernier le lui a raconté vers 1920 (n° 7.1). Inf. n°2 : M. Casimir B., qui le
tient de M. Léon B. ; ce dernier est l'informateur que C. Joisten a interrogé en 1962
(»° 8.2).

Bersac (Le) : M. Eugène I., 65 ans environ, qui tient les récits de son père, âgé de 97 ans
(n° 24 ; 50.2 ; 51 ; 56 ; 63 ; 74).
Serres : M. Charles Lesbros, né en 1898, père de M. Jacques Lesbros ; il tient les récits
de son propre père (n° 55 ; 57).

SO URCES 1MPRLMÉES

MANTEYER (Georges de), «Les dieux des Alpes de Ligurie», Bull, de la Soc. d'Êt. des
Htes-Alpes, 1945, pp. 438-576 (n° 1 ; 59.1 ; 73).
V AN GENNEP (Arnold), Le folklore des Hautes-Alpes, t. II, Paris, 1948 (n° 16).

PREMIER TRIMESTRE 1986


Moundou

Saint-Maurice-en-Valgaudemar

(Hautes-Alpes)

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cent
sont
cer¬
que
en¬
les
et
le

pelle.(1) Ce sont, d'ouest en est : Saint-Firmin, Saint-Jacques, Saint-Maurice, Villar-Loubière, La Cha¬


(2) «Elle est enfermée entre d'étroites murailles qui de tous côtés arrêtent le regard, si bien qu'on a
partout jusqu'à l'oppression, l'illusion d'être emprisonné» (GUIBERT, cité par P. CHAUVET et P.
PONS , Les Hautes-Alpes, hier, aujourd'hui, demain, t. II, p. 787).
(3) «Valjouffray et Valgaudemar ont leur fond tout brodé de cônes de déjection qui livrent à la riviè¬
re des assauts sans cesse renouvelés ; le long du bas Valgaudemar les cônes ont été si agressifs que la
Séveraisse a dû accumuler en arrière de leurs barrages d'épais amas alluviaux parfois recoupés en faus¬
ses terrasses ; en amont de La Chapelle les seules oasis au milieu de l'effrayante débauche de pierrailles
et de blocs appuyés aux versants sont les petits bassins enfermés entre les massifs barrages des cônes.
Ce sont là des séjours austères, dont l'homme pourtant s'accommode». (Raoul BLANCHARD, Les Alpes
occidentales, t. III, Grenoble et Paris, 1943).

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Sur la personnalité et l'état-civil de ce magicien, les récits ne nous appren¬
dront rien, ou presque. Moundou (Moundoun), cité par Mistral comme «nom de fa¬
mille méridional», est en Valgaudemar la prononciation dialectale de Mondon, pa¬
tronyme répandu dans le pays (4).
Selon une informatrice ( récit n° 8.2), Moundou avait sa maison au hameau du
Roux, dans la commune de Saint-Maurice ; une autre lui donne son seul ancrage
temporel, bien léger il est vrai : «Moundou, il était une fois à la chasse avec un du
Roux, Monsieur Moynier — mon pauvre papa le connaissait bien — ...» (n° 1). On
nous l'a dit berger (n° 4, 5, 8. 1) ; une fois, tailleur de pierre (n° 8.4), une autre fois,
«navigateur» (n° 8.3).
De fait, la majeure partie de ses pouvoirs s'exerce dans le domaine météorolo¬
gique et agro-pastoral. Ces pouvoirs, d'où les tenait-il ? Un récit le montre usant
d'un livre de magie (n° 2.1). Mais, surtout — d'après toute une partie des docu¬
ments — , Moundou avait fait un pacte avec le diable {n° 6, 8.1 à 4). L'on voyait mê¬
me ce dernier l'accompagner aux veillées (n° 7).
Tout le temps que dura ce contrat, Moundou eut bonheur et richesse. Mais ar¬
riva pour lui le moment de remettre son âme au démon, à qui il l'avait promise.
C'est alors que le curé de Saint-Maurice (variante : La Chapelle) lui enseigna le
moyen de lui échapper, en résistant toute une nuit à ses assauts furieux (matériali¬
sés, entre autres, par une avalanche de pierres), protégé par un cercle magique tra¬
cé autour de lui (n° 8.1 à 4).

Ce qui ressort de plusieurs de ces récits, c'est leur étroite relation avec la sau¬
vage nature du Valgaudemar. «Camarades, il faudrait aller retirer votre pont, sinon
d'ici ce soir il sera noyé...». On ne peut s'empêcher de rapprocher cette prédiction
de Moundou (d'ailleurs réalisée, cf. n° 2.2), de la description de Ladoucette : «On
passe [la Séveraisse] sur des ponts assez solides pour résister à ses débordements.
On vient de réparer le pont de Saint-Firmin, et on devrait fortifier celui du rocher de
l'Oratoire. [...] Mais, depuis quelques années, la dénudation des montagnes étant
complète, les ruisseaux, à la suite de fortes pluies et surtout de la fonte des neiges,
sont des torrents dévastateurs» (5).
Quant à «l'effrayante débauche de pierraille» évoquée par Raoul Blanchard
(6), n'est-ce pas elle qui hante l'esprit des habitants lorsqu'ils décrivent la nuit du¬
rant laquelle Moundou résista aux avalanches de pierres déchaînées par le dé¬
mon ? Et l'un des récits de cette série (n° 8.2) prend un caractère étiologique lors¬
qu'ilClots.
des attribue à cet événement la formation de l'éboulement de pierres au-dessus

Moudon
(4) F.deMISTRAL,
G. Sentis (n°op.8.4).
cit. La prononciation de oun, plus ou moins nasalisée, explique la variante
(5) LADOUCETTE, Histoire topographie, antiquités, usages, dialectes des Hautes-Alpes, Paris, 3°
éd., (6)
1848,Cf.p.note
465.3.

Entre ubac et adret : vue sur le chef-lieu de Saint-Maurice-en-Valgaudemar, depuis la route qui mène
au hameau de Prentiq.

PREMIER TRIMESTRE 1986


POUVOIRS SURNATURELS DE MOUNDOU

La maîtrise des éléments

Moundou tempestaire (7)

1 — «Moundou, il était une fois à la chasse avec un du Roux, M. Moynier — mon


pauvre papa le connaissait bien — , ils étaient à la chasse au col de la Pierre, sur la
crête de Valjouffrey. C'était au moment des moissons. Et alors, au village du Dé¬
sert (8), les jeunes s'étaient ramassés [retrouvés], c'était la fête du village, la vo¬
gue ; les jeunes s'amusaient. Alors lui, il dit à son compagnon :
— Tu vas voir comme je les fais courir !
Il descend au bord d'une fontaine ; il se lave les mains et fait des grimaces [si¬
magrées]. Tout de suite des mauvais nuages sont sortis de l'autre côté, la grêle est
tombée et ils n'ont pas eu le temps d'aller ramasser leur blé. Alors voilà que son
compagnon lui dit :
— Tu mériterais que je te tire un coup de fusil, faire des choses pareilles !»
(St-Maurice, l'Ubac).

Le nuage de Moundou

2.1 — «Paraît qu'il avait fait pleuvoir. Il était assis sur une hauteur avec un berger
et il lui dit :
— Tu vas voir si je vais faire pleuvoir !
L'autre pouvait pas le croire.
Alors il s'est mis à lire sur un livre. Ils ont commencé de voir un petit nuage.
Finalement, ça a grossi, grossi, qu'il est arrivé un gros nuage et puis qu'il a grêlé».
( Villar-Loubière )

2.2 — «Alors un jour il jouait aux boules avec les gens du village du Roux. Et il fai¬
sait beau temps. En jouant aux boules, il leur dit :
— Camarades, il faudrait aller retirer votre pont, sinon d'ici ce soir il sera
noyé.
En même temps il leur a fait voir un petit nuage qui sortait du côté de la Pierre.
Ils n'ont pas voulu le croire, ils l'ont traité d'imbécile ; ils se moquaient, rigolaient
de lui. Et deux heures après, il faisait un cataclysme à emporter le pont, un orage à
tout casser qui a emporté le pont.
Maintenant même, quand les gens désirent la pluie et qu'ils voient un petit
nuage sortir de ce côté, ils disent :
— Il va pleuvoir, voilà le nuage de Moundou qui sort !» (St-Maurice , Le Roux,
inf. n° 1).

2.3 — «Le nuage de Moundou sort de derrière la montagne de Jalon, à l'est du


Roux» (St-Maurice , La Tour).

(7) Cf. cycle de Saoussa (récits n° 60 à 62).


(8) Hameau le plus élevé de la commune de Valjouffrey (Isère), situé au fond de la vallée de même
nom, parallèle à celle du Valgaudemar (cf. note 3).

PREMIER TRIMESTRE 1986


La part du feu (9)

3 — «Il a fait brûler une maison au milieu de Prantic (10) sans que les autres aient
brûlé» (St-Maurice , L 'Ubac).

Pouvoirs sur les humains

L homme noyé en traversant le lac

4 — «Moundou avait dit à un homme de sa connaissance :


— Si tu traverses le lac de Pétarel avec un mouton, le mouton t'appartiendra.
Pour gagner le mouton, il [l'homme] a pris un jour un mouton pour traverser le
lac à la nage. Et une fois presque arrivé, il s'est écrié :
— Que Dieu veuille ou non,
J'ai gagné mon mouton.
Parce que s'il avait réussi, le mouton était à lui,
Alors le mouton, au lieu d'avancer sur la berge, il s'est mis à reculer, à reculer,
il est venu s'enfoncer au milieu du lac. Homme et mouton, tout a été perdu.
C'était un mouton du troupeau de Moundou» ( Villar-Loubière ).

Maurice,
(9) Cf.
(10) Prantiq
aujourd'hui
cycle du
(Dict.
Pape
abandonné
topographique),
des Aix,etenenparticulier
ruines.
Prentiq le(carte
récit I.G.N.),
n° 7.2. hameau d'alpage de la com. de Saint-

PREMIER TRIMESTRE 1986


Pouvoirs sur les animaux (11)

Les loups conjurés

5 — «Il y avait des loups dans le pays qui ravageaient son troupeau. Le diable lui a
dit :
— Ils ne viendront plus t 'embêter, les loups !
Alors Moundou a conjuré les loups. Il peut y en avoir des fois de passage ;
mais depuis l'époque il y en a plus qui demeurent. Il les avait conjurés. Ils ont du
pouvoir, ces gens-là, avec le diable !» ( Villar-Loubière ).

La disparition des taupes

6 — «Moundou avait fait son pacte avec le diable pour obtenir de lui le pouvoir de
faire disparaître les taupes dans la région. Mais depuis elles sont revenues» (St -
Maurice, Le Roux, inf. n° 2).

MOUNDOU ET LE DIABLE

7 — «Il allait veiller dans les maisons et il y avait toujours le diable qui l'accompa¬
gnait» (St-Maurice , L 'Ubac).

De tous les récits qui précèdent, seuls les derniers accordent — presque inci¬
demment — une origine diabolique aux pouvoirs de Moundou. Par contre, dans les
suivants, le dénouement du pacte avec le diable devient l'argument narratif princi¬
pal.

Comment Moundou échappa au diable

La manière dont Moundou échappa au diable est relatée dans quatre récits as¬
sez longs qui tranchent, par leur développement et leur construction, sur la simpli¬
cité et la brièveté des autres. En eux, on remarquera, à travers une abondance et
une diversité de détails, la stabilité de la forme. Cette dernière repose en effet sur
l'identité des éléments qui les structurent : l'échéance du pacte, l'aide du curé, le
cercle magique, l'épreuve nocturne de l'avalanche de pierres (12).

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Le
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derniers
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Folktale,
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LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Les quatre récits qui suivent présentent différentes formes d'élaboration, y
compris littéraire pour le dernier. On notera, dans celui de Moundou «navigateur»
(<0). le rôle d'intermédiaire que ce dernier joue pour sauver l'âme de son compa¬
gnon mort.

8.1 — «Il était berger d'un troupeau. Il avait fait pache [marché conclu, pacte] avec
le diable. Et alors tout lui réussissait bien. Et quand il est arrivé à la limite — il
avait fait un marché limité — , alors Moundou n'a pas voulu se vendre. Il a fait un
rond avec un bâton ; il y a mis une croix et il s'est mis dedans. Toute la nuit, des
pierres, des tonnerres, des avalanches de pierres venaient toutes buter contre
l'abri, le rond qu'il s'était fait. Ça a été une nuit terrible. Il a fini par être vain¬
queur, mais je vous assure que ça a été quelque chose. Ce que fait le diable, pour
avoir une âme !» ( Villar-Loubière ).

8.2 — «Moundou avait conclu un pacte (une pache) avec le diable. Mais vint le mo¬
ment où le diable devait venir le chercher. Il est allé trouver le curé de Saint-Mauri¬
ce, qui lui a dit :
— Tu te rendras ce soir aux Clots près des Garrets (13). Je te tracerai une ron¬
de [un cercle] autour de toi, je la bénirai, je te donnerai mon étole et tu te la passe¬
ras et tu resteras assis dans la ronde. Tu n'auras pas peur car [= et pourtant] tu en¬
tendras toutes sortes de bruits épouvantables comme si les montagnes descen¬
daient sur toi, des frachières [éboulements]. Tu verras toutes sortes de bêtes sau¬
vages, des serpents, mais tu ne mettras pas un pied hors de la ronde, sinon tu seras
foutu et le diable te prendra. A une certaine heure du matin, quand le bruit cessera,
tu sortiras et tu seras sauvé, tu me rendras Tétole.
C'est ce qu'il fit. Il échappa au diable. Mais tous les soirs, sur un petit mur,
prèsetdedesa
ces toutes
maison couleurs
du Roux
venaient
où il habitait,
miauler une
du soir
tirière
au matin
[bande]
en de
disant
chats: de toutes ra¬
Miaou, miaou, miaou
Mandzaren Moundou (14).
C'est le diable qui se mettait en forme de chats pour embêter Moundou, l'ef¬
frayer, qui [= parce qu'il] avait gagné son pari !» (St-Maurice , Le Roux, inf. n° 1,
IV.
res au-dessus
66). L ' informatrice
des Clots.ajoute que depuis cette époque existe Véboulement de pier¬

La même informatrice avait donné, en 1953, une version un peu plus brève de
ce récit. Nous
narration . la reproduisons ici pour l'intérêt que présente la variation dans cette

8.2 bis — «Moundou avait fait gageure [pacte] avec le diable. Le diable lui avait
donné un certain temps qu'il avait tout ce qu'il voulait, qu'il était heureux, qu'il
avait beaucoup d'argent, avant de venir lui prendre son âme. Alors quand le temps
approchait
lui dit : de son expiration, il en avait fait part au curé de Saint-Maurice. Le curé

— Ben mon ami, j'ai un moyen pour te sauver. Viens avec moi sur les Clots.
Et il lui traça un rond de trois mètres de circonférence, qu'il bénit, et y planta
une petite croix bénite et lui donna son étole au bras et lui dit :

(13) Lieu-dit,
(14) ...Nous mangerons
com. de Saint-Maurice,
Moundou. face au hameau du Roux.

PREMIER TRIMESTRE 1986 64


Vue de l'éboulement des Clots, depuis les Garrets. A l'extrême gauche, au pied de la pente, emplace¬
ment des anciennes carrières de talc (cf. récits n° 8.2 et 8.4).

— Quand l'heure viendra, que le diable viendra pour chercher ton âme, il ne
pourra pas rentrer dans la ronde. Et il fera le tour, il te fera voir toutes sortes de bê¬
tes pour t'effrayer et de bruits comme si toutes les montagnes te tombaient dessus.
Et tu ne bougeras pas, tu seras vainqueur et le diable ne t'aura pas.
A l'heure passée, tout a disparu, et Moundou s'est retiré sain et sauf. Il était
sauvé !» (St-Maurice , Le Roux, inf. n° 1, III. 53).

8.3 — «Moundou était navigateur. Ils étaient deux [lui, et un compagnon] sur la
mer. La mer était si mauvaise, qu'ils avaient fait pacte avec le diable. Ils lui avaient
dit que s'il les sauvait, eh bien, ils lui donnaient leur âme. Et alors, puisqu'ils s'é¬
taient sortis tous les deux — seulement son compagnon était mort [depuis] — , et
comme ils avaient fait pacte avec le diable, il fallait sortir son compagnon d'entre
les mains du diable.
Il est allé à La Chapelle (15), ce Moundou, pour demander au curé comment il
fallait faire pour sortir son compagnon des mains du diable.
Alors le curé lui avait fait une bouteille d'eau bénite et lui avait dit d'aller à un
endroit, au pied d'une côte, à un endroit solitaire, au Clot, et de tracer un rond avec
un bâton, d'y faire une croix au milieu, et d'y verser le flacon d'eau bénite et d'y al¬
ler dans la nuit, après minuit, de mettre un pied dans la ronde et un pied en dehors
et pas sortir de la ronde.

aujourd'hui
(15) Commune
abandonné
située
— se
au nomme
fond de Lela Clot.
vallée du Valgaudemar. Un des hameaux de cette commune —

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Alors il a fait tout ça. Il voyait son compagnon autour de la ronde et il fallait
que lui, en tournant, puisse l'attraper et le rentrer avec lui dans la ro le. Pendant
qu'il était là, il descendit de la montagne de grands blocs de pierres qui faisaient
des étincelles. Ces pierres arrivaient près de lui mais il bougeait pas, il fallait pas
qu'il bouge. A force, malgré tout le fracas qu'il entendait, malgré tout il est arrivé à
tirer
du diable.
le mort avec lui dans la ronde et il a été sauvé. Il n'a plus été entre les mains

Maintenant, comme je vous dis, c'est un conte ; c'est pas une histoire, c'est
pas véridique» (St-Maurice , L 'Ubac).

Le texte qui suit résume un récit publié par Gabrielle Sentis (16). Il contient un
certain nombre de détails de type «littéraire» totalement absents des récits de tra¬
dition orale. Cependant sa trame, très voisine, lui donne droit de cité parmi ceux-ci.
On peut noter l'explication toute locale de l'origine de la carrière de talc : il en exis¬
te effectivement une à cet endroit (17).

8.4 — Au bas du vallon de Prentiq, au village de Lubac (18) près de la Séveraisse,


vivait un tailleur de pierre nommé Moudon. Ses affaires allaient mal et il avait des
dettes. Un soir il s'écrie : «Si le diable voulait bien m' aider, je lui vendrais mon
âme !». Satan lui apparaît aussitôt sous la forme d'un petit homme rouge sortant
des flammes de la cheminée. Il offre à Moudon une bourse pleine d'or, en échange
de son âme, qu'il reviendra chercher un an plus tard, jour pour jour.
Désormais riche, mais de plus en plus inquiet à mesure que l'échéance appro¬
che, Moudon raconte son aventure au curé de Saint-Maurice. Ce dernier lui dit :
«[...] Je vais t'aider. Je tracerai auprès de ta maison, un cercle avec de l'eau bénite,
d'où tu ne devras sortir sous aucun prétexte, tant que le démon sera là, sous n'im¬
porte quelle forme. Moi-même, je me tiendrai en prières sur le seuil de l'église, un
pied dedans, un pied dehors, et nous arriverons bien à décourager Satan».
Le soir fatidique, Moudon, dans le cercle, attend l'arrivée du démon, pensant
voir réapparaître le petit homme rouge. C'est «un jeune seigneur richement vêtu
d'un habit bleu à galons d'argent» qui arrive «dans un beau carrosse doré tiré par
quatre chevaux blancs», et qui lui propose de lui passer une commande. Bien que
tenté, Moudon n'ose pas sortir du cercle et le jeune homme, s'approchant, est reje¬
té brusquement en arrière au contact de l'eau bénite. «Je sais qui t'a inspiré ce
tour», crie-t-il, et il se dirige vers Saint-Maurice. Là, il aborde le curé, qui le met en
fuite en lui présentant la croix.
«Alors, ne sachant plus que faire, jusqu'au jour, Satan fit tomber des rochers
de la montagne, avec un terrible fracas. Le curé et Moudon, épouvantés, ne bougè¬
rent pourtant pas d'une ligne, et le carrosse disparut, dans d'énormes flammes, au
lever du soleil. On s'aperçut qu'en charroyant des blocs rocheux, le diable avait dé¬
couvert l'entrée d'une carrière de talc à la Nible, que Moudon put exploiter ensui¬
te».

ble), (16)
1977,G.pp.
SENTIS,
64-65. En Dauphiné : le Valgaudemar. Nature. Histoire. Légendes, chezl'Auteur (Greno¬
(17) Sans les situer précisément dans la vallée, LADOUCETTE (op. cit., p. 464) parle de carrières
de talc ollaire, exploitées depuis 1841. Plus précis est Adolphe JOANNE, dans son Itinéraire descriptif
et historique du Dauphiné (2e partie, Paris, 1863, p. 201) : «En face [du hameau du Roux], sur la rive
gauche de la Séveraisse, on voit des assises talqueuses et une couche de véritable stéatite, d'un vert pâ¬
le, qui se scie et se travaille au tour très-facilement. On l'a exploitée pendant quelque temps pour faire
des crayons à écrire sur l'ardoise (Ch. LORY)».
(18) Hameau de la com. de Saint-Maurice.

PREMIER TRIMESTRE 1986


INFORMATEURS ET AUTRES SOURCES
SOURCES ORALES

Enquêtes C. Joisten
Saint-Maurice-en-Valgaudemar, Le Roux : Inf. n° 1 : Mme Augustine B., 54 ans, cuit.,
m. 53 et IV. 66 (n° 2.2 ; 8.2 et 8.2 bis). Inf. n° 2 : M.D., 74 ans, III. 66 (n° 7).
La Tour : Homme anonyme, IV. 66 («° 2.3).
L'Ubac : Mme B., 69 ans, cuit., I. 53 («° 1 ;3 ;5 ; 8.3).
Villar-Loubière : Mme Eugénie G., 82 ans, III. 53 (n° 2.1 ; 4 ; 6 ; 8.1).
SO URCES IMPRIMÉES

SENTIS (Gabrielle), En Dauphiné : le Valgaudemar. Nature. Histoire. Légendes, chez


l'Auteur (Grenoble), 1977 (ra° 8.4).

PREMIER TRIMESTRE 1986


Duvallon

Bessans en H au te - Maurienne

(Savoie)

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pacte
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cela
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Francis
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en
biographiques
ascendants
TRACQ
1964 (le
et diable)»,
1969.
(correspondance
et sur
ses Duvallon
descendants
été 19831971-1985).
dontest
(désormais
nous
publié
faisons
L'ensemble
: B.J.A.).
dansétat
le numéro
icidesnous
re¬

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN 69


on repère son premier mariage, le 29 juillet 1681, avec Sébastienne Vincendet, la¬
quelle meurt le 29 novembre 1700. Un second mariage, le 5 juillet 1701, le lie à An¬
ne Fodéré (3). Un acte de 1707 nous apprend que sa maison se trouve au hameau de
La Chalp, alors habité toute l'année. C'est tout ce qu'on saura de lui. A partir de
1700, il ne figure plus jamais comme parrain dans le registre paroissial, et on ne
connaît que par recoupement la date de sa mort : en 1734, la «Consignation des
personnes et bestiaux de la paroisse de Bessans, Bonneval et hameaux» note :
«Anne Fodéré, veuve de Claude Marchand, de Bessans, âgée de 60 ans, veuve dès
1732».

Il reste à constater que cette histoire diabolique — à l'origine un récit de veil¬


lée — continue d'avoir à Bessans une grande notoriété et une formidable vitalité.
Cristallisant d'autres traditions sur le diable, elle est ressentie comme faisant par¬
tie du patrimoine de la communauté. Publiée dès 1935 dans un bulletin paroissial
de Bessans (4) elle figure comme il se doit, avec une large présentation, dans un
numéro de Bessans jadis et aujourd 'hui consacré au diable (5). Les dépliants touris¬
tiques de Bessans l'évoquent et, en été 1983, La légende de Duvallon, diablerie
bessannaise a fait l'objet d'une représentation théâtrale devant un public nom¬
breux de touristes, à Bessans même et dans quelques autres communes savoyardes
(6).
Dans un village qui a une forte conscience de son patrimoine culturel, une lé¬
gende n'a pu prendre une telle dimension que parce qu'elle possède des liens avec
les principaux domaines auxquels sont attachés ceux qui la véhiculent : le village
lui-même et son espace — la légende nous parle des lieux que parcourt Duvallon,
de l'Arc qui coule dans la vallée, des froides nuits d'hiver — ; la religion, avec l'im¬
portance de la nuit de Noël où il trouve la rédemption ; le monde des sortilèges et
du diable, que l'on devine, au long des siècles, très présent chez les Bessannais...
C'est pourquoi il nous semble encore nécessaire, avant de livrer la légende, d'évo¬
quer quelques aspects de ce village si singulier.

Bessans, village de haute montagne

«Si, à l'occasion de vacances en Savoie, vous remontez la vallée de


la Maurienne, passé Lanslebourg une série de virages vous amène au
sommet du collet de la Madeleine. A vos pieds, en amont, une plaine
de près d'un kilomètre de large contraste avec la vallée encaissée que
vous venez de parcourir depuis Saint -Jean-de-Maurienne. Au milieu,
un village, près de l'Arc, Bessans, semble veillé par son église située
un peu plus haut. Autour de cette plaine, des montagnes coupées de
précipices,
droit", de forêts
couvertes
de mélèzes
de champs
à "l'envers".
en frichesTout
et deaupâturages
fond, la vallée
à "l'en¬
se
poursuit vers Bonneval-sur-Arc [...], le col de l'Iseran et les sources de
l'Arc.frontière
ment A droite,avec
deuxl'Italie».
vallées glaciaires conduisent vers des cols qui for¬

C'est ainsi que Francis Tracq nous présente Bessans dont il dit encore :

(3) B.J.A.,
(4)
(5)
(6) IlCes'agit
Texte prénom,
d'Alain
de lacit.
op. Anne,
Version
FILLIOL.
Il s'agit
a été
3 (cf.
de
retenu
lainfra).
Version
par la 2légende
(cf. infra).
(cf. Version 2).

Ci-contre :En haut, la «plaine» de Bessans, vue du col de la Madeleine. Au premier plan, dans chaque
champ ou groupe de champ, un pierrier ou «murger» {patois : meurdjyé) recouvert d'herbe. A gauche,
l'ancien chemin. — En bas, Bessans en 1911. A droite de la photo, dominant le village, l'église, et, à
V extrême droite, la chapelle Saint-Antoine {Cl. Institut de Géographie Alpine, coll. Musée Dauphinois).

PREMIER TRIMESTRE 1986


«N'oubliez pas que vous êtes à 1 700 m d'altitude, qu'ici le blé et
les arbres fruitiers ne poussent pas, et qu'un hameau à plus de 2 000 m
a été habité en permanence jusqu'à ces dernières années» (7).

On accède à Bessans — avant-dernier village avant le fond de la Maurienne —


par le col de la Madeleine. Une route carrossable le franchit depuis 1766, rempla¬
cée, en 1937, par la route actuelle. Au pied de la descente, sur l'ancien chemin, à
3 km du chef-lieu, on rencontre un premier hameau aujourd'hui en ruines : c'est La
Chalp, où se trouvait la maison de Duvallon dont on sait toujours situer l'emplace¬
ment. L'abbé Bernard, vers 1930, décrivait ce hameau :

«11 fut, à une époque, un des plus populeux, puisqu'en 1750, on y


trouvait quinze filles en âge de se marier (8) [...].
Du village de La Chalp, il ne reste que des murs pantelants que les
années démolissent pierre par pierre [...]. Une chapelle dédiée à Saint
Maurice persiste à se tenir en assez bon état [...].
Un enfant du pays, devenu son bienfaiteur, Antoine Personnaz, a
légué à la commune en 1882 une somme destinée à bâtir à La Chalp un
abri pour les voyageurs égarés ou surpris par la tourmente et les ava¬
lanches dans ces endroits isolés. Le Refuge fut édifié, et pendant de
nombreuses années, la municipalité nomma un gardien qui, tout l'hi¬
ver, devait l'habiter, prêt à porter aide aux malheureux en détresse. Il
lui était alloué une somme d'argent et la récolte d'un certain nombre de
propriétés. Pour cela, il était tenu de tenir ouvert le chemin qui vient de
la route au Refuge et d'avoir ce qui pouvait être nécessaire pour les pre¬
miers soins en cas d'accident» (9).

Ainsi l'accès difficile en aval, la barrière de montagnes infranchissable en


amont aussitôt que le col de l'Iseran est fermé, tout semble faire de Bessans et de
sa voisine Bonneval un bout du monde, que l'hiver emmure. Le climat de cette hau¬
te vallée est très rude, la neige recouvre le sol pendant plus de six mois (10), le gel
est intense, les tempêtes violentes (11).
Et pourtant, malgré ces apparences, l'histoire de Bessans n'est en rien celle
d'une communauté isolée du monde, repliée sur elle-même.

Quelques traits du passé culturel de Bessans

Si ce village se trouve à l'écart de la grande voie du Mont-Cenis, séculairement


utilisée entre la France et l'Italie, il se trouve au départ d'une vallée qui fut aussi un
passage très fréquenté autrefois entre ces deux pays. De nombreux voyageurs

n° 2/1973,
ches
Francis
(7)
(8)
(9)
queTRACQ).
HFrancis
Registre
mène
semble
pp. 5-35
Françoise
TRACQ,
paroissial
que
(icice:p.5).
détail
«Lade fenaison
CIMAZ Bessans
provienne
dans les
àtenu
Bessans
d'une
archives
partradition
l'abbé
(Haute-Maurienne)»,
de Bessans.
Bernard
orale, Cf.
car(vers
doc.
il n'est
4.2.
1930),
Le pas
Monde
f°confirmé
217
Alpin
(communiqué
par
et Rhodanien,
les recher¬
par

(10) Marcel Jail compte, pour Bessans, 205 jours de gelée et des chutes de neige de plus de 5 mè¬
tres par an (M. JAIL, Haute Maurienne, pays du diable ?, Grenoble, Allier, 1977, pp. 19-21).
(11) «La nuit de Noël 1924 [...], le vent souffla si fort que, même à Bessans, les habitants eurent
beaucoup de peine à aller à la messe de minuit sans être assommés, de petites lauzes dont le poids dé¬
passait cependant 50 kilogrammes étant arrachées aux toitures et jetées dans la rue» (Jeanne LE-
CLERC, «Deux mois chez les pasteurs avérolais», Terre, air, mer, Bull, de la Soc. de Géographie LVIII,
n° 5, nov. 1932. Avéroleest un hameau de Bessans).

PREMIER TRIMESTRE 1986


l'empruntaient (12) : Bessannais et Piémontais pour se rendre aux foires, colpor¬
teurs qui évitaient ainsi les douanes de Suse et du Mont-Cenis... Dans le nombre se
trouvèrent aussi des artistes italiens, peintres, sculpteurs, qui allaient travailler en
France dans les cours princières. Quelques-uns, les hauts cols franchis, séjournè¬
rent probablement dans la vallée, travaillant sur place pour gagner de quoi poursui¬
vre leur voyage (13), et ce fait revêt une grande importance dans le passé culturel
de Bessans. A leur contact, les Mauriennais — qui sans doute comptaient déjà des
sculpteurs, comme maintes communautés montagnardes où il était habituel d'or¬
ner de motifs décoratifs les objets usuels de bois — s'initièrent à un art savant. Ils
acquirent certaines techniques, qu'ils allèrent perfectionner dans des écoles pié-
montaises, et devinrent eux-mêmes des artistes reconnus, appelés à leur tour à tra¬
vailler hors de chez eux (14). En témoignent les innombrables fresques, retables,
tableaux, statues portant leurs signatures dans les églises et chapelles des hautes
vallées alpines. On a pu recenser une cinquantaine de peintres originaires de Hau-
te-Maurienne depuis le XVe siècle ; quant à la paroisse de Bessans, elle compte à
elle seule une vingtaine de sculpteurs (15). Toutes leurs oeuvres manifestent une
inspiration naïve mais forte, d'une richesse et d'une originalité qui font l'admira¬
tion des amateurs d'art. Mathieu Varille note :

«Peu à peu, ces artisans sont devenus presque aussi habiles que
leurs maîtres, tout en gardant une ingéniosité et une piété que les cou¬
reurs de route n'avaient plus. Les artistes locaux ne possédaient aucu¬
ne science
croit les archives
de l'antiquité
locales, païenne,
des récitsilsdeétaient
la Bible,
mieux
du Nouveau
instruits,Testament
si l'on en
ou des Actes des Saints» (16).

Mais la vie religieuse qui, depuis le Moyen Age, imprègne tous les instants de
l'existence de ces montagnards, a alimenté une vie artistique encore bien plus lar¬
ge : au XVIe siècle la Maurienne connaît une extraordinaire floraison de théâtre re¬
ligieux qui mobilise la population des villages pour des représentations de plu¬
sieurs journées (17). Entre 1553 et 1583 Bessans organise trois représentations du
Mystère de la Passion. Attardons-nous à un détail : outre les personnages de l'E¬
criture sainte il y avait, dans les mystères, toujours des diables. On se fait une idée
du caractère spectaculaire des diableries de ce théâtre populaire avec la description
de celles du Mystère de l'Antéchrist et du Jugement représenté à Modane en 1580
et en 1606. Celles de Bessans devaient beaucoup leur ressembler :

«[Ils] feront et fourniront des fusées à la costume [coutume] des is-


toires à chacun des diables toutes les fois qu'ils sortiront de l'enfer, et à
Lucifer toutes les fois qu'il parlera, chaque journée [...] et feront

ton
rienne».
nel».
sim.
1971,éd.,
(12)
(13)
(14)
(15)
Cf.
p. 1978,
12
Selon
Cf.; Paul
aussi,
Mathieu
Jacques
coll.
Paul
dun°DUFOURNET,
Encyclopédies
même
6,N°
DUFOURNET
VARILLE,
CHOCHEYRAS,
été
3, auteur,
hiver«Artistes
81, 1980,
Saints
Lrégionales,
«Sculpteurs
(op.
'art«Le
populaire
Le
de
cit.,
debois
hameau
théâtre
Bessans»
cf.p.
etdepp.
statuaires
140.
en
lad'Avérole,
religieux
140
Haute
Savoie,
; n°et 7,143),
du
Maurienne,
printemps
Le
en
bois»,
2 Puy,
035
Bessans
Savoie
mètres»,
inChristine
Savoie,
Lyon,
82,
au
est«Les
XVIe
un
pp.
1924,
Le
Bonneton
«centre
artistes
20-21.
siècle,
Puy,
pp. Christine
3-4.
d'art
de
Genève,
éd.,
Haute-Mau-
exception¬
1981,
Bonne-
Droz,
pas-

(16) M. VARILLE, op. cit., p. 4.


(17) J. CHOCHEYRAS, op. cit.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


grands flambées de feu et pouldre avec bruit quand les diables condui¬
ront les dampnées en enfer [...]» (18).
Voici donc le diable en scène.

Le diable à Bessans

L'idée qu'on se fait du diable, à Bessans comme ailleurs, découle naturelle¬


ment de croyances très généralement répandues : Dieu et Satan se disputent le
monde, le Malin est omniprésent. Les flammes de l'enfer guettent le pécheur, l'im¬
pie ou simplement l'imprudent qui n'a pas su résister à ses tentations, ou déjouer
ses ruses. D'innombrables récits légendaires sont nés de ces idées.
A Bessans, sur les fresques de la chapelle Saint-Antoine peintes au XVIe siècle
et représentant la vie du Christ, le diable figure quatre fois. Il a des cornes, un visa¬
ge humain avec une barbe, des ailes de chauve -souris, une queue, des pattes de
coq... modèle assez classique, que des générations de Bessannais auront sous les
yeux (19). Parmi les statues actuellement rassemblées dans cette chapelle, on peut
également voir un saint Bernard de Menthon tenant enchaîné un diable qui lui arri¬
ve presque à l'épaule. Le visage de ce diable est rendu hideux par une immense
bouche aux lèvres en dents de scie pour figurer les dents, des yeux globuleux et des
cornes agressives. Arrêtons-nous à ces deux seuls modèles, car bien des représen¬
tations ultérieures du diable à Bessans les rappelleront (cf-ill.).

Les «diables de Bessans»

Au XIXe siècle, les Bessannais ont l'habitude, durant les soirées d'hiver, de
sculpter des figurines de bois servant de jouets, dont les sujets sont tirés de la vie
quotidienne : personnages en costume local vaquant à des travaux domestiques,
enfants au berceau, oiseaux, animaux de la ferme... Mais ils sculptent aussi des
diables, et ces statuettes surprenantes intéressent rapidement les voyageurs qui
les achètent, les exportent, conférant à Bessans une renommée particulière. Eugé¬
nie Goldstern, une Autrichienne qui séjourna à Bessans en 1913 et écrivit une mo¬
nographie de ce village, nous en parle :

«Le diable de Bessans a généralement une hauteur de 35 cm et est


peint en jaune clair ou noir. Sur le fond il y a partout des taches rouges
en forme de langues qui doivent représenter les flammes de l'enfer. Du
dos poussent deux grandes ailes dont les couleurs sont généralement
différentes de celles du corps. L'horrible tête couverte de rides est en-

à jouer
présentation
l'Antéchrist
les
et
vol
qu'il
ginaire.
de gothique,
chauve-souris»
lareprésentations
ouParmi
(18)
(19)
provoque.
mise
rampant,
duIlCf.
Extrait
feu
reste
enetdéconcerte
tant
deavec
Bernard
scène
dude
Ilaujourd'hui
1580.
d'un
bête
fait
Jugement
phantasmes
(pp.
pouldre»
du(cf.
ou
peur,
contrat
TEYSSÈDRE,
Le
diable
249-250).
par
homme,
caractère
Chanoine
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—derépugne.
passé
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pour
Dieu»,
Moyen
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L.entre
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Soc.
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Diable
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1954,
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Mystère
39-55).
l'art
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en
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leroman
non,
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revue
la
reste
rejet
ailes
re¬
de
en

PREMIER TRIMESTRE 1986


Saint Bernard de Menthon tenant le diable enchaîné. Bessans, chapelle Saint-Antoine.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Bessans, fresques de la chapelle :
Saint-Antoine
tions du Christ :(détail).
les trois tenta- fj
core plus affreuse par ses oreilles pointues, par sa gueule énorme lar¬
gement
main le diable
entr 'ouverte
tient une
et des
fourche
dentsàgrinçantes
deux dents,et dans
sa langue
l'autre
tirée.
un candidat
Dans sa
ou candidate à l'enfer en costume local. En tirant sur deux ficelles qui
sortent en bas, la queue et la main droite du diable peuvent être agi¬
tées.

Les signes distinctifs particuliers au diable de Bessans sont les


deux paires de cornes. La première des paires de cornes en forme de
crochets de fer se trouve sur le front, l'autre paire en bois est pointue et
pousse hors du crâne. Parfois il y a aussi en bas VA moi les fénéants"»
(20).

La date et les circonstances de l'apparition de ces «diables de Bessans» sont


connues. Dans Bessans jadis et aujourd'hui — pour ne citer que cette source — ,
Francis Tracq relate la tradition (21) :

«En 1857, à la suite d'une altercation avec le curé de la paroisse,


un chantre, Etienne Vincendet, sculpte un diable emportant un prêtre.
Dans la nuit il va déposer son oeuvre à la porte de la cure. Le lendemain
matin, le curé, surpris, comprend très vite qui en est l'auteur, et la nuit
suivante, va le déposer devant la maison du chantre. Le va-et-vient de
la petite statuette dure un mois, et finalement, le chantre se lasse le
premier
se, l'achète».
et place sa sculpture chez lui, sur une fenêtre. Un touriste pas¬

Naissance fortuite donc, selon cette tradition, mais dans un terrain certaine¬
ment bien préparé. A partir de là on continue à sculpter ces statuettes qui rempor¬
tent un si vif succès. Le fils d'Etienne Vincendet (1813-1859), Pierre (1843-1919) est
parfois surnommé «Pierre des Diables» à cause de la spécialité qu'il s'en est fait.
D'autres suivront son exemple, jusqu'à nos jours (22).
Parmi les plus récents de ces paysans-artistes, nous nous contenterons de citer
Emile Tracq (1903-1984), cultivateur et secrétaire de mairie (23). Célèbre pour ses
sculptures («diables» et personnages sacrés), il l'était aussi comme conteur. On lui
entendait dire souvent l'histoire de Duvallon qu'il finit par rédiger en 1962 (24).
Ses talents avaient valu à Emile Tracq une petite notoriété dès les années 30.
En 1936, le journaliste Marius Foudraz publie dans YAlmanach du Petit Dauphinois

Hochgebirgsgemeinde,
66-67(20)
de cette
Eugénie
traduction).
GOLDSTERN,
Wien, 1922.
Bessans.
Les citations
Volkskundliche
sont tiréesmonographische
d'une traductionStiidie
ronéotypée
ûber eine
anonyme
savoyische
(pp.

(2 l) B.J.A., «Lo Guiablo», op. cit., p. 17. L'auteur ajoute : «L'abbé Bernard, curé de la paroisse
précise qu'il a eu confirmation de la date et de l'auteur par son petit-neveu, un autre sculpteur, Parrour
Augustin, dit lo Klopo (le boiteux)» . La même tradition est relatée dans la traduction de la monographie
d'E. Goldstern (passage inséré à l'initiative de Francis Tracq, pp. 66-67). Dans le quotidien Les Allobro-
ges du 28-29 décembre 1946, l'article sur «Les diables de Bessans», de Jean MARTIAL, en fait état.
L'hebdomadaire La Vie Nouvelle du 23 mai 1975 également, donnant la parole à Emile Tracq, avant de
publier sa version de la légende de Devallon (cf. note 27).
(22) Les sculpteurs de «diables de Bessans» sont passés en revue dans «Lo Guiablo», op.
cit.. pp. 17-25. Dans la mesure où ils étaient fabriqués pour être vendus, peu de «diables» existent ac¬
tuellement à Bessans même. On en trouve dans les musées (régionalement à Chambéry, Conflans ; à
Paris au Musée national des Arts et Traditions populaires), ou chez des collectionneurs.
(23) Emile Tracq fut secrétaire de mairie pendant 42 ans. Autodidacte, sorte de «mémoire» du villa¬
ge grâce à sa fréquentation de l' état-civil et à son goût pour l'histoire, on le trouvait toujours prêt à par¬
tager ses connaissances. Il était aussi devenu correspondant du quotidien d'avant-guerre Le Petit Dau¬
phinois (Cf. B.J.A., n° 12, printemps 85, pp. 5-6).
(24) Cf. notre Version 1.

PREMIER TRIMESTRE 1986


un article qui lui doit l'essentiel de son contenu. C'est «l'histoire dramatique de
Duvallon ou la légende des diables de Bessans» (25). Mais là, en fait, le journaliste
amalgame les produits de deux traditions différentes : les «diables», et la légende
de Duvallon. Cet amalgame sera encore plus grossier dans une version de la légen¬
de publiée en 1949 par Renée Tramond (26), dans laquelle elle imagine que Duval¬
lon faisait de la sculpture des diables une activité lucrative !

LL

Carte postale, 1919.

Duvallon : la rédaction de la légende

Trois versions, que nous publions ci-dessous, ont été écrites à Bessans : les
deux premières ont pour auteurs des hommes du pays, Emile Tracq déjà cité et Jo¬
seph Parrour (1882-1974) ; la troisième est de l'abbé Cyrille Bernard, curé de la pa¬
roisse de 1930 à 1945, à qui l'on doit l'identification de Duvallon.
Toutes les publications ultérieures de la légende se rattachent à l'une ou l'au¬
tre de ces versions (27). Sont à mentionner particulièrement celle de Marius Fou-

bles de
(25)Bessans».
(26) Pp. 197-205.
Renée TRAMOND, Contes savoyards, Paris, Lanore, 1949 ; pp. 144-149 : «Légende des dia¬
(27) La version d'Emile TRACQ est publiée dans le Bulletin des Amis du Parc de la Vanoise, n° 5,
été 1968 ; l'hebdomadaire savoyard La Vie Nouvelle, 23 mai 1975. Celle de Joseph PARROUR est pu¬
bliée en dialecte avec traduction par V. RATEL et G. TUAILLON dans la Revue de Linguistique romane,
t. XXIX, pp. 154-173, avec présentation et commentaire philologique, sous le titre «Deux légendes de
Haute-Maurienne». Le même texte, sous sa forme française seulement, figure dans le petit fascicule
Trois légendes de Haute-Maurienne, par V. RATEL, G. TUAILLON et A. PONCE, diffusé à Bessans, et,
avec une large présentation, dans Bessans jadis et aujourd'hui «Lo Guiablo», op. cit. On trouve aussi
es résumés de cette version dans diverses publications. Le texte de l'abbé BERNARD a été publié dans
un bulletin paroissial de Bessans en 1935.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


draz qui, sur la base de celle d'Emile Tracq, apporte quelques éléments complé¬
mentaires probablement entendus dans les années 30, en un temps où la légende,
non encore paralysée par l'écrit, était sans doute plus vivante qu'aujourd'hui (28),
et celle de Renée Tramond qui suit la même trame mais semble moins fiable. Nous
les utiliserons en variante du texte d'Emile Tracq.
versions.
Quelques éléments notes par Charles Joisten seront donnés à la fin des trois

*
* «

D n'est pas de notre propos d'analyser ce récit légendaire complexe qui intègre
plusieurs domaines de la littérature orale (conte, récit de croyance, magie et sorcel¬
lerie).
Signalons simplement que cette histoire placée sous le signe du diable, con¬
tient des éléments qui font habituellement partie du merveilleux chrétien : le motif
du manteau étendu sur l'eau pour franchir une rivière appartient en général aux
vies de saints (29) ; et, si l'on en croit les contes, c'est le Christ (ou saint Eloi) qui,
aidant anonymement un forgeron dans son travail, coupe la patte d'un cheval pour
la ferrer commodément, et la replace ensuite à l'animal (30) — ce que sait faire Du-
vallon.

Par ailleurs, certains des pouvoirs attribués à Duvallon sont ceux de sorciers
légendaires, comme le don d'ubiquité (31) : pendant son service militaire, il va à
Bessans quand il le veut sans qu'on s'aperçoive de son absence ( Version 1.1) ; et,
surtout, grâce à ce don, il parvient à accomplir la pénitence que lui impose le pape :
assister à trois messes de minuit simultanément, dans trois villes différentes {en¬
semble des versions). On observe d'ailleurs dans un récit ( Version 2) une tentative
de rationalisation, puisque la prouesse est donnée comme «possible» du fait du dé¬
calage horaire (entre Rome, Paris, Londres).

de vous
tions(28)
surconter»,
l'actualité
«C'est une
ditou
de
M.«contes»
ces
Foudraz
légendes
d'autrefois...
en évoquant
entendues(op.
lesauoccupations
cit.,
coursp. d'une
198). des
veillée
veillées
à Bessans
d'hiver,[...]chansons,
que je meconversa¬
propose

(29) Pour un exemple proche géographiquement, voir dans les documents comparatifs (cf. Annexe)
le récit écrit au XVIIe siècle par le religieux mauriennais Jacques FODÉRÉ à propos d'un frère d'un cou¬

vent (31)
vol.
ment,1,(30)
decf.
Paris,
Lyon.
Conte-type
Cf.
C. JOISTEN,
tout
Maisonneuve
particulièrement
753,Contes
LeetChrist
Larose,
populaires
laetfin
le1985,
forgeron.
dedulapp.
Dauphiné,
version
147-156.
Cf. 1.2.
M.-L.
1. Pour
1, TENÈZE,
n° une
64, p.
version
349,
Le conte
«Le
de bon
cepopulaire
conte
Dieu recueillie
etfrançais,
saint Pierre».
locale¬
t. IV,

PREMIER TRIMESTRE 1986


LÉGENDE DE DEVALLON

1.1 — Ce récit a été rédigé par Emile Tracq ( 1903-1984 ), cultivateur et secrétaire de
mairie de Bessans, en 1962. C'est le maire de la commune, M. Albert Cimaz qui
avait incité ce conteur renommé à mettre par écrit le récit bessannais dont il s 'était
fait une spécialité. La Légende de Devallon était diffusée sur quatre pages ronéoty¬
pées ornées par l'auteur d'un «diable à quatre cornes». Rappelons qu'Emile Tracq
sculptait aussi des diables.

Au hameau de La Chalpe (32) situé au pied du col de la Madeleine, à trois kilo¬


mètres environ à l'ouest du bourg central de Bessans, existait encore vers 1932 une
vieille masure qui fut autrefois la demeure de Devallon.
Devallon était d'un esprit et d'une intelligence remarquables ; très jeune, ses
parents le mirent en apprentissage chez un maréchal -ferrant de la commune voisi¬
ne de Lanslevillard, mais son patron constatant les dons exceptionnels de son ap¬
prenti et craignant qu'il ne lui vole son métier en moins de quelques mois, le congé¬
dia au bout de peu de temps.
et doué
On d'une
dépeint
volonté
Devallon
et d'une
à vingt
force
ans,extraordinaires.
beau, grand, brun avec des yeux magnifiques
Satan, le véritable diable aux quatre cornes comme le représentent les sculptu¬
res en bois d'artistes de Bessans, convoitait depuis longtemps ce beau jeune hom¬
me et, avec sa ruse diabolique, il parvint à le séduire. Un jour de violente tempête,
alors que Devallon s'était abrité dans une grotte, le démon cornu se présenta :
— Ecoute, lui dit-il, tu auras de la fortune, tu parviendras aux honneurs et
pendant cinquante années, tout ce que tu pourras désirer se réalisera, à la seule
condition que tu m'appartiendras au bout de ce laps de temps.
La tentation était trop forte ; Devallon, après un instant d'hésitation, accepta.
Satan prit alors une épingle et fit une piqûre à une veine du bras gauche. Le sang
jaillit, Devallon y trempa une plume et signa un parchemin stipulant les conditions
du pacte intervenu.
Aussitôt, la puissance infernale dont il disposait lui permettait d'accomplir des
faits surnaturels. C'est ainsi que, pour regagner son habitation lorsqu'il venait au
chef-lieu communal, il étendait son manteau sur la rivière l'Arc, s'y installant des¬
sus, et se laissait descendre au fil de l'eau. Avait-il besoin de chauffage, il se ren¬
dait dans la forêt de Chantelouve, sur la rive opposée de la rivière, qu'il franchissait
comme s'il marchait sur la terre ferme et, avec un simple couteau, il abattait de
gros mélèzes, qu'il transportait ensuite sans le moindre effort.
L'âge du service militaire étant arrivé 'pour lui, il fut incorporé en Italie, dans
un régiment de cavalerie à Milan, où il ne tarda pas à se faire remarquer par sa vive
intelligence et les faits prodigieux qu'il accomplissait.
Les connaissances du métier de maréchal -ferrant qu'il avait apprises dans son
jeune âge le firent naturellement désigner pour remplir cet emploi à l'armée et il
s'en acquittait merveilleusement. Pour ferrer les chevaux, il leur tranchait les pieds
à la hauteur du jarret sans qu'ils ressentent aucune douleur ; il plaçait avec une

est respectée).
(32) L'orthographe habituelle est La Chalp (d'une manière générale, l'orthographe du texte original

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


grande facilité les fers aux sabots et rattachait ensuite sans difficulté les pattes am¬
putées. Il s'en allait en permission à Bessans, quand il voulait, sans r e personne
ne s'aperçoive de son absence, se trouvant présent en même temps chez lui et à la
caserne.

Au cours d'une campagne, son escadron se trouva un jour cerné dans une for¬
teresse entourée de hautes murailles et d'un fossé profond. Devallon demande à
son capitaine quelle récompense il accorderait à celui qui parviendrait à faire déblo¬
quer la forteresse ; l'officier répondit qu'il accorderait son congé, son cheval et ses
armes à celui qui accomplirait cette chose impossible. On vit alors Devallon monter
sur son cheval qui, après avoir reculé de quelques pas, franchit d'un bond murs et
fossé, et passer ensuite à travers les lignes ennemies. Il ramena de nouvelles trou¬
pes et—fitVa
lever
t'enleausiège.
diableFidèle
! à sa promesse, son capitaine le libéra en lui disant :

Se trouvant dégagé de toute obligation militaire, Devallon revint au hameau de


La Chalpe où il se maria, et le ménage menait une existence facile.
Cependant les années passaient, et bientôt le jour où Devallon devait apparte¬
nir au démon approchait. On le voyait triste et pensif, lui qui auparavant était gai et
insouciant (33). Sa femme l'interrogeait sur ce qui avait pu ainsi modifier son carac¬
tère, mais il répondait évasivement. Enfin le jour, ou plutôt la nuit, fatidique arri¬
va ; c'était le 24 décembre. Devallon se coucha, mais il ne put trouver le sommeil,
et voici que bientôt Satan apparaît et frappe à la fenêtre en s'écriant, la langue en
feu :
— Devallon, c'est l'heure, il faut partir.
Devallon sauta d'un bond hors de son lit et se dirigea vers la porte après avoir
dévoilé sa terrible aventure à sa femme. Celle-ci, toute échevelée, en chemise,
s'opposa à ce que Satan qui était entré dans sa chambre s'empara [s'empare] de
son mari.
— Il est à moi, dit-elle, notre Sainte Mère l'Eglise me l'a donné le jour de no¬
tre mariage.
— Il m'appartient ! répondait le diable, en présentant le contrat que Devallon
avait signé de son sang et, malgré la résistance de la pauvre femme, le diable en¬
traînait le couple en direction de la rivière.
En arrivant dans les broussailles qui bordent l'Arc, l'épouse éplorée, se sen¬
tant vaincue et à bout de forces, a l'inspiration de passer au doigt de son mari son
anneau nuptial. Au contact de cet objet béni, le démon lâcha prise et disparut en
faisant un grand bruit.
A demi mort d'épouvante, Devallon, aidé de sa femme, revint à son habitation
autour de laquelle Satan était venu rôder, attendant le moment où il le trouverait
seul pour s'en emparer. Devallon décide alors de tenter une démarche désespérée
auprès du Pape et, appelant le démon, il lui dit :
— Le pacte que j'ai conclu avec toi n'expire qu'après minuit ; par conséquent,
d'icâ là, tu dois encore m'obéir et tu vas me transporter immédiatement à Rome.
Un cheval ailé crachant du feu se trouve aussitôt devant sa porte, Devallon se
met en selle et, quelques instants après, il arrive dans la Ville Eternelle où se fai¬
saient les préparatifs pour la messe de minuit.

nuit sur
cun
diable
tombante
(33)changés
unEncheval,
1964,
on
envoyait
animaux».
Emile
disparaissaient
sortir
Tracq(Cf.
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4.3).
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Devallon
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l'information
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ouDevallon
deux loups
et son
qui,
suivante
compagnon
sautant: «Acha¬
lela

PREMIER TRIMESTRE 1986


it.

Au hameau de La Chalp, devant la chapelle


Saint-Maurice, de l'autre côté du chemin,
murs ruinés de la maison de Duvallon (Pho¬
tos C. JOISTEN, août 1971 et A. JOISTEN,
oct. 1985).
1 %i
Il parvint après de grandes difficultés à être présenté au Saint-Père, auquel,
après s'être prosterné à ses pieds, il exposa sa terrible situation en implorant son
pardon et sa miséricordieuse intervention pour le libérer de l'emprise du démon.
Après lui avoir démontré la grande culpabilité de la faute qu'il avait commise, le
Pape lui dit qu'il ne pourrait l'absoudre qu'à la condition qu'il entende trois messes
au même instant à des lieux différents : une à la Basilique Saint-Pierre de Rome,
l'autre au Dôme de Milan et la troisième à l'église de Bessans.
Le problème était insoluble si Devallon n'eut de nouveau recours à la puissan¬
ce diabolique. Il était sous le porche de la Basilique Saint-Pierre, il frappa trois
coups de son talon ferré — c'est ainsi qu'il appelait le démon. Le premier diable ap¬
parut et il lui demanda de le transporter en même temps aux trois endroits sus¬
mentionnés, lui indiqua qu'il était aussi rapide que les moyens de transport les plus
perfectionnés de l'époque ; c'était bien peu. Un deuxième diable déclara qu'il pou¬
vait le transporter à la vitesse du vent ; c'était encore insuffisant. Et c'est le troisiè¬
me diable qui se présenta (c'était celui avec lequel il avait conclu le pacte autrefois)
qui lui donna satisfaction, car celui-ci pouvait se déplacer à la vitesse de la pensée
et de l'éclair.
Devallon put ainsi assister aux trois messes prescrites, il se fit délivrer un cer¬
tificat de présence par les célébrants et les présenta ensuite au Souverain Pontife
qui, après examen, lui accorda son pardon.
Revenu à Bessans, Devallon voulut, en expiation, accomplir un pèlerinage à
pied jusqu'à Rome en portant sur son dos la cloche de la chapelle Saint-Maurice, du
hameau de La Chalpe. Il vécut longtemps encore auprès de sa courageuse épouse,
délivré à jamais de l'emprise satanique.

Dessin d'Emile TRACQ.

PREMIER TRIMESTRE 1986


L'HISTOIRE DRAMATIQUEDE DUVALLON
OU LA LÉGENDE DES DIABLES DE BESSANS

1 .2 — Version résumée de la légende publiée par Marius Foudraz dans /'Almanach


du Petit Dauphinois 1936.
Cette version, très proche dans sa trame de celle d 'Emile Tracq, donne des dé¬
tails supplémentaires puisés à d'autres sources locales. Nous mettrons entre guille¬
mets les passages repris textuellement de l'article, et en italique les mots ou ex¬
pressions que l'auteur avait lui-même mis entre guillemets, probablement parce
qu 'il les avait entendus ainsi à Bessans (34). Marius Foudraz note en effet :
«L 'aventure du beau Chalpain qui s était vendu au diable est toujours l'histoi¬
re préférée des veillées de Bessans. Je l ai entendue pour ma part plusieurs fois,
mais chaque fois, je dois le dire, j'y remarquais des variantes et j'y notais de nou¬
veaux détails souvent dus à la simple fantaisie du conteur. [...] La légende de Du-
vallon était considérée, il y a une cinquantaine d années encore comme authentique
et lorsqu'à cette époque les femmes passaient devant la maison en ruines elles se
signaient».
Par contre nous ne suivrons pas Marius Foudraz lorsqu 'il affirme en conclu¬
sion que cette légende est à l'origine des «diables» et nous retranchons du récit plu¬
sieurs digressions de type journalistique.

Au hameau de La Chalpe, face à la chapelle Saint-Maurice, on voit les restes


de la maison du «sorcier Duvallon, l'homme qui s 'était vendu au diable». Cet hom¬
me vivait «vers le début du XVIIe siècle et l'on fait remonter sa mort à 1680» (35).
Duvallon fit preuve «dès sa prime jeunesse d'une intelligence remarquable. Il
parlait avec les vv éhéïlés "» (36). Il savait prédire le temps, et sculptait habilement le
bois avec son couteau (37).
Ses parents le mettent en apprentissage chez un maréchal -ferrant de Lansle-
villard, mais «au bout de quelques jours, l'apprenti était déjà si habile que le patron
craignant de lui voir prendre rapidement sa clientèle le congédia sous un prétexte
quelconque».
Lorsque Duvallon atteint l'âge de vingt ans, Satan, qui l'avait repéré pour sa
beauté et ses qualités, tente de le séduire. Un «démon rouge» le rencontre dans
une grotte ; il lui propose la satisfaction immédiate de tous ses désirs, la fortune,
les honneurs pendant vingt années, au terme desquelles il appartiendrait «à [son]
maître, le roi des enfers».
Duvallon accepte ce pacte et le signe de son sang, que la griffe acérée du dé¬
mon fait couler de son bras gauche. Le démon disparaît dans une flamme verte et
une fumée sentant le soufre.
«Le jeune homme aussitôt voulut juger de son pouvoir. Comme il pleuvait tou¬
jours à torrents et que sa maison était assez éloignée il soupira : Je voudrais bien

seront(37)
dessus).
«Diables»
(34)mis(La
(35)
(36) Cette
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ses
de citations,
relier
(cf. les
ci-

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


être à la fogogna "(38). Il avait à peine fini d'exprimer ce désir qu'il se trouvait as¬
sis à la table de famille auprès d'une assiette de soupe fumante que sa mère — ef¬
fet complémentaire sans doute du maléfice — venait de lui servir».
Duvallon part en Italie à Milan, «pour faire sa carrière dans le métier des ar¬
mes». Il se fait rapidement remarquer pour son intelligence, et pour les faits prodi¬
gieux qu'il accomplit. Pour ferrer les chevaux il leur coupe la patte à la jointure du
genou puis, le travail fait, la replace. Une fois où l'escadron de Duvallon se trouvait
assiégé dans un château, monté sur son cheval à reculons, il franchit d'un bond les
murs et le fossé plein d'eau qui l'entourait et va chercher du secours. Comme ré¬
compense il obtient son congé définitif.
De retour à Bessans, il épouse une jeune fille nommée Carmeline, avec laquel¬
le il s'établit à La Chalpe.
Bien que Duvallon n'ait parlé à personne du pacte conclu avec le diable, «on se
doutait qu'il y avait quelque chose de pas naturel». On racontait qu'on l'avait vu
descendre, de La Goulaz à La Chalpe (39) «assis sur son manteau qu'il avait étendu
sur les eaux du torrent. Une autre fois dans la forêt de Chantelouve, il avait, avec
un simple couteau, abattu un gigantesque mélèze dont il avait tranché le tronc à la
base. La lame entrait, dit-on, dans le tronc de cet arbre, comme dans un "persillé"»
(40). «On citait encore de nombreux autres faits aussi singuliers laissant supposer
que Duvallon avait commerce avec le diable. Jamais cependant il n'avait usé de ce
pouvoir pour porter tort à son prochain».
Mais au fur et à mesure que les années passent il devient soucieux. Un jour il
avoue à Carmeline le pacte qu'il a conclu, car l'échéance en est le soir même. Ces
paroles à peine prononcées, Satan qui rôdait autour de la maison se présente pour
emmener Duvallon. Carmeline obtient que le départ soit différé jusqu'à minuit,
mais le diable reste à la porte.
L'heure arrivée, la porte s'ouvre dans un fracas d'orage. Le diable, mettant la
main sur l'épaule de Duvallon s'écrie «Partons» et l'entraîne. Carmeline s'accroche
à son mari, le disputant au diable. Elle a l'idée de passer au doigt de Duvallon son
anneau nuptial, bénit le jour de leur mariage. Aussitôt le diable lâche prise en
poussant un grand cri et disparaît. «Il semblait, disent les conteurs à la veillée, que
toutes les roches de la Madeleine s entrechoquaient».
Cependant le pacte existait toujours pour le «vendu au diable» et seul le pape
pouvait l'en dégager. Duvallon part à Rome à pied. Il arrive au Vatican la veille de
Noël. Devant la gravité de son cas, le pape lui impose «un exploit en rapport avec la
faute commise [...] :
— Il faut que ce soir à minuit tu entendes la même messe en trois endroits dif¬
férents que je vais te désigner : une à la basilique de Saint-Pierre, une deuxième
dans la cathédrale de Milan, et la troisième dans l'église de ton pays natal».
D'abord désemparé, Duvallon décide d'utiliser le pouvoir qu'il détient tou¬
jours grâce au pacte. Sous le porche de Saint-Pierre, il use du signal convenu pour
appeler le démon qui avait reçu sa signature : «trois coups frappés sur le sol de son
talon ferré». Le «démon rouge» apparaît et accepte de fournir à Duvallon le moyen
de gagner Bessans et Milan, tout en restant à Rome. Frappant le sol de son trident,
il fait apparaître deux «cornus» verts qui vont «plus vite qu'un char attelé à deux
mules de choix», mais Duvallon les refuse ; puis deux «cornus» jaunes qui vont

(38) La cuisine.
(39) La Goulaz dont Carmeline est originaire (selon cette version) est un hameau situé en amont du
chef-lieu de Bessans à l'entrée de la vallée de l'Avérole. La Chalp est en aval.
(40) Fromage bleu fabriqué dans la région.

PREMIER TRIMESTRE 1986


«plus vite
clair». Ce sont
que deux
le vent».
«cornus»
Duvallon
bleus.réclame «des démons allant plus vite que l'é¬

Pour la fin de l'histoire, nous laissons la parole à Marius Foudraz :

«En même temps, Duvallon voyait deux sosies de sa personne, ou pour mieux
dire deux
sans. Tousautres
trois assistèrent
lui-même, àemportés
la messe par
de minuit
les démons
et chacun
l'un àd'eux
Milan,s'étant
l'autrefaità déli¬
Bes-
vrer un certificat de présence par l'officiant, ils se retrouvèrent sous le porche de
Saint-Pierre en un seul et même personnage : le héros de cette légende.
Duvallon alla dès le lendemain se présenter au Pape sans lui dire bien entendu
le moyen qu'il avait employé pour satisfaire son exigence. Le Pape tint parole, il
donna sa bénédiction à Duvallon et annula le pacte signé avec le diable.
Duvallon, privé dorénavant de son satanique pouvoir, rentra à Bessans à pied.
Pendant de longues années encore, il vécut modestement, mais cependant très
heureux dans la petite cabane du hameau de La Chalpe, où il mourut à plus de qua-
tre-vingts ans sans laisser de descendance (41).

Voilà, telle que j'ai pu la reconstituer, l'histoire et la légende de Duvallon».

LÉGENDE DES DIABLES DE BESSANS

1 .3 — Version résumée d'après les Contes savoyards de Renée Tramond (42).


La trame est la même que celle de la version d'Emile Tracq, mais appauvrie
quant au fond, et encombrée de descriptions purement littéraires.
C'est une douteuse «armée de petits diables» qui permet à Duvallon d'assister
simultanément aux trois messes de minuit et non, comme dans toutes les autres
versions, un démon ou un cheval allant «à la vitesse de la pensée», accepté après
que d'autres moins rapides aient été rejetés.
Douteux aussi, l'apprentissage de Duvallon «chez un menuisier», expliquant
son habileté à sculpter les «diables» grâce auxquels il s 'enrichit. La finalité avouée
de l 'auteur {le titre l 'indique clairement) est en effet l 'explication par cette légende
de la sculpture des «diables» à Bessans ce qui, on l'a vu, est une erreur.
On ne sait pas non plus d'où l'auteur tire les dates qu'elle avance : Noël 1619
pour la signature du pacte ; 1630 gravé sur la porte de la maison de Duvallon ; 1680
l'année de sa mort (aucune ne concorde avec celles que l'abbé Bernard a découver¬
tes).
Quelques autres manquements à la véracité locale pourraient encore être rele¬
vés (43).

(41) Les recherches de Francis Tracq contredisent cette affirmation.


(42) Op. cit. La date de parution de ce volume (1949) permet de penser que l'auteur connaissait la
version d'Emile Tracq.
(43) Si on examine seulement [dans le texte de R. Tramond] le détail du chemin de Duvallon dans la
nuit de Noël, entre Lanslevillard et Bessans, on s'aperçoit qu'il n'y a pas un brin de neige sur le chemin,
seulement une route détrempée... Lorsque l'on connaît les lieux, et la couche de neige qui recouvre le
sol, chaque année, à Noël, on peut supposer que l'auteur de cette version a un peu brodé [...]» (Lettre de
Francis Tracq à Charles Joisten, 1971).

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Duvallon est un enfant «remarquablement doué en toutes choses» que son pè¬
re a placé en apprentissage chez un menuisier de Lanslevillard. Mais son maître,
jaloux de son habileté, le renvoie chez lui. Il est alors âgé de 13 ans mais, grand et
fort, il en paraît 16. Revenant à Bessans, il traverse le col de la Madeleine au milieu
d'un violent orage ; c'est la nuit de Noël 1619. Il se réfugie dans une grotte où rè¬
gne une chaleur agréable. C'est là qu'un étranger environné de lumière apparaît
sous la forme d'un homme debout. «Ses yeux luisaient dans un visage allongé, un
manteau noir l'enveloppait». Satan, car c'est lui, lui propose la puissance, la fortu¬
ne et la réalisation de tous ses désirs pendant cinquante ans, en échange de son
âme.

Duvallon accepte et pour essayer son nouveau pouvoir, étend son manteau sur
l'Arc tumultueux, qu'il traverse ainsi sans peine. De ce jour, il accomplit des prodi¬
ges : il abat un arbre d'un simple coup de canif ; pour ferrer un cheval il lui coupe
la jambe et la lui replace. Le régiment sarde dans lequel il est incorporé subit un
siège dans une forteresse : «d'un seul bond [il] franchit les fossés, les remparts et
tous les assaillants, afin de chercher du secours». Comme cet exploit ne peut être
attribué qu'au démon, «les chefs de Duvallon préférèrent le libérer tout de suite».
De retour à Bessans, il devient le plus habile sculpteur du pays. «Aidé par ses
souvenirs, il fabriquait d'étranges petites statuettes du diable, dont le sourire sar-
castique plaisait aux étrangers de passage, et qui bientôt se vendirent très loin du
pays».
Duvallon se marie et vit dans la prospérité. Mais un soir de Noël l'homme qui
lui avait proposé le pacte revient, et veut l'entraîner. La femme de Duvallon passe
«au doigt de Satan» son anneau de mariage. Provisoirement libéré, Duvallon utilise
le pouvoir qu'il détient encore pour quelques heures pour se faire transporter à
Rome.

Le pape lui impose d'assister à trois messes de minuit en même temps : Rome,
Milan et Bessans. Duvallon commande encore au démon : «Plus rapides que la
pensée une armée de petits diables réussit à lui faire entendre ainsi les trois messes
à la fois, si bien que Duvallon fut sauvé ! »
«Délivré de Satan, le Bessannais put continuer à sculpter ses statuettes ; il vé¬
cut très âgé, on dit qu'il est mort en 1680. Il n'y a pas longtemps encore on montrait
la maison qu'il habita près du col de la Madeleine».

PREMIER TRIMESTRE 1986


II

L'HISTOIRE DE DUVALLON

2 — Version de M. Joseph Parrour (1882-1974 ) (44).


Ce texte, rédigé en français, a été enregistré en patois au cours d 'une enquête
dialectologique parle professeur Gaston Tuaillon et le chanoine Victor Ratel. Dans
la publication bilingue qui en a été faite dans la Revue de Linguistique Romane
(45), il est précisé : «M. Joseph Parrour, qui a fait ce récit en patois devant notre
magnétophone, lisait la copie française et traduisait immédiatement, sans grandes
difficultés». Quelques minimes différences existent entre le texte donné ici (celui-là
même que M. Parrour avait sous les yeux), et le texte publié ; elles sont signalées
dans le courant du texte par des lettres renvoyant aux variantes.
On notera dans cette version la tentative d'explication de l'assistance simulta¬
née aux trois messes de minuit de Noël par le décalage horaire qui existe entre Ro¬
me, Paris et Londres.

Le nom de Duvallon est le sobriquet d'un habitant du hameau de La Chalp, si¬


tué à environ deux kilomètres et demi en aval de Bessans, à 600 mètres (a) avant le
col de la Madeleine qui ferme la cuvette de la vallée. Ce hameau était composé par
une quinzaine de maisons (b), doté d'un four, d'une chapelle dédiée à Saint-Mauri¬
ce, et qui est encore debout actuellement, mais désaffectée au culte. Duvallon, né
dans ce hameau, de souche bessannaise (c), avait son habitation en face de cette
chapelle, la route les séparait.
Un soir qu'il était monté au village de Bessans et qu'il s'était retardé pour re¬
joindre son domicile en rendant visite à sa belle Annette sa promise, trouva le che¬
min trop distant, et en se parlant à lui-même se dit à haute voix :
— Que diable ne pourrait-il pas se présenter en ce moment pour abréger cette
distance qui me paraît trop longue.
Tout à coup, une ombre se présenta devant lui, un homme de haute taille, très
svelte, beau parleur, lui tint ce langage :
— Duvallon, vous avez l'air très préoccupé en ce moment, ne pourrais-je pas
vous accompagner quelques minutes, ce qui atténuera un peu votre parcours. Je
dois aussi faire le même trajet, mais un peu plus long que le vôtre, car je dois me
rendre à Lanslevillard (d), et nous causerons ensemble pendant ce trajet.
— C'est bien beau, répond Duvallon, mais mes jambes ne tiennent plus de¬
bout ; j'aurai besoin d'un réconfort.
— Qu'à cela ne tienne, voici une pastille (e) qui vous remettra sur vos pieds, et
même nous nous ferons porter en barque sur l'Arc.
A l'instant, déployant son manteau, il l'étala sur la rivière et fît asseoir dessus
Duvallon. Il prit place à côté de lui avec enthousiasme, et lui narrant ses pouvoirs,
enchanta son ami Duvallon à un tel point que celui-ci acquiesca à tous ses propos,
et en plus lui fit la promesse de se livrer à ses complaisances si [au cas où] plus tard
il pourrait accomplir de temps en temps ses prouesses, mais il avait fait quelque
temps auparavant un contrat avec un capitaine de l'armée du roi, ce qui contrariait
beaucoup sa Annette, mais qui aurait rapporté de quoi monter leur ménage et offrir

(44) V.
(45) Communiquée
RATEL et G.enTUAILLON,
1971 à Charles
op. cit.
Joisten par Francis TRACQ, petit -fils de M. Joseph Parrour.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


quelques bijoux. Duvallon en fit part à son compagnon, celui-ci lui conseilla de ne
pas reculer devant cet obstacle, il le tirerait d'embarras à la suite, mais il lui fallait
signer un contrat que durant cinquante ans de vie, il serait soumis aux ordres de ce
contrat, qui lui donnerait toutes facilités de se tirer d'embarras à n'importe quel
moment de sa vie et passé ce délai, il serait livré à Cambradin le Bossu, c'était le
nom de ce compagnon (46).
Encore sous l'impulsion de la pastille, Duvallon acquiesça l'offre, mais n'ayant
ni papier, ni encre, en fit la remarque. Mais «Cambradin» sortit son calepin et une
plume de son veston, ainsi qu'un petit canif, lui prit la main et fit une petite incision
au-dessus du poignet, et comme le sang jaillit aussitôt, il lui fit tremper la plume
dans la goutte de sang et signer la feuille toute préparée d'avance, et la remettant
dans sa poche (f) prit congé de Duvallon comme celui-ci arrivait devant son domici¬
le en lui disant qu'il aurait encore besoin de sa présence de temps en temps à l'ave¬
nir, surtout la nuit.
Duvallon alla au service du roi Louis (XV ?) au régiment, mais le régime mili¬
taire ne lui plaisait guère, surtout qu'il y avait beaucoup à faire avec les gars de ré¬
voltés contre la gabelle. Un jour, il fut prisonnier des révoltés, il implora le secours
de Cambradin et fut par un hasard exceptionnel libéré.
A quelque temps de là, comme il faisait des exercices au camp en présence de
son capitaine, il eut l'audace de proposer à celui-ci un pari extraordinaire :
— Si je franchis le portique à cheval sur mon Cambradin — c'était le nom qu'il
avait donné à sa monture — que m 'accorderez -vous, mon capitaine ?
Celui-ci de lui répondre, en voyant l'impossibilité d'un tel exploit :
— Je vous accorde votre congé immédiatement.
Alors Duvallon prit un bon élan en éperonnant sa monture, et d'un bond verti¬
gineux, franchit en croupe le portique sans même le heurter. Le capitaine tint sa
parole, et Duvallon ayant empoché déjà sa prime d'engagement, s'en retourna
tranquille à sa maison de La Chalp, et apporter la nouvelle à sa Anne, toute heureu¬
se de réaliser au plus tôt leur projet de mariage. La Annette fut parée des beaux ha¬
bits de luxe : coiffe en dentelle blanche dite escufia (g), d'une croix d'or comme les
plus riches du pays, ainsi que d'un très bel anneau d'or avec initiales et la date de
leur union gravée à l'intérieur.
Quelques mois plus tard, par un soir d'hiver très froid et clair (h), une voix se
fit entendre du dehors en appelant Duvallon. La Annette entendit bien quelques
bribes de conversation légèrement animée dont elle ne put comprendre le sens, et
dont la voix étrangère lui disait :
— Il faut partir (i).
Par une certaine puissance autoritaire, Duvallon dut céder, et suivre le person¬
nage, mais quelques pas plus loin, ils furent transformés en formes de loups hirsu¬
tes (j) et partirent en hurlant à faire trembler les quelques voyageurs attardés dans
les chemins neigeux.
Les appels à Duvallon venaient de plus en plus fréquents par le fameux visi¬
teur qui ne se montrait jamais à la Annette, mais celle-ci, par un beau soir, à l'appel
à Duvallon, sortit à sa place et se trouva face à face avec un monstre hideux, espèce
de bête féroce à la tête d'un lion, qui lui dit :
— Ce n'est pas à toi de remplacer ton mari, c'est lui que je demande et qui est
sous mes ordres par contrat.

(46) Cambradin est un diminutif du mot camarade : «camaradin». Prononcé rapidement en trois
syllabes, cam' radin, ce mot a inséré un h, entre le m et le r (cf. les mots caméra et chambre). Employé
comme appellatif ordinaire à l'adresse d'un ami, le mot Cambradin peut devenir un surnom, un nom
propre. (G. TUAILLON).

PREMIER TRIMESTRE 1986


La Annette répondit aussitôt qu'elle l'avait épousé et qu'il était sien.
me montrer.
— Ton mariage avec lui n'a pas de valeur. D'ailleurs, tu n'as aucune preuve à

— Si, j'ai celle-là, lui montrant l'anneau qu'elle portait au doigt, et d'un geste
instantané, elle allonge son poing fermé lui montrant l'anneau, mais la gueule du
monstre s'ouvrit, et l'anneau frôlant la dent resta presque accroché à celle-ci.
Alors, d'un bond, la bête se renversa et prise comme d'une frayeur, déguerpit en
hurlant et disparut pour ce soir-là.
Duvallon se croyait avec sa femme libéré de cet engagement, mais un mois
plus tard, le visiteur se présenta de nouveau avec insistance, la Annette qui ne quit¬
tait plus son mari, tenu toujours par la main portant l'anneau, voulut s'interposer,
et finalement a obtenu treize jours pour répondre à cet engagement.
Elle partit toujours suivie de son mari, alla exposer sa situation au directeur du
couvent des pères capucins à Novalaise, localité au pied du col du Mont Cenis dans
le versant italien. Le révérend père voulut savoir d'un bout à l'autre la génèse de
cette histoire, et lorsqu'il apprit que Duvallon avait signé le pacte de sa main et
avec son propre sang, répondit qu'il n'y avait rien à faire, et au-dessus de son pou¬
voir, mais que seul le Saint Père pouvait avoir le don de le libérer.
Les deux Duvallon se mirent en route pour Rome par de grandes difficultés. Le
Pape: les reçut. Après la narration de tout ce qui s'était passé et fait, il leur répon¬
dit

— Vous serez libéré de votre entrave, mais à une condition qui vous est pres¬
que impossible, ce serait de pouvoir entendre et assister à trois messes de minuit le
soir de Noël. A cette condition je vous signerais un message qui anéantirait votre
contrat.
Ils avaient encore sept jours devant eux à réfléchir avant Noël, et le délai de
treize jours allait s'écouler bientôt, le temps pressait car il finirait le 24 décembre à
minuit.
Duvallon tenta le tout pour le tout, et ne dit pas mot à sa Annette, avait réfléchi
pendant son retour de Rome d'user des pouvoirs de Cambradin et de lui demander
un dernier service. Le soir du 24 décembre étant arrivé, il appela Cambradin, qui
était encore à son pouvoir, à dix heures (k) et (lui demanda) de lui fournir le plus
grand coursier, et de le lui mettre à sa disposition, chose qui lui fut accordée. A
l'instant même un bruit formidable se fit entendre au dehors, et un grand cheval
gris se présenta sur le pas de la porte. Duvallon lui demanda quelle était sa vitesse.
Il lui répondit :
— Je vais aussi vite que le vent.
— Ce n'est pas toi que je désire.
A l'instant un autre se présenta devant Duvallon qui lui fit la même demande.
Celui-ci lui répondit qu'il filerait comme la vitesse de la lumière. Duvallon lui dit
encore qu'il ne serait pas accepté. A l'instant un troisième coursier tout fourbu et
maigre comme un clou (1) se présenta. Duvallon lui fit presque la grimace, en lui di¬
sant qu'il avait mauvaise allure.
— Quelle est ta vitesse quand même ?
— Je vais à la vitesse de la pensée.
— Ah bien, c'est toi qui vas me servir. Il faudra me transporter immédiate¬
ment à la porte de la cathédrale de St Pierre à Rome.
Le coursier lui dit :
— Je veux bien si tu peux tenir à ma croupe, mais comme Duvallon était bon
cavalier et avait conservé ses vieilles méthodes d'équitation, lui dit :
— File le plus vite possible.
Alors un bruit comme celui d'un formidable tonnerre fit répercuter l'écho
d'une montagne à l'autre, c'est-à-dire comme si les côtés de Chantelouve et celui

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


du Chatelard (m) (47) s'étaient écrasés l'un contre l'autre, ou bien que plusieurs
avalanches simultanément se rencontraient. Et Duvallon se trouva instantanément
devant la porte de la cathédrale. Il n'eut que le temps de dire à son coursier de l'at¬
tendre jusqu'à la fin de la messe devant la porte.
Sitôt la fin de la messe, Duvallon ne trouva plus son coursier. Il traça de la
main gauche un signe et le coursier réapparut (n). H se fit transporter à la même vi¬
tesse devant la porte du parvis Notre Dame de Paris, la différence de l'heure de Pa¬
ris à celle de Rome étant de près d'une heure, il eut le loisir d'assister dès le début
à la messe de minuit au Parvis (o). Il fit encore attendre son coursier au pied de la
statue d'Henri IV sur la place du parvis. A la sortie, il se fit transporter à Londres
devant la Cathédrale Saint Paul (p), car d'après les ordres décrits par le Saint Père,
c'était dans chacune des grandes capitales étrangères l'une de l'autre qu'il fallait
se rendre à la même heure. Or, comme l'heure de Londres différait encore de cin¬
quante minutes avec celle de Paris, il put arriver à temps à la messe de minuit à
Londres.
A sa sortie, il usa encore de son coursier le bénéfice de se faire déposer devant
sa porte du hameau de La Chalp. En arrivant, il se produisit un bruit supérieur au
bruit survenu avant minuit à son départ. Le coursier était plus que fourbu, à ses na¬
rines sortaient des jets de flammes rouges éclairant les alentours d'une lueur ef¬
frayante, et le bruit se répercutant jusqu'au village par la répétition des échos (q),
tout le monde se demandait si une partie de la montagne ne s'était pas écroulée sur
le hameau du Faudan au-dessus de Bonneval, qui fut anéanti en une nuit, ne lais¬
sant qu'une petite bicoque épargnée r et habitée par une vieille femme et sa fille,
très charitables envers les étrangers, vivant (r) misérablement en ce lieu.
Duvallon ne fut pas émotionné par ce congé du coursier, mais il demanda de
nouveau à Cambradin de lui remettre son contrat qui était annulé du fait de la pro¬
messe du Saint Père. Celui-ci (Cambradin) tira de sa poche de son dolman le fa¬
meux écrit qui ne portait plus de signature, celle-ci ayant été effacée comme par
miracle, et il disparut, laissant tomber le morceau de papier à terre, sans valeur.
Duvallon vécut encore plusieurs années en compagnie de sa Marion (48), et
devenu veuf, on le rencontrait égrenant son chapelet en chemin, lorsqu'il se rendait
pour travailler ses champs à la Cohello (s), ou au Pra Long (49), mais à sa mort, plus
personne ne voulant habiter La Chalp, quoique ce hameau est bien ensoleillé et
bien desservi, est-ce par crainte ou autre, il fut déserté depuis.
Ce récit me fut narré par un bon vieillard de Bessans, ayant gardé dans sa bon¬
ne mémoire cette vieille légende, ainsi que beaucoup d'autres, qui se répétaient de
générations en générations dans son jeune âge durant les longues veillées d'hiver.
Etait-ce une légende vraie, ou illusion, mes notes en sont là.

Variantes entre le texte manuscrit et le texte publié :


(a) 500 mètres, (b) de maisons d'été, (c) manque : «de souche bessannaise». (d) Lanslebourg. (e) des
pastilles, (f) sa sacoche, (g) coiffe en dentelle blanche pourvue d'un «haut-de-coiffe», (h) par une nuit
d'un hiver très froid, voilà qu'au clair de lune... (i) «Il faut partir, Duvallon !» (j) loups hideux, (k) man¬
que : «à dix heures». (1) comme un piquet, (m) de La Chalp. (n) manque : «Duvallon ne trouva plus son
coursier. Il traça de la main gauche un signe et le coursier réapparut», (o) à Paris, (p) manque : «Saint-
Paul». (q) «à cause de la respiration de cette bête» remplace : «par la répétition des échos», (r) qui ve¬
naient. (s) la Costière.

(47) Chantelouve : forêt, en face du hameau de La Chalp, sur l'autre rive de l'Arc. Le Châtelard :
montagne surplombant le hameau.
(48) Pour : Anne.
(49) Lieux-dits, sur la rive droite de l'Arc, entre La Chalp et le chef-lieu de Bessans.

PREMIER TRIMESTRE 1986


«Alors un bruit
c'est-à-dire comme
commesi lescelui
côtésd'un
de Chantelouve
formidable tonnerre
et celui du
fit Châtelard
répercuters'étaient
l'écho d'une
écrasés
montagne
l'un contre
à l'autre,
l'au¬
tre...» (Version 2). Vue vers l'aval de la plaine de Bessans. A gauche de la photo, la forêt de Chantelou¬
ve. A droite, versant de la montagne du Châtelard, au pied de laquelle est situé le hameau de La Chalp.
Entre les deux, le col de la Madeleine.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


III

LA LÉGENDE DE «DUVALLON»

3 — Version écrite vers 1930 par l'abbé Cyrille Bernard, curé de Bessans (50).
Cette version n 'accorde que quelques lignes aux épisodes du début : pacte
avec le diable, pouvoirs surnaturels attribués à Duvallon. Elle est presque tout en¬
tière consacrée aux événements qui suivent l'échéance du pacte : retour de Satan,
voyage à Rome, évocation des démons qui permettent à Duvallon d 'assister aux
trois messes. On peut noter les descriptions apocalyptiques des êtres infernaux
(n oublions pas que l 'auteur est un prêtre).

Une certaine légende nous vient aussi du village de la Chalp «la légende de
Duvallon» (du nom d'un particulier du village : Claude Marchand dit Duvallon) lé¬
gende dont les petits enfants aiment à se faire dire le récit aux longues veillées
d'hiver et que les grands mères ne commencent jamais qu'après s'être signées
d'un long signe de croix.
A cinq mètres plus bas que la Chapelle de St Maurice, se trouvait une petite
maisonnette aujourd'hui masure délabrée, où entre les fissures des murailles le
vent gémit toujours en lamentations douloureuses. Il y a de cela cent et quelques
ans, vivait entre ces murs un homme qui avait nom Duvallon.
Cet homme s'était vendu au démon. Il avait signé de son sang un pacte dans
lequel il s'engageait à lui appartenir au bout de cinquante ans s'il lui accordait du¬
rant ce temps tout pouvoir sur les puissances de l'enfer. On le vit, en effet, faire de
ces choses si prodigieuses que tous le fuyaient comme un diable incarné. Ne met¬
tait-il pas un jour, son manteau sur l'Arc et sans se mouiller les pieds, il allait du
Bourg à la Chalp ? Parfois même on put l'apercevoir galopant sur un coursier rapi¬
de comme l'éclair et fulgurant de la même manière...
Cependant le terme fatal approchait. Cinquante ans s'étaient écoulés... C'était
la veille de Noël. La sombre lueur du crépuscule jetait des reflets blafards sur les ci¬
mes neigeuses, et l'Angélus du soir semblait, cette vigile de fête, là-haut à la «Vil¬
le» être le tintement lugubre d'un glas funèbre. Un cavalier monté sur un cheval
plus rouge que le feu d'une forge, mettait, à ce moment même, pied à terre devant
la porte de Duvallon. Un hennissement épouvantable du coursier fit accourir celui-
ci.

— Qui es-tu ? demanda-t-il àl'étranger.


— Je suis Messire Satanas ! ricana le démon (car c'était lui) ; je suis venu pas¬
ser avec toi la dernière nuit que tu as à vivre sur la terre. Aux premiers feux de l'au¬
rore, je t'emmènerai dans mon royaume selon nos accords. Monte sur ce cheval et
nous parcourrons ensemble le monde avant de rentrer dans les enfers.
Duvallon fut pris d'épouvante et refusa de sauter en croupe à l'animal. Le dia¬
ble allait le saisir et l'emporter de force, quand la femme du malheureux qui avait
tout entendu, accourut et, avec ses dents, arrachant de ses doigts qu'elle ensan¬
glanta, son alliance bénie ; elle la mit à la main de son époux. Le Démon, qui déjà
étreignait Duvallon,
tremblèrent les montslâcha
d'alentour.
prise aussitôt en poussant un rugissement infernal dont

L'orthographe
(50) F° 218deàl'original
220 du registre
est respectée,
paroissial
maisdéjà
la présentation
cité (cf. notedu9)texte
(communiqué
a été clarifiée.
par Francis TRACQ).

PREMIER TRIMESTRE 1986 94


— Puisque tu refuses de me suivre, dit -il alors, avec colère, j'enverrai la mort
te quérir !
Et il se disposait à repartir. Duvallon en proie à une terreur très grande pen¬
sait : «Comment détruire ce papier maudit avant que le jour chasse la nuit ? Le pa¬
pe seul pourrait m'absoudre de mon péché... !» Une idée subite traversa son es¬
prit :
— Tu as dit qu'aux premiers feux de l'aurore, je t'appartiens, fit -il en s'adres-
sant à Messire Satanas.
— J'ai ton engagement et ta signature, répondit le prince des Démons.
— Eh ! bien ! soit ! reprit Duvallon. Mais souffre que j'use de mon pouvoir
sur les enfers jusqu'à cet instant. Je t'ordonne de me transporter avant minuit à
Rome, devant le palais pontifical !
incandescentes.
— Je veux bien ! rugit Satanas, tandis qu'un sourire affreux plissait ses lèvres

Et tous deux s'élancèrent sur le coursier aux crins de flammes : on entendit


comme un sifflement aigu dans les airs et un éclair sillonna le firmamant... Quel¬
ques instants après, un cheval exhalant des étincelles par les narines, déposait
deux cavaliers aux portes du Vatican... Le beffroi de St Pierre marquait 11 heures
déjà passées. Cependant Duvallon, par la puissance qu'il tenait du Démon, s'était
fait introduire aussitôt auprès du Souverain Pontife. S 'étant jeté à ses genoux, il lui
confessa humblement sa faute et lui demanda pardon et pénitence. Le Pape, voyant
son repentir, lui donna l'absolution sur le champ et au moment même où il achevait
de prononcer : «Je vous absous de vos péchés», un papier mystérieux tomba aux
pieds de son pénitent qui le ramassa et ne fut pas peu surpris de reconnaître le pac¬
te
l'avait
maudit.
effacée.
Seulement, la signature de sang n'y était plus : l'absolution du Pape

Le Souverain Pontife lui imposa pour pénitence d'entendre trois messes de mi¬
nuit dans trois églises différentes, à Londres, à Paris et à Rome, et pour cela, lui
donna l'autorisation de se servir de son pouvoir sur les puissances infernales. Lors¬
que Duvallon sortit du Vatican, les cloches de la basilique de St Pierre convoquaient
les fidèles au mystère de la naissance du Fils de Dieu. Ayant jeté des regards au¬
tour de lui, il ne revit point son compagnon de voyage : cavalier et cheval avaient
disparu. Mais ses pouvoirs lui restaient. Il poussa un hou lugubre et aussitôt un Dé¬
mon se trouva devant lui. C'était un affreux volatile dont les ailes déployées cou¬
vraient toute la place St Pierre.
— Quelle est la rapidité de ton vol ? lui demanda Duvallon.
— En une heure, j 'ai parcouru cent kilomètres.
— Ce n'est pas ce qu'il me faut. Retourne dans ta cage éternelle.
Et l'oiseau maudit s'éloigna à tire-d'aile.
Duvallon battit l'air du revers de sa main gauche, et par le sillon qu'il traça, il
découvrit la figure d'un autre démon comme s'il n'avait fait qu'écarter le voile qui
le cachait déjà à cet endroit. Cet esprit de mal avait un visage de femme, et sem¬
blait une furie tant ses yeux étaient hagards et son regard terrible. Ses cheveux
s'agitaient en désordre autour de sa tête et chassaient des nuages devant elle ; ses
pieds crochus creusaient la terre, et la poussière qu'ils soulevaient, ses mains la
lançaient en tourbillons. Entre ses dents qui grinçaient en entrechoquements sinis¬
tres, tantôt passait un sifflement aigu, tantôt un sourd grondement qui ressemblait
à l'écroulement d'une montagne.
— Qui es -tu ? interrogea Duvallon.
— Je suis le Démon de la Tempête !
— Ta marche est-elle rapide ?
— En quelques minutes j 'ai traversé un royaume !
— Ce n'est pas toi qui peut me servir.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Il referma
re échevelée s'évanouit.
de sa main ouverte le sillon qu'il avait creusé dans les airs et la figu¬

Ayant donné un coup de son talon sur une marche de la basilique, une étincelle
jaillit qui alluma un immense brasier devant lui. Au milieu du feu une figure grima¬
çante le fixait ; ses yeux étaient deux charbons ardents : de sa bouche et de ses na¬
rines sortaient des flammes.
— Quel est ton nom ? dit Duvallon.
— On me nomme le Démon de la Foudre glapit une voix semblable à un crépi¬
tement sec de bois vert qui brûle. C'est moi qui promène le feu du ciel par toute la
terre.

— Te faudrait-il beaucoup de temps pour aller d'ici à Paris ?


— Ma rapidité est celle de l'éclair. De Rome à Paris, je cours en quelques se¬
condes à peine.
— Je n'ai que faire de tes services... descends dans ta fournaise ardente.
Puis s 'hypnotisant comme dans un rêve, Duvallon se toucha le front du petit
doigt de la main droite, et à l'instant même un quatrième esprit des ténèbres appa¬
rut. On l'eût pris pour un ange fidèle à ne regarder que ses ailes élancées, son visa¬
ge auréolé de lumière, et son regard fixant l'infini. Mais quand cette question lui
fut posée :
— Qui es-tu ?
ce fut une voix pleine de rage et de désespoir qui répondit :
— Je suis le Démon du Génie !
— La vitesse de tes ailes est-elle bien grande ? continua son interlocuteur.
— Je vole comme la pensée ! Pour moi, il n'y a ni temps, ni distances. A peine
m'a-t-on évoqué une date ou un lieu, j'y suis avant qu'on ait fini d'en épeler les syl¬
labes.
— Bravo ! dit Duvallon, j'ai besoin de ton aide. Transporte-moi aussitôt et tout
à la fois
celle de St
dans
Pierre
l'église
ici à St
Rome.
Paul, à Londres, dans la basilique de N.D. à Paris, et dans

Et aussi vite que va la pensée, le démon le porta sur ses ailes à St Paul de Lon¬
dres, à N.D. de Paris et à St Pierre de Rome. C'est ainsi que Duvallon put accomplir
sa pénitence et entendre trois messes de minuit à la fois dans trois églises différen¬
tes et fort distantes l'une de l'autre.
Quand furent enfin entendues les trois messes prescrites, il reprit son char ailé
de la pensée et se fit reconduire à La Chalp. Il faisait grand nuit encore dans le val
de Bessans et là-haut «tôt à travers de l'Ouilla Allegra» les anges chantaient tou¬
jours «lou bia motet» (51) à l'Enfant-Dieu. Duvallon se mit en prières remerciant
Dieu et promettant pénitence.
Soudain, un grand coup fut frappé à sa porte, et toute la maison en fut ébran¬
lée. Il alla ouvrir, et il reconnut le cavalier de la veille monté sur le même cheval de
feu. L'aube bleuissait les sommets neigeux. A la sommation qu'il reçut de le sui¬
vre, Duvallon jeta sur le démon un plein verre d'eau bénite dont il s'était muni et le
diable s'enfuit, mêlant ses hurlements affreux aux hennissements épouvantables
de son coursier. Une énorme avalanche qu'il souleva à son passage vint se briser
contre les maisons de La Chalp. Et lorsque le jour vint, les montagnes se redisaient
encore en écho les rugissements diaboliques.
Duvallon fit pénitence, et pleura jusqu'à sa mort la faute dont il avait reçu du
Pape le pardon. Et l'on dit que c'est son âme qui vient gémir encore aux jours som¬
bres où souffle la tempête, à travers les fissures des murailles de sa maison détrui¬
te.

3 130(51)
m d'altitude
Trad. : Dusituée
côté sur
de l'Ouille
la commune
Allegra...
de Bessans,
les beaux
à l'opposé
cantiques.
du col
L'Ouille
de la Madeleine.
Allegra est une aiguille de

PREMIER TRIMESTRE 1986


IV

ENQUÊTE C. JOISTEN

4.1 ans,
86 — «Duvallon
Bessans, IV.
avait
64).
conclu un pacte de quinze ans avec le diable» (M. Alexis P.,

4.2 — «Duvallon était de La Chalp. Il y avait [dans ce hameau] 18 filles à marier à


l'époque où Duvallon y habitait (52).
Il avait fait un pacte avec le diable.
Quand Duvallon venait faire ses commissions à Bessans, pour revenir, il s'as¬
seyait directement sur l'eau [l'Arc], avec à côté de lui sa bouteille de vin, son pain
et sa tomme. Il se laissait descendre par le courant et, arrivé à La Chalp, ni lui ni
ses provisions étaient mouillés» (Mme Pierre B., 64 ans, Bessans, XII. 69).

4.3 — Nous reproduisons ici l 'information donnée oralement par Emile Tracq à C.
Joisten en 1964 (cf. note 33). On constate par ce fragment que Duvallon participe
des métamorphoses qui sont habituellement attribuées aux sorciers — ici lycan-
thropie — se rendant aux assemblées nocturnes :
«A la nuit tombante on voyait sortir de la maison de Devallon deux gros chiens
ou deux loups qui, sautant chacun sur un cheval, disparaissaient pour ne rentrer
qu'à l'aube. C'étaient Devallon et son compagnon le diable changés en animaux».

(52) Cf. note 8.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


P.)
B.) B.
4 B. M.
Mme P. Duval on B.
(Mme M.
et P.) • (M. •
(Mme ans (Mme manteau non
précisé)
• 15
3 • • 50
ans •
Claude Marchand dit
Duval on
BERNARD
de (...)
2 • • • ans •
tail e 50
PAR OUR Duval on
hte Cambradin
Homme (...)
• • • • • • 50
ans • •
Duval on Homme debout
TRAMOND
1 • • • • • • • • • ans • • •
Démon rouge 20
FOUDRAZ Duval on
VEUÉGVALRSEINOLDENSON
LDES
DLA
DE
• • • • • • • 50
ans • • •
TRACQ Démon cornu
Deval on
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s'étonne
ne
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lui,
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voir
le
de
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• • • • • • • • • • • •
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• • • • • • • • • •
' Rome Milan Bes ans démons
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• • • • • • • • • • • •
Rome Milan Bes ans démons
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Épisode pieuse
l'esprit
de
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Présence Ferre Libération Franchit MARIAGE Duval on Prénom L'ÉCHÉANCE Premiers Date Sursis Recours Obligation Choix (vites es Moyens Fracas ISSUE Délivrance Fin
PREMIER TRIMESTRE 1986 100
Le Doyen

Samoëns
(Haute-Savoie)
en Faucigny

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in-

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


PERSONNALITÉ DU DOYEN

Un ecclésiastique, gros propriétaire, magicien

1.1 — «Le doyen Dusougey [sic], c'était un prêtre qui faisait des choses... un peu
comme du sorcier. C'était un parent aux Dusaugey de Samoëns qui restent [habi¬
tent]
1977).vers La Cour, aux Billets plus exactement» ( Sixt, La Chapelle, enq. C. Abry,

1.2 — «Un nommé Dusaugey, doyen de la Collégiale (ou Chapitre) de Samoëns,


avant la Révolution, qui possédait des terres aux Billets, avait la réputation de faire
de la physique [magie]» (...Suite au rt° 2.7, Samoëns, Sous-le-Crêt, enq. Joisten,
1964).

1 .3 — «Le doyen Dusaugey, depuis Samoëns jusqu'en Porte, il était sur lui [sur ses
terres]» (...Cf. n° 2.3).
Un avait voulu lire ses livres. Il s'était trouvé entouré d'oiseaux noirs, dé
çhdiwe [des corneilles] — vous savez ce que c'est ? — la pièce où il était était pleine
de çhdiwe... il avait pris peur.
C'était un peu de ces choses... de la physique, vous voyez ?» (Samoëns, Le Pe¬
tit Saix. Vercland. enq. Abry, 1985).

Le triple aspect de la personnalité de Pierre Dusaugey sera également mis en


évidence dans le document manuscrit que nous donnerons plus loin (n° 10).
Sur la richesse du Doyen et l'importance de ses propriétés, les témoignages
tion
abondent.
retenueCesur
sera
lui.même parfois, dans l'enquête la plus récente, la seule informa¬

1 .4 — «Le Doyen Dusongey [sic], depuis les Billets jusqu'aux Saix (3), il était pro¬
priétaire. Ça dépondait pas [ça se tenait tout]» (Suite au n° 2.2. Samoëns, inf. n° 1,
enq. Abry, 1985).

1.5 — «Le Doyen, depuis le Trapechet (4) jusqu'aux Billets, il était sur lui» (Sa¬
moëns, inf. n° 3, enq. Abry, 1985).

1 .6 — «Le Doyen, il était sur lui des Billets jusqu'en Porte» (Suite au n° 2.9. Sa¬
moëns, inf n° 2, enq. Abry, 1985).

1.7 — «Le Doyen, c'était un gros propriétaire. Il avait une propriété en Porte à la
Doy'm-na» (...Cf. n° 2.1).
Question : «Le Doyen, c'était pas un prêtre ?
— Non, le doyen des curés, c'est bien un grade parmi les curés, mais lui c'é¬
tait pas un prêtre. D'ailleurs, si ç'avait été un prêtre, il aurait pas été faire du foin
en Porte» (Sixt, Les Curtets, enq. Abry 1977) ( 5).
Ainsi, pour cet informateur, il ne semble pas vraisemblable qu'un prêtre dirige
en personne des travaux agricoles.

ski. (3) Les Billets : lieu-dit à Samoëns ; Les Saix : Alpage, com. de Samoëns, actuellement champ de
(4) Lieu-dit près de la «montagne» (alpage, montagnette) de Porte.
(5) En 1964, ce même informateur avait simplement signalé à C. Joisten l'existence de la propriété
du Doyen à la «montagne» de Porte.

PREMIER TRIMESTRE 1986


Vallée de Samoëns, vue prise de la chapelle du Château {Nice et Savoie, 1864). Au premier plan, en bas
à droite, la collégiale. Au fond de la plaine de Vallon, le passage des Tines, conduisant à l'Abbaye de
Sixt. Sur la droite, les versants gui mènent à la «montagne» de Porte {cf. récits n° 2.1 à 12).

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


On notera l'abondance des lieux-dits qui désignent les propriétés du Doyen.
Celles-ci étaient effectivement très étendues, depuis les Billets, proche du chef -lieu
de Samoëns où il fit construire sa maison en 1682, jusqu'à la «montagne» de Porte,
qui fait actuellement partie de la commune de Sixt (6). Le Doyen les avait acquises
à la suite d'une série de litiges et procès que l'on évoquera plus loin.
C'est cet alpage de Porte, plus précisément le lieu-dit toujours nommé La
Doyennée, qui sert de cadre au récit formant le thème central du cycle du Doyen :
Le foin rentré magiquement (récits n° 2.1 à 12).

POUVOIRS SURNATURELS DU DOYEN

Pouvoir sur les éléments

Le foin rentré magiquement (7)

2.1 — (Suite du n° 1. 7) «Il avait des ouvriers (8), ils cassaient la croûte. Ils avaient
beaucoup de foin dehors. Il s'est mis à faire des gouttes.
— Resta pi trankil — il leur a dit — ifara pro ! (9).
Ils ont continué de manger. Puis il y en a un qui est sorti, pour pisser (je ne sais
pas). Il a vu que le foin était tout rentré par les pou du toit (10)» (Sixt, Les Curtets,
enq. Abry, 1977).

2.2 — {Suite du n° 1.6) «Une fois, il avait des ouvriers pour faire le foin... C'était
une grosse propriété, il avait bien quinze ouvriers. Ils mangeaient à midi. Le mau¬
vais temps est arrivé... (Autrefois, ils étaient soigneux du foin). Alors ils ont voulu
arrêter de manger :
— On sopra apré (11).
Il a dit :
— Vous faites pas de souci !
Et tout le foin est rentré par les fentes dans le soli [grange]» {Samoëns, inf.
n° 1, enq. Abry, 1985).

2.3 — (Suite dun° 1.3) «Il arrêtait le soleil.


Un jour, ils avaient beaucoup de foin. . . le mauvais temps venait. . . Les gens ont
dit :
— Comment tu vas faire ?
Il a répondu :
— Ne vous en faites pas !
Il a arrêté le soleil et le foin rentrait partout, par les fenêtres, par les portes,
par les fentes [de la maison]» (Samoëns , Le Petit Saix, Vercland, enq. Abry, 1985).

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PREMIER TRIMESTRE 1986


2.4 — «Il était en Porte. Il avait des ouvriers, Ils mangeaient. Tout d'un coup c'est
venu la pluie. Il y en a qui sont sortis. Ils ont vu que le foin était tout rentré par les
fentes du mantelage [bardage]» (Sixt, La Chapelle, enq. Abry, 1977).

2.5 — «Le Doyen, quand ça faisait mauvais temps, son foin rentrait tout seul par les
fentes de la grange (12)» (Sixt, LeFay, inf. n° 2, enq. Abry-Joisten, 1976).

2.6 — «Sur le Doyen, ils racontaient que son foin rentrait tout seul... L'fan s'an-
guemâve pé lé pou du tai (zo la talapouna) (13). Ils avaient du terrain à la Doy'm-na
en Porte, ça se passait là» (Sixt, LeFay, inf. n° 1, enq. Abry-Joisten, 1976).

2.7 — (Suite du n° 1.2) «On disait qu'il faisait rentrer son foin par les interstices de
sa grange» (Samoëns, Sous-le-Crêt, enq. Joisten, 1964).

2.8 — Attestation à Samoëns, Vallon, avec le commentaire : «Ça serait bien prati¬
que, maintenant, vous pensez ! (14)» (enq. Abry, 1977).

2.9 — Attestation à Samoëns (Inf. n° 2, enq. Abry, 1985).

2.10 — «Un homme de Samoëns, des Billets, qu'on appelait le Doyen travaillait
avec le diable. Quand il s'amenait la pluie, il disait à ses ouvriers :
sez ! — Mangez seulement, ne craignez pas la pluie pour le foin, il se rentrera as¬

Le foin rentrait tout seul par tous les trous de la grange» (...Suite au n° 8, Sixt,
Salvagny, enq. Joisten, 1964).

2.11 — «La légende rapporte qu'un jour, le Doyen était occupé à récolter le foin de
son dit pré avec ses ouvriers. Comme le temps était à l'orage, ceux-ci craignant la
pluie, voulaient rentrer tout le foin fauché avant d'aller manger. Le Doyen leur ré¬
pondit qu'ils devaient aller déjeuner puisque le repas était servi ; que lui seul se
chargerait de rentrer le foin. En effet ils virent à leur grande surprise les tiges de
foin rentrer dans la grange les unes à la suite des autres par les joints de cloisons.
Le Doyen avait dompté le démon» (...Suite au n° 9, Manuscrit Maniguet, cf. note
44).

2.12 — Cf. plus loin le doc. n° 10, dans lequel Le foin rentré magiquement n'est
qu'un motif parmi d'autres : nous donnerons ce document sans en dissocier les élé¬
ments.

Autres pouvoirs sur les éléments

On a déjà vu (récit n° 2.3) que le Doyen «arrêtait le soleil». D'autres exemples


de son pouvoir sur la nature seront donnés, pêle-mêle, dans l'important manuscrit
que John Baud lui a consacré (15) : si le Doyen savait provoquer un vent magique
afin de sauver sa récolte, il connaissait également le moyen de la préserver de la
gelée. Il arrêtait ou détournait les tempêtes, provoquait la pluie. Il savait déclen¬
cher les avalanches contre les ennemis de sa famille (Cf. doc. n° 10).

(13)
(14)
(15)
(12) Cf.
Bâtiment
Le
Ce foin
commentaire
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30.
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(C. ABRY).

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Pouvoir sur les humains

Là se trouve évoqué un fait d'histoire, survenu en 1689 : l'incursion des Luzer-


nois en Savoie. Ces derniers, de la secte des vaudois, avaient été expulsés de leur
territoire, la vallée de Luzerne en Piémont (ou Val Pellice), en 1686, au lendemain
de la révocation de l'Edit de Nantes. Trois ans plus tard, depuis la Suisse où ils
avaient été refoulés, ils décidèrent de regagner leurs foyers en une véritable opéra¬
tion militaire qui les conduisit jusqu'aux vallées vaudoises (16). Selon la tradition,
àle Samoëns.
Doyen fit échouer une tentative de passage au col de Couz, qui les aurait conduits

John Baud fait une simple allusion à ce fait (doc. n° 10) ; Hippolyte Tavernier,
dans son Histoire de Samoëns (17) l'évoque aussi en relatant le «récit d'un bon et
intelligent vieillard» :

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tentatives,
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en juillet 1688 et en septembre 1689, se soldèrent par des échecs). Ils passèrent par Viuz-en-Sallaz, Ma-
rignier, Cluses, Combloux, le col du Bonhomme, Bourg-Saint-Maurice, l'Iseran, le Mont-Cenis, effec¬
tuant ce raid en sept jours, sous la pluie et la neige. A noter qu'aucune des trois expéditions n'a en réali¬
té approché Samoëns, ni tenté d'utiliser le col de Couz. (Cf. A. GAVARD,«Les Vaudois, Luzernois, Bar¬
bets en Savoie (1685-1690)», Mémoires et documents publiés par l'Académie salésienne, t. 46, 1928, pp.
41-82. Communiqué par R. DEVOS).
(17) Pp. 149-150 (cf. note 29).

PREMIER TRIMESTRE 1986


Ci-contre : «mantelage» d'une «grange » àSixt. Ci-dessus : détail avec les anciens trous de
chevillage. Entre les fentes (lé lé-e), le foin {cf. récits n° 2.1 à 12). Photos Dominique
ABRY.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


3 — «Un jour [dit ce dernier], me trouvant aux alpages de Bostan, près des masures
de Remble, avec mon père :
— "Tiens, fit -il, en me montrant certaines lettres gravées sur une pierre, un
triste souvenir
au-delà de l'endroit
! Lesoù Luzernois
celle-ci finit.
ont brûlé ces chalets et la forêt qui s'élevait bien

Ils allaient descendre au bourg, mais le doyen Dusaugey se portant à leur ren¬
contre, les conjura et les fit rétrograder" [...]».
H. Tavernier précise en note : «Recueilli aux Allamands, 10 novembre 1891,
de la bouche de Claude-Jh Simond».

Pouvoir sur les animaux (18)

4 — «Vers 1718, le pays fut envahi par les hannetons ; on eut recours au doyen de
Samoëns pour en "faire l'excommunication" (19)».

La paroisse qui réclame l'intervention du doyen de Samoëns pour une telle


procédure est celle du Mont-Saxonnex. On connaît en Savoie, entre le 16e et le 18e
siècle, plusieurs procédures de conjuration ou d'excommunication contre des ani¬
maux nuisibles (20). Mais il semble ici que la personnalité de l'intervenant n'ait pas
été indifférente : le Doyen était donc réputé pour ses pouvoirs hors de sa paroisse.

Autres pouvoirs surnaturels

Le transport magique (21)

5 — «Il disait la messe à Sallanches, et après chantait les vêpres à Samoëns (il y
avait pas les voitures dans le temps...)» (Sixt, Le Fay, inf. n° 2, enq. Abry-Joisten,
1976).

6 — «Ceux de Samoëns, ils le voulaient plus... Je sais pas pourquoi, peut-être par¬
ce qu'il faisait déjà toutes ces choses (22). Alors il était allé se faire signer un papier
par le pape à Rome... il leur avait dit :
— Je pars au gloria du jeudi saint (ils chantaient le gloria le jeudi saint). Je se¬
rai de retour au gloria du samedi.
D était revenu le samedi avec son papier signé du pape» (Sixt, La Chapelle,
enq. Abry, 1977).

diable.
(18) Cf. cycle de Moundou (récits n° 6 et 7). A noter que Moundou tient ce pouvoir explicitement du
(19) Abbé J. RENAUD, Histoire du Mont-Saxonnex des origines à 1815, Annecy, 1927, p. 96.
(20) Voir en particulier le procès contre les emblevins (charançons), en 1587 à Saint-Jean-de-Mau-
rienne, relaté par Léon MÉNABRÉA dans son étude «De l'origine, de la forme et de l'esprit des juge¬
ments rendus au Moyen-Age contre les animaux, avec des documents inédits», Mémoires de la Société
royale académique de Savoie, t. XII, Chambéry, 1846, pp. 399-544. J. et R. NICOLAS, dans La vie quoti¬
dienne en Savoie aux XVIIe et XVIIIe siècles (Paris, Hachette, 1979, pp. 289-290) énumèrent les diffé¬
rents procès rendus en Savoie contre les animaux nuisibles.
(21) Cf. Saoussa (n° 58. 1 et 2), Duvallon (ensemble des récits), le Pape des Aix («° 5 et 6.1 à 4). Sur
les rapports
deux derniers.
entre les magiciens et le pape et le transport magique à Rome, cf. plus particulièrement ces
(22) Ce récit fait suite à l'histoire du foin rentré magiquement (ra° 2.4).

PREMIER TRIMESTRE 1986


Invulnérabilité au feu (23)

7 — Question (24) : «C'était pas lui qui voulait pas brûler ?


— Si... parce que les curés ils devaient dire la messe jusqu'au bout quoi qu'il
se passe, même si l'église venait à brûler. Alors ils voulaient le faire brûler. Ils
avaient mis le feu à l'endroit où il disait la messe. Mais ça avait pas voulu le brûler.
Il avait pu dire sa messe jusqu'au bout» (Sixt, La Chapelle, enq . Abry, 1977).

Les deux derniers récits expriment une réelle animosité à l'égard du Doyen.
On pourra l'expliquer par les rapports tumultueux, jalonnés de chicanes et de pro¬
cès, qu'il entretint avec ses compatriotes, afin de se constituer la richesse qu'on lui
connaît (cf. infra).

LE DOYEN ET LE DIABLE

Le «papier signé du pape» que le Doyen est allé cherché à Rome (doc. n° 6)
n'est pas sans rappeler le «certificat de présence» que Duvallon s'est fait délivrer
par les célébrants des offices auxquels il a dû simultanément assister le soir de Noël
à minuit pour faire annuler son pacte avec le diable (cf. Version 1).
Mais des deux documents qui suivent, il ressort plus clairement qu'il entrete¬
nait des rapports avec le démon : il «travaillait avec le diable» (n° 2.10). En échan¬
ge de son foin rentré magiquement, il devait faire annuellement un don au diable
(doc. n° 8 et 9). Le manuscrit, déjà cité, de Maniguet (n° 2.11) fait en outre état de
son pouvoir sur le diable («le Doyen avait dompté le démon et il l'avait obligé à tra¬
vailler»), mais le pouvoir devait s'exercer parfois au prix d'une dispute avec le dia¬
ble (n° 9) (25).

8. — (Suite du n° 2.10) «On disait que toutes les années il donnait la plus belle de
ses génisses au diable. Il savait le soir où le diable viendrait la chercher : il disait à
ses domestiques :
— Vous attacherez la vache à une boucle seulement (26), ce soir elle part.
Le lendemain matin, elle était partie.
C'est à la montagne de Porte que le foin rentrait ainsi dans la grange» (Sixt,
Salvagny, enq. Joisten, 1964).

9. — (Suite du n° 2.11) «Le Doyen avait dompté le démon et il l'avait obligé à tra¬
vailler. On prétend même que chaque année au moment de la descente du troupeau
depuis l'alpage, le Doyen lui laissait dans l'étable dudit chalet la plus belle de ses
génisses afin de lui payer les services rendus. Mais qu'un jour, le démon s'étant
montré trop exigeant, il dut le conjurer et l'obliger à se retirer après une violente
discussion » (Manuscrit Maniguet).

Nous réservons pour la fin l'évocation haute en couleur que fait John Baud de
ce personnage hors du commun que dut être le Doyen. L'abondance de ses pou¬
voirs y apparaît, mais aussi, notons-le, l'ambiguïté de son rôle de prêtre.

che».(26)
(24)
(25)
(23) Commentaire
Formulée
Cf.
Cf.,Saoussa
à l'inverse,
par(récits
la
defemme
lal'informateur
mort
n° 75du
deet l'informateur.
Pape
76). : des
«Normalement
Aix (récits n°on8. attache
1 à3). à deux boucles la chaîne de la va¬

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


10 — «Nous tenons un autre récit du même fait présenté de façon plus vivante : A
l'aide de prières ou d'incantations le Doyen Du Saugey soumettait les forces de la
nature : arrêtant les tempêtes ou les détournant comme il avait détourné les Luzer-
nois, provoquant la pluie, sauvant les récoltes de la gelée, mais déclenchant aussi
les avalanches contre les ennemis de sa famille, etc... Ainsi, un jour d'été les pay¬
sans des environs des Billiets, son grand domaine, ainsi que ses propres ouvriers,
venaient de faucher leurs prairies. Le foin était presque sec lorsqu'un terrible orage
s'annonce au loin et menace de le mouiller avant qu'il soit possible de le rentrer.
On appelle le Doyen qui écrivait dans son bureau aux plafonds peints d'animaux
étranges (27). "Ne vous inquiétez pas mes enfants, dit-il, je vais arranger ça !"
Il sort avec sa belle croix d'or sur la poitrine, se dresse face aux noirs nuages,
étend les deux bras, fait quelques signes mystérieux en murmurant des prières...
ou des paroles cabalistiques ? — Aussitôt le vent augmente sa puissance, rase le
sol, fait tourbillonner le foin qui était étendu, le roule et l'amasse... Puis le Doyen
s'écria de sa forte voix : "Ouvrez les portes des granges !" Et, miracle !... les tas
de foin continuant leur ronde magique se précipitent à la filée dans les granges,
avant qu'une seule goutte de pluie ne soit tombée». {Manuscrit J. Baud, pp. 186-
187).

ÉLÉMENTS DE BIOGRAPHIE
DE PIERRE DUSAUGEY

Que sait-on du Doyen ?


Cité comme une des «gloires de Samoëns» dans une récente monographie (28),
Pierre Dusaugey a fait l'objet de recherches approfondies de la part de deux histo¬
riens haut-savoyards : Hippolyte Tavernier qui lui consacre quelques pages très
documentées dans son Histoire de Samoëns, parue en 1892 (29), et surtout John
Baud qui, en 1947, terminait à son sujet un important manuscrit (30). Ce travail,
fruit de longues recherches dans les archives familiales, municipales et départe¬
mentales, ne fut jamais publié. Mais vu la richesse de la documentation réunie,
c'est de lui que seront tirés les principaux éléments de la biographie du Doyen que
nous allons esquisser — en retenant surtout les faits qui semblent avoir favorisé
l'apparition du légendaire dans la vie d'un tel homme (31).

économie,
(coll.
gie, t.(30)
(27)
(28)
(29)
Trésors
XXXI,
Cf.traditions,
Claude
Hippolyte
John Infra.
1982
deBAUD,
la
CASTOR
; Savoie)
TAVERNIER,
nouvelle
patois,
Révérend
et; cf.
éd.,
Jean-François
vie
pp.Messire
Taninges,
quotidienne,
Histoire
121-122.
Pierre
TANGHE,
de
impr.
Samoëns,
évolution
DuLison,
Saugey,
Samoëns.
1976.
Société
des1636-1717,
idées,
C'est
Histoire,
Savoisienne
àSamoëns
cette
Protonotaire-Apostolique,
milieu
édition
d'Histoire
(chez
naturel,
quelesnous
Auteurs),
etartd'Archéolo¬
renvoyons.
populaire,
Cha¬
1982

pelain de Port-Royal des Champs, Docteur en Sorbonne, Prieur de Saint-Martin d'Aimé, Doyen du cha¬
pitre de la Collégiale de Samoëns, Auditeur-Général du Prince-Abbé dom Antoine de Savoie. Copie de
documents concernant ce prélat. Ms., s. d. [1947], env. 230 p.
Ce manuscrit, un gros cahier, dont Roger DEVOS avait signalé l'existence à Charles Joisten, était
entre les mains d'un descendant de la famille Dusaugey, qui avait bien voulu nous le confier vers 1965.
Nous en avions alors extrait les renseignements qui nous paraissaient utiles pour la compréhension de la
personnalité du Doyen. Avantde mettre un point final à ces figures de magiciens, j'aurais voulu le con¬
sulter à nouveau. Mais son dernier détenteur étant décédé, il m'a été impossible de retrouver la trace de
ce manuscrit.
(31) La matière principale de cette biographie étant tirée du travail de John Baud, seules y seront
précisées les autres sources.

PREMIER TRIMESTRE 1986


Né le 10 novembre 1636, Pierre était le fils du notaire Claude Dusaugey — qui
venait, en 1634, d'être affranchi par son seigneur et reçu bourgeois de Samoëns —
et de noble Claudine Duboin. Enfant turbulent mais pieux, il se dirigea tôt vers la
prêtrise, et son père ne manqua pas d'encourager cette vocation précoce, car

«Pour s'élever dans le monde et pour améliorer son sort, on n'omettait


aucun moyen licite : travail, économie, bons mariages, esprit de famil¬
le. [...] On se faisait notaire, avocat, médecin, magistrat, militaire, prê¬
tre ou religieux. Chaque famille avait un ou plusieurs ecclésiastiques,
ceux-ci demeurant étroitement unis à leurs frères et soeurs, et procu¬
rant aux neveux, aux nièces, l'instruction et la bonne éducation» (32).

En 1650 (il a 14 ans), Pierre prend donc le chemin du collège des Jésuites de
Chambéry pour y commencer ses études ecclésiastiques. C'est à Rome qu'il les
poursuit en 1659, où l'a dirigé l'évêque de Genève, Charles Auguste de Sales (ne¬
veu de saint François). A 23 ans donc le jeune Savoyard prend contact avec les mi¬
lieux ecclésiastiques romains. Il les fréquentera pendant quatre ans, et ils exerce¬
ront sur lui une influence profonde : d'une part en l'attachant indéfectiblement à
l'Eglise romaine — ce qui, quelques années plus tard, à Paris, lui vaudra de jouer
un rôle important dans la lutte menée contre l'hérésie janséniste qui y bat son
plein ; d'autre part en l'initiant, dans le cadre somptueux de Rome, à la beauté et
au luxe (33). Pierre Dusaugey se laisse ainsi gagner peu à peu par l'aspect mondain
du clergé de Rome, par son esprit d'ambition et son faste. Peut-être est-ce l'assu¬
rance qu'il gagne à ce contact qui frappera — voire scandalisera — ses compatrio¬
tes de Samoëns lorsqu'il reviendra parmi eux définitivement, pour 45 longues an¬
nées, comme doyen du chapitre de la collégiale.
C'est à Rome qu'il devient clerc, et protonotaire apostolique en 1661. En 1663
il se rend à Paris, où il passera huit ans. Il y reçoit les ordres, et devient le protégé
de l'archevêque de Paris, Mgr Hardouin de Péréfixe. Tandis qu'il poursuit en Sor-
bonne des études de théologie, philosophie et droit canon (il est reçu docteur en
1670), on le désigne en 1665 comme chapelain de Port-Royal des Champs auprès
des religieuses qui ont embrassé l'hérésie janséniste, afin de les ramener à l'ortho¬
doxie. Une lettre à son frère, du 14 mars 1666, fait état des difficultés de la mis¬
sion :

«[...] comme l'hérésie du Jansénisme dont il s'agit est des plus


subtiles et que ces religieuses sont des plus habiles et savantes qu'il y
aye dans tout le royaume, cela rend leur conversion plus difficile et de
laquelle même il n'y a pas grand espoir. [...] Celles qui ont esté condui¬
tes icy [...] sont au nombre de 87 toutes desobeissantes et rebelles à
l'Eglise et à la veille d'être excommuniées [...]» (34).

Mais en même temps il fraye avec la haute société parisienne, se fait accorder
une lettre de naturalisation française (signée de la main de Louis XIV), se trouve de
hauts protecteurs tels que le prince Dom Antoine de Savoie. Surtout il fréquente

Le succès
que,
(pp. (32)
(34)
(33) TAVERNIER,
dans
153-154).
C'est
une'affaire
n'estlepeut-être
moment
difficile,
op.où
pas
cit.,
leavait
cepape
p.qu'il
137,
153.
suAlexandre
faut
mériter
cité
L'auteur
par
le plus
John
du
VIIajoute
premier
fait
considérer,
Baud.
exécuter
: «Le
prélat
missionnaire
mais
dedegrands
France
bien plutôt
travaux
réussit-il
un jeune
la dans
singulière
?prêtre
Nous
la ville.
del'ignorons.
confiance
Savoie».

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


avec assiduité les deux principales résidences des Genevois -Nemours et des Sa-
voie-Soissons. Nous nous attarderons à cet épisode de sa vie car dans l'hôtel de
Soissons, selon John Baud, il aurait été initié aux mystères de l'astrologie et de la
magie.

«C'est en 1657, écrit ce dernier (35), que la nièce du Cardinal Ma-


zarin, la belle Olympe Mancini avait épousé le prince Eugène-Maurice
de Savoie Comte de Soissons, duc de Carignan (1633-1673). Elle était
née en 1639, ayant donc 24 ans en 1663. Le Palais de Soissons (36) était
un beau château entouré de jardins, aménagé un siècle auparavant par
la reine Catherine de Médicis ; certains murs avaient gardé l'empreinte
du moyen âge avec leurs mâchicoulis qui dataient du temps où le palais
était encore une forteresse. En pénétrant par l'entrée principale dans la
haute
cour intérieure
de cent quarante-trois
du bâtiment, pieds,
on voyait
évidée
à sa et
droite
surmontée
une immense
d'une lanterne
colonne,
en acier avec une grande sphère céleste. Un escalier tournant, construit
à l'intérieur de la colonne, conduisait à une plate forme assez large
pour La
quereine
plusieurs
Catherine
personnes
de Médicis
pussentavait
s'y tenir
fait installer
ensemble.cet observatoire
par son astrologue Ruggieri. Mais il semblait à la Comtesse de Sois¬
sons, "qui était fille d'un astrologue et devin de Rome, que cette colon¬
ne ornée de signes mystérieux eût été créée pour son usage. Elle était
magicienne avec passion/'
L'aile droite du palais, dédiée à la superstition, avait été inhabitée
depuis le temps de Catherine : les pièces lugubres où dans les coins
grimaçait une tête de mort pour vous rappeler que le monde est néant,
furent modifiées selon son goût, mais elle ne toucha pas au cabinet de
l'horoscope avec ses instruments de calcul, ses équerres et ses compas
étalés sur la longue table, ses alambics de verre, ses squelettes hu¬
mains et ses animaux empaillés, et chaque symbole magique garda sa
place. Le mobilier était un étonnant pêle-mêle d'installations récentes
et d'anciens
tesse se déroulait
accessoires
dans cededécor
science
; seuls
magique.
les membres
La vie privée
intimesdede
la lacom¬
fa¬
mille osaient y pénétrer, encore qu'avec prudence. Il fallait surveiller
ses enfants pour qu'aucun ne heurtât le brasier ardent sur lequel brû¬
laient sans cesse les herbes magiques. Olympia fabriquait des crèmes,
des fards et, pour les cheveux, des teintures composées d'après ses
propres recettes.
L'aumônier de Son Altesse Sérénissime la Princesse de Carignan
douairière, était alors M. de Ponterel d'Argeance, docteur en théolo¬
gie, il levait les épaules avec mépris, traitant de fariboles les occupa¬
tions magiques de 1' "Italienne". Pendant ce temps le maître de céans,
le prince Maurice-Eugène de Savoie, colonel des Suisses et Grisons
(1658), gouverneur pour le Roi des Provinces de Champagne et de Brie,
partageait ses loisirs entre la lecture et la chasse à laquelle il se livrait
un ou deux jours par semaine. Son fidèle secrétaire savoyard, M. de
Montfalcon, lui avait composé une superbe bibliothèque des plus beaux

Eugène
(35) (Vict.
(36) Pp. 185-186
Une note
Attinger,
marginale
de 1934,
son manuscrit.
p.
de47-48)».
John Baud porte ici : «Extr. de l'ouvr. de Paul Frischauer, Le Prince

Ci-contre : La maison du Doyen dans le bourg de Samoëns (actuellement crêperie). Cette maison est ap¬
pelée dans le pays «maison de la colonne». Photo Dominique ABRY.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


et plus savants ouvrages ; à l'opposé de l'aumônier, le secrétaire s'in¬
téressait aux expériences de la comtesse de Soissons et il / it certaine¬
ment participer à l'initiation de son compatriote Pierre Du Saugey.
Il est probable qu'à son retour à Samoëns le Doyen de la Collégiale
ne soit pas privé de raconter à ses amis les curieux mystères du Palais
de Soissons. Et même, pour augmenter son prestige auprès des sim¬
ples mortels et asseoir son autorité, laissa-t-il volontiers se répandre
dans le pays le bruit de son initiation aux rites de la cabale ! De là cette
tradition tenace, conservée jusqu'à nos jours des pouvoirs magiques
extraordinaires du Doyen Du Saugey sur les éléments et les gens».

En 1671, âgé de 35 ans, Pierre Dusaugey revient dans sa ville natale, comme
doyen de la collégiale. Il occupera ce poste de premier plan presque jusqu'à sa
mort, tout en devenant prieur de Saint-Martin d'Aimé en 1672, auditeur général,
agent et procureur du prince Dom Antoine de Savoie, gouverneur de Nice.

«Les soins de l'auditeur portent sur beaucoup de choses — écrit H.


Tavernier (37) : revenus, juges et juridictions, procès, tractations avec
l'ordinaire, visite au personnel des monastères, pacification des reli¬
gieux, etc.»

Ainsi Pierre Dusaugey eut-il souvent à voyager tant en-deçà qu'au-delà des
monts pour accomplir ses tâches.
nier la
Ladécrit
chargeencore
de doyen
: elle-même demandait une forte autorité. Hippolyte Taver¬

«Elle touchait à tout ce qui intéressait le chapitre et l'église : re¬


crutement des chanoines, discipline, cérémonies, gestion des biens de
la mense capitulaire. Cette gestion et la répartition des revenus annuels
exigeaient des soins minutieux. Une partie, dîmes et prémices, se per¬
cevait en nature de récoltes, blé, orge, avoine, fèves, etc. Pour ramas¬
ser cela, la peine n'était pas moindre, et pour maintenir les droits il fal¬
lait une grande vigilance. Les procès, à eux seuls, étaient une grosse af¬
faire» (38).

Nous voyons en effet le Doyen sans cesse au tribunal, plaidant contre l'abbaye
de Mélan, contre les chartreux du Reposoir... et surtout, de longues années durant,
contre l'abbaye de Sixt (39). Il plaide encore, entre autres, contre les syndics de Sa¬
moëns, obtenant que la communauté cède au chapitre «des terres, bois et glières,
dix poses ou journaux, au mas des Billiets, en 1680» (40).

(37) Ibid.
(38) Op. cit., p. 157.
(39) Les démêlés entre la puissante abbaye de Sixt et la paroisse de Samoëns avaient commencé dès
le XVe siècle. Au temps de Pierre Dusaugey, l'abbaye percevait les deux tiers du revenu du bénéfice de
la paroisse de Samoëns, bien qu'elle ne fît plus aucun service à l'église ni dans la paroisse. Le différend
ne cessera qu'à la fin du XVIIIe siècle... De la masse de textes produits par ces procès on peut détacher
un document qui décrit avec précision la paroisse de Samoëns à la fin du XVIIe siècle, «la plus étendue et
la plus peuplée de tout l'Etat de Savoie», comptant 4 800 habitants répartis en neuf quartiers formés
chacun de plusieurs villages (cf. TAVERNIER, op. cit., pp. 159-161).
(40) TAVERNIER, op. cit., p. 158. Cette liste de procès que nous mentionnons est très écourtée.

Ci-contre : Le clocher de la collégiale de Samoëns. Photo Dominique ABRY.

PREMIER TRIMESTRE 1986


Cependant les chicanes prennent volontiers un tour personnel. «Jaloux d'éle¬
ver sa famille au premier rang, il faisait des économies pour les employer à l'acqui¬
sition d'immeubles et eut plus d'un procès [...] (41)».
Il en est un, en 1677, qui oppose les communiers de Gers (42) aux frères Du-
saugev, Pierre et Joseph, à propos des limites de leur propriété de la «montagne»
de Porte, celle où le foin rentrait magiquement par les interstices de la grange (ré¬
cits détails
ces n° 2.1 familiers
à 12). A. Maniguet,
: ancien maire de Morillon, relatant les faits, précise

«[...] Les frères Dussaugey, profitant de leur autorité, se firent ain¬


si réserver cette partie de la montagne de Gers située au-dessus de leur
chalet de Porte. Les cartes produites par les frères Dussaugey et dessi¬
nées par le Doyen lui-même existent au musée de Mr Riondel à Sa-
moëns. Sur ces cartes on voit le nant de Gers porter le nom de torrent
de Valentine (43). On voit également dessinés le chalet et les vaches
des dits Dussaugey au levant de leur prairie entourée de murs qui exis¬
tent encore. Le tout dominé par la crête du prat Domenge» (44).

Dès 1680, le Doyen achète la terre des Billets qui vient d'être cédée au chapitre
et, en 1682, y construit sa maison, un peu à l'écart de Samoëns. Il vit alors large¬
ment, en grand seigneur libre de ses faits et gestes. Lorsqu'il paraît en public, il ne
craint pas de se faire remarquer, portant — ainsi que le décrit un texte de l'époque
— «la croix d'or sur sa robbe pendante sur son estomac, et aussy le manteau bleu
sur les épaules, par les foires et par les marchés, et le rochet ou surpelit à manches
serres quand il est aux offices». Cette croix d'or est peut-être celle qui brille sur sa
poitrine lorsqu'il se dresse face à l'orage pour lui imposer sa loi (récit n° 10).
Autour de la forte personnalité du Doyen qui heurte par sa violence et scanda¬
lise par sa liberté, se forme peu à peu une opposition qui éclate au grand jour en
1685 avec une «enquête sur la conduite de Pierre Dusaugey, doyen de la collégiale
de Samoëns». Les dépositions des chanoines et de divers témoins s'accumulent et
se recoupent. Le Doyen est accusé de se faire remarquer par l'extravagance de sa
tenue, telle qu'elle est décrite plus haut ; de mener, dans sa maison des Billets, li¬
bre vie avec ses servantes qui, affirme-t-on, en sortent parfois «grosses d'enfant» ;
d'avoir été capable de s'emporter contre tel adversaire jusqu'à le frapper de «di¬
vers coups de baston et de le laisser comme mort sur la place» ; de détenir «des ar¬
mes à feu au lieu où il habite, et quand il vat en campagne, il en porte aussy à l'ars-
son de sa selle»... On trouve diverses irrégularités dans l'exercice de son ministère.
Par contre, deux ans plus tard, les mêmes chanoines signent un certificat élogieux
pour leur doyen (45).

(42))Jbid„
(41 Alpage,
p. sur
162.la commune de Samoëns.
(43) En réalité le torrent de Valentine n'est pas situé à cet endroit, mais entre Samoëns et Verchaix.
(44) Adolphe MANIGUET, Histoire de la commune de Morillon, ms,, 9e cahier, 1925, Archives de
l'Académie Florimontane, Annecy. La suite de ce texte évoque les légendes qui courent sur le Doyen
(doc. n° 9). Quant aux documents rassemblés par M. Riondel, ils ne sont pas accessibles actuellement.
(45) Jean NICOLAS, dans La Savoie au 18e siècle (t. 1, Paris, Maloine, 1978, p. 534) analyse ainsi
ces dissensions villageoises : «Les ascensions trop rapides, qui modifiaient brutalement l'image que la
société se faisait de chacun d'après sa situation antérieure et ses antécédents familiaux, déclenchaient
une sorte de scandale et provoquaient l'animosité du milieu à l'égard du parvenu dont l'enrichissement
apparaissait suspect». Evoquant le cas du doyen Dusaugey à Samoëns, il note : «Revanche fantasmati¬
que du populaire : sur le "mauvais riche" la rumeur faisait planer des ombres diaboliques, sorcellerie et
sortilèges».

PREMIER TRIMESTRE 1986


Le reste de sa vie reste jalonné de procès, chicanes et arbitrages. Agé et mala¬
de, il est remplacé comme doyen en 1716, et il meurt le 15 mars 1717, à 81 ans.

Nous n'avons pu que tenter de cerner la vie et l'oeuvre de Pierre Dusaugey, en


suivant des auteurs influencés par la légende du Doyen. Il serait intéressant de re¬
prendre la biographie de ce personnage à partir des documents originaux, tâche
longue et difficile, mais qui contribuerait à éclaircir l'influence du clergé, au moins
de certaines personnalités exceptionnelles, sur la société rurale d'Ancien Régime.
Mais dans la perspective qui est ici la nôtre, c'est la manière dont il a été perçu par
ses compatriotes qu'il nous importerait avant tout de connaître. Peut-être y trouve¬
rait-on la principale explication à la persistance du souvenir mythifié du Doyen. En¬
fant du pays mais formé dans d'autres milieux que le sien, c'est un inconnu que ses
compatriotes découvrent lorsqu'il revient parmi eux comme doyen de leur collégia¬
le. Par la liberté, l'autorité, la culture qu'il a acquises et qui le placent hors des nor¬
mes locales, voire générales, il choque et soulève des passions. Sans doute a-t-il
prêté le flanc à la réputation qui est devenue la sienne, mais peut-être — pourquoi
pas — l'a-t-il aussi cultivée. Quoi qu'il en soit, on admire son éclat, on hait son pou¬
voir, on s'étonne de ses faits et gestes... Peut -on imaginer mieux, dès lors, que ce
personnage pour servir de support aux croyances fantastiques qui hantent les es¬
prits, et ne demandent qu'à s'incarner pour se perpétuer ?

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN 117


INFORMATEURS ET AUTRES SOURCES

SOURCES ORALES

Enquêtes C. Joisten
Samoëns, Sous-le-Crêt : M. Léon D., 89 ans, cuit., VIII. 64 (n° 1.2 ; 2. 7).
Sixt, Salvagny : Homme anonyme, VIII. 64 (n° 2. 10 ; 8).
Les Curtets : M. Louis B., 66 ans, VIII. 64. Revu en 1977 avec C. Abry (n° 1. 7 ; 2.1).
Enquêtes C. Abry (1976-77), C. et D. Abry (1985)
Samoëns, chef-lieu : Inf. n° 1 : M. Gabriel L., 72 ans, originaire des Allamands, II. 85
(n° 1.6 ; 2.2). Inf. n° 2 : M. André P., 55 ans env., II. 85 (n°1.5 ; 2.9). Inf. n° 3 : M.
Eugène M., 60 ans env., II. 85 (n° 1.4).
Vallon : M. Emile G., 60 ans env., I. 77 (n° 2.8).
Le Petit Saix, Vercland : Mme Hortense D., 76ans, II. 85 (n° 1.3 ; 2.3).
Sixt. LeFay : Inf. n° 1 : M. Baptiste J., 63 ans, cuit., II. 76 (n° 2.6). Inf. n° 2 : M. Ale¬
xandre D., 55 ans, cuit. -menuisier, II. 76 (n° 2.5 ; 5). C. Joisten participait à ces en¬
tretiens.
La Chapelle : M. Ernest R., 54 ans, cuit. 1.77 (n° 1.1 ; 2.4. ; 6 ; 7). Ces trois témoins
tiennent leurs informations de M. Claude-Joseph D., né en 1877, qui possédait une
«grange» en Porte, au lieu-dit la Doy'm-na, où se passe l'histoire du foin rentré magi¬
quement. C.-J. D. est le beau-père d'Alexandre D. (second mari de sa mère).
Les Curtets : M. Louis B., 79 ans, I. 77 {n° 1.7 ; 2.1). M. Louis B. est l'oncle de M.
Baptiste J., voir ci-dessus.
SO URCES MANUSCRITES
BAUD (John), Révérend Messire Pierre Du Saugey, 1636-1717, Protonotaire-Apostoli¬
que, Chapelain de Port-Royal des Champs, Docteur en Sorbonne, Prieur de Saint-
Martin d Aime, Doyen du chapitre de la Collégiale de Samoëns, Auditeur-Général
du Prince-Abbé dom Antoine de Savoie. Copie de documents concernant ce prélat.
S. d. [1947], env. 230p. (n° 10).
MANIGUET (Adolphe), Histoire de la commune de Morillon, 9e cahier, 1925, Archives de
l'Académie Florimontane, Annecy (n° 2.11 ; 9).
SO URCES IMPRIMÉES

TAVERNIER (Hippolyte), Histoire de Samoëns, Société Savoisienne d'Histoire et d'Ar¬


chéologie, t. XXXI, 1982 ; nouvelle éd., Taninges, impr. Lison, 1976. C'est à cette
édition que nous renvoyons (n° 3).
RENNARD (Abbé J.), Histoire du Mont-Saxonnex des origines à 1815, Annecy, 1927
0 n° 4).

PREMIER TRIMESTRE 1986


Le Pape des Aix

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(2) Sur le recrutement de cette armée, cf. Paul GUICHONNET, «Les mémoires d'un soldat du pa¬
pe», Rassegna Storica del Risorgimento, Anno XLI, fasc. 1, Gennaio-Marzo 1954, Istituto poligrafico
dello Stato, tiré à part, 15 p. ; il s'agit d'un témoignage rédigé en 1862 par l'ex-fourrier pontifical Jules
Bosonnet, originaire de Taninges, en Haute-Savoie :
«Pendant les douze années qui précédèrent celle de 1860 et une partie de cette dernière, de nom¬
breux émissaires envoyés par le cardinal Antonelli, ministre des Armes et président du Conseil des mi¬
nistres de la Cour de Rome, étaient répandus dans diverses contrées de la France, de la Savoie, de la
Suisse et d'autres états, ayant pour mission de recruter des volontaires pour le service du Saint-Siège.
Afin de s'acquitter dignement de cette mission, pour laquelle il leur était alloué une prime de 10 à
35 francs par homme suivant les ressources que leur présentaient les localités auxquelles ils étaient af-

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Cependant — et ce télescopage d'événements historiques ne pourra surpren¬
dre que si l'on méconnaît l 'intemporalité des faits légendaires — , c'est au temps de
Napoléon 1er qu'une autre informatrice fait remonter l'existence de ce «soldat du
pape» ( récit n° 2) (3). Elle lie son retour au pays à un épisode de la petite histoire
napoléonienne, vu à travers le prisme déformant de la légende : comme le pape
Pie VII refusait de lui accorder le divorce avec Joséphine, Napoléon aurait levé la
main sur le Saint-Père pour le gifler, sans toutefois aller jusqu'au bout de son geste
(4). Cependant, en guise de représailles, il aurait retiré de l'armée du Vatican six
cents de ses hommes — dont notre Morel — et, ajoute l'informatrice sans tenir
compte
dats en Russie
du décalage
! » chronologique, «le même jour Napoléon perdit 6 000 de ses sol¬

Quoi qu'il en soit, le fait d'avoir approché le pape auréole cet homme de presti¬
ge, prestige qu'il cultive peut-être. On dit qu'il a rapporté du Vatican des livres de
sciences occultes ( récit n° 1) (5). C'est donc à son plus haut niveau que la religion
se trouve ici associée à la magie. L'ensemble des documents montre que le Pape
des Aix entretient de curieux rapports avec le pape, qu'il va voir en se transportant
magiquement à Rome (récits n° 4, 5.1 et 5.2), avec qui il converse (n° 5.2) ; mais il
est aussi en relation avec le diable à qui il s'est lié par un pacte (n° 5.3, 7.3) ainsi
qu'avec ses suppôts (n° 3, 5.1). On retient surtout, de lui, son pouvoir de se dépla¬
cer magiquement (n° 4, 5.1 à 4), et son don de prophétie (n° 6.1 à 4).
Le terme, surprenant, de cette existence est une mort volontaire par le feu, en¬
visagée non comme suicide mais comme acte purificateur. «Celui qui brûle dans ce

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PREMIER TRIMESTRE 1986


«Convoi d'enrôlés suisses destinés à l'armee du pape au passage du Finstermunz dans le Tyrol. - Dessin
envoyé par M. Jundt. » Gravure de L'Illustration, 1860, 1. 1, p. 117 (cf. note 2).

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


monde ne brûle pas dans l'autre», dit le magicien avant de mettre le feu à sa mai¬
son (n° 7.2 et 7.3) (6).

Le cycle du Pape des Aix apparaît, au total, assez pauvre en éléments qui pour¬
raient donner à la personnalité du magicien une certaine consistance. De ce fait,
l'homme reste énigmatique, presque abstrait, distant parmi ses compatriotes —
alors qu'une familiarité bonhomme règne souvent dans les autres cycles. Cela
tient-il à sa personnalité réelle, ou à l'effacement des souvenirs qu'on a de lui, dans
lesquels se seraient estompés davantage qu'ailleurs les détails susceptibles de don¬
ner plus de vie aux récits ? Là-dessus, il est bien impossible maintenant de se pro¬
noncer.

PERSONNALITÉ DU PAPE DES AIX

Le Pape des Aix «soldat du pape»

1 — «Le Pape des Aix était un Morel. Il devait son surnom au fait qu'il avait servi
dans l'armée du pape : il avait été soldat du pape. Il avait été choisi parmi les re¬
crues
de l'Etat
de Savoie
Sarde. qui allaient faire sept ans de service militaire (7) en Italie, au temps

Il avait ramené des livres de sciences occultes du Vatican, quand il avait fini
son temps, au bout de sept ans» {...Suite au n° 6.1. Vailly, chef-lieu).

Mais selon le document suivant, son retour au pays est lié à un épisode légen¬
daire, ou semi-légendaire de la petite histoire napoléonienne :

2 — «On l'appelait vvle Pape" parce que c'était un vvsoldat du pape".


Quand Napoléon demanda son divorce au pape d'avec sa première femme, le
pape [le] lui refusa. Napoléon leva la main comme pour le gifler, mais ne le fit pas.
Par représailles [vis-à-vis du refus du pape], Napoléon retira de la garde du pape
ses 600 soldats, dont faisait partie le Pape des Aix. Le jour même, Napoléon perdit
6 000 de ses soldats en Russie» ( Vailly , Le Lavouet, inf. n° 2).

LE PAPE
ET DES
SES AIX,
SUPPÔTS
LE DIABLE

On sait déjà que le Pape des Aix a ramené de Rome des livres de magie ; dans
certains récits, ses rapports avec le démon sont clairement évoqués : «Il avait pac¬
tisé avec le diable [...]» (cf. n° 5.3). «Il avait conclu un pacte avec le diable en si¬
gnant un document avec son sang [...]» (cf. n° 6.2). «On pensait qu'il avait fait un
pacte avec le diable [...]» (cf. n° 7.3).
D'autres affirment qu'il a partie liée avec les suppôts du diable :

le feu
du de(6)ettravailler
Cf.
né àlenouveau.
conte-type
le dimanche
On788
lit dans
de
; tulaviens
classification
une version
de fairenivernaise
un
internationale
péché. : Tu
«Jean,
seras
Aarne-Thompson,
dit
puni.
le Sauveur,
Le feu seul
Ltu'homme
sais
peutqu'il
teconsumé
purifier
est défen¬
par
: il
faut que tu sois brûlé» (M.-L. TENÈZE, Le conte populaire français, t. IV, vol. 1, Paris, Maisonneuve et
Larose,
(7) Selon
1985, p.
le numéro
232). tiré au sort lors de la conscription, la durée du service militaire pouvait effecti¬
vement atteindre sept ans.

PREMIER TRIMESTRE 1986


LMloliill..-i,l-ih.ili'h-l'fc i. U.MpI. PU'*M. - D'u . .t. ,i. V. . , .
';«•}« fufastoie suisse. Ut>W». {offiutr). CiiiJMttr».
milil&irt, U«ad*ra>erit à pied» iieud* raient: i\ «lié*»!, Orapeaim

Gravure de L'Illustration, 1860, 1. 1, p. 252.

3 — «Il faisait partie de la sète» (V ailly, Les Charges, inf. n° 1).

«[Il] était franc-maçon [...]» {cf. n° 5.1).

On a vu plus haut (8) que, dans les récits légendaires alpestres, la franc-ma¬
çonnerie est une sorte d'assemblée de sorciers. En Chablais elle est aussi appelée
la sète (var. : chatte, chette) (9). Voici la description que donne de cette dernière
notre informateur n° 1 du hameau des Charges à Vailly :
«La sèta [était une] société secrète, magique, dont les membres se rendaient
invisibles. Cette société se montait [= se rendait] en Suisse, vers Vinzel, Mons,
Luins, Bursin (10). Ma mère [qui s'y trouvait aux effeuilles ] a entendu passer la sè¬
ta. Ils étaient en bande de quatre ou cinq, qui parlaient au-dessus d'elle. Ça se dé¬
plaçait comme un nuage dans l'air, on parlait dans toutes les langues mais on ne
pouvait comprendre ce qu'ils disaient, elle entendait crier comme des corbeaux».
Et, selon notre informateur de Lullin, «La sèta, c'était le départ [l'origine] de
la flanmaçonnerie [...]».

(8) De
(9) Cf. «secte».
cycle de Saoussa (récit n° 72 et note 80).
(10) Localités du canton de Vaud, en Suisse. Les femmes du Chablais s'y rendaient pour les effeuil¬
les. travail consistant à effeuiller la vigne.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


POUVOIRS SURNATURELS
DU PAPE DES AIX

La maîtrise de l'espace

4 — «Le Pape des Aix allait à Rome pendant que ses choux cuisaient» ( Vailly , Les
Charges , inf. n° 1).

«Mets ton pied sur le mien» (11)

5.1 — «Le Pape des Aix, qui était franc-maçon, voyageait à la vitesse de l'esprit
(12) ; pendant que son dîner cuisait, il allait à Rome. A quelqu'un qui voulait aller à
Rome, il dit :
— Mets ton pied sur le mien et on ira à Rome !
Il le fit, et pendant que le dîner cuisait, ils furent à Rome et de retour». ( Vailly ,
Les Charges, inf. n° 2).

5.2 — «Il mettait le pied sur une pierre, aux Aix, en y laissant son empreinte, et il
se trouvait à Rome où il allait trouver le pape.
Quand on le questionnait sur ce qu'il faisait chez le pape, il répondait :
— Quelquefois je lui parle, quelquefois je ne lui parle pas.
Il disait aux gens :
— Mettez voir votre pied sur le mien, et on ira à Rome ensemble !
Mais personne n'avait voulu accepter.
[...] «Il allait à Rome tandis que ses pommes de terre cuisaient» ( Vailly , Le La-
vouet, inf. n° 1).

5.3 — «Il avait pactisé avec le diable. Un de ses voisins, qui avait sa bonne amie qui
travaillait en Suisse, se trouvait bien ennuyé qu'elle reste si longtemps [absente].
Alors le Pape des Aix lui proposa :
— Si tu veux la voir, mets ton pied sur le mien ; et nous pourrons la voir dans
peu de temps.
Mais son compagnon n'osa pas partir avec lui». ( Vailly , Le Lavouet, inf. n° 2).

5.4 — «Il avait ramené des livres de sciences occultes du Vatican, quand il avait fini
son temps, au bout de sept ans. Grâce à ces livres, il pouvait se déplacer à la vitesse
de la pensée et, du sommet de la montagne [alpage] de la Buchille (13) — Morel s'y
trouvait avec un de ses amis qui désirait aller voir sa maîtresse qui était à la monta¬
gne de Très-le-Mont (14) — , Morel lui dit :
— Mets ton pied sur le mien et je t'emmène !
A l'instant, ils se sont trouvés près de la maîtresse» ( Vailly , chef-lieu).

Les prédictions du Pape des Aix (15)

6.1 — «Le Pape des Aix, il était un peu prophète. Il disait que le XXe siècle serait le
siècle rouge (en patois : le siècle rossalé, diminutif de rossé, roux)».

(11) Cf.
(12)
(13)
(14)
(15) 1 443cycle
Com. m
ded'alt.,
Lullin.
de Saoussa
Duvallon.
com. de
((récits
récits
Vailly.
n° 67
59.1età68).
13).

PREMIER TRIMESTRE 1986


Il avait prédit :
— que les gens «se mangeraient entre eux» ;
— qu'ils voleraient ;
— que les voitures «marcheraient sans chevaux» ;
— que le ruisseau du Jaland (affluent du Brevon) rattrapperait l'eau de la Fol-
laz (autre affluent du Brevon) au lieu-dit les Botires (ou Botières).
Comme preuve de la justesse de ces prédictions, l'informateur cite les deux
guerres, de 1914-1918 et de 1939-1945, les avions, les automobiles. Et selon lui, la
dernière se serait réalisée si des travaux d'endiguement n'avaient pas été effectués
sur le Jaland par les Eaux et Forêts ( Vailly , chef-lieu ).

Trois autres informateurs font état de ces mêmes prédictions, parfois fragmen-
tairement, mais sans variation notable :

6.2 — «Le Pape des Aix était de Vailly. Il avait conclu un pacte avec le diable en si¬
gnant un document avec son sang. Grâce à ce pacte, il avait prédit un certain nom¬
bre de choses». (Suivent les mêmes prédictions, avec mention du siècle rossé, «siè¬
cle où tout changerait», l'époque actuelle) (Lullin, La Grange des Bois).

6.3 — «Le Pape des Aix avait prédit que le ruisseau du Jaland rejoindrait la Follaz
en traversant les Botières ; prédiction qui s'est presque réalisée.
[...] Il avait prédit que les hommes voleraient et que les voitures marcheraient
toutes seules» ( Vailly , La Côte).

6.4 — «Le Pape des Aix avait prédit la venue du siècle rossé, durant lequel les gens
voleraient, iraient dans l'eau et [où] les gens se mangeraient entre eux» ( Vailly , Le
Lavouet, inf. n° 2).

LA MORT DU PAPE DES AIX

7.1 — «On dit qu'il mourut brûlé dans sa maison» ( Vailly , La Côte).

7.2 — «Puis un beau jour, le feu s'est mis dans sa maison, et on n'a jamais su la fin
qu'il avait fait. Sa maison avait brûlé sans causer de dégâts aux maisons voisines
(16).
[...] Le Pape des Aix avait dit, avant de mettre le feu à sa maison et de mourir
carbonisé (il s'était fait brûler lui-même) :
— Quand je serai brûlé dans ce monde, je ne brûlerai pas dans l'autre» ( Vailly ,
Le Lavouet, inf. n° 1).

7.3 — «Il s'était fait brûler dans sa maison en disant :


— Celui qui brûle dans ce monde ne brûle pas dans l'autre.
On pensait qu'il avait fait un pacte avec le diable. Se sentant abandonné de
Dieu, il s'était fait brûler» ( Vailly , chef-lieu).

(16) Cf. cycle de Moundou (récit n° 3).

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN 125


INFORMATEURS

Enquêtes C. Joisten
Vailly, chef-lieu : M.N.L., 55 ans, employé des Ponts et chaussées, VIII. 65 (n° 1 ; 5.4
6.1 ; 7.3).
La Côte : M.A.C., 67 ans, VIII. 65 (n° 6.3 ; 7.1).
Les Charges : Inf. n° 1, M.F.D., 61 ans, VIII. 65 (n° 3 ; 4). Inf. n° 2 : femme anony
me, VII. 65 (n° 5.3).
Le Lavouet : Inf. n° 1 : Mme Vve C.C., 80 ans, VIII. 65 (n° 5.1) ; 7.2). Inf. n° 2
Mme J. M.-V., 68 ans, cuit., VIII. 65 (n° 2 ; 5.2 ; 6.4).
Lullin, La Grange-des-Bois : M.F.D., 73 ans, V. 65 (n° 6.2).

PREMIER TRIMESTRE 1986


Annexe

Notes comparatives

des Saoussa.
gional
parfois
est
tant
nés notes
que
Pour
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même
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d'infimes
comparatives
ces
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Nous
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général,
début
dans
habitude,
ne de
en
seront
aurédaction
lesn'appor¬
plan
Alpes),
prévu
don¬
ré¬

SAOUSSA

PORTRAIT ET COMPORTEMENT
Les serpents dans la chemise («° 2)
«On croit en Haute-Bretagne que si une femme parvenait à apprivoiser le vert-creux,
grand lézard qui ne peut souffrir les personnes de son sexe, elle verrait, quand elle le por¬
terait dans son corsage, ce qui se fait ou ce qui se dit à dix lieues à la ronde, elle aurait le
don d'ubiquité et pourrait guérir toutes les maladies» (1).
SAOUSSA GUÉRISSEUR
Les herbes de la Saint-Jean (n° 13 à 15)
La cueillette des herbes de la Saint-Jean dans les Hautes-Alpes est décrite par Van
Gennep (2), qui consacre à ce sujet une étude plus générale dans son Manuel (3).
Les serpents de moins de sept ans (n° 22)
Selon Van Gennep (4), «A Sigoyer, c'était une femme qui les attrapait [les vipères] ;
elle savait guérir leur morsure, mais à condition que les vipères n'eussent pas plus de
sept ans».
La bétoine (n° 1 et 27)
Sur le rôle de cette plante dans la médecine populaire, voir Rolland (5) qui dit, entre
autres : «Le moyen âge attribue 46 ou 47 propriétés à la bétoine. — Elle est sternutatoi-
re» ; et, citant Chabert pour la Savoie (6) : «La bétoine, Betonica ojficinalis, est encore en
vogue dans certaines campagnes pour une mauvaise plaisanterie regardée comme fort
spirituelle,
ments. Il enetrésulte
consistant
de violentes
à en faire
nausées
cuire suivies
la racinedefraîche
vomissements».
dans le potage ou avec les ali¬

(2) Folklore
(1) Paul SÉBILLOT,
Hantes-Alpes,
Le folklore
1. 1, pp.
de France,
245-247.t. III, Paris, 1906, p. 282.
(3) Manuel de folklore français contemporain, 1. 1, vol. IV, Paris, Picard, 1949, pp. 1963-2002.
(4) Folklore Hautes-Alpes, t. II, pp. 105-106.
(5) Eugène ROLLAND, Flore populaire..., t. VIII, Paris, 1910, rééd. Maisonneuve et Larose, 1967, pp. 206-208.
(6) Alfred CHABERT, De l'emploi populaire des plantes sauvages en Savoie, Chambéry , 1897, p. 40.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


POUVOIRS SURNATURELS DE SAOUSSA

MA GIE ET SORCELLERIE
Pouvoir sur les personnes
Les techniques employées par Saoussa pour jeter et enlever les sorts (attouchement,
don d'un morceau de nourriture, hypnose à distance...) sont de type courant et se retou-
vent partout.
L offre de la prise de tabac (n° 36 et 74)

la Savoie
On retrouve
et du Valais.
ce motif dans un certain nombre de récits légendaires du Dauphiné, de

A Saint-Jacques-en-Valgaudemar (Hautes-Alpes), l'arroseur communal, qui était


fort priseur, rencontra un homme qui lui dit : «C'est toi qui me payes la prise ou c'est moi
qui te la paye ?» L'arroseur offre une prise à l'inconnu qui la lui refuse en disant : «Fais
ton chemin». L'homme se douta qu'il avait eu affaire au diable et que son geste lui avait
évité une correction de la part de celui-ci {Doc. inédit, V. 61).
Dans une légende recueillie par Yvonne Sévoz à Villard-Reculas (Oisans, Isère), lé¬
gende rapportée par Van Gennep (7), un homme du Villard surnommé Barbapoux, qui
était allé cueillir du génépy, fut surpris par la nuit et se réfugia dans un chalet où il allu¬
ma du feu. Un homme de grande taille entra alors et lui offrit une prise de tabac mais
Barbapoux refusa et le géant lui dit : «Tu as bien fait de refuser, si tu avais pris le tabac
de ma tabatière, je te fourrais dans la marmite» .
En Savoie, il y a une centaine d'années, un habitant de Montendry, qui fréquentait
la soeur du curé, accepta de ce dernier une prise de tabac et fut, depuis ce moment, pos¬
sédé du démon. Cet homme souffrait tellement sous l'emprise de la possession, que tous
les curés de l'archiprêtré se réunirent à Chamoux et obligèrent leur confrère de Monten¬
dry de délivrer le malheureux en lui sortant le démon de dessous les ongles, puisque c'est
en acceptant une prise de tabac qu'il avait été possédé. Et notre informateur, M. L. G.,
70 ans, de Champ-Laurent, de conclure : «Il paraît que ces hommes-là, si on ne prend
rien d'eux, ils ne peuvent rien contre vous». (Doc. inédit, XI. 64).
Dans une légende des environs de Martigny (Valais, Suisse), un chercheur de trésor
qui est en train de fouiller des ruines, entend soudain une voix qui lui demande : «Veux-
tu une prise de tabac ?», tandis qu'un bras lui tend une énorme tabatière en argent.
L'homme accepte, aspire le tabac ; il éternue, sous le regard d'un gros lézard. Le chat
noir dont il s'était muni disparaît, ce qui l'oblige à renoncer à son entreprise. Le lende¬
main, l'homme est retrouvé mort (8).
On peut citer encore un récit breton recueilli par Sébillot (9) : Un sorcier qui veille un
malade se met à lire dans un livre de magie ; des «messieurs habillés de rouge» font ir¬
ruption dans la maison ; l'un d'eux présente sa tabatière au malade et l'invite à y prendre
une prise. Le malade, qui sait que son garde est sorcier, refuse le tabac et fait le signe de
la croix ; les messieurs disparaissent aussitôt.
L'idée fondamentale développée dans ce thème est que le personnage diabolique
peut s'aliéner un humain s'il réussit à lui faire accepter son offre. A cet égard, la version
savoyarde est significative.
Les actions imposées (n° 39 à 41)
Aux tâches incongrues infligées par Saoussa à ses ennemis (effectuer chaque matin
le tour d'une montagne, aller faire chaque matin ses besoins sur une montagne), on peut

(7) J.Folklore
(8)
(9) P. JEGERLEHNER,
SÉBILLOT,
Isère, Contes
t. II, p.Sagen
populaires
515. ans dem
de Haute-Bretagne,
Unterwallis, Bâle,Paris,
1909, 1880,
p. 73-74.
pp. 28S-289.

PREMIER TRIMESTRE 1986


comparer celle-ci : Une jeune fille de La Sauge (com. de Velanne, Isère), qu'on avait
«hypnotisée», charriait sans arrêt de l'eau dans un panier et la versait (sic) sur un tas de
fumier, en dépit des efforts de sa mère pour l'en empêcher (Doc. inédit, Velanne, X.59).
La proposition de Saoussa consistant à faire danser des jeunes filles nues rappelle le
pouvoir d'un sorcier de Freissinières (Briançonnais, Hautes-Alpes), vallée qui était enco¬
re, dans les années 60, profondément marquée par les croyances à la sorcellerie et à la
magie : Un sorcier propose à une personne de lui lui faire voir toutes nues un groupe de
danseuses ou de lui montrer le diable en train de faire manoeuvrer ses soldats, mais sa¬
gement la personne refuse {M. D. G., Les Roberts, com. de Freissinières, IV. 62) (10).
Pouvoir sur les animaux

L 'herbe qui déferre (n° 46)


La croyance à une herbe qui déferre, ou qui coupe le fer est attestée, selon Sébillot
(11) assez anciennement (XIVe et XVIe siècles) et dans maintes régions de France, en Sa¬
voie notamment (12).
Au XVIIIe siècle, un prêtre du Briançonnais, le curé Albert parle de cette herbe dans
son Histoire du Diocèse d'Embrun (13) : «Il y a encore une sorte d'herbe sur ces monta¬
gnes [l'auteur vient de citer celles de Boscodon, des Orres et de Seyne] qui a la propriété
d'arracher le fer. Les chevaux et les mulets qui viennent d'être ferrés à neuf y perdent
leurs fers lorsqu'ils y passent dessus. On dit que le piver se sert de cette herbe pour arra¬
cher les clous d'une grille de fer, qu'on auroit mis pour boucher l'entrée du nid de ses pe¬
tits. Si cette plante étoit connue, les voleurs ne manqueroient pas de s'en servir pour ar¬
racher les serrures et les pentures des portes, des maisons, où ils auroient envie d'exer¬
cer leur funeste talent ; mais je ne crois pas que personne la connoisse, et c'est un bon¬
heur pour la société qu'on ne la connoisse pas».
Cette herbe magique figure dans le petit nombre de celles qui ont été signalées à
Van Gennep en Isère (14) : à La Mure elle est appelée herbe aux sorciers et on lui attribue
le pouvoir de déferrer chevaux et mulets qui marchent dessus. A La Salle-en-Beaumont
elle a la réputation de fleurir et défleurir la même nuit, et d'arracher les clous des souliers
de ceux qui posent le pied dessus.
Les boeufs dans le râtelier (n° 48)
Les boeufs transportés magiquement de l'écurie au râtelier (variantes : à la fenière
ou sur le toit) est un phénomène fréquent qu'on attribue aux sorciers ou aux esprits do¬
mestiques (matagot , follet, servan. . . ) dans le folklore dauphinois et savoyard.
L 'appétit ôté aux boeufs (n° 50. 1)
Sur les propriétés de la graisse de blaireau et sur son utilisation populaire, on consul¬
tera Sébillot (15) et Rolland (16), mais aucun des documents cités par ces derniers n'attri¬
bue cet effet précis à cette graisse.
Comment lutter contre les sorts

Les clous bouillis dans du vinaigre, qui ont le don de «contrarier» Saoussa (n° 54),
sont une des formes d'un contre-sort connu dans toutes les Alpes françaises où nous en
avons noté de nombreuses variantes : épingles, clous rouillés, clous volés, clous neufs
qui, bouillis dans un «toupin» (pot en terre), piquent le sorcier.

Bull,sous
tion (10)
(11)
(12)
(13)
(14)
(15)
(16)
de laOp.
LefSoc.
A.
Histoire
forme
Folklore
folklore
CHABERT,
C.cit.,d'Etudes
JOISTEN,
dactylographiée
naturelle,
t.Isère,
m,
VII,
de France,
pp.
p.t.op.
desII,«Croyances
112.
46ecclésiastique
cit.,
p.Hantes-Alpes.
ett.453.
hors
p.III,77.commerce
51. pp.au 468-469.
diable
et civile
paret duàl'Association
laDiocèse
sorcellerie
d'Embrun
desdans
Haut-
la[parvallée
Alpins
le curé
dede Toulon
Freissinières»,
ALBERT],et duparue
Var,à paraître
en 17831. 1,dans
1959, réédi¬
p. 13.le
;

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Pilot de Thorey (17), qui décrit ce procédé sans le localiser, mentionne le vinaigre,
comme notre document : «L'ignorance des temps n'accréditait pas moins des moyens de
reconnaître sûrement un sorcier. Un de ces moyens le plus employé était de faire bouillir
une poule noire dans un pot de terre neuf, avec du fort vinaigre et des clous neufs qu'on
devait avoir volés : on attribuait à cette préparation la vertu puissante d'attirer le sorcier
dont on avait à se plaindre ; malheur à celui qui, le premier, se rendait dans une maison
où se souliers
vieux faisait l'infernal
brûlés». apprêt. Dans quelques lieux, on remplaçait la poule noire par de

Van Gennep, citant ce texte, en donne plusieurs variantes iséroises et haut-alpines


recueillies
récit suivantpar: lui (18). Cf. également nos documents personnels inédits, dont est tiré le

A Puy-le-Bas, hameau de la commune de Frêney-d'Oisans (Isère), voici comment on


doit s'y prendre pour attirer le sorcier : il faut boucher toutes les ouvertures de la maison,
fermer la porte à clef, mettre des clous de mulet neufs sans les compter, ainsi qu'un
demi-litre d'huile dans un «tupin», faire bouillir le tout et attendre, muni d'un bon bâton,
que le sorcier entre par le trou de la serrure. Quand le sorcier arrive, il cherche à renver¬
ser le pot bouillant qui le fait souffrir ; il faut chercher à l'en empêcher, car s'il y réussit,
le contre-sort devient sans effet. L'informateur, M.R.R., qui avait quatre-vingts ans au
moment de l'enquête, employa plus d'une fois ce procédé contre une prétendue sorcière
de Puy-le-Bas qui, selon lui, l'importunait. Malheureusement, le «tupin» étant fêlé,
l'opération échoua. Depuis, une voisine fit don à cet homme de deux «tupins» neufs dont,
à ce jour, il n'a pas encore eu à se servir ! (Doc. inédit, Puy-le-Bas, com. de Frêney-d 'Oi¬
sans. VIII. 59).

AUTRES POUVOIRS
Le transport magique : «Mets ton pied sur le mien» ( n° 59.1 à 13).
Voir aussi le Pape des Aix {n° 5.1 à 4)
Le thème le plus curieux de ce chapitre est, à notre sens, celui du Transport magique
par contact du pied, thème qui illustre l'idée plus générale du Contact avec un personna¬
ge sacré, qui permet de voir le monde surnaturel.
Deux versions haut-alpines de ce thème ne mentionnent pas le nom de Saoussa,
mais il est probable qu'elles se rattachent à son cycle.
D'après Van Gennep (19), à Sigoyer, «jadis il y avait, paraît-il, des sorciers ou em-
barnaïrès. [...] Un embarnaïré dit à une autre personne : mets ton pied sur le mien et tu
verras que nous serons vite à Saint-Bonnet ; et ils y furent instantanément».
«Un jour que ceux de Manteyer allaient à la vogue [fête patronale] de Sigoyer, ils ar¬
rivèrent à un torrent tellement grossi par les pluies qu'ils ne purent le traverser. En ce
temps-là il n'y avait pas encore de pont. Ils allaient s'en retourner quand l'un d'eux dit :
"Mettez votre pied sur le mien". Ce qu'ils firent, et à l'instant ils se trouvèrent transpor¬
tés sur l'autre rive. C'était le diable qui les avait aidés» (Doc. inédit, M.L., 74 ans, Man¬
teyer, VI. 51).
L'attestation la plus ancienne de ce thème se trouve, à notre connaissance, dans la
vie de saint Hugues de Bonnevaux, de l'ordre de Cîteaux, qui vivait au XIIe siècle en Dau-
phiné. Ce texte, publié par le R. P. M. Anselme Dimier, moine de Tamié (20), est repro¬
duit par G. de Manteyer dans Les dieux des Alpes de Ligurie (21) :

duit1882|.
cle enle(21
(17)Savoie
(18)
(19)
(20)texte
pp.
) Op.
J.-.I.-A.
Folklore
Saint
75-76.
deetcit.,Hugues
laenVita
PILOT
p.Isère,
Hautes-Alpes,
Dauphiné».
83.Beate
deVoir
t.DEII,Bonnevaux,
THOREY.
Hugonis
pp.Let.470-472
aussi Monde
C.II. JOISTEN.
tirée
p.par
Usages,
90.Alpin
enFolklore
un 1755
Moine
etfêtes
«Quelques
Rhodanien,
d'un
Hautes-Alpes,
etderecueil
coutumes
Tamié
attestations
n°de(Savoie),
1/1974,
existant
vies
t. II,dede
pp.Grenoble,
pp.
saints
ou
récits
92-93.
1ayant
19-130.
écrit
légendaires
existé
1941,
au XIII'
pp.
en antérieures
Dauphiné,
siècle.
306-307 ; l'auteur
Grenoble,
au XVIII*repro¬
t.siè¬I.
1

PREMIER TRIMESTRE 1986


«Le saint vient à Peyrins [22] prier devant la porte de l'église, en présence de la fou¬
le, pour l'âme de François de Royans. Son oraison faite il demande aux assistants, heu¬
reux de sa venue, si quelqu'un d'eux a jadis connu François de Royan. Un vieillard s'ap¬
proche et répond que, pendant longtemps, il a été son courrier. Ainsi, le mort a été son
seigneur : il l'a par conséquent bien connu : "regarde, lui dit l'abbé, vers la porte de
l'église, que vois-tu ?" — "Rien, Seigneur, si ce n'est ce que voient tous ceux qui nous
entourent". Alors le saint abbé réplique : "pone pedem tuum super meum", "mets ton
pied sur le mien". Ceci fait, l'homme s'écrie : "ecce, video, Domne, ante portant eccle-
siae dominum Franciscum" , "voilà que je vois, Seigneur, devant la porte de l'église, le
seigneur François". Cet illustre et franc chevalier avait été tué d'un coup de lance par un
chevalier de Charpey [23]. Alors le saint conclut : "en vérité, cela est". Voilà ce que la
bonté divine concédait à celui qui, dans sa vie, plein de dévotion, venait volontiers prier
dans cette église et de ce fait miraculeux se trouve témoin son propre fils le noble Lanbert
François de Royans» (24).
Les traditions alpestres modernes ont conservé le motif du contact du pied dans un
assez grand nombre de récits. Dans les régions montagneuses des Hautes-Alpes, princi¬
palement, nous avons recueilli une série de légendes se rapportant au diable — encore
inédites — qui comportent ce motif et qui peuvent se classer en deux groupes :
1 . Par contact du pied ou autre le curé montre à un de ses paroissiens les démons qui
provoquent un orage de grêle ou le grossissement d'un torrent.
2. Un chasseur qui préfère la chasse à la messe tue chaque dimanche un chamois. Le
curé l'accompagne une fois et lui fait voir, par le même procédé, le diable qui lui présente
un chamois par les cornes.
A Saint-Bueil (Valdaine, Isère), le motif est impliqué dans un contexte quelque peu
différent : La Loyuze, jolie fille de Saint-Bueil, avait reçu des arrhes d'un marchand de
Grenoble chez qui elle devait aller comme domestique ; mais elle changea d'avis, ne se
rendit pas chez son patron et ne restitua pas les arrhes. Pour se venger, ce dernier lui jeta
un sort et elle devint folle, criant sans cesse : «Tuez-moi donc, tuez-moi donc !» Sur les
conseils d'un curé on la conduisit à un carrefour de quatre chemins où un homme très fort
la maintint en pôsant son pied sur le sien, tout en tenant une poule noire ; il vit venir
«quelque chose» sur quoi il jeta la poule. La pauvre fille ne retrouva pas la raison mais fut
calmée (25).
Dans un récit recueilli à Macôt (Tarentaise, Savoie) en juillet 1963, un clerc posant
son pied sur celui du curé de cette paroisse, à l'invitation de ce dernier, voit le bas de la
vallée rempli de morts qui, inlassablement, tentent de réparer les fautes qu'ils ont com¬
mises pendant leur vie {Doc. inédit).
Une légende valaisanne (26) rapporte que le village d'Issert était menacé par les
mauvais esprits et les âmes du purgatoire qui dégarnissaient un gros rocher pour le préci¬
piter sur le village. Un capucin, à qui l'on fit appel pour exorciser la montagne, offrit aux
gens qui le suivaient de leur faire voir les travailleurs invisibles ; il suffisait pour cela que
chacun vienne se placer devant lui, de façon que le talon du villageois touche le bout de
ses sandales. Toutefois le capucin conseilla aux gens de ne pas le faire, car ils auraient pu
voir parmi les esprits un parent, un ami, un voisin trépassé.

Nous citerons pour finir un conte breton de Sébillot (27), qui nous semble avoir une
certaine parenté avec le thème étudié : «Un fermier qui va réclamer un reçu à son sei-

intéresse
dem
sans
du conte-type
(22)
(23)
(24)
(25)
(26)
Oberwallis,
(27)
de folklore,
Peyrins
Charpey
Une
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Contes
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Il s'agit
valai-
nous
ans
:

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


gneur défunt pose le pied sur celui du diable, qui l'enlève jusqu'au ciel, et le dépose dans
une salle où son maître, par une porte entrouverte, lui fait voir les damné" au milieu des
flammes».

Saoussa faiseur de pluie (n° 60 à 62).


Voir aussi Moundou (n° 2. 1 et 2)
La maîtrise des éléments et, en particulier, le pouvoir de provoquer magiquement la
pluie a été de tout temps et en tous pays un des soucis majeurs des hommes. Quelques
exemples prouveront que ce souci n'était pas étranger aux Dauphinois qui ont aussi leurs
«batteurs d'eau». Ceux-ci sont d'ailleurs le plus souvent des tempestaires provoquant
des orages destructeurs de récoltes (28).
Un étranger qui frappait la Biaisse (torrent) avec un bâton en regardant fixement la
montagne fit s'abattre un orage de grêle sur le pays (M. F. B., Les Viollins, com. de Fres-
sinières, IV. 62) (29).
Yvonne Sévoz a recueilli à Villard-Reculas (Isère) l'histoire d'une femme qui provo¬
que une averse de gros grêlons en frappant l'eau avec une baguette (30).
A Valjouffrey il suffisait, pour faire tomber la grêle, de couper un bâton de noisetier
selon certains rites (31).
Le serpent caché dans le fagot (n° 66)
Le motif du «serpent caché dans un fagot» est très probablement un fragment altéré
d'un thème largement répandu dont nous résumons une version recueillie à Valjouffrey
(Isère) en 1960 (32) :
Sur la place du village, un magicien fait voir aux curieux rassemblés autour de lui un
coq qui traîne quatre chevrons. Une femme portant un fagot s'écrie : «Ce ne sont pas
quatre chevrons, ce sont quatre pailles !» Le magicien lui répond : «Madame, vous avez
un serpent dans votre fagot !» On défait le fagot et on trouve une vipère à l'intérieur.
Conclusionelle
tellement de est
l'informatrice
forte ! » : «Vous voyez, la vipère elle empêche la physique [magie]

Divinations agraires et météorologiques (n° 65)


Les divinations de Saoussa, de caractère agraire et météorologique, ont leur équiva¬
lent exact dans quelques récits de croyances dauphinois et savoyards sur les fées, assez
rares à vrai dire. Voici un exemple savoyard :
«Au printemps, à l'époque des semailles, on voyait certains jours, très tôt le matin,
les trois fées du Golet des Fées (Mollard de Vions) qui sortaient de chez elles et qui s'a-
vançant au bord du rocher dominant le village de La Muraille, se mettaient à dire à haute
voix en regardant le ciel : "Aujourd'hui, joli temps pour semer le maïs ! — Aujourd'hui,
joli temps pour semer les haricots ! — Aujourd'hui, joli temps pour planter les pommes
de terre ! " Et ainsi de suite pour tous les légumes, ainsi qu'en automne pour le blé. Tous
ceux qui avaient la chance d'entendre leurs paroles, et qui les mettaient à profit, avaient
d'abondantes récoltes» {Doc. inédit, Mme J. H., 68 ans, pêcheuse professionnelle, La
Muraille, com. de Vions, Savoie. Elle tient cette information de son père, M. J. G. , mort
en 1936 à l'âge de 77 ans, XI. 64).

cusée,
ten,
d'Anthropologie,
1459)»,
pp.
(28)voir
(29)
(30)
(31)
(32) Le
67-71.
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C.Y.
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JOISTEN,
C. une
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(N.D.L.R.).
JOISTEN
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«Magie
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Rhodanien,
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médecine
1913,
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1914,
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op.Grésivaudan
cit.,
enrécits
Dauphiné,
p.op.
66.
71.etcit.
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tradition.
procès
ladauphinoise
tempête
deMélanges
sorcellerie
(Procès
d'Ethnologie
Charles
pard'Avalon,
uneJois-
ac¬
et

PREMIER TRIMESTRE 1986


Prophétie : Les hommes voleront (n° 68).
Voir aussi le Pape des Aix (n° 6.1 à 4)
Le thème mélodramatique de L 'homme qui cherche à voler se rencontre dans le
Champsaur (Hautes-Alpes) : Un homme qui voulait voler s'élança dans le vide, avec une
dinde dans chaque main, du haut du pic de Chaillot (3120 mètres !) ; il tomba dans un
précipice et se blessa (Doc. inédit, M. R., 67 ans, Saint-Bonnet, Hautes-Alpes, VI.51).
Dans son livre Au royaume du Mont Blanc (33) Paul Payot relate une tentative sem¬
blable : «Un nommé Croz, du village du Tour [Haute-Savoie], fut le premier homme vo¬
lant. Il vivait au XVIIIe siècle et il était dévoré de l'ambition de s'élever dans les airs. Il se
fabriqua des ailes, à l'instar de celles des grands aigles, avec des palettes minces enve¬
loppées avec des étoupes, attachées et superposées par un bout, formant éventail. Quand
il fut bien convaincu du succès, il monta sur le toit de sa maison, se lança dans l'espace. . .
s'abattit et eut la cuisse cassée».

Prophéties concernant des personnes (n° 69)


Dans un récit du Grésivaudan (Isère), la prophétie prend la forme d'une double ma¬
lédiction : Deux sorciers rivaux se jettent réciproquement un sort (beuchë ). «Toi, dit l'un,
tu rouleras les chemins en aiguisant des scies ! — Toi, dit l'autre, tu rouleras les chemins
en vomissant ! » Ils moururent ainsi {Doc. inédit, L. D., 86 ans, com. de Theys, XII. 58).
LA MORT DE SAOUSSA

Sans nous attacher ici sur les significations symboliques et magiques du bâton (34),
ni sur les différents modes de transmission du pouvoir magique (par contact direct ou par
don de l'objet concrétisant ce pouvoir), nous citerons quelques cas dauphinois à mettre
en parallèle avec les récits deia mort de Saoussa (n* 77-78).
«Il y a dix ans que, dans un hameau entre Orcières et Champoléon [35], on laissa
mourir, presque sans recours, une mendiante réputée sorcière. Restant sans asile, elle se
réfugia, malade, dans le four du lieu ; on ne lui présentait des aliments qu'au bout d'une
perche, parce qu'il est constant qu'un sorcier transmet son art diabolique à la dernière
personne qu'il touche avant d'expirer» (36).
«A Manteyer, vers 1860, une jeune femme venait de se marier. En guise de bienve¬
nue, ses voisins lui dirent : "dans la famille, sachez-le, votre aïeule était sorcière", dins
lafamxlha, sabia, vouesta grant qu'era sourciera...! "Elle jetait des sorts...! quand la va¬
che était malade", si la vatsa fougueassi ambarna. ; "il fallait aller chercher la sorcière",
tserie anar quere la sourciera. "Elle venait, touchait la vache", venie, touts&va la vatsa,
vèt voilà la vache guérie", e vaqui la vatsa desanbarna. "A la fin de sa vie, la sorcière ne
pouvait pas mourir et les voisins n 'osaient pas s 'en approcher de peur qu 'elle ne leur pas¬
sât la sorcellerie. Ils lui jetèrent dans sa chambre un bâton et le bâton sortit tout seul par
la cheminée ; alors elle mourut "» (37).

(33) Op. cit., p. 182.


(34) Cf. par exemple E. DERMENGHEM, «Coutumes haut-alpines», Nouvelle Revne des Traditions Populaires,
950, p. 83 : «Le symbole du bâton est traditionnellement répandu dans les Alpes. . .»
(35) Communes du Champsaur, Hautes-Alpes.
1

(36) LADOUCETTE, op. cit., 3e éd., p. 592.


(37) G. DE MANTEYER, op. cit., p. 81 l'auteur précise «ce récit est du 7 octobre 1918».
;

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


MOUNDOU

L 'homme noyé en traversant le lac (n° 4)


Résumé d'une légende queyrassine, relatée par André Bourgue (38) :
Sur l'arête de Costebelle, au pied du Grand Pic de Rochebrune, le lac Pouet occupe
«un vaste et profond entonnoir» qui rassemble l'eau des nombreuses sources présentes
en ces lieux. Les bergers ont coutume de venir prendre leur repas de midi sur ses bords,
et s'y reposer.
Un jour, un berger de Bruninard, Grand Louis, raconte à son compagnon de Sou¬
liers, Toinet, qu'il est impossible de traverser ce lac à la nage, car des tourbillons empor¬
tent les imprudents qui tentent cet exploit. Son compagnon relève le défi, et parie qu'il
ira chercher à la nage une branche de rhododendron qui pousse sur l'autre rive. Grand
Louis tient le pari et promet à son compagnon son troupeau de cent brebis s'il réussit.
Toinet: traverse rapidement le lac. A quelques brassées du but, il s'écrie triomphale¬
ment

«Je touche !
Que Dieu le veuille ou non
J'ai gagné les moutons de mon compagnon ! »
Mais «à l'instant même où son pied frôlait le rivage, il s'affaissa et disparut sous l'onde
agitée. Peu à peu, le lac se calma, [. .. mais] depuis nul n'a plus osé s'y baigner».
Dans un contexte différent, le récit suivant illustre la même idée :
«Derrière le Chapeau de Napoléon, près d'Ancelle, il y a les ruines d'un ancien châ¬
teau, la Tour Saint-Philippe. Des hommes d'Ancelle avaient monté une énorme pierre
pour recouvrir un puits. Arrivés en haut, ils ont dit :
— Que le Bon Dieu le veuille ou ne le veuille pas, la pierre est montée !
Mais quand ils voulurent la poser sur le puits une force surnaturelle la retint au sol.
Ils ne purent la poser dessus. On peut encore la voir» (Doc. inédit, M. P., mari de l'insti¬
tutrice du Cros, Hautes-Alpes, V. 51).
Moundou tempestaire (n° 2.1 et 2).
Voir notes comparatives de Saoussa (n° 60 à 62).

DUVALLON

Le manteau étendu sur l'eau (ensemble des versions)


Né précisément à Bessans au XVIe siècle le Père Pierre-Jacques Fodéré, moine fran¬
ciscain, docteur en Sorbonne, prédicateur célèbre et recherché en France, publia en 1619
un volumineux ouvrage de 1 288 pages sur les couvents de son ordre, dans lequel il se fait
l'écho de nombreux faits merveilleux, dont celui-ci (39) :
Le Frère Jean Bourgeois, du couvent de l'Observance de Lyon accomplit, de son vi¬
vant et après sa mort, plusieurs miracles. «Cestuy cy est tout trivial & advoiié de tous,
que luy estant nécessaire passer la riviere de Loyre, pour aller de Feur à Montbrison, les
Pontaniers ne le vouloient passer en leur batteau, pource qu'il ne portoit point d'argent,
& n'avoit aucun meuble pour les payer, il estendit son manteau sur l'eau, & après avoir
fait le signe de la Croix, luy & son compagnon s'assirent dessus, & passèrent ainsi la ri¬
viere, plus habilement, & plus assurément que les Pontaniers avec leur batteau».

pp.969.
p.érigez
33-36.
(38)enAndré
(39) FODÉRÉ,
la province
BOURGUE,
Narration
anciennement
Vieilles
historique
appelée
légendes
et topographique
deduBourgongne,
Val d'Azur,
desàQueyras
convens
présent(Hautes-Alpes),
dede S.l'ordre
Bonaventure,
S. François
Cavaillon,
Lyon,
et Pierre
monastère
impr. Rigaud,
Mistral,
S. Claire,
1935,
1619,

PREMIER TRIMESTRE 1986


LE PAPE DES AIX

Le transport magique : «Mets ton pied sur le mien» (n° 5.1 à 4).
Voir notes comparatives de Saoussa (n° 59. 1 à 13).
Prophétie : les hommes voleront (n° 6.1 à 4).
Voir notes comparatives de Saoussa (n° 68).

LE DOYEN

A Montvalezan en Tarentaise (Savoie), un prêtre, le Révérend Jean-Nicolas Dorsaz,


mort en 1760, se trouve au centre d'un petit cycle de récits légendaires relevés par Char¬
les Joisten dans deux publications datant respectivement de 1931 et 1913 (40).
Dans ce village, où la principale industrie, aux XVIIIe et XIXe siècles, était le tissage
du drap et de la toile, un lutin domestique, sorte de diablotin, 1 e foulât, empêchait les tis¬
serands de travailler, embrouillant les fils du tissage. «On dut faire appel à Révérend
Jean-Nicolas Dorsaz, vicaire de cette paroisse resté célèbre pour les exorcismes qu'il pra¬
tiqua, qui là encore triompha du maléfice après de nombreuses interventions» (41).
Dans une note, Charles Joisten tente de cerner la personnalité de ce prêtre, à travers
les faits plus ou moins extraordinaires qui lui sont attribués (42) :
«Curieuse figure que ce Jean-Nicolas Dorsaz ! Originaire du Bourg-Saint-Pierre, en
Valais, on le trouve, en 1736, vicaire à Montvalezan-sur-Séez, paroisse qui jusqu'en 1750
relevait de la prévôté du Grand Saint-Bernard. Il y fut assassiné en 1760, ainsi que sa niè¬
ce, dans des conditions demeurées mystérieuses. vvRd Dorsaz fut considéré à Montvale¬
zan comme un saint. Quelques faits livrés à la croyance de chacun semblent favoriser cet¬
te opinion. Emmanuel Maître étant au catéchisme, il lui dit : toi, mon enfant, tu mourras
dans un champ ; ce qui est arrivé ; et moi je serai étranglé comme un chat, ce qui est ar¬
rivé" (43). "Il arriva une fois que le ruisseau des Moulins, qui descend des hauteurs du
Chardonnet, grossit d'une manière effroyable, menaçant d'inonder les campagnes. Le
hameau de Viclaire, situé au fond de la vallée, était tout particulièrement menacé. Le
chanoine Nicolas Dorsaz, précédé de la croix et portant des reliques, suivi d'une foule de
peuple, alla conjurer le fléau. La fureur des eaux se calma à l'instant même. Pendant que
pasteur et fidèles priaient, on entendit, dit-on, de la rive opposée : Continuez, continuez
encore ! Et les autres de leur répondre : Nous ne le pouvons, Nicolas ne le veut pas. Il
s'agit d'un dialogue entre démons, comme dans la légende de l'éboulement du Granier.
Et voilà comment le curé Nicolas Dorsaz arrêta par ses prières le débordement du ruis¬
seau des Moulins. D'autres, plus sceptiques à l'endroit du curé, attribuent le miracle à
saint Nicolas, qui est vénéré dans la chapelle de Viclaire. C'est ce dernier, disent-ils, et
non le curé Dorsaz, qui nous a sauvés. Un saint, il est vrai, fait plus souvent des miracles
qu'un curé ; celui-ci quand il peut, mais le saint quand il veut" (44)». (N.D.L.R.)

Recueil
1931 (40)
son. ; Joseph-Siméon
desAbbé
Mémoires
GAIDE-CHEVRONNAY,
etFAVRE,
Documents
Joseph-Marie
de l'Académie
Histoire
RÉVIAL,
de deMontvalezan-sur-Séez,
la«Le
ValGrand
d'Isère,et Moûtiers,
le PetitBourg-Saint-Maurice,
Saint-Bernard,
1913, nouvellel'Histoire
série,
Librairie
2eetvol.,
laE.légende»,
lreBéroud,
livrai¬

(41) Charles JOISTEN, Récits et contes populaires de Savoie, Paris, Gallimard, p. 90, d'après Abbé GAIDE-CHE¬
VRONNAY. op. cit., p. 57.
(42) Charles JOISTEN, op. cit., note 44, p. 175.
(43) Abbé GAIDE-CHEVRONNAY, op. cit., p. 56.
(44) J.-S. FAVRE,J.-M. RÉVIAL, op. cit., pp. 86-87.

LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN


Résumé

Zusammenfassung

JOISTEN ( f Charles et Alice). — Cinq figures de ma¬


giciens. JOISTEN ( i" Charles et Alice). — Cinq figures de ma¬
giciens.
En divers lieux du Dauphiné et de la Savoie, les récits An verschiedenen Orten des «Dauphiné» und Savoyen
touchant à la magie et à la sorcellerie se sont cristallisés haben sich die Erzâhlungen, die mit Magie und Hexerei
autour de personnages devenus légendaires. Ainsi se zu tun haben, um Gestalten herum gebildet, die zur Le-
dessinent cinq «figures de magiciens». Ce sont, dans gende geworden sind. So erscheinen fiinf «Magierfigu-
les Hautes-Alpes, Saoussa entre Veynes et Serres, et ren». In den Hochalpen Saoussa zwischen Veynes und
Moundou en Valgaudemar. Pour la Savoie, Duvallon à Serres und Moundou in Valgaudemar. In Savoyen Du¬
Bessans (Haute-Maurienne ) ; le Doyen à Samoëns vallon in Bessans (Haute-Maurienne) der Doyen in Sa¬
(Haut-Faucigny) et le Pape des Aix en Chablais. S 'ef¬ moëns (Haut-Faucigny) und der Pape des Aix in Cha¬
forçant de replacer au mieux ces personnages dans leur blais. Mit der Bestrebung, diese Gestalten so gut wie
réalité sociale et historique, cette étude tentera aussi de môglich in ihre soziale und historische Realitât einzu-
comprendre ce qui a pu favoriser la constitution de tels ordnen, wird in dieser Studie auch zu verstehen ver-
cycles narratifs. Mais, surtout, l'ensemble des récits sucht, was wohl die Bildung von solchen Erzàhlungszy-
présentés, tirés des enquêtes inédites de Charles Jois- klen begiinstigen konnte. Aber vor allem wird die Ge-
ten (1936-1981) sur Le Monde fantastique dans les Al¬ samtheit dieser Erzâhlungen, die aus den noch unverôf-
pes françaises, permettra d 'accéder au riche imaginaire fentlichten Forschungsarbeiten von Charles Joisten
des communautés qui les ont portés. (1936-1981) liber le Monde fantastique dans les Alpes
françaises (Die phantastische Welt in denfranzôsischen
Alpen) stammen, erlauben, einen Einblick in die so rei-
che Vorstellungswelt der Gemeinschaften, die sie ge-
zeugt haben, zu bekommen.

Achevé d'imprimer le 2e trimestre 1986


sur les presses de la Société Nouvelle des Imprimeries Réunies
9 rue Pasteur 26000 VALENCE.

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