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L'IPSÉITÉ ET L'ALTÉRITÉ EN QUESTION : HEIDEGGER, SARTRE,

KIERKEGAARD

Robert Tirvaudey

Presses Universitaires de France | « Revue philosophique de la France et de


l'étranger »

2012/3 Tome 137 | pages 341 à 356


ISSN 0035-3833
ISBN 9782130594031
DOI 10.3917/rphi.123.0341
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-philosophique-2012-3-page-341.htm
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L’IPSÉITÉ ET L’ALTÉRITÉ EN QUESTION  :
HEIDEGGER, SARTRE, KIERKEGAARD

L’angoisse, au sens heideggérien de ce terme, est-­elle une tonalité


fondamentale isolante ? Le Dasein ne se libère-­t-­il qu’en se repliant
sur lui-­même dans l’isolement ? Notre hypothèse est que l’angoisse
révélatrice de l’ipséité ne coupe pas le Dasein des autres. La conquête
du Soi ne se fait pas contre les autres ni sans les autres. Tout notre
parcours visera à valider cette interprétation1.
Nous procéderons en trois temps. Nous montrerons d’abord que
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l’angoisse heideggérienne n’implique ni négation ni privation de
l’autre. Le Dasein angoissé est seul parce qu’il se découvre unique face
à l’autre. Nous confirmerons ensuite ce point en discutant ­quelques
aspects de la lecture sartrienne de l’œuvre de Heidegger. Enfin, nous
esquisserons une comparaison entre l’angoisse selon Heidegger et
l’angoisse selon Kierkegaard.

Ipséité et intersubjectivité

En tenant compte de la distinction heideggérienne entre le solip-


sisme existential et le solipsisme classique, il faut dissocier deux
modes de l’être-­avec : le mode authentique et le mode inauthentique.

1. Heidegger, en mettant en évidence à partir de l’angoisse l’abrupt héroïsme


du solus ipse, aurait été tenté par une « sagesse romantique » : cf. J. Paumen,
« La sagesse romantique de Martin Heidegger », Revue internationale de philo-
sophie, 9, 1949, p. 281-­289. L. Binswanger fut le premier à dénoncer la lacune
de l’analytique existentiale qui interdit de penser l’authenticité du Nous ou d’un
être-­avec-­l’autre authentique en raison du solipsisme qu’implique l’angoisse. Contre
Heidegger, il conduit l’analyse d’un être en commun authentique sur la base de
l’« amour » (Liebe). Cf. L. Binswanger, Grundformen und Erkenntnis des menschli-
chen Daseins, Zurich, 1942, p. 51 sq.
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Commençons par nous tourner vers l’exister quotidien. En tant qu’il


est facticiellement être-­au-­monde, le Dasein est être-­avec le Dasein
d’autrui. Se comprenant à partir des choses, l’autre est compris sur
le mode de l’étant subsistant, il est saisi dans son mode d’être-­
­là-­avec à partir des choses2. Le Dasein en propre se dissout dans
le mode d’être des autres, de telle sorte que s’évanouit toute diffé-
renciation. Le On prescrit le mode d’être de la quotidienneté. La
publicité (Öffentlichkeit) décharge le Dasein de toute décision, de
toute responsabilité, jusqu’à sa charge d’être. Au lieu d’assumer sa
propre décision, chacun laisse le On décider pour lui. Le On déleste
le Dasein de l’angoisse d’avoir à être son Soi propre, et celui-­ci troque
l’angoisse contre des peurs sécurisantes.
Le pouvoir de l’angoisse est précisément de dissocier ce qui
est inauthentique de ce qui est authentique, en montrant que le
Dasein est Mitsein. C’est la peur, et non l’angoisse, qui explique ce
dévalement de l’autre sur la base de l’étant subsistant : le Dasein
apeuré rencontre l’autre comme un étant à-­la-­portée-­de-­la-­main,
tandis que, dans l’angoisse, il le découvre comme être-­au-­monde.
La question du qui selon l’être soi-­même déchu dans le On n’est
donc pas le point définitif de la question du qui dans son rapport à
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autrui. Il faut distinguer l’être-­avec inauthentique du Selbst authen-
tique. Le Mitsein est avant tout le On, mais Heidegger ne réduit
pas autrui au lieu privilégié de la dissimulation. Il pousse à sa
limite la critique de la dissolution de l’individuel dans une société
banale en dépassant le stade social-­historique pour accéder à la
dimension ontologique.
La réappropriation de soi passe par la désaliénation, et l’an-
goisse est le point archimédien de l’appropriation authentique de soi.
L’angoisse singularise, elle libère le Soi du joug du On et des relations
faussées avec autrui. Si le Dasein propre est en retrait par rapport aux
autres, il ne rompt pas avec autrui. C’est là toute la problématique
ontologique du solipsisme existential :
s’il y a dans l’angoisse la possibilité d’un ouvrir privilégié, c’est parce
que l’angoisse isole. Cet isolement ramène le Dasein de son échéance et lui
rend l’authenticité et l’inauthenticité manifestes en tant que possibilités de son
être. Ces possibilités fondamentales du Dasein qui est à chaque fois mien se

2. Heidegger, Sein und Zeit (1927), Tübingen, M. Niemeyer, 14e éd.,


1977, § 26, p. 118 ; Être et Temps, trad. E. Martineau, Paris, Authentica,
1985, p. 103. Les références aux textes allemands sont données dans l’édi-
tion des Œuvres complètes de Heidegger parues dans la Gesamtausgabe (ga)
chez V. Klostermann, Frankfurt/Main. La pagination du texte allemand pré-
cède celle de la traduction.
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montrent dans l’angoisse comme en elles-­mêmes – non dissimulées par l’étant


intramondain auquel le Dasein s’attache de prime abord et le plus souvent3.

Le Dasein angoissé se découvre dans son inquiétante étrangeté


singularisée. Celle-­ci lui ôte la possibilité de se comprendre sur le
mode de la déchéance. Elle le rejette vers ce pour quoi il s’angoisse,
vers son authentique pouvoir-­être-­au-­monde. La Grundstimmung lève
le voile de la relation inauthentique avec les autres, tout en montrant
quel est le véritable rapport à eux. Lorsque le Dasein découvre le
monde comme monde, cette rupture déverrouille l’accès à autrui.
Le Dasein angoissé est le Da, le lieu de l’être-­avec. Le « Là » du
Da-­sein marque la présence d’autrui4. Se demander ce qu’il en est
de la question de l’être, c’est donc se questionner sur la présence de
l’autre. Par l’angoisse acceptée, le Dasein brise le solipsisme dans
lequel l’emmurait le On. Libéré du On, le Dasein angoissé accède à
son être-­avec dans son Selbst, renouant ainsi avec le Mitsein. Selon
Heidegger, l’être-­avec est constitutif de l’être-­au-­monde. Le Dasein est
avoir-­à-­être, être-­à-­soi. Voilà le sens du « solipsisme existential » :
le Dasein est toujours seul dans son rapport à autrui, mais seul ne
signifie pas sans autrui.
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Réfutation de l’interprétation sartrienne de l’ipséité

L’authenticité du Dasein face à autrui a échappé à Sartre dans sa


critique de l’être-­avec selon Heidegger. Ce n’est pas autrui comme « média-
teur indispensable entre moi et moi-­même »5 qui, secondairement,

3. Ibid., § 40, p. [190-­191], 147. On rapprochera la « singularité » (Eigenheit)


de l’« authenticité » (eigentlich) pour marquer que le repli n’a pas le sens de
la coupure avec les autres. On traduira Vereinzelung par « singularisation » ou
« individuation », Isolierung par « isolation », Vereinsamung par « isolement »,
Eisamkeit par « solitude ». La thématique de l’isolement a subi une évolution
de 1919 à 1929. Cf. J.-­F. Marquet, « Genèse et développement d’un thème :
l’isole­ment », in Heidegger 1919-­1929, « De l’herméneutique de la facticité à la
métaphysique du Dasein », Paris, Vrin, 1996, p. 193-­204.
4. Die Grundprobleme der Phänomenologie ; § 19, p. 379 ; Les Problèmes
fondamentaux de la phénoménologie, trad. J.-­F. Courtine, Paris, Gallimard, 1985,
p. 319.
5. J.-­P. Sartre, L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique (1943),
Paris, Gallimard, 1979, p. 294. Sartre fait de l’angoisse devant autrui une détermi-
nation éthique, historique, anthropologique, tandis qu’elle est ontologique, existen-
tiale, chez Heidegger. Cf. « Qu’est-­ce que la littérature ? » (1947), in Situations II,
Paris, Gallimard, 1980, p. 329. Sartre pense son rapport à Heidegger sous l’angle
de l’influence dépassée du concept d’être-­avec. On pourrait parler d’une « infidélité
fidèle » de Sartre à Heidegger, ce dernier lui étant une référence constante sur
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structure mon ipséité, mais c’est le Mitsein qui conditionne mon


rapport mien à autrui. Dire que l’ipséité découle de mon rapport à
autrui, n’est-­ce pas poser le Soi comme simple résultat de ma posi-
tion vis-­à-­vis d’autrui ? Si l’ipséité est postérieure à mon rapport
avec autrui, le Soi-­même n’est plus que sujet. Heidegger refuse de
considérer le rapport à soi sous cet angle. Le Dasein est remis à son
Soi-­même sur le mode de la facticité. Il est déjà jeté dans son Soi
avec autrui, qu’il a à assumer. Comment pourrais-­je entrer en rapport
avec mon être, si je n’étais par avance ouvert authentiquement à mon
être-­avec ? Si l’être-­avec se dissimule, n’est-­ce pas parce qu’il est
Mitdasein ?
En dépit d’expériences telles que le sacrifice, l’amour, l’amitié,
la compassion, personne ne peut vivre ou mourir comme moi ou pour
moi6. L’ipséité levée dans l’angoisse est un existential, un caractère
ontologique de l’être d’une existence toujours mienne. La singularité
existentiale n’est pas le négatif de la structure du Mitsein propre au
Dasein. La mienneté n’est pas la privation structurelle du Mitsein,
mais elle en est le fondement, puisque ma relation à l’autre dépend
de mon rapport à mon être. Ce que tout Dasein a en partage avec
autrui, c’est justement cette mienneté qui le singularise.
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Le problème de l’autre n’est pas résolu pour autant ; il est trans-
porté ailleurs, sur le plan ontologique, et il est donc aggravé. Ayant
dépsychologisé autrui pour l’ontologiser, Heidegger peut-­il opérer un
retour à l’autre dans la relation intersubjective ? À cette objection,

le mode d’une distance critique. La surinterprétation de Sartre provient du peu de


matériel dont il disposait, à savoir la traduction par Corbin de Was ist Metaphysik ?,
de Vom Wesen des Grundes et de fragments de Kant und das Problem der Metaphysik
– textes dans lesquels le Mitsein est à peine esquissé. Cf. A. Flajoliet, La Première
Philosophie de Sartre, Paris, H. Champion, 2008, p. 881 sq. On se gardera de voir
en Sartre celui qui aurait repris le Mitsein sur le mode de la défiguration, pour
une raison bien simple : il n’a pas lu Heidegger avant d’avoir conceptualisé le
pour-­autrui, si ce n’est de manière partielle et par le biais de S. de Beauvoir qui,
elle-­même, n’avait accès qu’à des fragments de l’œuvre heideggérienne. Sur son
rapport à Heidegger, qu’il comprend, en fait, comme husserlien avec quelques
aménagements, on peut se référer aux Entretiens avec Sartre, Paris, Grasset, 2011,
p. 43, 61, 97, 357.
6. « Cet être qui est nôtre n’est pas celui d’un sujet isolé, mais [...] : être-
­ensemble historiquement comme être dans un monde. Qu’un tel être de l’homme
soit chaque fois mien, cela ne signifie pas que cet être se “subjectivise”, se réduise
à l’individu isolé et se détermine à partir de lui. Cela signifie uniquement qu’en
dernier et en premier lieu, toujours cet être-­ensemble de l’homme doit passer
par des décisions dont aucun homme ne peut jamais décharger aucun autre. »
Hölderlins Hymnen « Germanien » und « Der Rhein » (1934-­1944), ga 39, § 72 c,
p. 174-­175 ; Les Hymnes de Hölderlin. La Germanie et le Rhin, trad. J. Hervier et
F. Fédier, Paris, Gallimard, 1988, p. 164.
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nous répondrons que l’analytique du Mitsein opère une remontée


aux fondements de l’intersubjectivité. Il n’y a pas opposition entre
solitude et socialité : le Dasein angoissé est individué et socialisé
dans un même mouvement. Ce n’est nullement la solitude héroïque
d’une affirmation de soi dans la finitude de l’existence. La singu-
larisation de l’homme ne l’oblige pas à se raidir « sur son petit
moi frêle, lequel se rengorge devant ceci ou cela qu’il tient pour le
monde »7. L’angoisse ne renvoie pas à un moi isolé, mais au pouvoir-
­être au-­monde avec d’autres êtres-­au-­monde. « Dans la mesure où
l’être-­au-­monde appartient à sa constitution fondamentale, le Dasein
existant est essentiellement être-­avec autrui en tant qu’être auprès de
l’étant intramondain. »8 Être-­avec autrui « signifie être-­avec un autre-
­être-­au-­monde, être co­présent-­au-­monde »9. Le monde est, d’emblée,
un monde partagé avec autrui.
Il est donc insuffisant de chercher à résoudre le problème du solip-
sisme par le recours à une simple relation Je-­Tu10. La relation Je-­Tu
en tant que rapport de Dasein à Dasein n’est saisissable qu’à partir
de la détermination ontologique de l’être du Dasein comme être co-­
présent-­au-­monde. Apprécier l’enjeu de la co­présence du Toi au regard
des possibilités facticielles est un tout autre problème : cette diffi-
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culté ne relève pas de l’analytique existentiale, qui reste sur le strict
plan ontologico-­existential, mais d’une analyse ontico-­existentielle qui
appartient à l’anthropologie concrète. « Le Dasein est un être-­avec autrui
au sens du Moi-­même avec Toi-­même. »11 C’est parce qu’il ek-­siste au

7. Die Grundbegriffe der Metaphysik (1929-­1930), ga 29/30, § 2 b, p. 8 ; Les


Concepts fondamentaux de la métaphysique, trad. D. Panis, Paris, Gallimard, 1992,
p. 10.
8. Die Grundprobleme der Phänomenologie, ga 24, § 20 a, op. cit., p. [394],
p. 334.
9. Ibid. Ce qui a suscité chez Sartre l’interrogation suivante : « Quand bien
même nous admettrions sans réserves cette substitution de “l’être-­avec” à “l’être-
­pour”, elle demeurerait pour nous une simple affirmation sans fondement. Sans
doute rencontrons-­nous certains états empiriques de notre être – en particulier ce
que les Allemands dénomment du terme intraduisible de Stimmung – qui semblent
révéler une coexistence de consciences plutôt qu’une relation d’opposition. Mais
c’est précisément cette coexistence qu’il faudrait expliquer. Pourquoi devient-­elle
le fondement unique de notre être, pourquoi est-­elle le type fondamental de notre
rapport avec les autres, pourquoi Heidegger s’est-­il cru autorisé à passer de cette
constatation empirique et ontique de l’être-­avec à la position de la coexistence
comme structure ontologique de mon “être-­dans-­le-­monde” ? » J.-­P. Sartre, L’être
et le néant, op. cit., p. 303-­304.
10. Die Grundprobleme der Phänomenologie, op. cit., § 20 a, p. [394], 335.
11. Ibid., § 20 e, p. [426], 360. Voir aussi ibid., § 20 e, p. [422], 357 : « C’est
uniquement dans la mesure où le “sujet” est déterminé par l’être-­au-­monde qu’il
peut devenir, à titre d’ipséité, un Tu pour autrui. C’est parce que je suis une ipséité
existante que je peux devenir un Toi pour un autre en tant qu’Ipse. La condition
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monde qu’il se porte en direction de l’autre selon ses possibilités d’être.


Mais le Dasein s’oublie en se rapportant à autrui à travers la relation
existentielle Je-­Tu. En montrant que les détracteurs de Heidegger ont
interprété la relation à autrui à partir de la seule co­existence exis-
tentielle inauthentique, nous pouvons ainsi retourner leur critique. Ce
n’est que sur la base de l’ipséité existentialement appréhendée comme
en-­vue-­de-­soi-­même qu’est convenablement saisi l’être-­avec12.
Ce virage, Sartre l’a manqué : selon lui, l’ego sum atteint l’être-
­pour-­soi par la nausée. Chez Heidegger, l’être-­avec façonne l’être-­soi
dans l’instant de l’angoisse ; se convertir, ce n’est pas – comme
pour Sartre – se transformer soi-­même pour avoir un autre regard
sur autrui, mais c’est, par l’interposition de l’angoisse, muter en
l’autre dans la dimension du dialogue13, et non plus sur le mode de
la connaissance.
L’angoisse n’est pas le sentiment d’être exclu d’une communauté.
Comment, après avoir affirmé que le Dasein angoissé ek-­siste toujours
à l’extérieur de lui-­même vers autrui, Heidegger pourrait-­il penser une
angoisse claquemurant le Dasein dans le Soi ? La thèse « Das Dasein
ist seine Erschlossenheit » interdit de retenir le Dasein dans le repli sur
soi. La critique heideggérienne de la conscience va dans le sens d’un
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rejet du moi isolé. La « conscience », au sens sartrien de ce terme,
voue le Dasein au solipsisme en le cloîtrant dans une sphère où l’autre
n’apparaît qu’accidentellement. L’angoisse me singularise, non en m’en-
fermant en moi-­même, mais en m’ouvrant à l’autre. Ainsi, l’être-­avec
ne signe pas une relation épisodique avec autrui, mais il appartient à
la structure d’ouverture du Dasein. Il faut distinguer « être-­seul » et
« solitude ». Le Dasein inauthentique est dispersé, et cette dispersion
est la structure du On. L’extrême rejet vers soi, l’abandon à Soi devient
impossible. Le Dasein quotidien ne peut connaître le recueillement.
Celui qui est seul ne peut connaître la solitude ! Celle-­ci a le pouvoir
originaire, non pas d’isoler, mais de jeter le Dasein, en le déliant des
liens inauthentiques, dans la vaste proximité de l’essence de toute
chose. La mienneté qui se révèle dans l’angoisse est l’être-­rassemblé

fondamentale de possibilité de l’ipséité – pouvoir être un Toi dans l’être-­avec autrui


– a pour fondement le fait que le Dasein, à titre d’ipséité, est tel qu’il existe en tant
qu’être-­au-­monde. Le Toi signifie en effet : Toi qui es au monde avec moi. »
12. Cf. Ontologie (Hermeneutik der Faktizität) (1923), ga 63, p. 15 ; Beiträge
zur Philosophie (1936-­1938), ga, § 19, p. 51.
13. Cf. Was ist Metaphysik ?, op. cit., p. 111, 115, où le dialogue est l’essentiel
du langage avec autrui et fonde toute relation avec l’autre. Le Dasein est résolument
transcendance vers autrui comme émergence de l’étant en sa totalité. Heidegger
n’arrête pas sa thèse au seul Dasein, il la radicalise en disant que cet être en ques-
tion qui est mien met avant tout en question mon rapport avec l’autre.
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L’ipséité et l’altérité en question 347

du Dasein. Cet être-­rassemblé s’oppose à l’être-­dispersé. Nous sommes


donc fort loin d’une glorification de la solitude.
Certaines lectures réduisent le Mitsein au Miteinandersein et
considèrent que la critique heideggérienne de l’être-­l’un-­avec-­l’autre
suppose que le Dasein authentique soit solitaire. Or, accepter notre
singularité n’est pas faire montre d’hostilité envers l’autre, mais
d’hospi­talité. C’est en laissant l’être-­autre dans son être que le Dasein
se hisse à son être en propre dans le champ des possibilités, parce
que la pointe extrême de l’angoisse est angoisse devant l’autre. Le
solipsisme existential signifie que le Dasein est enchaîné à la néces-
sité de se préoccuper de soi. Toutefois, le Dasein n’est libre et respon-
sable que pour autant qu’il est condamné à se soucier de soi tout
se souciant de l’autre14. C’est la sollicitude que n’a pas vue Sartre.
L’incommunicabilité ne résulte pas de la difficulté à rendre compte
de ce que nous ressentons, elle ne résulte pas du contenu subjectif de
l’affection, mais de l’impossibilité à communiquer en tant ­qu’ek-­sister
pour soi-­même. Le solipsisme ne se confond donc pas avec la robin-
sonnade ou la misanthropie.
Le Dasein a aussi à aider l’autre à se reconnaître dans son ipséité.
Il s’agit de se donner l’un à l’autre la possibilité d’une rencontre dans
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la vérité. Les individus angoissés se découvrent dans leur faiblesse
originaire, ils comprennent qu’ek-­sister authentiquement expose les uns
aux autres. Non seulement l’angoisse révèle le Dasein dans son ipséité
authentique, mais encore elle dénonce l’ipséité inauthentique. C’est sur
le mode inauthentique que le Dasein s’éprouve seul parce qu’accaparé
par l’étant ; en se réfugiant parmi les objets du monde, il finit par
oublier la présence de l’autre qu’il réduit à l’état de chose. L’angoisse, en
montrant qu’il y a d’autres possibilités de comprendre l’autre, acquiert
une dimension sociale. Elle insère le Dasein dans une communauté
d’individus en relations réciproques singularisant chacun15.
Le « côte à côte » quotidien a donné prise à l’hypothèse solipsiste
postulant que l’individu est originairement une conscience esseulée,

14. « Cette proposition : “le Dasein existe essentiellement en-­vue-­de soi-


­ ême”, n’affirme pas ontiquement que la fin facticielle du Dasein facticiel consiste
m
en premier lieu et exclusivement à se préoccuper de soi-­même, en utilisant pour ce
faire autrui comme un instrument. » Sein und Zeit, op. cit., § 20 e, p. [420], 355.
15. Cf. Hölderlins Hymnen « Germanien » und « Der Rhein », op. cit., § 7 g,
p. [72-­73], 76-­77. Heidegger parle de « compagnons d’angoisse » comme fonda-
tion d’une communauté authentique. Voir aussi ibid., § 49, p. [302], 304 : « Par
conséquent, pouvoir accompagner, pouvoir se transposer, c’est malgré tout problé-
matique même pour l’homme, en dépit du fait – et justement en raison du fait – que
l’humain, de par l’essence de son être, se tient toujours déjà dans un être-­ensemble
avec d’autres. »
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que le moi individuel est premier et que, par conséquent, il faut


surmonter cette individualité pour dépasser le problème de la diffi-
culté de la communication des consciences. La cohabitation serait
alors une victoire sur l’isolement originaire. Cette erreur métaphysique
s’origine, selon Heidegger, dans la théorie de la conscience16. L’erreur
solipsiste est d’avoir pris pour l’essence de l’homme ce qui n’est
qu’une manière d’être, un mode particulier du Mitsein. Heidegger
retrace l’histoire philosophique de la subjectivité en articulant étroite-
ment le sujet et le solipsisme. Au contraire de Sartre, il fait remonter
à Descartes la thèse du Dasein comme sujet et conscience. Cette thèse
a connu avec Kant une mutation pour aboutir à l’idéalisme absolu
de Hegel, qui a absolutisé le moi-­sujet isolé. C’est dans ce cadre
que Heidegger condamne la tentative sartrienne de réaménager le
subjectivisme pour sortir du solipsisme et pour mieux saisir l’être de
l’homme et l’intersubjectivité17.
À la critique de Sartre selon laquelle Heidegger n’a pas su dépasser
le solipsisme, Heidegger pourrait objecter que la liberté sartrienne
est perçue sur le mode de la solitude et de l’angoisse. L’angoisse
sartrienne est angoisse de la liberté mienne avant d’être angoisse pour
autrui. L’authenticité sartrienne se conquiert au détriment d’autrui,
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elle se constitue comme absence de l’autre, dans le sens d’un indivi-
dualisme. Dans quelle mesure la nausée ne retient-­elle pas le pour-­soi
dans le solipsisme ? Ratifiant la subjectivité solipsiste, l’angoisse ne
menace-­t-­elle pas perpétuellement le projet sartrien de dégager une
morale qui prendrait en compte le pour-­autrui ? Le remaniement de
l’angoisse n’est pas suffisant pour réaliser les intentions déclarées
de Sartre de fonder une éthique sur l’angoisse18. Pour Heidegger,
l’angoisse opère une reconversion : elle me délivre de mon altérité

16. « Cette apparence de séparation préalable entre les humains est renforcée
par le fait que la philosophie a répandu le dogme suivant : l’homme est de prime
abord sujet et conscience ; comme tel, il est cela même qui, en premier lieu et de
façon absolument certaine, est donné à ce sujet. » Ibid.
17. « Tous correctifs apportés après coup ne servent à rien ; ils ne font au
contraire que pousser dans cette position qui s’est mise sur pied dans l’idéalisme
absolu de Hegel. » Ibid., § 49, p. [305], 308.
18. J.-­P. Sartre, L’existentialisme est un humanisme, 1946, Paris, Nagel, 1950,
p. 27-­28, 65-­66. Répudié par Sartre, ce texte n’en reste pas moins révélateur.
Sartre relève que chez Kierkegaard la faute originaire « est la détermination : Moi
et Dieu apparaissent. Dieu est recul infini mais immédiatement présent en tant
que le péché barre la route à tout espoir de retour en arrière ; Moi, c’est la fini-
tude choisie, c’est-­à-­dire le néant affirmé et cerné par un acte, c’est la détermina-
tion conquise par le défi, c’est la singularité de l’extrême éloignement ». Sartre,
« L’universel singulier », 1964, in Situations philosophiques, Paris, Gallimard, coll.
« Tel », 1990, p. 314.
Revue philosophique, n° 3/2012, p. 341 à p. 356
L’ipséité et l’altérité en question 349

dégradée, de mon ipséité aliénée, en m’ouvrant à autrui comme tel.


Mais c’est ici qu’il convient d’introduire dans le dialogue qui vient
d’être engagé entre Heidegger et Sartre un nouvel interlocuteur, dont
l’intervention va réorienter en profondeur toute la problématique de
l’ipséité et de l’altérité.

Individualité et communauté

Ce nouvel interlocuteur, c’est Kierkegaard : nous le disons « nou-


veau » parce que, dans notre démonstration, nous choisissons de le
faire intervenir après Heidegger et Sartre. Mais il est évident que, histo-
riquement, il les précède, et nous aurions pu partir de Kierkegaard
pour montrer sur quels points Heidegger et Sartre le rejoignent et sur
quels points ils s’écartent de lui. Toutefois, en adoptant cette perspec-
tive, nous n’aurions pas été fidèle à notre projet, qui consiste à évaluer
l’œuvre heideggérienne à partir d’éclairages sartriens et kierkegaardiens.
Cette précision apportée, examinons les éléments kierkegaardiens qui
­paraissent décisifs19, avant de conclure par une réévaluation à la fois
critique et prospective des notions ici articulées.
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L’individualisme kierkegaardien n’est pas à confondre avec celui
de Stirner, par exemple. Nelly Viallaneix les a rapprochés de façon
ambiguë, puisqu’elle affirme simultanément que Kierkegaard et Stirner
retiennent le même terme « au même moment et pour les mêmes
raisons »20, alors que
Stirner, afin d’obtenir une totale désaliénation, estime nécessaire de ne
“fonder sa cause sur rien”, c’est-­à-­dire d’extraire son Unique du “néant créa-
teur” et de l’y faire retourner. La seule relation possible entre les “uniques”
doit, alors, revêtir la forme d’une simple “association d’égoïstes”. […] Mais
Kierkegaard ne saurait encourir un pareil reproche. Il établit fermement que
l’Unique n’est possible que devant Dieu, parce que, seul, le Dieu qui se révèle
en Christ est capable, dans son absolue toute-­puissance paternelle, d’assurer
la liberté créatrice de sa créature ainsi que son originalité, au sein de la
communauté humaine21.
C’est donc Nelly Viallaneix elle-­même qui se voit contrainte de
dissocier Stirner et Kierkegaard. Il est clair, en effet, que l’individu
selon Kierkegaard et « l’Unique » selon Stirner n’ont rien de similaire.

19. À titre heuristique, indiquons déjà que, contre Heidegger et Sartre, nous
entendons montrer que le salut passe par l’angoisse individualisante, sans que
Kierkegaard en reste à un individualisme pur, car l’angoisse a une dimension réso-
lument sociale.
20. N. Viallaneix, Kierkegaard. L’Unique devant Dieu, Paris, Le Cerf, 1974, p. 18.
21. Ibid., p. 19.
Revue philosophique, n° 3/2012, p. 341 à p. 356
350 Robert Tirvaudey

Le terme même d’Unique (traduction adoptée par N. Viallaneix) n’est


pas opportun quant à Kierkegaard et risque d’entraîner de graves
contresens. Mais conservons de l’analyse de N. Viallaneix ce qu’elle
a de meilleur : son insistance sur le « devant Dieu » à quoi est
invité chaque individu, et par quoi est réellement fondée la dimension
d’authentique communauté humaine.
L’angoisse kierkegaardienne est le point de résistance à un indi-
vidualisme indifférentiste. Kierkegaard n’entend pas nous enfermer
dans l’isolement. L’angoisse, telle qu’il la définit, n’est pas retraite,
mais ouverture à l’Autre selon des liens authentiques. Répétons-­le
avec force : c’est dans une relation verticale à Dieu que s’instaure
une véritable communauté horizontale. Certes, l’angoisse de la foi
chrétienne s’éprouve dans la solitude du rapport à Dieu. Croire,
c’est se décider seul. Cependant, cet individualisme ne fonde pas
une association d’égoïstes, mais une communauté d’individus. L’être
singulier n’est tel que devant Dieu. Et c’est en Dieu qu’une réelle
communauté humaine s’édifie. Dieu-­Amour « n’a qu’une seule joie :
communiquer »22. Or, pour communiquer avec Dieu, encore convient-­il
de se mettre à son écoute.
Inversement, si « dans ce monde de pécheurs, tout est égoïsme »23,
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c’est parce que notre rapport à Dieu est corrompu. Cette corruption
trouve sa source dans la dégradation du langage, de l’écoute, de l’amour,
et dans le refus d’affronter l’angoisse. La voix de Dieu est étouffée par
les bavardages, la parole se limite à des bruits, l’amour se réduit à
l’amour égoïste de soi. L’homme banal et banalisé ne sait plus parler
à l’Autre, donc aux autres. S’il vit dans un monde qui n’a plus de sens,
c’est qu’il se rend sourd à l’appel de Dieu. Le rapport personnel vivant
se dégrade en une relation impersonnelle, abstraite, spéculative.
Existant dans et par la relation qu’il entretient avec Dieu, « l’individu-­­
singulier », au sens spécifiquement kierkegaardien du terme (den Enkelte,
en danois ; nous optons pour la traduction d’Hélène Politis)24, existe
uni avec ses semblables, qui sont, chacun, des individus-­singuliers.

22. Papirer, X (3), A, 585 ; Journal IV, 1850, trad. K. Ferlov et J.-­J. Gateau,
Paris, Gallimard, 1942-­1961, p. 159.
23. Ibid., XI (2), A, 434 ; Journal V, 22 septembre 1855, p. 358.
24. Comment traduire den Enkelte ? H.-­B. Vergote reste fidèle à la traduction
de P.-­H. Tisseau, « l’Individu » (voir Sens et répétition. Essai sur l’ironie kierkegaar-
dienne, Paris, Cerf-­Orante, t. I, p. 8). N. Viallaneix (La Reprise, Paris, Flammarion,
1990, p. 144) dit l’« Unique » insistant sur « en », « un », disant que c’est « le
terme le plus élevé du développement humain ». Nous préférons « l’individu-
­singulier » de H. Politis, qui s’en explique dans Le Vocabulaire de Kierkegaard
(Paris, Ellipses, 2002) et dans Kierkegaard en France du xxe siècle : archéologie
d’une réception, (Paris, Kimé, 2005), notamment p. 217-­219.
Revue philosophique, n° 3/2012, p. 341 à p. 356
L’ipséité et l’altérité en question 351

La relation dynamique avec Dieu se répercute ainsi au niveau de la


communauté spirituelle des frères. L’amour de l’Autre entraîne l’amour
de l’autre25 : « L’amour de soi-­­même est égoïsme, à moins qu’il ne soit
en outre amour envers Dieu – et par là amour envers les autres. »26
L’amour de Dieu va jusqu’à l’amour de l’autre en tant qu’autre.
Le xixe siècle européen a vu s’esquisser le mouvement de déchris-
tianisation qui est devenu, de nos jours, un fait incontestable. Dans
son œuvre, par exemple dans Un compte rendu littéraire27, Kierkegaard
analyse les causes et les conséquences de la destruction des valeurs
morales et religieuses liées à une culture chrétienne. Non assujetti à
une instance transcendante, l’individu s’égare et s’abîme ; en renon-
çant à leur responsabilité, les individus en viennent à se confondre
les uns avec les autres et à se fondre les uns dans les autres sur le
mode social de la masse. Kierkegaard s’en prend aux idéologies qui
manipulent les masses et jouent sur des thèmes qui peuvent séduire
la foule. Il met l’accent sur les dangers d’un athéisme qui s’intensifie,
mais aussi sur la conception politique de l’égalité qui relègue aux
oubliettes l’authentique égalité humaine. La seule égalité recevable
est, selon Kierkegaard, celle de tout un chacun devant Dieu, selon
l’équation universellement valable : « Aimer son prochain comme
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soi-­­même. » Le christianisme, contrairement à ce qu’en pensent
Heidegger et Sartre, ne vise pas à valoriser des vertus chevaleresques,
mais à surmonter l’égoïsme en suivant le précepte : « Aimons-­nous
les uns les autres. »28
De ce diagnostic découle la thérapie : tout être humain doit commen-
cer par réaffirmer son individualité singulière en osant affronter libre-
ment l’angoisse. Paradoxalement, l’angoisse est le lieu de résistance

25. « Il faut avoir souffert dans le monde, avoir été malheureux, avant qu’il
puisse seulement être question de commencer d’aimer le prochain. » Papirer,
VIII, A, 269 ; Journal II, 1847, p. 148. « Ce n’est que dans le renoncement à
soi-­même, dans l’acte de mourir au bonheur, à la joie terrestre et aux bons jours,
qu’alors seulement naît le prochain. » Ibid., p. 149.
26. Ibid., IV, B, 147. Cf. N. Viallaneix, Kierkegaard. L’Unique devant Dieu,
op. cit., p. 115.
27. Cf. Un compte rendu littéraire, 1845, oc VIII, p. 98. Pour saisir l’angoisse
chez Kierkegaard selon le clivage angoisse/Dieu/autrui, voir Le Concept d’angoisse,
1844, oc VII, p. 244 sq. Kierkegaard donne plusieurs modalités de la régéné-
rescence du Soi dont le pardon, qui, dans le don de l’oubli, me restitue la libre
disposition de mon présent, de mon passé et de mon avenir. H. Politis relève que
Kierkegaard ne parle pas du « Moi », mais, selon les cas, du Soi ou du Je.
28. Cf. Kierkegaard, « Un concept d’amour qui n’est que sensibilité et choses
de ce genre est proprement a-­chrétien. C’est, en effet, la définition esthétique qui
convient aussi à l’érotique et aux choses semblables. » Papirer, XI (1), A, 409 ;
Journal V, 1854, p. 144.
Revue philosophique, n° 3/2012, p. 341 à p. 356
352 Robert Tirvaudey

à toutes les formes de terreur29. Mais cette voie salutaire passe par
l’angoisse en l’autre, devant l’autre, pour l’Autre. C’est pourquoi l’an-
goisse rejoint le concept central de l’individu-­singulier30. Insistons sur
ce lieu proprement kierkegaardien. L’individu est appelé à combattre
l’écroulement des valeurs dont la société moderne fait de plus en plus
l’expérience. L’angoisse est secours pour extraire l’homme de cette
impasse : pour devenir individualité authentique, l’homme doit accepter
d’éprouver l’angoisse. L’angoisse le contraint à affronter les possibilités
qui sont en lui, à assumer la douleur du monde et à se reconnaître
pécheur. Il devient le « disciple de la possibilité » et crie d’angoisse
devant la toute-­puissance de la possibilité. Mais Kierkegaard n’aban-
donne pas l’individu à l’angoisse. Celle-­ci n’a de sens que si l’individu
vainc les possibilités temporelles par une foi en l’Éternel. L’angoisse
est à elle-­même sa propre sortie puisqu’elle révèle en chacun la part
divine qui le compose. L’angoisse maintient la vigilance du Soi qui lui
évite de s’abandonner sans discernement aux institutions ou de s’oublier
dans la foule31. L’égalité dévoyée s’installe par la peur et débouche sur
une nouvelle forme de tyrannie. Seule l’angoisse du Soi comme angoisse
devant l’Autre est salvatrice. Au contraire, le gouvernement par la peur
conduit au chaos. Le germe des catastrophes contemporaines se trouve
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29. Soulignons que Heidegger n’a ni laïcisé, ni sécularisé, ni désacralisé
la pensée de Kierkegaard, qui, dans l’œuvre de Heidegger, n’apparaît qu’allu-
sivement et sur un mode critique. Cf. Ende der Philosophie und die Aufgabe
des Denkens, 1926, GA 14, p. 24 ; Einführung in die Metaphysik, 1935, GA 40,
p. 14 ; Phänomenologische Interpretationen zu Aristoteles, 1922, ga 61, p. 15.
Avec Phänomenologie und Theologie, ga 9, 1927, p. 16, Heidegger met la théo-
logie à distance de l’ontologie ; dénonçant l’approche psychologique et existentielle
de l’angoisse individualisante, il expulse le péché, revisite la culpabilité, l’exis-
tence, la déréliction, le possible, le temps selon la logique de l’originaire et de
la dérivation. Cf. Metaphysische Anfangsgründe der Logik, 1928, ga 28 p. 265. Il
conduit, au risque de manquer la spécificité des concepts ­kierkegaardiens, une cri-
tique de l’instant, de la mort, du néant, de la conversion dans Die Grundproblem der
Phänomenologie, 1919-­20, ga 58, p. 377. Il problématise la foi dans Nietzsche II,
1939-­1946, Pfüllingen, Neske, p. 472. N’est-­il pas abusif de parler de l’influence
du Danois sur Heidegger, dans la mesure où il serait oublieux de la question de la
vérité de l’être ? Cf. Platon Lehre von Wahrheit, 1940, ga, p. 36.
30. Den Enkelte (« l’individu-­singulier ») : voilà « la catégorie par laquelle doi-
vent passer au point de vue religieux l’époque, l’histoire, l’humanité » (Point de
vue explicatif de mon œuvre d’écrivain [1848], oc XVI, p. 94. Plus largement, voir
oc XVI, p. 1-­102.
31. Cf. Le Concept d’angoisse, op. cit., p. 145. Heidegger et Sartre n’ont pas su
dissocier les trois catégories centrales de Kierkegaard : le général, le singulier et
le singulier exceptionnel, c’est-­à-­dire l’extraordinaire. Certes, le singulier excep-
tionnel est extra ordinem, en tant qu’extraordinarius : cf. Le Livre sur Adler, 1846,
oc XII, p. 39. Mais même l’apôtre (apostolos : l’envoyé), séparé (aphorismenos,
ayant été mis hors des limites), catégorie de l’extraordinaire, se tient devant les
autres en dépit de sa révélation.
Revue philosophique, n° 3/2012, p. 341 à p. 356
L’ipséité et l’altérité en question 353

dans l’incapacité des individus à lutter contre la pression de la masse,


faute d’un appui reçu d’une puissance transcendante que seule l’an-
goisse de la foi révèle.

Heidegger, Sartre, Kierkegaard

Récapitulons les points d’accord, et surtout de désaccord, entre


Heidegger et Sartre, d’une part, et Kierkegaard, d’autre part.
Tout d’abord, insistons sur ce qui sépare Heidegger de Kierkegaard
quant à la question de l’intersubjectivité. La critique heideggérienne
du On n’est pas sans rappeler la dénonciation par Kierkegaard de
la foule, de la société grégaire, de la culture moyenne engendrant
un égalitarisme douteux, critique qui, chez Kierkegaard comme
chez Heidegger, accompagne l’affirmation de l’individualité32. Avec
cette différence, majeure, que si Kierkegaard se place sur un plan
éthique et religieux (« la foule, c’est le mensonge »), avec Heidegger,
nous sommes dans une dimension ontologique. Cependant, comme
Kierkegaard, Heidegger dégage l’existence propre de la quotidien-
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neté de l’existence régie par le On, il la fait ressortir par contraste
avec le nivellement où tout se trouve d’emblée partagé par tous.
L’angoisse selon Heidegger arrache le Dasein à la dispersion dans
la médiocrité quotidienne ; mais, à la différence du Danois, le Soi-­
même propre est être-­avec en souci de l’autre. Cette sollicitude
a pour fondement le Mitsein qui est toujours à chaque fois mien
vers autrui. Si Heidegger rejoint Kierkegaard en pensant l’angoisse
comme ascension possible jusqu’au Soi à partir d’un arrachement
à l’inauthenticité, cette montée ne se fait pas devant Dieu, mais
avec autrui contre le On. Chez Heidegger, l’angoisse ne conduit
pas au face-à-face avec le Toi absolu. Si le Dasein ek-­siste en
vue de lui-­même, s’il est un être-­en-­avant-­de-­soi, s’il ek-­siste vers
la mort, il ek-­siste en tant que tel comme être-­avec autrui. L’être-
­avec procède de l’être en propre et le précède. Pour Heidegger,
l’angoisse est angoisse d’avoir-­à-­être et non, comme pour Sartre,
angoisse d’être. En revanche, pour Kierkegaard, « l’individu-
­singulier » (den Enkelte) est individu devant l’Autre.

32. Heidegger cite peu Kierkegaard, si ce n’est sur la question de l’angoisse


dans son rapport à Dieu. Il est alors renvoyé du côté du théologique, de l’existentiel
et du pré­ontologique, citant quelques mots en référence à « l’existentialisme », en
liaison avec Schelling ou Nietzsche. Cf. Das Ende der Philosophie und die Aufgabe
des Denkens, Tübingen, M. Niemeyer Verlag, 1968.
Revue philosophique, n° 3/2012, p. 341 à p. 356
354 Robert Tirvaudey

Heidegger est tombé dans le préjugé (que Sartre partage avec


lui) qui consiste à voir dans l’individu kierkegaardien le culte d’un
individu solipsiste, excentrique, alors que dans de nombreuses pages
Kierkegaard insiste sur l’idée que c’est dans le rapport à l’Autre, aux
autres, que tout homme accède au Soi libre. Le « devenir subjectif »
n’est pas l’entreprise solitaire d’un Soi centré sur la relation verti-
cale à Dieu, au détriment de l’altérité. Tout au contraire, il signe le
refus de l’asservissement au nombre. Dans Les œuvres de l’amour,
chacun a près de soi un prochain. L’angoisse lie l’autre et moi, moi et
l’autre, et elle rend réciproque le devoir (c’est-­à-­dire ici : l’exigence
chrétienne) d’aimer les autres en tant qu’autres dans leur altérité.
Si devoir il y a d’aimer l’autre, c’est qu’il y a des proches envers
lesquels l’amour n’est pas un sentiment spontané : aimer, c’est aimer
en chacun l’homme qui forge le Nous selon la dialectique du moi-­
vers-­et-­par-­l’autre, de l’autre-­vers-­et-­par-­moi. Assurément, l’amour de soi
est premier, mais dans l’angoisse s’opère le dépassement de l’égotisme
au profit de l’autre. La communication s’établit dans ce rapport multi-
plié et démultiplié, rapport qui me recrée moi-­même-­comme-­un-­autre,
et qui crée un autre-­comme-­moi-­même33.
Heidegger et Sartre se rattachent à Kierkegaard en ce sens que
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celui-­ci s’élève contre un humanisme qui se dissout dans la sensi-
blerie et les prétendus bons sentiments. À l’instar de Kierkegaard,
Heidegger et Sartre dénoncent la société qui repose sur des relations
impersonnelles, et ils en appellent à une authentique communauté
d’individus. Mais, pour Kierkegaard, il s’agit, dans l’amour vrai, de
reconnaître l’autre comme créature spirituelle appartenant à une
communauté de disciples du Christ ; pour Heidegger et Sartre, il
faut laisser-­être l’autre comme il est dans son être, reconnaître la
liberté radicale de l’autre.
Heidegger et Sartre ne prennent pas en considération l’instaura-
tion d’une communauté telle que celle qu’engage l’angoisse kierke-
gaardienne. C’est ici que le point de divergence est le plus marqué
puisque, selon Kierkegaard, si l’homme de la foule se détourne
maladivement de Dieu, l’angoisse est, au sens strict, conversion et
invitation à une vie nouvelle véritablement heureuse. Sauter dans
la foi angoissante, ce n’est pas fuir la communauté humaine, c’est
l’admettre pleinement. Mais cette communauté humaine à réaliser
ne se confond pas avec une communauté sociopolitique immanente
et établie. L’individualisme chrétien n’est pas un repli solipsiste, il

33. Voir M. Charles, Kierkegaard, atmosphère d’angoisse et de passion, Paris,


L’Harmattan, 2007, p. 100.
Revue philosophique, n° 3/2012, p. 341 à p. 356
L’ipséité et l’altérité en question 355

indique, au contraire, la possibilité d’une intégration des individus


dans une authentique communauté humaine, sous le regard d’amour
de Dieu. Certes, le croyant ne se conçoit que seul dans le rapport à
Dieu, et provoqué à répondre personnellement au Paradoxe. Mais cet
individualisme ne se heurte pas à autrui. Comme croyant, l’individu-
­singulier se tient dans le souci de l’autre. Si le Soi accède dans la
foi à l’existence authentique, c’est toujours comme existant en lien
avec ses semblables et en communion avec eux dans la charité. Le
croyant n’est nullement un fou de Dieu qui mépriserait la communi-
cation et le dialogue.
Il y a une ligne de force commune à nos trois auteurs. Chez
aucun d’eux, la critique de la foule ne signifie une haine de l’homme
ordinaire. Il ne s’agit pas de verser dans un populisme ou dans un
démocratisme qui nieraient la singularité de chaque être humain.
Pour Kierkegaard, l’égalité chrétienne n’est pas l’identité juridique
abstraite, mais la reconnaissance du fait que, devant Dieu, nous
sommes tous semblables dans nos différences mêmes. Den Enkelte
« peut signifier le plus unique de tous et [il] peut signifier chacun »34.
Nous sommes frères dans nos différences spécifiques. Chez Heidegger,
la dénonciation de l’aplanissement ne tend pas à la justification de
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l’aristocratisme, comme le pensera Sartre35. Pour Kierkegaard, le propre
de l’amour authentique est de ne pas chercher son propre intérêt, mais
celui du prochain dans sa différence insondable.
Le reproche que Heidegger et Sartre adressent au penseur danois
est donc immérité, car Kierkegaard n’est pas le défenseur d’une asso-
ciation d’égoïstes ayant pour lien abstrait le rapport à Dieu. Il y a
chez lui un humanisme concret qui se fonde sur l’amour de Dieu. Cet
amour n’est pas solipsiste puisqu’il invite chacun à s’ouvrir aux autres.
C’est dans l’angoisse que je découvre que nous sommes tous frères. La
fraternité en Christ est la condition d’une communion véritable entre
les hommes. L’angoisse ne verse pas dans un « solipsisme à deux ».
S’il est vrai que Kierkegaard discrédite la foule, il ne glisse ni vers une
éthique de la solitude tragique, ni vers un apolitisme passionné36.

34. Papirer, VIII, B, 193 (p. 302), 1847-­1848, trad. N. Viallaneix, Kierkegaard.
L’Unique devant Dieu, op. cit., p. 154.
35. Sartre, « L’universel singulier », op. cit., p. 300. Sartre croit à tort que
Kierkegaard met en avant l’intériorité au détriment de l’extériorité. Or, Kierkegaard,
comme le relève H. Politis (voir Le Vocabulaire de Kierkegaard, op. cit., p. 18),
entend bien participer à la vie éthique concrète.
36. La vraie religiosité est la rencontre factuelle avec l’autre en l’Autre. Cf.
A. Clair, Pseudonymie et paradoxe : la pensée dialectique de Kierkegaard, Paris,
Vrin, 1976, p. 290-­298.
Revue philosophique, n° 3/2012, p. 341 à p. 356
356 Robert Tirvaudey

La critique sartrienne se traduit par un triple déplacement de la facti-


cité, de la liberté et de l’angoisse de la mort en angoisse devant l’autre.
Heidegger n’a jamais infléchi, existentialisé l’angoisse devant l’Autre. Au
contraire, l’angoisse singularise le Dasein dans son rapport à autrui. Le
solipsisme d’ordre ontologique est incompatible avec une authentique
existence dans une communauté. La résolution s’allie avec l’amour
d’autrui, avec la sollicitude mutuelle. En ouvrant un authentique
tissu social, le Mitsein rend possible une communauté en tant que
communauté d’existence. C’est que la Stimmung transporte le Dasein
vers l’être autre en tant qu’autre. Si elle ne détermine pas d’emblée
un socius, l’angoisse prépare la co­existence en faisant apparaître les
conditions de possibilité d’un ethos selon la responsabilité de chacun
en son existence propre et la reconnaissance de l’un à l’autre, de l’un
par l’autre, de l’autre par l’un37.
Pour Heidegger, l’être-­avec est une détermination ontico-­existentiale.
Chez Sartre, le pour-­autrui est moralo-­existentiel. L’être pour l’autre kier-
kegaardien est une catégorie éthico-­religieuse. Si Sartre reprend Kierke-
gaard par un jeu de substitution en le déformant, Heidegger le
renverse sur le mode d’une lecture en en restant à l’idée que le Soi
n’est que synthèse entre éternité et instant, infini et fini, temporel et
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 37.165.0.215)

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éternel, liberté et nécessité, qu’il ne se rapporte qu’à lui-­même en
oblitérant le fait que ce n’est pas la relation à la réalité transcendante
qui détermine le rapport aux autres, mais, inversement, la liaison à
autrui qui délimite le lien au divin.
Robert Tirvaudey
Académie de Créteil
marielle.blanc3@wanadoo.fr

37. Cf. Einleitung in die Philosophie, 1928/29, GA 27, p. 104, où Heidegger


approfondit ce qui est commun rendant possible l’être-­les-­uns-­pour-­les-­autres.
Revue philosophique, n° 3/2012, p. 341 à p. 356

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