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ENVIE ET SORCELLERIE DANS LA SLOVÉNIE RURALE

Mirjam Mencej

Presses Universitaires de France | « Ethnologie française »

2012/2 Vol. 42 | pages 313 à 323


ISSN 0046-2616
ISBN 9782130593515
DOI 10.3917/ethn.122.0313
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Dossier : Bembo puf318855\MEP\ Fichier : Ethno_2_12 Date : 30/1/2012 Heure : 16 : 27 Page : 313

Envie et sorcellerie dans la Slovénie rurale

Mirjam Mencej
Université de Lubiana

RÉSUMÉ
Consacré à la sorcellerie villageoise traditionnelle, l’article s’appuie sur une enquête de terrain menée entre 2000 et 2001
dans une région rurale de l’est de la Slovénie. L’auteur étudie certains actes malveillants typiques, notamment l’enterrement
d’objets sur la propriété d’un voisin, qui sont attribués à ce que l’on peut appeler des « sorcières de voisinage », dont la
principale motivation serait la jalousie. L’auteur examine les réactions que ces actes suscitent ainsi que le système cognitif
qui sous-tend les accusations.
Mots-clés : Sorcellerie. Magie. Envie. Limitation des biens. Slovénie.
Mirjam Mencej
Department of Ethnology and Cultural Anthropology
University of Ljubljana
Zavetiska 5
1000 Ljubljana
Slovénie
mirjam.mencej@guest.arnes.si
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En Europe, au XXe et au XXIe siècle, les sorcières 1 se si bien que les questions concernant les désorceleuses ne
présentent sous des apparences très diverses. Symbole figuraient même pas dans les questionnaires destinés à
notamment d’une forme radicale de féminisme, elles faciliter sur le terrain le travail des enquêteurs [1980 :
assistent à des réunions publiques ou privées et les ima- 227-233]. Les relations sociales entre la sorcière, sa vic-
ges d’elles foisonnent sur internet 2. On les rencontre time et la désorceleuse, le système cognitif sous-jacent
ainsi dans de nombreux domaines : jeux en ligne, films, aux accusations de sorcellerie ou encore le rôle social de
jeux électroniques, publicités, bandes dessinées, jour- la sorcellerie n’ont suscité l’intérêt que plus tard. Ce sont
naux, livres de cuisine, etc. [Harmening, 1991 ; de Blé- toutefois des historiens, et non des ethnologues, qui ont
court, 1999 : 150]. Généralement réduites à quelques été les premiers à prendre en compte le contexte social.
signes distinctifs en réponse aux exigences de la société À la fin des années 1960 et dans les années 1970, ils ont
moderne et de son idéologie consumériste, elles ont placé la sorcellerie au premier plan de leurs préoccupa-
toutefois très peu en commun avec les personnages des tions qui, à cette époque, se recentraient principalement
croyances traditionnelles européennes. Il existe toute- sur les couches inférieures de la société ; la sorcellerie
fois d’autres « sorcières », qui s’inscrivent encore (du compte ainsi parmi les premiers sujets à bénéficier de
moins jusque récemment) dans le système sorcellaire cette nouvelle approche [Burke, 2001 : 435-437]. En
attesté en Europe durant des siècles et conservé par cer- appliquant à la recherche historique sur la sorcellerie les
taines communautés villageoises plus ou moins fermées. méthodes de la sociologie et de l’anthropologie,
Les chercheurs en ont longtemps privilégié l’aspect l’ouvrage d’Alan Macfarlane a ouvert la voie dans ce
« magique », diabolique ou surnaturel, laissant de côté domaine. Il a ainsi montré à partir des procès de sorcières
leur rôle social au sein de la communauté. Comme le dans l’Essex aux XVIIe et XVIIIe siècles, qu’au niveau
souligne Jeanne Favret-Saada avec un certain mépris, ils microsocial les accusations de sorcellerie témoignaient
étudiaient avant tout les formules et les rituels magiques, essentiellement de tensions entre voisins : s’étant vu

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refuser un don ou un prêt par un voisin plus fortuné, croate, cet article tente de cerner le système cognitif,
une femme pauvre lui aurait par dépit « jeté un sort ». mais aussi les principales émotions, qui fondent les
Dans toutes les plaintes, c’est la « victime » qui a mis un accusations de sorcellerie. Assez isolé, ce territoire val-
terme, publiquement, aux relations avec le voisin sus- lonné est difficile d’accès et mal desservi. Au moment
pect. Son refus lui fait éprouver une culpabilité et une de la recherche, la population pratiquait surtout une
anxiété la poussant à haïr le voisin qui a suscité chez elle agriculture de subsistance, cultivant notamment des
de tels sentiments [Macfarlane, 1970 : 174-176, 196- vignes et des arbres fruitiers, mais élevant aussi des
197]. La sorcière au sein de la communauté est ainsi animaux. La région, qui ne compte pratiquement
devenue le sujet de recherche de Macfarlane. Il est en aucune industrie, où les fermes sont petites et les terres
effet apparu que celle-ci n’était pas n’importe qui, mais divisées en menues parcelles, est l’une des plus défa-
possédait des caractéristiques bien définies : les sorcières vorisées du pays. Le chômage et la pauvreté y sont
anglaises étaient des femmes âgées et pauvres qui entre- importants depuis longtemps, ce qui oblige de nom-
tenaient presque toujours des relations étroites avec leur breux habitants à se rendre à l’étranger pour travailler.
accusateur, dépendant parfois de lui, tout en étant géné- Cette émigration antérieure à la Première Guerre
ralement plus pauvres et plus âgées que lui. L’accusation mondiale et qui se poursuit toujours fait que la popu-
de sorcellerie permettait ainsi à l’accusateur de rompre lation est majoritairement âgée. Le catholicisme
ses relations avec l’accusée tout en soulageant sa culpa- domine. Par ailleurs le taux de suicide est extrêmement
bilité [Macfarlane, 1970 ; Larner, 1984 : 50 ; Burke, élevé.
2001 : 436]. Même si, par la suite, d’autres recherches L’enquête de terrain a été menée de 2000 à 2001,
ont montré que le refus d’une demande de don ou de avec des étudiants du département d’ethnologie et
prêt n’était pas toujours ni partout en Europe le motif d’anthropologie culturelle de l’université de Lubiana.
principal de la plainte, il n’en restait pas moins que les Certes, ce type de recherches intermittentes, sans
tensions entre voisins constituaient un facteur détermi- séjour prolongé au sein de la communauté étudiée, ne
nant dans les accusations de sorcellerie dans les villages, permet pas un examen approfondi des relations entre
même au XXe siècle. En étudiant le développement des villageois. L’idéal serait, bien sûr, d’observer la sorcel-
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rapports entre la victime du maléfice, le sorcier ou la lerie dans son contexte social, non seulement de l’exté-
sorcière supposé et le désorceleur ou la désorceleuse, rieur par des « visites » périodiques, mais aussi par une
Jeanne Favret-Saada [1980] a mené dans le Bocage de « acculturation » du chercheur. Toutefois, quand cela
n’est pas faisable (en admettant qu’une telle accultura-
l’ouest de la France, à la fin des années 1960, une re-
tion soit vraiment possible !), on peut tout de même
cherche passionnante qui l’a conduite à sonder en pro-
pénétrer les croyances et le fonctionnement du système
fondeur le fonctionnement du discours sorcellaire, au
sorcellaire en parlant avec les villageois. Même si
point d’en être un moment elle-même partie prenante.
l’équipe n’était pas directement confrontée à des situa-
En France, le conflit opposait deux individus ou deux
tions où se manifestaient la suspicion, la peur ou le
familles sans jamais s’étendre à l’ensemble de la commu- désir de vengeance, elle pouvait sentir et comprendre
nauté villageoise. Ailleurs toutefois, en Allemagne, en derrière les mots, au travers de leurs explications, de
Pologne, au Danemark ou en Russie par exemple, les leurs doutes ou de leurs confessions, les rapports
choses se passaient différemment : non seulement il sociaux vécus par les personnes entendues. Comme
arrivait que de supposées sorcières soient battues, tuées l’écrit Willem de Blécourt à propos de la sorcellerie
ou voient leur maison incendiée, mais il n’était pas rare au XXe siècle, nous pouvons considérer toute recherche
que tout le village y participe, et ce même à la fin du qui ne repose pas sur le discours sorcellaire comme sans
XIXe et jusqu’au XXe siècle [notamment Schiffmann, valeur ou bien – et j’approuve entièrement cette
1987 : 152, 157-159 ; Kruse, 1951 : 69-98 ; Henning- seconde option – « nous pouvons tenter de repérer les
sen, 1982 : 132 ; Schöck, 1978 ; Tokarev, 1957 : 30]. traces de ce discours dans ce que rapportent les per-
sonnes qui ne s’y sont pas totalement immergées,
même si cela comporte l’inconvénient de ne pas don-
■ La sorcellerie en Slovénie orientale ner accès aux aspects les plus cachés ou les plus ambi-
gus » [1999 : 158].
À partir d’une enquête de terrain réalisée dans une Toute recherche dont l’objectif est d’éclairer le
région rurale de l’est de la Slovénie, près de la frontière contexte social et les causes des accusations de

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sorcellerie doit aussi s’inscrire dans un périmètre géo- présente des caractéristiques assez différentes est la
graphique extrêmement limité (réduit à un seul village, « sorcière de village ». Reconnue comme telle par pres-
voire à quelques familles), car c’est la seule façon que tous les villageois, elle joue le rôle de bouc émis-
d’espérer parvenir au cœur des relations qui unissent saire au sein de leur communauté. Le second niveau
les protagonistes. Les rapports sociaux entre la « sor- de sorcellerie, quant à lui, concerne les tensions avec
cière », sa « victime » et la « désorceleuse » 3 constituent le « monde surnaturel ». Cette notion renvoie en par-
le contexte de référence. Il faut se poser la question de ticulier à toutes les expériences qui se déroulent en
savoir si la sorcellerie possède encore, sur notre terrain général la nuit ou au crépuscule, le plus souvent dans
d’enquête, le dynamisme d’une véritable institution un lieu liminal ou dangereux (à la lisière du village ou
sociale, ou bien si elle a plus ou moins disparu quand en dehors, dans la forêt, près de l’eau). Il s’agit essen-
les conditions socio-économiques ont changé. Selon tiellement d’apparitions visuelles (lumières) ou d’expé-
les témoignages de nombreuses personnes, qui ont riences de désorientation (tourner en rond, être
vécu des expériences de sorcellerie dans leur enfance désorienté, se retrouver dans un autre lieu sans expli-
(c’est-à-dire aux alentours de la Seconde Guerre mon- cation, etc.), qui sont habituellement interprétées
diale, il y a 30 à 50 ans), mais n’en ont pas eu depuis, comme des rencontres avec des sorcières. Il s’agit alors
ce système n’a plus cours 4. Cela dit, par ailleurs, beau- de ce que l’on peut nommer les « sorcières nocturnes »,
coup de nos interlocuteurs ont déclaré être fermement qui rappellent les êtres surnaturels ou diaboliques et ne
convaincus de l’existence des sorcières, une croyance sont que rarement explicitement reliées à une personne
qui transparaît en filigrane dans un grand nombre de concrète du village [Mencej, 2007, 2007/2008].
témoignages [Mencej, 2009]. Comme le souligne de Ces deux niveaux sont en général bien séparés, cha-
Blécourt, lorsque l’on enquête sur ce sujet, il faut que niveau et chaque type de sorcière possédant ses pro-
d’abord se demander ce qu’est, à proprement parler, pres fonctions et des propriétés spécifiques. Ils se
une sorcière. Du point de vue du discours sorcellaire, distinguent également par l’attitude des villageois envers
c’est l’appellation de « sorcière » – par les autres ou par ces différentes sorcelleries et par les techniques de
elle-même, peu importe – qui, pour l’essentiel, permet défense utilisées contre elles. Enfin, chaque type de sor-
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de la définir. Le terme peut toutefois avoir des signi- cière fait également l’objet d’un discours distinct [Men-
fications très différentes. Ainsi, dans un grand nombre cej, 2008]. Ne seront abordées ici en détail que les
de langues, il désigne aussi bien la sorcière active, qui accusations de sorcellerie qui relèvent du niveau social,
nuit aux autres en exerçant la « sorcellerie » (une sor-
en particulier celles visant les « sorcières de voisinage ».
cière au sens strict) et la sorcière présumée qui est
seulement accusée de le faire par ses voisins. Mais le
terme s’applique également à quelqu’un dont l’activité
consiste à combattre les sorcières, c’est-à-dire à la ■ Les méfaits des sorcières de voisinage
désorceleuse [de Blécourt, 1999 : 148].
Même si cette confusion terminologique, aussi pré- La sorcellerie sociale est considérée comme un délit,
sente sur notre terrain d’enquête, ne permet pas de une déviation des normes de la communauté, dans la
distinguer entre la véritable sorcière et la désorceleuse, mesure où des personnes sont agressées par d’autres [de
nous pouvons établir, en analysant les données que Blécourt, 1999 : 151]. Elle se présente également
nous avons collectées, que nos informateurs regrou- comme une idéologie permettant de rendre compte de
pent sous le terme générique de coprnica au moins trois la malchance ou une façon pour les villageois de faire
types de sorcières, qui relèvent de deux niveaux de face aux difficultés qu’ils rencontrent ; elle leur explique
sorcellerie. Le premier niveau concerne les tensions en effet pourquoi leur vache est morte, leur enfant
sociales dans la communauté villageoise, notamment malade ou la récolte perdue. Si les sorcières sont censées
le voisinage. Cela renvoie en particulier aux accusations nuire par des techniques ou des actions magiques, elles
qui affectent directement les relations entre les prota- utilisent également des moyens plus inhabituels : elles
gonistes quand un acte malveillant est attribué à la peuvent ainsi vous atteindre avec un regard, une parole
jalousie. La voisine envieuse, une sorte de « sorcière de ou un contact, mais aussi un cadeau. Les archives des
voisinage », constitue alors un cas typique de personnes procès de sorcières anglaises comptent elles aussi les
incriminées. La seconde catégorie de sorcières qui, menaces, les louanges et les dons au nombre de leurs
tout en appartenant à ce premier « niveau social », sortilèges [Macfarlane, 1970 : 172]. En Allemagne du

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Sud-Ouest également, pendant la seconde moitié du une queue de cochon, un crapaud, etc. À cause de cet
XXe siècle, la population attribuait aux sorcières la capa- objet, nous affirment-elles, les poules ne pondent plus,
cité d’exercer leurs maléfices par le regard, la parole, le le bétail tombe malade et meurt ou, plus rarement, le
toucher ou des présents [Schöck, 1978 : 107-8]. Dans vignoble ou le champ donnent une mauvaise récolte,
les croyances scandinaves, celles-ci se servent des yeux une famille ou le village se querellent et ainsi de suite.
et de la langue [Henningsen, 1982 : 133], mais aussi des Les avis sont partagés quant à la façon de traiter ce
pieds [Alver, 1989 : 118]. Au Portugal, l’envie agit au type d’objets. Pour les uns, il ne faut surtout pas y
travers d’actions généralement sournoises, comme les toucher, d’autres recommandent de les enterrer aussi
commérages (la mauvaise langue), les ensorcellements, profondément que possible, et d’autres encore de les
les malédictions ou le mauvais œil [Pina-Cabral, 1986 : déterrer, de les détruire ou de les jeter, par exemple
178-186]. Enfin, en France, le contact maléfique sur le tas de fumier. Toutes ces procédures ont un
s’effectue par la parole, le regard ou le toucher [Favret- même objectif : mettre un terme aux effets destruc-
Saada, 1977 : 146-154]. teurs. Il existe toutefois une méthode très connue dans
Dans la région étudiée ici, certains méfaits sont pres- la région, qui permet également d’obliger la sorcière
que toujours attribués aux « sorcières de village », par à révéler son identité. Il faut brûler l’œuf que vous avez
exemple, les atteintes au bétail, le vol de la récolte par trouvé enterré sur vos terres, selon un procédé qui
le passage d’un drap sur le champ, le déclenchement varie légèrement d’un informateur à l’autre. Certains
de la grêle ou des orages. D’autres actions en revanche affirment que l’œuf doit être brûlé à l’endroit même
comme par exemple l’enterrement d’objets dans un où il a été trouvé, mais la plupart prescrivent de le faire
lieu appartenant à la victime dans le but de lui nuire à un carrefour, à trois ou quatre branches est-il quel-
sont presque toujours imputées aux sorcières de voisi- quefois précisé. Certains interlocuteurs ajoutent qu’il
nage. Ce type de sorcières est également censé recourir faut les brûler sur un tas de brindilles provenant de trois
au mauvais œil (qui constitue aussi une catégorie à (sept ou neuf) cours d’eau. Plus rarement, ils indiquent
part) et à la parole (les louanges notamment), le recours une heure : juste avant le lever du soleil ou à midi pile.
au toucher et aux dons étant plus rare. L’accusation de Connue de tous dans le village, la procédure est fré-
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se changer en crapaud ou d’envoyer des crapauds voler quemment utilisée. Pendant son déroulement, la per-
le lait dans l’étable concerne aussi bien la sorcière de sonne responsable est censée ressentir une douleur qui
village que celle de voisinage, de même que le vol de la fait venir sur les lieux, révélant ainsi son identité.
Selon Favret-Saada, l’identification du coupable est un
lait à l’aide d’une corde, d’une chaîne ou d’une hache.
préalable nécessaire à la maîtrise de son pouvoir :
Il n’y a pas toujours de frontière nette entre les deux
« Aussi peut-on avancer l’hypothèse que la nomination
types de sorcières. Ne sera présentée ici que la façon
du sorcier est d’abord une tentative pour contenir dans
de nuire la plus répandue.
une figure ce qui, de soi, échappe à la figuration : aussi
longtemps qu’est innommée la force qui attire fatale-
ment à elle l’énergie vitale de l’ensorcelé – dans ce que
■ L’enterrement d’objets j’ai appelé le moment de la déperdition –, elle ne
saurait être qu’absolue » [1980 : 74 ; 1977 : 99].
Pour la sorcière de voisinage, le maléfice le plus En Angleterre, les archives judiciaires de la chasse
connu et le plus fréquent consiste à enterrer un objet aux sorcières ont livré une procédure semblable : le
dans un champ ou un vignoble, sous le seuil ou à meilleur moyen de confirmer ou de découvrir l’iden-
l’intérieur de l’étable, plus rarement sous le seuil ou tité d’une sorcière consiste à brûler un objet apparte-
sous les poutres de la maison de la victime. En décou- nant à la victime ou au sorcier lui-même, qui vient
vrant l’un de ces objets, les personnes interrogées ont alors voir comment se porte sa victime [Macfarlane,
cette formule typique, « ça a été accompli » ou « ça a 1970 : 172]. Un récit similaire a été recueilli au
été fait », indiquant clairement qu’ils y voient une ten- XIXe siècle dans la communauté allemande de Pennsyl-
tative délibérée de nuire 5. Il s’agit souvent d’œufs, mais vanie. Une femme, soupçonnée d’avoir ensorcelé une
aussi d’ossements ou, parfois, de l’un des objets sui- vache, laquelle gît épuisée sur le sol, vient demander
vants : une épaule d’animal, une herbe, du pain, un ce qui se passe, aussitôt après qu’un feu a été allumé
poulet mort, du lard, un pot renversé, un bâton près de l’animal par son propriétaire ; ce qui permet
entouré d’un ruban et de poils de cochon, un couteau, de l’accuser d’être une sorcière [Hoffman, 1889 : 135].

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D’après la croyance, pendant que l’œuf se consume, la propriété (sa maison ou son étable, par exemple) sont
personne qui l’a déposé ressent une brûlure qui l’oblige ouvertes (au moyen d’une communication verbale ou
à se présenter pour y mettre fin. Elle repose sur l’idée autre), le maléfice peut entrer, « se loger » dans la per-
qu’un lien interne peut se nouer à partir d’un contact sonne et dans ses biens et ainsi lui nuire. Par conséquent,
externe, autrement dit que deux choses qui ont été en il faut soigneusement fermer toutes les portes et les
contact à un moment donné continuent d’agir l’une fenêtres, ne laisser entrer aucune personne suspecte et
sur l’autre, même après avoir été séparées [Frazer, ne rien prêter à quiconque (les dons constituent une
1974 : 14-16 ; Petzoldt, 1999 : 6-7 ; sur la magie en forme de communication, dont les dangers sont décrits
général voir aussi Mauss 1972, 1995]. Même si le dans Mauss [1995 : 157 sq.]). Si tous ces accès restent
contact physique a cessé, la sorcière reste reliée à l’objet bloqués, alors le mauvais sort sera rendu à la sorcière qui
qu’elle a détenu ou simplement touché. l’a jeté et elle perdra tout pouvoir sur sa victime.
Quand la sorcière se présente, il est extrêmement Pendant notre enquête, personne n’a consulté de
important d’éviter toute communication verbale entre désorceleuse ou de diseuse de bonne aventure qui pra-
elle et sa victime. Si ces instructions sont parfaitement tique la procédure réservée aux objets enterrés. Tou-
suivies, l’issue peut être fatale pour la sorcière qui souf- tefois, les instructions dispensées par la désorceleuse au
fre ou tombe malade. Dans le cas contraire, la procé- villageois en difficulté (quand une bête meurt mysté-
dure perd toute efficacité. Certes, la sorcière a été rieusement ou souffre d’une longue maladie, par
identifiée, mais son pouvoir reste intact, le mal n’est exemple), reposent le plus souvent sur l’hypothèse
pas défait et elle s’en sort indemne : « Puis elle est partie qu’un de ces objets a été caché sur ses terres. L’admi-
et elle a ramassé du bois qui avait été apporté par le nistration des remèdes ou des poudres prescrits à la
courant et elle l’a mis sur les œufs et l’a brûlé. Elle a victime suit alors une procédure analogue à celle uti-
dit : “Maintenant, si une femme vient… Personne ne lisée pour les œufs, qui fait partie du savoir collectif
doit parler”… “Mais que se passera-t-il alors ?” ont-ils local : la destruction par le feu d’un objet, puis l’obser-
demandé. “Vous verrez ! Ne dites pas un mot, quand vation du silence ou l’interdiction de toute forme de
elle fera tout ce qu’elle peut pour vous faire parler, ne communication quand se présente une personne, ainsi
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dites pas un mot. Nous verrons qui l’a fait. Et c’était identifiée comme sorcière.
vrai. Elle vient… “Hé bien qu’est-ce que c’est,
qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que tu fais, qu’est-ce que
tu fais ?”… Et alors une femme… Elle était déjà
veuve… Et elle a parlé… Et elle l’a sauvé. Elle lui a ■ Les sorcières de voisinage
dit : “Si tu ne l’avais pas sauvé elle aurait cuit, comme
ces œufs sont en train de cuire !” » (16) 6. Les objets enterrés, en général des œufs, représentent
Nous avons souvent rencontré cette injonction – se les cas de sorcellerie les plus courants et presque tout
taire afin de ne pas « sauver » la sorcière, disent nos le monde dans la région y a un jour été confronté. Il
informateurs – y compris dans d’autres procédures de s’agit également de récits qui, de même que les expé-
désenvoûtement. Il semble en effet que, grâce à la riences nocturnes, concernent des événements vécus
communication verbale, le pouvoir de la sorcière peut et se racontent le plus souvent à la première personne.
pénétrer dans le corps de la victime ou bien que son En France, quand Favret-Saada commence à enquêter,
sortilège peut l’atteindre. Favret-Saada explique ce elle se heurte au silence ; ici, en revanche, les gens nous
point de la procédure, qui dans le Bocage était menée parlent sans réserve de la découverte de ces objets. Le
par un désorceleur, de la façon suivante : « Pourquoi fait que l’attribution de ces actes à des sorciers ne soit
faut-il, à ce moment-là, éviter tout contact matériel ni explicite ni systématique explique peut-être leur
avec le sorcier (ne pas le toucher, ne pas lui parler, ne décontraction. Seule la crainte d’être taxé de supersti-
pas le laisser entrer dans la maison) ? Pour permettre au tion ou d’arriération les fait hésiter à s’exprimer. Mais,
contact métaphorique, noué par le rituel, de comme ces objets ne sont pas explicitement reliés aux
développer tous ses effets ; car tout contact matériel sorciers, ils peuvent en parler, même si tous savent ce
équivaudrait à une communication, à une ouverture de qu’il en est réellement et répondent à nos questions
ce que le contact métaphorique a verrouillé sur la sorcellerie en nous rapportant ce type d’histoires.
(“encrouillé”) à grand-peine » [1977 : 100]. Si les voies Qu’ils aient pu ainsi nous raconter aussitôt et sans dif-
de communication qui mènent à la victime ou à sa ficulté des expériences personnelles indique également

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qu’ils se sentent soutenus par le village, qui valide leur sorcière n’est alors pas de notoriété publique et les
croyance dans le pouvoir de ces objets ; ils peuvent accusations dont elle fait l’objet ne dépassent pas le
donc en parler librement, alors même qu’en Slovénie cercle des individus ou des familles concernés. Une
en général l’existence de la sorcellerie est niée. Cela voisine est rarement accusée ouvertement et l’attitude
est différent de ce qui se passe dans le Bocage, où la à son égard ne change guère en apparence. On peut
sorcellerie reste une affaire strictement personnelle se demander si la circonspection avec laquelle une
dont la victime ne peut discuter qu’avec celui qui l’a accusation publique est portée empêche également les
informé de son ensorcellement, avec ses proches ou victimes de se protéger ou de se venger. Il semble que,
avec le désorceleur [Favret-Saada, 1980 : 165 ; 1977 : dans certains cas au moins, cette prudence trahisse éga-
213]. Cette réserve signifie peut-être que le système lement un affaiblissement de la croyance dans le pou-
de croyance s’était déjà effondré à l’époque où Favret- voir de ces objets. Enfin, elle s’explique aussi par
Saada mena son enquête, et que les villageois sentaient l’incertitude qui entoure l’identité du coupable. Mal-
qu’ils n’auraient pas le soutien de la communauté s’ils gré l’absence d’accusation directe, il doit arriver que
en parlaient ouvertement [Simpson, 1996 : 12]. la personne concernée se rende compte des soupçons
On estime généralement que le coupable est un qui pèsent sur elle. Tout le monde dans la région sait
voisin malveillant et envieux : reconnaître le silence nécessaire à la procédure d’iden-
– Oh ça oui […] oh ça oui alors ! Ma mère et mon tification de la sorcière, qui est observé pendant que
père labouraient, et ils ont trouvé un œuf au creux d’un l’œuf brûle ou qu’un voisin vient emprunter quelque
sillon, tout au fond ils ont trouvé un œuf tout frais. Je chose ou simplement faire une visite. Quiconque y est
leur ai dit : « Peut-être qu’une poule l’a mis là ? » Et ils confronté sait très bien à quoi s’en tenir 7.
ont répondu que les gens aussi enterraient les œufs ! Concernant les accusations, on peut bien sûr se
– Qui était censé l’avoir fait ? demander dans quelle mesure elles sont justifiées. Cer-
– Oui, ces femmes qui sont envieuses ou comme taines personnes se livrent-elles à une forme de magie
ça, si bien que les œufs ou les poussins n’éclosent pas (domestique) ou bien la crainte de la jalousie et une
ou comme ça (84). imagination débordante sont-elles seules en cause ?
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En France également, le voisin sorcier n’est jamais Les croyances de nos interlocuteurs fluctuent entre le
connu sous ce terme, du moins pas en public ni à haute scepticisme le plus total et la foi la plus inébranlable
voix, mais désigné comme un « mauvais », « cette salo- dans le fait que l’objet a été enterré dans l’intention
perie » ou « l’autre salaud » [Favret-Saada, 1980 : 166 ; de nuire. L’opinion des chercheurs concernant le
1977 : 88, 213-14]. Il n’en était pas moins clairement « sérieux » avec lequel les actions imputées aux sorciers
reconnu comme tel par les villageois, en tout cas dans sont menées varie également. D’après Tekla Dömötör,
l’intimité familiale ou en présence du désorceleur. la création de figurines est une pratique magique qui
Même si la majorité de nos interlocuteurs ne parle que s’exerce en Hongrie dans le plus grand secret, si bien
de voisins malveillants ou envieux, certains d’entre eux que ces objets se retrouvent rarement au musée [1982 :
les qualifient de « sorciers » tandis que d’autres ne 161 cité par de Blécourt, 1999 : 188]. Carmelo Lisón
savent clairement pas s’ils doivent parler de « sorciers » Tolosana ne doute pas lui non plus de la réalité de ces
ou simplement d’« ennemis ». Enfin, au cours des actes malveillants [1994 : 276 cité par de Blécourt,
séances de divination, les victimes supposées de sor- 1999 : 188]. Pour Richard P. Jenkins, il est prouvé que
cellerie apprennent généralement de la diseuse de certaines pratiques avaient lieu en Irlande [1991 : 310,
bonne aventure que la cause de leur malheur est un 323]. En revanche, Johann Kruse n’a jamais rencontré
objet qui a été enterré par un « sorcier ». en Allemagne une femme qui soit accusée de sorcel-
lerie et qui l’ait effectivement pratiquée [1951 : 195].
Jeanne Favret-Saada assure, elle aussi, que, dans le
Bocage, les personnes accusées de sorcellerie étaient
■ Attitudes envers les sorcières généralement innocentes et ne s’étaient livrées à aucun
de voisinage rituel [1977 : 174, 208]. Même si, comme le supposent
les informateurs les plus sceptiques, les œufs avaient
Si tout le monde sait habituellement qui est la sor- généralement été apportés dans le champ par un ani-
cière du village, il n’en va pas de même quand la mal ou avaient échappé à une poule, il semble bien
personne suspectée est une voisine. Son statut de que l’enfouissement d’œufs ait été effectivement

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pratiqué dans la région. Les accusations l’emportent De même que personne n’admet volontiers l’avoir
certainement en nombre sur les cas réels et la majorité fait, personne ne se laisse attraper en train de le faire.
des personnes identifiées comme sorciers après la visite Dans le meilleur des cas, vous surprenez un voisin sur
à la diseuse de bonne aventure n’ont sûrement rien vos terres puis, en fouillant l’endroit où il rôdait, vous
fait. Si les soupçons s’avèrent aussi souvent infondés trouvez un œuf fraîchement enterré. Toutefois, il se
c’est que cette pratique magique fait partie du savoir peut également que cet œuf ait été enfoui selon l’une
collectif, et qu’en découvrant l’un de ces objets, on des procédures à suivre quand on trouve un œuf sur
pense aussitôt qu’il a pu être enterré avec l’intention sa propriété : il faut le retourner au voisin ou à la
de nuire. personne soupçonnée de l’avoir déposé, c’est-à-dire
Naturellement, personne n’admet volontiers avoir l’enterrer à votre tour dans son champ. Qu’il soit rendu
déposé des œufs sur les terres d’un voisin. Le récit ou non à la bonne personne, celle-ci aura alors toute
suivant contient cependant l’une de ces rares admis- justification à s’en débarrasser en le retournant elle
sions et il permet de supposer que quelquefois la pra- aussi, si bien qu’une sorte de chaîne peut se mettre en
tique avait effectivement lieu, et n’était pas seulement place sans que l’on sache en fin de compte qui a
une chose dont on accuse ses voisins. Au cours d’une commis l’acte malveillant à l’origine.
conversation, l’une de nos informatrices a ainsi déclaré
que son beau-père aujourd’hui décédé avait reconnu
avoir enterré un œuf dans la propriété d’une voisine. ■ Le concept cognitif sous-jacent
Comme elle avait entretenu avec lui de son vivant
d’excellentes relations, il est peu probable qu’il se soit aux accusations mutuelles
agi d’une accusation infondée visant à salir sa mémoire.
De plus, son geste lui paraissait justifié dans la mesure Mais qu’est-ce qui motive les actes de ces voisines
où il ne faisait « que répondre » à une femme qui avait accusées d’être des sorcières ou simplement de mau-
la première tenté de l’atteindre en enterrant des œufs vaises personnes ? Comme l’indiquent les récits que
dans son champ. Le beau-père a dit : nous avons rapportés, les motivations qui reviennent
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– Je sais qu’il n’y avait pas d’œuf, car je l’ai bêché le plus souvent sont l’envie ou la jalousie et la méchan-
dans la soirée et je sais qu’il n’y avait rien, OK ? Puis ceté. Rien d’étonnant à cela. L’ethnologie ne cesse
j’y retourne dans la matinée et je trouve trois flotteurs. d’en témoigner : dans le monde entier, l’envie est le
Ce sont des œufs pourris, OK ? Et c’était probable- sentiment qui se voit attribuer la plus grande force
ment cette voisine qui n’avait pas eu de… Ses poulets destructrice et qui est le plus souvent associé à la sor-
ou ses poules n’avaient pas pondu, OK ? Et elle s’est cellerie [Mathisen, 1993 : 20 ; Schiffmann, 1987 :
dit : maintenant je vais mettre des œufs sur sa propriété 160 ; Pina-Cabral, 1986 : 175-80 ; Henningsen,
et alors, parce que je lui veux du mal, il va subir la 1982 : 132 ; Alver et Selberg, 1987 : 28 ; Rey-
malchance, OK ? Henningsen, 1994 : 205 ; Jenkins, 1991 : 323]. Selon
– Si elle les avait déposés, quelles auraient été les Pina-Cabral, qui a travaillé dans le nord du Portugal,
conséquences pour la maison de votre père ? ce sentiment n’est pas réservé aux seuls villageois, pour
– Mauvaises. lesquels il a d’ailleurs une signification plus large. Figu-
– De quelle façon ? rant parmi les concepts fondamentaux de la vision
– Nous n’aurions pas eu de chance avec les poules paysanne du monde, il représente en effet rien moins
de la maison, par exemple, si c’était vrai. que le principe même du mal, c’est-à-dire une force
– Uniquement avec les poules ? incontrôlable. L’envie ne se réduit pas à un simple
– Oui. Car c’est ce qu’elle voulait avec les œufs. Et sentiment présent uniquement chez la personne qui
c’est ce que cet homme a dit : « Oui, je sais parfaite- l’éprouve, c’est une relation entre la personne qui la
ment de quelle femme il s’agit, et alors je le lui ai suscite et la personne qui en subit les effets [Pina-
retourné. » Cabral, 1986 : 176]. Son pouvoir est si dévastateur
– Comment le lui a-t-il retourné ? qu’il peut causer la maladie ou la mort [Alver, 1989 :
– Comme ça, de son côté, il lui a retourné l’œuf… 114]. Il constitue la principale cause de malchance :
Sans qu’elle le sache. qu’un malheur survienne et, selon une logique infle-
– Il a déposé des œufs sur ses terres ? xible, l’envie est rendue responsable [Pina-Cabral,
– Oui. (91) 1986 : 177]. Dans son article sur la sorcellerie en

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Pologne, Aldona C. Schiffmann note la croyance selon L’idée de limitation des biens est très proche de celle
laquelle les fortes émotions négatives comme la colère, de chance. Pour son auteur, George Foster, mais aussi
la haine ou l’envie, quand elles ne sont plus contrôlées, pour Alver et Selberg [1987 : 28-9], pour Stein Mathi-
se matérialisent sous forme de maux [1987 : 161]. sen [1993 : 19-20] et, en rapport avec le mauvais œil,
L’envie des voisins est une force nuisible, un poison pour Alan Dundes [1980], le concept est même direc-
habituellement distillé par les autres habitants du vil- tement lié à la sorcellerie en tant que modèle cognitif
lage ou du hameau : dans l’Alto Minho au Portugal, typique des communautés villageoises fermées. Il
la prière vespérale récitée en famille pouvait inclure éclaire en effet la représentation du monde des paysans
l’« ennemi à la porte », c’est-à-dire l’envie des voisins qui se comportent comme s’il n’existait qu’une quan-
[Pina-Cabral : ibid.]. Gustav Henningsen pense même tité limitée de toutes ces choses désirables que sont la
que les anciennes formes de salutations servaient à terre, la richesse, la santé, l’amitié, l’amour, la virilité
convaincre autrui de ce qu’on n’était pas envieux et l’honneur, le respect et le statut ou le pouvoir et
[1982 : 132]. l’influence. Il n’y en a jamais assez et il est impossible
À ce jour, les recherches qui se sont penchées sur d’accroître les réserves disponibles. Dans un tel sys-
les systèmes cognitifs sur lesquels reposent ces accusa- tème, on ne peut donc améliorer sa condition qu’aux
tions montrent que l’envie est surtout associée à deux dépens d’autrui. Si bien que toute amélioration de la
autres concepts : la chance (économie de la bonne situation d’un de ses membres est interprétée comme
fortune) et l’idée de limitation des biens telle que l’a une menace pour le reste de la communauté : elle se
définie l’anthropologue américain George Foster fait nécessairement au détriment d’un autre de ses
[1965]. Schiffmann, quant à elle, écrit que le concept membres [Foster, 1965] 8. À la question de savoir pour-
de chance est fondamental pour les paysans polonais quoi certaines personnes enterrent des objets dans le
et qu’il explique de nombreux conflits [1987 : 161]. champ de leur voisin ou accomplissent ce genre
Dans la recherche qu’il consacre à la croyance aux d’actions, l’un de nos informateurs répond : « Parce
fantômes en Ingrie, Lauri Honko définit ce concept que ce sont de mauvaises personnes. Envieuses. Parce
comme suit : « Les chasseurs, les pêcheurs et les éle- qu’elles le font pour être les seules à avoir, et elles font
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veurs sont tous envieux de ceux qui poursuivent le du mal aux autres. Pour faire du mal aux autres » (56).
même but qu’eux. La valeur populaire de la “chance” Le concept de limitation des biens s’applique en
est toujours extrêmement égocentrique : il s’agit de particulier lorsque la distribution des ressources est iné-
ma “chance dans l’élevage”, de ma “chance à la gale : la pénurie, l’envie et la sorcellerie sont intime-
pêche”, etc., et donc aussi de notre chance, celle d’un ment liées. La recherche dans de nombreux pays
certain groupe (familial). La chance qui appartient à d’Europe confirme ainsi que ceux qui passent pour
un voisin ou à un rival est, au contraire, quelque chose pratiquer la sorcellerie sont souvent, dans la société, ses
de négatif de notre point de vue. La logique suivante membres les plus riches (qui ne veulent pas partager
règne, semble-t-il : une perte, un manque ou un mal ce qu’ils ont) ou les plus pauvres (qui veulent avoir ce
qui survient à autrui est une chance pour moi ; si que les riches possèdent) [Alver et Selberg, 1987 : 28 ;
quelqu’un est malchanceux avec ses animaux, c’est Mathisen, 1993 : 20 ; Pina-Cabral, 1986 : 176, etc.].
d’autant mieux pour moi. Si, en revanche, mes vaches Dans ce contexte où les biens sont limités et où c’est
donnent peu de lait, par exemple, je serai tenté de l’envie qui motiverait les accusations, les pauvres appar-
soupçonner mon voisin d’avoir pris une plus grande tiennent à une catégorie potentiellement dangereuse
part de la chance collective que celle qui lui revient en raison même de leur position sociale, inférieure, et
de droit. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’une analyse objec- de leur indigence matérielle 9. Sur notre terrain
tive : même si mes vaches n’ont jamais donné autant, d’enquête, cependant, où tout le monde ou presque
la situation reste intolérable du simple fait que celles est également pauvre, les membres les plus riches ou
de mon voisin donnent plus. La structure sociale des les plus pauvres (notamment les mendiants) peinent à
valeurs est ici évidente : c’est la chance d’autrui qui constituer un échantillon. La menace vient principa-
sert de base à la comparaison, si bien que l’envie est lement des voisins, d’autres villageois – tout aussi
un phénomène constant, qui est simplement accentué pauvres. La croyance veut qu’un voisin envieux puisse
par l’adversité ou la malchance. On tentera alors redistribuer à sa guise les ressources disponibles, soit en
d’améliorer la situation par tous les moyens, y compris s’aidant d’objets enterrés, du mauvais œil, d’éloges per-
en volant la chance de ses voisins » [1962 : 119-20]. nicieux, de dons ou de touchers malfaisants, soit en

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recourant à des actions plus élaborées comme le vol de explique également la peur d’être victime d’un tel acte
lait avec une corde ou un crapaud, ou encore le vol et d’être privé de sa part des ressources. Malgré des
de rosée pour s’approprier la récolte. Si le champ de spécificités locales, la plupart des pratiques rencontrées
votre voisin est stérile, si ses cochons meurent et ses dans l’est de la Slovénie se retrouvent dans tout le pays,
vaches tarissent, vos chances sont d’autant plus grandes mais également en Europe et très probablement au-
d’avoir un champ fertile, des cochons bien dodus et delà. La peur de l’envie, ainsi que le système cognitif
des vaches pleines de lait. sous-jacent aux accusations de sorcellerie, semble en
Les accusations de sorcellerie et l’interprétation de effet être un phénomène presque universel. ■
certains actes ou de leurs « traces » (œuf, os enterrés,
etc.) comme des actes délibérément malveillants se Traduit de l’anglais par Sylvie Muller,
comprennent dans le cadre de ce concept cognitif, qui smtrads@orange.fr

Notes naissent du soupçon, comme ce fut le cas dans


un village de Štajerska à une époque très
arriver un désorcelleur (des pouvoirs duquel ils
avaient probablement beaucoup entendu par-
récente » [Pajek, 1884 : 27]. À Bohinj, ils ler), que leurs voisins les accusaient de sorcel-
1. Il existe bien sûr des sorciers, mais la enfouissaient des ossements ou des griffes sous lerie et qu’ils étaient la cible d’un rituel
majorité des auteurs s’accordent pour dire le seuil ou dans le tas de fumier [Cvetek, 1993 : magique. Elles ont alors été saisies d’une peur
qu’en Europe la sorcellerie est surtout une 142, 149], de même qu’entre Sevnica et Krško panique qui s’est soldée par la faillite de leur
affaire de femmes. De plus, mes interlocuteurs [Krejan, 1999 : 83], dans la vallée supérieure ferme, un déménagement loin du village et
parlent presque toujours de sorcières, si bien de Kolpa [Primc, 1997 : 207, 199] et à l’enfermement en hôpital psychiatrique ou
que j’en ferai autant dans cet article. Gabrovka où cela était censé faire flétrir les même la mort [1980 : 85-91, 161, etc. ; 1977 :
navets [Kastelic et Primc, 2001 : 58, 115]. À 127 sqq., 208].
2. Witch, qui désigne avant tout la sorcière, Podpeca, pour nuire à quelqu’un, il fallait
totalise 89 700 000 entrées dont 37 200 000 rien enterrer un os humain sous le seuil de sa mai- 8. En définissant ce concept, Foster consi-
que pour les images. En français, en revanche, son ; en le plaçant à l’endroit où les poutres dérait la communauté paysanne comme un sys-
« sorcière » affiche 12 600 000 dont 335 230 forment une croix, la personne serait malade tème fermé. Selon lui, les paysans envisageaient
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images seulement qui correspondent davantage dix ans (en slovène, le même mot désigne la leur existence comme déterminée et limitée
au type du personnage traditionnel [Ndt]. croix ou le signe de croix et la décennie) par les ressources naturelles et sociales de leur
[Repanšek, 1995 : 211, 144]. En France, ils village et de ses environs immédiats [1965 :
3. En réalité Favret-Saada a enquêté en enterraient également des crapauds [Favret- 296]. On lui a notamment reproché de ne pas
dehors de son lieu de résidence, mais elle a été Saada, 1980 : 135 ; 1977 : 175]. En Allemagne, tenir compte de l’influence des marchés étran-
particulièrement attentive aux relations entre la ils enfouissaient des pots d’ossements ou la peau gers ; mais de toute façon, dans le cas de notre
victime et le désorcelleur qu’on allait habituel- d’animaux sauvages, par exemple, sous la porte terrain d’enquête, ceux-ci sont quasi
lement chercher en dehors du lieu de résidence ou le seuil de la maison et sous le chemin inexistants.
de la victime. emprunté par le bétail [Heinsohn et Steiger,
1993 : 81], mais aussi du pain et des ossements 9. L’un des relecteurs (d’Ethnologie fran-
4. Favret-Saada estime toutefois qu’il faut çaise) pour cet article m’a fait remarquer que le
considérer ces affirmations avec prudence [Kruse, 1951 : 15, 25]. En Irlande, ils cachaient
un quartier de vache aux quatre coins du problème n’est pas purement économique,
[1980 : 64-5 ; 1977 : 98].
champ d’un voisin afin de détruire sa récolte, toute personne marginale pouvant être accusée
5. L’enterrement d’un objet dans le but et des œufs tout autour de ses terres pour que de sorcellerie. Les personnes les plus exposées
de causer du tort à son voisin n’est pas une ses vaches meurent [Jenkins, 1991 : 313]. à ce type d’accusations ou les plus susceptibles
pratique limitée à notre terrain d’enquête. d’acquérir la réputation de sorcière de village
Selon un auteur slovène du XIXe siècle : « Si 6. Les numéros renvoient aux informa- sont en effet des femmes, surtout si elles ont
teurs cités en fin de texte.
vous enterrez des ossements dans le champ ou un statut social inférieur, vivent seules au bord
le jardin d’une personne, vous volez son béné- 7. Favret-Saada rapporte le cas de per- du village et n’entretiennent pas de relations
fice et, souvent, les accusations et la haine sonnes qui ont réalisé, notamment en voyant sociales [voir Mencej, 2008 : 301].

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Ethnologie française, XLII, 2012, 2


Dossier : Bembo puf318855\MEP\ Fichier : Ethno_2_12 Date : 30/1/2012 Heure : 16 : 27 Page : 323

Envie et sorcellerie dans la Slovénie rurale 323

Informateurs cités (84) Femme née en 1919, ménagère. Enregistrée par Tanja
(16) Femme née en 1919, veuve avec deux enfants, agricultrice Bizjan, Mirjam Mencej et Tina Volarič en mars 2001.
et ménagère. Enregistrée par Alenka Bartulović, Mirjam Men- (91) Femme née en 1948, agricultrice et ménagère, employée
cej, Ljupčo Risteski et Tina Volarič en juillet 2000. dix ans comme domestique dont cinq dans la capitale. Enre-
(56) Homme né en 1932, agriculteur. Enregistré par Iza Verdel gistrée par Tanja Bizjan, Mirjam Mencej et Tina Volarič en
en octobre 2000. mars 2001.

ABSTRACT
Envy and witchcraft in rural Slovenia
The paper is based on field research of traditional village witchcraft in a rural area of Eastern Slovenia in 2000/1. It presents typical
malicious deeds (especially burying objects in a neighbour’s property) which people ascribed to so-called neighbourhood witches,
whose main driving force behind the harm they do was considered to be envy. The paper discusses attitudes toward them and the
cognitive system underlying the accusations.
Keywords : Witchcraft. Magic. Envy. Limited good. Slovenia.

ZUSAMMENFASSUNG
Neid und Hexenkunst im ländlichen Slowenien
Dieser Artikel, der sich mit der traditionellen ländlichen Hexenkunst beschäftigt, stützt sich auf eine, zwischen 2000 und 2001,
in einer ländlichen Region in Ostslowenien durchgeführte Studie. Der Autor untersucht z.B. typisch boshafte Gepflogenheiten wie
das Vergraben von Gegenständen auf dem Nachbargrundstück ; Gepflogenheiten, die als « Nachbarschaftshexerei » bezeichnet werden
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 23/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 92.184.117.47)

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können und deren Motiv meist Eifersucht ist. Den Autor interessieren besonders die Reaktionen, die dieses Verhalten hervorruft
und das kognitive System das hinter den Anschuldigungen steht.
Stichwörter : Hexenkunst. Magie. Neid. Einschränkung des Wohls. Slowenien.

IZVLEČEK
Zavist in čarovništvo na podeželju Slovenije
Članek temelji na terenski raziskavi čarovništva na podeželju vzhodne Slovenije v letih 2000-2001. Avtorica v njem predstavlja
tipična škodljiva dejanja (zlasti zakopavanje predmetov na območje soseda), ki so jih ljudje na tem območju pripisovali t.i. sosedski
čarovnici, katere glavna gonilna sila v ozadju škodovanja naj bi bila zavist. Obravnava tudi odnos ljudi do teh « čarovnic » in kognitivno
orientacijo skupnosti v ozadju takšnih obtožb.
Ključne besede : Čarovništvo. Magija. Zavist. Omejene dobrine. Slovenija.

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